Nouveau Code forestier en Côte d`Ivoire
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Nouveau Code forestier en Côte d`Ivoire
Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? 1 Introduction Les forêts de Côte d’Ivoire disparaissent à un rythme alarmant. Aujourd’hui, les forêts naturelles primaires ne représentent plus qu’un demi-million d’hectares et les parcs naturels existants sont menacés par un abattage illégal de bois continu. Cette situation est fortement liée à un autre problème majeur en Côte d’Ivoire : l’insécurité foncière des communautés rurales. La grande majorité des communautés rurales ivoiriennes n’ont pas de droits de propriété officiels sur les terres qu’elles occupent traditionnellement. La procédure pour obtenir des titres de propriété est très complexe et difficilement accessible. Cette situation d’insécurité juridique et les difficultés à résoudre la situation constituent une contrainte à la gestion durable des forêts et à la préservation des arbres sur le long terme. En août 2014, la Côte d’Ivoire a promulgué un nouveau Code forestier (Loi no. 2014-427 du 14 juillet 2014 portant Code Forestier), le précédent datant des années 1960. foncière et par là, la destruction des forêts. Enfin, l’analyse présente une série de recommandations sur la manière de résoudre ces faiblesses, en insistant sur la promotion des «forêts des communautés rurales» mentionnées dans le Code. Cette analyse est adaptée d’une étude plus longue sur le droit foncier rural et forestier en Côte d’Ivoire, «Vers une remise à plat ? Bilan critique du droit foncier rural et forestier en Côte d’Ivoire», disponible à l’adresse suivante: fern.org/fr/ remiseaplat. Les textes d’application du nouveau Code seront prochainement rédigés. Il est essentiel que ces textes traitent le flou entourant la propriété des terres et des arbres et qu’ils placent les communautés au cœur de la gestion et de la protection des forêts. La présente analyse vise à alimenter le travail de rédaction des textes d’application du Code forestier. Après un bref aperçu de l’état des forêts en Côte d’Ivoire, l’analyse résume le cadre juridique relatif au foncier, en expliquant comment il est une source d’insécurité pour les populations. L’analyse examine ensuite les implications du nouveau Code forestier sur les droits fonciers des communautés, en identifiant les lacunes et incohérences qui pourraient exacerber l’insécurité 2 | Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? 2 État des forêts en Côte d’Ivoire Les statistiques relatives au couvert forestier en Côte d’Ivoire varient, mais il en ressort clairement que la superficie forestière a considérablement diminué depuis l’indépendance, époque à laquelle le couvert représentait plus de 16 millions d’hectares. Selon certaines sources, le couvert ne représenterait plus que quatre millions d’hectares aujourd’hui. Les forêts naturelles primaires ne représentent plus qu’un demi-million d’hectares L’arrivée de vagues de paysans à la recherche de terres cultivables a mené à la destruction de nombreux hectares de forêt dans les Aires Protégées et les Forêts Classées. Alors que la Côte d’Ivoire était l’un des principaux exportateurs d’acajou vers l’Europe, les exportations de bois rond (petites bûches) sont désormais largement interdites et l’industrie des produits forestiers est sur le déclin. Dans ce contexte, la conservation a été définie comme une priorité nationale dans les années 2000. Depuis la fin de la guerre civile, la récupération des pertes suscite un intérêt certain, et un nouveau Code forestier a été promulgué en 2014. La perte du couvert forestier s’est accentuée depuis les crises successives en Côte d’Ivoire, notamment dans les Forêts Classées. Comme beaucoup d’autre parcs nationaux en Côte d’Ivoire, le Parc National du Banco à Abidjan est menacé par l’exploitation illégale du bois. Photo: Fern Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? | 3 3 e lien entre la destruction des L forêts et l’insécurité foncière Les données montrent que l’insécurité ou le manque de clarté autour des droits fonciers provoque souvent une dégradation