Les noms nus coordonnés

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Les noms nus coordonnés
Les noms nus coordonnés
Les N et N du français
Bachelorwerkstuk Franse taal en cultuur
Begeleider : mw. prof. dr. H.E. de Swart
Vera Mulder (3130312)
16 December 2009
Table des matières:
1. Introduction
3
2. Le débat sur les noms nus
2.1
2.2
2.3
2.4.
Les NN
2.1.1
La notion de nom nu
7
2.1.2
Les propriétés sémantiques des NN
9
Les N et N
2.2.1
Introduction
10
2.2.2
La catégorisation des N et N du français
11
Heycock et Zamparelli : les N et N de l’anglais et de l’italien
2.3.1
L’analyse de Heycock et Zamparelli
16
2.3.2
Conclusion
19
Roodenburg : Les N et N du français
20
2.4.1.
Roodenburg et les N et N pluriels
20
2.4.2.
Roodenburg et les N et N singuliers
21
2.4.3
D’autres divergences de vue entre Roodenburg et
23
Heycock & Zamparelli
3. Les N et N : les propriétés sémantiques
3.1.
Introduction
25
3.2
Les critères utilisés : les différentes interprétations des N et N
29
4. Résultats et statistiques
4.1.
Les N et N en position d’argument
33
4.2
Les N et N après la construction existentielle ‘il y a’
34
4.3
Discussion du tableau des N et N en position d’argument
34
4.4.
Discussion du tableau ‘des N et N après la construction
38
existentielle ’il y a’’
4.5.
Les N et N contenant deux noms d’un nombre différent
5. Synthèse
Bibliographie
45
47
50
Annexe 1 : Les N et N en position d’argument
51
Annexe 2 : Les N et N après la construction existentielle ‘il y a’
63
2
1. Introduction
Depuis quelques années, l’étude des noms sans déterminant a occupé une place importante dans
la linguistique comparative. Les noms sans déterminant se prêtent par excellence à un tel examen
comparatif, car ils présentent une variation considérable entre les différentes langues. Cette
variation est illustrée à l’aide des exemples ci-dessous:
Anglais
Français
Singulier
*John ate apple
*Jean mangeait pomme
Pluriel
John ate apples
*Jean mangeait pommes
Il ressort du schéma que l’anglais ne permet pas l’emploi d’un nom singulier sans déterminant en
position d’argument (* John ate apple), tandis qu’un nom pluriel sans déterminant dans cette
position est permis (John ate apples). Par contre, l’emploi d’un nom singulier dépourvu de
déterminant (*Jean mangeait pomme) et d’un nom pluriel dépourvu de déterminant (*Jean
mangeait pommes) n’est pas grammaticalement correct en Français.
Cette dernière observation est importante : faute d’avoir les équivalents exacts des noms sans
déterminant se présentant dans les langues romanes et les langues germaniques, le français a
longtemps été exclu du débat sur les noms sans déterminant.
La première personne à avoir essayé d’intégrer le français au sein de ce débat, est Roodenburg.
Dans ce travail de fin d’études, nous discuterons d’une étude de Roodenburg (2004b, 2004a,
2005). A partir de maintenant, nous appellerons les noms sans déterminant ‘les noms nus’.
Roodenburg réfute l’hypothèse selon laquelle le français serait une langue sans noms nus en
examinant le comportement sémantique et syntaxique des noms coordonnés dépourvus de
déterminant (les N et N). Il constate que le français dispose de noms nus sous la forme des N et
N. Cela est contre toute attente, car le français ne permet pas l’emploi de noms nus noncoordonnés comme nous avons pu le voir ci-dessus. Alors, nous pouvons nous interroger sur la
raison pour laquelle les noms nus coordonnés (les N et N) sont permis en français, tandis que les
noms nus non-coordonnés (NN) ne le sont pas.
3
Roodenburg (2004b) explique l’existence des N et N à l’aide des contraintes de légitimation qui
pèsent sur les noms nus en position d’argument. Il existe des analyses, comme
Delfitto&Schroten (1991) et Farkas&De Swart (2003) qui ont supposé que les noms nus ne se
manifestent dans une langue que s’ils satisfont à une ou plusieurs contraintes de légitimation.
Une de ces contraintes exige un marquage explicite (morphologiquement) du nombre. Le fait que
les noms du français ne sont en général plus pourvus d’une telle marque de nombre (le marquage
pluriel n’existe qu’avec une liste restreinte de noms, comme journal-journaux, ou dans des
contextes de liaison) explique l’absence des noms nus en français. Roodenburg met cela en
rapport avec le fait que le français connaît des noms nus sous une forme coordonnée. Il suppose
que les N et N sont légitimés en français, parce qu’ils sont explicitement spécifiés comme pluriel
[+Pl], contrairement aux NN non-coordonnés. Roodenburg suppose que c’est la conjonction ‘et’
qui épèle le trait [+Pl] et qui joue donc un rôle dans la légitimation des N et N.
L’objectif et attentes
L’objectif de ce travail écrit est d’élaborer l’étude de Roodenburg sur les N et N du français et de
contrôler expérimentalement si les prédictions faites par Roodenburg - que les N et N du français
peuvent être considérés comme des NN - sont correctes. Il s’avère que les propriétés
sémantiques des N et N jouent un rôle important dans le débat sur les noms nus. Je vérifierai ces
prédictions à l’aide d’un corpus de travail rédigé en Frantext sur la base duquel il sera possible
d’examiner les propriétés sémantiques des N et N.
J’espère trouver plus d’exemples des N et N à lecture existentielle – comme nous le verrons plus
loin, seuls les N et N à lecture existentielle sont des NN – car non seulement les exemples de
Roodenburg étaient peu nombreux, mais en plus, ils ne comportaient pas de marque explicite
d’existentialité.
Je m’attends à ce que Roodenburg ait raison en ce qui concerne l’existence des N et N pluriels à
lecture existentielle, mais pas en ce qui concerne l’existence des N et N singuliers à cette
lecture : j’espère trouver des N et N singuliers à lecture existentielle dont l’existence n’est pas
prédite par Roodenburg. Si je trouve des exemples clairs des N et N singuliers à lecture
existentielle, je pourrai conclure que le français ne dispose pas que de NN pluriels – ce qui est
prédit par Roodenburg – mais en plus des NN singuliers.
4
Dans ce qui suit, je parlerai brièvement de l’origine de mon corpus de travail.
Le corpus de travail
Pour pouvoir élaborer l’étude de Roodenburg et pour contrôler ses prédictions, je me suis servie
de la base textuelle de l’Université de Nancy, Frantext.
La base Frantext est conçue pour permettre des recherches de mots, de lemmes ou d'expressions
régulières dans un corpus sélectionné. C’est la raison pour laquelle Frantext pourra nous être
utile : il nous permet de chercher d’une manière efficace la construction N et N dans un corpus de
textes étendu. En plus, cette construction n’est ni trop spécifique ou difficile, ce qui pourrait
donner lieu à un corpus trop restreint ; ni trop large, ce qui pourrait donner lieu à un corpus trop
étendu.
Il est important de remarquer que les affirmations dans ce travail écrit se basent sur deux corpus
de travail différents.
Corpus 1
Ce premier corpus a été rédigé à l’aide des séquences de recherches suivantes :
(1) &e(g!=D Dg Dca)&e(g=S) et &e(g=S)
(1878 résultats)
(2) &e(g!=D Dg Dca)&e(g=S) ou &e(g=S)
(289 résultats)
La séquence dans (1) contient les noms nus en coordination (et, conjonction de coordination),
tandis que la séquence (2) contient les noms nus en subordination (ou, conjonction de
subordination). Le corpus couvre la période de 1980 jusqu’à 1989 et contient 2167 résultats au
total.
Corpus 2
Ce second corpus de travail contient la construction existentielle en ‘il y a’, dont l’importance
deviendra plus claire à mesure que nous avancerons dans ce travail écrit. La séquence de
recherche est la suivante :
(1) il y &lavoir &e(g=S) et &e(g=S)
(163 résultats)
Ce corpus couvre la période de 1833 jusqu’à 1990 et contient 163 résultats au total.
5
D’ailleurs, il est important de remarquer que les résultats trouvés n’étaient pas tous convenables
pour notre objectif de recherche – à savoir l’existence des N et N existentiels en français –.
Avant de discuter des problèmes rencontrés, nous étudierons d’abord la place des N et N dans le
débat sur les noms nus, ainsi que leurs propriétés sémantiques. Dans le troisième chapitre, nous
reviendrons plus en détail à notre corpus de travail, ainsi qu’à des limitations rencontrés.
Le travail sera organisé de la façon suivante. Nous commencerons notre travail par l’introduction
du débat sur les noms nus en général. Ensuite, nous discuterons une étude de Heycock et
Zamparelli sur les N et N dans les langues à NN, comme l’anglais et comme l’italien, afin de
comprendre l’étude de Roodenburg sur les N et N du français. Dans le troisième chapitre, nous
contrôlerons expérimentalement les prédictions faites par Heycock et Zamparelli et par
Roodenburg, à l’aide de notre corpus de travail. Le quatrième chapitre, traitera les statistiques et
les résultats trouvés. Nous terminerons ce travail écrit par nos constatations et par une
conclusion.
6
2. Le débat sur les noms nus
2.1 Les NN
2.1.1 La notion de nom nu
Le français a longtemps été associé à l’hypothèse de Longobardi (2000) citée dans (1) :
(1) French is a language with no « Bare Nouns »
‘Le français est une langue sans noms nus’ (Roodenburg, 2004b, p.2)
D’après cette hypothèse, le français ne permet pas l’emploi de noms sans déterminant. Il y a
effectivement une différence d’emploi de nom sans déterminant entre les langues romanes
(autres que le français) et les langues germaniques d’un côté et le français de l’autre côté. Cela
est illustré par les exemples suivants:
Anglais
Néerlandais
Français
Singulier
*John ate apple
*Jan at appel
*Jean mangeait pomme
Pluriel
John ate apples
Jan at appels
*Jean mangeait pommes
Le tableau ci-dessus nous montre que l’anglais et le néerlandais ne permettent pas l’emploi d’un
nom singulier dépourvu de déterminant, mais que les noms pluriels peuvent s’employer sans
déterminant. Sur ce point, il y a un contraste net avec le français qui ne permet ni les noms
singuliers, ni les noms pluriels dépourvus de déterminant. Cette dernière observation est
importante : l’emploi sans déterminant des noms comptables pluriels est permis dans les langues
romanes (autres que le français) et les langues germaniques comme l’anglais et le néerlandais,
mais les équivalents exacts sont agrammaticaux en français. C’est pour cette raison que le
français a longtemps été exclu du débat sur les noms nus.
Toutefois, il n’est pas vrai que le français ne permet aucun nom nu. Roodenburg (2004b, p.3) cite
quelques exemples de cas où nous pouvons trouver des noms nus en français, comme dans les
phrases ci-dessous :
7
(2)
Sa mère est médecin (position d’attribut) ;
(3)
Le directeur, père de deux enfants, a décidé de se retirer (apposition) ;
(4)
Enfants, arrêtez ! (exclamations vocatives) ;
(5)
Il a fait ce travail avec plaisir. (après certaines prépositions) ;
(6)
Elle a perdu patience. / Il a faim. (dans certaines locutions verbales) ;
Après avoir étudié les exemples ci-dessus, il est évident que la notion de nom nu - utilisée dans
l’hypothèse citée dans (1) - ne se rapporte pas à toutes les occurrences des noms sans
déterminant. Roodenburg (2004b) constate que la notion de nom nu ne renvoie qu’aux groupes
nominaux dépourvus de déterminant qui se trouvent en position d’argument, et plus précisément
en position sujet et en position objet.
Quand nous étudions le comportement des noms nus en position d’argument d’une manière plus
détaillée, le français s’oppose en effet aux langues citées ci-dessus. En français, il n’est pas
possible d’avoir un nom nu en position d’argument, lorsqu’en anglais ces constructions sont
grammaticales, en tout cas pour ce qui est des noms pluriels comptables (7) et les noms de masse
(8). Cela est montré à l’aide des exemples suivants (Roodenburg, 2004b, pp. 4-5) :
(7)
She has bought wine for his birthday.
*Elle a acheté vin pour son anniversaire.
(8)
She has bought flowers for his birthday.
*Elle a acheté fleurs pour son anniversaire.
Toutefois, le contraste entre le français et l’anglais disparaît en cas de nom nu singulier
comptable en position d’argument. Aussi bien la phrase française que la phrase anglaise sont
agrammaticales :
(9)
*She has bought book for his birthday.
*Elle a acheté livre pour son anniversaire.
Les phrases citées ci-dessus confirment l’affirmation selon laquelle le français ne permet pas
l’emploi de noms sans déterminant en position d’argument, car tant la phrase (7) que les phrases
(8) et (9) sont agrammaticales. Qui plus est, ces phrases nous montrent qu’en anglais pas
n’importe quel nom peut être utilisé nu en position d’argument. Ainsi, seuls les noms pluriels
comptables et les noms de masse peuvent être utilisés nus.
8
Ceci nous amène à la constatation que la notion de nom nu recouvre l’emploi sans déterminant
des noms comptables pluriels et des noms de masse en position d’argument, mais pas celui des
noms comptables singuliers.
2.1.2. Les propriétés sémantiques des NN
Les noms nus n’ont pas uniquement des propriétés morphologiques (des noms sans déterminant)
et des propriétés syntaxiques (des noms nus se trouvant en position d’argument) en commun, ils
partagent également des propriétés sémantiques. Quand un groupe nominal est précédé d’un
article, c’est l’article qui détermine l’interprétation d’un groupe nominal (GN), comme illustré
dans (i) et (ii) :
(i)
Il y a un homme (article indéfini, lecture existentielle).
(ii)
L’homme est malade (article défini, lecture définie).
En cas d’un nom nu, il n’y a aucun article présent pour déterminer l’interprétation du groupe
nominal. Toutefois, les NN sont associés à des interprétions et des propriétés précises, discuté
par exemple par Carlson (1977). D’après lui, il y a deux interprétations possibles pour les noms
nus en anglais (Roodenburg, 2004b):
1. Interprétation existentielle – Les groupes nominaux qu’ils contiennent sont capables
d’introduire un référent pour la première fois dans le discours.
2. Interprétation générique - Les phrases génériques introduisent une généralisation.
Toutefois, les propriétés sémantiques des NN présentent une variation entre les différentes
langues. Ainsi, les NN italiens sont d’une manière différente ouverts à une interprétation
existentielle et générique qu’une langue germanique comme l’anglais. En italien, la généricité
n’est pas inhérente au verbe, mais doit être évoquée par l’aspect du verbe (l’aspect habituel) ou
par un adverbe généralisant (comme toujours, souvent, etc). Cette différence de variation des NN
à travers les langues est à la base de la hiérarchie de Longobardi (2000) :
1.
Langues permettant les noms nus libres (les langues germaniques)
9
2.
Langues permettant les noms nus stricts (les autres langues romanes : l’italien,
l’espagnol, …)
3.
Langues sans noms nus (le français). (Roodenburg, 2004b, p.10)
Nous n’entrons pas dans les détails en ce qui concerne la terminologie précise de Longobardi
(noms nus libres et noms nus stricts). La raison pour laquelle l’échelle de Longobardi nous
intéresse, est parce qu’il en ressort que les propriétés sémantiques des NN présentent une
variation entre les différentes langues. En plus, nous pouvons constater, une fois de plus, que le
français a été considéré comme une langue sans noms nus et qu’il n’intervient par conséquent
pas dans le débat traditionnel sur les NN.
Ayant discuté la notion de nom nu, étudié l’emploi de noms nus sous un angle comparatif et
ayant passé en revue ses interprétations sémantiques, nous pouvons constater que ces expressions
présentent une variation considérable entre les langues. Nous comprenons maintenant la raison
pour laquelle le français s’est longtemps trouvé exclu du débat sur les NN : le français ne permet
pas les noms nus (noms comptables pluriels et noms de masse) en position d’argument,
contrairement à la langue anglaise et italienne. Dans la prochaine section, nous tenterons
d’intégrer les noms nus coordonnés dans le débat sur les noms nus.
2.2.
Les N et N
2.2.1 Introduction
Comme nous l’avons vu dans la section précédente, il existe des langues qui permettent des
noms nus en position d’argument. Le français, en revanche, ne permet pas l’emploi de noms nus
en position d’argument. C’est la raison pour laquelle le français ne joue aucun rôle dans le débat
sur des noms nus. Dans ce qui suit, nous étudierons une opération spéciale appliquée aux noms
nus, à savoir la coordination. Cela est illustré par les exemples suivants.
(10)
[Forks and knives] were set on the right of the plate (H&Z, 2003, p.448)
(11)
I have to give [key and letter] to the tenant, and read the instructions myself
(H&Z, 2003, p.443)
10
Il s’avère que les noms nus coordonnés occupent une place spéciale dans le débat sur les noms
nus. Le restant du chapitre sera ordonné de façon suivante : tout d’abord, commencerons par une
brève catégorisation des positions dans lesquelles nous pouvons trouver des N et N en français ;
ensuite, nous discuterons la place des N et N au sein du débat sur les noms nus au moyen d’une
étude des N et N de l’anglais et de l’italien par Heycock et Zamparelli (section 2.3) ; et
dernièrement, nous clorons ce chapitre en discutant une étude des N et N du français par
Roodenburg (section 2.4).
2.2.2. La catégorisation des N et N du français
Zwarts (2009) a étudié des constructions néerlandaises dans lesquelles il est possible de trouver
des noms nus. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, les noms nus ne s’utilisent pas
de la même façon en français qu’en néerlandais, de sorte qu’il n’est pas facile de faire une même
catégorisation pour le français. En outre, ce qui nous intéresse dans le travail présent sont les
noms nus en coordination en non pas les noms nus non-coordonnés. C’est pour cela que nous
avons adapté la catégorisation de Zwarts (2009) aux besoins du travail présent. Dans ce qui suit,
nous étudierons les différentes positions dans lesquelles nous pouvons trouver des noms nus
coordonnés en français en nous servant de la base textuelle Frantext.
