Nouveau Code forestier en Côte d`Ivoire

Transcription

Nouveau Code forestier en Côte d`Ivoire
Nouveau Code forestier
en Côte d’Ivoire:
quelles implications pour les droits fonciers?
1
Introduction
Les forêts de Côte d’Ivoire disparaissent à un rythme alarmant. Aujourd’hui, les forêts
naturelles primaires ne représentent plus qu’un demi-million d’hectares et les parcs
naturels existants sont menacés par un abattage illégal de bois continu. Cette situation
est fortement liée à un autre problème majeur en Côte d’Ivoire : l’insécurité foncière des
communautés rurales.
La grande majorité des communautés rurales
ivoiriennes n’ont pas de droits de propriété officiels
sur les terres qu’elles occupent traditionnellement.
La procédure pour obtenir des titres de propriété
est très complexe et difficilement accessible. Cette
situation d’insécurité juridique et les difficultés à
résoudre la situation constituent une contrainte à la
gestion durable des forêts et à la préservation des
arbres sur le long terme.
En août 2014, la Côte d’Ivoire a promulgué un
nouveau Code forestier (Loi no. 2014-427 du 14
juillet 2014 portant Code Forestier), le précédent
datant des années 1960.
foncière et par là, la destruction des forêts. Enfin,
l’analyse présente une série de recommandations
sur la manière de résoudre ces faiblesses, en
insistant sur la promotion des «forêts des
communautés rurales» mentionnées dans le Code.
Cette analyse est adaptée d’une étude plus longue
sur le droit foncier rural et forestier en Côte
d’Ivoire, «Vers une remise à plat ? Bilan critique du
droit foncier rural et forestier en Côte d’Ivoire»,
disponible à l’adresse suivante: fern.org/fr/
remiseaplat.
Les textes d’application du nouveau Code seront
prochainement rédigés. Il est essentiel que ces
textes traitent le flou entourant la propriété
des terres et des arbres et qu’ils placent les
communautés au cœur de la gestion et de la
protection des forêts.
La présente analyse vise à alimenter le travail
de rédaction des textes d’application du Code
forestier. Après un bref aperçu de l’état des forêts
en Côte d’Ivoire, l’analyse résume le cadre juridique
relatif au foncier, en expliquant comment il est une
source d’insécurité pour les populations.
L’analyse examine ensuite les implications du
nouveau Code forestier sur les droits fonciers
des communautés, en identifiant les lacunes et
incohérences qui pourraient exacerber l’insécurité
2 | Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers?
2
État des forêts en Côte d’Ivoire
Les statistiques relatives au couvert forestier en Côte d’Ivoire varient, mais il en
ressort clairement que la superficie forestière a considérablement diminué depuis
l’indépendance, époque à laquelle le couvert représentait plus de 16 millions d’hectares.
Selon certaines sources, le couvert ne
représenterait plus que quatre millions d’hectares
aujourd’hui. Les forêts naturelles primaires ne
représentent plus qu’un demi-million d’hectares
L’arrivée de vagues de paysans à la recherche
de terres cultivables a mené à la destruction
de nombreux hectares de forêt dans les Aires
Protégées et les Forêts Classées.
Alors que la Côte d’Ivoire était l’un des principaux
exportateurs d’acajou vers l’Europe, les
exportations de bois rond (petites bûches) sont
désormais largement interdites et l’industrie des
produits forestiers est sur le déclin.
Dans ce contexte, la conservation a été définie
comme une priorité nationale dans les années 2000.
Depuis la fin de la guerre civile, la récupération des
pertes suscite un intérêt certain, et un nouveau
Code forestier a été promulgué en 2014.
La perte du couvert forestier s’est accentuée depuis
les crises successives en Côte d’Ivoire, notamment
dans les Forêts Classées.
Comme beaucoup
d’autre parcs
nationaux en Côte
d’Ivoire, le Parc
National du Banco à
Abidjan est menacé
par l’exploitation
illégale du bois.
Photo: Fern
Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? | 3
3
e lien entre la destruction des
L
forêts et l’insécurité foncière
Les données montrent que l’insécurité ou le manque de clarté autour des droits fonciers
provoque souvent une dégradation rapide des ressources naturelles.
