Document - Confédération Paysanne
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janvier 1248_PAYSAN JANVIER 1248 17/01/12 11:56 Page4 DOSSIER VIGNOBLE : QUELS PILOTES POUR CONDUIRE UN PROJET COLLECTIF ? EDITO Gérard Pogu, membre du comité départemental de la Confédération Paysanne 44 Assainir les marchés et redonner confiance L’Europe, continent qui a inventé la démocratie par les politiques (gestion de la cité par les citoyens) a tourné le dos à son histoire pour abandonner la politique à l’économie. L’individualisme a pris le dessus, chaque pays s’efforce de communiquer sur le fait qu’il est le meilleur, met en avant ses points forts. Tous s’accusent mutuellement d’être responsables de la situation. L’Europe n’a pas de gouvernance qui porte un projet collectif, une politique cohérente. Les spéculateurs, au vu de la situation, ne se gênent pas pour en profiter. Et le vignoble nantais ? Les viticulteurs se prennent en main pour mettre en place la vente directe, nécessaire mais à quel prix ? Dans quelle cohérence ? Déçus par le négoce, les viticulteurs deviennent négociants. Maîtrisent-ils ce nouveau métier ? Les diverses démarches commerciales (grands crus, salon, etc.) sont nécessaires pour l’image. Du Colombard (cépage de Charentes ayant des aptitudes aromatiques) dans le Muscadet, nécessité ou fuite en avant ? Dans toutes ces initiatives il y a du positif mais cela ne répond que partiellement à la problématique de notre vignoble. Qui s’occupe des surplus de stocks (150 000 à 300 000 hl) qui pèsent sur le marché ? Qui organise la part de volume vendu aux négociants ? Qui organise la politique du vignoble pour mettre en synergie les initiatives individuelles ? Comme l’Europe devrait racheter la dette des États tout en fixant des règles communes, le vignoble doit mettre en place des mécanismes qui doivent permettre de gérer la totalité des volumes ainsi que les excédents, sans quoi les prix ne remonteront jamais. Dans les deux cas c’est l’assainissement des marchés qui redonne confiance et intérêt collectif pour rebondir. Des restaurateurs confiants dans le Muscadet se font accuser de le vendre trop cher. Ils nous répondent que les prix trop bas dévalorisent le produit et le client s’en détourne. Comme pour l’Europe, il nous faut une gouvernance qui mette en place des politiques fortes. Pour cela il faut des personnes de tous horizons, vente directe, vente négoce, coop, etc. Des personnes ayant diverses sensibilités syndicales. Une équipe qui travaille avec tous les acteurs commerciaux. Puis définir un projet collectif et mettre en place des règles qui permettront de réaliser ce projet. 4 - PAYSAN NANTAIS - 1248 - JANVIER 2012 Le marché du Muscadet Le vignoble nantais a perdu 2000 ha depuis 2 ans, ce qui permet de rapprocher les volumes produits de ceux que le marché est capable de consommer. Toutefois, si la demande en Muscadet progresse un peu, les cours restent très bas, bien loin du prix de revient. Les producteurs s’interrogent aussi sur les changements à apporter pour coller à l’évolution des goûts des consommateurs. Explications de Joël Charpentier, vigneron à Vallet. Le Sur Lie, seul vin « séducteur » ? Le marché du Muscadet est-il en reconquête ou en repositionnement ? Un peu les deux à mon avis. La part de linéaire dans les GMS semble de plus en plus se retrouver pour notre appellation. En tout cas c’est ce qu’affirmait Joël Forgeau président du SDAOC à l’assemblée générale le 2 décembre dernier au Landreau, surtout en ce qui concerne les Sur Lie. Cela semble plus difficile pour les Muscadet AC, c’est-à-dire l’entrée de gamme. En ce qui concerne les sorties de chais des vignerons, là aussi, l’offre et la demande semblent plus s’équilibrer mais par contre la remontée des cours à des prix plus rémunérateurs se fait toujours attendre. Aujourd’hui, ceux-ci sont autour de 55 € l’hectolitre pour les 2010 et 65 € pour les 2011. Loin des prix de revient qui sont au moins autour de 85 à 90 € l’hectolitre en moyenne. Retrouver des cours rémunérateurs Comment positiver sur le marché de nos Muscadet ? Retrouver des ventes c’est bien, arriver à l’équilibre entre commercialisation et production c’est bien aussi, mais maintenant si nous voulons que cela continue, il faut que les prix d’achat à la propriété retrouvent des cours couvrant au minimum les frais de production dans un premier temps. Et vite dégager une plus-value pour que chaque producteur puisse réinvestir et surtout entretenir son outil de production. Nous avons perdu 2000 ha de vignes en 2 ans, cela est certes un gâchis pour notre vignoble, nos communes, notre département, notre région, mais je ne pense pas que cela entraînera un manque de volume. La consommation baisse en Europe, donc il fallait s’adapter à cette modération. Maintenant