LA POESIE histoire
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LA POESIE histoire
HISTOIRE DE LA POESIE L’étymologie nous dit que la poésie est la création par excellence (en grec poïen=créer). L’histoire nous apprend qu’elle est d’origine divine : elle s’inscrit sous le signe des Dieux Dionysos, Apollon, sous celui des Muses que conduit Apollon, et du fils d’une d’elle, Orphée. Dieu solaire, Apollon fait retentir sur sa lyre des accents apaisants et charmeurs. Lumineux et sublime, il se tient à distance des hommes, leur enseigne la mesure et l’ordre, la spiritualité et la sagesse. Obscur comme les cavernes où se réunissent ses fidèles scandaleux, l’insaisissable Dionysos joue de la flûte et s’enivre de vin, de chants tumultueux et de cris. Mangeur de chair crue, chantre de la nature bénéfique, le dieu bestial brouille l’ordre social et arrache les épouses à leur foyer. A la figure d’Apollon s’attache le mouvement ascendant de la poésie vers le sublime, la recherche de la beauté plastique, l’éloge de l’équilibre, de l’harmonie, de ce que Nietzsche nomme « l’ordre olympien de la joie ». Par opposition, Dionysos est l’Étranger dans la cité où il apporte la démence ; à travers lui, la poésie est maudite, elle implique la marginalité fatale du poète. Dionysos représente la nature sauvage, tantôt considérée avec angoisse, tantôt dispensatrice de bienfaits ; il voue la parole humaine à la démesure. Ainsi ces dieux tutélaires de la poésie lui apportent des valeurs symboliques qu’elle ne démentira jamais. Au XVIème siècle Le Moyen Age a favorisé, en plus des chansons de gestes et autres poèmes épiques à visée essentiellement narrative, des poèmes à forme fixe qui exigent des prouesses techniques particulièrement raffinées : la ballade, le rondeau, le virelai. Marot (1496-‐1544) est l’héritier de ces rhétoriqueurs, qui cherchent l’accord parfait entre les contraintes formelles et le sens du poème. Les poètes de La Pléiade, Du Bellay (1522-‐1560) et Ronsard (1525-‐1585), veulent inventer une nouvelle langue poétique, qui enrichit la langue française et se nourrit des modèles antiques, d’où la référence fréquente à la mythologie. Ils veulent aussi démarquer le langage poétique de la langue courante, car la poésie dit moins qu’elle ne suggère, n’exalte, n’évoque, d’où l’usage constant des figures de rhétorique (comparaison, métaphore, périphrase, symbole…). L’art du sonnet est à son apogée dans la poésie amoureuse. Mais la poésie élégiaque (plainte personnelle), la poésie satirique (critique amusée ou amère des comportements humains) et la poésie religieuse sont également bien représentées. L’art d’aimer, l’art de vivre, la fuite du temps, la mort, la gloire du poète et du roi (dont souvent il dépend financièrement) en sont les thèmes principaux. Louise Labé (1524-‐1566), inspirée par les thèmes pétrarquistes, donne un point de vue féminin sur l’amour, qui oscille entre l’enchantement et l’impossibilité de son existence. La fin du XVIème siècle et ses guerres de religion verront la naissance de la poésie engagée, moyen de lutte et de témoignage, avec Agrippa d’Aubigné (1552-‐1630) Au XVIIème siècle Au début du siècle, le baroque donne naissance à une poésie subtile et émouvante, expression des sentiments personnels face à l’amour, à la nature, à la fuite du temps ou à la mort : Malherbe (1555-‐1628) ou Théophile de Viau (1590-‐1626) développent, autour de ces thèmes, des accents tour à tour joyeux et tristes, admiratifs et mélancoliques. La Préciosité, avec Saint-‐Amant (1594-‐1661) ou Tristan L’Hermite (1601-‐1655) prolonge cette inspiration en faisant de l’amour le thème privilégié. La foi peut renforcer le lyrisme, en l’élevant, en le sublimant, et le baroque débouche alors sur une poésie religieuse qui prend des dimensions cosmiques comme chez Malherbe. Le baroque correspond à une vision du monde en transformation permanente, avide de liberté, conscient de la force des apparences, ouvert à la complexité de la vie ; il se manifeste par une certaine outrance de l’expression, une incohérence des images, un goût pour les pointes (chute brillante et inattendue). Mais la poésie tend à s’étioler au fur et à mesure que s’installe le classicisme, qui verra surtout se développer la poésie dramatique (le théâtre en vers, Racine, Corneille, Molière) et la poésie didactique des arts poétiques (Boileau 1636-‐1711) et des fables (La Fontaine 1621-‐1695). Au XVIIIème siècle L’importance accordée à une littérature d’idées, critique et dénonciatrice, fait apparaître la poésie comme un genre secondaire à l’époque des Lumières. Voltaire compose des poèmes épiques ou