Sciences au Sud n°12 - Recherches ( PDF , 428 Ko)

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Sciences au Sud n°12 - Recherches ( PDF , 428 Ko)
© IRD/M. Dukhan
Recherches
« Quel que soit ton âge, si tu ne participes pas, tu es comme un mineur. »
Ces propos d’un jeune Dakarois illustrent, on ne peut mieux, la difficulté
des jeunes à accéder au statut d’adulte
dans nombre de familles dakaroises. Ils
ont été recueillis par Tidiane Ndoye, un
étudiant en sociologie à l’université de
Dakar, qui collabore, par ses travaux de
DEA, au programme de recherche mené
par l’IRD et l’IFAN sur le passage à l’âge
adulte dans les classes moyennes et
pauvres de la capitale du Sénégal1.
« Les conditions des jeunes apparaissent essentiellement au travers des statistiques sur le chômage, peu d’études
se penchent sur la manière dont ils
vivent cette situation de précarité,
explique Tidiane Ndoye. Mon objectif a
été de comprendre les mutations qui
s’opèrent par une étude qualitative et
comparative sur les attentes et les
prises de rôle au sein des familles de
jeunes âgés de 20 à 29 ans dans trois
quartiers plus ou moins pauvres de la
ville. »
La précarité soumet les jeunes à une
grande vulnérabilité à la fois économique et affective. Disqualifiés, ils ne
peuvent assumer de rôles conséquents
6
au sein du foyer. « Tu sens que tu as
l’âge de prendre des responsabilités.
Mais aussi longtemps que tu ne
marques pas ta présence par une participation, tu n’es pas mieux traité que
les enfants. (…). En fait, c’est comme si
on essayait de t’humilier. » (un jeune de
27 ans, HLM Grand-Médine). Exclus des
délibérations, les jeunes voient leur statut menacé « En cas de prise de décisions tu n’es même pas consulté. (…).
Dans la maison, tu fais vraiment œuvre
de figurant » (un jeune de Médina
Gounass). La place des
jeunes au sein des
familles diffère cependant selon le niveau de
vie. Ceux des milieux
pauvres sont fortement sollicités pour
contribuer économiquement à la gestion
du quotidien tandis
que ce rôle est différé
lorsque les parents ont
plus de moyens. Les
relations avec les
autres adultes de la
famille sont complexes
et les jeunes cherchent
des alternatives en formant avec leurs pairs
des groupes qui leur
offrent un espace privilégié de ressourcement
et de solidarité. « Mon
groupe d’amis est ma
seconde famille. C’est
A Yaoundé et à Dakar, les trois avec eux que je passe
quarts des hommes ont
le plus clair de mon
un travail avant de se marier
temps (…). Ici, on parcontre une femme sur cinq
tage tout. C’est le
seulement.
social-living. »
(un
jeune de 29 ans, habitant Sicap Liberté
5). La crise économique et le relâchement des solidarités intra-familiales
conduisent les jeunes à élaborer des
stratégies complexes de construction
de la position sociale au travers d’espaces extérieurs.
●
Dans les pays du Nord, les jeunes entrent
plus tardivement qu’hier dans la vie adulte.
Observe-t-on le même phénomène en Afrique ?
À la suite d’enquêtes dans trois capitales
africaines, des chercheurs répondent par
l’affirmative1. Mais cette évolution s’inscrit
dans une crise économique prolongée dont,
paradoxalement, les plus diplômés sont
les premières victimes.
Contraints
de rester jeunes?
es démographes et des
économistes de l’IRD et
de DIAL ont analysé les
données
d’enquêtes
biographiques réalisées auprès de plusieurs générations
de citadins à Dakar, Yaoundé et
Antananarivo2. Parmi les multiples
événements marquant le processus
d’intégration dans le monde des
adultes, les chercheurs ont retenu
trois étapes sociales majeures : l’obtention d’un premier emploi, la
constitution d’un couple, l’autonomie
résidentielle. Globalement, il apparaît que les jeunes générations franchissent ces trois étapes plus tardivement que leurs aînés. Ceci traduit
clairement un recul du passage à
l’âge adulte dans les trois villes ; et
ce, aussi bien chez les hommes que
chez les femmes. A Dakar, la proportion d’ “adultes” à 25 ans est passée
de 15 % chez les aînés à 5 % pour la
plus jeune génération et de 21 à
16 % à Yaoundé. C’est à Antananarivo que les jeunes gagnent le plus
rapidement leur indépendance : à
25 ans, un quart des hommes et un
tiers de femmes volent de leurs
propres ailes ; mais ces proportions
sont en baisse au regard de celles qui
prévalaient dans les années 1970.
Cette évolution s’explique en partie
par la formidable poussée scolaire et
la montée générale du niveau
d’étude chez les jeunes, en particulier chez les femmes. À Dakar par
exemple, la proportion des hommes
n’ayant jamais fréquenté l’école
atteint 30 % pour la génération la
plus âgée (née entre 1930 et 1944)
contre 15 % pour les plus jeunes
(nés entre 1955 et 1964). Chez les
Dakaroises, le bond est encore plus
spectaculaire : les non-scolarisées
sont passées en 20 ans de 83 à
32 %. Cependant, cette jeunesse
prolongée résulte surtout des effets
de la crise économique qui perdure
depuis au moins deux décennies.
