Le Marteau des Sorcières

Transcription

Le Marteau des Sorcières
Le Marteau des Sorcières
Ou le sommeil de la raison
Thomas C. Durand
© Thomas C. Durand 2016
N° ISBN 979-10-91043-11-3
1h45. 2 hommes, 2 femmes.
Une femme se réfugie chez le Docteur Janvier, connu pour son
rationalisme. La population de Rormond l’accuse de
sorcellerie, et bientôt l’inquisition s’intéresse à elle.
Les personnages, par ordre d’apparition.
— Frédéric Janvier. Médecin & philosophe. Ouvertement opposé
aux méthodes de l’Inquisition.
— Madame Rémy. La servante.
— Tomás Jacob Kramer. Inquisiteur.
— Anna Belcier. Une « sorcière » réfugiée chez le philosophe, qui
remet en cause les certitudes que le sceptique a
encore malgré lui.
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Note : Le véritable Jean Wier (ou Johan Weyer, 1515-1588) était
sans doute bien différent du personnage principal de cette pièce. Il a
publié son « De praestigiis daemonum » 80 ans après le Marteau des
Sorcières de Heinrich Kramer (c 1430-1505), et il n’a donc jamais
rencontré son auteur. Ses écrits ne nient pas l’existence du diable ni
même des « magiciens infâmes », réellement coupables de crimes
diaboliques, mais il tient la plupart des accusées de sorcellerie (des
femmes) pour les victimes de maladies mentales, préfigurant en
quelque sorte la psychiatrie. Le prénom fait allusion à Friedrich Spee
(1591 -1635), auteur de Cautio criminalis (1631) qui démontre
l’inefficacité de la torture. Lui aussi croyait à l’existence de la
sorcellerie.
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Acte 1
Scène 1
Janvier, Mme Rémy.
Frédéric Janvier est occupé à des travaux, entouré d’une pile de livres.
Madame Rémy met de l’ordre dans la pièce, l’air un peu
bougon.
Janvier
— Merci d’avoir monté le courrier, madame Rémy.
Mme Rémy
— À votre service, docteur. Le pauvre facteur s’est
plaint des routes inondées. Ça fait trois semaines
que ça dure.
Janvier
— (ouvrant son courrier) L’an dernier tout le monde
redoutait la sècheresse.
Mme Rémy
— Oui, ben c’est pas une raison pour qu’il se mette
à tout pleuvoir d’un coup comme ça.
Janvier
— Assurément. Ca, par exemple ! Voici une lettre
que je n’attendais pas.
Mme Rémy
— La belle enveloppe avec le sceau rouge ?
Janvier
— Un courrier de monsieur Tomàs Kramer.
L’inquisiteur dont le livre a inspiré le mien.
Mme Rémy
— Oh, le monsieur dont vous avez dit tant de mal ?
Janvier
— Tant de mal ! Nous avons seulement un
désaccord d’ordre philosophique et moral.
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Mme Rémy
— Et vous avez passé des semaines à écrire ce livre,
puis des semaines à le faire imprimer à grand coût,
et maintenant on me regarde de travers quand je
fais mes commissions en ville. C'est beaucoup de
désagréments
pour
un
petit
désaccord
philosophique, si vous voulez mon avis.
Janvier
— On a brûlé soixante-huit personnes accusées de
sorcellerie le mois passé à moins de quarante
kilomètres d'ici.
Mme Rémy
— On pend des criminels tous les jours. C'est bien
malheureux, mais le problème vient du crime, pas
de la justice.
Janvier
— Pensez-vous ?
Mme Rémy
— Tout de même !
Janvier
— On a garroté la plupart des condamnés, mais
certains, certaines devrais-je dire, ont brûlé vives.
Mme Rémy
— Madame Bournel refuse de me servir depuis que
le livre est sorti. Je dois passer par l'employé de la
boutique pour acheter vos bougies.
Janvier
— Vous êtes donc sensible à l’injustice de la
situation.
Mme Rémy
— Ce que j'en dis, docteur, si je peux me
permettre, c'est qu'on trouve que vous avez manqué
d'égard envers les hommes que vous critiquez. Les
gens se demandent pourquoi vous vous attaquez à
ceux qui ne cherchent qu'à protéger les bons
croyants.
Janvier
— Je n'attaque personne, Madame Rémy. Je
contredis, j'objecte, j'argumente, je raisonne, je
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démontre. Personne ne devrait se sentir attaqué par
un raisonnement logique.
Mme Rémy
— Il me semble –pardon– que vous étiez
passablement énervé quand vous écriviez ces pages
pour défendre les sorcières.
Janvier
— Vous savez combien j’aime les débats.
Mme Rémy
— Oh ça, oui ! Si seulement je pouvais oublier que
vous aimez pinailler sur tout et rien. Bon. Ici tout
est propre ; voulez-vous que je vous ramène une
collation ?
Janvier
— Volontiers.
Mme Rémy
— Je vous laisse à votre lecture. Tâchez de ne pas
trop vous agacer pour rien.
Elle sort.
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Scène 2
Janvier, Kramer (voix).
Janvier parcourt la lettre qu’il a reçue.
Janvier
— (lisant) Cher docteur Janvier, j’ai lu avec attention
votre ouvrage « Prudence pénale et tromperie des
diables ». Je l’ai trouvé fort bien argumenté et
coloré d’un louable penchant à trouver les hommes
vertueux. Le métier qui est de vôtre, de soigner les
corps, vous incline sans doute à trop de sympathie ;
pour ma part je vois les hommes avec leurs
faiblesses et leurs vices, et souvent leur amour du
péché. Vous avez écrit un ouvrage laxiste dont les
préceptes, s’ils étaient appliqués, nous priveraient
des moyens de veiller au respect de la foi et de la
doctrine. Beaucoup jugeraient vos mots dangereux.
(Il commente :) Les gentilles menaces. Je sens comme
un index pointé sur ma nuque…
Kramer (Voix) — Fort heureusement, je ne mets pas en doute
l’esprit avec lequel vous avez entrepris de vous
élever contre ce qui vous semble excessivement
brutal. Le travail d’extirper le vice de notre société
n’est pas le plus plaisant. C’est un labeur répugnant
qu’il faut laisser à ceux dont le courage est inflexible.
Janvier
— Suffit-il qu’un travail soit répugnant pour qu’il soit
nécessaire, monsieur Kramer ?
Kramer (Voix) — Le peuple et les autorités religieuses, au plus haut
niveau, sont témoins de l’extension, partout dans la
chrétienté, de ce mal terrible qu’est la sorcellerie.
L’œuvre du malin qui s’acharne à empêcher
l’avènement de la volonté de Dieu est partout
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palpable, et cela seul compte. Votre ouvrage put
avoir quelque mérite, n’eut été l’intrépide ardeur à
nier l’existence de la sorcellerie qui vous conduit à
contredire ce que tout chrétien sait être vrai.
Janvier
— (a gardé la lettre en main, qu’il continue de lire) Il
fallait bien que vous défendiez cette opinion, auteur
que vous êtes d’un manuel pour l’inquisiteur qui
décrit comme choses avérées les sortilèges,
maléfices et réunions nocturnes où des femmes
changées en chats forniquent avec le diable.
Kramer (Voix) — Laissant de côté cet errement doctrinal sur
lequel je gage que vous reviendrez tôt ou tard, je
voudrais apporter réponse aux critiques par vous
soulevées sur la procédure que je préconise dans le
jugement des affaires qui concernent l’horrible vice
de sorcellerie.
Janvier
— Assurément, il faut que le vice soit horrible, à
tout le moins, pour faire admettre ces méthodes…
Kramer (Voix) — Dans vos critiques, vous réclamez qu’un
défenseur soit nommé pour veiller aux droits des
accusés. Je veux croire en vos généreuses
intentions, mais qui pourrions-nous enjoindre
d’endosser le terrible fardeau de défendre le mal au
sein de nos communautés ? Ce serait jeter
l’opprobre sur certains de nos érudits. Quant à ceux
qui librement assureraient ce rôle ingrat, comment
les juges distingueraient-ils la juste défense conduite
par un homme versé dans le droit de la perverse
connivence d’un complice criminel ou de la dolente
collaboration soutirée par un perfide enchantement ? En ajoutant ces nouveaux soupçons, vous
retarderiez la manifestation de la vérité.
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Janvier
— Vous pourriez avoir raison si seulement vous
acceptiez de douter de la prémisse de votre
raisonnement : l’existence même de la sorcellerie,
ce que vous ne faites…
Kramer (Voix) — Permettez que je poursuive !
Janvier
— Je vous en prie.
Kramer (Voix) — Concernant l’exercice de la question, tâche
ingrate autant que nécessaire, vous déplorez le
risque que des innocents, trop accablés, choisissent
de confesser ce qu’ils n’ont point commis. Le risque
existe, il est connu. Et l’inquisiteur avisé sait qu’il en
doit tenir compte, et pour cela se montrer mesuré
dans l’usage de ses instruments. Toute une
institution ne saurait être tenue coupable des excès
de quelques-uns si encore on prouvait que ces
excès ont lieu. Mais, à la fin, il me semble que vous
inversez les priorités. Notre mission n’est pas
d’épargner quelques vies, ni même de sauver
quelques âmes, mais bel et bien de lutter contre le
diable par tous les moyens dont la générosité du
Seigneur nous a pourvus. Toute modération dans la
lutte serait une faute.
Janvier
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— Il pense avoir réponse à tout, mais c’est parce
qu’il choisit d’ignorer une bonne part de ce que je
dis. Mon cher Kramer, crapule que vous êtes, ce
que je vous reproche ce n’est pas seulement de
condamner celui ou celle qui se confesse, mais
encore d’affirmer que tel qui n’avoue pas sous la
torture ne résiste que grâce à la magie, de sorte
qu’à la seconde où vous décidez d’employer ces
moyens barbares, vous êtes assuré que tout le
monde sera coupable et que vos soupçons,
décidément, étaient bien fondés. Et que ô votre
jugement en cette matière est d’une édifiante
sûreté, et que la méthode employée est fort
efficace, chacun peut le constater à la lueur du
bûcher.
Kramer (Voix) — Très cher Docteur Janvier, votre dernière
objection porte sur les dénonciations obtenues par
les moyens de la question. Derechef, la même
inquiétude vous anime pour le respect des corps et
la quiétude de l’âme de nos concitoyens, mais des
hommes moins faibles que vous doivent protéger le
royaume de Dieu. Le sabbat des sorcières est une
réalité avérée, et le nombre de celles qui s’y
adonnent reste inconnu. Dans cette guerre, la
sagacité des enquêteurs ne peut s’exercer si l’on
n’obtient des coupables ayant admis leurs crimes
des noms sur lesquels enquêter.
Janvier
— Comment un homme intelligent peut-il ne pas
voir que les aveux extorqués par la force n’ont pas
de valeur ? Kramer, vous ne répondez pas à ce que
j’écris ! Si l’innocente parle, elle n’avait aucun
complice, et dénoncera un autre innocent pour
qu’on ne la tourmente plus. Et si, comme vous
voulez le croire, elle était vraiment au service du
démon, alors quelle valeur accorder à sa délation ?
N’a-t-elle pas tout intérêt à dénoncer des innocents
pour les jeter dans la tourmente ? À cela vous ne
répondez pas ! Kramer ?
Kramer (Voix) — Le roi Jacques 1er lui-même a montré dans un
fort bel ouvrage, comment il est possible de prouver
la culpabilité d’une sorcière en dénudant son corps
pour trouver la marque du diable, cet endroit où
une épingle enfoncée ne produit ni douleur ni
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saignement. Il défend aussi l’ordalie par l’eau. Pieds
et poings liés, l’accusée est jetée dans une rivière.
L’eau ne rejettera que celui qui a renié son baptême.
Sa culpabilité sera dès lors assurée.
Janvier
— Si vous voulez. Et l’innocent sera noyé. N’avezvous aucune considération pour l’innocence ?
Kramer (Voix) — Cette méthode a fait ses preuves en permettant
la destruction de milliers d’ennemis de Dieu qui
menaçaient nos récoltes et nos bétails, la moralité
de nos enfants, la santé de nos proches, la quiétude
de nos villages et la pureté de nos âmes.
Janvier
— (grand geste d’impuissance) Comment ne pas
souhaiter que les récoltes, les bétails, les enfants et
les âmes soient épargnées. Nous en tomberons
d’accord. Mais la sécurité en laquelle vous prétendez
les garder a-t-elle quoi que ce soit à gagner d’une
pratique aussi violente à l’encontre d’un mal qui
n’est peut-être qu’illusoire ?
Kramer (Voix) — Je ne reviendrai sur la mécréance de votre thèse
concernant l’inexistence de la sorcellerie que le
temps de constater que ces doutes malhonnêtes
sont évidemment responsables de votre défiance
envers la mission qui est la mienne. Si vous doutez
que le mal existe, on peut concevoir que la
destruction des sorcières vous semble chose
brutale. Mais vos doutes, monsieur, sont en
contradiction avec les Saintes Écriture, et vos thèses
médicales ne leurrent que ceux qui manquent de foi.
Janvier
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— J’avais bien compris cet argument la première
fois, monsieur Kramer.
Kramer (Voix) — On m’a informé que vous aviez assisté à des
procès et plaidé que le sorcier en accusation n’était
qu’un artiste de rue usant de faux semblants pour
faire accroire à des actes de magie, ou que la
sorcière empoisonneuse était dérangée par des
humeurs qui lui troublaient l’esprit, et qu’elle n’était
accusée qu’en raison de l’inconfort qu’elle inspirait à
ses voisins. Vous pourriez bien malgré vous faire
œuvre maléfique en offrant ces explications
alambiquées à la défense des accusés. Occupez-vous
de soigner, docteur, écrivez de la poésie, mais de la
sauvegarde du royaume ne vous mêlez point.
Veuillez agréer, mon cher docteur, l'expression de
mes honnêtes et respectueuses salutations.
Janvier
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— L’enculé.
Scène 3
Janvier, Anna, Mme Rémy.
Mme Rémy tape timidement à la porte.
Janvier
— Oui ?
Mme Rémy
— (quelque peu agitée quand elle arrive) Pardon de
vous déranger docteur… Vous avez l'air tout
énervé. C'est le courrier de ce méchant monsieur ?
