Éléments d`analyse
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Éléments d`analyse
PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 123 O R ■ Éléments NOTIONS EN R I G É CORRIGÉ C d’analyse JEU La vérité ; l’interprétation ; la liberté. THÈSE ADVERSE La philosophie est sans valeur tant qu’elle ne donne que des incertitudes. PROCÉDÉ D’ARGUMENTATION Russel pose un paradoxe : la valeur de la philosophie est dans son caractère incertain. La philosophie introduit le doute parce qu’elle arrache aux habitudes. Mais c’est dans cette possibilité de douter des choses les plus ordinaires que la philosophie tient sa valeur. DÉCOUPAGE DU TEXTE ET IDÉES PRINCIPALES m La première partie (depuis le début jusqu’à « des réponses très incomplètes ») montre que la philosophie remet en question des certitudes liées aux habitudes quotidiennes, sans apporter pour autant de réponses. m Dans la seconde partie (à partir de « La philosophie, bien qu’elle ne soit pas en mesure de » jusqu’à la fin), Russel montre que ce doute est libérateur dans la mesure où il accroît notre connaissance d’une réalité possible et différente. REMARQUES ET DIFFICULTÉS m Il faut être attentif à la progression du texte : on pourrait croire que la philosophie n’est pas satisfaisante parce qu’elle ne donne que des réponses incomplètes, mais rapidement l’auteur dépasse ce jugement pour montrer que la remise en question des habitudes a plus de valeur que les évidences quotidiennes. m Le texte contient au moins deux paradoxes : la valeur de la philosophie réside dans son caractère incertain ; la philosophie se construit par l’exercice de la raison et pourtant elle n’apporte que des réponses incomplètes. m Il ne faut pas faire du texte un éloge du scepticisme : le doute n’est pas une fin en soi mais une manière d’évacuer le dogmatisme. LA VÉRITÉ • SUJET 15 123 PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 124 CORRIGÉ THÈME, QUESTION, THÈSE m Thème : La philosophie. m Question : Quelle est la valeur de la philosophie si elle ne donne aucune réponse ? m Thèse : La valeur de la philosophie réside dans son caractère incertain car, en nous arrachant aux idées reçues, elle accroît notre connaissance de la réalité possible. PLAN Introduction 1 La philosophie éveille le doute A - Sans philosophie, on reste prisonnier du sens commun B - Vivre sans philosophie, c’est vivre sans questionner le quotidien C - Comment la philosophie peut-elle nier l’évidence, critère de vérité, et prétendre la rechercher ? 2 ABC- La valeur de la philosophie réside dans cette possibilité de douter Se libérer des habitudes est la condition pour éveiller sa pensée La philosophie accroît la connaissance d’une réalité possible La philosophie comme étonnement Conclusion ■ Corrigé (corrigé complet) Introduction1 La philosophie comme « amour de la sagesse », quête de la vérité, s’applique d’abord à rejeter ce qui se présente sous l’apparence du vrai : le vraisemblable. Elle consiste à suspendre son jugement, à douter. Mais alors que le philosophe, notamment Socrate, commence par affirmer qu’il ne sait rien, la philosophie est perçue par l’opinion comme une réflexion stérile produisant l’indécision et l’inaction. Loin de nier ce caractère incertain de la philosophie, Russel va dans ce texte en faire la principale valeur. Comment la philosophie peut-elle élargir le champ de notre pensée alors qu’avec elle s’effondrent les certitudes les plus ancrées ? Telle est la question à laquelle Russel répond ici. 1. Les titres en gras servent à guider la lecture et ne doivent pas figurer sur la copie. 124 LA RAISON ET LE RÉEL PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 125 Russel commence par énoncer un paradoxe qui est la thèse même de son texte : « La valeur de la philosophie doit en réalité surtout résider dans son caractère incertain. » En effet, ce qui se présente comme une faiblesse, le manque de certitude, d’assurance, et donc de stabilité, est affirmé être la valeur principale de la philosophie. Est-ce à dire que plus on est sûr de rien, plus on est philosophe ? Est-ce à dire que le modèle philosophique est le scepticisme ? CORRIGÉ 1. La philosophie éveille le doute A. Sans philosophie, on reste prisonnier du sens commun Russel lève immédiatement l’ambiguïté dans la deuxième phrase : il ne s’agit pas de ne croire en rien, mais de dénoncer les croyances liées aux habitudes du sens commun, c’est-à-dire les croyances qui sont inscrites dans un temps et un espace (un « pays ») déterminés. La philosophie entend au contraire approuver ses affirmations par la « raison », faculté de produire des jugements qui peuvent être universaux. Celui qui n’a donc jamais goûté à la philosophie reste rivé à ses particularités, et donc demeure « prisonnier de préjugés », opinions imposées par l’époque et le lieu. B. Vivre sans philosophie, c’est vivre sans questionner le quotidien Le second paragraphe (de «Pour un tel individu» à «des réponses très incomplètes») oppose le non-philosophe (non pas celui qui n’est pas philosophe mais celui qui n’a jamais côtoyé la philosophie) au philosophe par la capacité à se poser des questions sur les choses les plus ordinaires. Le non-philosophe conçoit le monde sous le signe de l’évidence. Le monde, ou plutôt «son» monde, est «fini» et «défini» dans la mesure où il lui donne une signification délimitée et définitive, liée à son époque et à son lieu. Tout ce qui n’est «pas familier» à un «tel individu», tout ce qui lui est étranger, est «rejeté avec mépris»: rester cantonné (aux sens propre et figuré) à ses opinions serait donc source d’intolérance. Au contraire, le philosophe voit dans les «choses les plus ordinaires» des problèmes auxquels il ne donne que des «réponses incomplètes». C. Comment la philosophie peut-elle nier l’évidence, critère de vérité, et prétendre la rechercher ? La philosophie, selon son étymologie, est « amour de la sagesse ». Mais quelle est cette sagesse ? Science suprême, savoir-vivre ? Pour les Grecs, la seconde dérive de la première. Dans tous les cas, la philosophie se met en quête de vérité. « Que puis-je savoir ? », « Que dois-je faire ? » sont des questions posées par la philosophie selon Kant. Or l’un des LA VÉRITÉ • SUJET 15 125 CORRIGÉ PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 126 principaux critères pour reconnaître la vérité est l’évidence. Elle est selon Spinoza dans L’Éthique « index sui », à elle-même son propre critère. Et c’est justement ce que Russel entend combattre avec la philosophie. Elle s’oppose aux évidences de l’opinion, « doxa » en grec : elle met en place des paradoxes. Pour comprendre cela, il convient de distinguer l’évidence sensible, immédiate du sens commun, de l’évidence intellectuelle de celui qui découvre une vérité. L’évidence sensible n’est qu’un sentiment subjectif parce que lié à un individu déterminé dans un espace-temps. L’évidence intellectuelle, en revanche, est une perception de l’intellect, de la raison qui est garante d’objectivité puisqu’elle donne accès à l’universel et au nécessaire. Mais si la philosophie ne donne pas de réponses complètes, est-ce par un défaut de compétence, ou parce qu’il est dans la nature d’une réponse à un problème philosophique d’être inépuisable ? 2. La valeur de la philosophie réside dans cette possibilité de douter Si la philosophie a l’art de poser des problèmes où le sens commun n’en voit pas, elle ne donne pas pour autant de réponses plus satisfaisantes selon Russel. Or ce n’est qu’une apparence. En réalité, les réponses sont incomplètes dans la mesure où elles sont, par opposition à l’opinion, infinies. Le sens n’est jamais épuisé, il donne à penser. A. Se libérer des habitudes est la condition pour éveiller sa pensée Russel ne prétend pas que la philosophie va lever les doutes qu’elle a suscités. La philosophie peut « tout de même » « suggérer des possibilités » qui vont accroître nos connaissances. La philosophie ne donne pas de réponses, mais en propose. La philosophie n’est pas une instance autoritaire qui impose ses réponses de manière finie, arrêtée, et c’est en cela qu’elle n’est pas dogmatique. Il s’agit d’abord pour elle de libérer de la « tyrannie des habitudes ». Le doute n’est pas une fin en soi mais une méthode pour élargir le champ de sa pensée. La philosophie ne peut se confondre avec le scepticisme. Pour exercer sa liberté de pensée, il faut d’abord se libérer. B. La philosophie accroît la connaissance d’une réalité possible « Tout en ébranlant notre certitude concernant la nature de ce qui nous entoure, elle accroît énormément notre connaissance d’une réalité possible et différente. » Avec la philosophie, notre connaissance augmente parce qu’elle ne porte plus seulement sur une réalité particulière (objet 126 LA RAISON ET LE RÉEL de l’opinion) mais sur une essence, quelque chose d’universel. En s’opposant ainsi au dogmatisme qui fige la compréhension des choses en préjugés, elle donne un regard nouveau aux choses et « garde intact notre sentiment d’émerveillement ». C. La philosophie comme étonnement CORRIGÉ PhilCor2004L,ES,S 26/08/03 18:04 Page 127 Le texte se termine par une nouvelle difficulté : grâce à un travail de rupture avec nos certitudes, la philosophie préserve une capacité à s’émerveiller, mais construit-elle ou retrouve-t-elle un sentiment déjà existant ? L’émerveillement est un mélange d’étonnement et d’admiration. S’émerveiller serait donc découvrir agréablement qu’une chose pourrait être différente de ce que l’on pensait. En ce sens, la philosophie consiste à retrouver ce qui, selon Aristote en Métaphysique, avait poussé les premiers penseurs aux spéculations philosophiques : l’étonnement. S’étonner, explique-t-il, consiste d’abord à s’apercevoir de son ignorance, c’est alors que l’on cherche à comprendre véritablement. Mais ce savoir, parce qu’il est né de l’étonnement, est recherché pour lui-même, il est une fin en soi. La philosophie n’est donc pas sujette à une fin extérieure : elle est libre. Conclusion Ainsi la philosophie est triplement l’expression d’une liberté : d’abord elle libère de la « tyrannie » des habitudes en bousculant les certitudes qui lui sont liées ; ensuite, elle suggère, sans imposer, une possibilité de penser autrement ; enfin, par l’étonnement qu’elle suscite, elle engage la recherche d’un savoir pour lui-même, libre de toute contrainte extérieure. ■ Ouvertures LECTURES – Aristote, Métaphysique, Vrin. – Bertrand Russel, Problèmes de philosophie, Payot, coll. « Petite Bibliothèque ». LA VÉRITÉ • SUJET 15 127