Vieillesse maltraitée : La justice et le droit

Transcription

Vieillesse maltraitée : La justice et le droit
4
ème
journée d'étude d'ALMA
Jeudi 23 mai 2002
UNESCO
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Vieillesse maltraitée :
La justice et le droit
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Président : Professeur Olivier RODAT
Modérateur : Professeur Robert HUGONOT
ALMA France
B.P. 1526
38 025 GRENOBLE CEDEX
Tél. : 04 76 84 20 40 Fax. : 04 76 21 81 38
Le professeur Robert HUGONOT
et l'équipe d'ALMA France
remercient vivement les personnes qui ont participé à cette journée
pour leur aimable collaboration
les bénévoles des centres d'écoute ALMA
les bénévoles d'ALMA Paris (en cours)
les conférenciers
l'équipe technique de l'UNESCO
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SOMMAIRE
Allocution d'ouverture
p. 5-6
Professeur Olivier RODAT, président de la journée
La protection des personnes âgées par la loi pénale
Professeur Michel VERON, Doyen honoraire Université Paris XIII
p. 7-10
L'abus de tutelles
Monsieur Philippe DARRIEUX, Magistrat (Texte dit par Mme Brigitte LEFEVBRE,
juge des tutelles, Conseillère juridique d'ALMA France.)
p. 11-14
Pour une meilleure protection juridique
Monsieur Jean FAVARD, Conseiller honoraire à la Cour de Cassation
p. 15-17
Maltraitance et secret médical
Docteur Jean POUILLARD, Vice-président de l'Ordre National des Médecins
p. 24-30
Table ronde :
Applications pratiques à partir d'expériences de terrain
•
La conciliation à l'hôpital
Professeur Robert MOULIAS, président de la Commission "Droits et libertés des
personnes âgées dépendantes" de la Fondation Nationale de Gérontologie
p. 42-46
•
Le service d'accès au droit
Docteur Bernard DUPORTET, le président d'AGE ALMA (Essonne)
•
•
Le respect du choix de vie de la personne protégée malgré la tutelle
Monsieur Jean Jacques GEOFFROY, directeur du service des tutelles,
La Roche-sur-Yon
Le rôle du service social : alerter, accompagner, protéger
Madame Maïté BUET, responsable d'un service social de gérontologie, Paris
p. 47-50
p. 51-56
p. 57-61
•
Les actions conduites par la Gendarmerie Nationale au profit des personnes âgées
Colonel Christian PETIT, chef de bureau, Direction générale de la Gendarmerie
Nationale, Paris
p. 62-68
•
Le médecin praticien face à la suspicion de maltraitance
Docteur Albert SERVADIO, médecin généraliste, Paris
p. 69-76
Conclusion
"Doit-il exister un droit spécifique pour les personnes âgées dépendantes ?"
Madame Geneviève LAROQUE, présidente de la Fondation Nationale de Gérontologie p. 81-84
Annexes
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Préface
Un domaine indissociable de celui de notre action d'écoute et de prévention
Robert HUGONOT
L'action d'ALMA touche un certain nombre de sujets très sensibles… des maltraitances
dans une famille qui se déchire, des accusations parfois exactes, parfois excessives,
parfois calomnieuses contre une institution, des plaignants qui devraient saisir la justice,
et qui redoutent d'alerter les gendarmes, ou qui ne savent comment saisir le procureur,
des personnes qui se voient protégées et qui risquent d'être maltraitées par leur
protecteur (ou soi-disant tel), des personnes sous tutelle dont on ne protège que les
biens en oubliant la personne qui se sent dépouillée de tous ses droits.
Je pourrais poursuivre cette énumération, tant les cas de figure sont multiples. Chacun
des acteurs d'ALMA, écoutants, référents, consultants, découvre par son attention un
domaine où le social affronte le droit, le secret l'obligation de signalement, … un champ
immense et complexe.
Nous remercions tous ceux qui, ayant compris notre action, sont venus apporter leur
compétence à cette réflexion.
Nous remercions la Fondation de France qui nous a proposé de prendre en charge
l'édition des conférences de cette journée ALMA, la IVème depuis 1996.
Liste des journées d'Etude d'ALMA France :
Oui ! des personnes âgées sont maltraitées ! Alors ! que faire ?, 1ère Journée
d'Etude ALMA, septembre 1996
Mal traités et mal traitants en institutions gérontologiques, 2ème Journée
d'Etude ALMA, février 2000
Maltraitance en famille: vieux maltraités, vieux maltraitants, 3ème Journée
d'Etude ALMA, mars 2001.
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Ouverture par le président de la journée
Professeur Olivier RODAT
Madame, Monsieur,
"Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant" écrivait, il y a deux siècles Pierre
Augustin CARON de BEAUMARCHAIS, il annonçait la Révolution française, l'émergence des
Droits du citoyen et l'espoir d'une justice sociale.
Si la Société s'est ensuite bâtie sur les fondements de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, estelle pour autant apaisée ? Elle vit des crises et des soubresauts certains médiatiques et électoraux,
d'autres plus intimes cachés et tus entre les murs d'un foyer, les silences d'une famille ou la
complicité d'un entourage.
Il en est ainsi des violences petites ou grandes où l'homme vulnérable par l'âge et l'épuisement de
ses facultés de résistance vient à être heurté par l'autre.
Les enfants et les femmes, par définition prioritaires dans ce naufrage de la cohésion sociale, ont
vu leur détresse prise en compte dans des aménagements législatifs et réglementaires sans pour
autant éteindre cet incendie de violence qui couve et sans cesse ressurgit comme l'hydre de
Lerne. A l'autre extrémité de la vie, le constat du Council of Scientific affairs, publié en 1987
reste d'une cruelle actualité : "Si vous êtes américain de plus de 65 ans, que vous ayez eu la
chance de ne pas avoir été un enfant battu, de ne pas avoir été une femme ou un mari battu, il
vous reste 10 chances sur 100 d'être un vieillard battu."
L'exemple vient-il toujours d'outre-Atlantique ?
Je me réjouis d'avoir été le premier universitaire à susciter en 1988 une thèse de Médecine sur le
thème des sévices à la personne âgée ; elle suivait de peu le premier colloque de la Commission
des droits et libertés de la personne âgée, tenu à Lyon en 1987, sous l'autorité du Professeur
MOULIAS.
Depuis cette date, les travaux et les témoignages se multiplient, le vieillard devient un enjeu de
santé publique, mais aussi un vaste marché prometteur pour la démence.
La grande enquête faite outre-Atlantique par le National Elder Abuse Incidence Study (NEAIS)
estimait en 1996 que les cas rapportés avaient augmenté de 150% en 10 ans.
En France, seul le mouvement associatif conduit autour d'ALMA depuis 1995 par l'indestructible
Professeur HUGONOT, offre un éclairage sur l'étendue des drames.
Cette journée de travail est la quatrième d'ALMA France. Ceci est le temps choisi pour poser un
instant le combiné téléphonique et écouter la réponse de la société.
Trois juristes imminents apporteront l'éclairage de l'exécuteur de la loi ; Monsieur le Professeur
VERON, Doyen honoraire de l'Université Paris XIII, parlera d'immunité familiale, des nouvelles
qualifications du Code pénal en matière de vulnérabilité, de délaissement et d'abus frauduleux ;
Monsieur Jean FAVARD, Conseiller honoraire près la Cour de Cassation, sera très écouté quant
à ses propositions de toilettage ou de ravalement d'une loi vieille de 34 ans et Monsieur
DARRIEUX, Magistrat, dira probablement que la tutelle est peut-être une forme de violence.
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Il faudra aussi porter attention au Docteur POUILLARD qui nous rappellera comment l'exigence
de la confidentialité laisse parfois le pas à l'ardente obligation du secours et de l'initiative.
L'après-midi de cette réunion sera l'occasion de tables rondes et de différents témoignages ou
initiatives venant d'horizons divers.
Il y aura aussi le temps de la parole avec la salle, le temps des échanges où chacun pourra
chercher la réponse à son questionnement ou à son interrogation.
Nous terminerons cette journée avec l'enthousiasme juvénile de Madame LAROQUE, elle nous
parlera d'un droit spécifique pour les personnes âgées dépendantes, il s'agit peut-être d'un droit
d'être maltraité, encore faut-il pouvoir y consentir !
Je suis persuadé que cette journée sera riche, profuse en idées et en témoignages et que nous nous
quitterons le cœur plein d'énergie pour poursuivre sur le chemin de la bienfaisance, du respect et
de l'humanité.
Robert HUGONOT
Je voudrais vous dire maintenant que chacun des orateurs va disposer de vingt minutes. Il y a
cependant un petit changement, que je vous prie de noter, Monsieur Philippe DARRIEUX,
Magistrat, nous a fait savoir il y a quelques jours qu'il était empêché pour une raison grave. Et
son texte sera lu par Madame Brigitte LEFEBVRE, ancien juge des tutelles, conseillère
juridique d'ALMA France et présidente d'ALMA Isère. Nous donnons donc immédiatement la
parole à Monsieur le Doyen Michel VERON.
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La protection des personnes âgées par la loi pénale
Monsieur Michel VERON
Doyen honoraire de la faculté de droit de l'Université Paris Nord
Monsieur le Président, j'ai noté que vous tenez à faire respecter l'horaire, je le respecterai, bien
qu'il s'agisse d'un sujet extrêmement vaste. C'est une vue de l'esprit que de prétendre le traiter
totalement en vingt minutes ; mais les questions qui vous intéressent et qui n'auront pas été
abordées au cours de ces vingt minutes pourront l'être lors du débat qui clôturera cette
matinée.
Que la protection des personnes âgées doive être assurée par la loi pénale, nul ne s'en
étonnera. Les abus de toutes sortes dont elles sont victimes doivent être sanctionnés. Mais,
que la question de la protection par la loi pénale soit abordée dès le début de cette journée
peut surprendre. On comprendrait mieux que soient d'abord examinées les questions relatives
à la prévention, à l'écoute, au respect du choix de vie, à l'aide médicale, sociale ou juridique
qu'il convient d'apporter aux personnes âgées et que la sanction pénale n'apparaisse que
comme un ultime recours en cas d'échec des mesures de protection pour sanctionner des
dérives inadmissibles et les actes de maltraitance dont les personnes âgées pourraient être
victimes.
Mais, cette présentation logique, voire purement intellectuelle, du problème ne peut résister au
constat d'un échec de la prévention et de la protection et à la dure réalité des actes de
maltraitance envers les personnes âgées. Comme en matière de pédophilie, un tabou est en
train de disparaître. La maltraitance des personnes âgées ne demeure plus confinée dans le
secret des questions dont on ne doit pas parler. Au cours de la dernière décennie, des faits de
plus en plus nombreux et de plus en plus inquiétants sont apparus et le recours à la sanction
pénale a été utilisé de plus en plus fréquemment pour punir les auteurs d'actes délictueux.
Encore ne faut-il pas se leurrer. La majorité des cas de maltraitance physique, psychique ou
morale demeurent encore très souvent ignorés des tribunaux, donc impunis. Il n'est donc pas
inutile de faire connaître le contenu de la loi pénale en ce domaine. Les affaires qui ont donné
lieu à des poursuites et à des condamnations pénales ne constituent véritablement que la partie
émergée de l'iceberg. Puisse la menace de lourdes sanctions pénales avoir un effet dissuasif
propre à protéger les personnes âgées.
I – La lecture des textes conduit à faire quelques observations importantes.
1- Le Code pénal n'envisage pas les personnes âgées comme une catégorie qu'il convient tout
particulièrement de protéger, comme une catégorie spécifique. Les personnes âgées sont
intégrées dans un ensemble plus vaste, celui des personnes d'une "particulière vulnérabilité".
Elles y retrouvent les mineurs. Ainsi, la vulnérabilité découlant du trop jeune âge est associée
celle résultant du trop grand âge. Figurent aussi dans cet ensemble les personnes dont la
vulnérabilité est due à la maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou
à un état de grossesse. La vulnérabilité due à l'âge – au grand âge – n'est qu'une hypothèse
parmi d'autres. D'ailleurs, on peut observer que plusieurs motifs de vulnérabilité peuvent se
retrouver chez la même personne.
2- Le Code pénal ne protège pas les personnes âgées seulement contre des actes qui portent
atteinte à leur intégrité physique ou psychique – la maltraitance, au sens strict du terme – mais
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aussi contre les actes qui portent atteinte à leur patrimoine. L'examen de la jurisprudence
révèle d'ailleurs que la grande majorité des affaires jugées par les tribunaux correctionnels
concerne le cas de personnes isolées, souvent assez fortunées et dépouillées de leurs biens par
un entourage avide et sans scrupule.
3- Le Code pénal envisage la vulnérabilité de deux façons au regard de la pure technique
pénale. Dans de nombreux cas, le Code pénal fait de la vulnérabilité de la victime une
circonstance aggravante d'une infraction de droit commun punissable quelle que soit la qualité
de la victime. Cela signifie que la peine encourue par le coupable est sensiblement aggravée si
la victime est une personne d'une particulière vulnérabilité due à l'âge ou à une autre
circonstance.
Ainsi en est-il des atteintes à l'intégrité physique des plus légères aux plus graves, des
atteintes occasionnelles aux violences pratiquées de manière habituelle. Ainsi en est-il aussi
des agressions sexuelles, du viol ou du proxénétisme. Mais, la même technique d'aggravation
de la peine est utilisée pour sanctionner des atteintes aux biens ou au patrimoine commises au
détriment des personnes vulnérables ou facilitées par leur état : vol, escroquerie, destructions
ou dégradations. On notera, en ce domaine, que la loi pénale n'aggrave pas la peine encourue
en cas d'abus de confiance, ce qui est regrettable, tant sont nombreux les abus, notamment de
mandat, commis au préjudice de ces personnes.
II – Mais la loi pénale fait aussi de la vulnérabilité l'élément constitutif d'une infraction
particulière qui n'est donc punissable qu'en considération de la qualité de la victime.
1- Le délaissement
L'article 223-3 du Code pénal a classé cette infraction parmi celles qui mettent une personne
en danger. Elle consiste à "délaisser" en un lieu quelconque, une personne qui n'est pas en
mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique. La personne
délaissée peut donc être abandonnée seule à son domicile, sans visites ou moyens de
communication. Le texte ne sanctionne pas une simple négligence, mais un acte volontaire
accompli sciemment par une personne qui a connaissance de l'état de la victime et de son
incapacité à se protéger. Le délaissement peut avoir des conséquences physiques, matérielles,
morales ou psychiques.
Le délaissement constitue un délit puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 Euros
d'amende. Mais, il devient un crime si le délaissement a entraîné une infirmité permanente ou
la mort de la personne délaissée.
2- L'abandon de famille
L'article 205 du Code civil dispose que les enfants doivent des aliments à leurs pères et mères
ou autres ascendants qui sont dans le besoin. A défaut de versement volontaire, les enfants
peuvent être condamnés à verser une pension alimentaire à leurs ascendants. L'article 227-3
du Code pénal incrimine sous le terme assez générique d'abandon de famille le fait de ne pas
payer pendant plus de deux mois l'intégralité de l'obligation alimentaire mise à sa charge par
une décision judiciaire exécutoire et dont on a connaissance. En outre, l'article 314-7 du Code
pénal incrimine le fait d'organiser frauduleusement son insolvabilité pour ne pas payer cette
dette alimentaire. L'abandon de famille est puni de deux ans d'emprisonnement et de 15 000
Euros d'amende, tandis que l'organisation de l'insolvabilité est punie de trois ans
d'emprisonnement et de 45 000 Euros d'amende.
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3- Les violences habituelles
Les violences exercées occasionnellement sur des personnes vulnérables sont punies de peines
aggravées par rapport à celles encourues pour des violences exercées sur des personnes non
vulnérables au sens du Code pénal. Mais, si les violences sont exercées "habituellement" sur
ces personnes vulnérables, l'article 222-14 du Code pénal en fait l'élément constitutif d'une
infraction distincte très sévèrement punie, souvent même de peines criminelles, lorsque
l'atteinte à l'intégrité physique ou psychique de la victime est grave. L'application de ce texte
soulève une question importante : quand peut-on dire qu'il y a habitude ? Une jurisprudence
ancienne et constante de la Cour de cassation juge que, chaque fois qu'un texte fait de
l'habitude un élément d'une infraction, il suffit de répéter deux fois l'acte incriminé pour
caractériser l'habitude.
4- L'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de faiblesse
- Evolution historique – Cette infraction avait été placée à l'origine dans le Livre III du Code
pénal qui traite des crimes et délits contre les biens (art.313-4). Mais, elle a été déplacée et
modifiée par la loi du 12 juin 2001 relative à la répression des mouvements sectaires. Devant
la difficulté de définir une infraction nouvelle, celle de "manipulation mentale", le législateur
s'est résolu à reprendre et à aménager cette infraction préexistante. En outre, il a transféré
l'infraction modifiée dans le Livre II du Code pénal qui traite des crimes et délits contre les
personnes (art.223-15-2 et suivants). Est-ce à dire que l'infraction a changé de nature et que
les atteintes au patrimoine, qui constituaient jusqu'alors la quasi-totalité du contentieux pénal
initié par ce texte, ne seront plus prises en compte ? Nous ne le pensons pas.
- Les victimes – Ce sont, nous dit le texte, des personnes d'une particulière vulnérabilité due à
l'âge. Mais, il faut en outre que cet âge ait placé la personne dans un état d'ignorance ou de
faiblesse dont l'auteur des actes poursuivis a abusé. Il en résulte que cet état d'ignorance ou de
faiblesse ne saurait être présumé du seul fait de l'âge de la victime. L'examen de la
jurisprudence révèle que les tribunaux correctionnels ne prononcent la condamnation des
prévenus qu'après avoir relevé très précisément et très complètement dans chaque cas d'espèce
en quoi l'âge de la victime avait eu des conséquences spécifiques la plaçant en situation
d'ignorance ou de faiblesse. Dieu merci, de nombreuses personnes âgées ont conservé vigueur
physique et acuité intellectuelle. Elles ne sont ni ignorantes, ni faibles, ni vulnérables au sens
de la loi pénale.
- Les coupables – Dans toutes les affaires publiées dans les recueils de jurisprudence, il
apparaît que les coupables sont des proches de la victime qui se sont immiscés dans la vie
quotidienne de personnes isolées ou qui ont réussi à écarter les membres de la famille
susceptibles d'entraver leur action : médecin traitant, garde-malade, personne logée au
domicile de la victime, propriétaire de l'appartement, boulanger apportant le pain au cours de
sa tournée quotidienne.
- Les actes incriminés – Dans sa rédaction actuelle, le Code pénal incrimine le fait d'imposer à
une personne vulnérable un acte qui lui soit "gravement préjudiciable". On pense
immédiatement à un acte qui porte atteinte au patrimoine de la victime, acte à titre gratuit, tel
qu'une donation, ou acte à titre onéreux en imposant à la personne âgée des acquisitions aussi
inutiles que coûteuses.
Mais, le transfert de l'infraction parmi les crimes et délits contre les personnes doit permettre
d'utiliser le texte pour sanctionner aussi les actes gravement préjudiciables à la personne
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même, c'est-à-dire les actes susceptibles d'avoir des conséquences pour sa vie, sa santé, son
intégrité physique ou psychique.
- L'intention coupable – Cet élément de l'infraction est fortement souligné par le texte qui ne
sanctionne pas celui qui agit par insouciance et légèreté, mais volontairement et en pleine
connaissance de cause. Il faut à la fois que la situation qui place la victime en situation
particulièrement vulnérable soit "apparente et connue" du coupable, que celui-ci ait commis
un acte d'abus "frauduleux" de l'état d'ignorance ou de faiblesse de la victime et qu'il savait
que l'acte qu'il lui imposait lui était gravement préjudiciable. Pour entrer en condamnation, le
tribunal correctionnel devra donc motiver son jugement sur tous ces points. La rigoureuse
exigence du texte risque de limiter la portée de l'incrimination et de laisser en dehors de son
champ d'application le cas de celui qui a seulement "profité" de l'imprudence ou de la
négligence d'une personne âgée.
- La répression – Les personnes physiques encourent une peine de trois ans d'emprisonnement
et de 375 000 Euros d'amende, peines portées à cinq ans et 750 000 Euros si l'infraction est
commise par le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement qui poursuit des activités ayant
pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou
physique des personnes qui participent à ces activités. Elles encourent en outre les
nombreuses peines complémentaires prévues par l'article 223-15-3, parmi lesquelles on
relèvera l'interdiction d'exercer une fonction publique ou l'activité professionnelle ou sociale
dans l'exercice de laquelle l'infraction a été commise.
Les personnes morales peuvent être déclarées pénalement responsables de cette infraction.
Elles encourent l'amende et toutes les peines complémentaires prévues par l'article 131-39 du
Code pénal, parmi lesquelles on mentionnera la fermeture d'établissement, l'interdiction
d'exercice de l'activité professionnelle ou sociale, voire la dissolution si la personne morale a
été créée ou détournée de son objet pour commettre l'infraction.
Conclusion :
La loi pénale comporte aujourd'hui un arsenal assez impressionnant de dispositions destinées
à sanctionner toutes les modalités possibles d'atteintes à la personne ou au patrimoine des
personnes devenues vulnérables en raison de leur âge. Ces dispositions sont, dans l'ensemble,
assorties de peines lourdes et diversifiées. Mais, sont-elles dissuasives ? C'est soulever la
question de l'effectivité de la loi pénale. Ces textes sont-ils destinés à rester lettre morte ou
sont-ils réellement mis en œuvre ? Leur utilité et leur efficacité supposent que la maltraitance
des personnes âgées ne demeure plus un sujet tabou, mais soit abordée avec courage et
lucidité.
Je vous remercie.
Olivier RODAT
Merci, Monsieur le Doyen, pour la clarté de votre exposé qui nous a bien montré
l'extraordinaire arsenal thérapeutique et une certaine inefficacité. Alors peut-être que
Monsieur SARKOZY va faire des brigades spéciales pour rechercher la violence des
personnes âgées, mais je crois que c'est important d'avoir connaissance de ces dispositifs qui
sont des dispositifs répressifs et qui sont utiles à connaître.
Monsieur le Professeur Robert HUGONOT veut, je crois, faire un message.
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Robert HUGONOT
Je voulais simplement vous dire que cette réunion a pu se tenir grâce à quelques généreux
donateurs et en particulier le soutien financier de l'AGRR et aussi de l'UGRR, c'est à dire la
part de l'AGRR concernant l'Ile de France. Je voulais vous dire aussi que les textes des
orateurs seront publiés dans un fascicule qui sera édité grâce à l'aide financière de la
Fondation de France. Cela ne vous dispense pas de prendre des notes, bien entendu, mais
n'oublions pas que tout à l'heure vous aurez également des questions à poser, donc vous
pouvez les préparer à l'avance ; parce que nous allons vous proposer ceci : maintenant deux
orateurs vont se succéder, Monsieur Jean FAVARD, Conseiller honoraire à la Cour de
Cassation et Madame Brigitte LEFEBVRE, ancien Juge des Tutelles, Conseillère juridique
d'ALMA France et présidente d'ALMA Isère qui lira le texte de Monsieur Philippe
DARRIEUX. Et c'est après ces deux interventions sur les tutelles que je vous propose un
premier temps de discussion de vingt minutes. Nous pourrons parler ensuite du secret médical
avec le Docteur Jean POUILLARD.
Madame Brigitte LEFEBVRE
Ancien juge des Tutelles – conseillère Juridique d'ALMA France
Nous avons pensé qu'il serait plus logique et plus positif de parler d'abord de l'abus des
tutelles et ensuite de la meilleure protection juridique pour vous laisser tout de même sur une
impression plus favorable des tutelles que ce que je vais vous exposer maintenant, en étant,
vous l'avez compris, le porte-parole de Monsieur Philippe DARRIEUX, qui m'a transmis son
texte et qui intervient à la première personne, donc la première personne ce n'est pas moi, c'est
lui.
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L'abus de tutelles
Monsieur Philippe DARRIEUX
Magistrat (Ancien Juge des Tutelles)
Je remercie vivement ma collègue, Madame Brigitte LEFEBVRE de bien vouloir porter à
votre connaissance ces quelques lignes, témoignage d’un ancien juge des tutelles et de
l’ancien Président de l’Association Nationale des Juges d’Instance, organisation
professionnelle qui a oeuvré depuis de très nombreuses années pour une meilleure protection
judiciaire des majeurs.
Je vous prie également de bien vouloir excuser mon absence, ce jour, des engagements
professionnels ne m’ont pas permis de prendre part à cette manifestation importante organisée
par ALMA France dont je tiens à saluer l’action militante dans sa lutte contre la maltraitance
des personnes plus particulièrement vulnérables.
Tout d’abord, une précision terminologique : ce qu’il convient d’appeler la « tutelle » au sens
général correspond au dispositif de protection judiciaire issu principalement de la loi du 18
octobre 1966 et, surtout, de la loi du 3 janvier 1968 relative aux droits des incapables majeurs.
Lorsque ce dernier texte a vu le jour et est entré en application en janvier 1969, ce fut une
révolution : en effet, il substituait à l’ancien régime de l’ « interdiction » régime d’incapacité
au sens strict, un régime de protection à la fois souple, facile à mettre en oeuvre, à moduler,
faisant intervenir à la fois le Juge, le Médecin (traitant et spécialisé), la famille et le majeur à
protéger lui-même. Le doyen Carbonnier, à l’origine de l’élaboration de ce texte, soulignait
lui-même qu'« au régime de l’interdiction allait se substituer un régime de liberté civile avec
un équilibre tout à fait délicat entre le familial, le médical et le judiciaire » .
Trente trois années ont passé depuis l’entrée en vigueur de ce texte dont j’aurais souhaité, si
j’en avais eu le temps, vous vanter les mérites liés à ses qualités de rédaction et aux
possibilités nouvelles qu’il offrait aux magistrats dans le dispositif de protection des majeurs.
Comme de nombreux magistrats, je reste un farouche défenseur de son esprit, n’en ayant pas
moins constaté au fil de mes dix années passées comme Juge d’Instance et Juge des Tutelles
les nombreuses dérives et les abus qu’il a permis d’engendrer et qu’il m’a été demandé de
vous présenter brièvement.
J’évoquerai donc successivement en deux parties tout d’abord le constat et les facteurs
générateurs d’abus, pouvant entraîner des maltraitances dans le dispositif de la « tutelle »
avant de vous proposer, à défaut de réforme réclamée depuis si longtemps et à laquelle aucun
de nos dirigeants n’a voulu s’atteler, des solutions pour lutter contre ces abus et, en définitive,
optimiser la protection judiciaire des majeurs.
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I°PARTIE Le Constat : les abus engendrés par la protection judiciaire des majeurs.
J’examinerai successivement les dérives procédurales avant d’aborder la gestion proprement
dite des mesures
1°) Les dérives procédurales.
Ces dérives sont de trois types : elles interviennent au niveau de la saisine du juge d’une part,
de l’instruction du dossier et, enfin, du contrôle de l’exercice des mesures de protection.
La saisine du Juge : au principe de la saisine par requête pouvant intervenir, il convient de le
rappeler à la demande du majeur lui-même, s’est substituée une généralisation de la saisine
« d’office » laquelle émane, le plus souvent soit de l’équipe de soins, soit de l’encadrement
social de la personne. Aucun contrôle strict n’existe et les Parquets, souvent occupés à
d’autres tâches ne s’interrogent pas sérieusement sur l’opportunité de cette saisine…plus
largement s’il est fait application au sens strict du principe de nécessité et du principe de
subsidiarité des mesures de protection. Cette saisine d’office (statistiques commentées en
décembre 1999 lors des assises de la tutelle) aboutissant dans plus de 80% des dossiers à
l’ouverture d’une mesure de protection.
L’instruction du dossier : elle n’est pas non plus exempte de critiques. Pointée successivement
dans une étude interministérielle de juillet 1998 puis dans les conclusions du rapport du
Conseiller FAVARD en mars 2000, il convient de rappeler que de nombreux majeurs ne font
pas l’objet d’une audition par le Juge.
(les rapports susvisés parlent de 1/3), l’avocat est le plus souvent absent (ou ignorant du
dossier qu’il consulte au greffe dans les minutes qui précèdent l’entrevue avec le magistrat) le
greffier assiste rarement le juge…
L’audience de jugement elle-même, et quand elle existe, n’est nullement un lieu de débats et
les décisions sont prises le plus souvent à l’avance, compte tenu, il faut le reconnaître, des
charges auxquelles doivent faire face nos tribunaux d’instance sans cesse plus sollicités par le
législateur ces dernières années.
2°) Les dérives dans la gestion elle-même.
Si la tutelle « familiale » reste en définitive la mesure choisie par le juge dans plus de 50% des
dossiers, il n’en demeure pas moins que la gestion de la mesure n’est pas soumise à un réel
contrôle : le majeur protégé, lui-même, par postulat, ne le peut puisqu'il est incapable, le
tuteur dispose d’une grande liberté dans son choix de gestion courante (même s’il doit en
référer au juge pour les opérations importantes) et le contrôle des comptes a posteriori reste
assez aléatoire même si une réforme récente et salutaire a déchargé le juge de cette tâche
énorme et très ingrate.
Aucun contrôle de l’opportunité du maintien de la mesure n’existe même si, bien
évidemment, comme le prévoit le Code Civil (articles 507 et 509) « la tutelle » doit cesser
lorsque les causes qui ont motivé son ouverture ont disparu…mais bien souvent la poursuite
du régime de protection, qui reste, ne l’oublions pas, un régime d’incapacité, peut présenter
pour des tiers ou la famille elle-même, surtout si elle est tutrice, un certain intérêt.
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Je n’évoquerai enfin que pour mémoire les affaires dont vous avez tous eu connaissance…le
tuteur escroc…l’association tutélaire incompétente…la famille intéressée…etc…
L’ensemble de ces réflexions me conduisent, au terme de cette première partie à attirer votre
attention sur les points suivants :
- les textes actuels, dont il convient d’envisager peut être une réforme complète mais à
minima un « toilettage », ne sont pas toujours correctement appliqués et sont souvent dévoyés
au motif que la « tutelle » n’est pas toujours considérée comme un enjeu judiciaire ou social
important.