Ashwini Chhatre et Arun Agrawal, deux experts
de renommée internationale sur la conservation
communautaire, sont arrivés à la conclusion
suivante à l’issue d’une analyse des forêts
communales dans dix pays: « Lorsque les utilisateurs
locaux perçoivent l’insécurité de leurs droits (car
le gouvernement central détient la propriété sur
les terres forestières), ils en retirent d’importantes
ressources pour leur subsistance et lorsque leurs
droits de propriété sont assurés, ils conservent la
biomasse et le carbone dans ces forêts.»1
Par contre, les forêts clairement possédées et
gérées par les communautés ont souvent des
meilleurs résultats, en termes de conservation, que
d’autres affectations des terres—même les aires
protégées.
Par exemple, au Brésil, le taux de déforestation
dans les forêts communautaires du pays était de
moins de 1 pourcent (0,6%), contre 7 % à l’extérieur
de ces derniers. En Bolivie, entre 2000 et 2010,
seul 0,5% de la forêt possédée juridiquement par
les communautés locales a été défrichée, comparé
à 3,2% de la forêt en Amazonie bolivienne—un taux
six fois plus élevé.2
En Tanzanie, les Réserves Forestières des Terres
Villageoises (Village Land Forest Reserves) sont
mieux conservées, depuis leur création en 1998,
que les aires protégées gérées par l’Etat.3
Au Niger, le renforcement des droits des
communautés dans la gestion des arbres sur leurs
terres a entraîné une restauration massive de la
couverture forestière du pays, à travers la plantation
de 200 millions d’arbres au cours des 30 dernières
années, ce qui a généré 900 millions de dollars
américains de bénéfices économiques annuels.4
Contrairement à ces pays, la grande majorité des
communautés ivoiriennes n’a pas, en pratique, de
droits juridiquement protégés sur les forêts.
À cela s’ajoutent les conflits graves et persistants
au niveau local entre autochtones, allochtones et
allogènes par rapport à la propriété des terres et
des arbres. Tout cela produit de fortes incitations à
une exploitation rapide et incontrôlée des forêts en
Côte d’Ivoire.
Des apiculteurs avec
le miel commercialisé,
produit dans la forêt
communautaire
de Nuevo Becal
(Mexique).
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4
L’insécurité foncière
en Côte d’Ivoire
Le foncier en Côte d’Ivoire est régi par la Loi relative au domaine foncier rural,
promulguée en 1998 et modifiée en 2004 (Loi n°98-750 du 23 décembre 1998 modifiée
par la loi du 28 juillet 2004). Cette loi détermine, entre autres, le statut des terres
coutumières et le processus pour les formaliser en titres de propriété. Un grand
nombre de terres rurales de Côte d’Ivoire sont toujours occupées par des communautés
sous régime coutumier. Selon la Loi relative au domaine foncier rural, les droits
coutumiers n’ont aucun statut juridique permanent s’ils n’ont pas été formellement
immatriculés (art. 4).
Si une communauté ou un individu veut immatriculer
et recevoir la protection juridique pour son droit
coutumier, deux étapes sont nécessaires. La
première étape est l’obtention d’un certificat foncier.
Les certificats fonciers sont délivrés à condition
que les droits coutumiers sur lesquels ils se fondent
aient eu un caractère paisible et continu (art. 8).
Les certificats peuvent être délivrés à des
individus, des entités juridiques, ou à des groupes
informels exerçants des droits collectifs sur les
terres (art. 9).
Le certificat foncier n’est pas un droit de propriété;
il s’agit seulement d’une base sur laquelle une
demande de titre de propriété (la deuxième étape)
peut être faite.
Une fois le certificat obtenu, son propriétaire
dispose d’un délai de trois ans pour le faire
immatriculer et donc transformer en titre foncier—
le vrai droit de propriété (art. 4).
La loi impose aussi une date limite finale pour
l’immatriculation des droits coutumiers en titres de
propriété, fixée plus récemment à 2023 (par la loi
n°2013-655 du 13 septembre 2013).
