union typographique, imprimerie en societe cooperative de production

Transcription

union typographique, imprimerie en societe cooperative de production
UNION TYPOGRAPHIQUE,
IMPRIMERIE EN SOCIETE
COOPERATIVE DE PRODUCTION
(SCOP) A VILLENEUVE-SAINTGEORGES
Archives de la société.
1906-1988
74J 1-152
Statuts de 1906 (74J 3).
Communicabilité :
Immédiate
http://archives.cg94.fr/
Répertoire numérique détaillé
Archives départementales
du Val-de-Marne
Union typographique, imprimerie en société coopérative de production (SCOP) à Villeneuve-Saint-Georges
74J 1-152
INTRODUCTION
Date d'entrée aux AD 94
22 novembre 1994
Modalité d'entrée
dépôt révocable
Analyse du fonds
archives de l'ancienne imprimerie Union typographique,
société coopérative ouvrière de production, à VilleneuveSaint-Georges.
Dates extrêmes
1906 - 1988
Communicabilité
libre
Nombre d'articles
27 cartons, un registre
Métrage linéaire
3 m/l
Instrument de recherche
répertoire numérique par Alain NAFILYAN (juin 1995).
Une imprimerie ouvrière : l'Union typographique
En 1988, Villeneuve-Saint-Georges perdait une entreprise originale dans sa structure :
l'Union typographique. Installée rue Jules-Guesde depuis 1908, cette coopérative ouvrière fut
victime des temps modernes. Les Archives départementales viennent de classer et
d'inventorier les archives de cette société disparue.
La belle entreprise
En 1906, quelques typographes et imprimeurs décidèrent de s'associer sous une forme
pleine de promesse : la coopérative ouvrière de production. Cette structure, issue des
associations ouvrières héritées du XIXe siècle, consistait à mettre en commun à la fois le
capital et l'outil de production. La lutte classique ouvriers/patrons était dépassée par une
nouvelle idée, qu'exprime parfaitement le préambule du règlement intérieur de l'Union
typographique :
Le but de la Société est de démontrer que la classe ouvrière, devenue majeure, peut prendre en
mains la direction de la production ; elle permet, comme toutes les associations coopératives
ouvrières, de parfaire l'instruction technique, industrielle et commerciale de ses adhérents (...).
Elle offre en outre l'avantage immédiat de supprimer le parasitisme patronal, les instruments
de production étant la propriété collective des producteurs, et le produit intégral de leur travail
leur étant acquis. Mais, obligée de vivre dans un milieu social qu'elle a pour mission de
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rénover, elle doit subir certaines dispositions et se plier à certaines obligations qu'elle
condamne et qu'elle s'efforcera de supprimer dès qu'elle le pourra.
Le ton était donné. La démocratie pénétrait enfin dans l'enceinte de l'entreprise. On parla de
démocratie ouvrière en opposition à l'organisation classique capitaliste. Les coopérateurs de
la première heure voulaient, par le développement de la structure coopérative, modifier les
mentalités de l'économie de marché.
Au service du bien collectif
Le coopérateur, devenu sociétaire, devait dès lors faire passer l'intérêt de l'entreprise
coopérative avec ses valeurs de solidarité, d'aide aux sociétaires les plus démunis, avant ses
propres revendications matérielles. D'où, au cours de l'histoire de l'Union typographique, de
multiples conflits, tensions que l'on peut suivre au jour le jour par la consultation des
registres des conseils d'administration. Comme toute organisation démocratique, chacun
pouvait s'exprimer librement, d'autant plus que les parts sociales étaient réparties
égalitairement. Les salaires, au début de la création de l'entreprise, étaient les mêmes pour
tous !
L'Union typographique se développa avec un réel dynamisme grâce à la personnalité de son
directeur, Henri Leduc, maire SFIO de Villeneuve-Saint-Georges de 1919 à 1935. On y trouve
aussi des coopérateurs comme Eugène Lallemand, personnalité attachante et fidèle
défenseur de l'idéal coopérateur, rejetant tout esprit égoïste et corporatiste.
