Coeur de ville

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Coeur de ville
Plum
Coeur de ville
Publié sur Scribay le 24/04/2016
Coeur de ville
Table des matières
Place de la République
Au chien noir
Amanda
Les Restos
Dame Samovar
Lire et faire lire
Barbe longue
Un dessin
Crêpes au rabais
Jeux et genoux
Au chien noir (II)
Petits monstres
De la rue aux Restos
Anniversaire
Un bon préfet
Tour de cathédrale
Je te salue
Points de cercle
Coeur de ville
Place de la République
En souvenir...
C’est février aux couleurs pâles ceignant les fronts de maisons vives, en cette place
carrée du cœur de Mende.
Nouvelle digne de remarque…
L’Irish Pub, étranger songeons-y en cette place de République, semble rouvrir, bleu
d’outremer, après de longs sommeils d’automne.
Ses vitraux d’or, losanges et saphirs, s’ensoleillent du miel ambré des bières qu’on y
répand.
Place carrée pour un cercle du silence, motif : refus d’expulsion d’immigrés.
Silence et l’œil s’arrête, peut s’ébattre alentour, sachant au fond que le cœur bat
pour une cause un peu lointaine, dérisoire et vivante tant qu’appuyée sur nos deux
jambes, petits êtres circulaires.
Toute de guingois, la maison côté droit, surmontant l’occulte boutique, étonnante cibas, L’Ame Agit, faite en calembour et bois d’acajou…Même teinte –emprunt aux
arbres–, même mâture, siège la Fromagerie trois portes un peu plus haut, humble
chalet d’alpage aux fossettes d’infante.
Au sourire de la crémière, lumineux contrepoint, avenant comme un charme, aux
obscurités sans attrait de l’ésotérique d’en face.
Rondeurs des meules et blancheurs de cabrettes, valant tous les sorts, les potions,
les amulettes.
Les murs louchent l’un sur l’autre, se penchent tendrement, prise au vent, vieux
résistants amollis par les âges.
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Coeur de ville
Mais que de couleurs, si l’on s’attarde ! Si l’on oublie les lignes dictées du jour,
l’aller ici, courir là-bas, le sautillé de minute à minute…que de couleurs ! Un vert
lichen contourne l’acajou de L’Ame Agit, puis c’est du rose, en corail, en saumon,
puis c’est du beige, le rouge d’un traiteur charcutier du village, face aux bleus
brillants de l’ irlandais, surmonté (à noter) d’un drôle de toucan plus exotique encore
que l’Eire de référence, en cette ville que récitent à mi-voix les chœurs des neiges et
des causses.
Voyez les volets de bleu blême, apposés sur le beige à gauche de notre assemblée
ronde, sur le mur élevé comme un marchand de rêves. Et le bleu sur ce sable faisait
songer aux fins d’hiver.
Les fenêtres de l’Irish allument de dorures l’air tombant qui prend le large et ses
quartiers du soir.
Un fil tout embrasé qui fait un blond faisceau vient rayer les carreaux, vertical et
licite, rangé régulièrement avec ses frères. Bords des croisés ou des hublots (le bar a
l’air marin), éclairs qu’on aurait dépliés patiemment.
Un bout de ciel s’entête en bleu, chatouillé d’un nuage rose, un petit nain. Le reste
est gris.
Vivent ces couleurs tirant la langue au ciel opaque et lourd.
Les lanternes dehors attendent encore pour s’éveiller. Le vent bâille un peu fort.
Que de beautés dans Mende au soir…
S’aperçoit le semblant d’une église que deux maisons vont engonçant, et qui se
cache, devenue membrane de la ville, perdue dans les mortiers. A ses cimes surnage,
fanal inverse, le losange d’un clocher en pointe fine.
Autre rejeton d’acajou, une bijouterie Montrez l’heure avec l’o décoré pour mimer le
cadran d'aiguilles, s’avoue vieille et vermoulue. Même famille, celle d’en face a la
fadeur des draps écrus, mais elle étale ses bijoux frais contre un grand givre
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Coeur de ville
d’invisible –de verrerie.
L’heure a tourné, le cercle se sépare, cadran d’un jour qui renaîtra au mois prochain,
pour mordiller l’indifférence, rappeler aux navigants du radeau vie que nous
sommes tous en mer, qu’évincer l’un fait pencher l’autre et l’univers, peu importe la
monnaie prétextée, toutes nos médiocrités d’eau douce, le fretin des angoisses, les
cris d’orfraie qu’on pousse, qu’importe l’oiseau babillard et l’armée des requins, ces
cercles nouent de nervures vives les plus modestes villes…les cercles s’ébauchent et
renaissent.
Cerceau fugace et circonférence muette, mais un temps clos, refermé comme un
sens, un temps dédié à l’éclat bleui de souffrances élimées qu’on ne prononçait plus
qu’à mi- mots.
Petits riens que nous sommes
–lucarnes et constellations.
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Coeur de ville
Au chien noir
Le soir s’éteint dans un froid chargé de remontrances.
Sourire au burin, un homme se tient en tailleur, assis sur les pavés, face à chez le
boucher fermé.
Son âge s’est perdu entre trente et quarante lieues de terres battues, c’est l’âge du
tronc mat et du fruit dur.
