L`homme n`est il qu`un être naturel?

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L'HOMME N'EST IL QU'UN
ÊTRE NATUREL?
N'EST ON MORAL QUE
PAR INTÉRÊT?
QU'EST CE QU'UNE
CRISE?
QUI PARLE LORSQUE JE
DIS "JE"?
RAISON ET ILLUSION
ANTHROPOLOGIE
Sujet : L’homme n’est-il qu’un être naturel comme les autres ?
Introduction :
En parlant couramment de l’espèce humaine, on rattache l’homme à l’ensemble des êtres vivants.
En tant qu’être vivant, j’appartiens à cette réalité, qu’on appelle nature : je suis un existant parmi les existants qui entretiennent entre eux une infinité de
rapports : et c’est au travers de cette infinité de rapports que chaque existant possède des caractères qui lui sont propres, par exemple pour les êtres vivants
un patrimoine génétique.
Mais, avec l’être humain, quelque chose de nouveau se produit : Non seulement l’homme comme tout être vivant est en rapport avec les choses mais
en même temps il sait qu’il est en rapport avec autre chose que soi : les rapports avec les autres existants qui constituent sa vie existent « pour lui »; il
n’existe qu’autant qu’il est « différent » d’eux ; c’est cette différence qui conduit de la vie (commune à tous les êtres vivants) à l’existence, propre à l’être
humain.
En même temps qu’on reconnaît l’appartenance de l’homme à la nature, on est conduit à exprimer cette restriction : - L’homme n’est-il qu’un être
naturel ?
C’est ainsi que la question est posée par la réflexion philosophique de Platon à Kant et, sans doute jusqu’à nos jours: Pour comprendre le rapport original
de l’homme à la nature, il semble qu’on soit conduit à chercher l’essence humaine « hors de » la nature.
Mais peut-on en rester là ? Quand se développe la connaissance du vivant, depuis la théorie de l’évolution jusqu’aux progrès actuels de la génétique et de
la neurophysiologie, la question : -qu’est-ce que l’homme ? entre dans le domaine de la connaissance et devient objet d’une science : l’anthropologie.
Le rapport spécifique à la réalité, qui constitue l’essence de l’être humain, ne peut être cherché ailleurs que dans la continuité de l’évolution, sur
la base des recherches et des résultats de l’anthropologie : l’homme est d’abord un être naturel.
La question que nous devons alors poser à l’anthropologie scientifique doit être formulée ainsi : - L’homme n’ est-il qu’un être naturelcomme les autres ?
A la fin du compte, si la philosophie réflexive ne peut définir l’essence humaine sans faire appel à une transcendance qui ne relève pas de la nature ; si
l’anthropologie scientifique doit conduire à un matérialisme biologique qui réduit l’homme à n’être qu’un être naturel, ne faut-il pas ouvrir la voie à une
anthropologie philosophique qui se donne pour tâche de comprendre l’essence humaine comme un processus historique, qui serait celui de la genèse et du
développement de l’individualité humaine ?
Empruntons Ie chemin de la réflexion philosophique pour tenter de répondre à la question : L’homme n’est-il qu’un être naturel ?
Dès l’acte de naissance de la philosophie, la question de la connaissance de l’homme se situe au cœur de la réflexion. Lorsqu’il s’agit pour un penseur
comme Platon, avec l’avènement de la Cité, de comprendre l’ordre du monde, ce n’est pas, comme le pensaient les « physiologues », de la nature
(« physis ») qu’il faut partir, mais de ce rapport privilégié de l’homme avec le réel qui se présente sous la forme d’un langage ; - ce « logos » qui, à travers
les mots du discours, donne accès au « sens », à la signification des choses ; c’est alors que le philosophe fait cette découverte étonnante : la vraie réalité,
ce n’est pas le monde tel qu’il nous apparaît à travers nos sens, mais bien ces « Idées », telles les notions mathématiques, qui sont comme des formes
immuables sans lesquelles on ne saurait comprendre que la réalité se présente comme un « monde » : un « ordre » intelligible pour l’homme. Mais, dès
lors, ce qui permet à l’homme, explique Platon, d’avoir affaire à des réalités « idéales » ( telles que sont, sans parler des valeurs morales, les objets de la
connaissance), ce ne peut être qu’une essence idéale, qu’on appelle l’âme. Et, il faut aller plus loin : Si les idées sont éternelles, immuables,
impérissables, il faut admettre que l’âme qui les connaît, est elle-même, d’une certaine façon, « immortelle ».