Mélange de pragmatisme et d'idéalisme pétri d'humanisme, l'aventure coopérative de l'Union
typographique offre à l'observateur une expérience originale dont la longévité étonnante fut
rendue possible grâce à la foi de quelques irréductibles.
Alain NAFILYAN
Syndicalisme et coopératives de production
Le syndicalisme ouvrier est la forme de lutte adapté au régime actuel, que les travailleurs,
groupés dans chaque profession, mènent pour la défense de leurs intérêts particuliers
immédiats, et pour but final la libération totale de la classe ouvrière. Dans cette lutte, c'est
une question de force. Les syndicats profitant des circonstances qui leurs (sic) sont
favorables, cherchent à faire augmenter les salaires de leurs membres ; sans se soucier de la
justice relative des différents syndicats vis-à-vis les uns des autres.
En tant qu'employeurs, les coopératives doivent appliquer le tarif syndical ouvrier à leurs
auxiliaires. Nous ne sommes pas les adversaires des syndicats, au contraire, nous avons le
même but final, l'émancipation des travailleurs. Pendant la crise économique, pour ne pas
avoir employé les moyens patronaux, non seulement envers nos sociétaires, mais aussi les
auxiliaires. Pour ne pas en faire des chômeurs, nous leur avons payé, au-delà du
raisonnable, un salaire supérieur au travail accompli. C'est pourquoi, aujourd'hui, pour ne
pas sombrer, il nous faut faire, nous sociétaires, un sacrifice sur nos salaires.
Lorsque la classe ouvrière aura atteint son émancipation, lorsque le patronat aura disparu,
qu'un régime socialiste aura remplacé le régime capitaliste ; la forme économique sera la
coopération, portée à l'échelle nationale.
Le syndicalisme ne disparaitra pas, mais évoluera dans sa forme et dans son but, et
deviendra le syndicalisme coopératif. Il participera alors à la gestion de la production, à la
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protection des travailleurs et prendra des responsabilités. La forme de rémunération sera
différente de celle d'aujourd'hui, car elle ne sera plus basée sur la force, mais sur plus de
justice. Ce qu'aura à combattre le syndicalisme, ce ne sera plus le patronat disparu, mais les
inconscients, les paresseux, les mauvais travailleurs qui chercheraient à être les exploiteurs
de la solidarité confraternelle. Il devra faire en somme, ce que nous cherchons à faire dans
nos coopératives actuelles.
Si demain, le régime socialiste était appliqué, il y aurait beaucoup de surprise chez pas mal
de camarades, lorsqu'ils s'apercevraient qu'il demande plus de conscience et de discipline
dans le travail que le régime capitaliste.
Dans le régime présent, si il existe une certaine solidarité entre les ouvriers les plus
consciencieux et les autres, c'est parce que l'adversaire commun c'est le patronat. Dans le
régime socialiste, les travailleurs non consciencieux deviendraient les ennemis de l'intérêt
général
_________________________
Dans le régime actuel, les coopératives apparaissent comme une formation hybride en ce
qu'elles s'apparentent aux salariés, par l'exécution manuelle du travail, et d'autre part, au
patronat par la direction, par la responsabilité de la gestion d'entreprises. C'est en fait la
forme embryonnaire de la société socialiste de demain. Les coopérateurs d'aujourd'hui sont
émancipés économiquement, autant que le permet le régime dans lequel ils évoluent.