La catégorisation des N et N en français :
1) Exclamations vocatives :
(12)
Voilà... aujourd'hui, mesdames et messieurs, Gladys en est au vin capsulé... le
velours de l'estomac ! (Boudard, A. Les enfants de chœur, 1982)
(13)
Ne serait-ce, mesdames et messieurs du jury, ne serait- ce que pour la bonne et
excellente raison que personne n'en a rien à foutre.
- Un mot, cependant, monsieur le Président, si vous le permettez ?... (Benoziglio,
J-L. Cabinet portrait, 1980)
2) Coordination en position d’argument (sujet/ objet) :
Sujet
11
(14)
Un beau matin, au terme d'une de ces nuits de sabbat qui les faisaient se réfugier,
terrorisés, dans les combles du château où étaient situées leurs chambres et où les
bruits ne parvenaient qu'assourdis, valets et caméristes retrouvèrent le corps de
Brenton O'Shaughnessy percé de coups de poignard et baignant dans son sang.
(Ormesson, J.D. Le vent du soir, 1985).
Objet
(15)
» Il appela le garçon, paya, reprit livres et encrier et descendit le boulevard en
courant. (Sabatier, R. Les fillettes chantantes, 1980)
3) Prédication nue (coordination en position d’attribut du sujet)
(16)
Ces courageux précurseurs, qu'ils fussent peintres ou poètes, assistent aujourd'hui
à leur propre triomphe, eux qu'un journal ou un paquet de cigarettes savait
émouvoir, quand le public tressaille et communie avec eux devant tels décors dont
ils avaient prédit la beauté. (Aragon, L. Oeuvre poétique : tome 1, 1982)
4) Incorporation nue (surtout dans certaines locutions verbales)1 :
(17)
Ce que j'ai fait ? - Je ne sais. - J'ai été et je suis venu, j'ai dormi et j'ai veillé, j'ai
chanté et j'ai pleuré, j'ai eu faim et soif, j'ai eu trop chaud et trop froid, je me suis
ennuyé, j'ai de l'argent de moins et six mois de plus, j'ai vécu, voilà tout. (Gautier,
Th. Mademoiselle de Maupin, 1836)
(18)
Je ne me sentais aucune inclination à la tolérance, je ne cherchais pas si les
émeutiers avaient raison ou tort. (Ollivier, E. L’orphelin de mer, 1982)
5) Coordination nue des adverbes temporels :
(19)
Chacun avait hâte de rentrer chez lui, mais sacrifiait volontiers à un rite, un acte
social, écoutait les autres et confiait lui-même ce qu'il ferait samedi et dimanche.
(Sabatier, R. Les fillettes chantants, 1980)
1
Claire Beyssade (2006). Incorporation (sémantique). Sémanticlopédie: dictionnaire de sémantique, trouvé sur
[http://www.semantique-gdr.net/dico/index.php/Incorporation_%28s%C3%A9mantique%29], consulté le 9
décembre 2009.
12
(20)
Cette année tu vas passer juillet et août dans une salle de montage et à Paris en
plus. (Hanska, E. J’arrête pas de t’aimer, 1981)
(21)
Si ça devait durer jours et nuits ? (Benoziglio, J-L. Cabinet portrait, 1980)
6) Réduplication nue (deux NN identiques peuvent être répétés après une
préposition) :
(22)
… c'est-à-dire de comprendre le pourquoi de ce qu'il était en train de faire là, assis
jour après nuit et nuit après jour (Simon, C. Les géorgiques, 1981)
(23)
Elles essayèrent alors de louer les terres (il ne leur vint même pas à l'esprit
qu'elles auraient pu les vendre, elles et l'ambitieuse maison que le père avait
acquise à la ville, à moitié en ruine, et qu'elles devaient par la suite, lame de
plancher par lame de plancher, plafond par plafond et
tuile par tuile, … (Simon, C. L’acacia, 1989)
7) Coordination nue des relations familières :
(24)
De toute façon, il est mort. Comme est morte Félicitée, sa digne épouse. Comme
sont mortes peut-être également, je n'en ai pas la moindre idée, tante Truc et tante
Trucbis. Dans les soixante-quinze ou quatre-vingts ans. Possible, après tout,
que l'une ou l'autre soit encore... Mais où la retrouver ? Et comment? (Benoziglio,
J-L. Cabinet portrait, 1980)
8) Apposition nue :
(25)
Vous avez été élu par quelque huit cents parlementaires, hommes et femmes, juifs
et nègres, bleus et rouges, en qui le pays réel ne se reconnaît plus. (Blondin, A.
Ma vie entre lignes, 1982)
(26)
» Un jeune de cet âge, garçon ou fille, devrait pouvoir lui répondre : «
13
Heureusement qu'en tant que mère, je te tue, parce que c'est fini : sois une femme,
une femme pour mon père ou ton homme, alors je pourrai, moi-même, devenir un
homme » (ou « une femme »). (Dolto, F. La Cause des enfants, 1985)
9) Des intitulés (des titres, par exemple) :
(27)
Jean Giraudoux avait proposé pour devise à ses contemporains : « Splendeur et
imagination. » L'oeuvre romanesque de Kléber Haedens ne la renie pas. Sous
l'humour pudique, elle porte un romantisme à la Nerval qui ne contrevient pas à la
qualité de la vie (Blondin, A. Ma vie entre lignes, 1982)
(28)
Et beaucoup d'autres... Goethe avait intitulé ses mémoires : Poésie et vérité...
(Blondin, A. Ma vie entre lignes, 1982)
10) Emploi absolu2 :
(29)
… et Rodin partageait son étonnement, c'était les petites écolières qui,
indifférentes à ce tumulte, marchaient sagement sur les bas-côtés de la route :
sandales et socquettes blanches, jupes et chemisiers blancs, des nattes dans le dos,
le foulard du collège noué autour du cou, des livres et des cahiers dans une main,
une ombrelle jaune. (Matzneff, G. Ivre du vin perdu, 1981)
(30)
… ou les couloirs des grands organes de presse, radio, télévise ou écrite, qu'il y a
désormais des douzaines de petites Andréas, actives et séduisantes en tailleur,
pantalon ou manteau, cheveux courts et jambes agiles, dont les ressources
persuasives et l'intelligence de la vie, alliées à la libération de leurs complexes …
(Labro, P. Des bateaux dans la nuit, 1982)
11) Des NN après certaines constructions prépositionnelles :
(31)
Aujourd'hui, il ne s'agissait plus de résister, mais d'oser. Elle devint la maîtresse
2
Olivier Bonami (2007). Argument (deux notions d’argument). Sémanticlopédie: Dictionnaire de sémantique,
trouvé sur [http://www.semantique-gdr.net/dico/index.ph/Argument], consulté le 9 décembre 2009.
14
de Nil avec simplicité et détermination. Enfin, elle s'abandonnait à son penchant.
(Matzneff, G. Ivre du vin perdu, 1981)
(32)
On n'en faisait pas si souvent des prisonniers et, celui-là, c'était mon premier à
moi tout seul. On a avancé tous les deux à travers champs et prairies... dans les
gadoues, les ornières jusqu'aux abords de Rezonville... des batteries américaines
sous leurs filets de camouflage. ((Boudard, A. Les enfants de chœur, 1982)
12) Des locutions proverbiales et des expressions figées :
(33)
Vous croyez donc au diable ?
- je crois à tout, il ne faut que s’entendre sur les termes ; il y a fagots et fagots.
(Menard, L. Rêveries d’un païen mystique, 1876)
(34)
Nuit sans sommeil, tirée à pile ou face, dans le seul grand lit (le lit des parents
dans la chambre à quatre), auprès de l'enfant. (Guibert, H. Voyage avec deux
enfants, 1982)
Cette catégorisation n’est pas exhaustive, mais elle représente une première impression des
constructions et des positions les plus fréquentes au sein desquelles nous pouvons trouver des
noms nus coordonnés en français. Aussi donne-t-elle une idée du type de nom susceptible d’être
utilisé dans une coordination nue. Ainsi, la coordination peut être composée de noms singuliers
comptables, de noms pluriels comptables, ainsi que de noms de masse.
Comme nous avons pu l’observer, la variation d’emploi des noms nus entre les différentes
langues se manifeste surtout dans la position la plus canonique, à savoir la position d’argument.
C’est la raison pour laquelle nous étudierons une construction en particulier : les noms nus
coordonnés en position d’argument, et plus précisément en position de sujet et en position
d’objet ((2) dans la catégorisation ci-dessus). Dans ce qui suit, nous étudierons la place
qu’occupent les N et N dans le débat sur les noms nus.
15
2.3. Heycock et Zamparelli : Les N et N de l’anglais et de l’italien
2.3.1. L’analyse de Heycock et Zamparelli
Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, les NN ont des propriétés en commun. Ainsi,
tous les NN sont ouverts à une interprétation existentielle. Les N et N ressemblent aux NN d’un
point de vue morphologique (ce sont des éléments dépourvus d’un déterminant) et quant à leur
distribution (ils se trouvent en position d’argument), mais pour déterminer s’il s’agit vraiment
d’un nom nu, il est important d’étudier également leurs propriétés sémantiques. Heycock et
Zamparelli (2003) ont étudié le comportement des N et N de l’anglais et de l’italien.
A première vue, l’existence des N et N dans ces langues n’est pas surprenante, étant donné que
les NN peuvent être coordonnés, tout comme les autres groupes nominaux. Dans cette optique,
nous nous attendons à ce que la coordination soit ouverte à une interprétation existentielle :
(35)
There were forks on the table. (H&Z, 2003, p.447)
(36)
There were forks and knives on the table. (H&Z, 2003, p.447)
Ces exemples montrent que la lecture existentielle est tout à fait possible.
Par contre, il s’avère rapidement que les N et N entraînent des problèmes supplémentaires. Cela
est illustré par l’exemple suivant :
(37)
A black cat and a brown dog were fighting in the street. (H&Z, 2003, p.443)
a. [Cat and dog] were equally filthy.
b. *Cat was filthy.
Quand nous examinons le comportement des NN coordonnés en (37a), un phénomène très
intéressant se présente : les noms singuliers comptables peuvent être utilisés nus dans une
coordination, tandis que l’équivalent non-coordonné (37b) est exclu dans la langue anglaise.
En plus, Heycock et Zamparelli constatent que les N et N diffèrent également des NN noncoordonnés en ce qui concerne leurs propriétés sémantiques. En plus de l’interprétation
16
existentielle, les N et N peuvent avoir une interprétation définie, ce qui veut dire que leurs
référents ont déjà été introduits dans le discours précédent. La lecture définie est illustrée à l’aide
des exemples suivants :
(38)
We had to set the table for the queen. We arranged one chrystal goblet, one silver
spoon, two antique gold forks and two platinium knives.
a. [Forks and knives] were set on the right of the plate. (H&Z, 2003, p.448)
(39)
He gave me a key, a letter for the landlord, and some instructions.
a. I have to give [key and letter] to the tenant, and read the instruction myself.
(H&Z, 2003, p. 443)
Comme le montrent les exemples ci-dessus, aussi bien les coordinations contentant deux noms
pluriels (38a) que les coordinations contentant deux noms singuliers (39a) peuvent avoir une
interprétation définie. Toutefois, Heycock et Zamparelli remarquent qu’il existe également une
différence entre les N et N singuliers et les N et N pluriels en ce qui concerne leur interprétation.
Les N et N singuliers n’acceptent que la lecture définie, tandis que les N et N pluriels sont
ouverts à une interprétation existentielle ou à une interprétation définie. Heycock et Zamparelli
illustrent cette idée à l’aide des exemples suivants :
(40)
There were [forks and knive] on the table. (Interprétation existentielle)
(H&Z, 2003, p.447)
(41)
*There were [fork and knive] on the table. (*Interprétation existentielle)
(H&Z, 2003, p.447)
D’après Heycock et Zamparelli, la différence d’interprétation est due à deux opérations
syntaxiques différentes. Dans ce qui suit, nous étudierons d’un peu plus près l’analyse proposée
par Heycock et Zamparelli.
D’abord, ils supposent que tous les N et N ont la structure suivante :
[DP De [NumP Nume [±Pl] [CoordP [NP N] &[+Qu] [NP N]]]]
17
Il est important de voir que les N et N sont pourvus d’un trait quantificationnel [+Qu] et que la
projection NumP est responsable de la spécification en nombre. Si le N et N contient deux noms
singuliers, la projection NumP est spécifiée comme [-Pl] ; si le N et N contient deux noms
pluriels, la projection est spécifiée comme [+Pl].
Heycock et Zamparelli supposent que les N et N sont des DP dont la tête D0 est occupée par un
déterminant zéro. Ce déterminant zéro doit être légitimé. Ils proposent deux opérations
syntaxiques différentes pour cette légitimation du D0, ce qui entraîne les deux interprétations
différentes.
Opération I – Lecture existentielle
Le trait [+ Quant] peut se déplacer vers la position D0 au niveau de la Forme Logique. Dans ce
cas, le syntagme CoordP reste dans sa position de base, de sorte que les N et N reçoivent une
lecture existentielle :
[DP [+Qu]i [NumP Num0 [±Pl] [CoordP [NP N0] & ti [NP No]]]]
Opération II – Lecture définie
La lecture définie s’impose quand le syntagme CoodP est déplacer en-sus (‘pied-piping’) vers
Spec, DP avec le trait quantificationnel [+Qu] :
[DP [CoordP [NP N0] & [+Qu] [NP N0]] j D0 [NumP Num0 [±Pl]] tj]]]
La première opération (opération I) est soumise à une contrainte. Un CoordP peut rester dans sa
position de base, à condition que les noms individuels dont il se compose puissent fonctionner
comme des prédicats (H&Z, 2003, p.459):
(42)
*This is table.
(43)
These are tables.
Comme le montrent les phrases (42) et (43), les noms singuliers comptables ne peuvent pas être
utilisés en tant que prédicats en anglais, tandis que les noms pluriels comptables connaissent bien
cette capacité. C’est la raison pour laquelle Heycock et Zamparelli (2003) supposent que seules
18
les coordinations dont le NumP est spécifié comme [+Pl] peuvent être existentielles. Par contre,
les N et N dont le NumP n’est pas spécifié comme [+Pl] ne peuvent être que définis.
En français, en revanche, ni les noms pluriels ni les noms singuliers peuvent fonctionner en tant
que prédicat. Pour cette raison, Heycock et Zamparelli supposent que le français ne dispose pas
des N et N existentiels et par conséquent, pas de NN.
2.3.2. Conclusion
Comme nous l’avons vu ci-dessus, les N et N pluriels sont ambigus entre une lecture existentielle
et une lecture définie. Les N et N singuliers, en revanche, ne le sont pas : ils n’acceptent que la
lecture définie. Heycock et Zamparelli concluent que seulement les N et N existentiels se
compose de noms nus en se basant sur les raisons suivantes :
D’abord, non seulement les noms pluriels comptables, mais aussi les noms singuliers comptables
peuvent être nus pourvu qu’ils soient coordonnés. Sur ce point les noms faisant partie d’un N et
N se distinguent des NN non-coordonnés, car, comme nous l’avons vu dans le premier chapitre,
un nom nu non-coordonné ne peut pas correspondre à un nom singulier comptable. C’est pour
cela que Heycock et Zamparelli concluent qu’il ne peut pas s’agir d’un vrai nom nu dans ce caslà.
De plus, les NN ont des propriétés en commun, ainsi tous les NN sont ouvertes à une
interprétation existentielle. C’est la raison pour laquelle Heycock et Zamparelli supposent que
seulement les N et N à lecture existentielle sont de véritables noms nus et non pas les N et N à
lecture définie. Si les N et N à lecture définie avaient été de NN coordonnés, ils auraient dû être
ouverts à la lecture existentielle. Donc, bien que les N et N définies (opération II) ressemblent
aux NN quant à leur forme, ils s’en distinguent quant à leur propriétés sémantiques.
19
2.4. Roodenburg : Les N et N du français
Roodenburg (2004b) a étudie les propriétés des N et N du français en s’appuyant sur l’analyse de
Heycock et Zamparelli. Cette analyse nous aide à mieux comprendre la présence des N et N en
français. D’après eux, seulement les N et N existentiels (opération I) sont de vrais NN, donc rien
n’empêche le français d’avoir les N et N définis.
Comme nous l’avons vu dans la section précédente, Heycock et Zamparelli supposent que la
dérivation des N et N existentiels (opération I) est soumise à une contrainte : le syntagme CoordP
ne peut rester dans sa position de base que si les noms qu’il contient peuvent être utilisés comme
des prédicats. Rappelons que l’anglais présente un contraste net entre les N et N pluriels qui
peuvent être utilisés comme des prédicats, et les N et N singuliers qui n’ont pas cette capacité.
En français, pourtant, le comportement des noms en position de prédicat est différent.
Contrairement à ce qu’il se passe en anglais, aucun contraste ne se présente entre les noms
singuliers et les noms pluriels (Roodenburg, 2004b, p.30) :
(44)
*La baleine est mammifère.
(45)
*Les baleines sont mammifères.
C’est pour cette raison que Heycock et Zamparelli supposent que le français ne dispose pas de N
et N existentiels. Roodenburg (2004b) vérifie si cela correspond aux données françaises.
2.4.1. Roodenburg et les N et N pluriels
Roodenburg constate que Heycock et Zamparelli ont raison en ce qui concerne l’interprétation
définie. La lecture définie est tout à fait disponible pour les N et N pluriels:
(46)
« Nous étions en train de mettre la table pour la reine. Nous avons pris un gobelet en
cristal, une cuillère d’argent, deux fourchettes d’or et deux couteaux en platine.
Fourchettes et couteaux étaient également sales. » (Roodenburg, 2004b, p.28)
Roodenburg constate qu’il existe également des N et N existentiels en français, où les référents
sont introduits pour la première fois dans le discours. Soit l’exemple suivant :
20
(47)
L’inspecteur Williams se rendit dans cette chambre de bonne sans avoir aucune idée de
ce qu’il allait y découvrir. Il eut un peu de peine à trouver l’interrupteur. Il n’y avait
pratiquement aucun meuble dans la pièce, mise à part une table. [Livres et revues]
jonchaient le plancher. (Roodenburg, 2004b, p.31)
Cet exemple semble donc en contradiction avec ce qui est prédit par Heycock et Zamparelli, car
ils n’avaient pas prévu la possibilité d’avoir des N et N à lecture existentielle en français.