La réflexion sur le rapport original de l’homme avec le réel ( qui, par la médiation des idées, se présente sous la forme d’un monde) conduit à
reconnaître que l’essence de l’homme est « hors de » de la nature, transcendante à l’existence puisqu’elle échappe à la mortalité.
La difficulté est de penser l’unité de l’homme. Dans le Phédon, qui décrit les derniers jours et les dernières conversations de Socrate, Platon explique
que le philosophe ne craint pas la mort parce que, en exerçant la pensée, en compagnie des idées, il s’est habitué à considérer le corps comme une entrave.
Ne faut-il pas reconnaître que l’âme, spirituelle et immortelle, est prisonnière d’un corps (sôma), qui est pour elle comme un sépulcre (un tombeau :
sêma) ?
Le Christianisme, dans des conditions historiques bien différentes, empruntera ces notions à la philosophie. L’idée de « création »de l’univers par un
Dieu unique et tout puissant reprend l’idée de l’incarnation de l’âme dans un corps, dont elle devient prisonnière par le péché. L’homme doit être compris
à partir du dualisme de l’âme et du corps et de son rapport à Dieu.
C’est Aristote qui, le premier, met en cause l’«idéalisme » de Platon : pour lui, qui croit comme Platon au caractère immuable des idées générales, l’erreur
de Platon, c’est d’avoir conçu l’idée comme une réalité “existante” en elle-même, de sorte que la réalité n’est plus qu’“une matière” “ a-morphe ”(sans
forme), in-déterminée ( apeiron) : tout le problème -insoluble- devient alors de savoir comment l’être peut “ recevoir ” une détermination, une forme. En
“réalisant ” les idées, en en faisant des “ formes” séparées, Platon s’est condamné à ne comprendre ni l’être concret ni la connaissance.
Au contraire, si l’on adopte une position “ réaliste ”, il faut commencer par reconnaître que l’être est toujours pour nous tel ou tel être particulier ;
l’existence ne peut être dite que d’une chose concrète, singulière. Le général est dans le particulier, les idées, loin de constituer un monde idéal séparé du
monde sensible, sont dans les choses concrètes. La réalité concrète est l’union de la forme et de la matière.
Ce sont les sciences naturelles, (à cette époque énorme travail de classification des espèces animales et végétales) quipermettent à Aristote de penser cette
union du général et du particulier dans la chose concrète, singulière ;lorsqu'on classe les êtres vivants par espèces et par genres, on considère que
l'individu porte en lui les caractères généraux de l'espèce. Quand on réfléchit à la démarche logique de la pensée, on peut faire le même constat :
L'espèce “homme” appartenant au “genre” mortel et l'individu Socrate appartenant à l'espèce “homme”, on peut conclure que nécessairement Socrate est
mortel. Cela signifie que les caractères généraux de l'espèce homme (l'idée ou la forme humaine) sont dans l'individu Socrate.
L’homme est cet être concret constitué par l’union substantielle de l’âme (qui est la forme) et du corps (qui est comme une matière). Le corps n’est pas
simplement matière, il est en “ acte ” union avec l’âme ; et l’âme n’est pas non plus un être complet : elle est inclination vers le corps, de sorte qu’en
l’homme – en chaque individu concret – ils sont inséparables.
