Comprendre/interpréter/"Débat d`interprétation"

Transcription

Comprendre/interpréter/"Débat d`interprétation"
L’interprétation (essai de clarification conceptuelle)
1- Comprendre :
Expliciter le sens d'un texte, c'est à dire élucider ce que dit le texte.
Comment ? Ne pas se contenter d'une compréhension littérale où l'enfant comprend chacun
des mots du texte et que l'on peut définir comme la capacité à comprendre une histoire et à la
reformuler. Il faut aussi que l'élève soit capable de faire des inférences et de comprendre
l'implicite d'un texte. On parle alors de compréhension fine. Mais pour faire des inférences,
c'est-à-dire déduire ou induire des informations complémentaires à ce qui est explicite dans le
texte, il faut combiner ces deux niveaux de compréhension. Comprendre une histoire, c'est
être capable de dire quels sont les personnages, quelles sont leurs relations, savoir pour
chacun d'eux, quel est son but, sa quête, et comment se déroule sa quête. C'est donc être
capable de résumer l'intrigue. C'est enfin être capable de retrouver les informations implicites
et d'en saisir la portée symbolique. (Cette compétence est à adapter à l'âge de l'élève et selon
différentes modalités. Pour cela on se reportera aux Programmes)
2- Interpréter 1:
Chaque lecteur va prendre parti sur ce que dit le texte.
On quitte le terrain du "sens premier" pour ceux du (des) sens second(s), de la construction du
sens, des intentions et des effets de sens. Si la compréhension s'attache à une saisie globale du
sens, l'interprétation ouvre sur une pluralité de sens possibles. Le texte comporte des blancs,
des énigmes, ouvre des choix, invite à élaborer des hypothèses de compréhension, il est
polysémique c'est-à-dire qu'il n'y a pas qu'un seul sens possible à l'histoire par exemple. On
parle alors de textes "résistants" qui sont de deux sortes. "Réticents"2, ils présentent des
obstacles à la compréhension. "Proliférants"3, ils sont ouverts à différentes interprétations
possibles. Ce qui peut entraîner un "conflit d'interprétations" qui oblige à en débattre. On
parle alors de débat d’interprétation.
3- Le débat interprétatif :
Les élèves partagent leurs lectures de l'histoire dans la tolérance en apportant des preuves de
ce qu'ils disent en revenant au texte ou en s'appuyant sur la culture de chacun que le maître
prendra soin d'alimenter par ailleurs (lectures faites par le maître, lecture en réseaux,
documentations...). Dans le débat interprétatif, chaque enfant doit pouvoir trouver l'occasion
de nourrir sa propre interprétation de celle de l'autre.
Mais attention il y a débat et débat :
Un texte littéraire est ouvert (autorise différentes lectures) jusqu'à un certain point. Il ne faut
pas laisser croire aux élèves que l'on peut faire dire n'importe quoi aux textes. Les problèmes
de compréhension n'ont qu'une solution. Le contresens doit donc être sanctionné. Que les
élèves délibèrent oralement sur le sens du texte pour le comprendre ne constitue donc pas un
débat d'interprétation. Il n'y a de débat interprétatif que si et seulement si le texte invite à des
hypothèses de compréhension divergentes qui nécessitent la discussion. Le maître distribue
alors la parole, n'impose pas sa propre interprétation, mais il n'autorise pas non plus le "délire
interprétatif" qui va à l'encontre du sens de l'histoire.4
1
Pour une approche plus théoriques de ces concepts, on se reportera à l'Introduction : "Des lectures
polyphoniques" du livre Les chemins de la littérature au cycle 3 (dir. M.L. Gion), Argos démarches, SCERENCRDP de Créteil, 2003, pp. 13-25.
2
Les textes réticents par leur silence volontaire, empêchent de résumer l’intrigue. Ils en disent moins que
ce qu’ils pourraient en dire. Ils laissent volontairement subsister des trous.
3
Les textes proliférants sont des textes ouverts, présentant de nombreux éléments potentiellement
polysémiques, des indices pouvant entrer dans plusieurs réseaux et donc diversement interprétables.
(C.Tauveron, Repères p. 20)
4
Il faut donc être attentif à la pertinence du débat car, comme le remarque C. Tauveron :"En invitant à
ouvrir massivement le "débat interprétatif" dans les classes, les textes officiels peuvent laisser penser que
Bruno Chevaillier, professeur de philosophie à l’IUFM d’Orléans-Tours, site d’Orléans.
