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ANNÉE 2014
R A P P O R T
2012-2014
LES DROITS
DE L’HOMME
EN FRANCE
Regards portés par les instances internationales
La
documentation
Française
Les droits
de L’homme
en france
Commission nationale Consultative des droits de l’homme
Les droits
de L’homme
en france
Regards portés par les instances internationales
RAPPORT 2012-2014
La documentation Française
En application du Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, une reproduction
partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite
sans autorisation de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard que l’usage abusif de la
photocopie met en danger l’équilibre économique des circuits du livre.
© Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2014
ISBN : 978-2-11-009804-7
Loi no 2007-292 du 5 mars 2007 relative à la Commission nationale
consultative des droits de l’homme
Article 1er
La Commission nationale consultative des droits de l’homme assure, auprès du
Gouvernement, un rôle de conseil et de proposition dans le domaine des droits de
l’homme, du droit international humanitaire et de l’action humanitaire. Elle assiste le
Premier ministre et les ministres intéressés par ses avis sur toutes les questions de portée
générale relevant de son champ de compétence, tant sur le plan national qu’international. Elle peut, de sa propre initiative, appeler publiquement l’attention du Parlement et
du Gouvernement sur les mesures qui lui paraissent de nature à favoriser la protection
et la promotion des droits de l’homme.
La Commission exerce sa mission en toute indépendance.
Elle est composée de représentants des organisations non gouvernementales spécialisées dans le domaine des droits de l’homme, du droit international humanitaire ou de
l’action humanitaire, d’experts siégeant dans les organisations internationales compétentes dans ce même domaine, de personnalités qualifiées, de représentants des principales confédérations syndicales, du Défenseur des droits, ainsi que d’un député, d’un
sénateur et d’un membre du Conseil économique, social et environnemental désignés
par leurs assemblées respectives. www.cncdh.fr
Avertissement
Fruit d’un travail collectif réalisé sous la supervision d’un comité de rédaction composé de membres de la CNCDH, le présent rapport a d’abord été conçu comme
un outil pratique à destination des pouvoirs publics, des praticiens du droit, des
ONG, des chercheurs mais aussi des instances internationales de contrôle. Les informations qui y figurent sont à jour à la date du 30 juin 2014. Les développements
analytiques ont été transmis aux membres compétents de la CNCDH.
Auteur : Nils Monsarrat.
Comité de rédaction : Antoine Bernard, Emmanuel Decaux, Ghislaine Doucet,
Régis de Gouttes, Renée Koering-Joulin, Christine Lazerges, Pierre Lyon-Caen.
Secrétaire général de la CNCDH : Michel Forst.


Sommaire
Avertissement..............................................................................6
Avant-propos...............................................................................11
Introduction.................................................................................15
Livre I
Mise en œuvre du droit international
des droits de l’homme..................................................19
Première partie
Approche institutionnelle.....................................................21
 Instances internationales........................................................... 23
Chapitre 1
Nations unies............................................................................... 23
Chapitre 2
Organisation internationale du travail...................................... 41
Chapitre 3
Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science
et la culture.................................................................................. 44
Chapitre 4
Organisation internationale de la francophonie...................... 47
Chapitre 5
Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe..... 49
Chapitre 6
Conseil de l’Europe...................................................................... 53
Chapitre 7
Union européenne...................................................................... 72
 Instances nationales................................................................... 83
Chapitre 1
Juridictions nationales................................................................ 85
Chapitre 2
Autorités administratives indépendantes
et instances consultatives............................................................ 90
7

Deuxième partie
Analyse thématique..............................................................99
 Droits et libertés en matière de justice..................................... 101
Chapitre 1
Justice pénale et réponse pénale............................................... 102
Chapitre 2
Lutte contre certaines atteintes graves aux personnes............. 141
Chapitre 3
Procédure administrative contentieuse..................................... 160
 Droits et libertés dans un contexte de migration..................... 163
Chapitre 1
Politiques européennes en matière de migration..................... 164
Chapitre 2
Entrée en France.......................................................................... 171
Chapitre 3
Droit d’asile.................................................................................. 175
Chapitre 4
Entrée, séjour et éloignement des étrangers............................ 183
Chapitre 5
Droits des étrangers présents sur le territoire........................... 192
 Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
et inclusion dans la société............................................................. 197
Chapitre 1
Égalité femmes-hommes............................................................. 204
Chapitre 2
Discriminations à raison de l’orientation et l’identité sexuelles....212
Chapitre 3
Discriminations « ethnoraciales » et discriminations liées
à l’origine..................................................................................... 215
Chapitre 4
Discriminations liées à la liberté de conscience
et de religion et principe de laïcité............................................ 240
Chapitre 5
Populations autochtones et spécificités ultramarines............... 245
Chapitre 6
Discriminations liées au handicap et inclusion
des personnes handicapées........................................................ 248
8
 Droit au respect
de la vie privée................................................................................ 255
Chapitre 1
Identité......................................................................................... 258
Chapitre 2
Vie familiale................................................................................. 260
Chapitre 3
Protection de l’enfance............................................................... 269
Chapitre 4
Droit au respect de la vie privée et droit
à la protection des données personnelles................................. 273
 Liberté d’expression
et d’information.............................................................................. 277
Chapitre 1
Liberté d’expression et négationnisme...................................... 278
Chapitre 2
Liberté d’expression et atteinte aux droits d’autrui................. 280
Chapitre 3
Liberté d’expression et secrets.................................................... 284
 Droits économiques et sociaux.................................................. 291
Chapitre 1
Droit au travail et liberté professionnelle................................. 293
Chapitre 2
Protection sociale et autres droits sociaux................................. 299
Chapitre 3
Droit à la santé............................................................................ 305
LIVRE II
Mise en œuvre du droit international humanitaire
et du droit international pénal.....................................319
Mise en œuvre du DIH et du DIP...................................319
Première partie
Instruments de droit international humanitaire :
mise en œuvre nationale et suivi.........................................325
Chapitre 1
Conventions de Genève de 1949 et protocoles additionnels... 329
9



Chapitre 2
Convention et protocoles pour la protection des biens culturels
en cas de conflit armé................................................................. 336
Chapitre 3
Règles relatives aux moyens et méthodes de combat.............. 339
Chapitre 4
Autres instruments et initiatives dans le domaine du DIH....... 354
Chapitre 5
Engagements et résolutions issus des conférences internationales
de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.................................. 359
Chapitre 6
Résolutions du Conseil
de sécurité des Nations unies et engagements connexes......... 365
Chapitre 7
Instruments de l’Union européenne.......................................... 369
Deuxième partie
Instruments de droit international pénal :
mise en œuvre ationale et suivi...........................................375
Chapitre 1
Coopération de la France avec les juridictions pénales
internationales............................................................................ 377
Chapitre 2
Compétence des juridictions nationales en matière
de crimes internationaux............................................................ 388
Annexes..........................................................................399
Annexe 1
Avis et études de la CNCDH depuis 2005................................... 401
Annexe 2
Invocabilité des principales conventions en matière
de droit de l’homme devant
les juridictions nationales........................................................... 408
Annexe 3
Sigles et abréviations.................................................................. 410
10
Avant-propos
Cet ouvrage est la troisième édition d’une série de rapports dont l’objectif
est de rassembler et de mettre en perspective l’ensemble des observations et
recommandations faites à la France par les organisations internationales afin
d’avoir, en un seul volume, une vision panoramique de la situation des droits
de l’homme dans notre pays. À chaque édition correspond une photographie
de la situation. La fidélité de cette photographie est, à chaque édition, renforcée par l’essor progressif de certaines instances (Examen périodique universel,
Comité des droits des personnes handicapées, Comité des disparitions forcées,
Comité européen pour la prévention de la torture, Agence européenne des
droits fondamentaux, Cour européenne des droits de l’homme et Cour de justice de l’Union européenne), qui chacune portent, à leur manière, un regard sur
notre pays. À travers cette photographie apparaissent quelques traits saillants
de la mise en œuvre par la France de ses obligations internationales. Ce n’est,
cependant, qu’une photographie de la France, et, parfois, de l’Union européenne, tant il est parfois difficile de distinguer l’une de l’autre. Ce n’est pas
un exercice de comparaison avec d’autres États. Tout au plus peut-on constater que la France est confrontée aux mêmes problèmes que beaucoup de pays
européens sur beaucoup de points, ce qui ne nous exonère en rien du respect
de nos engagements internationaux.
La comparaison et la lecture successive des différents rapports permettent de
percevoir les grandes évolutions des droits de l’homme en France, et de passer
de la photographie au film, dans une vision barométrique qui montre le progrès mais aussi fait apparaître en creux quelques lacunes. La conclusion du premier ouvrage, qui couvrait la période allant de 2005 à 2009, mettait en lumière
quelques grands sujets de préoccupation des instances internationales. Certains
sujets tenaient en partie à un manque de pédagogie, c’est le cas par exemple
de la position française relative aux minorités ou de la portée du principe de
laïcité. D’autres témoignaient de problèmes concrets, concernant la situation
des Roms et Gens du voyage, les différences entre Hexagone et outre-mer, les
violences policières, la situation des personnes privées de liberté, et, notamment en prison, en centre de rétention, en zone d’attente ou dans les hôpitaux
psychiatriques, la traite des êtres humains, les atteintes au principe de nonrefoulement, la longueur des procédures en matière pénale, la protection des
11

sources des journalistes, le droit à la vie privée et familiale des étrangers, ou les
inégalités dans l’accès aux droits économiques et sociaux.
La deuxième édition de notre ouvrage, qui couvrait la période allant de
mars 2009 à octobre 2011 a été marquée par la réorganisation institutionnelle liée à la mise en place du Défenseur des droits et aux premiers effets de
la question prioritaire de constitutionnalité. Certains sujets abordés dans la
première édition sont restés d’une brûlante actualité, et notamment le sort
des Roms et des Gens du voyage, le racisme et la xénophobie ou les droits des
personnes détenues. De nouvelles préoccupations ont émergé avec évidence :
la garde à vue, le durcissement de la politique pénale, la procédure prioritaire
et l’examen des demandes d’asile au sein de l’Union européenne, la rétention
de sûreté, les droits des populations autochtones, la protection des travailleurs
domestiques, ou la protection des données personnelles.
Cette troisième édition laisse apparaître quelques sujets de satisfaction : doit
avant tout être saluée la volonté du Gouvernement français de se montrer attentif aux observations des instances internationales. On ne peut que se féliciter
des progrès concernant la date de remise des rapports aux différents comités
conventionnels des Nations unies, certains étant même rendus en avance. Des
améliorations de fond ont été apportées, et certaines parties peu claires de ces
rapports ont été remaniées, sur le principe d’égalité par exemple, ou sur la portée de la laïcité. De nouvelles conventions, qui amélioreront la protection des
droits de l’homme, sont en cours de ratification (Protocole facultatif au Pacte
international sur les droits économiques sociaux et culturels, Convention
d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes
et la violence domestique, Convention concernant le travail décent pour les
travailleuses et travailleurs domestiques). Plusieurs lois ont été adoptées ou
sont en voie d’adoption pour mettre en œuvre les obligations découlant de
nos engagements internationaux et des observations et décisions d’instances
internationales. La plus grande pénétration du droit international concerne
également les juridictions, qui ont notamment appris à anticiper les décisions
de la Cour européenne des droits de l’homme, et intègrent en droit interne
ses solutions même lorsqu’elles concernent d’autres pays.
Un point d’opposition entre la France et les instances internationales persiste :
l’opposition entre la conception de l’égalité à la française, imprégnée d’universalisme et s’élevant contre le communautarisme, et la prohibition des discriminations, promue par les instances internationales, qui nécessite de prendre
12
en compte la réalité des discriminations vécues par chacun, et de distinguer
selon les communautés d’appartenance, qu’elles soient subies ou revendiquées.
Dans cette querelle-là, la CNCDH n’a pas toujours été, loin de là, du côté des
instances internationales. La CNCDH s’est, par exemple, faite l’avocate de la
position française concernant la laïcité, principe fondateur de la République
française, conciliant la liberté de conscience, le pluralisme religieux et la neutralité de l’État. Elle a surtout appelé à dépasser l’opposition de principe, et à
prendre en compte la richesse des solutions existant au niveau national.
Les conséquences de la politique migratoire sur les droits des étrangers et demandeurs d’asile sont également préoccupantes. Certes, la France n’est pas la seule
à faire l’objet de critiques. D’une part, la France est confrontée aux mêmes
difficultés que bon nombre de pays développés. D’autre part, en ce domaine,
l’intégration européenne est telle qu’il est difficile de distinguer entre les critiques dirigées contre l’Union européenne et les critiques dirigées contre la
France. Néanmoins, cela ne suffit pas à expliquer les nombreuses violations des
droits des étrangers et demandeurs d’asile. Celles-ci sont d’autant plus insupportables, concernant le droit d’asile, qu’il s’agit d’un droit reconnu tant par
la Constitution que par de multiples engagements internationaux.
Les établissements pénitentiaires, et, surtout, les maisons d’arrêt, ont également
fait l’objet de nombreuses critiques. Avec un taux d’incarcération de 102 personnes pour 100 000 habitants, la France hexagonale est pourtant largement
en dessous de l’Espagne, de l’Angleterre et du pays de Galles ou de l’Italie, sans
même parler des États-Unis. Cependant, la surpopulation pose de lourds problèmes, relevés notamment par les rapports du Contrôleur général des lieux de
privation de liberté. En outre, de nombreuses observations d’instances internationales témoignent du fait que le droit n’est pas encore totalement entré dans
les établissements pénitentiaires, et des progrès à accomplir pour que l’emprisonnement ne soit pas contraire au droit à la dignité.
Le traitement des Roms venus d’Europe de l’Est est toujours difficilement
acceptable. Les Roms sont à la croisée de différentes problématiques : le droit
des étrangers, la lutte contre les discriminations, la lutte contre le racisme, et les
droits économiques et sociaux. L’implication grandissante de l’Union européenne sur ces questions est à saluer : la situation précaire dans lesquelles ces
populations ont été laissées venait en grande partie de l’incohérence d’une
législation qui permettait une liberté de circulation sans ouverture réelle du
marché du travail. La période transitoire a pris fin en 2013. Il est trop tôt pour
13

Avant-propos

savoir quels seront les effets concrets de cette ouverture du marché du travail sur
le sort de ces personnes. Les efforts engagés sont d’autant plus nécessaires que
le rejet dont font l’objet les Roms par une part certaine de l’opinion publique
rejaillit sur les Gens du voyage qui sont, pour la plupart, français depuis plusieurs générations.
Apparaissent également, en filigrane, les conséquences de la crise économique.
Conséquences sociales, avec une augmentation des populations vulnérables.
Cette vulnérabilité est renforcée par la réduction des dépenses publiques, qui
touche particulièrement certains secteurs : hôpitaux, assistance et soutien aux
victimes, accueil des demandeurs d’asile, services de la protection de l’enfance.
Conséquences politiques, avec la montée des intolérances et la libération de
la parole raciste. La CNCDH avait salué l’adoption du plan national de lutte
contre le racisme. Elle sera attentive à ce qu’il soit effectivement mis en œuvre.
Un point, polémique s’il en est, n’est peut-être pas suffisamment mis en valeur
par les instances internationales : l’ouverture aux couples de même sexe du droit
au mariage et du droit à l’adoption. La position des instances internationales,
hésitantes, se comprend aisément lorsque l’on sait l’absence de consensus au
plan international sur ces questions. La CNCDH a soutenu le projet de loi,
tout en appelant à la réflexion sur les questions de filiation. Il est à espérer que
certaines instances européennes profitent de l’évolution de la législation d’un
certain nombre de pays pour clarifier leur doctrine sur ce point.
On l’a compris, cette troisième édition de l’ouvrage Droits de l’homme en
France, regards portés par les instances internationales ne pouvait être qu’assez
profondément refondue.
Christine Lazerges
Présidente de la Commission nationale consultative
des droits de l’homme (CNCDH)
14
Introduction
Ce troisième rapport de la CNCDH sur les droits de l’homme en France est la contribution de l’Institution française des droits de l’homme à un débat qui agite différentes
institutions : comment évaluer au mieux la situation des droits de l’homme dans un
pays. Cette problématique, assez classique, a vu son actualité renouvelée par la création de l’examen périodique universel, occasion d’aborder l’ensemble des thématiques
relevant des droits de l’homme pour un pays donné.
A côté de certaines initiatives, qui oscillent entre évaluation politique, juridique ou statistique, ce rapport essaye de tracer sa propre voie. Il part d’un constat simple, celui de
la convergence des observations des instances internationales sur quelques grandes
questions concernant la France : le droit des étrangers, les questions de justice, les
droits de l’homme en prison, ou les discriminations. Ce sont également les sujets
les plus traités par la CNCDH dans son activité de conseil et de proposition pour le
Gouvernement, et ce sont également les problématiques évoquées par d’autres autorités administratives indépendantes. La proposition qui sous-tend ce rapport est que
cette convergence est significative des problématiques rencontrées sur le terrain par
les différents acteurs des droits de l’homme.
Cette convergence est d’autant plus frappante que si les rapports, études, résolutions, recommandations, arrêts des instances internationales disent tous à leur manière
quelque chose de la situation nationale, leurs méthodes et procédures ne sont pas les
mêmes. Les observations qui se rapprochent le plus d’une évaluation de la situation
nationale sont les plus aisément compréhensibles, et se prêtent facilement à l’exercice de ce rapport. C’est évident pour les comités conventionnels, cela l’est également
pour les études de la FRA, les conclusions du CEDS, les rapports du CPT, de l’ECRI ou
du GRETA. Pour les juridictions, cela nécessite parfois de sortir d’une simple approche
juridique, et de lire dans les arrêts une analyse de la situation nationale en plus d’une
démonstration juridique. Cela s’avère relativement aisé pour la CEDH, la règle de l’épuisement des voies de recours permettant de se concentrer sur les problèmes que les
juridictions nationales n’ont pu résoudre. Cela peut être plus complexe pour la CJUE,
qui s’affirme pourtant progressivement comme un acteur important de protection des
droits fondamentaux au sein de l’UE.
Pour appuyer les observations des instances internationales, ce rapport mentionne également les avis de la CNCDH, ou, lorsque cela est pertinent, les travaux d’autres autorités administratives indépendantes. Les statistiques et références scientifiques ont été
ajoutées lorsqu’elles étaient signifiantes.
La solution consistant à compiler et synthétiser les regards portés par les instances internationales sur la situation française présente l’avantage de se rattacher directement aux
missions de la CNCDH. Ainsi, les Principes de Paris prévoient que les institutions nationales des droits de l’homme doivent « promouvoir et veiller à l’harmonisation de la législation, des règlements et des pratiques nationaux avec les instruments internationaux
15

relatifs aux droits de l’homme, auxquels l’État est partie, et à leur mise en œuvre effective ». De même, le décret no 2007-1137 du 26 juillet 2007 relatif à la composition et
au fonctionnement de la Commission nationale consultative des droits de l’homme
dispose que « la commission peut, de sa propre initiative, appeler l’attention des pouvoirs publics sur les mesures qui lui paraissent de nature à favoriser la protection et
la promotion des droits de l’homme, notamment en ce qui concerne la ratification
des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et au droit international humanitaire et, le cas échéant, la mise en conformité de la loi nationale avec ces
instruments ». La compilation systématique des observations des instances internationales, la réponse de la France à ces instances et les modifications législatives qui ont
suivi, permettent de déterminer dans quelle mesure la France met effectivement en
œuvre ses engagements internationaux.
Une deuxième mission de la CNCDH, en lien avec ce rapport, est de « coopérer avec
l’Organisation des Nations unies et toute autre institution de la famille des Nations
unies, les institutions régionales et les institutions nationales d’autres pays, compétentes
dans les domaines de la protection et de la promotion des droits de l’homme ». Parce
qu’elle est l’institution française des droits de l’homme, la CNCDH est un interlocuteur naturel des instances internationales en matière de droits de l’homme lorsque la
France est examinée. À ce titre, celles-ci s’adressent régulièrement à elle pour obtenir
des éléments sur la situation des droits de l’homme en France. Cet exercice permet
d’établir un bilan général, et de nourrir leur réflexion.
Ce rapport se décompose en deux livres : un premier livre relatif à la mise en œuvre
du droit international des droits de l’homme, et un second relatif à la mise en œuvre
du droit international humanitaire et du droit international pénal. Les acteurs et les
méthodes ne sont pas les mêmes, ce qui explique que nous nous soyons éloignés de
la symétrie qui, en toute orthodoxie, aurait dû s’imposer. Le premier livre, relatif à la
mise en œuvre du droit international des droits de l’homme, compile et synthétise les
regards portés par les instances internationales sur la situation française dans la période
allant du 15 octobre 2011 au 30 juin 2014.
Si l’ouvrage n’a pas pour ambition de se substituer à un manuel de droit international des droits de l’homme, il est néanmoins paru nécessaire de présenter brièvement
les modes de fonctionnement des institutions pour comprendre le point de vue de
ces instances et saisir la dynamique dans laquelle elles s’insèrent. La seconde partie du premier livre présente de manière thématique les observations des instances
internationales. Il s’agit là d’une innovation par rapport aux précédentes éditions du
rapport, qui mettaient l’accent sur l’approche institutionnelle, en résumant chaque
décision après la présentation de l’institution. Mettre l’accent sur la présentation
thématique de ces décisions permet de saisir les points de convergence des institutions, la diversité des regards de chacune étant ce qui garantit la fidélité de l’analyse.
Cela permet également de prendre en compte les évolutions du cadre normatif et
de l’action publique, à la suite des observations des instances internationales. Aux
observations des instances internationales ont été ajoutés les avis de la CNCDH et
les données statistiques disponibles.
16
Le second livre traite du droit international humanitaire et du droit international pénal.
À de rares exceptions près, il n’existe pas d’instances internationales qui se prononcent
sur la situation nationale dans ce domaine. Il a donc été nécessaire de s’appuyer sur
les rapports communiqués par la France aux instances internationales, sur les engagements formulés par la France lors de Conférence internationale de la Croix-Rouge, ou
sur l’analyse de la CNCDH pour s’assurer de la mise en œuvre du droit international
humanitaire et du droit international pénal.
Il est enfin possible de rattacher cet ouvrage à une autre mission de la CNCDH : celle
de contribuer à l’éducation aux droits de l’homme, en permettant, dans un ouvrage
unique, de mieux faire connaître les observations des instances internationales sur la
situation nationale, d’identifier les progrès accomplis, et les défis à venir. Il s’agit alors
de s’adresser « directement à l’opinion publique ou par l’intermédiaire de tous organes
de presse », pour permettre à chaque citoyen de s’emparer de ces débats, de connaître
ces droits. Cet ouvrage peut, alors, se rattacher à la mission de protection des droits
de l’homme, dans une logique d’empowerment des citoyens.
17

Introduction
Livre I
Mise en œuvre
du droit international
des droits de l’homme
Première partie
APPROCHE
INSTITUTIONNELLE
21
Instances internationales
Chapitre 1
Nations unies
Le respect des droits de l’homme figure parmi les principes et les buts de l’Organisation des Nations unies (ONU) 1. À ce titre, la promotion et la protection des droits de
l’homme font partie du mandat de tous les organes des Nations unies.
Cette partie se concentre sur différentes instances amenées à évaluer la situation des
droits de l’homme et à émettre des recommandations aux États membres : le Conseil
des droits de l’homme, organe subsidiaire de l’Assemblée générale des Nations unies
(AGNU), en se focalisant sur l’Examen périodique universel (EPU) et le dialogue entretenu
avec les procédures spéciales ; les comités conventionnels, ou « organes des Traités »,
créés en vertu des Traités internationaux des droits de l’homme ; le Haut-Commissariat
aux droits de l’homme ; enfin, le Haut-Commissariat pour les réfugiés.
1. Conseil des droits de l’homme
Mis en place en 2006 par la Résolution 60/251 de l’AGNU et successeur de la Commission
des droits de l’homme, le Conseil des droits de l’homme est un forum intergouvernemental composé de 47 États membres. Il est ouvert sur la société civile et accorde
une place importante aux INDH et aux ONG accréditées. Il examine la mise en œuvre
des droits de l’homme dans le monde lors de ses trois sessions annuelles et de ses sessions exceptionnelles, se saisissant de tous sujets de préoccupation de ses membres. Il
a notamment vocation à « encourager le respect intégral des obligations souscrites par
les États dans le domaine des droits de l’homme et la réalisation des objectifs fixés 2 ».
La France y a siégé depuis sa mise en place en 2006 et jusqu’en juin 2011. Elle a de
nouveau été élue à compter de 2014 pour un mandat de trois ans renouvelable. Dans
le cadre de sa candidature au Conseil des droits de l’homme, elle a adressé au président
1. Article 1er de la Charte de l’ONU : « Les buts des Nations unies sont les suivants : […] 3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou
humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion. »
2. AGNU, A/RES/60/251 (2006), Conseil des droits de l’homme, 03/04/2006, paragraphe 5 d.
23
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
de l’AGNU une note dans lequel elle a formulé des promesses et engagements pris
volontairement en application de la résolution 60/251 de l’Assemblée générale 3.
Les développements de la présente section sont issus de deux types de procédures liées
au Conseil : l’Examen périodique universel (EPU), examen régulier « par les pairs » de la
mise en œuvre des droits de l’homme par chaque État ; et les « procédures spéciales »,
examen par experts indépendants titulaires d’un mandat thématique ou géographique.
Examen périodique universel
Les objectifs de l’EPU sont « l’amélioration de la situation des droits de l’homme sur le
terrain ; le respect par l’État de ses obligations et engagements en matière de droits
de l’homme et l’évaluation des faits nouveaux positifs et des difficultés rencontrées ;
le renforcement des capacités de l’État et de l’assistance technique en consultation
avec l’État intéressé et avec l’accord de celui-ci ; la mise en commun des meilleures pratiques entre les États et les autres parties prenantes ; le soutien à la coopération pour
la promotion et la protection des droits de l’homme ; l’encouragement à coopérer et
à dialoguer sans réserve avec le Conseil, les autres organes des droits de l’homme et
le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) 4 ».
La procédure de l’EPU, définie dans ses objectifs et ses modalités par la résolution 5/1
du Conseil des droits de l’homme adoptée le 18 juin 2007, a été réexaminée en 2011,
à la suite de l’évaluation du fonctionnement global du Conseil des droits de l’homme 5.
L’examen est conduit au sein d’un Groupe de travail composé des membres du Conseil,
dont l’évaluation et les recommandations s’appuient sur la Charte des Nations unies,
la Déclaration universelle des droits de l’homme, les instruments relatifs aux droits de
l’homme auxquels l’État est partie et les obligations et engagements souscrits volontairement par les États (notamment quand ils présentent leur candidature à l’élection au
Conseil des droits de l’homme), ainsi que le droit international humanitaire applicable.
Un examen est désormais prévu pour chaque État (42 États étant examinés chaque
année), renouvelé selon un cycle de quatre ans et demi, l’évaluation devant alors être
axée, « entre autres, sur la mise en œuvre des recommandations acceptées et l’évolution de la situation des droits de l’homme dans l’État examiné 6 ».
La France a été l’un des premiers États à se soumettre à cet examen, le 14 mai 2008.
Le Gouvernement a pris l’initiative de présenter un rapport de suivi à mi-parcours des
engagements et des recommandations issus de l’EPU de 2008 lors de la 14e session
du Conseil des droits de l’homme, le 11 juin 2010.
3. Mission permanente de la France auprès de l’Organisation des Nations unies, Note verbale datée du
28 octobre 2013 adressée au président de l’AGNU, 04/11/2013,
4. Conseil des droits de l’homme, A/HRC/RES/5/1 (2007), Mise en place des institutions du Conseil des droits
de l’homme.
5. Conseil des droits de l’homme, A/HCR/RES/16/21 (2011) et décision A/HRC/DEC.17/119 (2011).
6. A/HRC/RES/16/21, paragraphe 6.
24
Approche institutionnelle – Instances internationales

Second cycle de l’EPU
Le second cycle s’est déroulé le 21 janvier 2013. Le Conseil disposait de trois séries de
documents : le rapport de la France, une compilation des observations des instances
onusiennes, et une compilation des communications des parties prenantes.
Le rapport de la France pour le second cycle de l’EPU 7 a été communiqué au Conseil
le 4 décembre 2012. La CNCDH a été consultée lors de son élaboration : une première
réunion a été organisée entre la CNCDH et les ministères chargés de la préparation
du rapport ; puis la CNCDH a envoyé au ministère des Affaires étrangères, chargé de
piloter l’élaboration du rapport, une note confidentielle portant sur les améliorations
souhaitées.
Une compilation 8 avait été établie par le Haut-Commissariat aux droits de l’homme à
partir des renseignements figurant dans les rapports des organes conventionnels, des
procédures spéciales, y compris les observations et les commentaires de l’État intéressé,
et du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme.
Le résumé des 29 communications de parties prenantes à l’EPU 9 était divisé en deux
parties : les renseignements de la CNCDH, en tant qu’institution nationale des droits
de l’homme des Nations unies, qui avait transmis un document synthétique au Conseil ;
puis, les éléments reçus d’autres parties prenantes qui synthétisaient les communications de la société civile, du Défenseur des droits et du Contrôleur général des lieux de
privation de liberté et du Conseil de l’Europe.
Lors de la séance, après la présentation de l’ambassadeur aux droits de l’homme
François Zimeray, les membres du Conseil ont posé des questions au représentant de la
France. La présidente de la CNCDH, présente à la séance, a pu prononcer un discours.
Le 25 janvier 2013, le Groupe de travail a adopté son rapport sur la France. La France
a fait connaître ses réponses, à l’élaboration desquelles la CNCDH avait été associée,
sur chacune des recommandations de l’EPU au cours du mois de mars 2013. Le Conseil
des droits de l’homme a adopté l’ensemble de ces documents regroupés dans le document final de l’Examen périodique universel portant sur la France 10. La réponse de la
France devrait faire l’objet d’un bilan à mi-parcours en 2015.
Rapport récent concernant la France
EPU, Rapport du Groupe de travail. Second cycle de l’Examen périodique universel : France, 31/03/2012, A/HRC/23/3
7. A/HRC/WG.6/15/FRA/1.
8. A/HRC/WG.6/15/FRA/2.
9. A/HRC/WG.6/15/FRA/3.
10. Décision adoptée par le Conseil des droits de l’homme, 23/101 Document final de l’Examen périodique
universel : France.
25
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Procédures spéciales
Les titulaires de mandat au titre des « procédures spéciales », mécanismes indépendants créés
par le Conseil des droits de l’homme, sont chargés d’examiner, de superviser, de conseiller
et de présenter un rapport sur les situations des droits de l’homme dans des pays ou territoires donnés (mandats dits géographiques, ou mandat-pays), ou, de manière transversale,
sur des phénomènes graves de violations des droits de l’homme dans le monde (mandats thématiques). Ils bénéficient de l’appui du Haut-Commissariat aux droits de l’homme
(HCDH) et sont habilités à effectuer des visites de terrain, à réaliser des études, à apporter
un appui technique et à formuler des recommandations, mais aussi à examiner des plaintes
individuelles. Ils peuvent ainsi adresser aux États des lettres d’allégations, exigeant des clarifications ou appelant des mesures spécifiques de suivi (prévention, investigation, etc.).
On comptait, en octobre 2013, 51 procédures spéciales, avec 37 mandats thématiques
et 14 mandats concernant des pays ou territoires 11, assumés par des rapporteurs spéciaux, experts indépendants ou groupes de travail. La présente section recense donc
les travaux des rapporteurs et experts thématiques s’étant exprimés sur la situation
française , à travers des visites officielles suivies de recommandations, des rapports thématiques annuels et des dialogues liés à leur présentation ainsi que des lettres d’allégation et appel urgent dont ils ont été saisis. Elle recense également les réponses du
Gouvernement français, lorsque celles-ci ont été rendues publiques. La priorité est
accordée aux dialogues initiés ou ayant évolué à compter du 15 octobre 2011, avec
néanmoins un rappel des visites et communications antérieures à cette date lorsque cela
était pertinent. Enfin, s’agissant des communications, on notera que le rapport reprend
uniquement celles qui ont été rendues publiques à l’initiative des titulaires de mandat.
Rapports des procédures spéciales et suivi des recommandations
La France avait, conformément à sa pratique traditionnelle, transmis en 2002 une invitation permanente à l’ensemble des rapporteurs et experts indépendants des Nations unies.
Quatre experts ont depuis accompli des visites en France afin d’évaluer la situation des
droits de l’homme dans le pays, à la lumière de leur mandat. Il s’agit du Rapporteur spécial sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des
enfants (2002 et 2011), du Rapporteur spécial sur la liberté de religion ou de conviction
(2005), de l’Expert indépendant sur les questions relatives aux minorités (2007), et du
Rapporteur spécial sur le droit des populations autochtones (2011). Ce recensement n’inclut pas d’autres contacts dont l’objet premier n’était pas d’évaluer la situation en France.
Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants
et la pornographie impliquant des enfants
La Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants a effectué une visite officielle en France du 21 novembre au
2 décembre 2011. Elle a rencontré la ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale, la
11. HCDH, Répertoire des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales, 10/2013.
26
secrétaire d’État chargée de la Famille et des représentants de son ministère, des représentants des ministères des Affaires étrangères et européennes, de l’Intérieur, de la Justice et
de l’Éducation nationale, de la sous-direction du tourisme au sein du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, ainsi que du ministère du Travail, de l’Emploi et de la
Santé. La Rapporteuse spéciale a également rencontré des représentants des conseils généraux impliqués dans les missions de l’aide sociale à l’enfance. Elle s’est entretenue avec le
Défenseur des droits et son adjointe défenseure des enfants, la CNCDH, la présidente du
Conseil supérieur de l’adoption, une parlementaire et des représentants du Groupement
d’intérêt public pour l’enfance en danger. La Rapporteuse spéciale a rencontré des officiers
d’Interpol. Elle a publié son rapport le 29 février 2012. Il n’y a pas eu de réponse publique
de la France.
Rapport récent concernant la France
Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants,
Najat Maalla M’jid, Rapport sur la mission en France, 29/02/2012, A/HRC/19/63/Add.2
Rapporteur spécial sur les droits des populations autochtones
Le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones a effectué une visite en
Nouvelle-Calédonie du 4 au 13 février 2011 (à Nouméa et dans les trois provinces du
pays) afin de « tenir des consultations et de recueillir des informations en vue d’examiner la situation des droits de l’homme des peuples autochtones du pays – le peuple
kanak – tout en tenant pleinement compte de l’histoire de la Nouvelle-Calédonie ». Il
s’est entretenu avec le haut-commissaire de la République et d’autres responsables de
l’État français, le président et les ministres du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie,
les représentants des trois provinces, les membres du Sénat coutumier, d’autres autorités
coutumières ainsi que des organisations kanakes et non gouvernementales (organisations syndicales, environnementales, de femmes et de jeunes). Le Rapporteur a également effectué une visite complémentaire à Paris du 22 au 25 juin 2011, au cours de
laquelle il a pu s’entretenir avec les représentants des ministères concernés, le Premier
ministre, ainsi qu’avec le ministre de l’Outre-mer et les parlementaires intéressés, afin
d’éclaircir certains points. Il a également rencontré la CNCDH à cette occasion. Son
rapport public a été présenté au CDH le 20 septembre 2011 12.
Rapports thématiques et dialogues interactifs
Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants
Le Rapporteur spécial a consacré une étude à la gestion des frontières extérieures de
l’Union européenne. Il a consulté des représentants de l’Union européenne et a visité
différents pays de part et d’autre des frontières extérieures de l’Union : Grèce, Italie,
Tunisie et Turquie. Son étude a été présentée lors de la 25e session du Conseil des droits
de l’homme. La délégation de l’Union européenne auprès de l’Office des Nations unies
12. A/HRC/18/35/Add. 6 (2011).
27