la question qu’il faut se poser et que se pose le SDAOC Muscadet est celle-ci : est ce que notre entrée de gamme Muscadet correspond aux goûts des consommateurs ? L’étude réalisée par le cabinet Equonoxe à la demande d’Interloire* a montré que non, qu’il fallait des vins plus séducteurs, plus aromatiques, mais que par contre les Sur Lie eux ont bien leur place comme ils sont. Mais aujourd’hui, le marché du Sur Lie c’est seulement 250 000 hl. Alors que faisons-nous des 250 000 hl restants ? Si l’on retient les conclusions de l’étude d’Equonoxe, il faut y ajouter un pourcentage d’un autre cépage ayant un potentiel aromatique plus élevé ou à des méthodes de vinification différentes pour que demain ce segment de produit trouve preneur par une nouvelle clientèle (jeune par exemple). Cette nouvelle donne sera le travail de cet hiver des délégués AOC du syndicat Muscadet. Pour conclure, même s’il faut apporter quelques modifications dans nos comportements pour séduire de nouveaux consommateurs, je pense que cela est préférable d’aller dans ce sens pour garder une production représentative et qui j’espère demain fera vivre ses producteurs, plutôt que de produire des vins sans identité géographique (vin blanc) avec des cours à 35 € par hectolitre qui ne font pas mieux vivre celui qui les produit. Le Muscadet, je pense, avec ses 9000 ha de production, devrait et doit faire vivre une filière et attirer encore des consommateurs. Comparons-le avec d’autres blancs secs, il accompagne souvent beaucoup mieux bon nombre de mets. Faisons tout pour que notre vignoble demeure vif, et continue d’embellir nos paysages. Joël Charpentier *Avec le soutien de l’État et de la Région, l'interprofession InterLoire a confié une étude de repositionnement de la gamme de Muscadet au cabinet d'études Equonoxe situé à Reims. Le premier objectif était de bien clarifier la différence du Muscadet avec ses appellations sous-régionales (Sèvre-et Maine, Côtes de Grandlieu et Coteaux de la Loire) ainsi qu’avec les vins portant la mention « sur lie ». janvier 1248_PAYSAN JANVIER 1248 17/01/12 11:56 Page5 DOSSIER I VIGNOBLE NANTAIS Quel devenir des terres libérées ? L'arrachage de vignes pose la question du devenir des terres viticoles. Doit-on laisser ces terres quitter définitivement la viticulture, en les laissant partir au maraîchage ou à l'urbanisation ? Ou doit-on maintenir le potentiel viticole en pratiquant des reconversions temporaires ? Et faut-il saisir l'occasion de faire une restructuration foncière ? Analyse d'Alain Gripon, vigneron à La Chapelle Heulin. La situation économique du vignoble nantais nous amène à une modification importante de notre paysage viticole. Si nous restons passifs, ce sont les économies florissantes du moment qui vont prendre la main : l’urbanisation, les grosses unités de maraîchage, espaces définitivement abandonnés à la viticulture. Nous constatons encore une fois que les initiatives individuelles conduisent vers des investisseurs extérieurs qui n’ont comme seul objectif que de tirer une plus-value financière de notre territoire conduisant le plus souvent vers des conflits d’intérêts. Nous devons porter aujourd’hui un projet cohérent pour retrouver une rémunération de notre travail. Il passe par une restructuration foncière et une gestion commune de notre territoire. Nous avons aujourd’hui un zonage viticole validé qui définit les contours de notre appellation. Restituons à l’agriculture les espaces disponibles portés par des agriculteurs en place ou par de nouveaux projets économiques viables. Les terroirs viticoles reconnus de qualité, récemment arrachés, doivent pouvoir être mis en reconversion temporaire (céréales, légumineuses) par les exploitants ou propriétaires, afin de restructurer le sol, faciliter les échanges pour conserver un potentiel viticole destiné à un éventuel redémarrage de la culture de la vigne. Nous nous devons de respecter nos espaces, tant viticoles et agricoles que boisés et de proximité de rivières et marais. L’arrachage apporte une occasion de recréer des îlots plus cohérents, de pratiquer des échanges amiables de cultures, des échanges de baux, d’installer des projets qui ne scellent pas la disparition du potentiel viticole. Cependant, les charges d’arrachages et la reconquête de marchés ne nous permettent plus d’investir dans la création de filières nouvelles de vente de proximité, sans aides financières ciblées. Aujourd’hui, les vignerons n’ont pas la capacité, seuls, de gérer cette mutation, concentrant leurs efforts sur la vente de leurs vins, la réorganisation de l’appellation. Un espoir peut renaître à condition que ce projet viticole soit construit, débattu dans les communes et les cantons pour être validés dans les prochains mois par une nouvelle gouvernance