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Communiquer
Revue de communication sociale et publique
10 | 2013
Diversité des usages santé d’Internet et enjeux de
communication
La recherche d’information santé hors ligne et en
ligne chez les 18-34 ans : une étude exploratoire
Research on health issues offline and online among 18-34 year-olds: an
exploratory study
Monique Caron-Bouchard
Éditeur
Département de communication sociale et
publique - UQAM
Édition électronique
URL : http://communiquer.revues.org/520
DOI : 10.4000/communiquer.520
ISSN : 2368-9587
Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2013
Pagination : 67-86
Référence électronique
Monique Caron-Bouchard, « La recherche d’information santé hors ligne et en ligne chez les 18-34
ans : une étude exploratoire », Communiquer [En ligne], 10 | 2013, mis en ligne le 21 avril 2015, consulté
le 01 octobre 2016. URL : http://communiquer.revues.org/520 ; DOI : 10.4000/communiquer.520
Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée.
© Communiquer
Ri C S P
Revue internationale
Communication sociale et publique
www.ricsp.uqam.ca
La recherche d’information santé hors ligne et en
ligne chez les 18-34 ans : une étude exploratoire1
Monique Caron Bouchard
Chercheure, Centre de recherche sur la communication et la santé, UQAM, Canada
[email protected]
Résumé
Cet article présente une recherche exploratoire de type qualitatif effectuée auprès des 18-34
ans. Elle porte sur leur utilisation des réseaux sociaux hors ligne et en ligne lors de leurs
quêtes d’information santé. Cette génération de jeunes adultes n’ayant pas connu une
société où les technologies numériques ne font pas partie intégrante de la trame quotidienne
délaissent-ils les paradigmes de recherche traditionnelle priorisant la famille, les amis et
les professionnels de la santé dans un contexte interpersonnel en face à face? L’analyse
d’entrevues semi-dirigées menées auprès de 21 personnes (dont la majorité se considère
en santé) de la grande région de Montréal a permis de relever les facteurs motivant la
recherche d’information santé, la démarche informative, l’utilisation et la perception des
réseaux sociaux ainsi que la trajectoire de recherche. L’étude des verbatims recueillis donne
des indications sur l’utilité et la pertinence des diverses sources d’information santé tant
hors ligne qu’en ligne. La participation active dans les relations interpersonnelles s’avère
plus manifeste hors ligne qu’en ligne.
Mots-clés : santé ; jeunes; 18-34 ans; réseaux sociaux; internet.
This paper presents an exploratory qualitative research conducted among 18-34 years
old. It focuses on their use of social networks, offline and online, in their research of
health issues. The paper examines whether Digital Natives still prioritize traditional
research paradigm including face-to-face interactions with family, friends and health
professionals. The analysis of interviews conducted with 21 subjects from the greater
Montreal region (the majority of whom consider themselves healthy) identifies factors
influencing their approach to seeking information on health issues and their use, their
perception and search trajectory of social networks. This study shows the importance of
a diversity of sources for finding health information both online and offline. It also argues
that interpersonal participation is more active offline than in online social networks.
Keywords : health,youth; 18-34 years;social networks; online; offline.
Introduction
En cette ère de plus en plus investie par les médias numériques, il est à propos de se
questionner sur la place qu’ils occupent dans la quête d’informations en matière de santé chez
les jeunes adultes de 18 à 34 ans. Quelles sources informatives cette population privilégie-t1. Remerciements au FQRSC et à Lise Renaud Ph.D. directrice du Centre de recherche sur la communication et la
santé. Nous tenons à souligner la contribution de Sylvie Beaulieu tout au cours de la recherche.
Certains droits réservés © Monique Caron Bouchard (2013)
Sous licence Creative Commons (by-nc-nd).
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elle pour aborder des thématiques personnelles, voire même intimes? Plusieurs recherches
(IFOP, 2011 ; Fox, 2011 ; CEFRIO, NETendance, 2012 ; Nielsen, 2012 ; Fox, 2013) indiquent
que ce groupe d’âge réunit de friands adeptes des réseaux sociaux. C’est au sein de cette
génération, née entre le milieu des années 1970 et la fin des années 1980, que l’on trouve
le plus grand nombre d’internautes utilisant les réseaux sociaux en ligne. Au Québec, les
jeunes de 18-34 ans s’en servent dans une proportion de 94.4%, avec un attrait particulier
exercé par Facebook (CEFRIO, 2012). Une étude de CROP-AQESS (2011) précise que 63%
des 18 ans et plus naviguent sur Internet pour s’informer sur des sujets relatifs à la santé,
régulièrement et/ou à l’occasion. Notre étude examine la quête d’information santé chez
les 18-34 ans n’ayant pas connu une société où les technologies numériques sont absente
de la vie quotidienne. Cette génération, qui a grandi avec ces modes de communication, y
a recours au quotidien, plus particulièrement les 17-21 ans, qui possèdent des habiletés et
des compétences fines pour l’exploration et l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux
(Meyers, 2012). Quelles informations sur la santé suscitent leur intérêt, quels facteurs ou
quels leviers influencent leur démarche de recherche, et selon quelles trajectoires? Existe-til des différences entre leurs paradigmes de recherche d’information santé dans les sphères
virtuelle et réelle?
Usages d’Internet dans la recherche d’information santé
Plusieurs études (Kivits et al., 2009; Renahy 2012) dans le champ de la communication ont
porté sur l’utilisation d’internet comme source d’information santé pour la population. Si
certains individus s’en remettent encore uniquement aux voies informatives traditionnelles
(professionnels de la santé, famille, médias traditionnels, notamment écrits, pairs etc.),
d’autres recourent également à Internet.Une étude longitudinale norvégienne de 20002010 relève l’augmentation de l’utilisation d’Internet pour l’information santé et l’achat de
médicaments ou autres produits santé (Wanberg 2009).
Selon un sondage (Renahy et al., 2007), le profil-type de l’internaute santé est une
femme, jeune ou d’âge moyen, vivant en couple, avec un niveau d’études élevé, un emploi,
une grande expérience d’Internet et confrontée personnellement ou dans son entourage
proche à un problème de santé. Une autre étude (Koch-Weser, 2010) souligne que les
usagers d’Internet pour la recherche d’information santé sont plus jeunes, plus scolarisés,
ont un revenu plus élevé et considèrent plus important de rechercher l’information santé
en ligne que ceux qui privilégient la recherche d’information hors ligne. Cependant, on ne
relève aucune différence selon le sexe, l’état de santé et le besoin de confidentialité entre
ces deux types de personnes. L’origine ethnoculturelle influence aussi la fréquentation
d’Internet. Une consultation auprès de 452 jeunes (Lariscy et al., 2010) a ainsi révélé que les
adolescentes afro-américaines avaient plus tendance que celles d’autres ethnies à privilégier
le web (en plus de la télévision et de la radio) pour la quête d’information en santé.
Par ailleurs, les utilisateurs d’Internet à des fins d’information santé n’exploitent pas
toutes les plateformes ou applications du Web 2.0 (YouTube, blogues, forums de discussion et
réseaux sociaux), ni ne les utilisent de la même façon. Divers facteurs sociodémographiques
influencent la prévalence de navigation sur la toile à des fins d’information santé sur les
réseaux sociaux. L’âge constitue une variable importante : les jeunes, en effet, baignent
depuis leur enfance dans l’univers numérique, ont un accès facile à Internet et manifestent
une aisance certaine à l’utiliser (CÉFRIO, 2013; CROP, 2011 ; Chou et al., 2009 ; Conseil
Canadien sur l’Apprentissage, 2008 ; Renahy et al., 2007 ). Une étude entreprise auprès
de patients fréquentant des cliniques de dermatologie (Vance et al., 2009) indique que
Twitter, Facebook et YouTube s’imposent de plus en plus comme sources d’information
santé chez les adolescents et les jeunes adultes.
