la mise en place de dispositifs d`alerte éthique est-elle
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la mise en place de dispositifs d`alerte éthique est-elle
par Laurence Malès échanges février 2008 10 © J.-F. Lange Rédacteur en chef adjoint, Échanges Hommes et management Alors que la loi relative à la lutte contre la corruption vient d’être promulguée, le débat sur les dispositifs d’alerte reste ouvert. Malgré d’importantes divergences quant aux processus à mettre en œuvre, l’idée d’un whistleblowing à la française semble largement plébiscitée. La mise en place de dispositifs d’alerte éthique est-elle inéluctable ? archives www.revue-echanges.org ➥ « Whistleblowing, la raison l’emportera », entretien avec Philippe Coen, n° 234, juillet 2006. Suite à la promulgation de la loi relative à la lutte contre la corruption, la Compagnie des conseils et experts financiers (CCEF) a consacré sa convention nationale du 4 décembre 2007 au whistleblowing 1. Les débats qui en ont résulté mettent en exergue des positions très divergentes quant au processus d’alerte éthique et à sa mise en œuvre, mais aussi une évolution probablement inéluctable vers des dispositifs de whistleblowing « à la française ». Quelques rappels En préalable, les intervenants ont rappelé que : l 36 % des fraudes sont détectées par les salariés, alors que les services d’audit interne n’en relèvent que 14 % ; l la troisième directive relative au blanchiment est applicable à compter du 15 décembre 2007 ; l la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), qui veille aux atteintes aux libertés publiques, a émis le 8 décembre 2005 une délibération portant autorisation uni- que de traitements automatisés de données à caractère personnel mis en œuvre dans le cadre de dispositifs d’alerte professionnelle ; l un rapport intitulé Chartes d’éthique, alerte professionnelle et droit du travail français : état des lieux et perspectives 2 a été remis le 6 mars 2007 à Gérard Larcher, alors ministre délégué à l’Emploi, au Travail et à l’Insertion professionnelle des jeunes. Un sujet qui suscite l’émoi en France Sur le plan culturel, en France, le processus de dénonciation renvoie, pour certains, à une sombre période de délation de notre histoire et contribue à la destruction de liens sociaux et amicaux, le totalitarisme n’étant guère éloigné de ces démarches. Certains avocats ont également appelé à la désobéissance civile concernant ces processus, afin que soient préservées les libertés publiques. Qu’en est-il aux États-Unis ? Dans le même temps, Stephen Dreyfuss, avocat aux barreaux de New York et du New Jersey, mais également ancien substitut du procureur de la ville de New York, explique qu’aux États-Unis, l’approche culturelle est différente. On considère en effet que les salariés sont hautement concernés par la corruption, en tant que citoyens. Par ailleurs, le territoire améri- cain n’ayant jamais été « occupé » par des forces étrangères, la réticence culturelle française n’a pas d’écho. Procéder à une dénonciation éthique outre-Atlantique revient ainsi à tirer une sonnette d’alarme pour protéger la veuve et l’orphelin (en d’autres termes, l’épargnant). Les témoignages apportés par la comptable dans le cadre de l’affaire Enron s’inscrivent entièrement dans cette démarche. La loi Sarbanes Oxley trouve également sa place dans ce processus et ne prévoit pas d’intéressement du whistleblower en cas de « reporting » aux actionnaires, mais une protection du salarié contre le licenciement. Dans les faits, ce dernier peut toutefois être amené à toucher un pourcentage des fraudes fiscales ou sociales dénoncées. Enfin, le False Claims Act protège les personnes dénoncées contre les attaques injustifiées. Stephen Dreyfuss rappelle que le salarié apportant un faux témoignage risque gros et que le contexte juridique général américain a pour objectif une répression accrue des fraudes pour protéger les épargnants, promouvoir une culture d’honnêteté, protéger l’entreprise et réduire le cynisme économique. Vers un whistleblowing à la française Dès fin 2005, des filiales françaises de groupes américains ont soumis à leurs avocats des codes de conduite (180 pages environ) prévoyant des procédures d’alerte profes- Hommes et management | Expertises 11 Vincent Baillot, président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), considère que les procédures d’alerte professionnelle sont compliquées et porteuses de confusion, mais aussi que ces sujets relatifs à la fraude relèvent des professionnels et non des salariés. Il rappelle également que les commissaires aux comptes sont déjà concernés par la procédure de dénonciation des