Qu` est-ce que les Lumieres?
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Qu` est-ce que les Lumieres?
Toutes les clefs pour connaitre et comprendre l'reuvre dans son ensemble. L'analyse des notions. Des liens avec d'autres reuvres. Le texte intégral et son commentaire. Des outils : vocabulaire, index, sujets de dissertation. ~~~~.~ La philothfquf Qu'est-ce que les Lumieres ? MrCHEL FOUCAULT Analyse et présentation par Olivier Dekens Agrégé de philosophie Docteur en philosophie ~réal ---z 4- AVANT-PROPOS F Tous droits de troduction, d' odoptotion et de reproduction por tous procédés réservés pour tous poys. lo loi du 11 mors 1957 n'outorisont, oux termes des olinéos 2 et 3 de I'orticle 41 d'une port, que les « copies ou reproductions strictement réservées ó I'usoge privé du copiste et non destinées ó une utilisotion collective ", et LI d' outre port, que les onolyses et les courtes citotions dons un but d' exemple et PHOTOCOPILLAGE d'iIIustrotion, « toute représentotion ou reproduction intégrole, ou portielle, foite TUE LE LIVRE sons le consentement de I'outeur ou de ses oyonts droit ou oyonts cause, est illicite" (olinéo 1" de I'orticle 40). Cette représentotion ou reproduction, por quelque procédé que ce soit, canstitueroit donc une contrefoçon sonctionnée por les orticles 425 et suivont5 du Code Pénol. les droit5 d'outeur d'usoge sont d'ores et déjó réservés en notre comptobilité oux outeurs des reuvres publiées dons cet ouvroge, qui molgré nos efforts, n' ouroient pu être ioint5. @) ÉDITION:FabienJamois MISE ENPAGE: GG Publication © Gallimard 200! pour le texte de Michel Foucault. © BRÉAL 2004Tome reproduction même partielJe interdite. ISBN 2 7495 03809 OUCAUL T est sans doute l'un des philosophes français les plus lus, cités et commentés aujourd'hui. L'influence de sa pensée dépasse d'ailleurs largement Ia sphere de Ia philosophie, et s'étend à des domaines aussi divers que l'histoire, Ia sociologie ou les sciences politiques. Malgré son importance, que personne ne conteste, son ceuvre demeure peu étudiée en France, en particulier dans les lycées et les universités. L'ambition de cet ouvrage est de remédier à cette anomalie en offrant aux éleves, aux étudiants et aux enseignants un texte significatif de Michel Foucault, accompagné de tous les outils nécessaires à sa compréhension. L'intérêt de Qu'est-ce que les Lumieres ? est à Ia fois philosophique et pédagogique. Philosophique en ce qu'il présente, en peu de pages, une remarquable synthese des principaux concepts foucaldiens j pédagogique par sa forme, élégante et tres accessible, d'une impeccable clarté. Plus fondamentalement encore : Qu'est-ce que les Lumieres? est un véritable manifeste pour une philosophie concrete, en proposant à cette discipline une tâche indissociablement urgente et poli tique : diagnostiquer le présent, évaluer les possibilités d'une autre pensée et d'une autre société, enfin, selon Ia belle expression de Foucault lui-même, donner forme et force à l'impatience de Ia liberté. Les références au texte des Dits et écrits se font à partir de l'édition Quarto-Gallimard, en deux volumes, parue en 2oo!. Celles portant sur Qu'est-ce que les Lumieres ?, reproduit ici, sont accompagnées d'un renvoi (.-).à Ia page correspondante. La référence aux autres hvre.s de Foucault utilisés dans nos introduction et commentaire est donnée en bibliographie. ~;;;;~-~;:::, SOMMAIRE PREMIERE PARTIE Présentation et analyse de Qu'est-ce que les Lumieres ? a REPERES . I. - La vie de Michel Foucault 2. - L'itinéraire philosophique de Michel Foucault... Qu'est-ce 14 14 que Ia philosophie? Naissance de Ia clinique 16 17 17 Archéologie du savoir Histoire de Iafolie ~ . : Les mots et les choses 20 L'archéologie du savoir 23 Analytique 24 du pouvoir Surveillel~ et puni/' 25 La volonté de savoir 29 .""""Herméneutique du sujet 30 ., ~ 3. - Qu ,est-ce que 1es L urmeres 32 ~ 32 Les Dits et écrits Qu'est-ce que les Lumieres? Une nouvelle définition de Ia prulosophie 35 4. - Résumé du texte L'itinéraire 38 Introduction 40 Kant et les Lumiêres 40 La modernité 40 Une nouvelle définition de Ia philosophie Conclusion La définition des Lumieres au xvme siêcle 43 47 48 Les Lumieres, majorité de Ia raison La religion au-dessus des Lumieres Le débat autour des Lumiêres au XXe siêcle Uás ist Aufkliirung? . La réponse kantienne . Le contexte de l'interuention kantierme . La philosophie face au présent . Les difficultés du texte kantien . La modernité 48 ....................................................... Plan du texte ...................................................... Explication linéaire . Introduction: ~ L'optimisme des Lumiêres I. - 47 47 2. - 111COMMENTAIRE 2. - La figure du philosophe PARTIE Lire Qu'est-ce que les Lumieres?: texte et commentaire 45 111LA QUESTION DES LUMillRES DANS L'HISTOlRE DE LA PHILOSOPHIE I. - DEUXIEME :..... 38 .................................................................. Lumlêres et modernité ....................................................... Le momem modenze 49 •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 0.0 L'héroisation moderne ....................................................... Rapport au présent et rapport à soi-même . 50 Qu'est-ce que Ia philosophie? . 50 L'Aufklarung: La raison est-elle dictatoriale? 5I Caractérisation négative de l'êthos philosophique . Auschwitz 5I Caraetérisation positive de l'êthos philosophique . Que reste-t-il des Lumieres? et les Lumieres Les Lumieres et le 11 septembre 3. - Les Lumieres dans les Dits et écrits Conclusion 52 54 une nouvelle définition de Ia philosophie ..................................................................... Les Lumiêres comme conception d'une vie philosophique . La philosophie et l'impatience de Ia liberté . 3· - Commentaire thématique Le retour de I'Aufkliimng 54 Philosophie et journalisme 55 La fonction critique de Ia raison 56 probleme 57 L'ôge de Ia critique Penser les Lumieres: un devoir pour Ia philosophie <~ . Les Lumieres: . réalité d'une époque et philosophique . . L'autonomie de Ia raison Le souei de soi des Lumieres La spécifieité de l'AufkHirung ~ La modernité ~ Qu'est-ce que Ia philosophie? La philosophie comme ontologie du temps présent La fonction politique de Ia philosophie L'intellectuel spécifique 1°7 !OS ····· 1!O I I 2 114 114 I 15 116 Présentation et analyse de Qu' est-ce que les Lumieres? a LEXIQUE FOUCALDIEN 120 111INDEX DES NOTIONS 12 4 l1li SUJETS DE DISSERTATION 12 11 BIBLIOGRAPHIE 126 5 •• '" REPERES La vie de Foucault est d'abord une vie de travail. On pourrait, au vu de ses tres nombreux voyages et de ses multiples engagements politiques, croire que l'écriture n'était pas au fond l'activité principale de Foucault. Il n'en est rien. De Ia premiêre de ses publications,~en 1954Maladie mentale et personnalité - à l' année de sa mort, 1988, Foucault n'a pas cessé d'écrire, d'intervenir dans nombre de revues et de journaux et de donner des conférences, offrant ainsi à sa pensée une visibilité et une influence qui vont bien au-delà du seul milieu philosophique. Michel Foucault naÍt le 15 octobre 1926 à Poitiers. Enfance tranquille, scolarité sans histoire: Foucault ne quitte pas sa ville natale avant son entrée en khâgne, classe préparatoire à l'École normale supérieure, au lycée Remi-IV; à Paris. Reçu en 1946 dans cette école, il étudie Ia philosophie à Ia Sorbonne et passe, en 1951, l'agrégation de philosophie, à laquelle il avait échoué l'année précédente. Son travail porte alors sur Ia psychologie clinique, qu'il enseigne à l'ENS et pratique à l'hôpital psychiatrique Sainte-Anne. Il s'intéresse aussi à Ia littérature, à Ia musique, ainsi qu'à Ia poli tique, sans abandonner pour autant Ia philosophie, puisqu'il lit dans ses années les auteurs qui vont féconder son reuvre: Hegel, Marx, Freud, Heidegger, et surtout Nietzsche. En 1954 paraít Maladie mentale et personnalité. L'année suivante il quitte Ia France pour Ia Suede, ou il occupe le poste de directeur de Ia maison de France à Uppsala. Parallelement à ses fonctions, il entame les recherches qui conduiront à Folie et déraison, son grand livre sur l'histoire de Ia folie. En 1958, nouveau déplacement: Foucault est chargé de rouvrir le Centre de civilisation française de l'université de Varsovie. Il termine enfin son histoire de Ia folie, qu'il remet à Georges Canguilhem, son directeur de these. En 1960, il quitte Ia Pologne pour Hambourg, avant de rentrer en France pour être nommé maítre de conférences en psychologie à l'Université de ClermontFerrand. Il traduit cette même année l'Anthropologie du point de vue pragmatique de Kant. Foucault publie en 1963 Naissance de Ia clinique. Des 1964, il travaille à Ia bibliotheque nationale à une histoire des sciences humaines, en plus d'une intense activité de conférences, débats, et d'une participation active à Ia vie intellectuelle et poli tique française. Il rencontre Daniel Defert, qui sera son compagnon jusqu'à sa mort et à qui nous devons l'édition des Dits et écrits. L'homosexualité de Foucault explique une partie de son engagement politique, quand il s'agit de soutenir les droits des homosexuels, mais on ne peut pas considérer qu'elle ait eu sur Ia nature de son reuvre une influence significa tive. Foucault publie, en avril 1966, Les mots et les choses. Le livre a un succes public immédiat, surprenant eu égard à sa difficulté; il déclenche une vaste polémique autour de l'humanisme. En septembre, Foucault s'installe en Tunisie, pour enseigner Ia philosophie à l'université de Tunis. Il ne revient en France qu'apres les événements de Mai 1968; il contribue en revanche à Ia création d'une des institutions issues du mouvement de Mai, l'université de Vincennes, faculté expérimentale ou il enseigne Ia philosophie tout en terminant son ouvrage le plus théorique, l'Archéologie du savoir. L'année 1970 est marquée par l'élection de Foucault à Ia chaire d'histoire des systemes de pensée du College de France. Le College, qui ne délivre pas de diplômes, permet à ses enseignants de présenter à un public tres divers leurs travaux en cours; Foucault y donnera une leçon hebdomadaire jusqu'à sa mort. Il crée par ailleurs le groupe d'information sur les prisons, une association destinée à étudier Ia situation pénitentiaire à partir de Ia parole des prisonniers eux-mêmes. Cet engagement peut être perçu comme le volet actif et politique d'un travail plus intellectuel, celui qui va aboutir à Surveiller et punir, qui paraít en 1975. Années d'une grande fécondité et d'une tourbillonnante activité politique et associa tive, il participe notamment, en septembre 1975, à l'intervention des intellectuels français en faveur d'opposants au régime de Franco. Des 1976, son travail s'oriente vers le domaine de Ia sexualité. ~ Vólonté de s[JJ,).Jlir, qui se présente comme une introduction à une histoire de Ia sexualité, paraít en décembre: le livre suscite étonneme et déreptions, en même tem s l!1!!1jntérêwQnre.nu.d€S-Jllilieux fémit:li.sres. % homos.exuels_ La fin des années 1970 voit Ia création par Foucault d'un groupe d'intellectuels, qu'il appelle luimême des reporters d'idées et qui vont parcourir les pays à l'actualité politique Ia plus brúlante pour apporter un éclairage d'ordre philosophique à ce qui s'y déroule. Foucault donne ainsi à Ia presse française de nombreux articles sur Ia révolution iranienne. Ce mouvement est étroitement lié à Ia définition de Ia philosophie que Foucault propose dans Qu'est-ce que les Lumieres.z En 1981, Foucault est à nouveau au creur de l'actualité poli tique, par son soutien aux Opposants au régime de J~ruzelski, en Pologne. Il poursuit son étude de Ia perceptIon de Ia sexualité, principalement dans l'Antiquité. Ses engagements sont toujours aussi nombreux, mais Foucault est de plus en plus fatigué et affaibli par Ia maIadie. Il est hospitalisé Ie 3 juin 1984. Il meurt du sida le 25 juin. 2. - L'itinéraire philosophique de Michel Foucault Foucault comme philosophe exige donc une présentation de ce que lui-même met dans ce terme usé. Qu'est-ce que les Lumieres? peut être lu comme un manifeste pour une philosophie concrête. Mais les Dits et écrits en leur totalité sont riches d'ense~gneme~t r Ia définition que Foucault propose de Ia phllosophle. W .h Cetredlfinitlon permet e comprendre POurquOl c acune des grandes reuvres de Foucault peut être lue comme un ouvrage de philosophie sans Jãffials résenter ~-;~e visage haD~ 'ií~texte ghi10sophi.gue' Le travail de Foucault peut en une premlere approche etre caractérisé ainsi :JaiJ:e de Ia J)hilosophie, c' es élª-bQJe une ethnologie d e pf€}pre-cultur-&,-c'~"t-à-dire anaA Jes conditions forrr:elles qui ent ~F~sid,é ~ ia truction de n ltre .00 Autrement dlt: II s aglt de présenter une critique de notre temps, fondée sur .des analyses rétrospectives (Dits et écrits I, p. 10S I). La philosophie a ainsi pour tâche de diagnostiquer l'état actuel de notre mode de penser à partir de l'étude de son histoire, pour éventuellement, nous le verrons, fonder sur une telle compréhension une autre pensée, et partant une autre action. . . L'reuvre de Foucault est en même temps une hlstOlr~ ~r CQU c<::::Y Qu'est-ce que Ia phiIosophie? L'reuvre de Michel Foucault a ceci de particulier qu'elle ne se présente pas comme une philosophie, au sens traditionnel du terme. On ne trouvera nulle part dans ses textes d'analyses strictement conceptuelles de notions telles que Ia Iiberté, Ia pensée, Ia conscience, le temps ou I'histoire. Une Iecture de Ia seuIe Iettre des ouvrages de Foucault pourrait même laisser à penser qu'il est au fond plus historien que philosophe. Abondance des références historiques, prolifération des notes en bas de pages, souci du détail, quaIité de l'information : les Mots et les choses ou Surveiller et punir sont d'incontestables sources d'information sur les époques considérées. Pourtant, iI y a dans et par cette dimension historique un projet d'ordre philosophique, ou plutôt un travail spécifique d'anaIyse de notre propre cuIture qui revient selon Foucault à Ia discipline philosophique. Considérer de 1 vérité. Il ne fa~t pas ~nt,endre par ce t:rme l'en-~..::$. semble des choses vrales~ mais 1 ense.mble des regle.s, pro~ duites par de complexes Jeux de saVOlrset de pOu.vOl~S,qUI ~ posent le partage entre le vrai et le faux. Cette hlstOlre du ' rapport entre notre pensée et Ia vérité peut emprunter plusieurs itinéraires. Foucau:t lui-~ême résen:e son tr~vail comme un ours fiIl so hl u arque par trOls étapes majeures, qui sont autant de manieres complémentaires d'a,epréhender le fond silencieux ~e ~otre. propre eul'", Pwnihe étaW', une « ontn!Dg>c on ue de r p J . ~ ): \ f~ :r r )r ~. nous-mêmes dans nos rapports â_Ia vé . , > (Dits et écrits 11, p. 1437), qui vise à éUIdier les modalités de constiUItion du savoin:::]2euxieme étape, une « ontolo ie histori ue de nous-mêmes dans nos ra orts à un ch;m de pouvoir » (ibid.), qui integre les mécanismes du pouvoir dans l'élaboration du savoi rOlsiéme éta , une « ontoJogie historique de nos rapports à a morale » (ibid.f, qui prend pour objet Ia maniere dont le sujet se constiUIe comme agent moral. Le fiI conducteur de cet itinéraire est clair: i est qm:sti.on dans.tQus Ies cas..&un.e..généalogie -de la-pensée, comme savoir, comm - sa-v:. -pauvoi.r, p:u.is _comme constitution. de.J~ subjectiwté On retrouve à chaque fois le même souci d'évaluer ce qui se donne à nous comme vérité. . ~es textes de Foucault peuvent donc être regroupés amSl: - une archéologie du savoir (1954-197°): Histoire de Ia folie, Naissance de Ia clinique, Les mots et les choses, L'arehéologie du savoir; - une analytique du pouvoir (1970- 198 I): Surveiller et punir, et, en partie La volonté de savoir; - une herméneutique du sujet (1981-1984): certains aspects de La volonté de savoir, L'usage des plaisirs, Le souei de soi. Suivre cet itinéraire nous permettra de mieux saisir Ia pIace et Ia fonction de Qu'est-ce que les Lumieres?, puisque ce texte est avant tout une justification rétrospective de ce qui a été accompli. ~ Archéologie du savoir Foucault définit son travail comme une archéologie. Faire une archéologie du savoir consiste à identifier Ie fond souvent caché dans leque! une pensée va se présenter comme un objet structuré. L'enquête va donc porter sur les conditions d'émergence d'un savoir particulier, sur ces éIéments muItipIes, qui tiennent de I'histoire, de Ia philosophie, de Ia poli tique ou du langage qui font qu'un savoir se donne, à un moment donné, comme savoir vrai. Mais Foucault s'empresse de préciser qu'une telle recherche ne releve pas de I'histoire (Dits et écrits 11, p. 805): iIla quaIifie curieusement de fiction historique. Bien entendu, ce substantif n'implique pas que l'imagination du chercheur est en jeu; il souligne simplement que l'archéologie est une création qui va articuler I'éUIde du passé à un effet sur le présent. Vn seul exemple d'une archéoIogie réussie: peu de temps apres Ia publication de Surveiller et punir, les prisonniers clamaient entre les cellules des passages entiers de l'ouvrage, comme si l'histoire minutieuse de Ia pénaIité trouvait une résonance dans Ieurs conditions acUIelles d'existence. Histoire de Iafolie Ce style d'éUIde peut prendre pour objet n'importe quel domaine de connaissance. Foucault, dans cette premiêre partie de son ceuvre, va privilégier trois sujets particuliers: Ia folie, Ia notion de clinique, enfin le concept d'homme. L'Histoire de Ia folie à l'âge classique, précédemment intiUIlée Polie et déraison, est l'acte inaugural du geste archéoIogique. L'ouvrage, imparfait dans son style et sa strucUIre, parfois peu lisible, est d'un geme totaIement nouveau. Son objet peut être résumé ainsi: il s'agit de comprendre comment I'homme modeme a construit le concept de folie comme Ia vérité de l'homme sous sa forme aliénée. Autrement dit: il s'agit d'anaIyser Ia construction d'un vaste champ de I'aliénation, dont Ia figure du fou va se détacher progressivement, tout en indiquant comment cette figure difIere fondamentalement de l'opposition clas,sique entre raison et déraison. [oucault réSllme son pE2Jet A'une furmule lapida ire : de l1iowme à l'homme~e cherin passe par l'homme fou (Histoire de Iafalie, p. 649). Le mode opératoire de cette recherche est relativement simple. Pour comprendre comment Ia folie apparait, il faut étudier le traitement que Ia société a appliqué aux diverses formes de Ia déraison, puis comment on est progressivement passé d'une simple mise à l'écart de Ia déraison au traitement psychiatrique de Ia folie. Une histoire de Ia folie ne peut donc être qu'une histoire de l'asile. En son principe, I'Histoire de Iafolie est le récit de deux mouvements contemporains l'un de l'autre: l'un constitutif d'un systeme de rationalité dans lequel le fou est objet; l'autre construisant une mécanique d'exclusion sociale du fou. Cette histoire commence par le grand renfermement de tous les sujets pouvant troubler l'ordre rationnel de Ia société: on a ici affaire à une grande masse indistincte, mêlant gueux et insensés, mais rien de tel que le fou comme figure singuliere, qui n'apparait que dans l'expérience concrete que le XVIII e siecle en fera. La folie sera au contraire, quand on l'aura enfin cernée, le contraire et le vis-à-vis de l'humanité. Ainsi, alors que le XVI e siecle avait maintenu Ia perméabilité de Ia trontiêre entre Ia raison et Ia folie, l'âge classique va exiler Ia folie « hors du domaine d'appartenance ou le sujet détient ses droits à Ia vérité » (Histoire de Ia falie, p. 70). On trouve alors d'un côté Ia synthese pathologique de l'aliénation juridique et de l'exclusion sociale, de l'autre Ia norme d'un être juridiquement compétent et socialement intégré. Le fou est rationnel et sa folie rationalisable: on peut le jauger par rapport à l'homme normal et normatif. Le partage humanitélfolie ne releve plus du tout du choix, mais du constat, il se prétend fondé scientifiquement sur l'approche du pathologique. Le fou en ce sens s'est exclu lui-même par sa folie, Ia liberté du sujet rationnel n'est même plus nécessaire pour le tenir à l'écart. La fin du grand renfermement coi'ncidera avec cette découverte: il paraitra inhumain à l'homme moderne d'interner un être dont l'exclusion n'est plus indispensable à sa propre identité d'homme rationne!. Le fou devient l'objet d'étude et de traitement qu'il est encore aujourd'hui; il est Ia figure inverse de l'homme en sa vérité. La naissance de Ia psychiatrie doit être rattachée à Ia formalisation de l'homme: ce n'est qu'au moment ou celui-ci devient un cri tere normatif que le savant peut, face à Ia folie, se trouver en position de force. Évidemment, Ia relation est réversible, et l'on peut tout aussi bien dire que ce n'est qu'au moment ou quelque chose comme le fou a été objectivement identifié que le sujet du savoir peut disposer d'une base solide. Autrement dit: l'apparition d'une science objective de l'homme n'est possible que par l'objectivation de l'homme aliéné, au point que « l'aliénation sera déposée comme une vérité secrete au creur de toute connaissance objective de l'homme » (Histoire de Iafolie, p. 575)· Naissance de ia clinique Le second objet que choisit Foucault pour appliquer sa méthode archéologique est, comme l'indique le soustitre de Naissance de Ia clinique, le regard médica!. On retrouve les notions de pathologie et de norme qui structurent I'Histoire de Ia falie, mais aussi l'idée d'un 9bjet de savoir qui se constitue en même temps que les institutions qui l'isolent et l'identifient. Foucault suit pas à pas l'apparition d'une médecine que ne réduit pIus à un corpus figé de techniques, mais qui enveloppent une connaissance de I'homme sain. Le regard médical nait au moment ou le traitement du pathologique s'appuie sur le savoir du normal. Le moment-clé de cette histoire est certainement le fait de Bichat: tout en posant Ia these, philosophiquement décisive, selon laquelle Ia vie est défirue comme résistance à Ia mort, ]ichat, à Ia fin du XVIIIe siecle établit un lien nouveau entre I'es ace visib ~ ~tômes et l~ profon eur de Ia ma a ie-ear Ia systématJsatJon de Ia dIssection. L'expérience médicale, en intéa mort do' .e de se détacher du ~ iQdétermÜ~,~ àll Itlo..c.QDtre-naDlreet d'ªºparaitre, indi' li' et délimit' s le corps des vivants. Les mots et les choses Le troisieme domaine d'application de Ia démarche archéologique est celui des sciences humaines, ou de l'homme lui-même, objet et cible de l'ouvrage sans doute le plus maitrisé de Foucault, Les mots et les choses. Ce texte a suscité une intense polémique intellectuelle par sa these final e : l'idée d'homme se' ." e née à fi du XVIlIesiecle e .". du xxe• Mais, ma gré Ie caractere ªP12aremmept PI:0voqteur de cette ~rjQP5 qui prepd à contre-pied Ia si commupe adhésion à l'humanisme, Foucault tente seulement d'étud:er les a cond:~o~s d'élabo.r::::n.::u~=t JtbQ~?iõ md!quer ce ,.0;ln et Ci< qui ~mter 2m 53 I_._!!..._~- di~parjtjon. Il n'y a là au.cune c;itique de l'homme lui-même ou du respect qui 1m est du; Foucault se place sur un terrain strictement th~orique. L'homme a été pendant deux siecles le concept ulllficateur des savoirs qualifiés justement de sciences humaines: quand les conditions d'une teIle unification ne sont pIus réunies, qu'arrive-t-il à notre pensée? Quand cette idée ne peut plus stabiliser le sol de nos préoccupations, quelle inquiétude va surgir, quel nouveau mode de réflexion va devoir s'imposer? On le voit, ces questions ne sont pas d'ordre éthique ou politique. Elles touchent à l'acte de penser lui-même, dont iI faut aujourd'hui réélaborer les modalités, à Ia lumiere d'une histoire patiemment reconstrui te, dans les queIques 350 pages qui précédent Ia these finale. Pour faire apparaitre le concept d'homme, il faut au préalable en décrire Ies modes d'apparition et les conditions d'énonciation. Ce faisant, et comme en passant, Foucault dresse un tableau fort détaillé de Ia Renaissance, de l'âge classique et du seuil de Ia modernité. Le XVIesiecle est l'âge des ressemblances: convenance, émulation, analogie ou sympathie. Dans I'espace ainsi balisé, structuré par ces différents modes de proximité, I'homme occupe d'emblée, bien avant que naisse son concept, une situation priviIégiée. Mais ce privilege de I'homme de Ia réalité n'en fait nullement le personnage central que dénote seule l'utiIisation d'un concept propre de l'humanité. Les choses, rassemblées en une seule grande plaine uniforme, parlent d'eIles-mêmes, suscitant leur propre commentaire: nuI espace pour une figure de l'homme qui n'est nécessair~ que comme lieu d'articulation entre mots et choses. Ce qm dans les siecles précédant le xvme a pu tenir fonction de discours sur I'être humain ne requerrait pas un concept propre. Il y avait Ie mot, il y avait Ia chose, mais non cette figure unique, précipité de langage, de vie et de travail. Il ~t pas non plus, contemporaine de I'homme~ a rupture du xvme. siecIe ~nissant, cet événement radical dont Foucault smt les sIgnes, les secousses, les effets, peut être compris, en sa plus grande généralité, comme passage de l'espace au temps, ou comme introdu ction du temps dans l'espace. Le temps, qui n'était qu'un élément perturbateur de l'ordre, devient principe, et prélude à l'apparition finale du concept d'humanité. La finitude que nous croyons incarner seuls, l'homme qui paraí't avoir toujours été, l'humanisme même sont des moments d'une histoire, et ne peuvent donc prétendre à ~ne validité ?ermanente. L'homme moderne n'est pas un etre tout-pUIssant, embrassant le réel par Ia force de son pouvoir synthétique: il est cet être fini, à Ia marge d'une exp.