Son frère noir et blanc regarde les rues du bout des quatre pattes.
Assis comme sagesse sous des tentures faiblissant de pénombre, tu demandes à
peine, o ce n’est qu’un geste épanché du regard, traînée de feu pâli presque pastel,
tu demandes un peut-être aux trois passants du soir.
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Coeur de ville
Amanda
Amanda a le teint blanc comme un matin de lait, le joli brin d’opale.
Elle a le poids de quatorze ans qu’écorche la bêtise osseuse du collège, corrosions
sourdes d’enfances odieuses, morsures du peuple des grands innocents.
Je te trouve une beauté tendre pourtant, coupe garçonne, cheveu charbon, celle des
salons d’odalisques et de parfums qui baignent.
Amanda vive aux eux de faon.
Amanda tu dis un jour un jour tu dis, lancé dans l’air, sous la fumée du chocolat,
gaillardement, que tu te suicideras…pourtant tu es si gaie, si gaie souvent –diable,
ces carapaces…
Amanda, folâtre jeune Amanda faiseuse de crêpes, rondeur d’adulte et tendron
d’enfant seule, jeune Amanda ton tablier de fillette grime la raideur de tes journées
d’asphalte.
Amanda, blanche rondeur des savons, beauté des reines en Renaissance.
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Coeur de ville
Les Restos
C’est un repli de ville arrondi pour les vents ; s’y jettent deux ruisseaux de rues de
part et d’autre, et l’escalier montant en pierres blanches.
On y entre, voyez, par une vitre ; la pièce est bien petite, les chaises se courent les
unes après les autres, serrant quelques tables à variété géométrique.
Tout encaissée, celle du fond est aux enfants, lilliputienne, protégée de deux murs à
étages, l’un de jeux et l’un de livres.
Les nombres cheminent en enfilade, selon l’ordre où l’on arrive…et l’on attend, dans
les ronrons de voix rauques et de voix sourdes ; la gaieté tutoie la misère en un
instant, et l’abattement, et l’on attend, dans les turbulences du café trop brun qui
coule, des bols brûlants de chocolat, tanguant, audacieux, entre les sièges amassés.
Enfin s’épelle votre nombre, soustrait en fin de compte aux rondes fastidieuses des
tickets, et vous passez à l’antre, à l’autre pièce, où l’on calcule, on note, on attribue,
suit à la trace…c’est la distribution.
Quelques cris, c’est quand mon tour ? , chasse vétilleuse aux manquements
minuscules –que voulez-vous...ainsi pour tous, dans le besoin, besoin aux trente-etune canines. Mais l’incartade est rare, qui s’étouffe aux tiédeurs hivernales d’une
salle mangée de monde.
Résignation des corps, ces étrangers du chromatisme : le malheur forge à l’infini
tous ces visages…ceux qui veillent et ceux qui rient, dont le pied tremble, qui vont
rêvant au plomb soyeux d’un silence blême, usés, perdus en des brouillards
stellaires, d’une nuit sans maison parcourue, insipide et gourde.
La griffure même d’un sourire succombe au relief aride du faciès, dans la seconde…
Découragés de l’expression, des yeux marchant vers les yeux, jusqu’aux réserves
caverneuses d’un soleil…d’un autre en face.
Tout est en vie, mais tout dépend ; les gouffres plongent. L’onde est multiple
–mèches curieuses du dénuement…
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Coeur de ville
Dame Samovar
Dame à bouille ronde âgée, sœur sourire des bouilloires, c’est dans La Belle et la
Bête, c’est bien Dame Samovar.
Toute gaie, pipelette aux deux pommettes chaque soir.
Votre sourire, humble, oh, heureux, devant mon soulignement sincère, lorsque vous
sortiez des mains de notre coiffeur au petit nez de martre : Oh, ça vous va très bien.
Guillerette coupe au bol pour vos cils poivre et sel –et pourquoi ne nommerait-on le
cheveu cil s’il s’ancre foisonné sur cet œil tête que nous sommes…
Votre sourire, vie qui rassure.
Que vaut-on sinon ces mots surgis simples de source, que vaut-on sinon la bonté des
regards, émaux, gestes au-delà de fards.
Et toi jolie ce pauvre jour, courbe devant les temps passés, salue surtout l’instant, les
êtres qui l’arrondissent, et l’homme capable d’aimer –c’est idiot, ils le sont tous.
Humilité des herbes soufflées au vent, des roseaux sombres aux cheveux bis.
Humilité du pain qui sèchera demain.
Verser les monceaux d’or, ce seigle de nos révérences au jour, aux yeux qui nous
ressemblent. Plutôt que d’amonceler de pauvres miettes qui se changeront en grains
de mort.
Donne, enfantine, donne sans attendre, toi jeune désemparée des retours. D’une
syllabe unique, donne.
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Coeur de ville
Voilà ce que t’apprennent les joues rieuses de courage et de peine, les pleines joues
de Dame Samovar.
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Coeur de ville
Lire et faire lire
Kilian lit les mots qu’il comprend à demi, comme de drôles de brillantes pépites
refermées, mais sans peur de se jeter à vif dans l’immense océan de papier.