Alors que 5 à 7 % de la génération la
plus ancienne étaient chômeurs à
25 ans dans les trois capitales, cette
proportion passe chez les jeunes à
10 % à Antananarivo, à 20 % à
Yaoundé et à près de 25 % à Dakar.
est élevé mettent plus de temps que
les autres à franchir les trois étapes
qui les conduisent à l’indépendance.
Contact
La famille à l’épreuve ?
La difficile insertion sociale des
jeunes dans ces trois capitales va
mettre l’institution familiale à rude
épreuve. Les générations plus âgées
pourront de moins en moins assurer
sur une longue durée la prise en
charge de leurs descendants tandis
que les jeunes ne seront pas en
mesure d’apporter un soutien à leurs
parents devenus inactifs. Même le
modèle malgache, qui se distingue
par une insertion relativement plus
rapide des jeunes générations, mais
dans des conditions financières peu
enviables, devrait être confronté aux
limites de la solidarité familiale, du
fait de la très longue et forte récession qui touche le pays. Une question
reste ainsi en suspens : cette dépendance accrue renforcera-t-elle les
liens entre générations unies dans
l’adversité ou, au contraire, sera-t-
Précarisation
A cela s’ajoute une précarisation des
conditions de travail avec une baisse
très importante de la proportion
d’emplois salariés et de ceux dans le
secteur formel. Plus préoccupant
encore, les nouvelles embauches se
font à salaires décroissants : à
Madagascar par exemple, la chute
du pouvoir d’achat au premier
emploi a dépassé 75 % en trois
décennies. Enfin, contrairement au
modèle occidental, ce sont les jeunes
diplômés qui souffrent le plus de ce
contexte défavorable. Non seulement
le diplôme n’est plus un viatique
contre le chômage, il est même
devenu un facteur de risque pour
trouver un emploi. À Yaoundé par
exemple, le taux de chômage des
jeunes diplômés (22 %) est aujourd’hui deux fois supérieur à celui des
non-diplômés (10 %). Dans les deux
autres capitales, le constat est le
même. De manière générale, le
diplôme semble constituer un frein
pour accéder au statut d’adulte : les
jeunes dont le niveau d’instruction
Mireille Razafindrakoto,
[email protected]
1. Programme de recherche associant le GIS
Dial (Développement et insertion internationale), le Ceped et l’IRD.
2. Ces enquêtes auprès d’individus de 25 à
54 ans ont été conduites à Dakar en 1989
par l’Ifan (Institut fondamental d’Afrique
noire) et l’Orstom (aujourd’hui IRD), à
Yaoundé en 1996 par l’Iford (Institut de formation et de recherches démographiques)
et le Ceped (Centre français sur populations
et développement), en 1998 à Antananarivo
dans le cadre du programme de recherche
Madio.
Les femmes accèdent-elles au statut d'adulte de la même manière que
les hommes dans ces trois capitales?
ême si le retard scolaire des filles n’a pas toujours été comblé, on
observe à des degrés différents selon les villes une réduction des inégalités entre hommes et femmes en matière de scolarisation. De manière générale, le niveau d’éducation n’a cessé de croître d’une génération féminine à
l’autre. Malgré ces progrès, l’entrée dans la vie adulte obéit à des schémas différents selon le sexe. Dans les trois villes, les hommes débutent leur vie professionnelle avant la vie matrimoniale. Chez les femmes, les situations sont plus
contrastées d’une capitale à l’autre. À Dakar le mariage et l’arrivée des enfants
précèdent nettement l’obtention d’un premier emploi. À Yaoundé la situation
est un peu plus complexe, mariage et activité s’enchaînent tout au moins pour
les générations les plus anciennes. Dans ces deux villes, les trois quarts des
hommes ont un travail avant de se marier contre une femme sur cinq seulement. Les Tananariviennes présentent une singularité à cet égard. Leur mode
d’accès au statut d’adulte ressemble à celui des hommes. Plus des deux tiers
d’entre elles exercent un métier avant de fonder une famille. Dans les deux
autres villes, les femmes restent plus longtemps dépendantes des hommes, en
particulier pour leur survie économique pendant les premières années qui suivent le mariage. C’est le cas notamment à Dakar où environ une femme sur
deux n’exerce pas d’activité (à l’exception de micro-commerce à la devanture
de la porte) et se retrouvera cantonnée toute sa vie dans la sphère domestique.
Le mariage était la principale voie d’accès au statut d’adulte pour les femmes.
Actuellement, la dégradation des conditions de vie contribue à différer de plusieurs années cet événement dans les trois capitales. Le recul de l’âge au mariage
des femmes pourrait découler en partie d’une « pénurie », sur le « marché matrimonial », d’hommes capables de subvenir aux besoins d’un ménage.
●
M
En savoir plus
© IRD/M. Dukhan
Les jeunes, hantise de l’espace public
dans les sociétés du Sud, Autrepart
N° 18, IRD-Éditions/Éditions de l’Aube,
2001.
