Immobilier : pourquoi il ne faut plus acheter
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Immobilier : pourquoi il ne faut plus acheter
Votre Argent Immobilier : pourquoi il ne faut plus acheter Enquête : Virginie Franc-Jacob J e viens de mettre mon appartement en vente, avec la ferme intention de redevenir locataire » ; « J’ai vendu mon appartement, je loue et je fais plein d’économies » ; « A tous les dinosaures qui pensent qu’il est toujours mieux d’acheter car on se constitue un patrimoine, ouvrez les yeux, on a changé d’époque ! » Des messages comme ceux d’Ilya, de Martin ou de Deputy, nous en avons lu beaucoup lorsque 62 nous avons demandé à nos internautes s’ils préféraient acheter ou louer. D’ailleurs, selon un sondage Ipsos pour Nexity réalisé en septembre, les intentions sont en légère baisse : 12 % des Français envisagent d’acheter au cours des douze prochains mois, contre 13 % un an plus tôt. Un chiffre plutôt surprenant dans un contexte d’embellie du marché de l’immobilier. Surtout dans un pays où la plupart des gens ont « une brique dans le ventre » et où la location a longtemps été synonyme de jeter son argent pas les fenêtres. Alors, pourquoi, depuis quelque temps, l’achat ne fait plus autant rêver ? D’abord, pour nombre de locataires, la question ne se pose pas : « Je n’ai pas les moyens de devenir propriétaire », tranche Marie-Hélène. En effet, malgré la baisse des prix et des taux, sur laquelle les agences immobilières et les banques ne cessent de communiquer, l’accès à la propriété n’est toujours pas à la portée de toutes les bourses. L’achat pèse bien plus sur les revenus que la location L’enquête menée par le site Meilleursagents.com en septembre sur la part des revenus mensuels consacrée à l’achat le démontre bien. Dans quatorze villes sur trente analysées, cette part MIEUX VIVRE VOTRE ARGENT / NUMÉRO 406 / DÉCEMBRE 2015 Arnaud Frich / Only France / AFP Devenir propriétaire de sa résidence principale, un rêve pour beaucoup de Français, et un dogme souvent conforté par les professionnels du secteur à coups de sondages. En réalité, la location peut être une meilleure option. Combien d’années en moyenne pour que l’achat soit plus intéressant que la location ? Les quais de Seine, au centre de Paris. Rentabiliser son investissement n’est plus une évidence. Cette étude se fonde sur l'achat ou la location d'un logement de 70 mètres carrés en septembre 2015. Pour les simulations, les prix de référence émanent de Seloger.com et les loyers, de l'observatoire Clameur. L'achat se fait avec un apport de 10 % et un emprunt à 2,45 % sur vingt ans (+ 0,25 % d'assurance). L'évolution des prix de l'immobilier serait de 0 % par an en année 1, puis de 2 % par an à partir de l'année 2. Pour le locataire, l'évolution du loyer serait de 1 % par an et le rendement de l'épargne, de 2 % par an (partant de l'hypothèse qu'il investirait sur un produit d'épargne l'équivalent de ce qu'il dépenserait pour une acquisition). Enfin, les charges de copropriété évolueraient de 2 % par an. Source : Meilleurtaux.com Une chose est sûre : les coûts inhérents, frais de notaires et éventuellement ceux d’agence, pèseront forcément sur vos finances pour un moment. Mais combien de temps faudra-t-il conserver votre bien pour que ces frais soient absorbés ? Cela dépendra évidemment de sa qualité et de sa situation. D’après une simulation publiée en septembre par le courtier MIEUX VIVRE VOTRE ARGENT / NUMÉRO 406 / DÉCEMBRE 2015 en crédits Meilleurtaux.com et effectuée sur 37 villes françaises, l’acquisition d’un 70 mètres carrés serait rentabilisée entre un et seize ans (voir carte ci-dessus). Mais cette durée peut s’allonger pour une petite surface, jusqu’à quatre fois plus. Comptez dix-sept ans en moyenne pour un 30 mètres carrés, contre quatre ans en moyenne pour le ! ! ! dépassait les 33 %, soit a priori le seuil au-delà duquel les banques ne prêtent plus. C’est évidemment le cas à Paris, où elle flambe à 79 %. Mais c’est vrai aussi de Nice, Bordeaux, Aix-en-Provence, Montpellier, Lyon, Toulouse, Lille, Toulon, Nantes, Villeurbanne, Marseille, Rennes et Strasbourg. De leur côté, les locataires ne franchiraient cette limite que dans sept villes sur trente. Et encore, l’étude ne tient compte que du prix d’acquisition. Si on y ajoutait les frais de notaires, les charges de copropriété, la taxe foncière… le déséquilibre serait plus important. Vous n’habitez pas dans l’une de ces communes où l’achat est devenu quasiment impossible ? Ou votre situation financière vous permet malgré tout de devenir propriétaire ? Félicitations ! Mais l’opération sera-t-elle rentable ? 