- les dérives dans la gestion des mesures proviennent, à mes yeux, du manque de contrôle
qu’il est facile de dénoncer (mais auquel il sera difficile de remédier rapidement sauf à
multiplier par cinq le nombre de magistrats et de greffiers) et d’un manque de formation des
professionnels et des familles face aux problèmes posés par la « tutelle »
- enfin, l’absence ou l’inégalité du financement des prises en charge et de l’assistance en
justice du majeur porte en germe tous les abus ou les risques d’abus évoqués précédemment.
Mais existe-t-il des moyens pour lutter contre les abus générés par la tutelle ou, à minima pour
les limiter ?
2° PARTIE Les moyens pour optimiser la protection judiciaire des majeurs et réduire
les abus engendrés par la « tutelle »
S’il est indéniable que la « tutelle » est un moyen préventif de lutte contre la maltraitance
permettant une meilleure gestion des ressources et des biens du majeur et (théorie
jurisprudentielle) de la personne, il faut que le dispositif de protection judiciaire des majeurs
reste conforme à son esprit originel.
Dans l’attente d’une hypothétique réforme dont la priorité est annoncée depuis plus de cinq
ans la vigilance de chacun au respect de principes élémentaires, figurant tant dans les Codes
Civil, et de Procédure Civile que dans une recommandation du Conseil de l’Europe de mars
1999, devrait permettre de réduire ces abus.
Tout d’abord les grandes lignes des réformes annoncées ont fait l’objet, depuis longtemps,
d’un très large consensus et paraissent donc d’ores et déjà applicables.
Il faudrait tout d’abord, en vertu de ces principes de nécessité et de subsidiarité évoqués
précédemment, éviter de recourir de façon trop systématique au Juge des Tutelles pour des
difficultés principalement sociales et donc réactiver l’accompagnement familial ou social des
majeurs en situation de détresse.
Par ailleurs, et toujours sur un plan général, il faudrait aboutir à un système garantissant que la
mesure de protection ne dépende que du besoin concret de protection de la personne et non
pas comme actuellement de son seul patrimoine.
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Plus concrètement, il convient que chacun veille au respect des procédures et ne pas hésiter à
s’informer en recourant aux services d’un Conseil ou de Services d’Informations tutélaires
qui se mettent progressivement en place dans de nombreuses villes (Services d’aide aux
tuteurs familiaux …par exemple) .Une procédure dans laquelle un majeur n’est pas entendu sauf exception strictement définie par le Code - est nulle .D’autre part pour qu’un meilleur
contrôle des comptes de gestion puisse s’opérer il faudrait prévoir, par exemple, l’intervention
de Commissaires aux comptes ou d’experts comptables au sein des associations.
Enfin, n’oublions pas que si le « tuteur » a une responsabilité directe dans le cadre de la
gestion des biens du Majeur, il ne saurait, dans le cadre de sa mission légale, avoir une
responsabilité totale dans l’accompagnement de la personne considérée, par la Justice, comme
plus particulièrement vulnérable. C’est donc en ce sens que la famille, les médecins et les
acteurs sociaux doivent tous ensemble être vigilants pour limiter ces abus.
Olivier RODAT
Merci, Madame, d'avoir porté la parole, d'avoir posé les enjeux, et nous allons tout de suite
demander à Monsieur le Conseiller FAVARD d'enclencher dans la logique de la présentation
et de nous ouvrir les portes de la réforme de cette loi.
Pour une meilleure protection juridique
Monsieur Jean FAVARD
Conseiller honoraire à la Cour de cassation
Merci, Monsieur le Professeur, j'adhère tout à fait à ce qui a été dit par monsieur Philippe
DARRIEUX. A part peut-être, la multiplication par cinq du nombre des juges ; parce que s'ils
sont saisis moins souvent et s'ils peuvent mieux travailler sur une masse moins grande, en
pure logique, on devrait escompter qu'il n'y a pas besoin qu'ils soient plus nombreux. Mais
pour le reste le diagnostic est précis, vrai, et je n'ai donc rien à dire de plus. Je vais donc
essayer de ne pas répéter la même chose et vous convier à nous tourner vers l'avenir et ce que
l'on peut espérer à cet égard. Peut-être aussi vous proposer quelques idées générales qui
peuvent être un peu les nôtres à tous puisque nous avons ce fond commun, qui est que nous
sommes tous appelés non seulement à mourir mais à vieillir d'abord, et que les régimes que
nous créons nous seront appliqués. Il vaudrait donc mieux être respectueux des droits, car si
nous maltraitons aujourd'hui, d'autres viendront nous maltraiter à leur tour et ce sera justice.
L'une des difficultés de notre sujet – indépendamment du fait que la vulnérabilité n'est pas
l'apanage des personnes âgées – c'est que celles-ci ne constituent pas elles-mêmes, en soi, une
catégorie de personnes vulnérables. Il serait d'ailleurs absurde de fixer un âge particulier à cet
égard, même si l'on sait statistiquement que c'est aux alentours de 75-80 ans que s'accélèrent
les courbes de dégradation physique et mentale.
Il n'empêche que le Baron Pierre-Paul Nicolas HENRION DE PANSEY fut nommé Premier
président de la Cour de cassation à l'âge de 86 ans, en 1928, et que s'il mourut un an plus tard,
ce fut dans le plein exercice de ses fonctions. Mais ce qui était alors très exceptionnel ne l'est
plus, puisque l'espérance de vie à 60 ans est aujourd'hui de 20,2 ans pour les hommes et de
25,6 ans pour les femmes. Et ce n'est pas fini puisque – selon l'INSEE – cette espérance de vie
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devrait encore augmenter de cinq ans et demi d'ici 2040, portant ainsi ce chiffre pour les
hommes ayant atteint 60 ans à la hauteur de celui d'HENRION DE PANSEY !
Quant aux centenaires, s'il n'y en avait qu'une centaine au début du XXème siècle, ils étaient
quelque 9.000 à la fin du même siècle. Et l'on prévoit que le tiers des filles nées en 2000
mourra centenaire.
Il n'en faut pas moins se garder du danger de l'équation : vieillesse = prise en charge de la
personne et intervention dans ses affaires. Car cet heureux recul de l'échéance fatale a eu pour
corollaire que l'heure de l'accélération de la dégradation a été, elle aussi, très notablement
différée !
Ainsi a-t-on pu estimer, même si ce ne sont là que des approximations, que 79 ans
d'aujourd'hui correspondent à peu près à 65 ans de 1936.
C'est dire que les schémas classiques, y compris juridiques, ne correspondent souvent plus, et
de loin, à ce qui a été construit pour une autre société ne connaissant pas ce phénomène de
"vieillesse de masse". Sans doute disposons-nous d'un système élaboré de protection des
majeurs, avec la sauvegarde de justice, la tutelle et la curatelle. Mais, ayant tout prévu pour
les cas d'altération des facultés mentales et lorsqu'il y a nécessité d'une représentation ou d'une
assistance continue, il n'est heureusement pas d'application générale et n'a pas vocation à une
extension au-delà du strict nécessaire.
Telles ont été en tout cas les conclusions du groupe de travail interministériel que j'ai eu
l'honneur de présider de juin 1999 à avril 2000.
Respect de la dignité de la personne, préservation maximale de sa capacité, prééminence de
ses intérêts et de son bien-être, fût-ce par une gestion et une utilisation de ses biens qui ne soit
pas prioritairement tournée vers leur sauvegarde au profit de la famille, tels apparaissent les
principes fondamentaux d'une meilleure protection des majeurs que devrait assurer le
recadrage proposé de l'institution judiciaire sur sa mission de garant des libertés. A quoi
s'ajoutent la mise en place d'une formation des personnes chargées d'exercer les mesures de
protection et un meilleur contrôle des comptes de gestion des majeurs. Tout cela en parfaite
harmonie avec la Recommandation du Conseil de l'Europe du 23 février 1999 à ce sujet.
Bien que ce projet de réforme ait fait l'objet d'une communication au Conseil des ministres le
30 janvier 2002, le projet de loi correspondant n'a pas encore été déposé. Ce n'est sans doute
que partie remise mais, du coup, même la très modeste réforme qui aurait permis au juge des
tutelles d'autoriser les personnes sous tutelle en mesure de le faire à exercer seules leur droit
de vote n'a pas vu le jour. Alors qu'elle avait été votée au sénat, à l'unanimité et avec l'accord
du Gouvernement, dès le 23 novembre 1999 !
Cependant, même si cette réforme n'a que trop traîné en longueur, elle ne saurait épuiser le
sujet, tant il est vrai que le respect des droits de la personne et la protection de celles qui sont
vulnérables ne sauraient-être cantonnés aux domaines de la tutelle et de la curatelle.
C'est ce qui explique que l'on ait vu fleurir des circulaires telles que celle du 26 août 1997
relative à la prévention et au traitement des violences et des maltraitances au sein de
l'Education Nationale, ou celle du 3 juillet 2001 concernant les institutions sociales et médicosociales accueillant des mineurs ou des personnes vulnérables.
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Les ingrédients en sont bien connus : c'est la mise en œuvre d'un contrôle accentué des
structures, le renforcement de la vigilance nécessaire au niveau du recrutement des
professionnels intervenants, l'information des personnes accueillies et l'accompagnement des
victimes de violences ou de maltraitance.
Plus généralement, la récente réforme relative aux droits des malades et à la qualité du
système de santé, par la loi du 4 mars 2002, vient de réaffirmer les droits de la personne à la
protection de sa santé, au respect de sa dignité, au soulagement de sa douleur, et à la mise en
œuvre par les professionnels de santé "de tous les moyens à leur disposition pour assurer à
chacun une vie digne jusqu'à la mort". Désormais, "lors de toute hospitalisation dans un
établissement de santé", il doit être proposé au patient de désigner "une personne de
confiance", qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant, pour qu'elle soit
consultée au cas où l'intéressé serait "hors d'état d'exprimer sa volonté et de recevoir
l'information nécessaire à cette fin".
S'il s'agit d'une personne placée sous tutelle, il revient au juge des tutelles de confirmer la
mission de la personne de confiance déjà désignée, ou de la révoquer.
On le voit, lorsqu'une mesure de protection juridique a été ordonnée, on en retrouve
naturellement les organes et le jeu institutionnel. En dehors de ce cadre, tous les
professionnels ou institutions concernés ont une mission générale à cet égard et ne sauraient
s'en abstraire. De même qu'il convient de faire en sorte d'assurer une meilleure protection de
ceux qui en ont besoin, quoique capables de rester seuls à leur domicile (ce qu'il convient
d'ailleurs de favoriser, dans l'intérêt général, avec la nécessaire professionnalisation des aidesménagères et le contrôle que cela implique).
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, permettez-moi de conclure en soulignant que le
respect de la personne ne s'arrête pas à un âge quelconque. Et que l'on ne cesse pas d'être
citoyen lorsqu'on devient vieux de corps et d'esprit. Même s'il est vrai, comme le disait
Erasme en 1508 dans son Eloge de la Folie (il avait alors 41 ans et mourut à 69 ans), que
"plus on vieillit, plus on se rapproche de l'enfance, jusqu'à ce que l'on s'éteigne, comme
l'enfant, sans regretter la vie, sans redouter la mort". Merci.
Robert HUGONOT
Je remercie les trois premiers orateurs et une première période de discussions va donc
commencer. Nous allons essayer de la limiter à une vingtaine de minutes. La parole est
maintenant à vous.
Intervention d'un participant
Je voudrais poser une question à Monsieur VERON. Je crois que l'on peut voler sa grandmère sans avoir d'ennuis judiciaires, qu'il y a une certaine ambiguïté, qu'il y a une certaine
impunité, une immunité familiale qui peut entretenir quand même une forme de violence. Je
voudrais avoir un éclaircissement sur cet aspect, Monsieur le Doyen.
Michel VERON
C'est ce que l'on appelle l'immunité familiale. L'immunité familiale signifie que lorsqu'il y
a relation familiale entre l'auteur et la victime, l'infraction n'existe pas, elle est couverte par
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cette immunité. Le Code Pénal prévoit l'immunité familiale pour un certain nombre
d'infractions, le point de départ en est le vol entre époux. Cette immunité provient de la
difficulté à prouver ce qui est à toi de ce qui est à moi en raison de la communauté de vie et
donc du doute sur la possession. En réalité, le texte a été étendu par la jurisprudence puis par
le Code Pénal nouveau à d'autres infractions comme l'escroquerie et d'autres infractions en
matière d'atteinte aux biens. Mais il existe aussi une immunité en matière de dénonciation, car
on revient à la question évoquée tout à l'heure de l'effectivité de la loi pénale. Or l'effectivité
de la loi pénale dépend du point de savoir si les juridictions pénales vont être informées des
faits susceptibles de tomber sous le coup de la loi pénale. Alors comment en sont-ils
informés ? Je crois qu'ici il faut distinguer entre la maltraitance physique et l'atteinte au
patrimoine. En deux mots, l'atteinte au patrimoine, et cela explique pourquoi je vous disais
tout à l'heure que la jurisprudence ne fait état que d'affaires d'atteinte au patrimoine, c'est
parce que ce sont les héritiers qui sont les victimes. Victimes de l'entourage de la personne
âgée, qui a fait main basse sur sa fortune. Les héritiers découvrant cela portent plainte. Pour
les maltraitances physiques, la question est plus délicate, parce que finalement, ceux qui sont
au courant, c'est l'entourage qui sont les auteurs des infractions et qui ne vont pas se dénoncer
eux-mêmes. Il existe là aussi une certaine immunité. On ne peut pas imposer au mari de
dénoncer sa femme ou à la femme de dénoncer son mari. Aujourd'hui d'ailleurs, l'extension
par le nouveau code pénal porte aussi sur ceux qui vivent en communauté de vie, donc les
couples non mariés. Je signale que le texte ne vise pas les personnes pacsées et que la loi
pénale étant en interprétation stricte, on ne peut pas appliquer aux personnes pacsées ce qui
est appliqué aux personnes mariées et que d'ailleurs la loi sur le PACS prend bien soin dans le
code civil de définir le PACS comme un contrat totalement différent du mariage. Donc tant
que la loi ne l'aura pas dit, avec le PACS cela ne marche pas. Il y a donc des immunités qui
sont des immunités familiales prévues par des textes qui ne peuvent pas sanctionner
pénalement le défaut de dénonciation lorsqu'il y a ce lien familial qui est entre ascendants et
descendants et conjoints. Le texte dit "sauf s'ils sont séparés de corps bien entendu ou
autorisés à vivre séparément. Donc entre couple marie et femme, parents et enfants. Pas
seulement le vol, mais aussi la non-dénonciation de crimes, de délits, d'atteintes. Et lorsque la
personne liée par le lien familial est l'auteur de l'infraction, elle ne veut pas non plus être
poursuivie. Tout cela limite l'effectivité de la loi pénale.
Intervention d'une participante
Ma question porte sur la différence que je comprends très mal entre tutelle aux biens et la
tutelle à la personne. C'est une situation qui ne concerne pas seulement les personnes âgées,
bien entendu.
Jean FAVARD
Lorsqu'on lit le code, on y trouve surtout la conception ancienne qui était plutôt une tutelle
aux biens. Mais, il y a déjà dix ans que la cour de cassation a dit que cela ne se limite pas aux
biens, mais concerne aussi la personne. Mais c'est la cour de cassation qui l'a dit, pas le
législateur. Cela ne suffit plus. Aujourd'hui, que ce soit la recommandation européenne ou que
ce soient les propositions que nous avons, on met à égalité biens et personnes. C'est pour cela
qu'est proposé une visite régulière, d'entendre aussi la personne. Il ne faut plus séparer biens
et personnes ; et même, à la limite, maintenant la personne vient avant les biens. Ce qui veut
dire par ailleurs que cela aura un coût. Parce que la professionnalisation et une mission plus
large se traduiront par un coût plus élevé pour une protection meilleure et plus respectueuse
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des droits de la personne. Donc attendez-vous, si j'ose dire, à ce que la personne vienne au
centre, et c'est normal puisque c'est sa liberté que l'on protège, c'est elle dont on veut éviter la
maltraitance, la question des biens étant dès lors en passe de venir après.
Brigitte LEFEBVRE
Monsieur le Conseiller, je voudrais compléter un petit peu cette question, parce qu'ayant
exercé les fonctions de Juge des Tutelles pendant de nombreuses années, un peu comme
Philippe DARRIEUX, j'ai été bien-sûr confrontée à ces problèmes de protection de la
personne, voire de tutelle à la personne. Je pense que bien-sûr la protection de la personne est
une création jurisprudentielle, mais qu'elle est quand même inscrite dans les textes puisque le
premier rôle du tuteur est de protéger la personne. C'est donc bien inscrit dans le code civil et
je me suis toujours appuyée sur cette définition au-delà des décisions de la Cour de cassation.
Mais qu'en est-il dans les projets de texte de la tutelle à la personne, c'est à dire des décisions
qui pourront être prises concernant la personne à son insu si elle est totalement hors d'état de
manifester sa volonté ? C'est une situation qui n'est pas rare dans le cas de personnes âgées,
qu'il s'agisse d'une entrée en établissement, d'une intervention chirurgicale ou autre décision
très importante et je crois que nous sommes très souvent confrontés à ce genre de problème,
alors comment le projet de loi intègre-t-il ces problèmes ?
Jean FAVARD
Lorsque la personne ne peut plus du tout exprimer sa volonté, il faut bien que quelqu'un le
fasse à sa place. C'est en ce sens que le référent doit donner cet avis pour elle. Tout le
problème est d'avoir une garantie suffisante, que l'on se soit bien assuré que telle est bien, et
qu'il y ait un contrôle de la part des juges pour le cas où il y aurait des abus. Je vous ai parlé
tout à l'heure de cette nouvelle institution de la personne de confiance qui est désignée. On
entre là dans le cadre de la situation, qui est déjà dans la loi 2002, de ce qu'on appelle la
démocratie dans l'hôpital par la nomination d'une personne de confiance à qui on demandera,
si la personne ne peut plus s'exprimer, de répondre à sa place. Etant observé que le juge
pourra la révoquer en cas de tutelle ou que l'on pourra saisir le juge pour dire que cette
personne de confiance ne mérite plus la confiance, etc. Nous-mêmes, dans nos propositions,
nous avions suggéré de créer "le mandat sur incapacité future". Au lieu de la situation
actuelle, où l'on peut donner mandat mais dès qu'il y a incapacité on en est réduit à provoquer
une mesure de tutelle, lorsqu'on serait en pleine possession de ses moyens et de sa santé
mentale et physique, on désignerait d'avance une personne. On ferait un mandat sur incapacité
future : "lorsque je serai incapable, ce sera telle personne qui sera mon mandataire et qui
continuera à être mandataire d'une manière très large". Sous réserve bien entendu qu'elle ne
soit pas devenue un mandataire infidèle et que de nouveau on saisisse le juge. Les dispositions
envisagées à cet égard sont de nature à permettre à la fois de bien s'assurer que l'on ait fait
tout ce que l'on pouvait, compte tenu de l'état de la personne, pour respecter sa volonté, à
défaut de quoi il faut bien qu'il y ait un référent, mais qui doit être sous contrôle. Ce sont
évidemment des problèmes délicats parce qu'il n'y a pas de réponse claire et universelle. Je
cite souvent cet exemple qui m'a toujours paru si caricatural, que je me suis procuré le
jugement tant je n'en croyais pas mes yeux : un juge a été saisi, sur le rapport d'une assistante
sociale, pour demander qu'on enlève toutes les dents d'une personne qui mordait, notamment
le personnel médical, comme si cela était plus grave de mordre le personnel médical que
d'autres personnes. L'on reste perplexe devant de telles requêtes. Le juge a répondu que ce
n'était pas prévu par la loi, ce qui montre que les juges servent quand même à quelque chose,
et qu'il fallait trouver d'autres solutions pour résoudre un tel problème.
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Intervention d'une participante
Je fais partie d'un service de soins à domicile et je voudrais savoir comment se fait le
recrutement, je ne sais pas si le terme est bien approprié, des tuteurs. Sur quels critères est-on
tuteur et comment les paie-t-on ?
Jean FAVARD
Notre rapport a largement développé ces deux questions. A l'heure actuelle, le recrutement se
fait d'une manière spontanée. Une certaine professionnalisation résulte du fait que des
associations se sont constituées, qu'il y a des groupements qui au fil du temps sont devenus
suffisamment professionnels. Il y a aussi de grands organismes qui sont spécialisés en la
matière. La diversité est extrême. Notre idée est de dire que puisqu'il faut une inscription sur
une liste des personnes qui vont exercer une tutelle, puisque c'est sous le contrôle des juges, il
convient d'établir une liste nationale. Et l'on ne peut pas être inscrit sur une liste si l'on n'a pas
un certificat national de compétence. Actuellement, il y a deux systèmes, l'un est obligatoire,
l'autre ne l'est pas. Une seule formation obligatoire est à prévoir pour tous sans pouvoir être
inscrit sur la liste si l'on n'a pas cette formation. Je mets à part les mesures transitoires qu'il
faudrait prendre pour ceux qui travaillent actuellement. Mais il me semble qu'ainsi on arrivera
forcément à la professionnalisation et au contrôle sur l'ensemble du territoire. Bien-sûr cela
aura des conséquences sur le financement, surtout si l'on a une mission plus large. Un service
se paie au coût du service. Une grande discussion demeure : faut-il payer à l'acte ou avec une
enveloppe globale ? Chaque système a ses avantages et ses inconvénients. Actuellement, c'est
un coût à l'acte, et quand c'est le gouvernement qui doit payer, il paie très peu. On se rattrape
donc par le nombre, parfois avec des astuces de calcul extrêmement critiquables sur lesquelles
les juges ferment les yeux parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement, sinon rien ne
marcherait. C'est pourquoi nous disons : un seul système, un coût unique applicable pour tout
le monde. L'usine à gaz existante doit cesser d'être une usine à gaz pour devenir un système
cohérent. Puisque nous nous engageons dans une démarche à long terme on sait bien que l'on
aura assez de vieillards, même s'ils seront mieux conservés et que leur affaiblissement sera
plus tardif. Il faut une vision cohérente. Notre société cherche des emplois désespérément.
Ici, on peut en trouver, et c'est dans l'intérêt de tout le monde. Car cela peut permettre de
maintenir les personnes à domicile, à un coût moins cher à la société que des hospitalisations
ou hébergement en maisons spécialisées.
Intervention d'une participante
Je me permets de réagir par rapport à ce que vient de dire Monsieur FAVARD, puisque je suis
moi-même responsable d'un service dans une association tutélaire. J'aurais souhaité que
Monsieur FAVARD fasse la différence entre les gérants privés et les délégués à la tutelle qui
sont recrutés dans les associations et qui sont eux des professionnels du travail social ou des
juristes. Cela me paraissait quand même important de le dire. Les gérants privés sont inscrits
sur une liste et habilités par le Procureur, c'est le Procureur qui les choisit après enquête. Les
personnes qui gèrent des tutelles dans les associations sont des travailleurs sociaux, des
éducateurs, des assistantes sociales, des conseillères en économie sociale et familiale, ou des
juristes qui ont tous Bac+3. Ce qui est quand même une différence avec des gérants privés qui
finalement peuvent déposer un dossier sans montrer patte blanche ou sans avoir une formation
spécifique.
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Jean FAVARD
Comment répondre à une question aussi complexe ? L'ennui naquit un jour de l'uniformité diton. Il faut se garder de tout dogmatisme, il y a des gens qui travaillent bien et d'autres mal
dans tous les systèmes. Comme il y a hélas des malhonnêtes partout, mais heureusement il n'y
a pas que des malhonnêtes. On n'évitera jamais les accidents et il n'y a pas de système idéal.
Mais un système englobé dans une association qui a plus de moyens financiers, plus de
possibilités de professionnaliser, donne quand-même un peu plus de sécurité, surtout s'il y a
ensuite un bon contrôle des comptes. L'on abandonne les mauvaises pratiques, comme les
comptes pivot. Nous avons demandé cela d'une manière instante, parce que ces comptes pivot
permettaient de faire fonctionner au profit des associations les comptes des personnes sous
tutelle. Les assurances m'avaient proposé des assurances vie. Il y a là tout un halo économique
un peu dangereux par les tentations qu'il offre, c'est pourquoi il m'importe qu'il y ait une règle
de base de formation, de compétences et que tout le monde soit à égalité, qu'il soit dans un
système privé ou public. Lorsqu'il reçoit une mission de l'autorité judiciaire, il est délégué à la
protection de cette personne pour une tutelle, pour une curatelle, et cela sous le contrôle du
juge. Il n'est pas propriétaire de cette personne. Peu importe quel est son statut, mais on lui
demande pour être inscrit qu'il ait au moins le certificat national de compétence.
Brigitte LEFEBVRE
Je voulais juste ajouter que le personnel des associations a une formation sociale importante,
mais il n'est pas non plus certain qu'il ait toute la compétence suffisante pour gérer par
exemple des fortunes, des patrimoines financiers très importants et il est vrai qu'il y a aussi,
peut-être plus rarement, des personnes qui demandent pour la gestion de leurs affaires, des
tuteurs qui ont une très grande compétence en matière de gestion financière par exemple, en
tout cas une compétence suffisante pour pouvoir discuter avec les banques et les
gestionnaires. Vous voyez donc, c'est pour confirmer ce que dit Monsieur le Conseiller
FAVARD, les juges ont besoin d'une diversité de formations.
Intervention d'une participante
Je travaille dans une maison de retraite, je voulais évoquer un problème. Dans un
établissement de 135 lits, il y a un gérant de tutelle qui gère 40 dossiers de résidents de
l'établissement, c'est une personne qui exerce d'autres fonctions dans l'établissement et je
trouve que cela pose deux problèmes. A un moment donné, pour certaines décisions, il se
trouve à la fois juge et partie, personnel de l'établissement et tuteur des résidents, et ensuite
c'est une tutelle qui est gérée de très loin parce que 40 dossiers, je pense que pour être près de
la personne c'est très difficile.
Jean FAVARD
Cela veut dire quoi, 40 dossiers ? Les juges en ont beaucoup plus que cela. Quelquefois un
seul dossier suffit à vous troubler pendant des années, les gestions ne sont pas toutes les
mêmes. Si c'est une personne qui a une toute petite pension de rien du tout il est peut-être plus
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important d'aller la voir. Si l'on ajoute cette obligation, avec 40 dossiers cela fera peut-être
beaucoup. Mais pour le moment, ce n'est pas le cas. Par contre une seule personne qui a une
entreprise ou des immeubles, peut mobiliser énormément. Alors je me méfie un peu de ces
critères par le nombre même si ce sont des arguments qui ont leur valeur. Je parlerais plutôt
en termes de difficultés de contrôle, de nature du dossier à gérer. Il est certain que,
normalement, il ne faudrait pas les accumuler au point que l'on ne puisse même plus les
ouvrir. Cela m'est arrivé d'aller dans un tribunal, de piocher au hasard pour voir depuis quand
avait été contrôlé le dernier compte. Je me suis arrêté au quatrième tellement j'étais terrifié,
parce que dans le meilleur des cas cela faisait deux ans. Cela fait beaucoup deux ans sans que
rien ne se passe. Ce n'était pas de la faute du juge, car il y avait une montagne de dossiers.
Mais que ce soient les juges, les gérants, les médecins ou autres, il y a des gens qui travaillent
plus ou moins vite, plus ou moins bien. Ce n'est pas commode à analyser. En tout cas il n'y a
rien de pire que l'indifférence d'un système, une routine sans clignotant, ni contrôle. C'est cela
qui est important. Pour le reste, on aura toujours des bons et des mauvais. Et il y a
heureusement, plus de bons que de mauvais.
Intervention d'un participant
Je suis militant anti-âgisme depuis 25 ans. Je dénonce la maltraitance, je m'attaque aux
pouvoirs publics qui font tout pour étouffer ce problème. J'ai prononcé le mot âgisme qu'on ne
connaît pas, c'est un mot tabou, je suis sûrement en France le seul militant anti-âgisme, c'est à
dire contre la discrimination des personnes âgées, contre le racisme anti-vieux selon
l'expression de Monsieur HUGONOT dans le Figaro. Depuis 25 ans je cherche parmi les
milliers d'associations en France, un volontaire pour venir avec moi, pour créer une
association, parce que je suis une association à moi tout seul, je n'ai encore trouvé personne et
j'ai 77 ans.
Olivier RODAT
Merci de votre engagement, Monsieur.
Intervention d'un participant
Je représente une association caritative qui s'occupe des personnes âgées et j'ai deux questions
à poser au Professeur VERON. La première : est-ce que l'épouse d'un tuteur peut être
bénéficiaire d'un testament, ce sont malheureusement des choses que nous rencontrons de
temps en temps ; la deuxième : de temps en temps nous sommes légataires de personnes qui
ont légué en notre faveur et on s'aperçoit que la situation est déficitaire à la suite des
agissements d'aigrefins. Est-ce que, bien que nous ayons renoncé à la succession parce que le
passif est trop important, nous pouvons exercer quand même une action contre ces aigrefins ?
Merci.
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Michel VERON
Je ne peux pas répondre précisément à votre première question et je me tourne vers Madame
LEFEBVRE.
Brigitte LEFEBVRE
Tout d'abord, une personne sous tutelle ne peut pas faire un testament valable, c'est déjà un
premier obstacle. On voit bien qu'une personne sous tutelle qui ne peut pas gérer ses biens, ne
peut pas non plus disposer de ses biens après sa mort. Là, vous parlez peut-être d'une
personne sous curatelle, qui conserve une grande capacité, reconnue par le jugement, la
capacité effectivement de faire un testament au profit de la personne de son choix, quelle
qu'elle soit. Il n'y a aucun obstacle légal aux dispositions testamentaires que peut faire une
personne sous curatelle.