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 12 - novembre/décembre 2001
François Roubaud,
[email protected],
démographe à l’IRD
Tidiane Ndoye, [email protected]
Dans les capitales africaines, les jeunes entrent dans la vie active dans des
conditions beaucoup plus précaires qu’auparavant.
Philippe Antoine,
[email protected],
Question à Philippe Antoine,
Contact
1. « Crise, passage à l’âge adulte et devenir
de la famille dans les classes moyennes et
pauvres à Dakar. » Ces recherches entrent
dans le cadre d’un programme piloté par
Conseil pour le développement de la
recherche en sciences sociales (Codesria,
Dakar) et l’IRD concernant les sciences
sociales sur l'Afrique au Sud du Sahara.
elle source de tensions insupportables à l’origine d’une rupture ? ●
© IRD/M. Dukhan
Figuration
De la pluie
à la retenue
Lac collinaire
et petit barrage
Petit Barrage de Zanfour (Tunisie).
Petits barrages
grand avenir
Relevés sur un lac collinaire tunisien avec l’INAT (Institut
national agronomique de Tunisie).
source en sol et des flux d’eau et de
méthodes de dimensionnement des
matières associées dans les petits
barrages ou calculent le niveau
bassins versants cultivés, en liaison
d’érosion dans les impluviums. Ils
avec les activités agricoles et les améévaluent les volumes de sédiments
nagements hydrauliques. Ambre assopiégés et la durée de vie des retenues
cie sept chercheurs et trois ingénieurs
ou encore s’efforcent d’optimiser les
de l’IRD et autant de partenaires pour
aménagements de protection contre
●
une durée de quatre ans.
l’érosion et d’accroître la qualité chimique des eaux.
Les équipes complètent ces observations par des
études
économiques et sociales
de façon à définir
des objectifs de
production agricole par irrigation.
Les
résultats
d’Hydromed ainsi
que des expériences réalisées
dans d’autres pays Petit barrage de Sadine (Tunisie).
que ceux impliqués dans le programme (Algérie,
Mexique, Espagne, Portugal) ont été
Jean Albergel, [email protected]
présentés lors du séminaire international qui s’est tenu à Tunis du 28 au
31 mai dernier. Hydromed est fini.
Ambre prend le relais. Ambre
(Analyse et Modélisation dans les
1. L’Institut hydrologique de Wallingford
Bassins Versants méditerranéens du
(Grande-Bretagne), l’Université de Lund
Ruissellement et de l’Erosion) est une
(Suède), l’INRASE, Institut national de la
recherche
agronomique
de
Séville
nouvelle unité de recherche dirigée
(Espagne), l’INRGREF, Institut national de
par Jean Albergel et associée à l’UMR
recherche du génie rural et des eaux et
Sciences du sol de l’Inra-Ensam de
forêts (Tunisie), l’Institut Hassan II (Maroc)
Montpellier. Avec cette nouvelle
et l’ACSAD, Institut des zones arides de
étape, se poursuivra l’étude de la resDamas (Syrie).
© IRD/J. Albergel
Contact
Barrage romain (IIe siècle) de la Badieh, sur la route de Palmyre en Syrie.
Construit en pierres de taille, il a pu retenir environ 80 000 m3 d’eau.
Faisabilité
© IRD/J. Albergel
is en place en 1996
dans le cadre du quatrième PCRD (Programme Cadre de recherche
et de Développement
de l’Union européenne), coordonné
par l’IRD et conduit en partenariat
avec huit instituts de recherche1, le
programme Hydromed a sélectionné
plusieurs petits barrages dans le
monde méditerranéen, en Afrique du
Nord (Maroc, Tunisie) et au ProcheOrient (Liban, Syrie) comme sites
d’étude pilotes. Des équipes pluridisciplinaires étudient l’évolution physique des bassins versants, la variabilité de la quantité d’eau disponible
dans les lacs et les nappes souterraines (aquifères), la durée de vie
des barrages en fonction de l’érosion
en amont et des volumes de sédiments piégés. Un appareillage de
collecte automatique de données
permet d’acquérir les principaux
paramètres hydro-climatiques. Leur
télétransmission par satellite facilite
l’intervention rapide des équipes de
recherche sur le site.
Les chercheurs travaillent dans plusieurs directions. Ils dressent le bilan
hydrologique du bassin versant,
déterminent la variabilité de la ressource et estiment la recharge des
nappes. Ils évaluent les risques de
destruction de barrage, de manque
d’eau pour l’agriculture, et d’envasement, tentent une amélioration des
© IRD/J. Albergel
Véritables boucliers contre les crues et sources de multiples activités
économiques, les petits barrages, imaginés au tout début de notre ère,
reprennent du service. Les lacs collinaires créés par ces aménagements
protègent aussi les grands barrages de l’envasement. Après Hydromed,
le programme Ambre, conduit par l’IRD, poursuit ses recherches
sur des sites pilotes en Afrique du Nord et au Proche-Orient.
L’IRD et la Direction de la Conservation
des Eaux et des Sols de Tunisie ont mis
au point un logiciel expert (IDLAC
PRO 1.0) d’aide à la décision en vue de
la création d'une petite retenue collinaire. Trois modules l’organisent.
Le module « Bas-Fond » comprend
un modèle numérique de terrain (MNT)
et un sous module de positionnement
et de calcul des paramètres de la digue.