Deux larges blocs d’un tiers de mille, chiche littérature à forte corpulence, qu’à cela
ne tienne, tu les empruntes et les commences, page à page, et je propose posant mon
Giono que toi et moi lisions ensemble. Que nous lisions ton histoire de gangster avec
des mots barbares, anglais que je veux dire, noms et lieux si intrigants –car j’ai
proposé en m’approchant pour éclaircir ta question posée timidement à la table
voisine : ça veut dire quoi « gain » ? on te répondit d’un trait, c’est l’argent, mais tu
ne compris pas, et la phrase roulait en ses orbites réticente ; lisant à deux nous
voyons que cet énergumène d’argent sale, c’était, énigme, de l’alcool, enfin, du
« gin ».
Nous lisons deux à deux, un empan pour toi, l’autre pour moi, tu me demandes, hein,
tu n’hésites pas, s’il y a un mot que tu ne comprends pas. Tu es d’accord mais tu
veux comprendre et tu comprends, du moins le flot te porte, et je n’insiste pas, la
mer est bleue de sel pour flâner…et ses bêtes rétives se replongent seules aux
abysses.
Kilian avance en brasse, bravement, aux longues échelles ondulées de ses phrases.
L’histoire est médiocre ; sans importance : nous voguons.
Ecrin des pages parcourues au creux d’un soir qui se referme.
Marie-Rose, dont il est le neveu, dit qu’il ne comprend pas, au fil cassant de sa voix
qui assène, lourde, sans savoir combien l’aîné peut enclore et barricader d’un brin de
parole ou de paille, en quatre membres –bras et jambes– de carré fait prison, l’enfant
libre serti d’indéterminé, lui né pour devenir. Il ne comprend pas ce qu’il lit, ça ne
sert à rien qu’il lise des gros livres comme ça, il ne comprend pas, il a trop de
lacunes.
O mais non que je dis, il lit bien, il est en sixième, et puis ce n’est pas grave de ne
pas tout comprendre.
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Coeur de ville
Ils ne savent pas comme ils peuvent planter des murs, camper des fortins avec leurs
vilains mots cubiques et froids comme les yeux de dés. On fige, oh pas méchamment,
mais on fige, et l’enfant répète la ligne imposant son plancher. Tu n’y arriveras pas,
reste à ta place.
Non de non. Pas de plancher, sauf à l’esprit des vaches.
Compte seul ton grand courage, petit d’homme, de te mettre à l’eau, gai vaillant
cormoran à l’embonpoint chocolat.
Nous lirons tous les deux, oui nous irons.
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Coeur de ville
Barbe longue
Homme penché en barbe grise et glace, longue au poitrail, debout pourtant quand
viennent tomber les pénombres aux recoins de vieilles rues de cendre.
C’est un regard, soir naissant, le souvenir me souffle qu’il était fait de bleu, couleur
supplique, humble et dormante.
C’est un regard qui prend au cœur, mais combien de gestes avortés par un cœur…
La tête éponge, assèche, les flots ballants sur l’heur…Hasard de prunelles habitées,
vieux hasards, oui ces heurs qu’on refuse net…la raison reine est bien glacée,
l’ombre affairée vire et refuse.
Que nous sommes proches, ô combien, attirés et distants…ces liens candeur de
torche, ces heurts, desseins évanescents…Quels chemins vont d’un cœur au corps ?
Barbe sans chien, massive solitude à deux pattes et godilles, où retentit la tendre
iris, et le cri nu des abandons au bain des nuits –digne, digne et sans rêve, ton regard
mendie l’aube.
Et je ne passe à la ruelle sans détacher un gant par ces ambres nuits de gel, sans
déposer un sou dément, pauvre haillon germé de rien, rouille agonie gagnée du grain
des hommes, sou consumé à nos paresses de travailleurs zélés maillés, huileux, au
merveilleux système où posséder vous pousse aux cimes et vous y mène, oui sous les
sous Sartre disait, rien d’élevé…dessous, deux sous.
Cercle terreux que rachète à grand’peine l’orbe d’un don, valeur prise à l’abandon de
métal frais pour repriser les hommes…et ce n’est rien : une rue, ton image
s’envole…pour moi nourrie, pas pour toi certes –peut-être.
Enfermements, barreaux du moi. Acier des riches et des contents.
Que nous sommes loin, muets et frivoles…Jeux des pièces, qu’est la bonté ?
L’hiver laineux luisait du nez. Grises nuits des noires misères.
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Coeur de ville
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Coeur de ville
Un dessin
Ce furent deux anges revenus d’un soir tout ombrageux de givre, fleuris d’un rien, et
comme entrés en apparence.
Un peu comme une aube tournerait sur vous son profil d’or et son cil mat.
Jeunesse primevère au visage effilé de bronze, sombres yeux d’amande, enfance au
crayon qui doucement s’avance, parmi l’espace réduit bruyant de la pièce d’attente.
Tu devais avoir huit ans, beau minois aux sourcils droits d’enfant, tu encourageais
ton frère, blond peut-être sur ses six ans, vers le bar, ma silhouette, qui pirouettait
vers l’eau, le café lent à venir, les sirops arc-en-ciel…
Tes mots murmurés « elle », « vas-y », « elle », tournoyant comme un vol timoré de
moineaux, vos deux airs frères derrière le bois du bar où l’on sait couler la
grenadine, monter le lait, et le café ce roi des pauvres.