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Toutefois, la participation dans ces espaces demeure généralement passive et les
participants privilégient la consultation de témoignages (Health Research Institute, 2012 ;
Romeyer, 2012, Thackeray, 2013).
Ces recherches ont examiné les caractéristiques sociodémographiques des usagers, de
même que les motifs des quêtes d’information santé sur Internet, les sujets recherchés,
leurs perceptions de la qualité et de la crédibilité de l’information santé, les ressources
privilégiées et enfin, les répercussions de ces informations dans la vie quotidienne ou dans
la construction des savoirs experts, populaires et expérientiels (Kivits 2012). Des recherches
(Norris, 2004, Brandtzaeg et al., 2010) soulignent le capital social assuré par les médias
sociaux au chapitre du renforcement et du développement de liens familiaux et entre pairs.
Autant de gains qui motivent l’usage de telles plateformes.
Toutefois, Internet n’éclipse pas les autres sources d’information et conserve, pour un
bon nombre, un statut complémentaire. Une étude du Conseil Canadien sur l’Apprentissage
(2008) rapporte que les jeunes Canadiens de 18-24 ans consultent prioritairement la
famille et les amis dans une proportion de 33% et le médecin de famille pour 22% d’entre
eux. Une autre étude (Fortier, 2008) révèle que chez des jeunes ayant vécu une situation
sexuelle, Internet était la deuxième source d’information la plus consultée. Ils visitaient les
sites web afin de s’informer sur les conséquences possibles sur leur santé et de se rassurer
en attendant la visite chez le médecin. C’est la situation dans certains pays, comme la Corée,
où les individus, bien que fortement branchés, continuent à accorder aux réseaux humains
traditionnels une place de premier plan et cela, dans toutes les sphères de la vie, y compris
celle de la santé (Choi, 2005). Ces réseaux, principalement tissés par l’école, la région de
résidence et la famille, influencent significativement les comportements. Certes Internet
est exploré pour obtenir de l’information santé, mais les réseaux en face à face demeurent
privilégiés pour partager les informations recueillies et en discuter.
Par ailleurs, les recherches dans ce domaine rapportent plusieurs tendances. Les
professionnels de la santé composeraient la source informative jugée la plus crédible et
consultée en premier lieu par 49% des répondants (Hesse, 2005), une préférence notée
dans une autre étude (Sébastien, 2012). Des internautes fréquentant le site français
Doctissimo.fr indiquent que, s’ils ressentent le besoin de compléter les informations du
médecin sur le web, pour 91% d’entre eux, la source d’information la plus légitime demeure
le médecin (Romeyer, 2008). Par contre, selon Mc Mullan (2006) et Renahy (2007), les
patients chercheraient de plus en plus à se renseigner sur leur condition médicale avant de
consulter un professionnel de la santé. Le type de problème médical peut aussi influencer
l’ordre de priorité des sources d’information explorées. L’étude conduite par Toutain (2010)
auprès de 42 Françaises enceintes établit que, malgré la multitude de sources d’information
disponibles (sources écrites, orales, télévision, Internet, professionnels de la santé, entourage
familial), la mère demeure la plus crédible pour elles, en ce qui a trait à la problématique
de la prise d’alcool pendant la grossesse. Une autre recherche (Fainzang, 2012) indique
que si l’avis de l’entourage importe en ce qui a trait à la consommation de médicaments,
les informations recueillies par les personnes concernées sont fréquemment vérifiées sur
Internet grâce, entre autres, aux forums de discussions. Les usagers se contentent ainsi
rarement d’exploiter une seule source d’information et privilégient plutôt un maillage
entre les sources informatives en face à face et numériques. Cette stratégie multiple est
aussi confirmée par une étude menée auprès de collégiens américains qui établissait que
75% des expériences en communication santé (portant sur l’alimentation, les problèmes de
santé mineurs, les habitudes de vie à risque, etc.) étaient de nature interpersonnelle, que
les individus recouraient simultanément à plusieurs modalités de communication (face à
face, courriel, téléphone) et qu’une majorité des échanges impliquait des membres de la
famille ou des amis (Baxter et al., 2008). Le médecin et le pharmacien sont les ressources les
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plus consultées par des personnes ayant ou non de problème de santé mentale. Par ailleurs
Internet était davantage utilisé par les personnes ayant un problème de santé mentale
(Pohjanoksa-Mäntyla 2011).
Internet semble donc devenu une source importante d’information sur la santé, mais il
s’impose de plus en plus en complémentarité avec les sources hors ligne (Sébastien, 2012).
Modalités et motivations de la recherche d’information santé sur
Internet
Les modalités de recherche d’information santé sur Internet sont similaires à celles utilisées
pour toute autre investigation sur le réseau. Le recours à des moteurs de recherche constitue
ainsi la démarche des deux-tiers des internautes, alors qu’un tiers seulement participe à des
forums de discussion santé (Fox, 2013). Par ailleurs, le choix d’un site Internet pour une
quête d’information santé n’est pas dicté par le hasard. Les internautes, en effet, établissent
différents critères de sélection devant la multiplicité des adresses disponibles. Renahy
(2007), Eysenbach et Köhler (2002) précisent que la notoriété de la source et du logo du
site, la facture visuelle, la langue, la convivialité de la navigation, la nature des publicités,
la répétition de l’information sur différents sites, la mise à jour régulière des contenus,
l’objectif sous-jacent au contenu et les liens sont autant de facteurs qui influencent le choix
d’un site plutôt que d’un autre.
Une étude Powell (2011) rapporte que dans le cas de la recherche en ligne d’information
santé président le désir d’être rassurer, d’avoir un deuxième avis pour défier d’autres
informations, le désir d’une plus grande compréhension pour compléter d’autres
informations, non accessibles par des sources traditionnelles, de vérifier une opinion, de
comprendre davantage soutiennent la motivation de la recherche d’information santé en
ligne. Kim (2012) rapporte que les perceptions de la fiabilité, de la crédibilité, de l’utilité
et de l’accessibilité de l’information santé influencent les attitudes et les intentions de
l’internaute à utiliser l’information.
Internet offrirait par ailleurs de multiples avantages pour l’usager parmi lesquels
l’interactivité, l’anonymat auxquels s’ajoutent l’adaptation de l’information aux besoins
et la possibilité de sa sélection sur mesure (Takahashi et al., 2011). Le faible coût pour le
marketing social de type viral, à savoir la mise en ligne par des internautes ou des organismes,
de messages promotionnels sur les réseaux numériques, caractérisée par la rapidité de
transmission de l’information, l’interactivité et l’exposition à une large communauté figure
aussi au nombre des facteurs motivant l’utilisation (Vance et Howe, 2009). Ces réseaux
sont d’ailleurs fréquemment exploités par les organisations oeuvrant en santé publique.
L’avantage d’une corrélation entre l’échange d’information santé et le support moral (via
les forums de discussion, entre autres) dans le cas de maladies chroniques et graves comme
le sida ou le cancer du sein a également été relevé (Weaver et Mays, 2009). Les internautes trouvent ainsi des réseaux sociaux au sein desquels ils peuvent partager des informations
pratiques et des témoignages (Meric, 2002 ; Aubé et Thoër, 2010).