Janvier
— Je n'arrive pas à comprendre. Il a lu mes
arguments, il les a compris. Et c'est comme s'il
admettait implicitement qu'ils sont valides, mais que
cela n'a aucune espèce d'importance.
Mme Rémy
— Humhum.
Janvier
— Je fais sans difficulté le pari que ses intentions
sont bonnes. Or pour faire le bien, il s'autorise à
martyriser tout le monde. Je ne sais comment
l'incurie de la chose ne lui saute pas aux yeux !
Mme Rémy
— S'il en avait cure, je suppose qu'il n'y aurait pas
d'incurie pour commencer.
Janvier
— Oui. Certes. Vous n'avez pas apporté la collation
que vous m'avez promise ?
Mme Rémy
— Mes excuses. C'est qu'il y a une visiteuse,
docteur. Je lui ai bien dit que vous ne receviez pas
aujourd'hui, mais elle a insisté. Elle a beaucoup
insisté. Je n'ai pas trouvé moyen de lui fermer la
porte au nez, alors elle est en bas.
Janvier
— Qui est-ce ?
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Mme Rémy
— Cette effrontée n'a voulu me dire que son
prénom. Anna. Je ne sais si elle vient de la ville, si
quelqu'un l'envoie. Elle répète que c'est une
nécessité vitale pour elle de vous rencontrer. Un
courrier qu’elle ne veut remettre qu’à vous.
Janvier
— Si c'est à ce point, je la recevrai. Mais dîtes-lui
bien que j'ai peu de temps à lui consacrer.
Mme Rémy
— Oh oui. Ça, je lui dirai. Dans moins de dix
minutes je viendrai toquer à la porte et l'inviter à
sortir.
Janvier
— Voilà.
Mme Rémy
— Je vais la chercher de ce… mais !
Ouvrant la porte pour sortir, Mme Rémy se retrouve nez à nez avec Anna
qui se glisse dans la pièce.
Mme Rémy
— Mais je vous avais demandé d'attendre dans
l'entrée !
Anna
— J'ai entendu le docteur dire qu'il me recevrait.
Mme Rémy
— Il n'empêche ! Ce ne sont pas des manières.
Anna
— Docteur Janvier, il faut me pardonner, je ne
savais pas vers qui me tourner.
Petit silence gêné. Janvier fait signe à Mme Rémy de quitter la pièce.
Janvier
— Madame Rémy.
Mme Rémy
— Docteur.
Mme Rémy sort.
Janvier
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— Si vous avez écouté, vous savez que j'ai peu de
temps pour vous. Quelle est cette affaire urgente ?
Où est le courrier si secret que vous deviez me le
remettre en main propre ?
Anna
— J’ai menti.
Janvier
— Oh.
Anna
— Mais une vie est bien en jeu, monsieur. La
mienne. Je travaille pour maître Bodin, notaire à
Rormond. Je suis servante. Personne n’a jamais eu à
se plaindre de mes services. Je sais ce que j'ai à faire,
je suis éduquée, je faisais la lecture aux enfants. Mais
j’ai dû partir. Les gens disent des choses…
Janvier
— Si vous en veniez au fait, Anna ? C’est bien votre
nom ?
Anna
— Oui.
Janvier
— Pardon si j’ai l’air suspicieux, c’est parce que je le
suis.
Anna
— Je m’appelle bien Anna. Ma mère était Jocelyne
Hatuillier ; elle a longtemps travaillé dans cette
maison avant votre emménagement. J’ai appris à
courir dans cette cour.
Janvier
— Et ?
Anna
— Et certaines personnes à Rormond disent que je
suis une sorcière. On m‘accuse d‘avoir empoisonné
les enfants ; ils auraient craché des épingles ou je ne
sais quoi. Je viens vous voir car j’ai entendu Maître
Bodin pester après votre nom. Il y a un exemplaire
de votre livre dans sa bibliothèque. Je savais que
vous viviez tout près. Cette maison a toujours été
une sorte de forteresse pour moi. Je n’avais pas
vraiment d’autre endroit où aller.
15
Janvier
— Je ne vois pas quelle aide je pourrais vous
apporter.
Anna
— Pourtant vous savez ce qui arrive à celles qu'on
accuse comme moi.
Janvier
— Oui.
Anna
— Et vous ne croyez pas que la sorcellerie existe,
donc vous savez que je suis innocente de ce qu'ils
veulent m'accuser.
Janvier
— Chère madame, vous pourriez bien être
coupable de quelque chose, comment attesterais-je
du contraire ?
Anna
— Mais… On m’a dit que vous ne croyiez pas aux
accusations de maléfice. Savez-vous que, déjà, on me
reproche les grêlons de la semaine passée, et les
inondations qui gâtent les récoltes. Il suffit qu'on
décide qu'un procès doit avoir lieu, et alors… Je
serai bien incapable de me défendre. Docteur,
pardon de vous déranger. Pardon de ne pas savoir
quoi faire d’autre. Mais est-ce que ces histoires de
femmes qu’on jette au bûcher ne vous révulsent pas,
comme j’ai entendu Maître Bodin s’en plaindre
plusieurs fois ? Il ne supportait pas vos critiques de
l'inquisition.
Janvier
— Tout ce que vous dites est-il bien vrai ?
Pardonnez mon incrédulité, mais vous vous
présentez le jour même où je reçois une lettre de
l'inquisiteur contre qui j'ai écrit mon livre. Si c'est
une sorte de piège, sachez que je ne compte
blasphémer en aucune façon ni médire de l'Église.
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Anna
— Vous dites cela comme si c'est vous qui étiez en
danger. Personne ne vous accuse, monsieur, mais
moi oui.
Janvier
— Je ne suis juriste ni avocat. C’est en homme de
science et de philosophie que j’ai critiqué les thèses
selon lesquelles le diable agit à travers des gens par
des procédés que le soupçon et l’intérêt personnel
des accusateurs permettent trop souvent
d’expliquer.
Anna
— Dites ça aux gens. Si c'est vous qui leur dites, ils
comprendront.
Janvier
— Votre Maître Bodin n'a pas semblé bien disposé à
comprendre alors que la version écrite est plus
complète et mieux construite que tout ce que je
pourrais dire.
Anna
— Est-ce que vous voulez que je vous supplie ?
Quand Marguerite, la jolie cuisinière, a supplié
Maître Bodin, il l'a quand même violée. Et je suis à
peu près certaine que la nourrice qui a quitté la
maison quand j'y suis arrivée a subi le même sort.
Janvier
— Vous a-t-il… Vous-même, avez-vous par lui
été… ?
Anna
— Il a essayé. Je me suis débattue, je l'ai blessé. Il a
compris qu'il y aurait trop de choses à expliquer si
jamais il s'entêtait, alors il m'a laissée tranquille. Mais
deux jours plus tard, j'étais une sorcière pour mon
employeur. Et le lendemain deux voisins
m'enfermaient dans une cave. On a fouillé mes
affaires et on prétend y avoir trouvé des ingrédients
de magie noire.
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Janvier
— On pourrait penser que c’est pure calomnie de
votre part.
Anna
— C’est ce qu’on dira, en effet.
Janvier
— Vous devriez quitter la région.
Anna
— Fuir ? Sans rien ?
Janvier
— Écoutez… J'adorerais procéder conformément à
mes principes et manifester une totale cohérence
entre mes valeurs et mes actes. Je serais charitable à
chaque
occasion,
courageux
en
toutes
circonstances, inflexible sur mes décisions. Mais,
comme tout le monde, je fais des compromis, je
choisis le confort et la facilité, je fais passer mes
petits besoins à moi avant le grand dénuement des
autres, je ferme les yeux sur ce qui me déplait et
que je n'ai pas l'audace de vouloir changer. Je ne suis
pas un héros, madame. J'ignore ce qui fait que
certains hommes en sont. Je suis navré que vous
vous soyez fait des illusions. J'ai bien peur de ne rien
pouvoir faire pour…
Irruption de Mme Rémy, un peu agitée (oui, encore).
Mme Rémy
— Docteur !
Janvier
— Madame Rémy, merci de raccompagner
mademoiselle Anna qui, j'en suis sûr, saura trouver
où aller le temps que ces malentendus s’évacuent
d’eux-mêmes.
Mme Rémy
— Docteur ! Il y a quarante personnes aux portes
de la propriété.
Janvier
— Pardon ?
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Mme Rémy
— Des gens plutôt agités qui réclament que vous
leur remettiez la dénommée Anna sur le champ.
Très long silence. Janvier prend une profonde respiration en mesurant
l’impact de la décision qu’il s’apprête à faire. Toujours
sans un mot, il enfile une veste.
Janvier
Il sort.
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— Ma chère Anna, je vous prierai d'oublier
momentanément ce que je viens de vous dire, le
temps que j'aille expliquer à ces gens que vous êtes
mon invitée et qu'ils feraient bien de ne pas oublier
les bonnes manières.
Scène 4
Anna, Mme Rémy.
Mme Rémy contemple Anna, qui est fort affectée, puis la fenêtre par
laquelle elle regarde la foule.
Mme Rémy
— J'espère que vous n'allez pas attirer des ennuis au
docteur.
Anna
— J'ai peut-être été suivie quand j'ai réussi à
m'enfuir de cette cave où on m'avait enfermée.
Mme Rémy
— (Elle la regarde longuement) Pourquoi n'êtes-vous
pas allée voir un avocat ? Ou mieux, le prévôt, pour
dénoncer les mauvais traitements ?
Anna
— Ils n’ont pas écouté celles qui se sont plaintes
avant moi. Pensez-vous que j’aurais été traitée
différemment ?
Mme Rémy
— Je ne pense rien. Ou plutôt, je pense au docteur
qui a déjà assez d'ennui avec son livre qui a irrité les
gens haut placés. Il ne manquerait plus qu'on trouve
à lui reprocher de venir en aide à une criminelle.
Anna
— Je ne suis pas une criminelle, madame.
Mme Rémy
— J'ai entendu dehors une histoire d'empoisonnement d'enfant, de malédiction lancée à votre
employeur. Et de récoltes qui pourrissent.
Anna
— Des histoires.
Mme Rémy
— Hum.
Anna
— C'est fou comme les gens peuvent s'inventer des
histoires et vouloir qu'elles soient vraies.
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Mme Rémy
— On dit qu'il n'y a pas de fumée sans feu.
Anna
— Il ne vous arrive jamais de penser que quelqu’un
est coupable et de découvrir après que vous vous
trompiez ?
Mme Rémy
— Pas pour des choses aussi graves !
Anna
— Pour des choses aussi graves, se tromper dans
son jugement a des conséquences encore pires.
Mme Rémy
— Pire qu’une enfant qui meurt empoisonnée ?
Qu’une région tout entière affamée par des récoltes
qui pourrissent sur pied ?
Anna
— Vous pensez vraiment que quelqu'un comme moi
peut être responsable de ces choses ? Votre maître
a écrit qu'il ne croyait pas à la sorcellerie.
Mme Rémy
— Les docteurs ne savent pas tout. On voit des
gens guérir sans explication. Et d'autres mourir,
idem. On ne sait rien du grand mal. Les épidémies
nous frappent puis disparaissent sans qu'on n'y
comprenne rien. Je ne prétends pas savoir mieux
qu'une autre, et sûrement pas mieux que le docteur
Janvier, mais la méchanceté existe en ce bas monde.
Anna
— Je vous crois.
Mme Rémy
— Il faut être prudent. Et il faut se protéger. C’est
normal que les gens réagissent quand on entend
tout ça.
Anna
— Vous pensez réellement que j'ai empoisonné une
enfant dont je m'occupais ?
Mme Rémy
— Des gens font des choses horribles. Le nierezvous ?
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Anna
— Et aussi que j'ai fait venir la pluie qui inonde tout
depuis des semaines ? Bientôt on trouvera à
m'accuser d'un cochon qui crève ou d'un voisin qui
perd ses dents.
Mme Rémy
— Ne vous approchez pas.
Anna
— Je vous effraie ?
Mme Rémy
— (un peu effrayée, en effet) Oh, non, vous ne me
faites pas peur. Mademoiselle, vous me semblez loin
d'être sotte. Si vous vous en prenez à moi, vous
perdrez l'appui du docteur. C'est la dernière chose
dont vous avez envie.
Anna
— Une sorcière ne serait-elle pas capable de
séduire cet homme, et d'obtenir de lui tout ce
qu'elle veut ?
Mme Rémy
— Vous devriez partir. Le docteur vous l'a
demandé. Passez par le jardin. La petite porte mène
directement dans les bois. Personne ne vous verra
sortir.
Anna
— J'ai une question. Pouvez-vous imaginer que je
sois innocente, madame ?
Mme Rémy
— Oui, je le peux. Mais mon imagination ne change
rien à ce qui est.
Anna
— Imaginez que je sois innocente. Et dites-moi
comment je pourrais vous le prouver.
Mme Rémy
— Vous n'avez rien à me prouver.
Anna
— Pourtant vous me jugez. Si vous êtes attachée à
la vérité, vous devriez vouloir ne jamais méjuger
quelqu'un ni faire d'injustice.
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Mme Rémy
— Il y a la vérité et la justice, et puis il y a la
prudence.
Anna
— Oui. C'est par prudence qu'on brûle les gens de
nos jours.
Mme Rémy
— Partirez-vous ?
Anna
— Serait-ce prudent ?
Mme Rémy s’approche de la fenêtre. Elle regarde en contrebas
Mme Rémy
— Il semble que le docteur réussit à les calmer.
Personne ne vous fera quitter cette maison
aujourd’hui. Et je pense que c’est fort dommage.
Anna
— Je suis d'accord avec vous, madame : la
méchanceté existe en ce bas monde.
Mme Rémy
— N'inversez pas les rôles. C'est vous qui causez le
malheur autour de vous, qui éveillez les soupçons,
qui attisez la colère. Si tout se passe mal autour de
vous, ce n’est pas forcément la faute des autres.
Vous pratiquez des messes noires ?
Anna
— C’est curieux. J’ai toujours eu tendance à voir le
bon dans les gens, à avoir confiance dans la
gentillesse, dans le bon sens, dans le désir
d’entraide. Et vous, tout ce que vous voyez c’est la
trahison, le mal…
Mme Rémy
— Oh non, détrompez-vous ! Je ne savais trop quoi
penser quand vous êtes arrivée. Mais maintenant je
pense que ces gens ont raison et qu’on devrait vous
traiter comme vous le méritez !