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
à Genève a adressé le 21 mai 2013 une note verbale au Haut-Commissariat des Nations
unies aux droits de l’homme 13.
Rapport récent concernant l’UE
Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, François Crépeaux, Étude régionale : la gestion des
frontières extérieures de l’Union européenne et ses incidences sur les droits de l’homme des migrants, 24/04/2013,
A/HRC/23/46
Lettres
• Lettre du Rapporteur spécial sur les populations autochtones (29/11/2011) – Cette
lettre concerne le refus de la France de permettre aux populations autochtones de la
République du Vanuatu d’accéder aux îles d’Umaenupne et d’Umaenea, sous souveraineté française, afin qu’ils puissent y exercer des rituels culturels et religieux. La France
a répondu par une lettre en date du 30 janvier 2012.
• Lettre conjointe de la Rapporteuse spéciale sur le logement convenable, du Rapporteur
spécial sur les droits de l’homme des migrants, de l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités et du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de
racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée
(21/08/2012) – Cette lettre portait sur l’évacuation et l’expulsion de familles roms. La
France a répondu par une lettre du 22 octobre 2012.
• Lettre conjointe du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit
à la liberté d’opinion et d’expression, du Rapporteur spécial sur le droit de réunion
et d’association pacifiques, de la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs
des droits de l’homme et du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10/02/2012) – Cette lettre concernait des
allégations d’un risque crédible d’extradition et de risque de torture ou de mauvais
traitement. Le Gouvernement a répondu à celle-ci le 8 mai 2012. Le 4 juillet 2012, la
présidente de la chambre d’instruction a rejeté la demande d’extradition.
• Lettre du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discri-
mination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée et de l’Experte
indépendante sur les questions (09/11/2012) – Cette lettre portait sur l’expulsion le
27 septembre 2012 par des habitants des quartiers nord de la ville de Marseille de
familles roms ainsi que sur la mise à feu de leurs effets personnels et du reste du campement. La France a répondu le 9 janvier 2013.
• Lettre de la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les
femmes et les enfants, Addendum (25/03/2013) – Cette lettre était relative au droit au
séjour d’une victime supposée de traite. La France n’a pas répondu 14.
13. A/HRC/23/G/2.
14. A/HRC/20/18/Add.4.
28
• Lettre du Rapporteur spécial sur les droits des migrants (11/03/2011) – Cette lettre
portait sur des allégations de violations des droits des ressortissants étrangers en zone
d’attente car « leurs droits ne leur seraient pas toujours notifiés, et il y aurait des cas
de violences policières ». Il précise qu’il a été rapporté que, « à plusieurs reprises, des
mineurs ont été refoulés vers leur pays de provenance » et que « la police de l’air et des
frontières n’aurait aucun contrôle sur ce qu’il peut advenir de la personne à son retour
lorsque celle-ci a été refoulée ». La France n’a pas répondu à cette lettre.
Divers
La France a répondu au questionnaire adressé par la Rapporteuse spéciale sur l’extrême
pauvreté et les droits de l’homme concernant les mécanismes participatifs fonctionnant
au niveau national. Cette dernière a également pris part à un colloque organisé par le
Mouvement international ATD Quart Monde du 24 au 26 janvier 2013 à Pierrelaye, en
France, qui a réuni des militants vivant dans la pauvreté, des travailleurs ressortissants
de l’UE, des universitaires et des représentants d’ONG et d’organismes des Nations
unies sur ce sujet 15.
Le 31 octobre 2011, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a consulté des
représentants d’États et de la société civile sur la définition et le champ d’application
de la privation arbitraire de liberté dans le droit international coutumier. La France
fait partie des pays à avoir transmis des commentaires au Groupe de travail. Celui-ci
a adopté, par la suite, la Délibération no 9 sur la définition et le champ d’application
de la privation arbitraire de liberté dans le droit international coutumier, publiée dans
son rapport annuel pour 2012.
Le 21 octobre 2011, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits
de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la lutte antiterroriste, le
Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, la vice-présidente du Groupe de travail sur la détention arbitraire, et
le président-rapporteur du Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ont envoyé une lettre à un certain nombre d’États en relation avec leur étude
conjointe sur les pratiques globales liées à la détention secrète dans le contexte de la
lutte antiterroriste 16. La France faisait partie des États destinataires. Aucune réponse
n’a été rendue publique à ce jour.
15. Madgalena Sepúlveda Carmona, Rapporteuse spéciale sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme,
Rapport 2013, 11/03/2013, A/HRC/23/36.
16. A/HRC/13/42.
29

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
2. Organes conventionnels
La France est soumise au contrôle de l’ensemble des organes conventionnels chargés
de veiller à la mise en œuvre par les États de chacune des conventions principales et de
leur(s) éventuel(s) Protocole(s) additionnel(s), à l’exception du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille puisqu’il
n’est pas partie à ce Traité.
Ce contrôle, prévu par les dispositions mêmes des conventions ratifiées par la France,
est donc une obligation conventionnelle. Périodiquement, le Gouvernement est ainsi
appelé à soumettre un rapport au comité compétent, détaillant les mesures prises
pour appliquer les dispositions de la convention concernée et pour mettre en œuvre
les recommandations antérieures du comité. Après avoir, le cas échéant, répondu par
écrit à une liste de questions complémentaires posées par le Comité, le Gouvernement
présente son rapport qui donne lieu à un dialogue constructif. À l’issue de cette procédure, dans le cadre de laquelle des informations issues en particulier des INDH et
des ONG sont également transmises, les comités émettent des observations finales et
adressent des recommandations.
Le rapport de la France est accompagné d’un document de base faisant partie intégrante du rapport 17. Celui-ci présente les grandes caractéristiques de la France concernant son territoire et sa population, sa structure institutionnelle générale, et le cadre
juridique général de protection des droits de l’homme. Le Comité des disparitions forcées a, lors de ses observations finales sur le rapport de la France, recommandé de le
mettre à jour « en conformité avec les exigences du document de base commun suivant les directives harmonisées concernant l’établissement des rapports destinés aux
organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ».
Le Gouvernement a annoncé la révision de ce document.
Depuis la publication du précédent rapport, plusieurs rapports ont été soumis par la
France à plusieurs comités conventionnels. Le Comité des disparitions forcées a adopté
ses observations finales sur le rapport de la France. Enfin, les recommandations prioritaires du dernier rapport du CERD ont fait l’objet d’un suivi.
Comité pour l’élimination
de la discrimination raciale
La France a ratifié la Convention pour l’élimination de la discrimination raciale le 28 juillet 1971. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a adopté le
25 août 2010 ses observations finales 18 à la suite de l’examen des 17e à 19e rapports
17. Document de base faisant partie intégrante des rapports des États parties, France, 15 mars 1996, HRI/
CORE/1/Add.17/Rev.1.
18. CERD, Observations finales sur les dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de la
France, 25/08/2010,77e session, CERD/C.FRA/CO/17-19.
30
périodiques de la France transmis en mars 2009 au Comité et présentés en un seul
document les 11 et 12 août 2010 19. Le Comité y priait la France de fournir, dans un
délai d’un an à compter de l’adoption des observations finales, des informations sur
la suite donnée aux recommandations qu’il jugeait prioritaires : préparation du plan
national de lutte contre le racisme (paragraphe 9) ; politiques publiques concernant la
situation des Roms (paragraphe 14) et les Gens du voyage (paragraphe 16).
Le Comité a reçu les informations demandées le 11 août 2011. Cette communication
a été rendue publique en octobre 2011 20. Le Comité a répondu à cette lettre le 9 mars
2012. Il a remercié la France pour les informations transmises et a demandé qu’à l’occasion de la remise des 20e et 21e rapports périodiques la France informe le Comité
de la mise en œuvre du plan national de lutte contre le racisme et des mesures mises
en œuvre au niveau national concernant l’intégration des Roms.
Le CERD recommandait également, dans ses observations finales de 2010, la remise
des 20e et 21e rapports périodiques d’ici au 27 août 2012, en un seul document. Il
attirait l’attention sur la nécessité d’y faire figurer des informations détaillées sur les
mesures concrètes prises concernant le recensement de la population de l’État partie
sur la base d’une auto-identification ethnique ou raciale des individus, volontaire et
anonyme ; les efforts pour permettre une progression sociale des personnes issues de
l’immigration ou issues de groupes ethniques ; la reconnaissance de droits collectifs aux
peuples autochtones, surtout en matière de droit de propriété ; les mesures législatives
nécessaires en vue de la ratification de la Convention 169 de l’OIT ; les efforts afin de
permettre l’égalité d’accès à l’éducation, au travail, au logement et à la santé dans
les territoires d’outre-mer. La France a transmis ses 20e et 21e rapports périodiques le
23 mai 2013. La CNCDH a été consultée sur le projet de rapport.
Au 30 juin 2014, l’examen des 20e et 21e rapports n’était pas encore inscrit à l’ordre du
jour d’une session du CERD. Aucune contribution de la société civile n’avait été reçue.
Comité des droits de l’homme
La France a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 4 novembre
1980. Le Comité des droits de l’homme, chargé de veiller à la mise en œuvre du pacte
a adopté le 22 juillet 2008 ses observations finales 21 à la suite de l’examen du 4e rapport périodique de la France les 9 et 10 juillet 2008. La France a par la suite adressé au
Comité, le 20 juillet 2009, des renseignements sur la suite donnée aux recommandations
relatives aux données statistiques ventilées par origine raciale, ethnique et nationale,
à la politique de détention des étrangers et à la procédure d’expulsion d’étrangers en
situation irrégulière, comme demandé par le Comité dans ses observations finales 22. Il
19. CERD/C/FRA/17-19.
20. CERD/C/FRA/CO/17-19/Add.1.
21. Comité des droits de l’homme, Observations finales sur le 4e Rapport périodique de la France, 22/07/2008,
93e session, CCPR/C/FRA/CO/4.
22. CCPR/C/FRA/CO/4/Add.1.
31

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
a également saisi l’occasion de cette réponse intermédiaire « pour apporter certaines
précisions destinées à clarifier des éléments qui semblent, au vu des recommandations
formulées par le Comité, n’avoir pas été assez clairement exposés à l’occasion de la
présentation du rapport de la France ».
Au cours de sa 97e session, en octobre 2009, le Comité a jugé que les informations
relatives aux données statistiques « étaient largement satisfaisantes » et a sollicité le
11 janvier 2010 des éléments complémentaires sur les autres points, considérant que
les informations fournies « manquaient de spécificité » 23. Un rapport complémentaire
a donc été soumis par la France le 10 juillet 2010 24. Tout en se disant satisfait de « la
bonne coopération de l’État partie », le Comité a sollicité, à nouveau par une note
verbale du 16 décembre 2010, des compléments sur la situation pénitentiaire outremer, la suspension automatique de l’expulsion dans les cas où des « considérations de
sécurité nationale sont en jeu » et la mise en œuvre du droit relatif aux étrangers en
situation irrégulière et aux demandeurs d’asiles majeurs. Au cours de sa 102e session
en juillet 2011, le Comité a regretté que la réponse à sa lettre de rappel du 20 avril
2011, qui précisait ses attentes, n’ait pas été reçue. Il a sollicité à nouveau, dans une
note verbale du 2 août 2011, la transmission des éléments demandés pour un éventuel
examen lors de sa prochaine session en octobre 2011. Le Comité a reçu la réponse du
Gouvernement le 8 novembre 2011. Celle-ci, non publiée à notre connaissance, porte
sur la procédure d’examen prioritaire des demandes d’asile et sur la législation relative
aux demandeurs d’asile et aux sans-papiers 25. Le Comité a indiqué dans un courrier du
24 avril 2012 souhaiter qu’à l’occasion de son 5e rapport périodique la France apporte
une réponse plus détaillée concernant les droits des personnes placées en centre de
rétention administrative ainsi que, concernant le droit d’asile, la fréquence du recours
à la procédure prioritaire et les mesures prises pour que les demandeurs d’asile soient
effectivement informés de leurs droits.
Le Comité avait fixé au 31 juillet 2012 la date à laquelle le 5e rapport périodique de la
France devait lui être soumis. Le rapport a été soumis en avance, le 3 juillet 2012 ; la
CNCDH a été consultée préalablement à sa transmission. Une ONG, la Ligue des droits
de l’homme, a d’ores et déjà transmis un rapport alternatif. Le rapport de la France
devrait être examiné en 2015.
Communications
En vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques ratifié par la France en 1984, le Comité DH est également compétent pour recevoir des communications émanant de particuliers (art. 1er). Pendant la
23. L’ensemble de ces échanges (rapports, lettres et réponses) est disponible sur le site du Comité des droits
de l’homme (rubrique Sessions).
24. CCPR/C/FRA/CO/4/Add.2.
25. Rapporteuse spéciale chargée du suivi des observations finales du Comité des droits de l’homme, Rapport,
03/2012, 104e session, CCPR/C/104/2.
32
période de référence, le Comité a rejeté une communication pour irrecevabilité 26, et
s’est prononcé au fond dans trois affaires.
Décisions récentes concernant la France
Comité des droits de l’homme, 19/07/2013, Shingara Mann Singh, Com. no 1928/2010, CCPR/C/108/D/1928/2010
Comité des droits de l’homme, 01/11/2012, Bikramjit Singh, Com. no 852/2008, CCPR/C/106/D/1852/2008
Comité des droits de l’homme, 28/03/2014, Claude Ory, Com. no 1960/2010, CCPR/C/100/D/1960/2010
Comité des droits économiques, sociaux et culturels
La France a ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels le 4 novembre 1980. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels,
chargé de contrôler la mise en œuvre du Pacte a adopté le 16 mai 2008 ses observations finales, à la suite de l’examen du 3e rapport périodique de la France les 29 et
30 avril 2008 27. Son 4e rapport, à la préparation duquel la CNCDH a été associée, a
été soumis le 23 mai 2013.
Le 10 décembre 2008 28, l’AGNU a adopté le Protocole facultatif se rapportant au Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Celui-ci permet au
Comité des droits économiques sociaux et culturels de recevoir des communications
de particuliers ou groupes de particuliers relevant de la juridiction d’un État partie. Le
Premier ministre s’est engagé devant la CNCDH à ratifier ce Protocole le 24 septembre
2012 29. Il a été signé, le 11 décembre 2012. Le processus de ratification est en cours 30.
Comité pour l’élimination
de la discrimination à l’égard des femmes
La France a ratifié la Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des
femmes le 14 décembre 1983. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard
des femmes (CEDAW), chargé du contrôle de la mise en œuvre de la Convention, a adopté
le 1er février 2008 ses observations finales 31, à la suite de l’examen du 6e rapport périodique de la France au cours de sa 40e session, le 18 janvier 2008 32. Le Comité y invitait
le Gouvernement à soumettre conjointement, pour janvier 2013, ses 7e et 8e rapports
périodiques, qui devront répondre aux observations finales, lesquelles, d’ici là, devront
26. Comité des droits de l’homme, 28/11/2013, R.C., Com. no 1923/2009, CCPR/C/109/D/1923/2009.
27. CESR, Observations finales sur le 3e rapport périodique de la France, 16/05/2008, 40e session, E/C.12/
FRA/CO/3.
28. Assemblée générale des Nations unies, Résolution A/RES/63/117 relative au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 10 décembre 2008.
29. Communiqué du Gouvernement, De nouvelles thématiques pour la CNCDH, 2012.
30. Projet de loi autorisant la ratification du Protocole facultatif se rapportant au pacte international relatif
aux droits économiques, sociaux et culturels, no 1845, déposé le 12/03/2014.
31. CEDAW, CEDAW/C.FRA/CO/6.
32. CEDAW/C.FRA/6.
33

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
avoir été largement diffusées auprès notamment des membres de l’administration, des
responsables politiques, des parlementaires, des organisations de femmes et de défense
des droits de l’homme. Le rapport de la France a été soumis avec retard le 14 février 2014.
La CNCDH a été consultée avant la communication de ce rapport au Comité.
Comité contre la torture
La France a ratifié la Convention contre la torture le 18 février 1986. Le Comité (CAT)
chargé de veiller à la mise en œuvre de la Convention a adopté le 10 mai 2010 ses
observations finales 33, à la suite de l’examen des 4e a 6e rapports périodiques de la
France les 27 et 28 avril 2010. En préparation de l’examen, le CAT avait adressé une
liste de points à traiter, à laquelle la France avait répondu 34. En outre, les organisations non gouvernementales avaient transmis des rapports alternatifs au Comité 35. Le
Gouvernement a transmis au Comité ses réponses le 9 juin 2011 36, ayant au préalable
procédé à un échange de vues le 7 février 2011 avec la CNCDH.
En conclusion de son rapport, le Comité invitait la France à diffuser largement ses
conclusions et recommandations, et à lui soumettre son 7e rapport périodique le 14 mai
2014. Préalablement, le Comité devrait publier une liste des points à traiter à l’occasion
de l’examen du rapport. Au 30 juin 2014, cette liste n’avait pas été publiée.
On notera également que le Protocole facultatif se rapportant à la Convention, entré
en vigueur le 22 juin 2006 et ratifié par la France le 11 novembre 2008, institue un
sous-comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants (NB : à ne pas confondre avec le Comité européen pour la
prévention de la torture, cf. chap. 6). Ce dernier est habilité à effectuer, sans restrictions, des visites dans tous les lieux de privation de liberté au sein des États parties et
à formuler à leur intention des recommandations concernant la protection des personnes privées de liberté. Le Protocole prévoit également que les États parties mettent
en place, désignent ou administrent, à l’échelon national, un ou plusieurs organes de
visite chargés de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants (art. 4). Ce mandat revient, en France, au Contrôleur général des lieux
de privation de liberté (CGLPL), institué en 2007 (se reporter infra). Le sous-comité
a effectué ses premières visites fin 2007. Au 30 juin 2014, aucune visite n’était programmée en France.
33. CAT, Observations finales sur les 4e à 6e rapports périodiques de la France, 10/05/2010, 44e session,
CAT/C/FRA/CO/4-6.
34. CAT/C.FRA/Q/4-6 et CAT/C.FRA/Q/4-6/Add.1.
35. Il s’agissait des organisations suivantes : Amnesty International, Collectif Migrants Outre-mer, Franciscains
International, Human Rights Watch, Commission internationale des juristes, International Disability Alliance,
Fédération internationale de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), Ligue des droits de
l’homme et Observatoire international des prisons.
36. CAT/C.FRA/CO/4-6/Add.1.
34
Approche institutionnelle – Instances internationales

Comité des droits de l’enfant
La Convention relative aux droits de l’enfant a été ratifiée par la France le 7 août 1990.
La France est également partie aux deux protocoles de la Convention concernant la
vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des
enfants, d’une part, et concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés,
d’autre part. Le Comité des droits de l’enfant est donc compétent pour contrôler le
respect par la France de ses obligations au regard de ces trois instruments qui ont fait
l’objet d’examens séparés, respectivement en 2009 pour la Convention et en 2007
pour les deux protocoles.
Le Comité a adopté le 12 juin 2009 ses observations finales concernant la mise en
œuvre en France de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant 37, à
la suite de l’examen des 3e et 4e rapports périodiques du Gouvernement, transmis en
septembre 2007 et présentés en un seul document le 26 mai 2009 38. Dans ses observations finales, le Comité demandait au Gouvernement de soumettre son cinquième
rapport périodique avant septembre 2012. Celui-ci a été soumis le 8 octobre 2012.
Celui-ci sera examiné lors de la 70e session du Comité en 2015. Il inclut des développements concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie
mettant en scène des enfants d’une part, et concernant l’implication d’enfants dans
les conflits armés, d’autre part.
Lors de sa 66e session 39, l’Assemblée générale a adopté le troisième Protocole facultatif
à la Convention. Celui-ci permet de saisir le Comité de communications individuelles.
Il entrera en vigueur en avril 2014. La CNCDH a soutenu la ratification de ce Protocole
que la France n’a pas encore signé.
Comité des droits des personnes handicapées
La France a ratifié, le 18 février 2010, la Convention relative aux droits des personnes
handicapées, signée le 30 mars 2007, ainsi que son Protocole facultatif, signé le 23 septembre 2008. En ratifiant la Convention, la France s’est engagée à garantir et à promouvoir le plein exercice de tous les droits des personnes handicapés « sans discrimination
d’aucune sorte fondée sur le handicap » par toute une série de mesures, y compris législatives (art. 4). La Convention définit la discrimination fondée sur le handicap comme
« toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a pour objet
ou pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance
ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et
de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social,
37. Comité des droits de l’enfant, Observations finales sur les 3e et 4e rapports périodiques de la France,
12/06/2009, 51e session CRC.C.FRA/CO/4 et CRC.C.FRA/CO/4/Corr.1.
38. CRC. C. FRA/4.
39. Assemblée générale, Résolution 66/138. Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant
établissant une procédure de présentation de communications, 19/12/2011, A/RES/66/138.
35
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
culturel, civil ou autres » et précise que celle-ci inclut « le refus d’aménagement raisonnable » (art. 2).
La France dispose d’un Comité interministériel du handicap, institué par décret en 2009 40
et présidé par le Premier ministre. Il a pour mission de renforcer la cohérence interministérielle et la transversalité des politiques du handicap. Conformément à l’article 33
de la Convention, le Défenseur des droits a été désigné par le Premier ministre comme
mécanisme indépendant de promotion, de protection et de suivi, auquel le Conseil
national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) – instance de concertation
entre les pouvoirs publics et les différents acteurs de la politique du handicap (voir partie préliminaire) – et la CNCDH sont associés.
Son Protocole, entré en vigueur comme la Convention le 3 mai 2008, donne compétence au Comité des droits des personnes handicapées pour recevoir et examiner des
communications émanant de particuliers ou groupes de particuliers alléguant être victimes d’une violation, par un État partie, de l’un ou plusieurs des droits énoncés dans
la Convention.
La présentation par chaque État partie d’un rapport détaillé sur les mesures de mise en
œuvre nationale des dispositions de la Convention au Comité des droits des personnes
handicapées est prévue dans un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de
la Convention pour l’État concerné. Le rapport de la France qui devait être présenté
avant le 18 février 2012 au Comité n’a toujours pas été communiqué.
Comité des disparitions forcées
Conformément à l’engagement pris au CDH lors de l’EPU en 2008, la France a déposé
le 23 septembre 2008 les instruments de ratification relatifs à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, qu’elle
avait signée le 6 février 2007.
La Convention est entrée en vigueur le 23 décembre 2010. Elle définit la disparition
forcée comme « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du
déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé
à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de
la loi » (art. 2). Elle prévoit une protection absolue, précisant qu’« aucune circonstance
exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de
guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être
invoquée pour justifier la disparition forcée » (art. 1er) et qualifie la pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée de « crime contre l’humanité » (art. 5). Elle
interdit les lieux de détention secrets (art. 17) et consacre le droit pour toute victime
« de savoir la vérité sur les circonstances de la disparition forcée, le déroulement et les
40. Décret no 2009-1367 du 06/11/2009 portant création du Comité interministériel du handicap.
36
résultats de l’enquête et le sort de la personne disparue » prévoyant que « tout État
partie prend les mesures appropriées à cet égard » (art. 24, paragraphe 2). Plusieurs
articles visent la compétence des États en matière pénale, et les garanties relatives aux
recours et à la réparation pour les victimes.
Parallèlement à son rôle de contrôle périodique de la mise en œuvre des dispositions
de la Convention par les États, le Comité des disparitions forcées peut être saisi en
urgence d’une demande visant à chercher et à retrouver une personne disparue, par
les proches d’une personne disparue, leurs représentants légaux, leurs avocats ou toute
personne mandatée par eux, ainsi que toute autre personne ayant un intérêt légitime
(art. 30, p. 1). Il est également habilité à demander à l’un ou plusieurs de ces membres
d’effectuer une visite de terrain (art. 33) et, dans l’éventualité où il recevrait des informations fondées sur une pratique « généralisée ou systématique » de disparition forcée sur le territoire relevant de la juridiction d’un État partie, à porter la question, en
urgence, à l’attention de l’Assemblée générale des Nations unies, par l’intermédiaire
du secrétaire général des Nations unies (art. 34).
Le rapport de la France 41 a été remis au Comité dans le délai de deux ans. La CNCDH
a été associée à son élaboration. Le Comité a rendu publique une liste des points à
traiter concernant ce rapport. Outre des remarques générales concernant la mise en
œuvre de la Convention, le Comité demandait des informations concernant la définition et criminalisation de la disparition forcée ; la poursuite pénale et coopération en
matière pénale ; les mesures de prévention des disparitions forcées et les mesures de
réparation et mesures de protection des enfants contre la disparition forcée. La France
a répondu à ce document le 4 avril 2013. Un rapport alternatif a été transmis par un
collectif d’ONG.
Le Comité a examiné le rapport de la France à ses 46e et 47e séances, les 11 et 12 avril
2013, et a adopté à sa 57e séance, le 19 avril 2013, ses observations finales. Il a félicité « la France pour le rôle joué dans la lutte contre les disparitions forcées », « pour
avoir reconnu la compétence du Comité en vertu des articles 31 et 32 de la Convention
concernant l’examen des communications présentées respectivement par des personnes
ou des États parties », et pour avoir entamé un « processus d’adoption d’une législation spécifique sur la disparition forcée ». Nous renvoyons, pour l’analyse des recommandations relatives à la conformité de la législation nationale avec la Convention, à
la partie consacrée à l’analyse thématique des instances internationales, et notamment
aux développements pertinents dans le premier chapitre. Nous renvoyons également à
quelques développements concernant le droit international pénal dans la seconde partie.
Le Comité a recommandé par ailleurs d’assurer une large diffusion de la Convention,
du rapport de la France, de la liste de points à traiter, et des observations finales du
Comité, pour sensibiliser l’ensemble des autorités judiciaires, législatives et administratives, la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans l’État
partie et la population en général.
41. CED/C/FRA/1.
37

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Le Comité a demandé à la France de fournir avant le 19 avril 2014 des informations
concernant la poursuite de l’ensemble des cas de disparition forcée, le droit des personnes
privées de liberté d’être présentées devant un juge du siège, et les conditions pour prétendre au statut de victime et les droits attachés à ce statut. Ces réponses ont été transmises à temps 42. Le prochain rapport de la France est attendu pour le 19 avril 2019.
Observations finales concernant la France
Comité des disparitions forcées, Observations finales sur le rapport présenté par la France, 4e session, 19/04/2013,
CED/C/FRA/CO/1
3. Haut-Commissariat aux droits
de l’homme des Nations unies
Institué en 1993 à la suite de la Déclaration et du programme d’action de la Conférence
de Vienne, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) constitue aujourd’hui un
élément central des activités des Nations unies dans le domaine des droits de l’homme.
La Résolution 48/141 de l’Assemblée générale des Nations unies du 20 décembre 1993
précise le mandat du haut-commissaire aux droits de l’homme. Nommé par le secrétaire général des Nations unies après approbation de l’Assemblée générale, ce dernier
a notamment pour mission de « promouvoir et protéger la jouissance effective par tous
de tous les droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux 43 ». Il est également
mandaté pour dispenser des services consultatifs, apporter une assistance technique à la
demande des États ou encore coordonner et renforcer les activités relatives à promotion
et à la protection des droits de l’homme dans l’ensemble du système des Nations unies.
Il est parallèlement habilité à « contribuer activement à écarter les obstacles et à régler les
problèmes qui entravent actuellement la réalisation intégrale de tous les droits de l’homme
ainsi qu’à empêcher que les violations des droits de l’homme ne persistent, où que ce
soit dans le monde 44 » et à « engager un dialogue avec tous les gouvernements dans
l’exécution de son mandat afin de garantir le respect de tous les droits de l’homme 45 ».
Dans l’exercice de ses missions, il doit accorder la priorité aux violations les plus urgentes
des droits de l’homme, en particulier celles qui constituent un péril immédiat pour la
vie et accorder la même attention à tous les droits : civils, culturels, économiques, politiques et sociaux, y compris le droit au développement. Le HCDH établit régulièrement
des rapports thématiques et peut être amené à déployer des missions d’enquêtes sur
des situations spécifiques. Il appuie les travaux des procédures spéciales assumées par le
CDH, dont il assure le secrétariat et soutient les activités des mécanismes des droits de
l’homme, comme le Conseil des droits de l’homme et les principaux organes de Traités.
Une unité spécialisée est également chargée de renforcer et de coopérer avec les INDH.
42. CED/C/FRA/CO/1/Add.1
43. AGNU, A/RES/48/141 (1993), paragraphe 4. b.
44. Ibid., paragraphe 4. f.
45. Ibid., paragraphe 4. g.
38
Le HCDH dispose d’un bureau régional européen, installé à Bruxelles 46. Son mandat est
de promouvoir les standards des Nations unies en matière de droits de l’homme auprès
des instances de l’Union européenne, dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques de l’Union, tant au niveau interne qu’externe. Le bureau déploie une stratégie
de plaidoyer et d’assistance à l’égard des États membres de l’Union et travaille avec les
gouvernements, parlements, institutions nationales des droits de l’homme, organisations de la société civile et institutions internationales et européennes.
Le HCDH a publié deux communiqués concernant la France. L’un concernait les insultes
racistes dont a fait l’objet la ministre de la Justice, Christiane Taubira, l’autre le traitement des Roms et des Gens du voyage.
4. Haut-Commissariat
des Nations unies pour les réfugiés
L’AGNU, dans sa Résolution 428 (V) du 14 décembre 1950, a créé le Haut-Commissariat
des Nations unies pour les réfugiés (HCR) avec un mandat initial de trois ans pour accomplir son travail, mandat prorogé par la suite 47. Selon les statuts, le Haut-Commissariat
des Nations unies pour les réfugiés assume « les fonctions de protection internationale, sous les auspices de l’ONU, en ce qui concerne les réfugiés […], de recherche
des solutions permanentes au problème des réfugiés, en aidant les gouvernements, et
sous réserve de l’approbation des gouvernements intéressés, les organisations privées à
faciliter le rapatriement librement consenti de ces réfugiés ou leur assimilation dans de
nouvelles communautés nationales ». Il est précisé que « l’activité du haut-commissaire
ne comporte aucun caractère politique ; elle est humanitaire et sociale, et concerne en
principe des groupes et catégories de réfugiés ». La Convention de Genève relative au
statut des réfugiés (1951), qui précise le statut des réfugiés, et son Protocole de 1967
encadrent l’action du HCR, placé sous la direction de l’AGNU et du Conseil économique
et social des Nations unies (ECOSOC). Le HCR est également mandaté pour prévenir
et réduire les cas d’apatridie dans le monde, ainsi que pour protéger les droits des personnes apatrides 48, en lien avec les dispositions des conventions de 1954 et de 1961
respectivement relatives au statut des apatrides et à la réduction des cas d’apatridie.
L’article 35 de la Convention sur le statut des réfugiés prévoit que les États contractants
« s’engagent à coopérer avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés
[…], dans l’exercice de ses fonctions et en particulier à faciliter sa tâche de surveillance
de l’application des dispositions de cette Convention », et « s’engagent à leur fournir dans
la forme appropriée les informations et les données statistiques demandées relatives :
46. Pour plus d’informations, voir le site du bureau, en anglais : http://www.europe.ohchr.org/EN/Pages/
WelcomePage.aspx.
47. En 2003, l’AGNU décide de « lever la restriction touchant la durée du mandat du Haut-Commissariat et
de proroger ce mandat jusqu’à ce que le problème des réfugiés ait été résolu », AGNU, /RES/58/153 (2003).
48. Aux termes de l’article 1er de la Convention relative au statut des apatrides, le terme « apatride » désigne
une personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation.
39

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
a) au statut des réfugiés, b) à la mise en œuvre de cette Convention, et c) aux lois, règlements et décrets, qui sont ou entreront en vigueur en ce qui concerne les réfugiés ».
Le Haut-commissaire présente un rapport annuel sur le travail du HCR à l’ECOSOC et à
l’AGNU. Dans certains pays, dont la France, l’Espagne ou encore l’Italie, le HCR assume
un rôle opérationnel dans les procédures nationales d’asile, avec la présence d’assesseurs du HCR au sein des juridictions spécialisées (la Cour nationale du droit d’asile, en
France). Pendant la période de référence, le HCR a réagi aux morts par noyade lors de
la traversée vers la France et l’UE, et à la mise en place progressive d’un régime d’asile
européen commun. Il a également rendu publique une position relative aux victimes
de la traite en France.
40
Approche institutionnelle – Instances internationales

Chapitre 2
Organisation internationale
du travail
Les normes établies par l’OIT ratifiées par la France font l’objet d’un contrôle à la fois
systématique et particulier, visant à garantir l’application et le respect des normes internationales du travail. Le contrôle régulier de la mise en œuvre des conventions se fonde
sur l’examen de rapports nationaux ainsi que sur les commentaires complémentaires
transmis par les organisations de travailleurs et d’employeurs. La périodicité des rapports est de cinq ans pour les conventions ordinaires, et de deux ans pour les conventions fondamentales et prioritaires. Ce contrôle est opéré par deux organes de l’OIT : la
Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations (après,
Commission d’experts de l’OIT), chargée d’un examen technique et indépendant des
rapports 49 ; et la Commission de l’application des normes de la Conférence, qui donne
aux représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs l’occasion
d’étudier ensemble le respect des obligations conventionnelles et le suivi accordé aux
observations de la Commission d’experts. En complément, il existe au sein de l’OIT des
procédures particulières permettant un contrôle ponctuel de l’application de certaines
normes. Elles concernent l’examen de réclamations d’organisations professionnelles
(art. 24 de la Constitution de l’OIT), de plaintes émanant d’un État membre contre un
autre État membre (art. 26 – la France n’en a, à ce jour, jamais fait l’objet) ou des saisines du Comité de la liberté syndicale, compétent sur les questions et le suivi des instruments relatifs à la liberté syndicale et la négociation collective.
Commission d’experts pour l’application des conventions
La Commission d’experts pour l’application des conventions, peut rédiger des observations et adresser des demandes directes aux États. Ces demandes appellent généralement des éclaircissements sur certains éléments nécessaires pour l’appréciation de la
situation, tandis que les observations, publiées dans le rapport annuel de la Commission
d’experts, comportent des évaluations positives ou négatives et des recommandations.
Les observations, de même que les demandes directes, s’appuient sur les informations
soumises par les organisations professionnelles ainsi que sur les réponses fournies par
l’État concerné. Le rapport annuel de la Commission d’experts ainsi qu’une étude
d’ensemble approfondie portant sur une Convention ou un groupe de conventions
déterminées par le conseil d’administration offrent un panorama global de la mise
en œuvre par les États de chacune des conventions de l’OIT ayant fait l’objet de ces
études. Sur cette base, l’examen annuel de la Commission de l’application des normes
de la Conférence donne lieu à des observations générales, à l’égard de certains pays,
49. La Commission d’experts est composée d’un maximum de 20 personnes indépendantes, ne représentant
pas leur État, choisies parmi des juristes proposés au conseil d’administration par le directeur général de l’OIT.
41
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
mais aussi à un dialogue et des recommandations sur une vingtaine de cas particuliers. Ces derniers, sélectionnés à partir des travaux de la Commission d’experts, visent
la mise en œuvre des dispositions d’une Convention particulière par un État nommément identifié. Le rapport de la Commission d’application des normes est soumis à la
Conférence internationale du travail qui regroupe les délégués des 183 membres de
l’organisation, pour discussion en séance plénière avant publication, dans le compte
rendu des travaux de la Conférence.
Les informations suivantes sont issues d’une sélection, axée, pour la période de référence (octobre 2011-juin 2014), sur les observations relatives à la mise en œuvre par la
France des conventions fondamentales et prioritaires de l’OIT ainsi que de la Convention
no 97 sur les travailleurs migrants. Un échantillon des demandes directes formulées
depuis 2011 est également recensé 50.
Documents récents concernant la France
Adopté par la Commission d’experts en 2013
Convention n° 81 sur l’inspection du travail, 1947 – Observation 2013.
Adopté par la Commission d’experts en 2012
Convention n° 95 sur la protection du salaire, 1949 – Demande directe 2012.
Convention n° 97 sur les travailleurs migrants (révisée), 1949 – Observation 2012 + Demande directe 2012.
Convention n° 100 sur l’égalité de rémunération, 1951 – Demande directe 2012.
Convention n° 111 concernant la discrimination (emploi et profession), 1958 – Observation 2012 + Demande
directe 2012.
Convention n° 118 sur l’égalité de traitement (sécurité sociale), 1962 – Observation 2012.
Convention n° 156 sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales, 1981 – Demande directe 2012.
Adopté par la Commission d’experts en 2011
Convention n° 29 sur le travail forcé, 1930 – Demande directe 2011.
Convention n° 102 concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952 – Demande directe 2011.
Convention n° 122 sur la politique de l’emploi, 1964 – Observation 2011.
Convention n° 131 sur la fixation des salaires minima, 1970 – Demande directe 2011.
Convention n° 158 sur le licenciement, 1982 – Demande directe 2011.
Commission de l’application des normes de la Conférence
La Commission de l’application des normes de la Conférence, organe permanent de
composition tripartite de la Conférence et rouage essentiel du système de contrôle de
l’OIT, se saisit chaque année du rapport publié par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations. Ses rapports annuels n’ont pas été consacré spécifiquement à la France, même si elle a pu être mentionnée à quelques reprises.
50. L’ensemble des documents concernant la France est accessible à partir de la base de données de l’OIT en
ligne : http://www.ilo.org/ilolex/french/index.htm.
42
Approche institutionnelle – Instances internationales