Aristote restitue ainsi l’unité de l’homme, mais c’est au sein d’un univers où chaque chose concrète est composée d’une forme et d’une matière,
qui lui assigne sa place et sa fin dans l’ordre du monde.
La question de savoir d’où vient à chaque chose la forme qui constitue son être, est résolue par la philosophe scolastique du Moyen âge grâce à la
doctrine de la Création. Le monde est cet univers créé par Dieu où chaque être a sa place au sein d’une hiérarchie, déterminée par les rapports de la forme
et de la matière qui constituent son être concret.
L’homme est un animal raisonnable que Dieu a situé dans l’univers de sa création entre la bête et l’ange.
Au XVII°siècle, c’est l’application de la géométrie aux phénomènes physiques et le développement d’une physique mathématique qui oblige Descartes à
mettre en cause la conception aristotélitienne d’un univers composé de « formes substantielles », pour penser le monde comme une nature définie par
l’étendue, géométriquement analysable. La théorie des animaux machines est le corollaire du mécanisme de la nature appliqué au vivant. Dès lors,
l’homme ne peut plus être compris comme un animal raisonnable dont la nature est déterminée par sa place dans la hiérarchie des êtres, mais comme un
être qui tient toute sa dignité de l’exercice de la raison. Alors même qu’il appartient par son corps au mécanisme de la nature, son essence est constituée
par la seule pensée comme faculté de connaître l’univers et la nature des choses.
La « distinction réelle » que Descartes établit entre la pensée et l’étendue pour fonder cette nouvelle conception mécaniste de l’univers et cette nouvelle
idée de l’homme a pour corollaire le dualisme de l’âme et du corps.On sait comment Descartes résout la difficulté, en reprenant l’idée de forme
substantielle qu’il a justement contestée: Alors que pensée et étendue sont « réellement »distinctes comme deux substances, il faut admettre qu’en l’homme
l’âme et le corps sont « réellement » unis comme une substance : union de fait, incompréhensible pour notre entendement ; mais l’argument ontologique a
montré que Dieu ne pouvait me tromper. C’est Dieu qui seul peut expliquer cette union , parce qu’il m’a créé ainsi et sa « véracité » la garantit.
La réflexion de Descartes sur la connaissance laisse en suspens l’interrogation sur l’homme.
C’est avec Kant que la question : Qu'est-ce que l'homme ? est posée sous la forme « anthropologique », qui nous est soumise aujourd’hui encore:
-Comment l'homme peut-il être à la fois cet "être empirique" (dont la vie concrète semble pouvoir s'expliquer comme n'importe quel phénomène donné
dans l'expérience) et cet être qui échappe à la nature, la "transcende" par l'affirmation de son "autonomie", la capacité de se déterminer lui-même selon
une loi valable pour tous les hommes, autrement dit : un être qui affirme son humanité comme une valeur "universelle"? Seule la moralité, qui implique
la liberté de l’homme, atteste que cet être, qui appartient à la nature, en même temps la dépasse.
A partir de Kant, c’est la transcendance, dont témoigne la conduite morale de l’homme, qui constitue pour la philosophie, la véritable réponse à toute
tentative- ou toute tentation – de ne voir en l’homme qu’un être naturel.
Face à l’immense progrès des neuro-sciences qui prétendent apporter les preuves scientifiques que le processus de la pensée, qui constitue le caractère
spécifique de l’humain, n’est rien d’autre que le fonctionnement du système neuronal, la philosophie moderne fait retour à Kant.