Roodenburg observe que les N et N du français ne diffèrent pas des N et N d’une langue
comme l’anglais : le français dispose à la fois de N et N définis et de N et N existentiels, tout
comme en anglais.
2.4.2. Roodenburg et les N et N singuliers
Roodenburg constate de nouveau que Heycock et Zamparelli ont raison en ce qui concerne
l’interprétation définie. La lecture définie est tout à fait disponible pour les N et N singuliers :
(48)
Un chien et un chat étaient en train de se battre dans notre jardin. Chien et chat avaient
tous les deux l’air sale. (Roodenburg, 2004b, p.28)
Toutefois, Roodenburg ne prédit pas l’existence des N et N singuliers à lecture existentielle en
français. Ainsi, il n’a pas étudié leur comportement d’une manière détaillée, il ne constate que
rapidement : « (…) on s’attend à ce que les N et N singuliers puissent eux aussi être
existentiels. Or, cela ne correspond pas aux faits, comme nous l’avons déjà fait remarquer cidessus : ils ne sont pas ouverts à une interprétation existentielle. (Roodenburg, 2004, p.45) »
Roodenburg nuance cette constatation de la manière suivante : « Nous avons testé des N pluriels,
qu’en est-il des N singuliers ? Les coordinations de N singuliers massiques sont bons avec la
lecture existentielle, mais les N singuliers comptables, ne semblent pas avoir d’interprétation
existentielle. (Roodenburg, 2005) » Donc, les N et N singuliers comptables ne sont pas ouverts à
la lecture existentielle d’après lui.
21
Résumons ce que nous avons vu ci-dessus. Roodenburg constate que les N et N pluriels sont tout
comme en anglais ambigus entre une lecture existentielle et définie. Les N et N singuliers, en
revanche, n’acceptent que la lecture définie.
Roodenburg réfute l’hypothèse de Longobardi (citée dans (1)) et l’analyse de Heycock &
Zamparelli (section 2.3) selon lesquelles le français serait une langue sans noms nus.
Roodenburg avance l’hypothèse que le français dispose de NN sous la forme des N et N, étant
donné que les N et N existentiels ne sont rien d’autre que de NN coordonnés. Il confirme cette
hypothèse en soumettant les N et N existentiels à un certain nombre de tests pour déterminer les
propriétés sémantiques spéciales. Pour les besoins du travail présent, le contenu précis de ces
tests n’est pas pertinent. Il importe seulement de savoir que Roodenburg conclue – au moyen des
tests – que les N et N du français se comportent comme des NN et que le français possède, par
conséquent, des NN sous la forme des N et N.
Rappelons l’analyse de Heycock et Zamparelli. Selon eux, les N et N existentiels (opération I) ne
sont que réalisables quand les noms individuels – dont la coordination est composée – peuvent
fonctionner comme des prédicats. En anglais, ceci est le cas quand NumP est [+Pl]. En français,
en revanche, ni les noms pluriels ni les noms singuliers peuvent fonctionner comme des
prédicats, de sorte que les N et N existentiels ne sont pas permis dans cette langue. Roodenburg
réfute cette analyse en montrant qu’il ne va pas de soi de formuler une contrainte sur les N et N
en s’appuyant sur le comportement des noms individuels qui les composent (Roodenburg, 2004b,
p.42) :
(49)
*Les chats sont mammifères.
(50)
Les chats sont (à la fois) mammifères et animaux domestiques.
Contrairement aux noms nus non-coordonnés (49), les noms nus coordonnés (50) s’emploient
sans problèmes en position de prédicat. Comme nous l’avons vu, Heycock et Zamparelli
assument que la spécification en nombre [NumP] doit être pluriel [+Pl] pour qu’un nom puisse
fonctionner comme prédicat. Roodenburg suppose que les N et N français doivent donc porter le
trait [+Pl], parce qu’ils sont capables de fonctionner en position de prédicat (50).
22
Roodenburg (2004b) montre au moyen de la structure suivante que la projection syntaxique d’un
N et N français porte le trait [+Pl] :
[DP D0 [NumP Numo [+Pl] [CoordP [NP N0] &[+Qu] [NP N0]]]]
L’existence des N et N existentiels ne peut donc pas dépendre d’une contrainte sur l’emploi des
noms non-coordonnées en position de prédicat, selon lui.
2.4.3 D’autres divergences de vue entre Roodenburg et Heycock & Zamparelli
Roodenburg (2005) n’est pas non plus d’accord avec Heycock & Zamparelli (2003) pour ce qui
est de l’existence des N et N à lecture générique. Heycock & Zamparelli ne prédisent pas
explicitement l’existence des N et N français à lecture générique. Roodenburg interprète cela
comme si l’existence des N et N français à lecture générique était exclue par Heycock et
Zamparelli.
Ainsi, il pense d’avoir trouvé un argument contre l’analyse de Heycock et Zamparelli, quand il
trouve un N et N à lecture générique: « Peut-on étendre cette analyse au français ? Si c’est le
cas, on s’attend à ce que l’italien ait uniquement des N Conj N existentiels ou définis (mais pas
génériques) et à ce que le français possède uniquement des N Conj N définis, et non pas des N et
N existentiels ou génériques » (Roodenburg, 2005). Donc, selon Roodenburg, Heycock et
Zamparelli ne prédisent que l’existence des N et N définis en français et non pas l’existences des
N et N génériques et existentiels.
Toutefois, ce qu’il n’a pas pris en considération est que la référence à l’espèce et la lecture
générique se font généralement avec l’article défini en français. Cela est illustré par l’exemple
suivant :
(51)
Les professions manuelles comportent généralement une somme de travail musculaire
représentant pour ainsi dire la dette quotidienne de l’individu souvent même il y a excès
et surmenage. (Macaigne, D.R. Précis d’hygiène, 1911)
23
L’article défini - souligné dans la phrase (51) – introduit une généralisation. En supposant que le
français possède des N et N définis, Heycock & Zamparelli s’attendent en quelque sorte à ce
qu’il y ait également des N et N à lecture générique en français. L’existence d’une interprétation
générique pour les N et N n’est donc pas un argument en faveur de l’analyse de Roodenburg.
Ayant esquissé le contexte du débat autour les noms nus et la place des N et N au sein de ce
débat, nous vérifions expérimentalement – en examinent notre corpus de travail – si ce qui est
prédit par Roodenburg est correct. Dans le prochain chapitre, nous rendrons la théorie sur les
noms nus opérationnelle afin de poursuivre l’étude des N et N du français.
24
3. Les N et N : les propriétés sémantiques
3.1. Introduction
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, Roodenburg prédit l’existence des N et N
pluriels à lecture existentielle en français. Cela est rappelé par l’exemple suivant emprunté à
Roodenburg (2004b, p.31) :
(52)
L’inspecteur Williams se rendit dans cette chambre de bonne sans avoir aucune idée de
ce qu’il allait y découvrir. Il eut un peu de peine à trouver l’interrupteur. Il n’y avait
pratiquement aucun meuble dans la pièce, mise à part une table. Livres et revues
jonchaient le plancher.
Afin de pouvoir vérifier l’hypothèse avancée par Roodenburg – selon laquelle le français
possède des noms nus sous la forme des N et N à lecture existentielle – il est important de
pouvoir nous appuyer sur un corpus de travail étendu. Comme déjà brièvement mentionné dans
l’introduction, je me suis servie d’un corpus de travail issu de la base textuelle Frantext.
L’usage d’un corpus de travail est très approprié pour les besoins du présent travail, car nous
nous intéressons à une construction spéciale. A ce propos, une observation est importante : la
construction ne doit être ni trop spécifique, ni trop générale. D’un côté, quand une construction
est trop spécifique, nous risquons de ne pas trouver suffisamment de résultats dans Frantext. Ce
cas n’est pas favorable, car nous nous trouverions alors dans l’impossibilité de tirer des
conclusions. De l’autre côté, si une construction est trop générale, nous risquons de nous perdre
dans des exemples trop nombreux. L’usage d’un corpus de travail est alors très apte à notre
construction des N et N du français : ce faisant, nous serons capables d’examiner d’une manière
efficace beaucoup de constructions du type N et N, ainsi que leurs propriétés spécifiques.
Pour pouvoir déterminer les propriétés sémantiques, il est important d’avoir suffisamment de
contexte. C’est pour cette raison que je ne me suis pas seulement servie de Frantext catégorisé qui ne sélectionne que les phrases contenant les N et N - mais également de Frantext intégrale
qui permettait de voir plus de contexte.
25
Comme nous l’avons vu dans l’introduction, le corpus de travail se compose de deux corpus
différents. D’abord, nous avons rédigé un corpus contenant des N et N pluriels et singuliers entre
1980 et 1989 (premier corpus) afin d’étudier le comportement des N et N en position d’argument
(2167 résultats au total). L’autre corpus (deuxième corpus) contient la construction existentielle
en ‘il y a’ suivi d’une coordination nue entre 1833 et 1990 (163 résultats au total). Ce dernier
corpus à été rédigé pour améliorer nos chances de trouver des N et N existentiels. Le corpus
entier contient 2330 résultats.
Cette dernière observation est importante : à première vue, le corpus comprend beaucoup de
résultats, 2330 au total. Cependant, il est important de remarquer que la majorité des résultats ne
répondait pas à notre objectif de recherche, à savoir l’étude des N et N du français en position
d’argument et après la construction existentielle en ‘il y a’. Rappelons à ce propos la
catégorisation rédigé au début du deuxième chapitre. Nous avons constaté que la position des N
et N ne se limite pas uniquement à celle d’argument, mais que les N et N peuvent également
avoir d’autres fonctions. Ci-dessous, je donne un inventaire des résultats fréquents que j’ai
rencontrés et qui ne répondaient pas à notre objectif de recherche. Les mots soulignés sont
considérés comme des noms nus coordonnés (les N et N) par Frantext, bien qu’ils ne soient pas
de véritables noms nus.
Les N et N précédés d’un article (in)défini :
(53)
… il partit à marches forcées en direction de la Belgique, chacun des capitaines à cheval
un peu en avant de sa compagnie, les jeunes lieutenants et sous-lieutenants en serre-file.
(Simon, C. L’acacia, 1989, p.51)
(54)
Drifter imaginait qu'elle avait écouté des concerts « heureux » et des guitars « heureuses
» dans la décennie qui avait précédé celle au milieu de laquelle ils naviguaient, au
contraire de la noirceur et de la négation qu'il avait trop souvent, lui, cru interpréter dans
les mêmes événements et circonstances. (Labro, P. Des Bateaux dans la nuit, 1982,
p.266)
(55)
Ses parents avaient hérité la boutique de mercerie et bonneterie de Commarin. (Tournier,
M. Le médianoche amoureux, 1989, p.178)
26
(56)
… l'un d'eux possédait un nécessaire à fumeur en émail cloisonné où des oiseaux
turquoise et rose volaient parmi des joncs et des nénuphars. (Simon, C. L’acacia, 1989,
p.54)
La première partie du N et N est précédé d’un article ; la deuxième partie est un verbe
conjugué :
(57)
Il allume une nouvelle cigarette et dépose délicatement l'allumette dans la lampe à huile.
(Benoziglio, J-L, Cabinet portrait, 1980, p.18)
(58)
Je pose mon doigt sur le jeune homme et tourne la tête, l'air interrogateur,vers cousine
penchée au-dessus de moi. (Benoziglio, J-L, Cabinet portrait, 1980, p.112)
Les N et N faisant partie d’une enumeration:
(59)
Qu'encore et à nouveau, petit Sisyphe à la con, je vais devoir cracher dans mes pognes et
déblayer cette masse aveuglante et sombre à la fois que forment, pêle-mêle, lettres, mots,
lignes, intervalles et paragraphes. (Benoziglio, J-L, Cabinet portrait, 1980, p.156)
(60)
J'ai été suffoqué par la complicité qui unissait coiffeuses, manucures, shampouineuses et
clientes dans un babillage généralisé où les secrets les plus intimes des corps et des
couples s'étalaient sans la moindre retenue. (Tournier, M. Le médianoche amoureux,
1989, p.41)
Les N et N après une construction prépositionnelle:
(61)
Je longeais le figuier géant, les épaisses maisons de granit de la place, maisons de
notaires, chagrines et cossues, sises entre jardin et mer, dont les vagues, par derrière,
venaient battre à marée haute la porte de service. (Gracq, J. En lisant en écrivant, 1980,
p.271)
(62)
La route mystérieuse serpentait à travers montagnes et vallées. (Tournier, M. Le
médianoche amoureux, 1989, p.223)
(63)
J'avais suivi sa course avec intérêt et tendresse. (Grèce, M de. La nuit du sérial, 1982,
p.510)
27
(64)
Je le regarde, il me toise, me tourne le dos et me conduit à la penderie attenante à la salle
de bains, une interminable galerie de placards à vêtements et chaussures. (Labro, P. Des
Bateaux dans la nuit, 1982, p.137)
Les N et N qui n’étaient pas composés de noms, mais d’autre catégories grammaticales:
(65)
La nuance et l’ardeur élèvent et abaissent la ligne d' horizon, matin et soir, stimulant les
sept couleurs. (Char, R. Sous ma casquette amarante, 1980, p.825)
(66)
Objection qui ne porte en rien, d'ailleurs, contre le roman historique, où ce sont les
personnages authentiques qui, du seul fait d'être devenus majoritaires, se trouvent
automatiquement fictifiés, et dans Les Trois Mousquetaires tout comme dans Guerre et
Paix. (Gracq, J. En lisant en écrivant, 1980, p.26)
Types résiduels de N et N:
(67)
Elle jeta:
Zut! Zut! Flûte et crotte!
Ses lèvres crispées montraient sa mauvaise humeur devant cette plaie des élégantes: la
maille qui file. (Sabatier, R. Les fillettes chantantes, 1980)
Bien que cette liste ne soit pas exhaustive, elle nous permet de visualiser les limitations de notre
corpus de travail et de montrer que nos codes de recherche (tels qu’introduits dans l’introduction)
n’étaient pas capables de sélectionner uniquement les N et N dont j’avais besoin afin de répondre
à notre question principale. C’est pour cela que j’ai procédé à une sélection sévère des résultats
en omettant tous les N et N qui ne répondent pas aux besoins du présent travail.
Dans le présent chapitre, nous contrôlerons expérimentalement les prédictions faites par Heycock
& Zamparelli et par Roodenburg. En nous appuyant sur notre corpus de travail, nous étudierons
le comportement syntaxique des constructions suivantes (corpus (1)):
1) N & N comptables singuliers en position d’argument
2) N & N comptables pluriels en position d’argument
3) N & N contentant deux noms de masse en position d’argument.
28
Ainsi que le comportement des constructions suivantes (corpus (2)) :
1) N & N comptables singuliers après la construction ‘il y a’
2) N & N comptables pluriels après la construction ‘il y a’
3) N & N contentant deux noms de masse après la construction ‘il y a’
Dans la prochaine section, nous avancerons les critères utilisés pour déterminer les propriétés
sémantiques des N et N, pour que nous rendions la théorie opérationnelle afin de contrôler les
prédictions faites par Roodenburg.
3.2 Les critères utilisés : les différentes interprétations des N et N
Comme déjà amplement discuté, entre autres par De Swart et Zwarts (2006), les noms nus sont
réservés aux constructions spéciales et leur interprétation diffère de celle de leurs équivalents qui
ne sont pas dépourvus d’un déterminant. Il en est de même pour l’interprétation des
coordinations nues, comme nous l’avons vu plus haut. Dans le cas des groupes nominaux
introduits par un déterminant explicite, c’est le déterminant qui joue un rôle décisif pour les
propriétés interprétatives. Dans le cas des N et N, il n’y a pas de déterminant explicite qui puisse
déterminer son interprétation. Néanmoins, les N et N sont eux aussi associés à des interprétations
et des propriétés sémantiques précises. Ainsi, les N et N sont ouverts à trois types
d’interprétations. Dans ce qui suit, nous étudierons les trois lectures différentes, leurs propriétés
spéciales et nous avancerons les critères utilisés pour pouvoir distinguer ces lectures.
i.
Interprétation définie
Heycock & Zamparelli et Roodenburg prédisent tous l’existence des N et N français à lecture
définie, étant donné que les N et N sont capables de reprendre un référent déjà introduit dans le
discours précédent :
(68)
« We had to set the table for the queen. We arranged one crystal gobelet, one silver
spoon, and two antique gold forks. Goblet and spoon were set on the right of de plate. »
(H&Z, 2003, p.445)
(69)
« Nous étions en train de mettre la table pour la reine. Nous avons pris un gobelet en
cristal, une cuiller d’argent, deux fourchettes d’or et deux couteaux en platine. Gobelet et
29
cuiller étaient à gauche de l’assiette. Fourchettes et couteaux étaient à droite. »
(Roodenburg, 2005)
Le référent peut être introduit explicitement, comme dans les exemples cités ci-dessus, mais
également implicitement. Dans ce cas, nous parlons des ‘anaphores associatives’ (Kleiber 2001)
dans lesquelles l’existence d’une entité dans un contexte est inférée grâce à connaissance du
monde.
Les critères :
1) Les référents ont déjà été introduits dans le discours précédent, soit explicitement, soit
par des anaphores associatives (bridging).
1) L’insertion de l’article défini résulte-elle en une phrase grammaticale ? Dans
l’affirmative, nous pouvons avoir à faire à une lecture définie (NB. L’article défini n’est
pas réservé à la lecture définie, comme nous le verrons dans ce qui suit).
II. Interprétation existentielle
Rappelons que l’existence des N et N du français à lecture existentielle n’est que prédit par
Roodenburg. Par contre, ses exemples ne sont pas tous sans ambigüité, comme il le remarque luimême aussi. Avant de conclure que les N et N à lecture existentielle existent vraiment dans la
langue française, il est favorable de consulter un corpus de travail plus grand et de chercher une
marque explicite d’existentialité. Plusieurs scientifiques, parmi lesquels Milsark (1977), ont
supposé que les phrases existentielles par excellence sont les phrases anglaises en ‘there’.