1
[email protected]
La philo à l'école
http://www.orleans-tours.iufm.fr/ressources/ucfr/philo/chevaillier/chevaillier1.htm
4-Comprendre/interpréter : un rapport dialectique
Deux processus complémentaires :
Interprétation et compréhension sont intimement liées dans le processus de lecture.
"L'interprétation guide et nourrit la compréhension, elle éclaire certains points qui n'avaient
pas été saisis ou qui demeuraient mystérieux. Les deux processus sont bien en interaction
dialectique, ils s'enchaînent et se confortent."5L'interprétation collabore donc à la
compréhension, elle peut être nécessaire pour aider à comprendre.
Deux attitudes de lecteur différentes :
Il nous semble que si l'on veut mettre l'accent sur la différence entre les deux, il faut se
pencher sur les rapports entre le texte et son lecteur. Comprendre c'est expliciter le sens du
texte ce qui revient à élucider ce que dit le texte, interpréter c'est prendre parti sur ce que dit
le texte, c'est réagir au sens du texte. Comme l'écrit Max Butlen : "Si l'effort de
compréhension nous permet de savoir ce que disent les textes, l'attitude interprétative nous
entraîne à questionner l'écrit au-delà de ce qu'il annonce à la première lecture pour élucider ce
qu'il tente de nous dire par ailleurs ou "de plus".6
Les limites de l'interprétation :
"Je considère que l'interprétation est un sous-processus (éventuel) de la compréhension et je
ne parle d'interprétation que si le texte ouvre des choix, invite à élaborer une ou plusieurs
hypothèse(s) de compréhension. On interprète pour comprendre d'une certaine manière. Il est
des cas où il n'est qu'une manière de comprendre et où il n'y a pas à interpréter." 7Ainsi, selon
cet auteur, l’album Yakouba de T. Dedieu ne relève pas de l’interprétation mais bien plutôt de
la compréhension. Spectaculairement lacunaire il exige un important travail d’inférences
complexes pour remplir les blancs et ainsi comprendre l’intrigue d’une seule façon et résumer
l’histoire d’une seule manière.
5- L'interprétation symbolique
Il existe un autre type d'interprétation que Catherine Tauveron appelle : "une interprétation du
deuxième type "8, qu’elle définit comme: "Une interprétation, postérieure à la compréhension,
mais pouvant la modifier en retour, soit, non point "qu'est-ce ce que dit le texte?" mais au-delà
de ce que dit le texte, qu'est-ce qu'il me dit ? Quelle morale, enseignement, portée
symbolique...Puis-je en dégager ?"9
C.Tauveron, reprenant l’exemple de Yakouba, qui, parce qu’il se présente comme un conte de
sagesse, démontre comment il pose des problèmes d'interprétation de ce type et écrit alors :
"Que veut-il dire ? Quelle leçon veut-il transmettre ? Quel est son enjeu symbolique,
philosophique, éthique ?" 10
Mars 2008
débattre est toujours pertinent. Il faut pourtant noter qu'un débat de type spéculatif (où les hypothèses se
confrontent dans la tolérance) ne peut pas être ouvert lorsque le texte pose un problème de compréhension qui
n'a qu'une solution. Seul peut être ouvert dans ce cas un débat délibératif, où s'exprimeront certes les contresens
et la compréhension juste, mais qui devra se clore par la sanction juste des contresens." "La lecture comme jeu, à
l’école aussi » dans La lecture et la culture littéraires au cycle des approfondissements, Les actes de la DESCO,
SCEREN-CRDP Versailles, 2004, p.41.
5
Butlen M., «Lire, comprendre et interpréter les textes littéraires à l’école», Argos n°30, p. 40
6
«Lire, comprendre et interpréter les textes littéraires à l’école», Argos n°30, p. 40. (C'est nous qui
soulignons).
7
Catherine Tauveron "La lecture comme jeu, à l’école aussi » dans La lecture et la culture littéraires au
cycle des approfondissements, Les actes de la DESCO, SCEREN-CRDP Versailles, 2004, p.38
8
« Comprendre et interpréter le littéraire à l’école : du texte réticent au texte proliférant », Repères, n°
19 de 1999 p. 17 et p.21 et "La lecture comme jeu, à l’école aussi » p. 38
9
Repères, n° 19 de 1999 p.21
10
La lecture comme jeu …p. 40
Bruno Chevaillier, professeur de philosophie à l’IUFM d’Orléans-Tours, site d’Orléans.
2
[email protected]
La philo à l'école
http://www.orleans-tours.iufm.fr/ressources/ucfr/philo/chevaillier/chevaillier1.htm