Grâce à une interface graphique conviviale, l’opérateur peut choisir le site
optimal de la digue en cherchant à
minimiser le coût en fonction de la
capacité de la retenue. Lorsque ce
choix est fait, le logiciel calcule un
ensemble de données relatives à la
construction de la digue pour en évaluer le coût.
Le module « Bassin Versant » calcule
les volumes de ruissellement, l'envasement et les débits de pointe selon différentes formules hydrologiques testées en Tunisie ou en comparaison avec
une retenue déjà observée dans la
même région.
Le troisième module « Impact social
et économique » concerne l’évaluation du projet suivant des critères qui
permettent de tenir compte de l’impact socio-économique de la retenue
sur les populations concernées et de lui
fixer un objectif soit de conservation
des eaux et des sols, soit de développement rural.
●
En savoir plus
« Les lacs collinaires en Tunisie » et « le
paysage et l’eau, deux exemples préliminaires en Tunisie », deux cédérom
Hydromed.
[email protected]
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 12 - novembre/décembre 2001
Recherches
u’appelle-t-on précisément
un lac collinaire ? C’est une
retenue créée par un petit barrage en terre. Elle peut contenir
de quelques dizaines de milliers à
1 million de m3 d’eau recueillie
sur des bassins versants d’une
superficie de quelques hectares à
quelques km2. Ces lacs s’intègrent
de façon naturelle dans le paysage en ne créant pas de nuisance
particulière. Aptes à réguler les
flux hydriques et susceptibles de
maintenir les populations en
place, ils offrent de réelles possibilités de développement. Leur
construction vise plusieurs objectifs. D’abord, la protection des
infrastructures contre les crues
et contre l’érosion. Puis, la mise à
disposition d’une ressource en
eau de manière disséminée dans
le paysage. Elle peut servir aux
besoins domestiques, à l’abreuvement du bétail, à la micro-irrigation, etc. Enfin, le lac collinaire
permet le captage du ruissellement et la recharge des nappes
phréatiques, l’amélioration de
l’environnement et la création
d’activités agricoles ou touristiques. Ces retenues collinaires,
très fréquentes, partout où il y a
besoin de stocker de l’eau, sont
inspirées de principes précurseurs vieux de plusieurs millénaires. Elles sont connues dans
tout le Moyen-Orient depuis le
début de notre ère.
Au Moyen âge, le principe des
petits barrages en terre est diffusé
par les arabes en Europe du Sud.
Dans le Limousin où ils sont
encore utilisés comme abreuvoirs,
ils sont désignés en patois par le
mot arabe « schorbe » (boire). Au
Maroc, aujourd’hui encore, des
petites retenues traditionnelles,
les « Rdirs », sont aménagées par
des associations d’éleveurs dans
les reliefs de collines situées à la
limite de zones arides.
C’est en Italie qu’apparaît le lac
collinaire de type actuel, au
début des années 1950. Le développement et la réussite dans ce
pays de ces petits ouvrages
modernes ont été pour une
grande part la raison de leur
adoption dans l’ensemble du
bassin méditerranéen : France,
Espagne, Maroc, Algérie, Tunisie
et Moyen-Orient.
Les quatre pays (Liban, Maroc,
Syrie et Tunisie) dans lesquels le
programme de recherche Hydromed a réalisé ses expérimentations sont engagés dans une politique de construction de petits
barrages en complément des réalisations en grande hydraulique.
Avec, chaque fois, des objectifs
●
souvent multiples.
© IRD/J. Albergel
Q
Le progiciel Hydromed, conçu par les
chercheurs de l’Institut hydrologique
de Wallingford en collaboration étroite
avec l'équipe de l’IRD – INRGREF (Institut
national de recherche du génie rural et
des eaux et forêts de Tunisie) associe
deux modèles :
1. Un modèle de transformation pluiedébit (calcul du volume d’eau issu de la
pluie), spécialement adapté aux petits
bassins versants méditerranéens aux
bases conceptuelles simples.
2. Un modèle de volume de la retenue
qui calcule la disponibilité en eau et la
hauteur de l’envasement.
Le modèle de transformation pluiedébit s’adapte à différents types de
bassins versants et aux données disponibles. Le pas de temps de la modélisation est choisi entre 10 minutes pour
un petit bassin suivi régulièrement, à
un mois pour un bassin où l’on ne
cherchera qu’une évaluation grossière
des apports annuels. Les concepts utilisés pour décrire le ruissellement sont :
le refus à l’infiltration, la présence de
surfaces imperméables, la présence de
zones saturées. Il est possible de combiner ces concepts. L’écoulement
retardé, celui qui peut se poursuivre
après la fin de l’averse, est calculé soit
à partir des débits observés après les
crues soit à partir de l’estimation du
drainage des sols (modèle de sol à deux
couches).
Le second modèle calcule le volume
d’eau dans la retenue en fonction des
apports, du stockage possible et des
pompages. Le pas de temps est le mois,
et chaque mois pour lequel le volume
disponible est inférieur aux besoins est
considéré comme une défaillance. La
probabilité de défaillance est simulée à
partir de la consommation en eau des
plantes et du taux de remplissage à une
date donnée.