Cependant, Roodenburg remarque que l’équivalent français - la construction existentielle ‘il y a’
- ne se comporte pas de la même façon que ‘there’ en anglais. Il s’avère que ‘il y a’ peut
également être suivi d’un défini, surtout dans un contexte contrastif ou quand le nom est suivi
d’un complément :
(70)
Il y a le sac de Marie dans la cuisine (Roodenburg, 2004b, p.8)
Dans la section 4.2. nous étudierons d’une manière plus détaillée les lectures possibles après la
construction existentielle ‘il y a’.
30
Il est également important de remarquer que Roodenburg prédit l’existence des N et N singuliers
massiques ayant une lecture existentielle, mais il ne prédit pas l’existence des N et N singuliers
contentant deux noms comptables à cette lecture. Cela est rappelé par la citation suivante :
« Nous avons testé des N pluriels, qu’en est-il des N singuliers ? Les coordinations de N
singuliers massiques sont bons avec la lecture existentielle, mais les N singuliers comptables, ne
semblent pas avoir d’interprétation existentielle. (Roodenburg, 2005) » Les N et N singuliers
comptables à lecture existentielle n’existent donc pas selon lui.
Les critères :
1) Les phrases existentielles introduisent un nouveau référent dans le discours.
2) L’insertion de l’article indéfini résulte-elle en une phrase grammaticale ? Dans
l’affirmative, nous pouvons avoir à faire à une lecture existentielle.
3) Le N et N est-il l’argument d’un prédicat épisodique (stage-level) ? Dans l’affirmative, le
N et N devrait être ouvert à la lecture existentielle.
4) La construction existentielle ‘il y a’ (NB. ‘Il y a’ n’est pas réservée à la lecture
existentielle, comme nous l’avons vu).
III. Interprétation générique.
Roodenbrug (2005) prédit l’existence des N et N français à lecture générique en se servant des
exemples suivants :
(71)
Loups et ours deviennent plus grand à mesure qu’on avance vers le nord.
(72)
Est-ce symphonie et sonate existeront encore dans 100 ans ?
Les critères :
1) Les phrases génériques expriment une généralisation.
2) Le N et N est-il l’argument d’un prédicat permanent (individual level) ou d’un prédicat
d’espèce (qui attribue une propriété inhérente) ? Dans l’affirmative, le N et N devrait être
ouvert à la lecture générique.
3) Est-ce qu’il y un verbe pourvu d’un aspect habituel présent dans la phrase?
4) Est-ce qu’il y in opérateur générique explicite (un adverbe généralisant comme toujours/
souvent par exemple) présent dans la phrase ?
31
5) Est-ce que la phrase est au passé simple ? Dans l’affirmative, la généricité est bloquée par
le passé simple, parce que le passé simple exprime un fait bien délimité à un moment du
passé (aspect accompli). Le fait qu’il s’agit de quelque chose de délimité et de l’aspect
accompli est la raison pour laquelle le passé simple n’est pas capable d’introduire une
généralisation.
Ayant avancé les critères utilisés pour déterminer la lecture possible d’un N et N, nous avons
rendu la théorie sur les N et N opérationnelle. Maintenant, nous sommes capables d’établir des
tableaux contenant les différentes lectures possibles des N et N afin de contrôler les prédictions.
Dans le prochain chapitre, nous discuterons des résultats.
32
4. Résultats et statistiques
Au moyen de la théorie développée dans le deuxième chapitre et en se servant des critères
avancés dans le chapitre précédent, j’ai pu établir deux tableaux. Le premier tableau, « les N et N
en position d’argument », comprend corpus 1. Le second tableau, « les N et N après la
construction existentielle il y a », comprend corpus 2.
Le chapitre sera organisé ainsi : nous commencerons par l’introduction de ces tableaux qui nous
permettent d’examiner les interprétations possibles des N et N singuliers et pluriels ; ensuite nous
visualiserons les statistiques rendant compte de la fréquence de ces différentes interprétations
(section 4.1 et 4.2) ; puis la dernière partie du présent chapitre prendra la forme d’une discussion
des tableaux et des statistiques où nous confronterons nos constatations aux prédictions faites par
Roodenburg (section 4.3 et 4.4).
4.1. Les N et N en position d’argument
Annexe 1 : Tableau des N et N en position d’argument.
Interprétation
Nombre
Pourcentage
1
Existentiel pluriel (noms comptables)
9
20,93%
2
Existentiel singulier (noms
0
0%
comptables)
3
Existentiel (noms de masse)
2
4,65%
4
Défini pluriel
12
27,91%
5
Défini singulier
5
11,63%
6
Générique pluriel
8
18,60%
7
Générique singulier
7
16,28%
43
100%
33
4.2 Les N et N après la construction existentielle ‘il y a’
Annexe 2 : Tableau des N et N après la construction existentielle ‘il y a’.
Interprétation
Nombre
Pourcentage
1
Existentiel singulier (noms comptables)
4
2,45%
2
Existentiel pluriel (noms comptables)
6
3,68%
3
Existentiel (noms de masse)
19
11,66%
4
Générique singulier
54
33, 13%
5
Générique pluriel
0
0%
6
Existentiel-générique
3
1,84%
7
Défini
62
38,04%
8
Les cas résiduels
15
9,20%
163
100%
4.3 Discussion du tableau des N et N en position d’argument
La première chose que l’on remarque est la fréquence relative des N et N pluriels et singuliers en
position d’argument. Les N et N pluriels sont bien plus fréquents que les N et N singuliers, à
savoir 67,44% pour les N et N pluriels face à 32,56% pour les N et N singuliers. Dans ce qui
suit, nous étudierons les différentes lectures (interprétations) et leur fréquence.
34
i. Lecture définie
Les N et N à lecture définie sont très productifs en français, aussi bien pour les N et N composés
de deux noms singuliers que pour les N et N composés de deux noms pluriels. Cela est illustré
par les résultats suivants.
Singulier (11,63%) :
(73)
‘Nous voilà à la cuisine. Sur la table sont posés la bouteille de rouge (capsule en plastique
et pas d'étiquette) et le verre que j'avais préparés. Il leur jette un bref coup d'œil,
contourne la table, va ouvrir le placard au-dessus de l'évier et s'absorbe dans la
contemplation de casseroles modérément propres. Profitant de ce qu'il me tourne le dos,
je fais disparaître verre et bouteille dans le garde-manger. (Benoziglio, J-L. Cabinet
portrait, 1980, p.12)
(74)
«Dépêche-toi s'il te plaît !» Il prit les vêtements et s'abrita derrière le fauteuil, fuyant
ce regard qui faisait battre son coeur. Il ôta sa robe, enfila culotte et chemise à l'envers,
boutons sur le dos comme il en avait l'habitude, et Nicole se fâcha : «T'as vraiment un
grain, ma mère a raison. ça s'attache par-devant, tout ce bazar (Queffélec, Y. Les Noces
Barbares, 1985, p.45)
Pluriel (27,91%):
(75)
Une enveloppe épaisse dans la boîte aux lettres. J'avais raison. J'ouvre la porte et trouve
une autre lettre des mots épars des fleurs... Il fait un soleil de belle arrière-saison. Je lis
lettres et mots. Dans ce souk ce mélange de reproches et de déclarations d'amour éternel
j'ai du mal à trouver le créneau. (Hanska, E. J’arrête pas de t’aimer, 1981, p.85)
(76)
Il déambula dans l'appartement, jouant à remettre en place objets et bibelots alors qu'il
ne faisait que déranger leur ordonnance. (Sabatier, R. Les fillettes chantantes, 1980, p.94)
35
Heycock&Zamparelli et Roodenburg prédisent tous les deux l’existence des N et N français à
lecture définie, étant donné que les N et N sont capables de reprendre un référent déjà introduit
dans le discours précédent. Le référent peut être introduit explicitement, comme c’est le cas pour
les phrases (73) et (75), mais il peut également être introduit implicitement (lecture définie par
bridging), ce qui est le cas pour les phrases (74) et (76). Les référents ‘culotte et chemise’ (74)
ont une lecture définie due à la présence du nom ‘vêtements’ : notre connaissance du monde
associe la notion de ‘vêtements’ à la présence de ‘culotte et chemise’. Les référents ‘objets et
bibelots’ (76) ont une lecture définie due à la présence du nom ‘appartement’ : notre
connaissance du monde associe la notion de ‘appartement’ à la présence des objets et des
bibelots.
Donc, nos constatations - en ce qui concerne la lecture définie - correspondent tout à fait à ce qui
est prédit par Heycock & Zamparelli et par Roodenburg.
ii. Lecture générique
La lecture générique est également très productive, tant pour les N et N singuliers (16,28%) que
pour les N et N pluriels (18,60%). Voici deux exemples qui illustrent cette lecture générique.
(77)
Vérité et liberté ont sans cuisson des rapports d’intolérance. (Char, R. Sous ma casquette
amarante, 1980, p.835)
(78)
Garçons et filles sont bétail de même espèce. (Yournecar, M. Une belle matinée, 1982,
p.1051)
Comme nous l’avons vu, Heycock & Zamparelli ne prédisent pas explicitement l’existence des N
et N français à lecture générique. Cependant, ils s’attendent à ce qu’il y ait des N et N français à
lecture générique en supposant l’existence des N et N définis, car la référence à l’espèce se fait
avec l’article défini en français. Roodenburg prédit explicitement l’existence des N et N
génériques. Donc, nos constatations concernant la lecture générique correspondent de nouveau à
ce qui est prédit par Heycock &Zamparelli et par Roodenburg.
36
iii. Lecture existentielle
Selon toute prévision, des problèmes se présentent pour ce qui est de la lecture existentielle.
Rappelons que Heycock & Zamparelli ne prédisent pas l’existence des N et N existentiels en
français. Roodenbrug, en revanche, prédit l’existence des N et N à lecture existentielle, pourvu
qu’ils soient composés de deux noms de masse ou de deux noms comptables pluriels. Donc, il ne
prédit pas l’existence des N et N singuliers contentant deux noms comptables à cette lecture.
Les N et N pluriels à lecture existentielle sont bel et bien existants et sont même assez fréquents
(20,93%). Cela est illustré par les exemples suivants :
(79)
Un beau matin, au terme d'une de ces nuits de sabbat qui les faisaient se réfugier,
terrorisés, dans les combles du château où étaient situées leurs chambres et où les bruits
ne parvenaient qu'assourdis, valets et caméristes retrouvèrent le corps de Brenton
O'Shaughnessy percé de coups de poignard et baignant dans son sang. (Ormesson, J d’.
Le vent du soir, 1985, p.134)
(80)
Soubrettes et majordome se précipitaient à notre rencontre sur le gravier bien ratissé dont
les roues de la voiture détruisaient l'harmonie. (Ormesson, J d’. Tous les hommes sont
fous, 1986, p.100)
L’existence des N et N contenant deux noms de masse, est déjà plus rare (4,65%). Je n’ai trouvé
que deux exemples, dont le suivant :
(81)
Pourtant, ça doit le chatouiller, cézigue. Il ravale morve et bave avec une espèce de
sifflement dégueulasse, glougloutant jusqu'à la limite de ses éponges. (Degaudenzi, J-L.
Zone, 1987, p.82)
Par contre, je n’ai pas trouvé de N et N singuliers contentant deux noms comptables à lecture
existentielle dans le corpus. De ce fait, la validité de l’hypothèse de Roodenburg perdure
jusqu’ici. Dans la section suivante, nous traiterons les résultats du tableau ‘les N et N après la
37
construction existentielle ‘il y a’’ pour améliorer nos chances de trouver des N et N à lecture
existentielle.
4.4.
Discussion du tableau ‘des N et N après la construction existentielle ‘ il y a’’
Comme nous l’avons vu dans le troisième chapitre, nous pouvons nous servir de la construction
‘il y a’ afin d’étudier la présence des N et N à lecture existentielle en français.
La construction en ‘il y a’ est comparable à celle de there is / are en anglais et à celle de er is /
er zijn en néerlandais. Toutes ces constructions ont une propriété en commun : elles sont
capables d’introduire un nouvel élément dans le discours. C’est pour cette raison que la
construction ‘il y a’ pourrait nous aider à trouver des N et N singuliers comptables à lecture
existentielle. Dans ce qui suit, nous discuterons des résultats du tableau. En outre, nous
étudierons les types de noms susceptibles de suivre cette construction et l’interprétation de ceuxci.
Ce qui nous frappe en premier, est la fréquence relative des N et N singuliers et pluriels, tout
comme pour les N et N en position d’argument (section 4.3). D’ailleurs, contrairement à ce que
nous avons vu pour les N et N en position d’argument, les N et N après ‘il y a’ sont surtout
composés de deux noms singuliers. Les N et N pluriels semblent, à leur tour, beaucoup moins
productifs.
Ce qui nous frappe ensuite sont les interprétations des N et N après ‘il y a’ : la construction
existentielle ne semble pas du tout être réservée uniquement aux lectures existentielles.
Roodenburg (2004b) avait déjà constaté l’existence d’une lecture définie dans certains cas (dans
un contexte contrastif ou dans la présence d’un complément), mais une lecture générique fait
également partie des possibilités. A vrai dire, les lectures définies et les lectures génériques sont
beaucoup plus fréquentes que les lectures existentielles.
i. Lecture existentielle singulier (noms comptables) : 2,45%
38
Rappelons l’hypothèse de Roodenburg selon laquelle les N et N singuliers français ne sont pas
ouverts à une lecture existentielle : « (…) on s’attend à ce que les N et N singuliers puissent
eux aussi être existentiels. Or, cela ne correspond pas aux faits, comme nous l’avons déjà fait
remarquer ci-dessus : ils ne sont pas ouverts à une interprétation existentielle. (Roodenburg,
2004a, p.45) » Comme nous l’avons vu dans le deuxième chapitre, Roodenburg nuance cette
constatation de la manière suivante : « Nous avons testé des N pluriels, qu’en est-il des N
singuliers ? Les coordinations de N singuliers massiques sont bons avec la lecture existentielle,
mais les N singuliers comptables, ne semblent pas avoir d’interprétation existentielle. »
(Roodenburg, 2005) Alors, Roodenburg ne prédit pas l’existence des N et N singuliers
comptables à lecture existentielle en français.
Néanmoins, j’ai trouvé des exemples clairs pour réfuter l’hypothèse de Roodenburg. Voici deux
exemples des N et N singuliers comptables à lecture existentielle qui contredisent la prédiction
de Roodenburg :
(82)
Il y a deux jours, miss *N. Portait à son école des pots de fleurs variées. Il y avait
exposition et concours de fleurs comme cela se fait en ce moment dans tout *Londres,
pour les écoles, les usines et les clubs. (Alain-Fournier, H. Correspondance avec
J.Rivière, 1914, p.24)
(83)
Ce soir-là, il y avait réception et concert chez les *Duveyrier. (Zola, E. Pot-bouille, 1882,
p.78)
Phrase (82) est d’après les locuteurs natifs du français une phrase existentielle : non seulement
les référents sont introduits pour la première fois dans le discours, mais en plus, l’insertion de
l’article défini n’est pas correct selon eux:
(82a)
Il y avait une exposition et un concours de fleurs comme cela se fait en ce moment dans
tout Londres …
(82b) * Il y avait l’exposition et le concours de fleurs comme cela se fait en ce moment dans
tout Londres…
39
Il en est de même pour la phrase (83). D’après les locuteurs natifs du français, la phrase
n’accepte que la lecture existentielle : non seulement les référents sont introduits pour la
première fois dans le discours, mais en plus, l’insertion de l’article défini n’est pas correcte selon
eux:
(83a) Ce soir-là, il y avait une réception et un concert chez les *Duveyrier. (Zola, E. Potbouille, 1882, p.78)
(84)
* Ce soir-là, il y avait la réception et le concert chez les *Duveyrier. (Zola, E. Potbouille, 1882, p.78)
L’hypothèse de Roodenburg – selon laquelle le français ne possède pas de N et N singuliers
comptables à lecture existentielle – n’est donc pas correcte, comme le montrent les exemples cidessus.