C’est Luc Ferry qui, dans « La Sagesse des Modernes », pose ainsi la question :
« A quoi peut servir la philosophie contemporaine ? » Et voici la réponse :
« La direction est marquée depuis les Grecs, qui est celle de la sagesse. Que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis d’espérer ? Ces
trois questions convergent vers une quatrième, qui n’est pas « Qu’est-ce que l’homme ? », mais « Comment vivre ? ». L’éthique, non l’anthropologie
prime. »
Autrement dit clairement, la philosophie doit renoncer à répondre à la question : Qu’est-ce que l’homme ? en constituant une anthropologie, sous peine de
donner raison au matérialisme des biologistes. La philosophie des modernes ne peut être qu’une sagesse qui apprenne aux hommes comment
vivre : « vivre mieux, d’une vie plus raisonnable, plus lucide, plus libre, plus heureuse… », ce qu’on appelle une éthique.
Mais, sur quoi fonder l’éthique en l’absence d’un dieu qui révèle la vérité, garantisse les valeurs et dicte la Loi, sinon sur une nouvelle idée de
l’homme qui détienne en lui cette transcendance, qu’on attribuait à Dieu ?
« L’humanisme que je désigne ici comme transcendantal, écrit Luc Ferry, est la position « hors nature » du propre de l’homme. « Hors nature », c’est à
dire, aussi, hors des déterminismes qui régissent les phénomènes naturels. C’est affirmer le mystère au cœur de l’être humain, sa capacité à s’affranchir
du mécanisme qui règne sans partage dans le monde non humain et permet à la science de le prévoir et de le connaître sans fin. Cela se lit, chez Rousseau
et Kant, dans la définition qu’ils donnent de la liberté humaine : une faculté insondable de s’opposer à la logique, implacable pour l’animal, des
« penchants naturels ». …C’est là, enfin, ce que réaffirment à leur façon Heidegger, Levinas et Arendt, lorsqu’ils définissent l’humanitas de l’homme en
termes de « transcendance » ou d’ « ek-sistence » : d’aptitude à s’élever au-delà des déterminations « ontiques » ou « intra-mondaines » pour pénétrer le
domaine sacré de la « vie avec la pensée ».
Luc Ferry pose lui-même la question pour y répondre :
« En quel sens l’humanisme moderne est-il l’héritier de la religion chrétienne ?
Si l’homme est cet être vivant capable de « sacrifier » sa vie, observant que le latin « sacer » (sacré) est l’étymologie du mot sacrifice, cela veut dire qu’il
y a en l’homme quelque chose de sacré. Luc Ferry écrit : « L’Homme-Dieu ».
« En un mot, il s’agit d’une problématique religieuse sécularisée..
L’attachement aux valeurs transcendant radicalement le monde des simples objets, parce qu’elles sont d’un autre ordre, implique une résistance au
matérialisme, une aspiration à une spiritualité enfin authentique… C’est aujourd’hui sur une base humaine qu’elle réinstaure la catégorie religieuse de
l’Au-Delà de la vie humaine. Transcendance, donc, dans l’immanence à soi, mais néanmoins transcendance radicale au regard du matérialisme. »
La philosophie avoue ainsi son impuissance à répondre à la question :-qu’est-ce que l’homme. L’éthique, fondée sur l’autonomie de l’homme, témoigne
contre le matérialisme que l’essence de l’homme ne peut être comprise à travers l’émergence et l’évolution de la vie.
C’est au matérialisme qu’il faut maintenant poser la question :
N’est-il pas possible de comprendre l’essence de l’homme comme une différence « spécifique » sans le réduire à n’être qu’un être naturel ?
L’anthropologie scientifique nous permet-elle de comprendre que l’homme n’est qu’un être naturel qui n’est pas comme les autres ?
Les progrès actuels des sciences : de la génétique et des neurosciences, et les résultats de l’anthropologie donnent au matérialisme scientifique un nouveau
contenu, et, peut-être en même temps, ses preuves.
- Dès le moment où la biogénétiquepermet de comprendre ce qui distingue l’espèce humaine des espèces animales comme une simple différence, un cas
particulier de la diversité biogénétique du vivant, rien n’interdit de concevoir l’apparition de l’espèce humaine comme un moment, voire un accident de
l’évolution.