Anna
— Et moi j’ai le sentiment que vous n’avez pas
apprécié la manière dont je me suis glissé jusque
dans cette pièce et que vous êtes bien heureuse de
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trouver les motifs qui vous confortent dans l’idée
que votre première impression était la bonne.
Mme Rémy
— Il n’y a qu’à vous regarder et vous écouter pour
voir la vérité.
Anna
— Alors les sorcières sont bien piètres
manipulatrices qu’il vous suffise à vous de me
regarder cinq minutes pour me percer à jour. Et
dans le même temps, vous pensez que les sorcières
vivent parmi nous, œuvrent au malheur de tous et
demeurent invisibles.
Mme Rémy
— Vous voulez m’embrouiller par des mots. Vous
voudriez m'effrayer, mais je suis une bonne
chrétienne, je refuse d'avoir peur de vous. Je serai là
quand on vous traînera hors de cette maison et
qu'on vous fera rendre justice. Je vous regarderai
brûler.
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Scène 5
Janvier, Anna, Mme Rémy.
Retour de Janvier dans une ambiance délétère. Dehors la pluie était
battante, Janvier est dégoulinant.
Janvier
— Pas d'inquiétude ! Ces gens vont rentrer chez
eux et prendre le temps de réfléchir au fait qu'il ne
faut pas sauter sur des conclusions hâtives, surtout
quand elles conduisent à des décisions irrévocables.
Petit silence. Les femmes continuent de se toiser à travers la pièce.
Janvier
— J'ai promis que vous ne quitteriez pas cette
maison pour le moment. (à Mme Rémy) Nous allons
accueillir Anna quelques jours. Vous lui préparerez
une chambre. Je suis certain qu'elle se fera un plaisir
de vous aider dans vos tâches quotidiennes.
Mme Rémy
— Non. C'est bien inutile. (soudain, elle aide Janvier à
changer de pourpoint, lui trouve de quoi s'essuyer les
cheveux) Je sais tenir une maison. Il serait préférable
qu'elle reste bien tranquillement dans sa chambre.
Anna
— Je vous remercie pour votre hospitalité. Je suis
désolée si cela vous attire des ennuis.
Janvier
— Vous ne seriez pas venue si je n'avais pas écrit ce
livre. Je n'aurais pas écrit ce livre si je ne jugeais pas
important de le faire. J'ai ma part de responsabilité
dans cette situation.
Mme Rémy
— Docteur, pardonnez-moi, mais j'ai suggéré à
Anna de se rendre chez le prévôt pour se plaindre
des accusations… Des fausses accusations qui sont
lancées contre elle. Ne serait-ce pas plus sage ?
25
Janvier
— Pas maintenant que j'ai promis à une petite foule
irascible qu'elle resterait ici. Mais je vais écrire au
prévôt. Et je vais écrire également à Valdence. Nous
allons raisonner nos voisins, et ils prendront
conscience de combien leurs soupçons sont
ridicules.
Mme Rémy
— Anna. Suivez-moi, je vais vous montrer votre
chambre.
Anna
— Permettez que je dise deux mots au docteur
Janvier. Je vous rejoins juste après.
Mme Rémy lui jette un œil noir puis se tourne vers Janvier qui la congédie
d'un geste poli.
Mme Rémy sort.
Anna
— Peut-être aviez-vous raison de me conseiller de
partir loin. Y a-t-il des régions où les accusations de
ce genre sont plus rares ?
Janvier
— Oui, bien sûr. Mais si on vous rattrape dans votre
fuite, cela sera perçu comme un aveu.
Anna
— Je me demande ce qui ne serait pas perçu
comme un aveu ?
Janvier
— Voilà une bonne question.
Anna
— Votre Madame Rémy serait plus tranquille, en
tout cas, si je devais quitter votre toit.
Janvier
— Est-ce votre impression ?
Anna
— Non, c’est ce qu’elle a carrément dit.
Janvier
— Ah oui ?
26
Anna
— J'ai dû mal m'y prendre, dire quelque chose
d’inconvenant, car je pense qu'elle craint que je sois
vraiment ce que ces gens disent que je suis.
Janvier
— Madame Rémy ?
Anna
— Vous avez l'air surpris.
Janvier
— Elle travaille pour moi depuis presque quinze ans,
il me semblait qu'elle était en phase avec mes
opinions sur ce genre de chose.
Anna
— Est-elle invitée à exprimer pleinement ses
désaccords avec vous ?
Janvier
— La superstition n'épargne personne, de toute
façon. Moi-même il m'arrive de croire au destin puis
d'en douter.
Anna
— C'est une bonne chose de douter du destin ?
Janvier
— Une bonne chose, je ne sais. Mais c'est peut-être
nécessaire pour être libre.
Anna
— Et être libre, c'est une bonne chose ?
Janvier
— Je ne sais pas non plus. Mais comment le savoir
sans être libre de se le demander ?
Anna
— (amusée) Ce sont les médecins et les
philosophes, et pas les femmes comme moi, qu'on
devrait accuser d'embrouiller l'esprit des gens.
Janvier
— Certains le font, rassurez-vous. Il y avait autrefois
un certain Socrate qui se demandait comment les
hommes autour de lui pouvaient afficher tant de
certitudes quand il lui semblait à lui en savoir si peu.
Alors il les interrogeait, et à tel demandait, qui se
disait expert du sujet, de bien vouloir lui dire
27
exactement ce qu'est le courage ou la vertu ou la
piété. Et quand ils lui avaient répondu, Socrate, avec
toute l'humilité de celui qui ne sait rien, voulait
s'assurer d'avoir bien compris, et il raisonnait avec
ses interlocuteurs, revenant sur la définition fournie
pour la tester, tant et si bien que ces doctes
hommes se trouvaient face à la démonstration qu'ils
ne comprenaient pas réellement les choses qu'ils
disaient. On a accusé Socrate d'impiété et de
corrompre la jeunesse, et on a obtenu sa condamnation à mort.
Anna
— Quand cela s'est-il passé ?
Janvier
— Il y a environ deux mille ans.
Anna
— Quelle tristesse que personne ne semble avoir
entendu parler de ce Socrate depuis tout ce temps.
Janvier
— Mais Socrate est fort célèbre chez les gens
lettrés au contraire. Tous ceux qui reçoivent une
éducation classique connaissent son histoire. Votre
maître Bodin, par exemple, a certainement lu une
bonne partie de son œuvre en latin.
Anna
— Alors connaître Socrate n'est pas suffisante pour
faire un homme bon.
Janvier
— Connaître et mettre en pratique sont choses
différentes. Nous aimons un peu trop nos certitudes
et nous détestons un peu trop les critiques
adressées à nos idées pour être les dignes héritiers
de Socrate.
Anna
— L’ignorance est-elle une solution ?
Janvier
— Non. Bien sûr. Mais ceux qui brûlent des
sorcières pour éloigner le mauvais œil ne sont pas
28
seulement ignorants. Ce qui les rend malfaisant ce
n’est pas ce qu’ils ignorent, c’est ce qu’ils imaginent
savoir, c’est l’illusion qu’ils entretiennent de ne pas
être ignorants. (Il va prendre un livre dans sa
bibliothèque) Voulez-vous lire mon livre ? Il a été
écrit par un ignorant, mais j'ose croire qu'il pourrait
vous aider à plaider votre cause si l'on décidait de
vous juger.
Anna
— J'espère être en mesure de le comprendre.
Janvier
— Vous ai-je dit que je doutais du destin ? Il faut
que parfois des coïncidences existent. Des
évènements sans aucune relation peuvent se
produire en même temps et nous donner la forte
impression qu'ils sont coordonnés, dictés par une
même cause, destinés à signifier quelque chose. Mais
en réalité c'est l'absence de telles coïncidences
totalement privées de sens qui serait incroyable et
réellement surprenante.
Anna
— Oui. Il me semble que c'est comme vous dites.
Janvier
— J'ai reçu aujourd'hui un courrier de l'homme qui
est le plus farouche chasseur de sorcières que je
connaisse. Il a rédigé un manuel à l'usage des
inquisiteurs dans lequel il prétend prouver que la
sorcellerie existe, que les sorcières sont surtout des
femmes, qu'elles tirent leurs pouvoirs de relations
charnelles avec des démons, et que pour combattre
le mal, il faut détruire le corps des sorcières mais
aussi obtenir d'elles le nom de leurs complices. Car
cet homme croit à une conspiration secrète et
maléfique qui expliquerait tous les malheurs des
hommes.
Anna
29
— Vous correspondez avec lui depuis longtemps ?
Janvier
— C'est la première lettre qu'il m'envoie. Et c'est le
jour où vous requérez mon aide, en arrivant de
nulle part, menacée par cela même que je combats
par la plume depuis des années. Je suis tenté de voir
un signe presque fatidique.
Anna
— N'en est-ce pas un ?
Janvier
— J’imagine que le destin est partout où on choisit
de le voir.
Anna
— C’est sans doute facile à dire pour un homme
comme vous.
Janvier
— Pour un homme comme moi ?
Anna
— Vous avez probablement eu le droit de faire
beaucoup de choix dans votre vie. On ne vous a pas
imposé votre métier. On ne vous a pas dit qui
épouser, comment vous comporter, tout ce que
vous deviez accepter sans broncher. Je n’ai pas eu
beaucoup d’occasions de croire qu’on pouvait
choisir sa vie.
Janvier
— Vous vous trompez sans doute sur le nombre de
choses qui s’imposent à un homme tel que moi,
comme vous dites.
Anna
— Vous plaindriez-vous ?
Janvier
— N’avez-vous pas souvenir d’une foule de
quarante personnes qui s’est imposée à ma porte ?
Anna
— Vous ne vous êtes pas laissé faire.
Janvier
— Je suis peut-être l’esclave d’un tempérament qui
me rend rétif à ce genre de démonstration. Et sans
cet attroupement, j’aurais sans doute fait un choix
tout différent vous concernant. Donc, d’une
30
manière ou d’une autre, nos actes semblent en
partie échapper à notre bon vouloir.
Anna
— Vous êtes moyennement réconfortant, docteur.
Janvier
— Je ne rassure pas les gens, je les soigne. J’espère
que vous n’avez pas eu tort de placer votre salut en
un médecin qui a la réputation de ne pas respecter
suffisamment les autorités morales.
Anna
— Est-ce sans risque pour vous ?
Janvier
— Oh non. Ce n'est pas sans risque. J'ai encore
quelques amis, et ils peuvent empêcher que ma
maison soit envahie, mais pas que mes mots soient
retournés contre moi.
Anna
— Ou que la populace vous soupçonne d'avoir été
ensorcelé… Que puis-je faire ?
Janvier
— Me faire confiance. Sans excès. Ne fondez pas
tous vos espoirs sur mon intervention. Et utilisez
cette bibliothèque autant que vous voudrez.
Anna
— Je devrais lire ce manuel pour inquisiteur dont
vous avez parlé.
Janvier
— Il n'est pas d'une lecture plaisante. Kramer a un
style assez vindicatif. Ses descriptions sont souvent
obscènes.
Anna
— Si c'est le texte avec lequel on veut m'accuser,
j’aimerais savoir à quoi m'en tenir.
Janvier
— Si vous voulez. Je l'ai lu à plusieurs reprises, et
toujours avec la même répugnance. Je rêverais, si la
chose était possible, d'avoir Kramer en face de moi
pour le forcer à répondre à mes arguments et à
admettre au moins certains d'entre eux. Ce serait
31
suffisant pour que la panique et la terreur cessent de
régner dès qu'une personne veut en soupçonner
une autre de sorcellerie.
Anna
— Je suis sûre que vous sortiriez vainqueur d'un tel
débat.
Janvier
— S'il suffisait d'avoir raison pour remporter une
rencontre de ce genre, Kramer n'aurait aucune
chance.
Anna
— Il ne suffit pas d'avoir raison ?
Janvier
— Il y a donc un peu de naïveté en vous, finalement.
Si vous voulez m'excuser, j'ai des lettres urgentes à
rédiger. Je dois écrire au prévôt, au comte… et à
monsieur Kramer.
Anna
— Bien sûr. Je vous laisse travailler.
Anna sort, Janvier s'installe à son bureau et commence à écrire.
Noir.
32
Acte 2
Scène 1
Janvier, Kramer.
Janvier est endormi à sa table de travail, un homme en rouge vient lu
taper dans le dos. Il se réveille. Dans cet acte, Kramer
est bouillonnant, il occupe l’espace, parle fort.
Kramer
— Mon bon Janvier, vous cherchez les ennuis ?
Janvier
— Pardon ? Je me suis endormi.
Kramer
— Tout ça n’est vraiment pas raisonnable ! Vous
critiquez mon livre, de façon fort cavalière. Vous
hébergez une sorcière. Chez vous. La nuit. Sans être
marié.
Janvier
— Je suis veuf.
Kramer
— Qui voudrait vous nuire n'aurait que l’embarras
du choix pour vous faire tomber. Mais peut-être
vous figurez-vous n’avoir aucun ennemi. À vous lire,
tous les êtres humains sont doux et pacifiques.
Janvier
— Ainsi donc vous m’avez lu ? Il m’arrive d’en
douter
Kramer
— J’ai pris la peine pourtant de vous adresser un
courrier cordial encore que, me semble-t-il,
dirimant. J’ai totalement réfuté votre thèse.
33
Janvier
— Vous avez habilement évité mes véritables
arguments. Indépendamment de tout ce que m’on
veut croire sur la sorcellerie, je remets en cause
tout simplement l’efficacité de la torture.
Kramer
— On ne peut pas condamner sans preuve. Bien
souvent les faits ne sont prouvables qu’à travers des
aveux. Les aveux ne s’obtiennent pas facilement.
C’est pourquoi la question reste une pratique
nécessaire. Tout le monde en convient.
Janvier
— Je ne pense pas que tout le monde en convienne,
comme vous dites.
Kramer
— En tous domaines et chaque discipline, on entend
des voix dissonantes. Mais la vérité d’impose par ses
propres mérites. Dans le monde réel, il faut agir
contre le mal, docteur Janvier, ou s’en rendre
complice.