63 Votre Argent Immobilier : pourquoi il ne faut plus acheter « Acheter, si on sait qu’on ne divorcera pas, qu’on aura toujours un salaire » l’achat sera encore plus long à rentabiliser qu’auparavant. Nous avons fait le test avec un 75 mètres carrés situé dans le XVe arrondissement parisien. Acheté autour de 600 000 euros, il se louerait certainement un peu moins de 1 700 euros hors charges. Pour rentabiliser l’acquisition, en tenant compte d’une évolution des loyers de 1 % par an : dans l’hypothèse d’une stagnation des prix de l’immobilier, il faudrait plus de vingt ans ; dans celle d’une majoration des prix de 1 % en moyenne, cette durée serait ramenée à dix-sept ans ; à un peu moins de quinze ans avec une augmentation de 2 % chaque année. Autre temps, autres mœurs, difficile de s’engager pour la vie Quel que soit le nombre d’années, il n’effrayait pas ceux qui achetaient une maison pour y fonder une famille et y vivre heureux avec beaucoup d’enfants. Or cette image d’Epinal n’a plus vraiment lieu d’être. D’une part, les prix ne permettent plus forcément d’acheter d’emblée le bien de toute une vie. D’autre part, lorsque c’est le cas, entre séparations, recompositions ! ! ! « Après notre séparation, mon ex-conjoint et moi avons dû vendre notre appartement situé dans une banlieue chic de Grenoble. Je me retrouve désormais seule avec ma fille et après une longue réflexion, j’ai décidé de ne pas racheter d’appartement et de redevenir locataire, raconte Sabine. Mon entourage était choqué : comment ça, tu n’achètes pas un logement ? Comment feras-tu à la retraite ? Les idées reçues ont la vie dure. Il existe bel et bien un mythe de la propriété. Ce que les gens oublient, c’est que si j’achetais, il faudrait assumer le remboursement du prêt, la taxe foncière et les éventuels travaux dans la copropriété. Il pourrait peut-être m’arriver de devoir sortir 5 000 à 10 000 euros d’un coup. Non, vraiment, je n’en ai pas les moyens. A moins de dire adieu aux vacances, aux vêtements… Et puis, je ne suis pas certaine d’être encore dans la région dans sept ou huit ans. Or d’ici là, comment le marché aura-t-il évolué ? Acheter aujourd’hui, cela peut valoir le coup uniquement si l’on sait que l’on va rester longtemps au même endroit, qu’on ne se séparera pas, qu’on aura toujours un salaire. » sable recherche et développement chez Meilleuragents.com. Désormais, on ne peut plus compter là-dessus. » Car non seulement les prix, malgré une légère baisse, ont atteint des niveaux inaccessibles pour une large majorité des Français, mais les facteurs qui soutiennent leur pouvoir d’achat, des taux bas et encore quelques aides de l’Etat, sont fragiles. Pour ce qui est des taux, il est impossible de présager à quelle échéance ils remonteront, mais il est évident qu’une telle situation ne pourra pas s’éterniser. Quant aux aides, il est, certes, prévu un élargissement du prêt à taux zéro dans l’ancien à partir de 2016 (voir p. 22), mais entre la majoration de la taxe foncière sur les terrains constructibles, la taxation des logements vacants, l’encadrement des loyers… on voit bien que l’objectif de l’Etat est d’accroître les recettes et de réduire les dépenses. Ainsi, alors que dans le calcul consistant à comparer l’achat et la location, on tablait sur des perspectives à long terme de hausses des prix, même modérées, aujourd’hui, la stabilité serait déjà une bonne nouvelle pour les propriétaires. Or, si les prix stagnent, 70 mètres carrés. De quoi casser le mythe selon lequel, l’essentiel étant de mettre un pied dans le marché immobilier le plus rapidement possible, mieux vaut commencer par un petit logement que l’on revendra pour acquérir plus grand. « Je n’ai acheté que quand j’étais en mesure de m’offrir un bien où je devais, en théorie en tout cas, pouvoir rester pas mal de temps », énonce d’ailleurs Adeline. Faire une plus-value, ce n’est plus systématique En réalité, les frais liés à l’achat, comparés à ceux de la location, ont toujours été beaucoup plus lourds. Alors pourquoi, aujourd’hui plus qu’autrefois, la balance aurait-elle tendance à pencher en faveur de la