- Dès le moment où l’anthropologie, à partir des découvertes de la paléontologie, s’appuyant sur la neurophysiologie, montre comment le passage dans
l’humain est inséparable du processus de corticalisation, rien n’interdit de concevoir l’essence humaine comme le résultat d’un processus d’hominisation.
C’est l’anthropologie qui doit nous permettre de mettre à l’épreuve cette conviction matérialiste.
Leroi-Gourhan , dans le tome I du « Geste et la Parole », montre comment la station debout, qui détermine la libération de la main de ses fonctions de
motricité et la face de ses fonctions de préhension, a rendu possible l’organisation cérébrale de la liaison main-face, permettant le développement de l’outil
( pour la main ) et du langage (pour la face ) : ainsi s’établit au niveau du cortex le lien entre les organes de la motricité manuelle et ceux de la phonation,
qui va permettre le progrès conjugué du geste et de la parole, moteur, à son tour, du développement cérébral.
« L’homme n’est pas un miracle spirituel, écrit Leroi-Gourhan, où le « mental » viendrait se greffer à l’animal : les caractères anatomiques de l’Hominien,
l’économie générale de son système mécanique et moteur sont appelés très tôt à être des éléments spécifiques de l’humain, résultant de transformations,
dont l’essentiel doit être compris à partir de la dynamique du squelette, suivant une ligne d’évolution qui s’enracine très loin dans le passé. L’acquisition
de la station verticale est « une des solutions données à un problème biologique aussi ancien que les vertébrés eux-mêmes », qui s’inscrit dans la série des
vivants comme terme logique de leur évolution. »
Dès lors, ne peut-on comprendre l’apparition de l’homme comme un stade déterminé du développement du vivant correspondant à une filière spécifique,
qui s’est à un moment donné distinguée de celle des anthropoïdes supérieurs ?
Le passage dans l’humain, qui mène du Zinjanthrope au Néanthrope, est celui de la corticalisation qui s’effectue au cours de la lente évolution des
techniques de taille des outils ; l’évolution s’accomplit encore au rythme d’ «une dérive génétique ».
Et voici, sous forme d’hypothèse, l’explication du passage dans l’humain qui correspond au développement d’une pensée réfléchie :
« Tout se passe comme si, écrit Leroi-Gourhan, le développement croissant des territoires frontaux et préfrontaux entraînait une faculté de symbolisation
toujours plus grande »
Pour Leroi-Gourhan, le passage d’une symbolisation concrète, où les signes adhèrent encore aux gestes, à « une intellectualité réfléchie, qui peut projeter
vers l’extérieur un schéma symbolique », s’expliquerait par le développement cortical, au stade dernier d’évolution des Anthropiens.
C’est ainsi que « naturellement » se produirait au terme de l’évolution du vivant le bond dans l’humain.
Quand l’anthropologie décrit l’avènement de l’homme comme un long processus d’hominisation, qui s’accomplit d’abord au rythme d’ «une dérive
génétique » pour franchir un pas décisif avec l’invention de l’outil et du langage, les différences biologiques qui accompagnent ce procès, pour
considérables qu'elles soient -telle l'ampleur du cerveau frontal-, sont-elles capables de rendre compte du changement radical que constitue l’apparition
d’une pensée réfléchie ?
Tout le monde s’accorde à reconnaître qu’à la fin du paléolithique moyen et dés le début du paléolithique supérieur, explique un anthropologue , entre 40
et 30.000 ans Av.J.C., comme si « le cortex et le silex » s’étaient prêtés main forte, le bond se produit., à tel point que certains n’hésitent pas à parler d’un
« big bang socio-culturel » : « Par rapport au moustérien, avec la culture aurignacienne, tout est différent : De nouvelles techniques pour travailler la
pierre, l’os, les bois de cervidés, et l’ivoire, de nouvelles structures sociales, des échanges de matières premières sur de longues distances, un grand
nombre de représentations peintes, gravées ou sculptées, et une abondance de peintures corporelles. Une véritable révolution socio-symbolique. »
Dès lors, s’il est vrai que le passage dans l’humain ne peut se comprendre que dans la continuité de l’évolution de la vie, ne faut-il pas reconnaître qu’il y
a un moment où « la poursuite de l’évolution du vivant a lieu par d’autres moyens que la vie » ?