Documents récents
Commission de l’application des normes de la Conférence, 102e session, CIT, 2013, extraits du Compte rendu des
travaux,
Commission de l’application des normes de la Conférence, 101e session, CIT, 2012, extraits du Compte rendu des
travaux,
Commission de l’application des normes de la Conférence, 100e session, CIT, 2011, extraits du Compte rendu des
travaux.
Réclamations d’organisations professionnelles
Conformément à l’article 24 de la Constitution de l’OIT, les organisations professionnelles d’employeurs et de travailleurs, nationales et internationales, peuvent présenter au conseil d’administration du Bureau international du travail une réclamation à
l’encontre de tout État membre qui, à leur avis, « n’aurait pas assuré d’une manière
satisfaisante l’exécution d’une Convention à laquelle il a adhéré ». Si la réclamation
est déclarée recevable, un comité tripartite composé de trois membres du conseil
d’administration est créé et chargé de l’examen de la réclamation et de la réponse du
Gouvernement. Le conseil d’administration peut ensuite soit faire des observations,
adopter un rapport et transmettre l’affaire à la Commission d’experts pour le suivi,
soit demander qu’une commission d’enquête traite l’affaire comme une plainte. Si la
réponse du Gouvernement ne paraît pas satisfaisante, le conseil d’administration a le
droit de rendre publique la réclamation reçue et la réponse donnée.
À ce jour, huit rapports de comités tripartites concernant des réclamations adressées
contre la France ont été rendus publics. Une décision a été rendue en 2013.
Rapport récent concernant la France
Rapport du comité chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la Convention (nº 81)
sur l’inspection du travail, 1947, présentée en vertu de l’article 24 de la Constitution de l’OIT par le Syndicat SUD
Travail Affaires sociales, mars 2013 (GB.313/INS/13/3) (GB.317/INS/12/8).
Comité de la liberté syndicale
Le Comité de la liberté syndicale, créé en 1951, est composé de neuf membres qui
siègent à titre individuel. Il peut être saisi de cas particuliers par des organisations syndicales, patronales ou ouvrières. Le Comité s’est prononcé à plusieurs reprises sur la situation française. Il a été saisi de 46 plaintes concernant la France depuis sa mise en place
en 1951. Dans la période de référence, trois rapports ont été adoptés par le Comité.
Rapport récent concernant la France
Comité de la liberté syndicale, novembre 2011, Rapport définitif, no 362, cas no 2841 (France) CGT,
Comité de la liberté syndicale, mars 2013, Rapport définitif, no 367, cas no 2931 (France) STAAAP,
Comité de la liberté syndicale, mars 2014, Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la
situation, n° 371, cas no 2749.
43
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 3
Organisation des Nations unies
pour l’éducation, la science
et la culture
L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO)
se propose de « contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en resserrant, par
l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre les nations, afin d’assurer le
respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion, que
la Charte des Nations unies reconnaît à tous les peuples » (art. 1er, paragraphe 1, de
l’Acte constitutif).
Aux termes de l’article 4.6 de l’Acte constitutif de l’Organisation, les États membres
doivent présenter à la Conférence des rapports et des comptes rendus analytiques sur
les dispositions prises pour mettre en œuvre les conventions et les recommandations
adoptées par la Conférence générale de l’UNESCO. Les recommandations s’apparentent
à des principes directeurs que les États sont invités à suivre afin de mettre en œuvre les
normes conventionnelles 51. Le Conseil exécutif, appuyé par le Comité sur les conventions et les recommandations, organe subsidiaire, est compétent pour l’examen des
rapports relatifs à la mise en œuvre de la plupart des instruments normatifs. Il formule
des observations avant de transmettre ces rapports à la Conférence générale, qui les
examine et peut éventuellement inviter le secrétariat à assister les États dans la mise
en œuvre de la Convention ou de la recommandation concernée ainsi que dans la préparation et le suivi desdits rapports. La Conférence est également habilitée à requérir des États qu’ils lui soumettent un rapport portant sur leur activité interne dans les
domaines de l’éducation, de la science et de la culture. La procédure étant confidentielle, les rapports ne sont pas rendus publics.
La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (2005), entrée en vigueur en 2007, est dotée d’un mécanisme institutionnel
de suivi. Elle prévoit en effet la transmission de rapports quadriennaux des États parties sur les mesures prises sur leur territoire et au niveau international (art. 9 (a) de la
Convention) à la Conférence des Parties, pour examen, sur la base des observations
51. Ces recommandations concernent par exemple la lutte contre la discrimination dans l’en eignement
(1960), l’éducation pour la compréhension, la coopération et la paix internationale et l’éducation relative aux
droits de l’homme et aux libertés fondamentales (1974), la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire
(1989), la condition de l’artiste (1980) ou encore plus récemment la promotion et l’usage du multilinguisme
et l’accès universel au cyberespace (2003).
44
d’un Comité intergouvernemental chargé de promouvoir les objectifs et la mise en
œuvre de la Convention 52. La France a soumis son rapport en 2012 53.
L’examen de communications individuelles relève également de la compétence du
Comité sur les conventions et recommandations 54. Ce comité est mandaté pour examiner les communications relatives à des cas et des questions concernant l’exercice des
droits de l’homme relevant des domaines de compétence de l’UNESCO. Les plaintes
concernent en particulier des atteintes à la liberté d’expression, visant des enseignants,
des chercheurs, des journalistes, ou encore des artistes et des écrivains. Cette procédure, dite Procédure 104, recouvre les « cas relatifs à des violations des droits de
l’homme qui sont des cas individuels et spécifiques », ainsi que « des questions relatives à des violations massives, systématiques ou flagrantes des droits de l’homme qui
sont la conséquence soit d’une politique contraire aux droits de l’homme, pratiquée en
droit ou en fait par un État, soit d’une accumulation de cas individuels qui constituent
un ensemble concordant 55 ». La plainte doit notamment, au titre des conditions de
recevabilité, « se rapporter à des violations de droits de l’homme relevant de la compétence de l’UNESCO dans les domaines de l’éducation, de la science, de la culture et
de l’information » et être « compatible avec les principes de l’Organisation, la Charte
des Nations unies, la Déclaration universelle des droits de l’homme, les pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme et les autres instruments internationaux concernant les droits de l’homme 56 ». La procédure confidentielle vise uniquement à trouver
des solutions amiables 57. À chaque session du Conseil exécutif, le Comité présente les
rapports confidentiels sur l’accomplissement de son mandat. Le Conseil exécutif procède à l’étude de ces rapports en séance privée et décide de leur donner la suite qui
paraît nécessaire. Le directeur général de l’UNESCO dispose d’un droit d’intercession
reconnu par la Conférence générale, notamment dans sa Résolution no 19C.12.1, et
peut ainsi effectuer personnellement diverses démarches humanitaires en faveur des
personnes, victimes alléguées de violations des droits de l’homme dans les domaines
de compétence de l’UNESCO dont le cas requerrait un examen urgent. Les communications qui attestent de l’existence de violations massives, systématiques ou flagrantes
des droits de l’homme et des libertés fondamentales résultant de politiques d’agression, d’ingérence dans les affaires intérieures d’un État, de l’occupation d’un territoire
étranger et de l’application d’une politique de génocide, d’apartheid, de racisme ou
d’oppression nationale et sociale, sont en revanche examinées par le Conseil exécutif
et la Conférence générale en séance publique.
52. Articles 22.4 (b) et 23.6 (c) de la Convention.
53. Voir le site de l’UNESCO.
54. Voir également, UNESCO, Comité sur les conventions et les recommandations, 2010.
55. Texte de la décision 104 EX/3.3, paragraphe 10.
56. Ibid., paragraphe 14 a) iii) et iv).
57. Dans sa décision 104 EX/3.3, 4 juillet 1978, par laquelle il instaure la procédure confidentielle de plainte
de particuliers, le Comité exécutif indique que « l’UNESCO, fondant ses efforts sur des facteurs moraux et
sur ses compétences spécifiques, doit agir dans un esprit de coopération internationale, de conciliation et
de compréhension mutuelle » et rappelle que « l’UNESCO ne peut pas jouer le rôle d’un organisme judiciaire
international » (paragraphe 7).
45

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Entre 1978 et 2009, 551 communications individuelles ont été examinées par le Comité
sur les conventions et recommandations ; 206, parmi les 352 réglées, ont notamment
permis des libérations de personnes avant qu’elles n’aient à purger une peine de prison 58.
La France fait partie des 30 États membres du Comité sur les conventions et les recommandations pour la période 2014-2015. On notera également qu’elle avait contribué
à la réflexion engagée en 2010 sur le fonctionnement de la Procédure 104, formulant
un certain nombre de propositions pour en améliorer l’accessibilité et la faire connaître,
notamment « auprès des ONG actives au sein du système des Nations unies en matière
de promotion et de protection des droits de l’homme afin qu’elles incluent le recours
à la Procédure 104 dans leurs stratégies d’action » et par l’intermédiaire des commissions nationales et des bureaux-pays de l’UNESCO 59.
Compte tenu de la confidentialité de la procédure, il ne peut être fait état dans ce
rapport d’éventuelles communications, ni a fortiori de recommandations, concernant
spécifiquement la France.
Compte tenu des objectifs du rapport, le choix a été fait de se concentrer sur deux institutions spécialisées du système des Nations unies dont les activités ont une dimension
normative et qui sont dotées de mécanismes de suivi plus ou moins contraignants des
obligations conventionnelles contractées par les États parties. Cependant, l’intégration
d’une approche fondée sur les droits de l’homme concerne aujourd’hui l’ensemble
des agences spécialisées, programmes et organismes des Nations unies. Même s’ils
ne sont pas intégrés dans le présent rapport, les travaux de nombreuses institutions
spécialisées, fonds et programmes tels que le Fonds des Nations unies pour l’enfance
(UNICEF), le Programme des Nations unies pour les établissements humains (ONUHabitat), ou encore l’Entité des Nations unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes (ONU-Femmes) offrent des points de vue complémentaires.
58. Un bilan de l’application de la procédure est disponible sur le site Internet de l’UNESCO.
59. Examen des méthodes de travail du comité sur les conventions et recommandations dans le cadre de la
décision 104 (EX/3.3), partie I, « Proposition des États membres du Comité en vue de mieux faire connaître la
Procédure 104 », (184 EX/19), 19 février 2010.
46
Approche institutionnelle – Instances internationales

Chapitre 4
Organisation internationale
de la francophonie
L’Organisation internationale de la francophonie (OIF), dont la France est membre, mène
une action politique en faveur de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme, par
le biais notamment d’un soutien à ses membres dans l’élaboration ou la consolidation
de leurs politiques sectorielles. Elle s’appuie sur un certain nombre de textes de référence qui comportent de nombreux engagements de la part de ses membres, prenant
la forme de déclarations et plans d’action, soit à l’occasion de Sommets de la francophonie, soit de Conférences ministérielles sectorielles. Ces engagements, contenus en
particulier dans la Déclaration de Bamako (3 novembre 2000), instrument normatif de
référence, ont trait à la consolidation de l’État de droit, à la tenue d’élections libres,
fiables et transparentes, à la gestion d’une vie politique apaisée, et à l’intériorisation de
la culture démocratique et du plein respect des droits de l’homme. Le xive Sommet des
chefs d’État et de Gouvernement de la francophonie s’est réuni à Kinshasa en 2012.
Ces dernières années, l’action de l’OIF en matière de droits de l’homme a consisté en
un soutien à l’examen périodique universel, et a mis l’accent sur la lutte contre la torture, l’abolition de la peine de mort, le renforcement des mécanismes destinés à promouvoir les droits de l’enfant, la promotion de la justice pénale et les questions de
justice, vérité et réconciliation en période de transition 60.
1. Mécanisme de suivi
de la déclaration de Bamako
Pour ce qui est du suivi des engagements, la déclaration de Bamako prévoit un système
de veille et de réaction (voir chapitre V de la déclaration), circonstancié par la note,
adoptée par le Conseil permanent de la francophonie (CPF) en septembre 2001, relative
aux modalités pratiques de mise en œuvre de la Déclaration. Une possibilité d’action
urgente pour la gestion de crises et conflit, sous l’autorité du secrétaire général, est
ainsi prévue et liée à une observation permanente des pratiques de la démocratie, des
droits et libertés dans l’espace francophone 61. Ces observations et évaluations permanentes se fondent sur des mécanismes de collecte d’informations et de concertation
associant l’ensemble des acteurs du processus de Bamako ; l’élaboration de rapports
périodiques et ad hoc à l’attention du secrétaire général ainsi que, au besoin, la mise
60. XVIe Sommet des chefs d’État et de Gouvernement de la francophonie, dossier de presse, 2012.
61. Rapport 2010 sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone,
Bamako, dix ans après, 2000-2010, OIF 2011 (voir en particulier l’avant-propos et le chapitre 6, pp. 187 à 198).
47
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
en place d’un comité consultatif restreint ; l’inscription systématique à l’ordre du jour
des sessions ordinaires du CPF d’un point intitulé « pratiques de la démocratie, des
droits et des libertés dans l’espace francophone ».
Un observatoire sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits de l’homme au sein
de la francophonie a ainsi été mis en place, dont l’activité continue de se développer.
Cet observatoire sera appelé à élaborer une grille d’évaluation de la mise en œuvre
effective des engagements par les États, même s’il n’existe pas à ce stade d’examen
individualisé de la situation des droits de l’homme pour chacun des États membres de
l’organisation.
2. Délégation à la paix, à la démocratie
et aux droits de l’homme
Réalisée par la Délégation à la paix, à la démocratie et aux droits de l’homme, la 4e édition du Rapport sur l’état des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés
dans l’espace francophone (2010) 62, a vocation à rendre compte de la mise en œuvre
progressive de la Déclaration de Bamako et se veut « un instrument de connaissances
partagées, à partir des pratiques utiles observées ». Référence est faite à la révision constitutionnelle française de juillet 2008 et aux dispositions limitant le nombre de mandats
présidentiels à deux mandats consécutifs, à la revalorisation du rôle du Parlement tant
dans sa fonction législative que de contrôle, à la saisine indirecte du Conseil constitutionnel par les citoyens via la question prioritaire de constitutionnalité et à la création
d’un Défenseur des droits 63.
62. Ibid.
63. Ibid. (pp. 16 et 18 concernant les révisions constitutionnelles, et p. 23 concernant le Défenseur des droits).
48
Approche institutionnelle – Instances internationales

Chapitre 5
Organisation pour la sécurité
et la coopération en Europe
Des procédures et des institutions ont été mises en place dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), afin d’assurer un suivi de
la mise en œuvre des engagements de la dimension humaine de l’OSCE et d’assister
dans ce cadre les États participants, dont la France 64. Rassemblés lors du Sommet d’Astana, au Kazakhstan, les 1er et 2 décembre 2010, les États participants ont réaffirmé
que « tous les principes et engagements de l’OSCE, sans exception, s’appliquent également à chaque État participant », et que « les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont inaliénables et leur protection et leur promotion constituent [notre]
responsabilité première » (cf. paragraphe 4 et paragraphe 6 de la Déclaration finale).
Parallèlement aux réunions annuelles sur la mise en œuvre de la dimension humaine
réunissant État et société civile, l’OSCE s’est également dotée d’un mécanisme spécifique de suivi des engagements, le Mécanisme de Vienne et le Mécanisme de Moscou
(ce dernier constituant en partie un développement du Mécanisme de Vienne), pouvant être invoqués par les États participants : « Le Mécanisme de Vienne permet à un
État participant, par le biais d’un ensemble de procédures, de soulever des questions
relatives à la dimension humaine dans un autre État participant. Le Mécanisme de
Moscou part de là et va plus loin, en donnant la possibilité d’établir au cas par cas des
missions d’experts indépendants, pour aider à résoudre un problème spécifique relevant de la dimension humaine. Cela inclut le droit d’enquêter sur des violations supposées des engagements de la dimension humaine, ce qui peut même se faire dans
certaines circonstances exceptionnelles sans le consentement de l’État accusé. En pratique, le Mécanisme de la dimension humaine est rarement appliqué, en partie parce
que l’OSCE est devenue une organisation fonctionnant à plein temps, et en partie aussi
à cause des considérations politiques qu’implique le recours à de tels mécanismes 65 ».
Cette section présente les travaux de différentes institutions de l’OSCE, indépendantes et
compétentes pour le suivi des engagements relatifs à la dimension humaine : le Bureau
des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) (1), le haut-commissaire
64. Des conférences multilatérales de suivi sont prévues pour discuter de la mise en œuvre de ces engagements, dans le cadre de sommets, conférences et séminaires dont l’objectif est de constituer un processus
dynamique de suivi. « Les sommets de l’OSCE et les réunions des conseils ministériels adoptent en général
de nouvelles déclarations et de nouveaux documents. Des conférences de révision précèdent les sommets de
l’OSCE. On y discute de la conformité aux normes OSCE et l’on y prépare le texte final pour qu’il soit adopté
au sommet suivant. Les réunions de mise en œuvre de la dimension humaine de l’OSCE ont lieu les années
où aucun sommet de l’OSCE n’est prévu, et elles constituent un forum pour débattre de la mise en œuvre des
engagements de la dimension humaine de l’OSCE. De plus, un séminaire sur la dimension humaine et trois
réunions supplémentaires sur la dimension humaine sont organisés chaque année. » Les engagements de la
dimension humaine de l’OSCE, vol. 1, « Recueil de textes thématiques », seconde édition, 2007.
65. Ibid.
49
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
aux minorités nationales (2), le Représentant pour la liberté des médias (3) et les représentants de la présidence de l’OSCE (4). Elle se limite aux développements relatifs à la
France intervenus depuis mars 2009. Le cas échéant, référence est faite au dialogue
avec le Gouvernement.
1. Bureau des institutions
démocratiques et des droits
de l’homme
Institution chargée de la promotion des droits de l’homme au sein de l’OSCE, le Bureau
des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) a été mandaté pour
aider les États participants « à assurer le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, à observer les règles de l’État de droit, à promouvoir les principes
de la démocratie et […] à édifier, renforcer et protéger les institutions démocratiques
ainsi qu’à favoriser la tolérance à tous les niveaux de la société » (Document d’Helsinki,
1992). Ses activités portent en particulier sur cinq domaines : élections ; démocratisation ; droits de l’homme ; tolérance et non-discrimination ; questions concernant les
Roms et les Sinti.
Le BIDDH réalise par ailleurs des missions d’observations électorales dans les États
membres. Une mission a ainsi été menée en France lors des élections législatives de 2012.
La France est impliquée dans ces missions ; en 2012-2013, elle a mis à disposition du
BIDDH 173 observateurs pour un coût de 500 000 euros 66.
2. Haut-commissaire
aux minorités nationales
Le haut-commissaire aux minorités nationales de l’OSCE dispose d’une mission de prévention, visant à identifier de manière précoce et à chercher à résoudre dès le départ
les tensions ethniques qui pourraient mettre en danger la paix, la stabilité ou les relations amicales entre les États participants. Agissant indépendamment de toutes les
parties impliquées, le haut-commissaire effectue des missions de terrain et fait de la
diplomatie préventive au tout début des tensions. Hormis la recherche d’informations
prises à la source, il cherche à promouvoir le dialogue, la confiance et la coopération.
66. Voir le site de la Représentation permanente de la France à l’OSCE, rubrique « Regards sur l’OSCE »,
« L’OSCE et l’observation électorale ».
50
Le haut-commissaire tient régulièrement informé sur ces travaux le Conseil permanent de l’OSCE, principal organe permanent chargé des consultations et de la prise
de décision sur le plan politique, en lien avec les États participants. Dans ce cadre, il
n’est pas fait état de dialogues directs avec les autorités françaises, relativement à la
situation en France.
3. Représentant
pour la liberté des médias
Le Représentant pour la liberté des médias de l’OSCE aide les États participants à développer des médias libres et indépendants, en tant que piliers d’une démocratie plurielle. Il observe ainsi les changements dans le domaine des médias au sein de tous
les États participants, et il recommande et encourage le respect des principes et des
engagements de l’OSCE appropriés à chaque situation. Dans le cadre de ces activités,
le Représentant rend régulièrement compte des dialogues qu’il entretient avec les États
participants au Conseil permanent de l’OSCE.
Dans son rapport annuel pour 2011, la Représentante mentionne une lettre du 20 janvier 2011 aux autorités nationales concernant un journaliste de France 24 qui avait
porté plainte pour une agression de la part du service de sécurité du Front national ;
les responsables de ce parti contestaient sa version et ont introduit une plainte en diffamation. Le Gouvernement a répondu à cette lettre le 20 mai. Il consacre également
quelques développements de ce rapport à la protection du secret des sources ainsi qu’au
rejet, lors de l’examen de la loi LOPPSI, de certains amendements jugés dangereux.
Dans son rapport annuel pour 2012, la Représentante mentionne une lettre en date
du 21 décembre 2012 concernant la pénalisation des discours publics niant le crime
de génocide ainsi qu’une déclaration publique concernant les attaques contre le siège
d’un journal turc à Paris.
Rapports récents concernant la France
Représentante pour la liberté des médias de l’OSCE, Dunja Mijatović, Yearbook 13 2011
Représentante pour la liberté des médias de l’OSCE, Dunja Mijatović, Yearbook 14 2012
4. représentants
de la présidence de l’OSCE
Les représentants de la présidence de l’OSCE en exercice sont chargés de promouvoir
les engagements de l’OSCE en matière de lutte contre les discriminations et de suivre
leur mise en œuvre par les États. Les 28 et 29 juin 2011, trois représentants personnels de la présidence en exercice de l’OSCE pour la tolérance et la non-discrimination
51

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
ont effectué une visite en France : ils étaient chargés de la lutte contre l’antisémitisme
pour l’un, contre l’islamophobie pour un autre et contre le racisme, la xénophobie et la
discrimination, en particulier contre les chrétiens et les membres d’autres religions pour
le dernier. Ils ont eu l’occasion de rencontrer au cours de leur visite les représentants
des ministères concernés, la CNCDH et certaines ONG spécialisées dans les questions
de racisme et de discrimination. Cette visite a donné lieu à l’élaboration d’un rapport
rendu en date du 30 septembre 2011 67. Plus récemment, le représentant personnel
de la présidence de l’OSCE sur la lutte contre l’antisémitisme a effectué une visite en
France du 23 au 25 avril 2013, où il a rencontré des représentants de la communauté
juive, des représentants des ministères et de la CNCDH.
Rapport récent concernant la France
Représentant personnel du président de l’OSCE sur la lutte contre l’antisémitisme, Rabbi Andrew Baker, Rapport
après la visite en France du 23 au 25/04/2013, 18/10/2013, CIO.GAL/147/13
67. CIO. GAL/185/11.
52
Approche institutionnelle – Instances internationales

Chapitre 6
Conseil de l’Europe
En vertu de son statut 68, le Conseil de l’Europe a pour but de « réaliser une union plus
étroite entre ses membres […] au moyen des organes du Conseil, par l’examen des
questions d’intérêt commun, par la conclusion d’accords et par l’adoption d’une action
commune dans les domaines économique, social, culturel, scientifique, juridique et
administratif, ainsi que par la sauvegarde et le développement des droits de l’homme
et des libertés fondamentales ».
Cette priorité dans le domaine des droits de l’homme s’est traduite par l’élaboration
de la Convention européenne des droits de l’homme dès 1950, puis par l’adoption de
protocoles additionnels, au nombre de 16 depuis 2013. Parallèlement, d’autres instruments importants pour les droits de l’homme ont été mis en place, comme la Charte
sociale européenne de 1961 révisée en 1996 (CSER) ou la Convention européenne
pour la prévention de la torture de 1987. La place décisive jouée au sein du Conseil de
l’Europe par la CEDH doit être mise en valeur.
1. Organe juridictionnel : la Cour
européenne des droits de l’homme
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) exerce un contrôle juridictionnel sur
la mise en œuvre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et
des libertés fondamentales (CESDH) par les États parties. Elle est composée d’autant de
juges qu’il y a d’États parties à la Convention, à savoir, au 1er novembre 2013, 47 juges.
Les juges sont élus par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur une liste
de trois noms établie par l’État partie pour un mandat de neuf ans non renouvelable
(depuis le Protocole no 14). La Cour comporte plusieurs formations de jugement, la
grande chambre compôsée de 17 membres, et 5 chambres de 7 membres, ainsi que
des comités de 3 juges et des juges uniques.
Sa composition a été profondément renouvelée depuis la précédente édition du rapport.
Jean-Paul Costa, qui était le juge français à la Cour depuis novembre 1998 et Président
de celle-ci depuis janvier 2007, a quitté ses fonctions. Sir Nicolas Bratza lui a succédé à
la présidence du 3 novembre 2011 au 31 octobre 2012. Depuis le 1er novembre 2012,
le nouveau président de la Cour est le juge luxembourgeois, Dean Spielmann. Celui-ci
a rendu visite au président de la République en décembre 2012 69. Le nouveau juge
français élu en 2011 est André Potocki.
68. Statut du Conseil de l’Europe, Londres, 05/05/1949.
69. Site Internet de l’Élysée, « Entretien avec M. Dean Spielmann, président de la CEDH », 22/12/2012.
53
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
La France a accepté le droit de recours individuel en 1981, permettant ainsi à « toute
personne physique, toute ONG ou tout groupe de particuliers » 70 de saisir la Cour pour
toute violation par la France des droits reconnus par la Convention européenne des
droits de l’homme ou ses protocoles. La recevabilité de la requête dépend de l’épuisement des voies de recours internes ; du délai de saisine, fixé à six mois après la dernière
décision de justice nationale (ce délai sera ramené à quatre mois dès l’entrée en vigueur
du Protocole no 15) de l’invocation d’un ou plusieurs droits énoncés dans la Convention.
Depuis l’adoption du Protocole no 14, entré en vigueur en juin 2010, un nouveau critère
a été ajouté, celui de l’existence d’un « préjudice important » pour le requérant, qui doit
être personnellement et directement victime d’une violation de la Convention.
Selon l’article 1er de la Convention, « les Hautes Parties contractantes reconnaissent à
toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la
présente Convention ». S’appuyant sur cette disposition, la CEDH a pu, à l’occasion
de l’arrêt Michaud c. France 71 , confirmant une abondante jurisprudence 72, rappeler
le principe selon lequel « les États demeurent responsables au regard de la Convention
des mesures qu’ils prennent en exécution d’obligations juridiques internationales, y
compris lorsque ces obligations découlent de leur appartenance à une organisation
internationale à laquelle ils ont transféré une partie de leur souveraineté ». S’il est possible aux États « de transférer des pouvoirs souverains à une organisation internationale à des fins de coopération dans certains domaines d’activité », « une mesure de
l’État prise en exécution de pareilles obligations juridiques doit être réputée justifiée
dès lors qu’il est constant que l’organisation en question accorde aux droits fondamentaux une protection à tout, le moins équivalant à celle assurée par la Convention 73 ».
En 2013, 65 900 requêtes ont été attribuées à une formation judiciaire 74. Cette augmentation est pour partie limitée par les effets de l’adoption du Protocole no 14 à la
Convention qui a permis, entre autres, de statuer à juge unique pour écarter les requêtes
irrecevables 75. Cela a permis de résorber en partie le stock de requêtes devant la Cour 76.
Mesures provisoires
Aux termes de l’article 39 du règlement de la Cour, « la chambre ou, le cas échéant, le
président de la section ou un juge de permanence » peut « indiquer aux parties toute
mesure provisoire qu’ils estiment devoir être adoptée dans l’intérêt des parties ou du
bon déroulement de la procédure ». La Cour a reconnu le caractère contraignant de
ces mesures provisoires 77. Le nombre de demandes, qui était inférieur à 1 000 pour
70. Art. 34 de la Convention européenne des droits de l’homme.
71. CEDH, 06/12/2012, Michaud c. France, Req. no 12323/11.
72. Voir notamment, CEDH, grande chambre, 30/06/2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm ve Ticaret Anonim
Sirketi c. Irlande, no 45036/98.
73. CEDH, grande chambre, 21/01/2011, M. S. S. c. Belgique et Grèce, no 30696/09.
74. CEDH, Analyse statistique 2012, 01/2013.
75. Voir le nouvel article 27 de la Convention.
76. Greffe de la CEDH, Réforme de la Cour : le filtrage a permis de réduire l’arriéré des affaires .
77. CEDH, grande chambre, 04/02/2005, Mamtkoulov et Askarov c. Turquie.
54
les 47 États parties jusqu’en 2006 a rapidement augmenté, pour atteindre en 2010
un pic de 3 775 demandes. La France se classait au deuxième rang des États visés par
les demandes de mesures provisoires dans la période allant de 2008 à 2012 (2 040
demandes) 78, Le 11 février 2011, le président de la CEDH rendait publique une déclaration concernant les mesures provisoires 79. Il regrettait l’augmentation alarmante de
ces demandes, et soulignait que cette procédure ne devait être que subsidiaire Il relevait
ainsi que « les États membres doivent prévoir au niveau national des recours à l’effet
suspensif, fonctionnant de manière effective et juste conformément à la jurisprudence
de la Cour, ainsi qu’un examen équitable dans un délai raisonnable de la question du
risque ». Celles-ci ont nettement baissé par la suite ; de janvier 2012 à juin 2013, seules
102 demandes ont concerné la France 80.
Arrêts pilotes
La procédure des arrêts pilotes a été dans un premier temps mise en place par la CEDH 81
à partir de résolutions du Comité des ministres 82. Depuis, cette procédure a été codifiée à l’article 61 du règlement de la Cour : « Lorsque les faits à l’origine d’une requête
introduite devant elle révèlent l’existence, dans la Partie contractante concernée, d’un
problème structurel ou systémique ou d’un autre dysfonctionnement similaire qui a
donné lieu ou est susceptible de donner lieu à l’introduction d’autres requêtes », la
Cour « doit indiquer dans l’arrêt pilote adopté par elle la nature du problème structurel ou systémique ou du dysfonctionnement qu’elle a constaté et le type de mesures
de redressement que la Partie contractante concernée doit prendre au niveau interne
en application du dispositif de l’arrêt » ; « la Cour peut ajourner l’examen de toutes
les requêtes procédant du même motif dans l’attente de l’adoption des mesures de
redressement indiquées dans le dispositif de l’arrêt pilote » ; enfin, « si la Partie contractante concernée ne se conforme pas au dispositif de l’arrêt pilote, la Cour, sauf décision contraire, reprend l’examen des requêtes qui ont été ajournées en application du
point 6 ci-dessus ». Les différents arrêts pilotes de la Cour ont concerné les traitements
inhumains ou dégradants, avec notamment un arrêt concernant la surpopulation carcérale en Italie, l’inexécution prolongée de décisions judiciaires et l’absence de recours
interne, la durée excessive de la procédure et l’absence de recours interne, le respect
de la vie privée et familiale, la protection de la propriété et le droit à des élections libres.
La France n’a pas, pour l’instant, fait l’objet d’arrêt pilote.
78. Voir CEDH, Interim Measures 2008-2013.
79. Jean-Paul Costa, Déclaration du président de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les
demandes de mesures provisoires (art. 39 du règlement de la Cour), 11/02/2011.
80. Voir CEDH, Interim Measures by Respondent State and Country of Destination 2013. Cette baisse importante
s’explique en partie par la suspension des renvois vers la Grèce, voir la partie de ce rapport consacrée au règlement Dublin II ; voir également, CEDH, Interim Measures by Respondent State and Country of Destination 2012
81. CEDH, grande chambre, 22/06/2004, Broniowski c. Pologne, Req. no 31443/96.
82. Comité des ministres du Conseil de l’Europe, Résolution sur les arrêts qui révèlent un problème structurel
sous-jacent, 12/05/2004. Comité des ministres du Conseil de l’Europe, Recommandation sur l’amélioration
des recours internes, 12/05/2004.
55

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Tierces interventions
Différents types de tierces interventions doivent être distingués : celles des États, celles
classiques 83 des ONG, celles du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe reconnue par l’article 36 de la CESDH, ou celui du Haut-Commissariat des
Nations unies aux réfugiés et apatrides 84. La CNCDH a également pu intervenir devant
la CEDH soit en son nom propre ou conjointement avec d’autres autorités administratives indépendantes, soit en tant que membre du réseau européen 85.
Conférences sur l’avenir de la Cour
L’avenir de la Cour a été placé au programme de trois Conférences : la Conférence
d’Interlaken des 18 et 19 février 2010, la Conférence d’Izmir des 26 et 27 avril 2011,
et la Conférence de Brighton des 19 et 20 avril 2012. Une déclaration a été adoptée,
dans un contexte politique tendu, à l’issue de cette dernière Conférence : les États parties y réaffirment « leur attachement au droit de recours individuel devant la CEDH » et
insistent sur le principe de subsidiarité : « Les États parties doivent respecter les droits
et libertés garantis par la Convention, et remédier de manière effective aux violations
au niveau national. La Cour agit en tant que sauvegarde si des violations n’ont pas
obtenu de remède au niveau national. Lorsque la Cour constate une violation, les États
parties doivent se conformer à son arrêt définitif. »
À la suite de la déclaration de Brighton, deux protocoles ont été adoptés, et sont
désormais ouverts à la ratification des États parties. Le Protocole no 15 permet d’ajouter dans le préambule de la Convention un considérant préliminaire : « […] Affirmant
qu’il incombe au premier chef aux Hautes Parties contractantes, conformément au principe de subsidiarité, de garantir le respect des droits et libertés définis dans la présente
Convention et ses protocoles, et que, ce faisant, elles jouissent d’une marge d’appréciation, sous le contrôle de la Cour européenne des droits de l’homme instituée par
la présente Convention ».
Celui-ci a été signé par la France le 24 juin 2013. Il n’entrera en vigueur que trois mois
après sa signature et/ou la ratification de la Convention par tous les États parties à la
Convention européenne des droits de l’homme 86.
83. Laurence Burgogue-Larsen, « Les interventions éclairées devant la Cour européenne des droits de l’homme
ou le rôle stratégique des amici curiae », La Conscience des droits, Mélanges en l’honneur du président Costa,
Dalloz, 2011 ; voir également Emmanuel Decaux et Christophe Pettiti (dir.), La Tierce Intervention devant la
Cour européenne des droits de l’homme et en droit comparé, Bruylant, 2009.
84. Notamment dans les affaires CEDH, (grande chambre) 21/01/2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, Req.
no 30696/09, et CEDH, 02/02/2012, I. M. c. France, Req. no 9152/09.
85. Voir notamment CNCDH, CGLPL, Tierce Intervention dans l’affaire Paul Yengo contre la France, introduite le 20 juillet 2012.
86. Article 7 du Protocole no 15. Sur ce sujet, voir notamment Frédéric Sudre, La Subsidiarité, « nouvelle frontière » de la Cour européenne des droits de l’homme ; à propos des protocoles nos 15 et no 16 à la Convention,
JCP no 42, 14/10/2013.
56
Le Protocole no 16 établit, quant à lui, une procédure d’avis consultatif à la demande des
« plus hautes juridictions » des États parties. La détermination de ce qu’il faut entendre par
« plus haute juridiction » incombe à l’État. Il est à noter que le Protocole no 16 entrera en
vigueur à la suite de dix ratifications. Celui-ci a été signé par la France le 20 octobre 2013.
Jurisprudence concernant la France
Entre l’acceptation du droit de recours individuel et 2013, 913 arrêts ont concerné la
France, dont 674 où au moins une violation a été retenue. Outre les constats de violation relatifs à la durée de la procédure (281), les principales violations constatées par
la Cour concernant la France étaient relatives au droit à un procès équitable (262), à la
prohibition de traitements inhumains et dégradants (24), au droit à un recours effectif
(34), au droit à la vie privée et familiale (34) au droit à la liberté d’expression (30) et
au droit de propriété (29). Nombre de ces violations sont relatives aux droits des personnes détenues, aux droits des étrangers et au droit d’asile, à la procédure pénale,
ou à la liberté d’expression.
Entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013, 65 arrêts ont concerné la France,
dont 47 constatant une violation d’au moins un article de la Convention. Les constats
de violation sont fondés, ces deux années-là, principalement, sur l’article 5 (droit à la
liberté et à la sûreté, 11 arrêts de violation), sur l’article 6 de la Convention (droit au
procès équitable, 11 arrêts de violation), l’article 3 (prohibition des traitements inhumains et dégradants, 5 arrêts de violation ; pour 2013, la Cour recense 7 cas de violations potentielles) et l’article 10 (liberté d’expression, 5 arrêts de violation).
Il est cependant préférable d’éviter de tirer trop de conclusions de cette présentation statistique. Premièrement, un arrêt isolé peut être tout aussi grave et révélateur que des
contentieux en série. Deuxièmement, le fait, par exemple, que la CEDH ait conclu à une
violation de la Convention à six reprises concernant les conditions dans lesquelles les personnes étaient détenues ne signifie pas que seuls ces six cas aient été problématiques. Cela
signifie en réalité que l’exercice des voies de droit interne n’a pas permis la constatation de
ces violations-ci. Troisièmement, la mise en œuvre au niveau national d’un recours effectif peut entraîner une chute soudaine du nombre de constats de violation de la CESDH. À
titre d’exemple, entre 1981, date de l’acceptation du droit au recours individuel devant la
CEDH, et 2012, la Cour a constaté une violation dans 281 décisions concernant la France
en raison de la longueur de ses procédures judiciaires. Ce nombre important de constats
de violation témoigne d’une époque où la saisine de la CEDH était la seule voie de droit
adéquate pour faire constater une méconnaissance de la Convention. Cependant, à la suite
de l’arrêt Kudla c. Pologne 87, qui soulignait la nécessité pour les États membres de mettre
en place des recours effectifs au niveau interne pour faire cesser ces violations, les juridictions nationales 88 ont reconnu qu’une durée excessive de la procédure pouvait, lorsqu’elle
87. CEDH, grande chambre, 26/10/2000, Kudla c. Pologne.
88. Cass., ass. plén., 23 févr. 2001, Consorts Bolle-Laroche c. Agent judiciaire du Trésor, AJDA 2001, 788,
et CE, ass., 28 juin 2002, garde des Sceaux, ministre de la Justice c. Magiera, RFDA 2002, 756, Document
InterRevues ; AJDA 2002. 596, chron. F. Donnat et D. Casas.
57