À partir de 2023, les terres coutumières qui
n’auront pas été immatriculées (certificats puis
titres de propriété) seront considérées comme
des «terres sans maîtres» et deviendront de facto
propriété de l’État (art. 6).
Les propriétaires coutumiers redeviendront de
simples occupants autorisés à rester sur un terrain
de l’État, en attendant que celui décide d’affecter
ses terres à d’autres besoins.
En transformant les droits fonciers coutumiers
en titres de propriété formels, on perd quelques
nuances importantes du foncier coutumier.
Contrairement aux certificats fonciers qui peuvent
aussi être détenus par des groupements informels,
seuls des individus ou des entités juridiques
peuvent détenir les titres de propriété.
Pour éviter cela, les communautés peuvent décider
de créer une entité juridique à laquelle elles
conféreront leurs droits partagés, mais il s’agit là
d’une option compliquée et peu accessible pour les
communautés.
Les titres de propriété effacent aussi certains
usages coutumiers-- telles que les pratiques de
chevauchement et les droits d’accès saisonniers
ou pour des produits spécifiques—ce qui risque
d’exclure des individus et causer des conflits.
Le processus d’immatriculation des droits
coutumiers est également assorti de problèmes
d’ordre plus pratique, ce qui signifie concrètement
que la grande majorité des terres coutumières en
Côte d’Ivoire ne sont pas immatriculées. Les coûts
de l’immatriculation imposés aux propriétaires
fonciers s’élèvent à plusieurs millions de francs CFA
qu’ils ne possèdent pas.
La multiplicité des procédures et des acteurs
concernés, les exigences de cartographie tout à fait
irréalistes et un soutien institutionnel inadéquat
font aussi partie des raisons pour lesquelles la
formalisation des droits fonciers en Côte d’Ivoire a
été quasiment nulle en pratique.
Moins d’un millier de certificats fonciers ont été
délivrés— et la durée de validité de la plupart de
Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? | 5
ces certificats est incertaine, dans la mesure où ils
expirent s’ils ne sont pas immatriculés dans les trois
ans.
De plus, la Loi relative au domaine foncier rural
ne saisit pas l’opportunité de promouvoir la
décentralisation de la gouvernance des terres à
l’échelle locale, ce qui est connu pour être plus
efficace en termes de réduction de coûts, résolution
des conflits locaux et protection des forêts—trois
objectifs importants pour la Côte d’Ivoire.
Des Comités Villageois de Gestion Foncière
Rurale (CVGFR) sont prévus par la Loi relative au
domaine foncier rural, mais ils ne semblent pas être
élus ou responsables auprès de l’ensemble de la
communauté ; ils ne sont pas non plus investis de
responsabilités importantes relatives au foncier.
des villages, ce qui est payé par l’État et non les
communautés et est donc plus accessible pour les
communautés que l’immatriculation des titres de
propriété.5
Néanmoins, puisqu’il s’agit d’un processus de
droit administratif et non de droit foncier, une
délimitation du territoire du village ne donne
pas lieu à un droit de propriété, ce qui laisse les
communautés dans un état d’insécurité perpétuelle
vis-à-vis de tiers.
Pour plus d’informations sur les causes de l’insécurité
foncière en Côte d’Ivoire et de recommandations sur
des réponses possibles,voir le rapport «Vers une
remise à plat? Bilan critique du droit foncier rural et
forestier en Côte d’Ivoire», disponible à fern.org/fr/
remiseaplat.
Le droit administratif ivoirien confie aux CVGFR
le processus de délimitation des territoires
5
Effets du Code forestier (2014) sur
les droits fonciers des communautés
La Côte d’Ivoire a adopté en 2014 un nouveau Code forestier, dont les incidences
sur le foncier sont multiples. Elles sont résumées dans l’encadré 1 ci-dessous.
Encadré 1.