représentant l’ensemble des instances syndicales et professionnelles. Un arbitrage de l’État nous apparaît indispensable, au vu des derniers événements, pour réussir ce projet et ne pas laisser les deux tiers des vignerons sur la touche ! L’arrachage apporte une occasion de recréer des îlots plus cohérents. Mais il crée des charges qui limitent les capacités d’investissement. Alain Gripon Ces efforts seront réalisables à condition qu’un projet viticole commun, cœur de notre économie locale, soit validé par l’ensemble des acteurs viticoles que sont les vignerons indépendants, les coopératives et les négociants, respectés dans leurs entités par des responsables professionnels qui les représentent. Le rôle de la coopération dans la mutation du vignoble Les Vignerons de la Noëlle, la coopérative viticole du vignoble nantais branche de Terrena, représente 5 % des surfaces et des volumes du vignoble. Sa commission viticole travaille notamment sur la valorisation des terres où des vignes ont été arrachées, pour ne pas compromettre un éventuel retour à la viticulture. Explications de Pierre-Luc Pavageau. Dans un contexte de crise viticole, Terrena joue la carte de la complémentarité et la solidarité entre les productions. La notion d’appartenance à un groupe permet d’accompagner les adhérents dans la mutation du vignoble, deux axes sont travaillés au sein de la commission viticole : le premier porte sur la valorisation de la production avec les partenaires des vins de Loire. Le second axe concerne le devenir des terres libérées suite à l’arrachage. C’est donc ce second point que je vais développer, la commission viticole a défini un plan de travail autour de la capacité de la coop à trouver une valorisation de ces terres sans compromettre à terme un éventuel retour à la viticulture. Le premier travail effectué avec le service agronomie de Terrena a été de faire des prélèvements de sol et sous sol pour voir les teneurs des différents éléments notamment du cuivre. Après analyse des premiers échantillons, une très grande hétérogénéité entre les parcelles est ressortie avec le cuivre, le PH et une vie microbienne affaiblie comme principaux facteurs limitants. Le constat de l’état des sols effectué, nous nous posons la question du type de culture pouvant trouver sa place, avec quelle valorisation en aval. Le sarrasin est une piste, les rendements restent très aléatoires, des débouchés existent en meunerie mais la collecte reste difficile à organiser seul d’où la nécessité de trouver des partenariats. D’autres pistes sont étudiées autour de l’herbe avec un travail au niveau de la région pour trouver des solutions avec des éleveurs. Pour pouvoir diversifier les cultures, Terrena a fait le constat qu’il fallait améliorer l’état sanitaire des sols, un accompagnement technique et financier est à disposition des adhérents pour l’achat d’intrants et plus particulièrement le chaulage. La diversité du groupe Terrena est une force pour trouver des synergies entre les productions sur le territoire du vignoble où l’élevage est encore très présent, fédérer un maximum de vignerons qui veulent travailler collectivement est notre rôle, les élus et la coopérative peuvent avancer avec les adhérents si toute la profession tire dans le même sens. L’utilisation des sols libérés doit apporter un complément de revenu mais l'axe principal de Terrena est bien de tout faire pour que les adhérents vignerons retrouvent une rémunération de leur travail. Pierre-Luc Pavageau PAYSAN NANTAIS - 1248 - JANVIER 2012 - 5 janvier 1248_PAYSAN JANVIER 1248 17/01/12 11:56 Page6 DOSSIER I VIGNOBLE NANTAIS Les impacts de la crise viticole à Vallet Quels sont les impacts de la crise viticole à Vallet, « capitale du Muscadet » qui compte 230 emplois viticoles directs ? Quel rôle peuvent jouer les élus municipaux en responsabilité pour conserver la viticulture sur leur commune, avec quels moyens ? Réponse de Nicole Lacoste, maire de Vallet. Un constat 13 % de surfaces arrachées ou abandonnées Sur la commune de Vallet, 240 ha de vignes ont été arrachées ou abandonnées en cette fin 2011, soit plus de 13% des surfaces cultivées en vigne. La crise agricole, et plus particulièrement viticole, parce que mettant en cause l’avenir à travers le fait de toucher toutes les classes d’âge, impacte tout le vignoble nantais de façon durable. Pour ce qui est de la viticulture, au-delà des observations concernant des comportements très individualistes, et une quasi-absence de structures collectives, on ne peut que constater que ce qui aurait dû n’être qu’un phénomène climatique, en 2008, a révélé une grande fragilité des viticulteurs. Fragilité devant les grands négociants, dans un milieu lui-même en pleine restructuration, et fragilité dans les négociations à la fois avec la grande distribution, et avec le circuit des CHR (café, hôtels restaurants). Les circuits dépendants de la viticulture, en particulier, sont beaucoup plus lourds en emplois induits que perçus : approvisionnement, matériels, transports, chimie… de même que les apports directs au commerce local ! 