rapide des ressources naturelles. Ashwini Chhatre et Arun Agrawal, deux experts de renommée internationale sur la conservation communautaire, sont arrivés à la conclusion suivante à l’issue d’une analyse des forêts communales dans dix pays: « Lorsque les utilisateurs locaux perçoivent l’insécurité de leurs droits (car le gouvernement central détient la propriété sur les terres forestières), ils en retirent d’importantes ressources pour leur subsistance et lorsque leurs droits de propriété sont assurés, ils conservent la biomasse et le carbone dans ces forêts.»1 Par contre, les forêts clairement possédées et gérées par les communautés ont souvent des meilleurs résultats, en termes de conservation, que d’autres affectations des terres—même les aires protégées. Par exemple, au Brésil, le taux de déforestation dans les forêts communautaires du pays était de moins de 1 pourcent (0,6%), contre 7 % à l’extérieur de ces derniers. En Bolivie, entre 2000 et 2010, seul 0,5% de la forêt possédée juridiquement par les communautés locales a été défrichée, comparé à 3,2% de la forêt en Amazonie bolivienne—un taux six fois plus élevé.2 En Tanzanie, les Réserves Forestières des Terres Villageoises (Village Land Forest Reserves) sont mieux conservées, depuis leur création en 1998, que les aires protégées gérées par l’Etat.3 Au Niger, le renforcement des droits des communautés dans la gestion des arbres sur leurs terres a entraîné une restauration massive de la couverture forestière du pays, à travers la plantation de 200 millions d’arbres au cours des 30 dernières années, ce qui a généré 900 millions de dollars américains de bénéfices économiques annuels.4 Contrairement à ces pays, la grande majorité des communautés ivoiriennes n’a pas, en pratique, de droits juridiquement protégés sur les forêts. À cela s’ajoutent les conflits graves et persistants au niveau local entre autochtones, allochtones et allogènes par rapport à la propriété des terres et des arbres. Tout cela produit de fortes incitations à une exploitation rapide et incontrôlée des forêts en Côte d’Ivoire. Des apiculteurs avec le miel commercialisé, produit dans la forêt communautaire de Nuevo Becal (Mexique). 4 | Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? 4 L’insécurité foncière en Côte d’Ivoire Le foncier en Côte d’Ivoire est régi par la Loi relative au domaine foncier rural, promulguée en 1998 et modifiée en 2004 (Loi n°98-750 du 23 décembre 1998 modifiée par la loi du 28 juillet 2004). Cette loi détermine, entre autres, le statut des terres coutumières et le processus pour les formaliser en titres de propriété. Un grand nombre de terres rurales de Côte d’Ivoire sont toujours occupées par des communautés sous régime coutumier. Selon la Loi relative au domaine foncier rural, les droits coutumiers n’ont aucun statut juridique permanent s’ils n’ont pas été formellement immatriculés (art. 4). Si une communauté ou un individu veut immatriculer et recevoir la protection juridique pour son droit coutumier, deux étapes sont nécessaires. La première étape est l’obtention d’un certificat foncier. Les certificats fonciers sont délivrés à condition que les droits coutumiers sur lesquels ils se fondent aient eu un caractère paisible et continu (art. 8). Les certificats peuvent être délivrés à des individus, des entités juridiques, ou à des groupes informels exerçants des droits collectifs sur les terres (art. 9). Le certificat foncier n’est pas un droit de propriété; il s’agit seulement d’une base sur laquelle une demande de titre de propriété (la deuxième étape) peut être faite. Une fois le certificat obtenu, son propriétaire dispose d’un délai de trois ans pour le faire immatriculer et donc transformer en titre foncier— le vrai droit de propriété (art. 4). La loi impose aussi une date limite finale pour l’immatriculation des droits coutumiers en titres de propriété, fixée plus récemment à 2023 (par la loi n°2013-655 du 13 septembre 2013). À partir de 2023, les terres coutumières qui n’auront pas été immatriculées (certificats puis titres de propriété) seront considérées comme des «terres sans maîtres» et deviendront