érie~ce qu'il ne maí'trise pas, ou il ne se reconnaí't pas, maIS qUI le constitue comme homme fini. Foucault, dans ces pages célebres, oscille entre constat et souhait. Notre époque n'est pas seulement pour lui le moment d'un nouveau commencement pour Ia philoso. hie, qu'il désire reprendre autrement; il es.r aussi celui .4'une fin programmée de l'homme.-L'archéoIogic? n' aura qu ,accentue , Ia pente naturelle de I'histoire du concept d'homme vers sa dissoIution, elle n'aura que souligné de son rire silencieux Ia mort prévisibIe et heureuse de l'homme, réduit à n' être que ce qui va s' effacer, « comme à Ia limite de Ia mer un visage de sabIe » (Les mots et les choses,p. 398). La situation de Ia philosophie aujourd'hui est final ement c0n:-parable à celle de Ia métaphysique à l'époque de ~ant: « 11faut se réveiller de ce sommeil anthropolo~Ique, comme jadis on se réveillait du sommeil dogmatlque » (Dits et écrits I, p. 487). Le concept d'homme a un e~et ~arcotique sur I'exercice de Ia philosophie; on pourralt dlre qu'il maintient Ia pensée dans un état de minorité confortable, puisque I'homme assure Ia tranquille unité du rée1. Les sciences de l'homme ont fasciné et endormi I hilosophie. Indiquer en quoi l'homme est mort, c'est :E!ectuer un nouveau geste critique qui, ~ I'instar du geste kantien, libere I'espace d'une autre pensee. L'archéologie du savoir Ce premier moment de I'c:euvre de Foucault se termine par l'Archéologie du savoir. Foucault tente, de rendre ici de maniere plus conceptuelle et sans s apr,ep I d'W puyer pour une fois sur des données historiques, e: . 1 erents instruments qu'il a utilisés dans les textes anteneu~s. Sans entrer dans le détail de cet ouvrage d'une gran~e dlfficulté retenons simplement deux éléments, qUI nous , I L ., "( seront utiles pour Ia lecture de Qu'est-ce ue es.. umle~es .. Premier point: Ia mort de I'homme, condmon ~ un~ Utre pensée porte en elle Ia m0rt du suje1. cette notlon SI a, I' importante dans Ia philosophie moderne. Cel e-c! apparalt significativement non pas t~nt. dan~ Les mots et les ~hoses,ou elle est certes évoquée, maIS jamaIS pour elle-men:-e, que dans L'archéologie ~u savoir, ce, qui lu~ confere ~e Impor~ , j tance méthodologlque supplementalre. Dans "/ tion de ce texte F différen histoire en voie de disparition, et que beaucoup regrette, celle qui « étai t en secr~t, mais, tout ,enti~re, référ~e à I'activité synthétique du sUJet » (Larc~eolo~le du savotr, p. 2~). L'archéologie comme mét o . n~trUIra ~ u et ou p us exactement sans un su et Ul11 ue et A ll!Jjfj~s';git a ors de comprendre les ~Qdalj~ diverse ' 'nonciation, Ia pluralité des formatlon~ dIScur mme le discours sur o Ie Ia dle ou 'h sans en re erer à l'unité d'un su·et. De maniere générale, un savOl Xlge ni ne renvoi~ à au~un ~< J e pense », ni à aucune origine qui le rendralt posslble: 11se suffit à lui-même, prend sens horizontalement par les rapports qu'il entretient avec le champ ou il est formulé, et non verticalement par une prétendue dépendance à l'égard d'une subjectivité fondatrice. Dans le fidele constat de Ia mort du sujet, Ia philosophie peut être dépouillée - et c'est là sans doute l'essentiel- de son «narcissisme fondamental» (L'archéologie du savoir, p. 265)' Second point: F oucault va progressivement se rendre compte que Ia constitution d'un savoir est inséparable d'un ensemble de pratiques relevant d'un pouvoir. Vn objet d'étude ne peut apparaitre que s'il a été isolé, contrôlé, maitrisé, soumis à une forme de coercition' , inversement, le pouvoir ne peut s'exercer que s'il peut susciter et permettre en parall<:~leun discours sur ce qui en est le lieu d'application. Foucault va donc créer ce concept inédit de savoir-pouvoir, qui exclut deux conceptions nai"ves: Ia premiere qui croit qu'il faut d'abord penser une réalité pour ensuite Ia soumettre; Ia seconde qui conçoit le pouvoir indépendamment de tout discours d'auto-légitimation. Il y a bien, entre l'Archéologie du savoir et Surveiller et punirun véritable tournant. Foucault ne parle plus alors d'énoncés, terme trop théorique, mais de dispositifs, nommant ainsi cette synthese complexe de connaissances et de contraintes que Ia prison va incarner. ~ Analytique du pouvoir Le sujet, l'objectivité, les concepts, des domaines entiers du savoir: tous ces éléments ont une histoire une géographie, une relation à chaque fois spécifique ave~ des pratiques sociales, des discours scientifiques et des institutions politico-juridiques. L'analytique de l'humain est I'étude de certains contenus discursifs, dont ceux qui étaient privilégiés dans Les mots et les choses.Mais cette anaIytique doit à présent être menée dans un souci d'intégrer les dispositifs normatifs et les mécanismes institutionnels qui ont construit un modele d'homme et l'ont imposé. Surveiller et punir Surveiller et punir a pour objet de comprendre comment Ia prison est apparue comme une évidence, et quelles en sont les conséquences eu égard à Ia construction de I'homme moderne. L'ouverture du texte est saisissante. Foucault y relate longuement le supplice auquel un homme, nommé Damiens, a été condamné le 2 mars 1757. Puis, il expose I'emploi du temps de Ia Maison des J eunes Détenus de Paris, trois-quarts de siecles plus tardo D'un côté, au milieu du XVIIIe siecle, Ia sombre fête punitive, de l'autre, moins d'un siecle plus tard, Ia calme rigueur d'un reglement. Entre les deux, au moment même ou l'homme et le fou sont nés, les supplices disparaissent, Ia punition perd sa visibiIité pour se trouver cachée et enfouie dans le processus pénal. Il n'importe plus de faire mal, de marquer Ie corps, mais d'utiIiser ce corps comme le vecteur d'une privation de liberté qui porte atteinte à un individu juridiquement majeur. L'lústoire de Ia pénalité n'est done pas tellement Ie réeit d'une humanisation des peines; elle est eeIui d'une humanisation de leu r objet, qui ne signifie pas foreément une diminution de l'intensité de Ia punition ou de sa vioIenee. L'humanité, ainsi constituée en objet du systeme pénal, n'est pas un concept seulement phiIosophique qui s'offrirait à l'exercice du pouvoir. Elle est parce que le pouvoir entre dans sa constitution, norme pour I'humain. Le juge fait toujours bien pIus que juger: il porte une appréciation à prétention universelle sur ce que doit être I'homme. SU1'7Jeilleret punir peut donc être compris comme une tenta tive de reconduire I'anaIyse des Mots et les choses en intégrant cette fois les rapports de pouvoir dans Ia genese de I'homme. Le déplacer:nent du point d'application du châtiment du corps vers cette entité spirituelle qu'est l'homme permet un nouveau régime de Ia vérité, une nouvelle façon d'appréhender l'humain qui fonctionne en même temps comme justification du systeme pénal qui lui a donné naissance. Naissance de Ia prison, naissance de l'homme. Les Lumieres sont encore une fois le moment-clé de cette histoire. Gn y conçoit que le criminel doit certes être puni: mais il est homme, et son humanité est une frontiere à respecter par Ia puissance de Ia punition. Le XVIIIe siecle aura été l'âge d'une nouvelle douceur du châtiment; cela ne signifie pas encore que l'homme comme objet identifiable et stabilisé par un savoir positif ait été mis au cceur du systeme pénal, comme ce qu'il s'agit de transformer et de guérir. Mais déjà le criminel n'est plus seulement un corps à punir: il est d'abord un citoyen, dont Ia faute remet en cause Ia société entiere à laquelle il est uni par contrato Il n'est plus le hors-Ia-Ioi auquel on appliquera sans remords un traitement inhumain; il est cet être qui s'est soustrait à ses obligations de citoyen, et qu'une bonne économie du pouvoir doit sanctionner. Peu à peu, le pouvoir va se doubler d'une relation de connaissance. Le criminel, que l'acte exclut du pacte social, est d'abord relégué à Ia sauvagerie naturelle; ce premier pas accompli, il pourra être tenu pour anormal, et donc l'objet potentiel d'un traitement scientifique. La punition de son côté, exigeant des tactiques d'intervention de plus en plus fines, va elIe aussi rendre nécessaire un savoir détailIé du criminel. Que ce soit dans l'organisation du pouvoir répressif ou dans Ia description de sa cible, l'homme apparaít, au cceur d'un processus d'aménagement des techniques du pouvoir. En tres peu de temps, Ia détention va s'imposer et remplacer le lumineux théâtre punitif. L'appareil uniforme des prisons s'installe en à peine vingt ans, ou peut-être encore moins. Gn peut bien sur expliquer en partie ce succes du systeme pénitentiaire par Ia formation, à cette époque, des grands modeles d'emprisonnement punitif. Mais pour que ce systeme acquiere Ia force d'une évidence, une modification en profondeur du régime de Ia punition est requise. Il aura falIu que Ia prison récupere les effets des codes disciplinaires existants, ceux de l'école ou de l'hôpital; il aura falIu que, d'instrument d'une bonne administration des peines, elIe se transforme en « une machine à modifier les esprits» (Surveiller et punir, p. 128). L'homme des sciences humaines est le fruit de l'examen, à Ia croisée d'un pouvoir normalisant et d'un savoir individualisant. La démarche encore incomplete des Mots et les choses est reprise ici, appliquée au plus banal des matériaux, dans les archives de peu de gloire de Ia discipline. L'homme de Ia modemité est ainsi un individu normalisé. Il fonctionne dans un systeme binaire - normal/anormal - impliquant des techniques et des institutions de contrôle et de correction des anormaux. Il est dans Ia norme qui s'impose, à chaque fois différemment, à Ia diversité des individus, une norme à Ia fois puni tive, corrective et objectivante. Foucault ne prétend pas que les techniques disciplinaires sont des créations du XVIlIe siecle: il affirme seulement que leur systématisation à une époque déterminée produit un cercle, dans lequel pouvoir et savoir se renforcent réciproquement. L'humanité et l'humanisme qui s'en réclame subissent ici une critique beaucoup plus vigoureuse que dans Les mots et les choses.Remettre en question Ia permanence du concept d'homme, en faire une figure de sable entre deux vagues historiques provoquait déjà une sérieuse dévaluation des sciences utilisant ce concept; mais leur rattachement à Ia discipline est plus cruel. Loin d'être Ia fierté de l'homme, les sciences humaines « ont leur matrice technique dans Ia minutie tatillonne et méchante des disciplines et de leurs investigations » (Surveiller et pU~1r,.p. 227)· Le systeme pénal moderne est le passage à !a lll~llte de cette t~chnologie disciplinaire: interrogation mfime, analyse touJours reconduite de l'individu mesure perpétuelle de l'espace séparant Ia norme de l'~normal La prison, c'est une école fermée, une caserne sans issue: , L~ ~rison ,devient laboratoire d'humanité. L'objet d e~pene~~e n est pas le condamné défini par son crime, ~als le delmquant, dont Ia vie importe plus que l'acte. Le blOgraphique s'installe dans le pénal: on s'intéresse aux caracteres, ~~ comportements, pulsions et passions de c~a.que mdlvldu, on dresse Ia typologie naturelle des delmquants, qui constituent peu à peu une classe nouvelle. La prison fabrique Ie délinquant, en tous Ies sens du tenne, mais principaIement au sens ou eIle pro~ui.t d'eIle-même son objet, Ia déIinquance, qui va temr heu de principe structurant du théâtre pénaI avec ses figures: juge, bourreau, condamné infrac~ ~eur. Et c'es: là que Foucault va introduire Ia the'se qui va a nouveau declencher Ia polémique. Si "le systeme pénal p,erdure,'. ma!gré. so~ ineffic~cité mille fois proclamée, c est qu II dOlt lUI-meme aVOlrune fonction: isoler l'illégalisme intolérable pour mieux laisser dans l'oubli celui qu'on veut ou doit tolérer. L'échec du pénitentiaire est d'a?ord sa réu:site: p~oduire un type de délinquance soclalement et economlquement utile et contrôlable. Le délinquant est alors un sujet pathologisé, séparé, maí'trisé, Ia forme pure d'une humanité normalisée. On comprend pourquoi Ia critique des prisons a été l'une de~ ~onsta,ntes de l'action de Foucault. Il ne se contente pas ICI de rec1amer un adoucissement des conditions carcérales; il souligne plutôt l'extraordinaire efficacité du systeme carcéral, qui produit et reproduit Ia figure du délinquant, qui sert alors de repoussoir à une société normalisée. La volonté de savoir Tres peu de temps apres Ia parution de Surveiller et punir, Foucault publie le premier tome de son histoire de Ia sexualité, La volonté de savoir. Cet ouvrage peut à Ia fois être lu comme une étude d'un pouvoir sur le sexe se manifestant dans le discours qui le prend pour objet et comme amorce d'une généalogie du sujet, telle qu'elle va se construire dans les ouvrages suivants. La volonté de savoir - c'est sa principal e nouveauté abandonne le schéma binaire pouvoir/oojet. Le sexe ici considéré n'est pas l'objet créé par une lourde procédure de répression: il est l'effet d'une valorisation du corps comme objet de savoir et éléments dans les rapports de pouvoir. De maniere tres significa tive, cette émergence du sujet sexuel, et l'explosion discursive qui lui est liée, se produisent dans Ia même séquence historique qui a vu naí'tre le concept d'homme et Ia prison comme forme générale de l'enfermement. Cela ne veut pas dire que le sexe est humaniste, mais que Ia condition de Ia sexualité comme du discours sur l'homme, Ia finitude, apparaí't au tournant des xvme et XIXe siec1es. Ce texte manifeste toutefois, par rapport aux ouvrages antérieurs, un so~ci ~'affiner encore Ia notion de pouvoir. F oucault mdlque pourquoi Ia réalisation concrete d'un pouvoir sur les pratiques sexuelles se fait bien plus par une prolifération des discours sur Ie sexe que par une répression sirvple. La maltrise ne s'obtient pas ici par Ia contrainte ou I'interdit , . malS par une construction scientifique qui se donne Ie sexe pour objet d'analyse et éventuellement de correction. Le troisieme moment de I'reuvre de Foucault s'annonce déjà: peu à peu s'impose l'idée qu'iI est nécessaire d'interpréter Ie discours sur Ia sexualité, et donc de conduíre ce qu'on appelle en phiIosophie une herméneutique. ~ Herméneutique du sujet La volonté de savoir s'attache d'abord à réfuter ce que Foucault appelle I'hypothese répressive. L'idée selon Iaquelle Ia sexualité serait aujourd'hui I'objet d'une répression est selon Iui absurde. PIus exactement: Ia répression n'est pas Ie moyen de maltrise de Ia sexuaIité Ie plus puissant. Au contraire: Ie sexe est depuis Ia fin du xvme siecle I'objet d'un intérêt considérabIe, d'une vaIorisation moraIe et d'un souci scientifique tres fécond. On comprend alors que Ies concepts usueIs de I'anaIytique du pouvoir, qui fonctionnaient encore dans Surveiller et punir, ne sont pIus adéquats. Foucault infléchit aIors Ia direction de Ia démarche archéologique, en Ia faisant porter directement sur Ie discours de Ia sexuaIité. Cette inflexion traverse La volonté de savoir, et va même obliger Foucault à modifier en profondeur son projet d'une histoire de Ia sexuaIité. Au Iieu de s'en tenir à ce qui était prévu - une histoire de I'expérience de Ia sexuaIité à partir de I'apparition de son concept, au début du XIXe siecle _ Foucault élabore une généaIogie de l'homme du désir. 11 va renoncer même à son idée initiaIe, et recentrer Ie propos autour de I'Antiquité, période ou apparalt, en même temps qu'une réflexion moraIe sur Ie sexe , Ia notion même de sujet éthique. L'usage des plaisirs et Le SOlteide soi sont Ies deux premiers moments de cette histoire; Les aveux de Ia chair, qui devait porter sur Ie début du christianisme, en aurait constitué, si Foucault avait eu Ie temps de le terminer, l'ultime étape. Foucault ajoute au couple savoir-pouvoir un troisieme élément, le plaisir, mis en rapport avec Ie discours sur Ia sexualité humaine. L'objet de I'enquête va donc être à présent non seulement ni principalement I'histoire du dispositif par lequel un pouvoir, qui est toujours en même temps un savoir, du sexe se construit, mais ce que Foucault appelle une histoire de 1'« éthique », c'est-à-dire une « histoire des formes de Ia subjectivation morale et des pratiques de soi qui sont destinées à l'assurer » (La volonté de savoir, p. 19). Le statut du sujet n'est pas réhabilité dans cette histoire, ni sa souveraineté restaurée; toutefois iI devient Ia source du discours sur le sexe et ce qui orga~ise le jeu des dispositifs du savoir-pouvoir-plaisir. Le discours de Ia sexualité est toujours un discours du sujet sur Iui-même comme être sexuel. La recherche fbucaldienne ne renonce pas à établir Ies a pri01~i historiques qui conditionnent et rendent intelligible I'émergence de Ia sexuaIité comme theme; mais elle redouble son effort en élargissant ces a priori vers Ie champ d'historicité, plus Iarge, plus complexe, qu'élabore « Ia maniere dont l'individu est appelé à se reconnaltre comme sujet moral de Ia conduite sexuelle » (L'usage de plaisirs, p. 36). Par cette élucidation de Ia subjectivité morale se construisant dans et par le développement de Ia cuIture de soi, Ie lourd dispositif qui sous-tend I'hypothese répressive et que Foucault s'attache à réfuter est remplacé par une configuration plus fine. Le sujet du sexe n'est plus rapporté à ce qui est censé bomer son désir, mais à une sensible inflexion de I'éthique de Ia maitrise de soi vers Ia nécessité d'un discours sur soi. F oucault le reconnaí't: cette étude nouvelle lui a fait beaucoup plus de difficuItés que les ouvrages antérieurs. Les Iongues et passionnantes anaIyses du discours sur Ies pratiques sexuelIes, nourries d'informations historiques et philosophiques tres nombreuses, témoignent toutefois de Ia réussite du projeto Le souei de soi, derniere ceuvre pubIiée par Foucault, manifeste même une belIe élégance du style, en même temps qu'une densité d'analyse qui Iaisse deviner ce qu'aurait pu être l'achevement de cette histoire de Ia sexualité. 3· - Qu'est-ce que Ies Lumieres? r<::::::,.> Les Dits et écrits Nous avons parcouru rapidement Ies ouvrages majeurs de MicheI Foucault. Le texte que nous avons choisi comme porte d'entrée dans cette ceuvre - Qu'est-ce que les Lumih'es? - n'en est pas extrait. Il prend place dans un Iarge recueiI des interventions orales et écrites de Foucault, intitulé les Dits et écrits. Il convient done d'indiquer ici Ia nature et Ia fonction de cet ouvrage, qu'il ne faudrait pas trop rapidement reIéguer à Ia marge du travaiI de F oucault. L'édition des Dits et écrits a été réalisée par DanieI Defert, François EwaId etJacques Lagrange, en 1994. La premiere édition comprenait quatre volumes, Ia seconde, parue en 2001, n'en comprend que deux, Ie premier couvrant Ies années 1954 à 1975, le second les années 1976 à 1988. Les textes ici rassembIés sont de natures tres diverses: préface ou introduction, entretiens, articIes, eonférences, interventions en tous genres. Le recueil est exhaustif, et respecte Ia voIonté de Foucault, qui avait expIicitement demandé qu'on ne publie pas de textes posthumes, dont il n'aurait p~s pu terminer I'éI~boratio~. Les textes qui, dans Ie recueIl, datent des annees posterieures à sa mort (1984-1988) ont donc bien été révisés par FoucauIt, même si Ieur premiere pubIication est pIus tardive. Sont toutefois excIus du recueiI Ies cours du College de France, dont Foucault n'avait pas permis Ia diffusion, Ies entretiens posthumes et Ies nombreuses pétitions que FoucauIt a signés et Ia correspondance privée. Tous Ies textes sont cIassés dans un ordre chronologique de parution, sans regroupement thématique. Les articIes ou conférences en Iangue étrangere sont bien entendu traduit, quand une version française n'en existe pas. Enfin, pIusieurs index, une chronoIogie des ceuvres et une bibliographje de FoucauIt compIetent l'ensemble. Quelle importance accorder à cet ouvrage? Quatre arguments nous semblent justifier qu'on s'y intéresse:. - Les articIes et entretiens publiés en même temps que les ouvrages principaux apportent souvent des précisions et des écIaircissements utiIes. Sans rien ajouter de fondamentaIement nouveau, Foucault fait souvent l'effort de reformuler ses theses dans un mode plus accessibIe, ou de tenir compte des objections qui lui ont été adressées. Le recueil serait déjà bien utile à ce seul titre. - FoucauIt tente à pIusieurs reprises d'expIiquer son itinéraire. Il revient donc sur Ie travaiI accompli, Ie reIie Iui-même à ceIui en cours, annonce ce qu'il va faire, souligne Ies inflexions de sa pensée, reconnaí't même ses erreurs. L'honnêteté de Foucault est sur ce point totaIe. La nature même de sa pensée, toujours en recherche, le conduit à un trajet philosophique qui n'a rien de rectiligne. Il pourrait tenter d'en faire une synthese artificiel1e, mais il préfere insister lui-même sur son caractere tâtonnant. Cette lucidité nous permet de mieux saisir les modalités singulieres de Ia pensée de Foucault. - Les interventions politiques de Foucault sont tres nombreuses. Soutien à des causes tres diverses, mouvements de protestation, lettres ouvertes et articles: Foucault considere, on le verra, que Ia fonction de l'intellectuel n'est pas de délivrer un message ou une solution définitive aux problemes de l'actualité, mais de s'inscrire dans ce qui existe déjà, pour y apporter un éclairage supplémentaire. - Enfin, certains textes sont remarquables parce qu'ils introduisent des idées totalement nouvel1es, qui ne pourraient pas intégrer un ouvrage particulier, par Ia précision de leur objet ou par le style d'analyse qu'elle requiert. Plus encore: Foucault dévoile dans ses textes courts les fondements philosophiques de son travail, alors que celui-ci prend une tournure tres historique dans ses grands ouvrages. On trouve donc ici de nombreuses références, souvent assez classiques - Freud, Kant, Marx, Nietzsche surtout. Finalement, ces textes sont beaucoup plus proches de ce que l'on peut lire généralement en philosophie que ne le sont Les mats et les chases ou SUnJeiller et punir, plus faciles également à comprendre. Au-delà de ces quelques remarques, les Dits et écrits constituent une samme philasaphique, au sens ou Foucault y met en pratique ce qu'il considere être Ia vocation premiere de Ia philosophie: tenter de penser autrement. Le style souvent vigoureux de ces textes n'est que le moyen de déplacer les cadres de Ia pensée, l'instrument d'une modification des valeurs tenues pour vraies. PIus profondé- ment: l'exercice de Ia phiIosophie n'a de sens que si on en sort changé. Dans Ies mots de Foucault: « c'est de Ia phiIosophie [... ] tout Ie travail qui se fait pour penser autrement, pour faire autre chose, pour devenir autre que ce qu'on est. » (Dits et écrits 11, p. 929) Dernier point: les Dits et éerits sont un ouvrage d'expérimentation politique. Foucault y ~et e~ .pra.tlque sa définition de l'intellectuel: être celm qm mdlque les angles d'attaques de ce qui se donne comme nor~e et normalité. L'archéologie est au fond une entrepnse de fragilisation de Ia réalité, qui donne des ar:nes pou~ en changer, quand cela s'avere nécessaire. Les mterventlons de Foucault ne proclament aucune vérité, n'énonc~nt aucune solution: elles dégagent simplement Ia contlngence et le caractere finalement réce~t des contraintes qui pesent sur notre liberté et notre eXlstence. ~ Qu'est-ce que les Lumi'eres? Une . nouvelle définition de Ia phiIosophie Venons-en enfin au texte que nous allons lire et com-o menter. Qu'est-ce que les Lumieres? n'est pas un titre que Foucault a inventé, mais Ia reprise à l'identique du titre d'un court texte d'Emmanuel Kant, datant de 1784, sur leque! F oucault va prendre appui pour proposer sa propre conception des Lumieres. Les Dits et écrits repren~ent.le texte que Foucault a écrit en français bien sii~, ma~s q.Ula été publié en anglais dans un ouvrage collectlf qu~ 1m est consacré: The Faucault Reader, édité par Paul Rabmow et paru à New York, chez Pantheon Books, .en 1984, L: revue française Le magazine littéraire a par al1leurs do~~ une version plus courte de ce texte, que Foucault a utlhse une premiere fois pour son cours au College de France du 5 janvier 1983. Nous reproduisons ci-dessous les pages 13SI à 1397 du second tome des Dits et éerits en QuartoGallimard. Pourquoi ce texte? Qu'essaie de faire ou de montrer Foucault à partir de sa Iecture de Kant? Avant de présenter un résumé détaillé de cet écrit, retenons déjà ces quelques traits caractéristiques. Tout d'abord, et c'est l'essentieI, Qu'est-ce que les Lumieres? est une tentative d'élaboration d'une définition de Ia philosophie. Plus exactement: Foucault voit dans Ie texte de Kant Qu'est-ce que les Lumieres? I'apparition d'une attitude inédite de Ia philosophie à I'égard de son actualité, dans Iaquelle il se reconnaí't. Le travail de Ia phiIosophie consiste à diag;nostiquer Ie présent, c'est-à-dire à poser Ia question de notre propre identité, et celle de notre temps. ) La question kantienne n'a rien de purement circonstancieI: elle exprime et condense un ensemble d'interrogations - gu'est-ce g~pass.e-~I1-ce-lIloment? Qu'est-ce ~ qui nous arrive? QueI est ce monde oj:L.nousvivons ? - en leur conférant ~ statut philosophique qu'elles n'avaient pas auparavant. La puissance de rupture d'une telle maniere de penser son objet apparaí't encore plus clairement quand on compare Ia question kantienne à celle que Descartes mettait au centre de Ia seconde Méditation: iI ne s'agit plus de se demander « qui suis-je, moi qui pense? », en espérant par Ià élucider Ia nature de ce que je suis, comme sujet à Ia fois uni que mais universeI et anhistorique; iI s'agit Iutôt de se demander, de nous demander « qui sommes-nous .