Janvier
— Je suis préoccupé par le mal qu’on peut faire en
croyant faire le bien, monsieur Kramer. Il vous est
peut-être arrivé de torturer quelqu’un qui ne le
méritait pas.
Kramer
— Vous avez raison. L’erreur est humaine. Et je prie
chaque jour pour que Dieu m’épargne le fardeau
d’une telle faute dans mon travail. Si pour combattre
le mal, l’on doit utiliser la question afin d’obtenir des
aveux sans lesquels on ne peut rien faire, je crois
qu’il faut faire confiance à Dieu pour protéger
l’innocent.
Janvier
— Vous… Attendez. Faire confiance à Dieu est une
chose. Mais partant de là, je ne parviens pas à
considérer qu’il faille laisser libre champ au
bourreau au nom de la foi. Si les hommes veulent
34
faire confiance à Dieu, pourquoi s’en remettre à l’art
de la torture plutôt qu’à la miséricorde ?
Kramer
— Celui qui instruit une enquête n’est pas un
bourreau. Vous discourez en béotien, docteur. Ce
qui importe, c’est la manifestation de la vérité. Nous
parlons de procès, nous parlons d’enquête. Là où il
y a crime, il y a châtiment, c’est une règle divine. Et
nous ne devons pas exiger que la providence nous
apporte ce que nous ne nous donnerions aucun mal
à obtenir par nous-mêmes.
Janvier
— Si j’entends bien, vous dites qu’il faut agir comme
s’il ne fallait pas attendre une aide surnaturelle.
Kramer
— Je le dis.
Janvier
— Il faut donc que vous apportiez vous-même tout
le soin nécessaire au respect de la justice.
Kramer
— Certes.
Janvier
— En conséquence de quoi, vous devez avoir à
l’égard de l’innocence l’attachement scrupuleux,
l’amour même, que l’on espère de Dieu.
Kramer
— Absurde. Nul ne peut égaler l’amour de Dieu. Et
l’innocent injustement condamné se voit d’autant
mieux traité dans l’au-delà, c’est évident.
Janvier
— Dire cela, n’est-ce pas s’en remettre à la
providence, choix que vous jugiez indésirable tout à
l’heure ?
Kramer
— Absolument pas.
Petit silence.
35
Janvier
— Pardon, je m’attendais à ce que vous développiez
cet « absolument pas ».
Kramer
— Il n’en est nul besoin. Vous confondez tout ! De
quoi votre épouse est-elle morte ?
Janvier
— Je vous demande pardon ?
Kramer
— On trouve souvent chez les veufs une mélancolie
qui les rend doux et enclin à la docilité envers les
femmes.
Disant cela, Kramer prend une bouteille d’alcool dans une alcôve de la
bibliothèque. Il en hume le parfum.
Janvier
— Il ne s’agit pas de cela.
Kramer
— Votre ferveur à défendre les femmes me rend
curieux. Une simple mélancolie ne saurait vous être
reprochée, une faiblesse de caractère n’est pas un
crime.
Kramer se sert un verre.
Janvier
— Nous parlerons de mon caractère une fois
prochaine, si vous le voulez. Je pensais que vous
accepteriez de vous concentrer sur mes arguments.
Kramer
— Entêtement et obstination ! Je ne sais si cela est
compatible avec le diagnostic de la mélancolie. À
dire vrai, cette théorie des humeurs me laisse
perplexe. Je crois que l’âme s’exprime par des
moyens bien plus subtils que les fluides corporels.
Elle ne se met pas en fioles. Mais elle est
corruptible. Naturellement, je m’inquiète pour la
vôtre.
36
Janvier
— Je n’ai pas été corrompu par cette femme. Du
reste, j’ai écrit mon ouvrage critique bien avant
d’apprendre son existence.
Kramer
— Peut-être. L’avez-vous écrit après avoir perdu
votre épouse ?
Janvier
— Monsieur Kramer. Si ma thèse est aussi fausse
que vous le dites, montrez-le-moi. Vous aurez droit
à ma reconnaissance. Mais ne présumez pas de mes
émotions, de mes motifs ou de mon caractère
comme si cela invalidait mes propos. Un homme
amoindri, malade, cacochyme, malheureux ou même
pervers peut savoir que cette bouteille, derrière
vous, est à moitié vide, et il ne tient qu’à vous
d’accepter de regarder dans la même direction pour
en convenir, ou apporter une contradiction
factuelle.
Kramer
— (riant) Alors soit. Si vous vous proposez d’être
l’homme amoindri et cacochyme qui peut
m’enseigner quelque chose, je dois au moins me
prêter au jeu. Quelle est cette chose que vous
voyez et qui m’échappe, mon cher Frédérique ?
Janvier
— J’estime qu’il est possible, et en la matière je ne
donne pas seulement mon avis personnel, mais je
prends en compte les découvertes et les écrits des
meilleurs érudits… J’estime possible que là où l’on
invoque des cas de possession démoniaque, on se
trouve en réalité face à des cas de démence.
Kramer
— Dieu frappe l’impie de folie, c’est connu.
Janvier
— Et vous avez bien raison. Cependant, je propose
que ne soit pas attribuée automatiquement à Dieu le
moindre événement. Il nous faut d’abord chercher
37
des explications dans le fonctionnement de la
matière.
Kramer
— (riant) Ne tombez pas dans ces travers
matérialistes. Pas vous ! Vous n’avez aucune envie
qu’on vous entende parler de la sorte.
Janvier
— Permettez, permettez. Tout vient de Dieu,
évidemment. Mais ne dit-on pas qu’il a instauré des
lois naturelles ? La loi de la chute des corps est un
moyen par lequel le cours des objets physiques est
réglé. C’est un prodige, et plus prodigieux que cela,
c’est un prodige que l’on peut comprendre. Il en va
de même de la santé, de la fièvre, du
fonctionnement du corps. Dieu est la cause ultime,
mais on peut trouver des lois et des causes
proximales.
Kramer
— Des causes proximales ?
Janvier
—Pour expliquer la foudre, on n’invoque plus Dieu
mais les principes de l’électricité. De la même
manière, des causes, bénignes, organiques,
humorales –que sais-je encore ?– peuvent expliquer
les comportements étranges, les caractères
changeants, voire certaines perversions. C’est le
corps qui est corrompu.
Kramer
— La corruption des corps ne m’intéresse pas
beaucoup, docteur.
Janvier cherche subitement un livre puis la bonne page pour en lire un
extrait.
Janvier
38
— Mon collègue, le docteur Marescot a écrit luimême un avis fort intéressant sur la question… Là,
tenez : « S’il ne faut donc point d’autres signes de
possession du diable que ceux qui sont décrits par
les évangélistes, tout épileptique, mélancolique,
phrénétique aura le diable au corps. Il y aura au
monde plus de démoniaques que de fols. »
Kramer
— Je pourrais vous trouver vingt ouvrages qui
disent le contraire. Qu’est-ce qu’un médecin peut
bien savoir des œuvres du diable ?
Janvier
— Un médecin peut avoir des lumières sur les
raisons d’une condition pathologique. Vous
conviendrez avec moi que le corps peut subir des
dysfonctionnements, des déséquilibres.
Kramer
— J’en conviens.
Janvier
— L’esprit lui-même semble être très affecté par ce
qui altère le corps.
Kramer
— Si c’est ce qu’il vous semble.
Janvier
— La fièvre ne nous fait-elle pas délirer et perdre
nos sens ? Quelques gouttes d’alcool peuvent nous
rendre étrangers à nous-mêmes. Chacun le sait.
Kramer
— Si chacun le sait, ne tergiversez pas davantage.
Janvier
— Le corps, dès la naissance, peut malheureusement être frappé de fragilité, de malformation, de
débilité. Il en va tout autant pour l’esprit, comme
vous le savez.
Kramer
— Passons moins de temps à revoir tout ce que
déjà je sais.
Janvier
— On voit, il n’est pas rare, des individus dont le
corps bien constitué, par quelque accident, par
quelque malchance, se retrouve altéré, déformé. Et
tout comme nous avons vu les autres phénomènes
39
qui peuvent toucher l’esprit pareillement qu’ils
touchent le corps, il semble qu’on puisse expliquer
par la maladie bien des cas de démence. Les fous
sont sûrement victimes d’être fous, et nous ajoutons
à leur malheur le soupçon qu’ils ont causé euxmêmes leur condition par un commerce avec le
diable.
Kramer
— C’est là votre démonstration ?
Janvier
— Si elle vous semble claire.
Kramer
— Je ne vous ai pas interrompu par politesse, mais
elle m’apparaît viciée dès le départ.
Janvier
— Comment ?
Kramer
— Les tares physiques, les pieds-bots, les palais
fendus, les yeux bigles, les bosses et toutes les
malformations qu’on se plaira à imaginer sont au
choix punition divine ou signe du démon. Que vous
trouviez matière à les décrire avec le langage de
votre science ne dit rien sur leur origine.
Janvier
— Mais, enfin… Vous vous avancez sur un terrain
où la médecine vous donne tort.
Kramer
— La médecine ne donne pas tort à Dieu, Monsieur
Janvier.
Janvier
— Accuser des malheureux sans esprit, c’est
comme vouloir tenir un procès contre des animaux,
comme on a vu par le passé un tribunal faire pendre
une truie pour meurtre, ou excommunier des
charançons.
40
Kramer
— Il est normal de désirer la prévalence du droit.
N’est-ce pas un don de Dieu que le sens de la
justice ?
Janvier
— Quelle responsabilité entend-on faire porter à
des animaux privés de raison ?
Kramer
— Voulez-vous nier que tout crime mérite
châtiment ?
Janvier
— Je vous demande ce qu’est un crime.
Kramer
— Devant le chaos, la bestialité, la violence et la
mort, voudriez-vous rester sans réaction ? Je ne
prétends pas que ces procès bien particuliers que
vous mentionnez soient raisonnables, conformes
aux attentes protocolaires d’un esprit froid et
mathématique comme le vôtre, mais je dis qu’ils ne
sont pas sans vertu. Ils rappellent quel est l’ordre
établi, et que nous ne sommes pas disposés à le
laisser troubler sans sévir.
Janvier
— Je ne suis…
Kramer
— (le coupant sèchement) Quoi qu’il en soit, les
griefs que l’on peut tenir aux sorcières leur sont
bien imputables, non ?
Janvier
— Je ne sais. On assiste à une épidémie de procès
où des centaines de gens, des femmes en particulier,
perdent la vie.
Kramer
— Je l’ai constaté. J’y vois la preuve que le vice de
sorcellerie se répand, et qu’il nous faut y apporter
une réponse ferme, sévère, pleine de l’autorité de la
parole du Seigneur. La mécroyance de certains juges
a rendu jusqu’à ce temps le crime de sortilège
comme impuni
41
Janvier
— Vos arguments, Monsieur, ne me laissent point la
liberté de vous contredire sans être accusé
d’amoindrir la gloire de Dieu. Néanmoins…
Kramer
— (tout sourire) Néanmoins vous allez tout de même
le faire dans le seul but d’éprouver la vérité de mes
propos. C’est valeureux et je vous y encourage,
pourvu que vous sachiez ne pas vous aventurer dans
des assertions dangereuses.
Janvier
— Monsieur, vous êtes une grande autorité. La
papauté approuve votre ouvrage, qui fait référence
partout où se tiennent des procès. Nul ne s'y
entend mieux que vous en cette matière, et je sais
que vous avez mûrement pesé les tenants et les
aboutissants avant de défendre la position qui est la
vôtre. Je crois, comme vous, qu’il est important
d’apporter une réponse adaptée à chaque problème.
Il faut pour cela se donner les moyens de bien
diagnostiquer le problème en question. Votre
motivation, vous l’avez écrit, est la sauvegarde du
royaume.
Je pense que partir du principe que la sorcellerie est
a priori la meilleure explication pour les accusations
qui circulent de nos jours à propos d’empoisonnement, de malédiction, d’impuissance sexuelle ou de
mauvaises récoltes nous ferme la porte à d’autres
explications qui permettraient peut-être de rendre
un meilleur service aux gens du royaume.
Kramer observe Janvier comme un prédateur amusé par les tentatives de
fuite de sa proie.
Kramer
42
— Vous venez de m’accorder que je connaissais
toutes ces question bien mieux que vous, et
cependant, par un habile langage vous concluez que
c’est tout l’inverse, et que je n’y entends rien.
Janvier
— (explosant) On brûle des enfants !
Kramer
— Oh…
Janvier
— On torture des femmes qui ont le malheur de
déplaire à leurs voisinages, ou qui ont des idées
bizarres ; on torture leurs proches quand ils
prennent leur défense. On brûle parfois maris et
femmes dans un même brasier ; et on condamne
leurs enfants à être traités sévèrement pour leur
passer l’envie de leur ressembler. Et de fait, j’ai
connaissance d’au moins un enfant qui aura vu sa
mère condamnée au bûcher pour y être jeté luimême dix ans plus tard.
On voit des gens renvoyés chez eux après la
question, finalement innocentés, qui ne peuvent plus
marcher ou parler, et qui meurent de douleur dans
les jours qui suivent. J’ai lu un inquisiteur jurer que
les instruments n’avaient pas touché les accusés plus
que le temps autorisé, que ces femmes avaient été
assez bien traitées, aux frais de la communauté, et
que la mort n’était survenue qu’en raison des
mauvais soins prodigués par la famille. D’autres gens
se chargent de dire que c‘est la culpabilité qui les a
tués. Je n’ai jamais entendu personne admettre avoir
commis une erreur. Pourtant les hommes
commettent des erreurs tous les jours, monsieur
Kramer.
Kramer
43
— (d’un grand calme) Oh oui. Ils commettent des
erreurs. Et ils en paient le prix.
Janvier
— Vraiment ? Il me semble à moi qu’il suffit de
porter étole et crucifix pour rejeter la faute sur les
autres.
Kramer
— Chut. Vos mots dépassent votre pensée, sans
doute.
Janvier
— Oui. Naturellement.
Kramer
— Vous réagissez comme un homme qui ne
prendrait pas au sérieux la menace que représentent
le diable et les démons, et le mal qu’ils insinuent
dans les cœurs et dans les mœurs ! Vous n’aimez
pas qu’on pose la question aux gens, c’est entendu.