faits délictueux. Cependant, il estime qu’il n’appartient pas à ces derniers de recueillir les informations de salariés relatives à une fraude. Vincent Baillot confirme toutefois qu’il y En quoi le whistleblowing répond-il à une évolution globale internationale ? Certains intervenants rappellent que les professionnels ne peuvent agir qu’à partir d’informations communiquées. Devant l’internationalisation, la complexification des marchés financiers, l’importance du crime organisé et du terrorisme, il ressort que certaines des responsabilités des pouvoirs publics sont transférées sur les entreprises car la police et la justice doivent être assistées. Certaines valeursclés, telles la liberté, la libre circulation, le secret professionnel, deviennent en conséquence moins prioritaires. Un vrai conflit moral s’instaure de ce fait entre intérêts collectifs et individuels. Dans ce contexte, il devient donc impératif de protéger celui qui a le « courage social » de parler. Dans toutes les grandes faillites d’entreprises, il y a toujours eu des signes avant-coureurs. Certaines personnes savaient, elles n’ont rien dit… Si elles avaient parlé, l’ampleur des préjudices aurait été réduite. Quelles sont les questions-clés auxquelles nous devrons répondre ? Stephen Dreyfuss évoque la problématique des valeurs interculturelles : chaque Que dit la loi relative à la lutte contre la corruption ? La loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption précise qu’« aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administratives, de faits de corruption dont il aurait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions. Toute rupture du contrat de travail qui en résulterait, toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit ». pays doit choisir le système qui lui correspond en mettant en place les moyens efficaces, respectueux de ses valeurs culturelles. Il conclut finalement son intervention par les questions suivantes : peut-on se réfugier derrière l’omerta par crainte de la délation ? Ne pas dénoncer, n’est-ce pas faire preuve de non-assistance à personne en danger ? Le whistleblower sera maintenant protégé, faut-il également envisager de le récompenser ? Veuton ou non éteindre ou faire obstacle au fléau que représente la corruption ? Quid de la clause de conscience du directeur financier ? Ces questions font écho aux débats de la DFCG sur la clause de conscience du directeur financier 4. Ce dernier ou le contrôleur de gestion seraient-ils les premiers concernés en tant que détenteurs d’informations « épineuses » ? Aucun professionnel de la fonction finance-gestion ne peut, en tout cas, ignorer ces problématiques ô combien délicates !, ainsi que les dispositifs d’alerte éthique qui devront sans doute être mis en place, dans le respect de notre culture spécifique. n 1. Alertes éthiques. [NDLR] 2. Rapport élaboré par Paul-Henri Antonmattei, doyen de la Faculté de droit de Montpellier, et Philippe Vivien, directeur des ressources humaines du groupe Areva. 3. Entreprises de taille humaine, indépendantes et de croissance. 4. Cf. Françoise de Saint Sernin, « La clause de conscience appliquée au DAF : aspects juridiques », in Échanges, n° 213, août-septembre 2004. Internet ➥ Cnil : www.cnil.fr ➥ Transparency international : www.transparency.org, www.transparence-france.org en savoir plus ➥ Chartes d’éthique, alerte professionnelle et droit du travail français : état des lieux et perspectives, rapport au ministre délégué à l’Emploi, au Travail et à l’Insertion professionnelle des jeunes, collection des rapports officiels, La Documentation française, 2007. échanges La position des commissaires aux comptes a lieu de réfléchir à notre intégration dans le monde d’aujourd’hui en restant proche de la réalité du terrain, sa préférence allant vers les systèmes de régulation. février 2008 sionnelle en cas de fraudes et de harcèlement notamment, ainsi que la mise en place de hot-lines multilingues confidentielles. Les syndicats, très réticents au démarrage, ont aujourd’hui accepté ces procédures négociées dans un cadre paritaire. La Cnil a également autorisé la mise en place de ces « lignes éthiques ». Hubert Bouchet, ancien syndicaliste, membre du Conseil économique et social et de la Cnil, précise que cette dernière recevait de multiples demandes en matière de charte éthique et qu’il y avait probablement lieu de promouvoir un whistleblowing à la française. Cette position est confirmée par le représentant du mouvement Ethic 3 et par des représentants de grandes entreprises internationales également favorables à la mise en place de ces dispositifs d’alerte, adaptés au contexte français.