Les Warli et leurs peintures

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Les Warli et leurs peintures
Les Warli et leurs peintures
Les Warli vivent dans la région du Maharastra, à 200 km environ au nord de Bombay. Dans
cette région ils sont environ 400 000 à vivre depuis des temps immémoriaux de l’agriculture,
de la cueillette et de la chasse. Leur contrée est paisible, avec des collines, des ruisseaux, des
forêts giboyeuses et des villages où ils restent à l’écart en gardant leur identité.
Ils ne sont pas cependant fermés aux visiteurs et la modernité les touche progressivement.
Ils gardent une structure sociale avec des pouvoirs locaux, une religion traditionnelle avec
des shamans, et une langue propre sans posséder d’écriture. Leur peinture traditionnelle
tient une place particulière dans leur tradition et leur vie sociale. Cette peinture est leur
spécificité qui les a fait connaître dans le monde entier depuis près de cinquante ans.
Le « peuple » Warli appartient à la grande famille des peuples « Adivasi » de l’Inde. Ceux-ci
ont été les premiers habitants qui ont peuplé le sous continent indien depuis près de 40 000
ans. Les Adivasi sont aujourd’hui prés de 100 millions répartis en familles différentes de
tribus et de peuples, à l’écart des courants dominants de la société indienne et hindoue. Ils
sont majoritaires dans les états de l’Inde du Nord Est, les contrées les plus hostiles et
reculées.
La peinture des Warli remonte à la nuit des temps. C’est d’abord une peinture rituelle
traditionnelle qui est faite uniquement par les groupes de femmes du village, de façon
collective. Elle est peinte à l’occasion des mariages sur les maisons des familles des mariés.
Cette œuvre collective s’enracine dans les rites sociaux et religieux des Warli.
Depuis une cinquantaine d’années une forme de peinture individuelle est née par ailleurs
sous l’impulsion de quelques artistes hommes. Ils se sont appropriés l’acte de peindre tout
en suivant la forme et le style de peinture traditionnel, avec ses couleurs, ses thèmes et sa
dynamique. Mais ils en ont renouvelé progressivement les formes et les thèmes. En fait ils
ont surtout « décroché » du mur des maisons la peinture primitive, pour la peindre sur un
tableau, en utilisant des supports nouveaux, la toile en particulier.
Quelles caractéristiques donner à ces deux formes de peinture qui coexistent aujourd’hui ?
Parlons d’abord de la peinture traditionnelle réalisée par les femmes pour les mariages
avant de parler des peintures individuelles sur des supports nouveaux.
1/ Les peintures traditionnelles
Elles sont toujours actuelles.
Avant de visiter le village Warli du peintre Nathu, nous nous demandions si ce type de
peinture existait encore et n’était pas seulement une vague rémanence folklorique. Non, les
Warli se marient toujours avec les mêmes règles d’exogamie et de liens entre tribus. Leur
peinture murale existe toujours à l’occasion des mariages sur les maisons.
Elles gardent leur fonction rituelle identitaire dans la vie religieuse et sociale.
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Elles font partie intégrante des rites du mariage, elles en sont même le cœur en lien avec
d’autres rites. Le shaman n’intervient que pour dévoiler le carré de la fécondité réalisé sur le
mur. L’acte et le processus lui-même de peinture ont un caractère sacré et secret. Les
peintures sont là pour ouvrir un dialogue sur le sens du mariage et ses différentes
dimensions : de fécondité, de sexualité, de lien et d’alliance, d’appartenance à la tribu et la
famille, de division sociale des rôles et responsabilités. Les peintures sont en effet
commentées et complétées par la mise en scène de mimes, de jeux de rôle sociaux, de
système d’offrandes ou de cadeaux, autant de rites qui rythment le temps de la fête :
- Le rite de kanna : « au 3° jour du mariage, après un bain rituel de chacun des mariés,
a lieu le rite du « kanna », le trou à moudre le grain dans la maison de la mariée. Les
femmes le peignent de couleurs rituelles jaunes, rouges, orange. Puis ce sont les
cheveux de la mariée que les femmes les plus âgées peignent des mêmes couleurs
pendant que la jeune épouse mime des cris, des refus et des pleurs, puis
l’acceptation d’être touchée. Ce rite manifeste le statut de virginité de la mariée aux
yeux de tous, en particulier aux yeux de la famille du marié.