-;.;., en tant que témoins de ce siecle des Lumieres. Il n'y a pas dans cette transformation de l'une des questions centrales de Ia philosophie un dévalement journalistique qui assignerait à Ia pensée un rôle utile, mais finalement négligeable de compréhension des événements contemporains; dans Ia mamere par Iaquelle Kant pose Ia question des Lumieres, iI faut voir I'élaboration, universelle mais historique, formelle mais concrete, d'une disposition nouvelle de Ia philosophie à I'égard de I'objet que Ia modernité Iui confie, et qui ne peut être que son présent. Lecture de Kant et définition de Ia philosophie: teIs sont Ies deux bornes du texte, qui fonctionne donc de maniere circulaire. Le moment kantien n'est étudié que comme indice d'une perturbation plus fondamentale de Ia pensée, qui coincide et définit ce qu'on appelle Ia modernité. Entre Kant et sa propre conception de I'attitude phiIosophique, Foucault va donc nature entin.t.é.gr.er...l!Ile rMLexion sur Ia notion de modernit~, cette fois ' travers ~...!l~~s...ture <!.~~elaire_._Çe faisant, Foucault indi ue _~ll~.-k..Rhé!!:om~nep'est pas stric~..e~ent philosophique, mais _touche égalemen!; Ie domaine de I'art, ou iI est -._-' d'ailleurs peut-être encore Ius manif~' . -~ e plan du texte est on le voit tres simple: un premier temps consacré à Kant; n second moment reliant Ia . question des Lumieres \ celle de Ia modernité par une référence à Baudelaire; une troisieme étape, Ia plus IOI~~e et Ia plus intéressante, consacrée à Ia définition de ~de Ia philosophie. On qualifie par ce terme grec I'attitude, ou Ia disposition propre à Ia philosophie. Celleci peut alors être caractérisée comme « une critique de ce que nous disons, pensons et faisons, à travers une ontologie historique de nous-mêmes » (--p. SI). Cela signifie que Ie travaiI de Ia philosophie est à Ia fois une recherche sur Ies conditions d'apparition de ce qui fait notre présent et une tenta tive de Iibération, à travers Ia révélation du caractere contingent et fragile de ce qui nous semble être des contraintes. -- -- Travail de nous-mêmes sur nous-mêmes en tant qu'êtres libres» (~p. 82) : Ia philosophie trouve matiere à l'action, dans des interventions ponctuelles, souvent politiques. Cela n'indique aucun renoncement à Ia patience du concept et aux difficultés de Ia pensée; mais cette tâche minutieuse, celle-Ià même qui fait l'étoffe des grands livres de Foucault, doit s'articuler à une critique plus concrete, seule à même de donner forme à « l'impatience de Ia liberté ». Qu'est-ce que les Lumieres? peut enfin être compris comme un autoportrait du philosophe, ou comme une autojustification de Ia pensée de MicheI Foucault. En déterminant ce que doit être selon lui Ia philosophie, Foucault montre en effet que, malgré les apparences, ce qu'il a tenté de faire au long de son ceuvre était bien de Ia philosophie. IJêthos de Ia philosophie est décrit dans ce texte de telle maniere qu'il fasse écho, pour le lecteur, à ce que Foucault a entrepris dans I'Histoire de Ia folie, Les mots et les choses ou Surveiller et punir. On le voit, Ia lecture de ce bref texte est à maint égard instructive: Foucault, dont c'est l'un des ultimes écrits, a atteint alors une pleine conscience de Ia valeur et de l'influence de son ceuvre. Il est temps pour lui de dire pourquoi il a tant travaillé, et surtout pourquoi il peut se dire philosophe, même si sa modestie I'empêche de I'écrire. « 4. - Résumé du texte ~ L'itinéraire IJitinéraire du texte est d'une grande simplicité. La démarche de Foucault consiste à présenter une définition de l'attitude et du travail de Ia philosophie à partir d'une lecture de Kant et d'une réflexion sur ce qui fait Ia spécificité de Ia philosophie moderne issue des Lumieres. On peut dire que le Qu 'est-ce que les Lumieres ? de F oucault est construit comme une longue note marginale au Qu'est-ce que les Lumieres? de Kant, qui fournit tout à Ia fois l'objet du texte, son point de départ et son aboutissement. On peut en une premiere approche découper I'argumentation en cinq temps: - une introduction destinée d'une part à situer le texte kantien et à indiquer en quoi Ia question posée à Kant et par Kant peut être interprétée comme l'acte fondateur de Ia philosophie moderne; - une Iecture de l'opuscuIe de Kant, s'articulant en trois moments: une présentation du contexte historique de l'intervention kantienne; une élucidation de l'originalité de Ia réponse kantienne comme questionnement sur I'actualité; une série de questions, (quatre en tout), posées à Kant, qui vise à souligner les difficultés de Ia position kantienne; - une tentative de définition de Ia modernité comme attitude, ou comme êthos de Ia pensée à l'égard de son présent. Apres une courte transition explicative, Foucault s'appuie sur Ia référence à Baudelaire pour donner un contenu plus concret à ce qu'on appelle mo dernité, identifiée ici à une forme d'héroisation du présent; - Ia caractérisation de l' êthos philosophique comme critique permanente de notre être historique. Ce quatrieme temps, qui constitue sans doute le cceur du texte, s'appuie sur une argumentation beaucoup plus dense et difficile que dans les pages précédentes. On peut en reconstruire Ia logique ainsi: Foucault indique tout d'abord l'enracinement dans les Lumieres du nouvel êthos de Ia philosophie; puis il en donne une premiere détermination, strictement négative, en réfutant Ia trop commune identification entre humanisme et Lumieres; enfin, il en fournit une approche plus positive dans Ia description de son travaiI critique; , - une conclusion tres breve, ou Kant est pense comme Ia source d'une maniere de concevoir Ia philosophie qui n'est pas sans efficacité politique. r"::>' Introduction Les journaux d'aujourd'hui ne se hasardent pas à poser à leurs lecteurs des questions dont ils ne connaissent pas déjà Ia réponse. Au XVIIIe siecle, iI n'en était pas ainsi, et Ia Berlinische Monatschrift publie ainsi, en décembre Ia réponse de Kant à Ia question suivante: Qu'est-ce que Ies Lumieres? Apres Kant, des penseurs aussi divers que Hegel, Horkheimer, Habermas, Nietzsche et Weber s.e sont confrontés à une telle interrogation: on pourralt même dire que Ia philosophie moderne se définit par Ie fait de se poser Ia question - qu'est-ce que les Lumieres. Avec Kant, quelque chose de nouveau est discretement apparu dans Ia philosophie, et dont il va falloir rendre compte. r"::>' Kant et les Lumieres Le premier intérêt de Ia réponse kantienne est de ne pas être isolée. Peu de temps auparavant, Moses Mendelssohn avait Iui aussi proposé une définition des Lumieres, en tentam de dégager Ie fond commun entre Ia pensée juive qu'iI représente et Ia culture allemande. Tentative de conciliation que Ies drames du xxe siecle réduiront à néant. L'imérêt principal du texte n'est toutefois pas Ià. I! réside bien plutôt dans Ia maniere dom Ie texte de Kant essaie de réfléchir à son propre présent. Bien entendu, Kant n'est pas Ie premier philosophe à entreprendre une telle démarche. Mais contrairement à ses prédécesseurs Platon, Augustin ou Vico - Kant ne s'attache pas à lire dans son actualité I'amorce d'un événement attendu ou I'aurore d'une nouvelle ere. Les Lumieres sont au contraire un terme, une issue, une sortie, bref une rupture avec ce qui était encore vrai hier. I! convient donc d'indiquer ce qui dans le texte nous permet de comprendre comment Kant pose Ia question du présent. Premier élémem à retenir ici : Kant caractérise les Lumieres comme sortie d'un état de minorité, c'est-à-dire d'une situation ou nous soumettons notre volonté à l'autorité d'autrui alors même que nous pourrions faire usage de notre raison (par exemple quand nous soumettons notre réflexion morale à un directeur de conscience). Cette sortie de Ia minorité est à Ia fois un processus en cours et une obligation pour Ia pensée. Le passage à Ia majorité d'une raison autonome ne se fera donc pas mécaniquement, mais par un acte de courage que chacun est appelé à effectuer personnellement. Kant emploie ici le terme d'humanité pour désigner l'acteur de ce bouleversement, par quoi on peut entendre en même temps I'ensemble des hommes et ce qui fait Ie propre de I'homme. L'humanité ne devient majeure qu'au momem ou l'obéissance due aux autorités ou aux obligations de sa fonction s'accompagne en chaque homme d'une capacité à raisonner par soi-même. Kant fait alors intervenir une distinction tres curieuse et problématique, celle existam entre I'usage privé et l'usage public de Ia raisono Par Ie premier iI entend l'utilisation de sa raison dans le cadre d'une fonction ou d'un rôle social: le pasteur en charge d'une paroisse, Ie soIdat, le fonctionnaire, le citoyen. Dans ce cadre, Ia raison doit se soumettre aux contraintes liées à ces différents statuts: non pas se soumettre aveuglement aux ordres, mais respecter d'abord l'exigence de Ia fonction. Vn pasteur, quand il prêche devant ses fideles, ne doit pas donner son analyse propre des dogmes religieux mais en présenter une conception neutre et orthodoxe. En revanche, quand l'homme raisonne en tant qu'homme, il n'y a aucune borne au libre usage de Ia raison, qualifié ici d'usage publico Notre pasteur peut tres bien rendre publique une critique des textes religieux, tant qu'il ne parle pas en tant que pasteur. La derniere difficulté est plus directement poli tique : comment permettre cet usage public de Ia raison dans une société despotique comme l'est encore celle de Kant, si ce n'est en soumettant le despotisme lui-même aux principes de Ia raison universelle ? r<:::::,.> La modemité Qu'est-ce que les Lumieres? ne dit pas Ia vérité des Lumieres. Mais il exprime ce qui au fond est Ie tout de Ia pensée kantienne: réfléchir aux conditions d'un usage légitime de Ia raison, c'est-à-dire faire ce que Kant appelle une critique. Foucault le dit d'une belle formule: «La Critique, c'est en queIque sorte Ie livre de bord de Ia raison devenue majeure dans l'Aufkliirung; et inversement, I'Aufkliirung, c'est I'âge de Ia Critique. » (~p. 70). Le texte se présente en même temps comme une réflexion sur I'histoire. À l'articulation de Ia critique et de Ia pensée de l'histoire, on peut Ie concevoir comme une synthese tres spécifique entre Ia préoccupation théorique qui est celle de toute critique, l'attention à I'histoire et l'interrogation du moment que le phiIosophe est en train de vivre. La Qhilosgph~oit un nouvel et un velJe tâche· penser « aujourd'hui ». Et c'est en cela que Kant esquisse I'attitude propre de Ia modernité. La modernité n'est pas une époque, mais une attitude à l'égard de I'actualité. Baudelaire en donne Ia définition suivante: être moderne, c'est saisir dans le moment présent I'éternité qui s'y cache, ou encore sentir I'héroisme de ce présent. Cette démarche ne consiste pas à sacraliser le présent, mais à dégager de Ia mode « ce qu'elle peut contenir de poétique dans I'historique » (~ p. 74). Il n'y a pas non plus dans cette attitude un respect ou une idolâtrie du présent: le présent n'est l'objet de Ia pensée que parce qu'iI doit être transformé, ce qui n'est possible que pour un esprit qui aura su en capter Ia teneur. La modernité baudelairienne ne se limite pas à ce rapport au présent. Elle est méditation sur soi et élaboration de soi-même comme objet à modifier: l'homme moderne est « celui qui cherche à s'inventer lui":même » (~p. 75)· Même si Baudelaire considere que seull'art peut être le lieu d'une telle invention, rien n'interdit d'en faire une tâche pour Ia philosophie. r<:::::,.> Une nouvelle définition de Ia philosophie Qu'est-ce que faire de Ia philosophie aujourd'hui? Certainement pas être fidele aux contenus doctrinaux des Lumieres, qui ont bien mal vieilli; mais une fidélité d'un autre type, qui consisterait à réactiver son attitude spécifique, son êthos. Comment décrire cette disposition propre de Ia philosophie? Premier point que Foucault tient à préciser: i1 n'est pas question ici d'être pour ou contre Ies Lumieres, mais de mener patiemment un travail pIus Iong et compIexe sur ce qui constitue aujourd'hui Ia nécessaire autonomie de Ia raison Resp ", . ecter d deVlse des LUl1lleres - ose savoir! - et non ce ' II . qu e es pu proposer comme so 1utlons ou comme conce 1: ,. 1es Lumieres ne sonpts. . e'1'ement qu "1 1 laut preclser: . D' une part parce quet pas tl'fi a bI es a'I'h umarusme. ces mouvements sont trop complexes et souples pour ~ plement confondus; d'autres part parce que I'hu~tre est. même peut-être, par sa soumission à une conce umlatérale de I'homme, opposé à l'esprit criti ., L a re'fi' L Ul1lleres. eXlOnsur 1es Lumieres doit pou\'que . til' de ces fausses alternatives et ces confusions :. Plus positivement, I'êthos de Ia philosophie « carac.tériser comme Ul~e atti~e limite » (~p. 80) questlon proprement phllosophique aujourd'hui est se savoir quelle est Ia part de Ia contingence et de l' traire dans ce qui nous est présenté comme des con nécessaires. Le travaiI va être généalogique et arch' gique: pourquoi pensons-nous ce que nous pensans pourquoi nous ne pourrions pas penser et agir autrem La critique du présent devient ouverture d'un avenir . rent, relance du « travaiI indéfini de Ia liberté » (~p. Ce travaiI ne peut toutefois pas se contente r d'être analyse théorique et historique des conditions d'éla tion de notre pensée présente (comme Ie sont Les les chosesou Surveiller et punir) ; il faut que l'attitude philosophie se fasse expérimentale, c'est-à qu'elle sache identifier les angles d'attaque de Ia lité, là ou sa fragilité pennettra une action effi Attitude limite, attitude critique: Ia philosophie « une épreuve historico-pratique des limites que pouvons franchir, et donc comme travaiI de nous-mA sur nous-mêmes en tant qu'êtres Iibres ». (~p. 82) Ce. vaiI peut paraitre bien Iimité, et peu digne des préten . .;ophie àla rationalité et à l'universalité. Mais on )li Je mernc en dresser un portraIt systematlque, et t tout . d e 1a . ~tre caractéristiques essentle. 11es. L' enJeu r qV'e est de penser à nouveaux frais Ia liberté et les • OSOpo'de pouvoi en tenant compte de Ia compleXIte . 'd e r IAphdo A • , • soP ~omog;néité réside ~ans celle de ~~n objet: ~es fatlonalité qui orgarusent les mameres de falre ~ ,d eles du leu. . Sa systématicité est dans I'orgamsatlon ., les reg , l' d . ée qu entretiennent entre eux axe u saVOlr,l' axe vojf et l'alte de I'éthique (qui sont, on I'a vu, les ~u oJ1lentsde l'ceuvre de Foucault). Sa généralité enfin, 15m , par suf sa perl1l.anencedes pro bl'"ematlques reperees analyse pistorico_critique que mene Ia philosophie. -: Conc1usion ous pe somlhes pas devenus majeurs. Mais l'interrotiao du présen.t inauguré par Kant nous donne de comdre ce que peut être une vie philosophique. Vie de . et d'enquête qui, dans un lent travail de sape ce qui se Prétend limite, est une vie de liberté. m LA QUESTION DANS "DES LUMIERES L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE I. - r<:::::::,> La définition des Lumieres au XVnle siecle La figure du philosophe Sous I'apparente neutraIité d'une définition de I'éclectisme - un mouvement de peu d'importance de Ia phiIosophie antique - Diderot dresse un portait du phiIosophe des Lumieres. La dimension critique et le refus de toute fausse autorité y sont essentiels comme ils Ie seront chez Kant. L'éclectique est un philosophe qui, foulant aux pieds le préjugé, Ia tradition, I'ancienneté, le consentement universel, l'autorité, en un mot tout ce qui subjugue Ia foule des esprits, ose penser de lui-même, remonter aux principes généraux les plus c1airs, les examiner, les discuter, n'admettre rien que sur le témoignage de son expérience et de sa raison 1... 1 L'ambition de J'éclectique est moins d'être le précepteur du geme humain que son disciple; de réformer les autres, que de se réformer lui-même. DIDEROT, Notice « Écléctique » de l'Encyclopédie, (Euvres completes, t. VII, Paris, Hermann, 1976, p. 36. LA QUESTION DES LUMIERES DANS L'HISTOIRE ~ L'optimisme des Lumieres L'un des traits Ies pIus caractéristiques de I'esprit des Lurrueres est son optimisme quant à I'avenir de I'humanité. Cet aspect est particulierement visible dans ce texte de Condorcet, écrit dans Ia prison ou Robespierre I'avait jeté: il exprime une foi inébranlable en I'homme, fondée sur Ia conscience du caractere exceptionne1 de Ia RévoIution. Tout nous dit que nous touchons à I'époque d'une des grandes révolutions de I'espece humaine. Qui peut mieux nous éclairer sur ce que nous devons en attendre; qui peut nous offrir un guide plus sOr pour nous conduire au milieu de ses mouvements, que le tableau des révolutions qui I'ont précédée et préparée? L'état actuel des lumieres nous garantit qu'elle sera heureuse; mais aussi n'est-ce pas à condition que nous saurons nous servir de toutes nos forces? Et pour que le bonheur qu'elle promet soit moins cherement acheté, pour qu'elle s'étende ave c plus de rapidité dans un plus grand espace, pour qu'elle soit plus complete dans ses effets, n'avons-nous pas besoin d'étudier dans I'histoire de I'esprit humain quels obstacles nous restent à craindre. quels moyens nous avons de les surmonter? CONDORCET, ~ Esquisse d'un tableau historique des progres de l'esprit humain, Paris, GF, 1988, p. 89. Les Lumieres, majorité de Ia raison Le texte de Kant que FoucauIt commente est certainement I'écrit philosophique le pIus puissant et intéressant qui ait été écrit sur Ies Lumieres. Kant définit I'attitude propre aux Lumieres comme un;;;dac~ de Ia rais~n. DE LA PHILOSOPHIE , 'n"lancipant de toute soumission trop faciIe, rejetant le s·e..... , . PI ' ..;;tien des maitres à penser et a agIr. us qu un fu@sOO .' , . . __ Ies Lumieres manrfestent un etat d espnt, qm se contenu, . ~ confond ave c Ia phiIosophIe meme. Les Lumieres, c'est Ia sortie de /'homme hors de /'état de tutelle dotlt il est lui-même respotlsable. L'état de tutelle est I'incapacité de se servir de son entendement sans Ia conduite d'un autre. On est soi-même respotlsable de cet état de tutelle uand Ia cause tient non pas à une insuffisance de I'en~ndement mais à une insuffisance de Ia résolution et du courage de s'en servir sans Ia conduite d'un autre. 5apere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement! Voilà Ia devi se des Lumieres. MNT, Qu'est-ce que les Lumieres?, tr~d. PoirierlProust, Pans, GF, 1991, p. 43· ~ La religion au-dessus des Lumieres L'Aufklarung al1emande, contrairement aux L" umle~re~ françaises, n'est pas hostiIe à Ia religion. El1e t~nd pl~tot a un compromis entr jJhil.osophie et théoIogle, qm. peut amener parfois à préférer Ia foi, porteuse ~our certams de Ia vraie vocation de I'humanité, aux enselgnements de Ia raison. C'est Ie cas de cSes clssohn..qui, comme @erder,. eut êtr nsidéré eomme un critique des, ~y I L " Lumieres dans es umleres. --------Lorsque les destinations essentielles de l'homme sont entrées malheureusement en conflit avec ses propres destinations accessoires. lorsqu'il n'est pas permis de répandre certaine vérité utile et qui est I'ornement de l'homme sans abattre les principes de religion et de moralité qui sont en lui, alors le partisan vertueux .1_ LA QUESTION DES LUMIERES DANS L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE c<:::::"J L'optimisme des Lumieres L'un des traits les plus caractéristiques de l'esprit'des Lumieres est son optimisme quant à l'avenir de l'humanité. Cet aspect est particulierement visible dans ce texte de Condorcet, écrit dans Ia prison ou Robespierre l'avait jeté: il exprime une foi inébranlable en l'homme, fondée sur Ia conscience du caractere exceptionnel de Ia Révolution. Tout nous dit que nous touchons à !'époque d'une des grandes révolutions de l'espece humaine. Qui peut mieux nous éclairer sur ce que nous devons en attendre; qui peut nous offrir un guide plus sur pour nous conduire au milieu de ses mouvements, que le tableau des révo!utions qui l'ont précédée et préparée? L'état actuel des lumieres nous garantit qU'elle sera heureuse; mais aussi n'est-ce pas à condition que nous saurons nous servir de toutes nos forces? Et pour que Ie bonheur qu'elle promet soit moins cherement acheté, pour qU'eIle s'étende avec pIus de rapidité dans un pIus grand espace, pour qu'elle soit plus complete dans ses effets, n'avons-nous pas besoin d'étudier dans l'histoire de I'esprit humain quels obstacles nous restent à craindre, quels moyens nous avons de les surmonter? CONDORCET, c<:::::"J Les Lumieres, Esquisse d'un tableau historique des progres de l'esprit humain, Paris, GF, 1988, p. 89. majorité de Ia raison Le texte de Kant que Foucault commente est certainement l'écrit philosophique le plus puissant et intéressant qui ait été écrit sur les Lumieres. Kant définit l'attitude I?ropre aux Lumieres comme un~~ ~e ia ;a;s~~, ...iimancipant de toute soumission trop facile, rej~tant le faux soutien. des maÍtres à penser et à agir. Plus qu'un c~ntenu, les Lumieres manifestent un état d'esprit, qui se confond avec Ia philosophie même. Les Lumieres, c'est Ia sortie de /'Fromme Frorsde /,état de tutelle dont il est lui-même responsable. L'état de tutelle est I'incapacité de se servir de son entendement sans Ia conduite d'un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand Ia cause tient non pas à une insuffisance de )'entendement mais à une insuffisance de Ia résolution et du courage de s'en servir sans Ia conduite d'un autre. Sapere aude! Aie le courage de te servir de ton propre entendement! VoiIà Ia devise des Lumieres. KANT, c<:::::"J Qu'est-ce que les Lumieres?, trad. PoirierlProust, Paris, GF, 1991, p. 43. La re1igion au-dessus des Lumieres UAufklarung allemande, contrairement aux Lumieres t françaises, n'est pas hostile à Ia religion. Elle tend plutõt à un compromis entr philosophie et théologi~ qui peut amener parfois à préférer Ia foi, porteuse pour certains de Ia vraie vocation de l'humanité, aux enseignements de Ia raison. C'est le cas de QS~Wm.qui, comme @êrder:v eut êtr nsidéré eomme un critique des, Lumieres dans les Lumieres. -------- Lorsque Ies destinations essentielles de I'homme sont entrées maIheureusement en conflit avec ses propres destinations accessoires, Iorsqu'iI n'est pas permis de répandre certaine vérité utile et qui est l'ornement de l'homme sans abattre les principes de religion et de moralité qui sont en lui, alors le partisan vertueux .I _ LA QUESTION DANS L'HISTOIRE DES LUMÜ:RES DE LA PHILOSOPHIE r=' La raison est-elle dictatoriale? des Lumieres procédera avec prud nce ' préférera tolérer le pré]'uge' I t: et precaution et p u ot que de ch meme temps Ia vérité' qUI est SI" solidement attachée asser en A , 2. - Que si ifi 'I'lre Les LlImieres alll!'fHar:des,e;:; IS, MENDELSSOHN, 10 AlIfkliirung, 2i: Z ' ,trad. 1995,Raulet, p, 21, Le débat., autour des Lumi'eres au :xxe slecle Le projet du philosophe allemand Jürgen Habermas es cIairement inspiré des Lumieres, 11 dénonce ici ce t qu'il considere comme étant I'erreur commune de nombreUXphilosophes, dont Foucault: critiquer sans les distinguer Ia subjectivité et Ia rationalité. Foucault, parmi d'autres, s'attaquerait à une raison forcément impérialiste, alors que pour Habermas, une raison critique est encore possible aujourd'hui. Que reste-t-i! des Lumíeres? r<:::::,.