Nous nous régissons nous-mêmes en ce qui concerne notre régime intérieur. Nos règlements
sont issus du régime démo-cratique (sic), le règlement des salaires comme les autres. Si nous
prenons comme base le tarif syndical, nous ne l'appliquons pas d'une façon absolue ; mais de
la façon qui nous paraît la plus juste, il pourrait d'ailleurs être tout autre qu'il n'est si la
majorité en décidait ainsi. Nous avons des camarades payés au-dessus de leur tarif syndical,
d'autres peuvent l'être au-dessous, l'ensemble donne au moins la moyenne du tarif syndical
et généralement davantage. Actuellement, nous avons groupé les différentes catégories
professionnelles, que nous avons jugées équivalentes ; c'est ainsi que les linos, les metteurs
en pages et les conducteurs ont la même rémunération. Du fait qu'un syndicat des salariés
d'une de ces catégories obtient une augmentation de salaires, cela ne modifie en rien la
valeur professionnelle de nos camarades associés, leur rémunération ne doit donc pas en
être modifiée les uns par rapport aux autres. Aujourd'hui ce sont nos camarades linos. Ce
pourrait être aussi bien une autre catégorie de nos camarades.
Un camarade, sur un ton qu'il voudrait méprisant, nous traite de syndiqués de coopératives.
Cela ne nous vexe pas. Oui ! Nous sommes des syndiqués coopérateurs, et savons à quoi cela
engage. La probité la plus élémentaire, c'est le respect des contrats, des engagements
librement consentis. Dès l'instant que l'on adhère à une coopérative de production, l'on
s'engage à en respecter tous les règlements, toutes les décisions qui peuvent être prises par
la majorité des associés, lorsque dans des explications loyales, où chacun a pu apporter son
point de vue, et qu'un vote, en toute indépendance, a été émis.
Que quelques camarades se soient abstenus, volontairement, d'assister à ces réunions, en
déclarant faire des réserves, cela ne change rien au résultat. Ces réserves sont sans valeurs,
et les décisions prises sont valables pour tous.
Le mal dont souffre notre coopérative, et sans doute d'autres, c'est que des camarades y ont
adhéré, non parce qu'ils étaient imbus de l'esprit, de l'idéal coopératif, mais simplement
parce qu'ils ont considéré cela comme une bonne affaire. Stabilité de l'emploi avec tous les
autres avantages que la coopération comporte. Ils veulent bien en jouir de tous les droits,
mais ne voudraient pas en accepter tous les devoirs. Il ne suffit pas de dire : il y a tant
d'années que je suis syndiqué, depuis 23 ans coopérateur. Pour être un véritable
coopérateur, il faut faire non seulement une adhésion verbale, mais aussi de pensée.
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Lorsqu’un camarade donne une adhésion sincère à une coopérative de production, il laisse
sa mentalité de salarié à la porte.
Dans le but de créer une équivoque, des camarades sociétaires viennent opposer le salaire
syndical, au règlement des salaires de notre association.
Il n'y a pas d'équivoque, cela ne représente qu'un paravent derrière lequel ils cherchent à
abriter leur égoïsme. Il faut choisir : coopérateur ou salarié, c'est à dire syndiqué
coopérateur ou syndiqué salarié, avec tous les avantages et les inconvénients que le choix
comporte. C'est honnête, raisonnable et logique.
Je vous demande, camarade Leduc, d'appliquer la décision prise par l'unanimité des vingtcinq présents à notre dernière assemblée. Si, par raison, il est parfois nécessaire de
transiger, d'autres fois au contraire, par raison, il faut être intransigeant ; c'est le cas. Si
vous n'appliquez pas la décision prise, ce sera le déchaînement des égoïsmes et la division
parmi nous. Quelque soit l'opinion que peuvent avoir les représentants des salariés, cela ne
nous oblige pas. Nous ne sommes pas des salariés.
Il faut savoir enfin une bonne fois pour toutes, en cela je suis d'accord avec les camarades
qui ont fait appel au syndicat, si l'égoïsme, même doublé d'hypocrisie (ces derniers savent
bien qu'ils ne sont pas des salariés, mais des associés) peut mettre en échec la démocratie
ouvrière dans une coopérative de production.
