La beauté by Fahd Benslimane
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La beauté by Fahd Benslimane
Qu'en pense-t-il ?-151 27/06/08 12:24 Page 60 Qu’en pense-t-il ? La beauté by Fahd Benslimane Chirurgien esthétique et plasticien largement reconnu sur la place, Fahd Benslimane est, on le sait moins, un chercheur insatiable qui saute de congrès internationaux en brevets déposés en passant par des publications médicales dans les traités de chirurgie plastique les plus renommés mondialement. C’est avec lui qu’il nous a semblé opportun de nous pencher sur l’un des concepts qui interroge nos vies contemporaines : la beauté. Par Géraldine Dulat LES CONTOURS DE SOI MAIS ÉGALEMENT LE MIROIR ” 60 FDM : Existe-t-il une définition de la beauté ? Fahd Benslimane : Il y a plusieurs définitions de la beauté, notamment en raison de sa perception subjective. C’est plus précisément un ensemble de courbes qui vont susciter un plaisir admiratif de par leur forme ou de leur totale conformité avec ce que l’on attend et ce que l’on espère. Cependant, dès que l’on parle de beauté chez les humains, les qualités de l’âme et du caractère surgissent. En effet, et depuis l’âge d’or Grec, la beauté est toujours associée à d’autres qualités telles que la mesure et la convenance. “Le plus juste est le plus beau”, affirmaient déjà les philosophes grecs. Si l’on emploie le mot conformité, c’est bien qu’il y a une norme… Quand on dit conformité avec quelque chose que l’on attend ou espère, cela veut aussi dire qu’il y a une perception personnelle et singulière, voire culturelle. Grâce ou à cause des médias, la beauté est en train de s’universaliser telle qu’Emmanuel Kant l’avait pensé : “La beauté est ce qui plaît universellement sans requérir de concept.” Ceci étant dit, s’il y a une norme édictée, c’est bien celle d’une universalité provenant du modèle caucasien occidental. Peut-on considérer qu’il y a des lignes et des courbes qui définissent la perfection et FEMMES DU MAROC | JUILLET 2008 Photos : Abderrahim Annag. “ LE REGARD DE L ’ AUTRE DÉTERMINE Qu'en pense-t-il ?-151 27/06/08 12:24 Page 61 l’excellence de la beauté ? On a plutôt l’impression que cette définition est relative dans l’Histoire… Bien entendu, les inventions techniques, et notamment celles de l’image, ont complètement modifié la perception de la beauté. Avant l’invention de la photographie et du cinéma, la nudité et le regard porté sur elle relevaient de l’espace strictement intime. Les seuls nus dans l’espace public provenaient du travail des artistes-peintres et des sculpteurs. Au 20ème siècle, il y a eu une banalisation du nu qui a accompagné l’émancipation de la femme. Une fois que ce corps a été exposé à l’admiration comme aux sarcasmes, le souci de sa représentation s’est mis en pratique dans de nouvelles formes d’hygiène de vie : rééquilibrage alimentaire, sport en plein air et vers la dernière partie du 20ème siècle, la nouvelle chirurgie esthétique comme moyen d’atteindre ses objectifs. N’est-ce pas plutôt l’essor de l’allègement des techniques de la chirurgie esthétique qui a créé et amplifié ces nouvelles normes de représentation ? Si une personne vivait toute seule sur une île déserte, elle n’aurait jamais recours à la chirurgie esthétique. Le regard de l’autre détermine les contours de soi mais également le miroir. Preuve en est le fait que la chirurgie esthétique a touché presque tout le monde. L’absence de réflexion de soi dans un miroir ou le regard de l’autre écarte de cette course à la représentation d’une image de soi. En revanche, le plus grand miroir de la société contemporaine est incarné par les médias qui amplifient des nouvelles normes et des nouveaux critères généralement issus d’un milieu avant-gardiste, celui de la mode et de ses créateurs. L’explosion de la chirurgie esthétique est due à la médiatisation de ces nouveaux critères de la représentation du corps. Enfin, l’essor de la chirurgie esthétique rencontre surtout ce moment historique de l’affirmation de l’individualité qui traverse toutes nos sociétés depuis 40 ans. Il y a un nouveau souci de soi et une volonté réelle de s’améliorer tant sur le plan moral que physique. Nous vivons l’ère du “développement personnel” où la chirurgie esthétique trouve toute sa place au même titre que le coaching dans des stratégies personnelles de “mieux-être”. Mais y a-t-il une vie affectivo-sociale harmonieuse et une sexualité possibles hors de la beauté ? ➝ FEMMES DU MAROC | JUILLET 2008 61 Qu'en pense-t-il ?