de facto propriété de l’État (art. 6). Les propriétaires coutumiers redeviendront de simples occupants autorisés à rester sur un terrain de l’État, en attendant que celui décide d’affecter ses terres à d’autres besoins. En transformant les droits fonciers coutumiers en titres de propriété formels, on perd quelques nuances importantes du foncier coutumier. Contrairement aux certificats fonciers qui peuvent aussi être détenus par des groupements informels, seuls des individus ou des entités juridiques peuvent détenir les titres de propriété. Pour éviter cela, les communautés peuvent décider de créer une entité juridique à laquelle elles conféreront leurs droits partagés, mais il s’agit là d’une option compliquée et peu accessible pour les communautés. Les titres de propriété effacent aussi certains usages coutumiers-- telles que les pratiques de chevauchement et les droits d’accès saisonniers ou pour des produits spécifiques—ce qui risque d’exclure des individus et causer des conflits. Le processus d’immatriculation des droits coutumiers est également assorti de problèmes d’ordre plus pratique, ce qui signifie concrètement que la grande majorité des terres coutumières en Côte d’Ivoire ne sont pas immatriculées. Les coûts de l’immatriculation imposés aux propriétaires fonciers s’élèvent à plusieurs millions de francs CFA qu’ils ne possèdent pas. La multiplicité des procédures et des acteurs concernés, les exigences de cartographie tout à fait irréalistes et un soutien institutionnel inadéquat font aussi partie des raisons pour lesquelles la formalisation des droits fonciers en Côte d’Ivoire a été quasiment nulle en pratique. Moins d’un millier de certificats fonciers ont été délivrés— et la durée de validité de la plupart de Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? | 5 ces certificats est incertaine, dans la mesure où ils expirent s’ils ne sont pas immatriculés dans les trois ans. De plus, la Loi relative au domaine foncier rural ne saisit pas l’opportunité de promouvoir la décentralisation de la gouvernance des terres à l’échelle locale, ce qui est connu pour être plus efficace en termes de réduction de coûts, résolution des conflits locaux et protection des forêts—trois objectifs importants pour la Côte d’Ivoire. Des Comités Villageois de Gestion Foncière Rurale (CVGFR) sont prévus par la Loi relative au domaine foncier rural, mais ils ne semblent pas être élus ou responsables auprès de l’ensemble de la communauté ; ils ne sont pas non plus investis de responsabilités importantes relatives au foncier. des villages, ce qui est payé par l’État et non les communautés et est donc plus accessible pour les communautés que l’immatriculation des titres de propriété.5 Néanmoins, puisqu’il s’agit d’un processus de droit administratif et non de droit foncier, une délimitation du territoire du village ne donne pas lieu à un droit de propriété, ce qui laisse les communautés dans un état d’insécurité perpétuelle vis-à-vis de tiers. Pour plus d’informations sur les causes de l’insécurité foncière en Côte d’Ivoire et de recommandations sur des réponses possibles,voir le rapport «Vers une remise à plat? Bilan critique du droit foncier rural et forestier en Côte d’Ivoire», disponible à fern.org/fr/ remiseaplat. Le droit administratif ivoirien confie aux CVGFR le processus de délimitation des territoires 5 Effets du Code forestier (2014) sur les droits fonciers des communautés La Côte d’Ivoire a adopté en 2014 un nouveau Code forestier, dont les incidences sur le foncier sont multiples. Elles sont résumées dans l’encadré 1 ci-dessous. Encadré 1. Incidences du Code forestier (2014) sur les droits fonciers 1.La participation effective des populations locales est l’un des objectifs de la loi, notamment «par la prise en compte, en matière forestière, de leurs droits individuels et collectifs qui découlent des coutumes, de la loi portant Code Foncier Rural, de la présente loi et par la vulgarisation de la politique forestière.» (Article 2) 2.Seuls l’État, les collectivités territoriales, les communautés rurales, les personnes physiques et morales ivoiriennes sont admis à en être propriétaires. (Article 19) 3.Les forêts privées (les forêts dont les personnes physiques ou morales sont propriétaires ou locataires) comprennent les forêts naturelles, les plantations forestières et les forêts acquises (Articles 36 et 37). Les propriétaires privés exercent leur droit de propriété sur les produits de toute nature de leur forêt, à l’exclusion des produits miniers et des espèces de faune et de flore protégées (Article 73). Ils bénéficient également d’un droit de préemption en cas de cession des droits sur les ressources naturelles autres que les ressources forestières (Article 74). 