seconde ? N’oublions pas qu’une variable influence largement les résultats de l’équation : il s’agit de l’évolution future des prix. Or elle est devenue très incertaine. « Avant, on achetait avec l’espoir de faire une belle plus-value, explique Thomas Lefebvre, respon64 Aujourd’hui plus qu’hier, louer, c’est supporter moins de frais et être moins tributaire d’un marché incertain. MIEUX VIVRE VOTRE ARGENT / NUMÉRO 406 / DÉCEMBRE 2015 Richard Villalon / Fotolia ; Vvoe Vale / Istock Témoignage Michael De Leon / Istock des familles et nécessité d’être plus mobile professionnellement, qui peut être cer tain de vivre vingt ans au même endroit ? Au contraire, on est de plus en plus souvent contraint de vendre précipitamment. Ceux qui ont été confrontés à ce problème en plein blocage du marché sont sans doute vaccinés pour longtemps contre l’achat. A l’image de ce couple ayant trois enfants, qui a dû déménager lorsque le petit dernier est arrivé. Il lui a fallu plus d’un an pour trouver un acquéreur et durant toute cette période, la famille a dû assumer une mensualité de crédit en plus d’un loyer. « C’est une expérience que je ne souhaite plus jamais connaître », assène Quentin, le père. Quant à la solution qui consisterait à mettre en location en attendant le meilleur moment pour revendre, elle n’est plus d’actualité non plus. « Entre la fiscalité toujours plus lourde, la baisse des loyers et les difficultés à se séparer d’un locataire indélicat, c’est loin d’être une solution idéale », estime Denys Brunel, président de la Chambre nationale des propriétaires. Enfin, n’oublions pas que dans les années à venir, la plupart des propriétaires devront assumer la rénovation énergétique de leur logement. Bien sûr, le coût de Acheter à deux pour toujours ? Séparation, moins-value à la revente... la location peut, aussi, alléger les aléas de la vie. ces opérations variera fortement selon l’ancienneté du bâtiment, les travaux déjà effectués et le type de bien, en copropriété ou maison individuelle. L’avenir, encore plus sombre avec les travaux obligatoires Prenons l’exemple courant d’une copropriété de plus de 50 lots avec de nombreux travaux à prévoir, disposant d’un système de chauffage collectif. Il faudra d’abord réaliser un audit spécifique avant la fin de l’année 2016. A l’issue de celui-ci, tous les bâtiments privés résidentiels dont la consommation en énergie primaire (non transformée) dépasse 330 kilowattheures par mètre carré et par an, soit tous ceux qui affichent une classe énergétique F ou G, devront avoir été rénovés d’ici 2025. Philippe, président du conseil syndical d’une copropriété tombant sous le coup de ces deux obligations, a fait le calcul : « Selon le scénario choisi, la taille de l’appartement et le remplacement ou non des fenêtres, on aboutit à des coûts de 8 000 à 25 000 euros par appartement. » D’ici à 2050, tout le parc existant devra avoir atteint le niveau du label BBC actuel. Pour y parvenir, c’est certain, les propriétaires mettront encore la main à la poche. ! MIEUX VIVRE VOTRE ARGENT / NUMÉRO 406 / DÉCEMBRE 2015 Témoignage Quand même les professionnels conseillent la location Agent immobilier à Toulouse depuis une trentaine d’années, Pierre Cournac est catégorique : « Mieux vaut louer qu’acheter. » Un discours pas banal pour un professionnel. « Le neuf, par exemple, se vend beaucoup trop cher », assène-t-il. Et de prendre l’exemple d’un jeune couple qui a acheté deux appartements sur plan, dans le quartier Saint-Agne à Toulouse, en début d’année : « Un studio pour 115 000 euros et un F3 pour 280 000 euros, hors frais d’agence. Mais depuis, le couple s’est séparé, et souhaite donc revendre ses biens. C’est chose faite pour le studio, mais après avoir consenti une sérieuse baisse, puisqu’il est parti à 94 000 euros, frais d’agence inclus. Soit une perte de près de 25 000 euros, sans compter les frais de notaire. Quant au trois-pièces, affiché à 215 000 euros, il ne trouve pas preneur pour l’instant. » Acheter de l’ancien est-il plus judicieux ? Pas forcément, quand les mensualités d’un crédit sont largement supérieures à un loyer. « En raison de leur rareté, les biens situés dans l’ancien historique, en plein centre-ville de Toulouse, ne devraient évidemment pas se dévaloriser. Mais sur un plan strictement budgétaire, il est bien plus intéressant de louer ce type de logement. » 65