●
7
Les effets
de réformes
foncières
Des forêts,
des climats
et l’homme
Contact
Jean-Christophe Castella,
[email protected]
1 La composante « Régionale » du programme
SAM « Système agraire de montagne » est
conduite au Vietnam par des chercheurs de
l’Unité de recherche 100 « Transitions agraires
et dynamiques écologiques ».
2 En collaboration avec le CIRAD-CA qui met
en œuvre au coté du VASI la composante
« Systèmes de culture » du programme SAM.
3 En collaboration avec Le Programme
Fleuve Rouge coordonné par le Groupe de
Recherche et d’Échange Technologique
(GRET) et mené avec le VASI.
© IRD/G. Michon
Les forêts tropicales continuent de perdre du terrain.
En Amérique latine, en Afrique et dans le Sud-Est asiatique,
des chercheurs de l’IRD et leurs partenaires étudient l’évolution,
présente mais aussi passée, des massifs forestiers exploités
par l’homme et soumis aux changements climatiques.
Leurs travaux soulignent la complexité des mécanismes en jeu.
1
Responsabilités partagées
e plus grand massif
forestier tropical de la
planète (5,8 millions de
km2), l’Amazonie, tient
aussi la tête du palmarès par l’ampleur de son déboisement : 17 000 km2 de forêt environ
disparaissent chaque année, soit,
pour l’Amazonie brésilienne1, une surface de 551 000 km2 (équivalente à la
France) au cours de ces 30 à 35 dernières années. Qui est à l’origine de
tels défrichements ? Pour Philippe
Léna, géographe de l’IRD qui dirige
l’UR 78 – Mondialisation et développement local en Amazonie –, les responsabilités sont partagées.
La politique de désenclavement du
territoire amazonien engagée par
l’Etat brésilien depuis les années
1960 est la première en cause. On
observe en effet une coïncidence
entre le tracé des routes principales
et secondaires, généralement associées à un projet de colonisation, et la
localisation
des
défrichements.
L’idéologie de la « frontière » qui soustend cette stratégie – l’Amazonie
espace illimité à conquérir comme
solution au sous-développement – est
encore très présente dans les sphères
politiques et se conjugue aux intérêts
de multiples acteurs. Au Parlement
brésilien par exemple, le groupe
« ruraliste », essentiellement composé
de grands propriétaires terriens
menacés par le Mouvement des sansterre, exerce une forte pression en
faveur de la colonisation. Les politiques locaux – dont certains n’hésitent pas à octroyer des terres en
échange de votes – ont aussi une
large responsabilité en réclamant
toujours plus d’infrastructures routières. Les facteurs économiques
jouent également. Le différentiel de
prix de la terre entre le sud du pays
et l’Amazonie encourage les spéculateurs mais aussi les petits agriculteurs à étendre leur emprise.
L’élevage bovin extensif est incontestablement la principale activité à
l’origine des défrichements en
Amazonie. Seules 12 % des terres
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 12 - novembre/décembre 2001
défrichées sont occupées par des
cultures, le reste est constitué de
pâturages (100 000 km2, soit la moitié des pâturages de l’Amérique
latine) et des terres “dégradées” où
souvent le recrû forestier ne se réinstalle pas ou mal. Si, pour sa part, l’exploitation forestière n’entraîne pas de
façon directe une destruction de la
forêt, elle contribue, par les voies de
pénétration qu’elle ouvre, à une
expansion des fronts de colonisation.
En outre, elle accroît la sensibilité
des massifs forestiers aux incendies :
lorsque la saison sèche est accentuée
(comme en 1997-98 en relation avec
El Niño), ce sont les zones soumises à
l’exploitation sélective qui brûlent et
plus rarement les forêts primaires.
Si ce modèle de développement prédateur se poursuit, les superficies boisées en Amazonie brésilienne passeraient de 80 % actuellement à 28 %
d’ici à 20 ans, voire à 4 % selon les
scénarios les plus pessimistes. Un
modèle concurrent dit « socio-environnemental » émerge cependant : il préconise d'utiliser en priorité les zones
déjà déboisées, de promouvoir une
exploitation du bois de faible impact
environnemental, de freiner l'adoption
de l'élevage bovin par les colons et de
le remplacer par des systèmes agroforestiers, d'encourager les usages
multiples des ressources forestières
par les populations amérindiennes.
Comment cette nouvelle configuration
pourra-t-elle s’imposer ? Comment
notamment pourront se concilier amélioration des conditions de vie des
populations et préservation des ressources ? Les chercheurs de l’UR tentent actuellement de répondre à ces
questions majeures par une étude de
ces stratégies alternatives et de leurs
●
acteurs.
Contact
Philippe Léna,
[email protected]
1. 60 % de la forêt amazonienne se trouve
sur le territoire brésilien.
© IRD/Ph. Léna
© IRD/J.-C. Castella
Recherches
La décollectivisation de l’agriculture
vietnamienne à la fin des années 1980
s’est accompagnée d’une redistribution
des terres des bas-fonds rizicoles aux
populations villageoises. Dans les zones
de montagne, ceci a eu pour conséquence une déforestation généralisée
du fait de l’expansion rapide, sur les
pentes, des cultures itinérantes sur
défriche-brûlis, alors devenues plus productives que la riziculture de bas-fond.