Incidences du Code forestier (2014) sur les droits fonciers
1.La participation effective des populations locales
est l’un des objectifs de la loi, notamment «par la
prise en compte, en matière forestière, de leurs
droits individuels et collectifs qui découlent des
coutumes, de la loi portant Code Foncier Rural,
de la présente loi et par la vulgarisation de la
politique forestière.» (Article 2)
2.Seuls l’État, les collectivités territoriales, les
communautés rurales, les personnes physiques
et morales ivoiriennes sont admis à en être
propriétaires. (Article 19)
3.Les forêts privées (les forêts dont les personnes
physiques ou morales sont propriétaires ou
locataires) comprennent les forêts naturelles,
les plantations forestières et les forêts acquises
(Articles 36 et 37). Les propriétaires privés
exercent leur droit de propriété sur les produits
de toute nature de leur forêt, à l’exclusion des
produits miniers et des espèces de faune et
de flore protégées (Article 73). Ils bénéficient
également d’un droit de préemption en cas de
cession des droits sur les ressources naturelles
autres que les ressources forestières (Article 74).
4.Les forêts des communautés rurales appartenant
à une ou plusieurs communautés rurales
comprennent : les forêts naturelles situées
sur des terres sur lesquelles les communautés
6 | Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers?
rurales jouissent d’un droit de propriété ou de
droits coutumiers; les plantations forestières
qu’elles occupent en vertu de la coutume locale
ou d’un bail ; les forêts cédées aux communautés
rurales par l’État, les collectivités territoriales ou
les personnes physiques ou morales; et les forêts
qu’elles ont acquises. (Article 40)
5.Les communautés rurales, propriétaires de
forêts, exercent leur droit de propriété sur
les produits de toute nature, à l’exception des
produits miniers et des espèces de faune et de
flore sauvages protégées. (Article 77)
6.Les produits issus des forêts sur les terres
régulièrement concédées en vertu de la
législation foncière appartiennent à leurs
concessionnaires. (Article 20)
7. Les arbres situés soit dans un village, soit dans
son environnement immédiat, soit dans un
champ collectif ou individuel, sont la propriété
collective du village ou celle de la personne à
laquelle appartient le champ. (Article 21)
8.Ce dernier point est renforcé par l’article 32: “Les
produits forestiers non situés dans le domaine
forestier national, notamment les arbres hors
forêts, appartiennent aux personnes physiques
ou morales à qui la législation domaniale et
foncière reconnait un droit de propriété ou
de droits coutumiers sur la terre”. Ces arbres
peuvent être vendus par leur propriétaire (qu’il
s’agisse d’un village ou d’un individu) (Article 32).
9.Le domaine forestier classé comprend: les forêts
de protection, les forêts de production, les forêts
de récréation, les forêts d’expérimentation. Ceci
peut également inclure les forêts créées ou
maintenues en l’état pour la protection de l’eau,
des sols, ou autres. (Article 23-24)
10.Le domaine forestier protégé comprend : les
forêts non classées de l’État, les forêts privées
(sur les terres immatriculées et propriétés de
personnes physiques ou morales), et les forêts
situées sur des terres sans maîtres. (Article 27)
11.Les forêts du domaine rural qui n’ont pas fait
l’objet d’un acte de classement sont des forêts
protégées soumises à un régime juridique moins
restrictif sur les droits d’usage. (Article 28)
immatriculées, et les forêts protégées situées
sur des terres sans maîtres. Ceci comprend les
forêts protégées. (Article 29-31)
13.Les forêts reconstituées appartiennent
aux propriétaires concernés, mais les
concessionnaires forestiers qui ont réalisé les
opérations de mise en valeur bénéficient d’un
droit de préemption sur la propriété de la forêt.
(Article 38)
14.Toute forêt doit faire l’objet d’un enregistrement.
(Article 39)
15.Les droits d’usage forestier, définis comme accès
à un moyen de subsistance, ne s’étendent pas au
sous-sol, et ne s’appliquent pas aux forêts des
communautés rurales, aux forêts des personnes
physiques et aux forêts des personnes morales
de droit privé qui peuvent établir leurs propres
règles d’usage, ce qui comprend suspendre les
droits d’usage. (Article 43-44)
16.Les produits forestiers prélevés en vertu
des droits d’usage forestier ne donnent lieu
au paiement d’aucune taxe ou redevance à
l’Administration forestière. (Article 45)
17.Les droits d’usage forestier sont limités dans les
forêts classées. (Article 46)
18.Les forêts du domaine public de l’État des
collectivités territoriales sont affranchies de
tout droit d’usage portant sur le sol forestier. Les
défrichements y sont formellement interdits.