satiriques, « Le Mondain » ou « le Poème sur le désastre de Lisbonne ». Mais la poésie est à la fois soupçonnée d’être contraire à la raison et trop mondaine, autant de valeurs dénigrées. Seul Chénier (1762-‐1794) a été retenu par la postérité. Il s’oriente vers la dénonciation de l’arbitraire érigé en institution pendant la révolution (il sera guillotiné pendant la Terreur), mais aussi vers un lyrisme préromantique. D’ailleurs, ses poèmes ne seront publiés qu’en 1819. Au XIXème siècle Le lyrisme connaît avec le courant romantique une nouvelle dimension. L’exaltation du moi privilégie l’émotion comme élément essentiel de la vie et met l’homme et le poète au centre de la poésie. Ce lyrisme adopte tantôt le ton de l’épanchement élégiaque, tantôt celui de l’exaltation plus ou moins douloureuse. Les thèmes reviennent de manière obsessionnelle : l’homme et le temps, l’homme et la nature, l’homme et l’amour. La sensibilité exacerbée se tourne aussi vers les autres, dans un élan humanitaire qui s’interroge sur la condition humaine, sur ses faiblesses. L’intérêt pour l’enfance et l’adolescence, la vision d’une humanité en marche, l’inspiration politique et sociale sont aussi des thèmes récurrents des poètes romantiques : Lamartine (1790-‐1869), Musset (1810-‐1857), Vigny (1797-‐1863). Le surnaturalisme, avec Aloysius Bertrand (1807-‐1841) et Nerval (1808-‐1855), converge avec le romantisme dans l’importance accordée à la subjectivité, l’insatisfaction et le goût de l’évasion. Mais il mène une quête originale dans le monde incertain des forces irrationnelles. Son champ d’investigation est la vie intérieure, le rêve, la métempsychose, le flou. Le langage est renouvelé dans cette démarche vers le mystère qui doit révéler le sens du monde. Victor Hugo (1802-‐1885), unique et néanmoins romantique, définit la place et la fonction du poète. Le poète est celui qui voit, son regard est observation, contemplation, imagination, révélation, illumination ; le poète est celui qui nomme, et la parole est action ; le poète est celui qui éclaire, il guide les hommes, le peuple vers un avenir meilleur. Les Parnassiens rejettent les excès du lyrisme et ceux de l’engagement politique, et prônent un art sans autre utilité que lui-‐même, où le souci de la forme est prépondérant. Le poète artisan du vers travaille à la perfection du poème souvent descriptif et orienté vers l’orient ou les civilisations antiques. Théophile Gautier (1811-‐1872), Leconte de Lisle (1818-‐1894), José Maria de Heredia (1842-‐1905) sont les principaux « Impassibles ». Baudelaire (1821-‐1867) puis les symbolistes Rimbaud (1854-‐1891), Verlaine (1844-‐1896), Mallarmé (1842-‐1898) vont faire éclater les principes esthétiques de la poésie et en explorant les possibilités inépuisables du langage, veulent ouvrir un monde nouveau. Pour les Symbolistes, le monde ne saurait se limiter à une apparence concrète réductible à la connaissance rationnelle. Il est un mystère à déchiffrer dans les correspondances qui refusent le cloisonnement des sens : sons, couleurs, visions participent d'une même intuition qui fait du Poète une sorte de mage. Le symbolisme oscille ainsi entre des formes capables à la fois d'évoquer une réalité supérieure et d'inviter le lecteur à un véritable déchiffrement : d'abord voué à créer des impressions -‐ notamment par l'harmonie musicale -‐ un souci de rigueur l'infléchira bientôt vers la recherche d'un langage inédit. Si Verlaine ouvre la voie musicale, Laforgue (1860-‐1887), Corbière (1845-‐1875) et Cros (1842-‐1888) poussent jusqu’à l’utilisation systématique de la dissonance et décapent les thèmes romantiques par l’acidité de l’autodérision. Ce sont ses « poètes maudits », rejetés par la société matérialiste et dont le destin a quelque chose de tragique. Dans ce troisième tiers du XIXème siècle, la poésie a réalisé une révolution formelle : Hugo ouvre la « cage-‐ césure », Verlaine fluidifie le vers impair, Bertrand d’abord puis Baudelaire et Rimbaud initient le poème en prose ; Laforgue invente le vers libre… La poésie commence son mouvement de libération. Cette liberté ne sera désormais plus démentie, et la poésie régulière, en vers, en rimes, devient obsolète. Au XXème siècle L’esprit nouveau intervient avec Apollinaire (1880-‐1918), Blaise Cendrars (1887-‐1961) et Max Jacob (1876-‐1944). Ces poètes expriment leur passion pour le monde moderne : les machines, les usines, la publicité, les nouveaux moyens de transport… nourrissent leur inspiration. La 1ère guerre mondiale qu’ils ont vécue ou dont ils sont morts est également au centre de cette poésie. Leur fantaisie verbale correspond