Michel VERON
Un tel testament pourrait être attaqué comme un acte qui constitue un abus de faiblesse ou de
vulnérabilité. On peut l'attaquer a posteriori, comme on peut attaquer n'importe quoi : le fait
d'avoir fait souscrire par une personne vulnérable en raison de son âge, un abonnement à des
livraisons périodiques de grande valeur, ou comme je l'ai vu une fois, le fait de lui avoir fait
acheter une quantité astronomique de bouteilles d'un grand cru bordelais alors qu'elle ne
buvait que de l'eau. C'est donc l'attaquer a posteriori comme un acte qui constitue un abus
frauduleux de l'état de faiblesse.
Jean FAVARD
On peut malgré tout avoir des soupçons très vite sur de choses de ce genre, dès lors qu'il y a
un suivi. En tout cas, si la personne veut donner ses biens, conseillez-lui de les donner à une
ligue conte le cancer ou toute autre institution d'intérêt général, plutôt qu'à vous-même. Car le
tuteur ne se grandit pas dans ces cas-là, même si rien n'interdit de le faire.
Intervention d'une participante
Je suis gérante de tutelle privée et je voudrais répondre à la personne qui était déléguée d'une
association. Il faut qu'on arrête cette guerre entre associations et gérants de tutelle privés,
parce que moi-même je suis une professionnelle, je ne suis effectivement pas assistante
sociale mais j'ai d'autres diplômes et j'ai également fait une formation de gérant de tutelle
privé de 300 heures. Par contre, on nous refuse de faire le CNC, donc j'adhère à une
association de gérants de tutelle privés où l'on se bat pour qu'il existe effectivement une seule
formation, unique aussi bien pour les associations que pour les gérants de tutelle privés.
23 / 92
Intervention d'une participante
Je travaille au service du département du Nord et s'il y a effectivement peu de situations qui
sont portées devant les tribunaux en matière de maltraitance physique, elle existe et elle
commence à émerger, grâce notamment aux campagnes d'information qui commencent à être
faites sur le sujet. Alors ma question est justement que fait-on aujourd'hui lorsqu'on est
sollicité par une personne âgée saine d'esprit, majeure, victime de maltraitance infra familiale,
maltraitance physique et financière, qui refuse de porter plainte mais qui nous interpelle, que
peut-on faire aujourd'hui face à cette situation si ce n'est que signaler au Procureur de la
République, mais après, une fois que l'on a fait cela, comment protéger cette personne?
Olivier RODAT
Je pense que la réponse à cette question va arriver sans tarder dans l'intervention de Monsieur
POUILLARD. C'est important, parce qu'effectivement, après l'éclairage juridique, la
référence à la loi, au texte, il y a le quotidien dans l'exercice des soins, du soignant,
l'ambiguïté entre l'exigence de la confidence et puis effectivement la possibilité de prendre
des initiatives et la contrainte de ne pas s'immiscer dans les affaires de famille. Toutes ces
ambiguïtés, avec son talent, Monsieur POUILLARD va nous les résoudre.
La maltraitance des personnes âgées et le secret médical
Docteur Jean POUILLARD
Vice-président de l'Ordre National des Médecins
Personne n'ose chercher la vérité. Ceux qui cependant la cherchent n'osent la trouver.
Ceux qui cependant la trouvent n'osent pas la dire. Ceux qui la disent ne sont pas écoutés.
Ceux qui écoutent ne sont pas en mesure d'agir.
Alfred SAUVY
Toute maltraitance, y compris celle des personnes âgées, est une réalité et une préoccupation
de santé publique, physique et mentale mais aussi sociale, avec cette particularité de n'être le
plus souvent qu'une simple suspicion clinique quand elle n'est pas ignorée totalement avant
d'être une évidence diagnostique, tardive et médico-légale parfois. Il n'est pas exagéré de dire
que le spectre du secret de la maltraitance réside déjà dans la difficulté à la rechercher, à la
reconnaître, à "imaginer" même qu'elle puisse exister !…et à oser en parler…
Que faut-il entendre par maltraitance en l'absence de définition juridique ? : "toute violence
physique, tout abus sexuel, toute cruauté mentale, toute négligence lourde ayant des
conséquences préjudiciables sur l'état de santé de la personne, toute condition qui
suppose en plus l'intervention d'un ou plusieurs tiers".
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Situation complexe sur le plan médical dont il faut avoir pleinement conscience, incluant :
1. Un polymorphisme de violences, brutalités, sévices tant physiques, voire sexuels que
moraux à type de cruauté mentale, de négligences lourdes, tout en sachant qu'il n'est
pas rare de constater également chez une même personne une ou deux modalités de
ces maltraitances.
2. Le milieu environnemental, familial ou de voisinage, le personnel soignant parfois.
3. La difficulté du diagnostic de maltraitance ne reposant souvent que sur des soupçons
qui justifient le "dépistage" systématique d'une maltraitance.
Hormis un examen clinique soigneux, il faut alors s'attacher principalement à un
interrogatoire minutieux et à une écoute des soignants, en recueillant avec circonspection, les
confidences de l'entourage familial et médical, les réticences de la "victime". Ce doit être une
préoccupation s'appuyant sur un travail pluridisciplinaire d'équipe, impliquant tous les acteurs
environnementaux : médicaux, psychosociaux et familiaux.
4. Les conditions à risques de la maltraitance : elles doivent être recherchées
systématiquement.
La cohabitation, souvent source de conflits en raison du vieillissement de la population
amenant les enfants de 55 à 65 ans à devoir prendre en charge leurs parents âgés de plus de 80
ans, le plus souvent au moment où ils espéraient "profiter d'un espace de liberté grâce à leur
retraite". Cette situation devient une charge plus ou moins bien acceptée, demandant une
grande tolérance et une adaptation entre les générations. Si un vieillard désorienté tombe, perd
ses urines, devient exigeant ou tyrannique parfois, venant à bout des meilleures volontés, rien
n'excuse les humiliations, les insultes ou les violences à son égard, que ce soit en milieu
familial ou en institution. Enfin, il faut savoir qu'il existe une "généalogie de la maltraitance",
le maltraité étant lui-même antérieurement un maltraitant et la violence familiale devenant
une coutume habituelle regrettable.
Ce qu'il ne faut pas méconnaître, c'est que :
Tous ces éléments – délaissement et vulnérabilité – doivent parvenir à la connaissance
des médecins, que ce soit le médecin traitant, médecin de ville ou médecin de garde, le
médecin en institution publique ou privée comme à la connaissance également de tout le
personnel soignant et doivent attirer l'attention sur l'éventualité d'un "situation de
maltraitance" chez ces personnes âgées, situation qui justifie de rappeler impérativement trois
articles du code pénal :
1. L'article 223-3 : "le délaissement, en un lieu quelconque, d'une personne qui n'est pas
en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique
est puni…".
2. L'article 223-4 : "Le délaissement qui a entraîné une mutilation ou une infirmité
permanente – ou qui a provoqué la mort – est puni…".
3. L'article 222-24 : "concernant les circonstances aggravantes, du viol d'une "personne
particulièrement vulnérable, en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité
physique ou psychique".
25 / 92
La maltraitance ainsi suspectée ou reconnue justifie alors, dans l'intérêt du patient, un
signalement, c'est à dire la description chez une personne de son état physique qu'on veut
faire reconnaître (et non une dénonciation) en sachant combien il faut agir avec prudence et
non sans preuve, en s'entourant de témoignages réels, pertinents et concordants, de l'écoute
des soignants, de leurs confidences, qui permettent d'apprécier l'état de vulnérabilité de la
personne, la réalité de la maltraitance et parfois une situation de péril imminent justifiant
d'intervenir sans retard pour soustraire la victime aux sévices : moment délicat mais
indispensable, nécessitant des mesures de protection, souvent en urgence (hospitalisation), le
pire étant, devant la perception d'une symptomatologie clinique de maltraitance,
l'installation d'un véritable mur de silence, reflet d'un tabou intolérable dont les
conséquences sont de l'ordre de la responsabilité morale et individuelle du praticien.
Faut-il rappeler qu'il n'y a pas de fatalité dans ce domaine, que se taire c'est laisser
faire, jusqu'au suicide parfois et dans l'indifférence générale souvent… ?
LE SIGNALEMENT : il s'impose en tant qu'obligation morale, déontologique et
juridique, d'assistance et de solidarité à l'égard des personnes les plus vulnérables.
a. Soit la victime est "capable " d'agir personnellement en portant plainte : le médecin
rédige alors sur sa demande à l'appui de sa plainte, conformément aux dispositions de
l'article 4 du code de déontologie médicale concernant le secret professionnel, un
certificat détaillé, en notant les constatations médicales observées, dans les formes
habituelles d'un certificat objectif pour coups et blessures, en fixant une durée
d'incapacité totale de travail (ITT) en fonction de la durée d'incapacité éprouvée pour
les gestes de la vie courante.
Le médecin se gardera de tout commentaire, d'allusions à des faits ou à des
circonstances dont il n'a pas été témoin, et se gardera notamment de mentionner
l'auteur – réel ou présumé – des sévices, que celui-ci en ait fait l'aveu au médecin ou
qu'il ait été désigné par la victime ou un tiers : cette révélation étant exclusivement
réservée au domaine de l'autorité judiciaire.
Les doléances ou les "dires" ne peuvent être rapportés qu'avec la plus extrême réserve,
en prenant soin de mentionner entre guillemets l'origine de ces propos, de sorte qu'ils
ne puissent être attribués qu'à leur auteur et à lui seul et qu'il n'y ait pas la moindre
équivoque attribuable au médecin rédacteur du certificat (art. 4 et 28 du code de
déontologie médicale concernant les rapports tendancieux ou de complaisance).
Ce certificat sera remis exclusivement en main propre au patient et non à un tiers,
quel qu'il soit : parent, proche, juge, avocat, condition indispensable au respect du
secret professionnel.
b. Soit la victime est dans "l'incapacité d'agir", par peur, par indifférence, psychique ou
non, tout contexte qui ne lui permet pas de se protéger elle-même et de prendre en
charge le dépôt d'une plainte :
Il appartient alors au médecin de procéder à un signalement aux autorités médicales
administratives du département (médecin inspecteur DDASS) ou, en cas d'urgence, au
Procureur de la République en sachant que cette intervention est réalisable de jour
comme de nuit.
Ce signalement, rédigé par lettre ou par certificat dans les mêmes conditions
d'établissement que précédemment, doit se conformer aux dispositions du code de
déontologie médicale, du code pénal, du code de santé publique, relatives au
secret professionnel :
26 / 92
1. Les dispositions du code de déontologie médicale :
•
Article 2 : "Le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission
dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité".
•
Article 4 : "Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout
médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa
profession, c'est à dire non seulement ce qui lui a été confié mais aussi ce qu'il a vu,
entendu ou compris".
•
Article 9 : "Tout médecin qui se trouve en présence d'un malade ou d'un blessé en péril
ou, informé qu'un malade ou un blessé est en péril, doit lui porter assistance ou s'assurer
qu'il reçoit les soins nécessaires".
•
Article 28 : "La délivrance d'un rapport tendancieux ou d'un certificat de complaisance est
interdite".
•
Article 44 : "Lorsqu'un médecin discerne qu'une personne auprès de laquelle il est appelé
est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus
adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection.
S'il s'agit d'un mineur de quinze ans ou d'une personne qui n'est pas en mesure de se
protéger en raison de son âge ou de son état physique il doit, sauf circonstances
particulières qu'il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales et
administratives (DASS)".
L'accord des intéressés n'est pas nécessaire (code de déontologie médicale art.10).
•
Article 69 : L'exercice de la médecine est personnel ; chaque médecin est responsable de
ses décisions et de ses actes.
2. Les dispositions du code pénal :
conformément aux dérogations inscrites dans les textes (loi du 15 juin 1971, loi du 22
juillet 1992 mise en application en 1994, loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002):
•
Article 223-6 : "quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque
pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité corporelle de
la personne s'abstient volontairement est puni…
Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à une
personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui
prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours".
•
Article 226-13 : "la révélation d'une information à caractère secret par une personne
qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou
d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 100.000 F
d'amende".
•
Article 226-14 : "L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou
autorise la révélation du secret. En outre il n'est pas applicable :
27 / 92
- A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de
sévices ou privations dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un
mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger
en raison de son âge ou de son état physique ou psychique ;
- Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du
procureur de la République les sévices qu'il a constatés dans l'exercice de sa
profession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles de
toute nature ont été commises.
- Aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait du signalement de
sévices par le médecin aux autorités compétentes dans les conditions prévues au
présent article.
•
Article 434-3 : "Le fait pour quiconque ayant eu connaissance de mauvais
traitements ou privations infligées à un mineur de quinze ans ou à une personne qui
n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une
infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas
en informer les autorités judiciaires ou administratives, est puni…
Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui
précèdent les personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article
226-13.
3. Les dispositions du code de la santé publique :
•
Article L. 4124-6 : les peines disciplinaires que le Conseil régional peut appliquer, etc…
"lorsque l'instance disciplinaire est informée de l'engagement, à la suite d'un tel
signalement, de poursuites pénales pour violation du secret professionnel ou toute
autre infraction commise à l'occasion de ce signalement, elle sursoit à statuer jusqu'à
la décision définitive de la juridiction pénale".
EN PRATIQUE :
La question revient, pour le médecin, ou pour quiconque, à connaître les conditions d'un
signalement, dans l'intérêt des victimes, aux autorités sanitaires et judiciaires, des
maltraitances et privations constatées, sans violation du secret professionnel.
1. Dans un premier temps, la réponse se trouverait dans l'article 434-3 alinéa 2 du code
pénal, lequel, dans ses dispositions, justifie pour quiconque l'information sous forme de
"signalement" aux autorités judiciaires ou administratives, des mauvais traitements et
privations infligées aux personnes atteintes de déficiences physiques ou psychiques, sous
réserve que "sont exceptées des dispositions qui précèdent les personnes astreintes au
secret dans les conditions prévues à l'article 226-13", lequel article précisément
concerne le secret professionnel auquel il convient de se référer.
C'est ainsi que la chambre criminelle de la Cour de Cassation (arrêt du 8 octobre 1997) a
précisé que "les personnes astreintes au secret professionnel sont exceptées de l'obligation
d'informer les autorités judiciaires ou administratives des cas de maltraitance ou de
privation dont elles ont connaissance, sauf lorsque la loi en dispose autrement".
La loi qui en dispose autrement est l'article 226-14 du code pénal qui dispose que l'article
226-13 relatif au secret professionnel
28 / 92
•
"n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation
du secret",
•
"n'est pas applicable à celui qui informe les autorités judiciaires,
médicales ou administratives de sévices ou privations dont il a eu
connaissance…",
•
"au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du
procureur de la République les sévices qu'il a constatés dans l'exercice de
sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles
de toutes natures ont été commises",
•
"aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait du
signalement de sévices par le médecin aux autorités compétentes dans les
conditions prévues au présent article".
Autrement dit, le médecin n'est pas tenu de signaler les sévices dont il a eu connaissance,
mais s'il procède à un signalement, il ne sera pas poursuivi sur le plan pénal pour violation
du secret professionnel : il s'agit là d'une dérogation légale au secret professionnel,
permise par la loi.
La responsabilité d'un signalement ou non est ainsi laissée par le code pénal à la libre
appréciation du médecin.
2. Par contre, le médecin ne saurait en aucun cas, déroger aux dispositions de l'article 44
du code de déontologie médicale rappelant :
•
"dans le cas de personne victime de sévices ou de privations, le médecin doit
mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger et il doit,
sauf circonstances particulières appréciées en conscience, alerter les
autorités judiciaires, médicales ou administratives", sous couvert des
dérogations légales au secret professionnel (cf. plus haut article 226-14 du
code pénal).
3. L'appréciation de sévices et de leurs conséquences doit tenir compte des deux
dispositions, pénale et déontologique, concernant la notion de "non assistance à
personne en danger" que rappellent :
•
l'article 223-6 du code pénal et l'article 9 du code de déontologie en rapport
avec l'obligation faite au médecin, à l'égard des victimes, de leur porter secours et de
prendre les mesures indispensables à préserver leur état de santé, rien n'empêchant
bien entendu d'envisager à la fois le signalement et (ou) l'hospitalisation d'urgence.
•
En cas de violences sexuelles, l'article 222-23 et 222-24 du code pénal
concerne le viol sans consentement caractérisé et le viol d'une personne vulnérable en
raison de son âge, d'une maladie, d'une déficience physique ou psychique. L'article
226-14 du code pénal autorise la révélation des violences sexuelles avec l'accord de la
victime aux autorités concernées, sans poursuite pour violation de secret
professionnel. De plus, s'agissant de violences sexuelles infligées à une personne
n'étant pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou
psychique, la révélation peut être faite aux autorités concernées, l'accord de la victime
n'étant pas indispensable. Mais le médecin reste passible de sanctions disciplinaires si
29 / 92
des griefs concernent les circonstances et la manière dont le signalement a été fait :
affirmation non vérifiée, absence d'examen, désignation nominale de "coupables
supposés", conformément à l'article 4 et 28 du code de déontologie).
Mais, on n'insistera jamais assez pour dire que lors de sévices et privations suspectées,
les conditions de la rédaction du signalement destiné à la connaissance des autorités
judiciaires, médicales ou administratives doivent être réelles, pertinentes et
concordantes, et ne sauraient, en aucun cas, mentionner l'auteur, parfois seulement
"présumé" de sévices (art.4 du code de déontologie médicale), cette révélation
relevant uniquement de l'enquête de l'autorité judiciaire.
Le signalement aux autorités prévues par la jurisprudence en cas de maltraitance est un acte
qui engage la responsabilité du médecin (art.69 du code de déontologie). C'est un acte qui
s'impose en cas de suspicion avérée de sévices et privations ou du risque de survenue d'un
véritable "syndrome de menace" de maltraitance, sans méconnaître que soient respectées avec
rigueur les dispositions du code pénal et celles établies par le code de déontologie médicale en
matière de secret professionnel, de confidentialité, de respect de la personne malade comme
de l'assistance à tout sujet en danger.
Olivier RODAT
Merci Monsieur POUILLARD. Vous avez donc abordé le problème particulier de l'exigence
de la confidentialité dans le domaine du médecin, mais je crois que les interventions de la
salle vont élargir le débat à un problème qui est plus quotidien, qui est grave, qui est celui du
soignant non-médecin par rapport non seulement au signalement mais surtout à l'initiative
qu'il doit prendre. Je rappelle, sous contrôle d'un doyen de la faculté de droit et en francs
parce que je ne connais pas la valeur en euros, mais je crois que l'abstention fautive de porter
assistance à personne en danger, c'est cinq ans de prison et 500.000 F d'amende ; la violation
du secret professionnel, c'est un an de prison et 100.000 F d'amende, donc en fonction de vos
ressources, vous choisissez, vous choisissez en fonction des sanctions ; tant il est vrai que la
conduite de tout un chacun n'est pas motivée et animée par la peur de la sanction, mais par
l'idée forte et supérieure de rendre service et de porter assistance à quelqu'un. Alors nous
allons tout de suite passer la parole à la salle, parce qu'il y a des questions.
30 / 92
Intervention d'une participante
Je voulais poser une question concernant le signalement des maltraitances, pas physiques, ni
psychologiques, mais par exemple la kiné qui vient dix minutes et qui dit "je n'ai pas le
temps" et qui repart, l'aide ménagère qui ne fait pas le repas correctement et qui dit "je n'ai pas
le temps", toujours "je n'ai pas le temps", et la curatrice qui n'a pas le temps d'aller acheter des
caleçons, des choses comme cela. Mais là, que peut-on faire ? Si l'on essaie d'intervenir et de
faire que cela s'arrange – je suis bénévole – d'abord on empiète sur le terrain de la curatrice et
cela ne lui plaît pas du tout et ensuite il y a toujours le risque que cela se retourne contre la
personne âgée, alors comment faire ?
Jean POUILLARD
Je vais vous répondre en tant que médecin, je n'ignore pas l'impact que cela peut avoir dans un
milieu de soignants, mais ce qui compte, c'est quand même – en dehors de l'urgence, mais
l'urgence prime le droit – l'état de santé du patient, et c'est lui qui doit dominer sur toute autre
considération.
Olivier RODAT
Je pense qu'il y a des institutions dans lesquelles il y a des dysfonctionnements, cela ne relève
pas forcément d'une solution pénale. Il faut peut-être que chaque institution regarde ellemême ses propres dysfonctionnements et les règles avant de demander à justice de les régler.
Intervention d'un participant
Je suis praticien hospitalier, chef de service de gériatrie dans un centre hospitalier général et
également médecin agréé pour les tutelles. Alors de deux choses l'une : soit on reçoit une
ordonnance du juge qui nous demande de voir une personne et on renvoie notre compte rendu
au juge et là il n'y a pas de problème, soit la personne elle-même vient à sa propre demande
nous voir, elle a eu la liste des médecins agréés auprès du tribunal d'instance, pour faire une
demande de protection. En général, c'est un membre de la famille qui l'amène et le juge nous
demande de rendre notre rapport non pas directement à lui, mais à la personne qui demande
la tutelle. En général ce rapport est adressé à la famille, à la personne qui fait effectivement la
demande. C'est très embêtant, parce que sur le plan du secret professionnel, qu'en est-il ?
Brigitte LEFEBVRE
Je pense que vous soulevez un problème qui est lié à la procédure prévue par le code civil,
mais qui se heurte aux règles du secret médical. Quand c'est la personne elle-même qui
demande la protection, il n'y a aucun problème, mais quand c'est la famille qui fait une
requête, cette requête doit effectivement être accompagnée du certificat médical dont vous
parlez. Il m'apparaît qu'il y a un problème évident pour la personne de secret professionnel, de
secret médical, mais je ne vois pas quelle est la solution apportée par le code civil à cette
situation. Qu'en pense Monsieur FAVARD ?
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Jean FAVARD
Dans ce cas là, il faut un certificat médical qui explique que la personne est dans une situation
mentale telle qu'elle a besoin d'une protection continue pour les actes de la vie civile. Encore
faut-il que le médecin le dise. S'il ne dit pas cela, la requête devrait être rejetée par le juge.
Car on ne peut saisir le juge sans fournir les éléments fondamentaux, qui permettent de
justifier la mesure. Il est vrai que le juge peut ordonner une expertise, mais cela a un coût.
Nous avons consulté l'Ordre des médecins qui nous a dit à très juste titre que c'était un peu
délicat que le médecin soit choisi par la famille et honoré par elle. Nous avons cependant
proposé au gouvernement de conserver ce système qui a l'avantage de la simplicité pour les
cas les plus évidents. Mais il faut, pour le moins, dire pourquoi on demande une mesure de
tutelle, c'est à dire que la personne est incapable de se gérer seule, car c'est fondamental.
D'autre part, si la famille est en demande, au lieu de désigner elle-même le médecin, elle
pourrait s'adresser au procureur qui choisirait le médecin. Dès lors ce serait l'Etat qui payerait
le certificat.
Intervention d'une participante
Pour apporter un élément de réponse, étant dans la même situation que mon confrère, je
n'envoie jamais le certificat détaillé à la famille. La famille a bien été s'adresser à un
tribunal, le juge ou le tribunal a effectivement donné la liste des médecins experts auprès
du procureur de la République, cela n'empêche quand-même pas, même si l'on est sollicité
par la famille, d'envoyer le certificat médical complet au juge et non pas à la famille.
Intervention d'un participant
On a bien compris que la loi pénale cherchait, en matière de secret médical, à clarifier un
petit peu la position du médecin pris entre l'obligation de signaler et les réserves du code de
déontologie, mais l'article 226-14 dans son alinéa 2 indique bien que le médecin a cette
levée du secret professionnel avec l'accord de la victime. Je voulais faire préciser quelle
était la portée réelle de cet alinéa et si on se situait bien là uniquement dans des situations
où il y avait l'accord de la victime. Et quand il n'y a pas l'accord de la victime, notamment
dans le cadre de violences intra familiales, comment les choses se passent-elles pour le
médecin ?
Olivier RODAT
Je vais faire un embryon de réponse : La deuxième partie de l'article 226-14, qui concerne
exclusivement le problème des violences sexuelles, suppose le consentement de la
personne, donc qu'elle soit apte à consentir, donc qu'elle soit majeure, un sujet incapable
majeur est apte à consentir, donc le problème ne se pose pas. Je voudrais dire, pour bien
comprendre l'esprit de la loi, qu'en matière de sévices et maltraitance à la personne âgée, le
soignant se trouve devant une situation qui est clarifiée, comme pour les sévices aux
enfants. La notion de secret s'estompe et le soignant est placé devant un choix. Soit pour
des raisons personnelles qui sont liées à sa conscience il préfère ne rien dire et ne pas
prendre d'initiative, soit au contraire il prend des initiatives. Mais comme l'a très bien dit
Monsieur POUILLARD, nous n'avons pas d'obligation de dénonciation, cela n'a jamais été
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écrit dans la loi, nous avons un devoir de signalement parce que notre situation de
soignants est telle que nous avons plus que les autres la possibilité de repérer la
maltraitance, nous avons plus que les autres la possibilité de l'identifier, nous avons accès
au corps du malade et donc nous pouvons les repérer, et c'est en fonction de cela que la
société exige de nous des initiatives parce que notre devoir est un devoir d'assistance. Mais
il ne s'agit pas d'un devoir de dénonciation, c'est un devoir d'initiative pour porter
assistance à la personne. Je crois que c'est très important. L'idée du secret s'estompe, n'est
pas un argument pour stopper l'initiative, mais au contraire une barrière qui s'effondre pour
ouvrir le champ des initiatives. Et là, toutes les initiatives sont les plus larges possibles,
autorités médicale, judiciaire ou administrative. Je rappelle qu'effectivement, à la DDASS,
il y a un médecin inspecteur de la santé qui est un partenaire de choix dans ces
circonstances, il y a éventuellement l'Ordre des Médecins, et ultérieurement, en cas de
danger gravissime, il y a le Procureur de la République, mais cela ne nous appartient pas.
Nous, nous devons, s'il y a un problème, apporter la preuve que nous avons perçu le danger
et que nous avons pris des initiatives qui, dans ces circonstances, nous paraissaient les
mieux adaptées, parce que peut-être voulons-nous privilégier le lien qui nous relie à la
famille et ne pas le rompre par des initiatives malencontreuses.
Michel VERON
Je voudrais apporter un petit complément à ce qui vient d'être dit sur ce sujet des relations
entre le signalement et la dénonciation et le secret professionnel. Car la question est l'une
des plus compliquées qui puissent se présenter en droit pénal pour la raison suivante : il y a
d'une part dans le code pénal un texte qui dit que certaines personnes, en raison de leur
fonction, de leur profession, sont tenues au secret professionnel. ; si elles parlent, elles vont
en prison ; et il y a dans le code pénal plein d'autres textes qui disent "quiconque a
connaissance de violences, de privations, de mauvais traitements doivent parler ; si ces
personnes ne parlent pas, elles vont en prison. Par conséquent, si je parle, je vais en prison ;
si je ne parle pas, je vais en prison. Comment concilier ? C'est là la question. Alors on a
essayé de concilier parce que, comme on vous l'a bien expliqué tout à l'heure, il existe des
textes qui relèvent du secret professionnel pour permettre de parler. Oui, mais alors c'est la
balance dont on parlait ; je choisis de parler ou de ne pas parler. Et c'est là qu'intervient une
jurisprudence très complexe qui établit une distinction entre les professions qui sont tenues
à un secret professionnel absolu et les professions qui ne sont tenues qu'à un secret
professionnel dit relatif. Les seuls qui bénéficient d'un secret professionnel absolu ce sont
ceux qui ont la qualité de médecin et exclusivement de médecin. Comme on vient de vous
le dire, ils choisissent totalement et librement en conscience. Si je parle, je ne commets
aucune infraction, si je ne parle pas, je ne commets aucune infraction. Je suis totalement
libre de ma décision. Les autres, qui ne sont tenus qu'à un secret professionnel relatif,
lorsqu'ils sont relevés de ce secret par un texte qui leur dit par exemple "le fait pour
quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements, d'atteinte sexuelle
infligée, etc. à une mineure ou une personne ne le font pas, c'est trois ans
d'emprisonnement". Ils sont obligés de le faire. La jurisprudence est très volumineuse sur
les directeurs de centres, les responsables de services sociaux, les professionnels de l'aide
sociale qui disent "j'ai préféré ne pas parler". Vous n'avez pas à préférer ne pas parler, vous
êtes obligés de dénoncer. Mais si je travaille dans ces milieux, par exemple vis à vis de
jeunes, que je dénonce, "je suis une balance", je perds toute crédibilité au milieu de ces
gens qui vont dire "on ne lui parle plus puisqu'il va aller le dire à la Police". Et la Cour de
Cassation juge que la perte de crédibilité n'est pas un fait justificatif du refus de dénoncer.
Donc je crois être obligé de vous dire de la façon la plus nette parce que la composition de
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cette assistance est assez variée, ceux qui ont la qualité de médecin peuvent, sous réserve
de ce que dit le code de déontologie et au regard de la loi pénale, faire, en conscience, ce
qu'ils veulent. En aucun cas, ils ne seront poursuivi pénalement. Les autres, non. A l'égard
de la justice, l'obligation de parler l'emporte sur le droit de se taire, c'est indiscutable. Il faut
y réfléchir, cela soulève évidemment des problèmes pratiques.
Intervention d'une participante
Je voulais compléter un peu ce qui vient d'être dit par rapport aux certificats médicaux. Je
suis formatrice consultante avec les deux volets : intervenant auprès des intervenants
tutélaires, mais aussi fort heureusement auprès des personnes qui bénéficient d'une mesure
de protection et je leur rappelle bien-sûr leurs droits ; en particulier le droit de consulter le
dossier au Tribunal d'Instance, quinze jours avant l'audience, jusqu'à la veille de l'audience.