(Article 47)
19.Les forêts appartenant à des personnes
physiques ou morales de droit privé doivent
faire l’objet d’une plan d’aménagement forestier
simplifié, et les communautés rurales peuvent
élaborer des plans d’aménagement simplifiés, et
faire appel à l’administration forestière pour les
réaliser. (Article 72, 74, 75, 76)
20.Les forêts sacrées font l’objet de droits d’usage
forestier admis par les us et coutumes (Article
48 et 75). Lorsqu’elles sont enregistrées
elles peuvent bénéficier d’une assistance de
l’Administration forestière. Les gestionnaires
des forêts sacrées peuvent autoriser toute
organisation à protéger et gérer les forêts
(Article 78).
12.Le domaine forestier de l’État comprend
les forêts classées au nom de l’État, les
forêts protégées situées sur des terres non
Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? | 7
A. Points forts
Dans une certaine mesure, le nouveau Code forestier
semble réellement améliorer la sécurité et clarté des
droits des communautés aux terres et aux ressources
forestières, avec des effets positifs potentiels sur la
gestion durable des forêts.
rurales jouissent d’un droit de propriété
ou de droits coutumiers conformes à la
législation domaniale et foncière;
i.Transfert du droit de propriété sur les arbres
au propriétaire du terrain: Les articles 21 et 32
du nouveau Code forestier précisent que les
arbres appartiennent au propriétaire du terrain
sur lequel les arbres sont situés. Ceci abroge
la disposition de l’ancien Code forestier, selon
laquelle tous les arbres naturels appartenaient
à l’État. Les communautés ont maintenant, pour
la première fois, la possibilité de posséder les
arbres.
En outre, même la propriété coutumière des
terres est une base suffisante pour la propriété
des arbres:
Article 32: «Les produits forestiers non
situés dans le domaine forestier national,
notamment les arbres hors forêts,
appartiennent aux personnes physiques ou
morales à qui la législation domaniale et
foncière reconnaît un droit de propriété ou
des droits coutumiers sur la terre.»
Ceci permet l’accession à la propriété des
arbres d’un grand nombre de communautés
locales qui n’ont jamais immatriculé leurs terres
coutumières.
Cette réforme pourrait aussi avoir un effet
important sur la conservation des forêts.Sous
le régime de l’ancien Code forestier, le fait
de ne pas confier de droits sur les arbres aux
riverains a créé des fortes incitations à couper
les arbres aussi vite que possible, avant que le
gouvernement ne les vende à un concessionnaire.
Le changement apporté par le nouveau Code
forestier pourrait donc réduire l’abattage illégal
et inciter davantage à conserver les arbres sur le
long terme.
ii.Création des «forêts des communautés rurales»:
Le nouveau Code crée aussi une nouvelle
catégorie de «forêts des communautés rurales»:
Article 40: «Les forêts des communautés
rurales sont des forêts protégées
appartenant à une ou plusieurs
communautés rurales. Elles sont de
catégories suivantes:
-les forêts naturelles situées sur des terres
sur lesquelles les communautés
- Les plantations forestières créées sur
des terres immatriculées au nom des
communautés rurales ou sur des terres
occupées par celles-ci en vertu de la
coutume ou d’une bail… »
Premièrement, en disant que ces forêts
«appartiennent» aux communautés rurales
qui y détiennent des droits coutumiers, cette
disposition semble confier la propriété des
forêts aux communautés sur la base d’un droit
coutumier. Comme les droits sur les arbres,
ce droit coutumier est reconnu même s’il n’est
pas officiellement immatriculé. Ceci est un
changement très important, permettant la
propriété des terres coutumières pour la grande
majorité des communautés locales qui ne les ont
jamais immatriculées.