230 emplois, c’est autant de situations individuelles qui sont à repenser, de charges familiales à reconsidérer, de retraites à recalculer. Les viticulteurs exploitants, mais aussi les petits propriétaires, qui avaient gardé quelques hectares pour compléter une retraite trop maigre sont impactés en direct. Tous ont vu se fermer des perspectives confortables ou au moins raisonnables d'avenir. L’ensemble de la population agricole et viticole en recherche de solutions alternatives subit de plus de plein fouet les conséquences directes du resserrement du crédit, et de la frilosité des banques. Les enjeux Il faut se projeter dans l'avenir, et imaginer ce que pourrait être un paysage du vignoble nantais... sans viticulture ! Or, 6 - PAYSAN NANTAIS - 1248 - JANVIER 2012 conserver une population active dans le milieu viticole, comme agricole, avoir dans nos écoles une mixité réelle, voir se côtoyer les enfants de valletais qui travaillent à l’extérieur dans tous les milieux, et ceux des vignerons et des agriculteurs capables de témoigner de la réalité de ce secteur, voilà une des données clé des années à venir… Si nous voulons conserver et développer les capacités de diversification, il faut pouvoir préserver, en ces temps de crise, la capacité de produire, mais aussi de commercialiser, pour garder intacte la possibilité de s'installer en milieu rural... C’est l’enjeu d’une action collective, regroupant les efforts des réseaux de solidarité, mais aussi l’action des élus, et la vision d’un intérêt commun partagé. Si tant est qu’il faille trouver des solutions temporaires de modification des cultures pratiquées sur certaines parcelles, la plupart des élus sont en recherche des outils capables d’aider à trier les occupations fonctionnelles des terres agricoles pour aboutir à une agriculture responsable, à vocation de mise en valeur de la capacité de production agricole à long terme. Le maraîchage en particulier suscite beaucoup de questions, tant il peut être pratiqué avec des visions à long terme très différentes selon les acteurs en place... Des actions collectives, telles celles engagées pour le respect des contrats, un aménagement du territoire qui puisse porter des projets de restructurations d’exploitation, des documents d’urbanisme qui permettent de sauvegarder l’outil de production… Le travail des élus se situe à ces niveaux, en même temps que la nécessaire discussion avec les organismes représentatifs des professionnels. C’est en ayant une vision globale des enjeux, en s’entourant des professionnels responsables, et en restant ferme sur notre vision de l’avenir, que la municipalité peut, à son humble place mais aussi en tant qu’acteur d’un aménagement de territoire plus large, apporter sa contribution à la préservation à long terme de ce qui est vital pour notre façon de vivre. Nicole Lacoste Les moyens Les élus en responsabilité ont la possibilité d’agir et de soutenir, même si tout ne se résout pas à cela, l’image du vignoble et de ses terres agricoles, par l’intermédiaire de classement en zones dédiées, mais aussi par le soutien aux initiatives de vente directe et la préservation des circuits de commercialisation. DES ACTIONS EN JUSTICE POUR LE RESPECT DES CONTRATS Plusieurs viticulteurs ont engagé des actions en justice pour faire respecter les contrats signés avec des négociants. C’est le cas d’Emmanuel Luneau, viticulteur à Vallet. Il commercialise une partie de sa production en négoce (un peu plus d'un quart il y a quelques années), portant sur 9 ha en moûts et en mise sur lie propriété. En 2010, le négociant avec qui il travaille décide de diminuer unilatéralement le prix auquel il lui achetetait sa production, et il l’informe en dehors des délais. Beaucoup de viticulteurs préfèrent accepter ces modifications unilatérales du contrat sans rien dire, plutôt que de prendre le risque de perdre leur contrat avec le négociant, car les débouchés commerciaux sont beaucoup plus limités. Ce n’est pas le cas d’Emmanuel Luneau, qui a choisi de ne pas accepter cette modification de son contrat et a engagé une démarche en justice pour non respect des clauses du contrat. Aujourd’hui, le litige n’est pas tranché par la justice. Parce qu’un contrat ne sert à rien s’il n’est pas respecté, M. Luneau encourage les viticulteurs dans sa situation faire respecter leurs droits. « Si nous voulons conserver et développer la diversité des activités économiques, il faut préserver la capacité de produire ». Rôle des élus Les élus