4.Les forêts des communautés rurales appartenant à une ou plusieurs communautés rurales comprennent : les forêts naturelles situées sur des terres sur lesquelles les communautés 6 | Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? rurales jouissent d’un droit de propriété ou de droits coutumiers; les plantations forestières qu’elles occupent en vertu de la coutume locale ou d’un bail ; les forêts cédées aux communautés rurales par l’État, les collectivités territoriales ou les personnes physiques ou morales; et les forêts qu’elles ont acquises. (Article 40) 5.Les communautés rurales, propriétaires de forêts, exercent leur droit de propriété sur les produits de toute nature, à l’exception des produits miniers et des espèces de faune et de flore sauvages protégées. (Article 77) 6.Les produits issus des forêts sur les terres régulièrement concédées en vertu de la législation foncière appartiennent à leurs concessionnaires. (Article 20) 7. Les arbres situés soit dans un village, soit dans son environnement immédiat, soit dans un champ collectif ou individuel, sont la propriété collective du village ou celle de la personne à laquelle appartient le champ. (Article 21) 8.Ce dernier point est renforcé par l’article 32: “Les produits forestiers non situés dans le domaine forestier national, notamment les arbres hors forêts, appartiennent aux personnes physiques ou morales à qui la législation domaniale et foncière reconnait un droit de propriété ou de droits coutumiers sur la terre”. Ces arbres peuvent être vendus par leur propriétaire (qu’il s’agisse d’un village ou d’un individu) (Article 32). 9.Le domaine forestier classé comprend: les forêts de protection, les forêts de production, les forêts de récréation, les forêts d’expérimentation. Ceci peut également inclure les forêts créées ou maintenues en l’état pour la protection de l’eau, des sols, ou autres. (Article 23-24) 10.Le domaine forestier protégé comprend : les forêts non classées de l’État, les forêts privées (sur les terres immatriculées et propriétés de personnes physiques ou morales), et les forêts situées sur des terres sans maîtres. (Article 27) 11.Les forêts du domaine rural qui n’ont pas fait l’objet d’un acte de classement sont des forêts protégées soumises à un régime juridique moins restrictif sur les droits d’usage. (Article 28) immatriculées, et les forêts protégées situées sur des terres sans maîtres. Ceci comprend les forêts protégées. (Article 29-31) 13.Les forêts reconstituées appartiennent aux propriétaires concernés, mais les concessionnaires forestiers qui ont réalisé les opérations de mise en valeur bénéficient d’un droit de préemption sur la propriété de la forêt. (Article 38) 14.Toute forêt doit faire l’objet d’un enregistrement. (Article 39) 15.Les droits d’usage forestier, définis comme accès à un moyen de subsistance, ne s’étendent pas au sous-sol, et ne s’appliquent pas aux forêts des communautés rurales, aux forêts des personnes physiques et aux forêts des personnes morales de droit privé qui peuvent établir leurs propres règles d’usage, ce qui comprend suspendre les droits d’usage. (Article 43-44) 16.Les produits forestiers prélevés en vertu des droits d’usage forestier ne donnent lieu au paiement d’aucune taxe ou redevance à l’Administration forestière. (Article 45) 17.Les droits d’usage forestier sont limités dans les forêts classées. (Article 46) 18.Les forêts du domaine public de l’État des collectivités territoriales sont affranchies de tout droit d’usage portant sur le sol