Afin de protéger la ressource forestière,
de fixer l’agriculture et de développer la
production sylvicole, la nouvelle
réforme foncière engagée en 1994 a
attribué aux familles un droit d’usage
individuel sur les terres de forêts.
Quels sont aujourd’hui les impacts
sociaux, économiques et environnementaux de cette politique ? Quels sont, en
particulier, ses effets sur les systèmes de
production agricole et sur le milieu forestier. Des chercheurs de l’IRD, de l’Institut
international de recherche sur le riz (IRRI)
et de l’Institut vietnamien des sciences
8
agronomiques (VASI) tentent de répondre
à ces questions dans le cadre du programme SAM-Régional1. Pour l’heure,
des études dans plusieurs communes de
la province de Bac Kan (Nord Vietnam)
montrent que les réformes foncières ont
conduit certains groupes
ethniques (notamment les
Tày-Nung) à concentrer
leurs activités sur les
rizières des bas-fond et à
abandonner les cultures
sur défriche-brûlis. Ainsi,
de grands ensembles géographiques sont passés en
quelques années d’une
dynamique de déforestation diffuse difficilement
contrôlable à une relative
régénération forestière.
Cependant, d’autres éthnies (Dao, H’Mong, etc.),
ne pouvant plus accéder
aux terres de bas-fonds,
n’ont eu d’autre alternaDébardage du bois de feu tive que de se rabattre sur
au buffle et à dos d’homme l’essartage. De ce fait, à
dans un village Dao une échelle locale, le coudans les montagnes vert forestier continue à
du Nord Vietnam.
être détruit par ces essarteurs qui, à présent à
l’étroit sur leur territoire villageois, voient
leur système de production s’asphyxier.
Aussi de nouveaux modes de production
et de gestion à la fois respectueux de
l’environnement et aptes à répondre à
des besoins accrus en terres cultivables
doivent-ils être très rapidement adoptés.
« Le programme SAM s’attache à mettre
au point et à faire connaître des alternatives techniques aux cultures sur abattisbrûlis2. Il étudie également comment
intensifier l’agriculture dans les basfonds3 de manière à diminuer la pression
sur les pentes et à favoriser la régénération de la forêt », souligne JeanChristophe Castella, agronome à l’IRD. À
terme, les résultats de ces travaux seront
intégrés dans un modèle informatique
couplé à un système d’information géographique ; ce, afin d’élaborer à une
échelle régionale des scénarios d’évolution de l’agriculture et de l’environnement qui puissent aider à concevoir de
meilleures stratégies de gestion des ressources naturelles.
●
4
2
1 Paysage agro-forestier en Indonésie.
2 Route ouverte en forêt amazonienne.
De la forêt à l’agriculture... qu
ans de nombreuses
régions
tropicales,
l’agriculture est souvent dénoncée comme
le premier facteur de
déforestation. La réalité peut se
révéler beaucoup plus complexe,
parfois radicalement inverse, au
regard de travaux des chercheurs de
l’IRD1 en Asie du Sud-Est. L’histoire
de l’exploitation d’un arbre des
forêts de Sumatra offre une illustration de la complexité des interactions à long terme entre dynamiques
agricoles et gestion des ressources
forestières, entre stratégies sociales
et évolution des milieux naturels.
Entre les deux Guerres, les villageois,
jusqu’alors essarteurs2, se mirent à
cultiver le damar3 pour des raisons à
la fois économiques – un marché de la
résine en pleine expansion –, pratiques – la quasi disparition de la ressource à l’état sauvage – et sociales –
le besoin des branches cadettes d’accéder à un patrimoine foncier dont
elles étaient exclues. Ceci conduisit à
la création de plantations, les jardins
à damar, sur les anciennes terres
d’essartage. Aujourd’hui, ces jardins
dominent le paysage de la région et la
forêt naturelle a disparu. Considérer
cette transformation comme un processus classique de déforestation
serait incorrect : il s’agit plutôt d’une
redéfinition du rapport des villageois
avec la ressource et le territoire
forestiers, qui modifie la forme de la
forêt mais, au final, conserve ses fonctions et ses qualités. En laissant se
réinstaller de nombreuses espèces
(flore et faune) de la forêt dans les
plantations, les villageois ont restauré, en moins de 50 ans, une véritable biodiversité forestière. De ce
fait, il ont préservé l’ancienne diversité économique : en complément de
l’exploitation commerciale du damar,
des activités de collecte typiquement
forestières (plantes médicinales,
légumes et fruits, bois…) se sont
redéployées au sein des jardins. La
elle déforestation ?
reconnaissance formelle de droits fonciers transmissibles sur des terres
auparavant considérées comme des
biens collectifs inaliénables a permis
une refondation des familles les plus
marginalisées autour de la création
d’un patrimoine foncier. Cette redéfinition de la forme, des usages et des
droits associés à la « forêt » et à ses
ressources a bouleversé la hiérarchie
sociale des villages en laissant intact
le paysage. Elle donne aujourd’hui aux
villageois un certain pouvoir dans les
négociations avec l’administration
forestière.