Internet présente, à contrario, certains désavantages freinant son utilisation. On peut
ainsi noter l’absence de références pour certains contenus présentés en ligne et la confusion
possible entre les opinions exprimées et les faits objectifs et réels. Ainsi, près de la moitié
des 811 adolescents espagnols consultés par Jimenez-Pernett et Labry-Lima (2010) ont
déclaré ne pas se fier à Internet pour l’information santé, par manque de confiance dans
leur propre capacité à sélectionner des sites reconnus proposant une information validée.
Corcoran et al. (2009), dans la même perspective, rapportent que les patients atteints de
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douleur chronique ne sont pas toujours capables de trouver par eux-mêmes sur Internet
l’information de qualité qu’ils recherchent.
Des recherches menées par Taylor et Leiman (2001) et citées dans Shim (2008)
identifient chez des patients quatre types de démarches : le patient résilient, dépendant
des professionnels de la santé et qui utilise peu souvent l’information en ligne ; le patient
plus autonome cherchant à gérer lui-même sa santé et qui explore Internet à des fins de
validation; le patient informé dont la source d’information principale est le clinicien et qui
navigue sur la toile en quête d’une information médicale alternative et complémentaire ; et
enfin le patient impliqué qui utilise Internet d’une façon personnelle pour échanger avec le
clinicien. Par ailleurs, des recherches montrent que la quête d’information santé en ligne
est en relation avec l’état de santé des usagers Les personnes ayant des problèmes de santé
chronique sont ainsi plus nombreuses à rechercher de l’information sur leur problématique
(Fox 2013).
Fox et Rainie (2002, cité dans Shim, 2008) distinguent, quant à eux, trois autres types
d’usagers d’informations santé sur Internet en fonction des modalités d’utilisation : l’usager
vigilant et rigoureux qui vérifie les sources, la mise à jour et les politiques de confidentialité
des informations ; l’usager motivé qui utilise l’information Internet pour gérer ses problèmes
médicaux ; l’usager qui se sent peu concerné par la thématique santé et qui navigue très peu
sur les sites s’y rapportant.
Devant les perspectives ouvertes par ces travaux, il est important d’explorer les modalités
d’usages, l’articulation et la connexion des sources d’informations santé mobilisées par les
individus, soit en complémentarité soit à des fins de validation. Cela permet en effet de
cerner le territoire, voire la sphère de communication santé des individus, qui est composée
de réseaux hors ligne et en ligne. En privilégiant l’angle des usages, il est possible de mieux
comprendre les liens entre ces actions individuelles ou interindividuelles des personnes
et le contexte social défini en tenant compte de facteurs structurels comme l’éducation,
l’appartenance ethnique, l’environnement de la famille et des pairs, la proximité des services
de santé, l’offre médiatique (Kivits, 2012).
En effet, si les environnements virtuel et réel opèrent par selon leurs propres logiques de
communication sur le plan de la participation et de la privauté, on observe des convergences,
notamment en termes de finalité : accéder à une information santé crédible et utile. Le
réseau d’appartenance en ligne se tisse dans des environnements différents, des structures
de communication semblables mais distinctes de celles du réel, avec des interlocuteurs
variables selon les besoins. Les réseaux sociaux sous-tendus par la famille, les amis et
les collègues de travail portent une histoire, mobilisent des ressources de proximité et
s’inscrivent dans la quotidienneté et la continuité. Les médias sociaux construisent quant à
eux un territoire identitaire inédit, générant une nouvelle autonomie, une nouvelle famille
et une sujétion empreinte néanmoins d’une certaine liberté. Les facteurs technologiques
structurels, d’opération et d’intervention, et la vocation de chacun de ces environnements
(les diverses plateformes interactives grand public et les sites dédiées à vocation interactive
tels que les blogues Facebook, Twitter) interagissent et catalysent les relations sociales dans
l’espace public et privé. L’objectif de notre étude est de mieux comprendre ces enjeux, et
d’explorer ces environnements virtuels et réels (hors ligne et en ligne) afin de bien rendre
compte des comportements effectifs des individus. Les 18-34 ans ont retenu notre intérêt
compte tenu de leur bagage d’expériences avec Internet et de leur fréquentation assidue des
médias sociaux. Nous tenterons de cerner de quelle manière ces compétences sont mises à
contribution dans le champ de l’information en santé. Quelles sources d’informations sont
ici privilégiées? Pour quel type de problématiques le sont-elles et selon quelle démarche
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exploratoire? Comment les informations sont-elles intégrées? Ce sont là les principales
questions auxquelles nous essaierons de répondre.
Méthodologie
Les 18-34 ans constitue une génération qui a grandi dans un environnement médiatique
digital offrant un flux d’information constant et des services d’accès à des ressources
multiples. Leur usage des médias se demarque de celle des 35 ans et plus en ce qui a trait à
leur utilisation régulière d’Internet, des médias sociaux,vidéos en ligne, télévision en ligne
du téléphone intelligent etc. (CEFRIO 2012). Par ailleurs leur usage des écrans varie en
fonction de diverses variables socio-démographiques et de leur valorisation de la culture
(Gire et Granjon 2009). Cet usage différencié se manifeste dans l’individualisation des
pratiques. « Les moins de 35 ans apparaissent en effet comme des utilisateurs très concernés
par les écrans et plus particuli;erement par les nouveaux écrans même si l’intensité de leurs
usages dessine un paysage nuancé. » (Gire et Granjon 2009 : 76)
Afin de cerner les modalités de recherche de l’information santé des 18-34 ans, nous
avons privilégié une approche exploratoire de type qualitatif. Notre population comprenait
21 répondants, 10 hommes et 11 femmes, provenant de la grande région de Montréal
(Ahuntsic, Montréal Centre-Ville, Laval, Longueuil, Plateau Mont-Royal et St-Michel).
Parmi ces répondants, 16 étaient d’origine canadienne et les 5 autres provenaient des pays
suivants : France, Costa Rica, Burundi, Mexique et Suisse. Sur les 21 répondants, 3 avaient
entre 18-21 ans, 11 entre 22-25 ans, 3 entre 26-29 ans, et 4 entre 30 et 35 ans.
Quinze des répondants avaient étudié à l’université (neuf ayant obtenu un diplôme
universitaire de 1er cycle et deux de 2e cycle et quatre n’ayant pas complété les études), trois
avaient fait des études collégiales ou professionnelles (dont deux ayant obtenu un diplôme),
trois avaient fait des études secondaires ou moins. La très grande majorité d’entre eux, soit
20 répondants, se considéraient en excellente ou très bonne santé. Quatorze répondants
n’avaient pas, au moment de l’étude, de médecin de famille.
Le dispositif de collecte de données comportait un questionnaire fermé individuel (fiche
sociologique et technologique) définissant le profil d’usager des plateformes Internet, ainsi
que des entrevues semi-dirigées d’une durée de 1h15-1h30 chacune, réalisées en face à face.
Ces dernières s’appuyaient sur un guide d’entretien et sur la réalisation d’un auto-sociographe
des sources en jeu dans la quête d’information santé, construit par écrit en version papier)
par chaque répondant en fonction de sa trajectoire de recherche d’informations santé hors
ligne et/ou en ligne. Cet exercice était effectué en fin d’entrevue et permettait de faire la
synthèse des informations transmises par les participants lors du processus de recherche
d’information santé, et de les valider. Les entrevues ont été intégralement transcrites et
l’analyse des verbatims a été élaborée à partir d’un codage ouvert permettant de repérer, à
l’aide des questions du guide d’entretien ou des thèmes de l’étude, les thèmes d’information
santé explorés par les répondants au cours de leur dernière quête d’information, l’utilisation
et la perception des différentes sources d’information disponibles, les facteurs motivant leur
recherche et la trajectoire développée dans cette quête informative. Inspirée de l’approche
sociométrique, l’analyse des auto-sociographes a été développée en tenant compte de la
spécificité des sources d’information hors ligne et en ligne, de leur interrelation et de la
priorité accordée à chacune.
