Les abus sexuels commis par des adultes en charge de mineurs et
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Les abus sexuels commis par des adultes en charge de mineurs et
Centre de ressources régional sur les auteurs de violences sexuelles - Rennes Synthèse CRAVS Bretagne Les abus sexuels commis par des adultes en charge de mineurs et les organisations au service des jeunes Ce document présente une synthèse d'un 1 article qui est paru en octobre 2014 et qui porte sur les adultes de l'entourage d'un mineur qui peuvent être ou devenir auteurs de violences sexuelles, et sur les institutions qui accueillent des mineurs. Les auteurs de l'article, K.V. Lanning et P. Dietz, sont deux consultants américains qui ont traité de nombreuses affaires d'agressions sur mineur, en justice civile et pénale. Le premier est retraité du Federal bureau of investigation (FBI) où, pendant vingt ans, il a été agent spécial, affecté à l'Unité de science comportementale. Le second auteur est professeur clinicien à l'University of California, Los Angeles (UCLA) ; il a mené de nombreuses évaluations psychiatriques d'agresseurs et de victimes. Parce qu'il existe peu de statistiques sur la prévalence et les caractéristiques des adultes auteurs de violences sexuelles et responsables 2 de mineurs , Lanning et Dietz ont choisi de présenter une revue de littérature et de partager des éléments constatés au cours de leur expérience. Leur objectif est d'expliquer les schémas comportementaux qu'ils ont constatés, tant du côté des agresseurs que du côté des victimes, et ensuite, de mettre les organisations face à l'existence de ces schémas. Ils veulent faire reculer le stéréotype du "pédophile diabolique" trop éloigné de la réalité, et amener les organisations à prendre conscience des raisons qui freinent 1 Kenneth V. Lanning et Park Dietz (2014). Acquaintance Molestation and Youth-Serving Organizations, Journal of Interpersonal Violence, vol. 29 n° 15, p. 2815-2838. 2 Avertissement terminologique. Les auteurs utilisent le terme "acquaintance molesters" pour désigner les adultes auteurs de violences sexuelles, qui font partie de l'entourage du mineur, mais qui ne sont ni un membre de la famille ni un étranger. Ces adultes sont en relation avec les mineurs dans le cadre des activités de ceux-ci (ex. enseignants, entraîneurs, animateurs, éducateurs, hommes de religion, etc.), au sein d'organisations accueillant des mineurs (ex. institution religieuse, scouts, équipes sportives, écoles, camps de vacances, etc.). Par commodité, nous utilisons l'expression "adulte de l'entourage auteur de violences sexuelles". © Synthèse CRAVS Bretagne. CHU de Rennes. Mars 2015 l'acceptation de ces schémas et la mise en œuvre de mesures adaptées. Une vue d'ensemble pour comprendre la complexité du problème Un des aspects de la victimisation sexuelle des mineurs tient à la nature de la relation entre l'adulte et le mineur, relation qui permet au premier d'avoir une position d'accès et de contrôle sur le second. Le comportement de l'auteur de violences sexuelles diffère selon qu'il soit un membre de la famille, un étranger ou un adulte de l'entourage. Ce dernier cultive un lien avec le mineur, à l'occasion de contacts répétés, et met en place un processus de séduction qui utilise l'immaturité du mineur en cours de développement. Les adultes de l'entourage auteurs de violences sexuelles peuvent avoir trois profils possibles : 1. Le "pédophile diabolique" : l'individu qui projette d'abuser sexuellement de mineurs en ciblant une institution, et en profitant de la légitimité et de la crédibilité de son employeur. Ce profil est le plus rare, mais le plus répandu dans les esprits par les médias. 2. L'individu qui aime les enfants, et qui est souvent aimé d'eux : il a besoin de rendre cet amour utile, dans un cadre institutionnel, afin de résister à la tentation. La bonne intention initiale s'avère en même temps le point de départ d'un schéma de comportement à long terme. Ce profil est le plus fréquent. 