Je vous autorise à faire part de cette communication dont je prends l'entière responsabilité,
aux dirigeants du syndicat.
Quelques camarades et moi, si nous sommes prêts à faire tous les sacrifices nécessaires
pour le redressement financier de notre maison, nous ne voulons pas que ce soit en vain.
Nous sommes non moins décidés à combattre tous les égoïsmes et les mauvaises volontés,
d'où qu'elles viennent. Si nos efforts s'avèrent inutiles, si la démocratie ouvrière est
considérée comme une plaisanterie, nous nous réservons la possibilité de nous dégager de
toute solidarité avec l'Union typographique.
Eugène. Lallemand [juillet 1947]
Le fonds de l’Union typographique
Les archives de l'Union typographique ont intégré les collections des Archives
départementales le 22 novembre 1994, grâce à l'obligeance de M. Boudouard, gérant des
Presses de Villeneuve, à Villeneuve-Saint-Georges. Peu de temps après, M. Jean-Marie Castel
nous apporta un complément. Les papiers avaient été laissés intacts (ou presque), oubliés,
pourrait-on dire, par les derniers sociétaires de l'entreprise qui quittèrent les lieux en 1988.
Comme les anciennes linotypes encore in situ, ainsi que les casses des typographes, vestiges
d'une époque non lointaine mais révolue, où le plomb régnait en maître, les archives de
L'Union typographique témoignent désormais de ce que fut l'expérience originale d'une
imprimerie ouvrière.
L'Union typographique, imprimerie en société coopérative ouvrière de production (SCOP), fut
fondée officiellement le 12 décembre 1906. Les statuts furent déposés ce jour devant
notaire, avec, d'une part, la liste des fondateurs, et d'autre part, la liste des souscripteurs du
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capital social, comprenant 118 actions à 50 francs, soit 5870 francs(1) . Le 16 décembre
suivant, eut lieu l'assemblée générale constitutive(2) .
En réalité, l'entreprise fonctionnait déjà depuis l'année en cours. Installée provisoirement au
72 de la rue de Paris à Villeneuve-Saint-Georges, elle ne tarda pas à trouver des locaux plus
adaptés au 26 rue Hermand-Daix, devenue ensuite rue Jules-Guesde.
L'origine de la fondation de l'entreprise n'est pas précisée par ses fondateurs. D'après la
revue Linotype notes and the Printing Machinery record, qui consacra un article à l'Union
typographique en 1912, elle fut fondée »à la suite du mouvement provoqué pour l'obtention
de la journée de neuf heures, par quelques ouvriers de l'imprimerie Crété [à Corbeil] »(3). Il
s'agit, semble-t-il, du schéma classique de la fondation d'une société ouvrière de
production : un conflit aigu patronat/ouvriers décide ces derniers à créer leur propre
structure. L'un des membres fondateur était Henri Leduc, figure locale du socialisme, maire
de Villeneuve-Saint-Georges de 1919 à 1935. Il fut administrateur-délégué de l'Union
typographique de 1906 à 1938. Son esprit d'initiative et d'entreprise, sa position politique
permirent à la société durant cette époque une ascension régulière(4) . Mais pour autant, les
bénéfices ne semblèrent pas à la hauteur des sommes investies, et c'est bien grâce à la
ténacité de quelques irréductibles que l'imprimerie put se maintenir jusqu'en 1988, date de
sa fermeture. Plus de 80 ans d'existence pour une SCOP relève d'un record, puisqu'en
moyenne la longévité pour ce type d'entreprise dépasse rarement douze ans (5). La
stagnation, puis le déclin commencèrent à la sortie du second conflit mondial : personnel et
commande en baisse, l'Union typographique vivait sur son acquis d'avant-guerre. Comme ses
concurrentes, elle dut affronter la complète mutation de cette industrie par le passage de
l'offset au début des années 1970 : elle lui fut fatale, malgré les essais de transformation
technique (achat de machine Heidelberg).