Ce que la philosophie attend de l’anthropologie, c’est qu’elle lui permette de comprendre l’émergence de la conscience ou, bien plutôt, de découvrir « la
différence », qui marque l’avènement de l’homme.
Après les résultats de l’anthropologie scientifique, le problème reste entier :
Comment l’humain peut-il émerger du biologique, comment l’histoire de l’espèce humaine peut-elle rompre avec l’histoire de la vie, comment la
genèse de l’homme peut-elle le libérer du génétique ? Enfin, à quel moment apparaît la différence spécifique, par quoi l’homme se distingue des
autres vivants ?
La réflexion de Derrida et de son école est sans doute le dernier mot de la philosophie pour éclairer l ‘énigme :
La différence : ce « supplément »qui distingue radicalement l’homme de l’animal, dont on cherche àsituer l’origine, doit s’écrire avec le « a » d’un
participe présent : «différ ance » ,pour signifier qu’il s’agit d’un processus dont il est vain de vouloir découvrir l’origine. Comment peut-on prétendre
« penser » l’origine de l’homme alors que l’histoire– le temps humain- ne commence qu’avec l’avènement de l’homme et l’émergence de la pensée?
Conclusion :
Cette étape anthropologique doit nous permettre de rompre d’emblée avec la réflexion philosophique, comme le fait Marx dans « L’idéologie allemande »
pour répondre à la question de « l’essence humaine ».
« Les hommes « eux-mêmes, écrivait Marx, commencent à se distinguer des animaux, dès qu’ils commencent à produire leurs moyens d’existence, pas
avant qui est la conséquence même de leur organisation corporelle. En produisant leurs moyens d’existence, les hommes produisent indirectement leur vie
matérielle elle-même. »
Autrement dit, le processus évolutif de « l’organisation corporelle » s’est développé jusqu’à ce que les hommes se distinguent « eux-mêmes » des animaux
en produisant leurs moyens d’existence : Le bond que l’on constate à un moment donné, préparé par une longue évolution corporelle, loin d’être inscrit
dans un patrimoine génétique, qui marquerait l’avènement d’une nouvelle espèce vivante, est « produit » par les individus lorsqu’ils commencent à
produire socialement leurs moyens d’existence. Il s’agit d’un véritable renversement du rapport entre les individus et l’espèce : Là où, dans le règne
animal, l’individu est tout entier défini par son appartenance à l’espèce, ce sont maintenant les rapports des individus entre eux qui déterminent
l’apparition et le développement d’une nouvelle espèce.
Peut-être n’est-on pas encore en mesure de comprendre en quoi consiste l’essence – le caractère « spécifique »- de l’individualité proprement humaine,
mais il semble clair qu’elle ne réside pas dans l’individu comme une marque distinctive, ni à la façon d’un patrimoine génétique, ni sous la forme d’un
principe spirituel, mais dans les rapports que les hommes nouent entre eux dans « la production de leur vie matérielle ».
« L’essence humaine, n’est pas une abstraction inhérente à l’individu isolé. Dans sa réalité, elle est l’ensemble des rapports sociaux. »
Quand MARX écrit ainsi que l'essence humaine n'est pas une abstraction inhérente à l'individu singulier, cela signifie que l'essence humaine, loin de
"s'identifier" avec l'idée abstraite d'individu, est l'ensemble des propriétés distinctives de l'être humain tel qu'il s'est réellement constitué et tel qu'il s'est
réellement développé à tel moment de l'histoire humaine.
