Ecriture

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16/08/2012 |
Ecriture
Une société se rattache d'autant plus fortement à la civilisation de l' écrit que l'écriture y est plus largement
enseignée (Alphabétisation), utilisée et valorisée. L'étude des graphies anciennes, ou paléographie, est une
des sciences auxiliaires de l'histoire, un des outils de la philologie et de la critique des sources historiques.
Ses spécialistes privilégiant habituellement le Moyen Age, ce type d'analyses manque à la connaissance de
l'époque moderne. A cette lacune s'ajoute, pour la Suisse, la difficulté que l'histoire de l'écriture y suit de très
près la triple tradition des grandes régions voisines: Bourgogne et France pour la Suisse romande, Allemagne
du Sud pour la Suisse alémanique, Lombardie pour le Tessin et le sud des Grisons.
1 - Des origines au bas Moyen Age
Les Celtes, à défaut d'écriture propre, utilisaient l'alphabet grec et ses dérivés italiques. Mais les documents
en rapport sont rares. Les Romains introduisirent leurs caractères sur le territoire suisse. L'écriture latine
servait à l'établissement de contrats, de documents administratifs militaires et civils. Elle figurait aussi bien
sur les pièces de monnaie, sur les temples et les édifices publics que sur les stèles funéraires et les plaques
commémoratives de particuliers. Les inscriptions sur pierre, gravées en lettres capitales, ont en partie
survécu. En revanche, les textes manuscrits, en lettres cursives, sur papyrus ou sur tablettes de bois
recouvertes de cire, ont disparu. Les Romains de la classe moyenne et supérieure savaient lire et écrire. On
ignore cependant quelles étaient les compétences des populations indigènes, Celtes et Germains, ou celles
des esclaves.
En 380, le christianisme fut proclamé religion d'Etat. Dès le IVe s., l'afflux des peuples germaniques, dont
l'écriture runique n'est attestée en Suisse que sur une fibule du VIe s. trouvée à Bülach, fit reculer la
civilisation antique. Pourtant, les rois de l'époque des grandes migrations reprirent des traditions romaines.
En outre, des communautés chrétiennes se maintinrent et les Mérovingiens protégèrent les moines irlandais
venus évangéliser leurs sujets. A Genève, une grande inscription perpétua le souvenir du roi burgonde
Gondebaud. Les monuments de l'évêque Ursinus à Windisch et du moine Rusticus à Saint-Maurice sont
comparables à ceux du Bas-Empire romain. Aucun manuscrit de cette époque n'est conservé, sauf quelques
actes authentiques qui proviennent peut-être de Saint-Maurice.
Les chartes et Livres les plus anciens qui nous sont parvenus ont été réalisés à partir de 720 à Saint-Gall, où
Winithar, premier scribe connu en Suisse, est attesté à partir de 760. On y perçoit clairement des influences
en provenance de l'évêché de Coire, qui appartenait jusqu'en 843 à l'archidiocèse de Milan et où les traditions
romaines étaient restées vivantes dans la minuscule rhétique. Développée dans la région du lac de
Constance, la minuscule alémanique, large et ronde, connut son apogée après 800 à Saint-Gall. L'influence
des Bibles de Tours, diffusées dans tout l'Empire carolingien à l'exemple de celles attestées à Saint-Gall,
Zurich et Moutier-Grandval, et de la minuscule caroline se fit sentir vers 850. Puis Saint-Gall mit au point un
style caractéristique, imité au Xe s. jusqu'en Bavière.
Les chapitres et grandes abbayes des Xe-XIIIe s. constituaient en partie leur fonds de bibliothèque dans leur
propre scriptorium, dont on peut repérer parfois des périodes d'intense activité due à l'impulsion de
personnalités marquantes. Des manuscrits ont ainsi été composés à Einsiedeln dès le Xe s., à l'abbaye
d'Allerheiligen de Schaffhouse sous les abbés Siegfried, Gerhard et Adalbert (1080-1131) et à Engelberg sous
l'abbé Frowin. Pour la Suisse romande, les témoignages comparables sont perdus. Néanmoins, ces ateliers se
caractérisent plutôt par leur art de l'enluminure et des initiales ornées que par leur style d'écriture.
Le XIIIe s. vit s'imposer la minuscule gothique aux formes lourdes et anguleuses. Parallèlement apparurent
différentes sortes de cursives pleines d'allant, notamment la française en Suisse romande qui se distingue
nettement de l'allemande. Le Codex Manesse, ouvrage particulièrement soigné, fut réalisé à Zurich vers
1300. Au bas Moyen Age, outre les moines, des étudiants et des clercs séculiers se mirent à travailler comme
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copistes, ce qui contribua à multiplier les styles d'écriture. Les ateliers perpétuant une tradition unique et
reconnaissable se firent rares. Les ordres mendiants produisaient des livres de haute valeur scientifique, mais
d'exécution souvent négligée. Les classes supérieures et les couvents ne manquaient pas de femmes sachant
écrire. Mais les graphies féminines sont malhabiles et révèlent un manque de pratique, sauf pour les scribes
de métier.