Et il faut savoir qu'aujourd'hui, la consultation de ce dossier est intégrale, c'est à dire que le
majeur lui-même ou les requérants, donc sa famille, peuvent avoir accès à l'intégralité du
dossier, y compris le certificat médical initial ou l'expertise demandée par le Juge des
Tutelles. Je crois que dans le projet de réforme, si je ne me trompe pas, Monsieur
FAVARD, il est prévu qu'en effet, sur la consultation du dossier, le Juge jugerait de
l'opportunité de donner l'intégralité ou au contraire d'exclure certaines pièces à la
consultation.
Jean FAVARD
Nous allons un peu plus loin que la législation actuelle où c'est le Juge qui décide, à un
moment donné, s'il le fait ou ne le fait pas. Nous pensons que la personne que l'on met sous
tutelle, si elle ne peut pas s'exprimer, doit bénéficier d'un avocat auquel on ne pourra pas
refuser les pièces du dossier. Peut-on tout communiquer à tout le monde ? Sans doute pas.
Mais c'est essentiel au plan des éléments de la défense. A ce moment là, c'est un dossier
comme un autre, il n'y a pas de raison de l'occulter. Il n'y a pas de pièce secrète dans un
dossier sinon tout est faussé. Ce sera donc à l'avocat de prendre ses responsabilités dans le
cadre de sa propre déontologie.
Intervention d'un participant
J'ai été pendant des années médecin généraliste agréé et expert auprès des tribunaux. J'ai été
très favorablement impressionné par cette décision du Juge des Tutelles demandant que le
rapport du médecin expert soit confié à l'intéressé ou à sa famille. Parce que je ne peux pas
m'empêcher de faire le rapprochement avec cette espèce de complicité hypocrite s'agissant du
diagnostic des longues maladies qui consistait à rassurer la patient en lui disant "ce n'est pas
grand chose, vous allez guérir", et à se tourner vers la famille en lui disant "vous savez, c'est
l'affaire de quelques mois". Alors je pense que s'agissant d'une décision à prendre pour la
protection juridique d'une personne, il faut que cette personne sache pourquoi et comment elle
sera bénéficiaire ou non de cette protection, et il importe aussi que la famille sache, peut-être
d'une manière raccourcie ou résumée, si la personne âgée susceptible de bénéficier d'une
tutelle en bénéficiera raisonnablement ou ne peut pas en bénéficier. Je pense qu'un moyen de
protéger peut-être le médecin contre des procédures abusives, serait de faire signer au
préalable un protocole à la personne âgée si elle le peut, et à son environnement, je veux dire à
sa famille, pour dire que les uns et les autres acceptent que la décision du médecin expert soit
communiquée à la famille ou à l'intéressé. Je vous remercie.
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Olivier RODAT
De toute façon, toutes ces procédures civiles sont des procédures contradictoires, donc tous
les gens ont accès au dossier et cela ne pose donc, à mon avis, aucun problème.
Intervention d'un participant
Mon intervention est d'ordre pratique et sera brève, elle ne se résume pas à vous exposer un
cas ou telle situation. Le rôle d'ALMA étant beaucoup plus de s'occuper de la protection
morale de la personne à protéger que de sa protection juridique qui dépend du service public à
qui ALMA doit évidemment apporter un soutien, je pense qu'il serait bon de dresser un fichier
des différentes décisions de justice se rapportant à la protection de la personne âgée, ce fichier
pourrait servir de canevas à notre action.
Intervention d'un participant
Est-ce qu'un médecin, traitant ou non, peut faire quelque chose devant une personne âgée ou
pas qui a toutes ses facultés et qui se met en danger elle-même en refusant de se soigner ou en
faisant quelque chose ?
Olivier RODAT
Les gens sont libres. Je crois qu'il y a eu un texte sur les droits des malades qui traite
parfaitement de la possibilité pour le malade de refuser les soins, c'est parfaitement clair. On a
vécu l'ère du paternalisme médical, on est dans l'ère de l'autonomie du malade, de la
démocratie sanitaire, mon cher Confrère, nous n'avons plus en face de nous des patients, nous
avons des citoyens autonomes, participant aux choix, et nous sommes simplement là pour
délivrer des prestations.
Jean POUILLARD
Si vous le permettez, je voudrais quand même répondre sur ce sujet parce qu'il est très
important, cela rejoint tous les problèmes de grève de la faim, etc. Je crois que le médecin n'est
pas simplement un individu qui signe des papiers lorsqu'il faut les signer, et à ne pas les signer
lorsqu'il ne le faut pas. Il y a quand même une approche qui est humaniste et lorsqu'une
personne malade refuse des soins, je crois qu'il appartient au médecin de contacter les proches
et en particulier la famille, pour convaincre – et c'est dans le code de déontologie - article 35 et
36 - le patient qu'il doit se soigner. Parce que la personne malade est dans un état psychique
qui fait qu'elle ne se rend pas bien compte, pour peu que l'information lui soit mal
communiquée, - je ne dis pas qu'elle est toujours mal communiquée, mais elle est souvent
communiquée de manière impropre ou incomplète, - je vous rappelle que l'information doit
être claire, loyale et appropriée, or elle ne l'est pas toujours, il faut que la famille prenne le
relais, c'est d'ailleurs les articles 35 et 36 du code de déontologie qui délient le médecin du
secret professionnel en donnant la possibilité vis à vis de la famille de la tenir au courant de la
maladie, en particulier dans les cas graves. J'ai, à titre personnel, le souvenir d'un détenu à la
prison de Fresnes qui refusait de se soigner parce qu'il estimait qu'il préférait mourir, le
médecin de Fresnes m'a téléphoné en me disant "je suis bien embêté, si jamais il décède, c'est
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moi qui serais coupable", je lui ai dit "vous convoquez la famille", l'article 35 et l'article 36 du
code de déontologie nous en laissent la possibilité. Ce médecin a convoqué la famille et le
malade a suivi les soins, c'était une histoire d'insuffisance rénale, et il s'en est sorti. Donc je
crois qu'il n'y a pas d'impossibilité et en matière de mineurs, je pense que le juriste ne me
contredira pas en disant que l'on a la possibilité de prévenir le Procureur de la République,
c'est en tous cas ce qui se fait dans les hôpitaux à ma connaissance, et qu'il y a toujours la
possibilité d'intervenir. Je pense qu'on doit respecter - c'est dans le code de déontologie - la
volonté du malade, mais jusqu'à un certain point, jusqu'au point où il n'y aurait plus assistance
à personne en danger. Et cela, c'est dans le code de déontologie et dans le code pénal je le
rappelle, vous ne pouvez pas passer outre à la non-assistance à personne en danger.
Intervention d'un participant
Je voudrais demander au Professeur RODAT ce qu'il pense de cette obligation qui était faite
aux chefs de service par le code de santé publique de prendre toutes dispositions pour assurer
la protection des biens d'un malade hospitalisé dans son service. Et si à sa connaissance il y a
eu des plaintes contre un chef de service qui n'aurait pas pris les mesures adéquates pour
assurer cette protection.
Olivier RODAT
Je vais parler là sous le contrôle de Monsieur FAVARD, parce qu'effectivement vous parlez
du problème du déclenchement d'une mesure de protection. Il est tout à fait clair que s'il s'agit
d'un malade qui est dans un établissement fixé sur une liste par décret, essentiellement
établissements hospitaliers ou établissements accueillant des personnes âgées et en particulier
les établissements psychiatriques, le médecin en a le devoir. Mais, la situation n'est pas
symétrique ; parce que s'il s'agit d'un malade qui est à domicile et qu'il s'agit d'un médecin en
médecine ambulatoire, alors là le médecin a le choix. Et il est vrai qu'effectivement, entre
pouvoir et devoir, les deux exigences n'ont pas la même densité. Alors à ma connaissance, y at-il eu des procédures ? Il n'y a sanction que lorsque la sanction est prévue ; or à ma
connaissance, ne pas initier une procédure, il n'y a pas, au niveau de la protection des
personnes, de sanction prévue dans le code civil ou le code pénal. Il n'y a pas de sanction de
prévue pour quelqu'un qui manquerait à cette obligation ; la loi pénale s'interprète de façon
très restrictive, s'il n'y a pas de sanction, alors il n'y a pas de faute.
Michel VERON
Je voudrais réagir sur le mot "restrictif" qui me fait bondir : la loi pénale s'applique, rien que
la loi, mais toute la loi. "Restrictif" voudrait dire que l'on reste en deçà de la loi. Elle est
strictement appliquée. Mais pour ce qui a été évoqué à l'instant, le chef de service, s'il y a des
vols dans les placards, peut éventuellement être poursuivi comme complice, mais la
complicité suppose une aide et assistance par acte de commission. Le fait de ne rien faire n'est
pas une complicité. Cela peut peut-être entraîner des sanctions administratives, des sanctions
professionnelles, mais sur le plan pénal il est en dehors du coup.
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Brigitte LEFEBVRE
Je pense que sur le plan civil, une certaine responsabilité pourrait éventuellement être
recherchée.
Jean FAVARD
Il y a eu quelques affaires, quelques sinistres pourrait-on dire, dans quelques hôpitaux
publics - on ne sait d'ailleurs pas ce qui se passe dans les hôpitaux privés - qui étaient
graves. Nous les avons développés dans notre rapport, sans faire de généralisation
excessive, mais enfin il faut en retenir l'esprit qui est que, finalement, le système de
contrôle existant dans l'hôpital n'était pas assez affiné. On se reposait trop sur l'idée que le
juge devait contrôler tandis que le juge se reposait trop sur l'idée que c'était contrôlé à
l'hôpital. C'est un cas où il y a deux contrôles et où finalement cela ne marche pas bien.
Nous avons donc fait quelques propositions à ce sujet pour éviter de tels sinistres. Ils ne
mettaient pas en cause le chef de service à ma connaissance en tant que tel, car,
effectivement il faudrait un acte de complicité. Il s'agissait plutôt d'une mauvaise
organisation et de quelque chose qui échappait au contrôle normal, que l'on peut améliorer
et sur lequel il faut veiller plus particulièrement. Mais cela a quelquefois duré. J'ai un cas en
tête où cela a duré pendant des années, avec utilisation des comptes de la personne alors
qu'elle était morte depuis cinq ans !
Intervention d'un participant
Il existe à ma connaissance une procédure qui est assez peu utilisée ou usitée par les
médecins, qui tient peut-être au nouveau code de procédure civile et qui permet à tout
médecin, par simple lettre au procureur de la République, de demander de placer la
personne sous sauvegarde de justice. Qu'en est-il de cette procédure de saisine et dans
quelles proportions est-elle employée ?
Olivier RODAT
Oui, le médecin a parfaitement l'initiative d'alerter le Procureur de la République pour
déclencher une sauvegarde de justice. La décision de sauvegarde est un acte purement
administratif, à partir du moment où elle est demandée, elle existe pour un temps donné. En
revanche, la décision ultérieure de tutelle ou de curatelle est un acte juridique qui est sous la
décision du Juge.
Jean FAVARD
C'est souvent très protecteur pour la personne parce que cela va vite et permet de répondre
à des situations d'urgence. Après il faut résoudre le problème autrement, mais quelquefois
cela sauve beaucoup de choses. Nous n'avons donc pas proposé de la modifier, pensant
qu'elle a son utilité.
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Intervention d'une participante
Je suis conseiller socio-éducatif dans un service spécialisé en gérontologie en HauteSavoie, et je suis étonnée à travers ce que vous dites qu'il n'y ait aucune situation, en ce qui
concerne les maltraitances, qui ait fait l'objet d'un traitement en jurisprudence. Je sais que
dans notre département il y a eu des signalements qui ont été adressés au Procureur, qui
émanaient du service social ou médico-social, soit de l'assistante sociale ou de l'infirmière
qui avait constaté des choses à domicile, alors je ne suis pas sûre qu'il y ait eu à chaque
fois un certificat médical, mais il n'y a pas eu de suite à ces signalements, donc je voulais
savoir un peu ce que vous en dites, quels sont les moyens qui permettent d'intervenir et
poser une question par rapport à la nécessité du certificat médical ou pas. Comment par
exemple un travailleur médico-social qui constate des faits doit-il s'arranger pour obtenir
ou faire envoyer un certificat médical, soit par un médecin traitant, soit par un médecin
territorial ?
Michel VERON
Je vais répondre à votre question très précisément, elle est technique mais assez simple à
comprendre tout de même : "comment mettre en mouvement une affaire pénale ?". La
mise en mouvement de l'affaire pénale dépend du Procureur de la République qui décide
de poursuites ou non. Alors comment est-il informé ? Il est informé soit de façon simple,
par des lettres ou coups de téléphone ou par une plainte envoyée par la personne ellemême, qui lui raconte plus ou moins complètement ce qu'elle sait. Alors le Procureur de la
République et ses services regardent ; si cela leur parait fantaisiste, il dit "on classe sans
suite", si cela paraît un petit peu sérieux, le Procureur de la République peut ordonner ce
que l'on appelle une enquête préliminaire. On peut alors faire convoquer la personne qui a
envoyé la lettre au commissariat de police ou à la gendarmerie pour compléter ou
confirmer. Le Ministère public en définitive estime que c'est sérieux et décide soit de
renvoyer directement la personne qui est nommément désignée ou qu'il aura trouvé devant
le tribunal correctionnel, on appelle cela une citation directe, soit il estime qu'il faut quandmême faire un petit peu d'instruction et il ouvre une information, désignation d'un juge
d'instruction. Mais ce qu'il faut bien savoir, c'est que le ministère public dispose d'un
pouvoir discrétionnaire, on appelle cela l'opportunité des poursuites, il peut donc décider
de classer sans suite sur une simple plainte après ou sans enquête préliminaire. Alors pour
contourner ce pouvoir considérable du classement sans suite, il y a la possibilité pour la
victime d'obliger à ouvrir une information, c'est alors une procédure plus formaliste que
l'on appelle la plainte avec constitution de partie civile. La victime consulte un avocat qui
rédige une plainte et la plainte est adressée au doyen des juges d'instruction du tribunal
concerné, plainte avec constitution de partie civile par le truchement d'un avocat auprès du
doyen des juges d'instruction, avec simplement, pour que le juge d'instruction soit désigné,
comme ce n'est plus l'Etat qui prend l'initiative des poursuites par l'intermédiaire du
Procureur de la République, mais la partie civile, partie privée victime, va devoir faire
l'avance des frais. Et lorsque la plainte avec constitution de partie civile arrive au service
du Doyen des Juges d'instruction, il fixe le montant d'une consignation au Greffe, et ce
n'est que contre récépissé du dépôt de la consignation au Greffe que l'instruction sera
ouverte, sauf si la victime bénéficie de l'aide juridique en raison de ses ressources
financières très faibles. Je suis désolé, j'ai peut-être été complexe, mais c'est comme cela
que cela se passe. Soit la plainte avec une constitution de partie civile, soit la plainte
simple ou l'information au Procureur. On aborde alors un problème fondamental dans les
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débats en France à l'heure actuelle, qui est de savoir si le Procureur de la République est
hiérarchiquement dépendant des supérieurs du Parquet et au sommet, du Garde des
Sceaux, c'est à dire du pouvoir politique, est-ce qu'il va agir plus ou moins vite, plus ou
moins strictement selon des instructions qui pourraient être données par le pouvoir
politique ou par le supérieur hiérarchique, est-ce que dans tel ou tel domaine de
criminalité, on a des instructions générales, pour poursuivre ou au contraire mettre la
pédale douce, tout dépend un petit peu des circonstances et du moment. Alors si la
maltraitance devient une question véritablement à l'ordre du jour, une question
fondamentale pour le pouvoir politique, il y aura des instructions générales données par la
voie hiérarchique descendante du Garde des Sceaux au Procureur de la République, d'agir
sérieusement dans ce domaine chaque fois qu'ils seront informés.
Intervention d'une participante
Le certificat médical est-il nécessaire, obligatoire, quand il y a un signalement qui est
adressé au Procureur ?
Olivier RODAT
Le certificat médical est une pièce annexe par rapport au témoignage ou à l'information
qu'une personne a décidé de donner à une autorité pour aider une personne en détresse.
Mais si le certificat médical est demandé au médecin traitant, il y a un grand principe
déontologique qui est que le certificat est donné à la personne qui le sollicite. En revanche,
s'il s'agit d'un constat médical demandé par une autorité, Procureur de la République ou
Juge des Tutelles, le document est adressé à la personne qui a mandaté le médecin pour
faire ces constatations, ce qui est complètement différent.
Michel VERON
Pour porter plainte entre les mains du Procureur de la République, la victime n'a pas
nécessairement un certificat médical, elle écrit par exemple "Monsieur le Procureur de la
République, j'ai l'honneur de porter à votre connaissance les faits suivants, tous les matins
mon petit-fils me tape dessus, c'est pourquoi je porte plainte.". Selon la façon dont c'est
rédigé, le Procureur de la République va peut-être convoquer ou faire convoquer le petitfils pour l'entendre, la victime, et s'il estime que c'est sérieux, il va ouvrir une instruction et
le Juge d'instruction va désigner un médecin qui sera chargé d'examiner la victime. Mais au
départ, on n'a pas du tout besoin d'un certificat médical.
Intervention d'une participante
Le problème, c'est quand la victime ne signale pas, c'est quand le travailleur médico-social
constate effectivement des coups ou d'après les dires de la personne qui elle ne peut pas
signaler. Et le médecin n'est pas forcément là, nous travaillons avec des travailleurs
sociaux, des infirmières ou des assistantes sociales, qui peuvent faire des constats et
entendre des choses de la part de la personne âgée ou adulte qui peut ne pas pouvoir
signaler elle-même la situation.
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Michel VERON
Oui, mais le code pénal impose sous peine de sanctions lourdes, à quiconque ayant
connaissance, de dénoncer.
Intervention d'une participante
Pour compléter ce que veut dire ma collègue, je suis aussi conseiller socio-éducatif dans un
Conseil Général, je travaille avec des assistants sociaux, avec des médecins experts pour
l'allocation autonomie, et le gros problème que nous avons aujourd'hui, c'est le constat fait par
les travailleurs sociaux d'une nécessité de protection, et la non-collaboration – le terme est fort
volontairement – des médecins, soit territoriaux, soit de ville, soit hospitaliers, à établir des
certificats qui pourraient nous permettre d'aider à la prise en charge de personnes qui ne
peuvent pas faire elles-mêmes la démarche.
Olivier RODAT
Les travailleurs socio-éducatifs sont des majeurs vaccinés qui n'ont pas besoin de s'abriter
derrière un certificat médical pour se donner bonne conscience et prendre les initiatives qui
leur incombent.
Intervention d'une participante
Nous ne nous abritons pas derrière un certificat médical, mais je pense qu'aujourd'hui en
gérontologie on parle de travail pluridisciplinaire et de coordination et je vois mal comment
aider les personnes âgées sans cette pluridisciplinarité et sans cette coordination.
Intervention d'une participante
Excusez-moi, mais je reprends ma question de tout à l'heure, parce que vous avez répondu sur
le plan médical, mais elle n'était pas médicale. C'est une personne qui a alerté les services
sociaux sur une situation de maltraitance qu'elle vit, qui est largement connue dans sa
commune puisque la gendarmerie, le médecin, le maire, tout le monde est déjà intervenu,
mais personne n'a signalé, or on nous demande de signaler, nous l'avons fait, et je pose la
question non pas en jugeant les autres sur ce qu'ils ont fait ou pas fait, c'est sur ce que l'on
peut faire en termes de prise en charge de cette situation aujourd'hui. Pour les enfants, on a
évoqué le problème, il ne suffit pas de déposer une plainte pour traiter le problème, pour les
personnes âgées la situation est la même aujourd'hui, il ne suffit pas de déposer plainte, que
peut-on faire pour aider cette personne, socialement, économiquement et juridiquement,
puisqu'on demande aux services sociaux, aux médecins de signaler, posons-nous tout de suite
la question, puisqu'on a déjà eu l'expérience en matière d'enfance, de ce que l'on fait une fois
que l'on a déclenché le processus judiciaire.
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Michel VERON
La réponse n'est pas du tout juridique, si j'ai bien compris la question, c'est très bien de porter
plainte, on fait cesser des actes qui sont condamnables, on peut faire éventuellement
condamner celui qui est l'auteur de ces actes, mais qu'est-ce qu'on fait de la personne ? Je ne
suis pas spécialiste des services sociaux, je ne sais pas ce qui est prévu ou quelles sont les
lacunes de la législation française en la matière, car étant donné que les auteurs des actes de
maltraitance sont presque toujours l'immédiat entourage, on va donc séparer la victime des
auteurs des actes. Elle se retrouve alors toute seule, qu'est-ce qu'on en fait ? Je n'ai pas la
réponse.
Robert HUGONOT
Il y a une infinité de solutions, que seul un dialogue de tous les participants, de tout ceux qui
connaissent le cas ou qui sont autour de ce cas, permet de trouver la meilleure, et il n'y en a
pas toujours qui soient excellentes. Maintenant, la matinée est close en ce qui concerne nos
travaux, donc bon appétit et à tout à l'heure.
φδ
TABLE RONDE
OUVERTURE DE LA DEUXIEME SEANCE
Robert HUGONOT
Certains d'entre vous m'ont demandé "mais qui est donc ce Professeur Olivier RODAT que
vous avez là à votre droite ?". Et bien Monsieur Olivier RODAT est à Nantes, professeur de
médecine légale, mais aussi – et il est le seul de son espèce - chef d'un service de gériatrie.
De sorte qu'il est à la fois gériatre, gérontologue, et professeur de médecine légale. C'est
évidemment une compétence très élargie et c'est la raison pour laquelle ALMA France lui a
demandé d'être le président de la commission scientifique, commission de recherches
d'ALMA France. J'ai maintenant répondu à vos demandes. Monsieur RODAT je vous passe la
parole.
Olivier RODAT
Merci, Monsieur HUGONOT. Cet après-midi, c'est une table ronde avec des intervenants
venant d'horizons divers et variés, qui apportent leur expérience, un éclairage à tout ce qui va
alimenter une réflexion et qui va donner effectivement des informations à tous ceux qui en
attendent. Il y a en plus sur cette table ronde un militaire, on est donc soumis à une exigence
de la règle, les intervenants seront donc limités à quinze minutes pour pouvoir donner lieu à
des échanges après les six interventions qui vont avoir lieu. Pour la première intervention,
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j'appelle Monsieur le Professeur Robert MOULIAS, président de la commission Droits et
Libertés de la personne âgée dépendante de la Fondation Nationale de Gérontologie qui va
aborder un sujet récent, en évolution, qui est aussi l'image d'un souci d'améliorer la
communication entre l'institution et ses usagers, et qui va nous parler de son expérience de la
conciliation à l'hôpital. Monsieur MOULIAS, c'est à vous.
Le médecin conciliateur ; son rôle en gériatrie
Professeur Robert MOULIAS
Conciliateur à l'hôpital Sainte-Perrine
Conciliateur adjoint à l'hôpital Charles Foix
La brève expérience de la commission de conciliation et du médecin conciliateur aura au
moins démontré que ce système était bienvenu. Il était probablement trop tôt pour jeter aux
orties ce système tout neuf, simple, libéral, non contraignant, peu onéreux (la fonction n'étant
pas rémunérée). Le remplacer par une "usine à gaz", complexe et coûteuse, comme les
cabinets ministériels se complaisent à en inventer, risque de prendre du temps et de l'argent
La nouvelle loi (1er trimestre 2002) prévoit le remplacement du conciliateur - médecin, par
un médiateur -, juriste. C'est tout un programme
Rôle du médecin conciliateur
Il est offert à toute personne se plaignant des soins reçus, la possibilité de rencontrer le
conciliateur médical. Bien sûr le conciliateur n'est concerné que par les plaintes concernant les
soins.
Le conciliateur doit pouvoir informer, expliquer de façon sincère, loyale et véridique. La
plupart des rares affaires qu'il a à traiter concernent une mauvaise information, un dialogue
insuffisant, une famille laissée en souffrance parce qu'elle n'a pas compris ou n'a pas voulu
comprendre.
En aucun cas, le conciliateur n'a à se substituer à une procédure juridique ou à une procédure
à l'amiable. Le rôle du conciliateur s'arrête dès qu'il y a un contentieux en cours. Il peut tenter
d'éviter les contentieux inutiles liés à l’incompréhension ou à l’incommunicabilité.
Cette ouverture d'une possibilité de dialogue supplémentaire a tenu son rôle vis-à-vis de
l'institution : éviter des procédures sans objet, coûteuses et douloureuses pour les deux parties.
Le principal résultat en gériatrie, a été de diminuer la souffrance des familles plaignantes, et
d'apaiser quelques conflits par manque de dialogue entre équipes et familles ou par troubles
relationnels entre les deux parties ; chacune peut avoir ses torts. Les familles peuvent ne pas
oser parler ou ne pas savoir. A l’inverse certaines savent se rendre odieuses, faisant fuir le
dialogue.
Par exemple j'ai déjà vu un fils de malade venir accompagné de son avocat, non pas pour
attaquer l'hôpital, mais pour se protéger au cas où se matérialiseraient les multiples plaintes
du personnel contre lui pour harcèlement moral et sexuel.
Certaines maladresses du personnel peuvent être ressenties de façon dramatique : par exemple
"vu son état, votre mère est mieux là où elle est maintenant" envoyé à une fille au décès de sa
mère.
Si le résultat quantitatif a été mince, vu le petit nombre de plaintes, le résultat qualitatif a été
très positif, vis-à-vis des quelques plaignants.
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Pourquoi y a-t-il si peu de plaintes médicales en gériatrie ?
Les gériatres ont une bonne expérience professionnelle de l'écoute des familles, en particulier
les chefs de service et les cadres infirmiers, qui savent les prendre en charge y compris les
plaignants pathologiques.
Ce côté positif est certain, mais il masque une face cachée. Il n'y a pas de plainte parce que
malades et familles ont peur de représailles pour les malades confinés dans les unités de Soins
de Longue Durée, ou même de Soins de Suite. Il y a aussi le fait que les héritiers se plaignent
rarement du préjudice qui leur aurait été porté par le décès du testateur.
Le fait capital est que la mal-practice médicale survient d'habitude avant : médecine de ville,
urgences de ville, urgences hospitalières, court séjour non gériatrique. Nos malades ne savent
pas, ne peuvent pas dire, les familles n'osent pas, ne savent pas ou ont peur. Ce n'est pas une
conspiration du silence, c'est le silence des agneaux. On peut assister à des situations tout à
fait scandaleuses qui n’entraînent pas la moindre protestation.
Etat des lieux après deux ans
La commission de conciliation est amenée à connaître toutes les plaintes. En gériatrie, ces
plaintes concernent surtout les vols, les pertes d'appareils (auditifs, dentaires, lunettes), la
qualité des repas, le manque de personnel, soir et week-end notamment, le comportement des
malades voisins. Le dément dérangeant c'est toujours l'autre malade.
Parmi les plaintes médicales certaines sont délirantes : le couple infernal mère démente - fils
schizophrène paranoïaque reste trop souvent le seul plaignant alors qu'il y a tant et tant de
plaintes qui seraient pleinement justifiées
La conciliation facilite l'expression de la famille, cette écoute de sa souffrance a pu soulager
certains syndromes de deuil, certains sentiments de culpabilité : "comment est-elle morte ?"
"Est-ce que cela aurait pu être évité ?" "L'avait-on placé(e) en de bonnes mains ?" Ce
dialogue, ces informations élémentaires, que le conciliateur puise dans le dossier, les
médecins du service les avaient déjà pratiqués. Mais les informations données par cette tierce
personne extérieure, à priori neutre et bien informée, peut faire tomber certaines tensions.
Demain il n'en sera pas de même
Le malade gériatrique reste largement victime de mal-practice en amont de la gériatrie et
parfois hélas en gériatrie : diagnostics non faits, diagnostics futiles omettant le principal
problème de santé. Qui dit diagnostic futile dit traitement futile, inutile, au mieux ; dangereux
trop souvent : erreurs sur les doses, erreurs sur les contre-indications.
Les pathologies nosocomiales ne seront plus acceptées : non pas tant les inévitables portages
et contaminations, que les dépression, dénutrition, ataxie, grabatisation, escarre, confusion,
etc. Toutes complications parfois inéluctables mais si souvent étroitement liées à l'absence de
connaissance sur le soin gériatrique. Il y a ceux qui croient savoir et ceux qui ne savent même
pas qu'ils ne savent pas.
Le monde change. Les vieux changent très vite. Les nouveaux vieux n'accepteront plus ces
trajectoires pathogènes à tout coup : arrivée non programmée aux Urgences dans l'affolement,
vidange des Urgences n'importe où vers un service de Médecin Interne au mieux, un service
de spécialité pointue (ex ORL) ou une maison de convalescence (donc sans soins) dans un
premier temps. Ceci entraîne trop régulièrement d’autres dysfonctionnements.
- retour au domicile non organisé pour une personne ayant perdu ses fonctionnalités
- ou orientation vers un Soin de Suite non gériatrique, voire placement n'importe où, là où il y
a de la place, transfèrement de la personne conçue comme un désencombrement d'objet dont
il faut se débarrasser. Cela ne sera plus possible ou sera l'occasion de plaintes multiples où
l'hôpital perdra à tous coups, ne pouvant se justifier que par son imprévoyance.
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Ce n'est que de l'absence de plaintes que survit ce système créateur de pathologies et de
dépendance où chacun fait ce qu'il ne sait pas faire ; parfois en très bonne foi, souvent en
parfaite mauvaise foi. Il faut bien remplir ses lits de Court Séjour, même si ce sont des
malades que l'on refuse de prendre en charge, ceci en connivence avec l'administration
hospitalière qui veut faire "tourner ses lits". On prend n'importe qui, n'importe où, et l'on fait
sortir n'importe où, n'importe comment ; on a beaucoup de points ISA et on est bien vu des
gestionnaires et des collègues. Est-ce de la médecine ?