- Le rite qui suit est celui d’Othibarne : les femmes de la famille du marié viennent
offrir à la jeune mariée les 6 cadeaux symboliques traditionnels: une gerbe de riz, des
dates, des noix de coco, un rhizome de turmeric, des noix de bétel, dix roupies. Ces
cadeaux sont mis dans son sari pour qu’elle ressemble à une femme enceinte.
- Le rite d’Aarti vient ensuite: la jeune mariée est alors conduite avec son ventre
bombé par la gerbe de riz, dans la cour devant la maison familiale, qui sert d’aire de
battage. Là elle s’incline devant le poteau couvert d’une gerbe de riz qui symbolise la
déesse de la fertilité.
- Le rite de Sadi Lavne : puis de retour à la cuisine de la maison, la jeune mariée crie et
pleure à nouveau tout en ôtant la gerbe de riz de son sari. On lui offre alors un sari
neuf de couleur verte. C’est celui que l’on offre chez les Warli à une jeune femme qui
vient d’accoucher
Peintures et rites mis en scène font partie d’une transmission sociale sur le mariage et
jouent un rôle de cohésion sociale par le maintien de la tradition. Le thème majeur est celui
de la fécondité, celui de la vie qui se transmet de génération en génération dans le cadre
social.
Elles marquent la place spécifique et le pouvoir des femmes Warli
Ces peintures sont réalisées collectivement et uniquement par des femmes mariées sous la
direction des plus anciennes. Elles sont l’acteur unique de cet acte de peindre qui est en luimême sacré. Le shaman qui est l’intermédiaire habituel avec le monde des esprits n’a qu’un
rôle mineur dans ce rite.
Quatre peintures sont systématiquement réalisées à l’occasion du mariage sur les murs des
maisons des familles des mariés, , à l’extérieur et à l’intérieur.
Le Dev Chowk, le carré de la fécondité se trouve sur un mur intérieur : en son centre se
trouve en effet la représentation, l’image de « Palghat », la déesse de la fertilité. Elle est
encadrée de motifs symboliques toujours repris.
Le Lagna Chowk ou carré des mariés, présente les deux jeunes mariés en blanc sur un cheval
blanc entourés de la foule des amis et de la famille en fête, dansant au son de la tarpa.
Le Kanna dont nous avons parlé est peint sur le sol du trou à moudre ;
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Les Muthi, les poings de l’abondance, sont peints sur un mur extérieur. La peinture est faite
avec des poings fermés, en blanc sur le mur ocre. Le blanc est tiré de la farine de la première
récolte des grains de riz moulus.
2/ Les peintures « non traditionnelles »
Réalisées d’abord par des artistes hommes, créateurs individuels, ce type de peintures est
aussi l’apanage aujourd’hui d’artistes femmes qui créent et peignent individuellement. Ces
créations manifestent et décrivent une représentation plus complète du monde warli. : celui
de la vie quotidienne, du temps de la fête, d’un monde « enchanté ». Tout ce processus de
création et de formation a réussi à trouver un nouvel assemblage de qualité entre les
apports livrés par la tradition et des formes nouvelles. Il concerne aussi bien les supports,
que les techniques, les thèmes, la diffusion et la vente de ces « œuvres » nouvelles.
Les thèmes et la nouvelle représentation du monde
Les thèmes sont d’abord ceux du quotidien.
On retrouve dans les peintures les scènes de la vie rurale l’agriculture, le rapport aux
animaux sauvages ou domestiques, observés de façon minutieuse mais toujours avec une
forte charge symbolique.. Les lieux, forêts ou villages présentent toujours leurs habitants et
leur foisonnement. Les objets et lieux du quotidien ont aussi leur place simple et joyeuse.
Les thèmes privilégient aussi le temps de la fête.