> Dans \e discours de Ia modernité, un reproche est Edmund Husserl, !'un des hilos h ' tants du xxe siecle 'd' p ~p es les plus lmpor' , conSl ere qu'11 n'est !' ' , ' I"lte mê pas d. abandonner I'idée d e ratlOna ' I egltlme ' hsme des Lu " " ' me SI e ratlOnamleres a peche par nai"veté C d 'b occuper une bonne partie du " I ' .' e e at va vement des L " I Slec e, y a-t-I! dans le mouumleres que que ch "I f ver ou reprendre? ose qu 1 audrait conser- formulé qui, en substance, reste inchangé de Hege\ et de Marx à Nietzsche et à Heidegger, de Bataille à Lacan à Foucault et à Derrida, reproche qui consiste en une accusation _ dirigée contre une raison qui se fonde sur \e principe de Ia subjectivité - se\on \aquel\e une tel\e raison ne dénoncerait toutes les formes apparentes d'oppression \'intangib\e et d'exploitation domination que pour y substituer de Ia rationalité elle-même. ,Nous sommes aujourd'hui conscients de ce ratlOnalisme du XVllle siêcle f que le Ia solidité ti' sa açon de vouloir assurer , ,e, atenue requise pour I'humanité euro- L..:opacitéde \'édifice d'acier qui matéria\ise cette raison p~enne, etalt une na'iveté, Mais faut-il ab d meme tem ' an onner en ps que ce ratlonalisme na'if et pense jusqu'au bout, contradictoi ~ meme, SI on le authentique du rationalisme? Et qre"egale~ent le sens cation sé' d ' u en est-d de I'expli, neuse e cette na"iveté d Les partis sont unanimes: i\ faut faire voler en éc\ats A éc\atante d'un palais de verre parfaitement transparent. , c~:tr~odnlctiOn? Ou est Ia rationalité de cet'irrati:nal~:~: vante et auquel on veut nous contraindre? q HUSSERL devenue positive s'évanouit en prenant l'apparence . d es saences . . , La cnse européennes et Ia h' , transcendantale , Paris , Gall'Imar d ,1976, p enomenologie p, 21-22, cette façade d'apparence critalline. HABERMAS, Le discours philosophique de Ia modemité, Paris, Gallimard, 1988, p. 7-8, ~ Auschwitz et les Lumieres 1Jesprit des Lumieres est résolument oprimiste. 11élabore une philosophie du progres dans I'histoire, considéré com une longue mais inexorable conquête du bonheur me et de Ia liberté. Jean-François Lyotard considere que ce LA QUESTION DANS L'HISTOIRE discours du progres fait partie des grands récits fondateurs de Ia modernité occidentale; reste à savoir ce qu'il en demeure aujourd'hui, apres les désastres dti xxe siecle. Ces récits ne sont pas des mythes au sens de fables (même le récit chrétien). Certes, comme les mythes, ils ont pour fin de légitimer des institutions et des pratiques sociales et politiques, des législations, des éthiques, des manieres de penser. Mais à Ia différence des mythes, ils ne cherchent pas cette légitimité dans un acte originei fondateur, mais dans un futur à faire advenir, c'est-à-dire dans une Idée à réaliser. Cette Idée (de liberté, de « lumiere », de socialisme, etc.) a une valeur légitimante parce qu'elle est universelle. Elle oriente toutes les réalités humaines. Elle donne à Ia modernité son mode caractéristique: le pro;et, ce projet dont Habermas dit qu'il est resté inachevé, et qu'il doit être repris, renouvelé. Mon argument est que le projet moderne (de réalisation de I'universalité) n'a pas été abandonné, oublié, mais détruit, « liquidé ». 11y a plusieurs modes de destruction, plusieurs noms qui en sont les symboles. ~~witz.» peut être prls- ÇQmme un nom paradigmatique pour 1'«inachevement» __ !:ragiqued~ Ia -m5~_d~~ LVOTARD, Le postmodeme expliqllé allX enfants, Paris, Galilée, 1986, p. 38. Les Lumieres et le 11 septembre Fidele en cela au modele kantien, J ean Baudrillard .-<:::::,.> s'attache à penser notre actualité. Il s'agit alors, à propos des attentats du I I septembre 2001, de réfléchir à une nouvelle maniere de penser le mal. Cette intelligence du DES LUMIERES DE LA PHILOSOPHIE mal, sans laquelle le terrorisme ne peut être compris, se construit dans une opposition systématique à l'optimisme des Lumieres, qui croyaient que Ia victoire du Bien correspondait nécessairement à une défaite du Mal. Le terrorisme est immoral. L'événement du World Trade Center, ce défi symbolique, est immoral, et il répond à une mondialisation qui est elle-même immorale. Alors soyons nous-même immoral et, si on veut y comprendre quelque chose, allons voir un peu au-delà du Bien et du Mal. Pour une fois qu'on a un événement qui défie non seulement Ia morale mais toute forme d'interprétation, essayons d'avoir I'intelligence du Mal. Le point crucial est là justement: dans le contresens total de Ia philosophie occidentale, celle des Lumieres, quant au rapport du Bien et du Mal. Nous croyons na'ivement que le progres du Bien, sa montée en puissance dans tous les domaines (sciences, techniques, démocratie, droits de I'homme) correspond à une défaite du Mal. Personne ne semble avoir compris que le Bien et le Mal montent en puissance en même temps, et selon le même mouvement. Le triomphe de I'un n'entraÍne pas I'effacement de I'autre, bien au contraire. On considere le Mal, métaphysiquement, com me une bavure accidentelle, mais cet axiome, d'ou découlent toutes les formes de lutte du Bien contre le Mal, est illusoire. Le Bien ne réduit pas le Mal, ni I'inverse d'ailleurs: ils sont à Ia fois irréductibles I'un à I'autre et leu r relation est inextricable. BAUDRILLARD, L'esprit du terrorisme (Le monde, 3 novembre 2001). LA QUESTION DANS 3. - Les Lumieres dans les Dits et écrits ~ Introduction à l'édition anglaise de G. Canguilhem, «Le normal et le pathologique » (1978), in Dits et écrits, Paris, Quarto-Gallimard, 2001, t. TI, p. 433· FOUCAULT, Plusieurs processus, qui marquent Ia seconde moitié du xxe siecle, ont ramené au cceur des préoccupations contemporaines Ia question des Lumieres. Le premier, c'est I'importance prise par Ia rationalité scientifique et des forces produc- tives et le jeu des décisions politiques. Le deuxieme, c'est l'histoire d'une « révolution » dont I'espoir avait XVII,e LUMIERES LA PHlLOSOPHIE abusé. La raison, comme lumiere despotique. Les textes que Foucault consacre aux Lumieres sont tres nombreux dans les Dits et écrits. Ils s'articulent souvent à un commentaire du texte de Kant, ainsi qu'à une définition de Ia fonction de Ia philosophie. Dans cette introduction à I'ouvrage fort connu de.Qeorge~e normal et le pathologique, Foucault montre pourquoi Ia ~estion des Lumieres f;it retour à Ia fin du xxe siecle. été, depuis Ia fin du DES DE I'interroger sur ses limites et sur les pouvoirs dont il a Le retour de l'AuJkliirung technique dans le développement L'HISTOIRE siecle, porté par tout un ratio- nalisme auquel on est en droit de demander quelle part il a pu avoir dans les effets de despotisme ou cet espoir s'est égaré. Le troisieme, enfin, c'est le mouvement par ~ Philosophie et joumalisme La définition de Ia philosophie comme ontologie du temps présent rapproche singulierement son travail de celui du journaliste. L'inte ogzri de ce concept ..h-auj.oID:...d1lui» consütuerait leur fond commun,_ en même tem s u'une des orientations les plus fécond9 de Ia ensée. Lã en~c'est le texte kantien qui est désigné comme moment inaugural. Les Lumieres, en cette fin du XVllle siecle, ce n'était pas une nouvelle, ni une invention, ni une révolution, ni un parti. C'était quelque chose de familier et de diffus, qui était en train de se passer - et de passer. Le journal prussien demandait au fond: « Qu'est-ce qui vient de nous arriver? » I .. 1Cette singuliere enquête, faut-ill'inscrire dans I'histoire du joumalisme ou de Ia philosophie? )e sais seulement qu'il n'y a pas beaucoup de philoso- leque!, au terme de I'ere coloniale, on s'est mis à phies, depuis ce moment, qui ne tournent autour de Ia demande r à l'Occident sa culture, sa question: « Qui sommes-nous à I'heure qu'il est? » Mais science, son organisation social e et finalement sa ratio- je pense que cette question, c'est aussi le fond du métier nalité elle-même pouvaient avoir pour réclamer une de journaliste. Le souci de dire ce qui se passe n'est pas n'est-ce pas un mirage lié à une tellement habité par le désir de savoir comment ça peut validité universelle: quels titres domination économique et à une hégémonie politique? se passer, partout et toujours; mais plutôt par le désir de Deux siecles apres, l'Aufkliirung deviner ce qui ce cache sous ce mot précis, flottant, mys- comme une maniere pour fait retour: non point l'Occident de prendre conscience de ses possibilités actuelles et des Iibertés auxquelles il peut avoir acces, mais comme maniere de térieux, absolument simple: « Aujourd'hui »c FOUCAULT, Pour une morale de l'inconfort (1979), in Dits et écrits, Paris, Quarto-Gallimard, 2001, t. lI, p. 783, LA QUESTIO DANS L'HISTOlRE 3. - Les Lumieres dans les Dits et écrits .-<:::::,.' Le retour de l'Au.fkliirung ·' t r les pouvoirs dont il a l'interroger sur ses IImites e su . abusé. La raison, comme lumiere despotlque . Introduction à l'édition anglaise de G. Canglli/~em, normal et le pathologique » (r978), 111 Dtts et emts, Paris, Quarto-Gallimard, 200r, t. II, p. 433· FOUCAULT, Les textes que Foucault consacre aux Lumieres SOnt tres nombreux dans les Dits et écrits. Ils s'articulent souvent à un commentaire du texte de Kant, ainsi qu'à une définition de Ia fonction de Ia philosophie. Dans cette introduction à I'ouvrage fort connu deJieQrge~e normal et le pathologique, Foucault montre pourquoi Ia ~estiÕh L!es Lumieres fã'it retour à Ia fin du xx· siecle. Plusieurs processus, qui marquent Ia seconde moitié du xx" siecle, ont ramené au cceur des préoccupations contemporaines Ia question des Lumieres. Le premier, c'est I'importance prise par Ia rationalité scientifique et technique dans le développement DES LUMIERES DE LA PHILOSOPHIE des forces produc- tives et le jeu des décisions politiques. Le deuxieme, c'est I'histoire d'une « révolution » dont I'espoir avait « Le r=' Philosophie et joumalisme . La définition de Ia philosophie comme ontologl~ du temps présent rapproche singulierement son travail de . l' L" g°t-;o de ce concept celui du Journa Iste. mter o '"'" ' ;nnurr.-Pl-,,,; » cOIlstituerait leur fond commun, en [. d d d « a.U~lJ-Wll ~e tem s u~s orientations le.s plus .1eÇ9p. e:s ~ --ra~à encare, c'est le texte kanuen qm est deSIgne - comme moment inaugural. Les Lumieres, en cette fin du XVIII" siecle, ce n'étai: ' une invention ni une révolution, nI pas une nouve Ile , nl ' . un parti. C'était quelque chose de familier et de .dtffus, nalisme auquel on est en droit de demander quelle part qui était en train de se passer - et de passer. ~e .Journal . demandait au fond: « Qu'est-ce qUi vlent de prussten ,,' " _ naus arriver? » 1... 1Cette singuliere enquete, f~ut-IlII.ns? été, depuis Ia fin du XVIII" siecle, porté par tout un ratio- iI a pu avoir dans les effets de despotisme ou cet espoir crire dans I'histoire du journalisme ou de ta phI1oso~hle . s'est égaré. Le troisieme, enfin, c'est le mouvement par le sais seulement qu'iI n'y a pas beaucoup de phIloso- lequel, au terme de I'ere coloniale, on s'est mis à phies, depuis ce moment, qui ne tournent autour de I.a demander à l'Occident quels titres sa culture, sa question: « Qui sommes-nous à l'heure qu'i1 est? » ~~IS science, son organisation sociale et finalement sa ratio- je pense que cette question, c'est aussi le fond du metter nalité elle-même pouvaient avoir pour réclamer une de journaliste. Le souci de dire ce qui se passe n'est pas n'est-ce pas un mirage lié à une tellement habité par le désir de savoir comment ç~ ~eut se passer, partout et toujours; mais plutôt par le destr de validité universelle: domination économique et à une hégémonie politique? Deux siecles apres, l'Aufkliirung comme une maniere pour fait retour: non point l'Occident de prendre conscience de ses possibilités actuelles et des libertés auxquelles il peut avoir acces, mais comme maniere de deviner ce qui ce cache sous ce mot précis, flottant, mystérieux, absolument simple: « Aujourd'hui »~ ,· ,.r,rt (r 979) in Dits et éerits, FOUCAULT, Pomoune mora 1e d e I mconJo , 8 Paris, Quarto-Galbmard, 200r, t. II, p. 7 3· LA QUEST10N DES LUMIERES DANS L'H1STOIRE DE LA PHlLOSOPHIE r::::::".o La fonction critique de Ia raison r::::::".o Les Lumieres ne sont pas une époque de raticinalisme triomphant. Avec Kant, Ia raison a pour tâche premiere d'élaborer ses propres limites. Cette fonction critique de Ia philosophie peut être reconduite aujourd'hui, plus précisément sous Ia forme d'une critique des abus de Ia rationalité poli tique, tels qu'ils ont pu se donner au long du xxe siecle. En ce sens, Ia pensée de Foucault peut être considérée comme une version particulierement radicale de l'esprit des Lumieres. Penser Ies Lumieres : un devoir pour Ia phiIosophie Le lien entre Clsophie et Lumieres n'est pas dú au hasard, ou au génie propre du texte kantien. Tout semble indiquer au contraire que penser Ia question des Lumieres et de son sens constitue pour Ia philosophie un devoir. Nulle nostalgie dans cette enquête, plutôt le souci de maintenir ouverte l'interrogation fondatrice de notre modernité. Apres tout, il me semble bien que l'Aufkliirung, à Ia 11y a belle lurette que Ia philosophie a renoncé à fois comme événement singulier inaugurant Ia moder- tenter de compenser I'impuissance de Ia raison scienti- nité européenne et comme processus permanent qui se fique, qu'elle ne tente plus d'achever son édifice. L'une des tâches des Lumieres était de multiplier les pouvoirs politiques de Ia raison. Mais les hommes du XIXe siecle allaient bientôt se demander si Ia raison n'était pas en manifeste dans I'histoire de Ia raison, dans le développement et I'instauration des formes de rationalité et de technique, I'autonomie et I'autorité du savoir, n'est pas passe de devenir trop puissante dans nos sociétés. 115 simplement pour nous un épisode dans I'histoire des commencerent à s'inquiéter de Ia relation qu'ils devi- idées. Elle est une question philosophique, naient confusément entre une société encline à Ia ratio- depuis le nalisation et certaines menaces pesant sur I'individu et piété ceux qui veulent qu'on garde vivant et intact l'hé- ses Iibertés, I'espece et sa survie. Autrement dit, depuis Kant, le rôle de Ia philosophie a été d'empêcher Ia raison de dépasser les limites de ce qui est donné dans I'expérience; mais, des cette époque - c'est-à-dire, XVllle inscrite, siecle, dans notre pensée. Laissons à leur ritage de l'Aufkliirung. Cette piété est bien sOr Ia plus touchante des trahisons. Ce ne sont pas les restes de l'Aufkliirung qu'il s'agit de préserver; c'est Ia question avec le développement des États modernes et I'organi- même de cet événement et de son sens (Ia question de sation politique de Ia société -, le rôle de Ia philosophie I'historicité de Ia pensée de I'universel) qu'íl faut main- a aussi été de surveiller les abus de pouvoir de Ia ratio- tenir présente et garder à I'esprit comme ce qui doit nalité politique - ce qui lui donne une espérance de vie assez prometteuse. être pensé. FOUCAULT, Omnes et singulatim: vers une critique de Ia raison politique (1981), in Dits et écrits, Paris, Quarto-Gallimard, 2001, t. II, p. 953. FOUCAULT, Cours au Col!ege de France, in Dits et écrits, Paris, Quarto-Gallimard, 2001, 5 janvier 1983, t. II, p. 1505. Lire Qu' est-ce que les Lumieres?: texte et commentalre • TEXTE Ou'est-ce que les Lumieres?' ,De nos jQurs Quand un joumalRQse une guestion à ses I,ecteurs, c'est our leur demander leur avis sur un sujet ou cha~urt a dé,jà sQn...opinion. on """iíe-rlsQuepas d'apprendre grand- - chose. Au XVllle siecle, on préférait interroger le public sur des problemes auxquels justement on n'avait pas encore de réponse. )e ne sais si c'était plus efficace; c'était plus amusant. Toujours est-il qu'en vertu de cette habitude un périodique allemand, Ia Berlinische Monatsschrift, en décembre 1784, a publié une réponse à Ia question. Was ist Aufklo.rung2? Et cette réponse était de Kant Texte mineur, peut-être. Mais il me semble qu'avec lui entre discretement dans I'histoire de Ia pensée une question à laquelle Ia philosophie moderne n'a pas été capable de répondre, mais dont elle n'est jamais parvenue à se débarrasser Et sous des formes diverses, voilà deux siecles r. « What is Enligthenment?» (<< Qu'est-ce que les Lumieres? »), in Rabinow (P.), éd., The Foucault Reade1-, New York, Pantheon Books, I984, p. 32-50. 2. Le texte de Kant est paru une premiere fois dans Ia Berlinische Monattschl'ift, en décembre I784. Gn en trouve Ia traduction au t. II des CEuv1-esphilosophiques, Paris, Gallimard, Bibliotheque de Ia Pléiade, I985, sous le titre Qu'est-ce que les Lumieres? (trad. Wismann). Le texte est également disponible en poche (Gf~ I99I, trad. Poirier/Proust). maintenant qu'elle Ia répete De Hegel3 à Horkheimer4 ou à Habermas5, en passant par Nietzsche6 ou Max Weber7', il n'y a guere de philosophie qui, directement ou indirectement, n'ait été canfrontée à cette même question :.9.1!rl est do cr;;t ~.énement qu'on appelle l'Aufkliirung et qui a détermiDi our une part au moins, ce que nous sommes, ce q~ pensons et ce que nous faisons aujourd'hui? Imaginons que Ia Berlinische Monatsschrift existe encare de nos jours et qu'elle pose à ses lecteurs Ia question: « Qu'est-ce que Ia philosophie moderne? »; peut-être pourrait-on lui répondre en écho: Ja philosophie mo~~esLce.lle....s+ui te~ ~àJ~.an.cée.,....lLOiLàdeux-siecles, ave t d'imprudence..:. W~is~.J.LtW.1 Arrêtons-nous quelques instants sur ce texte de Kant. Pour plusieurs raisons, 11mérite de retenir I'attention. 3. Philosophe allemand (1770-1831). Héritier tres critique des Lumieres, Hegel conserve le rationalisme du XVIII'siecle, tout en insistam sur Ia nécessité de son incarnation historique. 4. Philosophe et sociologue allemand (I895-t973). Horkheimer considere que I'esprit des Lumieres est à Ia source d'une dictature de Ia raison, qui culmine dans les désastres historiques du XX'siecle. 5. Philosophe et sociologue allemand (né en 1929)' Habermas revendique I'héritage des Lumieres. D'inspiration kantienne, sa pensée propose une réactualisation du rationalisme à partir de Ia philosophie du Iangage. 6. Philosophe allemand (1844-1900). Nietzsche est I'invemeur de Ia démarche généalogique que Foucault reprend à son compte. Cerre méthode consiste à identifier, sous les concepts traditionnels de Ia philosophie, des mécanismes physiques et physiologiques, qui en expliquem Ia naissance en leur ôtant par là même toute légitimité. . ~ Sociologue et économiste allemand (t864-I920). Weber st l'un des pêres de Ia sociologie moderne. Sa perception des Lumiêres est assez sombre: il y voit l'amorce d'un vaste mouvemem de désenchamemem du monde qui culmine dans Ia bureaucratie comemporain;-- , A uestion Moses Mendelssohn8, lui aussi, \) A cet~e ~~:ed~ns le même journal. deux mois auparavenalt de repo . 'It pas ce texte quand 11avalt M' Kant ne connalssa \ vant. ais , t as de ce moment que date a rédigé le Slen Certes, ce n eSh'11POSophiqUe allemand avec les t du mouvemen t p . n renco re d Ia culture I'uive li Y avalt une d' eloppements e nouveaux ev M delssohn était à ce carrefour, . d' - déjà que en . trentalne annees Lessin 9 Mais jusqu'a\ors, il s'était agi de en compagnle de . _, g. I e 'uive dans Ia pensée alledonner droit de cite a \aa~~tt~;nt~ de faire dans Die luden1omande - ce que LeSSlOg, à \a pensée d problemes communs e ou enco: de degag~ie :~emande: c'est ce que Mendelssohn juive et a Ia phIlosoP. /,. talité de I'âmell Avec \es . . d I Entretlens sur Immor avalt falt ans es . . r. 'ft \'Aufkllirung dans Ia Berlinlsche Monatsscrlrl , deux textes parus '11 appard t I'Haskalal2 juive reconnaissent qu e es. alleman e e .' Ii cherchent à détermlOer de 'I Ame hlstOlre' e es tiennent a a me lI' l'vent Et c'était peut-être commun e es re e . quel processus I' ceptation d'un destin commun, une maniere d'annoncer ac. 13 dont on sait à quel drame il devalt mener . -I 86). Mendelsso~tout en étant 8 Philosophe allemand (1729 7 '. d I'homme dont Ia . ,,' dere que Ia vocatlon e , homme des Lumleres, co1nsl d 1tale que Ia critique. Sa pensée est f . d' I -.' - est p us on ameI religlOn It a vent:, .. tique des Lumiêres allemandes. sur ce pomt caractens d , . . (I 2 -I 81), notamment auteur e 9. Plulosophe et ecnvam allemand , 7 9]' 7 le juda'isme et Ia philosoNathan te sage. Sa pensée tente de reconCI ler phie allemande. Les Juifs, texte paru en 1749· li lace dans une des plus vastes quere es 1r. Ce texte de 1767, pre~d p I' appelle Ia querelle du panintellecruelles du XVI\l' slecle, que on 10. théisme. ]2. Ere des Lumieres juives. . d J'f . . énoclde es Ul s. oucault fait bien entendu référence ICI au g F 13· 2) Mais il ya pJus En lui-même et à I'intérieur di, t h' . e a tradl lon c ret/enne, ce texte pose un probl' eme nouveau Ce n'est certainement pas Ia premie're fo' I" h'l IS que a pens' p J osophique cherche à réfléchir sur son ' ee M' h' . propre present aiS, se ematlquement on peut d' . . '. ' Ire que cette réflex' avalt pns lusqu'alors trois formes principaJes: IOn -on peut représenter le présent comme appartenant ' certam âge d d d' . a un t' u mon, e, Istmct des autres par quelques caracd~:~:r~opres, ou separé des autres par quelque événement que. AmSI dans Le Potitique de Platon 14 Jes . t J teurs re . ,. ' m er ocuconnalssent qu Ils appartiennent a' I' d ' I t' d une e ces revou lons ,u monde ou celui-ci tourne à I'envers, avec toutes les consequences négatives que cela peut avoir. - on peut aussi interroge I' ' r e presen t pou r essayer de d'ec h'Iff rer en lui I . es slgnes annonciateurs d'un ' , p h" evenement h;~c aln. a Ia Je principe d'une sorte d'herméneutique'5 0; onque o,nt Augustin 16 pourrait donner un exemple. - on peut egalement ana/yser le présent comme un oin~ de transltlon vers I'aurore d'un d p que décrit Vico'? . mon e nouveau. C'est cela dans le dernler chapitre des Principes de Ia phi- losophiede /'histoireI8; ce qu'il voit « aujourd'hui », c'est « Ia plus complete civilisation se répandre chez les peuples soumis pour Ia plupart à quelques grands monarques c'est aussi »; « I'Europe brillant d'une incomparable civilisation », abon- dant enfin « de tous les biens qui composent Ia félicité de Ia vie humaine ». Or Ia maniere dont Kant pose Ia question de l'Aufkliirung est tout à fait différente: appartient, I'aurore ni un événement d'un ni un âge du monde auquel on dont on perçoit les signes, ni accomplissement -~---Kant définit l'Aufkliirung d'u_~açon_ presque entierement négative, comme une Ausgang, une~.Itie ». une « i~ue ». Dans ses_autres textes -s~~-,-i~.!:rive que Kantpose des questioAs:forigine ou...<;[10Ld-éfinisseIa finalité in~rieure d'u~ processus historique. Dans le texte sur l'Aufklarung, Ia question concerne Ia pure actualité. II ne cherche pas à comprendre le présent à partir d'une totalité ou d'un achevement futur II cherche une différence: quelle différence aujourd'hui introduit-il par rap- port à hier? 3) le n'entrerai pas dans le détail du texte qui n'est pas toujours tres c1air malgré sa brieveté. Jevoudrais simplement en retenir trois ou quatre traits qui me paraissent importants pour comprendre comment Kant a pos&la question philoso- 14- Philosophe grec (427] C sées les plus originales qu~~7a~V~a'- o:~ Platon propose Pune des penPlusieurs de ses textes dom L . R YPbf . entre phJlosophJe et politique. explicitemem consacre;s a'c a epu zque, Les Lozs ou Le politique, som , e sUJet. ~J.LQI.éseo.t_ 15· On qualifie d'herméneuti ue th'. . sur Ia notion d'imerprétation. q toute eone phllosophique fondée de « minorité ». Et par « minorité », il entend un certain état) de notre volonté qui nous fait accepter I'autorité de quel- 16. Philosophe et théolo ien ( . de l'Église, c'est-à-dire d 354-430),. salnt Augustin est I'un des peres Ia th éologie chrétienne. un e ceux qUl ont co nceptua I'Ise'I' essentiel de qu'un d'autre pour nous conduire dans les domaines ou il l 17· Philosophe et juriste italien (1668- I ) Vi . . des Lurnieres italienl1es. 744· lCOest le pnnclpal acteur Kant indique tout de suite que cette « sortie » qui carac-) térise l'Aufkliirung est un processus qui nous dégage de I'état T 18. G. Vico, Principes de Ia philosophie de l'histoire (1725), trad. Michelet, Paris, 1835; rééd., Paris, A. Colin, 1963. convient de faire usage de Ia raison, Kant donne trois exemples: nous sommes en état de minorité lorsqu'un livre nous tient lieu d'entendement, lorsqu'un directeur spirituel nous tient lieu de conscience, lorsqu'un médecin décide à notre place de notre régime (notons en passant qu'on reconnaí't facilement le registre des trais critiques, bien que le texte ne le dise pas explicitement) •.. En tout cas, l'Aufklarung ~t définie par Ia modincation dlUapPQJt-p.r.éexistan.t..eR.tr.e.1i ------ volonté, I'autorité et I'usage de Ia raison. li faut aussl. remarquer que cette sortie est présentée par Kant de façon assez ambigue. Illa caractérise comme un fait, \ un processus en train de se dérauler; mais il Ia présente aussi comme une tâche et une obligation -º.