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
constituait une faute lourde, engager la responsabilité de l’État. La baisse du nombre d’arrêts constatant une violation sur ce fondement ne signifie donc pas nécessairement que
la durée de la procédure ait effectivement diminué ; elle signifie que des recours effectifs
instaurés au niveau national permettent de ne plus saisir la CEDH de ce chef.
Cette partie présente une liste d’arrêts et de décisions concernant la France sur la
période de référence du rapport 89.
Arrêts récents concernant la France
Justice
Comportements des forces de l’ordre
CEDH, Décision, 03/09/2013, Robineau c. France, Req. no 58497/11
CEDH, 17/04/2014, Guerdner et autres c. France, Req. no 68780/10
Droit pénal
CEDH, 06/10/2011, Soros c. France, Req. no 50425/06 Procédure pénale
CEDH, 27/10/2011, Stojkovic c. France et Belgique, Req. no 25303/08
CEDH, 26/01/2012, Berasategi c. France, Req. no 29095/09 Esparza Luri c. France, Req. no 29119/09 Soria
Valderrama c. France, Req. no 29101/09 Guimon Esparza c. France, Req. no 29116/09 Sagarzazu c. France, Req.
no 29109/09
CEDH, 08/03/2012 Josseaume c. France, Req. no39243/10 Celice c. France, Req. no 14166/09 Cadene c. France, Req.
no 12039/08
CEDH, 12/04/2012 Lagardère c. France, Req. no 18851/07
CEDH, 11/10/2012, Abdelali c. France, Req. no 43353/07
CEDH, 18/10/2012, Rossi c. France, Req. no 60468/08
CEDH, 06/12/2012, Michaud c. France, Req. no 12323/11
CEDH, 10/01/2013, Agnelet c. France, Req. no 61198/08 Fraumens c. France, Req. no 30010/10 Oulahcene c. France, Req. no 44446/10 Voica c. France, Req. no 60995/09 Legillon c. France, Req. no53406/10
CEDH, 27/06/2013, Affaire Vassis et autres c. France, Req. no 62736/09
CEDH, 25/07/2013 Henri Rivière et autres c. France, Req. no 46460/10
CEDH, 26/09/2013 Abad Urkixo c. France, Req. no 45087/10
CEDH, 03/10/2013, Vosgien c. France, Req. no 12430/11
Personnes détenues
CEDH, 20/10/2011, Stasi c. France, Req. no 25001/07
CEDH, 20/10/2011, Alboreo c. France, Req. no 51019/08
CEDH, 03/11/2011, Cocaign c. France, Req. no 32010/07
CEDH, 10/11/2011 Plathey c. France, Req. no 48337/09 CEDH, 23/02/2012, G. c. France, Req. no 27244/09 CEDH 19/07/2012 Ketreb c. France, Req. no 38447/09
CEDH, 25/04/2013, Canali c. France, Req. no 40119/09
Cassation
CEDH, 16/02/2012, Tourisme d’affaires, Req. no 17814/10
CEDH, 09/01/2014, Viard c. France, Req. no 71658/10 89. Pour les communiqués de presse sur les arrêts et l’intégralité des arrêts, voir le site Internet du Conseil de
l’Europe (Cour européenne, HUDOC, base de données des arrêts).
58
Approche institutionnelle – Instances internationales

Procédure administrative contentieuse
CEDH, 07/06/2012, Segame SA c. France Req. no 4837/06
CEDH, 04/06/2013, Marc-Antoine c. France, Req. no 54984/09
Exécution des décisions de justice
CEDH, 11/07/2013, Sofiran et Bda c. France, Req. no 63684/09
Liberté d’expression
CEDH, 15/12/2011, Mor c. France, Req. no 28198/09
CEDH, 28/06/2012, Ressiot et autres c. France, Req. nos 15054/07 et 15066/07
CEDH, 12/04/2012, De Lesquen du Plessis-Casso c. France, Req. no 54216/09
CEDH, 12/04/2012, Martin et autres c. France, Req. no 30002/08
CEDH, 10/01/2013, Ashby Donald et autres c. France, Req. no 36769/08
CEDH, 14/04/2013, Eon c. France, Req. no 26118/10
CEDH 11/07/2013, Morice c. France Req. no 29369/10
CEDH, 10/10/2013, Jean-Jacques Morel c. France, Req. no 25689/10
CEDH, 30/01/2014, De Lesquen Du Plessis-Casso c. France (no 2), Req. no 34400/10
CEDH, 12/06/2014, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France, Req. no 40454/07
Droit au respect de la vie privée
CEDH, 13/12/2012, Flamenbaum et autres c. France, Req. nos3675/04 et 23264/04
CEDH, 15/03/2012, Gas et Dubois c. France, Req. no 25951/07
CEDH, 04/10/2012, Harroudj c. France, Req. no 43631/09
CEDH, Grande chambre, 07/02/2013, Fabris c. France Req. no 16574/08
CEDH, 07/03/2013, Raw et autres contre France, Req. no 10131/11
CEDH, 18/04/2013, M. K. c. France, Req. no 19522/09
CEDH, 26/09/2013, Zambotto Perrin c. France, Req. no 4962/11
CEDH, Décision, 27/08/2013, Ram et autres c. France, Req. no 38275/10
CEDH, 26/06/2014, Mennesson c. France, Req. no 65192/11
Traite et exploitation
CEDH, Décision, 29/11/2011, V. F. c. France, Req. no 7196/10
CEDH, 11/10/2012, C. N. et V. c. France, Req. no 67724/09
Droits des étrangers, droit d’asile
CEDH, 10/11/2011 Mallah c. France, Req. no 29681/08
CEDH, 19/01/2012, Popov c. France, Req. nos 39472/07 et 39474/07
CEDH, 02/02/2012, I. M. c. France, Req. no 9152/09
CEDH, Grande chambre, 13/12/2012, De Souza Ribeiro c. France, Req. no 22689/07
CEDH, 18/04/2013, Mo. M. c. France, Req. no 18372/10
CEDH, 30/05/2013 Rafaa c. France, Req. no 25393/10
CEDH, 06/06/2013, M. E. c. France, Req. no 50094/10
CEDH, 19/09/2013, R. J. c. France, Req. no 10466/11
CEDH, 10/10/2013, K. K. c. France, Req. no 18913/11
CEDH, 14/11/2013, Z. M. c. France, Req. no 40042/11
CEDH, 19/12/2013, N. K. c. France, Req. no 7974/11
Discriminations
CEDH, grande chambre, 04/10/2012, Chabauty c. France, Req. no 57412/08
CEDH, 17/10/2013, Winterstein et autres c. France, Req. no 27013/07
CEDH, 23/01/2014, Montoya c. France, Req. no 62170/10
Liberté de conscience
CEDH, 31/01/2013, Association des chevaliers du lotus d’or c. France, Req. no 50615/07 Église évangélique missionnaire et Salaûn c. France, Req. no 25502/07 Association cultuelle du temple Pyramide c. France, Req. no 50471/07
59
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Exécution des arrêts de la Cour
Exécution par l’État destinataire
Conformément à l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme
(CESDH), les États « s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les
litiges auxquels ils sont parties ». Les États sont tenus de s’y conformer en adoptant
des mesures individuelles et, si nécessaire, des mesures générales relatives notamment
à des modifications de la législation destinées à prévenir toute violation similaire dans
le futur. Les mesures individuelles doivent remettre les choses dans l’état antérieur
à la violation 90. Quant aux mesures générales, elles visent à prévenir des violations
semblables à celles constatées ou de mettre un terme à des violations continues (par
exemple, modification législative).
Aux termes de l’article 41 de la Convention, la Cour peut également, « si le droit interne
de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences
de cette violation », accorder « à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable ».
La surveillance de l’exécution des arrêts de la CEDH revient au Comité des ministres,
auquel est transmis l’arrêt devenu définitif 91, avec l’appui du service de l’exécution des arrêts de la CEDH, établi au sein de la direction générale des droits de
l’homme et des affaires juridiques. La procédure de surveillance de l’exécution des
arrêts a été modifiée en janvier 2011 et s’organise dorénavant autour d’une procédure à deux voies : la procédure standard et la procédure soutenue. Selon la procédure standard, qui concerne la majorité des affaires, l’État est tenu de remettre
au Comité un plan et/ou bilan d’action sur la manière dont il envisage d’exécuter l’arrêt ou dont il l’a déjà exécuté. La procédure soutenue concerne les affaires
nécessitant l’adoption de mesures individuelles urgentes ou révélant des problèmes
systémiques importants. Tant qu’un arrêt n’est pas exécuté, le Comité des ministres
poursuit ses échanges avec l’État concerné, inscrit ce point à son ordre du jour et
peut adopter des résolutions intérimaires. Il dispose également, depuis l’entrée en
vigueur du Protocole no 14 à la CESDH le 1er juin 2011, d’une possibilité de saisir
la Cour si l’exécution est entravée par une difficulté d’interprétation de l’arrêt, ou
si l’État défendeur refuse de se conformer à l’arrêt définitif (art. 46, paragraphes 3
et 4 de la CESDH). Une fois l’arrêt considéré comme exécuté, le Comité adopte une
résolution finale pour clore l’affaire.
Le Comité des ministres peut s’appuyer sur « toute communication transmise par des
organisations non gouvernementales, ainsi que par des institutions nationales pour
la promotion et la protection des droits de l’homme 92 ». À ce titre, la CNCDH et le
90. Frédéric Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, 11e édition, 2012.
91. Art. 46 de la Convention européenne des droits de l’homme.
92. Règle no 9 des règles du Comité des ministres pour la surveillance de l’exécution des arrêts et des termes
des règlements amiables, 10/05/2006.
60
Défenseur des droits ont pu adresser des communications au Comité des ministres
concernant l’exécution des arrêts de la Cour.
Au 30 juin 2014, 51 arrêts concernant la France sont pendants devant le Comité des
ministres. Deux concernent des nouvelles affaires, et n’ont pas encore été classés. Trois
arrêts font l’objet d’une procédure soutenue : De Souza Ribeiro c. France (voir la partie consacrée au droit des étrangers), I. M. c. France (voir la partie consacrée au droit
d’asile), et M. K. c. France (voir la partie consacrée au droit au respect de la vie privée
et familiale) ; 46 affaires sont en procédure standard. Parmi ces 51 arrêts, 12 ont été
prononcés il y a plus de deux ans. Le plus ancien arrêt pendant devant le Comité des
ministres est l’arrêt R. L. et M.-J. D. c. France en date du 19/05/2004 93.
Portée objective des arrêts de la Cour
Par ailleurs, l’obligation des États parties à la Convention de reconnaître, aux personnes
relevant de leur juridiction, les droits et libertés de la Convention les contraint à tirer
les conséquences d’un arrêt de la Cour qui concerne un autre État « lorsque son ordre
juridique comporte le même problème 94 ». À l’occasion de son arrêt Fabris c. France,
la grande chambre a ainsi souligné que « si le caractère essentiellement déclaratoire
des arrêts de la Cour laisse à l’État le choix des moyens pour effacer les conséquences
de la violation […], il y a lieu de rappeler en même temps que l’adoption de mesures
générales implique pour l’État l’obligation de prévenir, avec diligence, de nouvelles
violations semblables à celles constatées dans les arrêts de la Cour […]. Cela entraîne
l’obligation pour le juge national d’assurer, conformément à son ordre constitutionnel et dans le respect du principe de sécurité juridique, le plein effet des normes de la
Convention, telles qu’interprétées par la Cour 95 ».
Chaque État partie doit donc appliquer la jurisprudence de la Cour même lorsque l’arrêt ne le concerne pas. À cet égard, il appartenait aux autorités françaises de tirer, par
exemple, les conclusions qui s’imposaient à la suite des arrêts Salduz 96 et Dayanan 97
concernant le droit d’accès à un avocat dès le début de la garde à vue, même s’ils
concernaient la Turquie, et il n’était pas nécessaire d’attendre la condamnation de la
France pour des faits similaires 98. Pour cette raison, le présent rapport ne se contentera
pas de faire référence aux arrêts de la CEDH qui concernent la France ; pourront également être cités, de manière non exhaustive, les arrêts de la Cour qui peuvent sembler
pertinents eu égard au droit et à la pratique en vigueur en France.
93. CEDH, 19/05/2004, R. L. et M.-J. D. c. France, Req. no 44568/98.
94. Jean-Paul Costa, Mémorandum du président de la Cour européenne des droits de l’homme aux États en
vue de la Conférence d’Interlaken, 03/07/2009.
95. CEDH, grande chambre, 7/02/2013, Fabris c. France, Req. no 16574/08.
96. CEDH, grande chambre, 27/11/2008, Salduz c.Turquie, Req. no 36391/02.
97. CEDH, 13/10/2009, Dayanan c. Turquie, Req. no 7377/03.
98. CEDH, 14/10/2010, Brusco c. France, Req. no 1466/07.
61

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
FOCUS – Droit au réexamen de décisions définitives
en cas de condamnation par la CEDH
Dans un arrêt récent 99, le Conseil d’État a rappelé que « la complète exécution d’un arrêt
de la CEDH condamnant un État partie à la Convention implique, en principe, que cet État
prenne toutes les mesures qu’appellent, d’une part, la réparation des conséquences que
la violation de la Convention a entraînées pour le requérant et, d’autre part, la disparition de la source de cette violation ». En raison de « la nature essentiellement déclaratoire
des arrêts de la Cour, il appartient à l’État condamné de déterminer les moyens de s’acquitter de l’obligation qui lui incombe ». L’État doit verser les sommes que lui a allouées
la CEDH et adopter « les mesures individuelles et, le cas échéant, générales nécessaires
pour mettre un terme à la violation constatée ».
Le cas échéant, si le droit interne le prévoit, l’affaire définitivement jugée peut être révisée. À la suite de la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence, a ainsi été inséré
dans le code de procédure pénale un titre relatif au réexamen d’une décision pénale
consécutif au prononcé d’un arrêt de la CEDH 100. Selon les informations communiquées
par le secrétariat de la Commission de réexamen de la Cour de cassation, depuis 2003,
55 requêtes auraient été reçues, 16 auraient été déclarées irrecevables et 7 auraient été
rejetées. Il y aurait eu 32 cas soumis pour réexamen 101.
Cette procédure ne porte que sur les condamnations pénales, et pas sur les condamnations
civiles et administratives. Le Conseil d’État a ainsi considéré que l’exécution de l’arrêt de
la Cour ne peut toutefois « avoir pour effet de priver les décisions juridictionnelles de leur
caractère exécutoire » ; en conséquence, un arrêt de la CEDH qui constate qu’une décision rendue par une juridiction administrative au terme d’une procédure ne respecte pas le
droit au procès équitable n’ouvre pas droit à la révision de cette décision pour le requérant.
2. Organes politiques
Comité des ministres
Organe exécutif du Conseil de l’Europe, le Comité des ministres est investi, outre son rôle
de surveillance de l’exécution des arrêts de la CEDH, d’une mission de gardien du statut et
des conventions du Conseil de l’Europe et, partant, du suivi du respect des engagements
pris dans ce cadre par les États membres. Il est composé des ministres des Affaires étrangères de tous les États membres, ou de leurs représentants permanents à Strasbourg 102.
Au-delà de son rôle de surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour (voir supra),
le Comité des ministres est chargé de définir des orientations communes en matière
de protection des droits de l’homme au sein de l’organisation et des États membres.
99. CE, Sect, 04/10/2012, M. Gilbert B., Req. no 328502. Voir notamment Serge Slama, « Absence de droit
au réexamen de jugements définitifs suite à une condamnation de la France par la Cour de Strasbourg pour
violation du droit au procès équitable » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 16/10/2012.
100. Articles 626-1 et s. du code de procédure pénale.
101. Statistiques communiquées par le secrétariat de la Commission de réexamen, 04/02/2014.
102. Article 14 du statut.
62
Il peut assurer ce rôle par le biais de l’élaboration de standards et de lignes directrices,
dont il confie la rédaction à des organes intergouvernementaux institués ou ad hoc.
Parallèlement, en vertu du statut du Conseil de l’Europe, les conclusions du Comité des
ministres peuvent, s’il y a lieu, revêtir la forme de recommandations aux gouvernements
(art. 15 b). Le Comité des ministres peut, à cet effet, inviter les États à lui faire connaître
la suite donnée à ses recommandations, même si celles-ci n’ont pas force obligatoire.
Le Comité des ministres a créé, conformément à l’article 17 du statut du Conseil de
l’Europe, un Comité directeur pour les droits de l’homme (CDDH). Celui-ci a « pour
rôle principal, sous l’égide du Comité des ministres, de mettre en place des normes
communément acceptées par les 47 États membres pour développer et promouvoir les
droits de l’homme en Europe et pour améliorer l’efficacité du mécanisme de contrôle
instauré par la Convention européenne des droits de l’homme ». Il doit notamment
conseiller « le Comité des ministres sur toute question dans son domaine de compétence, en tenant dûment compte des perspectives transversales pertinentes ».
Les recommandations du Comité des ministres définissent des orientations concrètes pour
l’ensemble des États membres sur des thématiques particulières. On trouvera ci-après une
liste des recommandations du Comité des ministres formulées depuis octobre 2011 103.
Recommandations récentes
Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur les droits de l’enfant et les services sociaux adaptés
aux enfants et aux familles, 16/11/2011, CM/Rec(2011)12F
Comité des ministres Recommandation aux États membres sur les droits de l’enfant et les services sociaux adaptés
aux enfants et aux familles, 16/11/2011 CM/Rec(2011)12F
Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur la gouvernance des médias de service public,
15/02/2012, CM/Rec(2012)1F
Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur la protection des droits de l’homme dans le cadre
des services de réseaux sociaux, 04/04/2012, CM/Rec(2012)4F
Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur la protection des droits de l’homme dans le contexte
des moteurs de recherche, 04/04/2012, CM/Rec(2012)3F
Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur la protection et la promotion des droits des femmes
et des filles handicapées, 13/06/2012, CM/Rec(2012)6F
Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur la médiation comme moyen efficace de promouvoir
le respect des droits de l’homme et l’intégration sociale des Roms, 12/09/2012, CM/Rec(2012)9F
Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur la protection des enfants et des jeunes sportifs
contre des problèmes liés aux migrations, 19/09/2012, CM/Rec(2012)10F
Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur le rôle du ministère public en dehors du système de
justice pénale, 19/09/2012, CM/Rec(2012)11
Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur l’égalité entre les femmes et les hommes et les
médias, 10/07/2013, CM/Rec(2013)1F
Comité des ministres, Recommandation aux États membres : garantir la pleine inclusion des enfants et des jeunes
handicapés dans la société, 16/10/2013, CM/Rec(2013)2F
Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur la protection des lanceurs d’alerte, 30/04/2014, CM/
Rec(2014)7
103. Pour une vision exhaustive, il convient de se référer au site Internet du Comité des ministres (rubrique
« Textes adoptés »).
63

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
De plus, le Comité des ministres « intervient dans la phase finale des mécanismes de
contrôle sur la base de rapports nationaux » communiqués au Comité européen des
droits sociaux. Il « adopte une résolution qui clôture ainsi chaque cycle de contrôle », et
adresse « toute recommandation nécessaire à chacune des Parties contractantes ». Il n’a
pas formulé de recommandations concernant la France pendant la période de référence.
Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
En vertu du statut constitutif du Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe (APCE) « peut délibérer et formuler des recommandations sur toute
question répondant au but et rentrant dans la compétence du Conseil de l’Europe 104 »
(art. 23). Elle dispose de huit commissions, notamment sur les questions politiques et
de la démocratie ; sur les questions juridiques et des droits de l’homme ; sur les migrations, les réfugiés et les personnes déplacées ; et sur l’égalité et la non-discrimination.
Chacune de ces commissions peut être assistée d’une ou plusieurs sous-commissions
thématiques. Sur la base des travaux des commissions, l’Assemblée adopte des résolutions, qui reflètent ses décisions sur des questions qu’elle est habilitée à régler ou qui
expriment des opinions engageant sa seule responsabilité. Elle adopte également des
recommandations, qui comportent des propositions adressées au Comité des ministres,
dont l’application est du ressort des gouvernements ainsi que des avis, visant essentiellement des questions qui lui sont soumises par le Comité des ministres, telles que
l’adhésion de nouveaux États membres au Conseil de l’Europe mais aussi les projets de
conventions, le budget, ou encore la mise en œuvre de la Charte sociale.
Si la plupart de ces recommandations ou résolutions ne visent pas explicitement la
France, elles le font parfois implicitement tout en s’adressant plus généralement à l’ensemble des États membres. On trouvera ci-après une sélection non exhaustive de résolutions et recommandations adoptées par l’APCE entre octobre 2011 et juin 2014 105.
Recommandations et résolutions récentes
APCE, Droits fondamentaux et responsabilités fondamentales, 25/11/2011, Reco. no 1845
APCE, Protéger les droits humains et la dignité de la personne en tenant compte des souhaits précédemment
exprimés par les patients, 25/01/2012, Reco. 1993, Réso. no 1859
APCE, La situation des défenseurs des droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe,
27/06/2012, Réso. no 1891
APCE, La réponse européenne face à la crise humanitaire en Syrie, 04/10/2012, Réso. no 1902
APCE, Droits de l’homme et tribunaux des affaires familiales, 30/11/2012, Réso. no1908
APCE, Vers une Convention du Conseil de l’Europe pour lutter contre le trafic d’organes, de tissus et de cellules
d’origine humaine, 23/01/2013, Reco. no 2009
APCE, Migrations et asile : montée des tensions en Méditerranée orientale, 24/01/2013, Réso. no 1918, Reco.
no 2010
APCE, La gestion des défis en matière de migrations et d’asile au-delà de la frontière orientale de l’Union
européenne, 25/04/2013, Réso. no 1933
104. L’Assemblée parlementaire a succédé à l’Assemblée consultative à la suite d’une décision du Comité
des ministres de février 1994.
105. Ces textes sont disponibles dans leur intégralité sur le site Internet de l’APCE (rubrique « Textes adoptés »).
64
APCE, Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme, 25/04/2013, Réso. no 1932, Reco. no 2016
APCE, La promotion d’alternatives à l’emprisonnement, 31/05/2013, Réso. no1938, Reco. no 2018
APCE, L’égalité de l’accès aux soins de santé, 26/06/2013, Réso. no 1946, Reco. no 2020
APCE, Mettre fin aux stérilisations et castrations forcées, 26/06/2013, Réso. no 1945
APCE, Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité de genre, 27/06/2013, Réso.
no1948, Reco. no 2021
APCE, Contrôler les retours par voie terrestre, maritime ou aérienne des migrants en situation irrégulière et des
demandeurs d’asile déboutés, 22/11/2013, Reco. no 2028
APCE, La violence à l’égard des femmes en Europe, 22/11/2013, Réso. no 1963, Reco. no 2030
APCE, Une stratégie pour la prévention du racisme et de l’intolérance en Europe, 28/01/2014, Réso. no 1967, Reco. no 2032
APCE, Prostitution, traite et esclavage moderne en Europe, 08/04/2014, Réso. no 1983
APCE, La lutte contre le sida auprès des migrants et des réfugiés, 23/05/2014, Réso. no 1997
Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe
Organe indépendant, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
notamment, « […] contribue à la promotion du respect effectif et de la pleine jouissance des droits de l’homme dans les États membres, […] identifie d’éventuelles insuffisances dans le droit et la pratique des États membres en ce qui concerne le respect
des droits de l’homme tels qu’ils ressortent des instruments du Conseil de l’Europe,
encourage la mise en œuvre effective de ces normes par les États membres et les aide,
avec leur accord, dans leurs efforts visant à remédier à de telles insuffisances 106 ». Le
Commissaire centre ses travaux sur la promotion de réformes visant à améliorer concrètement la sensibilisation aux droits de l’homme et leur protection. Il ne peut être saisi de
plaintes individuelles mais est habilité à effectuer des visites au sein des États membres,
qui donnent lieu à des rapports et des recommandations. Il peut également émettre
un avis sur des projets de loi ou des pratiques spécifiques, soit à la demande d’autorités nationales, soit de sa propre initiative. Il a en outre pour mission de promouvoir la
sensibilisation aux droits de l’homme dans les États membres du Conseil de l’Europe.
À cette fin, son bureau organise ou coorganise des séminaires et manifestations sur
divers thèmes en relation avec les droits de l’homme. Il s’attache à établir un dialogue
permanent avec les gouvernements, les organisations de la société civile et les établissements d’enseignement afin de mieux sensibiliser le public aux normes du Conseil de
l’Europe en matière de droits de l’homme. Il développe enfin une coopération efficace
avec les structures nationales des droits de l’homme (médiateurs et institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme).
Nils Muižnieks a été élu Commissaire aux droits de l’homme par l’Assemblée parlementaire le 24 janvier 2012 et a pris ses fonctions le 1er avril 2012. Troisième Commissaire,
il a succédé à Thomas Hammarberg (2006-2012) et Alvaro Gil-Robles (1999-2006).
Chaque Commissaire fait au moins une visite pendant son mandat dans chaque pays
membre du Conseil de l’Europe.
106. Comité des ministres, Résolution (99) 50 sur le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, 07/05/1999.
65

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Le Commissaire aux droits de l’homme peut également effectuer des visites dans les
pays membres du Conseil de l’Europe. Le Commissaire s’est rendu à Strasbourg le
24 octobre 2013 et, le même jour, à Geispolsheim, où il a visité le centre de rétention.
Lors de sa visite, il s’est entretenu avec le personnel et les personnes retenues, puis
a rencontré le préfet du Bas-Rhin, avec qui il a pu avoir un échange de vues sur les
conséquences psychologiques de la rétention administrative, l’accueil des demandeurs
d’asile et le sort des mineurs isolés étrangers.
Observations récentes concernant la France
Lettre aux autorités françaises
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Lettre à la ministre de la Justice concernant la mise en
place d’audiences délocalisées au Centre de rétention du Ménil-Amelot et à la ZAPI III, 2013
Documents thématiques
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Protéger les droits de l’homme en période de crise
économique (Safeguarding Human Rights In Times of Economic Crisis), 12/2013, CommDH/IssuePaper(2013)2
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Le Droit de quitter un pays, 11/2013, CommDH/
IssuePaper(2013)1
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Le Droit des personnes handicapées à l’autonomie de
vie et à l’inclusion dans la société, 03/2012, CommDH/IssuePaper(2012)3
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Le Droit à la capacité juridique des personnes ayant des
déficiences intellectuelles et psychosociales, 02/2012, CommDH/IssuePaper(2012)2
Rapport annuel d’activité
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Rapport annuel d’activité 2013, 04/2014,
CommDH(2014)5
Secrétaire général du Conseil de l’Europe
Le Secrétaire général peut notamment, aux termes de l’article 52 de la CESDH, demander à chaque État partie des explications sur la manière dont son droit interne assure
l’application effective de toutes les dispositions de la Convention.
3. Organes de surveillance
Comité européen pour la prévention de la torture et
des peines ou traitements inhumains ou dégradants
Organe indépendant du Conseil de l’Europe mis en place par la Convention européenne
pour la prévention de la torture, le Comité européen pour la prévention de la torture
(CPT) a pour mandat d’« examiner le traitement des personnes privées de liberté en vue
de renforcer, le cas échéant, leur protection contre la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants ». Le CPT, composé d’experts indépendants, est chargé
66
d’effectuer des visites, d’une périodicité habituellement quadriennale, dans tous les lieux
où des personnes sont privées de liberté par décision des autorités publiques des États
membres. Mais il peut également organiser à tout moment des visites ad hoc sur toute
thématique ou toute situation particulière qui lui paraît justifiée. Les délégations du CPT
ont un accès illimité à tout lieu où des personnes sont privées de liberté – établissements
pénitentiaires, locaux de police ou de gendarmerie, « geôle » des tribunaux, hôpitaux
psychiatriques, centres de rétention administrative ou douanière, locaux disciplinaires des
enceintes militaires, centres éducatifs fermés – et ont le droit de se déplacer sans restriction
à l’intérieur de ceux-ci. Ses membres peuvent s’entretenir sans témoin avec des personnes
privées de liberté et entrer en contact librement avec toute personne susceptible de leur
fournir des informations. Après chaque visite, le CPT adresse un rapport détaillé à l’État
concerné, rassemblant ses recommandations, commentaires et demandes d’information.
Le Comité a publié le 19 avril 2012 le rapport élaboré consécutivement à la visite qui
s’était déroulée entre le 28 novembre et le 10 décembre 2010, en même temps que
la réponse du Gouvernement français.
Rapport récent concernant la France
CPT, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France du 28 novembre au
10 décembre 2010, 19/04/2012, (CPT)Rapport [CPT/Inf (2012) 13]
Réponse du Gouvernement français [CPT/Inf (2012) 14]
Comité européen des droits sociaux
La Charte sociale européenne, adoptée en 1961 et révisée en 1996 (CSER), garantit
des droits sociaux et économiques au sein des 29 États membres du Conseil de l’Europe qui l’ont ratifiée. La France a ratifié la version initiale de la Charte en 1973 et sa
version révisée le 7 mai 1999. Si les États ont eu la possibilité de ne pas s’engager sur
toutes ses dispositions lors de la ratification, la France figure parmi les rares pays à avoir
adhéré à l’ensemble de celles-ci. Le contrôle de la mise en œuvre des dispositions de
la Charte est opéré par le Comité européen des droits sociaux (CEDS), qui évalue de
manière indépendante la conformité du droit national à la Charte.
Il adopte des conclusions dans le cadre d’un système de rapports nationaux réguliers 107.
Depuis 2006, l’examen des dispositions de la Charte révisée est cyclique et thématique. Les articles de la Charte sont divisés en quatre groupes, les États soumettant
ainsi chaque année un rapport sur une partie de la Convention. Il s’agit de rapports
publics sur lesquels les partenaires sociaux, c’est-à-dire les organisations d’employeurs,
les syndicats de travailleurs et les ONG, font également des observations. Le CEDS
adopte des conclusions relevant la conformité ou la non-conformité des législations
et pratiques nationales avec les dispositions de la Charte. Ces conclusions sont ensuite
transmises au Comité gouvernemental qui sélectionne les situations de non-conformité
107. Sur la base de ses conclusions, un comité gouvernemental (art. 27 de la Charte) établit un rapport au
Comité des ministres du Conseil de l’Europe qui « peut adresser toutes recommandations nécessaires à chacune des Parties contractantes » (art. 29 de la Charte dans la version de 1961).
67

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
devant faire l’objet de recommandations puis les examine. L’État en cause doit alors lui
présenter les mesures qu’il a prises ou qu’il envisage de prendre afin de se mettre en
conformité avec la Charte. Si le Comité considère que les mesures envisagées ne sont
pas satisfaisantes ou suffisantes, il peut proposer au Comité des ministres du Conseil
de l’Europe de rédiger une recommandation visant l’État concerné afin qu’il mette sa
législation nationale en conformité avec la Charte, à la lumière des conclusions du CEDS.
Depuis 1998, aucune recommandation n’a été formulée à la France dans ce cadre.
Par ailleurs, la France a adhéré le 7 mai 1999 au Protocole additionnel à la Charte sociale
européenne instaurant un système de réclamations collectives. En vertu de cette procédure, le Comité peut donc être saisi par les organisations internationales d’employeurs
et de travailleurs (Confédération européenne des syndicats (CES), BUSINESSEUROPE
(ex-UNICE), Organisation internationale des employeurs (OIE), les organisations d’employeurs, les syndicats de l’État concerné et les organisations internationales non gouvernementales (OING) dotées du statut participatif auprès du Conseil de l’Europe et
inscrites sur la liste établie à cette fin par le Comité gouvernemental de la Charte pour
une période de quatre ans, renouvelable. La France n’a, en revanche, pas encore fait
à ce jour de déclaration habilitant les ONG nationales – et non seulement internationales – à introduire des réclamations collectives.
L’examen de ces réclamations par le CEDS vise à reconnaître ou non la violation alléguée. À la suite de la réception d’une réclamation, le CEDS organise une procédure
écrite contradictoire entre les parties, avec échange de mémoires. Si cela s’avère nécessaire, il peut également organiser une audition publique. Après avoir entendu les
deux parties, le CEDS se prononce sur le bien-fondé de la réclamation et rédige alors
une recommandation. Il transmet ensuite sa décision aux parties ainsi qu’au Comité
des ministres. Ce dernier prend note dans une résolution du rapport qui lui est ainsi
transmis par le CEDS et peut aussi adopter une recommandation supplémentaire afin
d’obtenir de l’État concerné qu’il mette sa législation en conformité avec la Charte
sociale européenne. On trouvera ci-après une liste exhaustive des réclamations collectives examinées entre octobre 2011 et juin 2014 par le CEDS 108. Ne sont pas incluses
ici les réclamations visant la France ayant été déclarées irrecevables.
Observations récentes concernant la France
Conclusions
CEDS, Conclusions 2011 (France) : articles 7, 8, 16, 17, 19, 27 et 31 de la Charte révisée (publiées en janvier 2012)
CEDS, Conclusions 2012 (France) : articles 1, 9, 10, 15, 18, 20, 24 et 25 de la Charte révisée
CEDS, Conclusions 2013 (France) : articles 3, 11, 12, 13, 14, 23 et 30 de la Charte révisée
108. Les réclamations, ainsi que les éventuels documents et argumentaires du Gouvernement, sont disponibles sur le site du CEDS (rubrique « Procédure de réclamations collectives », « Liste des réclamations »).
68
Approche institutionnelle – Instances internationales