La gériatrie a aussi ses faiblesses : accepter de collaborer à des procédures illégales, non
scientifiquement démontrées ; isolement des porteurs de germes non pathogènes,
écouvillonnage rectal à la poursuite du BMR caché, alors qu'on ne fera rien du résultat ;
participation à des circuits illégaux âge/dépendants. J'ai vu un hôpital parisien se proposer
d'adresser à 30 km tous les plus de 60 ans se présentant aux Urgences pour assurer le
remplissage d'une unité de Court séjour d'un hôpital gériatrique périphérique et dépourvu de
tout plateau technique. Le syndrome de Nicholson frappe toujours.
Pire, on peut lire des instructions illégales telle une CPAM donnant des instructions aux
services de soins à domicile pour que, chez les malades âgés, les actes de soins soient
remplacées par des aides (pour les mêmes actes) et pour que l'APA remplace la Sécurité
Sociale pour les malades âgés (j'ai le document).
Demain peut être les innombrables associations de consommateurs ou les ligues des droits de
l'homme donneront enfin de la voix pour le déni des droits des vieux.
Demain les choses seront plus difficiles. Comment fera-t-on la preuve de l'absence de faute ?
La preuve de la faute est déjà bien difficile, mais celle de son absence est une prouesse si tout
n'est pas documenté.
Dans les exemples cités, le "défaut d'assistance de personne en danger" ou même la très large
"mise en danger de la vie d'autrui" pourra s'appliquer. Celui qui acceptera de travailler avec
des moyens insuffisants (notre cas, pour pratiquement tous les gériatres). Celui qui refusera de
le faire relèvera de la "mise en danger de la vie d'autrui". Les deux relèvent de procédures
pénales !
Le médecin qui ne pourra démontrer sa compétence, l'institution qui ne pourra démontrer
qu'elle a fourni les moyens des missions données, seront en danger
Il est probable que cette transformation aura de nombreux effets négatifs, mais un effet positif
capital : l'ensemble des acteurs de santé aura intérêt à adresser le malade gériatrique en
gériatrie. L'intérêt de ce malade et celui du système coïncideront enfin.
Protection de l'équipe
Le conciliateur est le premier défenseur de l'équipe soignante ; il sait ce qui permet d'éviter les
réclamations injustifiées, les plaintes délirantes. Il sait aussi découvrir où se trouve
l'éventuelle faute. Si elle a bien eu lieu, il est plus facile de la discuter, de l'expliquer en toute
transparence que d'essayer de la cacher, motif de suspicion et d'agressivité.
Tout dossier bien tenu est facile à expliquer (je n'ai pas eu à "défendre", car il y a rarement
lieu de défendre, mais de faire comprendre). Lorsque les motifs des décisions sont donnés, les
évènements notés, il ne peut y avoir de problème. Tenez vos dossiers médicaux et vos
dossiers de soins avec clarté. Le malade y gagnera et vous aussi ; vous travaillerez à l'abri de
tout risque. Notez aussi les réactions d'hostilité ou de satisfaction de la famille. Les plaintes,
cela se sent venir et cela se prévient, rien n’est inévitable.
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Il faut savoir informer et dialoguer avant la plainte ; beaucoup d'équipes gériatriques savent
très bien le faire. Il ne faut pas limiter le dialogue à ceux qui récriminent en permanence ; il
vous faut aussi le dialogue avec ceux qui ne le demandent pas et restent dans leur coin. Cela
leur fera plaisir et sera plus remontant pour l'équipe que de ne rencontrer que les plaignants.
Parfois ce sont ceux qui n'ont rien demandé qui vont éclater dans une situation de crise. On
s'aperçoit, trop tard, qu'elle fait suite à un long silence où chacun était resté de son coté. Allez
au-devant des familles, y compris de celles qui se taisent.
La participation de l'équipe à une démarche qualité est aussi un élément important.
Dans tous les cas, quand il y a plainte ou conflit, et que la plainte parvient au conciliateur, le
premier rôle du conciliateur est de rétablir la confiance. Plus il interviendra tard, plus cela sera
difficile, mais ce n'est jamais tout à fait impossible si le conciliateur connaît les équipes, et
dispose de dossiers bien tenus.
Le conciliateur ne peut rien contre l'appât du gain
Le plaignant a peu à gagner en gériatrie, où il est difficile de démontrer que le décès d'un
proche très âgé dont on hérite vous a causé un préjudice majeur, même s'il y avait eu faute
médicale majeure.
Autant le conciliateur peut informer, rasséréner, conseiller, rendre confiance, psychothéraper,
déculpabiliser, autant le conciliateur ne peut rien contre l'appât du gain. Il ne peut rien non
plus contre la faute énorme, massive, incontestable. A l'administration de choisir entre
dédommagement amiable et procès. En fait même dans ces cas, il n'y a le plus souvent aucune
plainte, alors que …
Le conciliateur ne peut rien non plus contre l'aléa thérapeutique sans faute, s'il y a de l'argent
à récupérer. Dans ce domaine d'une aussi grande incertitude que le nôtre, où le terrain de
l'Evidence Based Medicine reste si étroit et où la preuve elle-même (Evidence) est un fait
tellement discutable, cela est inquiétant.
Les indemnités écrasantes et démesurées, bref déraisonnables, décidées par la justice joueront
sur les coûts de la santé, comme c'est le cas aux USA où il est banal que l'assurance
professionnelle d'un médecin dépasse très largement (de plusieurs fois) le montant de son
revenu restant, toutes charges payées.
En fin de compte c'est toujours le patient qui paie et, en France, le contribuable et le cotisant :
vous et moi. Les Français sont-ils prêts à payer de leur poche l'enrichissement de quelquesuns grâce à leurs déboires médicaux ? Mais cela dépasse les compétences du médecin
conciliateur, lui, se contente d’informer et d’expliquer.
Conclusion
La conciliation médicale est un utile outil de dialogue qui permet de résoudre des situations
conflictuelles. La compétence médicale du conciliateur est essentielle à ce rôle.
La prévention de ces situations de conflit paraît plutôt satisfaisante en gériatrie où la plupart
des problèmes relationnels sont traités avec succès en amont de l'intervention du conciliateur.
Il faut s'attendre à une montée rapide des plaintes concernant les malades gériatriques, mais
surtout en amont de la gériatrie.
On se demande avec inquiétude ce que pourra faire le nouveau médiateur, juriste, dépourvu à
priori de connaissances médicales. Les familles de nos malades demandent plus
d’information et de dialogue. La chicane n’est jamais la première intention. Merci de votre
attention.
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Olivier RODAT
Merci, Monsieur MOULIAS. Vous avez abordé un sujet évolutif, qui va subir des
applications de la loi de mars 2002 et des décrets qui viennent de sortir, le conciliateur était en
quelque sorte – dans un terme un peu vulgaire – le lubrifiant de l'institution, qui permettait
d'apaiser les choses, il est vrai qu'il a disparu, qu'il n'avait aucun pouvoir de conciliation,
d'autre part il est vrai que les problèmes de responsabilité changent, mais enfin il ne faut pas
non plus jouer à se faire peur, parce que je ne suis pas tout à fait sûr que l'on connaîtra en
France ce qui se passe aux Etats-Unis. Cela pourra faire d'ailleurs une nouvelle séance de
travail d'ALMA, Monsieur HUGONOT. Je vous invite à noter dès maintenant les questions
que l'intervention de Monsieur MOULIAS pourrait susciter, car on essayera de les reprendre
dans l'ordre, ce sera plus logique. Je vais passer tout de suite la parole à Monsieur
DUPORTET qui, sur ses larges épaules, porte ALMA Essonne, pour nous parler du service
d'accès au droit.
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Le service d’accès au droit des personnes âgées
Docteur Bernard DUPORTET
Association gérontologique de l’Essonne
Opération Age-Alma
Merci Monsieur le Président. Ce dont j'ai à vous parler aujourd'hui, c'est de l'activité encore
relativement expérimentale puisqu'elle ne date que du mois de janvier 2001, de l'incorporation
d'un service d'accès au droit à l'intérieur de l'organisation que nous avons mise en place dans
notre département, dans le cadre de l'association gérontologique de l'Essonne et donc de
l'opération AGE-ALMA que nous faisons évoluer depuis maintenant un peu plus de trois ans.
Le cadre conceptuel
Il est double :
Le schéma départemental des personnes âgées du département de l’Essonne,
La politique publique d’accès au droit précisée par la loi du 18 décembre 1998.
Le schéma départemental des personnes âgées
Voté en 1999, le schéma gérontologique départemental stipule dans son préambule que "
Toute personne âgée quel que soit son degré d’autonomie ou de dépendance doit pouvoir :
Conserver sa dignité, être respectée et reconnue,
Faire reconnaître sa citoyenneté par l’exercice de ses droits, devoirs et libertés,
Vivre dans un environnement lui apportant le bien-être physique et moral, la sécurité
physique et psychologique,
Etre intégrée et participer à la vie sociale."
Cette volonté, relayée par l’association gérontologique de l’Essonne, devait tout naturellement
intégrer la nécessité d’une structure adaptée à la prévention et la résolution des problèmes
juridiques posés aux personnes âgées.
La politique publique d’accès au droit
Dans le même temps se développe et s’organise une recherche politique essentielle sur les
dispositions les plus à même de maintenir, développer et bien souvent restaurer la citoyenneté
des différentes catégories sociales.
L’évolution démographique et sociologique de la population âgée s’impose au législateur
comme aux acteurs de terrain et leur demande de concevoir et mettre en œuvre une nouvelle
justice en cohérence avec les besoins de cette population.
Couvrir les différents domaines du droit et favoriser un égal accès pour tous.
Pour ce faire : intervenir directement sur les problèmes posés, anticiper en traitant les
problèmes en amont, établir de nouvelles relations entre citoyens et institutions, renforcer le
lien social fondé non sur des rapports de force mais sur un rapport au droit.
Connaître et réduire les conditions du « non recours » au droit :
Ignorance,
Eloignement géographique,
Pression sociale,
Pudeur ou honte,
Peur.
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Répondre aux besoins fondamentaux et aux attentes exprimées :
Attentes d’écoute et de considération,
Besoin d’égalité, de prise en compte et d’efficacité des institutions,
Besoin de repères dans la loi et dans les procédures.
Tels sont les éléments qui ont présidé à la conception et à la mise en œuvre d’une véritable
politique d’accès au droit.
Le cadre organisationnel
Convention tripartite
Elle associe le CDAD, le Conseil général et l’Association gérontologique de l’Essonne.
Elle a, entre autres, le grand mérite de donner une légitimité aux actions menées dans le cadre
associatif et dans le même temps de mettre celles-ci en cohérence avec les actions strictement
institutionnelles, celles de l’Etat et celles des départements.
Le Conseil départemental d’accès au droit (CDAD)
Composition
Le Préfet représentant l’Etat,
Le Procureur de la République,
Le Conseil général,
Le Barreau,
La Chambre des huissiers,
La Chambre des notaires,
Les responsables communaux,
Une association.
Mission
Définir une politique départementale d’accès au droit,
Etablir le partenariat avec les acteurs concernés,
Fédérer les financements,
Piloter et coordonner les actions engagées.
L’Association gérontologique de l’Essonne
Le service « Droit des personnes âgées » est totalement intégré dans l’équipe opérationnelle
de l’Association qui est l’employeur et qui comprend par ailleurs en sus de son Comité de
pilotage et de son Comité technique permanent, tous deux bénévoles un personnel salarié
composé de
Une psychologue, directrice de l’Association,
Une psychologue, coordonnatrice des opérations départementales,
Une psychologue spécifique pour la population des familles Alzheimer (en cours de
recrutement).
Une assistante de direction administrative et comptable,
Une secrétaire employée administrative,
Et 5 formatrices et formateurs vacataires.
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Le poste
Service téléphonique d’information et d’orientation juridique « Droit des personnes âgées ».
Un juriste, bac + 5, dans le cadre du dispositif « Emplois jeunes », temps plein.
Permanence téléphonique les lundi, mardi, jeudi et vendredi de 14 h à 16h30, répondeur en
dehors de ces plages horaires avec rappel systématique des personnes appelantes..
L’activité
Deux niveaux d’intervention :
Appels directs au numéro « accès au droit »,
Intervention dans le cadre des dossiers de signalements reçus au numéro
« maltraitance ». A ce titre, l’Agent d’accès au droit participe à l’ensemble des travaux
du Comité technique permanent
Les appels directs « Accès au droit »
Ils sont restreints en nombre mais touchent à peu près à tous les chapitres du droit.
Ils proviennent majoritairement de l’entourage de la personne âgée et des professionnels
concernés.
Ils surviennent rarement à froid mais le plus souvent en période de crise et expriment des
demandes d’assistance immédiate.
Ils s’inscrivent souvent dans une histoire d’évolution lente, dont l’origine est volontiers
ancienne, comme bon nombre de situations de maltraitance, et posent le problème d’une
activité de médiation organisée.
Les interventions dans les dossiers « maltraitance »
Sur l’exercice social 2001, 31 dossiers de maltraitance soulevaient à titre principal un
problème juridique. Ils ont été traités, à titre de référent, par l’Agent d’accès au droit.
Ces dossiers comportaient pour la plupart des questionnements multiples avec en particulier :
Procédure civile = 30 dossiers et dans 16 cas une mesure de protection juridique,
Procédure pénale = 13 dossiers et dans 5 cas signalement au Procureur de la
République,
Droit de la famille = 6 dossiers,
Droit immobilier = 4 dossiers,
Droit de la consommation = 2 dossiers.
Pour 44 autres dossiers, l’Agent d’accès au droit est intervenu ponctuellement. Là encore les
questionnements étaient multiples mais on relève essentiellement :
Procédure civile = 29 dossiers,
Procédure pénale = 22 dossiers,
Procédure administrative = 5 dossiers,
Droit de la Santé = 6 dossiers,
Droit immobilier = 5 dossiers,
Droit de la famille = 3 dossiers.
Les enseignements
A la différence des autres dispositifs d’accès au droit, le service « Droit des personnes âgées »
ne gagne pas à être un dispositif autonome. Il nous paraît devoir s’intégrer dans un dispositif
plus vaste tel que celui que nous tentons de mettre en place et ceci nous paraît bien
correspondre aux caractéristiques de la population âgée qui présente le plus souvent des
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problèmes intriqués dans les champs somatique, psychologique, familial, social et
économique.
Les actions de communication nous paraissent devoir porter préférentiellement sur les
différents acteurs médicaux, sociaux, juridiques bien plutôt que sur les personnes âgées ellesmêmes.
Les perspectives
A l'instar des postes de psychologues déjà en place pour le traitement des dossiers de
maltraitance et pour la mise en œuvre des actions de prévention devant conduire du travail sur
la maltraitance à une véritable promotion de la bien-traitance, le ou les postes d’Agent d’accès
au droit, nous paraissent devoir être pérennisés.
La démonstration nous semble en effet faite de leur utilité intrinsèque et leur absolue nécessité
dans ces dispositifs multidisciplinaires destinés à répondre tout à la fois aux interrogations des
personnes âgées elles-mêmes et à celles des acteurs de terrain qui sont si souvent démunis
face à des situations que leur formation spécifique ne prédispose pas à appréhender dans leur
complexité.
En conclusion
Il existe un véritable besoin de faciliter aux personnes âgées l’accès à tous leurs droits.
Il ne doit pas s’agir d’un nouveau dispositif autonome et isolé dans la constellation des
diverses structures qui ont à connaître des personnes âgées mais bien plutôt d’un élément
important d’un dispositif plus vaste destiné à réinsérer la personne âgée dans son tissu social
et dans sa citoyenneté.
Il faut se garder d’instrumentaliser les personnes âgées en clamant la défense de leurs droits et
les marginaliser dans un statut de sous-citoyen.
La fonction d’information directe semble bien moins importante que l’assistance aux
démarches juridico-judiciaires, le suivi des dossiers et surtout que l’information et la
formation de l’ensemble des professionnels concernés.
Plus que d’un ensemble législatif, réglementaire ou procédural c’est d’une véritable mutation
de l’esprit social et politique dont les personnes âgées ont besoin. Je vous remercie.
Olivier RODAT
Merci, Monsieur DUPORTET d'avoir bien rappelé que la personne âgée n'est pas un citoyen
de deuxième classe, n'est pas un citoyen assisté, c'est un citoyen qui a le droit de savoir, il faut
lui faire savoir, il faut connaître et faire connaître, et vous avez bien montré les différents
dispositifs et leur implication et comment le télescopage des situations que nous connaissons
en matière de maltraitance implique toutes formes du droit. On va maintenant aller au-delà et
demander à Monsieur Jean-Jacques GEOFFROY, directeur du service de tutelles de
La Roche-sur-Yon de nous présenter le sujet du respect du choix de vie d'une personne
protégée malgré, à cause ou en faveur de la tutelle.
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Le respect du choix de vie de la personne protégée malgré la tutelle
Monsieur Jean Jacques GEOFFROY
Directeur du service des tutelles, La Roche-sur-Yon
Merci, Monsieur le Président. Je dirige un service de tutelles et un service d'insertion à la
sauvegarde en Vendée ; auparavant j'ai exercé des responsabilités dans un service de
protection de l'enfance et conduit une recherche-action sur la maltraitance et les violences
sexuelles en famille avec parution d'un ouvrage en 1995, pour vous dire que je suis assez
sensibilisé aux questions des maltraitances, maltraitance des enfants, des personnes âgées et
aussi des personnes handicapées.
D’une certaine façon, tout est dit dans le titre de mon intervention, notamment avec
l’expression « malgré la tutelle » !
Une mesure judiciaire peut-elle aller à l’encontre du respect du choix de vie d’une personne et
de ses libertés individuelles ? N’est-ce pas, à tout le moins, un paradoxe ?
Quelle est la finalité d’une mesure de tutelle au titre de la loi de janvier 1968 ?
I - L’esprit de la loi de 1968 - ses évolutions - les perspectives de reforme
Nous ne reviendrons pas sur l’intervention de ce matin de Monsieur FAVARD, mais
l’évolution des pratiques des services des tutelles est étroitement liée aux modifications de
scontextes dans lesquelles s’inscrivent ces mesures.
3 janvier 1968 : réforme du droit des incapables majeurs.
Article 488 : « Est néanmoins protégé par la loi, soit à l’occasion d’un acte particulier, soit
d’une manière continue, le majeur qu’une altération de ses facultés personnelles met dans
l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts. Peut pareillement être protégé, le majeur qui,
par sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté, s’expose à tomber dans le besoin ou
compromet l’exécution des ses obligations familiales ».
Les autres articles du Code Civil ne font que préciser les aménagements possibles de la
mesure en fonction de l’état de la personne à protéger et de la consistance de son patrimoine.
Enfin, l’article 496 précise que « l’époux est tuteur de son conjoint ». La mesure de tutelle, en
priorité, est déférée à la famille.
Cette loi qui entend préserver les intérêts de personnes déficitaires ou vulnérables révèle trois
principes essentiels :
Nécessité et subsidiarité de la mesure.
Individualisation de la mesure en s’appuyant principalement sur le rôle central
de sa famille.
Aucune disposition particulière quant à la protection de la personne pour sa vie
privée.
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Plus de trente ans après, beaucoup de changements, de bouleversements sont survenus dans
notre société. J’en retiendrai quatre qui me paraissent essentiels et qui expliquent, en grande
partie, les pratiques tutélaires d’aujourd’hui :
Les difficultés économiques et la montée de la précarité ayant des effets plus directs,
immédiats et profonds pour les personnes les plus vulnérables. Pour près de 75 % des mesures
en cours en 1999, les ressources disponibles se situent entre le R.M.I. et le S.M.I.C. 1
La famille en 2002 est sensiblement différente de celle de 1968 : familles monoparentales,
recomposées, « pacsées », etc… Beaucoup moins de familles élargies. Désertification des
campagnes, etc…
Les politiques d’extériorisation des secteurs psychiatriques
Entreprenant de lutter contre l’enfermement (abusif ?) et d’agir en milieu ouvert sur un
territoire, à condition que le malade soit demandeur.
Pour les autres, à domicile, qui ne demandent rien et qui souffrent de troubles psychiatriques,
quelles réponses leur apporter ?
Le vieillissement de la population
Nous vivons de plus en plus longtemps, mais nous ne conservons pas tous et pas
toujours, nos capacités.
En l’absence de proches bienveillants et capables (au plein sens juridique du terme)
nous sommes tous des majeurs à protéger en puissance …
Ces différentes évolutions ont eu inévitablement des répercussions sur la protection
juridique des majeurs :
Le nombre de mesures de tutelles a cru de façon considérable (+ 44 %) entre 1992 et
1999 2.
Les mesures de tutelles confiées aux services habilités se sont complexifiées : outre les
questions de gestions financières classiques, est apparu un ensemble de questions
(psychologiques ou psychiatriques, affectives et relationnelles, sociales, culturelles)
liées aux choix de vie de la personne protégée.
Impossible de ne pas rencontrer régulièrement les personnes protégées, d’échanger
avec elles, de passer du temps, de les accompagner dans certaines démarches, d’où la
nécessité de mener des actions d’accompagnement de proximité des personnes.
Une nécessaire clarification, simplification, et remise en ordre dans l’exercice des
mesures de tutelles, en rappelant notamment le principe de base de la mesure :
nécessité et subsidiarité.
1
2
Analyse sociologique - Didier AURIOL et Marion CARREL - UNAF, Réalités Familiales - 3ème trimestre 1999
Allocution du Garde des Sceaux lors des Assises Nationales de la Tutelle en décembre 1999.
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Toutefois, il est légitime de s’interroger sur la notion d’urgence de la réforme de la protection
juridique des majeurs quand on se rappelle que le premier rapport (réalisé par F.O.R.S.)
commandité par le Ministère du Travail et des Affaires Sociales est de mai 1997, le second
rapport (triple inspections : Inspection Générale des Affaires Sociales, Inspection générale des
finances, Inspection générale des services juridiques) est de juillet 1998, et enfin le rapport du
groupe de travail interministériel présidé par Monsieur FAVARD est d’avril 2000 …
Cinq ans d’études, de recherches, de consultations diverses, et pendant ce temps-là, les
services de tutelles ont continué d’œuvrer auprès des majeurs protégés …
II - Les pratiques des services de tutelles - Les questions qui se posent
En fonction des évolutions décrites précédemment, afin de pouvoir poursuivre leurs missions
en intégrant le profond décalage entre les besoins croissants des populations disposant de
mesures de tutelle et l’absence totale d’évolution de la législation et des financements
(l’augmentation des crédits de l’Etat a été totalement absorbée par l’augmentation du nombre
de mesures de tutelles), les services de tutelles se sont adaptés, et certains, il est vrai, ont eu
recours à des pratiques pour le moins contestables :
La pratique du compte pivot producteur d’intérêts non redistribués aux adultes dont les
ressources cumulées ont généré ces intérêts.
La pratique (avec parfois la complicité des magistrats) des doubles mesures
systématiques (t.p.s.a. + t.m.p.) pour des situations où la pertinence d’une action
éducative budgétaire était loin d’être démontrée, notamment pour des personnes vivant
en établissement.
La pratique des requêtes aux Juges, pour les adultes disposant d’un patrimoine,
sollicitant des financements sur les ressources de l’adulte sans toujours justifier
l’authenticité du temps passé…
D’une certaine manière, le fonctionnement du service et sa pérennité devenait prioritaire par
rapport aux besoins individuels des personnes protégées.
Si ces dérives ont existé, outre les questions bien réelles des financements des services, c’est
probablement aussi que la mesure de protection juridique était bien trop réduite à une mesure
de gestion des biens, dans sa seule dimension financière.
La première phrase de la première partie du rapport FAVARD (page 7) est la suivante : « Il
importe de placer la personne, avant même la sauvegarde de ses biens, au cœur de toute
évolution du dispositif de protection des majeurs ». En décembre 1999, Madame le Garde des
Sceaux déclarait : « La prise en compte de la personne doit se traduire par le respect de sa
volonté et de sa dignité ».
Exercer une mesure de tutelle auprès d’une personne âgée vivant à domicile ou en
établissement, c’est partir de sa situation personnelle, de ses choix, de ses croyances, de ses
désirs, chaque fois que c’est possible bien sûr en fonction de l’état et des capacités de la
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personne, et construire avec elle son projet de vie ou de fin de vie. La gestion financière n’est
plus une finalité, mais un outil au service des intérêts de la personne.
Même si la réforme de la protection juridique des majeurs s’avère indispensable et est
attendue depuis plusieurs années, elle ne réglera pas pour autant les pratiques des
professionnels qui interviennent auprès des personnes protégées.
A l’époque, des projets d’établissement ou de service, des projets personnalisés, de la
démarche qualité, voire de certification ISO, il n’existe quasiment plus aucun établissement ou
service qui n’affiche une volonté de respecter les choix de vie des personnes, leur dignité, et
finalement leur façon de vivre.
Mais qu’en est-il réellement sur le terrain ?
Je vous livre à présent notre expérience vendéenne.
III - Notre démarche de recherche-action en Vendée
Notre Service a été confronté aux mêmes questions que j’ai évoquées précédemment et nous
n’avons pas trouvé de recette miracle ! Chez nous, un délégué à la tutelle à plein temps
travaille 35 H par semaine et intervient auprès de soixante personnes protégées.
Impossible, dans ces conditions, de parler sérieusement d’accompagnement social. Et puis, un
délégué à la tutelle, doit-il et peut-il tout prendre en charge ? Sûrement pas, mais il doit tout
prendre en compte sinon son projet d’action ne sera que parcellaire.
Il y a maintenant près de deux ans, nous avons identifié deux types de situations qui
demeuraient très insatisfaisantes dans leur prise en charge car :
il nous fallait intervenir dans l’urgence,
les problèmes posés dépassaient nos champs de compétence,
la parole et les choix de la personne protégée étaient peu pris en compte.
Ces deux types de situations concernent :
Les adultes, présentant des troubles psychiatriques, pouvant adopter
comportements violents voire dangereux pour eux-mêmes ou pour des tiers.
des
Les personnes âgées vivant à domicile dans des conditions limites de sécurité,
d’hygiène et de soins et qui ne veulent pas quitter leur logement.
Nous étions confrontés entre le respect du choix de vie des personnes et l’obligation de porter
assistance à personne en danger. La question ne concernait pas uniquement notre service,
mais aussi les médecins, les forces de police et de gendarmerie, les services sociaux de
secteur, les services d’aide à domicile, les coordinations gérontologiques, les élus.
Pour confronter nos points de vue sur ces sujets délicats, nous nous sommes rapprochés des
deux autres Associations vendéennes gérant des services de tutelles : l’U.D.A.F. et l’A.P.A.J.H..
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Nos constats se rejoignaient point par point et nous avons décidé de nous unir à partir de
DEUX AXES FORTS guidant nos interventions :
La nécessité de faire participer directement la personne protégée aux décisions influant sur
ses choix de vie : hébergement, santé, relations familiales et sociales, loisirs.
Par exemple, une personne âgée vivant à domicile avec des ressources correctes, mais dont le
logement est rudimentaire, et qui manifeste clairement que ses conditions lui conviennent et
qui refuse des travaux d’amélioration, ce choix est respecté et …. expliqué à l’environnement
familial et social qui ne comprend pas vraiment à quoi sert une mesure de tutelle …
La nécessité de coordonner les acteurs médico-sociaux. Les actions des professionnels
sont beaucoup trop cloisonnées. En cas de situation difficile ou grave, chacun a tendance à
rejeter la responsabilité sur l’autre …
Notre ambition est de construire, dans notre département, un RESEAU DEPARTEMENTAL DE
(médecin, assistant social, coordination gérontologique, aide à
domicile, délégué à la tutelle) dans chaque bassin de vie afin d’anticiper les situations de
crises et de construire ensemble des réponses coordonnées avec la participation de la
personne concernée.
PERSONNES RESSOURCES
Avec le concours de l’Etat (D.D.A.S.S.), du département (D.S.F.), des municipalités, des
services de psychiatrie, des coordinations gérontologiques et des CLIC, des services d’aide à
domicile, nous avons créé deux comités de pilotage :
L’un concernant la problématique des personnes âgées
L’autre traitant de la question des adultes ayant des troubles mentaux.
Des Associations d’usagers (UNAFAM notamment) sont conviées à rejoindre ces comités de
pilotage.
Dans le même temps, en janvier 2002, les Présidents de nos trois Associations (A.P.A.J.H.,
U.D.A.F., SAUVEGARDE) ont signé une Charte Inter-Associative validant des orientations
communes quant à la prise en charge de personnes en difficulté ou vulnérables.
La construction d’un réseau d’intervenants opérationnels est une opération complexe et
difficile, qui nécessite du temps. L’année 2002 est consacrée à la mise à plat des pratiques
différenciées des différents professionnels. Il s’agit d’une phase de connaissance, puis de
reconnaissance, afin de pouvoir ensuite interroger et modifier certaines pratiques paraissant
peu adaptées.
L’année 2003 devrait nous permettre d’apporter des réponses concrètes et de construire un
réseau opérationnel pour début 2004.
Les bénéfices escomptés de cette approche en réseau de professionnels auprès de la personne
âgée sont multiples :
La participation directe de la personne protégée aux décisions de choix de vie permet
de mieux lutter contre certaines décisions arbitraires et privatives de liberté (ex. :
placement en établissement sans l’accord de la personne).
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La coordination des acteurs est une garantie de respect global du projet de la personne,
avec une mutualisation des compétences, en évitant les risques d’excès de pouvoir
d’un service.
La connaissance générale des besoins et des difficultés des personnes âgées, sur un
territoire est bien mieux appréhendée, ce qui facilite les réponses innovantes.
Face à des situations individuelles difficiles, l’intervenant (médical ou social) n’est
plus seul. Les risques de maltraitance par défaut, omission, méconnaissance,
s’éloignent.
Les professionnels enrichissent leurs connaissances et leurs pratiques au contact des
autres professionnels de disciplines différenciées.
