LES HONORAIRES DES AVOCATS FRANÇAIS ET L`ARTICLE 32
Transcription
LES HONORAIRES DES AVOCATS FRANÇAIS ET L`ARTICLE 32
LES HONORAIRES DES AVOCATS FRANÇAIS ET L’ARTICLE 32 DU RÈGLEMENT (CE) DU CONSEIL DU 22 DÉCEMBRE 2000 Joachim GRUBER * Dans une Europe où ni les critères pour déterminer le montant des honoraires des avocats, ni la procédure de recouvrement des honoraires ne sont harmonisés, l’exécution des décisions étrangères relatives aux honoraires se heurte fréquemment à certaines difficultés. Récemment encore, la Cour suprême allemande, le Bundesgerichtshof, a été saisie de la question de savoir si la décision prise par un bâtonnier français dans le cadre d’une procédure de contestation d’honoraires et ayant été déclarée exécutoire par le Président du Tribunal de Grande Instance doit être qualifiée de « décision » au sens de l’article 32 du Règlement (CE) du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Dans sa décision en date du 22 septembre 2005, le Bundesgerichtshof considère que 1 [traduit par l’auteur] : « Le demandeur, un avocat français, a été chargé par le défendeur de ses affaires en France. Le bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris, sur saisine du demandeur, a rendu, le 19 juin 2001, une décision fixant les honoraires à … FF (…). Cette décision a été rendue exécutoire par ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de Paris le 30 avril 2002. Le demandeur souhaite obtenir l’exequatur de cette décision par un tribunal allemand. * D.E.A Droit international privé et droit du commerce international (Paris I), Professeur à l’Université de Zwickau (Allemagne). Le Président de la chambre civile du Tribunal de Grande Instance allemand (Landgericht) a fait droit à cette demande. L’appel du défendeur devant la Cour d’appel allemande (Oberlandesgericht) étant resté sans succès, ce dernier a formé un pourvoi en cassation. (…) Vu ses articles 66 alinéa 2 lettre a et 76, le Règlement (CE) N° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 est applicable à la procédure d’exequatur. La notion de « décision » au sens du Règlement (CE) N° 44/2001 est définie dans l’article 32 de ce même Règlement. Or, selon la doctrine, l’article 32 doit être interprété 2 de façon autonome [Kropholler, Europäisches Zivilprozessrecht, 7 e éd., article 32 EuGVVO 3, n° 2] et la définition qu’il contient est, qui plus est, extrêmement large. Ainsi, il vise de manière expresse la fixation par le greffier du montant des frais du procès. En l’espèce, une telle fixation prend la forme de l’ordonnance du Président du TGI de Paris. Par ailleurs, il convient de souligner que, concernant l’article 25 de la Convention de Bruxelles, en substance identique, il est d’ores et déjà admis en doctrine comme en jurisprudence, que l’ordonnance d’exécution du Président du TGI relative aux honoraires RDAI / IBLJ, N° 1, 2007 69 LES HONORAIRES DES AVOCATS FRANÇAIS ET L’ARTICLE 32 d’un avocat français, a la nature d’une décision judiciaire [dans le même sens OLG München, IPRspr. 1992, n° 223 ; LG Karlsruhe, IPRax 1992, p. 92 et s ; Reinmüller, IPRax 1987, p. 10 et s ; 1989, p. 142 et s ; 1992, p. 73, 74 ; Hök, JurBüro 1989, p. 1333, 1335 ; Schmidt, RIW 1991, p. 626, 628 ; du même auteur, Die internationale Durchsetzung von Rechtsanwaltshonoraren, thèse Münster 1990 p. 100 ; Gruber, VersRAI 2004, p. 30, 32 ; MünchKomm-ZPO/ Gottwald, 2 e éd., article 25 EuGVÜ, n° 12 ; cf. aussi OLG Koblenz, IPRax 1987, p. 24, 25]. Cette analyse trouve aussi à s’appliquer pour l’ar ticle 32 du Règlement (CE) du Conseil du 22 décembre 2000 [Kropholler, préc. cit., ar ticle 32, EuGVVO, n° 9 ; Zöller/Geimer, ZPO, 25 e éd., ar ticle 32 EuGVVO, n° 3 ; MünchKomm-ZPO/Gottwald, 2 e éd. de la mise à jour (Aktualisierungsband), article 32 EuGVVO, n° 1 ; Schlosser, EU-Zivilprozessrecht, 2 e éd., ar ticle 32 EuGVVO, n° 4 ; Baumbach/Lauterbach/ Albers/Hartmann, ZPO, 63 e éd., article 32 EuGVVO, n° 1 ; Rauscher/Leible, Europäisches Zivilprozessrecht, ar ticle 32 EuGVVO, n° 9 ; Nagel/Gottwald, Internationales Zivilprozessrecht, 5 e éd., § 12 n° 27] 4. Dans sa décision en date du 31 août 1987 (IPRax 1989, p. 162, obs. Reinmüller, IPRax 1989, p. 142 et s ; Hök, préc. cit., p. 1334 ; Schmidt, op. cit., p. 98 et s ; Schmidt, RIW 1991, p. 626, 628), citée par le pourvoi en cassation, le Landgericht de Hambourg a certes rejeté la requête en exequatur, mais commis une erreur dans l’hypothèse de départ en supposant l’ordonnance d’exécution du Président du TGI être l’exequatur d’une décision étrangère. Dans une autre affaire, le Oberlandesgericht de Düsseldorf a, quant à lui, dans sa décision du 23 août 1995 (IPRax 1996, p. 415), refusé de se prononcer sur la nature de l’ordonnance d’exécution d’un juge hollandais, prise sur le fondement de l’article 32 de la Loi Tarifaire 70 hollandaise, et, notamment, sur sa qualification de décision au sens de l’article 25 de la Convention de Bruxelles (en ce sens par exemple LG Hambourg, IPRspr. 