Moi je me penche alors Vous voulez un chocolat chaud ? –avec plein de chocolat ?
(chaque fois j’aime à préciser, me connaissant pour les connaître)…
Mais je me méprenais.
Jolie fillette frêle comme un brun rameau d’hiver, tu me tends ton dessin, petite fille
dont j’ignore tout, jusqu’à ton petit frère, toi qui m’as regardée de côté, j’imagine,
pour les lourds cheveux de princesse.
Je les suis, je ne comprends pas d’abord.
–C’est pour moi ?
–Oui, et les bambins s’en vont à leurs parents assis, pierres de patience, après les
vivres réunis.
J’aurais voulu croquer à mon tour une jolie princesse d’un blanc bouquin des fées :
feuille, crayon, modèle cartonné d’une histoire de jeune fille aux cygnes…trop tard
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Coeur de ville
les deux angelots sont envolés.
Je commence néanmoins dans un coin, m’interromps lorsqu’un carré d’homme à l’œil
bleu, gigantesque, me jette plaisantant Ah ben c’est bien, elle s’occupe bien, elle a
quel âge, on va la garder…
Même légère crème au galbe bienveillant, je n’ai jamais soutenu de front la
remarque et la moquerie douce en ironie. Je fuis, conte et dessin, au prétexte du bar,
retourne chauffer les chocolats en bon lutin du cœur.
Je pense, frêle, aux frères et sœurs, aux fils d’un dessin qui s’ébauche à la future
blancheur des jours.
Comme ils demandent, demandent instamment, les souvenirs, à revivre, les
éclatants, radieux, vif-argent, je veux dire, ces souvenirs qui vous tirent par la
manche, pour gagner l’éternité par écrit.
Tels ces deux enfants, la princesse à diadème qu’ils m’avaient dessinée.
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Coeur de ville
Crêpes au rabais
L’une, rayons de miel ravivés d’un vent d’est, pris d’une brise d’accent, et son amie
brunie comme jais, à peine quarantaine, large de traits café au lait.
Deux boissons chaudes, bien sucrées, bien amères, et l’œil miroitant vers l’arrière, le
retrait où brillait blanche encore l’extrémité de quelques crêpes. On peut en avoir,
est-ce qu’on peut avoir des crêpes ?
Les demandées trônent à l’écart, devant l’alignement renversé des couverts. Oui,
bien sûr, qui bondit spontané…mais j’aperçois la mine du vétéran bénévole à mes
côtés.
Les crêpes sur la fin, il est tard, je pensais, tous semblaient repus, et les franches
demandes me cueillent toujours le oui des lèvres.
Mais l’ami vétéran préfère les garder aux enfants, donne donc deux autres crêpes
aux demandeuses, mais sous plastique, et leurs yeux font les hirondelles, piquant du
nez vers les carnations laiteuses des sœurs appétissantes, loin des gélifiées ; on leur
sert le café lestement pour compenser…mais l’un n’est pas l’autre, lunes effilées et
pétrole au petit verre.
Même modeste, évidemment qu’on aime le maison devant l’industriel, comme à la
distri. le chocolat de prix devant son image pâle ; les convoitises envers le mieux,
rien que banal, dans la misère.
Je regrette pour ces crêpes d’artifice, frelatées d’intention, sachant que la dentelle
d’en face –fossé jusqu’à l’évier– importait tant pour elles.
Les enfants déjà gâtés ne faisaient pas ces distinctions dérisoires, oh pour elles
essentielles, qu’on acquiert des crocs du temps rongeur.
L’une goûta du bout des lèvres, louchant devant l’authentique et désiré.
Je vis en sortant, au seuil du soir de gel, la déchirure gisant d’un large pan
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Coeur de ville
d’industrielle.
Je parle crêpes pour peindre la médiocrité, menus embruns boursouflés sur nos vies,
nécessités lorsqu’on vous a tout prix, oh superflu, grains de luxe qui témoignent d’un
dernier respect humain pour nos goûts.
Jeunes femmes d’un rien désireuses, pauvre plat de quelques crêpes.
Et l’on vous comprend, comme les vœux tout bas, tout gris, du lit renflé d’un fleuve à
fleur de terre.
Et la misère est un sac enserrant le cœur à l’essorer.
Combien risibles nos humeurs, tristes sinistres endimanchés,
fines bouches qu’on attable aux nappes
devant l’assiette qui ne rencontrerait sur un point
notre caprice aux flancs brouillés.
Pense aux crêpes hiérarchiques, aux frelatées, pense un peu, enfant gâtée,
au long fichu étalé sur le givre,
et vis de peu, toi pouvant vivre.
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Coeur de ville
Jeux et genoux
Amusante Amanda, ronde bouille de lait, finissant l’expression mise en suspens par
l’union de buveurs de café. Parole de l’un : si ça continue faudra attendre
jusqu’à…jusqu’à… l’ellipse disant tout du temps.
La jeune collégienne coupe au bol et bol au coude, d’un air bien entendu, hoche tête
devant son chocolat sirupeux corsé de chaleur, enfilant sa perle à la phrase
effilochée : faudra attendre au moins jusqu’à Mathusalem …Tendre inversion,
l’immémorial plongeant –et pieds devant– vers l’infini lointain…
Amanda bavardant avec la petite aide qui fait mousser les cuillers et les tasses, tu lui
proposes Es-tu douée pour les énigmes ?