Auteur(e): Martin Steinmann / PM
2 - Du XVe siècle à la fin de l'Ancien Régime
Au XVe s., le papier devint le support principal. La production de livres et de documents de toute nature
s'accrut fortement. Les conciles de Constance (1414-1418) et de Bâle (1431-1449) favorisèrent les contacts
culturels en Europe. Une nouvelle écriture, la bâtarde, sorte de cursive sans boucles, large et trapue, se
répandit à partir des Pays-Bas, en parallèle avec des mouvements de réforme religieuse. De nombreux
mélanges dérivés de bâtarde et de cursive apparurent, peut-être sous l'influence de l'Italie. Ressentant les
écritures gothiques comme barbares, les humanistes italiens revivifièrent les modèles carolingiens. Leurs
minuscules claires et leurs cursives correspondent à la sensibilité stylistique de la Renaissance. Elles
passèrent les Alpes dans la seconde moitié du XVe s. grâce à des étudiants et des maîtres itinérants. En se
mêlant à la bâtarde, elles devinrent le signe de l'expansion de l'humanisme.
L'imprimerie apporta de profonds changements. Au lieu de dessiner les lettres, il fallait les tailler dans des
matrices servant à couler les caractères. Dès la fin du XVe s., on recourut à cette nouvelle technique pour tout
ouvrage qu'on souhaitait diffuser largement. Ne pouvant rivaliser avec l'imprimerie, dont ils imitaient souvent
les caractères, les copistes continuèrent à réaliser des chroniques locales et des livres liturgiques. Pour
l'usage commercial et privé, ainsi que dans les actes de chancellerie, les formes cursives dominaient dans
l'écriture manuelle, qui s'avérait moins régulière et moins lisible qu'un texte imprimé de qualité ordinaire. La
fabrication de caractères d'imprimerie, généralement à partir de modèles et de matrices empruntés à
l'étranger, devint un métier à part entière. Le fameux graveur Peter Schöffer le Jeune travailla jusqu'en 1547
à Bâle. Son père, Peter, avait repris avec Johannes Fust l'atelier de Gutenberg à Mayence. La fonderie Haas à
Bâle devint célèbre en Europe aux XVIIIe et XIXe s., plus pour ses qualités techniques qu'artistiques.
Au XVIe s., on réimprimait couramment en caractères humanistes, ou latins, des textes allemands dont il
existait une version antérieure en gothique. Dans beaucoup de pays, le choix du caractère dépendait de la
fonction du texte. Le gothique, par exemple, y était surtout utilisé pour des documents commerciaux et des
publications populaires. Dans les régions germanophones, ce choix découlait de la langue. Ainsi les mots
français ou latins apparaissant dans un texte allemand étaient composés en romain. Par une particularité qui
parut de plus en plus curieuse avec le temps et qui ne favorisait pas la compréhension internationale, les
Allemagnes conservèrent les caractères gothiques (Fraktur) au XVIIe s. et au-delà, alors que le romain et
l'italique s'imposaient en France, en Italie, en Angleterre et en Espagne. L'utilisation de caractères romains
pour les textes allemands fut d'abord cantonnée dans l'édition scientifique. Der Frühling, poème d'Ewald von
Kleist, fut en 1749 la première œuvre littéraire composée de la sorte. Sa réimpression zurichoise (1750)
conserva cette nouveauté, en la justifiant dans une préface.
L'imprimerie ne supplanta pas l'écriture à la main. Au XVIe s., des maîtres d'école se mirent à publier des
modèles, gravés sur bois ou sur cuivre, qui se diffusaient au loin et dont les meilleurs étaient souvent imités.
La palme revint longtemps aux maîtres italiens, dont l'élégant tracé (cancelleresca) provenait de la
chancellerie du Vatican, raison pour laquelle beaucoup de protestants le refusaient. Les oppositions
confessionnelles allaient jusque là! Au XVIIe s., la diversité était grande. Les cursives légères, d'inspiration
latine, côtoyaient des formes trapues, évoquant la pédanterie érudite. Cette époque est aussi connue et
décriée pour sa tendance au gribouillis.
Au XVIIIe s., les Lumières privilégièrent les formes étirées, claires, voire un peu maigres. Dans le peuple,
beaucoup d'hommes et de femmes savaient écrire, comme l'attestent billets de baptême et compositions
d'examen. L'étude scientifique des manuscrits médiévaux progressa. Johann Jakob Scheuchzer fut le premier
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en Suisse à faire graver sur cuivre des alphabets et des exemples tirés d'anciennes sources. Pour
correspondre avec des gens qui ne parlaient pas leur langue, les germanophones se servaient généralement
du latin ou du français et recouraient alors aux lettres latines.
Auteur(e): Martin Steinmann / PM
3 - XIXe et XXe siècles
La plume d'acier, qui se répandit en Suisse au XIXe s., influa fortement sur l'aspect de l'écriture. Plus dure que
la plume d'oie, elle autorisait des traits plus fins, qui demandaient donc moins d'encre. Les lettres minces,
disciplinées, un peu exsangues sont caractéristiques des débuts de l'ère industrielle. La lithographie permit
de reproduire à faible coût des pièces manuscrites, telles que circulaire ou procès-verbal, souvent exécutées
d'une main étonnamment précise et régulière.