1978, n° 165 ; Rauscher/Leible, préc. cit. ; Schmidt, thèse précitée p. 97 et RIW 1991, p. 626, 628). Selon Monsieur Hüßtege (ZPO, 26 e éd., édité par MM. Thomas et Putzo, article 32, EuGVVO, n° 7) l’ordonnance du Président du TGI relative aux honoraires d’un avocat n’est pas prise dans le cadre d’une procédure judiciaire et, en conséquence, ne tombe pas sous le coup de l’article 32 du Règlement (CE) du Conseil du 22 décembre 2000. Une telle analyse ne peut s’appliquer au droit français selon les constatations de la Cour d’appel (…) ». Note : Le Bundesgerichtshof vient, par sa décision du 22 septembre 2005, confirmer la jurisprudence des cours inférieures. Les décisions d’un bâtonnier français en matière de contestation d’honoraires et déclarées exécutoires par le Président du TGI, doivent être qualifiées de décisions au sens de l’ar ticle 32 du Règlement (CE) du Conseil du 22 décembre 2000 5. Ces décisions sont par là même exécutoires en Allemagne par application de ce Règlement 6. Dans son analyse, le Bundesgerichtshof se réfère, notamment, à l’analyse de Monsieur Hüßtege. Selon cet auteur, la déclaration d’exécution des honoraires d’un avocat français ou hollandais n’entre pas dans le champ de l’article 32 du Règlement (CE) du Conseil du 22 décembre 2000. En tant que preuve, l’auteur se réfère à une décision concernant le droit hollandais. Toutefois, cette question ne pouvait pas être soumise à l’examen du Bundesgerichtshof en raison de l’effet obligatoire de la décision de la Cour d’appel allemande sur toutes les questions concernant un droit étranger ( cf. article 576 alinéa 1 du Code allemand de procédure civile – Zivilprozessordnung). Le bien-fondé de l’argumentation de Monsieur Hüßtege mér ite DU RÈGLEMENT (CE) DU CONSEIL DU 22 DÉCEMBRE 2000 néanmoins d’être vérifié. Or, il apparaît alors que cette analyse ne saurait tenir au regard du droit français. En effet, lors de la procédure devant le bâtonnier 7, les deux parties sont auditionnées et la procédure de contestation des honoraires respecte, par conséquent, le principe du contradictoire, remplissant ainsi les conditions de forme d’une procédure judiciaire. A défaut d’existence de barèmes obligatoires pour la fixation des honoraires de plaidoirie et de consultation, la procédure de fixation des honoraires en France est loin d’être aisée. En raison des pouvoirs dévolus au bâtonnier, il paraît naturel que celui-ci prenne position en priorité et qu’ensuite seulement le juge intervienne. Déclarant exécutoire la décision du bâtonnier, le Président du Tribunal de Grande Instance fait sienne la décision du bâtonnier et sa décision doit, par conséquent, se voir qualifiée de « décision » au sens de l’article 32 du Règlement (CE) du Conseil du 22 décembre 2000. Notes 1. Numéro de référence IX ZB 7/04, publié sur Internet sous www.bundesgerichtshof.de 2. Sur ce point voir aussi Joachim Gruber, L’action en comblement de passif et l’article 1er, alinéa 2 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, Les Petites Affiches 1995, N° 52, pp. 4 et s. 3. EuGVVO = Règlement (CE) du Conseil du 22 décembre 2000. 4. Explication des abréviations utilisées par le Bundesgerichtshof : IPRspr. = Die deutsche Rechtsprechung auf dem Gebiete des internationalen Privatrechts (recueil de jurisprudence) ; IPRax = Praxis des Internationalen Privat-und Verfahrensrechts ; JurBüro = Das Juristische Büro ; RIW = Recht der Internationalen Wirtschaft ; VersRAI = Versicherungsrecht, Beilage Ausland (revues juridiques). 5. Voir aussi Tribunal Grande Instance Bruxelles, 17 septembre 1980, Gaz. Pal. 1981.1.Somm. 78. 6. Voir aussi Jacques Laborde, Exequatur d’une décision du bâtonnier en matière de recouvrement d’honoraires en R.F.A., Gaz. Pal., 6 juin 1991, chron. Pour l’hypothèse inverse (recouvrement des honoraires d’un avocat allemand en France) voir Cour d’appel de Douai, 8 e ch., 7 octobre 1982, Cass. civ., 1re ch., 28 février 1984, Rev. crit. dr. int. privé 1985, 131, note E. Mezger. 7. Article 175 Décret n° 91-1197. 71