3. L'individu qui choisit une profession en lien avec les mineurs et qui découvre après coup un intérêt sexuel pour ceux-ci. Ces adultes de l'entourage du mineur ciblent principalement les adolescents post-pubères, qui s'expriment par leur tenue, ont plus de liberté et passent moins de temps avec leurs parents. Ils se comportent avec eux de manière inappropriée, mais n'ont pas forcément de trouble mental ou psychosexuel avéré. Un second aspect du problème tient aux organisations elles-mêmes, qui échouent à apporter une réponse adaptée, alors qu'elles ont un rôle majeur à jouer dans la prévention de la victimisation des mineurs. Deux raisons Page 1 sur 4 Centre de ressources régional sur les auteurs de violences sexuelles - Rennes expliquent cet échec. La première est liée à la négligence, par ignorance du problème, par manque de compétence et par désir d'oublier l'incident. La seconde est liée à une intention volontaire d'étouffer l'affaire, de limiter les dégâts, et d'éviter des poursuites judiciaires, en usant de complicités. Le troisième aspect du problème concerne les situations difficiles que les organisations ont du mal à gérer, par exemple : la victimisation d'un mineur par un adulte par des comportements considérés a priori comme non sexuels, ou encore la "coopération" d'un mineur à sa victimisation. La prévention est difficile à mettre en œuvre, car l'identification d'un abuseur est peu probable avant la découverte d'une première infraction. De plus, les profils sont aussi difficiles à décrypter, entre ceux qui profitent d'une opportunité pour victimiser et ceux qui sont difficiles à détecter en raison de leur apparence honorable. Quatre phénomènes communément mal compris Pour réussir un dépistage du problème, préparer une intervention ou prévenir une infraction, les adultes responsables doivent comprendre ces phénomènes étroitement liés. 1. La diversité de l'activité sexuelle La victimisation sexuelle des mineurs se décline de différentes manières. Elle peut se réaliser par des actes sexuels considérés comme "normaux" entre adultes consentants, du baiser au rapport sexuel. Elle peut aussi inclure des comportements sexuels déviants. Cependant, elle peut également inclure des actes considérés comme non sexuels, tels que toucher, enlacer, asseoir sur les genoux, bander les yeux, etc. La différence entre activité sexuelle et infraction sexuelle n'est pas si simple à définir. En effet, est-ce la motivation pour l'acte qui détermine le comportement sexuel, ou bien l'acte spécifique réalisé ? Un acte non sexuel, a priori non illégal, peut être au service de besoins sexuels. De même, un acte sexuel peut être au service de besoins non sexuels. Pour commencer à apporter des réponses au problème, il importe de reconnaître que l'activité sexuelle ne se limite pas forcément à un rapport sexuel. 2. Le "bon gars" auteur de violences sexuelles Il s'agit du profil n° 2 évoqué dans la partie précédente. Le "bon gars" semble aimer les enfants, il leur consacre du temps, et il est © Synthèse CRAVS Bretagne. CHU Rennes. Mars 2015 aussi aimé d'eux. Il est souvent respecté par la communauté, apprécié pour ses qualités, variables selon les milieux (par exemple, paraître ordinaire, aller régulièrement à l'église, avoir une carrière militaire exemplaire). Aucune vigilance n'est mise en œuvre pour ces adultes parce que, dans les esprits, il est impossible qu'un agresseur d'enfant soit en même temps bon, spirituel, généreux et attentionné. D'ailleurs, les collègues qui le connaissent personnellement et l'apprécient auront tendance à rejeter les accusations à son égard et à blâmer les victimes. Le "bon gars" sait cacher ses intérêts sexuels et son comportement de ceux dont il sait qu'il n'aura pas le soutien. Reconnaître qu'un "bon gars" peut aussi être un auteur de violences sexuelles permettrait d'améliorer la capacité des professionnels dans le dépistage et la supervision du personnel. 3. Des enfants victimes "dociles" Cette expression désigne les mineurs qui, d'une certaine manière, ont semblé coopérer totalement ou partiellement à leur victimisation, sans qu'il y ait eu menace de violence ou usage de la force. La "consentement" entre un adulte et un mineur n'est pas si simple à définir. Car la "docilité" des mineurs victimes est le résultat de deux faits : le processus de séduction mis en œuvre par l'adulte abuseur d'une part, et les besoins humains fondamentaux du mineur d'autre part. Des comportements comme, par exemple, avoir des échanges sexuels afin de recevoir de l'attention ou des cadeaux, ont pu dérouter des enquêteurs. Cette question de la "docilité" est un aspect difficile et particulier dans les situations d'abus sexuel par un adulte de l'entourage. Or, que le mineur refuse l'activité sexuelle, qu'il la signale, ou même qu'il l'apprécie, ou encore qu'il l'initie, ce n'est pas cela qui détermine la culpabilité de l'adulte qui a victimisé sexuellement un mineur. Car c'est l'adulte qui a l'obligation légale et la maturité de dire non à ces activités. Les mineurs doivent être protégés, et leur "consentement" pour des activités sexuelles ne peut être reconnu, non pas parce qu'ils sont "innocents" ou vulnérables, mais parce qu'ils sont dans une période de développement de leur être, notamment au niveau du cerveau, de la prise de décision, du jugement. Il