A moitié, je réponds.
Neuf cases qui sont des cages, pour les lapins tu me dis, tu les dessines et tu me dis,
pour les lapins pêchés sur le marché, neuf cases et dix lapins mets dix lapins en
cage, pas deux en un, pas de côté.
L’agrégation certifie tout sauf l’esprit vif.
Ma langue au chat, très charmante Amanda.
Gaillarde inscris-tu sur le champ les lettres –neuf– que font les dits lapins : d.i.x.
l.a.p.i.n.s ça fait neuf.
D’autres dessins, d’autres encoches au sombre de tes jours : collège ou visite en
centre d’accueil, vers l’hôpital, j’en sais guère plus, pas pour le corps, même si ton
dos te fait mal, même si tu fus, je me rappelle, toute jeune opérée d’une tumeur au
cerveau, disaient ta tante ou ta maman.
D’autres dessins, le papier file. Tu me demandes : N’y a-t-il pas l’autre ? –L’autre
quoi ? –L’autre carnet, pour les dessins, sans rien dessus. Sans rien derrière, tu veux
dire, un bloc de papier blanc.
Un coup d’œil vers les étagères et les crayons manquant de taille. Non, plus que des
feuilles au verso imprimé…est-ce bien grave ?
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Coeur de ville
Oui, tu tiens à l’ancien bloc.
Il était là l’an dernier.
Tu veux du blanc papier pour les dessins. S’il te plaît, tu peux demander pour moi ?
Je demande aux anciens, à l’une d’elles. Non, il n’y en a plus, de papier vierge.
Définitif, il n’y en a pas.
Je ne saisis ton insistance, ni toi mon insouciance : papier et papier certes, mais pour
jouer aux devinettes…
Devant mon air hagard comme ingénu : Tu es lente à la comprenette, tranche-t-elle,
douce comme fut le métal de lame qui partagea un beau Saint-Genis égaré vers
l’évier, voyageur en quelques brasses de la salle un peu vidée, éparpillé dans l’âme,
rien d’un croissant séché…la misère n’a pas perdu le goût, croyez-vous cela,
bourgeois brouteurs de caviar ?
Les instants savent galoper, entre fontaine du café, valse des sirops et des tasses,
vaisselle en des chaleurs de tulle, entre Amanda quêtant des sens et quelques clés
pour ouvrir l’être, entre les enfants disséminés dans le puzzle tout à l’est, sur le
plancher. La moitié des pièces de puzzles mélangées gît sur la terre. Pourquoi tu les
as renversées ? –Elles me gênaient… Ah, petit blond : les enfants sont tous frères…
La jeune brune à peine adulte plie les genoux complaisamment, quatre pattes aux
dalles blanches, rassemble le troupeau de carrés grignotés –jamais bien aimé les
puzzles, jeu de patience, patience folle, folle à apprendre–.
Fais-le avec moi, geigne le cadet des trois, un long puzzle minuscule difficile, lui qui
apparie l’un contre l’autre deux morceaux hélas qu’on n’a pas voulu faits l’un pour
l’autre.
A genoux ça te fait du bien, et obéis, petite sans-souci aux journées gantées.
L’enfant brun plus âgé a la douceur du cèdre sombre.
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Coeur de ville
Au chien noir (II)
Mendiant chronique au chien de noir et blanc.
Une femme qui passe, et ne lui donne pas, semblant pourtant humaine, et qui salue.
J’avais arrondi de loin ma piécette au creux de la main.
Ses yeux si bleus disent merci avec ses lèvres, son chien lève un peu la nuque.
Il ajoute, un peu tardif, alors que je repars, ce début, milieu ou queue de phrase : Au
restaurant du cou…
Je me retourne, que veut-il dire ? demande-t-il où je vis, où je vais pour dîner ?
Deux fois il me répète ( lente à la comprenette comme je suis : ce cou que je ne
comprends pas…) …Il me répète au moins deux fois…
Ah cœur, les restaurants du cœur…
Vous m’y avez vu qu’il demande, d’une voix lente, accentuée, qui coule belle,
âprement, de l’étranger…Non, je ne me rappelle pas…
Il était à mon souvenir cet homme assis à flanc de cathédrale, face aux fromages
nichés en vitrine, en contrebas, exactement, entre crémière et charcutier.
Mais le souvenir c’est l’ondoyance serpentine, cendre menaçant la braise, c’est le
pétale fané des plantes alpines, évanescent, froid comme un gant oublié par
mégarde, c’est l’un excluant l’autre, c’est le mélange, la parenthèse.
Si, si je me souviens. Je commence, je suis en route. Je me souviens, dis-je à ses yeux
déposés sur les miens.
A bientôt donc. Etrange de lier l’écheveau des mendiants de la rue à celui des
coutumiers de la distribution, dont la plupart logent sous le toit pointu des maisons,
modestes tout au moins.
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Coeur de ville
Le pas d’après je redescends et depuis son étal de lumière, la crémière me sourit,
d’un signe de main, généreuse aux cheveux d’ange –noirs comme la nuit qui lutte aux
tout premiers matins. Juste en passant, l’élan donne le temps, à peine, aux lèvres de
répondre.