Deuxièmement, le Code forestier renforce la
reconnaissance des droits coutumiers en ne
recourant pas à la création d’une entité juridique
pour qu’une communauté soit reconnue comme
détentrice d’une forêt. Selon l’article 19 du
Code forestier, les communautés rurales sont
expressément mentionnées parmi les catégories
de propriétaires éligibles. Ceci lève un obstacle
important de la Loi relative au domaine foncier
rural, qui oblige les communautés de se
constituer en entité juridique pour recevoir un
titre de propriété.
Troisièmement, le fait que ces «forêts des
communautés rurales» soient une catégorie de
forêt protégée présente une possibilité très
intéressante pour l’implication des communautés
dans la conservation des forêts. L’expérience de
pays comme le Guatemala et le Mexique montre
que les forêts communautaires obtiennent
souvent de meilleurs résultats en matière de
conservation que les aires protégées de l’Etat
car les communautés ont une incitation directe à
les conserver. Ceci devrait être surtout le cas en
Côte d’Ivoire où plusieurs parcs nationaux sont
presque détruits à cause du sciage clandestin.
Le Code forestier offre donc la possibilité d’un
changement très important : la reconnaissance des
droits coutumiers des communautés rurales sur les
arbres et les forêts. Ce changement, s’il est réalisé,
aura un impact considérable non seulement pour
la sécurité des communautés mais aussi pour la
protection des forêts.
8 | Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers?
B. Points faibles
Néanmoins, il subsiste quelques lacunes et
incohérences importantes dans le Code forestier
qui doivent être clarifiées pour que les forêts soient
effectivement protégées par les communautés:
i.Dans les pratiques coutumières locales, la
propriété des arbres est souvent séparée de la
propriété des terres. Par exemple, les occupants
«autochtones» d’un terrain sont généralement
considérés par le droit coutumier comme ayant
conservé la propriété des terres, même s’ils ont
vendu ou transféré les arbres aux tiers.
Les planteurs des arbres considèrent
généralement aussi qu’ils possèdent les
arbres qu’ils ont plantés, même si les terres
appartiennent à quelqu’un d’autre. Le fait que
le Code forestier accorde automatiquement la
propriété des arbres au propriétaire du terrain
risque donc de créer ou exacerber des conflits
au niveau local. Les propriétaires coutumiers
des terres pourraient, par exemple, utiliser ces
dispositions du nouveau Code pour s’arroger
des droits sur des arbres plantés par des tiers
ou qui leur ont été transférés selon les règles
coutumières.
iii.L’effet de l’extinction des droits coutumiers
prévue pour 2023 par la Loi relative au
domaine foncier rural. Selon la Loi relative
au domaine foncier rural, en 2023, toutes les
terres coutumiers non-immatriculées seront
considérées comme des «terres sans maîtres»
et donc propriété de l’État.
Si l’histoire de l’immatriculation des droits
coutumiers en Côte d’Ivoire peut servir de
référence, tout porte à croire que dans huit ans,
la grande majorité des «forêts des communautés
rurales» et des droits coutumiers sur les arbres
reconnus par le Code forestier vont cesser
d’exister. Il est difficile d’imaginer une plus forte
incitation pour les détenteurs de ces droits
d’exploiter le plus rapidement possible ce qui
reste des forêts.
Qui plus est, la propriété des arbres plantés
constitue déjà une source de conflit au niveau
local, les planteurs et les propriétaires
coutumiers des terres étant souvent d’ethnies
différentes. Ces tensions furent d’ailleurs très
vives pendant la dernière crise qui secoua le
pays. Ce sujet devrait être traité avec la plus
grande attention lors de la rédaction des
nouveaux textes d’application.
ii. Incohérence de l’article 29 qui confie la
propriété des forêts non immatriculées à
l’État. D’une part, l’article 40 du Code forestier
prévoit que les communautés possèdent les
forêts protégées sur lesquelles elles réclament
un droit coutumier, même si ce droit n’est pas
immatriculé.
D’autre part, l’article 29 du Code forestier
stipule que l’État possède les forêts protégées
situées sur des terres non immatriculées ou sans
maître. Il n’est donc pas clairement énoncé si un
droit coutumier est suffisant pour permettre
le transfert de la propriété des forêts aux
communautés rurales et donc si la plupart de
communautés locales sont éligibles ou non.
Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? | 9
6
Recommandations
Malgré les avancées en termes de reconnaissance des droits des communautés,
le Code forestier dans sa version actuelle laisse les communautés et les forêts
ivoiriennes dans un état d’insécurité considérable.
Pirogue dans une forêt
près de Komambo,
Côte d’Ivoire. Les
programmes
de foresterie
communautaire
dans d’autres pays
ont démontré que
la conservation des
forêts est pleinement
réalisée lorsque la
propriété ainsi que la
responsabilité de la
gestion de celles-ci
sont confiées aux
communautés locales.
Photo : jbdodane/Flickr CC
En plus, le Code ne saisit pas clairement
l’opportunité d’impliquer les communautés dans
la protection des forêts, ce qui a si souvent
entraîné dans d’autres pays des résultats positifs
en termes de conservation et de développement
communautaire, ainsi que souligné plus haut.
Il semble important que les autorités forestières
interviennent en proposant des textes d’application
qui clarifient la propriété des communautés
sur leurs forêts et arbres coutumiers. Il serait
également souhaitable que le texte d’application
prévu par l’article 40 du Code forestier, sur «
les procédures de constitution des forêts des
communautés rurales », mette en place des
procédures encourageant la protection des forêts
par les communautés.
Une telle approche pourrait contribuer de manière
significative au renversement de la tendance
actuelle à la perte massive de forêts et à leur
conversion en terres agricoles.
Les recommandations suivantes sont donc
proposées aux rédacteurs des textes d’application
du nouveau Code forestier :
i.Les textes d’application devraient clarifier et
résoudre l’incohérence entre les articles 29
et 40 du Code forestier. Ils devraient préciser
que lorsqu’une forêt de communauté rurale est
déclarée, elle n’appartient pas à l’État et ne peut
pas être ni vendue ni louée aux tiers, même si
elle n’est pas immatriculée à travers un titre de
propriété formelle.
ii. Afin d’encourager la création de forêts des
communautés rurales, le texte d’application
y relatif devrait préciser la procédure selon
laquelle les villages peuvent identifier les
forêts situées sur leurs territoires dont ils
souhaitent conserver la propriété collective.
Ces zones pourraient inclure des terres
déboisées ou dégradées que le village veut
restaurer. Cette procédure d’identification
10 | Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers?
des forêts devrait être menée par le Comité
villageois de gestion foncière rurale (CVGFR),
et pourrait faire partie du processus de
délimitation du territoire d’un village dans le
droit administratif.
iii. La procédure de création d’une forêt de
communauté rurale devrait comprendre la
préparation par la communauté d’un plan de
gestion simple. Ce plan de gestion comprendrait
les éléments suivants : les objectifs à moyen et
à long terme de la forêt ; la manière dont elle
pourrait être utilisée ; les mesures que compte
prendre la communauté pour restaurer la zone
si nécessaire ; et un système selon lequel le
comité de gestion de la forêt rend directement
des comptes aux autres membres de la
communauté.
iv.Le texte d’application sur les forêts des
communautés rurales devrait créer une
catégorie d’associations forestières
communautaires, les dotant d’une personnalité
juridique, afin de permettre aux communautés
d’acquérir des pleins titres de propriété en
accord avec la Loi relative au domaine foncier
rural. La procédure à suivre pour la création
d’associations forestières communautaires doit
être aussi simple et peu coûteuse que possible.
v.La Loi relative au domaine foncier rural requiert
toujours un exercice coûteux de cartographie
pour immatriculer un titre de propriété. Tant
que ces exigences ne sont pas modifiées,
le texte d’application sur les forêts des
communautés rurales pourrait prévoir que les
communautés aient la possibilité de couvrir
les coûts de cartographie à travers un fonds
forestier financé par une partie de la Taxe
d’Intérêt Général (TIG) payée par les exploitants
forestiers.
comprennent des parcelles éparses ou de
petites tailles au sein du domaine rural. La
propriété pour les communautés contribuerait
à la protection de ces forêts. Le nouveau décret
établirait les conditions dans lesquelles la
communauté pourrait demander le transfert de
propriété, à l’issue de dix années d’excellents
résultats de conservation de la forêt
conformément à la réglementation et sous la
supervision de l’État. Les réserves forestières
gérées par les communautés créées de cette
manière devraient également bénéficier d’une
assistance programmatique et de financements.
vii.Il est essentiel d’aborder le problème résultant
du fait que le Code forestier confie la propriété
des arbres au propriétaire du terrain, bien que
dans la pratique coutumière locale, ils peuvent
appartenir à des personnes différentes.
