Le cinéma muet en concert

Transcription

Le cinéma muet en concert
Le cinéma muet en concert
A l’origine du cinéma…
Avant l’apparition du cinéma parlant en
1927,
tous
les
films
que
l’on
qualifie
désormais de « muets » étaient néanmoins
sonores. A chaque projection, un pianiste ou
un orchestre accompagnait au pied de
l’écran le film pour « renforcer l’attention du
spectateur et dynamiser le rythme des
images » (David Robinson). Ainsi, il s’agissait
non pas pour les spectateurs d’assister à
une séance de cinéma, telle que nous la
connaissons aujourd’hui, mais plutôt à une
sorte de spectacle cinématographique.
De nos jours…
entre création musicale contemporaine
et
redécouverte des chefs d’œuvre du cinéma
Qualifiée désormais par le terme de ciné-
Quel que soit le style musical choisi ou
concert, cette forme de spectacle insolite
l'approche
et magique qui recrée l’ambiance des toutes
cherchant à garder une cohérence avec
premières projections de cinéma, s’inscrit
l'atmosphère du film, d'autres s'aventurant
également dans les mouvements artistiques
dans des expériences plus singulières et
récents
créateurs
parfois décalées, ces spectacles ne laissent
travaillent à une hybridation des formes
pas indifférents. Cette rencontre artistique
d'expression.
Pour
insolite
compositeurs
et
dans
lesquels
ou
plupart
des
suscite
compositeurs,
des
émotions
certains
et
des
improvisateurs,
sensations particulières. D'autant plus que
passionnés par le cinéma, ces films offrent
les ciné-concerts, en offrant une lecture
un espace de création dans lequel les
contemporaine
contraintes
diffusés, permettent une réappropriation du
de
/
la
les
des
temps
mais
aussi
émotions visuelles sont des consignes.
les
de
ces
films
patrimoine cinématographique.
rarement
Le film : L’Inhumaine
de Marcel L’Herbier
La fiche technique
France - 1924 – 135’
35mm - muet - noir et blanc
Copie : Les Films sans Frontières
Scénario : Marcel L’Herbier
avec la collaboration de Georges Specht
Décors :
Fernand Léger
Robert Mallet-Stevens
Claude Autant-Lara
Alberto Cavalcanti
Costumes : Paul Poiret
Les personnages
Georgette Leblanc : la cantatrice Claire Lescot
Jaque Catelain : le savant Einar Norsen
Marcelle Pradot : l'innocente
Philippe Hériat : le maharadjah de Nopur
Leonid Walter de Malte : Vladimir Kranine
Fred Kellerman : Frank Mahler
Le résumé
Adulée et courtisée, la cantatrice Claire Lescot ne vit que pour son art. Son insensibilité l'a
fait surnommer "l'inhumaine". Un soir de grande réception, où se retrouvent les plus fameux
artistes, poètes, diplomates..., un invité se fait attendre. Il s'agit d'un jeune ingénieur se
livrant à de mystérieuses recherches scientifiques. Désespérément amoureux de Claire, il ne
semble pourtant pas avoir succombé à la frivolité décadente de sa façon de vivre. Même si
Claire demeure insensible à ses avances, le jeune homme est bien décidé à briser la
légendaire froideur de la cantatrice. Il échafaude un plan qui les conduira l’un et l’autre vers
une renaissance grâce à la détermination et au génie technologique du jeune homme.
Le réalisateur : Marcel L’Herbier
Tenté par la littérature, marqué par l’école symboliste avant la
guerre, il découvre le cinéma quand il est affecté au Service
cinématographique des armées, en 1917. La paix revenue, il
travaille
chez
Gaumont,
puis
fonde
sa
propre
société
de
production. Proche de Delluc et des cinéastes de la première
avant-garde mais disposant de plus de moyens, il associe des
plasticiens de renom, architectes, décorateurs, costumiers, à sa
création qu’il définit comme un langage neuf qui doit s’adresser
aux masses. Ses grands films sont aujourd’hui des catalogues de
formes qui font écho à la modernité des années vingt, dessinés
autour de scénarios à la fois fragiles et grandiloquents. L’Herbier
a élargi l’espace du cinéma français, mais a échoué dans
l’animation de cet espace. Après 1930, il réalise avec une maîtrise
incontestable des films romanesques ou patriotiques. Mais c’est la période muette qui a été
la phase créatrice de sa longue carrière avec des films comme L’Homme du large (1920), El
Dorado (1921), L’Inhumaine (1924), Le Vertige (1926), L’Argent (1928).