forestier. Les défrichements y sont formellement interdits. (Article 47) 19.Les forêts appartenant à des personnes physiques ou morales de droit privé doivent faire l’objet d’une plan d’aménagement forestier simplifié, et les communautés rurales peuvent élaborer des plans d’aménagement simplifiés, et faire appel à l’administration forestière pour les réaliser. (Article 72, 74, 75, 76) 20.Les forêts sacrées font l’objet de droits d’usage forestier admis par les us et coutumes (Article 48 et 75). Lorsqu’elles sont enregistrées elles peuvent bénéficier d’une assistance de l’Administration forestière. Les gestionnaires des forêts sacrées peuvent autoriser toute organisation à protéger et gérer les forêts (Article 78). 12.Le domaine forestier de l’État comprend les forêts classées au nom de l’État, les forêts protégées situées sur des terres non Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? | 7 A. Points forts Dans une certaine mesure, le nouveau Code forestier semble réellement améliorer la sécurité et clarté des droits des communautés aux terres et aux ressources forestières, avec des effets positifs potentiels sur la gestion durable des forêts. rurales jouissent d’un droit de propriété ou de droits coutumiers conformes à la législation domaniale et foncière; i.Transfert du droit de propriété sur les arbres au propriétaire du terrain: Les articles 21 et 32 du nouveau Code forestier précisent que les arbres appartiennent au propriétaire du terrain sur lequel les arbres sont situés. Ceci abroge la disposition de l’ancien Code forestier, selon laquelle tous les arbres naturels appartenaient à l’État. Les communautés ont maintenant, pour la première fois, la possibilité de posséder les arbres. En outre, même la propriété coutumière des terres est une base suffisante pour la propriété des arbres: Article 32: «Les produits forestiers non situés dans le domaine forestier national, notamment les arbres hors forêts, appartiennent aux personnes physiques ou morales à qui la législation domaniale et foncière reconnaît un droit de propriété ou des droits coutumiers sur la terre.» Ceci permet l’accession à la propriété des arbres d’un grand nombre de communautés locales qui n’ont jamais immatriculé leurs terres coutumières. Cette réforme pourrait aussi avoir un effet important sur la conservation des forêts.Sous le régime de l’ancien Code forestier, le fait de ne pas confier de droits sur les arbres aux riverains a créé des fortes incitations à couper les arbres aussi vite que possible, avant que le gouvernement ne les vende à un concessionnaire. Le changement apporté par le nouveau Code forestier pourrait donc réduire l’abattage illégal et inciter davantage à conserver les arbres sur le long terme. ii.Création des «forêts des communautés rurales»: Le nouveau Code crée aussi une nouvelle catégorie de «forêts des communautés rurales»: Article 40: «Les forêts des communautés rurales sont des forêts protégées appartenant à une ou plusieurs communautés rurales. Elles sont de catégories suivantes: -les forêts naturelles situées sur des terres sur lesquelles les communautés - Les plantations forestières créées sur des terres immatriculées au nom des communautés rurales ou sur des terres occupées par celles-ci en vertu de la coutume ou d’une bail… » Premièrement, en disant que ces forêts «appartiennent» aux communautés rurales qui y détiennent des droits coutumiers, cette disposition semble confier la propriété des forêts aux communautés sur la base d’un droit coutumier. Comme les droits sur les arbres, ce droit coutumier est reconnu même s’il n’est pas officiellement immatriculé. Ceci est un changement très important, permettant la propriété des terres coutumières pour la grande majorité des communautés locales qui ne les ont jamais immatriculées. Deuxièmement, le Code forestier renforce la reconnaissance des droits coutumiers en ne recourant pas à la création d’une entité juridique pour qu’une communauté soit reconnue comme détentrice d’une forêt. Selon l’article 19 du Code forestier, les communautés rurales sont expressément mentionnées parmi les catégories de propriétaires