~!e remier paragraphe, il fait remarquer que I'homme est 1J.Li;.I:nê.me-r~~nsab!e de son étaLde-i-n-o..r-i-te-'.I~G~c.mnçeVQir QIJ1! Faut-il comprendre que c'est I'ensemble de I'espece humaine ui est prise dans le processus de l'Au{kliirung? Et dans ce q h' cas, il faut imaginer que l'Aufklarung est un changement \Storique qui touche à I'existence politique et sociale de tous les hommes sur Ia surface de Ia terre Ou faut-il comprendre qu'il s'agit d'un changement qui affecte ce qui constitue I'humanité de I'être humain? Et Ia question alars se pose de savoir ce qu'est ce changement. Là encare, Ia réponse de Kant n'est pas dénuée d'une certaine ambiguYté En tout cas, sous des allures simples, el\e est assezcomplexe. Kant définit deux condltion~ essentielles Rour I'~mme lilis -La <lua. sorte de sa minorité. Et ces deux conditions sont à s irituelles et institutionnelles, éthiques et politiques. premiere de ces conditions, c'est que soit bien distin- gué ce qui releve de I'obéissance et ce qui releve de I'usage • _ ne [Jourra en sortir que Dar un cbangem~même sur lui-IT~;..p'une façon significative, cette Aufklarung a une « devi se » (Wafilspruch): tance de ce mot dans Ia conception kantienne de I'histoire. Kant dit que or Ia devise, c'est un trait distinctif par lequel on se fait reconnaitre; c'est aussi une consigne qu'on se donne à soi-même et qu'on prapose aux autres. Et quelle est cette consigne? Aude saper, « aie le courage, I'audace de savoir ». li faut donc considérer que Y~ufklarul1g est à Ia fois un p(O~s~d.o.ot-~ont partie collectivement et un acte de courageà..e~tue pe.r.;. de Ia raison Kant, pour caractérise rni.uoJitt cite I-;-expr~sion courante brie em.en1 l'état de « Obéissez,ne raisonnez -pas_»: tel~ est, selon lui, Ia forme dans laquelle s'exercent d'ordinaire ladiscipline mUitaire, le pouvoir politique, l'autoL:humanité deviendra majeure non pas lors- ~cli~t;... •.•qu'elle n'aura plus à obéir, mais lorsqu'on lui dira: « Obéissez, et vous pourrez raisonner autant que vous voudrez. » 11faut noter que le mot allemand ici empioyé est razo20 sonneJiemenLlis sont à Ia fois éléments et agents du même processus. lis peuvent en être les acteurs dans Ia mesure ou ils en font partie; et il se produit dans Ia mesure ou les hommes décident d'en être les acteurs volontaires. Une troisieme difficulté apparait là dans le texte de Kant. Elle réside dans I'emploi du mot Menschheit'9 On sait l'impor- r9. «I-Iumanité ». En allemand comme en français, I'humanité désigne à Ia fois I'ensemble des êtres humains et le caractere propre de )'homme, qUI marque sa rupture avec l'animaJité. nieren, ce mot. qu'on trouve aussi employédans les Critiques , ne se rapporte pas à un usage quelconque de Ia raison, mais à un usage de Ia raison dans lequel celle-ci n'a pas d'autre fin qu'el\e-même; razonieren, c'est raisonner pour raisonner Et Kant donne des exemples, eux aussi tout à fait triviaux en 20. Il s'agit bien entendu des trois grandes ceuvresde Kant: Ia Critique de Ia raison pure (178r), Ia Critique de Ia TalSOnpratlque (1788) et Ia c,'itique de Ia faClllté dejuge-r (r 79°)' apparence: payer ses impôts, Ulill? POUItGi!:...r-aiSElAA€r au t I fi sc~l:I+-ea·~ ,~I; •.A ,,~;p, tant gu ,on veu-sura "ta!....rk rA A .rr:éàiO.ri1~U encore assur,eC....Quandon est pastem, le ser:vice , d une parOlsse, conformemen.Laux principes de.J.:tglise ' ,.laquelle o~nappartient, mais raisonner-comme-o-n veut a au ,..S.llJ'.e.Ld . .es-d 0gmes re~igie.u . On pourrait penser qu'il n'y a là rien de bien différent d ce qu'on entend, depuis le XVle siecle, par Ia liberté d: co~sclence :Je drüit-~ enser comme on veut, pourvu lliL.Qn ~be!?se com me Il faur. Or c'est là ue K -o ervenir une , autre distinction et Ia fait intervenir d'une f'8çon aS5e.z--Stlrpre~ nante. 11s'agit de Ia d_istinction entre I'usage prjvé et I'u.sage publlc de Ia raison. Mais il ajoute aussitôLqu~ lª raisQn da.i.t. être libre dans son usage public et qu'eJle.-do~t-êtr soumise dans son usage privé. Ce qui est, terme à terme, le contraire de ce qu'on appelle d'ordinaire Ia liberté de conscience21 Mais il faut préciser un peu. Ouel est, selon Kant, cet usage privé de Ia raison? Ouel est le domaine ou il s'exerce? L'homme, dit Kant, fait un usage privé de sa raison, lorsqu'il est « une piece d'une machine »; c'est~à~dire lorsqu'il a un rôle à jouer dans Ia société et des fonctions à exercer. être soldat, avoir des impôts à payer, être en charge d'une paroisse, être fonctionnaire d'un gouvernement, tout cela fait de I'être humain un segment particulier dans Ia société; il se trouve mis par là dans une position définie, ou il doit appliquer des regles et poursuivre des fins particulieres. Kant ne demande ga..-:;; qu'on pratique une obé~sance ~~ugle etb~-mais qu'on 2 r. En effet, on appelle généralemem usage public de Ia raison un dis~ c,ours tenu devam. une assemblée:. et usage privé celui qui n'engage que I mdlVJdu.,Kamdn exactement I mverse: l'usage public de Ia raison est celUl que I on falt en tant qu'homme; I'usage privé est celui que ['on fait en tam que pasteur, soldat ou fonctionnaire. L'essentiel est alors de rem~ plir les exigences de sa fonction, non de penser libremem. de sa raison un usage adapté à ces cLLconstances déterfasse ' fi rt' .' . t Ia raison doit alors se sournettre a ces ns pa ICU~ rrl1nees, e .' .' 11ne peut donc pas y avoir là d'usage hbre de Ia ralson Ileres. f . ~- En revanche, quand on ne raisonne que pour alre usage 'Ison quand on raisonne en tant qu'être raisonnable ~~w ' .' ( t non pas en tant que piece d'une machme). quand on tale comme membre de l'humanité raisonnab\e, alors sonne '..fl' 1"/" , I'usage de Ia raison doit être libre et publl<j LAu r< arung n est c pas seulement le processus par lequel les mdlvldus se ' 11 d on raient garantir leu r liberté personnelle de pensee. ya ve r . \ d Aulkliirung lorsqu'il y a superposition de l'usage UnIverse, e I'usage libre et de \'usage public de la,ralson. " Or cela nouS amene à une quatrieme qJestlon qu Il faut pose r à ce texte de Kant./On conçoit bien que l',usage univer~ de Ia raison (en dehors de toute fin partlcuhere) est affalre ~1 b' . du sujet lui~même en tant qu'individu; on conçoit len ausSI que ia Iiberté de cet usage puisse être assurée de façon pure~ ment négative par I'absence de toute poursUlte contre.? IUI; mais comment assurer un usage public d e cette ralson > L'A~ng, on \e voit, ne doit pas être conç~e simpl~ment comme un processus généra\ affectant toute I humanlte; elle ne doit pas être conçue seulement comme une obligation prescrite aux individus:_elle apparait maintenant comme un 12robleme politlque La question, en tout cas, se pose de savoir comment I'usage de Ia raison peut prendre Ia forme publique qui lui est nécessaire, comment l'audace de ~avoJr peut s'exercer en plein iour, tandis que les mdlvldusobelront aussi exactement que possible. Et Kant, pour termlner, propose à Frédéric 1122, en termes à peine voilés, une sorte de 22. Roi de prusse (1712 ~1786). Sans être révolutionnaire, ce monarque :1 démontre une certaine ouverture à Ia critique phllosophlque, et est I,e rincipal représentant de ce qu'on appelle le desponsme eclalre: K-talgré cette supposée tolérance, Kant devra faire face, nota~n?lent a cause de sa philosophie de Ia religion, à Ia censure de Fredenc n. contrat. Ce qu'on pourrait appeler le contrat du despotisme rationnel avec Ia libre raison. I'usage public et /ibre de Ia raison autonome sera Ia meilleure garantie de I'obéissance, à Ia condition toutefois que le principe politique auquel il faut obéir soit lui-même conforme à Ia raison universelle. 11 faut aussi, je crois, souligner le rapport entre ce texte de Kant et les autres textes consacrés à I'histoire. Ceux-ci, pour Ia plupart. cherchent à définir Ia finalité interne du temps et le point vers lequel s'achemine J'histoire de I'humanité. I'analyse de l'Aufkliirung, en définissant Or celle-ci comme le passage de I'humanité à son état de majorité, situe I'actualité par rapport à ce mouvement Laissons là ce texte. Jen'entends pas du tout le considérer comme pouvant constituer une description adéquate de l'Aufkliirung; et aucun historien, je pense, ne pourrait s'en satisfaire pour analyser les transformations sociales, politiques et culturelles qui se sont produites à Ia fin du XVllle siecle. Cependant. malgré son caractere circonstanciel, et sans vouloir lui donner une p/ace exagérée dans I'c:euvre de Kant, je crois qu'il faut souligner le lien qui existe entre ce bref article et les trois Critiques II décrit en effet l'Aufkliirung comme le moment ou I'humanité va faire usage de sa propre raison, sans se soumettre à aucune autorité; or c'est précisément à ce moment-Ià que Ia Critique est nécessaire, puisqu'elle a pour rôle de définir les conditions dans lesquelles I'usage de Ia raison est légitime pour déterminer ce qU'on peut connaí'tre, ce qu'il faut faire et ce qu'il est permis d'espérer C'est un usage illégitime de Ia raison qui fait naí'tre, avec I'illusion, le dogmatisme et l'hétéronomie23; c'est, en revanche, lorsque I'usage /égitime de Ia raison a été c1airement défini dans ses principes que son autonomie peut être assurée. La Critique, c'est en que/que sorte le livre de bord de Ia raison devenue majeure dans l'Aufkliirung; I'Aufkliirung, c'est I'âge de Ia Critique d'ensemble et ses directions fondamentales. Mais, en même temps, elle montre comment, dans ce moment actuel. chacun se trouve responsable d'une certaine façon de ce processus d'ensemble. L:hypothese que je voudrais avancer, c'est que ce petit texte se trouve en quelque sorte à Ia charniere de Ia réflexion critique et de Ia réflexion sur I'histoire Cest une réflexion de Kant sur J'actualité de son entreprise. Sans doute, ce n'est pas Ia premiere fois qu'un philosophe donne les raisons qu'il a d'entreprendre son c:euvre en tel ou tel moment. Mais il me semble que c'est Ia premiere fois qu'un philosophe lie ainsi, de façon étroite et de I'intérieur. Ia signification de son c:euvrepar rapport à Ia connaissance, une réflexion sur I'histoire et une analyse particuliere du moment singulier ou il écrit et à cause duquel il écrit. La réflexion sur « aujourd'hui » comme diffé- rence dans I'histoire et com me motif pour une tâche philosophique particuliere me paraí't être Ia nouveauté de ce texte Et. en "envisageant ainsi, il me semble qu'on peut y reconnaí'tre un point de départ. I'esquisse de ce qu'on pourrait appeler I'attitude de modernité je sais qu'on parle souvent de Ia modernité comme d'une et inversement, époque ou en tout cas comme d'un ensemble de traits caractéristiques d'une époque; on Ia situe sur un calendrier ou elle serait précédée d'une prémodernité, plus ou moins na"ive ou archa"ique et suivie d'une énigmatique « 23· Fait de puiser hors de soi-mêrne les regles et principes de I'action. postmodernité si Ia modernité » Et on s'interroge constitue et inquiétante alors pour savoir Ia suite de l'Aufklarung et son développement, ou s'il faut y voir une rupture ou une dévia- une certaine attitude à \'égard de ce mouvement; tion par rapport aux principes fondamentaux du attitude volontaire, diffici\e, consiste à ressaisir ~uelque chose d'éternel qui n'est pas au-delà de \'instant present. nI _ XVIII· siecle En me référant au texte de Kant, je me demande sioo ne peut pas envisager Ia modernité plutôt com me une attitude que comme une période de I'histoire lPar attitude, je veux dire un mode de relation à I'égard de J'actualité; un choix volontaire qui est fait par certains, enfin, une maniere de penser et de sentir, une maniere aussi d'agir et de se conduire qui, tout à Ia fois, marque une appartenance et se et cette derriere lui, mais en lu! La modernité se distingue de Ia mode qui ne fait que suivre le cours du temps; c'es 'attitUde qui ermet de saisir ce_qu'iLy a d'« héro'ique » dans le moment ~résent: La mods:rnité .D'est pas un fait desensibilité au pré- sent flillillf i c'est uns;..'{Q.lontéd' (( héro'iser) le Qrésent. ]e me contenterai de citer ce que dlt Baudelalre de Ia que les Grecs appelaient un êt{lOs. Par conséquent. plutôt que peinture des personnages contemporains. Baudelaire se moque de ces peintres qui. trouvant trop laide Ia tenue des de vouloir distinguer hommes du présente comme une tâche. U.f.I eu, sans doute, comme ce Ia « période moderne » des époques XIX· siecle, ne voulaient représenter que des « pré » ou « postmoderne »,je crois qu'il vaudrait mieux cher- toges antiques. Mais Ia modernité de Ia peinture ne consis- cher :om,ment I'at:itude de I11odemité, êpuis qU'eJ~ formee, s est trouvee ~e avec des attitudeg--de « coo.tre- tera pas pour lui à introduire modernité ». sombre redingote . - - les habits noirs dans un tableau. Le peintre moderne sera celui qui montrera cette comme ( I'habit nécessaire de notre Pour caractériser brievement cette attitude de modernité, époque ». C'est celui qui saura faire voir, dans cette mode du je pre dr . un exemple qui est presque nécessaire: il s'agit jour, le rapport essentiel, permanent, obsédant que notre de Baudelaire époque entretient avec Ia mort. ( L:habit noir et Ia redlngote 2 ( puisque c'est chez lui qu'on reconnalt en générall'une des consciences les plus aigues de Ia modernité au XIX· siecle. I) On essaie souvent de caractériser Ia modernité par Ia ont non seulement leur beauté poétique, qui est \'express\on de I'égalité universelle, mais encore leu r poétique qui est !'expression de l'âme publique; une immense défilade, d,e tion, sentiment de Ia nouveauté, vertige de ce qui passe Et croque-morts, politiques, amoureux, bourgeols. Nous celebrons tous que\que enterrement26 » Pour désigner cette attl- c'est bien ce que semble dire Baudelaire lorsqu'il définit Ia tude de modernité, Baudelaire use parfois d'une litote qui est modernité par « le transitoire, tres significative, parce qu'elle se présente sous Ia forme d'un conscience de Ia discontinuité du temps: rupture de Ia tradi- le fugitif, le contingent Mais, pour lui, être moderne, ce n'est pas reconnaltre »25 et accepter ce mouvement perpétuel; c'est au contraire prendre précepte: ( Vous n'avez pas le droit de mépriser le présent. » '2 Cette héro'isation est ironique, s'a~t aucunement. dans l'attitude bien entendu. 1I ne de modernité, de sacrali- ser le moment gui Qasse pour essayer de le maintenir ou de 24. Poete français (1821-1867)' 25. Ch. Baudelaire, Le Peintre de Ia vie moderne in CEuvres completes Paris, Gallimard, Bibliotheque de Ia Pléiade, 1976, t. II, p. 695. ' le perpétuer. 1I ne s'agit surtout une curiosité fugitive pas de le recueillir et intéressante: comme ce serait là ce que Baudelaire appelle une attitude dEt« flânerie » La flânerle.se contente d'ouvrir les yeux, de faire attention et de co.l.l.e.Ui.ooner dans le souvenir. _À I'homme oppose I'homme de modernité toujours voyageant Baudelaire « II va, il court, il cherche. À coup sOr, cet homme, ce solitaire active, de flânerie doué d'une imagination à travers le grand désert d'hommes, a un but plus élevé que celui d'un pur flâneur, un but plus général, autre que le plaisir tance. 11cherche ce quelque d'appeler mode ce Ia modernité qu'elle I'historique nous permettra II s'agit pour lui de dégager de Ia peut contenir Constantin neur, un collectionneur ou peut fourmiller chose qu'on de Ia circons- de poétique » Et comme exemple de modernité, cite le dessinateur tout fugitif resplendir nité, Ia haute I'acharnement valeur du « dotées d'une vieenthou»29 présent est indissociable de à I'imaginer, à I'imaginer autrernent quil'n'est et à le transformer non pas en le détruisant, rnaisenle cap- tant dans ce qu'il est La modernité baUdelairienneest un exercice ou I'extrême attention au réel est confrontéeàIa pratique d'une liberté qui tout à Ia fois respecteCeréeletleviole. 3) Cependant, simplement mode de rapport volontaire pour Baudelaire, Ia rnodernité n'est pas forme de rapport au présent; c'est aussi un qu'il faut établir à soi-rnêrne L'attitude de modernité est liée à un ascétisme indispen- sable. Être moderne, ce n'est pas s'acceptersoi-même tel qu'on est dans le flux de moments qui Passent; c'est se En apparence, un flâ- et dure: ce que Baudelaire appelle, selan le vocabulaire de Ia poésie, I'époque, le « dandysme ». ]e ne rappellerai pas despages partout ou une passion qui sont trop connues: celles sur Ia nature« grossiere,ter- retentir peut poser son ceil, partout ou I'homme naturel et I'homme restre, immonde de convention I'homme par rapport à lui-même; se montrent Pour I'attitude demoder- il reste « le dernier par- Ia lumiere, Ia vie, vibrer Ia musique, Baudelaire apparaissent siaste comme I'âme de I'auteur prendre soi-même comme objet d'une élabaration complexe Guys27 de curiosités; dans choses singulieres dans une beauté bizarre, partout ou le soleil éclaire les joies rapides de I'animal dépravé28 » Mais il ne faut pas s'y tromper. Constantin Guys n'est pas »; celles sur Ia révolte indispensable de celle SUrIa « doctrine de I'élégance » qui impose « à ses ambitieuxet humbles sectaires» une discipline un flâneur, ce qui en fait, aux yeux de Baudelaire, le peintre des religions; plus despotique qUeles plus terribles les pages, enfin, sur I'ascétisrnedu dandy qui moderne par excellence, c'est qu'à I'heure ou le monde entier fait de son corps, de son comportement, desessentiments et entre en sommeil, iI se met, lui, au travail, et ille transfigure. passions, Transfiguration moderne, pour Baudelaire, n'est pasceluiqUipart à Iadécou- qui n'est pas annulation du réel, mais jeu dif- de son existence, une ceuvred'art. L:homme ficile entre Ia vérité du réei et I'exercice de Ia liberté; les verte de lui-même, de ses secrets et desavérité cachée;il est choses « naturelles» les celui qui cherche à s'inventer lui-même Cette modernité ne y deviennent « plus que naturelles», choses « belles » y deviennent « plus que belles » et les libere pas I'homme en son être propre; elle I'astreint à Ia tâche de s'élaborer lui-même 27, Peintre, dessinateur et aquarelliste français (1802-1892). 28. Ch. Baudelaire, Le Peintre de Ia vie 11lodel'ne, op. cit., p. 693-694. 4) Enfin, j'ajouterai un mot seulement. Cette héro'isation ironique du présent, ce jeu de Ia liberté avec le réel pour sa transfiguration, cette élaboration ascétique de soi, Baudelaire ne conçoit pas qu'ils puissent avoir leur lieu dans Ia société elle-même ou dans le corps politique. vent se produire 115ne peu- que dans un lieu autre que Baudelaire appelle I'art. je ne prétends pas résumer à ces quelques traits ni I'événement historique XVllle complexe qu'a été l'AufkliiruY1g à Ia fin du siecle ni non plus I'attitude de modernité sous les diffé- rentes formes qu'elle a pu prendre au cours des deux derniers siecles je voulais, l'Aufkliirurlg d'une part, souligner d'un type d'interrogation I'enracinement philosophique dans qui pro- blématise à Ia fois le rapport au présent, le mode d'être historique et Ia constitution de soi-même comme sujet autonome; je voulais souligner, d'autre part, que le fil qui peut nous rattacher de cette maniere à l'Aufkliirurlg n'est pas Ia fidélité à des éléments de doctrine, mais plutôt Ia réactiva- tion philosophique qui nous demeure posée je pense enfin - j'ai essayé de le montrer à propos du texte de Kant - qu'elle a défini une certaine maniere de philosopher Mais cela ne veut pas dire qu'il faut être pour ou contre I'AufkliiruY1g Cela veut même dire précisément qu'il faut refuser tout ce qui se présenterait sous Ia forme d'une alternative simpliste et autoritaire. ou vous acceptez l'AufkliiruY1g, et vous restez dans Ia tradition de son rationalisme (ce qui est par certains considéré com me positif et par d'autres au contraire comme un reproche); ou vous eritiquez l'Aufkliirurlg et vous tentez alors d'échapper à ces principes de rationalité (ce qui peut être encore une fois pris en bonne ou en mauvaise part). Et ce n'est pas sortir de ce chantage que d'y introduire des nuances « dialectiques » en cherchant à déterminer ce qu'il a pu y avoir de bon et de mauvais dans l'AufkliiruY1g 11faut essayer de faire I'analyse de nous-mêmes en tant qu'êtres historiquement déterminés, pour une certaine part, par l'AufkliiruY1g Ce qui implique une série d'enquêtes histo- riques aussi précises que possible; et ces enquêtes ne seront pas orientées rétrospectivement vers le « noyau essentiel de rationalité » qu'on peut trouver dans l'Aufkliirurlg et qu'il fau- tion permanente d'une attitude; c'est-à-dire d'un êtnos philo- drait sauver en tout état de cause; elles seront orientées vers « les limites actuelles du nécessaire ». c'est-à-dire vers ce qui sophique n'est pas ou plus indispensable qu'on permanente pourrait caractériser de notre être historique comme critique C'est cet êtnos que je voudrais tres brievement caractériser A Négativemerlt. ce que j'appellerai I) Cet êtnos implique d'abord qu'on refuse volontiers le « chantage » à l'AufkliiruY1g pense que l'Aufkliirurlg, le com me ensemble d'événements poli- tiques, économiques, sociaux, institutionnels, culturels, dont pour Ia constitution de nous- mêmes comme sujets autonomes. 2) Cette critique permanente de nous-mêmes doit éviter les confusions toujours trop faciles entre I'humanisme et l'AufkliiruY1g 11 ne faut jamais oublier que l'Aufkliirurlg est un événement ou un ensemble d'événements et de processus entreprise pour lier par un lien de relation directe le progres historiques complexes, qui se sont situés à un certain moment du développement des sociétés européennes. Cet ensemble comporte des éléments de transformations sociales, des types d'institutions politiques, des formes de de Ia vérité et I'histoire de Ia Iiberté, elle a formulé une ques- savoir, des projets nous dépendons encore pour une grande partie, constitue un domaine d'analyse privilégié. je pense aussi que, comme de rationalisation des connaissances et des pratiques, des mutations technologiques qu'il est tres difficile de résumer d'un mot. même si beaucoup de ces·phénomenes sont encore importants à I'heure actuelle. Celui que j'ai relevé et qui me paraTt avoir été fondateur de toute une forme de réflexion philosophique ne concerne que le mode de rapport réflexif au présent A L:humanisme est tout autre chose: c'est un theme ou plu- tot un ensemble de themes qui ont réapparu à plusieurs reprises à travers le temps, dans les sociétés européennes' ces themes, toujours liés à des jugements de valeur, ont évi~ demment toujours beaucoup varié dans leu r contenu, ainsi que dans les valeurs qu'ils ont retenues. De plus, ils ont servi de principe critique de différenciation: il y a eu un huma- nisme qui se présentait comme critique du christianisme ou De cela il ne faut pas tirer Ia conséquence que tout ce qui a pu se réc\amer de I'humanisme est à rejeter; mais que Ia thématique humaniste est en elle-même trop souple, trop diverse, trop inconsistante pour servir d'axe à Ia réflexion. Et c'est un fait qu'au moins depuis le XVlle siec\e ce qu'on appelle I'humanisme appui sur certaines empruntées a toujours été obligé de prendre son conceptions à Ia religion, de I'homme I'homme auxquel\es il est bien obligé d'avoir recours Or justement. je crois qu'on peut opposer à cette thématique, si souvent récurrente et toujours dépendante de I'humanisme, le principe d'une critique et d'une création permanente de nous-mêmes dans notre autonomie: c'est-àdire un principe qui est au cceur de Ia conscience historique que l'Aufklarung Op?osition à un humanisme ascétique et beaucoup plus theocentnque (cela au XVllesiec\e). Au XIXesiec\e, il ya eu un rais plutôt une tension entre Aufklarung humanisme identité En tout hostile et critique à I'égard de Ia sont L:humanisme sert à colorer et à justifier les conceptions de de Ia religion en général; il ya eu un humanisme chrétien en méfiant, qui à Ia science, à Ia politique a eue d'el\e-même. De ce point de vue je ver- cas, les confondre et humanisme qu'une me paraTt dangereux; et sClence; et un autre qui plaçait lau contrairei son espoir dans d'ailleurs historiquement cette même science. Le marxisme a été un humanisme l'existentialisme30, le personnalisme31 I'ont été aussi; il y eu~ de \'espece humaine, de I'humaniste a été importante tout au u,n temps ou on soutenait les valeurs humanistes représen- l'Aufklarung s'est considérée elle-même comme un humanisme. 