-151 27/06/08 12:24 Page 62 Qu’en pense-t-il ? ➝ Bien sûr que oui. La planète n’a pas tourné qu’avec la beauté. Heureusement ! Une étude a été effectuée par le Lancet Journal sur le bonheur personnel de personnes reconnues comme “belles” par la société telles que des mannequins, des “miss” de concours, etc, comparativement à des personnes dont le physique se situait dans la moyenne. Le résultat est stupéfiant : des taux de dépression, de divorces, de suicides, de vies sans enfants, de solitudes de fin de vie en nombre bien supérieur pour les “belles” que les “moyennes”. La beauté dans son excès est une disgrâce pour l’être humain. Si la beauté ouvre, a priori, les portes, le prix à payer, a posteriori est très lourd. Autour d’une personne belle ayant réussi, il y aura toujours cette sorte d’aura de non-crédibilité et de non-reconnaissance de son mérite et donc, de son travail. La beauté masque réellement la lecture efficiente du mérite. Si la sagesse philosophique grecque, les religions monothéistes ont prôné la juste mesure pour tout afin d’atteindre l’harmonie, c’est peut-être que cette idée, à travers les siècles, a quelque peu fait ses preuves, n’est-ce pas ? Les femmes sont de plus en plus victimes de complexes physiques qu’elles n’éprouvaient pas de la même manière, il y a 50 ans. L’exemple de la course aux injections dès 35 ans vécues comme un marqueur social est pour le moinssignificatif. Cet exemple, s’il n’en n’est pas moins vrai, reste un épiphénomène trop réducteur pour la chirurgie esthétique. L’être humain possède un besoin viscéral de “normalité” et une fois ce stade atteint, il souhaite approfondir l’idée qu’il se fait de son originalité. Les demandes des patientes ont évolué dans le même sens. L’exigence première envers la chirurgie esthétique relève toujours ou presque d’une demande de “normalité” : ne pas avoir un gros ventre, de gros seins, des oreilles décollées. Une fois cette étape travaillée, on va voir apparaître des demandes qui vont faire passer la chirurgie esthétique basique à l’étape d’une chirurgie plus subtile et plus raffinée qui souhaite atteindre l’excellence : éclairer un regard, rebondir des fesses, travailler un déhanché, etc. Il faut vraiment intégrer ces deux étapes nécessaires pour appréhender et comprendre la grande diversité d’offres techniques de la chirurgie esthétique du 21ème siècle. 62 Mais vous-même en tant que chirurgien plasticien, comment estimez-vous que telle ride ou telle courbe est belle ou non ? Lorsque j’ai débuté ma spécialisation il y a près de 20 ans, j’étais persuadé qu’il y aurait dans mon programme un cours sur “l’idéal esthétique et la question du Beau”, “le concept du Beau”, “la beauté et l’Art”, “la philosophie de la beauté”, etc. Or, rien de cela. Toutes les descriptions de la beauté ne viennent pas des chirurgiens, mais bien des philosophes des poètes et des artistes. J’ai suivi mon cursus et j’ai réalisé que la chirurgie esthétique était particulièrement en retard par rapport aux autres spécialités. Toutes les spécialités médicales débutent toujours par une procédure où inspection, palpation, auscultation définissent la sémiologie du diagnostic, soit la science des signes. Un exemple : douleur dans la fosse iliaque droite plus vomissement plus fièvre à 38,5° nous mènent au “ IL sûres. Jusqu’aux années 70, plus de la moitié des personnes opérées du nez respiraient par la bouche car les narines se retrouvaient bouchées ! On comprend donc pourquoi ces pionniers concentraient leurs efforts sur la mise au point de technique sûres et non pas sur des réflexions philosophiques de la beauté. Il a fallu attendre la fin des années 1970 pour que Jack Sheen, père de la rhinoplastie moderne, qui en avait assez de ces nez refaits en trompette de façon sérielle, pose la question “Qu’estce qu’un joli nez ?”