ont la possibilité d’agir et de soutenir l’image du vignoble par le classement en zones dédiées. janvier 1248_PAYSAN JANVIER 1248 17/01/12 11:56 Page7 VIGNOBLE NANTAIS I DOSSIER Benoît Landron, jeune vigneron à Ligné « Sortir de la politique de volume et faire bon » Comment s'installer vigneron en pleine crise du vignoble nantais ? Malgré la situation économique difficile, des jeunes passionnés et volontaires continuent d’avoir une idée noble du métier et se battent à leur niveau pour sortir par le haut. Exemple à Ligné où Benoît Landron s’est installé en 2009 sur le domaine familial. Paysan Nantais : Quel était ton projet quand tu as commencé ton activité de vigneron ? Benoît Landron : Après avoir été vignerons dans le vignoble Nantais pendant plusieurs années, mes parents se sont réinstallés en 2002 à Ligné. J’ai travaillé sur l’exploitation comme salarié pendant 1 an, avant de m’installer, en 2009, sur l’exploitation familiale, qui comptait alors mes parents, et 1,5 salarié, sur 19 ha de vignes. Mon projet était d’arriver en apportant les 28 ha de vignes du château de Clermont, exploitation située au Cellier. Exploitation qui aurait été composée de 3 associés : un associé sur les vignes, un sur la cave et un sur la partie commerciale pour être vraiment performant, et de convertir le tout en bio. Mais la crise de 2008-2009 a chamboulé vos plans... L’idée était d’arriver rapidement à 100 % de vente directe avec pendant 5 ans une grosse part négoce. Le vin se vendait très mal. 2 récoltes ont suffi à ruiner l’exploitation. À l'automne 2010 on a compris que le marché n’était plus en capacité d’absorber la totalité de la production, et donc qu'il fallait faire des choix pour continuer notre activité. On a passé beaucoup de temps à réfléchir autour de trois hypothèses : attendre et ne rien faire, diminuer la surface de 30 ha pour garder 3 associés, ou baisser à 12 ha pour se limiter au marché le plus porteur. On a fait le choix de ne garder que 27 ha, et de tout passer en bio progressivement (20 ha début 2010, 7 ha début 2011). La décision d’arracher 20 ha était dure à prendre, avec des conséquences importantes, mais elle a été prise dans l’objectif de garder la maîtrise de notre produit, en ne gardant que ce qu’on pouvait vendre. Le plus dur a été de réduire le nombre de travailleurs. Mais notre idée reste de faire vivre un maximum de monde de notre production. Par exemple on récolte 7 ha à la main, mais si on en avait la possibilité économique, tout serait récolté manuellement. Nous sommes 5 à travailler sur 27 ha et il manque une personne actuellement. Comment cela se traduit sur les cépages cultivés ? En Muscadet nous sommes passés de 20 ha à 9 ha, en Gamay de 16 à 13, en Cabernet de 5 à 3, en Malvoisie nous sommes restés à 3 ha, et le reste en vins blancs. En supprimant beaucoup de Muscadet et en conservant d’avantage les autres cépages, on a gardé ce qui correspond à la demande des clients. Tu as dû aussi faire évoluer ton projet ? J’ai choisi le métier de vigneron pour m’occuper des vignes. Aujourd’hui je passe Benoît Landron Installé en 2009 sur le domaine familial à Ligné, sur un projet d’exploitation à 3 associés sur 47 ha. Le projet a été modifié en 2010 : conversion en bio, développement de belles cuvées. la moitié de mes 55 heures de travail hebdomadaires à la vinification et à l’élevage du vin, et l’autre moitié à la commercialisation auprès de la clientèle professionnelle (cavistes, restaurants, export) pour la recherche de nouveaux marchés. J’avais prévu de m’occuper essentiellement de la commercialisation, car on voulait et on veut toujours développer le commerce. L’objectif aujourd’hui c’est de vendre tout ce qui est produit. On peut faire un très bon vin, si on ne maîtrise pas ses ventes, ça ne sert à rien et on l’a bien vu ! Au niveau économique l’équilibre reste précaire car les prêts JA, liés au projet initial sont toujours maintenus. Pour tenir il faut arriver à doubler la durée de remboursement du prêt, mais les banques sont difficiles à convaincre, on sent un désintéressement total de leur part vis-à-vis du vignoble. Pourquoi avez-vous choisi de convertir vos vignes en bio ? Mon père voulait passer en bio depuis longtemps. Moi aussi je voulais m’installer en bio, donc les décisions qu’on a eu à prendre ces deux dernières années ont un peu accéléré le mouvement. Passer en bio ça demande de la volonté, beaucoup de technicité, donc du temps à passer. Ça a un coût qui s’ajoute à la baisse de rendement, qui explique aussi pourquoi le vin bio se vend plus cher. Au niveau technique, on participe au suivi collectif viticulture organisé par la Coordination Agrobio des Pays de la Loire (CAB), qui se fait avec une technicienne spécialisée bio. Dans ce groupe il y a de l’échange, la volonté