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Résultats
Les résultats portent, dans un premier temps sur les usages d’Internet chez les répondants,
puis sur les thèmes d’information santé recherchés. Par la suite, les facteurs qui modulent la
recherche d’information santé sont examinés ainsi que la démarche informative sous-jacente
à la recherche. En dernier lieu, l’utilisation et la perception des sources d’information hors
ligne et en ligne ainsi qu’une typologie des trajectoires de recherche d’information santé
sont présentées.
Usages d’Internet
Dix-neuf des 21 participants utilisaient Internet chaque jour. Le courriel est employé par
la très grande majorité des répondants, ainsi que le clavardage et le réseau social Facebook.
Suivent les forums de discussion, les blogues et Skype. Bien moins employés, Twitter et Myspace ne semblent pas avoir beaucoup de succès parmi les répondants.
Plateformes
Usagers
Courriel
21/21
Clavardage
20/21
Facebook
19/21
Blogue
13/21
Forum de discussion
11/21
Skype
9/12 (9 sans réponse)
Twitter
2/12 (9 sans réponse)
MySpace
1/21
Tableau 1 : Usagers de diverses plateformes
Comme le montre le tableau 2, les usages des différents outils de communication varient
pour les questions de santé. Les ressources d’Internet sont les plus fréquemment utilisées;
les autres médias (courriel, forum de discussion, blogues, clavardage, webcam, téléphonie
et réseaux sociaux) sont pour leur part employés de façon sporadique et ce, par une minorité
de répondants.
Plateforme
Une ou quelques
fois par semaine
Une ou quelques
fois par mois
Une ou
quelques fois
par année
Jamais
Total
Internet
3
11
5
2
21
Courriel
3
2
4
12
21
Forum de
discussion
0
4
4
13
21
Blogue
0
2
6
13
21
Clavardage
0
2
3
16
21
Webcam
0
2
1
18
21
Téléphonie
internet.
0
2
2
17
21
Réseautage social
1
2
4
14
21
Tableau 2 : Utilisation d‘Internet pour des questions santé 74 | M. Caron Bouchard
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Thèmes d’information santé recherchés
La définition du concept de «santé» des répondants regroupe des concepts relatifs tant
à des aspects physiques que psychologiques de la personne. On y retrouve ainsi des
préoccupations liées au domaine bio-médical (maladies physiques, santé mentale, malaises
passagers), aux habitudes de vie (alimentation, activité physique), au maintien de la santé
et du bien-être physique. Aux yeux des répondants, la santé, pour être préservée, apparaît
tributaire d’une multitude de facteurs : le sport, l’alimentation, la capacité d’exprimer ses
émotions, la gestion des hôpitaux et des cliniques.
Les participants ont été invités à décrire, dans un premier temps, la dernière recherche
santé effectuée, toutes sources d’information confondues. Les réponses ont révélé que
toutes avaient porté sur des préoccupations personnelles. Les sujets abordés peuvent être
catégorisés comme suit : les douleurs physiques (blessures, coupures, crampes, rougeurs),
la santé mentale (anxiété, stress, bipolarité), les maladies passagères (bronchite, grippe,
infection urinaire, maux de gorge, cellules pré-cancéreuses), les ressources médicales
(coordonnées de cliniques, de professionnels de la santé), la forme physique (entraînement
sportif, exercices, exercices pré-accouchement), les maladies chroniques ou non (ITSS,
asthme, vitiligo, difficultés respiratoires), les médicaments (posologie, contre indications)
et les aliments protéinés (conseils nutritifs). La plupart de ces recherches reflétaient une
démarche réactive (à une maladie, à un mal physique ou mental) : tentative d’établir un
diagnostic, d’identifier des traitements ou les risques possibles pour la santé de la prise
de médicaments. Quelques-uns ont toutefois affiché une attitude préventive. Leur jeune
âge, au début de la vie adulte pour la plupart, ainsi que le bon état de santé généralement
constaté sont probablement un élément d’explication de leur quête d’information santé.
Choix des sources d’information santé mobilisées
Le choix des sources d’information consultées varie selon les participants et en fonction
de plusieurs facteurs. Il dépend tout d’abord de la perception du pouvoir qu’ils ont sur
leur santé (s’ils pensent être capables de se guérir seuls ou de trouver une réponse à
leurs questionnements, ils n’agiront pas de la même façon que s’ils ont le sentiment de
nécessiter une aide extérieure médicale, familiale ou autre pour préserver leur santé). Avoir
ou non une santé fragile constitue un autre facteur non négligeable : les répondants ayant
déjà fréquenté le réseau de la santé en raison d’un problème de santé précédemment
diagnostiqué (par exemple, un trouble bipolaire) semblent ainsi plus susceptibles de
recourir aux professionnels de la santé, entre autres, parce qu’ils y ont plus aisément accès.
Le sentiment d’urgence associé à la thématique santé influence aussi la démarche de
recherche d’information santé, surtout lorsqu’il y a souffrance ou risque de complication (par
exemple, une blessure sportive ou une coupure avec un objet métallique). Les dimensions
socio-affectives rattachées à la problématique santé influencent aussi le choix de la source
informative. Ainsi, si l‘on cherche à partager des émotions, des témoignages, à demander
des conseils et cela, en face à face ou de façon anonyme, surtout si la thématique de santé
est de nature intime. Certains semblent avoir un plus grand besoin d’un rapport en face à
face (influence culturelle souvent) et d’une approche personnalisée. Des facteurs liés aux
objectifs de la quête d’information et, plus précisément, au degré d’approfondissement du
sujet recherché par la personne interviennent aussi. On peut ainsi désirer un simple aperçu
général et superficiel d’une problématique ou, au contraire, des informations étoffées et de
pointe. Le motif de la recherche, traitement clinique (comportement réactif) ou mesures de
protection (comportement préventif) est également à considérer.
La recherche d’information santé hors ligne et en ligne chez les 18-34 ans | 75
On observe aussi des variations dans la démarche de recherche d’information chez les
répondants selon la problématique de santé concernée. Pour une information traitant des
vaccins nécessaires pour un voyage à l’étranger, par exemple, les répondants opteront surtout
pour une visite en personne à la clinique du voyageur. Pour la recherche des coordonnées
d’une clinique en vue de la prescription d’une pilule, Internet sera consulté. Les symptômes
médicaux généraux, non associés à une maladie en particulier (la fatigue, l’insomnie, les
migraines, etc.) pourront être explorés, dans un premier temps, sur Internet et, par la suite,
faire l’objet d’un appel à la ligne Info-Santé, ou d’une consultation d’un professionnel de la
santé (médecin, pharmacien, infirmière). S’il s’agit d’une problématique de santé présentant
une facette intime et personnelle (par exemple, une ITSS, une infection urinaire ou un
trouble bipolaire), elle appellera le plus souvent, une première exploration du sujet sur
Internet (en toute confidentialité), puis, si nécessaire, la consultation d’un professionnel de
la santé (via une clinique spécialisée, une ligne Info-santé, etc.). Le professionnel de la santé
est surtout consulté, en première instance, pour une prescription de médicaments, pour une
blessure, pour une difficulté respiratoire ou pour une douleur persistante, dans le cas d’un
suivi médical serré, tel, lors d’une grossesse ou d’un accouchement. Si les préoccupations
sont plus anodines, la recherche d’information sera effectuée sur Internet et la famille ou les
pairs pourront être sollicités.