à une nouvelle vision du monde : les jeux de mots, les trivialités, les jeux de l’imagination émaillent même les poèmes les plus sérieux. La poésie et la peinture s’influencent. Apollinaire renouvelle les calligrammes. Le dadaïsme, aussi appelé Dada, est un mouvement intellectuel, artistique et littéraire qui a marqué son époque. Son principe s'avère des plus intrigants : dans un contexte chaotique, ravagé par la Première Guerre mondiale, jouer à la manière de l'enfant avec les convenances, décontenancer par le biais de l'humour et de la créativité, oser l'extravagance et la dérision dans le but de dédramatiser. Les artistes adhérant au mouvement dadaïste possèdent tous les mêmes dénominateurs communs : esprit irrévérencieux et léger, capacité de pouvoir créer de toutes les façons possibles, recherche de la liberté sous toutes ses formes. Tristan Tzara (1896-‐1963) est le créateur de ce mouvement international. Non loin de Dada, la révolution surréaliste apparaît en ce début de siècle comme le mouvement le plus novateur, le plus radical, et pour certains le plus scandaleux. « Transformer le monde, a dit Marx ; changer la vie, a dit Rimbaud : ces deux mots d’ordre pour nous n’en font qu‘un. » (André Breton). Par l’ambition de concilier la poésie et l’action, de restituer le langage à sa vraie vie, le surréalisme entend libérer la pensée du contrôle de la raison pour accéder à l’inconscient, ce que permet l’écriture automatique. La recherche du merveilleux dans le quotidien, l’exaltation de l’amour, les récits de rêves sont les thèmes privilégiés de ces poètes qui pour cela rejettent toutes les règles de la poésie et donnent la primauté à l’image stupéfiante. Breton (1896-‐1966) est le chef incontesté d’un mouvement fluctuant qui a vu passer Éluard (1895-‐1952), Aragon (1897-‐1982), Desnos (1900-‐1945), Reverdy (1899-‐1960), et qui a accueilli de nombreux peintres : Dali, Magritte, Miro… Certains poètes (Aragon, Éluard, Desnos notamment), devant l’horreur nazie de la seconde guerre mondiale, ont abandonné la gratuité du surréalisme pour mettre la poésie au service de l’engagement. En opposition à une poésie surréaliste jugée hermétique, certains poètes prennent le parti de la simplicité et inventent une poésie du quotidien, lisible par tous qui puise son inspiration dans la vie de tous les jours, les scènes de rue, la vie des humbles, le bonheur tranquille, le travail (longtemps considéré comme un thème antipoétique), et utilisent un langage simple, populaire voire argotique : c’est les cas de Prévert (1900-‐1977) d’abord surréaliste, Vian (1920-‐1959). Ponge (1899-‐1988) prend une autre voie en décrivant aussi les choses les plus banales « de la façon la plus claire » et en même temps attendrie pour faire renaître le monde, le réinventer. Henri Michaux (1899-‐1984) conçoit la poésie comme l’exploration de territoires inconnus (« l’espace du dedans ») ; il crée des mondes fictifs pour exorciser son angoisse devant l’hostilité du monde. L’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle) est un mouvement fondé par Raymond Queneau (1903-‐ 1976) en 1960. Les oulipiens partent du principe que toute poétique obéit à des règles arbitraires qui stimulent la création, et se proposent de les accommoder, de découvrir des structures nouvelles, notamment inspirées de combinaisons mathématiques. On obtient ainsi une littérature « potentielle » jouant sur toutes les possibilités d’un texte et invitant à en multiplier les lectures. Tout en affichant une fantaisie déconcertante, bousculant la syntaxe, le lexique, l’orthographe, les oulipiens refusent, par les multiples règles qu’ils inventent (méthode S+7, lipogramme, monovocalisme, possibles narratifs…) l’inspiration magique. Georges Perec (1936-‐1982), Jacques Roubaud (1932-‐), Italo Calvino (1923-‐ 1985) sont les plus célèbres oulipiens et d’ailleurs ne se sont pas cantonnés à la poésie. AU XXIème siècle Les poètes ne croient plus aux muses, ils cherchent plutôt à se réconcilier avec le monde avec humilité, et souhaitent simplement aider les hommes à mieux habiter ce monde sans prétendre transmettre de vérité. Yves Bonnefoy (1923-‐ ), André Du Bouchet (1924-‐ 2001), Philippe Jaccottet (1925-‐) aboutissent ainsi à des textes brefs et dépouillés, méditatifs. Aujourd’hui, la poésie est très vivante, à cheval sur d’autres modes d’expression, la performance, les arts plastiques, la poésie orale, la poésie visuelle, la poésie action ; elle a explosé sa spécificité générique mais en même temps elle est ce qu’elle a toujours été, un détournement, une transgression, une langue qui se remet toujours en question.