importe, pour les organisations, de reconnaître la réalité de cette "docilité", et aussi de mettre à distance le stéréotype du "petit enfant innocent". Cela permettrait de mieux identifier et de mieux évaluer les situations. Page 2 sur 4 Centre de ressources régional sur les auteurs de violences sexuelles - Rennes 4. Le processus de séduction Appelé aussi grooming chez les anglophones, ce processus consiste en des techniques non violentes, en vue d'obtenir un contact sexuel ou un contrôle sur une victime potentielle ou réelle. La manière de séduire varie selon l'âge de la cible, les étapes de son développement, ses besoins et ses vulnérabilités. Un adulte abuseur, qui recherche de jeunes enfants, met en place un processus de séduction qui cible également les parents ou tuteurs. Ceux-ci font alors confiance à cet adulte, et laissent leur enfant passer plus de temps avec lui. Les techniques utilisées avec l'enfant sont des jeux, du divertissement. Il en résulte une confiance croissante, et un risque de révélation amoindri. L'adulte abuseur qui recherche des mineurs plus âgés profite de moments programmés, loin des parents. Les techniques utilisées impliquent l'excitation sexuelle, l'absence de rébellion et la curiosité du mineur. Cette implication réduit le risque de révélation et favorise un cercle vicieux où le mineur revient vers cet adulte et est victimisé à nouveau. Les risques d'exploitation sexuelle augmentent avec des facteurs situationnels que sont, par exemple, le fait de placer un mineur dans un cadre privé avec un adulte, le fait d'encourager des liens affectifs entre adultes et mineurs ou le fait de fournir à des adultes une autorité supplémentaire sur les mineurs. Or, ces situations sont inhérentes aux organisations prenant en charge des mineurs. C'est la raison pour laquelle celles-ci doivent prendre des précautions pour les protéger. Si elles ne font rien, elles fournissent des contextes favorables à l'abus : camping, scoutisme, voyages, déplacements d'une chorale ou d'un club sportif, etc., avec des opportunités de passer une nuit ou de voir des mineurs s'habiller. Quatre pratiques cruciales pour protéger et prévenir Les organisations doivent légalement protéger les mineurs de la victimisation sexuelle, dans le respect des lois, si besoin avec l'aide d'autres professionnels. Les quatre pratiques décrites ci-après ne sont pas toujours mises en œuvre dans les organisations au service des jeunes. 1. Le dépistage Le recrutement des candidats pour un poste de travail avec des mineurs est un moment important dans le dépistage. Une étude de l'US Department of Justice a révélé des différences dans les sélections, notamment avec ou sans © Synthèse CRAVS Bretagne. CHU Rennes. Mars 2015 entretien individuel, avec ou sans vérification des références, etc. Pour Lanning et Dietz, outre la vérification des antécédents judiciaires, une personne doit être sélectionnée sur la base d'une candidature écrite, d'un entretien préliminaire, d'une vérification des références et d'un contact avec les anciens employeurs. Cette procédure doit avoir lieu régulièrement au cours de la carrière ou dès qu'il existe des doutes. S'entretenir avec le candidat et le voir interagir avec les mineurs est aussi un temps important. Les recruteurs doivent être formés à la détection de signaux d'alerte, surtout face à un candidat qui paraît bon, volontaire et dévoué. Ils doivent veiller à des points de vigilance, qui portent plus sur les schémas de comportement que sur les traits de la personnalité. Ces comportements sont, par exemple, le fait d'avoir des relations très limités avec ses pairs, le fait de plus s'identifier avec les enfants qu'avec les adultes, le fait d'avoir des centres d'intérêts attirants pour des enfants, etc. Ces points de vigilance peuvent aider à l'identification d'éventuels abuseurs, sans certitude pour autant. C'est en effet la persistance, la répétition ou l'évidence de ces schémas comportementaux qui vont autoriser à poser des questions et à investiguer. 2. La gestion et la supervision du personnel La description des postes, la politique de l'organisation et les procédures doivent être développées, mises en œuvre, diffusées et publiées. Elles doivent être très claires afin de pouvoir démontrer un écart de conduite, voire soumises à un audit par des professionnels extérieurs à l'organisation. Les instructions doivent préciser ce qu'est un comportement approprié, inapproprié ou blessant, avec des restrictions sur les contacts physiques et sur la vie privée. Tout le personnel doit être responsable dans la vigilance sur les comportements des membres de l'organisation, et être formé à l'observation et au signalement. En dehors de l'organisation, les contacts entre les mineurs et les employés de l'organisation doivent être restreints ou interdits. Informer les parents de ces règles permet de réduire le risque de victimisation, notamment au domicile. 