Décisions
CEDS, 24/01/2012, Forum européen des Roms et des Gens du Voyage (FERV) c. France, Réc. no 64/2011
CEDS, 11/09/2012, Médecins du monde International c. France, Réc. no 67/2011
CEDS, 12/09/2012, Syndicat de défense des fonctionnaires c. France, Réc. no 73/2011
CEDS, 23/10/2012, Conseil européen des syndicats de police (CESP) c. France, Réc. no 68/2011
CEDS, 19/03/2013, Comité européen d’action spécialisée pour l’enfant et la famille dans leur milieu de vie
(EUROCEF) c. France, Réc. no 82/2012
CEDS, 11/09/2013, Action européenne des handicapés (AEH) c. France, Réc. no 81/2012
CEDS, 02/12/2013, Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) c. France, Réc. no 84/2012
Commission européenne
contre le racisme et l’intolérance
Créée en 1993, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI)
est un organe indépendant du Conseil de l’Europe, composé d’experts indépendants
désignés par les États membres. Son mandat, conformément à son statut 109, est de
« combattre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance dans la grande Europe sous l’angle de la protection des droits de l’homme,
à la lumière de la Convention européenne des droits de l’homme, de ses protocoles
additionnels et de la jurisprudence y relative ». L’ECRI remplit ses fonctions par différents
moyens : l’étude de l’efficacité des mesures nationales et internationales visant à lutter
contre ces phénomènes, la formulation de recommandations aux États et l’incitation
à l’action aux niveaux local, régional et européen. Un des volets du programme d’activités de l’ECRI est l’analyse de la situation du racisme et de l’intolérance dans chacun
des États membres du Conseil de l’Europe, analyse qui la conduit à formuler des suggestions et des propositions aux États pour traiter les problèmes identifiés.
Le dernier rapport sur la France avait été adopté le 29 avril 2010. À cette occasion,
l’ECRI a « mis en place une nouvelle procédure de suivi intermédiaire qui s’applique
à un petit nombre de recommandations spécifiques formulées dans ses rapports par
pays ». Cette procédure a abouti à la publication de conclusions sur la mise en œuvre
des recommandations faisant l’objet d’un suivi intermédiaire concernant la France.
Conclusions récentes concernant la France
ECRI, Conclusions sur la mise en œuvre des recommandations faisant l’objet d’un suivi intermédiaire adressées à la
France, 20/03/2013, ECRI(2013)22
109. Comité des ministres, Résolution Res (2002) 8 relative au statut de la Commission européenne contre
le racisme et l’intolérance (ECRI).
69
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Groupe d’experts sur la lutte contre la traite
des êtres humains
Ouverte à la signature le 16 mai 2005, la Convention du Conseil de l’Europe sur la
lutte contre la traite des êtres humains (no 197) a été ratifiée par la France le 9 janvier
2008. Elle est entrée en vigueur le 17 décembre 2008. Son article 36.1 précise que le
Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA) « est chargé
de veiller à la mise en œuvre de la présente Convention par les Parties ». La procédure
d’évaluation de la mise en œuvre de la Convention est divisée en cycles, le premier
étant d’une durée de quatre ans (2010-2013 pour le cycle initial). Conformément aux
Règles concernant la procédure d’évaluation de la mise en œuvre de la Convention
du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains par les Parties,
un questionnaire est adressé aux États parties (par l’intermédiaire d’une « personne de
contact » nommée par la Partie concernée pour faire la liaison av ec le GRETA) pour
transmission aux différentes instances nationales concernées. Il est suivi d’une visite
dans le pays. La France s’est vue adresser un questionnaire en février 2011 et a remis
son rapport national avant la date limite du 1er septembre 2011. Une délégation du
GRETA a effectué une visite en France du 26 au 30 mars 2012. À la suite de cette
visite, le GRETA a préparé « un projet de rapport contenant ses analyses de la mise en
œuvre de la Convention par la France, ainsi que des suggestions sur les mesures supplémentaires à prendre », ce projet de rapport a été « transmis au Gouvernement français pour commentaires », puis le GRETA a préparé son rapport final, qu’il a « rendu
public, accompagné des éventuels commentaires finaux du Gouvernement français ».
À la suite de la publication du rapport du GRETA, le Comité des Parties a adressé des
recommandations à la France pour que soient mises en œuvre les conclusions du GRETA.
Observations récentes concernant la France
GRETA, Rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite
des êtres humains par la France, 1er cycle d’évaluation, 28/01/2013, GRETA(2012)16
Comité des Parties de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains,
15/02/2013, Recommandation CP (2013) sur la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte
contre la traite des êtres humains par la France adoptée lors de la 10e réunion du Comité des Parties
Groupe d’experts sur la lutte contre la violence
à l’égard des femmes
Le 7 avril 2011, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Convention
sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. Ouverte à la signature à Istanbul le 11 mai 2011, elle a été signée le même jour
par treize pays dont la France. Elle « entrera en vigueur le premier jour du mois suivant
l’expiration d’une période de trois mois après la date à laquelle dix signataires, dont au
moins huit États membres du Conseil de l’Europe, auront exprimé leur consentement à
70
être liés par la Convention 110 ». Douze États l’ont ratifié. La France l’a ratifié le 21 mai
2014. Certaines stipulations de la Convention avaient été transposées en droit interne 111.
Il convient ici de souligner que la Convention prévoit un mécanisme de suivi. Le Groupe
d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique « est composé de dix membres au minimum et de quinze membres au maximum,
en tenant compte d’une participation équilibrée entre les femmes et les hommes, et
d’une participation géographiquement équilibrée, ainsi que d’une expertise multidisciplinaire. Ses membres sont élus par le Comité des Parties parmi des candidats désignés par les Parties, pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois, et choisis
parmi des ressortissants des Parties 112 ». Les États sont tenus de présenter un rapport
sur la mise en œuvre de la Convention qui est examiné par le Groupe d’experts. Celui-ci
peut également organiser, « de manière subsidiaire, en coopération avec les autorités
nationales et avec l’assistance d’experts nationaux indépendants, des visites dans les
pays concernés, si les informations reçues sont insuffisantes ».
Commission européenne pour l’efficacité
de la justice
La Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) a été créée le 18 septembre 2002 par la Résolution Res(2002)12 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Elle a pour mandat d’analyser les résultats obtenus par les divers systèmes judiciaires,
d’identifier les domaines susceptibles d’être améliorés, de procéder à des échanges de
vues sur le fonctionnement des systèmes judiciaires et de définir des moyens concrets
d’améliorer l’évaluation et le fonctionnement du système judiciaire des États membres.
Elle se compose d’experts qualifiés des 47 États membres du Conseil de l’Europe. Elle a
publié un rapport d’évaluation des systèmes judiciaires européens en septembre 2012.
Celui-ci consacre un certain nombre de pages à la situation française.
Rapport récent
CEPEJ, « Rapport d’évaluation des systèmes judiciaires européens », édition 2012 (données 2010), Les Études de la
CEPEJ, no 18, 20/09/2012
110. Article 75 de la Convention.
111. Voir la loi no 2013-711 du 05/08/2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de
la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.
112. Article 66 de la Convention.
71

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 7
Union européenne
Les différents Traités successifs ont progressivement consacré des compétences générales en matière de droits et libertés. En tant qu’ordre normatif, l’Union européenne
devient un objet soumis au regard des instances internationales en matière de droits
de l’homme. En outre, l’Union s’est progressivement dotée d’un véritable corpus en
matière de droits fondamentaux, avec des instances de surveillance. L’entrée en vigueur
de la Charte des droits fondamentaux, qui a, depuis le Traité de Lisbonne, la même force
juridique obligatoire que les Traités, a constitué une étape importante de ce processus.
1. Regards des instances internationales
sur l’Union européenne
Si le Traité de Rome ne consacrait qu’une place marginale aux droits de l’homme, certains
objectifs de la Communauté n’en étaient pas éloignés (libre circulation des personnes,
droit d’établissement notamment). A partir de l’adoption de l’acte unique européen, les
institutions européennes se sont d’avantage impliquées dans l’élaboration de politiques
ayant des conséquences importantes en matière de droits fondamentaux. A la suite du
Traité de Maastricht, un pilier a été consacré à la coopération dans les domaines de la
justice et des affaires intérieures. Avec l’intégration des matières relevant de ce pilier
dans le premier pilier, jusqu’à l’aboutissement qu’a constitué le Traité de Lisbonne, les
interventions de l’Union dans le domaine des droits et libertés se sont multipliées : droit
d’asile, droit des étrangers, droit pénal, protection de la vie privée et familiale, etc. sont
aujourd’hui très largement régies par le droit de l’Union. Les politiques pertinentes renvoient en particulier à la construction d’un espace de liberté, de sécurité et de justice, dont
les orientations stratégiques sont actuellement définies par le programme de Stockholm
(2010-2014), adopté par le Conseil européen le 11 décembre 2009 113.
Progressivement, l’Union européenne est devenue un « objet » soumis au regard des
instances internationales des droits de l’homme. Cela s’est fait soit à travers le prisme
national, par l’étude de la mise en œuvre par un État membre du droit de l’UE, soit
par l’étude exhaustive du droit de l’Union. Pour cette raison, nous ferons référence
aux observations des instances internationales qui portent soit sur ces politiques dans
leur ensemble, soit, lorsque cela est pertinent, sur celles conduites par d’autres États
membres appliquant le droit de l’Union de la même manière que la France.
113. Désormais institution de l’UE à part entière, le Conseil européen, composé des chefs d’État ou de
Gouvernement des États membres et du président de la Commission, fournit à l’Union « l’impulsion nécessaire à son développement », définit « les orientations politiques générales », mais « n’exerce pas de fonction
législative » (art. 15 TUE). Le traité de Lisbonne prévoit la convocation de deux réunions par semestre, à l’initiative du président du Conseil, fonction également instituée par le traité.
72
Concernant les droits sociaux, le Comité européen des droits sociaux a pu considérer
que le droit de l’Union ne permettait pas une prise en compte des droits sociaux telle
qu’il devait considérer que le droit de l’Union était, prima facie, conforme à la CSER 114.
Cette insuffisante protection des droits sociaux peut être illustrée « par l’absence, à ce
stade, d’une volonté politique de l’Union européenne et de ses États membres d’envisager l’adhésion de l’Union à la Charte sociale européenne en même temps que l’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme ».
L’élargissement progressif du droit de l’Union à de nouvelles matières a restreint le
pouvoir d’adhésion des États membres : la Cour de justice des Communautés européennes 115 a ainsi précisé que « chaque fois que, pour la mise en œuvre d’une politique commune prévue par le Traité, la Communauté a pris des dispositions instaurant,
sous quelque forme que ce soit, des règles communes, les États membres ne sont plus
en droit, qu’ils agissent individuellement ou même collectivement, de contracter avec
les États tiers des obligations affectant ces règles » ; ainsi, « la Communauté seule est
en mesure d’assumer et d’exécuter, avec effet pour l’ensemble du domaine d’application de l’ordre juridique communautaire, les engagements contractes à l’égard d’États
tiers ; qu’on ne saurait, dès lors, dans la mise en œuvre des dispositions du Traité,
séparer le régime des mesures internes à la Communauté de celui des relations extérieures ». Seule une décision du Conseil peut en ce cas autoriser les États membres à
ratifier cette Convention. Si la procédure a été engagée concernant par exemple la
Convention no 189 de l’OIT 116, l’absence d’autorisation fait obstacle à la ratification
de la Convention des Nations unies sur les travailleurs migrants.
Il convient ici de mentionner le problème de l’articulation du droit du Conseil de l’Europe avec le droit de l’Union européenne. L’article 6 du Traité sur l’Union européenne
prévoit que « l’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales. Cette adhésion ne modifie pas les compétences
de l’Union telles qu’elles sont définies dans les Traités 117 ». Le processus d’adhésion de
l’Union européenne à la CESDH a été initié, et les négociations ont été menées entre
la Commission européenne, et, pour le Conseil de l’Europe, le Comité directeur pour
les droits de l’homme, plus précisément un groupe informel, le CDDH-UE. Un projet
d’accord d’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de
l’homme, regroupant différents textes nécessaires à sa mise en œuvre, a été finalisé le
5 avril 2013 118. La ratification ne sera toutefois possible qu’une fois que la CJUE aura
confirmé la compatibilité de ce projet d’accord avec les Traités de l’UE.
114. CEDS, 23/06/2010, Confédération générale du travail (CGT) c. France, Réc. no 55/2009, décision sur
le bien-fondé ; voir également CEDS, 07/12/2012, Fédération des pensionnés salariés de Grèce (IKA, ETAM)
c. Grèce, Réc. no 76/2012.
115. CJCE, 31/03/1971, Commission des Communautés européennes contre Conseil des Communautés
européennes, 22-70.
116. Proposition de décision du Conseil autorisant les États membres à ratifier, dans l’intérêt de l’Union européenne, la Convention de l’Organisation internationale du travail de 2011 concernant un travail décent pour
les travailleuses et travailleurs domestiques (Conventio no 189) /*COM/2013/0152 final - 2013/0085 (NLE)*/.
117. Article 6 du TUE.
118. Voir le site de la division du droit et de la politique des droits de l’homme du Conseil de l’Europe,
Adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme, documents de travail.
73

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
2. Mécanismes européens de
surveillance des droits de l’homme
L’article 2 du Traité sur l’UE dispose que « l’Union est fondée sur les valeurs de respect
de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que
de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des
minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée
par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité, et l’égalité
entre les femmes et les hommes ». Depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne le
1er décembre 2009, les dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’UE du
7 décembre 2000 sont contraignantes pour les institutions de l’UE, la France et les autres
États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit européen. L’article 51 de la Charte
précise ainsi que « les institutions, organes et organismes de l’Union » […] « respectent
les droits [reconnus dans la Charte], observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des
compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les Traités ». À l’occasion
d’un arrêt de grande chambre 119, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le
champ couvert par la Charte : les droits fondamentaux garantis par la Charte doivent
« être respectés lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application
du droit de l’Union », ce qui signifie qu’« il ne saurait exister de cas de figure qui relèvent
ainsi du droit de l’Union sans que lesdits droits fondamentaux trouvent à s’appliquer.
L’applicabilité du droit de l’Union implique celle des droits fondamentaux garantis par la
Charte ». Cela implique donc que le droit dérivé de l’Union (règlements, directives, décisions, ainsi que recommandations et avis [art. 288 du TFUE]), émanant des différents
organes européens, respecte les droits reconnus par la Charte, mais également que les
États respectent la charte, en droit et en pratique, dès lors que le droit de l’UE s’applique.
La Cour de justice de l’Union européenne renforce progressivement son contrôle sur la
situation des droits de l’homme au sein de l’Union (1). Ce contrôle ne doit pas occulter
le rôle joué par les autres instances de l’Union, qui peuvent toutes, à des degrés divers,
évaluer la situation des droits de l’homme en France dans le cadre de leurs activités
normatives ou consultatives, suivant des modalités propres. Doivent donc être présentés ici brièvement les travaux pertinents du Conseil de l’UE (2), de la Commission
européenne (3), du Parlement européen (4), de l’Agence des droits fondamentaux (5).
Il convient également de consacrer quelques lignes au rôle joué par les agences, qui
se multiplient et qui peuvent, de manière incidente, se prononcer sur la situation des
droits de l’homme en France (6).
119. CJUE, grande chambre, 26/02/2013, Åklagaren c. Hans Åkerberg Fransson, C-617/10.
74
Approche institutionnelle – Instances internationales

Organe juridictionnel :
la Cour de justice de l’Union européenne
La Cour de justice des Communautés européenne, devenue depuis le 1er décembre
2009 Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), s’est montrée très tôt sensible
aux droits de l’homme 120. Son rôle en matière de surveillance des droits de l’homme
s’est étendu en même temps que le droit de l’Union s’élargissait 121. La reconnaissance
d’une valeur contraignante à la Charte des droits fondamentaux améliore cette protection, et permet donc à la Cour d’élargir plus encore son contrôle.
La Cour peut également faire référence à certaines normes extérieures au droit de
l’Union. Ainsi que le souligne l’Agence européenne des droits fondamentaux 122, « la
CJUE a fait référence à la Charte sociale européenne 123, au Pacte international relatif
aux droits civils et politiques 124 et aux conventions de l’OIT 125, ce qui témoigne de l’habitude d’interpréter le droit de l’UE en accord avec les normes internationales reconnues en matière de droits fondamentaux ». En outre, lorsqu’elle identifie des principes
généraux du droit, la Cour « s’inspire […] des indications fournies par les instruments
internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les pays européens ont coopéré et adhéré 126 ».
Certaines procédures contentieuses sont particulièrement importantes en matière de
droits fondamentaux 127, et peuvent amener la CJUE à se prononcer sur le respect des
droits de l’homme en France soit directement, soit indirectement. Si les juridictions
nationales sont juges de droit commun du droit de l’UE, la Cour de justice de l’Union
européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel sur l’interprétation des
Traités et sur la validité et l’interprétation du droit de l’UE dérivé 128. L’article 23 bis du
statut de la CJUE prévoit que les renvois préjudiciels relatifs à l’espace de liberté, de
sécurité et de justice peuvent être traités selon une procédure d’urgence. Certains arrêts
importants de la Cour de justice de l’Union européenne ont été adoptés au terme de
cette procédure, et notamment les arrêts Dridi et Kadzoev (voir la partie du rapport
consacrée aux droits des étrangers). Le délai moyen de jugement selon cette procédure
était, à la fin de l’année 2011, de soixante-six jours 129.
120. Voir les arrêts classiques CJCE, 12/11/1969, Stauder c. Ville d’Ulm, Sozialamt, 29-69, et CJCE
17/12/1970, « Internationale Handelsgesellschaft », 11-70.
121. Pour un exemple de contrôle de la CJUE en dehors de son cadre de compétence traditionnelle, voir CJUE,
15/11/2012, Bamba contre Conseil, C-417/11 P.
122. FRA, Les Droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière dans l’Union européenne, 2011.
123. CJCE, 15/06/1978, Defrenne c. Sabena (no 3), C-149/77.
124. CJCE, 18/10/1989 Orkem c. Commission des Communautés européennes, C-374/87 ; Grant c. SouthWest Trains Ltd., C-249/96, 17 février 1998.
125. CJCE, 23/04/1991 Hofner et Elser c. Macrotron, C-41/90 ; CJCE, 2/08/1993, Levy, C-158/91 ; CJCE,
16/01/1997, Commission c. France, C-197/96.
126. CJUE, Avis du 28/03/1996, Adhésion de la Communauté à la Convention de sauvegarde des droits de
l’homme et des libertés fondamentales, Avis 2/94, Recueil de jurisprudence, 1996.
127. Sur les différents recours ouverts, voir notamment la présentation qui en est faite sur le site de la CJUE.
128. Article 267 du TFUE.
129. CJUE, Rapport sur la mise en œuvre de la procédure prioritaire d’urgence 31/01/2012 ; voir également, Laure
Clément-Wilz, « La procédure préjudicielle d’urgence, nouveau théâtre du procès européen ? », Groupe ELSJ, 2012.
75
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Est également ouvert un recours en manquement ; après une phase préalable, la
Commission peut saisir la CJUE, qui peut constater un manquement de l’État membre
à l’une de ses obligations.
Doivent également être mentionnés le recours en carence (art. 265 du TFUE), ouvert à
un État membre, à un organe européen (le Parlement par exemple) ou à un particulier,
et tendant à faire constater l’inaction de l‘un des organes européens malgré une invitation préalable à agir, ou encore le recours en annulation (art. 263 et 264 du TFUE),
par lequel un État membre ou un particulier peut soulever l’illégalité d’un acte européen. La CJUE est compétente en premier ressort pour ces deux derniers recours s’ils
ont été introduits par un État membre, alors que le Tribunal de première instance est
compétent pour les autres requérants, y compris les particuliers.
Au fil de cet ouvrage, trois hypothèses peuvent être distinguées. La première est celle où
la CJUE constate, de manière directe ou indirecte, mais claire, une violation par la France
de ses obligations en matière de droits de l’homme découlant de l’UE. La décision de
la CJUE est alors intéressante d’un point de vue historique, et peut créer des doutes sur
des dispositifs qui présentent des similarités. Cependant, en principe, l’arrêt de la CJUE
met fin à la violation, laissant éventuellement aux autorités nationales la charge de déterminer les modalités de mise en œuvre de l’arrêt. On peut se référer aux cas ci-dessous.
La seconde hypothèse, beaucoup plus large, est celle où la CJUE se prononce sur la
portée exacte du droit de l’Union dérivé, et qu’il semble ressortir des motifs de cette
décision que le droit français n’est pas conforme au droit de l’UE. Il est cependant
impossible d’identifier de manière exhaustive l’intégralité des insuffisances du droit
français. On peut se référer aux cas ci-dessous.
Une dernière hypothèse est celle où la validité ou la portée d’un acte de l’UE directement applicable en droit interne est en jeu sans que le problème de la conformité du
droit français au droit de l’UE apparaisse avec évidence. Il s’agit plus de signaler un
élargissement, par la CJUE, des garanties reconnues aux citoyens, qu’il appartient aux
autorités nationales de garantir. On peut se référer au cas ci-dessous.
Principaux arrêts concernant la France
CJUE, grande chambre, 06/12/2011, Alexandre Achughbabian c. Préfet du Val-de-Marne, C-329/11
CJUE, 27/09/2012, Cimade et GISTI c. Ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer, des Collectivités territoriales et de
l’Immigration, C-179/11
CJUE, grande chambre, 05/09/2012, Joao Pedro Lopes Da Silva Jorge, C-42/11
CJUE, 12/12/ 2013, Frédéric Hay contre Crédit agricole mutuel de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres, C-267/12
CJUE, 28/04/2011, Hassen El Dridi, alias Soufi Karim c. Italie, C-61/11
CJUE, 05/06/2014, Bashir Mohamed Ali Mahdi, C-146/14 PPU
CJUE, grande chambre, 13/05/2014, Google Spain SL, Google Inc. c. Agencia Española de Protección de Datos
(AEPD), Mario Costeja González, C-131/12
76
Approche institutionnelle – Instances internationales

Organes politiques
Commission européenne
La Commission européenne a pour fonction principale de proposer et de mettre en
œuvre les politiques adoptées par le Parlement et le Conseil de l’UE. Gardienne des
Traités, elle est amenée à jouer un rôle important et croissant dans le domaine de la
protection des droits de l’homme au sein de l’UE. Ses commissaires chargés de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté européenne (vice-président de la
Commission) d’une part, des affaires intérieures et de l’emploi d’autre part, et des
affaires sociales et de l’inclusion enfin, sont particulièrement compétents à ce titre.
Elle publie depuis 2011 un rapport annuel sur la mise en œuvre de la Charte des droits
fondamentaux. La Commission peut s’appuyer sur des groupes d’experts qui lui fournissent leur expertise sur la mise en œuvre du droit de l’UE. Peuvent être ici cités : le
Réseau d’experts socio-économiques qui fournit à la Commission une analyse approfondie de la situation et des politiques menées dans chaque pays et encourage l’échange
de bonnes pratiques entre les membres du groupe d’experts gouvernementaux sur les
principales formes de discrimination (âge, handicap, origine ethnique ou raciale, orientation sexuelle, religion ou croyance) ; le Réseau académique européen d’experts dans
le domaine du handicap ; le Réseau d’experts juridiques dans le domaine de la nondiscrimination, qui fournit des informations sur la mise en œuvre par les pays de l’UE
des deux directives européennes portant sur la lutte contre la discrimination et identifie les bonnes pratiques en matière de protection juridique contre les discriminations.
Rapports récents
Rapports annuels
Commission européenne, Rapport 2011 sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne, 16/04/2012, {SWD(2012) 84 final}
Commission européenne, Rapport 2012 sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne, 08/05/2013, {SWD(2013) 171 final}
Commission européenne, Rapport 2013 sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne, 14/04/2013, {SWD(2014) 141 final}
En matière de contrôle, la Commission est plus généralement en capacité de formuler des recommandations ou des avis, qui lui permettent d’attirer l’attention des États
membres sur d’éventuelles insuffisances. Elle peut également engager une procédure
de recours en manquement contre un État membre, lorsqu’elle estime que celui-ci est
en infraction vis-à-vis du droit de l’UE en raison de l’absence de transposition, ou à
une transposition ou application inadaptée d’une ou plusieurs dispositions normatives
européennes (art. 258 du TUE). À cet effet, la Commission peut initialement engager
une procédure administrative précontentieuse, dite « procédure d’infraction », avec
mise en demeure obligeant l’État visé à lui soumettre, dans un délai déterminé, des
observations sur le problème d’application du droit de l’Union identifié. Sur cette base,
elle fixe éventuellement sa position dans un avis motivé. Si les garanties de mise en
conformité apportées par l’État membre sont alors jugées insuffisantes, elle peut, en
dernier ressort, saisir la Cour de justice de l’UE.
77
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Conseil de l’Union européenne
Le Conseil de l’Union européenne, qui doit être bien distingué du Conseil européen 130
et du Conseil de l’Europe, est composé d’un représentant de chaque État membre au
niveau ministériel, habilité à engager le Gouvernement de l’État membre qu’il représente et à exercer le droit de vote 131. S’il joue un rôle de définition des politiques et
de coordination, il n’exerce pas de contrôle continu et indépendant de la situation des
droits de l’homme au sein des États membres.
Les dispositions prévues par l’article 7 du Traité sur l’UE lui attribuent néanmoins une
compétence décisive pour entendre un État membre et lui adresser des recommandations avant éventuellement de constater « un risque clair de violation grave […] des
valeurs visées à l’article 2 » précité ou « l’existence d’une violation grave et persistante »
de ces mêmes valeurs, après avoir invité l’État concerné à présenter ses observations.
Dans l’éventualité où il constaterait un risque de violation grave, le Conseil est habilité à
« suspendre certains des droits découlant de l’application des Traités » à l’encontre d’un
État membre (y compris les droits de vote du représentant du Gouvernement de l’État
membre au sein du Conseil). Si cette procédure n’a, à ce jour jamais été utilisée, la Hongrie
s’est vue menacée par cette suspension à la suite de l’adoption d’une loi sur les médias.
À titre annexe, on pourra souligner son rôle en matière de coordination de l’action extérieure dans le domaine des droits de l’homme. Alors que le Conseil européen « identifie
les intérêts stratégiques de l’Union, fixe les objectifs et définit les orientations générales
de la politique étrangère et de sécurité commune, y compris pour les questions ayant
des implications en matière de défense », le Conseil « élabore la politique étrangère et
de sécurité commune et prend les décisions nécessaires à la définition et à la mise en
œuvre de cette politique, sur la base des orientations générales et des lignes stratégiques définies par le Conseil européen » (art. 26 du TUE). Il encadre ainsi l’action des
États membres de l’Union dans leurs actions extérieures.
Parlement européen
Au sein de l’UE, le Parlement européen contribue à la formation, à la mise en œuvre et
à l’évaluation des politiques dans le domaine des droits de l’homme par le biais de résolutions et de rapports. Son activité s’appuie sur les travaux de commissions parlementaires (commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures, commission
des droits de la femme et de l’égalité des genres, commission des affaires constitutionnelles, commission des affaires étrangères et sous-commission des droits de l’homme).
Celles-ci se réunissent en public et sont compétentes, par l’intermédiaire de rapports ou
d’avis, pour examiner et proposer des amendements aux propositions de directives et
règlements élaborés par la commission et dont est également saisi le Conseil de l’UE.
130. Celui qui désigne les sommets des chefs d’État ou de Gouvernement des 28 États membres.
131. Article 16 du traité sur l’Union européenne.
78
Dans le cadre de ses fonctions législatives, le Parlement européen adopte de nombreuses résolutions thématiques pertinentes pour la protection et la promotion des
droits au sein de l’UE. Ses résolutions ne visent généralement pas d’État membre de
l’UE en particulier 132.
Organes de surveillance
Le principal organe de surveillance est l’Agence européenne des droits fondamentaux.
De plus, d’autres instances peuvent exercer, sur des domaines spécifiques, un rôle de
surveillance.
Agence européenne des droits fondamentaux
L’Agence des droits fondamentaux de l’UE (FRA), créée le 15 février 2007 133 en remplacement de l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes, a pour
mission de « fournir aux institutions, organes, organismes et agences compétents de la
Communauté, ainsi qu’à ses États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit communautaire, une assistance et des compétences en matière de droits fondamentaux,
afin de les aider à respecter pleinement ces derniers, lorsque, dans leurs domaines de
compétence respectifs, ils prennent des mesures ou définissent des actions 134 ».
L’Agence est notamment chargée de collecter et d’analyser des données ; d’en améliorer la comparabilité et la fiabilité à l’aide de nouvelles méthodes et normes ; de réaliser ou favoriser la réalisation de travaux de recherche et d’études dans le domaine des
droits et de formuler et publier des conclusions et des avis sur des sujets spécifiques,
soit de sa propre initiative, soit à la demande du Parlement européen, du Conseil ou de
la Commission. Elle est également mandatée pour favoriser le dialogue avec la société
civile, afin de sensibiliser le grand public aux droits fondamentaux et a mis en place
un réseau de coopération à cet effet. Des relations institutionnelles étroites sont également entretenues avec le Conseil de l’Europe et l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE). L’Agence n’est en revanche pas habilitée à traiter de
plaintes individuelles ni à exercer de compétences décisionnelles.
Adopté par le Conseil après avis du Parlement européen, un cadre pluriannuel fixe le programme de travail de l’Agence. Les thématiques suivantes y figurent pour la période 20132017 : l’accès à la justice ; les victimes de la criminalité, y compris l’indemnisation des victimes
de la criminalité ; la société de l’information et, en particulier, le respect de la vie privée et
la protection des données à caractère personnel ; l’intégration des Roms ; la coopération
judiciaire, excepté en matière pénale ; les droits de l’enfant ; les discriminations fondées sur
le sexe, la race, la couleur, l’origine ethnique ou sociale, les caractéristiques génétiques,
132. Néanmoins, les parlementaires ont exceptionnellement ciblé la France dans une résolution de septembre 2010 relative à la situation des Roms et la libre circulation des personnes dans l’UE.
133. Règlement (CE) no 168/2007 du Conseil du 15 février 2007 portant création de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne. Celle-ci est située à Vienne.
134. Ibid.
79

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion,
l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, le handicap, l’âge ou
l’orientation sexuelle ; l’immigration et l’intégration des migrants, les visas et les contrôles
aux frontières ainsi que l’asile ; le racisme, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée.
Les publications de l’Agence sont diverses. Outre ses rapports d’activité 135, elle publie
chaque année un rapport annuel sur les questions relatives aux droits fondamentaux
relevant de ses domaines d’actions. Ce rapport fait le point sur les principales évolutions en matière de droits fondamentaux au sein de l’UE. L’Agence y consacre chaque
année un focus à un sujet d’actualité : « Donner corps aux droits : le paysage des droits
fondamentaux dans l’Union européenne » en 2011 136, « L’Union européenne, une
communauté de valeurs : sauvegarder les droits fondamentaux en période de crise »
en 2012 137, et « Un cadre stratégique interne à l’UE en matière de droits fondamentaux : unir nos forces pour obtenir de meilleurs résultats » en 2013 138.
La FRA mène également un nombre conséquent de projets thématiques, selon des
méthodes scientifiques variées : analyses juridiques, études sociologiques de terrain,
enquêtes quantitatives, etc. Les publications issues de ces travaux contribuent à identifier les écarts entre le droit et la mise en œuvre des normes sur le terrain 139. Pour collecter les données fondant ses analyses comparatives, l’Agence mobilise un réseau de
recherche multidisciplinaire composé de partenaires dans chacun des États membres (réseau
FRANET) 140. Une autre originalité des publications de la FRA est qu’elles ne s’inscrivent
pas dans une perspective visant à dénoncer les violations des droits fondamentaux par
les États membres, mais plutôt à leur fournir une expertise pour améliorer la protection
des droits (en identifiant notamment des « pratiques prometteuses »). En conséquence,
si les publications peuvent faire apparaître des problèmes importants, on ne lira pas, à de
rares exceptions près, une condamnation explicite par l’Agence des pratiques nationales.
L’Agence joue également un rôle en matière de diffusion du droit de l’UE en matière de
droits fondamentaux. Parmi les différents outils développés en ce sens, on pourra mentionner des manuels pratiques dans différents domaines 141, une base de données jurisprudentielle européenne (regroupant des arrêts ou décisions mobilisant la Charte des droits
fondamentaux) 142 ou encore une compilation des normes fondamentales, européennes
et nationales, en matière de droits fondamentaux, également accessible en ligne 143.
135. FRA, Rapport annuel d’activité, 06/2014 ; FRA, Rapport annuel d’activité, 06/2013 ; FRA, Rapport annuel
d’activité, 06/2012.
136. FRA, Les Droits fondamentaux : défis et réussites en 2011, 06/2012.
137. FRA, Les Droits fondamentaux : défis et réussites en 2012, 07/2013.
138. FRA, Les Droits fondamentaux : défis et réussites en 2013, 06/2014.
139. Voir sur ce point l’avant-propos du directeur de la FRA dans FRA, Capacité juridique des personnes avec
un handicap intellectuel et personnes souffrant de troubles mentaux, 10/2013.
140. Pour la France, le partenaire est l’Institut français des droits et libertés (IFDL), voir le site Internet de
l’IFDL : http://ifdl-france.org/
141. FRA, Manuel de droit européen en matière de protection des données, 06/2014 ; FRA, Manuel de droit
européen en matière d’asile, de frontières et d’immigration, 06/2013 ; FRA, Manuel sur la création et l’accréditation des Institutions nationales des droits de l’homme dans l’UE, 10/2012.
142. http://infoportal.fra.europa.eu/InfoPortal/caselawFrontEndAccess.do?homePage=yes.
143. http://fra.europa.eu/fr/publications-and-resources/charterpedia.
80
Pendant la période de référence, les résultats de plusieurs enquêtes réalisées par la
FRA ont été publiés.
Publications récentes
Protection des données
FRA, Protection des données : accès aux voies de recours, 01/2014
Migrations
FRA, Migrants en situation irrégulière : accès aux soins de santé dans dix États membres de l’Union européenne,
10/2011
FRA, Les Droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière dans l’Union européenne, 11/2011
FRA, Les Droits fondamentaux aux frontières maritimes méridionales de l’Europe, 03/2013
FRA, Solidarité de l’Union européenne et Frontex : les défis en termes de droits de l’homme, 08/2013
FRA, Criminalisation of Migrants in an Irregular Situation and of Persons Engaging With Them, 03/2014
Discriminations
FRA, Accès à la justice dans les affaires de discriminations dans l’UE : vers une plus grande égalité, 12/2012
FRA, Mettre en évidence les crimes de haine dans l’UE : reconnaître les droits des victimes, 11/2012
FRA, Inégalités et discriminations multiples dans l’accès aux soins de santé, 02/2012
Discriminations raciales/liées à l’origine
FRA, La Directive sur l’égalité raciale : application et défis, 01/2012
FRA, Lutter contre le racisme et les discriminations dans le sport : guide de pratiques prometteuses 05/2013
FRA, Enquête de la FRA sur les expériences et les perceptions des personnes juives de l’antisémitisme 03/2012
FRA, Données EU-MIDIS : les minorités en tant que victimes de la criminalité, 11/2012
Handicap
FRA, The Right to Political Participation for Persons With Disabilities : Human Rights Indicators, 05/2014
FRA, Capacité juridique des personnes avec un handicap intellectuel et personnes souffrant de troubles mentaux,
10/2013
FRA, Choix et contrôle : le droit à une vie autonome : expériences de personnes handicapées intellectuelles et de
personnes souffrant de troubles mentaux dans neuf États membres de l’Union européenne, 06/2012
FRA, Placement involontaire et traitement involontaire des personnes souffrant de troubles mentaux, 06/2012
FRA, La Protection juridique des personnes souffrant de troubles mentaux en vertu de la législation en matière de
non-discrimination : comprendre le handicap tel que défini par la loi et l’obligation d’apporter des aménagements
raisonnables dans les États membres de l’Union européenne, 10/2011
Personnes LGBT
FRA, Enquête sur les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres dans l’Union européenne, 05/2013
Femmes
FRA, Violences contre les femmes : enquête dans l’UE, 04/2014
Instances spécifiques
Les agences qui peuvent se prononcer sur le respect des droits de l’homme au sein
de l’UE se sont multipliées. On peut noter ici le rôle et les travaux de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE), créé par un règlement du
81