En ce qui concerne les sources d’information sur la santé, nos répondants en ont
identifié une multitude. Elles peuvent être regroupées en deux grandes catégories : les
sources d’information hors ligne et en ligne. Ces sources incluent les médias numériques
et imprimés (livres, journaux, pamphlets, télévision, radio, etc.) puisque, compte tenu du
développement et de l’avancement actuels des technologies, ceux-ci arborent de plus en
plus, en complément, une fenêtre sur le web. La frontière entre les sources informatives,
de ce fait, devient de plus en plus poreuse, mais pour les besoins de la présente recherche,
nous les regroupons dans les deux grandes catégories ci-haut mentionnées. Les sources
d’information hors ligne et en ligne semblent être exploitées de façon concomitante
plutôt que parallèle. Les unes comme les autres procurent gratuitement des informations
pratiques, exhaustives et complémentaires.
Utilisation et perception des sources d’information hors ligne
Les sources d’information hors ligne regroupent la famille, les amis, les professionnels de la
santé et Info-Santé. Lorsqu’ils ont un questionnement en matière de santé, les participants
ont tendance à consulter, prioritairement et dans une première étape, un membre de la
famille, souvent la mère. Son expérience de la vie, son gros bon sens intuitif, ici largement
enrichis d’un lien affectif fort, sont alors davantage mis à contribution que ses possibles
connaissances médicales.
«Si c’est de nature, si l’importance c’est pas si grave, ça va être mes parents, ma mère…(…) Donc
pour la plupart des questions que j’ai, je peux avoir des réponses satisfaisantes.» (homme, 26-29
ans)
«Vraiment mon premier réflexe, c’est ma mère ou ma grand-mère. Ma grand-mère parce qu’ils
ont des bons trucs qu’ils faisaient dans leur temps, quand ils avaient moins de ressources.»
(femme, 22-25 ans)
Les répondants n’hésitent pas non plus à aborder la thématique santé avec leurs amis
et connaissances, surtout pour puiser un réconfort, solliciter un support ou demander un
conseil pour le traitement d’un mal bénin.
«Je vais les croire plus (mes amies) s’ils me donnent les deux la même réponse. Mais si une me dit
oui et l’autre non, je me dias qu’il y a quelque chose qui ne marche pas, donc je vais aller faire un
peu une recherche.» (femme, 26-29 ans)
76 | M. Caron Bouchard
RICSP, 2013, n. 10, p. 67-86
Les professionnels de la santé (médecins, pharmaciens, infirmiers, nutritionnistes,
chiropraticiens, etc.), exerçant en privé ou en institution, sont perçus comme des sources
d’information de premier choix, en raison de leur compétence et de leur crédibilité sur
le plan médical. Rappelons cependant que tous n’y ont pas un accès facile. Ainsi, les
répondants qui n’ont pas de médecin de famille (considéré comme l’autorité en matière de
santé) ne recourent à cette source d’information que dans le cas d’urgences ou de maladies
nécessitant la prescription de médicaments.
« Oui, mais ça reste un peu comme Internet. Il n’y a pas de diagnostic posé. Pour moi, le meilleur
moyen c’est vraiment le médecin. Quand il y a quelque chose qui va pas depuis longtemps et que
tu veux savoir ce que tu as, tu as beau googler, appeler Info-Santé, demander à n’importe qui, il
reste que c’est le médecin. » femme 22-25 ans »
Les professionnels de la santé jouissent d’une entière confiance auprès des répondants
et s’avèrent essentiels pour valider une information glanée sur Internet. Par-dessus tout,
on valorise la compétence, le caractère confidentiel et la composante humaine du médecin.
Notons que plusieurs chercheront à contre-vérifier des diagnostics graves, non par manque
de confiance, mais par souci de confirmation. Tant l’approche personnalisée du médecin
que le suivi médical effectué concourent à nourrir un sentiment de sécurité. Par ailleurs,
on déplore parfois les difficultés d’accès à un médecin de famille, le contact personnel
parfois décevant, pressé, expéditif et insatisfaisant, ainsi que la variabilité des compétences
professionnelles. S’y ajoutent également le manque de continuité dans le suivi et le temps
de réponse parfois long.
Le pharmacien (quoique peu consulté) jouit également d’une grande crédibilité en
matière de médicaments en premier lieu, mais aussi pour le traitement de maladies bénignes.
Ceux qui se prévalent de leurs services valorisent prioritairement leur grande disponibilité,
leurs conseils préventifs et la complétude des informations sur les médicaments. Les
pharmaciens, cependant, ne chercheraient pas toujours à comprendre la source des
maladies et limiteraient le traitement clinique à la seule prise de médicaments.
«L’attente est beaucoup moins longue, ça c’est vraiment agréable. Il y a aussi le fait que si on va
toujours à la même pharmacie, on va toujours tomber sur le même pharmacien. Il y a une espèce
de lien de confiance qui va se former…» (homme, 22-25 ans)
L’infirmier(ère) est aussi une ressource de choix, qui pallie l’absence d’accès au médecin.
Elle ouvrirait souvent la porte au milieu médical. Sa compétence est reconnue même si
elle n’est pas auréolée de la même autorité que le médecin. La ligne Info-Santé sécurise la
personne utilisatrice en lui indiquant la démarche à suivre suite à l’apparition de symptômes.
Elle permet, dans une première étape, de distinguer les urgences des problèmes de santé
mineurs, qui parfois peuvent être réglés de façon autonome.
Les réseaux hors ligne constituent ainsi des sources récurrentes et parfois quotidiennes
de consultation, tant pour les informations d’ordre réactif que préventif. Lorsqu’ils évoquent
les membres de la famille, les répondants soulignent l’attachement socio-affectif, empreint
d’empathie, le corpus d’expériences en matière de santé, construit depuis la naissance. Les
membres de la famille, avec lesquels il est possible d’aborder sans gêne et sans pudeur des
problématiques plus intimes et personnelles, fournissent ainsi des informations de tous
ordres, accessibles et spontanées. Les attentes comportementales en matière de santé,
dictées par les valeurs culturelles et traditionnelles ainsi que par l’éducation peuvent aussi
y être entendues. Les amis et les collègues de travail pour leur part, sont consultés pour les
avis et le soutien socio-affectif qu’ils procurent, ainsi que pour le partage d’expériences. Leur
contribution est d’autant plus recherchée s’ils possèdent des connaissances médicales issues
de leurs études, de leur milieu de travail ou de leur profession. Dans le cas de situations
La recherche d’information santé hors ligne et en ligne chez les 18-34 ans | 77
appelant une expertise médicale et nécessitant un accès rapide à de l’information clinique
professionnelle, la ligne Info-Santé s’avère une ressource des plus utiles et importantes.
L’analyse des entrevues n’a pas mis en lumière de divergences significatives entre les
démarches informatives des femmes et des hommes dans le domaine de la santé (laisser
le temps faire son œuvre est une attitude propre aux deux sexes). Les premières semblent
cependant un peu plus enclines à consulter les membres de leur famille (souvent la mère)
lorsqu’elles sont aux prises avec une problématique de santé. Par ailleurs, on observe que
les répondants provenant de minorités ethnoculturelles exploitent davantage les sources
d’informations en face à face (surtout la famille et le médecin). Ceux-ci rapportent avoir un
accès beaucoup plus facile au réseau de la santé dans leur pays d’origine et ils étaient donc
habitués à y recourir de façon routinière, une habitude qui ne s’est pas perdue dans le pays
d’accueil.
