Lobbying : quel encadrement pour quelle gouvernance
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Lobbying : quel encadrement pour quelle gouvernance
Mai 2009 Lobbying : quel encadrement pour quelle gouvernance ? BASE, réseau de lobbyistes français travaillant dans les secteurs privés, publics ou associatifs, entend aujourd’hui se positionner dans le débat relatif à l’encadrement de la pratique du lobbying qui se fait jour, en France, depuis plusieurs années. Si le lobbying est aujourd’hui très largement pratiqué par un grand nombre d’acteurs, il reste souvent connoté négativement voire encore associé abusivement aux notions de corruption et de trafic d’influence. Afin de remédier à cet état de fait, il nous apparaît important, en tout premier lieu, d’adopter une définition claire de la notion de lobbying : le lobbying peut être défini comme une activité qui consiste à procéder à des interventions destinées à contribuer directement ou indirectement aux processus d'élaboration, d'application ou d'interprétation de mesures législatives, normes, règlements et plus généralement, à toute intervention ou décision des pouvoirs publics. Dès lors, les lobbyistes, ou représentants d’intérêts, sont les personnes qui exercent ce type d’activité, en en retirant une part substantielle de leurs revenus, et qui travaillent dans différentes organisations telles que les entreprises, les groupements professionnels, les structures publiques ou parapubliques, les ONG, les associations, les cabinets de consultants spécialisés dans les affaires publiques, les cabinets d’avocats ou les think tanks. REGISTRE DES REPRESENTANTS D’INTERETS Que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat, une accréditation annuelle1 matérialisée par un badge pourrait être établie pour les représentants d’intérêts qui souhaitent accéder fréquemment aux locaux du Parlement. Cette carte d’accréditation serait délivrée sous conditions - à l’instar de celle remise par le Parlement européen - et de façon non discriminatoire afin de couvrir la diversité des intérêts en présence. Elle constituerait l’unique moyen d’accès permettant aux représentants d’intérêts de circuler dans une partie des locaux du Parlement. Par ailleurs, cette accréditation devrait s’accompagner d’un code de bonne conduite dont le respect serait obligatoire pour chacun des représentants d’intérêts accrédités, sous peine de sanction pouvant aller de la radiation du registre jusqu’à des mesures pénales. A l’instar du registre des représentants d’intérêt établi le 23 1 Avec également une possibilité d’accréditation temporaire, à l’instar de ce qui ce pratique au Parlement européen 1 juin 2008 par la Commission européenne, il pourrait être demandé aux représentants d’intérêt de divulguer leur nom, celui de la structure qui les emploie, le type d’intérêts défendus, ainsi qu’une estimation des coûts associés aux activités de lobbying direct auprès des institutions, et ce, à condition que cette exigence soit appliquée de manière strictement égale à tous les représentants d’intérêt. L’ensemble de ces données donnerait lieu à la constitution d’un registre public. Sur la base de ce registre des groupes d’intérêts et professionnels du secteur du lobbying, les décideurs publics auraient ainsi la possibilité d’identifier et de consulter aisément les interlocuteurs directement concernés par telle ou telle procédure législative ou réglementaire. Sa création pourrait se faire étroitement entre Sénat, Assemblée Nationale et Gouvernement en vue de la constitution d’un registre commun2. DEMOCRATIE EQUITABLE Dans un souci constant de débat équilibré, toutes les voix doivent être entendues : c’est le principe du contradictoire pratiqué dans le domaine judiciaire, et théorisé par J. Habermas ou J. Rawls. L’ensemble des acteurs concernés par les décisions publiques doit pouvoir défendre des propositions argumentées et faire part de leur point de vue auprès des décideurs, le lobbyiste s’engageant de son côté à fournir des informations claires, transparentes et non trompeuses aux pouvoirs publics. A l’instar de ce que recommande le rapport de l’eurodéputé A. Stubb3, une procédure d’ « empreinte législative » pourrait être mise en place au niveau français. Cette procédure consisterait à lister de façon transparente toutes les personnes