L'Union typographique eut des relations privilégiées avec le parti communiste puisqu'elle
imprima nombre de titres des Éditions sociales, tracts, affiches électorales du PCF local. Sa
clientèle était toutefois variée : locale naturellement, avec la commune de Villeneuve-SaintGeorges, des entreprises de la ville et alentours, mais aussi avec nombre d'éditeurs
parisiens : Masson, Flammarion, Albert-Morancé. L'Union typographique imprima des
journaux : l'Égalité, la lutte sociale de Seine-et-Oise, la renaissance de Seine-et-Oise. La
qualité et la variété étaient de mise, depuis les travaux d'imprimés les plus ordinaires
jusqu'aux réalisations soignées (éditions numérotées etc...).
La société coopérative ouvrière de production (SCOP) doit son origine et sa philosophie dans
la tradition des utopistes du XIXe siècle, de Fourier à Proudhon, en passant par les pionniers
comme Buchez. Les anciennes « associations ouvrières », antérieures à 1884, apparaissaient
ainsi en porte-à-faux avec la théorie révolutionnaire marxiste s'appuyant sur le concept de la
lutte des classes. Il s'agissait pour les premières coopératives de travailleurs de s'affranchir
de la tutelle patronale en prenant en main l'outil de production, à l'intérieur de l'économie de
marché, capitaliste. L'ouvrier, majeur, est capable de gérer sa propre destinée. Ce concept
dépasse ainsi la dichotomie classique détenteur du capital/détenteur des outils de
production. Mais le but sous-jacent restait socialisant pour certains coopérateurs : la
libération du travailleur, par ce type de gestion propre de l'entreprise aboutira dans l'avenir à
Acte passé devant Chardon, notaire à VSG, Arch. dép. Val-de-Marne, 3 E 2/ 230
74 J 1. Voir aussi le P.V. de délibération, Arch. dép. Val-de-Marne, 1 Mi 750, f° 1.
(3)
Vol. 2, n°8, août 1912 : « une imprimerie coopérative », p.120-124, 74 J 19
(4)
Ce qui confirme ce que pensait Charles Gide : « Les seules associations qui ont réussi sont celles qui ont trouvé
un homme, démontrant une fois de plus que l'association ne vaut que ce que vaut l'individu, mais à la condition que
cet individu soit disposé à subordonner son intérêt propre à l'intérêt collectif », Des institutions en vue de la
transformation ou de l'abolition du salariat. Paris, 1920, p. 23.
(5)
Les deux plus anciennes SCOP existant aujourd'hui datent respectivement de 1869, pour l'Imprimerie nouvelle,
actuellement à Saint-Ouen, et de 1896 pour l'Association des ouvriers en instrument de précision (l'AOIP) (annuaire
SCOP, 1994). Voir pour une approche première D. DESMOUTIER, Les coopératives de production. Paris, éd. la
Découverte, 1984. Sur un bilan historiographique récent du mouvement coopératif français, consulter Yves SAINTJOURS, « Historiographie du mouvement coopératif en France », Revue de l'Économie sociale, 1987, n°11, p. 135147. Les travaux de Henri DESROCHE (1914-1994), font autorité aussi bien au plan scientifique qu'au plan « militant
» de la cause coopérative, dans la lignée des contributions de Charles GIDE.
(1)
(2)
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une nouvelle société fondée sur l'autonomie complète du travailleur, avec la disparition à
terme du patronat ; en somme, une société économique auto-gérée. D'autre part, l'esprit
coopératif intégrait dans ses finalités la formation professionnelle, les œuvres sociales des
coopérateurs et l'esprit de solidarité.