Le soir je revis l’homme au chien noir, son compagnon sage au dehors, lui dedans,
l’air fuyant et doux, maladroit, humble, ses yeux d’azur sortant du froid.
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Coeur de ville
Petits monstres
Jamais d’enfants et si peu capable d’ordres, d’en donner. Eux qui aiment être des
petits chefs…ce comme tous les hommes.
Face aux mimiques impérieuses qui creusent déjà l’émail de l’altérité, l’écorce
malléable, ni d’amertume ni de colère, et pas la force qui prend le cœur et l’ouvre au
noir.
Muette au sourire triste, et j’obéis docile à leurs injonctions de petits maîtres.
Jeu d’enfants initié par Chantal, et ce sont de bons petits acteurs. Je pense à la
prison de Stanford ou Milgram.
Louan avait un brin malmené frérot Kélio (drôles de noms pour sonner mode
moderne…drôles de noms germés d’une mère méchée de blond, manteau rêche au
ton carotte pour ses jambes bleu horizon).
Il saignait mais à peine au doigt.
Pour rire un rien, Chantal suggère –ou bien c’est un enfant qui répond– C’est Marion
qui a mordu Kelio. Et tous les enfants entonnent le refrain. Chantal dit Il fautt la
mettre au coin. A la chaise pour réfléchir. Je dis, mi-figue, moi je n’sais pas réfléchir.
J’obtempère, jeune enfant, amère et de bon gré.
Et ils prolongent, les petits monstres, encore deux minutes…encore dix minutes…
Chantal et Louis-Jean le coiffeur suggèrent on peut la laisser sortir maintenant…puis
cèdent aux surdités, mollement.
Les enfants : Naaan…encore dix minutes.
Rien le droit de faire au piquet de ma chaise : C’est interdit…d’écrire ou crayonner
quelques notes, de se toucher les cheveux, répondre au téléphone…
Avant leur inquisition rapprochée, j’eus le temps d’écouter –c’était Jose Manuel, qui
voudrait se revoir…y songer.
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Coeur de ville
Je reviens, les enfants de plus belle : Elle est punie ! Elle est punie ! Non, c’est
interdit !
Peut-être ai-je (amusant) l’ethos d’une souffre-douleur, même si c’est sans souffrir,
presque contemplatif ici, simple vue de futurs petits hommes aimant dicter.
Et je comprends ces jeux, hélas, tout en guettant les chatoiements de bonté qui
pourraient sitôt reparaître.
Etonnant qu’on s’en prenne, insiste tant, innocence aveuglante cruelle, à des
crèmes…parce qu’avec eux, bien volontiers –c’est pour une heure– je joue les
crèmes, donnant à la demande, dispensant les dessins, écoutant les histoires qu’ils
inventent en partant des images –ils ne veulent pas qu’on leur lise, voulant faire tout
seuls ; ceci je le comprends, assise à la couverture rose, ceci je le comprends et me
porte à chacun tour à tour, car ils ne veulent l’histoire ensemble, mais chacun
faisant, mon dessin, mon stylo, moi moi moi. Comment blâmer, moi-je, moi-je…, moi
je connais bien ça.
Maigre, pauvre justice mendiée aux innocents.
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Coeur de ville
De la rue aux Restos
Rues de Mende, on y croise inaperçues des femmes qui attendent au soir leurs
tickets des « Restos », humbles en leur misère insoupçonnée –petites misères
suintant aiguës– humbles et ce sourire en arche tendre d’une jeune grand-mère.
Dans ce dédale élémentaire, au jeu des pavés qui s’incurvent, tous ces gens qui sont
des nôtres, oubliés des seuils et des recoins…et lorsqu’ils ne s’allongent demander
pièce, on ignore leur destin mis au clou, leurs besoins bâillonnés.
Petites misères, ombres du temps.
Puis ce vieux sans âge assis, interminable et sans sourire, sur le banc campé au côté
droit de la fontaine, ronde et scintillant noir, lui brun, trapu, deux cercles aux yeux,
lunettes hublots, petit marin s’accoudant ce soir au comptoir, mâchant son café fort
et quelques barres de chocolat.
Sans mot, perdu dans les vides du regard.
Dans les rues, immobile et muet, lui paraîtrait, sans le cerceau de ses pupilles, une
courte statue de cire, anonyme et replet.
Quelques pas dans l’absurde mosaïque si pâle, déraison des pavés, et son retour,
languissant, barque repue d’une pêche sans fond.
Point de vie, ni le reflet argentin d’une écaille –il n’attend pas ici de pièce– mais sa
quête est au souffle insensé du vent des rues, au déroulé flottant des heures qui
tracent sur le cuir et sur l’inexprimé –ses mornes joues désemparées– leur absence
hantée d’aveugles.
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Coeur de ville
Anniversaire
Tout partit d’une bougie jaune…d’un anniversaire, oui, soufflé l’heure passée.
L’anniversairée c’est Marie Rose, qui n’aime guère son nom, et pour beaucoup c’est
simple Rose. Je remarquai certes, arrivant, l’étude d’un noir décolleté de fête, mais
ne soupçonnais pas plus avant, jusqu’à cette bougie de cire qu’on reconduit tard aux
éviers, à ma conscience par conséquent.