Passons maintenant aux N et N existentiels contentant deux noms comptables pluriels ou deux
noms de masse.
ii. Lecture existentielle pluriel (noms comptables) : 3,68%
Selon les prévisions, la lecture existentielle est disponible pour les N et N contenant deux noms
pluriels:
(85)
Une première sentence de l’officialité ou tribunal de l’archevêché, devant lequel il y eut
débats et plaidoiries contradictoires, les débouta encore une fois de leur opposition et des
fins de non-recevoir (…) (Sainte-Beuve, Ch. Port-Royal T.5, 1859)
(86)
… Yi-king ne perdent rien de leur valeur si nous reportons les figures ci-dessus dessinées
du plan vertical au plan horizontal. Même sur ce plan il y a haut, il y a bas, il y a côtés et
directions à quoi pourvoient les quatre points cardinaux (Claudel, P. Commentaires et
exégèses. 4 : Le Cantique des cantiques, 1948, p.97)
40
Roodenbrug a raison en ce qui concerne les N et N pluriels comptables à lecture existentielle : ils
semblent être productifs en français.
iii. Lecture existentielle (noms de masse) : 11,66%
Selon Roodenburg, la lecture existentielle est également disponible pour les N et N contenant
deux noms de masse :
(87)
La première chose venue : qu’en pareil temps, il y eut deuil et joie au *Cayla, mort et
baptême, mort du grand' père, naissance du petit-fils. (Guérin, E de. Journal, 1840,
p.152)
(88)
Lorsque sur un fait physique, intellectuel ou social, nos idées, par suite des observations
que nous avons faites, changent du tout au tout, j’appelle ce mouvement de l’esprit
évolution. s’il y a seulement extension ou modification dans nos idées, c’est progrès.
ainsi le système de Ptolémée fut un progrès en astronomie, celui de Copernic fit
révolution. De même, en 1789, il y eut bataille et progrès ; de révolution, il n’y en eut
pas. (Proudhon, P-J. Qu’est-ce que la propriété, 1840)
Donc, Roodenbrug a également raison en ce qui concerne les N et N composés de deux noms de
masse à lecture existentielle ; ils semblent également productifs en français.
iv. Lecture générique singulier
Roodenburg n’a rien prédit en ce qui concerne les N et N génériques après la construction ‘il y
a’. Il constate seulement : « Toutefois pour déterminer si un groupe nominal peut être interprété
existentiellement, il ne suffit pas de tester s’il peut s’employer dans une phrase existentielle en
there. Ainsi les équivalent français de ce type de phrase en il y a ne sont pas réservés aux
expressions ouvertes à la lecture existentielle. » (Roodenburg 2004b, p.8) Roodenburg constate
que la phrase en ‘il y a’ peut également être suivi d’une lecture définie. Par contre, il ne dit rien
sur la lecture générique. J’ai tout de même trouvé des N et N singuliers à lecture générique. Soit
les exemples suivants:
41
(89)
Partout où il y a volonté, il y a initiative et action d’annuler le frein. (Bernard, C. Cahier
de notes (1850-1860), 1860, p.148)
(90)
Toutes les protestations armées, même les plus légitimes, même le 10 août, même le 14
juillet, débutent par le même trouble. Avant que le droit se dégage, il y a tumulte et
écume. (Hugo, V. Les Misérables, 1862, p.275-276)
Ce qui frappe en plus, est la fréquence relative des N et N singuliers génériques, à savoir 33,13%
du total. Ils semblent alors être très productifs, bien que personne ne les ait mentionnés dans la
littérature jusqu’à présent.
v. Lecture générique pluriel
Les N et N pluriels à lecture générique, en revanche, ne semblent pas exister en français (en tout
cas, je ne les ai pas trouvés, bien que notre corpus de travail soit suffisamment étendu).
vi. Lecture existentielle-générique
Une lecture spéciale est celle que nous allons appeler ici ‘lecture existentielle-générique’. Notion
qui recouvre les phrases qui sont en suspens entre une lecture existentielle et générique. Cela est
illustré par l’exemple suivant :
(100) … le trait substitué à l’alléluia, le te deum interdit aux matines, deux cierges tout juste
allumés ; les jours où il y avait diacre et sous-diacre, le diacre arborait son étole violette
en buffleterie, le sous-diacre la sienne, relevée, en tablier ; (Huysmans, J-K. L’oblat,
1903, p.41)
La coordination semble ouverte à la lecture existentielle, tenant compte du fait que les référents
sont introduits pour la première fois dans le discours et qu’ils peuvent être précédés d’un article
indéfini :
(100a) … trait substitué à l’alléluia, le te deum interdit aux matines, deux cierges tout juste
allumés ; les jours où il y avait un diacre et un sous-diacre, le diacre arborait son étole
42
violette en buffleterie, le sous-diacre la sienne, relevée, en tablier ; (Huysmans, J-K.
L’oblat, 1903).
En revanche, la lecture générique ne semble pas exclue non plus, le confirment les locuteurs
natifs du français :
(100b) … trait substitué à l’alléluia, le te deum interdit aux matines, deux cierges tout juste
allumés ; les jours où il y avait le diacre et le sous-diacre, le diacre arborait son étole
violette en buffleterie, le sous-diacre la sienne, relevée, en tablier ; (Huysmans, J-K.
L’oblat, 1903).
Dans ce cas, la phrase exprime une habitude (lecture habituelle), en discutant des rituels
qui ont lieu les jours où il y a le diacre et le sous-diacre.
Ce que nous constatons alors ici, est que les référents ont une interprétation existentielle, mais
qu’ils sont enchâssés dans un contexte générique.
vii. Lecture définie
Une autre construction remarquable – également imprévue - est la construction suivante :
(101) -mais bon dieu, quoi, je n’ai pas les pieds plats !
-ne s’agit pas. C’est seulement pour vous dire qu’il y a pied et pied. (Ayme, M. La
jument verte, 1933)
De telles répétitions semblent être très productives en français, étant donné que 62 sur 163
(38,04%) coordinations étaient de ce type (sans compter d’une part les répétitions qui ne se
composent pas de deux mots identiques, mais qui appartiennent effectivement au même cadre
conceptuel (102), et sans compter de l’autre part la locution proverbiale (103)) :
(102) -" qu’est-ce que la sodomie ? " demanda Mme De Genneton.
-" page 222, " lut Sarkis :
-" ce péché est contre l’ordre de nature, parce qu’il se commet contre l’ordre du sexe :
43
péché qui est plus grief que d’avoir affaire avec sa sœur, voire avec sa propre mère ; or il
y a sodomie et acte sodomitique, qui sont deux, voyez la marge en latin. " (Peladan, J. Le
vice suprême, 1884)
(103) Sous le rapport des misères et de l'originalité, il y a employés et employés, comme il y a
fagots et fagots. (Balzac, H. De, Les employés, 1844)
Nous avons étiqueté les constructions telles que ‘il y a pied et pied’ (101) comme définies, parce
que les référents ont déjà été introduits dans le discours précédent, soit explicitement, soit
implicitement (bridging). Cependant, comme nous l’avons déjà constaté dans le tableau (annexe
2), cette construction diffère d’une lecture définie ‘normale’ dans le sens où il est plus correct
d’insérer un article indéfini qu’un article défini. Ce faisant, il ne peut pas s’agir d’une vraie
lecture définie non plus. En plus, ces constructions spéciales sont d’une sémantique plus riche en
comparaison des lectures définies ‘normales’ : non seulement reprennent-elles les référents
introduits dans le discours, mais, par-dessus le marché, elles nuancent ou renforcent ces
référents. Cela est illustré par les exemples suivants :
(104) Et tu n'es pas volé, répondit Asie. On a vendu des femmes plus cher que tu ne payeras
celle-là, relativement. Il y a femme et femme ! (Renforcement)
(105) " Vos grâces pensent sans doute que la merluche est un régal vulgaire, et en cela elles
n’ont pas tort ; mais il y a merluche et merluche. (Nuance)
Il existe un argument supplémentaire en faveur de la lecture définie : les référents se renvoient à
deux concepts distincts (des femmes ‘normales’ et des femmes ‘spéciales’), de sorte que nous ne
pouvons pas avoir à faire à une lecture générique dans le sens pur non plus. Nous somment donc
amenés à supposer qu’il s’agit d’une ‘lecture définie spéciale’ qui renforce ou nuance les
référents introduits dans le contexte précédent.
viii.
Les cas résiduels
Comme nous avons pu le voir dans le schéma ci-dessus, 15 résultats sur 163 (9,20%) se trouvent
dans la catégorie ‘les cas résiduels’. Cette catégorie contient premièrement les phrases dont
44
l’interprétation n’était pas claire : c'est-à-dire que parfois il n’y avait pas suffisamment de
contexte pour de déterminer l’interprétation de la phrase et d’autres fois la phrase était en
suspens entre différentes interprétations dû à un manque d’indices dans le contexte précédent.
Deuxièmement la catégorie des cas résiduels engendre les répétitions composées de deux mots
différents et la locution proverbiale ‘il y a fagots et fagots’ tels que décrits dans la section vii
(lecture définie).
4.5. Les N et N contenant deux noms d’un nombre différent
Dans cette section, nous étudierons une coordination spéciale que j’ai laissée de côté jusqu’à
maintenant, à savoir les N et N composés de deux noms d’un nombre différent. Cela est illustré
par les exemples suivants :
(106) - Ah ! disait Agustin, elles grandissent... Elles grandissent même beaucoup.
Et Javier, toujours rêveur, me regardait en souriant. Je comprenais aussitôt que les quatre
filles O'Shaughnessy étaient devenues très belles et qu'elles commençaient à l'emporter,
dans l'esprit des Romero, sur les problèmes d'arbres à cames et sur l'envie de ne rien faire.
Nous arrivions. Soubrettes [+Pl] et majordome [-Pl] se précipitaient à notre rencontre sur
le gravier bien ratissé dont les roues de la voiture détruisaient l'harmonie. (Ormesson, J
d’. Tous les homes sont fous, 1986, p.100)
(107) Ce matelot, c’est *Arrote qui parle, il trouve une bonne jeune fille, fileuse, dentellière,
pauvre métier, qui d' ailleurs cesse dès qu’il y a ménage [-Pl] et enfants [+Pl]. (Michelet,
J. Journal 1828-48 T.1, 1848, p.161)
J’ai laissé ces types de N et N de côté et je les ai catégorisés parmi les autres pour ne pas avoir
une image faussée des lectures possibles. Ces N et N s’avèrent également ouverts aux trois
lectures discutées, de sorte qu’ils ne diffèrent pas de N et N contenant deux noms d’un nombre
identique sur ce point.
Quant à ces constructions, deux observations sont importantes : la position des N et N contentant
deux noms d’un nombre différent et la composition de ce type de N et N. A propos du premier
45
point, nous constatons que les N et N contenant deux noms d’un nombre différent sont aussi bien
productifs en position d’argument qu’après la phrase en ‘il y a’. A propos du deuxième point,
nous constatons que ces types de N et N peuvent être composés de deux noms comptables (108)
et (109), ainsi que de deux noms de masse (110). Toutefois, ils peuvent également être composés
d’un nom comptable et d’un nom de masse (111). Cela est illustré par les exemples suivants :
(108)
Il appela le garçon, paya, reprit livres et encrier et descendit le boulevard en
courant. (Sabatier, R. Les fillettes chantantes, 1980, p.65)
(109)
Soubrettes et majordome se précipitaient à notre rencontre sur le gravier bien
ratissé dont les roues de la voiture détruisaient l'harmonie. (Ormesson, J d’. Tous
les hommes sont fous, 1986, p.100)
(110)
Il y a danger et passions partout. (Alain, Propos, 1936, p.618)
(111)
Ce matelot, c’est *Arrote qui parle, il trouve une bonne jeune fille, fileuse,
dentellière, pauvre métier, qui d' ailleurs cesse dès qu’il y a ménage
et enfants. (Michelet, J. Journal 1828-48 T.1, 1848, p.161)
Ces types de N et N pourront constituer un objet d’étude dans le futur, parce qu’ils n’ont pas
encore été étudiés dans la littérature jusqu’à présent, même s’ils sont très productifs en français.
46
5. Synthèse
Dans le débat sur les noms nus, le français s’est longtemps trouvé écarté. La première personne
qui a essayé d’intégrer le français au sein de ce débat, est Roodenburg. Il a réfuté l’analyse de
Heycock et Zamparelli (2003) selon laquelle le français serait une langue sans noms nus. D’après
Roodenburg, le français dispose de noms nus sous la forme des N et N. Toutefois, tous les N et N
n’appartiennent pas à la catégorie NN, même si les constructions se ressemblent
morphologiquement. Seulement les N et N à lecture existentielle sont de vrais noms nus.
Roodenburg prédit l’existence des N et N à lecture existentielle pour les N et N contenant deux
noms comptables pluriels et pour les N et N contenant deux noms de masse. Par contre, il ne
prédit pas l’existence des N et N à lecture existentielle pour les N et N composés de deux noms
comptables singuliers. Dans ce travail de fin d’études, nous avons étudié un corpus étendu des N
et N afin de contrôler les prédictions faites par Roodenburg.
A la suite de cette étude, nous devons conclure que Roodenburg n’a pas raison en ce qui
concerne les N et N singuliers comptables à lecture existentielle. J’ai trouvé des exemples clairs
des N et N existentiels contenant deux noms comptables singuliers. Cela est illustré par les
exemples suivants :
(112)
Il y a deux jours, miss *N. Portait à son école des pots de fleurs variées. Il y avait
exposition et concours de fleurs comme cela se fait en ce moment dans tout
*Londres, pour les écoles, les usines et les clubs. (Alain-Fournier, H.
Correspondance avec J.Rivière, 1914, p.24)
(113)
Il se souvint tout à coup, avec une vraie joie, que ce soir-là il y avait poule et
concours pour une queue d’honneur au billard *Charpentier. (Stendhal, Lucien
Leuwen T.2, 1835, p.54)
(114)
Ce jour-là, qui était toujours pour les deux bessons une grande et belle fête, parce
47
qu' il y avait danse et jeux de toutes sortes sous les grands noyers de la
paroisse, amena pour eux de nouvelles peines auxquelles ils ne s' attendaient mie.
(Sand, G. La petite fadette, 1849, p.103)
(115)
Ce soir-là, il y avait réception et concert chez les *Duveyrier. (Zola, E. Potbouille, 1882, p.78)
Toutefois il est important de remarquer que les N et N singuliers comptables à lecture
existentielle ne se manifestent qu’après la construction existentielle ‘il y a’. Donc, je n’ai pas
trouvé des N et N singuliers comptables à lecture existentielle en position d’argument. En plus,
ils ne semblent pas très productifs : seulement 4 sur 163 (2,45%) résultats étaient de ce type.
Néanmoins, l’hypothèse de Roodenburg (2005) - selon laquelle le français ne possède pas de N
et N singuliers comptables à lecture existentielle – n’est pas correcte et doit être revue.
Nous avons prouvé l’existence des N et N singuliers comptables à lecture existentielle, qu’en estil des N et N existentiels contentant deux noms comptables pluriels ou deux noms de masse ?
Roodenburg (2004b) prédit l’existence des N et N existentiels composés de deux noms
comptables pluriels et de deux noms de masse. J’ai trouvé des exemples clairs qui confirment
cette prédiction. De ce fait, la validité de l’hypothèse de Roodenburg (2004b) - selon laquelle il
suppose l’existence des N et N à lecture existentielle en français - perdure jusqu’ici. Non
seulement elle perdure, mais elle s’en trouve renforcée par la découverte de davantage
d’exemples valides des N et N existentiels en français. Il est bien vrai qu’il avait déjà apporté
quelques exemples, mais ces exemples ne contenaient pas de marque explicite d’existentialité.
Moi, en revanche, j’ai bel et bien trouvé des N et N existentiels qui sont pourvus d’une telle
marque explicite. Cela est rappelé par l’exemple suivant :
(116) Un beau matin, au terme d'une de ces nuits de sabbat qui les faisaient se réfugier,
terrorisés, dans les combles du château où étaient situées leurs chambres et où les bruits
ne parvenaient qu'assourdis, valets et caméristes retrouvèrent le corps de Brenton
O'Shaughnessy percé de coups de poignard et baignant dans son sang. (Ormesson, J.D.
Le vent du soir, 1985)
48
Le passé simple est, par exemple, un argument en faveur de la lecture existentielle ici.
Cela nous mène à la conclusion que le français ne possède pas uniquement des NN pluriels sous
la forme des N et N existentiels composés de deux noms comptables pluriels ou de deux noms de
masse. Le français possède également des NN singuliers sous la forme des N et N existentiels
composés de deux noms comptables singuliers. Même s’il s’agit de cas marginaux, l’hypothèse
de Roodenburg (2005) - selon laquelle le français ne possède pas de N et N singuliers
comptables à lecture existentielle – n’est pas correcte et doit être revue.
49
Bibliographie :
Beyssade, Claire (2006). Incorporation (sémantique). Sémanticlopédie: dictionnaire de
sémantique, trouvé sur [http://www.semantiquegdr.net/dico/index.php/Incorporation_%28s%C3%A9mantique%29], consulté le 9 décembre
2009.
Bogaards, P. et e.a. (1998). Van Dale: Groot Woordenboek Frans-Nederlands, Utrecht, Van Dale
Lexicografie, 3e druk.
Bonami, Olivier (2007). Argument (deux notions d’argument). Sémanticlopédie: Dictionnaire de
sémantique, trouvé sur [http://www.semantique-gdr.net/dico/index.php/Argument], consulté le 9
décembre 2009.
Heycock, Caroline & Roberto Zamparelli (2003). Coordinated Bare Definites. Linguistic Inquiry,
volume 34: 3, pp. 443-469.
Roodenburg, Jasper (2004a). French Bare Arguments Are Not Extinct: The Case of Coordinated
Bare Nouns. Linguistic Inquiry, volume 35:2, pp. 301-313.
Roodenburg, Jasper (2004b). Pour une approche scalaire de la déficience nominale: la position
du français dans une théorie des « noms nus ». LOT Dissertation Séries 99, Utrecht, pp. 335-369.
Roodenburg, Jasper (2005). Une coordination particulière: les syntagmes N Conj N en français,
ms. Université de Stuttgart.
Swart, Henriëtte de & Joost Zwarts (2009). Less form – more meaning: Why bare singular nouns
are special. Lingua 119: 280-295.
Zwarts, Joost (2009). Bare singular nominals in Dutch: A descriptive overview, ms. Utrecht
Institute of Linguistics OTS.
50
Annexe 1 : Les N et N en position d’argument
Les N et N pluriels :
Lecture existentielle
Exemples
1
2
Argumentation
- Où étais-tu, mauvaise enfant ? Pourquoi es-tu
sortie sous le ciel qui brûle ? Comment es-tu sortie ?
Pour quoi ? Avec qui ?
Et sans reprendre souffle, Zinah enfile reproches et
menaces :
- Une demoiselle ne court pas toute seule les
routes ! (Grece, M de, La nuit du sérial, 1982, p.20)
1) Les référents sont introduits pour la pre
Puis nous fûmes abandonnés à l'extérieur du Palais,
livrés à la curiosité et à la frénésie de la foule, hommes
et femmes qui s'approchaient de nous, gesticulant et
vociférant, qui nous touchaient, nous palpaient,
échangeaient commentaires et appréciations, se disputaient ;
1) Les référents sont introduits pour la pre
2) L’insertion de l’article indéfini ‘des’ est p
défini ‘les’ dans ce contexte.
2) L’insertion de ‘des’ plus naturelle que l’
s’agit pas de ‘commentaires et appréciatio
(Grece, M de, La nuit du sérial, 1982, p.82)
3
- Ah ! disait Agustin, elles grandissent... Elles
grandissent même beaucoup.
Et Javier, toujours rêveur, me regardait en
souriant. Je comprenais aussitôt que les quatre
filles O'Shaughnessy étaient devenues très belles
et qu'elles commençaient à l'emporter, dans l'esprit
des Romero, sur les problèmes d'arbres à
cames et sur l'envie de ne rien faire. Nous arrivions.