Cette idéologie utopique trouve une synthèse dans le préambule du règlement intérieur de
l'Union typographique :
Le but de la Société est de démontrer que la classe ouvrière, devenue majeure, peut
prendre en mains la direction de la production ; elle permet, comme toutes les
associations coopératives ouvrières, de parfaire l'instruction technique, industrielle et
commerciale de ses adhérents et de préparer des cadres pour une nouvelle organisation
du travail. Elle offre en outre l'avantage immédiat de supprimer le parasitisme patronal,
les instruments de production étant la propriété collective des producteurs, et le produit
intégral de leur travail leur étant acquis. Mais, obligée de vivre dans un milieu social
qu'elle a pour mission de rénover, elle doit subir certaines dispositions et se plier à
certaines obligations qu'elle condamne et qu'elle s'efforcera de supprimer dès qu'elle le
pourra(6) .
D'où la dialectique de départ qui prévaut dans le fonctionnement même de l'entreprise : faire
tourner une entreprise soumise à la loi du marché, avec ses aléas et contraintes du genre,
dans un microcosme où règneraient l'égalité et le partage total des dividendes ou, le cas
échéant, des déboires commerciaux. Dès le départ, deux écoles de coopératives de
production voient le jour : les coopératives de production qui entament le chemin de la
neutralité idéologique en adhérant au système d'économie de marché : au fond, il s'agissait
d'une adaptation du régime capitaliste par la participation active des travailleurs au sein de
l'entreprise patronale. La seconde « famille » des coopérateurs fonctionna sur les bases
d'une culture politique proche du mouvement ouvrier pour laquelle la mise en commun des
moyens de production et la distribution égalitaires des bénéfices n'étaient qu'une étape vers
une nouvelle société : c'est le cas pour l'Union typographique, comme on peut le constater à
la lecture du préambule du règlement intérieur. Tous les membres étaient du reste membres
du Parti communiste ou de la SFIO, adhérents ou sympathisants de la CGT.
L'Union typographique eut à connaître, comme tant de SCOP, des tiraillements structurels
entre sociétaires, certains refusant les ponctions salariales, voire les baisses de revenus
inhérents aux aléas économiques. Les linotypistes, notamment, se retranchèrent derrière les
dispositions salariales issues du puissant syndicat CGT du livre pour conserver les avantages
acquis. D'où une querelle de fond sur la définition même du coopérateur :
Ce qu'un certain nombre de camarades ne semble [sic] pas comprendre clairement,
c'est qu'en devenant coopérateurs, ils perdent leurs qualité de salariés et ne peuvent
logiquement se réclamer du tarif de salarié. Le tarif pour tous les coopérateurs est le
tarif coopérateur. Chaque association étant autonome quant à son organisation
intérieure. Le règlement des salaires comme tous les autres règlements est conforme à
l'assentiment de la majorité de ses membres et tous sont tenus de s'y soumettre ou de
démissionner(7) .
Ainsi le coopérateur doit mettre au vestiaire sa mentalité de salarié lorsqu'il endosse l'habit
de sociétaire. Habit de sociétaire que l'on revêt par un passage obligé en tant qu'auxiliaire.
Cet état préalable, sorte d'adoubement préliminaire, fut utilisé par certaines coopératives
pour maintenir davantage de salariés que de sociétaires dans l'entreprise : le système était
dès lors faussé ! Là encore, le débat, au sein de l'Union typographique est houleux sur les
rémunérations qu'il convient d'appliquer à ces auxiliaires. Passé un délai de trois ou mois,
les auxiliaires pouvaient demander à être intégrés comme sociétaires.
74 J 140, dossier 1.
74 J 11, exposé de Eugène Lallemand au conseil d'administration, s.d. [v. 1947]. Ce sociétaire était très attaché
aux valeurs morales de la coopérative de production ; autodidacte, sorti de l'Assistance publique, il défendait avec
ferveur et autorité les préceptes de l'idéal coopérateur, s'opposant à l'esprit de la logique syndicat/salaire qui
prévalait notamment chez les linotypistes. Ses interventions auprès du conseil d'administration représentent un
modèle de concision et de rigueur morale, prouvant par la même qu'il avait acquis, par la réflexion et l'expérience,
une grande culture politique.