Approche institutionnelle – Instances internationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
20 décembre 2006 144 et installé depuis 2010 à Vilnius (Lituanie), en matière de collecte, d’analyse et de diffusion de données comparables sur l’égalité entre les hommes
et les femmes. Ce dernier est plus largement compétent pour la mise au point d’outils
méthodologiques destinés à lutter contre les discriminations fondées sur le sexe et à
favoriser l’intégration de l’égalité entre les hommes et les femmes dans les politiques
de l’UE comme dans celles des États membres ainsi qu’en matière de promotion du
dialogue entre les parties prenantes et de sensibilisation des citoyens de l’UE dans ce
domaine 145.
Il convient également de souligner le rôle du Bureau d’appui européen en matière
d’asile, qui collecte des informations sur la situation dans les États d’origine et dans
les États membres, et identifie les bonnes pratiques existantes. Il publie « tous les ans
un rapport sur la situation en matière d’asile dans l’Union 146 ». Les compétences de
cette agence doivent être distinguées de celles de Frontex, dont le rôle principal est
de « coordonner la coopération opérationnelle entre les États membres en matière de
gestion des frontières extérieures ».
144. Règlement (CE) no 1922/2006 du Parlement européen et du conseil du 20/12/2006 portant’création
d’un Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes.
145. Ibid.
146. Article 12 du règlement (UE) no 439/2010 du Parlement européen et du Conseil du 19/05/2010 portant
création d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile.
82
Instances nationales
Les différents instruments internationaux en matière de droits de l’homme créent des
obligations auxquelles il appartient à la France d’obéir. Juridictions nationales et autorités administratives indépendantes jouent un rôle décisif dans le contrôle du respect
de ces obligations.
Engagements internationaux et hiérarchie des normes
en droit interne
En droit interne, la norme suprême dont découle l’ordonnancement juridique est la
Constitution. C’est elle qui détermine la place qu’occupe chaque source dans la hiérarchie des normes. Elle prévoit, dans son article 55, que les conventions régulièrement
ratifiées ont une autorité supérieure à celle des lois. Lorsque le Conseil constitutionnel
déclare qu’un traité ne respecte pas la Constitution, « l’autorisation de ratifier ou d’approuver l’engagement international en cause ne peut intervenir qu’après révision de
la Constitution 147 ». Le Conseil d’État 148 et la Cour de cassation 149 ont rappelé que les
conventions internationales ne peuvent être considérées comme ayant, en droit interne,
une autorité supérieure à la Constitution.
Le sort du droit de l’UE est relativement similaire. Aux termes de l’article 88-1 de la
Constitution, « la République participe aux Communautés européennes et à l’Union
européenne, constituées d’États qui ont choisi librement, en vertu des Traités qui les ont
instituées, d’exercer en commun certaines de leurs compétences ».
Le Conseil constitutionnel considère néanmoins que, si « la transposition en droit interne
d’une directive communautaire résulte d’une exigence constitutionnelle 150 », celle-ci « ne
saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti 151 ».
Il convient cependant de rappeler ici que, en droit international, les États ne peuvent
s’exonérer de leurs obligations internationales en opposant des dispositions constitutionnelles. Cette jurisprudence est constante, que ce soit devant la CJUE 152, la CEDH 153, ou
devant la Cour internationale de justice 154.
Dans une très large mesure, normes constitutionnelles et conventionnelles reconnaissent
des droits identiques, et les risques de contrariété sont écartés. En outre, le Gouvernement
français a pris soin, lors de la ratification des conventions, d’émettre des réserves pour
prévenir une éventuelle contradiction entre Convention internationale et Constitution.
147. Article 54 de la Constitution.
148. CE, ass, 30/10/1998, Sarran et Levacher, Req. no 200286 et 200287.
149. Cass., ass. plén., 2/06/2000, Mlle Fraisse, 99-60.274.
150. Conseil constitutionnel du 30/11/2006, loi relative au secteur de l’énergie. Décision no 2006-543 DC.
151. Conseil constitutionnel, Décision no 2006-540 DC du 27/07/ 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux
droits voisins dans la société de l’information.
152. CJCE, 17/1/1970, Internationale Handelsgesellschaft 11/70, Rec. p. 1125.
153. CEDH, 11/01/2005, Py c. France, Req. no 66289/01.
154. CPJI, 4/02/1932, Traitement des nationaux polonais à Dantzig.
83
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Ainsi en est-il concernant la reconnaissance des minorités par exemple (cf. deuxième partie, « Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations et inclusion dans la société »).
Néanmoins, cette différence de points de vue peut expliquer quelques désaccords persistants entre la France et certaines instances internationales en matière de droits de
l’homme : le Gouvernement français fait valoir l’impossibilité dans laquelle il est placé
de mettre en œuvre certains engagements en raison de la Constitution, argument qui
ne peut être accueilli par les instances internationales.
84
Approche institutionnelle – Instances nationales

Chapitre 1
Juridictions nationales
Les juridictions nationales sont les premiers acteurs de la mise en œuvre du droit international des droits de l’homme. Si le Conseil constitutionnel joue un rôle croissant en
matière de droits et libertés, il ne contrôle pas la conventionnalité du droit français,
contrairement aux juridictions judiciaires et aux juridictions administratives.
1. Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel contrôle la conformité des lois et des lois organiques au bloc
de constitutionnalité. Dans le cadre du contrôle a priori, il est tenu de se prononcer sur
la constitutionnalité de toutes les lois organiques et peut être saisi « par le président de
la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président
du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs 155 » concernant les lois ordinaires.
À ce titre, il s’est notamment prononcé lors de la période de référence sur la constitutionnalité de la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice
pénale et le jugement des mineurs, de la loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, de la loi de programmation relative à l’exécution des peines, ou encore de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe.
Le Conseil constitutionnel peut également être saisi dans le cadre du contrôle a posteriori, par voie d’exception. Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, « lorsque,
à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le
Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’État
ou de la Cour de cassation, qui se prononce dans un délai déterminé ».
Depuis la création de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil
constitutionnel joue un rôle croissant. La QPC a ouvert la saisine du Conseil constitutionnel à toutes les parties à un litige, et non plus aux seuls parlementaires, président
de la République et Premier ministre. Elle a également permis au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la constitutionnalité de lois qui n’avaient pas été soumises au
contrôle de constitutionnalité a priori lors de leur adoption, ou sur la constitutionnalité
de lois pour lesquelles il s’était déjà prononcé dès lors que les circonstances ont changé.
Dans la décision relative à la loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de
la Constitution, le Conseil constitutionnel a précisé ce qu’il fallait entendre par changement de circonstances : il s’agit de « changements intervenus, depuis la précédente
155. Article 61-1 de la Constitution.
85
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances,
de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée 156 ».
Entre le 28 mai 2010, date de la première décision du Conseil rendue à l’issue d’une
question prioritaire de constitutionnalité, et le 1er décembre 2013, le Conseil a rendu
312 décisions dans le cadre de cette procédure. Parmi celles-ci, plusieurs concernent
la protection des droits de l’homme ; peuvent être citées ici les décisions concernant
l’hospitalisation d’office, la définition du harcèlement sexuel, la garde à vue, ou le
régime de circulation des Gens du voyage.
Depuis la décision no 74-54 DC du 15 janvier 1975 concernant la loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse, le Conseil constitutionnel ne s’estime pas compétent pour contrôler la conformité de la loi aux engagements internationaux 157. Il ne
pourra donc déclarer inconstitutionnelle une loi qui ne respecterait pas une Convention
internationale en matière de droits de l’homme. Cependant, dans le cadre du contrôle
de constitutionnalité des lois, il « utilise la norme conventionnelle relative aux droits de
l’homme comme source d’inspiration 158 ». Concrètement, cela implique que le Conseil
constitutionnel tentera, lorsque cela est possible, de faire coïncider son interprétation
de normes incluses dans le bloc de constitutionnalité, comme la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen, avec l’interprétation que certaines instances internationales
peuvent avoir de conventions internationales. Cela est particulièrement évident concernant la jurisprudence de la CEDH.
Lorsque l’issue du litige dépend de l’interprétation du droit de l’UE, le Conseil constitutionnel peut transmettre une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Tel fut le cas dans l’affaire Jeremy F., portant sur le mandat d’arrêt européen 159.
2. Juridictions judiciaires
L’ordre judiciaire, avec à son sommet la Cour de cassation, regroupe, d’une part, les
juridictions civiles, et notamment celles chargées des affaires prud’homales et commerciales, ainsi que les juridictions de la sécurité sociale et de l’aide sociale et, d’autre
156. Conseil constitutionnel, Décision no 2009-595 DC du 03/12/2009, Loi organique relative à l’application de
l’article 61-1 de la Constitution. Sur la notion de changement de circonstances, voir Conseil Constitutionnel,
QPC et changement des circonstances, novembre 2013.
157. Il convient néanmoins de souligner qu’il peut prendre en compte les conventions régulièrement ratifiées
dans le cadre du contentieux électoral, voir Conseil constitutionnel, 21/10/1988, Décision no 88-1082/1117,
AN, élection des députés de la 5° circonscription du Val-d’Oise.
158. Robert Badinter, « La Convention européenne des droits de l’homme et le Conseil constitutionnel »,
pp. 79-85, et notamment p. 80, in Paul Mahoney et al. (éditeurs), Protection des droits de l’homme : la perspective européenne/Protecting Human Rights : The European Perspective, Mélanges à la mémoire de/Studies
in Memory of Rolv Ryssdal, Cologne, Carl Heymanns Verlag KG, 2000, XXI-1587. Sur les rapports entre Conseil
constitutionnel et CEDH, voir Paul Tavernier, « Le Conseil constitutionnel français et la Convention européenne
des droits de l’homme », Droits fondamentaux, no 7, 2009, p. 3.
159. Conseil constitutionnel, Décision no 2013-314 QPC du 14/06/2013, M. Jeremy F.
86

part, les juridictions pénales, en particulier les juridictions de jugement et les juridictions d’application des peines.
L’autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle 160 ; elle est en principe
seule compétente pour se prononcer sur la régularité de privation de liberté individuelle ; pour cette raison, le juge judiciaire sera seul compétent pour se prononcer sur
la régularité des placements en zone d’attente, en centre de rétention, ou dans le cas
d’une hospitalisation d’office.
D’une manière établie, le juge judiciaire reconnaît le principe de primauté du droit
international 161 et de l’effet direct des traités dont les dispositions sont claires et précises, écartant la loi contraire même postérieure à ceux-ci. La Cour de cassation procède en analysant, article par article, les conventions de manière à déterminer quelles
sont les dispositions qui peuvent être directement invoquées. Une nuance doit ici être
mentionnée : en matière pénale, le principe de légalité criminelle et l’article 34 de la
Constitution font obstacle à ce que des traités créent directement de nouvelles infractions. Le juge judiciaire réserve une place particulière à la Convention européenne des
droits de l’homme dès lors que, en cas de conflit, il a pu la faire prévaloir sur d’autres
conventions internationales, que celles-ci soient multilatérales 162 ou bilatérales 163. La
Cour de cassation se montre attentive à la jurisprudence de la CEDH. Elle a récemment
rappelé que « les États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme
et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la CEDH, sans
attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation 164 ».
La primauté du droit international ne porte cependant que sur les conventions internationales. Ainsi, la Cour de cassation a pu préciser que « si les résolutions du Conseil de
sécurité des Nations unies s’imposent aux États membres, elles n’ont, en France, pas
d’effet direct tant que les prescriptions qu’elles édictent n’ont pas, en droit interne,
été rendues obligatoires ou transposées ; que, à défaut, elles peuvent être prises en
considération par le juge en tant que fait juridique 165 ».
3. Juridictions administratives
L’ordre administratif regroupe l’ensemble des juridictions soumises au contrôle du Conseil
d’État. Outre les tribunaux administratifs et cours administratives d’appel doivent être
cités ici la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ou les commissions départementales
d’aide sociale. La contribution de l’ordre administratif à la protection des droits et
libertés est croissante, notamment depuis la création par la loi no 2000-597 du 30 juin
160. Article 66 de la Constitution.
161. Cass., ch. mixte, 24/05/1975, Administration des Douanes c. Café Jacques Vabre, Bull. civ. 1, no 4.
162. Cass., soc., 25/01/2005, Banque africaine de développement, no 04-41.012.
163. Cass., civ., 1re, 17/02/2004, n° 01-11.549, Bull. civ., 2004, I, n° 47.
164. Cass., ass. plén., 15/04/2011, n° 10-30.316.
165. Cass., civ. 1re, 25 avril 2006, n° 02-17.344, Bull. civ., 2006, I, n° 202.
87

Approche institutionnelle – Instances nationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
2000 du référé suspension et du référé liberté. Au sein de l’ordre administratif, le rôle
indirect des juridictions financières est également à relever, en particulier celui de la
Cour des comptes : celle-ci est en effet investie d’une mission d’évaluation des politiques publiques 166. À ce titre, elle a publié, au cours de la période de référence, des
rapports sur la réforme de la protection juridique des majeurs, le service de l’emploi
pénitentiaire 167, la politique publique de l’hébergement des personnes sans domicile
fixe 168, la politique d’aide aux victimes des infractions pénales 169 ou la délivrance des
visas et titres de séjour 170.
Malgré « la persistance de réflexes de souveraineté 171 », les temps sont loin où le Conseil
d’État refusait de contrôler la conformité des lois aux conventions régulièrement ratifiées 172. Depuis l’arrêt Nicolo 173, la théorie de la loi écran a été réduite à une peau de
chagrin. Désormais, le juge administratif écarte la loi qui ne respecte pas les conventions internationales ou le droit de l’UE dérivé dès lors qu’ils sont invocables. Il peut
également reconnaître une responsabilité sans faute de l’État dans l’hypothèse d’une
loi contraire à une obligation internationale 174 ; celle-ci pourra être retenue dès lors
qu’un préjudice anormal et spécial est constitué.
Par un arrêt d’assemblée du 11 avril 2012 175, le Conseil d’État a apporté des précisions
quant aux conditions que doivent remplir les stipulations conventionnelles pour être
directement invocables par les requérants. Sont d’effet direct les stipulations qui « n’ont
pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l’intervention
d’aucun acte complémentaire pour produire d’effet à l’égard des particuliers ». Cet
arrêt permet de clarifier la jurisprudence antérieure 176, qui « péchait par laconisme 177 ».
En conséquence, le Conseil d’État procède en analysant, article par article, ceux qui
sont invocables ou non.
166. Article L111-3-1 du code des juridictions financières.
167. Cour des comptes, Le Service de l’emploi pénitentiaire. La Régie industrielle des établissements pénitentiaires, 2013.
168. Cour des comptes, Rapport sur la politique publique de l’hébergement des personnes sans domicile
fixe, 2001.
169. Cour des comptes, La Politique d’aide aux victimes d’infractions pénales, rapport annuel 2012.
170. Cour des compte, La Délivrance des visas et des titres de séjour : une modernisation à accélérer, des
simplifications à poursuivre, rapport annuel 2013.
171. Jean-Michel Belorgey, « La Charte sociale du Conseil de l’Europe et son organe de régulation : le Comité
européen des droits sociaux », RDSS, 2007, p. 226.
172. CE, sect., 01/03/1968, Syndicat général des fabricants de semoules de France, Req. no 62814.
173. CE, ass., 20/10/1989 Nicolo, Req. no 108243.
174. CE, ass., 08/02/2007 Gardedieu, Req. no 79522 ; voir notamment, sur le sujet, Joseph Frank Oum Oum,
« Le fait illicite non fautif, fondement de la responsabilité de l’État du fait des lois inconventionnelles », RFDA,
2013, p. 627.
175. CE, ass., 11 avril 2012, GISTI et FAPIL, Req. no 322326 ; voir notamment Pascale Deumier, « Comment
et à quelles fins reconnaître l’effet direct des traités ? », RTD Civ., 2012, p. 487. Sur le même sujet voir également CE, 06/12/2012, Société Air Algérie, Req. no 347870.
176. CE, sect., 23/04/1997, GISTI, Req. no 163043.
177. Dominique Ritleng, « Effet direct des traités internationaux », RTD Europe, 2012 p. 928.
88
Il convient par ailleurs de souligner l’évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat
concernant les directives, qui jouent un rôle important en matière de droits et libertés. Depuis un arrêt Perreux de 2009178, celui-ci considère que les dispositions inconditionnelles, claires et précises d’une directive qui n’a pas été transposée dans le délai
imparti sont directement invocables par les particuliers. Il a également précisé que le
juge administratif est tenu, lorsqu’il est saisi d’un moyen relatif à l’inconstitutionnalité d’une mesure d’exécution nationale d’une directive, «de rechercher s’il existe une
règle ou un principe général du droit communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa
portée, tel qu’il est interprété en l’état actuel de la jurisprudence du juge communautaire, garantit par son application l’effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué 179 ». Ce dernier arrêt réduit significativement les risques
de contrariété entre le droit de l’UE et la Constitution.
À l’instar du juge judiciaire, le juge administratif se montre moins protecteur à l’égard
des engagements de la France qui ne sont pas de nature conventionnelle. Si la coutume
internationale a, en principe, une valeur inférieure à celle des lois, mais supérieure aux
actes réglementaires 180, il n’existe pas de décisions se fondant sur une coutume internationale en matière de droits de l’homme pour annuler un règlement. Par ailleurs, le
juge administratif ne reconnaît aucune valeur juridique aux recommandations et déclarations d’instances internationales en matière de droits de l’homme. Cette absence de
reconnaissance juridique ne signifie pas pour autant que le juge administratif est insensible à de telles recommandations. En effet, celles-ci peuvent être prises en compte
lorsqu’elles interprètent une convention par exemple, ou lorsque le juge administratif
leur reconnaît une autorité morale certaine 181.
178. CE, ass., 30/10/2009, Mme Perreux, Req. no 298348.
179. CE, ass., 08/02/2007, Société Arcelor Atlantique et Lorraine, Req. no 287110.
180. CE, ass., 06/06/1997, Aquarone, Req. no 148683.
181. CE, Le Droit souple, rapport annuel 2013, La Documentation française.
89

Approche institutionnelle – Instances nationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 2
Autorités administratives
indépendantes et instances
consultatives
Si les autorités administratives indépendantes sont une innovation par rapport au
« schéma traditionnel de l’administration française 182 », elles se sont progressivement
développées, et ont apporté une contribution substantielle à la protection des droits
de l’homme en France. Elles sont de nature diverse, et présentent de telles différences
qu’il est parfois malaisé de leur trouver une définition commune. Par commodité, nous
ne distinguerons pas entre instances consultatives et autorités administratives indépendantes, et nous nous contenterons de souligner ici le point commun à l’ensemble de
ces institutions, à savoir leur indépendance à l’égard des pouvoirs exécutif et législatif.
Le paysage des autorités administratives indépendantes a été profondément recomposé par la création du Défenseur des droits, à la suite de la révision constitutionnelle
de 2008. Cette création a abouti à la disparition du médiateur de la République, de la
Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), du Défenseur des enfants
et de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE),
dont les bilans respectifs avaient été salués par de nombreux observateurs, et notamment par la Commission nationale consultative des droits de l’homme 183.
Certaines instances ont conservé leur autonomie par rapport au Défenseur des droits :
outre la CNCDH, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) , la
Commission nationale informatique et libertés (CNIL) et la Commission d’accès aux
documents administratifs (CADA) restent des acteurs importants de la défense des
droits et libertés.
Il conviendra ici de faire une place au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les
hommes (HCEfh) et à l’Observatoire de la laïcité qui, s’ils ne sont pas à proprement
parler des autorités administratives indépendantes, jouent un rôle important en matière
de droits de l’homme.
182. CE, « Les autorités administratives indépendantes », Rapport public 2001, Jurisprudence et avis de 2000,
La Documentation française, 2002.
183. CNCDH, Avis sur le Défenseur des droits, 04/02/2010.
90
Approche institutionnelle – Instances nationales

1. Commission nationale consultative
des droits de l’homme
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) est une institution nationale de promotion et de protection des droits de l’homme (INDH), créée
en 1947, qui a été à nouveau accréditée en 2007 par le Comité international de coordination des INDH comme conforme aux Principes de Paris 184. Ses attributions, sa
composition et son fonctionnement sont régis par la loi no 2007-292 du 5 mars 2007
et le décret no 2007-1137 du 26 juillet 2007. Elle se caractérise par sa composition
pluraliste : elle est composée de trente représentants d’« organisations non gouvernementales œuvrant dans le domaine des droits de l’homme, du droit international
humanitaire ou de l’action humanitaire et des principales confédérations syndicales »,
trente « personnes choisies, en raison de leur compétence reconnue dans le domaine
des droits de l’homme, y compris des personnes siégeant en qualité d’experts indépendants dans les instances internationales des droits de l’homme », du Défenseur
des droits, d’un député, d’un sénateur et d’un membre du Conseil économique social
et environnemental. Les ministères peuvent être invités à participer aux travaux, sans
néanmoins avoir de pouvoir de délibération. Ce fonctionnement favorise le pluralisme
des convictions et des opinions et assure l’information réciproque de l’État et de la
société civile dans le domaine des droits de l’homme. La CNCDH a un rôle de veille, de
proposition, de suivi et de sensibilisation auprès du Gouvernement, du Parlement et
des citoyens, sur tous les sujets relatifs aux droits de l’homme et au droit international
humanitaire. Ses missions s’exercent aussi bien en amont de l’action gouvernementale, lors de l’élaboration des projets de loi, des politiques et programmes, qu’en aval,
pour vérifier l’effectivité du respect des droits de l’homme dans les pratiques. Agissant
sur saisine du Premier ministre et des membres du Gouvernement ou sur auto-saisine,
elle rend publics ses avis et ses études qui sont publiés au Journal officiel. Elle contribue également à la préparation des rapports que la France présente devant les organisations internationales et au suivi des recommandations émises par ces organes. Elle
éclaire enfin de ses avis les positions françaises dans les négociations multilatérales portant sur les droits de l’homme. Conformément à ses statuts, elle n’est pas habilitée à
traiter des requêtes individuelles.
La CNCDH a vu sa composition renouvelée par un arrêté du 20 août 2012 185. Christine
Lazerges en est la nouvelle présidente. Elle succède à Yves Repiquet.
184. Principes relatifs au statut et au fonctionnement des institutions nationales de promotion et de protection des droits de l’homme, consacrés par la Résolution no 48/134 de l’AGNU (20/12/1993).
185. Arrêté du 20/08/2012 relatif à la composition de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
91
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
2. Défenseur des droits
Le Défenseur des droits succède donc au Médiateur de la République, au Défenseur
des enfants, à la HALDE et à la CNDS. Les deux lois relatives à sa mise en place – loi
organique no 2011-333 et loi ordinaire no 2011-334 – ont été promulguées le 30 mars
2011, et les missions du Médiateur de la République lui ont été immédiatement transférées. Le transfert des compétences des autres autorités administratives indépendantes
concernées a officiellement suivi le 1er mai 2011.
Le Défenseur des droits est chargé de défendre les droits et libertés dans le cadre des
relations avec les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes investis d’une mission de service public ; de défendre
et de promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant consacrés par la loi ou
par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ; de
lutter contre les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un
engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de
promouvoir l’égalité ; enfin, de veiller au respect de la déontologie par les personnes
exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République 186.
Il peut être saisi gratuitement et directement par toute personne physique ou morale
qui s’estime lésée dans ses droits et libertés par le fonctionnement d’une administration de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public ou d’un organisme investi d’une mission de service public (ou par ses ayants droit). Cette saisine peut
s’effectuer par l’intermédiaire des délégués territoriaux, chargés d’assurer des permanences dans divers points d’accueil (préfectures, sous-préfectures, maisons de justice
et du droit, etc.). Le Défenseur des droits peut être également saisi des agissements de
personnes publiques ou privées et il peut se saisir d’office 187. Sa saisine n’interrompt
cependant aucun délai de prescription ni de recours administratif ou juridictionnel.
Disposant de larges moyens d’information et d’investigation (mise en demeure, saisine du
juge des référés, visites de vérification, commande d’études auprès du Conseil d’État ou de
la Cour des comptes, etc.), il peut être entendu par toute juridiction, consulter le Conseil
d’État sur une question touchant à l’interprétation ou à la portée d’une disposition législative ou réglementaire, émettre des recommandations ou des injonctions, ou encore offrir
une médiation ou proposer une transaction. La loi ordinaire précise les sanctions applicables
en cas de non-respect des pouvoirs d’investigation ou d’injonction du défenseur. Enfin, il
peut également proposer des modifications législatives ou réglementaires et être consulté
sur des questions ou projets de loi relevant de son champ de compétence. En matière de
déontologie et de sécurité, de protection de l’enfance et de lutte contre les discriminations
et de promotion de l’égalité, il est assisté d’adjoints et de collèges spécialisés qu’il préside.
186. Loi organique no 2011-333 du 29/03/2011 relative au Défenseur des droits, article 4.
187. En matière de déontologie dans le domaine de la sécurité, il peut également être saisi par toute personne qui a été victime ou témoin de faits dont elle estime qu’ils constituent un manquement aux règles en
vigueur. Pour un développement plus complet sur les possibilités et conditions de saisine, voir loi organique
no 2011-333 du 29/03/2011 relative au Défenseur des droits, article 5, et décret no 2011-904 du 29/07/2011
relatif à la procédure applicable devant le Défenseur des droits.
92
Approche institutionnelle – Instances nationales

3. Contrôleur général des lieux
de privation de liberté
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) est une autorité indépendante, instituée par la loi no 2007-1545 du 30 octobre 2007, en application du
Protocole facultatif à la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines
et traitement cruels, inhumains et dégradants, que la France a ratifié en 2008.
Le Contrôleur général est nommé pour six ans durant lesquels il est irrévocable, et son
mandat n’est pas renouvelable. Il a pour mission de s’assurer que les conditions de prise
en charge des personnes qui sont privées de liberté sont respectueuses de leurs droits
fondamentaux : droit à la dignité, à la liberté de pensée et de conscience, au maintien
des liens familiaux, aux soins, au travail, etc. C’est dans le but de prévenir toute atteinte
à ces droits que le Contrôleur général enquête sur l’état, l’organisation et le fonctionnement des lieux de privation de liberté et s’entretient de manière confidentielle avec les personnes privées de liberté, les personnels et tout intervenant dans ces lieux. Le Contrôleur
général et ses équipes (vingt-cinq contrôleurs nommés directement par lui) effectuent
les visites de tout lieu sur le territoire dans lequel des personnes se trouvent privées de
leur liberté : prisons, hôpitaux psychiatriques, centres et locaux de rétention administrative, locaux de rétention douanière, de garde à vue, centres éducatifs fermés, dépôts et
geôles des tribunaux, etc. Il choisit librement les établissements qu’il visite, ses choix étant
opérés en fonction des informations transmises par toute personne ayant connaissance
du lieu (famille, avocat, intervenant extérieur, etc.), les personnels ou les personnes privées de liberté elles-mêmes, le CGLPL pouvant être saisi directement par toute personne
physique ou toute personne morale s’étant donné pour objet le respect des droits fondamentaux. À la fin de chaque visite est rédigé un rapport relatant les faits constatés qui
est transmis au chef de l’établissement visité pour recueillir son avis. Est ensuite rédigé un
rapport de visite, version finale des constats assortie de conclusions. Ce rapport final est
envoyé au(x) ministre(s) concerné(s) et rendu public une fois en possession des observations des ministères. Le CGLPL, « s’il constate une violation grave des droits fondamentaux
d’une personne privée de liberté », « communique sans délai aux autorités compétentes
ses observations, leur impartit un délai pour y répondre et, à l’issue de ce délai, constate
s’il a été mis fin à la violation signalée. S’il l’estime nécessaire, il rend alors immédiatement public le contenu de ses observations et des réponses reçues ». Le Contrôleur a eu
recours à cette procédure pour la première fois depuis sa création en faisant paraître en
urgence ses recommandations concernant le centre pénitentiaire de Nouméa (NouvelleCalédonie) (6/12/2011), le centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille (12/11/2012)
puis les centres éducatifs fermés d’Hendaye et Pionsat (13/11/2013).
En outre, le CGLPL peut aussi décider de publier au Journal officiel des recommandations
spécifiques à un ou plusieurs établissements ainsi que des avis généraux sur une problématique transversale lorsqu’il estime que des faits constatés à l’occasion de plusieurs
visites ou de courriers reçus portent atteinte ou sont susceptibles de porter atteinte à un
ou plusieurs droits fondamentaux. Peuvent être cités ici les avis concernant les jeunes
enfants en prison et leurs mères détenues (03/09/2013), les documents personnels des
93
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
personnes détenues (13/06/2013), les séjours injustifiés en unités pour malades difficiles
(UMD) (17/01/2013), la semi-liberté (26/09/2012), la surpopulation carcérale (22/05/2012),
et l’emploi de la visioconférence à l’égard des personnes privées de liberté (14/10/2011).
Ces avis peuvent être pris en compte par les juridictions 188.
L’actuel Contrôleur général est Jean-Marie Delarue. Son mandat s’achève en 2014.
Une proposition de loi modifiant la loi no 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un
Contrôleur général des lieux de privation de liberté est en discussion au Parlement. Elle
permet de renforcer les pouvoirs d’enquête et les prérogatives du Contrôleur.
4. Commission nationale
de l’informatique et des libertés
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a été instituée par la loi
no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés qui la qualifie d’autorité administrative indépendante, mandatée pour veiller au respect de cette loi.
À cette fin, lui ont été confiées les missions d’information des personnes sur leurs droits
et obligations et de proposition au Gouvernement de mesures législatives ou réglementaires de nature à adapter la protection des libertés et de la vie privée à l’évolution des
techniques. L’avis de la CNIL doit ainsi être sollicité avant toute transmission au Parlement
d’un projet de loi créant un traitement automatisé de données nominatives. S’agissant
des données et fichiers à caractère personnel, elle peut être saisie gratuitement par toute
personne ou représentant mandaté et intervenir auprès de l’organisme concerné afin de
garantir l’effectivité de leur droit d’accès direct ou indirect, d’opposition et de rectification.
Si une notification des résultats de l’investigation est prévue dans un délai de quatre mois,
le délai de traitement est lié à la réponse des administrations concernées. Elle exerce également, pour le compte des citoyens qui le souhaitent, l’accès indirect aux fichiers intéressant
notamment la sûreté de l’État, la défense et la sécurité publique (fichiers de renseignement,
de police judiciaire ou administrative, de police aux frontières, de gestion informatisée des
détenus, des comptes bancaires). Elle contrôle les traitements informatiques de données
et peut prononcer diverses sanctions graduées : avertissement, mise en demeure, sanctions pécuniaires, injonction de cesser le traitement. Enfin, elle est membre d’un Groupe
de travail européen rassemblant les représentants de chaque autorité nationale (« Groupe
de l’article 29 »), qui a pour mission de contribuer à l’élaboration des normes européennes
par ses recommandations destinées à l’application homogène de la directive « relative à
la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère
188. CE, Le Droit souple, rapport annuel 2013 ; voir également, par exemple, CE, ord., 22/12/2012, OIP-SF,
Req. nos 364584, 364620, 364621, 364647 pour la prise en compte des recommandations du CGLPL sur les
Baumettes ; voir également CE, 16/10/2013, Garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés C.M. N…
et autres, Req. no 351115 pour un exemple de prise en compte de l’avis du 24/03/2011 du Contrôleur général
des lieux de privation de liberté relatif à l’exercice du culte dans les lieux de privation de liberté.
94
personnel et à la libre circulation de ces données 189 » au sein de l’UE. Elle communique
des avis sur le niveau de protection dans les pays tiers et des conseils à la Commission sur
tout projet de mesure ayant une incidence dans ce domaine. Elle dispose d’un pouvoir
de labellisation. Jouant aussi un rôle d’alerte et de conseil, la CNIL a fondamentalement
pour mission de veiller à ce que le développement des nouvelles technologies ne porte
atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. Elle a créé une direction des études de l’innovation et de la
prospective chargée de suivre les nouveaux usages des innovations technologiques et de
décrypter leurs incidences sur la protection des données personnelles.
5. Commission
d’accès aux documents administratifs
La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) est une autorité administrative indépendante dont la mission, définie par la loi no 78-753 du 17 juillet 1978, est
de veiller à la liberté d’accès aux documents administratifs et de réutilisation des informations publiques. Elle est constituée de onze membres dont trois magistrats (un conseiller
d’État, un conseiller à la Cour de cassation, un conseiller à la Cour des comptes), trois
élus (un député, un sénateur, un membre d’une collectivité territoriale), un professeur
d’université et quatre personnalités qualifiées, nommés pour trois ans. Elle conseille les
autorités administratives sur le traitement des demandes qui leur sont soumises et peut
être saisie, sans formalisme particulier, par toute personne qui rencontre des difficultés
dans l’exercice de son droit d’accès ou de réutilisation. La CADA doit être saisie d’une
demande d’avis avant tout recours contentieux. Elle se prononce en droit sur le caractère
communicable des documents dont la communication a été refusée, comme sur le refus
d’exercice de la réutilisation, dans un délai de un mois et sans frais pour le demandeur.
Sa compétence s’exerce sur l’ensemble des documents, au sens large, quel qu’en soit
le support, produits ou reçus dans le cadre de leur mission de service public par l’État,
les collectivités territoriales, les établissements publics, mais aussi les organismes privés
chargés d’une telle mission. Elle a également compétence pour interpréter des régimes
particuliers d’accès comme celui des archives publiques, des informations environnementales ou des informations médicales, et, depuis 2005, elle peut prononcer des sanctions
à l’égard des réutilisateurs qui ne respectent pas les principes qui encadrent ce droit.
189. Directive no 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, 24/10/1995.
95

Approche institutionnelle – Instances nationales
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
6. Haut Conseil à l’égalité
entre les femmes et les hommes
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEfh), créé par le décret
no 2013-8 du 8 janvier 2013 l’Observatoire de la parité succède à la Commission nationale contre les violences faites aux femmes, et à la Commission sur l’image des femmes
dans les médias. Le HCEfh « a pour mission d’assurer la concertation avec la société
civile et d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits
des femmes et de l’égalité, notamment en ce qui concerne la lutte contre les violences
de genre, la place des femmes dans les médias et la diffusion de stéréotypes sexistes,
la santé génésique, l’égal accès aux fonctions publiques et électives et la dimension
internationale de la lutte pour les droits des femmes ». Il « contribue à l’évaluation des
politiques publiques conduites en matière de droits des femmes et d’égalité entre les
femmes et les hommes et, notamment, met en exergue les écarts entre les objectifs
et les résultats mesurés, dans tous les champs de la vie sociale », « assure, postérieurement à l’adoption de ces textes, en ce qui concerne les aspects relatifs à l’égalité entre
les femmes et les hommes, l’évaluation des études d’impact des textes législatifs et, le
cas échéant, des textes réglementaires et des documents d’évaluation préalable des
lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale », « recueille, fait produire et diffuse les données, analyses, études et recherches sur les droits des femmes
et l’égalité entre les femmes et les hommes, aux niveaux national, européen et international », et « formule des recommandations, des avis et propose des réformes au
Premier ministre ». Il peut s’autosaisir. Ses travaux peuvent porter sur les stéréotypes
et rôles sociaux, les enjeux européens et internationaux, la parité, la santé, les droits
sexuels et reproductifs et les violences de genre.
7. Observatoire de la laïcité
L’Observatoire de la laïcité a été créé par le décret no 2007-425. Il « assiste le Gouvernement
dans son action visant au respect du principe de laïcité dans les services publics », « réunit les données, produit et fait produire les analyses, études et recherches permettant
d’éclairer les pouvoirs publics sur la laïcité » et « remet chaque année au Premier ministre
un rapport qui est rendu public ». Le décret no 2013-270 du 3 avril 2013 a renouvelé
l’Observatoire. Il a été installé par le Président de la République le 8 avril 2013. Son
président est Jean-Louis Bianco.
Cette présentation n’est pas exhaustive. Il existe en France d’autres institutions dont le
mandat et le travail visent ou sont susceptibles d’avoir un impact sur l’exercice effectif
des droits, notamment en matière de protection de la vie privée (Commission nationale
de contrôle des interceptions de sécurité), respect de la présomption d’innocence et des
droits de la défense (Commission consultative du secret de la défense nationale), ou
96
encore participation aux affaires publiques (Commission nationale du débat public) 190.
Il convient également de mentionner la Haute Autorité pour la transparence de la vie
publique, créée par la loi no 2013-907 du 11 octobre 2013 191. Elle a pour mandat de
contrôler les déclarations d’intérêt et de patrimoine des élus, et d’émettre des recommandations pour favoriser la transparence de la vie publique.
190. Voir également la liste des autorités administratives indépendantes et une présentation de leurs compétences, à jour au 04/06/2014, sur le site Internet Legifrance (rubrique « Sites juridiques/Autorités administratives indépendantes »).
191. Loi no 2013-907 du 11/10/2013 relative à la transparence de la vie publique.
97