de partager les expériences, ce qui est très positif et stimulant. Avec le nombre élevé de conversions bio en ce moment, on pourrait être proches de la saturation du marché. Mais pour nous c’est une décision à long terme, importante pour l’avenir. C’est en cohérence avec votre développement vers des vins de qualité ? La gamme classique continue d’être ce qui nous fait vivre, mais notre développement actuel se fait sur les belles cuvées. On en avait 10 à mon installation, 20 aujourd'hui. C’est passé par quelques investissements en cave, car ça demande beaucoup plus de technicité. C’est ce qui me plaît dans le métier. J’ai la volonté de faire bon. Il faut revenir à des choses vraies, on y arrivera qu’en faisant bon. Aujourd’hui dans le vignoble nantais il y a un nivellement par le bas, parce qu’il y a toujours une politique de volume. Il est vrai que la réalité est difficile à voir en face. Il devrait être interdit de vendre à perte, même si c’est dur pour tout le monde. Je refuse régulièrement de baisser mes prix pour vendre mon vin. Le muscadet n’étant pas un produit à forte valeur ajoutée. On fait le choix d’arracher la moitié de mon domaine plutôt que de couler le marché. Il faut revenir à des choses vraies et sortir de la coupe des « pharmaciens ». Pour cela il faut beaucoup de technicité que j’ai trouvée avec l’appui d’un œnologue indépendant. C’est dans cet esprit qu’on a développé les cuvées « Tradition ». L’œnologue est indépendant, comme ça, il me vend juste ses conseils, pas des produits. Il est important de respecter le raisin pour qu’il donne le meilleur de lui-même. En parallèle, je fais partie de l’association des Jeunes Vignerons d’Europe. On est tous dans la même philosophie. Nous nous rencontrons à l’occasion de salons, et nous échangeons sur les conditions de production et d’élaboration de nos vins. C’est un endroit qui permet de redécouvrir la vinification en regardant des techniques utilisées dans d’autres vignobles, dans un esprit de partage où on se sent moins en concurrence. « On a fait le choix d’arracher la moitié du domaine plutôt que de couler le marché ». Propos recueillis par C.C. PAYSAN NANTAIS - 1248 - JANVIER 2012 - 7 janvier 1248_PAYSAN JANVIER 1248 17/01/12 11:56 Page8 DOSSIER I VIGNOBLE NANTAIS Jean Bosseau, Just'1 Vignerons « Plus forts ensemble que le plus fort de l’ensemble » Se rassembler pour vendre et avoir des exploitations viables, durables et transmissibles : c’est l'esprit de la démarche poursuivie par 10 vignerons de la commune du Pallet. Ils ont créé « Just’1Vignerons », une structure qui commercialise l’appellation communale Muscadet, et les autres Muscadet produits par les vignerons du groupe. Il y a des projets qui, après coup, semblent nés d’une évidence. Une évidence qui s’impose à tous et qui fait dire que cela ne pouvait pas être autrement. Il en va ainsi de la naissance de Just’1 Vignerons, structure commerciale rassemblant dix exploitations viticoles du Pallet. Cette dynamique de groupe n’est pas nouvelle, qui avait revêtu jusqu’alors des aspects festifs (Jazz sur lie), solidaires (entraide) ou environnementaux (gestion collective des effluents). Lors de la mise en route de la réflexion sur les appellations communales, on retrouve cette même envie de débattre et d’agir ensemble. Les formations techniques ou de marketing lié à ce mouvement débouchent sur la création d’une structure de production dédiée à l’élaboration de l’appellation communale Le Pallet. Son slogan : « Plus forts ensembles que le plus fort de l’ensemble ». Just’1 Vignerons voit le jour dans la foulée, pour commercialiser l’appellation communale mais aussi les autres muscadet produits par les vignerons du groupe. Au travers d’une stratégie commerciale tournée essentiellement vers l’export, il s’agit pour nous d’être présents collectivement sur le marché, en complément des ventes réalisées en propre par chaque Domaine associé. Traduite sous la forme d’un engagement en surface, cette forme sociétaire exigeante et motivante a pour but ultime la pérennisation des exploitations (viables, durables, transmissibles) mais aussi l’occupation harmonieuse de notre territoire et le maintien d’une activité viticole forte sur notre commune. Après quatre années d’existence, le bilan est positif et conforte tous les vignerons du groupe à poursuivre l’aventure. Il nous reste encore de belles pages à écrire ensemble. Jean Bosseau Viticulture et fermage : des points à revoir La crise qui secoue la viticulture en Pays nantais depuis quelques années a amené les professionnels à s’interroger sur la manière dont s’applique le fermage en zone viticole. Un groupe de travail intersyndical s’est donc penché sur la question. Au cours de l’année 2009, la Confédération Paysanne avait lancé une réflexion sur