3. Répondre aux suspicions, aux plaintes ou aux allégations Les organisations doivent établir et encourager les procédures de signalement, au même titre que les membres du personnel doivent être formés et encouragés à reconnaître et signaler des suspicions raisonnables, pas forcément Page 3 sur 4 Centre de ressources régional sur les auteurs de violences sexuelles - Rennes des faits prouvés. Elles ont la responsabilité de développer leurs propres réponses, même si cela peut s'avérer limité. En effet, il convient d'avoir des signes suffisants pour initier une investigation, sachant qu'au cours de celle-ci, un équilibre doit être préservé entre la protection du mineur et la réputation d'un présumé abuseur. Les signalements et les mesures prises doivent être bien renseignés. C'est essentiel pour les procédures d'évaluation, d'autant que les mineurs victimes peuvent nier les faits, ne pas parvenir à les révéler, sinon de manière incomplète. Les organisations se doivent d'agir dans une nécessaire transparence. Or celle-ci est trop souvent sacrifiée. Souvent, quand une organisation découvre un abuseur parmi ses membres, elle pense à écarter l'individu, éviter le scandale et couvrir l'incident. Ce choix irresponsable se retourne tôt ou tard contre l'organisation. 4. Des programmes de prévention et de prise de conscience Ces programmes doivent inclure l'éducation du personnel, des bénévoles, des parents et des tuteurs. Ils doivent spécifier ouvertement qui est susceptible d'être abuseur. Bien que cela ne soit pas facile, ils doivent intégrer le fait qu'il existe des "bons gars" et des mineurs rendus "dociles" par le processus de séduction. Les organisations doivent aussi intégrer et analyser les incidents antérieurs qu'elles ont connus, afin d'identifier les schémas de comportement et de développer des mesures en conséquence. En matière de prévention, les conseils restent difficiles à mettre en œuvre. En effet, comment mettre en garde contre un adulte qui sera proche de l'enfant, adorable avec lui et à son écoute ? Mais ces conseils peuvent être améliorés. Car il s'avère que nombre d'entre eux ne mentionnent pas assez le type de victimisation auxquels ils s'appliquent, et qu'ils portent trop sur des concepts, tels que "dire non, crier et parler" ou "refuser une avance non désirée". Quant aux conseils destinés à la protection des adolescents, ils nécessitent de prendre en compte de manière réaliste les étapes de leur développement psychosexuel. Un adolescent doit comprendre pourquoi une relation avec un adulte n'est pas une bonne chose, ni pour lui, ni pour l'adulte. En outre, s'il suspecte une relation entre un camarade et un adulte, il doit aussi être en mesure de conseiller son ami contre ces relations. Que retenir de cet article ? Les stéréotypes du "pédophile diabolique" et du "petit enfant innocent" sont très éloignés de la réalité complexe que constituent les abus sexuels sur mineur commis par un adulte de son entourage. Cette complexité tient à la diversité de l'activité sexuelle, à l'existence du "bon gars" comme profil le plus répandu, et à la "docilité" des mineurs victimes, suite au processus de séduction créé par l'abuseur. Les organisations au service des mineurs doivent reconnaître, comprendre et accepter les schémas de comportement à l'œuvre dans le processus de victimisation sexuelle. Leurs politiques, les incidents antérieurs et les mesures de signalement mises en place doivent être exposés et publiés. Leur personnel doit être formé et encouragé à l'observation et au signalement de comportements suspects. Les programmes de prévention doivent être fondés, de manière réaliste, sur une bonne connaissance des abuseurs, des victimes et du processus de victimisation. Synthèse rédigée par Ghislaine Robert, sous la supervision du Dr Marlène Abondo. Pour plus d'informations : CRAVS Bretagne. Service de médecine légale. CHU de Rennes. 2 rue Henri Le Guilloux. 35033 RENNES CEDEX 9. Tél. 02 99 28 99 04. Adresse électronique : [email protected]. Informations et ressources : http://cravs.chu-rennes.fr/ Pour citer ce document : Robert G. (2015). Synthèse CRAVS Bretagne : Les abus sexuels commis par des adultes en charge de mineurs et les organisations au service des jeunes. Rennes : Centre de ressources régional sur les auteurs de violences sexuelles (CRAVS Bretagne), CHU de Rennes, 4 p. © Synthèse CRAVS Bretagne. CHU Rennes. Mars 2015 Page 4 sur 4