. Il a été le premier de toute l’Histoire de la chirurgie esthétique à poser de nouvelles bases de lecture d’un beau nez. Ensuite, la réflexion des praticiens s’est engagée. Dans les années 80, les chirurgiens Ellenbogen et Conell ont défini ce qu’étaient un beau cou et un bel ovale du visage. Puis, au début des années 90, Y A U N N O U V E AU S O U C I DE SOI ET UNE VO LONTÉ RÉELLE DE S ’ AMÉLIORER TANT SUR LE PLAN MORAL QUE PHYSIQUE ” diagnostic d’appendicite. Dans la chirurgie esthétique, il n’y avait aucune sémiologie. C’était un peu comme si l’on donnait de l’aspirine à tout le monde. Vous avez les seins qui tombent ? On les remonte ! Des seins petits ? On les augmente ! La peau qui tombe ? On la retend ! Aucune recherche sémiologique dans le sens où se pose les questions : “qu’est-ce qu’un sein idéal ?”, “qu’est-ce qu’une fesse idéale ?”, “qu’est-ce qu’une jambe idéale ?”. Et quand j’emploie le mot “idéale”, je ne parle pas de la “plus belle” mais de “celle qui suscite le plaisir admiratif”… Si les chirurgiens esthétiques ne se sentent pas concernés par la définition de la beauté, quel est véritablement le sens de leur vocation ? Il faut inscrire cette problématique dans son contexte historique. Les plasticiens du début du 20ème siècle cherchaient à répondre à la demande de leurs patients, mais il leur manquait des techniques Sydney Coleman et John william Litlle se sont exprimés contre le lifting à tout prix comme seule méthode de rajeunissement facial. La question du “modèle de vieillissement” était enfin posée : l’atrophie et la perte des volumes du visage ont été considérée aussi importantes que leur chute. Lorsqu’une femme dit que son visage s’est affaissé, elle analyse le phénomène comme étant une simple chute des tissus. En réalité, il s’agit d’une conjonction de perte du volume osseux par ostéoporose, d’une atrophie des muscles, de la graisse et du tissu colloïdal, d’une déshydratation et d’un affinement de la peau. C’est cette conjonction qui rétrécit l’ensemble du visage et lui fait perdre sa plénitude, si caractéristique de la jeunesse. On passe véritablement de la prune au pruneau, du raisin plein au raisin sec ! En conceptualisant ce modèle de vieillissement, Sydney Coleman a mis un coup de frein au lifting qui retend les ➝ FEMMES DU MAROC | JUILLET 2008 Qu'en pense-t-il ?-151 27/06/08 12:26 Page 64 Qu’en pense-t-il ? ➝ muscles et la peau comme seule méthode de rajeunissement facial. Vous voulez dire qu’il s’agit d’une évolution très récente d’une vingtaine d’années à peine ! En quoi cette évolution vous a-t-elle aidé dans vos recherches ? Il est indéniable que mes visites régulières à ces pionniers contemporains m’ont permis d’aller plus loin dans la réflexion. Mais il existe un autre élément tout aussi important : mon irritation, face à certains “nouveaux visages” opérés ou “injectés” que l’on croise ici et là. L’exemple des bouches “saucisse”, surgonflées est édifiant même sur le plan historique : si vous parcourez les œuvres d’art, de la Grèce antique jusqu’à la période de l’Art Nouveau (début 20 ème ), les femmes sont représentées avec de petites bouches et des lèvres peu charnues, le tout dans un sourire retenu qui relève de la pudeur. Le cas de Mona Lisa et de son sourire énigmatique en est un exemple pour le moins éclairant. C’est alors qu’arrive la beauté de la provocation proposée par les mouvements d’avant-garde du 20 ème siècle qui ont fait voler en éclat les canons esthétiques jusqu’alors respectées : les lèvres sont de plus en plus mises en avant, soulignant leur couleur (comme, par exemple, sur les affiches de Marilyne Monroe réalisées par Andy Warhol). Puis les médias vont s’y mêler, publicisant à outrance le côté charnel des lèvres dans le but de satisfaire les pulsions érotiques du grand public. Résultat : l’apparition de femmes de 60 ans et plus avec des bouches de poisson qu’elles n’ont jamais eu à l’age de 20 ans ! Un déclic s’est produit à ce moment-là : on ne peut s’éloigner du “naturel” sans tomber dans le ridicule. Là encore, la sagesse grecque doit prévaloir : “La beauté est la splendeur du vrai”, disait Platon. Toutes vos recherches aboutissent au respect du tracé naturel soit du concept "Beauté" défini par la sagesse