Mais, par cette thèse, n’est-on pas condamné à faire de l’homme le produit des « circonstances », de l’individu le produit des conditions sociales ?
Là prend place l'analyse de l'hominisation, poursuivie par Leroi-Gourhan qui dépasse le matérialisme biologique, tel que nous l’avons exposé : Avec la
fabrication de l’outil et l’élaboration d’un langage, qui semblent d’abord n’être que la simple matérialisation des capacités psychiques préalables de
l’individu humain, quelque chose d’ « essentiel » commence à se déplacer ; l’expérience nouvelle, qui est celle de l’humanité, commence à s’accumuler
« en dehors des individus » ; dans leurs rapports avec la nature et entre eux-mêmes, le passé évolutif de l'espèce a commencé à se stocker non dans
l'organisme sous la forme de modifications génétiques, mais au dehors, sous la forme, de plus en plus rapidement cumulative, d'un monde social -objets,
langages, pratiques, institutions- émancipé en sa croissance des limites de l'organisme individuel. Toute l'évolution humaine, écrit Leroi-Gourhan, concourt
à placer en dehors de l'homme ce qui, dans le reste du monde animal répond à l'adaptation spécifique. »
Cela signifie que les capacités des hommes ne sont pas « en eux », ni comme un patrimoine biologique, ni comme des capacités psychiques qui leur
appartiendraient en propre, indépendamment de toute pratique sociale et préalablement à toute production matérielle, mais sont d’abord matérialisées hors
d’eux-mêmes dans des techniques (un savoir-faire) et dans un savoir ( un langage et une culture), de sorte qu’elles peuvent être transmises de génération en
génération comme un patrimoine social, comme un héritage
Le propre du développement de l'humanité, c'est en produisant ses conditions d'existence, de produire avec la nature et entre les hommes une infinité de
rapports sociaux, qui vont des rapports de travail -déterminants dans la structure des vies individuelles- aux rapports familiaux, aux relations de couple,
aux rapports scolaires, aux rapports juridiques et politiques, aux rapports entre les peuples ...C'est cet ensemble de rapports, dont le développement est
potentiellement illimité, qui constitue la base concrète, à partir de laquelle non seulement les générations mais en premier lieu les individus des
générations successives, peuvent s'humaniser.
C'est parce que l'individu est de part en part un être social qu'un champ -potentiellement illimité- s'ouvre à son individuation.
Marx écrivait : “ L'homme est, au sens le plus littéral, un Zoon politikon, non seulement un animal sociable mais un animal qui ne peut se constituer
comme individu singulier que dans la société . ”
Loin qu'on puisse opposer l'individualité singulière au milieu social, il est clair que "l'être humain" ne s'individualise qu'en se socialisant.
Concluons provisoirement :
L'essence humaine ne se confond ni avec une nature ni avec l'idée que les individus ont d'eux-mêmes : elle est le processus en cours -jamais
achevé- d'une individuation.
La production matérielle de la vie, - parce qu’elle est objective ( objectivée dans la production d’objets, où le savoir est matérialisé )- constitue la base du
développement historique par lequel l’humanité se produit elle-même . Aujourd’hui, comme hier, les hommes doivent « produire » leur vie matérielle ;
mais, si par « hommes », on entend désigner non plus l’humanité mais les individus à un moment quelconque de l’histoire de l’humanité, produire leur
existence matérielle, c’est « commencer » par se réapproprier le patrimoine social transmis comme un héritage par les générations antérieures. A travers
la succession des générations le développement de l’« humanité », au cours de l’évolution des sociétés humaines, repose sur ce processus de
réappropriation : N’est-ce pas dire que l’humanisation des individus est le secret du devenir de l’humanité ?
Ainsi s’éclaire la formulation de Marx, qui est la base de l’anthropologie matérialiste : “ l’histoire sociale des hommes n’est jamais que l’histoire de leur
développement individuel”.
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