Vite, vite, je saute alors sur l’occasion, offrant radieuse mes offrandes –mes présents
de Noël– reçues hier de mon parrain par mes parents…pince à linge et stylo bruns :
moulures de chocolat au lait…
Oh, ça me fait très plaisir, des mots coulés tout drus des lèvres.
Elle est heureuse, disent les rayons de ses joues, elle est heureuse, les paillettes
badinent à son cou –j’ajoute un mot gentil louant son joli haut.
Marie Rose plantureuse, boucles éparses très très fines, cinq dizaines en visage
rond, yeux bleuis de cendre, et son haut noir d’or étoilé…Sur les rondeurs d’épaules,
l’entrelacs d’un tatouage à l’orée de poitrine, Marie Rose courageuse sa fille est à
l’hôpital. Marie Rose gardienne de trois enfants dont un neveu.
Fortunée de l’avoir, par mon attention miniature, de l’avoir rendue heureuse.
Je vais le garder, dit-elle.
Oh, il faudra quand même le manger au bout d’un moment…
Oui, mais c’est difficile…pas tout de suite. J’en ai un comme ça qu’on m’a offert, à la
maison, et je ne l’ai pas mangé…à chaque fois je pense à la personne, à qui me l’a
offert.
Impavidités secrètes qui surprennent l’éclat de chocolat.
Nous parlons un peu, elle et moi et Dame Samovar ; Rose me dit pour Kilian, sa 6ème
SECPA, ses lenteurs, pour lire, les douleurs d’être.
Ils lui ont fait le Q.I. aujourd’hui, c’était pas très bon. Mon haussement d’épaules
pour ce Q.I. ça n’veut rien dire, c’est limité, réducteur.
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Coeur de ville
Elle ajoute Il faut dire qu’il a été battu.
Je ne savais pas. Jeune ?
Oui. A la tête. D’ailleurs il a une oreille qui n’entend plus.
Il voit si peu sa mère, de Monastier. Ses yeux brillaient en la quittant tout juste,
raconte Marie Rose, elle disant tu sais Kilian tu peux pleurer.
Elle n’est pas restée longtemps, sa mère, que quelques heures…souligne-t-elle
encore.
A jamais bruissent les pourquoi.
Fils qu’on aime à la sauvette tout au mieux. Fils déporté, fils malhabile. Un fils, un
seul ?…elle a peut-être une fille.
Kilian voudrait être pompier, peu sinon l’intéresse, mais l’asthme l’en empêche.
Courageuse Marie-Rose, la douceur rude et le bon sens.
A cette heure, comme sa fille est à l’hôpital, Kilian garde les chiens, et ça, il aime au
moins ; cinq chez Marie Rose : deux yorkshire, un border collie, un golden, un
chihuahua aussi. Kilian aime ça, les animaux. Elle dit j’essaie de lui donner des
responsabilités.
Chroniques insues et ces serpents qui rampent…Kilian apprit trop tôt à lire mais lire
les coups. Il voit sa mère tous les deux mois.
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Coeur de ville
Un bon préfet
L’hiver manqué prend sa revanche.
Nous sommes une centaine à peine levés contre un coin de préfecture, ocre relié
comme un beau livre.
Deux familles, ghanéenne et tchétchène, risquent d’être expulsées vives, une
entrevue de dernière chance se tient là-haut chez le préfet.
Le préfet ne voulait rien entendre. La loi est avec moi, de mon côté, du bon côté. Pas
de quartier.
Bigre qu’il fait froid.
Une petite fille de blé remue sous l’incisive du givre, sa maman dit que c’est à cause
du préfet qu’on a si froid.
De fait, le climat est contre nous, avec ce valet buté –car commander c’est obéir.
Un jeune garçon oppose, nez fluet, la balle à rebonds du pourquoi, eux pourquoi ils
les embêtent, ils ont rien fait, pourquoi, moi aussi je viens du Ghana, du haut de ses
huit ans, café des anges assurément.
On entonne un Chant des partisans, les couplets peu connus s’essoufflent, on tape
dans les mains, on braconne à cris de loup l’imprécation innocente : Dehors le préfet
.
On noue les chaînes aux barreaux des fenêtres, qui s’allument nonchalantes, les
installés ont bien le temps, les maillons se démentent avec le soir.
Il s’en fout, forcément. La loi, la vie. Sa décision. Tout pour eux, rien pour lui. Eux
réduits à la poussière, volée qu’on souffle aux pissenlits.
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Coeur de ville
Tour de cathédrale
Un cercle au front de cathédrale, tour de soleil au nez du soir.
Et tous en chaînes cette fois-là.
Ils ont barré la préfecture.
Boucles blanches aux épaisseurs de bague, une voisine dit à la sienne, coulée de
source : Et nous, qui sait si nous ne ferions de même, voler, à leur place ? Pour sûr.
Nous ne sommes autres.
En chaînes argentiques.
Pour l’heure, les demandeurs d’asile que nous défendons rangés en diadème n’ont
seulement pas volé…on leur reproche alors le grand larcin de vivre, l’école aussi à
leurs enfants.