grecque, justement. Comment êtes-vous parvenu à ce résultat ? Grâce au "nouveau concept de vieillissement" proposé par Coleman, je suis allé plus loin dans la réflexion en m’intéressant à la lumière qui émane du visage et plus particulièrement des yeux qui sont la source de l’expression humaine. Pendant plus de 50 ans, les chirurgiens plastiques, relayés par les médias, ont focalisé leur attention sur les poches et les 64 rides des paupières inférieures ainsi que sur le “pseudo excès de peau” de la paupière supérieure. Ceci a conduit à une perception erronée du vieillissement péri orbitaire. J’ai réalisé qu’il ne fallait pas focaliser sur ces détails, mais plutôt élargir la perspective afin de percevoir l’œil comme une entité au centre d’un cadre artistique général (framework). Cette étude a duré 8 ans et s’est faite à 3 degrés différents. Le premier a été l’étude des “plus beaux regards du monde” (Catherine-Zeta Jones, Monica Belluci…). Cette étude avait pour objectif de mettre le doigt sur ce que tous ces beaux regards avaient en commun. Le deuxième degré de la recherche a été une étude anthropologique du regard de l’homme. En effet, chez nos ancêtres, le front était plat. Il s’est bombé avec l’évolution. Idem pour les arcades proéminentes qui se sont radoucies. L’œil profond s’est superficialisé. “EN fin, j’ai mis au point des micro-canules en spirale désormais brevetées. Je viens d’ailleurs de publier les résultats préliminaires de cette recherche dans l’Aesthetic Surgical Journal en collaboration avec Micheal Yaremchuk, de Harvard Medical School (1). Les résultats complets de l’étude seront publiés dans le nouveau livre que j’ai écrit avec Sydney Coleman (2). Donc, la définition de la beauté ne se réduit pas à des proportions chiffrées ? Les Grecs ont proposé un quadrillage de la beauté dans des nombres, des plans en tiers, etc. Plus tard, les savants de la Renaissance ont repris la notion de proportion tout en consacrant la lumière comme élément fondamental au rayonnement volumétrique d’un visage. Or, il ne peut y avoir de réflexion lumineuse que sur une convexité. La présence de concavité (cavité orbitaire, tempes) crée une M AT I È R E D E C H I R U R G I E ESTHÉTIQUE, ON NE PEUT S’ÉLOIGNER DU “ N AT U R E L ” S A N S TO M B E R DANS LE RIDICULE” C’est pourquoi nous sommes dérangés face au regard d’un primate qui nous renvoie à l’image de notre propre vieillissement, alors que nous sommes fascinés par le regard des félins. Dans le premier cas, l’œil du primate se trouve, proportionnellement dans une trop grande cavité. En revanche, l’œil du félin donne l’impression d’être planté dans le front sans cavité autour. Il en résulte une forte concentration de la lumière sur les yeux avec un effet hypnotisant unique. Partant de ces constatations, j’ai développé un modèle artistique : le concept de la “Marie-Louise des yeux” (the Frame Concept). Mais quel est le lien entre ce concept théorique et sa mise en pratique chirurgicale ? L’objectif était d’imaginer un procédé pour rétrécir le cadre autour des yeux. J’ai dû développer une technique pour éliminer les ombres de la cavité de l’orbite par un procédé chirurgical original. A cette ombre déplaisante à l’œil humain. La beauté est donc bien plus subtile qu’une histoire de chiffres. Pour tenter de la saisir, il faudrait scanner un visage dans un ordinateur 3D et calculer toutes les courbes, les degrés d’inflexion, ainsi que les variables de la matière vivante. Vous le voyez bien, la beauté ne peut être réduite aux seuls principes de proportions développés par les Grecs. Je pense très humblement que nous sommes, aujourd’hui, aux balbutiements de la chirurgie esthétique et des critères de notre compréhension de ce qu’est la beauté. ■ 1- Reversing brow lifts - Aesthetic Surgery Journal, Volume 27 , Issue 4 , Pages 367 - 375. Published by Drs. M. Yaremchuk and O’Sullivan (Massachusetts General Hospital, Harvard Medical School, Boston) and Dr. F. Benslimane (private practice in Clinique Benslimane, Casablanca, Morocco). 2- Micro Fat Grafting : from filling to regeneration. Quality Medical Publishing, St. Louis, Missouri, issue en Octobre 2008. FEMMES DU MAROC | JUILLET 2008