Utilisation et perception des sources d’information hors ligne
Les sources d’information en ligne, quant à elles, comprennent une diversité de plateformes
tant interpersonnelles que sociales. Internet est perçu comme une riche et précieuse source
d’information santé qui fournit un nombre illimité de données de tous ordres : pratiques,
théoriques, scientifiques, expérientielles, statistiques, etc. Sur le plan technique, on souligne
l’instantanéité et la rapidité d’accès à l’information recherchée, la navigation habituellement
conviviale (page d’accueil, hyperliens…), l’infinie variété de sites disponibles (et donc de
sources d’information), l’accès permanent à l’information même lorsque l’on se trouve à
l’étranger. La mise à jour régulière des informations disponibles sur tous les sujets et leur
nature tant pratique (tables d’équivalence des calories des aliments, recommandations
alimentaires, conseils, etc.) que théorique, la présence d’hyperliens et la présentation
de témoignages constituent des atouts de taille. Les sources en ligne permettent aussi
d’outiller la personne qui s’apprête à consulter un professionnel de la santé (pour décrire
un symptôme, identifier les sources du mal, etc.). Elles s’avèrent également fort utiles pour
faire connaître aux nouveaux arrivants au pays les ressources médicales offertes dans
leur localité (coordonnées et références à jour d’organismes, de cliniques, etc.). Enfin, ces
sources assurent une certaine confidentialité de la démarche de quête et de consultation
de l’information (variable importante lorsqu’on désire s’informer sur un sujet intime,
personnel ou potentiellement gênant).
Malgré les forces ou atouts d’Internet comme source d’information santé, plusieurs
limites subsistent : le manque de crédibilité, de sérieux et la piètre qualité de certains sites,
la crainte que le site consulté ait pour objectif inavoué de «vendre» un produit ou un service,
la circulation d’informations parfois contradictoires, l’absence de contact humain et de
chaleur (pour aborder une thématique à composante potentiellement émotive) et l’absence
de suivi informatif dans le cas d’une problématique qui perdure. S’ajoutent aussi le risque de
poser un mauvais diagnostic suite à une navigation sur des sites divulguant des informations
différentes (difficulté à distinguer le vrai du faux) et le risque de mal interpréter l’information
(en raison d’un biais de la langue, des connaissances et des préjugés personnels, etc.)
Google est le serveur le plus communément utilisé que ce soit pour y entrer le nom d’un
site particulier, pour y entreprendre une recherche santé par mot clé ou pour se diriger
directement vers Wikipedia. Rappelons que les participants à cette recherche étaient pour la
plupart en santé et n’étaient pas en quête de plateformes dédiées spécifiquement à la santé,
contrairement aux internautes ayant des préoccupations plus pointues dans ce domaine.
« Internet peut orienter tes opinions, mais ne te donnera pas un diplôme en médecine. Donc,
quelque part, il faut faire attention à ce qu’on trouve sur Internet, on est capable de diagnostiquer
78 | M. Caron Bouchard
RICSP, 2013, n. 10, p. 67-86
à peu près n’importe quoi sur Internet. Si tu fais des efforts, tu vas être capable. » (homme, 30-33
ans)
«Si, par exemple, ça vient d’un site gouvernemental, ça rajoute beaucoup de crédibilité.» (femme,
18-21 ans)
«Le piège d’Internet c’est qu’on sait jamais qui va écrire les chroniques, les articles, donc c’est à
prendre avec un grain de sel.» (homme, 26-29 ans)
Les blogues sont peu fréquentés par les répondants et ils y participent peu. Ils ne
constituent pas une source d’information jugée crédible en matière de santé, ceux-ci étant
davantage conçus, pense-t-on, pour les échanges sociaux et de divertissement. Qui plus
est, il serait parfois difficile de vérifier la source des blogues, ce qui nuit à la perception du
sérieux de l’information divulguée.
«Si c’est un blogue sur la grippe à mes yeux, je serais moins portée à le lire alors que ça pourrait
être un docteur qui écrit le blogue, mais c’est parce que c’est n’importe qui qui peut se proclamer
docteur.» (femme, 22-25 ans)
«Les blogues sur la santé, non. Tout ce qui est médical, je me maintiens dans ce qui se lit dans la
presse générale. Comme on a découvert un vaccin sur le sida, c’est sûr que ça va m’intéresser. Mais
je ne vais pas aller chercher un blogue qui parle du sida.» (homme, 22-25 ans)
Les répondants participent peu aux forums santé, mais certains les fréquentent à
l’occasion, surtout pour lire des témoignages, glaner quelques conseils de personnes
confrontées à une même problématique. La consultation des forums se fait en maintenant
toujours une certaine distance et en portant un regard critique et vigilant sur le contenu.
Les forums peuvent s’avérer utiles pour vérifier un symptôme, s’informer sur de possibles
traitements maison (que certains iront valider auprès de spécialistes) et lire des témoignages,
mais jamais pour poser un diagnostic.
«…si quelqu’un donne un truc pour un problème X, une solution, c’est sûr que je vais aller valider
avant de l’essayer. Je ferais pas confiance comme ça à quelqu’un que je ne connais pas.» (femme,
22-25 ans)
«J’ai regardé (un forum) parce que j’ai été diagnostiqué bipolaire il y a un certain moment. Et
donc, je voulais voir comment ça se passait avec d’autres gens. Et donc forcément, je suis tombé
sur des forums bipolaires, juste pour voir leur traitement, comment ça se passe et tout ça.»
(homme, 22-25 ans)
La plupart des répondants sont des utilisateurs réguliers (voire même quotidiens)
de Facebook et la durée de la fréquentation varie pour chacun (certains sont connectés
quotidiennement, du matin au soir). Facebook ou Myspace sont réservés et conçus à des
fins surtout sociales et de divertissement et ils ne remplissent pas une fonction informative
spécifique. Les réseaux sociaux sont perçus comme des espaces publics peu propices
à héberger des informations touchant à la santé et dotés donc d’une connotation privée,
personnelle et intime. La première raison de s’y investir n’est pas de dialoguer avec des
inconnus, mais bien plutôt de prolonger le contact et la conversation avec des proches.
« C’est un outil de communication, pas vraiment de recherche. Oui, c’est un outil de communication
amicale et non pas professionnelle, ni un outil de recherche ou d’exploration. C’est vraiment juste
mes amis, on se montrenos photos, on s’écrit des messages, on s’invite à des partys. » (homme,
30-33 ans)
«Facebook, c’est plus si c’est un ami qui aime un lien qui a rapport à la santé, je vais aller le voir.
(…) J’irais pas pour voir des symptômes que j’ai. Parce que sur Facebook, c’est plus facile de voir
la prévention que la réaction. C’est vraiment si un ami aime le lien, je vais aller le voir, parce
que si c’est mon ami, les chances sont qu’on a des intérêts en commun.» (femme, 26-29 ans) «Je trouve que Facebook est plus une plateforme d’échanges. Je pense que ça pourrait être
gagnant d’aller s’informer sur la santé par Facebook, parce que les gens… en partant, c’est plus un
système pour créer des liens, mais je ne verrais pas ça comme une source d’information. C’est plus
des pages comme «j’aime pas la grippe».» (femme, 22-25 ans)
La recherche d’information santé hors ligne et en ligne chez les 18-34 ans | 79
Les témoignages disponibles sur les blogues, les forums, les comptes Facebook et
Myspace suscitent un certain intérêt (même si les répondants les consultent peu), mais dans
le cas d’une quête d’information sur des maladies bénignes seulement. En aucun cas, ces
expériences de vie relatées ne doivent-elles aider ou servir à poser un diagnostic de maladie,
quelle qu’en soit la gravité, nous a-t-on affirmé.