Un petit fonctionnaire occiput à tous vents m’aperçoit pour la bise –la chaîne
s’assemblait, je répugnais à ses bajoues préfectorales. Ah, tu es là ?... Tu ne vas tout
de même pas t’enchaîner ?
Si l’imbécile –la première note, seule, je l’ai dite…encore polie.
Impuissants enchaînés –en nombre.
Promettons, davantage, pour de prochains cadrans solaires.
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Coeur de ville
Je te salue
Je te salue, et les bleuets de tes yeux sages assis en flanc de cathédrale –ces
verreries séraphines.
L’exquise blanche et noire, belle ombre, chienne et demi-sœur applique, finesse, ses
jambes au pourtour de mon sac.
Je la caresse à l’encolure, mes doigts traversent la fourrure habillée jeu de dames,
flattant son derme au-dessous qui ondule –un lac au muscle unique, à petit feu…et je
parle à tes yeux sages, frottés des pâleurs du vent d’est.
Tu me donnas son nom –nous sertissons les mots difficiles à se tendre…Laïla ?
Ladela…l’oubli semé si fraîchement – le mien je te l’offre en échange quand tu te
lèves, gratitude, pour que nos joues inconnues se rencontrent –c’est mon billet de dix
faute des pièces de d’habitude…mais il ne coûtait rien, disent mes yeux…
Papiers rectangles rêches.
Tu as froid, ces jours il a gelé, de gestes égarés tu me mimes l’oubli, l’absence, des
manteaux et des gants. Nous nous comprenons en hochements de tête, à ton regard
des mers arctiques, au trait tiré de ta compagne, haletante tiède ensorceleuse, demilevée.
Plus de « Restos », hélas, et je n’ai pas de cigarettes.
Quelques éternités s’intercalent, le soleil rit au long couloir des rues.
Comme deux amis côte à côte au fanal ébène, opalin, de ta bête, arc au velours
fichée du sol à moi…
Et ces paniers de passants passent…
Le soleil neuf nous becquetait le bord des doigts.
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Coeur de ville
Je vais partir, je me détache, les pattes charbonnées festonnent la gamine,
dansantes, et se rapiècent…reste, qu’elles disent…Je reviendrai l’amie, aux cristaux
insulaires, aux prunelles du maître –diamants d’eau des deux iris…
Et je voudrais que tu me vis, toi l’infatué d’hier soir, au restaurant d’épingles bien
tirées, sortant seigneur, ta carte noire, tes préjugés gonflés en dogme, ton air
managérial, ferrugineux, et tes carrés de vérités (demande d’asile crissait comme
une diablerie au porche de ta bouche, et syndicat ronflait de venin russe ; tu assénais
qu’en France on déresponsabilise , lançais des mots droitiers, contreparties , les
assistés, et tout le cinéma), oui je voudrais que tu me croises parlant, égale, à ce
maudit des rues.
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Coeur de ville
Points de cercle
Le mois s'est passé.
Point de cercle en ce jour, mais à peine un quartier de lune, place de la République
de Mende.
Rien de nouveau pour les familles presqu’exclues. Rien de nouveau, l’inerte pente
aux abois.
La place reflue aux enjouements de la fontaine que l’hiver coupa d’eau, or nous
sommes trente à peine, manquent cent bras du cercle et ses rayons.
Lecture de listes d’étrangers qui furent faits des Français.
lz
Un
Un Français sur quatre a au moins un grand-parent étranger.
Lors de la manifestation du 9 avril, certains d’entre nous ont parlé de leur
ascendance d’origine étrangère. Aujourd’hui, nous avons choisi d’évoquer des
étrangers, et enfants d’étrangers qui ont fait la France.
Au dos du tract, sous le titre aux lettres grasses Français célèbres venus d’ailleurs,
se tiennent des rubriques queue leu leu, où l’on retrouve au sein des foules Jean
Ferrat, chanteur, de père russe naturalisé français en 1937, dénaturalisé sous Vichy,
[…] Stéphane Grappelli, musicien, de père italien […] La comtesse de Ségur, née en
Russie de parents russes, devenue française par son mariage […] Romain Gary,
Lituanien naturalisé en 1935 à 21 ans. […] Wilhelm Albert Vladimir Apollinaris
Kostrowitzky, Guillaume Apollinaire, poète, naturalisé en 1916 à 36 ans […] Georges
Peretz, écrivain, Georges Perec, de parents juifs polonais, né en France, il opte pour
la nationalité française […] Emile Zola, écrivain et journaliste, de père italien
naturalisé français […] Jean Giono, écrivain, son père Jean Antoine, cordonnier
anarchiste italien, a été naturalisé français en 1889 […] Marc Chagall, Russe
naturalisé en 1937 à 50 ans, dénaturalisé sous Vichy […]
J’appris alors un nouveau mot, dénaturaliser, qui sonne un peu déminéraliser, ôter le
sel au pied de vie d’un homme. Sous Vichy on extirpe ce qu’on vous octroyait, pays
donné, patrie reprise.
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Coeur de ville
Au soleil de la préfecture aux allures de gâteau pain d’épice, notre blanche
banderole aux noms grisés, même parvis d’église, refuse de se fixer,
farouche…l’espoir oscille au vent d’avril, ne sommes-nous tous des rescapés ?
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