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La vie d'une SCOP, on l'aura compris, fonctionne en micro-démocratie : l'adage « la
démocratie s'arrête à la porte de l'entreprise » ne s'applique pas à l'union coopérative. Grâce
à la structure en société anonyme de l'Union typographique, on peut suivre méandres et
contradictions structurelles de l'entreprise par la consultation des registres du conseil
d'administration et ceux des assemblées générales.
Les archives de l'Union typographique intéressent au premier chef l'historien du mouvement
ouvrier à travers le fonctionnement d'une coopérative ouvrière : histoire sociale tout d'abord,
par l'étude des comportements individuels et collectifs : histoire politique d'autre part, par
l'analyse des relations de l'entreprise et du parti communiste. Enfin, c'est naturellement
l'histoire locale qui s'enrichit. Les archives de l'Union typographique apportent un éclairage
latéral à l'histoire de Villeneuve-Saint-Georges, ville ouvrière, de cheminots : Henri Leduc,
maire puis conseiller général, et « patron » de l'Union typographique, voilà une imbrication
qui n'était pas neutre à tout le moins ! Dernier volet, la contribution à l'histoire du
mouvement coopératif en France. Les archives de L'Union typographique offrent un exemple
précieux de SCOP engagée idéologiquement, mais qui ne perdit jamais de vue le
pragmatisme économique. D'où les contradictions et les conflits politiques et sociaux qui
mettent en lumière la difficulté d'une telle entreprise.
Malgré quelques lacunes dans la composition du fonds, la typologie documentaire embrasse
l'ensemble des papiers d'une entreprise de taille moyenne et permettra une exploitation
satisfaisante pour la connaissance et le fonctionnement de l'imprimerie.
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SOURCES COMPLÉMENTAIRES
Archives départementales du Val-de-Marne
- 1 Mi 750 : registre des P.V. des conseils d'administration et assemblées générales de
l'Union typographique, décembre 1906-novembre 1910.
- 74 J 1186 : pose d'une plaque commémorative sur le mur de l'Union typographique pour
célébrer la parution du premier numéro de la Vie ouvrière dans cette imprimerie. 19 mai
1980 (une pièce).
- 3 E 2/230 : dépôt des statuts de l'Union typographique et déclaration de souscription et
de versement des actions, 12 décembre 1906, Chardon, Notaire.
BIBLIOGRAPHIE
N.B. : les cotes des ouvrages sont celles de la bibliothèque des Archives départementales
- CASTEL (Jean-Marie), JURET (Raymond) : Les Villeneuvois et les Villeneuvoises sous
l'occupation, 1940-1944. Montgeron, 1991. A 2978
- CASTEL (Jean-Marie) : Villeneuve-Saint-Georges de 1840 à nos jours. L'évolution sociale, la
vie quotidienne. Montgeron, 1994. A 3112
- DESMOUTIER (D.) : Les coopératives de production. Paris, 1984
- GIDE (Charles) : Des institutions en vue de la transformation ou de l'abolition du salariat.
Paris, 1920.
- DESROCHES (Henri) : « Mouvement coopératif et économie sociale en France à partir de
l'expérience française », Revue de l'Économie sociale, 1987, n°11, p. 59-87
- HOOG (Georges) : La coopérative de production. Origines et institutions. Paris, 1942
- SAINT-JOURS (Yves) : « Historiographie du mouvement coopératif en France », Revue de
l'Économie sociale, 1987, n°11, p. 137-147.
LISTE DES ABREVIATIONS
- A.G. : assemblées générales
- A.G.O. : assemblées générales ordinaires
- P.V. : procès-verbaux
- SCOP : société coopérative ouvrière de production
- U.T. : Union typographique
- VSG : Villeneuve-Saint-Georges
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