Autour de L’Inhumaine : un film d’artistes
Pendant l’été 1923, de retour de New York, Georgette Leblanc,
chanteuse concertiste confirmée, contacte Marcel L’Herbier avec
l’idée de faire du cinéma. Ce dernier lui écrivit un premier scénario
intitulé La Femme de glace. Elle trouva son rôle trop caricatural et
lui fit remarquer que les possibilités d’un succès, spécialement aux
États-Unis seraient supérieures si le film présentait une synthèse
du travail créatif le plus au jour dans tous les domaines de l’art.
L’Herbier transforma son scénario et l’intitule L’Inhumaine. Il fait
appel pour la musique à Darius Milhaud, pour les décors à Alberto
Cavalcanti, Claude Autant-Lara, et Fernand Léger, Pierre Chareau
et Michel Dufet dessinent le mobilier, Paul Poiret les costumes,
Lalique, Puiforcat, Jean Luce, les verreries, les tapis, MalletStevens conçoit les volumes des décors et l’extérieur des bâtiments.
En raison du retard pris dans le tournage, il manquait la scène de l’émeute dans un théâtre
parisien. Sur les conseils d’un éditeur, un concert de George Antheil fut organisé au Théâtre
des Champs Elysées, au cours duquel il joua ses pièces les plus radicales. Le plan fonctionna
puisque le Tout Paris présent réagit avec indignation aux dissonances sauvages de la
musique d’Antheil. Et L’Herbier, qui dissimula une dizaine de caméra à l’insu de tous, pu
recueillir les scènes qui lui manquaient ; dans lesquelles on peut reconnaître Erik Satie,
Darius Milhaud, James Joyce, Picasso, Man Ray, Ezra Pound, le Prince de Monaco, des
membres du groupe des surréalistes et du groupe des Six.
Manifeste Art-Déco & apologie du modernisme
« Cette splendeur du cinéma muet, véritable manifeste du style art-déco, est certainement l'oeuvre la
plus ambitieuse de Marcel L'Herbier, qui comptait en faire un "résumé provisoire de tout ce qu'était la
recherche plastique en France deux ans avant la fameuse exposition des arts décoratifs” »
Noël Burch
Robert Mallet-Stevens
Marginalisé au début de sa carrière à l’intérieur du corps des
architectes à cause de son travail de décorateur, il ne pourra
que prendre d’affection le cinéma, lui aussi marginalisé à ses
débuts. Après une série de décors très remarqués pour de
grands films de l’époque, la rencontre de Mallet-Stevens avec
Marcel L’Herbier est décisive car elle lui permet de construire
des
décors
qui
reflètent
ses
propres
préoccupations
esthétiques. L’échec du film n’intimide pas Marcel L’Herbier qui
collabore à nouveau avec l’architecte trois ans après pour Le
Vertige. C’est pendant le tournage de L’Inhumaine en 1923 que
Mallet-Stevens
reçoit
sa première grande commande de
construction : la villa du Vicomte de Noailles à Hyères.
Fernand Léger
Fernand Léger ne cacha pas son intérêt pour l’invention du cinématographe et réalise
d’ailleurs à cette époque l’un des plus célèbres films d’artistes, Le Ballet Mécanique, qui
marque les débuts du cinéma expérimental.
Jaque-Catelain, qui interprète le jeune savant,
raconte que Marcel L’Herbier demanda à Léger
deux décors pour les laboratoires de L’Inhumaine.
Le lendemain, le peintre arrive avec six aquarelles
représentant
des
volumes
abstraits
sans
application pratique, laissant L’Herbier dubitatif.
Le surlendemain, Léger, en tenue de machiniste
(voir photo), charriant d’étranges pièces de bois,
se mis à construire « avec une scie, des clous et
son cœur, sa propre vision du laboratoire ».
Alberto Cavalcanti
La salle du banquet, décorée par Alberto Cavalcanti, artiste
brésilien qui plus tard avec un documentaire impressionniste,
Rien que les heures, rejoindra le mouvement du cinéma
d’Avant-garde, contient une immense plate-forme en marbre
noir et blanc, entourée d’un fossé rempli d’eau (voir photo),
étudiée pour accentuer ultérieurement le retrait de Claire du
monde, enfermée dans son royaume raréfié des arts.