Personne ne vous demande de le faire. Vous trouvez
que brûler des enfants est peu souhaitable, j’en suis
bien d’accord. Mais avons-nous de meilleurs moyens
de défendre la vraie Foi ? Est-ce que nous ne savons
pas que le sacrifice est la voie de la rédemption ?
Janvier
— Vous restez sourd à ce que je dis.
Kramer
— Au contraire. J’entends le dilemme. Je mesure la
responsabilité.
Janvier
— Mais vous demeurez inamovible.
Kramer
— Pourquoi troquerais-je la Vérité pour l’erreur ?
Parce que l’erreur est plus facile, plus tentante, plus
tendre, plus conforme à ce que vous voudriez
croire ?
Janvier
— Mais, monsieur Kramer. Entendez-vous que vous
acceptez de torturer et de tuer des enfants comme
s’il n’y avait pas d’autre moyen d’empêcher la
souffrance des âmes ? Ne voyez-vous pas
l’incongruité de…
44
Kramer
— Vous regardez les choses d’un peu trop près,
Docteur. Le bien public doit être placé bien plus
haut que toute considération charitable pour le bien
des individus. Dieu nous a bien prévenus, il a
menacé d'exterminer les peuples qui souffriront de
vivre avec les sorciers. C’est pourquoi le peuple s’en
remet à la Sainte Inquisition.
Janvier
— Je suis obligé de vous dire que rien de tout cela
ne me semble avoir de sens. Au nom de votre
logique, on fait subir à des innocents un préjudice
plus horrible que le mal qu’on leur reproche d’avoir
commis.
Kramer
— Vous avez la réputation de manquer de bon sens,
docteur Janvier. Vous êtes un bon médecin et vous
avez des amis puissants. Mais vous frôlez sottement
l’hérésie dès qu’on aborde ces questions. Votre livre
écrit en réaction à mon travail, ce n’est pas une
chose prudente. Vous cultivez des inimitiés, par
orgueil j’imagine, mais qui valent à votre nom le
déshonneur d’être associé à celui d’hommes qui ont
payé cher leur opposition à la bonne marche de la
justice. Qu’on vous trouve encore à la défense d’une
cause perdue et on vous soupçonnera, comme je l’ai
entendu dire, d’être un mage démoniaque. Savezvous qu’on administre la question quand des
soupçons de ce genre sont portés de façon
répétée ?
Janvier est retourné à sa table de travail, accablé.
Kramer
45
— Vous ne dites plus rien. Vous voyez que ce n’est
pas si difficile, en fin de compte, de se ranger aux
vrais arguments. Je ne dis pas que vous devez aimer
le travail qui est le mien. Je n’ai pas à l’aimer moi-
même. Mais il y a des choses qu’on ne peut
s’autoriser à penser si nous voulons que règne la
gloire de Dieu. Je souhaite que vous le compreniez.
La tête de Janvier repose dans ses mains.
Kramer
— J’éprouve toujours une grande peine quand des
hommes de valeur ont la faiblesse de laisser leur
orgueil leur chuchoter qu’ils peuvent nier
impunément les œuvres de Dieu. C’est sans doute
le crime le plus vile de la sorcellerie, la corruption
des meilleurs hommes. Et le tour le plus habile du
diable, de faire croire qu’il n’existe pas.
L’obscurité se fait sur Kramer qui disparait de la scène. À son bureau,
Janvier reste immobile, endormi. Une lueur matinale
éclaire peu à peu la fenêtre. Soudain, la porte s’ouvre.
46
Scène 2
Janvier, Madame Rémy
Mme Rémy entre en trombe.
Mme Rémy
— Docteur !
Janvier sursaute et se réveille. Il prend conscience que sa conversation
n’était qu’un rêve.
Mme Rémy
— Vous avez passé la nuit ici ? Quand je pense que
vous dites tout le temps à vos patients de bien faire
attention à leur sommeil.
Janvier
— Vous me gronderez un autre jour, Madame
Rémy.
Mme Rémy
—Est-ce que je peux tout de même vous avertir que
cinq soldats sont arrivés ce matin avec pour
consigne de garder les abords de la propriété ?
Janvier
— Qu’est-ce que vous racontez ?
Mme Rémy
— Comme je vous le dis : cinq soldats étaient là à
l’aube. Ils ont demandé que votre invitée se montre
à la fenêtre, et puis ils se sont plantés devant les
portes.
Janvier
— Ce sont des hommes du comte ?
Mme Rémy
— Ils n’ont pas été très bavards avec moi, vous
savez. Par contre j’ai une lettre. Une belle enveloppe
avec un sceau rouge.
Janvier examine l’enveloppe.
Janvier
47
— Kramer.
Mme Rémy
— Je n’aime pas m’affoler pour un rien, mais tout de
même. Hier, une foule en colère. Aujourd’hui des
soldats en arme. Etait-ce une bonne décision
d’accepter que cette femme reste ici ?
Janvier
— Qu’est-ce qu’une bonne décision ?
Mme Rémy
— Euh… Eh bien j’imagine que c’est une décision
qu’on ne regrette pas.
Janvier
— J’aime bien cette définition. Alors il est trop tôt
pour savoir encore si j’ai pris une bonne décision.
Suspendons notre jugement, madame Rémy.
Mme Rémy
— Et pour ces messieurs, dehors ? Dois-je les
nourrir ?
Janvier
— Je vous laisse libre de jauger le niveau
d’hospitalité le plus adapté à la situation.
Mme Rémy
— Ben ça c’est nouveau.
Janvier
— Demandez à Anna de me rejoindre, s’il vous
plait.
L’air ronchon, elle sort.
Janvier ouvre le courrier.
Janvier
48
— (lisant) Cher docteur Janvier, les événements se
succèdent et me chuchotent que la volonté de Dieu
est que nous nous rencontrions enfin. Je me suis
décidé à vous envoyer mon précédent courrier
quand je préparais mon voyage chez le comte de
Valdence dont la maison a été le théâtre d’une
étrange erreur de procédure. À peine arrivé-je chez
lui qu’on m’informait d’une histoire de sorcière
trouvant asile sous le toit d’un médecin. C’était
vous.
Aussitôt, je prenais la décision d’envoyer quelques
hommes armés s’assurer que nul mal ne soit fait à
quiconque. Cette lettre me précède de quelques
heures. Si vous le voulez bien, je vous rendrai visite
en fin de journée. Je tiens à veiller personnellement
à ce que votre réputation ne souffre pas d’être
injustement ternie par cet épisode.
Avec mes meilleures salutations.
Tomás Jacob Kramer
49
Scène 3
Janvier, Anna.
Anna entre, timidement. En silence, elle s’assied sur une chaise.
Janvier
— Avez-vous bien dormi ?
Anna
— (avec un air d’évidence) Non.
Janvier
— Les gardes sont là pour veiller sur votre sécurité.
Si la foule revient, cela devrait les impressionner
suffisamment.
Anna
— Et l’inquisiteur vient également pour assurer ma
sécurité ?
Janvier
— Il m’a écrit. C’est plutôt bon signe. Un courrier
très amical. Il veut s’entretenir avec moi. Je pense
qu’il tiendra compte de ce que j’aurai à dire.
Anna
— Dites-moi. Cet homme, le plus zélé des
chasseurs de sorcière, auteur de ce livre horrible
qui m’a fait cauchemarder toute la nuit… Croyezvous qu’il se serait intéressé à mon cas si je n’étais
pas venue me réfugier chez vous ?
Janvier
— Si on pouvait mesurer toutes les conséquences
de nos actes… peut-être n‘oserions-nous plus
jamais agir. Cela nous condamnerait à assumer les
conséquences de nos inactions. Je ne sais que vous
dire. Je suis profondément désolé que cet abri que
je vous offre se soit transformé en souricière.
Anna
— Y a-t-il dans le royaume quelqu’un qui soit
capable de me défendre mieux que vous ?
50
Janvier
— Sur le plan de la rhétorique, des effets de
manche, des formules à l’emporte-pièce et des
slogans vous auriez pu trouver bien mieux à presque
tous les coins de rue.
Anna
— Mais un autre a-t-il écrit comme vous contre
l’inquisition ?
Janvier
— Quelques-uns…
Anna
— Ont-ils reçu une lettre de ce monsieur Kramer ?
Janvier
— Je l’ignore. Je crois que personne d’autre ne s’est
attaqué à son livre aussi frontalement que moi.
Anna
— Alors je vais être accusée par le plus terrible des
inquisiteurs et défendue par son plus fameux
opposant. Au moins cela promet d’être intéressant.
Si seulement le juge de cette rencontre n’était pas
aussi celui qui vraisemblablement désire ma mort
presque autant que je désire vivre.
Janvier
— J’ai longuement réfléchi à ce que je pourrais dire
pour votre défense. Et à ce qu’il ne faudrait
absolument pas dire, et qui est encore plus crucial.
Toute forme de parole hérétique est à proscrire.
Anna
— Est-ce que cela ne revient pas à être forcément
d’accord avec l’inquisiteur ?
Janvier
— La marge de manœuvre est… Enfin, oui, cela
revient plus ou moins à ce que vous dites. La
subtilité sera d’être d’accord avec lui sur
suffisamment de choses pour pouvoir proposer une
interprétation acceptable des faits admis qui puisse
conduire à la conclusion que les accusations ne sont
pas fondées.
51
Anna
— Cela semble bien fragile.
Janvier
— C’est un peu délicat.
Anna
— Si vous expliquiez que la sorcellerie n’existe pas,
ne serai-je pas aussitôt innocentée ?
Janvier
— Non. Nous serions deux à brûler.
Anna
— Je ne comprends pas ; n’est-ce pas ce que vous
avez écrit dans votre livre ?
Janvier
— Dans mon livre, j’ai expliqué qu’il y avait dans de
nombreuses affaires une explication alternative, une
autre manière de comprendre les faits, et que la
sorcellerie n’était pas l’hypothèse à privilégier dans
pareils cas. Je n’ai pas eu la témérité d’affirmer que
l’entreprise même de la Sainte Inquisition était de
poursuivre des chimères.
Anna
— Maître Bodin avait l’air de penser que vous niiez
l’existence de la sorcellerie.
Janvier
— Parfois les gens lisent entre les lignes ce qu’ils
veulent pouvoir croire au sujet de celui qui les a
écrites. Est-ce que quelqu’un pourrait témoigner
pour vous ? Se porter garant de vos qualités,
éventuellement de votre piété.
Anna
— Pieuse, j’ai bien peur de ne l’être pas beaucoup.
Personne ne prendra la parole pour me défendre et
vanter mes mérites. Pourquoi les gens croient de
telles choses, docteur ? Pourquoi d’un seul coup se
mettent-ils à haïr quelqu’un qui ne leur a rien fait
pour la seule raison qu’on aura dénoncé des actes
extravagants que personne n’aurait réellement cru
possibles en temps normal ? Pourquoi des gens
raisonnables et gentils vont-ils avec la foule injurier
52
les malheureux qu’on met à mort ? Combien d’entre
eux auraient acquiescé à ce genre de procès et
d’exécution si on leur avait demandé leur avis loin
des vociférations et des soupçons du voisinage ?
Qu’est-ce que c’est que toute cette folie ? Vous qui
êtes savant, pouvez-vous me dire la vraie raison
pour laquelle on me veut morte ?
Janvier
— Non, je ne le peux pas. Sans doute connaissezvous l’histoire du bouc émissaire. C’est un rituel
d’expiation que l’on trouve dans l’Ancien Testament.
Un bouc est choisi pour être chargé de toutes les
fautes et les injustices du peuple avant d’être chassé
dans le désert… où bien sûr il mourra. Dans
d’autres cultures, on sacrifie régulièrement un
animal. Je suppose qu’on s’imagine avoir ainsi fait le
ménage, rassemblé le mal en un seul et même
endroit. Pour peu qu’on y croit, ce doit être très
réconfortant de se mettre en règle avec le cosmos,
de complaire à Dieu par le simple truchement de la
souffrance d’un autre.
Anna
— Ils ont donc réellement le sentiment de faire le
bien ?
Janvier
— Je le pense. Et face à des calamités que rien ne
permet de prévoir ou d’empêcher, s’en prendre à
un bouc émissaire est une façon de ne pas rester
inactif, de se donner l’illusion qu’on peut éviter les
dangers à venir, et ainsi reprendre confiance les uns
dans les autres.
Anna
— Bien souvent je suis perplexe quand se
produisent des choses que je ne comprends pas. Je
m’en trouve intriguée ou alarmée, parfois frustrée,
53
mais… Je ne crois pas avoir jamais eu le désir de
croire que je comprenais malgré tout.
Janvier
— Cela fait de vous une meilleure philosophe que la
plupart des docteurs que je connais.
Anna prend en main un pistolet que cachaient des documents sur la
table.
Anna
— Est-ce avec cela que vous soignez les gens ?
Janvier
— Dans une grande maison isolée comme celle-ci,
on est parfois enclin à la prudence. D’ailleurs, faites
attention, il est chargé.
Anna
— Vous avez déjà tué quelqu’un ?
Janvier
— Jamais intentionnellement.
Il lui reprend le pistolet qui retrouve sa place sur le bureau.
Janvier
— Préparons-nous pour l’arrivée de Kramer. Il y a
certaines questions que nous pouvons anticiper.
Anna
— J’ai bien peur de perdre tous mes moyens quand
il me questionnera.
Janvier
— Il faudra vous concentrer sur ce que nous
voulons lui dire, et surtout oublier de penser aux
aveux qu’il veut obtenir.
Anna
— Et que voulons-nous lui dire ?
Noir
54
Acte 3
Scène 1
Janvier, Kramer, Mme Rémy
Quelques heures plus tard, Janvier aide Kramer à ôter son manteau.
Madame Rémy dépose sur une table un plateau avec
boisson et nourriture.
Le vrai Kramer est beaucoup moins virevoltant que celui des scènes
précédentes. Terne, sans aucun humour, sa voix est
douce.
Janvier
— J’ai été très étonné par votre lettre. Par vos deux
lettres, devrais-je dire. Près d’un an après la
parution de mon livre, je n’attendais plus de
réponse.