Soubrettes et majordome se précipitaient à
notre rencontre sur le gravier bien ratissé dont les
roues de la voiture détruisaient l'harmonie. (Ormesson, J d’. Tous les
hommes sont fous, 1986, p.100)
1) Les référents sont introduits pour la pre
2) L’insertion de l’article indéfini plus natu
ce contexte:
- Des soubrettes et un majordome se préc
- ??? Les soubrettes et le majordome se pr
(L’exemple ressemble à celui de Roodenbu
famille en loden et chapeaux texans se po
sans aucun agressivité. » (Roodenburg 200
51
4
5
Un beau matin, au
terme d'une de ces nuits de sabbat qui les faisaient
se réfugier, terrorisés, dans les combles du château
où étaient situées leurs chambres et où les bruits
ne parvenaient qu'assourdis, valets et caméristes
retrouvèrent le corps de Brenton O'Shaughnessy
percé de coups de poignard et baignant dans son
sang. (Ormesson, J d’. Le vent du soir, 1985, p.134)
1) Les référents sont introduits pour la pre
Ernest qui habitait à
l'angle des deux rues rivales, pensa à Saint-Paul et à
d'autres garçons de la rue Lambert avec laquelle une
alliance s'imposait. Il faudrait trouver armes et
boucliers, nommer un chef, peut-être lui, peut-être
Capdeverre le plus costaud. (Sabatier, R. David et Olivier, 1985, p.43).
1) Les référents sont introduits pour la pre
2) Jusqu’à ‘valets et caméristes’, la lecture
simple (retrouvèrent) bloque la généricité
lecture existentielle.
2) L’insertion de l’article indéfini ‘des’ est p
défini ‘les’ dans ce contexte.
6
Dans les barrières, c'était pire : quand on ne
passait pas des filles évanouies à la chaîne, c'était un
orang-outan de videur qui, en pleine crise d'amok,,
chargeait tout ce qui pouvait ressembler à un Nikon.
Rois de la débrouille, les moustachus perdaient trois
kilos par jour. Et parfois des dents, ou leurs lunettes.
Ou les deux. Pour se venger, les photographes s'organisaient
comme des bêtes. Ils louaient des voitures,
empilaient thermos et canettes dans des glacières,
mon objectif dans cette poche-là, et une cartouche de
Rothmans dans la boîte à gants. (Manœuvre,P. L’enfant du rock, 1985,
p.129)
1) Les référents sont introduits pour
2) L’insertion de l’article indéfini ‘de
l’article défini ‘les’ dans ce context
- Ils louaient des voitures, empilaien
glacières, mon objectif dans cette
Rothmans dans la boîte à gants.
??? Ils louaient des voitures, emp
glacières, mon objectif dans cette
dans la boîte à gants.
3) Indice supplémentaire : l’article in
savoir des voitures et des glacière
7
Guillaume %IX fut un des hommes les plus courtois du
monde, et un des plus grands tricheurs de dames. C'était
en armes un très bon chevalier, et aussi un grand
séducteur. Et il sut bien trouver et chanter. Il voyagea
longtemps par le monde afin de tromper les dames... »
“Cercamon fut un jongleur de Gascogne. Il composa
vers et pastourelles à la manière ancienne. Il rôda à
travers le monde, partout où il put aller. Et pour cela, il se
fit appeler "« Cherche-Monde" »... (Sollers, Ph. Le cœur absolu, 1987,
1) Les référents sont introduits pour
2) L’insertion de l’article indéfini ‘de
l’article défini ‘les’ dans ce context
3) Indice supplémentaire : la présenc
simple bloque une lecture génériq
lecture existentielle.
52
p.177)
8
J'immigrai, me mariai, perdis illusions
et cheveux par poignées et me sentis bientôt si vieux, si
moche, si poussiéreux, que j'imaginais fort bien l'enfant
que, paraît-il, je fus, s'en venant tracer de son index
rose dans la crasse de ma lunette arrière ou sur mon
capot des mots qui diraient : «Lave-moi» ou «Sale
con» ou «Vieux cochon dégueu».... (Benoziglio, J-L. Cabinet Portrait,
1980, p.97)
9
Chez nous, ma mère
remplaçait le chef aux cuisines et confectionnait une
bouillabaisse avec les poissons de roche que nous
pêchions à l'aube. Vins et fromages français nous
arrivaient par avion de chez Fauchon, sur commande
du P..C..F. (Thorez, P. Les enfants modèles, 1982, p.202)
1) Les référents sont introduits pour
2) Indice supplémentaire : la présenc
simple bloque une lecture génériq
lecture existentielle.
Lecture existentielle/ définie?
Arguments en faveur de la lecture existen
1) Insertion de ‘des’ plus naturel que
2) Les référents ne sont pas encore in
L’argument en faveur de la lecture définie
1) Nous pourrions également avoir à faire
à cause de la présence des mots du domai
Lecture définie
Exemples
1
2
Il déambula dans l'appartement,
jouant à remettre en place objets et bibelots
alors qu'il
ne faisait que déranger leur ordonnance.
(Sabatier, R. Les fillettes chantantes, 1980,
p.94)
- Comment savoir ?
- Ah ! pas avant trois jours !
- Dans trois jours, je ne serai plus là.
- Ah ! » dit Cristina Isabel.
Il fallut bien échanger noms et adresses pour
pouvoir prévenir, en cas de succès, l'heureux
gagnant de la tombola. (Ormesson, J d’. Le
Argumentation
Défini (bridging)
1) ‘Objets et bibelots’ fonctionnent comme
des anaphores associatives
d’appartement. Il s’agit alors d’une
lecture défini par bridging.
2) L’insertion de l’article défini ‘les’ plus
naturelle que l’insertion de l’article
indéfini ‘des’ dans ce contexte.
Défini (bridging):
L’insertion de ‘les’ au lieu de ‘des’, étant donné
qu’il ne s’agit pas de n’importe quel nom, mais
des noms et des adresses des personnages
introduits dans le discours précédent.
53
vent du soir, 1985, p.152)
3
4
5
» Il appela le garçon, paya,
reprit livres et encrier et descendit le
boulevard en
courant. (Sabatier, R. Les fillettes chantantes,
1980, p.65)
Une enveloppe épaisse dans la boîte aux
lettres. J'avais
raison. J'ouvre la porte et trouve une autre
lettre des
mots épars des fleurs... Il fait un soleil de belle
arrière-saison. Je lis lettres et mots. Dans ce
souk ce
mélange de reproches et de déclarations
d'amour
éternel j'ai du mal à trouver le créneau.
(Hanska, E J’arrête pas de t’aimer, 1981, p. 85)
Soudain on entendit, très proche, un
formidable
rugissement qui fit sursauter l'assemblée
assoupie,
et les vizirs s'entre-regardèrent avec
effarement.
Là-dessus, poussé par Ali Effendi, le lion
Karayoz fit
son apparition dans la salle du Divan et ce fut
alors
une panique indescriptible parmi les notables
de
Défini :
1) ‘Livres et encrier’ ont déjà été introduits
dans le contexte précédent ;
2) La forme verbale de ‘reprendre’, reprit,
est une indice claire que les référents ont
déjà été introduits.
Défini:
‘Lettres et mots’ ont déjà été introduits dans le
contexte précédent.
Selon Heycock et Zamparelli (2003), il s’agit d’une
lecture définie dans le cas présent, étant donné
que ministres et scribes font partie des ‘notables
de l’Empire’ introduit avant. Roodenburg, en
revanche, n’est pas d’accord avec cette
dénotation de Heycock et Zamparelli. Selon
Roodenburg (2004a), il s’agit plutôt d’une lecture
indéfinie forte (‘partitive or strong reading’)
l'Empire. Ministres et scribes se ruèrent vers
les
issues, se jetèrent par les fenêtres,
s'écrasèrent sur les
sofas. (Grece, M de, La nuit du sérial, 1982,
p.168)
6
Puis on nous enseignait des
certitudes qui gravaient dans nos esprits des
mouvements
Selon Heycock et Zamparelli, il s’agit d’une
lecture définie ici, étant donné qu’instituteurs et
élèves font partie de l’établissement introduit
54
7
identiques. Pédagogie très fine pour ceux qui,
comme moi, seraient trop tôt en
apprentissage, à
l' usine avant dix ans, au cimetière avant vingt.
Sans
avoir jamais compris ce que nous pouvions
bien
apprendre mains sur la tête, sur les épaules,
bras tendus,
fixe!
Le directeur de l’établissement, Popeye - petit,
sec, teigneux -, dirigeait personnellement la
manœuvre,
terrorisant instituteurs et élèves par des crises
d' autorité qui lui enflammaient le visage et le
secouaient de tremblements. (Mordillat, G.
Vive la Sociale!, 1981, p.51)
dans le discours précédent. Comme nous l’avons
vu ci-dessus, Roodenburg (2004a) suppose qu’il
s’agit d’une lecture indéfinie forte (‘partitive or
strong reading’).
Dès que Babette m'a téléphoné en me disant
ma
vieille ça y est on a deux tickeçons qui nous
attendent à
Les référents papiers et frusques ont une lecture
définie due à la présence des noms ‘fringues’
(synonyme de frusques) et papelard (synonyme
de papiers).
Tourisme et Travail j'ai rangé ma turne qui
ressemblait
de plus en plus à un mille-feuilles la loggia
semblait crouler sous le poids des fringuesi
accumulées
la table sous un mètre cube de papelardsj et le
coin
bouffe sous une tonne de vaisselle. Moi qui
pouvais
qu'avaler anti-flip anti-chagrin d'amour antiflingage
et Dodoplanant voilà que je lavais les assiettes
rangeais papiersj et frusquesi refaisais mon lit
soignais
mes cheveux ressortais mes robes d'été.
(Hanska, E. J'arrête pas de t'aimer, 1981, p. 81)
8
Il entra. Et ne comprit pas. La pièce était sens
dessus
1) Les référents ‘table et chaises’
fonctionnent comme des anaphores
associatives de ‘la pièce’. Il s’agit alors
55
dessous, table et chaises renversées, objets
divers répartis
çà et là. Il posa machinalement ses paquets sur
le fauteuil
qu'il redressa du bout du pied. (Page, A. Tchao
pantin, 1982, p. 179)
d’une lecture défini par bridging.
2) L’insertion de l’article défini ‘les’ plus
naturelle que l’insertion de l’article
indéfini ‘des’ dans ce contexte.
9
Le vent va peut-être arracher les
toits des maisons sordides, défoncer portes et
fenêtres,
abattre les murs pourris, renverser en tas de
ferraille toutes
les voitures ? (Le Clézio, J.M.G. Désert, 1980,
p.314)
1) ‘Portes et fenêtres’ fonctionnent comme
des anaphores associatives de ce qui est
dit avant (l’image d’une maison est
créée). Il s’agit alors d’une lecture définie
par bridging.
2) L’insertion de l’article défini ‘les’ plus
naturelle que l’insertion de l’article
indéfini ‘des’ dans ce contexte.
3) Un indice supplémentaire est la présence
de l’article défini dans la même phrase, à
savoir : Le vent va peut-être arracher les
toits des maisons sordides, défoncer
portes et fenêtres,
abattre les murs pourris, renverser en tas
de ferraille toutes
les voitures ?
10
Mais les rideaux en tulle de Hong Kong me
gênaient. J'ai, eurêka, grimpé sur une chaise,
enlevé les
tringles, et tout foutu par terre, tringles et
rideaux. (Benoziglio, J-L. Cabinet Portrait,
1980, p.20)
1) Les référents, tringles et rideaux, ont déjà
été introduits dans le discours précédent.
2) L’insertion de l’article défini ‘les’ plus
naturelle que l’insertion de l’article
indéfini ‘des’ dans ce contexte.
11
Quant au banquet de noces, on y mangerait
des artichauts et des pommes de terre, des
oies et
du cochon, le tout arrosé également de cidre
et de
poiré. La question du pain qui se trouverait
sur la
table n'était pas aussi facile à résoudre. Les
parents pensèrent d'abord y distribuer à part
égale biscuits et brioches. (Tournier, M. Le
1) Les référents ‘biscuits et brioches’ ont
une lecture définie due à la présence du
nom ‘banquet’ : notre connaissance du
monde associe la notion de banquet à la
présence des aliments.
2) L’insertion de l’article défini ‘les’ plus
naturelle que l’insertion de l’article
indéfini ‘des’ dans ce contexte.
56
Médianoche amoureux, 1989, p. 279)
12
Une fine rosée blanche s’étalait sur les pierres
et sur les herbes. Malgré la promesse de
chaleur la
campagne n’osait pas encore babiller. La
beauté du
matin, parmi les cultures désertes, était totale,
car les
paysans n' avaient pas ouvert leur porte, à
large serrure
et à grosse clé, pour éveiller seaux et outils. La
basse-cour
réclamait. Char, R. Recherche de la base et du
sommet, 1981, p. 686)
1) D’après les locuteurs natifs du français,
les référents ‘seaux et outils’ ont une
lecture définie due à la présence du nom
‘paysans’ et ‘porte à large serrure’ (les
locuteurs natifs pensent à une grange). Il
s’agit donc d’une lecture définie par
bridging : notre connaissance du monde
associe la notion de paysan à la présence
des seaux et outils.
Lecture générique
Exemples
Argumentation
1
Dans les pays, au contraire, où persécutions
et massacres sont la règle, on peut tendre à
passer sous silence les formes bénignes.
(Benoziglio, J-L. Cabinet Portrait, 1980, p.238)
1) La phrase exprime une généralisation ;
2) L’insertion de l’article défini ‘les’ plus
correcte que l’insertion de l’article indéfini
‘des ‘.
2
« Tu t'embrouilles, dit Humphrey. Ne saute
pas le
plus beau. Garçons et filles sont bétail de
même espèce. (Yourcenar, M. Une belle
matinée, 1982, p. 1051)
1) La phrase exprime une généralisation ;
2) La nature du prédicat : la présence d’un
prédicat d’espèce qui attribue une
propriété inhérente aux garçons et filles (à
savoir, garçons et filles sont bétail de
même espèce).
3
Me rendais-je compte,
admettais-je qu'un peu de vin mousseux
suffisait à
bouleverser désirs et repentirs, et à atténuer
l'absence
de l'inconnue ? (Bianciotti, H. Sans la
1) La phrase introduit une généralisation ;
2) L’insertion de l’article défini ‘les’ plus
correcte que l’insertion de l’article indéfini
‘des ‘.
57
miséricorde du christ, 1985, p.180)
4
Toute la gaieté venait du tonton Victor que les
jeunes
adoraient. Il ne savait qu'inventer pour leur
plaire, les
distraire. Dès qu'il cessait de battre le fer ou
de ferrer
chevaux et vaches, il partait avec eux pour
rejoindre
des copains devant chez le coiffeur Chadès ou
dans des
cafés de village. à peine plus âgé que ses
neveux, il
aimait jouer à l'oncle. (Sabatier, R. Les fillettes
chantantes, 1980, p.264)
1) La phrase exprime une généralisation du
tonton Victor, de sorte qu’une lecture
générique (habituelle) est obtenue.
2) La présence de l’imparfait renforce cette
lecture générique.
5
Moins d'un siècle plus tard, son innombrable
descendance
a essaimé sur toute l'île. Grands propriétaires
terriens, ils contrôlent l'économie et le
pouvoir :
ce sont les Dubuc de Bellefonds, les Dubuc de
SaintePreuve, les Dubuc Beaudoin, toutes familles
alliées
qui sans cesse se réunissent, s'invitent,
organisent
réceptions et fêtes chaque fois qu'un
événement d'importance
- mariage, naissance, obsèques - leur en
fournit le prétexte. (Grèce, M de. La nuit du
sérail, 1982, p.25)
1) La phrase introduit une généralisation de
toutes familles alliées ;
2) Indice supplémentaire: la présence de
‘sans cesse’ est un indice qu’il s’agit d’une
lecture générique.
6
L’art ne peut-il avoir recours,
pour s' infléchir, à la salive de l' arbre fruitier ?
L’art qui
rêve dans les vergers où fleurs et fruits ont
raison
1) La phrase exprime une généralité
mondiale ;
2) L’insertion de l’article défini plus correcte
que l’insertion de l’article indéfini.
58
ensemble ? (Char, R. Recherche base et
sommet, 1981, p.687)
7
Chaleur du feu, chaleur humaine : l'âtre a
rassemblé longtemps
adultes et enfants autour de l'unique source
de chaleur
pour la veillée, dans la maison froide. Activités
et repos
avaient lieu dans la même pièce. La technique
a mis fin à la
promiscuité familiale. Mais elle a chassé en
même temps la
convivialité. (Dolto, F. La cause des enfants,
1985)
1) La phrase exprime une généralisation,
aussi bien en ce qui concerne les ‘adultes
et enfants’ qu’en ce qui concerne les
‘activités et repos’ ;
2) L’insertion de l’article défini ‘les’ plus
correcte que l’insertion de l’article indéfini
‘des ‘.
8
De son côté sans doute il gambergeait pour
me situer.
1) Les référents ‘amis ou ennemis’ renvoient
aux amis ou ennemis en générale et non
pas aux amis ou ennemis spécifiques.
S'il avait l'oeil et le bon pour détecter autour
de lui amis ou ennemis... les possibles
perturbateurs de sa quiétude relative !
(Boudard, A. Les enfants du chœur, 1982)
Les N et N singuliers :
Lecture existentielle : Noms comptables singuliers
Exemples
Argumentation
1
???
???
59
Lecture existentielle : Noms de masse3
Exemples
1
Respire court, notre vieux, mais se traîne sans
moufter.
Pourtant, ça doit le chatouiller, cézigue. Il
ravale morve et
bave avec une espèce de sifflement
dégueulasse, glougloutant
jusqu'à la limite de ses éponges. (Degaudenzi,
J-L. Zone, 1987, p.82)
2
Berçant son fils nouveau-né, le regard
perdu sur la tempête, le paternel se souvint
brusquement
qu’il avait, le matin même, laissé Jojo le serin
sur la fenêtre de la cuisine. Il se revoyait avec
effroi
accrochant la cage au piton, disposant un
torchon
pour assurer ombre et confort au volatile.
(Mordillat, G. Vive la Sociale!, 1981, p.26)
Argumentation
1) Les référents n’ont pas encore été
introduits dans le discours précédent ;
2) ‘Ravale morve et bave’ n’introduit pas une
généralisation.