L’article 21 du nouveau Code forestier précise
que le propriétaire d’un terrain peut transférer
ses arbres aux tiers et indique l’intention du
législateur d’émettre un décret à cet effet.
Il est utile ici de se référer au Code Civil qui
prévoit que tout propriétaire désirant obtenir
la propriété des arbres plantés sur son terrain
par un tiers, doit rembourser le planteur pour la
valeur de l’arbre (Article 548).
Les nouveaux textes d’application du Code
forestier devraient clarifier pleinement la
division des droits de propriété entre les
propriétaires des terres et les planteurs
des arbres ainsi que les exigences de
remboursement en cas de différends. Une telle
clarification pourra grandement contribuer
à la résolution des conflits fonciers entre les
propriétaires «autochtones» et les nouveaux
arrivants allogènes ou allochtones.
vi. Le texte d’application sur les forêts des
communautés rurales pourrait également
définir la manière dont une communauté
pourrait devenir le gestionnaire d’une forêt
située à proximité de son territoire, qui est
déjà classée dans le domaine de l’État. Cette
approche revêt une importance particulière
en Côte d’Ivoire lorsque les forêts classées
Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? | 11
www.fern.org
Bureau de Fern R.U.,
1C Fosseway Business Centre,
Stratford Road,
Moreton in Marsh,
GL56 9NQ,
Royaume-Uni
Bureau de Fern Belgique,
Rue d’Edimbourg, 26,
1050 Bruxelles,
Belgique
fern.org/fr/CodeforestierCI
Notes
1.Chhatre, A. & A. Agrawal, 2009,
Trade-offs and synergies between
carbon storage and livelihood
benefits from forest commons.
Proceedings of the National
Academy of Sciences of the USA,
106, 17667-17670, p. 17669, voir
également:
Alden
Wily, L., 2014, Communities
as Owner Conservators of
Protected Areas: Can It Work? An
Expert Opinion Submitted to the
African Court in the hearing of
Case 002/2012 in Addis Ababa,
novembre 2014
Rights and Resources Initiative,
septembre 2014, Recognizing
Indigenous and Community
Rights: Priority Steps to Advance
Development and Mitigate
Climate Change, Washington D.C.
C., R. Winterbottom, J.
2. Stevens,
Springer & K. Reytar, septembre
2014, Sécuriser les droits pour
lutter contre le changement
climatique, World Resources
Institute et Rights and Resources
Initiative, Washington D.C.
3.Treue et al., 2014, ‘Does
Participatory Forest Management
Promote Sustainable Forest
Utilization in Tanzania?’ 16(1)
International Forestry Review 2238; voir également Mbwambo et
al., 2012. Impact of decentralised
forest management on forest
reource conditions in Tanzania.
Forests, Trees and Livelihoods
21(2): 97­111.
4. Stevens, C., R. Winterbottom, J.
Springer & K. Reytar, septembre
2014, Sécuriser les droits pour
lutter contre le changement
climatique, World Resources
Institute et Rights and Resources
Initiative, Washington D.C.
5. Le procédure est défini par le
décret no. 2013-296 de 2 mai
2013.
Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire:
quelles implications pour les droits
fonciers?, Fern, octobre 2015, ISBN:
978-1-906607-60-9.
Cette analyse est adaptée d’une étude plus
longue de Dr Liz Alden Wily, «Vers une remise
à plat ? Bilan critique du droit foncier rural
et forestier en Côte d’Ivoire», publié par Fern
en mai 2015.
Fern souhaite remercier l’Union européenne
et le Département de développement
international du Royaume-Uni pour leur
soutien financier. Les points de vue
exprimés dans cette analyse ne sont pas
nécessairement partagés par ces bailleurs.