Typologie des trajectoires de recherche d’information santé
La recherche d’information dans le domaine de la santé suit une trajectoire à la jonction de
sphères hors ligne et en ligne. Le flux d’informations transite d’une façon transversale, sans
passage obligé. Comme il n’ y a ni frontières ni clôtures, la démarche n’est pas unique ou
tracée d’avance. Tantôt c’est la famille ou les professionnels de la santé qui déclenchent la
quête, tantôt ce sont les ressources numériques (par exemple le courriel expédié à un ami).
L’analyse des autosociographes2 transcrits par les répondants met en lumière trois types
de trajectoires et profils de recherche : l’info-phage, l’info communico-relationnel, l’infosolo-discret.1
L’info-phage
Ce profil renvoie aux répondants, comme Gabriel, qui multiplient les sources d’information
(Internet, famille, amis, télévision, radio, imprimés, etc.), cherchant à être le plus et le mieux
informé sur une thématique touchant la santé. Ils consultent, en complémentarité, plusieurs sources d’information. Ils considèrent Internet comme une «mine d’or» d’informations
et n’hésitent pas à y recourir au moindre questionnement. Ils privilégient l’information
scientifique, objective, à la fine pointe de l’actualité et naviguent (à titre de lecteur ou de
participant) sur des blogues et des forums. Ils sont conscients qu’Internet ne transmet pas
MÈRE-FAMILLE
GOOGLE
-Aucun site
privilégié
BLOGUES
-Médecins
professionnels
INTERNET
Informations
diverses
FACEBOOK
-Partage
d’informati on
de conseils
Gabriel
REVUES
-Articles sur la
nutrition, la santé,
Actualité médicale,
LIVRES
-Sur la nutrition
-Sur le cancer
PHARMACIEN
-Renseignements sur
les médicaments
MÉDECIN
AMIS
- Suggestions de
médi caments ou conseils de
traitement.
-Information à valider.
VOISINE INFIRMIÈRE
-Conseils
RADIO
-En bruit de fond au travail.
-Surtout des témoignages.
Figure 1 : L’info-phage
2. Lors de la lecture de chacun des autosociographes, on retiendra que la longueur du trait menant à une source
d’information indique la priorité qu’elle occupe pour le répondant, au sein de la panoplie des sources disponibles.
Plus le trait est long (et éloigné du centre), plus la source d’information s’y rattachant est perçue comme secondaire
pour la personne. À l’inverse, plus il est court, plus il renvoie à une source d’information jugée primordiale, voire
automatique
80 | M. Caron Bouchard
RICSP, 2013, n. 10, p. 67-86
seulement de l’information sérieuse, valide et pertinente, mais savent comment la filtrer et
trouver celle qui répond à leurs critères de qualité. Les ressources hors ligne sont explorées
d’entrée de jeu et de façon continue tout au long de leur quête d’information santé.
L’info-communico-relationnel
Ce profil correspond aux répondants, comme Marie, qui privilégient les sources
d’information en face à face (par exemple, la famille, les amis, les professionnels de la
santé) et se sentent davantage rassurés par une information personnalisée et transmise,
idéalement, par une personne connue. Ils considèrent que la compréhension de la santé
passe par la communication et sont influencés par les témoignages et les expériences
personnels. Ils n’hésitent pas à consulter ou à participer à des forums et à des blogues qui
transmettent des témoignages.
GOOGLE
SYMPTÔMES
SITES OFFICIELS
-Doctissimo
-Passeport santé
-Santé Canada
INTERNET
PROBLÈMES
GRAVES OU NON
MÈRE FAMILLE ÉLARGIE
-Informations diverses
-Trucs et témoignanges
FORUMS/BLOGUE
-Forte réserve
-Consultation rare
-Validation d’un diagnostic
AMIES
-Si ont vécu une situation
similaire seulement
-Conseils et témoignages
MARIE
PROFESSIONNELS
DE LA SANTÉ
TÉLÉVISION
-Reportages, chroniques
-Nutrition santé
PRESSE ÉCRITE/LIVRES/REVUES/PAMPHLETS
-Livres : Santé mentale, troubles alimentaires,
deuil, épanouissement de soi
-Revues : Nutrition et exercice physique
-Pamphlets : dans les salles d’attente
MÉDECIN
-Prescription
-Si diagnostique grave, va contre
vérifier
INFOSANTÉ
-Symptômes
-Pré-diagnostic
-Marche à suivre
PHARMACIEN
-Info maladie,
médicaments ou
générale
Figure 2 : L’info-communico-relationnel
L’info-solo-discret
Ce profil correspond aux répondants, comme Simone, qui ne désirent pas en connaître
trop en matière de santé. Il s’agit pour eux d’une préoccupation intime, personnelle qu’ils
ne voudront aborder qu’avec des personnes triées sur le volet, hors ligne ou en ligne. Ils se
rendent directement à la source la plus susceptible de bien répondre à leurs questionnements.
Ils n’acceptent de se confier sur des sujets intimes (par exemple une ITSS ou un problème
de santé mentale), qu’avec des professionnels de la santé. Ils sont peu enclins à fréquenter,
à titre de lecteur ou de participant, des blogues ou des forums portant sur la santé.
La recherche d’information santé hors ligne et en ligne chez les 18-34 ans | 81
PROFESSIONNELS DE LA
SANTÉ
INTERNET
GOOGLE
MÈRE-FAMILLE
-Information générale
maladie/médicaments
-Santé mentale,
-Traitement, effet
Informations
diverses
SIMONE
SITES
SPÉCIALISÉS
WIKIPÉDIA
CLSC
MÉDECIN
- Prescription-traitement
AMIS
-Soutien moral
PRESSE ÉCRITE
Nouvelles santé
AMIS
Actualité médicale
Soutien moral
PAMPHLETS
de pharmacie
-Info sur les effets
secondaires
-Sur la nutrition
PHARMACIEN ( plus accessible)
)
-Renseignements sur les
médicaments
-Pré-diagnostics
-Marche à suivre
TÉLÉVISION
Séries médicales
Actualités santé
.
Figure 3 : L’info-solo-discret
Discussion
Notre recherche montre que les jeunes de 18-34 ans recueillent encore très largement
l’information santé dans les sphères traditionnelles de communication que sont la famille,
les pairs, les collègues, les professionnels de la santé et les médias. Les acteurs à l’œuvre
demeurent donc multiples et diversifiés, et les réseaux sociaux de proximité surtout
privilégiés en face à face. Ceci confirme diverses études sur la recherche d’information
santé (Sébastien, 2012; Toutain, 2010; Hesse, 2009; Powell, 2009; Conseil Canadien sur
l’Apprentissage, 2008; Choi, 2005). Internet et les médias sociaux constituent par contre
des ressources informatives utiles dans un contexte d’exploration, d’initiation à une
problématique médicale et de sélection et de validation de l’information santé obtenue
auprès d’autres sources, comme le suggèrent Powell (2009), Sommerhalder et al. (2009)
ainsi que Brandtzaeg (2009, 2011). La recherche d’informations se fait donc souvent ici à
la carte, en fonction des besoins du jeune et de sa satisfaction à l’égard des informations
obtenues dans l’une ou l’autre des sphères.