11 vaut Ia peine aussi de noter que, au long du tees par le national-socialisme, et ou les staliniens eux- inexact. Si Ia question de I'homme, long du XVllle siec\e, c'est tres rarement, je crois, que e mêmes disaient qu'ils étaient humanistes XIXesiec\e, I'historiographie 30 Mo~vement ph,ilosophique du xxe siêcle, caractérisé par une attenuon specIfique a I eXJstence humaine, considérée comme Ia source de toute valeur et de toute signification. Son représentant le plus connue estJean-Paul Sane (19°5-1980). opposée aux Lumieres et au XVllle siecle Le XIX siec\e a eu 3 ~ Mou,vement philosophique proche de l'existentialisme mais tn uence par le christianisme. Emmanuel Mounier (1905-1950),'princi~al penseur de ce courant, tente une philosophie fondée sur le concept e personne, dans toutes ses dimensions. de I'humanisme au XVl siec\e, qui 32 a été si importante chez des gens comme Sainte-Beuve ou Burckhardt33, a été toujours distincte et parfois explicitement e tendance à les opposer, au moins autant qu'à les confondre. 32. Écrivain et critique littéraire français (18°4-1869)' 33. Écrivain et historien suisse d'expression allemande 18 (1818- 97)' En tout cas, je crois que, tout comme il faut échapper au chantage intellectuel et politique « être pour ou contre l'Aufkliirung », il faut échapper au confusionnisme historique et moral qui mêle le theme de I'humanisme et Ia question de l'Aufkliirung Une analyse de leurs relations complexes au cours des deux derniers siecles serait un travail à faire, qui serait important pour débrouiller un peu Ia conscience que nous avons de nous-mêmes et de notre passé. B. Positivement. Mais, en tenant compte de ces précautions, il faut évidemment donner un contenu plus positif à ce que peut être un êthos philosophique consistant dans une critique de ce que nous disons, pensons et faisons, à travers une ontologie historique de nous-mêmes. I) Cet êtflOs philosophique peut se caractériser comme une attitude limite. II ne s'agit pas d'un comportement de rejet On doit échapper à I'alternative du dehors et du dedans; il faut être aux frontieres. La critique, c'est bien I'analyse des limites et Ia réflexion sur elles. Mais si Ia question kantienne était de savoir quelles limites Ia connaissance doit renoncer à franchir, il me semble que Ia question critique, aujourd'hui, doit être retournée en question positive: dans ce qui nous est donné comme universel. nécessaire, obligatoire, quelle est Ia part de ce qui est singulier, contingent et dQ à des contraintes arbitraires. 11s'agit en somme de transformer Ia critique exercée dans Ia forme de Ia limitation nécessaire en une critique pratique dans Ia forme du franchissement possible Ce qui, on le voit. entraí'ne pour conséquences que Ia critique va s'exercer non plus dans Ia recherche des structures formelles qui ont valeur universelle, mais comme enquête historique à travers les événements qui nous ont amenés à nous constituer à nous reconnaí'tre com me sujets de ce que nous faisons, pensons, disons. En ce sens, cette critique n'est pas transcendantale, et n'a pas pour fin de rendre possible une métaphysique: elle est généalogique dans sa finalité et archéo\ogique dans sa méthode. Archéologique - et non pas transcendantale - en ce sens qu'elle ne cherchera pas à dégager les structures universelles de toute connaissance ou de toute action morale possible; mais à traiter les discours qUI articulent ce que nouS pensons, disons et faisons comme autant d'événements historiques. Et cette critique sera généalogique en ce sens qu'elle ne déduira pas de Ia forme de ce que nouS sommes ce qu'il nouS est impossible de faire ou de connaí'tre; mais elle dégagera de Ia contingence qui nouS a fait être ce que nous sommes Ia possibilité de ne plus être, faire ou penser ce que nouS sommes, faisons ou pensons. Elle ne cherche pas à rendre possible Ia métaphysique enfin devenue science; elle cherche à relancer aussi loin et aussi largement que possib\e le travail indéfini de Ia liberté. 2) Mais pour qu'il ne s'agisse pas simplement de I'affirmation ou du rêve vide de Ia \iberté, il me semble que cette attitude historico-critique doit être aussi une attitude expérimentale. \e veux dire que ce travail fait aux limites de nouSmêmes doit d'un côté ouvrir un domaine d'enquêtes historiques et de l'autre se mettre à I'épreuve de Ia réalité et de l'actualité, à Ia fois pour saisir les points ou le changement est possible et souhaitable et pour déterminer Ia forme précise à donner à ce changement Cest dire que cette ontologie historique de nous-mêmes doit se détourner de tous ces projets qui prétendent être globaux et radicaux. En falt. on sait par expérience que Ia prétention à échapper au systeme de \'actualité pour donner des programmes d'ensemble d'une autre société, d'un autre mode de penser, d'une autre culture, d'une autre vision du monde n'ont mené en fait qu'à reconduire les plus dangereuses traditions le préfere \es transformations tres précises qui ont pu avoir lieu depuis vingt ans dans un certain nombre de domaines qui concernent nos modes d'être et de penser, les relations d'autorité, les rapports de sexes, Ia façon dont nous racine de leur singuliere destinée historique - si particuliere, percevons Ia folie ou Ia maladie, je préfere ces transforma- si différente Ides autresl dans sa trajectoire et si universalisante, dominante par rapport aux autres) I'acquisition des tions même partielles qui ont été faites dans Ia corrélation de I'analyse historique et de I'attitude pratique aux promesses de I'homme nouveau que les pires systemes politiques répétées au long du xxe siecle. ont capacités et Ia lutte pour Ia liberté ont constitué les éléments propre à I'on- permanents Or les relations entre croissance des capacités et croissance de I'autonomie ne sont pas aussi simples que le XVllle siecle pouvait le croire. On a pu voir quelles formes de tologie critique de nous-mêmes comme une épreuve historico-pratique des limites que nous pouvons franchir, et donc relations de pouvoir étaient véhiculées à travers des technologies diverses (qu'il s'agisse des productions à fins écono- comme travail de nous-mêmes qu'êtres libres. en tant miques, d'institutions à fin de régulations sociales, de techniques de communication)' les disciplines à Ia fois col- 3) Mais sans doute serait-il tout à fait légitime de faire J'objection suivante: à se bomer à ce geme d'enquêtes ou lectives et individuelles, les procédures de normalisation exercées au nom du pouvoir de l'État, des exigences de Ia société ou des régions de Ia population en sont des exemples L'enjeu est donc: comment déconnecter Ia croissance des Je caractériserai donc I'êthos philosophique sur nous-mêmes d'épreuves toujours partieJles et locales, n'y a-t-il pas risque à se laisser déterminer par des structures plus générales dont on risque de n'avoir ni Ia conscience ni Ia maí'trise? À cela deux réponses II est vrai qu'il faut renoncer à I'espoir d'accéder jamais à un point de vue qui pourrait nous donner acces à Ia connaissance complete et définitive de ce qui peut constitue r nos limites historiques Et, de ce point de vue, I'expérience théorique et pratique que nous faisons de nos limites et de leur franchissement possible est toujours elle-même limitée, déterminée et donc à recommencer Mais cela ne veut pas dire que tout travail ne peut se faire que dans le désordre et Ia contingence Ce travail a sa généralité, sa systématicité, son homogénéité et son enjeu Son enjeu. 1Iest indiqué par ce qu'on pourrait appeler « le paradoxe (des rapports) de Ia capacité et du pouvoir » On sait que Ia grande promesse ou le grand espoir du XVllle siecle, ou d'une partie du XVllle siecle, était dans Ia croissance simultanée et proportionnelle de Ia capacité technique à agir sur les choses, et de Ia liberté des individus les uns par rapport aux autres. D'ailleurs on peut voir qu'à travers toute I'histoire des sociétés occidentales (c'est peut-être là que se trouve Ia capacités et I'intensification des relations de pouvoir? Homogénéité. Ce qui mene à I'étude de ce qu'on pourrait appeler les « ensembles pratiques ». II s'agit de prendre comme domaine homogene de référence non pas les représentations que les hommes se donnent d'eux-mêmes, non pas les conditions qui les déterminent sans qu'ils le sachent. Mais ce qu'ils font et Ia façon dont ils le font. C'est-à-dire les formes de rationalité qui organisent les manieres de faire (ce qu'on pourrait appeler leur aspect technologique); et Ia liberté avec laquelle ils agissent dans ces systemes pratiques, réagissant à ce que font les autres, modifiant jusqu'à un certain point les regles du jeu (c'est ce qu'on pourrait appeler le versant stratégique de ces pratiques). L'homogénéité de ces analyses historico-critiques est donc assurée par ce domai ne des pratiques avec leur versant technologique et leu r versant stratégique Systématicité. Ces ensembles pratiques relevent de trois grands doma ines : celui des rapports de maí'trise sur les choses, celui des rapports d'action sur les autres, celui des rapports à soi-même Cela ne veut pas dire que ce sont là trois domaines compJetement étrangers les uns aux.autres On sait bien que Ia maTtrise sur les choses passe par le rap- à-dire de ce qui n'est ni constante anthropologique ni variation chronologique) historiquement est donc Ia façon d'analyser, dans leu r forme singuliere, des questions à portée générale. port aux autres; et celui-ci implique toujours des relations à soi; et inversement. Mais il s'agit de trois axes dont il faut analyser Ia spécificité et I'intrication. pouvoir, I'axe de I'éthique I'axe du savoir, I'axe du En d'autres termes, J'ontologie historique de nous-mêmes a à répondre à une série ouverte de questions, elle a affaire à un nombre non défini d'enquêtes qu'on peut multiplier et préciser autant qu'on voudra; mais elles répondront toutes à Ia systématisation suivante· comment nous sommes-nous constitués comme sujets de notre savoir, comment nous sommes-nous constitués comme sujets qui exercent ou subissent des relations pouvoir; comment nous sommes-nous sujets moraux de nos actions. Généralité. Enfin, ces enquêtes constitués de comme historico-critiques sont bien particulieres en ce sens qu'elles portent toujours sur un matériel, une époque, un corps de pratiques et de discours déterminés. Mais, au moins à I'échelle des sociétés occidentales dont nous dérivons, elles ont leu r généralité: en ce sens que jusqu'à nous elles ont été récurrentes; ainsi le probleme des rapports entre raison et folie, ou maladie et santé, ou crime et loi; le probleme de Ia place à donner aux rapports sexuels, etc. Mais, si j'évoque cette généralité, ce n'est pas pour dire qu'il faut Ia retracer dans sa continuité métahistorique à tra- vers le temps, ni non plus suivre ses variations. Ce qu'il faut saisir c'est dans quelle mesure ce que nous en savons, les formes de pouvoir qui s'y exercent et "expérience que nous y faisons de nous-mêmes ne constituent que des figures historiques déterminées par une certaine forme de problématisation qui définit des objets, des regles d'action, des modes de rapport à soi. L'étude des (modes de) problématisations (c'est- Un mot de résumé pour terminer et revenir à Kant. Je ne sais pas si jamais nous deviendrons majeurs. Beaucoup de choses dans notre expérience nous convainquent que I'événement historique de l'Aufkliirung ne nous a pas rendus majeurs; et que nous ne le sommes pas encore. Cependant, iI me semble qu'on peut donner un sens à cette interrogation critique sur le présent et sur nous-mêmes que Kant a formulée en réfléchissant sur l'Aufkliirung. 11me semble que c'est même là une façon de philosopher qui n'a pas été sans importance ni efficacité depuis les deux derniers siec\es L'ontologie critique de nous-mêmes, il faut Ia considérer non certes comme une théorie, une doctrine, ni même un corps permanent de savoir qui s'accumule; il faut Ia concevoir comme une attitude, un êtnos, une vie philosophique ou Ia critique de ce que nous sommes est à Ia fois analyse historique des limites qui nous sont posées et épreuve de leu r franchissement possible. Cette attitude philosophique doit se traduire dans un travail d'enquêtes diverses; celles-ci ont leur cohérence méthodologique dans I'étude à Ia fois archéologique et généalogique de pratiques envisagées simultanément comme type technologique de rationalité et jeux stratégiques des libertés; elles ont leur cohérence théorique dans Ia définition des formes historiquement singulieres dans lesquelles ont été problématisées les généralités de notre rapport aux choses, aux autres et à nous-mêmes. Elles ont leu r cohérence pratique dans le soin apporté à mettre Ia réflexion historico-critique à I'épreuve des pratiques concretes. Je ne sais s'il faut dire aujourd'hui que le travail critique implique encore Ia foi dans les Lumieres' il' , , , necessite lours le travail sur nos limites c'est-a'-d' ' Ire un qUI donne forme a Ilmpatience de Ia liberté, , , o' ' , le pense t I ' ouabeur pati ent 11 COMMENTAIRE r::::::::,.> Introduction: WÍls ist Aufkliirung? Quand un journaI pose une question à ses lecteurs, hier et aujourd'hui 2. La question de Ia Berlinische Monatschrift 3. La philosophie moderne comme réponse à Ia question des Lumiêres I. r::::::::,.> La réponse kantienne r. Le contexte de l'intervention kantienne 2. La philosophie face au présent a. Le présent comme âge du monde (PIaton) b. Le présent comme signe annonciateur (Augustin) c. Le présent comme aurore d'un monde nouveau (Vico) d. Le présent comme rupture (Kant) 3. Les difficultés du texte kantien a. Les Lumieres comme sorti e de Ia minorité de Ia ralson b. L'autonomie: un processus et un devoir c. Le libre usage de Ia raison - L'ambigui'té du terme « humanité » - La nécessité de l'obéissance - Usage privé et usage public de Ia raison . 4· Le probleme politique de Ia possibilité d'un usage public de Ia raison ~ 3. Caractérisation positive de I'êthos philosophique a. Une attitude limite - La philosophie comme critique des limites - Archéologie et généalogie: comment penser autrement? b. Une attitude expérimentale - L'épreuve de Ia réalité - La ponctualité de ]'intervention philosophique c. La structure du travail philosophique - Enjeu poli tique - Homogénéité des ensembles pratiques - Systématicité des ensembles pratiques - Généralité des ensembles pratiques La modemité Transition: Lumieres et modernité I. 2. a. Les Lumieres comme âge de Ia critique b. Les Lumieres comme réflexion sur I'histoire c. L'objet des Lumieres: le concept d'« aujourd'hui » d. La modernité: une attitude née des Lumieres Le moment moderne a. Baudelaire et l'éternité du présent b. La beauté poétique de I'actuel L'héroi'sation moderne a. L'homme moderne b. La pensée l'avenir du présent comme 3· Rapport au présent et rapport 4· Le privilege de l'art ~ ~ imagination I. de 2. à soi-même 2. - Qu'est-ce que Ia phiIosophie? L L'Aufkliirung: phie 2. Caractérisation négative de I' êthos philosophique a. Le refus du chantage à l'Aufkliirung b. Le refus de Ia confusion entre Lumieres et humanisme - une nouvelle définition de Ia philoso- La complexité des Lumieres La complexité de I'humanisme L'humanisme comme théorie « mineure L'opposition entre critique et humanisme L'impossibilité de Ia confusion ConcIusion » ~ Les Lumieres comme conception d'une vie philosophique La philosophie et l'impatience de Ia liberté Explication linéaire Introduction: Uils ist Aufklarung? L'entame du texte est ironique. Aujourd'hui, quand un journal pose une question à ses lecteurs, on peut être sur que Ia réponse est connue de tous et n'intéresse personne. Au XVIlIe siecle, on était plus curieux ou plus intelligent, et les journaux demandaient à leurs lecteurs de répondre à des questions véritablement difficiles. Ainsi, en décembre 1784, Ia grande revue Berlinische Monatschrift demande à ses lecteurs de tenter d'élucider Ia nature de leur propre époque, qualifiée en Allemagne d'Aufkliirung. Kant, apres Mendelssohn, propose une réflexion fort breve mais tres dense, dont I'originaIité est de déterminer non pas un contenu doctrinaI propre aux Lumieres,.mais I'attitude singuIiere qui en est Ia vraie caractéristique. La question est peut-être pIus importante encore que Ia questiono En effet, Ia phiIosophie moderne, malgré les efforts successifs d'auteurs aussi considérabIes que HegeI ou Nietzsche, n'a jamais réus si à Iui apporter une soIution satisfaisante, ni à s'en débarrasser. On peut donc imaginer Ie scénario suivant: si une revue posait aujourd'hui à ses Iecteurs Ia question - qu'est-ce que Ia phiIosophie modeme? -, Ia bonne réponse consisterait à dire: « c'est celle qui tente de répondre à Ia question Iancée, voiIà deux siecIes, avec tant d'imprudence: u-ás ist Au.fklíirung? » On Ie voit, Ie geste kantien, même s'iI se donne dans un texte mineur, a une signification qui va bien au-delà de I'époque des Lumieres proprement dite. «::::Y La réponse kantienne Le contexte de l'intervention kantienne Les circonstances de Ia pubIication de I'opuscule kantien sont significatives. Kant répond ici à une question Iancée par le pasteur ZoJlner, irrité qu'on puisse remettre en cause le mariage reIigieux. Il ne fut pas Ie seul à le faire, et le probleme de Ia définition des Lumieres est en bonne pIace dans Ies débats de Ia Berlinische Monatschrift. On peut citer entre autres les textes de Mendelssohn (Que signifie éclairer?) et Hamann (Lettre à Christian Jacob Kraus), puis, en un rapport plus distant mais non moins important avec les Lumieres, ceux de Fichte (Contributions destinées à rectifier lejugement du public sur Ia Révolution française) et de Herder (Une autre philosophie de l'histoire). Foucault remarque que l'intervention kan- tienne s'inscrit dans une préoccupation pIus vaste, initiée par Mendelssohn et Lessing, qui prend pou: objet le rapport entre Ia pensée aJlemande et Ia culture jUlve. Tout en tentant de se définir, l'Aufklarung n'oublie pas qu'une part importante de ses penseurs sont juifs, et qu'il est donc nécessaire de dégager un fond commun entre le judaisme et Ia philosophie allemande. La philosophie face au présent Ce n'est toutefois pas Ia principal e originalité du texte de' Kant. Foucault énonce d'emblée ce qui va constituer I'axe principal de son analyse: Ia spécificité de Kant est de poser d'une maniêre entiêrement nouvelle. Ia question du présent, ou de l'actualité. Cette. questI~n n'est certes pas inédite dans I'histoire de Ia phllosophle, mais jusqu'ici, les philosophes n'ont pensé le présent q~e dans son rapport au futur, ou à une destination de I'ulllverso Prenons I'exemple de Platon: dans le Politique, tous les interlocuteurs s'entendent à penser leur actualité comme un âge du monde, sans que ce présent soit analysé pour lui-même. Augustin et Ia tradition chrétienne vont dans le même sens: I'actuel n'est que I'amorce ou I'annonce d'un avenir attendu et espéré. Enfin, Vico, peu de temps avant Kant, considere les Lumieres co~me une phase de transition vers une période d'authentIque bonheur, pour l'humanité en son ensemble. La définition kantienne est négative, et tournée au fond vers le passé. L 'Aufklarung est une sorti e, une rupture avec l'état précédent, celui de Ia minorité de Ia raisono Ce style d'analyse est rare, même chez Kant. Le conflit desfacultés ou l'Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique sont en effet tournés vers une p~rspective d'espoir, vers un avenir culturel ou moral posslble celui qui Iui semble Ie plus compréhensible: iI est obligatoire Iégalement de payer ses impôts; mais Ia majorité de Ia raison implique que chacun est totalement Iib~e de contester Ie systeme fiscal dont iI dépend. Kant ne se contente pas ici de reconduire I'ancienne distinction entre obéissance publique et Iiberté privée. Il Ia retourne même de façon à Ia fois étrange et significative. Kant parle en effet d'usage privé de Ia raison pour désigner ce qui est fait de Ia raison dans un cadre fonctionneI ou professionnel: le pasteur qui prêche, Ie soldat qui se bat, Ie médecin qui soigne, Ia fonctionnaire qui met en ceuvre des décisions administratives. Chacune de ces fonctions détermine des circonstances particulieres, que Ia raison est tenue de respecter si elle veut accomplir ce qui est requis d'elle. L'usage public de Ia raison, qui consiste à raisonner comme homme, indépendamment des exigences sociales ou professionnelles, ne peut en revanche souffrir aucune sorte de Iimitations. Il n'y a Lumieres que quand une telle Iiberté de critique et d'anaIyse peut coexister avec l'usage privé. Cela conduit Foucault à poser, cette fois explicitement, une ultime question au texte de Kant. Comment peut-on politiquement garantir aux individus que l'usage public de leur raison ne sera pas Iimité? C'est là que le probleme des Lumiêres devient véritablement politique. Kant propose alors, en termes à peine voiIés, une sorte de contrat au monarque de son temps, Frédéric lI. Une institution politique pourra obtenir de ses sujets une au.thentique obéissance à Ia condition qu'elle Ieur garantis~e une total e Iiberté dans l'usage public de Ia raison, mais surtout qu'elle soit elle-même fondée sur des normes rationnelles et universelles. Autrement dit: seul un État rationnellement fondé peut convenir à une raison éclairée. Lumieres et modernité Laissons Ià ce texte » (~p. 70). Foucault ne s'embarrasse pas de précautions particulieres pour congédier I'opuscule kantien, dont iI souligne justement qu'on ne peut en rien Ie considérer comme une description correcte ou complete des Lumieres. Mais, tout en minimisant en apparence I'importance de ce texte, Foucault en fait Ie manifeste d'une attitude, Ia critique, qui est constitutive elle aussi de I'esprit des Lumieres. Réclamer Ia majorité de Ia raison revient au fond à vouloir pour cette raison qu'elle sache circonvenir Ie territoire de son usage Iégitime, et éviter Ies dérives du dogmatisme, Ionguement condamné dans Ia Critique de Ia raison pure. Foucault s'attache ensuite -Ia Iogique de ce développement apparaítra apres coup - à décrire Ie rapport entre Qu'est-ce que les Lumieres? et Ia pensée kantienne de l'histoire en général. Alors que Ies autres textes de Kant sur l'histoire décrivent Ia finalité interne de I'humanité, Qu 'est-ce que les Lumieres? attribue à l'homme Ia responsabilité de son état de minorité, et donc aussi celle d'une éventuelle émancipation. En ce sens, l'opuscule kantien est plus concret, pratique, et ne se contente pas d'identifier des régularités ou des perspectives consolantes. Ce statut particulier confere au texte une singuliere importance: Kant y exprimerait au fond l'actualité de Ia critique, c'est-à-dire Ia justification ultime de son propre travail. La réfiexion sur « aujourd'hui » est tout à Ia fois ce qui fait Ie propre des Lumieres, de Ia philosophie moderne, de Ia critique et de Ia pensée kantienne. On pourrait ajouter, ce que Foucault ne dit bien évidemment pas, que Ie Qu'est-ce que les Lumieres? de Foucault a exactement Ia même fonction: « comlE QU'EST-CE I'actualité. Ainsi envisagé, le texte kanti~n est « I'esquisse de ce qu'on pourrait appeler l'a~tu~e de ~odernité » ~p. 7 ). Là est sans doute l'artlCUlatlOn maJ~~re de I'ar1 gument foucaldien, en ce qu'il permet de sal.s,lr Ia nécessité du passage entre Ia réflexlon sur les Lumleres et cel1e portant sur Ia modernité. Foucault est tres clair: Ia modernité n'est pas une période,. il, n'y a pas. d~ pré~odernité, ni même de posunoderl11te. Le, S~UCIhlsto[1q~e d'une délimitation par des dates ou des .ev,enements arbltrairement choisis d'une épOque qualIfiee de moder~e n'est pas fondé; si, comme on doit le f~i:e .en philoso~ht~, r on s'attache à I'essence de Ia moderl11te, I1 faut Ia debl11 , I" d d I' l' , ou par une attitude spécifique a egar , e . actu~ lte~, er e encore par une maniere de penser et d agir partlcuh . ce Bref, Ia modernité est uO êthos, une appartenan et , .' d '/:' en ce une tâche qui débarrasses ICI e toute reler ah. trop strictement historique, peuvent etre reacto , sés dans des eontextes A ' tres différents. Le moment moderne 1:' ence d" Le texte va alors pivoter brusquement une reler t , , 'I l' , d K 11 a à I'autre , de Ia philosoph1e a ,a .Itterature, . , . e a r de Baudelaire, I'un des prineipaux eC[1Val~Sa aVQlr tente , , définir Ia modernité. Que dit BaudelaIre? La modernlt~, ute c'est Ia discontinuité du teJ11Ps,Ia rupture, d Ia nouvea ' doP-, le fugitif; ou plus exactement: . d etre mo . l'erne, , 'I'c est , ara d de ter volontairement une atOtu e partlcu lere a I eg e'sent .' ce mouvement incessant, afin d e SaISlr ." ce que e pr l"loge peut contenir d'éternel. La mo d emIte n est pas he ute du ehangement pour lul-meme, maIS une a A • A J\\RE · QUE LES LUMIERES? donner à comprendre le p~urquoi d;. I'archéologi~ et Ia nécessité de I'interventlon de 1 mtellectuel dans , T • 97 conselenee de Ia singularité d done aIors quelque chose d'h ~ moment aetueI, ~l"olque. L'héroisation qui a moderne Foucault se . contente d'u\1 eJ( · les pemtres qUi représentent I empJe. Baudelaire raiU s affublés de toges antiques,qll'it hommes de Ieur tem ~ beBes o~ pI~s ?ign~s. ÊtIemOd: c:onsiderentcomme pI~s Baudelalre a retablIr Iavéritéen tne. ne consiste pas pour personnages. 