Conclusion
Le législateur ne peut pas tout faire. A lui d’avancer dans la réforme de la protection juridique
des majeurs en fonction de l’évolution des questions sociétales. A nous, services de tutelles,
d’interroger nos pratiques, remettre en cause certaines actions, et faire une place à
l’innovation.
Quand elle est utilisée à bon escient, la mesure de tutelle est une mesure fort utile et efficace.
Pourtant elle est encore trop méconnue et peu valorisée. Alors qu’elle se trouve à la croisée du
juridique, de l’économique, du médical et du social, elle n’apparaît nulle part dans la loi sur
l’exclusion de 1998 et pas davantage dans la loi de janvier 2002 relative à la rénovation de
l’action sociale et médico-sociale.
Nous demeurons persuadés que l’amélioration des situations
implique que ces personnes soient beaucoup plus associées aux
personnelle, tout en coordonnant les actions des différents acteurs
que le travail médico-social progressera vers l’émergence d’une
empruntant probablement des voies nouvelles. Je vous remercie.
des personnes protégées
choix concernant leur vie
impliqués. C’est à ce prix,
compétence collective, en
Olivier RODAT
Merci, Monsieur GEOFFROY, d'avoir insisté sur ce lien, sur ces réseaux, sur ce travail
d'anticipation. Merci aussi d'avoir dit combien il fallait aussi que les partenaires se
rapprochent et se comprennent. Je pense que beaucoup de personnes ici présentes vont
rebondir sur votre propos. La table ronde est un peu machiste, Monsieur le Président
HUGONOT, et pour présenter la prochaine intervention il fallait votre autorité.
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Robert HUGONOT
Madame Maïté BUET qui va intervenir maintenant est, comme indiqué sur votre programme,
responsable d'un Point Emeraude à Paris ; je lui laisserai le soin de vous dire ce qu'est un
Point Emeraude. Mais je voudrais vous dire que c'est également une des chevilles ouvrières
de l'association ALMA Paris, constituée il y a peu de temps, dont la présidente, Madame
BEAUGRAND, est présente ici dans cette salle, ainsi que Monsieur DE PLINVAL qui en est
le trésorier. Il y a un instant, Monsieur DE PLINVAL m'a chargé de vous annoncer que le
lancement officiel d'ALMA Paris aura lieu à l'occasion d'une conférence publique de
démarrage que je donnerai moi-même sur le thème de la maltraitance, dans une salle de
l'Hôtel de Ville de Paris le jeudi 10 octobre prochain à 16 heures. Maintenant, nous laissons
Madame Maïté BUET vous parler du rôle du service social ; mais d'abord, dites-nous ce qu'est
un Point Emeraude.
Le Rôle du Service Social : Alerter, Accompagner, Protéger
Madame Maïté BUET
Responsable d'un service Social de Gérontologie – Paris XXème
Merci, Monsieur le Professeur, je vais essayer. Par contre, en ce qui concerne le Point Paris
Emeraude, pour ne pas trop amputer mon temps de parole, je le laisserai expliquer à Madame
DEBRET de la DASES, présente dans la salle, qui pourra beaucoup mieux que moi exprimer
ce qu'a été la volonté de la ville de Paris lorsqu'elle a souhaité créer les Points Paris
Emeraude. En deux mots, c'est un lieu où se trouve de l'information, où l'on a la possibilité
d'être orienté pour les personnes âgées et les familles, pour tout ce qui peut concerner les
problèmes liés au vieillissement, pour le meilleur vieillissement possible.
Mon propos aujourd'hui se situe dans le cadre d’un service social spécialisé d’un quartier
populaire de Paris dont la mission est de s’occuper des personnes âgées à domicile. Je
n’apporterai pas de recette, mais un témoignage de terrain avec ses pratiques, son
questionnement et ses éléments de réponse. Il faut beaucoup d’humilité quand on parle de
maltraitance car nous sommes le plus souvent sur fonds de détresse humaine.
Les travailleurs sociaux sont souvent confrontés à des situations de maltraitance soupçonnée
ou avérée soit par le biais de signalements émanant d’autres professionnels ou de l’entourage
de la personne âgée, soit qu’au cours d’un suivi, un événement ou un élément fasse surgir des
interrogations.
Avant d’imaginer un quelconque recours à la loi ou à la justice, il est nécessaire d’approfondir
la situation.
Nous savons qu’une maladie, un accident, le grand âge peuvent altérer les capacités physiques
et mentales d’une personne.
Une personne âgée est une personne adulte et elle ne bénéficie pas pour « raison d’âge » de la
protection légale mise en place pour les mineurs. Pourtant, souvent des personnes âgées très
affaiblies, malades ont une vulnérabilité qui nécessite une vigilance et une protection
particulière. L’assistance qui lui est apportée spontanément par ses proches ne suffit pas, et en
tout cas ne garantit pas de facto sa protection réelle.
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D’autre part, il arrive que cette personne refuse toute aide ne se rendant pas compte qu’elle en
a besoin et qu’elle se met en danger en la refusant.
Ce sont en fait la nature et l’éventuel cumul des incapacités à ne plus faire ou ne plus être, les
conséquences qui en découlent ainsi que le contexte dans lequel elle vit qui vont caractériser
sa vulnérabilité.
Sa faculté de détermination, de volonté est considérablement émoussée et de ce fait une
personne âgée peut se retrouver privée de ses droits, prise en « otage » plus ou moins
consciemment par des proches ou une structure.
D’autres fois, ce ne sont pas seulement ses droits qui sont bafoués car elle est réellement
maltraitée physiquement, psychologiquement, financièrement ou mal traitée, c’est à dire
négligée, insuffisamment ou mal soignée, son entourage prenant mal soin d’elle
volontairement ou non.
Comment nous arrivent les signalements de maltraitance, comment en avons-nous
connaissance ou comment détectons-nous des situations où les personnes sont
maltraitées, abusées et leurs droits mis à mal ?
- un membre de la fratrie , de la famille (mais attention aux jalousies, aux conflits…)
- un professionnel qui se rend compte qu’il se « passe quelque chose »
- le gardien, un voisin, un proche qui perçoit aussi « quelque chose »
- un(e) bénévole
prend contact avec nous, quelquefois anonymement, ne « voulant pas y être mêlé, mais quand
même il faut faire quelque chose… », et nous raconte avec plus ou moins de précision ce qui
paraît relever d’un abus, d’une maltraitance, d’une spoliation, ou d’une négligence, avec le
sentiment de se dégager en parlant de cette responsabilité de savoir.
Cela peut être aussi à l’occasion d’une demande de prestations ou d’une régularisation
administrative, pendant un entretien ou une visite à domicile qu’une évaluation ou le suivi va
mettre à jour des suspicions ou des manifestations de maltraitance.
Alors commence le plus souvent un travail de fourmi pour étayer, conforter ce qui a été
perçu, dans un contexte souvent d’ambivalence, de secret, de dissimulé, résultat quelquefois
d’une longue relation (familiale ou non) et nous n’avons pas toujours la participation ou le
consentement de la personne maltraitée. Ambivalence bien compréhensible et bien palpable
due à l’aspect affectif qui se mélange à la peur, à la méconnaissance des droits, à la
résignation et à la fatigue de la vie. Peut-être aussi, liée à une lucide résignation qui fera
penser à la personne âgée qu’elle ne sera pas crue, et que de toute façon elle n’en a plus pour
longtemps… Secret d’autant plus difficile à faire tomber que nous sommes dans la sphère
privée.
D’autre part, nous ne savons pas toujours quelle est la part fiable de ce qui nous est dit,
d’autant plus quand il y a altération des facultés cognitives, et nous savons très bien de quelle
fragilité sont de plus entachés ces dires.
Le travailleur social devra écouter, devra inciter la personne à parler, à se confier dans un
climat de confiance. Il faudra respecter le rythme de la personne âgée dans ses révélations ou
son absence de révélation.
58 / 92
Et pendant ce temps, quelquefois souffrir de la pression de l’entourage qui ne comprend pas
« comment on peut laisser quelqu’un comme ça ? ».
Il sera dur aussi de se rendre compte que quelle que soit sa souffrance, la personne âgée ne
dira rien, ne voudra pas dénoncer, ne voudra pas ou n’aura pas le courage d’engager
démarches et procédures envers le maltraitant, ou même faciliter un simple éloignement qui
nous paraît pourtant hautement salvateur.
Que faire ?
Notre approche professionnelle devrait nous mettre à l’abri de trop d’émotions et nous
permettre de respecter le choix du silence. Mais jusqu’où n’avons nous pas l’impression
d’être à notre corps défendant le complice du maltraitant ? surtout quand il nous semble voir
le regard implorant de la personne âgée qui paraît démentir ses paroles quand elle dit que tout
va bien…
Comment pouvons-nous et devons-nous lui imposer une dénonciation ou toute autre action ou
changement qui peut avoir, qui aura, physiquement, psychologiquement et/ou matériellement
des conséquences non négligeables et qui peuvent aussi être dramatiques ou vécues comme
telles ?
Comment préserver la liberté, le choix de vie de la personne âgée, alors que nous doutons de
sa capacité à bien les exercer ou à les faire respecter ?
Comment la protéger en préservant sa liberté, alors que la notion de protection l’entache peutêtre déjà ?
Mais le Code Pénal nous oblige aussi à faire savoir.
Comment faire ?
Avant d’aborder le recours à la Loi, qui a été brillamment développé par le Professeur
VERON ce matin, nous pouvons par le travail en concertation arriver à des solutions ou des
éléments de solutions.
Indépendant, le travailleur social n’est pas pour autant un solitaire et il sait depuis longtemps
que le partenariat n’est pas un vain mot.
Notre expérience montre que le travail en coordination, en partenariat ou en réseau conduit à
une meilleure connaissance les uns des autres, tant au niveau des personnes qu’à celui des
compétences, des contraintes et induit un respect et une confiance mutuels permettant
d’échanger non seulement sur cette problématique, mais aussi et surtout sur une situation
nominative et donc singulière concernant Mme X ou Mr Y dans son contexte particulier.
Ces contacts et ces échanges complètent le travail « d’investigation » engagé auprès et/ou
avec la personne âgée, car chaque partenaire – lorsqu’il existe – est un collecteur potentiel
d’informations et son approche professionnelle différente de celle des autres permet de
diversifier et de capitaliser toutes les données.
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La concertation en permettra une analyse et une évaluation partagées, que l’on peut imaginer
plus sûre.
Ce partage renforce la nécessité d’être bien formés sur nos métiers, d’être informés sur la
maltraitance et de savoir partager l’information.
S’il n’y a pas de partenaire, la situation peut nécessiter un suivi social. Cet accompagnement,
s’il est régulier, va naturellement instaurer une vigilance plus grande qui va quelquefois
suffire à « déranger » le maltraitant ou va instaurer une autre dynamique qui va faire diminuer
ou cesser les maltraitances ou négligences.
Notamment quand il s’agit de « maltraitants opportunistes » qui ne sont pas des maltraitants
dans l’âme mais qui peuvent être tentés de profiter d’un vieillard dépendant parce que c’est
facile, de « maltraitants épuisés » que la charge lourde de la dépendance d’un parent âgé
entraîne dans des moments d’agacement ou d’exaspération générateurs de mauvais soins ou
de « maltraitants cas sociaux » eux-mêmes en grande souffrance ou en colère, ou en
incapacité de comprendre les besoins de leur aîné et qui par méconnaissance et/ou
découragement les maltraitent.
Malheureusement, certains maltraitants sont des malades ou des délinquants qui agissent
sciemment en tirant des satisfactions psychologiques et/ou matérielles, et pour lesquels un
dispositif de vigilance ou de soulagement ne sera pas suffisant.
Les maltraitants peuvent être aussi des professionnels, le Docteur SERVADIO en parlera dans
quelques instants.
D’où le retour indispensable au recours nécessaire à la loi.
Nous avons à notre service la Constitution, le Code Civil, le Code Pénal, (code de la Sécurité
Sociale, le code de l'action sociale et des familles, le code de la Santé Publique), le Code de
Déontologie des Médecins, le Droit des Malades, le Code de la Consommation qui posent un
cadre et qui peuvent être utilisés, mais on sait qu’en France la justice n’est pas si accessible
que cela, d’autant plus quand on est affaibli…
Personnellement, et notre contexte local y est certainement pour beaucoup, je n’ai jamais
utilisé le signalement au procureur.
Par contre dans un grand nombre de cas, les maltraitances sont mêlées, et la maltraitance
financière n’en étant pas la moindre, une mesure de protection juridique a permis que le
maltraitant soit neutralisé ou écarté sans drame. Mais nous bénéficions d’une coordination
gérontologique depuis longtemps implantée, d’une association tutélaire spécialisée dans
l’accompagnement des personnes âgées et d’un juge disponible et à l’écoute.
Il est vrai que les situations complexes de l’ordre du pénal qui exige que des preuves soient
fournies impliquent des résolutions moins évidentes, plus lentes et plus aléatoires.
Le rôle du travailleur social, sans se transformer en policier ou en juge, sera d’accompagner la
personne âgée dans ce parcours de maltraitance, de la rassurer, de la guider à travers les
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textes, les démarches, les instances et les procédures en respectant ses choix et en veillant au
suivi des différentes actions entamées.
Son rôle sera aussi de se rapprocher de la famille, voire du maltraitant en proposant ou initiant
des aides (humaines, financières, psychologiques…) qui pourront faire évoluer la situation.
Nous devons aussi participer à l’effort d’information et de formation, à la diffusion d’une
meilleure connaissance du phénomène maltraitance, tant au niveau de nos partenaires que
d’un public plus large qui comprend les familles.
Mais avant de terminer mon propos, je voudrais évoquer une chose qui est pour moi
essentielle, le travailleur social doit aider la personne âgée à se faire entendre, à éviter qu’on
lui confisque sa parole ou qu’on l’occulte. L’entourage – proche ou professionnel (et nous en
sommes tous !) – a tellement tendance à parler à la place de et pour le bien de… Avec les plus
parfaites bonne foi et intentions…
Et sans vouloir banaliser la maltraitance et certaines violences faites aux personnes âgées
vulnérables, la première des bientraitances est d’écouter, de tenir compte des personnes âgées
dépendantes et de prendre soin d’elles, en le faisant nous-mêmes et en aidant les autres à le
faire. Je vous remercie.
Olivier RODAT
Madame, la chaleur des applaudissements montre que vous avez employé les mots justes. Je
voudrais rebondir sur ce que vous avez dit en rappelant l'ambiguïté de la situation, c'est
l'affection du bourreau et de la victime qui crée des difficultés et cette pudeur qui pose
éventuellement le droit, dont nous parlera Madame LAROQUE, d'être maltraité. Je pense qu'il
y aura beaucoup de questions sur votre intervention, Madame. Nous allons poursuivre avec
Monsieur le Colonel Christian PETIT, parce que la gendarmerie est un acteur de terrain
extrêmement important, qui collecte des informations, qui est un facteur d'apaisement et
comme vous le voyez, ce n'est pas le képi qui fait le militaire, et je crois que l'intervention de
Monsieur PETIT sur les actions conduites par la Gendarmerie Nationale au profit des
personnes âgées, c'est un voile que l'on ouvre et je ne pense pas qu'il ait été déjà ouvert devant
cette association.
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La gendarmerie nationale face à la maltraitance des personnes âgées :
Constat et perspectives d'action
Colonel Christian PETIT
Chef du bureau de la police administrative et de la circulation routière de la direction
générale de la gendarmerie nationale
Merci, Monsieur le Président, à la fois de votre invitation et de la présentation que vous venez
de faire. On peut être étonné dans cette enceinte de trouver un gendarme qui va parler de la
maltraitance des personnes âgées, effectivement ce n'est pas tout à fait notre compétence
première, même pas du tout. Il n'en demeure pas moins que nous intervenons, là aussi comme
vous tous, au profit de gens qui sont dans le besoin, dans le malheur.
La première question qui me vient à l’esprit est la suivante : qu’est-ce qu’une personne âgée?
Faut-il considérer l’âge de la retraite sachant qu’elle diffère selon les professions? Faut-il
considérer l’âge physiologique en sachant que de plus en plus de personnes vivent bien,
longtemps et en bonne santé et que l’on parle de 3ème voire de 4ème âge ? Faut-il considérer un
seuil par rapport à l’espérance de vie, qui recule d’année en année ? On constate que trouver
une juste définition est difficile. Qu’en est-il pour la gendarmerie ? Ce seuil pour la
gendarmerie est de 60 ans. C'est en effet cet âge qui est pris en compte depuis une trentaine
d’année en matière de statistiques de service.
En quoi cette catégorie de personnes se distingue-t-elle des autres ? Essentiellement par sa
vulnérabilité accrue que ce soit pour des raisons physique, matérielle, morale voire mentale.
Dès lors elle constitue une proie de choix pour les malfaiteurs, qui plus est dans une société
qui se caractérise par la montée de la violence et de la délinquance ainsi que par la baisse
corrélative de nombre de valeurs (respect, honnêteté, désintéressement, responsabilité,
famille, travail, solidarité, etc.).
Or notre société vieillit. Il paraît donc légitime de craindre, à moyen terme, un accroissement
du nombre de personnes âgées victimes. Qu’en est-il dans la réalité actuelle ?
C’est ce constat que je vais dresser pour ce qui concerne les zones où la gendarmerie exerce
seule les missions de paix et de sécurité publique avant de vous indiquer quelles sont les
actions qu’elle mène dans son secteur.
I. Constat
Le vieillissement de la population allié aux pertes de valeurs morales de la société
est une réalité susceptible d'entraîner à la hausse les situations de maltraitance des personnes
âgées. Cependant, si, sur un plan judiciaire, le nombre de victimes de plus de 60 ans est
important, leur proportion parmi les victimes est stable et inférieure à ce qu’elles représentent
dans la population nationale. Par ailleurs, les faits graves qui les concernent augmentent
beaucoup moins que pour le reste des Français.
.1. Un vieillissement inéluctable de la population
Selon les projections de l’INSEE, la croissance démographique française durant le prochain
demi-siècle (augmentation de 5 millions de personnes) s'accompagnera inéluctablement d'un
vieillissement de la population. En 2050 la France comptera 22,4 millions d'habitants de plus
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de 60 ans (soit 35% de la population totale) alors qu'au dernier recensement de 1999, cette
catégorie représentait 12 millions d’individus, soit 21% de la population.
Corrélativement, l'espérance de vie sera en constante augmentation. Pour 2000, elle est
estimée à 75,2 années pour les hommes et 82,7 pour les femmes. En 2035, toujours selon
l’INSEE, ces nombres seraient respectivement de 81,9 et 89 ans.
La gendarmerie nationale assure la surveillance de 95 % du territoire national au profit de
50 % de la population. Le nombre de personnes âgées vivant dans sa zone de compétence peut
être évalué à 6 millions en ce début de millénaire. Il est à craindre que le nombre de victimes,
parmi cette catégorie de population amenée à s’accroître, soit susceptible d’augmenter.
.2.
Les personnes âgées sont des victimes "idéales"
Le facteur essentiel de cette victimisation est "la faiblesse", qu’elle soit physique, morale,
psychologique voire matérielle.
Par ailleurs, dans tous les pays industrialisés, force est de constater que les personnes du
4e âge (au-delà de 75 ans) sont en constante augmentation (le nombre d'octogénaires a doublé
en France entre 1975 et 1999), et peuvent, grâce aux aides sociales ainsi qu'à l'assistance
médicale à domicile, espérer finir leur vie chez eux.
Cette double vulnérabilité, faiblesse et isolement durant certaines périodes de la journée,
favorise inévitablement les risques d'agression.
.3. L'action répressive de la gendarmerie est encadrée par les dispositions du code
pénal
Les actes de maltraitance des personnes âgées revêtent des aspects nombreux et révoltants :
violences physiques (coups, gifles, brûlures, etc.), psychologiques (insultes, menaces,
rétorsions diverses), financières (vols, extorsions de fonds ou de signatures, etc.),
médicamenteuses (abus de neuroleptiques ou privation de médicaments) et civiques (privation
des droits élémentaires du citoyen, séquestration de papiers d'identité, etc.) mais aussi
négligences actives (privation des aides indispensables à la vie quotidienne) et passives (oubli,
abandon, etc.). Cependant l'action répressive de la gendarmerie ne peut être mise en
mouvement que lorsque trois conditions sont réunies : ces actes doivent être dénoncés ou faire
l’objet d’une plainte, constituer une infraction prévue et réprimée par le code pénal et être
prouvables (preuves matérielles, témoignages, etc.).
Les principaux crimes et délits constatés par la gendarmerie sont les suivants:
Les homicides et les tentatives, souvent précédés d'actes de torture voire de viols, afin
d'obtenir des renseignements sur l’existence de biens matériels négociables (bijoux,
objets d’art, argent, etc.) ;
Les viols et les agressions sexuelles qui parfois précèdent le meurtre et accompagnent
les cambriolages ;
Les vols avec violence (vols à l'arraché, vols carte bancaire lors retrait au DAB,
cambriolages, etc.) ;
Les vols par ruse (recherche d’animaux, demande d'un service, visite d’un soit disant
ami de la famille, vente de produits divers, etc.) ;
Les vols par fausse qualité (artisans, policiers ou gendarmes, employés du gaz, de
l’électricité ou des télécommunications, profession médicale, etc.).
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.4. Bilan des victimes de plus de 60 ans et des affaires pénales graves depuis
deux ans
Les statistiques montrent une augmentation de 14 % des victimes de plus de 60 ans dans les
affaires pénales diligentées par les militaires de la gendarmerie entre 2000 et 2001 soit plus
que la hausse de la totalité des faits (+ 12,3 %). Il faut néanmoins remarquer qu’au regard de
leur représentativité dans la population nationale (21%), elles sont plutôt moins victimes que
les plus jeunes.
ANNEES
2000
2001
CRIMES ET DELITS CONSTATES
TOTAL
VICTIMES DE + 60 ANS
1.032.343
155.929
1.159.003 (+ 12,3 %)
177.810 (+ 14 %)
Proportion
15,49 %
15,34 %
En revanche, les principaux faits constatés par la gendarmerie et perpétrés au préjudice des
personnes âgées sont en augmentation de 10,9% entre 1999 et 2001.
Toutefois, en comparaison du total des faits constatés en zone gendarmerie, il y a lieu, là
encore, de ne pas dramatiser la situation. En effet, alors que les faits de délinquance graves
augmentent dans des proportions importantes entre 1999 et 2001 (de l’ordre de 36%), la part
des faits dont sont victimes les personnes âgées est en hausse beaucoup plus faible, la presque
totalité de celle-ci étant liée aux vols par fausse qualité. Par ailleurs, 75 % de ces faits sont
commis sans violence.
FAITS
Homicides et
tentatives
Agressions
sexuelles - viols
Vols avec violence
Vols par ruse
Vols par fausse
qualité
TOTAL
1999
2000
2001
Constatés/Total
70/610
Constatés/Total
57/759
Constatés/Total
60/833
Evolution
172/3577
159/4623
162/4912
-5,8%
711/7538
1.246/3856
1.274
693/8246
1.361/4696
1.491
724/10471
1.244/5043
1.660
+1,8%
-0,1%
+11,3%
3.473/16855
3.761/19815
3.850/22919
10,9%/36%
-14,3%
.5. Victimologie
Les auteurs :
Les malfaiteurs chevronnés se caractérisent par leur mobilité d'action sur le territoire
national et par la qualité de la préparation de leurs forfaits. Ils choisissent leurs
objectifs en fonction du gain à en attendre. Les faits sont commis soit avec violence,
soit avec emploi de subterfuges. Les auteurs sont bien souvent issus de minorités
ethniques non sédentarisées (MENS) ou appartiennent à des organisations provenant
des pays de l'Est, notamment de Roumanie ;
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Les malfaiteurs occasionnels (bien souvent des mineurs toxicomanes) opèrent dans
des secteurs géographiques restreints sur des objectifs ne présentant pas de risque. Ils
recherchent des gains limités mais faciles. La répétition de leurs actes criminels leur
procure des gains substantiels.
Les modes opératoires :
Vols commis avec violences au domicile des victimes : les auteurs agissent la nuit
encagoulés, gantés et armés. Ils pénètrent avec effraction dans les habitations pendant
le sommeil des occupants qu'ils ligotent, bâillonnent, violentent voire torturent ou
violent. Parfois, l'opération se solde par un meurtre ;
Vols commis avec violence sur la voie publique : la pratique la plus courante est le vol
à l'arraché ;
Vols par ruse : les stratagèmes utilisés par les malfaiteurs pour tromper les victimes
sont très variés (fausse vente - 58 % des faits constatés en 2001-, demande ou offre de
service - 12 % des faits constatés en 2001-, recherche d'un animal, présence de
parasites dans les matelas, échange d’argent avant le passage à l'euro, etc.) et leurs
méthodes changent continuellement. Les auteurs, y compris des femmes, opèrent le
plus souvent par trois, après un repérage préalable de l’environnement. L'un s'arrange
pour éloigner ou distraire la future victime pendant que l'autre fouille les pièces. Le
troisième reste dans un véhicule stationné à l'écart du domicile de la victime. Des
voies de fait sont parfois commises. Enfin, ces vols ont lieu principalement les jours
ouvrables entre 8 et 12 heures ;
Vols par fausse qualité : les professions les plus souvent imitées sont respectivement
les faux policiers (29% des faits constatés en 2001), les faux agents des eaux, d’EDF,
des télécoms (22,5 % des faits constatés en 2001), les faux artisans (19% des faits
constatés en 2001), les faux agents administratifs, les faux amis, etc. Les auteurs, entre
1 et 4, opèrent suivant un scénario bien préparé. Sauf à de rares exceptions, ils
n'exercent aucune violence, même en cas d'opposition de leurs victimes. Ils utilisent
soit leurs véhicules personnels sous une fausse immatriculation, soit des véhicules
volés. Ces vols sont commis généralement les jours ouvrables en milieu de semaine
(mardi, mercredi ou jeudi) et dans la tranche horaire 08-12 heures.
Les victimes :
Les femmes sont plus exposées que les hommes ;
Les actes de violence sont rares mais, lorsqu'il y en a, les conséquences corporelles
sont graves, surtout sur le plan physique, compte tenu de l'âge et de la fragilité des
victimes ;
Les actes d'autodéfense sont dangereux pour la victime car ils entraînent
inévitablement des réactions violentes de la part des auteurs ;
Les répercussions psychologiques chez la victime sont importantes. Le stress
provoqué par la soudaineté de l'acte et son intensité est parfois pathogène. Des
déséquilibres intellectuels, qui influaient encore peu sur les actes de la vie quotidienne,
peuvent s'aggraver et évoluer vers un état dépressif (angoisses, peurs, claustration,
etc.), voire démentiel. En outre, peuvent s'ajouter des difficultés financières et
sentimentales liées au préjudice ;
Il convient par ailleurs de ne pas négliger les conséquences sociales (culpabilisation de
la famille, dégradation des rapports au sein du couple ou de la famille qui se renvoie
les responsabilités, moqueries de la part du voisinage, etc.).
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Ce constat, un peu sombre il est vrai, mérite d’être tempéré à la fois par les données chiffrées,
qui relativisent l'étendue du phénomène, mais aussi par le fait que la gendarmerie, dans ses
zones de compétence, est loin d’être inactive. Dès qu’elle a connaissance d’un fait
infractionnel, elle déploie en effet ses moyens pour rechercher et appréhender les auteurs.
Mais l’effort qu’elle entend mener à moyen terme concerne le domaine de la prévention.
II. Les actions menées par la Gendarmerie
La gendarmerie, grâce à son maillage territorial (il existe 3558 brigades sur la base d’une
par canton) et à la polyvalence de ses personnels à la fois enquêteur, agent de renseignement
ou de prévention, médiateur parfois, maintient quotidiennement la sécurité publique. Elle
utilise pour cela ses modes d’action traditionnels, qui ont fait leurs preuves y compris à
l’égard des personnes âgées. Mais pour faire face à l’évolution de cette problématique elle
s’adapte en développant des actions coordonnées et concertées avec ses principaux
partenaires et en mettant en place des dispositifs de formation et d’information.
2.1 Les modes d’action traditionnels : la surveillance générale et le renseignement
Les personnels de la gendarmerie sont en contact quotidien avec la population lors des
multiples patrouilles qu’ils effectuent le jour comme la nuit. A cette occasion ils surveillent
leur circonscription et recueillent des renseignements sur des faits ou des comportements
anormaux. Bien sûr ils ne peuvent rendre visite à tous les habitants de leur zone d’action mais
ils en voient un certain nombre. Les personnes âgées en font partie plus particulièrement
lorsqu’elles se sont signalées à la brigade de gendarmerie pour porter plainte ou faire part de
faits anormaux.
Il faut également savoir que chaque brigade de gendarmerie assure une permanence de
l’accueil du public 24 heures sur 24. Même s’il est parfois difficile pour une personne âgée de
se déplacer, il ne faut pas hésiter à le faire quand elle l’estime nécessaire. Elle sera écoutée et
son problème pris en considération. A défaut, elle peut se faire représenter ou téléphoner si
elle est seule.
2.2 La coopération entre tous les acteurs du service public et les élus
Chaque année, les préfets en partenariat avec les magistrats du parquet et les forces de
sécurité établissent un plan départemental de sécurité qui dresse un bilan général de la sécurité
sur le département et détermine des priorités d'action. La problématique des personnes âgées
peut naturellement y être abordée si c'est le cas. Ces plans sont ensuite déclinés en plans
locaux au niveau des arrondissements.
Les conseils départementaux et locaux de prévention et de lutte contre la délinquance
constituent également des plates-formes idéales pour lutter contre la délinquance qui touche
les aînés. Ils associent non seulement les acteurs institutionnels mais aussi les élus, les
services sociaux et les associations intéressées par la prévention. Ils peuvent notamment
proposer aux pouvoirs publics les mesures jugées nécessaires et les moyens à mettre en
œuvre. Ils s’appuient en particulier sur les contrats locaux de sécurité, dispositifs qui visent,
sur un secteur géographique donné, à lutter contre toute forme de délinquance. Certains de ces
C.L.S prennent déjà en compte les personnes âgées (système d’accompagnement,
interventions régulières dans des foyers, etc.).