« Cet exemple remet en cause le postulat d'une séparation de fond non
seulement entre forêt et agriculture,
mais aussi entre changements sociaux
et dynamiques naturelles, sur laquelle
reposent trop souvent les études sur
la déforestation et les politiques de
conservation des forêts tropicales.
L’approche classique occulte à la fois
la réalité, la diversité et la finalité des
gestions paysannes de la forêt. Les
études pluridisciplinaires menées par
notre UR dans des zones écologiques
climatiques et socio-historiques
constrastées (au Kenya, Cameroun,
Laos et Indonésie) rompent avec cette
représentation pour réévaluer les
rapports entre sociétés paysannes,
agricultures et forêts en termes d’interdépendance et d'intégration »,
conclut Geneviève Michon, ethnobotaniste à l’IRD, qui dirige ces travaux. ●
Contact
Geneviève Michon,
[email protected]
1. UR 112 «Entre forêt et agriculture : de la
déforestation aux dynamiques agroforestières» qui associe l’IRD, l’Engref (École nationale du génie rural, des eaux et des forêts), le
CEFE (Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive) du CNRS, l’ICRAF (International Centre for
Research in Agroforestry) et le CIFOR (Center
for International Forestry Research).
2 Pratiquant des cultures sur défriche-brûlis.
3 Grand arbre de la famille des Diptérocarpacées exploité pour sa résine.
phénomène, qui touche toutes les
lisières forestières en Afrique
Centrale, a été particulièrement bien
étudié au Cameroun grâce à la comparaison de photographies aériennes
des années cinquante et des images
satellitales les plus récentes. De
nouvelles forêts se forment aujourd’hui soit par progression régulière
de toutes les lisières sur les savanes
soit par agrégation de bosquets d'espèces pionnières installés en savane
à la faveur de termitières fossiles, de
jachères en savane et de ceintures
arborées autour des villages, ou
encore de végétaux qui, comme
Chromolaena odorata, jouent le rôle
de pare-feux. « Certes, les vitesses
moyennes de reconquête paraissent
faibles à l’échelle humaine (20 à
200 m par siècle), précise le géographe de l’IRD, Jacques Bonvallot.
Mais, elles peuvent atteindre des
valeurs beaucoup plus élevées (30 à
40 m/an) lorsque le paysage végétal
est très compartimenté par les
forêts galeries et les bosquets d'interfluves. Elles sont étroitement
dépendantes de la fréquence des
feux de savane et donc de la densité
des populations de cette zone de
contact. Ceci réfute l'hypothèse,
longtemps défendue, selon laquelle
seuls les grands refuges forestiers
auraient permis la reconquête
actuelle de la forêt. C’est à partir de
micro-refuges tels des bosquets et
des galeries forestières que la forêt a
progressé et progresse encore. » ●
Contact
Jacques Bonvallot,
[email protected]
Transgressions
modélisées
L
e groupement de recherche
Ecofit a engagé un travail de
modélisation dynamique de la zone
de contact forêt-savane en Afrique
équatoriale pour aider à déterminer le rôle exact des différents
paramètres influant sur la transgression (recul ou avancée de la
forêt). Le modèle – qui consiste en
un réseau d'automates cellulaires
généralisé – prend en compte la
pluviométrie annuelle, les feux de
savane, le régime des vents, la
nature des sols ainsi que l’évolution des différents groupes de Évolution simulée du contact
végétation
(couvert
herbacé, forêt-savane (Cameroun) :
en vert, forêt, en jaune, savane,
jeunes bosquets ou forêt de pion- en bleu, zones de savane
niers, forêt mature). Il reproduit conquises par la forêt entre 1951
les différents modes de transgres- et 1981, ligne blanche, la route.
sion observés sur le terrain : progression linéaire de la lisière, essaimage de bosquets en savane qui, sous
certaines conditions, grossissent puis s’agglomèrent, comblement des
restes de savanes incluses dans la forêt. Les premiers résultats soulignent le caractère décisif de l’action anthropique : par le biais des feux,
les hommes peuvent non seulement freiner la progression de la lisière
mais aussi, et peut-être surtout, empêcher la formation de bosquets en
savane qui permettent une progression très rapide de la forêt. Ce modèle
est utilisé pour reconstituer l'évolution de la mosaïque forêt-savane au
cours des dernières décennies et prédire son évolution future sur des
zones de quelques kilomètres carrés (par exemple la savane incluse de
Kandara, Cameroun), en intégrant progressivement des données botaniques, géographiques, historiques et anthropologiques. Il sera ainsi possible de comparer l’influence des différents facteurs. « À terme, nous
pourrons utiliser ces connaissances pour étudier la transgression à une
échelle régionale, en tenant compte de l’extension des forêts galeries, de
l’apparition de taches de forêt, ainsi que de la formation de savanes
incluses soit par ouverture (défriches) du couvert forestier ou du fait de
la progression forestière naturelle », souligne Marc-Antoine Dubois, physicien au CEA, qui dirige Ecofit.
●
Contact
Marc-Antoine Dubois, [email protected]
© IRD/Ecofit
© IRD/H. De Foresta
3 Saignée des arbres à Damar en Indonésie.
4 Céramique de l’âge du fer ancien (Cameroun oriental).
es équipes de l’IRD, du
CNRS et du CEA associées dans le groupement de recherche
Ecofit (Écosystèmes et
Paléoécosystèmes des Forêts Intertropicales) tente depuis quelques
années de reconstituer l’histoire de
la progression et du recul des forêts
et des savanes équatoriales afin de
prévoir leur comportement futur et
de fournir des données permettant
d’optimiser leur gestion.