La vie sociale a souvent une dimension collective, conviviale et festive dans le temps de la
fête où la danse est toujours mise en valeur. N’oublions pas de reconnaître les hommes et
les femmes dans ces figures stylisées toujours en mouvement : les femmes ont toujours un
petit chignon sur la tête.
Les dieux d’après leurs mythes, ont donné aux warli les instruments de musique pour la
fête : les tambours et percussions (dhaks), l’instrument à vent (tarpa), que l’on voit dans
toutes les danses, le « ghangli » (instrument à corde) que l’on voit surtout représenté sur le
Dev Chowk traditionnel. Ils ont aussi donné aux Warli pour leurs fêtes le « toddy », la
boisson alcoolisée que l’on recueille sur les palmiers à l’aide d’une gourde. Ces fêtes sont
multiples et certaines sont spécifiques aux Warli (fête de Kansari la déesse des moissons) et
d’autres communes à plusieurs communautés (fête de Holi au printemps par exemple).
Le monde des warli reste un « monde enchanté »
N’oublions pas une différence essentielle avec notre société : le monde des Warli est un
« monde enchanté » où l’on ne fait pas la distinction entre le profane et le sacré. L’araignée,
symbole de ténacité et d’éternité, reconstruit sa toile toujours au même endroit. Le paon est
le dieu protecteur de la famille, le tigre est le dieu protecteur du clan. La représentation de
la déesse des moissons sur l’aire à battre prend la forme d’une gerbe de riz sur un simple
poteau.
Les processus de transformation et de formation.
Les premiers peintres individuels, des hommes, ont été rapidement connus et reconnus en
Inde puis à l’étranger pour leur peinture originale. Leur création individuelle a su adapter les
anciennes techniques de peinture transmises par les mères, à des matériaux et supports
nouveaux. Et pourtant les choix de coloris, et de pigment, de bambous et pinceaux sont
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restés dans l’esprit de la tradition en gardant le style et la dynamique des peintures
anciennes. On trouve un exemple de cette adaptation à la modernité sur l’un des murs
« peints » des Cités Idéales de Tony Garnier à Lyon par un artiste warli, Shantaram Tumbda.
Les femmes, un peu plus tard, ont été formées par une association de formation soucieuse
d’ouvrir les voies nouvelles de la peinture aux femmes qui en avaient été depuis toujours les
artistes et dépositaires. Elle a été créée par un anthropologue indien, le Dr Robin Tribhuwan,
qui travaille avec les Warli depuis plus de 20 ans. Il recueille leurs traditions et modes de vie,
suit les évolutions qui les touchent. Depuis, ces formations se sont étendues et de nombreux
écoliers sont initiés dés leur jeune âge aux façons de peindre nouvelles ou traditionnelles.
C’est dire la richesse de cette culture qui prend le risque de vivre d’une autre façon son
identité en trouvant des voies nouvelles d’affirmation dans le monde qui l’environne.
En conclusion
Redisons avec un peu d’humour que « la femme est l’avenir de l’homme ».
Mais reconnaissons que chez les Warli les femmes peintres avaient une longueur d’avance
dans cette « modernité ». Elles offraient depuis longtemps les possibilités d’un dialogue avec
le visible qui s’ouvrait aussi sur l’invisible, dimension universelle de la fécondité de toute
création.
Henri Amblard
LACIM Mai 2011
Avec nos remerciements les plus chaleureux au Dr Robin Tribhuwan, anthropologue,
"assitant officer" pour les affaires tribales à Nagpur, enseignant à l’Université de Pune et
directeur de l’association IDEAS. Il nous a permis de visiter le village warli de Rajadpada au
nord de Mumbai où nous avons été accueillis par le peintre Natu Sutar. Il nous a transmis
une partie de ses connaissances sur les Warli. Avec son association IDEAS, il contribue à la
promotion de leur art depuis plus de 20 ans, en soutenant des formations et en facilitant la
vente de leurs peintures.
Bibliographie : Threads together, Dr Robin Tribhuwan, édit° DPH, 2003.
Diaporama : présentation de l’Art Warli, réalisé en 2011 par Catherine Amblard pour
l’association LACIM.
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