la crise viticole et les moyens pour aider à l’enrayer. En marge de ce travail, il était rapidement apparu que des difficultés existaient dans le déroulement des baux ruraux sur les terres viticoles. Ces difficultés concernaient particulièrement deux points : le sort des baux et des terres lorsque le preneur décidait de cesser l’activité viticole, une grille de détermination des prix de fermage qui n’était plus en adéquation avec le contexte de crise. Nous avons donc alerté divers professionnels et notamment, les représentants du Syndicat des Vignerons Indépendants Nantais (SVIN) mais aussi des représentants de la chambre d’agriculture, de la FNSEA et des JA. Un travail intersyndical s’est alors engagé. Sort des terres et des baux en cas d'arrêt Le premier point abordé par le groupe de travail a concerné le sort des terres et des baux lorsque les preneurs se trouvaient dans l’obligation de cesser leur activité viticole du fait d’un contexte très difficile. Nous constations : que du jour au lendemain, certains vignerons arrêtaient leur activité sans même avoir prévenu les bailleurs. Juridiquement, ces derniers étaient alors en droit d’agir, y compris par voie judiciaire, pour obliger les 8 - PAYSAN NANTAIS - 1248 - JANVIER 2012 preneurs à respecter le bail. En effet, le statut du fermage ne prévoit véritablement rien pour une rupture « immédiate » de bail en cas de crise de la production concernée. Ces ruptures brutales, imposées aux bailleurs pouvaient donc devenir une source de conflit potentielle qui n’aurait fait qu’envenimer un climat déjà difficile dans le vignoble. D’autre part, cela posait le problème du devenir des terres. L’idée a donc été de proposer une solution de conciliation permettant, si possible, d’éviter le conflit en organisant une rupture conventionnelle du bail et pour cela, un protocole était proposé pour éviter un abandon total et immédiat de la vigne. La réflexion a porté également sur les conséquences des arrachages de vigne et sur la répartition des aides (en partant de ce qui existait dans les années antérieures). Pour un fermage plus équitable Autre point qui pose problème : le prix du fermage. L’arrêté préfectoral fixant les règles de détermination des fermages viticoles date des années 90, à une époque où la crise ne s’était pas durablement installée. Ensemble, nous constations : • Que depuis 1997 (date de l’arrêté), les rendements maximums autorisés avaient sensiblement baissé. • Que, dans le même temps, les revenus dégagés avaient chuté très fortement. • Que, malheureusement, beaucoup de fermages étant trop importants, n’étaient plus payés. • Que l’état général de la vigne n’avait cessé de se détériorer. D’abord, sous l’effet d’un vieillissement important du vignoble où beaucoup de vignes dépassent les 50 ans d’âge. Ensuite, pour les plus récentes, par la propagation de maladie du bois qui entraîne un fort déplant. Nous constations enfin que le barème retenu pour la détermination du loyer était calé sur une période de référence de 10 ans et de ce fait, se trouve déconnecté des prix actuels. Sans compter que beaucoup de viticulteurs éprouvent de grosses difficultés à écouler leur production. C’est pourquoi des propositions ont été faites pour une modification des arrêtés préfectoraux concernant les fermages viticoles. Elles ont été transmises à la Commission Paritaire des baux ruraux qui a mis en place un groupe de travail pour que les négociations s’engagent avec les bailleurs. Les discussions sont actuellement en cours. Il est impératif qu’elles aboutissent afin que les fermages retrouvent un niveau plus équitable compte tenu d’un contexte viticole qui reste difficile. Sylvie Frétigné, juriste Confédération Paysanne 44 La Confédération Paysanne 44 a alerté dès 2009 les responsables viticoles et agricoles, des problèmes se posant aux baux et terres lorsque le preneur cesse son activité. Un groupe travaille depuis pour faire évoluer les règles du fermage viticole. janvier 1248_PAYSAN JANVIER 1248 17/01/12 11:56 Page9 VIGNOBLE NANTAIS I DOSSIER MSA : les mesures pour prévenir le mal-être Face à la détérioration de la situation économique de la production viticole, des viticulteurs en difficulté se sentent découragés et désespérés. Pour les déculpabiliser, et pour les accompagner afin d’éviter de sombrer dans la spirale du mal être, la MSA a élaboré une plaquette d’information. Jean-Claude Lebas, viticulteur à Vallet et délégué MSA est à l’initiative de ce projet. “Viticulteur et délégué MSA sur Vallet, régulièrement témoin de découragements de collègues, je ne pouvais rester insensible aux conséquences économiques et humaines de la crise viticole en Pays Nantais. Par ce fait, il me paraissait important avec l’aide d’autres délégués de mettre en place une plaquette