accréditées qui ont été consultées pour la rédaction d’un rapport ou la préparation d’un texte dans le cadre par exemple des études d’impact nouvellement instaurées. Elle pourrait être étendue à toutes les consultations. Plus généralement, l’établissement de procédures de consultation connues de tous, à l’instar de la « Charte de consultation sur les textes normatifs en matière de services financiers » du Ministère de l’économie et des finances et de l’emploi4, serait souhaitable avant chaque démarche législative. Ces procédures permettraient ainsi d’associer systématiquement, dans la préparation des décisions, l’ensemble des représentants des intérêts en cause dans la société.5 2 Dans son rapport annuel de 1994-1995, le Service central de prévention de la corruption soulignait que la réussite d’un encadrement du lobbying réside dans « un enregistrement des lobbyistes auprès du Parlement mais aussi d'un service interministériel représentant toutes les administrations. Une coordination rigoureuse doit en effet permettre aux pouvoirs publics d'avoir une vue synoptique immédiate des sollicitations dont ils sont l'objet. » 3 Rapport sur le développement du cadre régissant les activités des représentants d’intérêts (lobbyistes) auprès des institutions de l'Union européenne 4 http://www.minefe.gouv.fr/directions_services/dgtpe/secteur_financier/haut_comite_place/hcp_charte_consultation.pdf 5 « La préparation des décisions suppose, dans d'assez nombreux cas, qu'une concertation ait lieu avec les représentants des intérêts en cause dans la société […]. La qualité du dialogue que les pouvoirs publics entretiennent avec les représentants des diverses composantes de la société est à la fois la marque du respect qu'ils lui portent et un gage de réussite de l'action de l'Etat. » (Circulaire du 6 juin 1997 relative à l'organisation du travail gouvernemental). 2 Les colloques organisés au sein du Parlement ou les groupes d’études sont parfois dénoncés comme les « faux-nez des lobbies ». Si ce constat mérite d’être pris en compte, il doit être nuancé. Les colloques participent pleinement du débat démocratique et permettent aux parlementaires de confronter les intérêts particuliers à la réalité de tel ou tel projet ou proposition de loi. Les groupes d’études sont quant à eux des lieux où des parlementaires de tous bords peuvent se réunir pour aborder des thématiques précises participant ainsi à un exercice de dialogue et de concertation bénéfique à la prise de décision publique. Pour ne pas donner prise à d’éventuelles suspicions, il faudrait exiger une transparence sur le financement des colloques à l’Assemblée nationale et au Sénat en en identifiant les sources et en donnant les moyens aux Commissions permanentes d’en contrôler la tenue. La tenue et les modalités de ces colloques seraient obligatoirement annoncées dans le feuilleton de l’Assemblée nationale et du Sénat. La délivrance sur demande des comptes-rendus de débats au sein des groupes d’études, comprenant une liste des personnes participantes ou la publication de ces dernières sur le site Internet de l’Assemblée nationale et du Sénat pourrait être mise en place. Quant aux voyages d’études effectués dans le cadre de ces groupes, ils pourraient également être rendus publics, ainsi que leur organisateur et leur programme. Enfin, le réseau BASE soutient la mise en place d’un statut des collaborateurs parlementaires. Il conviendrait notamment d’interdire l’attribution, par un député, d’un badge de collaborateur parlementaire à une personne exerçant par ailleurs une activité en rapport direct avec la pratique du lobbying. A minima, la liste des collaborateurs parlementaires devrait être publiée. oOo Le développement d’un lobbying d’expertise, encadré par des règles de transparence et d’éthique, est aujourd’hui nécessaire. Il permettra aux pouvoirs publics et aux forces vives de la société civile, de dialoguer selon des règles clairement établies, afin d’élaborer des politiques publiques efficaces et adaptées aux problématiques de terrain. Comme le soulignait dès 1995 le Service central de prévention de la corruption (sous tutelle du Ministère de la Justice), « visibilité et lisibilité du lobbying sont nécessaires pour dissiper la défiance à l'égard d'une démarche qui a prouvé son utilité dans une démocratie moderne. » 3