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Plus récemment le ministre de l’intérieur vient de décider la création de groupes
d’intervention régionaux, dont une des missions sera de lutter contre la criminalité organisée
et notamment les vols par ruse et les agressions à domicile contre les personnes âgées.
2.3 Les actions ciblées menées au profit des personnes âgées
2.3.1
L’information
L'information des victimes potentielles d'agressions est primordiale et peut prendre diverses
formes (reportages télévisés, spots publicitaires, diffusion de tracts, démarches d'information
dans les maisons de retraite ou à domicile, exposés dans les salles communales, etc.).
Il faut cependant veiller à ce qu’elle n’engendre pas, pour autant, une psychose ou une
dramatisation susceptible d'entretenir un climat d'insécurité et, qu'au contraire, elle permette
d'instaurer un climat de confiance et une participation active des personnes informées sur leur
propre sécurité. C’est pourquoi elle doit être menée par des professionnels. C'est ce que fait la
gendarmerie aux différents échelons.
Ainsi, les unités territoriales de la gendarmerie mènent des actions locales de prévention au
regard des affaires judiciaires. A titre d'exemple, le groupement de l'Aude en coopération avec
la police nationale a élaboré un guide sur la sécurité dont une des fiches concerne les
personnes âgées. On y trouve des conseils sur les comportements à adopter dans la rue ou les
mesures à prendre à son domicile.
La direction générale de la gendarmerie nationale adresse régulièrement des directives de
mise en garde aux unités eu égard à un problème particulier : agressions de personnes ou
démarchage à domicile, mise en place récente de l’euro. Ces directives préconisent
l’information sous toutes ses formes : directe, voie de presse, distribution de guides, etc.
Le service d'information et de relations publiques de la gendarmerie (SIRPA), en partenariat
avec EDF-GDF et Groupama-assurances, a réalisé "un guide conseils" à destination des
personnes âgées. Ce guide est disponible dans toutes les brigades territoriales. Il donne 15
conseils pour la sécurité autour de 4 thèmes : ne tentez pas les voleurs, limitez les risques,
identifiez vos visiteurs, rompez votre isolement.
Enfin, le service de productions audiovisuelles de la gendarmerie (SPAG) a réalisé et diffusé
dans toutes les unités, début mars 2002, une cassette vidéo ayant trait aux vols par fausse
qualité ou par ruse. Cette aide pédagogique de 17 minutes est un support permettant aux
militaires de la gendarmerie de mener des actions de sensibilisation auprès du public
concerné.
2.3.2 L’amélioration de l'information et de la formation des enquêteurs
sur cette problématique
Une cellule "personnes âgées - mineurs - atteintes aux mœurs" (PAMAM) a été créée en 1992
au sein du service technique de recherches judiciaires et de documentation (STRJD) de la
gendarmerie à Rosny-sous-Bois. Elle est à la disposition des enquêteurs. Elle traite et recoupe
les renseignements d’ordre judiciaire relatifs aux affaires dont sont victimes les personnes
âgées aux fins d'orienter l'enquête dans les plus brefs délais. A titre d'exemple, son travail a
permis en mars 2002 au groupement de l'Ille-et-Vilaine d'interpeller une équipe responsable
de plusieurs vols par ruse.
C’est cette cellule qui réalise les études relatives à la victimologie et aux modes opératoires
des malfaiteurs dont je vous ai donné les résultats tout à l’heure.
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Les difficultés des enquêteurs résident essentiellement dans le manque de fiabilité des
témoignages. L’auteur ressemble bien souvent au gendarme qui recueille l’audition. C’est
pourquoi ce service a constitué un album photographique des principaux auteurs de vols par
ruse ou fausse qualité, mis à la disposition des unités confrontées à ce type d’infraction. Elle
a également élaboré des fiches conseils destinées aux personnes âgées sur les conduites à tenir
pour leur propre sécurité, sur la voie publique, à leur domicile ou en cas d’agression.
Il existe également une cellule interministérielle de lutte contre la délinquance itinérante
(CILDI), constituée entre autres de militaires de la gendarmerie, qui suit le phénomène des
agressions de personnes âgées à leur domicile (APAG), notamment les vols commis par
fausse qualité, par ruse ou par violence. Elle constitue une passerelle entre tous les services de
police judiciaire.
Enfin, le centre national de formation de la police judiciaire (CNFPJ) qui a pour vocation de
former les enquêteurs de la gendarmerie (officiers et sous-officiers) a intégré dans son
programme d'instruction la problématique des personnes âgées. Si cette démarche est
concluante, il est envisagé de l'étendre à l'ensemble des écoles de formation des élèves sousofficiers.
Les éléments que je viens de vous livrer vous démontrent, si besoin était, que la gendarmerie
a, depuis longtemps, pris en compte dans son action quotidienne la problématique de la
maltraitance des personnes âgées dans les domaines qui sont de sa compétence, c’est-à-dire
essentiellement sous l’angle de la police judiciaire mais également sous l’angle de la
prévention.
Elle l’a un peu mieux ciblée depuis une dizaine d’années environ et fait actuellement un réel
effort dans le domaine de la prévention. A cet égard, il existe, dans chaque département, un
officier « prévention-partenariat » dont c’est le domaine d’action.
Il n’en demeure pas moins que la seule action de la gendarmerie ou des forces de police n’est
pas suffisante et qu’elle doit continuer, voire renforcer sa collaboration avec les autres
partenaires de la sécurité mais aussi et de plus en plus avec les élus, les associations, dont
ALMA. Enfin la collaboration la plus difficile à obtenir est souvent celle des citoyens
concernés au premier chef qui ne doivent pas hésiter à appeler la brigade de gendarmerie,
quand elles s’estiment en danger ou menacées ou pour leur faire part de leurs doutes sur le
comportement de certains individus.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.
Olivier RODAT
Merci, Colonel, je crois qu'il était important que nous ayons ce témoignage, parce que ce n'est
pas tous les jours que nous avons un discours pareil, mais merci de nous avoir donné des
recettes et des idées, merci de nous avoir montré la turpitude de certains, pour les
engagements à la Gendarmerie, vous verrez le Colonel, et puis, je crois que Monsieur
HUGONOT a une affection particulière pour les gendarmes, expliquez-nous.
Robert HUGONOT
Pas seulement parce que j'ai eu un grand-père qui était gendarme, mais simplement pour vous
dire que lorsque ALMA constate des délits du genre crimes, violences physiques sur des
personnes âgées, il est évident que l'on fait appel à la Gendarmerie d'une manière prioritaire.
Mais il faut que je vous dise aussi que si les victimes âgées apparaissent moins dans vos
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statistiques que les autres âges, cela me paraît parfaitement normal parce que ce que nous
révélons, avec les antennes ALMA, c'est que dans la grande majorité des cas les victimes
âgées souffrent en silence. Ce sont des violences invisibles que nous concourrons à rendre
visibles par notre action. Je ne vais pas développer davantage ce thème parce que cela serait
trop long, mais je voudrais répondre à votre appel en vous disant que nous aimerions vraiment
travailler davantage avec la gendarmerie, je vous demande, mon Colonel, de transmettre ce
message à vos supérieurs, car dès 1995, quand nous avons commencé ALMA et quand nous
avons commencé la formation des écoutants, des référents et d'autres personnes, nous avons
utilisé des films fabriqués par la Gendarmerie… du Québec ! Et ces films étaient excellents,
parce que justement ils montraient des personnes âgées expulsées par un logeur musclé ou des
violences au sein de la famille. Je voudrais également que l'on se rapproche de vous, pas
seulement pour vous demander peut-être que nous fassions ensembles des films d'éducation,
encore que ce soit une tâche que nous pourrions mener en association ; surtout en milieu rural
où vous êtes à vrai dire les seuls intervenants et où beaucoup d'antennes travaillent beaucoup
dès maintenant avec la Gendarmerie. Donc merci de votre intervention.
Olivier RODAT
Merci, Monsieur HUGONOT. Nous allons passer la parole au dernier intervenant, qui va
traiter de l'aspect clinique, le Docteur SERVADIO qui est médecin généraliste et qui va nous
apporter l'éclairage de cette profession face à une situation qui est difficile, qui est souvent
l'objet de déni de la part des médecins.
Le Médecin Praticien face à la suspicion de maltraitance
Docteur Albert SERVADIO
Médecin généraliste
Merci, Monsieur le Président.
La maltraitance envers la personne âgée est rarement constatée par le médecin praticien. Il
est le plus souvent sollicité pour des constats concernant la violence sur enfant ou celle
touchant la femme.
Dans le premier cas les symptômes se caractérisent par des troubles du comportement
(agressivité, anorexie), une cassure brutale dans l’activité scolaire de l’enfant, des
comportements régressifs(incontinences). Parfois les signes retrouvés sont des lésions
corporelles( hématomes, brûlures, etc.).
La violence envers les femmes se caractérise le plus souvent par des agressions physiques
voire des conduites de harcèlement.
Chez la personne âgée l’expression de la maltraitance peut prendre des aspects divers, elle est
rarement l’expression d’une agression physique.
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Quels sont les auteurs de maltraitance envers les personnes âgées à domicile ?
I. L’environnement proche:
On a l’habitude de faire un parallèle entre la personne isolée et la maltraitance.
Paradoxalement, la personne âgée maltraitée, n’est pas obligatoirement celle qui est isolée,
mais le plus souvent celle qui est entourée ou anormalement entourée.
Cet entourage se compose de différentes strates qui vont de la famille la plus proche (conjoint,
enfants) aux personnes qui les côtoient régulièrement ou occasionnellement.
La maltraitance familiale est la plus difficile à déceler car l’attitude de la personne âgée vis
à vis de sa famille est souvent une attitude de soumission, de silence et parfois même de
défense du groupe.
A domicile la maltraitance peut être la fait d’un individu isolé, d’un groupe d’individus
ou même d’une structure de prise en charge.
Cette maltraitance peut être soit inconsciente, soit volontaire et dans ces différentes situations
la personne âgée va subir sans pouvoir se défendre les conséquences de ces actes.
A / La famille:
1) Le conjoint peut avoir une attitude maltraitante.
Syndrome d’épuisement lors d’une prise en charge d’une maladie chronique.
Modification dans l’organisation relationnelle de la vie de couple, nécessité de
suspendre certaines activités de la part du conjoint.
Infantilisation et agressivité de la part du conjoint qui règle des problèmes anciens et
qui reprend le dessus dans l’équilibre du couple.
2) Les enfants:
Agressivité du fait de la nécessaire prise en charge de parent en difficulté.
Chantage affectif dans le but d’obtenir des largesses injustifiées.
Attitude de vengeance sur des situations refoulées remontant à l’enfance.
Agressivité en réaction à l’inacceptation de la notion de dépendance du parent.
Agressivité devant l’obligation légale d’aider financièrement le parent âgé.
Restriction financière d’emblée alors que la personne âgée peut encore gérer ses
besoins courants (suppression du chéquier, contrôle tatillon des dépenses en espèces).
3) Les petits-enfants:
Attitude de chantage affectif : les visites se font en fonction des chèques remis.
Comportement de spoliation surtout lorsqu’il s’agit d’individus dépendants de drogues
licites (alcool) ou illicites.
Abus d’hébergement de petits-enfants en difficulté sociale ou psychologique
(marginalité).
On peut étendre les mêmes items aux frères et sœurs de la personne âgée.
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4) La famille éloignée:
(Nièces, filleul, petite cousine, etc.) elle est souvent présente auprès de personnes âgées
isolées et aisées par contre souvent absentes lorsque les conditions financières de la personne
âgée sont insuffisantes.
C’est souvent une pression financière qui est rencontrée avec comme chantage la visite du
seul représentant familial.
5)La famille occasionnelle:
Demi-frère ou demi-sœur de découverte récente; famille recomposée qui apparaît lorsque la
personne âgée est aisée et isolée.
B / Les amis:
Souvent proches de la personne âgée, ils assurent une vigilance régulière dans la protection du
patrimoine dont ils espèrent être les légataires en cas d’absence de famille.
comportement de spoliation
ingérence dans la vie de la PA
C / Les relations de voisinage ou gardiennage :
Chantage financier à la présence ou à la garde de clefs pour une intervention en cas de
besoin la nuit.
Intrusion dans l’intimité de la personne âgée : ouverture des tiroirs, des armoires,
curiosité et questions injustifiées.
Création d’une dépendance relationnelle en faisant remarquer à la personne âgée
l’abandon par sa famille
Spoliation possible(signature abusive, procuration sur le compte bancaire).
II. L’environnement médico-social
L’environnement médico-social devient prépondérant dans la prise en charge de la PA du
fait :
de l’accroissement de la durée de vie de la PA
du désir de la PA de demeurer chez elle le plus longtemps possible
de l’insuffisance du nombre de structures d’accueil de PA
Cette situation de la PA entraîne la nécessité de l’intervention de nombreux professionnels
d’horizons différents et dont les règles de conduite et la formation sont très variables.
Toucher à l’intimité la plus profonde de la PA (toilette, soins divers) crée sur celle-ci un état
de dépendance affective accrue dont les intervenants pourraient très facilement profiter.
Les comportements de maltraitance peuvent revêtir différents aspects suivant la profession :
1) Médecin généraliste :
Pilier de la prise en charge de la PA à domicile peut être maltraitant par :
insuffisance de soins
déni de la souffrance de la PA
utilisation abusive de médications (tranquillisants, neuroleptiques)
infantilisation
non-respect des droits de la PA
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abus financiers
substitution à la famille
non-signalement d’une situation anormale
méconnaissance et ignorance des autres intervenants
2)Infirmière, kiné, orthophoniste, pédicure, etc……
non-exécution des actes prescrits par le médecin généraliste
négligence
langage ou actes brutaux
non-signalement d’une situation anormale
abus de faiblesse(spoliation)
attitude protectrice sur-évaluée entraînant une atteinte à la liberté
3)Les services sociaux
absence de diligence dans le suivi d’un signalement
non-prise en compte des besoins d’aide(mauvaise écoute)
4)Les services à la personne :
Ils intéressent le monde associatif mais aussi marginalement des structures commerciales.
+ Les associations prestataires :
Elles adressent à la personne âgée un salarié de l’association pour aider cette dernière dans
les actes de la vie courante.
Ces structures sont en grande partie financées par les organismes de retraite (CNAV, Caisses
de retraite complémentaires etc....) et en partie par la P A en fonction de ses revenus.
◊La maltraitance peut être en rapport avec la structure :
Absence de choix ; situation locale de monopole.
Mauvaise évaluation des besoins.
Envoi de l’aide en fonction des disponibilités des personnels de la structure(créneau
horaire non adapté aux besoins de la PA).
Absence ou insuffisance de compétence du salarié adressé à la PA.
Absence de contrôle et de suivi du salarié de l’association au domicile.
Absence de réévaluation des besoins de la PA en cours de perte d’autonomie.
Absence de prise en compte des désirs de la PA concernant le choix du salarié adressé.
Changements intempestifs du personnel parfois sans prévenance ce qui peut
perturber la PA ; cependant paradoxalement ces changements peuvent parfois être le
moyen de révéler la maltraitance exercée par le salarié remplacé.
◊La maltraitance peut être le fait de l’employé de maison :
Négligence dans la prise en charge
Abus de faiblesse(autoritarisme, agressivité, chantage, travail illicite moyennant
finance)
Infantilisation et irrespect(non-respect de la pudeur)
Spoliation et manipulation affective
Manque de discrétion concernant les conditions de vie de la PA
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+Associations mandataires :
Contrairement à l’association prestataire, les intervenants recrutés par l’association sont les
salariés de la personne âgée ,l’association mandataire assure le suivi administratif et la bonne
marche de la prise en charge.
Le personnel n’est pas forcément imposé à la PA qui en fait le choix.
◊La maltraitance peut être en rapport avec la structure :
Son incompétence : manque de formation des dirigeants et de ses salariés pouvant
créer des difficultés juridiques ou financières à la PA(contrats mal ou pas rédigés, non
information sur les éléments juridiques inhérents à la qualité d’employeur de la PA).
Absence ou mauvaise évaluation des besoins de la personne âgée dans un but captatif.
Incompétence ou insuffisance dans la procédure de recrutement du personnel adressé.
Absence de signalement de situations anormales de la PA aux autorités de protection
(famille, juge de tutelle, assistante sociale, procureur de la république).
Absence délibérée ou insuffisance d’écoute de la responsable de l’association.
Non-exécution des termes du contrat de mandat entre la personne âgée et
l’association.
Non-respect du silence imposé sur les conditions financières, psychologiques ou
familiales de la personne âgée.
III. L’environnement habituel :
Au-delà de l’environnement proche, il existe un environnement habituel, très important pour
les personnes âgées dont les comportements peuvent être abusifs :
1)Les commerçants :
abus de faiblesse (financier)
2)Les banquiers :
passivité devant un comportement anormal (retrait d’espèces inhabituel,
procuration à une personne étrangère)
conseils bancaires de placements non conformes à l’âge et à la situation de la
PA
3)Les notaires :
actes non-conformes à l’intérêt de la PA ou/et de sa famille
passivité devant des situations suspectes
non-respect de la déontologie
QUELS SONT LES SIGNES QUI PERMETTENT DE SUSPECTER UNE
MALTRAITANCE ENVERS LES PERSONNES AGEES A DOMICILE ?
1)Modifications de l’état de santé qui ne trouvent pas une explication :
phénomènes infectieux inhabituels
douleurs anormales
inefficacité brutale de traitements habituels
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troubles nutritionnels
troubles cutanés ( escarres, ulcères )
troubles de l’hydratation
appels fréquents à des structures médicales d’urgence
2)Modifications neuropsychologiques :
troubles de l’humeur (agressivité inexpliquée, apathie, syndrome dépressif)
troubles cognitifs d’apparition récente
troubles moteurs d’apparition récente sans systématisation
troubles du sommeil ou au contraire hypersomnie
syndrome dépressif d’apparition récente
syndrome confusionnel
attitude de retrait
3)Modifications physiques :
amaigrissement récent
comportement craintif avec réflexe de défense
négligence de l’hygiène corporelle
négligence vestimentaire
constat de lésions suspectes pouvant faire craindre des sévices physiques
4)Modifications comportementales :
refus de soins d’hygiène
attitude régressive avec incontinence inhabituelle
refus de la prise de traitement
refus de mobilisation
aggravation brutale de l’état de dépendance
attitude de terreur
En fait toute modification de l’état physique, psychique, comportemental, médical ou
environnemental d’une personne âgée à domicile justifie de la part du praticien une vigilance
particulière afin d’éliminer tout risque d’attitude maltraitante qu’elle soit volontaire ou
inconsciente, d’autant plus qu’il s’agit d’une personne âgée dépendante.
QUELLES DIFFICULTES POUR LE MEDECIN PRATICIEN ?
1) Difficultés dans la manière de gérer la situation :
non-sensibilisation du praticien à la gérontologie
non-sensibilisation du praticien à la maltraitance de la P.A
par ignorance des procédures d’alerte et de signalement
par ignorance des partenaires
par ignorance des textes judiciaires
difficulté d’accès aux soins médicaux et aux appareils et aux aides techniques
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2) Crainte du médecin praticien de ne plus être le lien entre la personne âgée et
l’extérieur :
Bien que conscient d’une suspicion de maltraitance il craint d’être exclu de l’environnement
de la P.A ce qui risque d’aggraver l’isolement de la personne âgée, le maltraitant volontaire
ou non éliminant tout témoin « perturbateur ».
3) Difficulté pour le médecin praticien d’avoir un contact direct avec la personne âgée en
l’absence de l’auteur de la maltraitance.
Cette situation ne permettant pas le recueil des souffrances émanant du dialogue avec la
personne âgée
CONCLUSION
Nous constatons donc que tout intervenant auprès de la PA ( individu ou structure) peut être à
l’origine d’une maltraitance :
Par attitude hostile.
Par attitude trop protectrice.
Par attitude de négligence.
La mise en évidence d’une maltraitance est parfois particulièrement mal aisée en raison :
Du niveau de dépendance de la PA et de son mode d’expression.
De ses revenus ; si ceux-ci sont insuffisants ou au contraire importants.
De l’absence de transparence de l’environnement familial.
De la crainte de la personne âgée de perdre le seul lien avec le monde
extérieur.
Comment alors mettre en évidence les cas de maltraitance et comment apporter les solutions
conduisant vers un risque sinon zéro, mais moindre de maltraitance des personnes âgées.
La solution passe par l’existence de structures :
1) Centre d’écoute et d’aide ALMA
Permettant de dénouer des situations particulièrement délicates :
Du fait d’une situation de neutralité par rapport à l’environnement de la
personne âgée,
Par la compétence des écoutants,
Par l’autorité de la structure en matière de compétences et de mobilisation des
personnes ou des structures ressources.
2) Réseau gérontologique médico-social
permettant :
Une prise en charge multiprofessionnelle avec une approche sous différents
angles et capable de fournir un faisceau de présomptions suffisant pour
coordonner une action de protection.
Une sensibilisation par la formation des différents professionnels à ce
problème permettant une prise de conscience individuelle à son comportement.
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Possibilité de créer un véritable « groupe Balint » de la maltraitance dans tous
ses aspects, créant l’éveil face à des situations à risque et permettre la
prévention.
Olivier RODAT
Merci, Monsieur SERVADIO. Merci d'avoir montré une chose qui est souvent ignorée, c'est
que le déni du monde médical par rapport à la violence des personnes âgées procède très
souvent d'une absence de formation. Aussi curieux que cela puisse paraître, l'enseignement de
la gérontologie dans les facultés de médecine date de 1997. donc comment voulez-vous
informer, alerter, sensibiliser les jeunes médecins et les étudiants en médecine à ce problèmelà, alors que cela ne fait que cinq ans que l'enseignement existe. Je sais qu'il y a eu des
précurseurs, je vois Monsieur BECK qui a beaucoup œuvré dans ce sens-là. La formation
pour la sensibilisation des soignants me paraît être une chose extrêmement importante.
Robert HUGONOT
J'aimerais dire un petit mot de complément. Je suis heureux que Monsieur SERVADIO ait
parlé comme il l'a fait, car il est quand même extrêmement curieux de voir que sur les 10.000
dossiers (fin 2000) complets et certifiés en quelque sorte dont nous disposons actuellement à
ALMA, il y a si peu de médecins qui ont opéré des signalements. A tel point qu'il y a deux ou
trois semaines, alors que je suis allé parler devant un certain nombre de représentants du
Conseil National de l'Ordre des Médecins, je me suis montré un peu agressif et leur ai
demandé pour commencer pourquoi les médecins sont aveugles, sourds et muets devant la
maltraitance des personnes âgées ? Il est certain que ce n'était pas très gentil pour le corps
médical qui était en face de moi et qui m'écoutait, mais on a développé et on continue à
développer ce propos en disant qu'évidemment le médecin va constater ce qu'il voit. S'il y a
des ecchymoses, s'il y a différents troubles sur le malade qu'ils vont examiner à domicile,
ceux qui lui ont été enseignés : il les voit. Mais il faudrait aussi de plus en plus que les
soignants, tous les soignants ; (le médecin n'étant qu'un soignant parmi d'autres, et il est bon
qu'il travaille avec tous les autres, en particulier ceux qui travaillent à domicile, je dirais que
l'aide ménagère est aussi une soignante, les personnels de service dans les centres hospitaliers
ou dans les maisons de retraite sont aussi des soignants, il s'agit là d'équipes soignantes)
transfèrent sur les personnes âgées les résultats d'une étude qui a été publiée au début de l'an
dernier par une équipe de gens qui savent ce que c'est que faire de la recherche, une équipe
qui a associé le CNRS, l'INED et des chercheurs de l'Université de Paris V. Ils ont fait cette
étude sur les femmes. Une de leurs conclusions, extrêmement frappante, qu'il faut inscrire en
lettres d'or dans nos neurones, c'est que "les violences verbales et psychologiques répétées
sont aussi destructrices que les violences physiques". Alors à partir de là, cela concerne aussi
les médecins et, il faut aussi le leur enseigner. Il faut aussi leur apprendre comment faire :
tout seuls il ne pourront pas, il faut donner à tous les médecins soignants le sens de la réunion
pluridisciplinaire avec tous les autres soignants pour qu'ils comprennent qu'ils ne sont pas
seuls à le faire. Il est évident que les médecins qui travaillent avec Monsieur SERVADIO
dans l'association qu'il anime, savent que c'est dans ce sens-là qu'il faut se diriger. J'espère que
cela se développera davantage. Nous allons d'ailleurs dans les mois à venir avoir davantage de
rencontres avec ceux qui s'occupent de la maltraitance envers d'autres catégories de la
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population. Nous avons déjà rencontré l'Office décentralisé de l'action sociale qui publie
chaque année les résultats des études, du recensement des maltraitances sur enfants. Les
enfants maltraités, les enfants en danger et ce qu'ils découvrent est également passionnant.
Mais il y a d'autres catégories, telles que les autres handicapés, ceux qui ne sont pas des
enfants dont s'occupe l'enfance maltraitée, ceux qui ne sont pas encore des vieux dont
s'occupe ALMA, donc ceux du milieu. Il n'y a pas de raison, à partir du moment où nous
dénonçons des violences familiales, dans ces climats délétères qui règnent dans une famille
sur cinq d'après certaines études suédoises. Nous devons servir de révélateur devant des
personnes qui souffrent en silence, ces violences invisibles, il faut les rendre visibles, et les
rendre visibles à tout le monde et pas seulement aux professionnels.
Olivier RODAT
Vous voyez que Monsieur HUGONOT, c'est notre conscience. Nous avons maintenant une
petite demi-heure devant nous après les six interventions de qualité pour peut-être dialoguer
avec la salle si un certain nombre de questions émergent concernant les différents points qui
ont été abordés. Alors comme toujours, la première question est difficile, et nous allons passer
à la deuxième !
Intervention d'une participante
Pour compléter un peu ce que j'ai dit ce matin, je voudrais dire au Professeur HUGONOT que
parfois la maltraitance morale ou psychologique est plus dure que la maltraitance physique.
Parce que la maltraitance physique, on la voit, alors que comme je le disais ce matin, une
personne âgée à laquelle on dit toujours "je n'ai pas le temps" et pour laquelle rien n'est fait,
n'ose rien dire, a l'impression que les gens sont là presque par pure bonté, c'est beaucoup plus
dur de lutter contre cela. Etant bénévole chez les Petits Frères des Pauvres, je vois souvent
cela. Et aussi la "camisole chimique" dans les maisons de retraite.
Olivier RODAT
Oui, et c'est vrai que pour rebondir sur ce que disait Monsieur SERVADIO, les stigmates
physiques de la maltraitance chez le sujet âgé ont toujours une explication médicale. Sa peau
s'est déchirée ? C'est normal, elle est fragile… Il tombe ? C'est normal, les vieux tombent… Il
a des ecchymoses ? C'est normal, il a un traitement anticoagulant… Alors il y a des tas
d'explications qui sont alimentées par la poly-pathologie et finalement on ne fait pas le pas en
considérant que le stigmate physique est un symptôme qui doit nous alerter. Il est vrai
qu'effectivement, par rapport à la violence psychique, à la négligence, celles-là ne laissent pas
de trace sur le corps. Mais l'âme, c'est important aussi.
Intervention d'une participante
Je voudrais prendre la parole sur quelque chose dont on n'a pas parlé ce matin, c'est le
problème des travailleurs professionnels qui n'osent pas signaler. Je travaille dans un
CODERPA et nous avons quelquefois des plaintes, presque anonymes, avec des photos qui
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sont vraiment épouvantables, on transmet à la DDASS, mais les gens ont peur de perdre leur
emploi, ou ont peur d'autres choses, or je pense qu'il faudrait qu'il y ait une loi pour mieux
protéger la personne qui signale. Je ne sais pas ce qu'ALMA compte faire, mais là, il y a
quelque chose d'important à faire.
Olivier RODAT
Monsieur HUGONOT, l'intervenante demande qu'ALMA protège les personnes qui
souhaitent informer les autorités des sujets qui sont maltraités. Effectivement, il y a une
réticence, une hésitation lorsqu'on est dans une situation professionnelle instable avec des
menaces, effectivement le silence est une façon de garder son emploi, surtout quand on est en
CDD et donc effectivement, il y a là cette complicité. Monsieur VERON l'a bien dit ce matin,
il y a effectivement un droit qui pèse encore plus fort sur les travailleurs sociaux par rapport
au monde médical et qu'évidemment, tant qu'il n'y a pas de plainte, tant qu'il n'y a pas de
connaissance, il n'y a pas de sanction. Mais vous avez devant vous, Madame, un magistrat qui
va répondre.
Brigitte LEFEBVRE
Je voulais simplement préciser qu'il y a une loi qui est très protectrice du personnel, aussi bien
à domicile qu'en institution, qui date de novembre 2001. Cette loi est passée et elle est très
protectrice. Il paraît qu'il y a également des dispositions dans la loi du 2 janvier, mais en tout
cas, la loi de novembre 2001 est très protectrice contre toutes sanctions de n'importe quelle
sorte qui pourraient être prises à l'encontre de personnes qui auraient signalé des mauvais
traitements.
Olivier RODAT
Madame, la personne qui est derrière vous souhaiterait connaître les références du texte.
Intervention d'une participante
Je peux vous dire que si je suis intervenue, c'est parce qu'on me l'a demandé. Les gens n'osent
pas signaler, donc que peut-on faire pour informer, pour savoir comment faire ?
Deuxième intervention, j'ai entendu parler d'une circulaire ou d'un décret, je ne sais pas, sur la
maltraitance qui serait sorti le 3 mai. Alors j'aimerais savoir s'il sera appliqué, où on peut se le
procurer, etc. On l'a par Internet, mais c'est tout.