éligibles. Ceci lève un obstacle important de la Loi relative au domaine foncier rural, qui oblige les communautés de se constituer en entité juridique pour recevoir un titre de propriété. Troisièmement, le fait que ces «forêts des communautés rurales» soient une catégorie de forêt protégée présente une possibilité très intéressante pour l’implication des communautés dans la conservation des forêts. L’expérience de pays comme le Guatemala et le Mexique montre que les forêts communautaires obtiennent souvent de meilleurs résultats en matière de conservation que les aires protégées de l’Etat car les communautés ont une incitation directe à les conserver. Ceci devrait être surtout le cas en Côte d’Ivoire où plusieurs parcs nationaux sont presque détruits à cause du sciage clandestin. Le Code forestier offre donc la possibilité d’un changement très important : la reconnaissance des droits coutumiers des communautés rurales sur les arbres et les forêts. Ce changement, s’il est réalisé, aura un impact considérable non seulement pour la sécurité des communautés mais aussi pour la protection des forêts. 8 | Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? B. Points faibles Néanmoins, il subsiste quelques lacunes et incohérences importantes dans le Code forestier qui doivent être clarifiées pour que les forêts soient effectivement protégées par les communautés: i.Dans les pratiques coutumières locales, la propriété des arbres est souvent séparée de la propriété des terres. Par exemple, les occupants «autochtones» d’un terrain sont généralement considérés par le droit coutumier comme ayant conservé la propriété des terres, même s’ils ont vendu ou transféré les arbres aux tiers. Les planteurs des arbres considèrent généralement aussi qu’ils possèdent les arbres qu’ils ont plantés, même si les terres appartiennent à quelqu’un d’autre. Le fait que le Code forestier accorde automatiquement la propriété des arbres au propriétaire du terrain risque donc de créer ou exacerber des conflits au niveau local. Les propriétaires coutumiers des terres pourraient, par exemple, utiliser ces dispositions du nouveau Code pour s’arroger des droits sur des arbres plantés par des tiers ou qui leur ont été transférés selon les règles coutumières. iii.L’effet de l’extinction des droits coutumiers prévue pour 2023 par la Loi relative au domaine foncier rural. Selon la Loi relative au domaine foncier rural, en 2023, toutes les terres coutumiers non-immatriculées seront considérées comme des «terres sans maîtres» et donc propriété de l’État. Si l’histoire de l’immatriculation des droits coutumiers en Côte d’Ivoire peut servir de référence, tout porte à croire que dans huit ans, la grande majorité des «forêts des communautés rurales» et des droits coutumiers sur les arbres reconnus par le Code forestier vont cesser d’exister. Il est difficile d’imaginer une plus forte incitation pour les détenteurs de ces droits d’exploiter le plus rapidement possible ce qui reste des forêts. Qui plus est, la propriété des arbres plantés constitue déjà une source de conflit au niveau local, les planteurs et les propriétaires coutumiers des terres étant souvent d’ethnies différentes. Ces tensions furent d’ailleurs très vives pendant la dernière crise qui secoua le pays. Ce sujet devrait être traité avec la plus grande attention lors de la rédaction des nouveaux textes d’application. ii. Incohérence de l’article 29 qui confie la propriété des forêts non immatriculées à l’État. D’une part, l’article 40 du Code forestier prévoit que les communautés possèdent les forêts protégées sur lesquelles elles réclament un droit coutumier, même si ce droit n’est pas immatriculé. D’autre part, l’article 29 du Code forestier stipule que l’État possède les forêts protégées situées sur des terres non immatriculées ou sans maître. Il n’est donc pas clairement énoncé si un droit coutumier est suffisant pour permettre le transfert de la propriété des forêts aux communautés rurales et donc si la plupart de communautés locales sont éligibles ou non. Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? | 9 6 Recommandations Malgré les avancées en termes de reconnaissance des droits des communautés, le Code forestier dans sa version actuelle laisse les communautés et les forêts ivoiriennes dans un état d’insécurité considérable. Pirogue dans une forêt près de Komambo, Côte d’Ivoire. Les programmes de foresterie communautaire dans d’autres pays ont démontré que la conservation des forêts est pleinement réalisée lorsque la propriété ainsi que la responsabilité de la gestion de celles-ci sont confiées aux communautés locales. Photo : jbdodane/Flickr CC En plus, le Code ne saisit pas clairement l’opportunité d’impliquer les communautés dans la protection des forêts, ce qui a si souvent entraîné dans d’autres pays des résultats positifs en termes de conservation et de développement communautaire, ainsi que souligné plus haut. Il semble important que les autorités forestières interviennent en proposant des textes d’application qui clarifient la propriété des communautés sur leurs forêts et arbres coutumiers. Il serait également souhaitable que le texte d’application prévu par l’article 40 du Code forestier, sur « les procédures de constitution des forêts des communautés rurales », mette en place des procédures encourageant la protection des forêts par les communautés. Une telle approche pourrait contribuer de manière significative au renversement de la tendance actuelle à la perte massive de forêts et à leur conversion en terres agricoles. Les recommandations suivantes sont donc proposées aux rédacteurs des textes d’application du nouveau Code forestier : i.Les textes d’application devraient clarifier et résoudre l’incohérence entre les articles 29 et 40 du Code forestier. Ils devraient préciser que lorsqu’une forêt de communauté rurale est déclarée, elle n’appartient pas à l’État et ne peut pas être ni vendue ni louée aux tiers, même si elle n’est pas immatriculée à travers un titre de propriété formelle. ii. Afin d’encourager la création de forêts des communautés rurales, le texte d’application y relatif devrait préciser la procédure selon laquelle les villages peuvent identifier les forêts situées sur leurs territoires dont ils souhaitent conserver la propriété collective. Ces zones pourraient inclure des terres déboisées ou dégradées que le village veut restaurer. Cette procédure d’identification 10 | Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? des forêts devrait être menée par le Comité villageois de gestion foncière rurale (CVGFR), et pourrait faire partie du processus de délimitation du territoire d’un village dans le droit administratif. iii. La procédure de création d’une forêt de communauté rurale devrait comprendre la préparation par la communauté d’un plan de gestion simple. Ce plan de gestion comprendrait les éléments suivants : les objectifs à moyen et à long terme de la forêt ; la manière dont elle pourrait être utilisée ; les mesures que compte prendre la communauté pour restaurer la zone si nécessaire ; et un système selon lequel le comité de gestion de la forêt rend directement des comptes aux autres membres de la communauté. iv.Le texte d’application sur les forêts des communautés rurales devrait créer une catégorie d’associations forestières communautaires, les dotant d’une personnalité juridique, afin de permettre aux communautés d’acquérir des pleins titres de propriété en accord avec la Loi relative au domaine foncier rural. La procédure à suivre pour la création d’associations forestières communautaires doit être aussi simple et peu coûteuse que possible. v.La Loi relative au domaine foncier rural requiert toujours un exercice coûteux de cartographie pour immatriculer un titre de propriété. Tant que ces exigences ne sont pas modifiées, le texte d’application sur les forêts des communautés rurales pourrait prévoir que les communautés aient la possibilité de couvrir les coûts de cartographie à travers un fonds forestier financé par une partie de la Taxe d’Intérêt Général (TIG) payée par les exploitants forestiers. comprennent des parcelles éparses ou de petites tailles au sein du domaine rural. La propriété pour les communautés contribuerait à la protection de ces