Kramer
— (à Mme Rémy) Je vous remercie. (à Janvier) La
providence décide bien souvent pour nous. Il était
temps que nous nous rencontrions, voilà tout.
Janvier
— Il semble que vous ayez raison. Vous voudrez
bien accepter, j’espère, mon hospitalité pour la nuit.
Kramer
— Le couvent dominicain de Loudrein est prévenu
de ma présence. J’y passerai la nuit.
Mme Rémy
— Vous savez, il ne me faut que vingt minutes pour
vous préparer une chambre.
55
Kramer
— (ignorant Mme Rémy) Comment expliquez-vous
qu’une femme accusée du pire des vices soit venue
trouver refuge chez vous ?
Janvier
— Madame Rémy, vous pouvez nous laisser. (elle
sort) Monsieur Kramer, si j’en juge par ce qu’Anna
m’a dit elle-même, c’est aux récriminations de son
employeur contre mon livre, qu’il jugeait hérétique
et odieux, qu’elle s’est imaginée trouver chez moi la
protection dont elle avait besoin.
Kramer
— Elle s’est imaginée, dites-vous. Pourtant vous
avez tenu tête à vingt ou trente personnes
courroucées venues ici la déloger. À vous tout seul,
vous avez bravement accompli cela. Que pouvaitelle demander de plus ?
Janvier
— Elle n’a rien demandé de plus.
Silence…
Janvier
— Mais, moi, je me permets de vous demander une
chose. De ne pas ouvrir de procès public, de bien
vouloir discuter avec moi de l’utilité de démarrer
une telle procédure. Après tout, si les faits
s’expliquent aisément, personne n’aurait intérêt à
perdre davantage de temps sur cette histoire.
Kramer
— Craignez-vous que l’Inquisition lui fasse injustice ?
Janvier
— Même si elle devait être innocentée, un procès
attenterait gravement à sa réputation. Je pense que,
par charité, l’éventualité de lui épargner cette peine
peut au moins être envisagée. Par ailleurs, votre
temps serait mieux employé à des tâches utiles.
Kramer
— Vous présentez cela avec beaucoup de sagesse.
Bien entendu, vous n’êtes pas sans deviner que si je
56
me suis déplacé jusques ici, c’est que, déjà, j’étais
disposé à m’entretenir avec vous. J’espère que vous
saurez exprimer pleinement vos réserves et me
convaincre avec clarté de la justesse de vos vues.
Ainsi dites-moi pourquoi vous pensez que les
sorcières n’existent pas.
Janvier
— Si vous permettez, je pense que ce n’est pas le
fond du débat. Je ne prétends pas savoir toutes les
choses que vous savez, monsieur Kramer. Vous avez
instruit bien des affaires. J’aimerais faire valoir
simplement en cette occasion que l’accusation est
peu crédible.
Kramer
— Peut-être vous laissez-vous attendrir par la
fragilité de votre invitée. Vous êtes-vous interrogé
sur votre partialité ? (silence…) Je me demande ce
qui peut motiver un homme de bonne réputation à
prendre ces risques. Car dans le passé déjà, vous
avez pris la défense d’un sorcier.
Janvier
— Un homme qui prétendait voir l’avenir et ne
disait que des banalités. Il effectuait quelques
manipulations comme font certains acrobates ou
jongleurs. Peut-être croyait-il posséder un don, je
pense qu’il n’était qu’un saltimbanque, et peut-être
un aigrefin.
Kramer
— Et vous protégez les aigrefins ?
Janvier
— Je me contente de vouloir que les gens ne soient
pas accusés de ce dont ils ne sont pas coupables.
Kramer
— Et selon vous, cet homme ne pouvait pas être
coupable de sorcellerie. Était-ce une impossibilité ?
57
Janvier
— Dans la mesure où il fut condamné et brulé en
place de grève, il faut bien qu’il ait été coupable.
Kramer
— Oui. J’apprécie que vous puissiez admettre vous
être trompé. Les mêmes causes produisant les
mêmes effets, vous devez alors admettre que vous
pouvez faire erreur dans le cas de cette femme.
Janvier
— Je suis le premier à admettre pouvoir me
tromper. C’est ainsi qu’on apprend et que l’on
progresse, ce que tout homme doit désirer, afin de
ne point stagner. Je pense avoir appris de mes
erreurs, et je gage que nos inquisiteurs en font
autant. Je ne suis pas homme à prétendre savoir ce
que je ne sais pas, je l’ai plusieurs fois écrit dans
mon livre.
Kramer
— Votre livre, oui… Une plume insolente qui
explique sans le dire qu’il ne faut pas croire à la
réalité des crimes poursuivis pas l’Eglise.
Soutiendrez-vous ici que la sorcellerie n’existe pas ?
Janvier
— Je ne saurais affirmer absolument l’inexistence de
quoi que ce soit.
Kramer
— Mon courrier vous aura fait changer d’avis, peutêtre.
Janvier
— Ou j’aurai mal exprimé ma pensée dans mon
ouvrage.
Kramer
— Nous sommes donc d’accord sur le fait que la
sorcellerie existe.
Janvier
— … On le dit et je ne puis prouver le contraire.
Kramer
— Comme vous êtes prudent. Permettez que je
rappelle quelques faits indiscutables. La sorcellerie
58
est non seulement une réalité ; elle est aussi une
hérésie. Qui nie une hérésie sinon un hérétique ?
Janvier
— En effet.
Kramer
— Dans sa bulle du 5 décembre 1484, « Summis
desiderantes affectibus » le Pape Innocent dit que la
sorcellerie est la source de maladies et de tempêtes.
L’inquisition a toute latitude pour procéder à
l'emprisonnement et la punition des incriminés selon
leurs mérites. Exode 22 :18 « tu ne laisseras pas
vivre la sorcière ». Luther a également dit qu’il
souhaitait lui-même mettre le feu à leurs bûchers.
Certains veulent résister à cette vérité. Les
malheureux. Le théologien Guillame de Lute a
qualifié de fable les accusations de sorcellerie, il
jugeait leur condamnation cruelle. Il fut brûlé à
Poitiers. On considère souvent qu’une défense trop
véhémente de la part d’un avocat prouve que celuici est ensorcelé.
Janvier
— Qu’est-ce qu’une défense trop véhémente ?
Kramer
— Vous posez décidément de bonnes questions.
Mais je me demande si vous êtes disposé à en
apprendre les réponses. Le superintendant
d’Ennneberge1 considère que les avocats ne doivent
pas s’occuper de telles affaires, car sauver la vie de
1
« En 1613, en Allemagne, le superintendant de Henneberg déclarait : «
Les autorités ne doivent pas permettre aux avocats de
s'occuper des affaires de sorcières et de leur sauver la vie
pour provoquer encore plus de dommages et de maux.
Car tout le mal que de telles fiancées du diable font, les
régents et les honorables avocats devront un jour en
répondre devant Dieu et la chaire du Christ. »
59
ces créatures, c’est prolonger leurs méfaits. Comme
le dit le superintendant, le mal que de telles fiancées
du diable font, les honorables avocats devront un
jour en répondre devant Dieu et la chaire du
Christ.
Janvier
— Peut-être pouvez-vous accepter que je ne sois
pas l’avocat de l’accusée, mais celui de la raison qui
éclairera votre jugement.
Kramer
— Admettons cela. Où la cachez-vous ? Peut-on la
voir ?
Janvier
— Elle est dans une chambre à côté. Je vais la
chercher.
Kramer
— Oui.
Janvier sort.
60
Scène 2
Janvier, Kramer, Anna.
Kramer examine un peu les lieux, il prend sur le bureau une feuille qu’il
lit rapidement. Il la repose quand le bruit des pas
indique le retour de Janvier accompagné d’Anna.
Kramer
— Anna Belcier, fille de Didier Belcier, taillandier à
Rordale.
Anna
— (impressionnée) … Bonjour Monsieur.
Janvier
— Le docteur Tomàs Jacob Kramer.
Anna
— Vous êtes docteur vous aussi ?
Kramer
— En théologie. La première de toutes les sciences.
Kramer l’examine.
Kramer
— Croyez-vous au diable ?
Anna
— Je ne l’ai jamais rencontré.
Kramer
— Comment saviez-vous que telle serait ma
prochaine question ?
Anna
— Je voulais juste ne pas répondre seulement oui,
et laisser entendre que j’en savais plus que d’autres
sur le Diable.
Kramer
— Vous feriez mieux de me fournir des réponses
honnêtes et de ne pas manœuvrer pour vous glisser
au travers de mes questions. Croyez-vous au
Diable ?
Anna
— Oui.
61
Kramer
— Bien. Le dogme l’exige. Et ainsi nous
n’entendrons pas d’excuses sur votre ignorance de
la nature des choses que vous avez faites.
Janvier
— Des choses qui lui sont reprochées. Il me semble
que les faits ne sont pas établis.
Kramer
— Quarante personnes n’étaient-elles pas devant
vos portes il y a peu ? Leurs quarante témoignages,
s’ils sont produits au procès, excèdent de beaucoup
ce qui suffit à établir ces faits.
Anna
— Mais je n’ai rien fait, monsieur.
Kramer
— Vous semblez bien incapable de faire le mal, c’est
vrai. Les femmes s’y entendent pour paraitre faibles
et innocentes. Cela les rend d’autant plus
dangereuses. Saviez-vous que le mot femme vient du
latin femina, lequel dérive de fe et minus : la foi
mineure, faible. Car les femmes sont largement
incapables d’éprouver une foi pleine et sincère.
Janvier
— Je suis surpris par cette étymologie. D’où tenezvous cette origine ?
Kramer
— Épargnons-nous un débat de linguistique ! Je
constate que le monde séculier est désormais
dominé par les femmes, et par leurs désirs pervers
que les hommes s’empressent de combler, par
faiblesse. Des désirs qui enflent et qui gonflent,
insatiables, et jettent ces pauvres créatures si
facilement dans les bras du Diable qui sait leur
promettre mille choses. Où se déroule le sabbat
auquel vous assistez ?
62
Anna
— Je… Je ne sais pas… Je n’ai jamais participé à un
sabbat. Il faudrait me dire ce que vous entendez par
là.
Kramer
— (Jette un œil à Janvier) Notre bon docteur vous at-il fait répéter les réponses qu’il faut fournir à mes
questions ?
Anna
— Non. Le docteur Janvier m’a questionnée car il
voulait savoir si les accusations étaient vraies.
Kramer
— Avez-vous séduit le docteur Janvier ? Avez-vous
fait commerce de vos charmes ?
Janvier
— Monsieur Kramer, je vous assure que rien de
tel…
Kramer
— (le coupant) Les sorcières accroissent leurs
maléfices à travers des actes sexuels répugnants,
dégradants. Les deux sorcières que j’ai fait brûler à
Ravensburg le mois passé tiraient de la fornication
les pouvoirs qui leur permettaient d’ensorceler leurs
ennemis. Nous avons obtenu d’elles des détails tout
à fait sordides sur leurs pratiques lors de ces messes
noires. Trop souvent les hommes de valeur ne
savent comment résister à la forme de séduction la
plus pernicieuse qui soit. Et quand ils y arrivent, la
vengeance de ces créatures ne se fait pas attendre,
et elles les frappent d’impuissance ! Souffrez-vous
d’une telle infirmité depuis quelques jours, docteur ?
Janvier
— Je n’ai pas eu l’occasion de le constater, cher
monsieur Kramer.
Kramer
— Le bon docteur vous a-t-il expliqué les détails de
la procédure, la Belcier ? Une fois l’inculpée arrêtée
et emprisonnée, elle est rasée entièrement. Ses
63
ongles coupés. On lui fournit vêtements et
nourriture trempés dans l’eau bénite et dans le sel.
Les coupables refusent de manger. Du reste, nous
les nourrissons peu. La réclusion et la privation de
nourriture ouvrent l’esprit en douceur. Parfois le
temps nous presse et d’autres options s’imposent.
Nous procédons à des interrogatoires, à des
auditions de témoin. Parfois, cela nous permet de
rassembler suffisamment de pièces dans le dossier
pour prouver la culpabilité. Dans tous les cas je
préconise que vienne ensuite la question. Il y a
beaucoup moins d’exécutions quand la torture n’est
pas employée. Les brodequins sont simples et
efficaces. Il s’agit d’une petite machine qui permet de
compresser les jambes l’une contre l’autre. C’est si
efficace qu’il faut souvent porter les accusés jusqu’à
leur bucher, car leurs jambes sont détruites.
J’espère que ces détails vous aident à mieux
comprendre le contexte. Janvier, serez-vous l’avocat
de la raison ?
Janvier
— J’espère pouvoir l’être. Peut-être pouvons-nous
commencer par entendre la version de l’accusée.
Anna
— Maître Bodin m’accuse parce que j’ai résisté à ses
avances, à ses attouchements, parce que je l’ai
menacé de tout révéler. Sa femme croit à toutes les
rumeurs de sorcellerie qu’on entend, elle s’est
aussitôt persuadée de m’avoir entendue la maudire,
ça et mille autres choses qu’elle s’imagine.
Kramer
— J’ai déjà entendu cette histoire. Le démon ne se
renouvelle pas beaucoup.
Janvier
— J’aurais cru au contraire le démon très imaginatif.
Kramer
64
— Cela arrive.
Janvier
— … Alors… est-ce un bon critère pour le
reconnaître ?
Kramer
— Oui. Puisque je le reconnais.
Janvier
— Et en cette matière, vous ne pouvez pas vous
tromper, si je comprends bien…
Kramer
— En cette matière, je fais autorité. Si la Belcier
avait un rhume ou une entorse, cela relèverait de
vos compétences.
Janvier
— J’aimerais revenir sur les conséquences de tous
ces procès.
Kramer
— Vous renoncez à défendre son cas.
Janvier
— Je tâche de défendre la raison, monsieur Kramer,
comme convenu. J’ai lu beaucoup de compte-rendus
sur des affaires similaires. Souvent, elles démarrent
sur la foi du témoignage d’enfants, parfois très
jeunes. On sait bien que les enfants imaginent des
choses, interprètent mal certaines paroles, qu’il leur
arrive de confondre l’imaginaire et le réel.
Kramer
— Nous savons ce que c’est d’être un enfant,
Janvier.