Les stratégies de recherche d’informations santé hors ligne ou en ligne reposent sur
des quêtes variées dictées par les besoins personnels. Des critères précis de sélection des
sources en ligne sont cependant appliqués tels que la crédibilité, l’accessibilité et la validité
des contenus. Les internautes sont ainsi conscients, rappelons-le, que l’information
disponible sur Internet peut être trompeuse, partielle ou mercantile et se montrent prudents
(Eysenback, 2002).
Les sites les plus couramment consultés pour obtenir de l’information santé sont
Doctissimo et Passeport Santé. Ceux-ci semblent répondre aux attentes exprimées et
jouissent d’une notoriété certaine en raison notamment de la crédibilité et de l’accessibilité
des informations proposées (sur la section éditoriale tout du moins) et de la présence
d’hyperliens. Mentionnons ici qu’une étude menée par Romeyer (2008) sur les usagers du
site Doctissimo révèle que les internautes y recherchent avant tout une information santé
plutôt que clinique et scientifique, leur objectif étant avant tout de se rassurer, d’obtenir un
82 | M. Caron Bouchard
RICSP, 2013, n. 10, p. 67-86
soutien et de bénéficier d’une plateforme de partage. Malgré certaines critiques proférées
par les instances médicales relativement à la fiabilité et à la crédibilité des informations
circulant sur ces sites (Nabarette, 2002 et Bourret, 2003 dans Romeyer, 2008), ces derniers
demeurent populaires auprès du grand public. Notre étude indique par ailleurs que, hormis
les répondants se déclarant en bonne santé, ceux souffrant de problématiques médicales
affirment fréquenter, en plus de ces sites grand public, des sites spécialisés offrant de
l’information clinique (Meric, 2002). On remarque cependant une méconnaissance chez
nos participants à l’étude, de la panoplie des sites santé francophones disponibles. Est-ce
dû au manque de promotion sur les sites médicaux professionnels ou à la bonne santé des
18-34 ans rencontrés, lesquels ont démontré un faible intérêt pour l’information santé?
De plus, la crédibilité (parfois déficiente) de l’information véhiculée s’avère un enjeu de
taille. Ainsi les jeunes rencontrés ont développé comme principale stratégie d’évaluation,
la comparaison entre les informations obtenues hors ligne de façon traditionnelle et les
informations en ligne.
Les moteurs de recherche rendent l’information médicale accessible en amont ou en
aval des questionnements. Certains internautes la relaient auprès de parents et d’amis. L’information santé est ainsi partagée et propagée par nombre de canaux interpersonnels
hors ligne ou en ligne. La connectivité des ressources et des supports d’information favorise
un lien (bonding) et un rapprochement-relais (bridging). Ceux-ci s’actualisent de deux
façons : le renforcement de liens, d’une part de confiance et de consultations avec des
membres de la famille ou des pairs, et d’autre part de relais et de transmission d’informations
des sites de réseaux sociaux concernés par la sphère santé. Les médias sociaux en ligne,
bien que peu utilisés dans le domaine de la santé par nos répondants, peuvent contribuer
à renforcer le capital humain (Granjon, 2001 ; Norris, 2004 ; Ellis, 2011 ; Brandzaeg et al.,
2000 ; Norris, 2004).
La trajectoire de recherche est choisie en fonction de la perception personnelle que
l’individu a de sa santé et de son pouvoir à gérer ses besoins en santé. Certains utilisent
des réseaux sociaux hors ligne ou en ligne diversifiés, pour répondre à un besoin spécifique
(profil de l’infophage). D’autres recherchent davantage le support, le partage, l’entraide,
dans un espace de communication favorisant l’engagement, la complicité et la solidarité
(profil de l’info-communico-relationnel). D’autres enfin, préoccupés par la qualité et par la
crédibilité de l’information, sélectionnent et trient les ressources pour valider les données ;
ici, c’est moins la quantité que la qualité qui oriente leur recherche (profil de l’info-solodiscret). Shim (2008) relève quant à lui plusieurs types d’usagers de l’information santé
sur Internet, chacun étant dicté par la perception de son état de santé et par le recours à
l’information santé. Ils sont au nombre de trois : motivé, vigilant/critique et abonné à des
serveurs de listes de sites (list server). Les trajectoires que nous avons relevées lors de notre
étude renvoient à des comportements en matière de recherche d’information santé hors
ligne ou en ligne. La motivation est nul doute un facteur sous-jacent à toute démarche,
mais les caractéristiques de communication propres à certains types de personnes (besoin
d’être rassuré, sécurisé, besoin de partager et de développer son autonomie) nécessitent
d’être explorées sur le plan communicationnel afin de privilégier une approche interactive
personnalisée.
Conclusion
Notre recherche présente quelques limites qu’il importe de relever. Il s’agit d’une étude
exploratoire auprès de 21 personnes, dont la majorité se considérait en bonne santé et
ne possèdait pas de médecin de famille. Ces répondants doivent dès lors compter sur les
cliniques sans rendez-vous ou sur les hôpitaux pour consulter un professionnel de la santé.
La recherche d’information santé hors ligne et en ligne chez les 18-34 ans | 83
Cet accès limité au réseau de la santé a assurément influencé en partie la démarche de quête
d’information santé.
De plus, dans la majorité des cas, le rapport des répondants avec le système de santé
a été, en règle générale, plutôt distant, ponctuel ou sporadique (en raison d’une blessure,
par exemple). Nul doute, la santé ne constitue pas (encore) une grande préoccupation pour
eux. Le nombre de répondants ayant un statut parental joue aussi un rôle d’influence : on
peut supposer que le fait d’avoir un ou plusieurs enfants amène à fréquenter davantage le
réseau de la santé et à s’informer davantage sur le sujet. De plus, la thématique santé soustend une composante personnelle, intime et émotive : on peut penser que des répondants
ont volontairement omis de livrer certaines informations, cela par gêne ou par discrétion.
Notons enfin que la téléphonie mobile (et l’une de ses principales applications, à savoir le
texto) a été exclue des investigations auprès des répondants.
Cette étude a toutefois permis de mettre en évidence la complémentarité de certaines
sources informatives en matière de santé. Chacune ayant ses forces et ses limites propres,
c’est leur jonction qui permet de répondre aux besoins et aux attentes exprimés par les
usagers. Le comportement propre à la recherche d’information dans le domaine de la santé,
que ce soit hors ligne ou en ligne, constitue un axe de recherche important pour mieux
comprendre, voire développer des approches de communication adaptées au type d’usager
et à ses besoins et à ce titre, il nécessaire de considérer l’articulation des espaces public et
privé, en ligne et hors ligne.
Qu’en sera-t-il dans le cadre du futur web 3.0, construit sur le système coopératif
de données, où de nouveaux liens ne cesseront de se tisser et où l’émotion, l’expression
et les connaissances seront jumelées, alimenteront les relations et régiront l’exploitation
des données personnelles ? Il est alors probable que la recherche d’information santé
s’effectuera dans le cadre des groupes d’appartenance de proximité hors ligne et en ligne.
Qu’en sera-t-il ainsi de la frontière entre le privé et le public ? La connectivité et
l’interactivité des individus et des groupes constitueront les vecteurs des communications
web 3.0. et nécessiteront des ajustements de taille pour répondre à des publics davantage
segmentés selon leurs intérêts et leurs attitudes. La collaboration intra et inter sphères santé
fera poindre de nouveaux enjeux en matière d’information santé tant clinique, préventive
que promotionnelle.
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