La deutsche Schrift, équivalent manuel de la Fraktur, resta usuelle au XIXe s. pour les textes allemands, même
si plus d'un philologue avait adopté les lettres romaines et renoncé même aux majuscules initiales des
substantifs. Elle ne disparut qu'après la Première Guerre mondiale, laissant peu à peu la place au romain et
non à des compromis peu satisfaisants comme l'écriture Hulliger de 1927. Les écoles zurichoises
supprimèrent en 1935 le signe spécial utilisé dans certains cas à la place du double -ss- (ß), mesure bientôt
adoptée par tous les imprimeurs suisses. Ce signe était absent des machines à écrire vendues en Suisse,
parce qu'elles devaient réserver des touches aux lettres accentuées françaises. En 1941, Adolf Hitler décida
d'imposer les lettres romaines comme norme d'écriture en Allemagne, la Fraktur étant traitée de "juive".
Après la guerre, ni celle-ci ni la deutsche Schrift ne furent réintroduites, à cause de leur connotation
nationaliste. Elles disparurent de l'usage scolaire et quotidien.
Malgré l'existence de plusieurs systèmes rivaux, la sténographie s'imposa non seulement dans le commerce,
l'économie et la vie parlementaire, mais également dans d'autres domaines au cours de la seconde moitié du
XIXe s. La Société générale suisse de sténographie fut fondée en 1859. Cependant, les sténogrammes étaient
retranscrits, à moins de servir de notes personnelles.
Produit de la psychologie moderne, la graphologie considère l'écriture comme une expression de la
personnalité. Mais le recours à l'expertise graphologique comme aide à la décision, si répandu qu'il soit, est
contesté. Dans le même ordre d'idées, l'école, plutôt que de dresser les enfants à reproduire un modèle,
essaie de les amener à développer une écriture individuelle, certes lisible et agréable, mais qui corresponde
aussi à leur être intérieur. En 1917 déjà, le graphiste Ludwig Sütterlin recommandait aux écoles allemandes
d'utiliser des bases de départ évolutives plutôt que des modèles achevés.
Avec la machine à écrire et l'ordinateur, l'acte d'écrire n'implique plus le geste graphique. La première
machine à écrire fonctionnelle (la future Remington) fut brevetée en 1867 aux Etats-Unis. Son usage se
répandit rapidement, tant dans l'administration publique et privée que dans le domaine domestique. Mais
l'écriture resta un élément de base de la formation des graphistes, dans les écoles d'arts appliqués de Bâle et
de Zurich par exemple. L'Allemand Jan Tschichold, établi en Suisse dès 1933, mena des travaux stimulants
dans ce domaine. Après 1945, plusieurs modèles de caractères typographiques créés par des Suisses sont
devenus célèbres. Max Miedinger inventa l'Helvetica (1957-1970), sans doute la plus utilisée parmi les
"grotesques", et Hans Eduard Meier la Syntax (1968). Les fontes Univers et Méridien furent dessinées en 1957
à Paris par Adrian Frutiger qui tira profit des possibilités techniques de la composition sans plomb.
Le triomphe de l'ordinateur a rendu superflu la nécessité d'écrire lisiblement à la main. Peu à peu on perd
l'habitude de lire un manuscrit d'une certaine longueur. On s'y refuse même. Le processus inauguré avec
l'imprimerie se poursuit. Chez ceux qui écrivent encore à la main, les formes d'écriture imitent de plus en plus
les caractères d'imprimerie ou, au contraire, adoptent une graphie excessivement individualiste et peu lisible.
Dans l'administration publique et privée, un long texte ne saurait être manuscrit. Néanmoins, dans le monde
francophone, la forme manuscrite reste le meilleur moyen de personnaliser une lettre, tandis qu'en Suisse
alémanique, on constate une tendance, venue d'Angleterre, à cultiver l'art de la calligraphie.
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Références bibliographiques
Bibliographie
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– H. Reber-Alge, Geschichte der Stenographie in der deutschen Schweiz, 1909-1910
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jusqu'en 1550, 6 vol., 1977-1991
– 400 Jahre Haas 1580-1980, 1980
– Schreibkunst, cat. expo. Zurich, 1981
– H. Gutzwiller, Die Entwicklung der Schrift vom 12. bis ins 19. Jahrhundert, 1981
– E. Ziegler, J. Hochuli, éd., Hefte zur Paläographie des 13. bis 20. Jahrhunderts aus dem Stadtarchiv (Vadiana)
St. Gallen, 8 cah., 1985-1989
– B. Bischoff, Paläographie des römischen Altertums und des abendländischen Mittelalters, 21986
– Ch. Rubi éd., Jakob Hutzli: das gülden ABC, 21988
– W. Berschin «La culture de l'écriture», in L'Abbaye de Saint-Gall, éd. W. Vogler, 1991, 69-92 (all. 1990)
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– A. Gürtler, Schrift und Kalligrafie im Experiment, 1997
– G. Audisio, I. Bonnot-Rambaud Lire le français d'hier, 32001
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