Janvier
— Là où je veux en venir, c’est que dans ces
affaires-là, il semble vraiment difficile d’imaginer que
le diable soit impliqué, et qu’il permette que ses
machinations soient ainsi éventées par de petits
enfants. N’est-ce pas invraisemblable ?
65
Kramer
— Credo quia absurdum2. Souvenez-vous Tertullien.
Nul besoin de tout comprendre pour croire. Au
contraire.
Janvier
— Oui. Bien entendu. Mais… voulez-vous admettre
qu’il peut sembler raisonnable de penser que
parfois, ces histoires soient complètement
inventées, ou bien par fantaisie, ou bien par
malveillance, parfois même par calcul politique.
Kramer
— Il est bien possible que cela se produise parfois,
en effet. C’est bien pourquoi une enquête est
instruite !
Anna
— Mais dès lors que l’enquête est entamée, quel
espoir reste-t-il pour l’innocente ? Rasée, enfermée,
questionnée, affamée. Si elle ne parle pas ? Vous
écrivez que celle qui n’avouent pas sous la torture,
c’est grâce à leur magie démoniaque qu’elles
résistent. Si elle avoue, elle est perdue, bien sûr. Et
si elle résiste…
Kramer
— Il est arrivé qu’on innocente des accusées.
Quand elles fournissent des informations qui aident
à l’enquête, nous nous montrons charitables.
Janvier
— Oui, la charité est primordiale. Je ne puis croire
que vous soyez homme à ne pas considérer comme
tragique qu’un innocent soit brutalisé, tourmenté et
tués de si horrible manière par l’Eglise elle-même.
Kramer
— Vous soulevez un point important. Il y a
beaucoup de souffrances dans ce travail. Mais nous
devons l’accepter. Aux coupables, Dieu ne fait
2
« Je crois parce que c’est absurde »
66
aucune injustice, ils reçoivent leur dû pour s’être
retournés contre lui. Aux malheureux innocents,
Dieu les rappelle à lui et leur épargne les tentations
et les occasions de fauter et de manquer de piété.
Sans compte que par la manière dont ils
rencontrent la mort, ils arrivent au ciel lavés de
leurs pêchés. Mais il y a des hommes qui doivent
continuer de vivre avec tout ce qu’ils auront fait. Et
ceux-là sont ceux qui souffrent réellement et le plus
longtemps, mais c’est leur croix que d’obéir aux
commandements divins.
Anna
— Vous êtes en train de dire que c’est le bourreau
qui souffre pour de vrai ? Mais est-ce que vous
voulez qu’on échange…
Janvier
— (l’interrompant) Je comprends votre point de vue.
Celui qui obéit à la volonté de Dieu est forcément
dans le droit chemin, même si c’est douloureux, cela
va sans dire. Si nous avons été dotés de raison c’est
pour être capables, justement, de reconnaître ce qui
est la volonté de Dieu et ce qui ne l’est pas. Parfois,
c’est arrivé, les gens se trompent. Et les erreurs ont
des conséquences. À force d’exécutions, dans les
villages, certaines familles ont été décimées, et
l’économie locale durement touchée. Chacun
suspecte tout le monde. Les gens sont à cran, et
prompts à voir partout les manifestations de cette
sorcellerie que les institutions semblent rendre
responsables de tout. À chaque nouveau bûcher, on
confirme l’existence de ce mal et on encourage les
gens à suspecter qu’elle fut la source de leurs
misères.
Kramer
— Vous ignorez tout du combat que je mène,
docteur Janvier. Vous parlez avec l’apparence du
67
bon sens, mais vous parlez surtout sans savoir. Je
suis en guerre. Je livre un combat en première ligne
contre l’immonde complot qui veut renverser la
chrétienté de l’intérieur. Savez-vous qu’il existe une
secte satanique qui se veut une Église parallèle,
secrète et puissante ?
Anna
— Je dois bien vous avouer que je l’ignorais.
Kramer
— Soyez heureux de pouvoir vivre loin de ces
funestes préoccupations.
68
Scène 3
Tout le monde
On toque à la porte.
Madame Rémy entre, affolée (comme souvent parait-il)
Mme Rémy
— Oh, pardon docteur. Pardonnez-moi, mais
c’est… (elle indique la fenêtre) Il y a des gens. Ils sont
revenus, monsieur !
Janvier
— Quoi ?
Mme Rémy
— Les mécontents d’hier. Ils ont des fourches et
des tisons. Ils veulent brûler la maison ?
Janvier
— Mais non. (regarde par la fenêtre) Bon Dieu !
Mme Rémy
— Désolée, Docteur.
Kramer
— Nul ne franchira votre portail. Mes vingt-huit
cavaliers tiendront la populace en respect.
Janvier
— Cette populace, ce sont les gens que je soigne
depuis dix ans.
Kramer
— Leur confiance en vous me semble entamée.
Janvier
— Pourquoi tout le monde s’énerve-t-il si vite
autour de cette histoire ?
Kramer
— Peut-être commencez-vous à prendre au sérieux
les crimes dont nous parlons. Les gens dehors en
prennent la mesure, eux.
69
Janvier
— Je vais aller les voir pour éviter que cela ne
dégénère.
Mme Rémy
— Ils ont des fourches et des tisons…
Kramer
— Les soldats au service de l’inquisition auront tôt
fait de les remettre à leur place.
Janvier
— Raison de plus pour que j’aille calmer tous ces
gens.
Il sort rapidement, suivi par Madame Rémy.
Mme Rémy
70
— Vous ne devriez pas y aller. Docteur ! Docteur,
s’il vous plait, faites attention.
Scène 4
Kramer & Anna.
Moment de malaise entre les deux personnages.
Kramer
— Je soupçonne Janvier de n’avoir qu’une foi
superficielle dans la parole du Christ. Il s’égare
souvent. Mais je lui reconnais du cœur. Il croit sans
doute en votre innocence, la Belcier.
Anna
— C’est parce qu’il a pris le temps de me demander
ma version des faits. Les gens dehors vocifèrent, ils
sont prêts à me tuer, mais la plupart ne me
connaissent pas et ne savent pas vraiment ce qu’ils
me reprochent.
Kramer
— Leur comportement est d’une grande vulgarité,
vous avez raison. Pourquoi ne portez-vous pas un
foulard pour cacher vos cheveux comme le font les
femmes vertueuses et modestes ?
Anna
— Si c’est de ne pas porter un foulard dont je suis
coupable, je suis étonnée. Personne ne me l’a dit.
Kramer
— Hm. J’ai déjà vu cette même impertinence. Je la
reconnais. Autant vous dire qu’elle résiste mal aux
flammes.
Anna
— Pardonnez-moi, j’ignore la bonne attitude à avoir
pour ne pas paraitre constamment plus suspecte à
vos yeux.
Kramer
— Vous réfléchissez beaucoup. C’est là une chose
qu’on voit peu chez les femmes. Entendons-nous
bien. Beaucoup d’hommes sont des imbéciles, mais
71
aucune femme n’est philosophe. Vous targuer d’être
intelligente, imaginer que vous pouvez par votre
attitude, vos manières ou vos paroles vous
soustraire au regard de l’inquisition, voilà ce qui
conforte mes présomptions.
Anna
— Certaines personnes pensent que les femmes ne
devraient pas recevoir d’instruction. C’est une
chose. Dire que les femmes instruites sont
diaboliques en est une autre. C’est du moins ce qu’il
me semble, si je puis me permettre.
Kramer
— Janvier a dû vous trouver bien touchante, bien
fragile. Vous l’avez bien choisi. À quel point l’avezvous corrompu ?
Anna
— Le docteur Janvier ne m’aide que parce qu’il croit
que c’est chose juste. Il ne m’a pas fait d’avance,
contrairement à maître Bodin, vous savez : l’homme
brutal qui m’employait, qui a voulu abuser de moi, et
qui maintenant m’accuse par peur que je dise ce
qu’il est.
Kramer
— (en ignorant complètement ce qui vient d’être dit) Le
bon docteur a un protecteur et un ami dans la
personne du Comte de Valdence3 chez qui je
demeurais hier encore. Son domaine a été le cadre
d’histoires sordides. Deux hommes s’accusèrent
réciproquement de malhonnêteté et de satanisme,
tant et si bien que la haute justice s’empara de
l’affaire. La question ordinaire obtint des aveux.
Diligemment, on les pendit avant de brûler leur
corps au bord de la rivière. Mais le mal enfante le
3
Référence à l’histoire du cheval gris du Comte de Veldenz.
72
mal, en particulier quand la justice n’est pas rendue
dans les règles de l’art. D’autres accusations,
d’autres troubles empestèrent la seigneurie. Mes
estimés confrères firent périr des méchants et des
méchantes par dizaines. Les habitants trouvaient du
réconfort dans l’âpreté du combat qui était mené
contre le diable. Mais partout ils se sentaient
menacés. Et partout les soupçons redoublaient.
Ces affaires irritaient au plus haut point le comte de
Valdence ; « J’ai peine à croire qu’il y ait tant de
sorcier et de sorcières. » disait-il. Pourtant il fut
victime à son tour d’un maléfice. L’un de ses
chevaux, un beau grison, eut la jambe cassée. Le
comte accusa l’un de ses écuyers, un garçon de
mauvaise réputation, d’avoir agi grâce à un sortilège.
Il remit l’affaire dans les mains des experts. L’écuyer
fut questionné. En quelques heures, il se confessait
et révélait le nom de trois complices. Mais c’est
alors que le Comte de Valdence affirma avoir luimême cassé la jambe au cheval durant la nuit sans
aucune sorte d’aide magique. Il fit saisir le bourreau,
que l’on questionna, et qui confessa avoir exécuté
soixante-dix innocents.
Cette sombre affaire amena l’Église à dépêcher sur
place son meilleur expert en sorcellerie. C’est en
somme la raison pour laquelle je me trouvais à
quelques lieues quand la nouvelle de votre… refuge
chez Monsieur Janvier vint à mes oreilles.
Anna
— Qu’est-il arrivé au bourreau ?
Kramer
— Il a été banni. Je serais surpris qu’il soit le
bienvenu où que ce soit. Cela n’a aucune espèce
d’importance. L’important est que Monsieur le
73
Comte de Valdence ressemble à notre brave Janvier.
Il a cru démontrer l’inexistence de la sorcellerie en
prouvant la faillibilité des hommes, et les erreurs
qu’ils commettent avec les meilleures intentions du
monde. Ce que le Comte a fait en réalité, c’est
montrer à quel point notre travail est complexe,
délicat et sérieux, et qu’il ne peut être confié à des
hommes dont la volonté d’agir serait vacillante, ou
l’ardeur sapé par la crainte de l’erreur.
Anna
— Qu’est-ce que le comte de Valdence aurait pu
faire qui vous fasse douter ?
Kramer
— Toujours revient cette question du doute. Mais
ma pauvre enfant, rien ne peut me faire douter. Je
suis immunisé aux poisons du doute comme je le
suis aux artifices des sorcières. De par mon
sacerdoce, de par la mission qui est mienne, de par
ma foi ! Janvier, lui aussi, voudrait que j’admette
pouvoir douter. On ne doute pas de Dieu. Vous
comprenez cela, j’espère.
Anna
— Je crois que oui, monsieur. Mais, tout de même,
dans la position où je me trouve, je me demande
avant tout comment je pourrais vous convaincre de
mon innocence. Je vous entends parler de votre
combat et de cette machination diabolique. C’est
très effrayant, et cela semble dangereux. Je ne suis
qu’une femme ignorante, je ne sais rien de tout cela,
et vous pouvez avoir raison dans tout ce que vous
dites. Mais ne pourriez-vous avoir tort ?
Kramer
— Vous me dites que j’ai tort ?
Anna
— Aucunement. Je vous demande si c’est possible.
74
Kramer
— Nul homme n’est infaillible, ne me croyez pas
infatué au point d’être aveugle à cette vérité qui
s’impose à tous. Mais la prière éclaire l’esprit et
apporte des réponses.
Anna
— Oui. Vous n’êtes pas infaillible, donc, docteur
Kramer ?
Kramer
— Non.
Anna
— Alors je m’interroge. Vous pourriez avoir raison
à propos des sorcières en général, des affaires que
vous avez instruites, à propos de moi… Mais si
jamais vous faisiez erreur, comme cela peut arriver à
n’importe quel homme faillible ; je me demande
comment vous le sauriez. Ne dit-on pas que l’erreur
est humaine, mais que s’obstiner dans l’erreur est
diabolique ?
Kramer est troublé.
Kramer
— Oui. On le dit. Mais ne nous adonnons pas à trop
d’arrogance et d’errance intellectuelle. L’Église nous
donne une procédure. Si nous ne suivons pas la
procédure, à quel danger nous exposerons-nous ?
Anna
— À celui d’agir avec raison et dans l’intérêt du bien
commun.
Kramer
— Et donner crédit aux paroles impies, aux
doctrines hérétiques ? C’est ce que vous souhaitez,
n’est-ce pas ? Que toutes les paroles se valent, que
l’on renonce à la vérité pour embrasser votre
logique de mort.
Anna passe un cordon autour du coup de Kramer. Elle le violente, il se
débat.
75
Anna
— Ma logique de mort ? Ma logique de mort ?!
Anna le jette au sol, s’empare du pistolet de Janvier sur son bureau et le
pointe sur l’inquisiteur.
Kramer
— Mais enfin, pauvre folle, vous rendez-vous
compte de ce que vous faites ?
Anna
— Comme vous semblez surpris, monsieur Kramer.
Comme si vous n’aviez jamais réellement cru que je
sois une menace.
Kramer
— N’espérez pas vous en tirer avec un tel
comportement. Votre vraie nature fait surface, et…
Anna
— Assis ! Il n’y a rien, absolument rien qui me
retienne de vous abattre, docteur Kramer. Vous me
promettiez déjà la torture et les flammes de toute
façon. Je peux m’offrir le réconfort de vous
estropier ou de vous tuer avant cela.
Kramer
— Songez à votre âme, malheureuse !
Anna
— Revenons plutôt sur la vôtre. J’ai été patiente et
pédagogue avec vous, et monsieur Janvier tout
autant. Mais rien de rentre dans cette tête. Alors,
bien sûr, ces idées sont dures à entendre pour vous.