11s'agit plutôtd d~ablllant de noir tous le , .. eQ 11 s epoque, qUi consiste icien on ce er e propre de notre morto Foucault précise: cette rapport entêtant avec Ia conçu dans son caractere éter l\laIorisation du présent . . 1 ne I ' sans Irome. I n'est pasquest'lon ement unique ' ne va pas I pour en collectionner lescuti t e flâner dans Ie présent ' OSlt'· 1e .present en sachant exprimer Sa es,' nlalS de transfigu rer falt cett~ réaIité. Baudelaire <: .realit~ mieux que ne Ie Constantln Guys, comme le !te ICI Ie dessinateur moderne: Ie dessin, par Ia p ,type idéaI de I'artiste d' U1Ss. ance epasse l'e reeI tout en I'expr' de I'imagination an nonçant dep ,., ce qu'ilpourr1m:.). d'It ce qu'iI est en' . 'nt, F oucau It IUI-même . ~ E tre moderne et l'estsansdan etre. ser Ie present ' OUte ' comme lieupOssibl, ~n ce sens, c'est penrespecter non pour ce qu'ilest ~ ~ une autre pensée Ie comme possibIes alternatives. !l]aIs our ce qu'iI rec'eIe A Rapport au présent etrap'Po 11q' . La modernité, proches SQ'J,-meme A Lumleres, ., Ur c~ est égaIementunei p<Jint Et re mo d eme, au-delà denter,·· I' ogatlon de I'êthos de s sur soi-même · at· . consIste done aussi dansli teu... Y10n à I'aetualité construetion de sai dansle n h~J(erc:ice personneI d' A I' re,us d e ya a une forme d'ascétisme. de di .~ ~e que 1'0n est. 11 SeI plme qui confine au re1igieux. L'homme moderne est un scu1pteur de soimême, tenu donc à une ob1igation de créativité bien di.ffici1e à assumer. Derniere remarque sur Baude1aire, qui est ici aussi une critique de sa conception de Ia modernité: Baude1aire ne croit pas qu'un te! travai1 de l'imagination soit possib1e dans Ia société ou dans 1es institutions poli tiques. Seul l'art est un terrain propice à l'expression de Ia modernité. Foucault n'en dit guêre p1us, mais on comprend qu'une telle limitation n'est pour lui pas 1égitime, et que c'est précisément dans 1e domaine po1itique que l'attitude moderne, c'est-à-dire au fond l'attitude philosophique, est aujourd'hui indispensable. ~ Qu'est-ce que Ia phiIosophie? L'Aufldarung: une nouvelle définition de la philosophie Foucau1t prend congé de Baude1aire comme i11'avait fait de Kant. Là encore, i1 sou1igne que ses que1ques remarques n'ont rien d'exhaustif, et que les Lumiêres comme Ia modernité sont bien trop comp1exes pour être caractérisées aussi rapidement. Une fois posée cette clause de modestie, à vrai dire un peu rhétorique, Foucault tente de justifier l'intérêt des Lumieres pour Ia pensée d'aujourd'hui. Il est tres clair à cet égard; sa 1ecture de Kant comme Ia définition de Ia phi1osophie qu'i1 va proposer n'expriment aucune fidé1ité aux Lumiêres, si on entend par 1à un ensemb1e déterminé de theses comme l'optimisme historique, Ia confiance dans Ia raison ou Ia préoccupation humaniste. L'objectif est bien plus limité, et plus légitime aussi: tenter de voir ce qui dans l' êthos philosophique des Lumieres pourrait être réactualisé dans une philosophie en acte et en effet. Il n'y a aucune nosta1gie dans ce qui va être dit, pas p1us qu'il n'y avait de dévotion dans 1e parcours kantien qui ouvre 1e texte. Caractérisation négative de l'êthos philosophique P1us qu'une caractérisation, même négative, de l'êthos phi1osophique, i1 faut 1ire 1es trois paragraphes suivants comme une mise au point avant tout po1émique. Le contexte est le suivant: Ia philosophie contemporaine, avec Habermas en Al1emagne, avec des auteurs comme Ferry ou Renaut en France, est marquée par un vaste mouvement d'idées visant à faire revivre certaines va1eurs propres aux Lumieres. Certains des tenants 1es p1us radicaux de ce mouvement vont aller jusqu'à dire qu'on ne peut être que pour ou contre 1es Lumieres. Défendre 1es droits de l'homme et l'universa1ité de certaines va1eurs, défendre Ia 1iberté de penser et I'autonomie de Ia raison reviendrait au fond à une forme de retour aux Lumieres; à l'inverse, tout auteur qui nierait Ia 1égitimité d'un te1 retour serait soupçonné d'être opposé aux droits de I'homme ou à Ia rationa1ité en général. Foucau1t refuse d'emb1ée ce qu'i1 appelle à juste titre un chantage à l'Aufkliirung (~p. 76). Foucau1t n'est pas un adversaire des Lumieres. L'importance historique de I'époque, son souci de Ia liberté, sa pensée comme combat pour Ia vérité, sa disposition à l'égard de l'actua1ité sont autant de bonnes raisons de s'y intéresser. Mais i1 est insensé de réduire ce débat à une alterna tive simp1iste - pour ou contre 1es Lumieres. En 1ieu et p1ace de ce faux débat, Foucau1t propose Ia tâche suivante: « faire l'ana1yse de nous-mêmes en tant qu'êtres historiquement déterminés, pour une cer- taine part, par l'Aufkldl'Ung» (~p. 77)0 La série d'enquêtes qui s'impose alors au philosophe sera fidele aux Lumieres en un sens bien précis: non pas chercher dans notre présent le noyau de rationalité que les Lumieres lui auraient légué, mais faire vivre l'autonomie de Ia raison par Ia critique de ce qui se donne à nous comme formes nécessaires. Foucault procede à I'identique pour écarter une deuxieme forme de chantage, plus pervers encore. Celuici consiste en un premier temps à assimiler Lumieres et humanisme, puis à accuser ceux qui se permettent de critiquer certains aspects des Lumiêres d'être anti-humaniste, et partant anti-humains. Cet argument repose sur plusieurs gestes tres contestables. Le premier procede d'une généralisation trop hâtive des différents aspects des Lumieres, alors même que l'extrême diversité des phénomenes que l'on regroupe sous ce terme l'interdit formellement. L'analyse que Foucault vient de proposer ne dit pas Ia vérité des Lumieres, elle se contente d'en éclairer I'un des visages, celui qui concerne le mode de rapport réf1exif au présent. L'humanisme ne peut pas non plus être considéré comme un mouvement homogene. Suivant le contexte philosophique ou politique dans lequel il intervient, l'humanisme peut avoir une signification bien différente. Des mouvements d'idées aussi divers que le marxisme, l'existentialisme, le personnalisme ou le stalinisme ont pu se dire humanisteso Le seul point commun que l'on peut éventuellement dégager ici est que tous les humanismes prennent appui sur des conceptions de !'homme héritées de Ia religion, de Ia science ou de Ia politique. En plus de ces deux formes d'amalgame, le chantage à l'humanisme commet une troisieme erreur. À supposer que I'on puisse caractériser unilatéralement I'humanisme et les Lumieres, il semble bien que ces deux mouvements sont bien plus en conf1it qu'en harmonie. Tout d'abord par ce que I'idée même d'une valeur universelle, définitive -I'homme - n'est pas acceptable par une raison réellement autonome; ensuite parce que les Lumiêres ne sont pas historiquement définies comme un humanisme, et qu'il n'est pas honnête de le faire apres coupo Les choses sont donc plus embrouillées et confuses que ne le laissent croire I'argument du chantage, et il appartiendra à I'archéologie de démêler I'écheveau du rapport humanisme/Lumieres, ce que fait par exemple un livre comme Les mats et les chases. Caractérisation positive de l'êthos philosophique Foucault passe enfin à une caractérisation positive de Ia philosophie, ou il faut voir sans doute Ia these Ia plus importante et Ia plus personnelle du texte. Premier élément à retenir ici: l'êthos philosophique est une attitude limite, c'est-à-dire une analyse des limites et une réflexion sur el1es. Foucault prend clairement pour modele Ia démarche kantienne: mais alors que Kant voulait déterminer les limites de Ia connaissance, qu'il faut donc renoncer à franchir, Ia philosophie doit aujourd'hui déterminer ce qui précisément doit être franchi. Le kantisme inversé de Foucault va bien au-delà du champ de Ia connaissance, il s'étend à tout le domaine de Ia pensée, ou Ia philosophie va devoir indiquer Ia singularité et Ia contingence qui se cachent sous les fausses évidences et les prétendues nécessités. Foucault poursuit dans une même ligne kantienne: non plus analyser les structures universel1es du savoir, mais les conditions historiques de l'émergence d'une pensée ou d'une action, dont nous nous disons Ies sujets. Une telle enquête n'est pas transcendantale au sens ou elle élaborerait Ies conditions de possibilité d.'une nouvelle métaphysique, mais elle est bien critique, c'est-àdire à Ia fois archéologique et généalogique. La phiIosophie doit être archéoIogique par sa méthode: cela signifie qu'elIe s'attache à « traiter Ies discours qui articulent ce que nous pensons, disons et faisons comme autant d' événements historiques » (~p. SI), ce que Foucault fait Iui-même dans chacune de ses grandes ceuvres. Elle doit être généaIogique par sa finalité: permettre de concevoir ce qui fait notre pensée comme une donnée contestable et donc critiquable, ouvrant ainsi l'horizon pour une autre pensée et une autre action. Cette vocation Iibératrice de Ia philosophie n'a de sens que si à côté du travaiI historique elle accepte de « se mettre à I'épreuve de Ia réalité et de I'actualité, à Ia fois pour saisir Ies points ou Ie changement est possible et souhaitable et pour déterminer Ia forme précise à donner à ce changement» (~p. SI). L'action politique n'est pas un complément facultatif à I'activité proprement conceptuelle, ni un vague supplément d'âme destiné à soulager Ia conscience inquiete du philosophe. La phiIosophie en son identité Ia pIus profonde, celle-Ià même qui nait avec Ia question kantienne, est indissociabIement théorique et pratique, critique et politique. La suite du texte confirme cette intimité de Ia théorie et de Ia pratique: de même que I'enquête historique dégageait Ia singularité et Ia contingence des dispositifs de savoir et de pouvoir, de même I'intervention du philosophe sera ponctuelle et précise, Ioin des projets gIobaux et radicaux ou Ia pensée s'est si souvent perdue. Pas de programme d'ensemble donc, pas d'idéologie gIobalisante. Mais des transformations particulieres de Ia pensée, de I'autorité, des rapports de sexe, de Ia perception de Ia folie ou du sort fait aux délinquants, autant de Iieux de vie pour une philosophie critique. Tout cela est bien Iimité, et bien insuffisant, dira-t-on. Foucault en convient. Mais peut-iI en être autrement, alors que Ia philosophie a pour objet de montrer Ie caractere justement limité, dans sa durée comme dans sa Iégitimité, de tout discours? Soyons humbles dans nos prétentions, paraí't dire Foucault, ce qui n'empêche nullement de procéder avec méthode et systématicité. Le travaiI historico-pratique de Ia philosophie a son enjeu propre. Il consisterait en ceci: analyser Ies rapports entre Ia liberté des individus et Ies formes de pouvoir. Alors que Ie XVIIIe siecle croyait que notre pouvoir sur Ies choses croissait en même temps que notre Iiberté, Ies deux derniers siecles ont montré que Ies choses étaient plus complexes et moins réjouissantes. On a ainsi vu des technologies supposées accroí'tre notre pouvoir construire silencieusement des formes d'assujettissement des individus; on a vu des modalités de pouvoir conduire à des procédés de normalisation plus efficace que I'oppression. L'enjeu est donc d'imaginer des moyens pour déconnecter Ia croissance de Ia Iiberté de ces différentes formes de relations de pouvoir. Un enjeu d'émancipation, à nouveau. Le domaine d'analyse est par Ià même déterminé. La philosophie a pour objet Ies ensembles pratiques, c'est-àdire les formes de rationalité qui organisent les manieres de faire et de penser. Foucault considere ces ensembles pratiques comme homogenes, dans Ieur versant technologique comme dans Ieur versant stratégique. La philosophie est une discipline unifiée grâce à I'homogénéité de son objet, un divers historique dont iI est possible de tracer Ies Iignes de force. Troisieme trait caractéristique de Ia philosophie: sa systématicité. Là encore, elle découle de Ia systématicité de I'objet étudié, ou l'on peut distinguer trois grands domaines: l'axe du savoir, l'axe du pouvoir, I'axe de l'éthique. On reconnait aussitôt les trois grands moments de l'ceuvre de Foucault, qu'il ne faut donc pas interpréter comme des inflexions ou des modifications d'objectifs, mais comme des étapes également nécessaires du travail de toute philosophie. Autrement dit encore: l'archéologie du savoir, l'analytique du pouvoir et l'herméneutique du sujet sont les trois dimensions de ta philosophie, si du moins on lui donne Ia vocation historico-politique que Foucault lui attribue ici. Derniere caractéristique du travail de Ia philosophie : sa généralité. Foucault ne prétend pas que les phénomenes étudiés sont universels, mais qu'à Ia condition de se limiter à Ia culture occidentale, les ensembles pratiques offrent des régularités remarquables. La philosophie ne va pas renoncer à être l'intelligence du singulier. Mais elle va chercher également sous Ia contingence de Ia maniere dont les problemes sont posés Ia relative permanence de ceux-ci. Foucault le dit tres clairement: « l'étude des modes de problématisation est donc Ia façon d'analyser, dans leur forme historiquement singuliere, des questions à portée générale ». Là encore, c'est Ia nature même de l'objet qui confere à Ia philosophie sa qualité, ici Ia possibilité pour elle de se déployer selon une universalité relative. nous sommes devenus majeurs. L'efficacité des Lumieres ne peut donc résider dans I'actualisation réelle et concrete de l'autonomie de Ia raison, ou du moins une telle actualisation n'a pas eu lieu. Il faut plutôt Ia chercher ailleurs, dans une attitude particuliere que l'Aufklarung aurait fait naitre et qui, en traversant les siecles, a nourri Ia philosophie. Plus fondamentalement encore: Ia valeur des Lumieres est dans le mode de vie qu'elle propose au philosophe, appelé à mettre à l'épreuve sa pensée et à construire les conditions d'une libération. La phitosophie et t'impatience de ta tiberté Cette émancipation est le fruit d'un long travail, qui emprunte des voies aussi surprenantes que l'enquête historique, et des méthodes aussi apparemment abstraites que l'archéologie. Mais cette tâche a sa cohérence théorique dans Ia détermination précise de l'objet singulier qu'elle va analyser, et pratique dans ses modes d'intervention politique. Faut-il encore croire aux Lumieres pour mener à bien ce travail? Foucault ne le croit pas. L'essentiel est de retenir de Kant le sens même de Ia limite, objet d'une patiente élaboration théorique en même temps que d'une impatiente volonté de dépassement. 3. - Commentaire thématique .-<:::::.' Les Lumieres: réalité d'une époque et probleme philosophique L'âge de ta critique Les Lumieres comme conception d'une vie phitosophique Foucault revient enfin à Kant, sur un ton un peu désolé. Rien ne parait indiquer dans notre histoire que Objet du texte de Kant comme de celui de Foucault, les Lumieres sont à Ia fois une époque déterminée de I'histoire européenne et un probleme qui, comme le montrent les extraits choisis plus haut, va occuper une part significa tive des philosophes des XIXe et xxe siecles. Vn mot d'abord sur l'image de Ia lumiere, que l'on retrouve dans Ia totalité des pays européens, et qui est le fruit d'une tres longue histoire. L'utilisation philosophique de Ia lumiere a sa source dans une double tradition platonicienne et biblique. Si l'âge classique, à partir de Descartes et sous Ia forme du concept de lumiere naturelle, en fait un attribut proprement humain, elle conserve Ia fonction de condition d'intelligibilité, qu'elle avait déjà chez saint Augustin. Descartes identifie Ia lumiere naturelle à Ia faculté de connaitre, en tant qu'elle perçoit clairement, distinctement et immédiatement Ia vérité; elle est capable de déterminer les opinions de l'honnête homme et, accompagnée de méthode, d'acquérir aisément toute connaissance. La conception classique de Ia lumiere déplace ainsi Ia fonction d'intelligibilité autrefois attribuée à Dieu vers Ia raison humaine. La vocation libératrice de Ia lumiere naturelle n'échappera pas aux phi!osophes du XVIIIe siecle. Voltaire et Condorcet considéreront ainsi l'entreprise cartésienne comme une préparation aux Iumieres poli tiques de l'époque révolutionnaire. Grâce à Descartes et son concept de lumiere naturelle, « I'esprit humain ne fut pas libre encore, mais il sut qu'il était formé pour l'être » (Condorcet, Esquisse d'un tableau histoTique des pTogres de l'espTit humain). Les Lumieres peuvent done être eomprises, dans une tradition eartésienne, eomme I'applieation Iucide et sans bornes prédéterminées de Ia raison humaine à Ia totalité des phénomenes natureIs, historiques, politiques, moraux et religieux. La vocation des Lumieres est donc fondamentalement critique. Il s'agit, en exprimant dans sa plénitude Ia puissance de Ia raison, d'évaIuer ce qui jusque là paraissait, par le poids du temps et Ia solidité des institutions qui en proclamait Ia légitimité, éehapper à tout questionnement: Ia tradition, l'autorité de l'Église et des pouvoirs poli tiques, les dogmes de toute origine. Plus fondamentalement peut-être, cette attitude critique de Ia raison se retourne contre ellemême, une raison capable ainsi de ne pas se laisser griser par ses capacités, en évitant ainsi de retomber dans un nouveau dogmatisme. L'autonomie de ta raison Les différentes formes nationales de ce mouvement européen sont l'effet de l'application d'un espTit, ou d'une disposition critique, à ce qui peut lui faire obstacle. L'attitude est indéniablement Ia même partout. L'adversaire en revanche peut varier considérablement selon les pays. La vigueur de Ia contestation philosophique de ce qui semble s'opposer au libre essor de Ia raison est donc largement déterminée par Ia résistance de Ia cible, plus que par l'acuité de Ia critique elle-même. Gn peut comprendre ainsi que face à Ia religion, France et Allemagne divergent entierement, alors même que le positionnement philosophique à !'égard de l'autorité est sensiblement identique de part et d'autre. Comprendre les Lumieres implique donc d'identifier à Ia fois le fond commun et les particularismes nationaux. L'esprit des Lumieres consiste pour Kant à avoir le courage de se servir de son propre entendement. Cette définition suppose que l'homme est un être raisonnable, capable de se connaitre lui-même et suffisamment audacieux pour utiliser sa raison dans tous les domaines de !'existence, sans renoncer quand l'obstacle parait trop montrent Ies extraits choisis plus haut v , 'fi ' d ' a occuper part Slglll catIve es philosophes des XIXe • une et Xxe SI' I Vn mot d'abord sur I'image de Ia Ium" ec es. lere, que I' retrouve dans Ia totalité des pays européen . on est I frUIt'd' une tres'1 ongue histoire. L'utilis s,tI' et qUI h' e ' a on p da h pIque de Ia Iumiere a sa source dans une d bI ~ , I " , , ou e tradi tIon p atolllclenne et blblrque. Si l'âge class' , lque, a partir de Descartes et sous Ia forme du concept de 1 " ' unuere nato re 11e, en falt un attribut proprement h ' , , , umam, eUe conserve la fonctIon de COndltIon d'intelligibilit' , U ' d'" h ' e,quee avalt ej3 c ez samt Augustin. Descartes id tI'fi I " " en Iumlere naturelle a Ia faculte de connaí'tre en ta t e' Ua " , , ,n qu e e perçOlt clalrement, dlStInctement et immédiatem I ' " 11 em a vente; e e est capable de déterminer Ies opinion d I'h onnete h omme et, accompagnée de méthode d'a s '_e , " , ' cque nr alSeme?,t tout,e conna~ss~nce. La conception classique de Ia Iumlere deplace amSl Ia fonction d'intelligibilité autrefois attribuée à Dieu vers Ia raison humaine. La vocation libératrice de Ia Iumiêre naturelle n'échappera pas aux philosophes du XVIIIe siecle. Voltaire et Condorcet considéreront ainsi l'entreprise cartésienne comme une préparation aux Iumiêres politiques de I'époque révolutionnaire. Grâce à Descartes et son concept de Iumiere naturelle, « l'esprit humain ne fut pas Iibre encore, mais iI sut qu'iI était formé pour I'être » (Condorcet, Esquisse d'un tableau historique des progres de l'esprit humain). A Les Lumiêres peuvent dane être eomprises, dans une tradition eartésienne, eomme l'applieation lucide et sans bomes prédéterminées de Ia raison humaine à Ia totalité des phénomenes natureIs, historiques, politiques, moraux et reIigieux. La vocation des Lumieres est donc fondamentalement critique, Il s'agit, , t dans sa plénitude Ia puissance de Ia raison, prunan ,,' en eX ui J'usque là paralssalt, par le pOlds du temps d'évaluer ce q .' I' I I' , , 'd' , des institutIons qUI en proc amalt a egltItIa so I1 lte I d" I' e . , , ha per à tout questionnement: a tra ltIon, auflllte ec P 'I' , I d d , " d I'Église et des pouvOlrs po ltIques, es ogmes e toote e, ' e Plus fondamentalement peut-être, cette toute ongm ' 11 'd itique de Ia raison se retourne contre e eatutu e cr , ' une raison capable ainsi de ne pas se Ialsser gnser meme, , , " d e retom b er d ans un acités en eVltant amSI par ses c ap .' nouveau dogmatlsme. A L'autonomie de Ia raison Les différentes formes nationales de ce mouvement européen sont l'effet de I'appli~ation d'u? es~rit, ou d'une disposition critique, à ce qUI peut IUI falre obstacle. L'attitude est indéniablement Ia même partout. L'adversaire en revanche peut varier considérablement selon Ies pays. La vigueur de Ia contestation philosophique de ce qui semble s'oppo~e~ au Iibre ~s~or de Ia raison est donc Iargement détermmee par Ia reslstance de Ia cible, plus que par I'acuité de Ia critique elle-même. On peut comprendre ainsi que face à Ia religion, France et Allemagne divergent entierement, alors même que le positionnement philosophique à l'égard de l'autorité est sensiblement identique de part et d'autre. Comprendre les Lumieres implique donc d'identifier à Ia fois le fond commun et les particularismes nationaux. L'esprit des Lumieres consiste pour Kant à avoir le courage de se servir de son propre entendement. Cette définition suppose que l'homme est un être raisonnable, capable de se connaí'tre lui-même et suffisamment audacieux pour utiliser sa raison dans tous les doma ines de l'existence, sans renoncer quand l'obstacle paraí't trop important. L'idéal poursuivi, présenté par Kant, mais aussi par Ia plupart des représentants des Lumieres toutes nationalités confondues, comme une tâche à accomplir, réside dans l'autonomie de Ia raison. La raison est donc une faculté d'émancipation, qui doit permettre à l'homme de s'épanouir, de construire son savoir, de rechercher comme il l'entend son propre bonheur, et d'établir les rapports qui lui paraissent convenables avec les autres hommes, les uns et les autres étant considérés comme membres d'une seule et même humanité. Cette recherche de l'autonomie, qui comme on le voit prolonge l'entreprise cartésienne, n'est pas l'apanage de Ia période des Lumieres. On peut même considérer qu'elle coincide avec Ia philosophie en général, si on entend par philosophie Ia libre quête du vrai. La véritable spécificité des Lumieres nous semble plutôt résider dans Ia fonction pratique donnée à Ia raison, dans Ia connaissance de ce que l'homme est et dans Ia construction politique de ce qu'il doit être collectivement. Autrement dit: Ies phiIosophes du XVIIIe siêcle, en France et en AlIemagne, mettent en reuvre une pensée certes nouvelle, mais dont I'originaIité est dans Ia haute conscience qu'elle a d'elle-même, de sa vocation et de son pouvoir. Le souci de soi des Lumieres La philosophie des Lumiêres est une pensée en quête d'identité, et c'est bien ce point que Foucault souligne justement. En essayant de se définir elle-même, elle est consciente du lien étroit existant entre l'effort théorique et l'action qui pourrait en découler. L'autoportrait du philosophe s'accompagne donc d'une réflexion sur Ia fonction historique que Ia philosophie se doit d'assumer, au regard de l'actualité politique immédiate, mais aussi au regard de toute I'histoire de l'humanité. D'Alembert le dit clairement dans son Discours préliminaire à /'Encyclopédie, les Idéologues le répéteront, Condorcet enfin, dans son Esquisse d'un tableau historique desprogres de I'esprit humain portera ce souci à sa plus haute conceptualité: Ia philosophie trouve dans Ia définition de son moment historique l'une de ses tâches essentielles. Cette préoccupation est patente dans les vastes récapitulatifs historiques auxquels procedent les penseurs des Lumieres. Il s'agit toujours de s'inscrire dans une hérédité philosophique particuliere, qui prend son départ chez Bacon trouve sa forme métaphysique, estimable mais provisoire, chez Descartes, et son accomplissement chez Locke et surtout Newton, cette derniere référence étant destinée à donner à Ia pensée des Lumieres Ia légitimité incontestable dont Newton jouit dans le domaine des sciences. Il s'agit aussi en général de faire du présent comme le point culminant d'une épopée de Ia liberté, prélude à des lendemains radieux. Cette conscience historique est en même temps une conscience poli tique. Au moment ou les acquis théoriques des Lumieres - autonomie de Ia raison et réflexivité de son travail critique - sont parvenus à maturité, leur articulation à Ia pratique commence à poser probleme; plus exactement, les philosophes, de part et d'autre du Rhin, se rendent compte que les conséquences effectives de leurs theses sur le cours de Ia société doivent être évaluées. La conscience de soi des Lumiêres est donc toujours à Ia fois conscience de Ia spécificité de l'époque par rapport au passé philosophique et en regard, déjà, d'un possible avenir révolutionnaire. Cette dimension pratique de Ia pensée est à l'évidence plus marquée en France, et Condorcet en est le représ~ntant Ie plus éminent. Mais on Ia trouve aussi dans Ia réflexion kantienne sur Ie rapport de Ia théorie et de Ia pratique, qui vise précisément à contester l'expression popuIaire affirmant que ce qui peut être vrai en théorie ne I'est pas en pratique. Ce souci d'application de Ia philosophie est peut-être aussi au principe de sa compréhension comme une entreprise collective. Si Ia philosophie a une fonction sociale et une obligation morale de résuItats, il vaut mieux associer les talents. D'Alembert Ie dit naturellement en inaugurant l'Encyclopédie. Mais les Idéologues, par Ieur fonctionnement en réseau, obéissent à Ia même Iogique. Kant, penseur solitaire s'il en est, ne pratiquera pas cette forme collective de philosophie; le concept de publicité - au sens strict de ce qui est publié, donc pubIic en est toutefois l'une des théorisations possibles. On le retrouve chez Ia plupart des philosophes de l'Aufkldrung: on le retrouve tres clairement aussi dans ce que Foucault dit de Ia nécessaire intervention du philosophe. La spéciJicité de l'Aufkliirung En plus de ces éIéments communs, nombreux et fondamentaux, l'Aufkldrung, que Kant et Foucault étudient, se caractérise par deux traits propres, étroitement dépendants l'un de I'autre. Le premier est l'attitude généraIe bienveillante face au fait religieux; le second est un souci de préserver les droits de Ia raison pratique, ou de Ia moralité, fut-ce au détriment de ceux de Ia stricte rationalité théorique. L'idée traditionnelle d'un XVIlIe siecle anticlérical et sceptique ne résiste pas à une anaIyse élargie. Si on peut l'admettre à peu pres pour Ia France, cette vision est fausse pour l'Allemagne. 