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Robert HUGONOT
Il s'agit de la circulaire ministérielle, que Madame GUINCHARD-KUNSTLER a fait publier
le 3 mai effectivement, et qui est en fait une partie des conclusions de la commission dont le
Professeur DEBOUT, professeur de médecine légale à Saint-Etienne avait été chargé pour
s'occuper de la maltraitance ; un certain nombre de personnes qui sont ici ont d'ailleurs fait
partie de cette commission. Cette circulaire demande aux différentes autorités
départementales de bien vouloir se pencher sur le problème de la maltraitance des personnes
âgées en donnant comme référence le système de fonctionnement d'ALMA.
Intervention d'une participante
Je crois qu'ils demandent même un bilan, alors je voudrais savoir si cela va être appliqué, si
on peut demander à nos Conseils Généraux d'appliquer cette circulaire.
Robert HUGONOT
De toute façon, Madame, si vous ne savez pas non plus quoi faire, si certains ne savent pas
quoi faire devant tel ou tel cas de maltraitance suspectée, appelez l'antenne ALMA la plus
proche. Il y en a trente actuellement sur le plan national, il y en a beaucoup d'autres en
préparation, et selon les souhaits de la Direction Générale de l'Action Sociale, il devrait y en
avoir une dans chaque département, on nous l'a demandé pour 2005, ce sera peut-être 2006 ou
2007 parce que c'est extrêmement délicat à mettre en place : nous travaillons avec un
bénévolat presque exclusif, et toutes ces personnes doivent être formées, cela demande du
temps, il ne faut pas de précipitation, il ne faut pas de bousculade, il faut faire les choses bien
plutôt que de les faire rapidement et mal faites.
Intervention d'un participant
Monsieur le Professeur, je vous remercie d'avoir permis, pour un individu comme moi, d'être
présent parmi vous aujourd'hui. J'ai lu beaucoup de vos écrits sur la maltraitance à personnes
âgées, domaine dans lequel je me considère comme un novice. Mais est-ce que vous ne
pensez pas que le caractère invisible que vous mettez en exergue chaque fois n'est pas
simplement imputable au manque d'engagement des personnels soignants dans cette nouvelle
bataille qu'est la maltraitance à personnes âgées ou du moins la lutte contre la maltraitance à
personnes âgées ?
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Robert HUGONOT
Ecoutez, ce n'est pas seulement cela. D'abord les victimes elles-mêmes ne se plaignent pas,
c'est relativement rare qu'une personne âgée saisisse le téléphone et appelle ALMA. Sur
l'ensemble des appels que nous avions reçus en l'an 2000, il n'y avait que 10% d'appels de
personnes âgées. C'est un peu fluctuant, parce que si les journaux qu'elles reçoivent, par
exemple le journal Notre Temps ou quelques-autres, font un reportage sur la maltraitance en
donnant des numéros de téléphone, il y a une petite vague d'appels supplémentaires, mais
autrement elles ne se plaignent pas elles-mêmes, pourquoi ? Mais parce que ceux qui les
maltraitent à la maison, à domicile, là où elles vivent, ce sont leurs enfants, ou leurs petitsenfants. On ne va pas dénoncer son fils ou sa fille ou son petit-fils. Cela se passe en famille,
c'est tabou, c'est secret. Et même lorsque, étant bousculées, elles tombent et se cassent le col
du fémur, elles vont dire en arrivant à l'hôpital "j'ai glissé", c'est curieux comme les tapis,
chez les vieilles dames, glissent facilement ! Et d'ailleurs les médecins, jusqu'à ces derniers
temps, quand il s'agissait d'une fracture du col du fémur, ne donnaient comme explication que
la chute accidentelle ! Ce n'est qu'à partir de cette année dans le Corpus de gériatrie, parce que
l'on nous a demandé un papier à ce sujet, que vont apparaître parmi les causes de fracture du
col du fémur, "la fracture provoquée". Elle a été bousculée, elle est déjà tombée peut-être
cinquante fois, la cinquante et unième, elle se casse. Et quand elle rentre à l'hôpital, elle ne
dira pas "j'ai été bousculée", cela reste un tabou. Et on ne le saura peut-être que parce que
quelqu'un de la famille, va avouer "oui, c'est mon père qui, rentrant, après être passé par le
bistrot, bouscule un peu tout le monde dans la famille. Il bouscule ses enfants, il bât sa femme
et les vieux parents aussi avec". C'est le bourreau domestique qui a été décrit par certains. Les
Marseillais avaient à une époque ouvert un centre d'examen et d'accueil des "bourreaux
domestiques". Il s'agissait d'ailleurs uniquement d'hommes.
Intervention d'une participante
Je suis référente ALMA à Saint-Etienne, mais je voudrais quand même dire qu'il n'y a pas que
le silence des familles, il y a aussi le silence des politiques, de l'administration, et le silence
judiciaire qui nous permet d'avoir – nous sommes une des plus vieilles antennes – un certain
nombre de dossiers classés sans suite et sans réponse qui me restent sur l'estomac, excusezmoi de le dire, mais c'est quand même scandaleux.
Robert HUGONOT
C'est Germaine CHANUT qui vient de parler, qui a été la fondatrice d'ALMA Saint-Etienne
et qui est vice-présidente d'ALMA France.
Olivier RODAT
Il aurait fallu un homme politique à la table ronde, mais là on est en défaillance d'hommes
politiques.
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Robert HUGONOT
Nous avions invité Madame la Secrétaire d'Etat aux personnes âgées, elle nous a dit qu'elle
regrettait, mais qu'elle ne pouvait pas être avec nous.
Brigitte LEFEBVRE
Il n'y a plus de secrétaire d'Etat aux personnes âgées.
Olivier RODAT
Est-ce qu'il y a d'autres questions ? Non, et bien écoutez, nous allons laisser la parole à celle
que tout le monde attend, vous avez pu constater qu'elle s'était auto-maltraitée, vous
connaissez la flamboyance de son verbe, l'enthousiasme de sa parole, Madame Geneviève
LAROQUE, présidente de la Fondation Nationale de Gérontologie, c'est le paradigme, "doit-il
exister un droit spécifique pour les personnes âgées dépendantes ?".
Conclusion de la journée
Madame Geneviève LAROQUE
Présidente de la F.N.G.
J'ai entendu deux ou trois fois que nous serions tous, les retraités, des "majeurs à protéger" en
puissance. Cela m'a beaucoup intéressée et passablement traumatisée : je me suis dit que ce
raisonnement pouvait avoir une base démographique : l'augmentation du nombre et du
pourcentage de gens "plus âgés" que les autres dans la population. Que veut dire "plus âgé" ?
Notre ami gendarme nous a dit que c'était 60 ans et plus. Cela nous a remplis d'allégresse,
Bernard et moi qui faisons partie de cette catégorie de gens fragiles à protéger
immédiatement. On peut dire que moi qui suis provisoirement infirme, j'ai quelques besoins.
Cependant j'ai été très troublée parce que l'idée que nous sommes tous des "majeurs à protéger
en puissance" semblerait militer en faveur d'un droit particulier aux personnes âgées fragiles,
vulnérables ou dépendantes.
Je n'aime pas le mot de "dépendant" appliqué exclusivement aux personnes âgées car la
dépendance n'a rien de particulier dans la vieillesse, elle est liée à un certain nombre de
situations de handicap qui peuvent survenir à n'importe quel âge. Donc, serions-nous tous des
personnes âgées dépendantes à protéger (en puissance) parce que nous pouvons espérer vivre
plus vieux et que - cela se chantait autour de Bicêtre - c'est la "vieillesse et la caducité" qui
supposent que l'on soit protégé. Protégé contre ses propres sottises, protégé contre l'agression
d'autrui, protégé contre la maltraitance éventuelle, protégé contre l'air du temps, probablement
et s'il le faut, par un droit spécifique. J'ai lu des articles extrêmement sérieux sur le point de
savoir s'il était opportun de supprimer systématiquement le permis de conduire ou telle ou
telle possibilité d'action "à partir d'un certain âge". Je ne sais pas bien lequel, les avis sont très
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variés, de façon à protéger ces pauvres vieux (et la société tout entière) contre tous les
malheurs qui peuvent leur arriver. Alors, je n'ai pas interrogé en direct, mais j'ai relu et
réécouté les discours de mes amis gériatres et notamment Robert MOULIAS à côté de moi,
qui m'explique depuis plusieurs décennies - cela fait pas mal de temps que nous ramons sur le
même bateau - que la dépendance est liée à la maladie, aux séquelles de la maladie, à un
certain nombre d'affections ou d'accidents regrettables, dont certains sont curables et d'autres
pas, mais que ce n'est pas lié à la seule avance en âge, sauf, peut-être, chez les "très âgés" et
cette notion même bouge constamment.
J'ai entendu, pas plus tard que ce matin, quelqu'un rappeler qu'à 75 ans en l'an 2000, on
correspondait grossièrement à 60 ans en 1950 : peut-on espérer qu'en 2050, 85 ans
ressembleront à 70 ans en 2000 ? Les septuagénaires d'aujourd'hui sont rarement déjà
gravement impotents, sauf si très malades. Faut-il alors les protéger parce qu'âgés et avec des
dispositifs particuliers parce qu'âgés, ou se trouve-t-on devant une situation de faiblesse qui
touche effectivement plus fréquemment les gens plus âgés que les plus jeunes, mais qui
touche des malades chroniques, des personnes frappées d'incapacités d'origine et de nature
diverses et qui auraient à être protégées parce qu'elles ne correspondent pas à l'idéal de
"l'humanité par défaut" ?
Cette "humanité par défaut" (diraient les informaticiens) c'est un homme jeune d'environ
35eans, en bonne santé physique et mentale, de culture moyenne – ce n'est ni un intellectuel,
ni un analphabète ; c'est un urbain - pas un rural - c'est un "de souche", il ne vient pas
"d'ailleurs", ce n'est pas un vieux, ce n'est pas un gamin, ce n'est pas un nain (il y a en ce
moment même, un colloque des personnes de petite taille) ; ce n'est pas un géant, ce n'est ni
un malade ni un "handicapé" et, bien entendu, ce n'est pas une femme : la loi, les escaliers, le
mobilier urbain, tout cela est fait pour lui, il est "l'humanité par défaut" et pourtant, il est
TRES minoritaire. La loi doit-elle être faite pour lui et des lois d'exception pour chacune des
autres catégories ou la loi doit-elle être faite pour la majorité ?
Mais la majorité, c'est qui ?
Comment faire une réglementation protectrice du maximum de population de manière à
disposer d'une réglementation aussi égalitaire que possible ?
Mais si les textes sont totalement égalitaires, c'est-à-dire si nous prétendons que ceux qui sont
plus fragiles que la plupart des autres doivent être soumis à la même réglementation, parce
qu'il faut adapter la société à leur handicap (ce qui est souvent revendiqué et permet
d'humaniser la société) sans suffisamment essayer de compenser leur handicap, on risque de
se trouver dans une situation de négation, de déni du handicap, de déni de la fragilité, de déni
du besoin de protection, donc dans une situation de pire inégalité.
Nous avons donc besoin d'un droit protecteur des plus faibles.
La définition des "plus faibles" bouge, elle aussi. Pendant des siècles (sinon des millénaires)
les femmes ont été considérées comme faibles (peut-être aussi, paradoxalement, comme
dangereuses). Elles le sont encore dans certaines sociétés qui les protègent au point de ne plus
rien leur laisser faire hors de la sphère domestique stricte). Le droit du travail protège la
maternité (indispensable à la survie du groupe social). Les handicaps issus de déficiences
personnelles donnent lieu à des mesures de protection ou de compensation diverses dans notre
propre société.
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Les vieux ne sont plus apparemment indispensables à la survie du groupe social et n'ont donc
pas à être protégés à ce titre. Devraient-ils l'être par référence à la situation des personnes
handicapées ? nous répétons que la vieillesse n'est pas une maladie et les personnes âgées
récusent l'assimilation systématique au handicap. Cette vieille dame de 87 ans, rencontrée
l'autre jour, un peu boiteuse à la suite de fractures de la hanche, mais souriante, autonome et
joyeuse, heureuse de vivre, ne justifiait ni ne demandait protection. Peut-être, rendue infirme
par ses fractures, aurait-elle eu besoin d'aide matérielle, peut-être perdant son autonomie
mentale par une maladie aurait-elle eu besoin de protection juridique autant que l'aide au
quotidien, mais il est bien évident que ces besoins seraient nés de son état de santé déficient et
non d'abord de son âge.
Nous avons donc à regarder de près si ces protections des plus faibles doivent s'appliquer de
la même façon à ceux qui sont fragiles dans leur corps mais gardent leur capacité de choix et
de décision sans avoir, trop souvent, la possibilité d'exécuter ou de faire exécuter ces choix ou
ces décisions et à ceux qui, quelle que soit leur validité physique, perdent ou ont perdu leur
capacité de choisir et de décider. On se pose alors la question des protections particulières qui
n'est pas une question d'âge : l'âge n'a guère à voir dans l'affaire, sinon dans les statistiques .
J'ai beau affirmer que "Grandir c'est Vieillir et que Vieillir c'est Grandir", l'accumulation des
pertes subies au fil de l'avance en âge rend plus facilement vulnérable aux atteintes de la
maladie ou de l'accident.
Si nous voulons une société qui donne à chacun le maximum de chances, si nous voulons une
société à la fois égalitaire, solidaire et libre, nous avons sans doute besoin de dispositifs de
protection particulière et de dispositifs de discrimination positive. Pour développer ces
mesures d'égalisation des chances, de compensation par le droit et par la loi, il me semble
devoir le faire à partir de la situation de chacun et pas à partir de sa date de naissance. Si cette
réglementation est aussi égalitaire que possible, c'est-à-dire qu'à situation égale (comparable)
les droits ouverts sont les mêmes, cela peut permettre de mieux individualiser l'application,
l'utilisation de ces droits envers chacune des personnes en cause.
Il est certain que l'abord de telle personne fragile, vulnérable, qui a besoin d'aide est différent
selon ses déficiences et incapacités, certes, mais aussi selon sa culture, ses références, selon
son environnement, sa famille et qu'à partir de données plus ou moins "objectivables"
semblables, on aura peut-être à aménager des réponses très différentes compte tenu de ce tissu
qui forme la personne et lui permet d'entrer en relation avec les autres.
On retrouve ici l'importance de l'âge dans la réponse proposée à telle personne, l'âge
demeurant ainsi un paramètre important dans l'élaboration des réponses individuelles mais ne
devant pas constituer le critère essentiel de la discrimination.
Il est certain, aussi, que le regard que peuvent avoir les familles, les décideurs, les
intervenants, voire le législateur à l'égard de la prise en compte des divers critères d'évaluation
et, notamment, de l'âge, peut être lui-même infléchi par l'âge et par l'attitude de chacun à
l'égard du vieillissement en général et du sien propre en particulier. C'est pourquoi il est
souvent opportun que les groupes qui ont à traiter de la fragilité d'autrui soient transversaux
aux générations aussi bien qu'aux professions ou spécialités de tous ordres.
On retrouve alors, tout simplement, l'organisation et le fonctionnement d'une société
composée d'humains titulaires des mêmes droits – ceci est fondamental – mais totalement
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diversifiés par l'âge, le sexe, la culture, la fonction et toutes les particularités possibles.
Comment, au quotidien, résoudre ce paradoxe de la survie et du développement du groupe, de
cette société complexe et de la vie et du développement de chacun des membres, chacun
absolument unique, de ce groupe ? Peut-être par la recherche de définitions communes des
règles que chacun doit respecter pour pouvoir en bénéficier et qui laisse à chacun un espace
suffisant de liberté et d'autonomie par rapport à son groupe même.
Robert HUGONOT
Et bien, pour terminer, je vous remercie tout d'abord d'avoir été là, aussi assidus et aussi
nombreux. Nous continuerons, nous vous préviendrons.
L'an prochain il y aura une autre réunion bien entendu, elle se fera quelque part en province
puisque nous alternons Paris et province, je voudrais remercier le Professeur Olivier RODAT
qui a mené la direction de ces débats, tous les intervenants bien entendu, et tout
particulièrement Madame Françoise BUSBY, directrice d'ALMA France, secondée par
Christian COLLIN et Céline FAURE, c'est l'équipe d'ALMA France qui est toute petite
encore. Merci à tous et bon retour.
Merci
Rendez-vous à la 5 Journée d'Etude d'ALMA le 14 mai 2003 à Bordeaux.
Thème : les négligences sont-elles une violence ?
ème
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ANNEXES
Coordonnées des Centres d'écoute ALMA
Bibliographie
Extraits du code pénal
Extrait du code de l'action sociale et des familles
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Coordonnées des centres d'écoute ALMA
ALMA 01 (Ain)
04 74 23 49 45
BP 1025 - 01 009 Bourg en Bresse cedex 09
Mardi 13h30 – 17h
Jeudi 9h00 – 11h30
ALMALPES DE PROVENCE
BP 54 – 04202 Sisteron Cedex
04 92 61 54 01
Mercredi 9h-12h
Jeudi 14h-17h
ALMAZUR (Alpes Maritimes)
BP 81 - 06 404 Cannes cedex
04 93 68 58 09
Mardi et vendredi
9h - 11h30
ALMA AUBE
BP 22 - 10 001 Troyes cedex
03 25 41 52 52
Lundi 14h - 16h
Jeudi 9h30 - 11h30
ALMA 13 (Bouches du Rhône)
04 91 08 50 94
BP 53 - 13 191 Marseille cedex 20
Lundi 14h - 17h
Vendredi 9h - 12h
ALMA COTE D'OR
BP 42550 – 21025 Dijon Cedex
03 80 66 42 94
Vendredi 9h-11h30
ALMA CORREZE
BP 129 – 19104 Brive Cedex
05 55 17 20 20
Mardi 9h-11h
Jeudi 14h30-16h30
ALMA CANTAL
BP 522 - 15 005 Aurillac cedex
04 71 63 88 79
Lundi 13h30 - 16h
Vendredi 9h - 11h30
ALMA 29 (Finistère)
BP 46 603 - 29 266 Brest cedex
02 98 43 68 07
Mardi 9h30 - 11h30
ALMA GARD
BP 41094 – 30 000 Nîmes
04 66 36 02 86
Mardi et jeudi
14h30 - 16h30
ALMA GIRONDE
05 56 01 02 18
Mardi 9h - 12h
Vendredi 14h - 17h
ALMA HERAULT
04 67 04 28 50
Lundi 14h - 17h
Jeudi 9h - 12h
ALMA ISERE
04 76 84 06 05
Mercredi 9h30 - 12h30
Jeudi 13h30 -16h30
ALMA SAINT ETIENNE (Loire) 04 77 38 26 26
Mardi 9h - 12h
Jeudi 14h - 17h
ALMA LOIRET
02 38 53 86 44
BP 36205 – 45062 Orléans Cedex 2
Lundi 14h-17h
Jeudi 9h-12h
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ALMA REIMS (Marne)
BP 2089 - 51 073 Reims cedex
03 26 88 10 79
Lundi 14h - 17h
Jeudi 9h - 12h
ALMA LORRAINE 54 (Meurthe-Moselle) 03 83 32 12 34
BP 40 509 - 54 008 Nancy cedex
Lundi 14h - 17h
Jeudi 9h - 12h
ALMA MOSELLE 57
BP 34 001 - 57 040 Metz cedex 1
03 87 37 25 25
Mardi 14h30 - 16h30
Jeudi 9h30 - 11h30
ALMA LILLE (Nord)
BP 667 - 59 033 Lille cedex
03 20 57 17 27
Lundi 9h30 - 11h30
Jeudi 14h30 - 16h30
ALMA 65 (Hautes-Pyrénées)
BP 1336 – 65013 Tarbes Cedex 9
05 62 56 11 00
Lundi 14h30-16h30
Jeudi 9h30-11h30
ALMA BAS RHIN
BP 165 - 67 025 Strasbourg cedex
03 88 41 91 69
Mardi 14h30 - 17h
Vendredi 9h - 12h
ALMA HAUT RHIN
03 89 43 40 80
BP 2147 - 68 060 Mulhouse cedex
Mardi 14h – 17h
Vendredi 9h - 12h
RHONALMA (Rhône)
BP 3104 – 69 397 Lyon cedex 03
04 72 61 87 12
Lundi 14h - 17h
Jeudi 9h - 12h
ALMA 71
BP 171 – 71006 MACON Cedex
03-85-38-92-79
Vendredi 9h00 – 11h30
ALMA SARTHE
02 43 40 44 33
BP 21009 – 72001 Le Mans Cedex 1
Mardi 14h30 - 17h30
ALMA 81 (Tarn)
BP 20 - 81 000 Albi
05 63 43 69 92
Jeudi 9h - 12h
et 14h - 17h
VAUCLUS'ALMA (Vaucluse)
04 90 03 37 74
en cours
ALMA 87 (Haute Vienne)
BP 379 - 87 010 Limoges cedex
05 55 79 60 88
Lundi 9h - 11h
Jeudi 14h - 16h
AGE ALMA (Essonne)
BP 35 - 91 750 Champcueil
01 64 99 81 73
Lundi, mardi, jeudi
et vendredi 8h30 - 12h
ALMA REUNION (La Réunion) 02 62 41 53 48
Mardi 9h - 12h
et 13h - 16h
Alma Wallonie Bruxelles (Belgique) 00 32 081 420 150
Du lundi au vendredi
9h - 12h30
TAM (Italie)
Mardi 14h30 - 16h30
Jeudi 10h00 – 12h00
00 39 02 28 900 602
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BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
JOURNEE D'ETUDE DU 23 MAI 2002
I) Actes / Rapports / Mémoires
2002 "Prévenir la maltraitance envers les personnes âgées" – Rapport remis à Madame
Guinchard-Kunstler par le groupe de travail sous la présidence du Professeur Debout.
2001 "Vieux oui, … mais adulte" Actes du 8ème congrès de l'AFDHA (7 et 8 juin)
"Le vieillard devant ses juges" (p.21 à 47) Collectif
" Le vieillard majeur protégé" (p.63 à 79) Collectif.
2000 "Rapport définitif du groupe de travail interministériel sur le dispositif de protection
des majeurs" présidé par M. Favard (avril).
2000 "Les personnes âgées : une politique en mouvement" in échanges santé-social n°99.
Histoire du droit des personnes âgées – J.P. Comiti (p.76 à 82).
1999
"Vulnérabilité et droit au risque" Actes du 7ème congrès de l'AFDHA (10 et 11 juin)
Vulnérabilité et risque sur le plan juridique – Y. Samson (p.3 à 5).
Restriction des libertés à des fins d'assistante – Pr. M. Debout (p.25 à 28).
Vulnérabilité et droit au risque – Me G. Devers (p.101 à 111).
1998 "Approches de la violence" CREAI Provence Alpes Côte d'Azur et Corse (novembre).
1998 "Médiation et personnes vulnérables" Actes des 3èmes journées d'études du Conseil
biterrois pour l'accès au droit, sous la direction d'A. Fulleda – 154 pages.
1998
"La vieille dame et l'arnaque" Mémoire de Gérontologie sociale de M. Hennuyer
Les réponses juridiques face à l'abus de faiblesse (p.24 à 42).
1998 "Détresses cachées, vieux en danger" Actes du congrès de gérontologie (3 juin) à
Nantes
La commission de conciliation – N. Desmoulin (p.111 à 121).
1997 "La maltraitance des personnes âgées" Actes de la journée d'étude de l'UNASSAD
(11 février)
Aspects juridiques – Dr C. Jonas (p.59 à 65).
1977 "Maltraitance des personnes âgées Compte-rendu de la 9ème journée de gérontologie
(23 octobre) Société de la Mayenne
La loi au secours des personnes âgées maltraitées J. Bartholin (p.53 à 60).
1996 "Violence aux personnes âgées" Compte rendu de la journée d'étude (23 avril) de
l'office rémois des retraités et personnes âgées.
Aspects juridiques liés à la maltraitance – S. Dintroz (p.16 à 21).
1996 "La maltraitance des personnes âgées" Compte rendu de la journée d'action sociale
(10 avril).
Aspects juridiques – Mme Grasso (p.24 à 26).
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1996 "Personnes âgées victimes d'abus au sein de la famille" mémoire de DESS – E.
Olinger
Droit des personnes âgées victimes d'abus (p.29 à 33).
1995 "Quels droits pour les personnes âgées ?" Actes du congrès de l'AFDHA
(16 – 18 novembre).
Les intervenants professionnels et le secret médical : principes, règles et pratique
quotidienne – Dr J.P. Vignat (p.155 à 161).
II) Revues
2000
"Tutelle : La réforme consensus" in décideurs gérontologiques n°28 Collectif
(p.16 à 23).
1993 "La protection judiciaire de la personne âgée et le nouveau code pénal français" in
gérontologie et société n°64 – N. Delpérée.
III) Ouvrages
2001 "Risques, responsabilité, éthique dans les pratiques gérontologiques" – J.J. Amyot,
A Villez, Ed. Dunod 216 pages.
2001 "Les actions en justice et les associations" S. Bailly Ed. Associations mode d'emploi –
131 pages.
2001
"Guide pratique : l'accès au droit, l'accès au juge" sous la direction de A. Fulleda édité
par le Conseil biterrois pour l'accès au droit – 39 pages.
1999 "Vieillards martyrs, vieillards tirelires" sous la direction de Ch. De Saussure.
Les règles de droit comme outils de protection contre la maltraitance des personnes
âgées (réflexions à partir de l'expérience Suisse) – S. et S. Poitras (p.107 à 176).
2000
"La vieillesse maltraitée" Pr. R. Hugonot Ed. Dunod – 236 pages.
1998 "Droits de l'homme et pratiques soignantes" sous la direction d'E. Hirsch et
P. Ferlender – Doin éditeurs – APHP – 368 pages.
1998 "Tutelles et curatelles, régimes juridiques de la protection des majeurs" P. Calloch –
TSA Editions.
1996 "Les tutelles, protections juridique et sociale des enfants et des adultes" M. Bauer et
T. Fossier – ESF Editeur – 367 pages.
1995 "Droits et libertés des personnes âgées hébergées" G. Brami Ed. Berger Levrault –
206 pages.
1991 "La protection des droits et des libertés des citoyens âgés" N. Delpérée Ed. CNP
Assurances – 137 pages.
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ARTICLES EXTRAITS
DU CODE PENAL
Article 222-14
Les violences habituelles sur un mineur de quinze ans ou sur une personne dont la
particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience
physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur sont
punies de :
1. De trente ans de réclusion criminelle lorsqu'elles ont entraîné la mort de la victime ;
2. De vingt ans de réclusion criminelle lorsqu'elles ont entraîné une mutilation ou une
infirmité permanente ;
3. De dix ans d'emprisonnement de 150 000 € d'amende lorsqu'elles ont entraîné une
incapacité totale de travail pendant plus de huit jours ;
4. De cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende lorsqu'elles n'ont pas entraîné une
incapacité totale de travail pendant plus de huit jours.
Les deux premiers alinéas de l'article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux
cas prévus aux 1er et 2ème du présent article.
Article 434-3
Le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou
d'atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en
mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience
physique ou psychique ou d'un état de grossesse, de ne pas en informer les autorités
judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45000 euros
d'amende.
Sauf lorsque la loi en dispose autrement, sont exceptées des dispositions qui précèdent les
personnes astreintes au secret dans les conditions prévues par l'article 226-13.
Article 226-13
La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit
par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie
d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende.
Article 226-14
L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du
secret. En outre, il n'est pas applicable :
1° A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou
de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes sexuelles dont il a eu connaissance et qui ont été
infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en
raison de son âge ou de son état physique ou psychique ;
2° Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la
République les sévices qu'il a constatés dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de
présumer que des violences sexuelles de toute nature ont été commises.
Aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait du signalement de sévices par le
médecin aux autorités compétentes dans les conditions prévues au présent article.
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Article 314-1
L'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds,
des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu'elle a acceptés à charge de les
rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé.
L'abus de confiance est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 € d'amende.
Article 226-1
Est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende le fait, au moyen d'un procédé
quelconque, volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui :
1. En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles
prononcées à titre privé ou confidentiel ;
2. En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une
personne se trouvant dans un lieu privé.
Lorsque les actes mentionnés au présent article ont été accomplis au vu et au su des intéressés
sans qu'ils s'y soient opposés, alors qu'ils étaient en mesure de le faire, le consentement de
ceux-ci est présumé.
Article 226-2
Est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du
public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou
document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1.
Lorsque le délit prévu par l'alinéa précédent est commis par la voie de la presse écrite ou
audiovisuelle, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables
en ce qui concerne la détermination des personnes responsables.
Le délit d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de situation de faiblesse
Article 223-15-2
Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 375000 euros d'amende l'abus frauduleux de
l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur, soit d'une personne dont la
particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience
physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente et connue de son auteur, soit
d'une personne en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de
pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer son jugement, pour conduire ce
mineur ou cette personne à un acte ou à une abstention qui lui sont gravement préjudiciables.
Lorsque l'infraction est commise par le dirigeant de fait ou de droit d'un groupement qui
poursuit des activités ayant pour but ou pour effet de créer, de maintenir ou d'exploiter la
sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités, les peines
sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 750000 euros d'amende.
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ARTICLE EXTRAIT
DU CODE DE L'ACTION SOCIALE ET DES FAMILLES
Par une loi récente (Loi du 2 janvier 2002 n°2002-2) il a été inséré dans le code de l'action
sociale et des familles, un article ainsi rédigé :
Article L. 313-24
Dans les établissements et services mentionnés à l'article L. 312-1, le fait qu'un salarié ou un
agent a témoigné de mauvais traitements ou privations infligés à une personne accueillie ou
relaté de tels agissements ne peut être pris en considération pour décider de mesures
défavorables le concernant en matière d'embauche, de rémunération, de formation,
d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou
de renouvellement du contrat de travail, ou pour décider la résiliation du contrat de travail ou
une sanction disciplinaire.
En cas de licenciement, le juge peut prononcer la réintégration du salarié concerné si celui-ci
le demande.
Nota : Ces dispositions sont applicables aux salariés d'une personne ou d'un couple accueillant
(article L. 443-11)
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