relatant les diverses mesures que la MSA met à disposition des vignerons en difficulté. Elles sont de trois ordres : • le service action sociale ; • le service santé, sécurité ; • le service recouvrement. Ce projet de prospectus a été présenté à tous les acteurs locaux (maires, adjoints aux affaires sociales, responsables syndicaux etc.) puis a été distribué dans tous les sites censés être fréquentés par des viticulteurs (commerces, banques, assurances, cabinets médicaux, etc.). Nous sommes en relation avec des professionnels de la santé de l’établissement médical de Montbert. Et également avec une association de la communauté de commune de Vallet : GPS. Cette dernière s’est spécialisée dans la prévention du mal être et du suicide, d’où son titre Groupement Prévention Suicide. Par l’aide de ces rencontres régulières, il nous paraît donc indispensable d’être informés afin de comprendre les mécanismes engendrant des découragements extrêmes. Dans un contexte difficile l’isolement est notre pire ennemi, agir collectivement reste indispensable. Jean-Claude Lebas Des élevages victimes du pyralène en Mayenne Dans le Sud de la Mayenne, plus de 300 animaux d’élevage ont été abattus en 2011 suite à leur contamination par le pyralène. En cause : l’usine Aprochim, spécialisée dans le traitement de déchets industriels, en particulier des transformateurs électriques. Jacky Lebannier, paysan confédéré dans le secteur, nous présente sa situation et celles de ses confrères et voisins. « Je suis producteur de céréales et de volailles en bio sur la commune de Bouère. Notre siège social étant à 3,1 km d’Aprochim, les services de l’État m’ont dit que je n’avais aucun souci à me faire, la zone sous surveillance ayant été fixée à… 3 km (ça me rappelle une histoire de nuages). Pour autant il m’arrive au moins vingt jours par an de sentir l’odeur caractéristique émanant de l’usine ! Une dizaine de fermes ont été touchées cette année par la pollution au pyralène. Elles ont été mises sous séquestre suite à des taux supérieurs aux normes, mais d’autres ont des taux significatifs de pollution qui laissent sur elles une épée de Damoclès. Le 21 novembre, trois troupeaux bovins ont encore été amenés à l’abattage. Pour ce qui est des indemnisations, certains négocient un protocole avec Aprochim ; d’autres ont pris la voie judiciaire. Le plus important est que cesse la pollution, afin qu’une analyse des sols puisse être faite pour éclairer le trou noir dans lequel l’avenir des exploitations a sombré. À Bouère, le sujet est tabou : nous avons tous dans nos familles, nos amis, nos voisins, quelqu’un qui travaille à Aprochim, mais aussi quelqu’un, riverain ou agriculteur, qui subit la pollution. Le conseil municipal, dont je suis membre, ne peut communiquer que sur les informations que lui distille la préfecture. Il se trouve dans une position très délicate entre risque de fermeture d’Aprochim (90 emplois) et risque d’arrêt d’exploitations agricoles (des dizaines d’emplois qui n’auront ni prime de licenciement, ni indemnité de chômage). Et plus on monte dans la hiérarchie politique, plus on oublie le citoyen et l’environnement. La palme revient à notre député, Marc Bernier, qui dit qu’Aprochim a les moyens d’acheter les fermes impactées pour créer un périmètre de sécurité. Mais alors, les exploitants et les riverains : on les monte dans des camions ? » Propos relevés par Pierre Fardeau, animateur de la Confédération paysanne de Mayenne. Jacky Lebannier Fin novembre, manifestation d’éleveurs près de l’usine Aprochim à Grez-en-Bouère (Mayenne) DE TERRIBLES POISONS Le pyralène a un autre nom : celui des PCB, pour polychlorobiphényles. Ces molécules ont été massivement utilisées des années 1930 aux années 1970 car elles ont la propriété d'être isolant électrique, conducteur thermique et pratiquement ininflammable. On s'en est servi notamment pour la fabrication des transformateurs électriques. Mais les PCB sont aussi des cancérogènes probables et de redoutables perturbateurs endocriniens. Bref de terribles poisons. Ils sont essentiellement absorbés via l'alimentation, mais aussi par inhalation ou passage percutané dans des situations particulières (professionnelles, accidents). En France, fabriquer ou utiliser des PCB est interdit depuis 1987. Environ 500 000 transformateurs et condensateurs avaient été recensés pour être détruits dans des usines telles celle d’Aprochim en Mayenne. Le 22 novembre, le sous-préfet mettait en demeure Aprochim de respecter les seuils d'émission en PCB que ses services avaient pourtant prescrits en janvier, menaçant de suspendre l’activité de l’usine en cas de refus. On ignore quand et comment tout le pyralène utilisé durant quarante ans pourra être complètement neutralisé. PAYSAN NANTAIS - 1248 - JANVIER 2012 - 9