3) Morve et bave ne réfère pas à toutes les
morves et baves en entier, mais à la morve
et bave de ‘notre vieux’.
??? Lecture existentielle ou générique
Arguments en faveur de l’interprétation
existentielle:
1) Les référents n’ont pas encore été
introduits dans le discours précédent
2) L’insertion de l’article indéfini (‘de l’ombre
est du confort’) plus naturelle que
l’insertion de l’article défini (‘l’ombre et
confort’).
3) Il ne s’agit pas de ‘ombre et confort’ en
tant que concept mondiale ; il s’agit
d’ombre et de confort assurés pour le
volatile en particulier.
Arguments en faveur de l’interprétation
générique:
1) Etant donné qu’il s’agit de deux noms de
masse, la lecture générique s’impose
rapidement.
3
J’ai compté les N et N composés de deux noms de masse parmi les N et N singuliers à l’instar de Roodenburg
(2005).
60
Lecture définie
Exemples
Argumentation
1
«Dépêche-toi s'il te plaît !»
Il prit les vêtements et s'abrita derrière le
fauteuil, fuyant
ce regard qui faisait battre son coeur. Il ôta sa
robe, enfila
culotte et chemise à l'envers, boutons sur le
dos comme il en
avait l'habitude, et Nicole se fâcha : «T'as
vraiment un
grain, ma mère a raison. ça s'attache pardevant, tout ce
bazar. Allez viens ici … ». Queffélec, Y. Les
noces barbares, 1985, p. 45)
1) Lecture définie par bridging, parce que
‘culotte et chemise’, fonctionnent comme
des anaphores associatives des vêtements.
2) L’insertion de l’article défini correcte :
- Il ôta sa robe, enfila la culotte et la
chemise à l'envers…
??? Il ôta sa robe, enfila, une culotte et
une chemise à l’envers.
3) Dans la même phrase ‘sa robe’, ce qui est
un indice qu’il s’agit d’une lecture définie.
2
, pensant encore Ou peutêtre qu'il le conserve comme l'irrécusable
témoignage de
son honneur sauvegardé (la rue - ou plutôt le
tapis de
verre - s'élargit : ils traversèrent une place
pavée où
miroitaient seulement çà et là quelques éclats,
puis les
façades se rapprochèrent de nouveau, rue et
place également
désertes sous le brûlant soleil. (Simon, C.
L’acacia, 1989, p.291)
3
Nous voilà à la cuisine. Sur la table sont posés
la bouteille
de rouge (capsule en plastique et pas
1) Les référents ont déjà été introduits dans
le contexte précédent ;
2) Insertion de l’article défini, au lieu de
l’article indéfini :
- (la rue - ou plutôt le tapis de
verre - s'élargit : ils traversèrent une place
pavée où
miroitaient seulement çà et là quelques
éclats, puis les
façades se rapprochèrent de nouveau, la
rue et la place également désertes sous le
brûlant soleil.
- * (la rue - ou plutôt le tapis de
verre - s'élargit : ils traversèrent une place
pavée où
miroitaient seulement çà et là quelques
éclats, puis les
façades se rapprochèrent de nouveau, une
rue et une place également désertes sous
le brûlant soleil.
1) Les référents ont déjà été introduits dans
le contexte précédent ;
2) L’insertion de l’article défini au lieu de
61
d'étiquette)
et le verre que j'avais préparés. Il leur jette un
bref coup
d'œil, contourne la table, va ouvrir le placard
au-dessus
de l'évier et s'absorbe dans la contemplation
de casseroles
modérément propres. Profitant de ce qu'il me
tourne
le dos, je fais disparaître verre et bouteille
dans le gardemanger. (Benoziglio, J-L. Cabinet portrait,
1980, p. 12)
4
- Et toi, qu'est-ce que tu deviens ? demande
Stérile.
- Comme ça...
- Tu as retrouvé du boulot ?
- Des bricoles...
- ça veut dire quoi, des...
-
-
l’article indéfini :
Profitant de ce qu'il me tourne le dos, je
fais disparaître le verre et la bouteille dans
le garde-manger.
??? Profitant de ce qu'il me tourne
le dos, je fais disparaître un verre et une
bouteille dans le gardemanger.
1) Les référents ont déjà été introduits dans
le contexte précédent ;
2) Indice: ‘Retour du garçon’. Dans le
contexte précédent, quelqu’un à
commandé quelque chose (café et sirop).
Retour du garçon. Il pose café et sirop sur la
table.
(Benoziglio, J-L. Cabinet portrait, 1980, p. 215)
5
Tenant la bouteille renversée, il la secoue pour
faire
tomber les dernières gouttes dans son verre.
(…)
- Non ! Non... Je...
Mais, déjà, il a posé verres et bouteille sur le
sol et
soulevé le couvercle. ((Benoziglio, J-L. Cabinet
portrait, 1980, p. 265).
1) Les référents ont déjà été introduits dans
le contexte précédent ;
2) Insertion de l’article défini, au lieu de
l’article indéfini :
- il a posé les verres et la bouteille sur le sol
et
soulevé le couvercle.
??? il a posé des verres et une bouteille
sur le sol et
soulevé le couvercle.
Lecture générique
62
Exemples
Argumentation
1
Vérité et liberté ont sans
cuisson des rapports d’intolérance. (Char, R.
Sous ma casquette amarante, 1980, p.835)
1) La phrase exprime une généralisation ;
2) L’insertion de l’article défini au lieu de
l’article indéfini :
- La vérité et la liberté ont sans cuisson ...
- * Une vérité et une liberté ont sans
cuisson …
1) La phrase introduit une généralisation
des écrivains ;
2) Egalement chez l’écrivain, qui parle de
l’écriture (générique), alors indice dans le
contexte précédent (la présence de
l’article défini) qu’il s’agit d’une
interprétation générique..
2
… de la verdeur jaillissante des peintres, des
sculpteurs, des musiciens, de la plupart des
artistes de la
main, de l'œil et de l'ouïe lorsqu'ils sont
capables de parler
de leur art ; à côté d'eux, chez l'écrivain qui
parle de l'écriture,
tout est trop souvent outrance ou rétraction,
poudre
aux yeux, alibi. (Gracq, J. En lisant, en écrivant,
1980, p.7)
3
Bonheur et malheur s'exprimaient
ouvertement, avaient des goûts bien
particuliers au fond de nos gorges
expérimentées. (Bienne, G. Le silence de la
ferme, 1986, p.136)
1) La phrase exprime une généralisation ;
2) L’insertion de l’article défini au lieu de
l’article indéfini.
4
On voit qu'elle n'est pas différente de l'image
qui est le mode de la connaissance poétique,
qu'elle est la connaissance poétique. à ce
point, philosophie et poésie, c'est tout un. Le
concret est le dernier moment de la pensée, et
l'état de la pensée concrète est la poésie.
(Aragon, L. Œuvre poétique : tome 1 : livre 2
(1921-1925), 1982, p.594)
1) La phrase exprime une généralisation ;
2) L’insertion de l’article défini au lieu de
l’article indéfini.
5
L'allemand m'aurait ouvert l'accès à cette
pensée profonde qui me manque, le grec
m'aurait donné culture et vocabulaire dont
j'avais besoin pour ma vie courante et pour
l'écriture. (Ollivier, E. L’orphelin de mer, 1982,
p.157)
1) Il s’agit de deux noms de masse, de sorte
que la lecture générique s’impose
rapidement ;
2) L’insertion d’un article défini plus naturel
que l’insertion de l’article indéfini. (Indice
dans la phrase précédente : l’accès est
également introduit par un article défini.)
63
6
La femme est l'ombre de l'homme, et l'homme
veut vivre dans
cette ombre, car c'est de là que viennent
chaleur et couleur. (Tournier, M. Le
médianoche amoureux, 1989, p.148)
7
… à de certains jours, bière et genièvre
coulaient
à flots. (Yourcenar, M. Un homme obscur,
1982, p. 1030)
1) La phrase exprime une généralisation.
??? Lecture existentielle ou générique
Arguments en faveur de la lecture générique:
1) Il s’agit de deux noms de masse, de sorte
que la lecture générique s’impose
rapidement.
2) L’insertion d’un article défini plus
naturelle que l’insertion d’un article
indéfini : à de certains jours, la bière et la
genièvre coulaient ...
Arguments en faveur de la lecture existentielle:
1) ‘à certains jours’ montre qu’il ne s’agit pas
d’une vraie généralisation. La phrase semble
plutôt introduire une généralisation d’une
durée déterminée (dans ce cas ‘à certains
jours').
Annexe 2 : Les N et N après la construction ‘il y a’
Lecture existentielle : Noms comptables singuliers
Exemples
1
Il y a deux jours, miss *N. Portait à son école
des pots de fleurs variées. Il y avait exposition et
concours de fleurs comme cela se fait en ce moment
dans tout *Londres, pour les écoles, les usines et
les clubs. (Alain-Fournier, H. Correspondance avec
J.Rivière, 1914, p.24)
Argumentation
‘Exposition et concours de fleurs’ ont
une lecture existentielle. D’abord ils sont
introduits pour la première fois dans le
discours. En plus, l’insertion de l’article
indéfini est plus correcte que l’insertion
de l’article défini :
64
- Il y avait une exposition et un
concours de fleurs comme cela se fait en
ce moment dans tout Londres …
- ??? Il y avait l’exposition et le concours
de fleurs comme cela se fait en ce
moment dans tout Londres…
2
Il se souvint tout à coup, avec une
vraie joie, que ce soir-là il y avait poule
et concours pour une queue d’honneur
au billard *Charpentier. (Stendhal, Lucien Leuwen T.2,
1835, p.54)
Poule et concours sont introduits pour la
première fois dans le discours.
L’insertion d’un article indéfini semble
plus correcte que l’insertion d’un article
défini :
-Il se souvint tout à coup, avec une
vraie joie, que ce soir-là il y avait une
poule
et un concours pour une queue
d’honneur
au billard *Charpentier
- ??? Il se souvint tout à coup, avec une
vraie joie, que ce soir-là il y avait la poule
et le concours pour une queue
d’honneur
au billard *Charpentier
Un indice supplémentaire est la
présence de ce soir-là. Ce soir-là bloque
une lecture générique.
3
Ce jour-là, qui était toujours pour les deux bessons
une grande et belle fête, parce qu’il y avait danse et
jeux de toutes sortes sous les grands noyers de la
paroisse, amena pour eux de nouvelles peines
auxquelles
ils ne s’attendaient mie. (Sand, G. La petite fadette,
1849, p.103)
Les référents sont introduits pour la
première fois dans le discours.
L’insertion d’un article indéfini (article
partitif) semble plus correcte que
l’insertion d’un article défini :
-Ce jour-là, qui était toujours pour les
deux bessons
65
une grande et belle fête, parce qu’il y
avait de la danse et des jeux de toutes
sortes …
- ??? Ce jour-là, qui était toujours pour
les deux bessons une grande et belle
fête, parce qu’il y avait la danse et les
jeux de toutes sortes …
Un indice supplémentaire est la
présence de ce jour-là. Ce jour-là bloque
une lecture générique.
4
ce soir-là, il y avait réception et concert chez
les *Duveyrier. (Zola, E. Pot-bouille, 1882, p.78)
Réception et concert sont introduits
pour la première fois dans le discours.
L’insertion d’un article indéfini semble
plus correcte que l’insertion d’un article
défini :
-Ce soir-là il y avait une réception et un
concert chez les *Duveyrier.
- ??? Ce soir-là, il y avait la réception et
le concert chez les *Duveyrier.
Un indice supplémentaire est la
présence de ce soir-là. Ce soir-là bloque
une lecture générique.
Lecture existentielle : Noms comptables pluriels
Exemples
1
Une première sentence de l' officialité ou tribunal de
l' archevêché, devant lequel il y eut débats et
plaidoiries contradictoires, les débouta encore une
Argumentation
1) Les référents, débats et
plaidoiries, sont introduits pour la
première fois dans le discours.
66
fois de leur opposition et des fins de non-recevoir
qu' elles mettaient en avant, et le commissaire
ecclésiastique, nommé par *M *De *Noailles pour
procéder à l' extinction, allait pouvoir commencer
à informer. (Sainte-Beuve, Ch. Port-Royal T.5, 1859,
p.547)
2) En outre, il ne s’agit pas d’une
lecture générique, car la
présence du passé simple bloque
la généricité ici.
3) L’insertion de l’article indéfini est
plus correcte que celle de l’article
défini.
2
… de poilus affairés et
chercheurs-et tous les groupes s’observent, se
surveillent... et se dépêchent. En certains points,
même, par suite de rencontres, il y a bousculades
et invectives. (Barbusse, H. Le feu, 1916, p.74)
1) Les référents sont introduits pour
la première fois dans le discours.
2) L’insertion de l’article indéfini
plus correcte que celle de l’article
défini.
3
… Yi-king ne perdent rien de leur valeur si nous
reportons les figures ci-dessus dessinées du plan
vertical au
plan horizontal. Même sur ce plan il y a haut, il y a bas,
il
y a côtés et directions à quoi pourvoient les quatre
points
cardinaux. (Claudel, P. Commentaires et exégèses. 4 :
Le Cantique des cantiques, 1948, p.97)
4
Je lui donne à dîner à la fin de la
semaine. Si vous voulez me faire l'honneur et le plaisir
de venir, vous pouvez amener vos épouses, il y aura
noces et festins, nous avons Adèle Dupuis, Ducange,
Frédéric du Petit-Méré, Mlle Millot ma maîtresse,
nous rirons bien ! (Balzac, H de. Illusions perdues,
1843, p.469)
1) Les référents sont introduits pour
la première fois dans le discours.
2) L’insertion de l’article indéfini est
plus correcte que celle de l’article
défini :
- Même sur ce plan il y a haut,
il y a bas, il
y a des côtés et des
directions à quoi pourvoient
les quatre points cardinaux.
- Même sur ce plan il y a haut,
il y a bas, il
y a les côtés et les directions
à quoi pourvoient les quatre
points cardinaux.
1) Les référents sont introduits pour
la première fois dans le discours.
5
Ce matelot, c' est *Arrote qui parle, il trouve une
bonne jeune fille, fileuse, dentellière, pauvre
métier, qui d' ailleurs cesse dès qu' il y a ménage
et enfants. (Michelet, J. Journal 1828-48 T.1, 1848,
Ménage et enfants sont introduits pour la
première fois dans le discours.
L’insertion d’un article indéfini semble
67
plus naturelle que celle d’un article
défini :
p.161)
-qui d' ailleurs cesse dès qu’il y a un
ménage et des enfants.
-??? qui d’ailleurs cesse dès qu’il y a le
ménage et les enfants.
Il ne s’agit pas d’une généralisation sur
les filles, mais d’une fille en particulier : la
fille du matelot et son comportement
prévu.
Lecture existentielle : Noms de masse
Exemples
Argumentation
1
La première chose venue :
qu' en pareil temps, il y eut deuil et joie au
*Cayla, mort et baptême, mort du grand' père,
naissance du petit-fils. (Guérin, E de. Journal, 1840,
p.152)
‘Deuil et joie’ sont de nouveaux référents
dans le discours. Ils n’introduisent pas
une généralisation, mais disent quelque
chose sur la situation du Cayla.
2
La première chose venue :
qu' en pareil temps, il y eut deuil et joie au
*Cayla, mort et baptême, mort du grand' père,
naissance du petit-fils. (Guérin, E de. Journal, 1840,
p.152)
‘Mort et baptême’ sont introduits pour la
première fois dans le discours. L’insertion
d’un article indéfini plus correcte que
celle d’un article défini.
3
Lorsque sur un fait physique, intellectuel ou
social, nos idées, par suite des observations que
nous avons faites, changent du tout au tout,
j' appelle ce mouvement de l' esprit révolution.
s' il y a seulement extension ou modification
(générique) dans
nos idées, c' est progrès. ainsi le système de
*Ptolémée fut un progrès en astronomie, celui de
*Copernic fit révolution. De même, en 1789, il y
La première partie de ce passage est
générique (jusqu’à ‘fit révolution’), de
sorte que ‘extension ou modification’ ont
une lecture générique.
La lecture change soudain (dès De
même), il ne s’agit plus d’une
généralisation, mais d’un exemple pour
illustrer la généralisation introduite
68
eut bataille et progrès ; de révolution, il n’y en
eut pas. (Proudhon, P-J. Qu’est-ce que la propriété ?,
1840, p.148)
avant. Un indice supplémentaire est la
présence du passé simple. Le passé
simple n’est pas compatible avec la
lecture générique.
4
N'en parle pas encore pourtant, surtout
pas un mot à Pierre, car il y aurait fureur et désespoir
d'un côté, triomphe et vexation de l'autre et cancans à
foison. (Sand, G. Correspondance 1840, 1840, p.70)
Fureur et désespoir sont introduits pour
la première fois dans le discours. La
phrase n’exprime pas une généralisation,
mais plutôt les sentiments qui sont
présents.
5
Lorsqu' il y a trente-quatre ans, le narrateur de cette
grave et sombre histoire introduisait au milieu d’un
ouvrage écrit dans le même but que celui-ci un
voleur parlant argot, il y eut ébahissement et
clameur. (Hugo, V. Les misérables, 1862, p.187)
Il y eut ébahissement et clameur’ sont de
nouveaux référents. En outre, il ne s’agit
pas d’une lecture générique, car la
présence du passé simple bloque la
généricité ici.
6
Je donne à Adélaïde Micoux ma chère femme, le quart
de mes biens en propriété ; plus le quart en jouissance
sa
vie durant.
Comme je ne veux pas qu'il y ait partage et
morcellement
dans les immeubles, le domaine de St M... de V...
sera en entier à mon fils, et Bauchamp à ma femme.
(Simon, C. Les Géorgiques, 1981, p.400)
??? Lecture existentielle ou générique
Arguments en faveur de l’interprétation
existentielle:
1) Les référents n’ont pas encore
été introduits dans le discours
précédent
2) L’insertion de l’article indéfini
plus naturel que l’insertion de
l’article défini.