La possibilité que vous ayez été non seulement dans
l’erreur, mais encore dans une erreur dont votre
dogmatisme vous empêchait d’imaginer l’existence a
tout pour pétrifier. Il vous faut rejeter le doute pour
conserver votre foi, et votre foi est indispensable
pour torturer ces gens tout en gardant la certitude
de bien faire. Depuis longtemps maintenant, vous
avez lié votre destin à ceux que vous avez fait
mourir. Vous êtes bien forcé de croire que vous
avez eu raison d’agir comme vous l’avez fait, de vous
76
engager librement, délibérément à exécuter une
procédure qui, telle une nasse, ne laisse aucune
chance aux accusés.
En parlant, elle le ligote sur une chaise
Si jamais vous considériez réellement la possibilité
pour vous de commettre une erreur, le principe
même de l’inquisition deviendrait aussitôt immoral.
Toutes ces années de labeur intensif, la fierté de
votre vie, se transformeraient en un atroce sacrilège, un fardeau sans pareil. Il n’y a rien d’étonnant à
ce que cela vous soit totalement impensable.
Je conçois même que vous soyez effrayé, oui effrayé
de m’entendre vous dire une chose aussi sensée,
aussi logique et dévastatrice. Parce qu’alors, durant
le court laps de temps où la lucidité vous frappe,
vous devez à la fois faire face à la ruine du
raisonnement qui vous rendait si sûr de vous à mon
sujet, mais aussi au constat que je suis beaucoup
trop convaincante, bien trop habile et maligne pour
une simple femme. Dans un cas comme dans l’autre,
vous devriez songer aux mérites de l’humilité et aux
limites de votre propre intellect. Je dis cela pour
vous.
Kramer
— Je ne comprends pas… Qu’espérez-vous ?
Anna
— Chut !
77
Scène 5
Anna, Janvier, Kramer.
Janvier revient, encore une fois trempé, dans une pièce au silence épais.
Janvier
— Heureusement, les gens ont encore un peu de
respect pour leur médecin, et vos soldats ont
accepté de ne pas chercher à disperser la foule de
force. Mais les esprits s’échauffent…
Lentement, il s‘avise que Kramer est ligoté et qu’Anna pointe une arme
dans sa direction.
Kramer
— Janvier, vous devriez faire quelque chose !
Janvier
— Que s’est-il… ? Anna ?
Anna
— Fermez la porte à clef derrière-vous.
Janvier
— Anna.
Anna
— Maintenant !
Kramer
— Janvier ! Ne vous rendez pas plus complice que
déjà vous n’êtes !
Janvier verrouille la porte. Anna, le menaçant, toujours de son arme se
met à fouiller le bureau, récupère une ceinture, arrache
un cordon de rideau…
Janvier
— Anna, vous n’allez pas vous en sortir si vous
choisissez cette voie.
Anna
— Mon sort est celé depuis le moment où Monsieur
Kramer a choisi de venir vous mettre à l’épreuve.
Moi, il s’en fiche. Je n’étais que le parfait prétexte
pour se mesurer à vous et vous écraser, vous faire
78
plier. Ô et vous avez plié. Non sans panache, bien
sûr, et sans jamais lui donner raison bien qu’il se soit
certainement convaincu du contraire. Mais vous
avez renoncé à défendre la raison.
Janvier
— La violence ne résout rien.
Anna
—Le joli refrain ! Il y a différentes sortes de
violence ! C’est par la violence que vous et ce
monsieur maintenez les gens dans les rôles qui vous
arrangent.
Janvier
— Je cherche uniquement à vous aider.
Anna
— Vous cherchez surtout à avoir raison.
Janvier
— Anna, ne vous comportez pas comme une folle !
Elle installe une chaise dos à dos avec celle qu’occupe Kramer.
Anna
— Asseyez-vous !
Janvier
— Si vous présentez vos excuses, si vous expliquez
à monsieur Kramer que votre comportement est
celui d’une innocente qui voit bien qu’aucune chance
ne lui est laissée par les institutions, je suis sûr qu’il
comprendra…
Kramer
— Janvier ! Posez-vous sur cette chaise. Laissez
cette créature croire qu’elle a une chance. Mes
hommes, dehors, ont pour consigne de ne laisser
personne entrer ni sortir.
Anna
— Glissez vos mains dans la ceinture !
Janvier
— Anna, il est inutile de me menacer, vous savez
bien que je ne…
79
Anna
— Pardonnez-moi si je vous coupe la parole, mais je
n’ai pas le temps de vous écouter. Rendez service à
tout le monde !
Janvier laisse Anna lui attacher les mains avec sa ceinture. Après cela, elle
entreprend de l’attacher lui aussi sur sa chaise.
Janvier
— Ils vont vous pourchasser.
Anna
— Que pourraient-ils faire de pire qui ne m’était
déjà destiné ?
Kramer
— Vous vous rendez compte, Janvier, que tout cela
réfute vos beaux arguments ? Vous avez bel et bien
offert votre protection à un monstre. Et j’avais
raison depuis le début.
Janvier
— Je veux bien admettre que vous aviez raison, si
elle a eu le dessus sur vous en employant un
envoûtement quelconque. Il me semble à moi que
j’ai vu une arme dans sa main.
Anna
— Oh, mais monsieur Kramer vous répondra que
les inquisiteurs sont protégés contre les manigances
des sorcières. Il fallait donc que je trouve un moyen
plus… prosaïque. Pourtant c’est vraiment à s’y
méprendre ; c’est comme si le brillant Tomas
Kramer s’était laissé charmer par la misérable Anna
Belcier. Êtes-vous toujours certain d’être immunisé
contre la sorcellerie ?
Kramer
— (bredouille)…
Janvier
— Mais enfin Anna… vous ne prétendez tout de
même pas être une sorcière, maintenant ?
Anna
— Croyez ce que vous voulez, l’un comme l’autre.
Elle leur fait les poches.
80
Janvier
— Je suis tellement désolé de vous voir agir ainsi.
Kramer
— Ne le soyez pas ! Bientôt la justice tombera. Je
ferai en sorte que vous soyez aux premières loges,
Janvier. Pour de vos yeux voir le feu dévorer cette
ignoble créature.
Anna
— Je devrais vous tuer, monsieur Kramer. C’est la
seule chose cohérente à faire selon votre propre
logique. Mais votre logique n’est pas celle du monde
réel.
Kramer
— Impie ! Enfant du démon ! Vous rôtirez bientôt
en enfer ! Hérétique.
Janvier
— Ils vont vous attraper. Plus personne ne pourra
vous défendre. Votre violence les confortera dans
l’idée que vous étiez leur ennemie. Et votre bucher
en appellera d’autres après lui.
Anna
— Oui. Tout ça par ma faute. Parce que j’ai été
assez égoïste et injuste pour refuser d’être
reconnue coupable d’un crime imaginaire par des
imbéciles qui vivent dans la peur des fantasmes
d’une poignée d‘obsédés comme monsieur Kramer.
Mais je vais peut-être vous décevoir encore. Je n’ai
pas l’intention de me laisser prendre. J’ai volé votre
argent et celui de Kramer. La nuit dernière j’ai
fouillé la maison, volé quelques objets de valeur et
retrouvé l’entrée d’un vieux souterrain où je
m’aventurais quand j’étais petite fille. Il mène de
l’autre côté de la colline. Je vais quitter le pays. En
tout cas je vais essayer. Et je garde votre pistolet
pour finir cette histoire de mon propre chef en cas
de besoin.
81
Janvier
— Vous… Vous n’étiez pas du tout venue chercher
ma protection en réalité. Vous m’avez floué dès le
départ.
Anna
— Mais je vous suis reconnaissante d’avoir accepté
de me protéger. Bien sûr, si j’avais dû réellement
m’en remettre à vous, je n’aurais eu aucune chance
de m‘en sortir, alors disons que je vous ai aidé à
m’aider et que vous n’en garderez nulle rancune.
Janvier
— Je ne sais plus si je dois vous souhaiter de
survivre à tout cela ou me ranger à l’avis de
Monsieur Kramer sur les accusations dont il vous
accable.
Anna
— Je vous laisse en délibérer, je ne dois pas trainer
davantage. Adieu Frédéric Janvier.
Elle sort.
Noir
82
Scène 6
Janvier, Madame Rémy.
Retour à la disposition du début de la pièce. Madame Rémy fait du
rangement tandis que Janvier écrit à sa table de travail.
Au bout d’un moment, elle se redresse et jette un œil
par la fenêtre.
Mme Rémy
— Il a encore plu toute la journée.
Janvier
— Je sais, madame Rémy.
Mme Rémy
— Ca n’est pas très naturel.
Janvier
— Qu’est-ce qui pourrait être plus naturel que la
pluie ou le beau temps ?
Mme Rémy
— Hum. Quand on aura retrouvé cette fille, ça se
passera peut-être autrement.
Janvier
— Bon, très bien. Voilà deux semaines que vous
multipliez les allusions. Je sens bien que vous avez
envie d’exprimer votre avis sur cette navrante
histoire. Alors je vais peut-être le regretter, mais je
vous propose de me dire ce que vous avez à dire
pour que nous puissions passer à autre chose
Mme Rémy
— Mais non. Moi je n’ai rien à redire. Je vous avais
mis en garde. Je vous avais déconseillé de l’accueillir
ou de lui faire confiance.
Janvier
— C’est vrai. Si je vous avais écoutée, Anna qui
venait de s’enfuir d’une cave où on l’avait enfermée,
n’aurait sans doute pas pu disparaitre avec assez
d’argent pour refaire sa vie loin d’ici. Les villageois
83
l’auraient attrapée, et on l’aurait brûlée. C’est cela
qui vous manque ?
Mme Rémy
— Moi je pensais surtout à votre propre bien. A
votre réputation.
Janvier
— Une bonne décision est une décision que l’on
n’est pas amené à regretter, vous vous souvenez ?
Mme Rémy
— Oh oui.
Janvier
— Vous devriez cesser de vous en faire pour moi,
car je ne regrette pas mes décisions. Oh, je passe
pour un idiot auprès de certains, ou pour un
complice aux yeux des autres. C’est inconfortable.
J’eus préféré que jamais elle ne se présenta devant
moi en pleine détresse. Mais dès lors qu’elle était là,
aucune option pleinement souhaitable ne s’offrait à
moi. Ma nature ne m’autoriserait sans doute pas à
agir autrement si tout devait recommencer.
Mme Rémy
— Oh, tout de même ! Vous devriez penser un peu
aux autres. J’ai beau dire combien j’ai voulu chasser
cette créature et vous mettre en garde, je sens bien
que désormais on se méfie de moi. C’est un
monde !
Janvier
— J’ai omis de penser à cela, je vous l’accorde.
Mme Rémy
— Et je crains tous les jours qu’arrive une nouvelle
enveloppe avec un gros sceau rouge. On vous
accuserait de je ne sais quoi. Je perdrais mon
emploi, et elle aurait gagné, cette fille de mauvaise
vie !
Janvier
— Monsieur Kramer a beaucoup vitupéré, vilipendé
et vociféré quand vous l’avez détaché, mais bien vite
il est revenu à des sentiments plus raisonnés. Il n’est
84
pas homme à courir au déshonneur pour le plaisir
du scandale. Il n’aurait à gagner à s’acharner sur
personne à Rormond.
Mme Rémy
— En avons-nous besoin ?
Janvier
— Que voulez-vous dire ?
Mme Rémy
— Avec la fuite de la Belcier, nul n’a pu obtenir le
nom de ses complices. Les amis que je fréquente
penchent pour la veuve Cloudier, une vieille bizarre
qui lance des regards louches, et qui parle souvent
toute seule.
Janvier
— Il vous arrive de parler seule dans la cuisine
pendant des heures, madame Rémy.
Mme Rémy
— Mas il continue de pleuvoir, docteur ! Les gens
ont de la moisissure partout dans leurs maisons. On
dit que Maître Bodin a contracté une pneumonie.
Tout cela se passerait autrement si on mettait la
main sur cette sale fuyarde !
Janvier
— Je vous ai pourtant expliqué qu’Anna n’avait
employé aucune sorte de magie quand elle s’est
jouée de Kramer et de moi-même. Elle n’a eu aucun
des comportements satanistes que les gens de
Rormond lui prêtent. L’hypothèse de la sorcellerie
n’est véritablement étayée par rien.
Mme Rémy
— Je ne sais pas trop quoi penser.
Janvier
— Eh bien, il me semble que c’est un signe de
sagesse.
Mme Rémy
— Si la sagesse, ça consiste à ne plus penser. Alors
là !
85
Janvier
— Non, ce n’est pas… (renonce à expliquer) Madame
Rémy, m’avez-vous livré ce que vous aviez sur le
cœur au sujet de cette histoire ?
Mme Rémy
— Ce que j’en dis, c’est que si vous m’aviez un peu
écoutée.
Janvier
— Vous ai-je expliqué que l’inquisiteur Kramer luimême s’est montré incapable de faire la
démonstration qu’Anna Belcier était douée de
pouvoir démoniaques ?
Mme Rémy
— Oui, oui.
Janvier
— Il est pourtant prompt à reconnaître la
sorcellerie partout.
Mme Rémy
— Oui, je sais bien.
Janvier
— Et malgré tout, vous persistez à croire qu’elle est
une sorcière ?
Mme Rémy
— Ben… Dans le doute, je préfère croire, oui.
Janvier
— Dans le doute, vous préférez croire. D’accord.
Janvier retrouve sa place à sa table de travail, estomaqué. Mme Rémy
reprend son ménage.
Mme Rémy
— (d’un air d’évidence) Ben oui. C’est quand même
plus prudent.
Janvier
— Merci d’avoir monté le courrier, madame Rémy.
FIN
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87
Quelques pièces de
Thomas C. Durand

Mont de Dieux ! comédie 'culte'

L’avis du mort comédie policière

L'embarras du choix comédie de mœurs

Psyché comédie tragique

Passage à l'acte comédie en relief

Vertiges des auteurs comédie abîmée

La première fille comédie imaginaire

Le Propre de l'Homme comédie pseudo-scientifique

La rançon du succès comédie overground

La Peste Rose comédie pandémique

On recrute ! comédie inutile

Ca$hting comédie patrimoniale
Plus d'infos : http://www.leproscenium.com/PresentationAuteur.php?IdAuteur=896
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