11ne s'agit nullement pour les penseurs allemands de détruire Ia foi ou Ia religion, mais de l'approfondir, ou encare de Ia ramener à son noyau de vérité rationnelle. Kant écrit ainsi une Religion dans les limites de Ia simple raison; Leibniz propose une métaphysique dans laquelle Dieu joue Ie premier rôIe; Mendelssohn, Lessing, J acob ou Herder accordent à ces questions une importance capitale. Cette position intellectuelle fondamentale des Aufkldrer, qui croient en un possible accord de l'idéal d'autonomie de Ia raison avec Ia religion s'expIique par de muItipIes causes, qui reIevent de I'histoire des rapports entre l'Église et l'État, de Ia force des grandes métaphysiques allemandes de I'époque classique, pIus encare peut-être de Ia tradition universitaire allemande, qui voit travailler de concert phiIosophes et théologiens La seconde spécificité des Lumieres allemandes s'exprime de maniere exempIaire dans Ies mots de Kant, souvent cités: « je devais donc supprimer Ie savoir, pour trouver une pIace pour Ia foi » (Critique de Ia raison pure). Cette affirmation ne signifie pas que l'intelligence doit se soumettre au dogme reIigieux, évidemment, mais que Ia raison pratique et Ia morale sont ce qu'il y a de pIus importants paur l'homme. Établir les limites de Ia connaissance théorique n'a de sens que si cette destination propre de I'homme, comme individu et comme espece, est préservée et renforcée. Les Lumieres allemandes demeurent d'esprit rationaliste, et elles le sont d'ailleurs pIus que les Lumieres françaises, si souvent tentées par I'empirisme. Mais c'est un rationalisme de Ia diversité, qui n'oppose pas artificiellement Ies différents domaines de Ia raison, cherchant au contraire Ia concordance, ou du moins Ia conciliatian. Période féconde, Ies Lumieres ont donné lieu à de vastes débats par Ia suite. FoucauIt s'inscrit naturellement dans cette histoire, non pour regretter Ia di~parition d'un esprit, qui n'a pas résisté aux drames de I'histoire et aux coups de boutoir des grandes pensées de Marx, Freud ou Nietzsche, mais pour faire revivre Son attitude à I'égard du présent. FoucauIt n'est en rien un philosophe amoureux des Lumieres, bien au contr~ire ~mais il considere qu'est né à cette époque ce qUI dOlt encore aujourd'hui constituer l'essence de l'acte phiIosophique. r<::::,J La modernité La question de Ia modernité que Foucault aborde dans Ia seconde partie du texte revêt une grande importance dans Ie débat philosophique contemporain, Ie pIus souvent en rapport ave c ce qu'on appelle Ie postmoderne. Le concept de modernité apparaí't peu apres Kant, au début du XIXe siecle, dans Ie domaine de l'art. On peut définir I'idéaI de Ia modernité comme une conscience particulierement affirmée de Ia présence des promesses du futur dans l'actueI. Il y a donc queIque chose de prophétique dans Ia modernité. La notion trouve chez BaudeIaire et chez Rimbaud ses pIus éminents représentants. Dans Ies deux cas, comme Ie souIigne d'ailleurs FoucauIt, I'attention portée à l'actuaIité s'exprime par Ie souci d'y voir une étincelle d'éternité, tout en refusant de conce~~ir Ia beau.té comme une forme éternelle et figée. On uulrse voIonuers I'adjectif moderniste pour désigner I'art né dans Ia seconde moitié du XIXe siecle, caractérisé Iui aussi par une obsession de I'auto-définition. Dans Ie Iangage de I'histoire des idées, on parle de phiIosophie moderne pour quaIifier Ia pensée postérieure à Kant, en Ia distinguant parfois de Ia philosophie contemporaine, qui apparaitrait alors avec Ie crépuscule des idéologies à Ia fin du xxe siecle. Foucault refuse absoIument d'aller au-delà de cette approche strictement esthétique. Il y a bien une attitud.e de modernité qui apparaí't entre Kant et Baudelalre, maIS il n'est pas Iégitime d'utiliser ce terme en I'identifiant aux Lumieres, voire au travaiI de Ia raison en général. FoucauIt Ie dit nettement dans Ies Dits et éerits (t. lI, p. 1266): parler, comme Ie phiIosophe allema~~ Habermas, d'une nécessaire réactivation de Ia modermte au nom de Ia rationalité, n'a pas de sens, pas pIus d'ailleurs que Ie concept de postmodernité. Il faut tout de même reconnaitre que Ia pensée de Foucault peut assez bien se retrouver dans ce qu'un phiIosophe commeJean-François Lyotard dit de Ia postm~dernité. La condition postmoderne désigne ici à la fOlS une époque, la nôtre, marquée par I'effondrement des grands récits de Iégitimation comme en proposent Ies Lumieres ou le marxisme, et une attitude de méfiance à I'égard des prétentions de Ia rationaIité. Quand Lyotard écrit « Guerre au tout, témoignons de I'imprésentable, activons Ies différends » (Le postmoderne expliqué aux enfants, Paris, GaliIée, 1986, p. 32), iI s'agit, comme chez Foucault de donner toute sa valeur à Ia singuIarité. L'reuvre'de FoucauIt est en un sens fideIe à I'attitude de modernité, comme réflexion sur l'actualité; mais elIe est tres infideIe à Ia modernité entendue comme affirmation de Ia puissance synthétique et universelIe de Ia rationalité. QU'EST-CE ~ , QUE LES LUMIERES, ) QU' est-ce que Ia philosophi e.~ La philosophie comme ontologie du te1llpsprésent' , I Lumieres? reprend et synthétise un Qu est-ce que es I D' " es éparsesdans es lts et ecrlts, d gran d nom b re e remarqu, , 'h P , d t 't singuher du phllosop e, our qUI ressent un por ral , , I , 1 ta'ehe de Ia philosophlen est pus de " F oucau 1t, on 1 a VU, a ,' 1 'de diagnostiqueI'te present. 1 penser eterne mais , ' d' b Qu'entend-i1 par ce eurieux vocable? Il s aglt a ~~d "d 'fi d ' ificité Ianature de norre actuahte: d I entl er ans sa spee 'd ' ;l , ;l Q sonllnes-nous en rram e vire. qUI sommes-nous, ue , f ' ons-nousce que nous penPourquOl pensons-nous et aIs , ' l' r déranger par de teUesmterrosons et faIsons r e alsse , gations, voi1à Ia fonetion de Ia philosophie, , ' ' 'd n précurseur,En s anachant a ,' ' K ant est a cet egar u , 1" 1 d' osition crItiqueprendnalssance, son epoque, a ou a ISp ," ' 't son labeurpatlent et reher phI1 d , , ' , F oucau t enten repe er , I' I d ce qUIs est alors passe a 10sophIquement ana yse e , '11 'ent à cene fin de reprendre Ia notre actua IIte. conVI , k' f 'sant del'étudedeceneprofonde questlon antlenne en ai , " " 11' d 1 lture oceidentalequ ont ete 1es , d elllve atlOn e a eu " ' tI'on de notre propre sol sI1en, ' L umIeres une lllterroga , .. t' mobile et de I'archeologle du CIeux et nalvemen 1m, , 'I' , 'd e desruptureset desfalllesde ce saVOlr a mIse en eVl enc sol qui s'inquiete à nouveau sousnospas, , d 1 eprise par Foucaultdu mode de Ai nSl enten ue, a r , , 't e fonctionfondamentaledans sa penser cntlque tlen un , 'l h' d I' e que FoucaultobJecteau kanp h 1 osop le: par- e a c " , , 'nces IIIUlconfereune remartlsme et ases eonseque , , d ' , d 1 d'finition d'une atutu e a quab1e lmportanee ans a e , " d d' seulle criticismerend posslbIe. u present que " I egar de I'ontologledu present, , , K ant, en ouvrant Ie ehamp e questionnernarre actuahte, d 1 nous d onne es moyens 's non seulement ni essentiellement pour 1égitimer ee qu'on sait déjà, mais pour entreprendre de savoir comment et jusqu'ou il serait possible de penser autrement. La fonction II faudrait, politique de Ia philosophie écrit Foucault, « imaginer quelque une philosophie analytico-politique » (Dits et éerits II, p. 54I). Foucau1t n'entend pas ici, sous cette formule, faire revivre artificiellement Ia vielle conruvence entre philosophie et poli tique, eelle-1à même qui donnait 1ieu, chez Platon à l'identification du phi10sophe et du roi. La phi10sophie n'a pas de fonction immédiatement poli tique au sens ou elle serait à même de donner 1es reg1es et 1es principes de l'exercice concret du pouvoir poli tique ; 1e philosophe n'a pas même vocation à fournir des valeurs à une société désemparée, ou à orner de son prestige 1es jugements normatifs 1es p1us divers, La tâche est à Ia fois p1us précise et p1us diffici1e: déterminer par l'ana1yse critique eomment 1es solutions que l'on propose habituellement aux prob1emes de notre temps ont pu être é1aborées, Cette démarche aboutit à une fragi1isation généra1e de cadres traditionne1s de Ia pensée, à ce que Foucault appelle parfois Ia friabilité générale des sols ou Ia criticabilité du rée1. La réflexion sur I'aetualité poli tique se trouve ainsi considérabIement allégée de toutes 1es surcharges mora1es et juridiques qui I'affectaient: Ia phi10sophie comme révé1ation de Ia nonnécessité des choses. La distinction classique entre une phiIosophie théorique et une intervention pratique du phi10sophe se trouve ainsi singu1ierement brouillée. L'actua1ité exige que l'on y intervienne; et Ia théorie phi10sophique n'est que « le systeme régiona1 de cette lutte » (Dits et écrits I, chose comme p. IIn). Autrement dit encore: l'effort conceptueI de Ia phiIosophie est indissociabIe de l'interventi.on politique, il en est Ia théorisation, non au sens d'un discours donnant a priori légitimité à une telle intervention, mais au sens d'un lent travail préparatoire, identifiant les points faibles du réel à transformer. De cette disposition philosophique découle le type d'action politique auquel Foucault a participé: le reportage d'idées, que Foucault a mené par exemple en Iran, le soutien aux prisonniers, le souci constant de ce qui est singulier et exceptionnel face au discours majoritaire, l'attention aux minorités, autant de manieres d'incarner Ia philosophie. L'intellectuel spécifique La figure de I'intellectuel fait partir des icônes de l'histoire culturelle de Ia France. De Voltaire à Sartre, en passant par Zola, on s'est habitué à attendre du philosophe une parole et une action éc1airée, fondée le plus souvent sur des valeurs supérieures aux intérêts spécifiques des acteurs politiques. Malgré I'indéniable noblesse d'une telle attitude, Foucault se méfie de ce qu'elle peut avoir de posture artificielle, et de Ia prétention qui y est nécessairement présente. Ce que l'intellectuel peut faire est au fond plus limité, mais peut-être aussi plus concreto Il résume sa fonction d'une formule: « faire un relevé topographique et géoIogique de Ia bataille, voilà Ie rôIe de l'intellectuel. Mais quant à dire: voilà ce qu'il faut que vous fassiez, certainement pas » (Dits et écrits I, p. 1627). L'intellectuel n'a plus vocation à l'universel, puisqu'il n'y a pas de valeurs universelles; il n'a pas non plus à délivrer une vision du monde; son travail est spécifique, et a affaire avec Ia vérité, et ses limites. L'effet de Ia philosophie est d'abord dans I'indication de Ia contingence des choses, dans Ia critique des fausses familiarités et des prétendues évidences; il est ensuite dans une collaboration avec les acteurs du conflit, dans Ia réélaboration de nouveaux cadres de pensée. La vraie ceuvre d'un philosophe, c'est finalement sa vie, pour autant qu'elle est une vie philosophique. Outils a LEXIQUE FOUCALDIEN ArchéoIogie Ce terme désigne ici Ia démarche intellectuelle consistam à traiter les discours sur ce que nous disons, pensons et faisons comme autam d'événements historiques. L'archéologie, en élaborant Jes cond!tions d'émergence d'un ensemble pratique, permet de percevOlr Je caractere finalement contingem de ce qui se donne a nous comme une contrai me ou une limite universelles. Dispositif Foucault ent.er:d par dispositif ]'articulation complexe d'un rapport de saVOlr a un rapport de pouvoir. Le systeme pénal est le mellleur exemple d'un tel dispositif, en ce qu'il unit une construction de I'homme comme objet d'étude et l'élaboration d'une maitrise. de ce même individu. Savoir et pouvoir fonctlOnnem ICI de pair, dans une relation de conditionnemem réciproque. Epistémé Ce concept définit un ensemble structuré de discours, reposant sur Ia construction d'un objet propre et de regles précises d'élaboration. Foucault, qui utilise massivemem ce concept dans Les mot: et les cboses, I'abandonne progressivemem au profit du « disposmf », dom Ia connotation est nettement moins théorique. Êtbos Les Grecs utilisent ce terme pour qualifier une maniere particuliere, d'être, d'agir et de penser. Foucault reprend le concept en ]'app1Jquam à ]'attitude spécifique de Ia modernité, puis à celle de Ia philosophie en général, qui est ainsi définie plus comme une dlsposmon que comme une discipline. GénéaIogie Le concept viem de Nietzsche, qui a notamment écrit une Généalogie de Ia morale. Il signifie chez ce philosophe Ia démarche consistant à soupçonner sous Ies discours et les notions les plus assurées de Ia tradition et de Ia morale des motifs plus iméressés et moins avouables. Foucault I'utilise en un sens tres fidele à cette origine: faire Ia généalogie d'un dispositif permet, par Ia patieme étude de son histoire, d'en comprendre le caractere singulier et arbitraire et donc de s'en libérer. Herméneutique De maniere générale, une herméneutique est une forme systéma tique d'imerprétation d'un discours ou d'un concept, dom le sens premier ne renferme pas l'authentique signification. Foucault refuse de maniere générale cette idée d'une profondeur qui serait plus importante que Ia surface. La notion est donc sensiblement modifiée, et s'applique ici à comprendre comment nous nous sommes, au cours d'une histoire dont il faut lire les prémisses dans l'Antiquité, constitués comme sujets sexuels et éthiques. Humanisme Selon Foucault, on ne peut mettre sous ce terme aucun corpus déterminé de theses ou de conceptions. On regroupe en réalité dans cette notion un ensemble tres disparate de positions, qui ont en commun de fonder leurs discours sur une conception particuliere de I'homme, sou vem issue de Ia religion, de Ia science ou de Ia politique. Foucault, en indiquam dans Les mots et les cboses à quel poim le concept d'homme est jeune - à peine deux siecJes - et sur le point de mourir, formule I'une des critiques Jes pJus efficaces de I'humanisme, sans qu'il faille y voir un rejet du respect du à I'être humain. Intellectuel Par commodité ou par habitude, on appelle « intellectuel » toute personne dont Ia profession et le travail s'accompagnent d'une intervention fréquente dans le débat poli tique, une intervention qui se fait au nom d'une compréhension considérée comme supérieure de I'actualité en questiono Foucault refuse en grande parti e cette position magistrale, que Sartre incarne parfaitement: il s'agit pour lui d'être un intellectuel spécifique, c'est-à-dire d'être capable, grâce au travail archéologique, de déterminer les Iignes d'attaque et les points faibles de Ia réalité à transformer, cette transformation même étant confiée aux personnes directement concernées. Lumieres On désigne d'abord par Lumieres une période historique correspondant grosso modo au xv me siecle, caractérisée par une revendication de liberté et d'autonomie de Ia raison. Ce mouvement, qui touche Ia totalité des pays européens, est tres divers, et prend en Allemagne une forme sensiblement différente de son expression française. Foucault considere que le propre des Lumiêres n'est pas tant un ensemble déterminé de theses philosophiques qu'une attitude particuliere à I'égard de son actualité et un souci de définir sa propre identité. Modernité La modernité désigne un vaste mouvement littéraire, artistique et philosophique, qui couvre une partie du XIXe siecle et que I'on peut caractériser par Ia haute conscience de sa nouveauté eu égard aux périodes antérieures. Foucault, comme ille fait pour les Lumieres, considere que Ia modernité désigne en réalité une . attitude de valorisation de l'actuel, qui s'accompagne d'une ferme volonté de le modifier. Etre moderne en philosophie consiste donc d'abord à s'interroger sur le sens de 1'« aujourd'hui ». Pouvoir Le pouvoir est généralement pensé en philosophie comme I'expression d'une forme de souveraineté, se manifestant par le monopole de I'usage de Ia contrainte. Contre ce modele centralisé, Foucault affirme que le vrai pouvoir, celui qui est réellement efficace, se constitue dans des modalités plus fines, plus cachées, qui integrent des rapports de savoir. En un sens, le vrai pouvoir est celui qui n'apparalt jamais comme teI, celui qui sait se faire oublier. Savoir Foucault, dans Ia premlere partie de son ceuvre, dresse une archéologie du savoir. Celui-ci n'est pas seulement une forme de connaissance ou de science; il désigne l'ensembJe complexe et structuré des discours portant sur un objet dont l'émergence permet précisément I'apparition et Ia légitimité de ce savoir. Il n'y a ainsi de sciences humaines qu'à partir du moment ou le concept d'homme apparalt comme indispensable, un moment que I'on peut précisément déterminer. Sujet Ce concept désigne en philosophie la personne consciente et maltre d'elle-même, source d'un ensemble bien délimité de discours et de pratiques. Dans Ia derniere partie de son ceuvre, Foucault va tenter de montrer comment le sujet éthique est apparu, à travers Ia réflexion sur Ia sexualité. Il ne s'agit nullement de revenir à une conception métaphysique du sujet, que le dispositif archéologique a définitivement rendu impossible. 11 IID INDEX DES NOTIONS Archéologie 16-17; 23-24 Clinique 19-20 Critique 56; 70; I07-ro8 Dispositif 24-30 Epistémé 20-23 Êthos 43-45; 80-86; 99-1°4 Folie 17-19 Généalogie 81 Hennéneutique 3°-32 Homme 20-23 Humanisme 22 ; 77-80 Intellectuel I 15- I 17 LuInÍeres ro5- I I 2 Minorité/Majorité 41; 48-49; 65-67; 92-93 Modernité 27; 42-43; 72-76; 95-98; I I 2-1 13 Pouvoir 24-25 Prison 25-29 Savoir 16-17; 29-30 Sexualité 30-32 Sujet 3°-32 Usage publiclUsage privé 41-42; 68-70; 93-94 SUJETS DE DISSERTATION ~ Peut-on reprocher à Ia philosophie ~ Le progres de l'humanité d'être inutile? n'est-il qu'un mythe? ~ À quoi sert l'histoire ? ~ Un philosophe son temps? est-il nécessairement ~ L'idée de progres a-t-elle un sens dans le domaine de l'art ? ~ L'exigence d'autonomie de Ia raison est-elle compatible avec Ia vie en société ? ~ La liberté ~ La raison ne parle-t-elle ~ La moral e résiste-elle de penser comporte-t-elle un homme de des limites? que de l'universel ? au dévoilement de ses origines? 111 BIBLIOGRAPHIE ~ Dits et écrits, Paris, Gallimard-Quarto, 2001, 2 volumes. Cette édition reprend en un format commode Ia premiere édition des Dits et écrits, en quatre volumes, parue en 1994. L'une et l'autre contiennent un important dossier biographique et un index des notions tres utiles. ~ Folie et dàaison. Histoire de Iafolie à l'âge classique, Paris, Plon, 1961; repris sous le titre Histoire de Iafolie à l'âge classique, Paris, Gallimard, 1972. Ouvrage touffu, long et difficile, mais totalement nouveau par sa méthode et son style. ~ Naissance de Ia clinique, Paris, PUF, 1963. Texte relativement bref, tres précis et instructif d'un point de vue historique ~ Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966. Peut-être le plus célebre des livres de Foucault. L'un des plus intéressants, mais aussi des plus complexes. ~ L'archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969. Une parenthese méthodologique dans l'ceuvre de Foucault. Particulierement ardu. ~ L'ordre du discours, Paris, Gallimard, 1970. Texte de Ia conférence inaugural e de Michel Foucault au College de France. Tres accessible. """.Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975. Par sa puissance et son originalité, mais aussi par sa relative facilité de lecture, un texte tres recommandable. ~ La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976. ~ L'usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984. 1984, Ces trois livres constituent une histoire de Ia sexualité, que Foucault n'a jamais pu achever. Ecrits dans une langue d'une belle limpidité, ces textes manifestent une préoccupation d'ordre éthique qui n'était pas visible dans les ouvrages antérieurs. « 11 faut défendre la société », Paris, Seuil-Hautes ~ Le souci de soi, Paris, Gallimard, ~ Études, 1997· , ~ Les anormaux, Paris, Seuil-Hautes Etudes, 199~' ~ L'herméneutique du sujet, Paris, Seuil-Hautes Etudes, 200r. , ~ Le pouvoir psychiatrique, Paris, Seuil-Hautes Etudes, 20°3· Ces textes reprennent celui du cours que Foucault donnait chaque année au College de France. Cette édition est en cours, et on peut espérer d'autres publications. Ouvrages sur Foucault Peu d'ouvrages sur Foucault sont disponibles en français, alors que Ia production est surabondante en anglais. Notans toutefois: ~ P. BILLOUET, Foucault, ~ Paris, Les Belles Lettres, Figures du savoir, 1999· Bonne synthese de l'ceuvre de Foucault. G. CANGUILHEM, Mort de l'homme ou épuisement du Cogito?, in Critique, 24 (1967),242. Bel article, fin et admiratif, ~ écrit par l'un des maitres de Foucault. E. DA SILVA,éd., Lectu1'es de Michel Foucault. Volume II: Foucault et Ia philosophie, Lyon, ENS, 20°3. Un recuei 1 d'articles intéressant sur le rapport de Foucault à Ia philosophie. Réservé tautefois à un public averti. '""""'O. DEKENS, L'épaisseul' hzmzaine. Foucault et l'anhéologie de l'homme moderne, Paris, l(jmé, 2000. Une tenta tive de rapprochement entre Kant et Foucault. '""""'G. DELEUZE,Foucault, Paris, Minuit, 1986. Texte magnifique et Iumineux. DeIeuze tente une Iecture proprement phiIosophique du dispositif conceptuel de Foucault. Ouvrage assez difficiIe. '""""'H.-L. DREYFUS,P. RABI ow, éds., Michel Foucault: un pal'COu7''S philosophique, Paris, Gallimard, 1984, Une présentation d'ensembIe claire et précise de I'itinéraire de Foucault. '""""'D. ERIBON, Michel Foucault: 1926-1984, Paris, FIammarion, 1989. Une bonne biographie. Se Iit comme un romano '""""'F. GROS, éd., Foucault: le coul'age de Ia vàité, Paris, PUF,2002. Quelques articles utiles. Niveau universitaire. Ouvrages sur les Lumieres '""""'Th. ADORNO, Dialeetique négative, Paris, Payot, 2003. Ce grand texte, méditatif et sombre, porte sur le xxe siecle, mais prend pour appui le projet des Lumiêres, dont l'auteur considere qu'il est mort à Auschwitz. Récemment réédité en poche. '""""'E. CASSIRER,La philosophie des Lumiens, Paris, Agora, 1966. La seuIe présentation à Ia fois synthétique et phiIosophique des Lumieres. Tres recommandable. '""""'G. RAULET,Aufklanmg. Les Lumiel'es allemandes, Paris, GF,1995' Un ouvrage utile pour Ia compréhension allemand des Lumieres. !di !Si Aubin tmprimeur du versant - Ligugé, Poitiers O.L. novembre 2004 1 W éd : 701 7120102 Impr. : P 67646/1mprimé en France frrlld. L'!1lterprétntioll des rêves 3\('" I,· • "'Ie dll ehapilr • \'1. e<liOlh I ~ristotr, Éthique à Xicomnque \('(] I "'Ir.' 1,:",",1 ,Jp- li",,- \ 111 ('\