3) Il ne s’agit pas de ‘partage et
morcellement’ dans le monde
entier, mais de ‘partage et
morcellement’ dans les
immeubles.
Arguments en faveur de l’interprétation
générique:
1) Etant donné qu’il s’agit de deux
noms de masse, la lecture
générique s’impose rapidement.
69
Lecture générique (singulier)
Exemples
Argumentation
1
… le droit de tous, qui spectateur affligé de son
suicide a déploré ses
erreurs et ces chutes de dynasties qui entraînent
souvent les empires,
qui ne croit pas cependant que le pays doive
s' engloutir dans les ruines de ses gouvernements,
mais qui pense que si les anciens se faisaient une
vertu de ne pas désespérer de *Rome, la providence
nous ferait un crime de désespérer de la *France,
un homme qui croit que les vrais amis de leur pays,
ne doivent pas s' abandonner eux-mêmes, et qu' il y a
toujours espérance tant qu' il y a courage et vertu
dans une nation ! (Lamartine, A de. Correspondance
générale, 1833, p.151)
La phrase exprime une généralisation qui
se manifeste grâce à la présence des
opérateurs génériques explicites, comme
‘souvent’ et ‘toujours’.
2
Souvent il y a pitié et
sagesse à se rétracter, tandis qu' il y aurait
démence ou lâcheté à persévérer dans une
résolution insensée. (Sand, G. Lélia (1839), 1839,
p.419)
La phrase exprime une généralisation qui
se manifeste grâce à la présence de
‘souvent’.
3
La sœur *Anne-*Eugénie, la mère *Marie *Des
*Anges surtout, étaient d’actifs et valeureux
lieutenants Quand il y avait
difficulté et lutte, comme c’était l’ordinaire,
la mère *Angélique, munie d' autorisation
supérieure, se portait sur les lieux en
personne. (Sainte-Beuve, Ch. Port-Royal. T 1,1840,
p.199)
La phrase exprime une généralisation.
Quand ‘déclenche’ cette lecture
générique, parce qu’il fait apparaître une
habitude (néerlandais : (Altijd) als er
moeilijkheden waren … dan …)
4
Résultat 15 (Texte du domaine public)
La phrase exprime une généralisation qui
se manifeste grâce à la présence de ‘`dès
70
Le pur témoignage
des monuments historiques ne peut
sortir que de ces monuments pris dans leur ensemble
et dans leur intégrité; dès qu'il y a choix
et coupure, c'est l'homme qui parle, et des textes
compilés disent, avant tout, ce que le compilateur
a voulu dire. (Thierry, A. Considérations sur l'histoire
de France, 1840, p.119)
que’.
5
Si cela retarde un peu
l'apparition de notre journal, cela lui donnera encore
du
retentissement, et s'il y a brutalité et oppression de
la part
du pouvoir, nous n'en aurons que plus de sympathies
et
d'abonnés. (Sand, G. Correspondance 1844, 1844,
p.445)
La phrase exprime une généralisation qui
se manifeste grâce à la présence de ‘si’.
6
Partout où il y a volonté, il y a
initiative et action d’annuler le frein. (Bernard, C.
Cahier de notes (1850-1860), 1860, p.148)
La phrase exprime une généralisation qui
se manifeste grâce à la présence de
‘partout’.
7
Mais, dira-t-on, n’est-il pas vrai que si le
travail est fort demandé et les ouvriers rares, le
salaire pourra
s’élever pendant que d' un autre côté le profit
baissera ? Que
si, par le flot des concurrences, la production
surabonde, il y
aura encombrement et vente à perte, par
conséquent absence de
profit pour l’entrepreneur, et menace de fériation
pour l'
ouvrier ? (Proudhon, P-J. Système des contradictions
économiques ou Philosophie de la misère : t. 1, 1846,
p. 51)
La phrase exprime une généralisation qui
s’est déjà manifestée dans le contexte
précédent ; la présence de l’article défini
(si le travail est fort demandé et les
ouvriers rare) indique qu’il s’agit d’une
généralisation. L’insertion de l’article
défini est donc la plus satisfaisante : ‘Que
si, par le flot des concurrences, la
production surabonde, il y aura
l’encombrement et la vente à perte …’
8
Et lorsqu' il dit : " tout simplement la chose que je
suis
(c' est-à-dire un lâche) me fera vivre " et qu' il
La phrase exprime une généralisation. La
généralisation est encore renforcée par la
présence de ‘tout’ (pour tout homme
71
9
ajoute, " il y a place et ressource pour tout homme
vivant " (Du Bosch, Ch. Journal T.1, 1923, p.74)
vivant).
Toutes les protestations armées, même les plus
légitimes, même le 10 août, même le 14 juillet,
débutent par le même trouble.
La phrase exprime une généralisation des
protestations armées. Cette lecture est
renforcée par la présence de ‘toutes’
(toutes les protestations armées).
Avant que le droit se dégage, il y a tumulte et écume.
(Hugo, V. Les Misérables, 1862, p.275-276)
10
Les professions
manuelles comportent généralement une somme de
travail musculaire
représentant pour ainsi dire la dette quotidienne de
l’individu souvent même il y a excès et surmenage.
(Macaigne, Dr. Précis d’hygiène, 1911, p.188)
La phrase exprime une généralisation qui
s’est déjà manifestée dans le contexte
précédent ; la présence de l’article défini
(les professions manuelles) indique déjà
que la phrase a une lecture générique.
Cette lecture est renforcée par la présence
des opérateurs génériques explicites, à
savoir ‘généralement’ et ‘souvent’.
11
Il y a action et réaction incessantes entre l’espèce et
l’habitat. (Anonyme, Arts et littérature dans la société
contemporaine, dir. Pierre Abraham : T.1, 1935,
p.6415)
La phrase exprime une généralisation.
Cette lecture générique est encore
renforcée par la présence de l’adjectif
‘incessantes’.
12
On ne le trouve pas seulement dans les genêts qu' il
affectionne,
mais partout où il y a ombre et fraîcheur : dans les
prairies
naturelles ou artificielles, dans les marais, dans les
haies,
dans les fougères aussi. (Vidron, F. La chasse en
plaine et au bois, 1945, p.13)
La phrase exprime une généralisation qui
se manifeste grâce à la présence de
partout.
Lecture générique (pluriel)
Exemples
Argumentation
1
???
???
72
Lecture existentielle-générique
Exemples
1
… le trait substitué à l’alléluia, le te deum
interdit aux matines, deux cierges tout juste
allumés ; les jours où il y avait diacre et
sous-diacre, le diacre arborait son étole violette
en buffleterie, le sous-diacre la sienne, relevée,
en tablier ; (Huysmans, J-K. L’oblat, 1903, p.41)
Argumentation
La coordination semble être ouverte à la
lecture existentielle, parce que les
référents sont introduits pour la
première fois dans le discours et ils
peuvent être précédés d’un article
indéfini :
(…) les jours où il y avait un
diacre et un sous-diacre, le
diacre arborait son étole
violette en buffleterie, le
sous-diacre la sienne,
relevée, en tablier.
En revanche, la lecture générique ne
semble pas exclue non plus :
-
(…) les jours où il y avait le
diacre et le sous-diacre, le
diacre arborait son étole
violette en buffleterie, le
sous-diacre la sienne,
relevée, en tablier.
Dans ce cas, la phrase exprime une
habitude (lecture habituelle), en
discutant les rituels qui
-
ont lieu les jours où il y a le diacre et le
sous diacre. Cette phrase semble donc
ambigüe entre une lecture existentielle
et une lecture générique, à vrai dire, les
référents ont une interprétation
existentielle, mais ils sont enchâssés dans
un contexte générique.
73
2
Le soir il y avait musique et cinéma : un montage
audio-visuel unissant un opéra de Mozart ou Mahler à
des
vues célébrant la Genèse et donc l'innocence - la mer
immaculée des premiers jours, la candeur du désert.
(Queffélec, Y. Les noces barbares, 1985, p.171)
La présence de ‘le soir’ indique que nous
avons à faire à une lecture existentiellegénérique. Les référents ont de nouveau
une interprétation existentielle (car ils
sont introduits pour la première fois dans
le discours), mais ils sont enchâssés dans
un contexte générique dû à la présence
de ‘le soir’.
3
Il faut payer les acteurs. Ne souriez pas... je
sais, il y a taxes et impôts. Il faut payer et bien payer
les
comédiens, cependant. Le plus possible. (Vilar, J. De la
tradition théâtrale, 1963, p.122)
La phrase semble ambigüe entre une
lecture générique et existentielle.
Comme il en était question ci-dessus, les
référents ont une interprétation
existentielle (car ils sont introduits pour
la première fois dans le discours), mais ils
sont enchâssés dans un contexte
générique.
Lecture définie
Exemples
1
… livrer les lieux
dans vingt jours, et si nous tardons, vous seriez
exposés
à entamer la dépense sans obtenir le résultat.
- Il y a dépenses et dépenses, dit la belle parfumeuse.
(Balzac, H de. Histoire de César Birotteau, 1837, p.102)
2
- Et tu n'es pas volé, répondit Asie. On a vendu
des femmes plus cher que tu ne payeras celle-là,
relativement.
Il y a femme et femme ! (Balzac, H de. Splendeurs et
misères des courtisanes, 1847, p.572)
Argumentation
J’ai étiqueté les constructions telles que
‘il y a dépenses et dépenses’ comme
définies, parce que les référents ont déjà
été introduits dans le discours précédent
(ici explicitement).
Par contre, cet étiquetage n’est pas
totalement satisfaisant. Il s’agit, c’est
vrai, des référents qui ont déjà été
introduits dans le discours précédent,
mais leur comportement diffère des
74
constructions définies telles que nous les
avons vues avant.
3
4
" vos grâces pensent sans doute que la merluche est
un régal vulgaire, et en cela elles n’ont pas tort ;
mais il y a merluche et merluche. (Gautier, Th. Le
capitaine fracasse,1863, p.62)
J'ai le droit d'y tenir mordicus, car je série les
questions.
-
Que nous faut-il ? Une plaidoirie.
-
Or, il y a plaidoirie et plaidoirie. (Crevel, R. Le roman
casse, 1935, p.33)
5
6
D’abord, il est plus correct d’insérer un
article indéfini qu’un article défini :
dites-lui que je tiens à le voir, *Corysandre. "
-" vous croyez qu' il m' écoutera, marraine ? "
-" *Mérodack, " dit le prince, " est fort sauvage
et déteste le monde. " "
-" il y a monde et monde, " fit *Mme *De
*Chamarande,
née *Sophie *Durand. (Peladan, J. Le vice suprême,
1884, p.105)
Catherine, du fil et des aiguilles et tous les
objets de mercerie ?
Il y a des dépenses et des
dépenses.
??? Il y a les dépenses et les
dépenses.
En plus, ces constructions ne reprennent
pas seulement le mot introduit dans le
contexte précédent, mais elles semblent
également introduire un renforcement,
ou parfois une nuance de ce qui est dit:
Renforcement:
- Et tu n'es pas volé, répondit Asie. On a
vendu des femmes plus cher que tu ne
payeras celle-là, relativement. Il y a
femme et femme !
-mais ça dépend, ma bonne dame, il y a fil et fil ;
(Huysmans, J-K. L’oblat, 1903, p.53)
7
... Dame, on en boulotte de la
poussière ! et puis, n'est-ce ? pas les gens ne font
guère carder les matelas qu'après un décès ; en v'là
de la mauvaise poussière ! car il y a poussière et
poussière, mais celle-là c'est rudement de la
mauvaise. (Frapie, L. La maternelle, 1904, p.188)
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c' est surtout des chiffonniers, avoua gravement
l' abbé *Chevance. Oh ! Il y a chiffonniers et
chiffonniers, notez bien, *Madame *De *La *Follette !
défini (Bernanos, G. L’imposture, 1927, p.487)
9
Moi j’ai vu des
auxiliaires qui avaient les pieds plats...
-mais bon dieu, quoi, je n’ai pas les pieds plats !
Nuance:
-" vos grâces pensent sans doute que la
merluche est un régal vulgaire, et en cela
elles n’ont pas tort ; mais il y a merluche
et merluche.
(il y a différents dégrées des merluches;
pas toutes merluche sont des régals
vulgaires)
Toutefois, l’étiquette de la lecture
générique sera encore moins
satisfaisante que celle de la lecture
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-ne s’agit pas. C’est seulement pour vous dire qu’il
y a pied et pied. (Ayme, M. La jument verte, 1933,
p.196)
10
Voilà comment on fait
un pépin. D'un rien. D'une chose comme d'une autre il
y a pépin
et pépin. (Tzara, T. L’antitete, 1933, p.319)
définie. Peut-être les mots renvoient-ils
à des concepts généraux (il y a femme et
femme), mais nous ne pouvons pas avoir
à faire à une vraie généralisation pour la
raison suivante : Les deux référents
revoient à deux concepts distincts (des
femmes ‘normales’ et des femmes
‘spéciales’, par exemple). De cette façon,
ils ne peuvent pas introduire une
généralisation sur des femmes en
général.
Conclusion
Il s’agit d’une ‘lecture définie spéciale’ :
les référents qui ont été introduits dans
le contexte précédent sont renforcés ou
nuancés.
Lecture définie (bridging)
Exemples
1
2
3
Que les évangiles soient en partie légendaires, c'est
ce qui est évident, puisqu'ils sont pleins de miracles et
de surnaturel ; mais il y a légende et légende. (Renan,
E. Vie de Jésus, 1867, p.71)
Ton voyage en *Zélande est simplement
superbe et charmant. (dans le troisième numéro, je
n’en suis encore que là, il y a lame et lame. (Hugo, V.
Correspondance (1867-1873), 1873, p.82)
Argumentation
J’ai étiqueté les constructions dans ce
tableau comme définies, parce que les
référents ont déjà été introduits dans le
discours précédent (ici implicitement
(bridging)).
Voir l'argumentation dans le tableau cidessus.
*Arnauld, à l’individualité si puissante et si tranchée, ait
été simplement
le lieutenant et l’exécuteur testamentaire d’un aussi
débile conspirateur. Est-ce à dire que nous le jugeons
inoffensif. Non, très dangereux au
contraire, comme nous le dirons bientôt. Mais il y a
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danger et danger. (Bremond, H. Hist. Litt. Sent. Relig.
T.4, 1920, p.70)
4
La postérité classe les " astres " par ordre
d’importance. Mais il y a grandeur et grandeur :
si *Hugo est incomparablement plus grand que
*Rimbaud, la puissance de *Rimbaud sur ceux qui le
chérissent est d' une tout autre force que celle de
*Hugo sur ses admirateurs. (Mauriac, F. Journal II, 1937,
p.160)
5
Mardrus ne l’aurait pas laissée sortir si elle
n’était pas vraiment guérie, dit *Robert.
Je dis : " il y a guérison et guérison." (Beauvoir, S de. Les
Mandarins, 1954, p.493)
Lecture définie : deux mots différents
Exemples
1
-" qu’est-ce que la sodomie ? " demanda *Mme *De
*Genneton.
-" page 222, " lut *Sarkis :
-" ce péché est contre l’ordre de nature, parce qu’il se
commet contre
l' ordre du sexe : péché qui est plus grief que d' avoir
affaire avec sa sœur,
voire avec sa propre mère ; or il y a sodomie et acte
sodomitique,
qui sont deux, voyez la marge en latin." (Peladan, J. Le
vice suprême, 1884, p.232)
2
Argumentation
Ces constructions ressemblent aux
constructions telles que nous les avons
vues ci-dessus. Toutefois, elles diffèrent
sur un point : il ne s’agit plus d’une
répétition de deux mots identiques.
Les deux mots ‘sodomie et acte
sodomitique’ font cependant partie du
même cadre conceptuel (natural
coordination) et le lien entre ‘vers et
prose’ semble encore plus fort, il s’agit
plutôt de bare binomials, discuté par
Lambrecht (1984).
l' apparence de la direction à trois amis plus jeunes,
actifs et dévoués de coeur et d' esprit à la tâche
de rédaction littéraire que nous assumons.
Je sais bien qu' il y a vers et prose ; (Claudel-Gide,
Correspondance (1899-1926), 1926, p.93)
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Locution proverbiale ‘Il y a fagots et fagots’
Exemples
1
Sous le rapport des misères et de l'originalité, il y a
employés
et employés, comme il y a fagots et fagots.
(Balzac, H de. Les employés, 1844, p.968)
2
3
Le diable prend souvent les auteurs et les femmes
par la vanité.
Vous croyez donc au diable ?
-je crois à tout, il ne faut que s’entendre sur les termes
; il y a fagots et fagots. (Menard, L. Rêveries d’un païen
mystique, 1876, p.38)
Argumentation
Dans les phrases mentionnées à gauche,
il s’agit d’une locution proverbiale ‘il y a
fagot et fagot (néerlandais : alle hout is
geen timmerhout’4). Les référents n’ont
pas encore été introduits, mais leur
présence n’est pas très surprenant non
plus, étant donné que le contexte
précédent contient souvent une
comparaison, par exemple :
« il y a employés et employés, comme il
y a fagots et fagots. »
avant l’apparente unité de ce que nous nommons, de
nos jours, " les cancers “. Et *Darier l’énonçait déjà
voici plusieurs lustres.
Il en est de multiples diversités, si lointaines, si
différentes dans leurs modes évolutifs que l’on doit, ce
m’est avis, parodier *Molière pour
assurer qu' " il y a cancer et cancer comme il y a fagots
et fagots “. (Anonyme. Ce que la fr. a app. a la med,
1943, p.142)
4
1.
J’ai tellement froid, que je ferais tomber le
thermomètre au-dessous de zéro, rien qu’en le
regardant.
-comment, tu as déjà consumé un fagot ?
-permettez, mon oncle, il y a fagots et fagots, et le
vôtre était bien petit. (Murger, H. Scènes de la vie de
bohème, 1869, p.62)
Remarque:
Dans le cas présent, il s’agit d’une lecture
définie telle que discutée dans le premier
tableau, car ‘il y a fagots et fagots’ est
pré-identifié ici.
e
P. Bogaards et e.a. (1998). Van Dale: Groot Woordenboek Frans-Nederlands, Utrecht, Van Dale Lexicografie, 3
druk.
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