Ecofit a étudié plus particulièrement
les forêts d’Afrique centrale (principalement Cameroun et Congo) et en a
reconstitué les fluctuations durant
ces 5 000 dernières années grâce
notamment à l’étude des pollens et
des diatomées fossiles des sédiments
lacustres. Sous l’effet d'un assèchement du climat et d’une légère diminution des températures, les massifs
forestiers qui recouvraient toutes les
basses terres équatoriales se sont
ouverts à l’Holocène supérieur (il y a
2000 ans environ). Les savanes ont
alors remplacé localement la forêt.
Les changements les plus importants
ont eu lieu dans les régions de transition entre forêts et savanes où le
climat était plus sec. Depuis lors, des
conditions plus favorables à la forêt
se sont progressivement rétablies,
vraisemblablement interrompues au
Cameroun par une petite période
sèche, plus courte et moins sévère
qui semble s’achever au début du
XVIe siècle.
Depuis 1500, la forêt gagne du terrain sur la savane et tend à reconquérir un domaine qu'elle occupait
au tout début de l'Holocène inférieur
et moyen (de – 8000 à – 2000). Ce
Les empreintes
anciennes
de l’homme
Si, à l’Holocène, les changements climatiques ont joué un rôle prépondérant sur l’évolution des forêts
d’Afrique centrale, l’homme a également façonné ces paysages dès cette
époque. En attestent les recherches
archéologiques menées par l’UR
Adenthro1 au centre (pays Tikar), à
l’est (nord de Bertoua) et sur le littoral
(de Kribi à Campo) du Cameroun.
Celles-ci font apparaître que l’homme
s’est établi dans ces massifs forestiers il
y a au moins 6 000 ans et, surtout,
depuis 3 500 BP (Before Present) et à
l’Âge du Fer (de 2 500 BP au XIXe siècle).
Au Néolithique (entre 4 000 et
5 000 BP), le couvert forestier est très
vivace, à peine rongé par des populations qui disposent d’un outillage trop
sommaire pour le transformer. Vers
3 500 BP, des communautés villageoises s’installent dans les forêts du
littoral au sommet de collines puis,
entre 2 500 et 2 000 BP, se multiplient
dans cette région ainsi qu’au centre et
à l’est. Développant la métallurgie du
fer, leur pression est alors plus forte sur
le milieu forestier, riche en matière première et offrant du combustible à
volonté. Ces populations exploitent
aussi la forêt pour leur subsistance :
elles chassent, collectent plusieurs
essences forestières utiles (le palmier à
huile par exemple) et ont pu pratiquer
sur le littoral, comme mille ans auparavant déjà, l’agriculture sur brûlis. Des
analyses palynologiques sur les sites de
Kribi attestent de paysages ouverts
fortement anthropisés entre 2 500 et
2 000 BP. Les espèces héliophiles2
aujourd’hui dominantes en lisière de
ces forêts trahissent également la présence de l’homme. Celles-ci témoignent d’une ouverture des massifs et
les plus beaux peuplements se retrouvent à 90 % au sommet des collines,
sites des anciens villages. Ainsi, si la
forêt littorale du Cameroun apparaît
être la résultante d’un climat plus sec
et plus frais qui a sévi il y a deux mille
ans environ, elle est aussi le produit de
grandes défriches qui l’ont affectée au
cours des quatre derniers millénaires.
La présence de l’homme a-t-elle été
permanente dans les massifs forestiers
du Cameroun ? Dans les régions littorales et orientales, elle paraît sans discontinuité pendant l’Âge de Fer alors
qu’elle semble se ralentir autour de
1 000 BP dans le centre. Les sites
auraient-ils été délaissés du fait d’un
regain forestier dû à un accroissement
de la pluviosité ? Les données pour
l’heure disponibles ne suffisent pas à
étayer cette hypothèse. Il est en
revanche certain que le net dépeuplement observé au XXe siècle dans les
régions enclavées de l’est et du centre
s’est accompagné d’un puissant regain
de la forêt, particulièrement lisible sur
les lisières (voir ci-contre).
Les chercheurs de l’UR Adenthro ont
récemment entrepris des études en
Amazonie occidentale, dans le
Pacifique insulaire et à Sumatra. Elles
permettront une analyse comparative
dans différentes aires du monde tropical des principales étapes de l’implantation de l’homme en milieu forestier
ainsi qu’une meilleure compréhension
de l’impact des variations climatiques
sur les peuplements pré-européens
dans ces régions.
●
Contact
[email protected] ou
Raymond Oslisly, [email protected]
1. UR 092 « Les adaptations humaines aux
environnements tropicaux durant l’Holocène ». Recherches menées en collaboration
avec ministère de la culture du Cameroun.
2. Espèces nécessitant de la lumière pour
leur germination et leur croissance.
Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 12 - novembre/décembre 2001
Recherches
3
© IRD/M. Delneuf
Patiente reconquête
9