forêts. Le nouveau décret établirait les conditions dans lesquelles la communauté pourrait demander le transfert de propriété, à l’issue de dix années d’excellents résultats de conservation de la forêt conformément à la réglementation et sous la supervision de l’État. Les réserves forestières gérées par les communautés créées de cette manière devraient également bénéficier d’une assistance programmatique et de financements. vii.Il est essentiel d’aborder le problème résultant du fait que le Code forestier confie la propriété des arbres au propriétaire du terrain, bien que dans la pratique coutumière locale, ils peuvent appartenir à des personnes différentes. L’article 21 du nouveau Code forestier précise que le propriétaire d’un terrain peut transférer ses arbres aux tiers et indique l’intention du législateur d’émettre un décret à cet effet. Il est utile ici de se référer au Code Civil qui prévoit que tout propriétaire désirant obtenir la propriété des arbres plantés sur son terrain par un tiers, doit rembourser le planteur pour la valeur de l’arbre (Article 548). Les nouveaux textes d’application du Code forestier devraient clarifier pleinement la division des droits de propriété entre les propriétaires des terres et les planteurs des arbres ainsi que les exigences de remboursement en cas de différends. Une telle clarification pourra grandement contribuer à la résolution des conflits fonciers entre les propriétaires «autochtones» et les nouveaux arrivants allogènes ou allochtones. vi. Le texte d’application sur les forêts des communautés rurales pourrait également définir la manière dont une communauté pourrait devenir le gestionnaire d’une forêt située à proximité de son territoire, qui est déjà classée dans le domaine de l’État. Cette approche revêt une importance particulière en Côte d’Ivoire lorsque les forêts classées Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers? | 11 www.fern.org Bureau de Fern R.U., 1C Fosseway Business Centre, Stratford Road, Moreton in Marsh, GL56 9NQ, Royaume-Uni Bureau de Fern Belgique, Rue d’Edimbourg, 26, 1050 Bruxelles, Belgique fern.org/fr/CodeforestierCI Notes 1.Chhatre, A. & A. Agrawal, 2009, Trade-offs and synergies between carbon storage and livelihood benefits from forest commons. Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA, 106, 17667-17670, p. 17669, voir également: Alden Wily, L., 2014, Communities as Owner Conservators of Protected Areas: Can It Work? An Expert Opinion Submitted to the African Court in the hearing of Case 002/2012 in Addis Ababa, novembre 2014 Rights and Resources Initiative, septembre 2014, Recognizing Indigenous and Community Rights: Priority Steps to Advance Development and Mitigate Climate Change, Washington D.C. C., R. Winterbottom, J. 2. Stevens, Springer & K. Reytar, septembre 2014, Sécuriser les droits pour lutter contre le changement climatique, World Resources Institute et Rights and Resources Initiative, Washington D.C. 3.Treue et al., 2014, ‘Does Participatory Forest Management Promote Sustainable Forest Utilization in Tanzania?’ 16(1) International Forestry Review 2238; voir également Mbwambo et al., 2012. Impact of decentralised forest management on forest reource conditions in Tanzania. Forests, Trees and Livelihoods 21(2): 97111. 4. Stevens, C., R. Winterbottom, J. Springer & K. Reytar, septembre 2014, Sécuriser les droits pour lutter contre le changement climatique, World Resources Institute et Rights and Resources Initiative, Washington D.C. 5. Le procédure est défini par le décret no. 2013-296 de 2 mai 2013. Nouveau Code forestier en Côte d’Ivoire: quelles implications pour les droits fonciers?, Fern, octobre 2015, ISBN: 978-1-906607-60-9. Cette analyse est adaptée d’une étude plus longue de Dr Liz Alden Wily, «Vers une remise à plat ? Bilan critique du droit foncier rural et forestier en Côte d’Ivoire», publié par Fern en mai 2015. Fern souhaite remercier l’Union européenne et le Département de développement international du Royaume-Uni pour leur soutien financier. Les points de vue exprimés dans cette analyse ne sont pas nécessairement partagés par ces bailleurs.