Approche institutionnelle – Instances nationales
Deuxième partie
ANALYSE THÉMATIQUE
99
Droits et libertés
en matière de justice
Des pages qui suivent, il est possible de retenir différents sujets, d’importance variable. Le
principal sujet de critique de la part des instances internationales est celui des conditions de
détention, et, au sens large des droits des personnes détenues. Le législateur a conscience
de l’urgence de ce problème, ainsi qu’en témoigne la succession des lois et projets de loi en
ce domaine. Cependant, ces différents textes n’ont pas, pour l’instant permis d’amélioration suffisante des droits des personnes détenues, et de nombreux problèmes systémiques
demeurent. Concernant la procédure pénale, deux sujets, qui n’ont pas encore délivrés tous
leurs secrets, méritent une attention particulière : le rôle et le statut du ministère public, et
la réforme de la garde à vue, et notamment le rôle dévolu à l’avocat à la suite de l’adoption
de la loi du 14 avril 2011. Enfin, il convient de mentionner le premier rapport du GRETA et
les premières observations du Comité sur les disparitions forcées sur la situation française.
État général de la justice en France
La CEPEJ a donné quelques indications sur l’état général de la justice en France dans
son rapport de 2012 192. Elle souligne notamment l’une des originalités du système
français, qui est l’un des deux seuls à prévoir un accès gratuit à l’ensemble des tribunaux. Néanmoins, pendant quelques mois, la législation a évolué : une contribution pour l’aide juridique d’un montant de 35 euros ayant été mise en place entre le
1er octobre 2011 et le 1er janvier 2014 193. La France se caractérise également par le
nombre important de personnes pouvant prétendre au bénéfice de l’aide juridictionnelle mais aussi par le montant relativement faible de celle-ci 194.
Enfin, la France se singularise par la faible proportion de magistrats par rapport à la
population totale (32,5 personnels judiciaires non magistrats, 10,7 magistrats professionnels et moins de 5 magistrats du parquet pour 100 000 habitants).
Procédure civile
S’agissant de la procédure devant l’ensemble des juridictions civiles, l’on renverra aux
parties consacrées au droit concerné (voir « Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations et inclusion dans la société » pour l’accès à la justice des personnes victimes
de discriminations ; « Droit au respect de la vie privée » ; etc.), ou, s’agissant de la technique de cassation, qui relève autant du pénal que du civil, aux développements sur la
technique de cassation dans la partie relative à la phase sententielle du procès pénal.
192. CEPEJ, « Rapport d’évaluation des systèmes judiciaires européens de la CEPEJ », édition 2012 (données
2010), Les Études de la CEPEJ, no 18, 20/09/2012.
193. Service-public.fr, Contribution pour l’aide juridique : suppression à partir du 1er janvier 2014, 30/12/2013.
194. Celle-ci est de 369 euros en moyenne, contre 542 euros pour l’Allemagne par exemple.
101
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 1
Justice pénale
et réponse pénale
Droit des victimes d’infractions
Les victimes d’infractions pénales disposent en droit français d’un choix pour la réparation du dommage causé par l’infraction : soit en même temps que l’action publique
devant les juridictions pénales (art. 3 du code de procédure pénale), soit devant une
juridiction civile, séparément de l’action publique (art. 4 du code de procédure pénale).
Le système français se distingue également par la possibilité offerte aux victimes d’infractions de déclencher l’action publique (art. 1er du code de procédure pénale) en se
constituant partie civile. D’une manière générale, les droits reconnus aux victimes d’infractions en droit français sont conformes au droit international des droits de l’homme 195.
Après quelques hésitations, la CEDH a considéré qu’« une plainte avec constitution
de partie civile rentre dans le champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, de la
Convention, sauf dans certaines hypothèses » 196, ce qui permet aux victimes de bénéficier de l’intégralité des garanties du droit au procès équitable. La CEDH a par ailleurs
estimé que l’impossibilité pour la victime de faire appel des dispositions pénales d’un
jugement ne méconnaît pas le droit au recours effectif, la victime pouvant faire appel
des dispositions civiles de ce jugement 197.
Le droit d’accès à la justice et la situation des victimes de la criminalité sont deux
thèmes identifiés dans le cadre pluriannuel du programme de travail de l’Agence des
droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) pour la période 2013-2017. Nous
renvoyons ici aux rapports Mettre en évidence les crimes de haine dans l’Union européenne : reconnaître les droits des victimes 198, EU-MIDIS Données en bref 6 : Les minorités en tant que victimes de la criminalité 199, dans le titre relatif aux discriminations.
En outre, des projets sur les services d’aide aux victimes 200, sur les enfants et la justice 201, les violences à l’égard des femmes 202 sont actuellement en cours. Ces travaux
195. Voir notamment ONU, Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir, 29/11/1985, A/RES/40/34 ; UE, Directive établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité, 25/10/2012 [2012/29/UE].
196. CEDH, 12/02/2004, Perez c. France, Req. no 47287/99 ; CEDH, 01/02/2005, Frangy c. France, Req.
no 42270/98.
197. Voir infra, CEDH, 03/10/2013, Douet c. France Req. no 16705/10.
198. FRA, Mettre en évidence les crimes de haine dans l’Union européenne : reconnaître les droits des victimes, 11/2012.
199. FRA, EU-Midis Données en bref 6: Les minorités en tant que victimes de la criminalité, 2012
200. FRA, Victim support services in the EU: an overview and assessment of victims’ rights in practice, 12/2012.
201. FRA, Point sur le projet « Les enfants et la justice », 10/2013.
202. FRA, Survey on gender-based violence against women, 01/2010.
102
de l’Agence doivent être mis en lien avec l’adoption de la directive no 2012/29/UE du
Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et
remplaçant la décision-cadre no 2001/220/JAI du Conseil. Celle-ci devra être transposée avant le 16 novembre 2015.
Le système français de prise en charge des victimes est salué par la CEPEJ. La France
a mis en place des structures d’accueil téléphonique gratuit. Des mécanismes d’informations spécifiques sont institués pour certaines catégories de personnes vulnérables :
victimes de viol, de terrorisme, de violence domestique, ainsi que pour les mineurs,
qu’ils soient victimes, témoins ou délinquants. Des modalités particulières d’audition
sont également prévues pour les victimes de viol, de terrorisme, les enfants victimes,
témoins ou délinquants, les victimes de violences domestiques et les personnes handicapées. Néanmoins, à la différence d’autres États, la France ne propose pas de dispositif spécifique pour les personnes appartenant aux minorités (sur la doctrine française
concernant les minorités, voir le chapitre consacré à loa promotion de l’égalité, p. 197..
Il s’agit là d’un des rares points de divergence pointé du doigt par les instances internationales, qui, à l’instar du GRETA (voir le chapitre relatif à la traite) ou de la Rapporteuse
spéciale des Nations unies sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants
et la pornographie impliquant des enfants, insistent particulièrement sur l’identification et la prise en charge de certaines victimes « vulnérables », ou nécessitant, en
raison de leur état, une protection particulière.
1. Comportements
des forces de l’ordre
Nous renvoyons, concernant le profilage ethnoracial, aux développements pertinents
dans la partie consacrée à la lutte contre les discriminations et à la promotion de l’égalité, et, plus précisément, à la partie consacrée aux discriminations « ethnoraciales ».
Violences policières
Le CPT a adressé un certain nombre d’observations au Gouvernement dans son rapport relatif à la visite effectuée en France du 29 novembre au 10 décembre 2010 203,
au cours de laquelle il a visité un certain nombre d’établissements relevant des forces
de l’ordre, à Paris et dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais, du Rhône, de
Seine-Maritime et de Seine-Saint-Denis. Si, d’une manière générale, « la plupart des
personnes qui étaient ou avaient récemment été privées de liberté par les forces de
203. CPT, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France du
28 novembre au 10 décembre 2010, 19/04/2012, (CPT) Rapport[CPT/Inf(2012)13].
103

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
l’ordre ont indiqué avoir été traitées correctement tant au moment de leur interpellation que lors des auditions qui ont suivi », le CPT a néanmoins « recueilli quelques allégations d’usage excessif de la force au moment de l’interpellation ainsi que de coups
assénés peu après l’interpellation ».
En conséquence, le CPT a recommandé aux autorités nationales de poursuivre leur
action contre les violences policières « en faisant en sorte que les corps de direction
et de commandement de la police nationale délivrent, à intervalles réguliers, un message de « tolérance zéro » des mauvais traitements à l’ensemble des fonctionnaires de
police qu’ils ont sous leur responsabilité ». Il a rappelé l’obligation de proportionnalité
dans l’usage de la force lors de l’interpellation des personnes, et que, « dès lors que
les personnes interpellées sont maîtrisées, rien ne saurait justifier de les brutaliser ».
Le Comité a recommandé également « de diffuser des consignes précises aux forces
de l’ordre sur les modalités d’intervention et d’accompagnement vers une structure
appropriée vis-à-vis de toute personne pouvant souffrir de troubles psychiatriques et
présentant un danger pour elle-même ou pour autrui. En particulier, il convient de
contacter systématiquement un professionnel de santé (de préférence spécialisé en
psychiatrie) lorsque le comportement de la personne concernée est particulièrement
problématique. Cette question devrait être reprise dans le cadre des dispositifs de formation de l’ensemble des forces de l’ordre ».
À l’occasion de l’EPU, a été rappelée l’obligation de garantir que « les allégations sérieuses
de mauvais traitements soient examinées rapidement dans le cadre d’enquêtes indépendantes 204 ». Le Gouvernement a accepté cette recommandation. Il a insisté sur les
différents dispositifs de contrôle des forces de l’ordre existants (contrôle interne – pouvoir hiérarchique, inspections et autorité judiciaire ; contrôle externe – autorités administratives indépendantes : Défenseur des droits, Contrôleur général des lieux de privation
de liberté et mécanismes internationaux : Cour européenne des droits de l’homme ou
comités internationaux, notamment le Comité européen de prévention de la torture).
Deux arrêts de la CEDH concernant la France peuvent être mentionnés ici. Dans l’arrêt
Douet c. France, la CEDH a constaté une violation de la CESDH pour des faits se déroulant lors d’une interpellation 205. En l’espèce, le requérant a fait l’objet d’une arrestation à la suite d’un brusque demi-tour opéré à la vue d’un véhicule de gendarmerie.
N’ayant pas immédiatement obtempéré à l’injonction d’un gendarme, il a été extrait
de force de son véhicule, menotté, plaqué au sol, puis maîtrisé. Au cours de l’opération, les gendarmes ont notamment pratiqué une clé de bras sur le requérant et l’ont
frappé avec une matraque télescopique, ce qui lui a occasionné plusieurs lésions. Les
poursuites diligentées contre le requérant ont abouti à une condamnation par la cour
d’appel de Riom à une peine d’emprisonnement avec sursis de deux mois et à une suspension du permis de conduire de deux mois. Le chef de rébellion n’a néanmoins pas
été retenu. Le requérant a déposé pour sa part une plainte devant le procureur de la
République qui a été classée sans suite, puis une plainte contre X avec constitution de
204. Reco. no 120.93.
205. CEDH, 03/10/20 13, Douet c. France Req. no 16705/10.
104
partie civile. La cour d’appel de Riom a confirmé le jugement du tribunal correctionnel
qui avait prononcé la relaxe des deux gendarmes.
La CEDH considère qu’en l’espèce, la force utilisée n’était ni nécessaire ni proportionnée, et qu’elle a occasionné les blessures du requérant. Elle constate donc la violation
de l’article 3 de la Convention. Néanmoins, elle rejette la demande concernant l’article 13, le requérant ne pouvant se plaindre de « l’impossibilité d’interjeter appel des
dispositions pénales du jugement prononçant la relaxe des gendarmes responsables
de ses blessures ».
Dans l’arrêt Guerdner 206 la CEDH a conclu à une violation du droit à la vie d’une personne
gardée à vue qui avait profité d’une pause pour sauter par une fenêtre du commissariat et
s’échapper. Le gendarme en charge de la surveillance a tiré à plusieurs reprises en direction du fuyard, qui est décédé des suites de ses blessures par balle. L’auteur des tirs a été
poursuivi, mais la cour d’assises l’a acquitté, considérant qu’il avait agi selon les prescriptions légales. La Commission d’indemnisation des victimes (CIVI), saisie par la mère de la
personne décédée, a considéré quant à elle que les faits constituaient l’élément matériel
« d’une infraction susceptible de faire droit à une indemnisation ». La cour d’appel, saisie
par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme, a infirmé la décision de la
CIVI. La CEDH a été saisie par les proches de la personne décédée qui alléguaient que le
décès était dû à un usage excessif de la force contraire à l’article 2 de la CESDH, et que
l’enquête et le procès n’avaient pas été conduits avec l’impartialité requise.
La CEDH rappelle que l’article 2 de la CESDH a deux dimensions : une dimension matérielle et une dimension procédurale. Concernant la dimension matérielle de l’article 2,
la CEDH rappelle que le recours à la force doit être absolument nécessaire et viser l’une
des trois hypothèses retenues par le second alinéa de l’article 2 de la CESDH. Cet article
implique également de mettre en place un cadre législatif et adéquat approprié, qui
découle, en l’espèce, de l’article L. 2338-3 du code la défense, interprété restrictivement par la Cour de cassation et précisé par différentes circulaires. La CEDH estime que
le décès n’a pas résulté de l’absence de règles claires. Elle considère néanmoins que
l’usage de la force n’était pas en l’état absolument nécessaire. Elle relève un manque
de vigilance des gendarmes qui n’ont pas suffisamment prévenu la fuite. Par ailleurs,
le gardé à vue était entravé et ne constituait pas une réelle menace. Étant donné le
nombre de gendarmes présents sur les lieux, l’usage d’une arme n’apparaissait pas
absolument nécessaire, ce d’autant plus que le gendarme auteur des tirs ne disposait pas d’une luminosité nécessaire pour viser avec précision. Elle considère donc que
l’État a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2 de la CESDH.
Concernant le volet procédural de l’article 2, la CEDH considère que les requérants
n’apportent pas la preuve de leurs allégations relatives au manque d’indépendance de
l’enquête et au manque d’impartialité des autorités judiciaires, qui n’auraient pas fait
appel de la décision de la cour d’assises en raison de l’appartenance des requérants à
la communauté des Gens du voyage.
206. CEDH, 17/04/2014, Guerdner et autres c. France, Req. no 68780/10.
105

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Recours à certaines armes (Taser/Flash-Ball)
À l’occasion de l’EPU, une recommandation concernant l’interdiction de « l’utilisation
d’équipements dangereux tels que les armes à ultrasons ou à balles en caoutchouc et
les pistolets paralysants » 207 a été adressée au Gouvernement français. Ce dernier a
refusé cette recommandation, soulignant que « ces armes non létales permettent de
dissuader ou de neutraliser une personne menaçante ou dangereuse lorsque l’emploi
de la force légitime s’avère nécessaire. Ces équipements sont destinés à éviter l’utilisation de l’arme de service et à minimiser les risques de blessure tant pour les personnes interpellées que pour les forces de l’ordre. Enfin, l’utilisation des lanceurs de
balles de défense et du pistolet à impulsion électrique doit être strictement nécessaire
et proportionnée. Leur emploi ne peut être ainsi envisagé que dans un certain nombre
de cas limités ».
L’EPU fait écho aux critiques du CPT, qui s’est prononcé sur l’instruction du directeur
général de la police nationale relative à l’utilisation de ce type d’armement, en date du
26 janvier 2009. Celle-ci apporte des précisions quant aux conditions juridiques d’utilisation, aux dispositifs de contrôle, aux modalités pratiques d’emploi, à la conduite
à tenir après utilisation, à la formation et au suivi. Le CPT a considéré que cette note
était trop large, et que l’usage de cette arme devrait être limité « aux situations où il
existe un danger réel et immédiat pour la vie ou un risque évident de blessures graves ».
Surtout, il a souligné que cette arme ne devrait pas être utilisée sur les personnes en
situation de vulnérabilité, qu’elle soit objective ou subjective. Enfin, le CPT a rappelé
que « les enquêtes portant sur les possibles utilisations abusives des moyens de « force
intermédiaire » doivent être menées « conformément aux critères d’“effectivité” établis
dans la jurisprudence de la CEDH ». Le CPT a souhaité être informé « sur les mesures
d’enquête prises, tant au niveau administratif qu’au niveau judiciaire, dans le cadre du
décès survenu à la suite d’une interpellation le 29 novembre 2010 à Colombes, ainsi
que sur les résultats de ces mesures » .
Formation
La FRA a pris le relai des recommandations du CAT 208 relative aux formations des
forces de l’ordre en publiant un manuel pour les formateurs des forces de l’ordre 209.
Elle a interrogé les acteurs concernés dans différents États membres, et notamment
en France. A partir des éléments recueillis, la FRA a identifié 6 sujets de préoccupation
qui doivent faire l’objet de modules distincts : principes fondamentaux des droits de
l’homme, maintien de l’ordre du point de vue des droits de l’homme, analyse des droits
de l’homme – les obligations de respecter et protéger, la prohibition des traitements
207. Reco. no 120.103.
208. CAT, Observations finales sur le 4e au 6e rapport périodique de la France, 10/05/2010, 44e session,
CAT/C/FRA/CO/4-6.
209. FRA, Fundamental Rights-Based Police Training. A Manual for Police Trainers, 2013.
106
inhumains et dégradants –, diversité, égalité et non-discrimination, droits de l’homme
des forces de l’ordre.
2. Justice pénale des mineurs
Le principal instrument conventionnel en matière de justice pénale des mineurs est la
Convention internationale des droits de l’enfant. D’importantes initiatives non conventionnelles doivent également être mentionnées, et notamment celle du Comité des
ministres du Conseil de l’Europe qui a adopté le 17 novembre 2010 les lignes directrices sur une justice adaptée aux enfants 210. Celles-ci concernent toutes les situations
où les enfants sont susceptibles d’entrer en contact avec le système de justice pénale,
civile ou administrative, et encouragent les États à mettre en place un mécanisme de
suivi indépendant au niveau national.
Au niveau national, le droit pénal des mineurs est régi par l’ordonnance no 45-174
du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, maintes fois modifiée depuis son
adoption. Le Conseil constitutionnel considère, de plus, que « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher
le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à
leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des
procédures appropriées » sont des principes constitutionnels 211.
Sur la période de référence, et bien que l’activité législative ait été importante, peu
d’instances internationales se sont prononcées sur l’état du droit en France. La principale instance en matière de droits de l’enfant, le Comité des droits de l’enfant, s’était
prononcée en 2009 212. La France a soumis son rapport le 8 octobre 2012. Celui-ci
est inscrit à l’ordre du jour de la 70e session du Comité, qui se déroulera en 2015. Les
instances internationales qui se sont prononcées ne se sont pas livrées à un exercice
d’analyse systématique du système de justice pénale des mineurs ; leur approche est
partielle et ne permet pas de dresser un panorama de l’intégralité des difficultés de la
justice pénale des mineurs. Au 1er janvier 2014, 731 mineurs écroués étaient détenus
en France 213. Si l’on inclut les mineurs placés en centre éducatif fermé (CEF), le nombre
de mineurs détenus est globalement stable depuis cinquante ans.
210. Comité des ministres, Lignes directrices du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur une justice
adaptée aux enfants, Monographie 5, Éditions du Conseil de l’Europe, 2011.
211. Voir par exemple Conseil constitutionnel, Décision no 2011-147, QPC du 08/07/2011, M. Tarek J.
212. Comité des droits de l’enfant, Observations finales sur les 3e et 4e rapports périodiques de la France,
12/06/2009, 51e session CRC.C.FRA/CO/4 et CRC.C.FRA/CO/4/Corr.1.
213. Ministère de la Justice, Statistiques mensuelles de la population écrouée et détenue en France, 01/01/2014 ;
pour une présentation comparée de l’évolution de la justice pénale des mineures, voir notamment Geneviève
Giudicelli Delage, Christine Lazerges (dir), La minorité à contre-sens, Dalloz 2014.
107

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Le CEDS dans ses conclusions de 2011 relatives à la France 214, a estimé que la situation
française n’est pas conforme à la CSER en raison de la durée trop longue de la détention provisoire pour les mineurs (jusqu’à deux ans lorsqu’ils ont au moins seize ans,
en matière criminelle). Il convient néanmoins de souligner qu’il est rarissime que des
détentions provisoires d’une telle durée soient réellement effectuées.
Le Comité s’est fait l’écho de critiques de la fondation Abbé Pierre concernant l’absence
d’une politique nationale globale de prévention de la délinquance, l’insuffisance des
ressources matérielles et humaines de la justice pénale des mineurs et une tendance
législative à favoriser les mesures répressives par rapport aux mesures préventives. Il
demande à la France de lui fournir des éléments à ce propos lors du prochain examen.
Le Comité note par ailleurs le développement des CEF qui sont destinés à accueillir, en
alternative à l’incarcération, des mineurs délinquants. En 2010, 368 mineurs étaient
placés en CEF. Enfin, le CEDS lui demande d’apporter des éléments concernant le droit
à l’éducation des mineurs détenus.
La Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la
pornographie impliquant des enfants est également préoccupée par « la tendance
répressive adoptée ces dernières années en matière de justice des mineurs. Des lois
Perben I et II de 2002 et 2004 à la loi no 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs,
en passant par la loi no 2007-297 relative à la prévention de la délinquance, le durcissement des mesures pénales se confirme et s’accentue 215 ».
Le CPT s’est prononcé, quant à lui, sur le régime de détention dans un quartier pour
mineurs du centre pénitentiaire du Havre. Il a salué l’élaboration d’un projet pédagogique expérimental qui vise à l’établissement, pour chaque détenu mineur, d’un
programme individualisé avec un parcours d’apprentissage, des activités, un projet
de sortie, un encadrement pluridisciplinaire et une individualisation des régimes de
détention. Cependant, le CPT s’est montré soucieux de la mise en place effective de
ce projet qui tardait lors de la visite, et a rappelé l’importance des activités physiques
et de la stimulation intellectuelle pour les mineurs en détention. Il souhaite recevoir
des informations détaillées sur la mise en œuvre de ce projet.
Il a également insisté sur les conséquences néfastes d’un placement à l’isolement, dans
le cadre d’une procédure disciplinaire, et recommandé que ce placement ne soit possible que s’il est strictement nécessaire, et à la condition qu’il soit accompagné d’un
soutien socio-éducatif. Le CPT a également recommandé que les mineurs détenus
puissent bénéficier d’au moins une heure de promenade par jour.
214. Comité européen des droits sociaux, Rapport pour l’année 2011, 01/2012, Article 17 (« Droit des enfants
et des jeunes à une protection sociale, juridique et économique »).
215. Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant
des enfants, Najat Maalla M’jid, Rapport sur la mission en France, 29/02/2012, A/HRC/19/63/Add.2.
108
Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice

3. Justice pénale des majeurs
Principe de légalité et principe
de non-rétroactivité de la loi pénale
Le principe de légalité criminelle tout comme le principe de non-rétroactivité de la loi
pénale sont protégés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par
la Constitution ; le Conseil constitutionnel contrôle la conformité des lois à ces principes 216. La CEDH, elle aussi, s’assure de leur respect.
Par un arrêt du 6 octobre 2011 217, celle-ci s’est prononcée sur la prévisibilité de la
législation relative au délit d’initié. Le requérant, Georges Soros, a été condamné par
le tribunal de grande instance de Paris le 20 décembre 2002 à une amende de 2,2 millions d’euros pour un délit d’initié commis en 1988. La cour d’appel de Paris confirma
le jugement du TGI. La Cour de cassation cassa l’arrêt de la cour d’appel, et renvoya
l’affaire devant la cour d’appel autrement composée, qui condamna le requérant à
une amende de 940 507,22 euros.
Le requérant soutenait devant la Cour que sa condamnation a violé l’article 7 de la
CESDH (non-rétroactivité de la loi pénale), en raison de l’imprévisibilité de la loi au
moment des faits et de la non-application de textes communautaires. Concernant le
premier grief, la CEDH a rappellé que la loi peut se contenter de catégories générales,
et ne pas être d’une précision absolue. Pour déterminer si le texte est suffisamment
précis, elle s’est réfèrée non seulement au texte en vigueur au moment des faits, mais
également à la jurisprudence pertinente. Or, s’il n’existe pas d’affaires concernant une
situation analogue à la sienne, elles « ont trait à des situations suffisamment proches
du requérant pour lui permettre de savoir, ou à tout le moins de se douter que son
comportement était répréhensible ». Si le requérant a été le premier à être jugé pour
de tels faits, cela tient pour l’essentiel au faible nombre de cas similaires à l’époque.
Enfin, la Cour a souligné que le requérant était un investisseur institutionnel familier
du monde des affaires, et qu’il aurait donc dû faire preuve d’une prudence accrue. En
conséquence, la Cour a considèré que la loi applicable était suffisamment prévisible.
La Cour a estimé qu’il n’y a pas lieu d’examiner le second grief tiré de la non-application des textes communautaires, la loi nationale étant suffisamment prévisible, et que,
en conséquence, il n’est pas nécessaire d’examiner si la directive communautaire était
effectivement plus favorable au requérant.
216. Bertrand de Lamy, « Le principe de la légalité criminelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », Cahiers du Conseil constitutionnel, no 26, 08/2009.
217. CEDH, 06/10/2011, Soros c. France, Req. no 50425/06 ; Nicolas Hervieu, « Prévisibilité de la législation
française sur le délit d’initié », in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 06/10/2011 ; Frédéric Stasiak,
« Délit d’initié : la présumée “mauvaise foi” d’un investisseur », Revue de science criminelle, 2012, p. 580.
109
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Rôle et statut du ministère public
Le ministère public, dont la fonction première est d’exercer l’action publique et de
requérir l’application de la loi (art. 31 du code de procédure pénale), joue un rôle de
plus en plus important dans la procédure pénale française 218. Or différentes instances
internationales ont souligné les difficultés que cela pose, eu égard à son statut et à
son rôle d’autorité de poursuite.
Indépendance du magistrat et contrôle de l’ingérence
dans un droit garanti
La CEDH a, par plusieurs arrêts, a considéré que le manque d’indépendance du ministère public, tant à l’égard des parties que du ministère de la Justice, fait obstacle à ce
qu’il soit considéré comme une autorité judiciaire indépendante, seule à même d’autoriser une ingérence dans l’un des droits protégés par la CESDH, principalement l’article 5, mais cette jurisprudence pourait être étendue aux articles 8 et 3 219. Dans le
même sens, le Comité des disparitions forcées a recommandé « d’instituer le droit
de recours devant un juge du siège pour valider la légalité des mesures de contrainte
et pour permettre aux personnes détenues d’y être présentées 220 ».
• Contrôle des privations de liberté par un magistrat
Les arrêts Medvedyev 221 et Moulin 222 ont pointé du doigt le fait, qu’en droit français,
les gardes à vue, décidées par un officier de police judiciaire, ne sont contrôlées que
par un magistrat du ministère public 223. L’article 5, paragraphe 3, de la Convention
européenne des droits de l’homme exige que la privation de liberté soit autorisée par
un magistrat indépendant. Or, selon la CEDH, le membre du ministère public n’est
pas indépendant, pour deux types de raison : d’une part, en raison de son lien avec le
218. Voir par exemple CNCDH, Avis sur l’indépendance de la justice, 27/06/2013 ; CNCDH, Avis sur la refondation de l’enquête pénale, 29/04/2014.
219. Voir notamment CEDH, 15/10/2013 , Gutsanovi c. Bulgarie, Req. no 34529/10 : il s’agit en l’espèce d’une
perquisition et d’une arrestation d’une personne vulnérable, qui fut, en raison des circonstances de l’espèce,
constitutive de traitements inhumains ou dégradants. La Cour observe que « l’absence d’un contrôle judiciaire préalable sur la nécessité et la légalité de la perquisition en cause a laissé entièrement à la discrétion
des autorités policières et des organes de l’enquête pénale la planification de l’opération et n’a pas permis
la prise en compte des droits et intérêts légitimes de Mme Gutsanova et de ses deux filles mineures. La Cour
est de l’avis que dans les circonstances spécifiques de l’espèce un tel contrôle judiciaire préalable aurait pu
permettre la mise en balance de leurs intérêts légitimes avec l’intérêt général d’appréhender les personnes
suspectées d’avoir commis une infraction pénale ».
220. Comité des disparitions forcées, Observations finales sur le rapport présenté par la France, 4e session,
19/04/2013, CED/C/FRA/CO/1.
221. CEDH, grande chambre, 29/03/2010, Medvedyev et autres c. France, Req. no 3394/03.
222. CEDH, 23/11/2010, Moulin c. France, Req. no 37104/06.
223. L’article 63 du code de procédure pénale prévoit que le procureur de la République est informé dès le
début de la mesure, et que seule une autorisation écrite et motivée de celui-ci peut permettre une prolongation de la garde à vue après expiration d’un délai de vingt-quatre heures, ou, pour certaines infractions spécifiques, après expiration d’un délai de quarante-huit heures.
110
ministère de la Justice, qui donne l’apparence d’un manque d’indépendance ; d’autre
part, au motif qu’il est autorité de poursuite, et donc une partie à l’instance 224.
L’arrêt Vassis et autres c. France 225 a été l’occasion pour la CEDH de confirmer sa jurisprudence. En février 2008, un navire contenant des stupéfiants a été intercepté en
mer ; les membres de l’équipage ont été retenus sur le navire pendant dix-huit jours,
puis ont été placés en garde à vue. La Cour considère que la France n’a pas méconnu
l’article 5, paragraphe 3, en retenant les membres de l’équipage pendant dix-huit jours
sur le navire, en raison des circonstances exceptionnelles de l’espèce. Néanmoins, elle
considère que le placement en garde à vue aurait dû être autorisé par « un juge ou un
autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires ». Elle a donc considéré que la France a méconnu l’article 5, paragraphe 3, de la Convention.
Il convient ici de mentionner un arrêt récent, dans lequel la CEDH a condamné la
Bulgarie 226 au motif qu’elle n’avait pas tenu compte de la fragilité psychologique de
la personne gardée à vue qui aurait justifié qu’un magistrat indépendant intervienne
au cours des deuxième et troisième jours de la privation de liberté.
Les critiques de la CEDH trouvent un écho dans les observations finales du Comité
pour les disparitions forcées 227. Celui-ci exprime « sa préoccupation quant au recours
fréquent à la garde à vue, au fait que son contrôle est mené par le parquet au lieu de
l’autorité judiciaire et à la possibilité de plusieurs prolongations, dans les cas relatifs
aux crimes de terrorisme ». En conséquence, le Comité recommande qu’« un juge statue sur la prolongation de la garde à vue au-delà de 24 heures » et « d’en restreindre
la possibilité 228 ».
• Contrôle de la géolocalisation par un magistrat
À l’occasion de l’arrêt Uzun c. Allemagne 229, la CEDH a considéré que la surveillance
par GPS effectuée par les autorités d’enquête constitue une ingérence dans l’exercice
du droit au respect de la vie privée au sens de l’article 8 de la convention. Pour ne pas
le méconnaître, cette ingérence doit être nécessaire, légitime et autorisée par la loi,
ce qui inclut une certaine exigence de qualité, et notamment l’existence de garanties
suffisantes contre les abus de pouvoir. À cet égard, la Cour a souligné que, en droit
allemand, « la surveillance systématique d’un suspect, lorsqu’elle est ordonnée par un
procureur, ne peut dépasser un mois et que toute prolongation doit être ordonnée
par un juge », ce qui assure le respect de la convention.
224. Voir notamment Régis de Gouttes, « Le ministère public français vu par la Cour européenne des droits de
l’homme », Cahiers de la justice no 4, revue semestrielle de l’École nationale de la magistrature, printemps 2009.
225. CEDH, 27/06/2013, Affaire Vassis et autres c. France, Req. no 6 2736/09.
226. CEDH , 15/10 / 2013, Gutsanovi c. Bulgarie, Req. no 34529/10.
227. Ibid.
228. Dans le même sens, voir Groupe de travail sur la détention arbitraire, « Délibération no 9 sur la définition et le champ d’application de la privation arbitraire de liberté dans le droit international coutumier »,
Rapport 2012, A/HRC/22/44.
229. CEDH, 02 /09/2 010, Uzun c . Allemagne, Req. no 35623/05.
111

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
La Cour de cassation s’est prononcée dans deux arrêts du 22 octobre 2013 230 sur la
conformité de la procédure française de géolocalisation à l’article 8 de la Convention
européenne des droits de l’homme. À la suite de la CEDH, et même au-delà de sa jurisprudence, elle a considéré que la mise en place d’une procédure de géolocalisation est
une ingérence dans le droit au respect à la vie privée et familiale et qu’elle doit donc
être « exécutée sous le contrôle d’un juge ». Or, la géolocalisation est mise en œuvre
par la police judiciaire sous le contrôle du procureur de la République qui ne peut être
considéré comme « un juge ». Cet arrêt a été interprété comme une consécration, par
la Cour de cassation, de la jurisprudence de la CEDH concernant le ministère public. À
la suite de ces deux arrêts, un projet de loi relatif à la géolocalisation a été déposé au
Parlement. L’étude d’impact s’appuie sur l’arrêt Uzun c. Allemagne. La loi no 2014-372
relative à la géolocalisation a été adoptée le 28 mars 2014. Elle encadre « les conditions dans lesquelles il pourra être procédé aux opérations de géolocalisation en temps
réel », en permettant un contrôle de la mesure par le JLD après une certaine durée.
Indépendance de l’autorité de poursuite
L’OCDE 231 a souligné les risques que comporte le lien hiérarchique qui lie ministère
public et ministre de la Justice pour la lutte contre la corruption. En effet, « le parquet dispose du pouvoir de bloquer le déclenchement des poursuites » pour certaines
infractions, et notamment « en matière de corruption d’agent public étranger, hors
agents intracommunautaires ». Par ailleurs, il joue un rôle croissant dans la procédure
pénale. Or, « certains faits très médiatisés ont contribué à créer un climat de suspicion
quant à l’indépendance du parquet dans les affaires politico-financières ». Deux types
d’intervention du garde des Sceaux sont décrits par l’OCDE : l’intervention par la voie
d’instructions, qu’elles soient générales ou individuelles, ou les « instructions orales
transmises par simple appel téléphonique ».
Depuis la publication de ce rapport, la loi no 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux
attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de
politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique a été adoptée. La CNCDH
a salué l’avancée que constitue l’interdiction des instructions individuelles mais a formulé la crainte que les instructions orales ne perdurent, et qu’en raison de la mainmise du garde des Sceaux sur la carrière des magistrats d’une manière générale, et des
magistrats du parquet en particulier, le magistrat du parquet n’anticipe les souhaits du
ministère dans un certain nombre d’affaires 232.
230. Cass., crim, 22/10/2013, 13-81.945, Bulletin criminel, 2013, no 196.
231. OCDE, Rapport de phase 3 sur la mise en œuvre par la France de la Convention de l’OCDE sur la lutte
contre la corruption, 10/2012.
232. CNCDH, Avis sur l’indépendance de la justice, 27/06/2013.
112
Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice

Garde à vue
Nous renverrons, concernant l’indépendance du parquet et concernant les comportements des forces de l’ordre pendant la garde à vue aux développements pertinents
ci-dessus. Un élément de contexte, pointée du doigt par le Comité des disparitions
forcées 233 doit être pris en compte : l’augmentation quantitative importante du nombre
de gardes à vue.
Accès à l’avocat
Dans son arrêt Brusco 234, la CEDH a considéré que la procédure de garde à vue française méconnaissait les paragraphes 1 et 3 de l’article 6 de la CESDH et portait « atteinte
au droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination et de garder le
silence ». La CEDH considère que la présence d’un avocat est une garantie décisive pour
protéger le droit du requérant de ne pas contribuer à sa propre incrimination et souligne donc l’importance du droit à un avocat dès le début de la garde à vue. Cet arrêt
s’inscrit dans la suite directe de plusieurs autres arrêts de la Cour 235.
Le Conseil constitutionnel a fait écho à ces critiques dans sa décision no 2010-14/22
QPC du 30 juillet 2010. Il a notamment retenu que la garde à vue « ne permet pas à la
personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de
l’assistance effective d’un avocat ; qu’une telle restriction aux droits de la défense est
imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection
des personnes ; qu’au demeurant, la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence ». Il a donc déclaré le dispositif non conforme à
la Constitution, cette déclaration d’inconstitutionnalité prenant effet le 1er juillet 2011.
La loi no 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue a répondu à cette censure. Elle prévoit notamment que « dès le début de la garde à vue, la personne peut
demander à être assistée par un avocat », et que, « en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul
fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat
et être assistée par lui ».
Le CPT s’est livré à une analyse de la loi du 14 avril 2011. Il souligne que « la loi relative à
la garde à vue du 14 avril 2011 comporte sans conteste certaines avancées » mais émet
quelques réserves. Il regrette que, dans le régime de droit commun de la garde à vue,
la présence de l’avocat puisse, dans certaines hypothèses, être différée sur autorisation
233. Pour un bilan statistique, voir notamment Julie Boé et Cyril Rizk (ONDRP), Aspects statistiques : les gardes
à vue pour crimes et délits non routiers de 2004 à 2009, Focus n°4 © INHESJ 2010. Après l’adoption de la
loi du 14/04/2011, il semble néanmoins que le nombre de gardes à vue ait baissé, sans que l’on puisse pour
l’heure établir si cette baisse est liée à la création d’une nouvelle procédure, l’audition libre. Voir les statistiques publiées sur le site de l’INHESJ .
234. CEDH, 14/10/2010, Brusco c. France, Req. no 1466/07.
235. CEDH, 13/10/2009, Dayanan c. Turquie, Req. no 7377/03 ; CEDH, grande chambre, 27/11/2008, Salduz
c. Turquie, Req. no 36391/02.
113
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
du procureur ou du juge des libertés et de la détention, pendant une période allant
jusqu’à douze heures et même vingt-quatre heures pour les crimes ou les délits punis
d’une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans. De même, « dans le
cadre du régime dérogatoire de la garde à vue, tout contact avec l’avocat peut être
différé en considération de raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières
de l’enquête ou de l’instruction, soit pour permettre le recueil ou la conservation des
preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes, pendant une durée maximale
de quarante-huit heures », et même soixante-douze heures dans certains cas. Le CPT
invite « les autorités françaises à amender les dispositions pertinentes du code de procédure pénale afin de garantir en toutes circonstances et à toute personne placée en
garde à vue, quel que soit le type d’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commis
ou tenté de commettre, le droit d’être assistée par un avocat dès le début de la mesure.
La possibilité, pour le procureur ou le juge, de différer l’exercice du droit d’être assisté
par un avocat, y compris lors des auditions et confrontations, ne doit viser que l’avocat
du choix de la personne gardée à vue ; en cas de recours à cette possibilité, il convient
d’organiser l’accès à un autre avocat, qui peut, en l’espèce, être désigné par le bâtonnier ». Par ailleurs, le CPT souligne les difficultés rencontrées par certains barreaux pour
assurer une intervention de l’avocat dès le début de la garde à vue. Il demande des
informations sur les modalités pratiques d’intervention des avocats.
La loi no 2011-392 précitée a également créé une nouvelle procédure, dite d’audition
libre, permettant d’auditionner sans avocat les personnes « à l’encontre desquelles il
n’existe aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction », pendant une durée maximum de quatre heures, l’apparition
de soupçons en cours d‘audition devant conduire nécessairement au placement en
garde à vue. La loi no 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive
no 2012/13/UE du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales a fait évoluer cette procédure. Désormais, l’avocat pourra assister le
« suspect libre » lors de son audition.
Autres droits de la personne gardée à vue
Le CPT constate que le droit d’être examiné par un médecin est globalement observé
dans les établissements qu’il a visités. Il rappelle néanmoins l’importance de cette intervention, et souligne qu’il est impératif que soit garanti un examen approfondi et que
les médecins « prodiguent […] les soins que nécessite leur état de santé ». Il souhaite
également être informé des impacts de la réforme de la médecine légale sur les droits
des personnes gardées à vue 236.
Concernant le droit de prévenir un proche, le CPT recommande que ce droit ne puisse
être restreint plus de quarante-huit heures, quel que soit le type d’infraction reprochée.
Enfin, eu égard à l’information de la personne gardée à vue, le CPT recommande qu’un
formulaire exposant les droits de cette personne dans une langue qu’elle comprend lui
236. Voir la circulaire du 28 décembre 2010 relative à la mise en œuvre de la réforme de la médecine légale
et la circulaire du 27 décembre 2010 relative à la mise en œuvre de la réforme de la médecine légale.
114
soit systématiquement remis. À cet égard, il convient de souligner que, après la directive no 2010/64/UE adoptée le 8 octobre 2010, relative au droit à l’interprétation et à la
traduction dans le cadre des procédures pénales, le législateur, à l’occasion de l’adoption de la loi no 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation
dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des
engagements internationaux de la France, a reconnu formellement à la personne suspectée ou poursuivie un droit « à l’assistance d’un interprète, y compris pour les entretiens avec son avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience,
et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l’exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui
doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées ».
Conditions matérielles
Lors de l’adoption de la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, le législateur
a souhaité que soit ajouté au code de procédure pénale un article 65-3 du code de
procédure pénale qui prévoit que « la garde à vue doit s’exécuter dans des conditions
assurant le respect de la dignité de la personne ».
Le CPT a visité plusieurs établissements relevant des forces de l’ordre, en grande partie
de la police nationale, à Paris, dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais, du
Rhône, de Seine-Maritime et de Seine-Saint-Denis. Dans l’ensemble des établissements
visités, le CPT a constaté un système de chauffage déficient (10 °C dans certains établissements), alors que les personnes gardées à vue ne disposaient pas de couvertures.
Les établissements manquaient généralement d’aération, et l’accès aux sanitaires n’était
pas toujours aisé. Les locaux de l’hôtel de police de Lille étaient « d’une saleté repoussante ». Certaines cellules étaient trop petites pour une détention excédant quelques
heures. Aucun des établissements ne disposait d’endroit à l’air frais pour les personnes
gardées à vue pour des périodes dépassant vingt-quatre heures. De plus, le droit à un
recours n’était pas toujours effectif.
Le CPT s’est élevé contre l’usage, dans certains établissements visités, de menottes,
chaînes fixées à un poids, un banc ou un anneau scellé au sol. Il a recommandé que
ces dispositifs soient supprimés et que soit préférée une surveillance étroite du gardé
à vue, le cas particulier d’agitation liée à l’état de santé nécessitant, lui, le recours à
une assistance médicale.
Protection du suspect
Par une décision en date du 3 septembre 2013, la CEDH 237 a rejeté la requête introduite par l’épouse et les enfants d’un médecin qui, mis en cause pour viol, s’était suicidé à l’issue de sa garde à vue, alors qu’il s’entretenait avec son avocat pendant son
défèrement au parquet de Pontoise. Elle rappelle que l’article 2 inclut l’obligation de
« prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa
237. CEDH, décision, 03/09/2013, Robineau c. France, Req. n° 58497/11.
115

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
juridiction », ce qui inclut l’obligation « de prendre préventivement des mesures d’ordre
pratique pour protéger l’individu contre autrui ou, dans certaines circonstances particulières, contre lui-même ». Cependant, si l’individu était « en situation de vulnérabilité », « les autorités internes n’ont pas eu conscience de ce que Michel Robineau allait
se suicider ». En outre, le comportement de l’intéressé ne permettait pas aux autorités
d’identifier qu’« un risque réel et immédiat d’un tel acte existait ». En conséquence,
au regard du comportement de l’intéressé, « les conditions dans lesquelles l’entretien
avec l’avocat a été organisé répondaient aux exigences de précautions élémentaires
au regard de l’article 2 de la Convention ». En conséquence, la Cour a rejeté la requête
comme étant manifestement mal fondée.
Détention provisoire
L’on renverra aux développements pertinents de la partie relative aux personnes détenues concernant les conditions de détention des personnes qui n’ont pas été condamnées, rares étant les établissements dans lesquels les prévenus ne sont pas mélangés
avec les condamnés. La détention provisoire, à laquelle le code de procédure pénale
consacre ses articles 143-1 et suivants ne peut être ordonnée que dans des infractions
déterminées, pour des motifs strictement énumérés et pour une durée limitée par le
juge des libertés et de la détention.
• Durée de la détention
La durée de la détention provisoire était traditionnellement l’une des principales causes
de violation de la CESDH constatée par la CEDH. Néanmoins, à la suite de plusieurs
réformes, la durée moyenne est passée de 4,5 mois en 1997 à 3,8 en 2008. Elle est
légèrement repartie à la hausse pour s’établir en 2011 à 4,1 mois 238. Surtout, à la suite
de l’arrêt Kudla 239, la CEDH déclare irrecevables les requêtes tendant à la réparation du
préjudice subi en raison de la durée déraisonnable de la détention provisoire si ce recours
n’a pas été exercé préalablement devant les juridictions nationales. En conséquence,
le nombre de ces affaires est en très nette diminution, exception faite des affaires de
terrorisme (voir infra). La Cour effectue un contrôle de la motivation des décisions des
autorités judiciaires qui doivent être suffisamment précises et circonstanciées.
Dans un arrêt en date du 18 octobre 2012 240, la CEDH a rejeté la requête d’une personne mise en examen pour vols à main armée en bande organisée, association de
malfaiteur en récidive, recel de vol et destruction par incendie, qui avait fait l’objet
d’une détention provisoire de quatre ans et un mois. La Cour souligne qu’eu égard à
la complexité de l’affaire, au risque de pression sur les témoins, au risque de fuite ou
238. Dominique Raimbourg, Sébastien Huyghe, Rapport d’information no 652 sur les moyens de lutte contre
la surpopulation carcérale, Assemblée nationale, 23 janvier 2013.
239. CEDH, Grande chambre, 26/10/2000, Kudla c. Pologne, Req. no 30210/96.
240. CEDH, 18/10/2012, Rossi c. France, Req. no 60468/08. Anne-Sophie Chavent-Leclère, « La complexité de
l’enquête peut justifier une détention provisoire de plus de quatre ans », Procédures, no 12, décembe 2012,
comm. 368.
116
de réitération, il existait des raisons objectives permettant de justifier le maintien en
détention provisoire du requérant. Elle relève ensuite que les autorités judiciaires n’ont
cessé de procéder à des recherches ou actes d’instruction, que la durée de la détention provisoire se révèle imputable à la complexité de l’affaire et, en partie, au comportement de l’accusé. En conséquence, la durée de la détention étant considérée,
certes comme longue, mais pas excessive, la CEDH conclut à l’absence de violation de
l’article 5, paragraphe 3.
Dans un arrêt du 3 octobre 2013 241, la CEDH a conclu à une violation de l’article 5,
paragraphe 3, concernant une détention provisoire de quatre ans, deux mois et trois
jours dans une affaire d’enlèvement, détention, séquestration de plusieurs personnes en
bande organisée, en vue d’obtenir l’exécution d’un ordre ou d’une condition, notamment le versement d’une rançon, violences en réunion avec arme, viol et tentative de
viol. La Cour procède en analysant un à un les différents critères qui doivent être pris
en compte : danger de fuite, risque de récidive, risque de concertation frauduleuse,
troubles exceptionnels et persistants à l’ordre public. Or, sur chacun de ces points, la
Cour relève un manque de précision des décisions de la chambre de l’instruction, qui
ne visent pas suffisamment les circonstances précises de la cause et ne caractérisent
pas les risques encourus. En conséquence, la Cour estime « que les motifs invoqués par
les autorités judiciaires n’étaient pas suffisants pour justifier le maintien en détention
provisoire du requérant pendant quatre ans et trois mois ».
Phase sententielle
Le droit français reconnaît pleinement le droit au procès équitable, qui découle de
principes constitutionnels 242, de l’article 6, paragraphe 1, de la CESDH, et du code de
procédure pénale 243. Cela n’exonère pas la France de quelques condamnations par
la CEDH, qui s’expliquent en partie par une interprétation large de l’article 6, paragraphe 1, la CEDH rappelant régulièrement que « la Convention ne vise pas à garantir
des droits théoriques ou illusoires mais des droits concrets et effectifs 244 ».
Présomption d’innocence et action civile
Dans un arrêt Lagardère c. France 245 , la CEDH a estimé que les juridictions qui se prononcent sur l’action civile doivent veiller, lors de la rédaction de la décision, à ne pas
porter atteinte au respect de la présomption d’innocence et au droit au procès équitable. En l’espèce, une société avait déposé plainte avec constitution de partie civile
contre le père du requérant, M. Jean-Luc Lagardère. Le tribunal correctionnel et la cour
241. CEDH, 03/10/2013, Vosgien c. France, Req. no 12430/11.
242. CC, 20/01/2005, loi relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du
tribunal de grande instance, no 2004-510 DC.
243. Voir notamment l’article préliminaire du code de procédure pénale.
244. Voir notamment, CEDH, 13/05/1980, Artico c. Italie, Req. no 6694/74.
245. CEDH, 12/04/2012, Lagardère c. France, Req. no 18851/07.
117

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
d’appel ont déclaré l’action publique éteinte en raison du décès du père du requérant,
survenu alors que la société s’était pourvue en cassation. La Cour de cassation, après
avoir constaté l’extinction de l’action publique en raison du décès du prévenu, a cassé
l’arrêt de la cour d’appel sur l’action civile, annulé l’arrêt de la cour d’appel dans ses
dispositions civiles et renvoyé l’affaire. La cour d’appel a considéré que les faits objets
du litige étaient constitutifs d’une faute, qui ouvrait droit à réparation pour les victimes. Pour qualifier la faute, la cour d’appel a considéré que « les éléments constitutifs des délits d’abus de biens sociaux au préjudice des sociétés Matra et Hachette
étaient caractérisés pour cette période, à l’encontre de M. Jean-Luc Lagardère ». Elle a
condamné les ayants droit de Jean-Luc Lagardère à verser 14 345 452,52 euros au titre
des dommages et intérêts à la société. Les ayants droit se sont pourvus en cassation,
puis ont saisi la CEDH en faisant valoir une violation du droit à un procès équitable
(art. 6, paragraphe 1) et du droit à la présomption d’innocence (art. 6, paragraphe 2).
La CEDH considère que la cour d’appel, en caractérisant les éléments constitutifs de
l’infraction reprochée au prévenu défunt, a déclaré Jean-Luc Lagardère coupable postmortem. La Cour rappelle que « si une procédure se déroulant en l’absence du prévenu
n’est pas en soi incompatible avec l’article 6 de la Convention, il demeure néanmoins
qu’un déni de justice est constitué lorsqu’un individu condamné in absentia ne peut
obtenir ultérieurement qu’une juridiction statue à nouveau, après l’avoir entendu, sur
le bien-fondé de l’accusation en fait comme en droit, alors qu’il n’est pas établi qu’il
a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre ». Or, en l’espèce, non seulement le prévenu est décédé et n’a pu se défendre, mais le requérant, mis en cause en
sa qualité d’ayant droit, « ne pouvait dès lors valablement discuter ni du bien-fondé
des sommes susceptibles d’être mises à sa charge ni, du moins partiellement, de leur
montant, dès lors que cela découlait nécessairement des constats faits par la cour
d’appel sous le volet pénal ». La Cour souligne alors que, si « le fait, pour une juridiction pénale, de statuer sur les intérêts civils de la victime est, en soi, conforme aux
dispositions de l’article 6 de la Convention », elle « ne saurait admettre que les juridictions pénales appelées à juger l’action civile se prononcent pour la toute première fois
sur la culpabilité pénale d’un prévenu décédé ». Et, le requérant n’ayant pas bénéficié
d’un droit au procès équitable, elle constate une violation de l’article 6, paragraphe 1.
Concernant le droit à la présomption d’innocence, la Cour estime que « tant par le
langage utilisé que par son raisonnement, la cour d’appel de Versailles a créé, entre la
procédure pénale et la procédure en réparation concomitante, un lien manifeste justifiant que l’on étende à la seconde le champ d’application de l’article 6, paragraphe 2 ».
Elle considère que l’arrêt de la cour d’appel a « déclaré le requérant coupable des faits
reprochés, alors même que l’action publique était éteinte du fait de son décès et que
sa culpabilité n’avait jamais été établie par un tribunal de son vivant ». Puis elle conclut
à une violation de l’article 6, paragraphe 2, et condamne la France à verser au requérant 10 000 euros pour dommage et 10 000 euros pour frais et dépens. La chambre
criminelle de la Cour de cassation a rapidement pris en compte cette jurisprudence 246.
246. Voir not. Crim., 14/11/2013, no 12-83.183 et Crim, 05/02/2014, no 12-80.154.
118
Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice

Accès au tribunal et procédure d’exonération du paiement
d’amendes contraventionnelles
Dans trois arrêts du 8 mars 2012 247 , la CEDH s’est prononcée sur la conformité de la
procédure d’exonération du paiement d’amendes au droit au procès équitable, confirmant une jurisprudence constante de la Cour de Strasbourg 248. Les requérants ont fait
l’objet d’un avis d’amende forfaitaire à la suite d’une contravention au code de la route.
Dans les affaires Cadene et Celice, les requérants ont réglé l’amende, puis adressé une
requête en exonération à l’officier du ministère public. Dans l’affaire Josseaume, les
requérants, sans avoir payé l’amende, ont sollicité la saisine de la juridiction de proximité. En vain, dès lors qu’ils avaient reçu deux avis d’amende majorée.
La Cour rappelle, dans ces trois affaires, que, si le droit d’accès à un tribunal n’est
pas absolu, les limitations ne peuvent pas en restreindre l’exercice dans sa substance
même, mais doivent être légitimes et proportionnées. Or, dans chaque affaire, l’officier du ministère public a déclaré irrecevables les demandes introduites par les requérants, « sans qu’un “tribunal”, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention,
ait examiné le fondement de l’“accusation” ».
Procédure par défaut
Dans son arrêt Abdelali c. France 249 la CEDH s’est prononcée sur le caractère équitable
d’une procédure par défaut. Le requérant a été condamné par défaut pour trafic de
stupéfiants. Or, il a contesté la régularité des preuves, et notamment celles recueillies
à l’occasion d’écoutes téléphoniques ordonnées au cours de l’information. Il a formé
opposition contre ce jugement. Le tribunal de grande instance a annulé certaines
réquisitions qui avaient été faites sans l’autorisation du procureur de la République et
tous les actes d’enquête ayant pour support nécessaire ces réquisitions, et a ordonné
la remise en liberté du requérant. Cependant, la cour d’appel et la Cour de cassation
ont considéré que, dès lors que le requérant était en fuite, il ne pouvait être considéré comme une partie au sens de l’article 175 du code de procédure pénale, et ne
pouvait, en conséquence, se prévaloir de la nullité de certains actes de l’information.
La CEDH rappelle son arrêt Sejdovic c. Italie, selon lequel « avant qu’un accusé puisse
être considéré comme ayant implicitement renoncé, par son comportement, à un droit
important sous l’angle de l’article 6 de la Convention, il doit être établi qu’il aurait pu
raisonnablement prévoir les conséquences du comportement en question ». Or, elle
note qu’en l’espèce, aucun élément du dossier ne permet d’affirmer avec certitude que
le requérant avait connaissance du fait qu’il était recherché. En conséquence, la Cour
247. CEDH, 08/03/2012, Josseaume c. France, Req. no 39243/10 ; CEDH, 8/03/2012, Celice c. France, Req.
no 14166/09 ; CEDH, 8/03/2012, Cadene c. France, Req. n°12039/08.
248. CEDH, 21/05/2002, Peltier c. France, Req. no 32872/96 ; CEDH, 07/03/2006, Besseau c. France,
Req. n° 73893/01.
249. CEDH, 11/10/2012, Abdelali c. France, Req. no 43353/07 ; Anne-Sophie Chavent-Leclère, « Le prévenu absent peut exciper de causes de nullité de l’instruction à l’audience de jugement », Procédures, no 12,
décembre 2012, comm. 370.
119
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
considère que l’impossibilité dans laquelle se trouvait le requérant de contester la validité des preuves retenues contre lui vide de sa substance la notion de procès équitable.
Refus de renvoi de l’audience
À l’occasion de l’arrêt Henri Rivière et autres c. France 250 , la CEDH s’est prononcée sur
la compatibilité à la CESDH d’un refus de renvoi à une date ultérieure d’une audience.
En l’espèce, les requérants ont été condamnés en première instance pour diverses
infractions prévues et réprimées par le code de l’urbanisme. Les requérants ont interjeté appel. Ils ont reçu une citation à comparaître, mais ont demandé le report de l’audience en justifiant de différentes raisons rendant leur présence impossible.
La CEDH rappelle dans un premier temps que, si le droit au procès équitable inclut, en
principe, le droit d’assister aux audiences, ce droit n’est pas absolu. Cependant, en vertu
de l’effet dévolutif de l’appel, la cour devait examiner l’affaire en fait et en droit, et le
droit au procès équitable impliquait donc le droit d’assister à l’audience. Cependant,
« si la Cour est consciente des conséquences des demandes de renvoi infondées, assurément préjudiciables à la bonne administration de la justice », en l’espèce, la demande
de renvoi reposait « sur des justificatifs objectifs, et non sur de simples affirmations non
étayées de l’“accusé” ». La CEDH considère qu’en ne motivant pas le refus de renvoi la
cour d’appel ne lui a pas permis de s’assurer qu’elle « avait effectivement examiné la
question de savoir si les excuses fournies par les requérants étaient valables. Dès lors,
elle n’est pas en mesure d’exercer son contrôle sur le respect de la Convention et doit
constater la violation des droits des requérants ».
Motivation des arrêts de cour d’assises
À l’occasion de l’arrêt Taxquet c. Belgique 251, la CEDH s’était prononcée sur la question de la motivation des arrêts émanant des cours d’assises avec jury populaire. Elle
a considéré que « l’absence de motivation d’un arrêt concluant à la culpabilité d’un
accusé dans un procès avec jury populaire n’est pas, en soi, contraire à la Convention
européenne des droits de l’homme », mais que la procédure belge avait violé le droit
au procès équitable.
Une question prioritaire de constitutionnalité a été soumise au Conseil constitutionnel
français 252, qui a considéré que le grief tiré de ce que les dispositions du code de procédure pénale relatives à la procédure devant la cour d’assises « laisseraient à cette juridiction un pouvoir arbitraire pour décider de la culpabilité d’un accusé » devait être écarté
en raison notamment des garanties attachées à la procédure devant la cour d’assises.
Dans une série d’affaires en date du 10 janvier 2013, la cour a indiqué les conditions
nécessaires pour que le défaut de motivation n’aboutisse pas à une méconnaissance
du droit au procès équitable. Elle souligne l’importance de « l’apport combiné de l’acte
250. CEDH, 25/07/2013, Henri Rivière et autres c. France, Req. no 46460/10.
251. CEDH, grande chambre, 16/11/2010, Req. no 926/05.
252. Décision no 2011-113/115, QPC du 1er avril 2011, M. Xavier P. et autres, Commentaires aux Cahiers.
120
de mise en accusation et des questions posées au jury en l’espèce », qui peut permettre
de compenser l’absence de motivation. Dans les arrêts Agnelet c. France 253 , Fraumens
c. France 254, et Oulahcene c. France 255 la Cour conclut, au terme d’une méthode systématique, à la violation du droit au procès équitable. Pour ce faire, elle retient plusieurs indices : la complexité de l’affaire, le fait que l’arrêt de mise en accusation est
intervenu « avant les débats qui constituent le cœur du procès » et qu’il n’avait donc
qu’une « portée limitée », que « seulement deux questions ont été posées au jury », que
« ces deux questions étaient non circonstanciées et laconiques » et ne comportaient de
référence « à aucune circonstance concrète et particulière qui aurait pu permettre au
requérant de comprendre le verdict de condamnation » ; et s’il s’agit d’une condamnation en appel qui fait suite à une relaxe en première instance, la Cour se montre particulièrement attentive au fait que le requérant puisse « disposer d’éléments susceptibles
de lui permettre de comprendre le verdict de condamnation ».
À l’inverse, dans les arrêts Voica et Legillon c. France 256, la Cour retient que « l’ordonnance de mise en accusation présentait de manière très circonstanciée les événements »,
que les questions portaient sur les infractions commises et sur les accusés. En conséquence, elle considère que les requérants ont « disposé de garanties suffisantes » leur
« permettant de comprendre le verdict de condamnation ».
Par ailleurs, la Cour « prend note de la réforme intervenue depuis l’époque des faits,
avec l’adoption de la loi no 2011-939 du 10 août 2011 qui a notamment inséré, dans
le code de procédure pénale, un nouvel article 365-1. Ce dernier prévoit dorénavant
une motivation de l’arrêt rendu par une cour d’assises dans un document qui est appelé
« feuille de motivation » et annexé à la feuille des questions. En cas de condamnation,
la loi exige que la motivation reprenne les éléments qui ont été exposés pendant les
délibérations et qui ont convaincu la cour d’assises pour chacun des faits reprochés à
l’accusé. Aux yeux de la Cour, une telle réforme semble donc a priori susceptible de
renforcer significativement les garanties contre l’arbitraire et de favoriser la compréhension de la condamnation par l’accusé, conformément aux exigences de l’article 6,
paragraphe 1, de la Convention ». La chambre criminelle de la Cour de cassation exerce
un contrôle de la motivation de l’arrêt de condamnation 257.
253. CEDH, 10/01/2013, Agnelet c. France, Req. no 61198/08.
254. CEDH, 10/01/2013, Fraumens c. France, Req. no 30010/10.
255. CEDH, 10/01/2013, Oulahcene c. France, Req. no 44446/10.
256. CEDH, 10/01/2013, Voica et Legillon c. France, respectivement Req. no 60995/09 et Req. no 53406/10.
257. Pour une illustration, voir Crim., 20 novembre 2013, Bull. crim., no 234.
121

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Technique de cassation
Si l’article 6 de la CESDH n’astreint pas les États à créer des cours d’appel et de cassation, « un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à
ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de cette
disposition 258 ».
Un arrêt de la CEDH concernant l’admission des moyens qualifiés de nouveaux par la
Cour de cassation peut être abordé ici 259. Celui-ci porte sur une procédure civile, mais
aurait pu porter sur une affaire pénale. En l’espèce, la Cour de cassation avait rejeté
comme « nouveau, mélangé de droit et de fait » le moyen en sa seconde branche du
pourvoi en cassation au motif qu’il ne résultait ni de l’arrêt de la cour d’appel ni des
conclusions de la demanderesse que celle-ci l’avait soulevé. La requérante soutenait
avoir soulevé ce moyen dès son mémoire en appel, ce à quoi le Gouvernement répondait que cette branche du moyen n’avait pas été soulevée dans le mémoire en tant que
moyen autonome, mais seulement en tant qu’argument. En conséquence, cette branche
du moyen n’ayant été soulevée de manière autonome que lors du pourvoi en cassation, la Cour de cassation avait été conduite à l’écarter en tant que moyen nouveau.
La CEDH souligne que « nonobstant les particularités de la procédure devant la Cour
de cassation et la possibilité d’imposer des conditions de recevabilité d’un pourvoi plus
rigoureuses que pour un appel, le recours à la notion de “moyen nouveau” justifierait
davantage de motivation. En effet, un renforcement de cette dernière serait à même
d’éclairer utilement les justiciables sur le sens de la décision, tout en aidant la Cour à
jouer son rôle, dont elle a déjà rappelé qu’il se limite à vérifier la compatibilité avec la
Convention des effets de pareille interprétation du droit interne ». Néanmoins, dans
les circonstances de l’espèce, la CEDH relève qu’il ne ressort pas de la motivation de
la Cour de cassation que celle-ci aurait commis une erreur manifeste d’appréciation,
étant donné notamment que la seconde branche du moyen a été examinée à travers
la première branche de ce moyen ; par ailleurs, la requérante a été assistée par un avocat spécialisé pendant l’ensemble de la procédure interne. Enfin, la CEDH souligne que
« lorsque la nouveauté du moyen n’est pas soulevée par le défendeur au pourvoi, il est
de pratique courante que le rapporteur indique dans son rapport, lequel est communiqué aux parties, que l’irrecevabilité en raison de la nouveauté du moyen est susceptible
d’être relevée par la Cour de cassation, ce qui permet précisément au demandeur au
pourvoi de s’exprimer sur cette question ». En conséquence, la Cour rejette la requête.
258. CEDH, 09/01/2014, Viard c. France, Req. no 71658/10 : la décision de non-admission de son pourvoi
en cassation pour non-respect du délai prévu par l’article 568 du code de procédure pénale fondée sur une
date erronée viole l’article 6 de la CESDH.
259. CEDH, 16/02/2012, Tourisme d’affaires, Req. no 17814/10.
122
Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice

FOCUS – Coopération judiciaire répressive
Deux arrêts, l’un de la CJUE, l’autre de la CEDH, sont venus rappeler les devoirs de l’État
lorsqu’il participe à un mécanisme de coopération judiciaire répressive, qu’il s’agisse du
mandat d’arrêt européen ou d’une commission rogatoire internationale.
Selon l’article 1er de la décision-cadre du Conseil du 13 juin 2002 (no 2002/584/JAI), le
mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de
l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour
l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de
sûreté privatives de liberté. Les dispositions relatives au mandat d’arrêt européen figurent
aux articles 695-11 et suivants du code de procédure pénale.
La décision-cadre identifie dans son article 4 des motifs de non-exécution facultative du
mandat d’arrêt européen. L’un de ces motifs est le cas où « le mandat d’arrêt européen
a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de
liberté, lorsque la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est
ressortissante ou y réside, et que cet État s’engage à exécuter cette peine ou mesure
de sûreté conformément à son droit interne ». L’article 695-24 du code de procédure
pénale qui transposait cet article limitait aux seuls nationaux le bénéfice de cette exclusion. Dans un arrêt du 5 septembre 2011 260, la CJUE a estimé que « si un État membre
peut […] décider de limiter les situations dans lesquelles l’autorité judiciaire d’exécution
nationale peut refuser de remettre une personne relevant du champ d’application de
cette disposition, il ne saurait exclure de manière absolue et automatique de ce champ
d’application les ressortissants d’autres États membres qui demeurent ou résident sur
son territoire quels que soient les liens de rattachement que ceux-ci présentent avec ce
dernier ». La loi n°2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation
dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France a pris acte de cette condamnation, et étendu ce
dispositif à l’étranger qui « réside régulièrement de façon ininterrompue depuis au moins
cinq ans sur le territoire national », si « la décision de condamnation est exécutoire sur
le territoire français en application de l’article 728-31 » du code de procédure pénale.
La CEDH 261 s’est prononcée sur le caractère équitable d’une procédure menée entre la
France et la Belgique. En l’espèce, un juge d’instruction français a délivré une commission rogatoire internationale à l’encontre d’une personne détenue en Belgique pour
l’entendre en tant que témoin assisté. Le requérant a été auditionné en présence de son
avocat belge par des officiers de police judiciaire belges, du juge d’instruction et de deux
officiers de police français. Il a demandé l’assistance d’un avocat français, qui lui a été
refusée. Il a reconnu, lors de cette audition, avoir participé à un vol à main armée et a
dénoncé d’autres vols à main armée, reconnaissant sa participation à certains d’entre eux.
Les autorités belges ont remis par la suite le requérant aux autorités françaises en vertu
d’un mandat d’arrêt européen. Le requérant a alors été mis en examen pour vols à main
armée commis en bande organisée, l’ordonnance de mise en accusation précisant que
les faits imputés résultaient de ses propres constatations précises et circonstanciées.
Cependant, le requérant a refusé, lors des interrogatoires, de s’exprimer sur ces faits,
considérant que ses aveux avaient été obtenus illégalement. Il a reconnu néanmoins ces
faits lors du procès devant la cour d’assises et a été condamné à six ans d’emprisonnement.
La CEDH a rejeté pour tardiveté la partie de la requête dirigée contre la Belgique, mais a
jugé recevable la partie de la requête dirigée contre la France. Elle considère que l’audition
260. CJUE, 05/09/2012, Joao Pedro Lopes Da Silva Jorge, C/42/11.
261. CEDH, 27/10/2011, Stojkovic c. France et Belgique, Req. no 25303/08.
123
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
a eu des répercussions importantes sur la situation du requérant de telle sorte qu’il faisait l’objet d’une accusation en matière pénale, qui impliquait qu’il doive bénéficier des
garanties de l’article 6, paragraphe 1. La complexité de la procédure, conduite selon le
régime applicable en Belgique, mais dans l’unique but de répondre à une commission
rogatoire internationale, était de nature à semer une confusion dans l’esprit du requérant. Or il ne s’est pas vu notifier son droit de garder le silence, et a avoué sans bénéficier
d’un conseil. Si le refus des autorités belges de laisser le requérant bénéficier de l’assistance d’un avocat n’est pas imputable aux autorités françaises, il appartenait à celles-ci,
à défaut de motif impérieux le justifiant, de veiller à ce qu’il ne compromette pas l’équité
de la procédure suivie devant elles. Or ses propos initiaux ont fondé sa mise en examen
et son renvoi devant la cour d’assises, préalable nécessaire à son jugement. Le fait qu’il
ait reconnu l’intégralité des faits lors de son jugement ne peut suffire pour régulariser
l’atteinte initiale. En conséquence, la Cour a conclu à une violation de l’article 6, paragraphe 3 c combiné à l’article 6, paragraphe 1, de la CESDH.
4. Majeurs détenus
Les développements qui suivent porteront, pour l’essentiel, sur les droits des personnes
détenues. La détention ne doit pas être confondue avec d’autres formes de privation de
liberté, et notamment la rétention administrative (voir les développements dans le chapitre
consacré aux migrations) ou l’hospitalisation sans consentement (voir le chapitre consacré
aux droits des personnes handicapées et aux personnes souffrant de troubles mentaux).
Nous n’aborderons pas non plus dans ce chapitre la rétention de sûreté et la surveillance
de sûreté, procédures inscrites dans le code de procédure pénale depuis la loi du 25 février
2008 aux articles 706-53-13 et suivants. Si certaines instances internationales se sont montrées très critiques à l’égard de ce dispositif 262, il n’a pas suscité, pendant la période de
référence, de nouvelles mises en cause directes. Quelques arrêts de la CEDH 263 concernant
le dispositif allemand, qui présente quelques similarités avec le système français, peuvent
être cités, mais il est impossible de conclure de manière définitive à la conformité du dispositif. Ces dispositions ont été très peu utilisées depuis leur adoption 264.
Par ailleurs, il convient de souligner que cette partie ne se limitera pas, non plus, à
la seule exécution des peines : les personnes prévenues, qui n’ont donc pas encore
été condamnées, peuvent être placées en détention provisoire. Les maisons d’arrêt
262. Voir notamment : Comité des droits de l’homme, Observations finales sur le 4e rapport périodique de la
France, 22/07/2008, 93e session, CCPR/C/FRA/CO/4 ; CAT, Observations finales sur le 4e au 6e rapport périodique de la France, 10/05/2010, 44e session, CAT/C/FRA/CO/4-6.
263. CEDH, 09/06/2011, Mork c. Allemagne Req. no 31047/04 et 43386/08 ; et Schmitz c. Allemagne, Req.
no 30493/04 ; CEDH, 14/04/2011, Jendrowiak c. Allemagne, Req. no 30060/04 ; CEDH, 21/10/2010, Grosskopf
c. Allemagne, Req. no 24478/03 ; CEDH, 13/01/2011, Haidn c. Allemagne, Req. no 6587/04 ; Kallweit c. Allemagne,
Req. no 17792/07 ; Mautes c. Allemagne, Req. no 20008/07 ; Schummer c. Allemagne, Req. no 27360/04 et
42225/07. Voir à ce sujet : Virginie Bianchi, « Les difficultés de la défense des personnes sous surveillance et
rétention de sûreté », Défendre en justice la cause des personnes détenues, La Documentation française, 2014.
264. Réponse de la garde des Sceaux à la question no 22016 de M. Éric Ciotti (Union pour un mouvement
populaire, Alpes-Maritimes), Réponse publiée au JO le 15/10/2013, p. 10888.
124
regroupent ainsi les personnes prévenues et les personnes condamnées dont la peine
ou le reliquat de peine n’excède pas deux ans. Ce sont ces établissements pénitentiaires, surpeuplés, qui concentrent la plupart des critiques des instances internationales.
Le cadre juridique, au plan national, découle de la loi pénitentiaire de 2009, et notamment de son article 22 qui dispose que « l’administration pénitentiaire garantit à toute
personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits », de l’intégration des normes
européennes (règles pénitentiaires européennes, jurisprudence de la CEDH) dans le droit
interne, que ce soit le fait du Gouvernement et du Parlement ou des juridictions 265.
Deux autorités administratives indépendantes sont directement habilitées à intervenir
auprès des personnes détenues : le Contrôleur général des lieux de privation de libertés, qui est, en France, le mécanisme national de prévention prévu par le Protocole
facultatif additionnel à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, et le Défenseur des droits 266 (voir la présentation qui
est faite de ces institutions dans le premier titre de cette partie).
Les différentes observations des instances internationales témoignent du fait que la
pénétration du droit dans les établissements pénitentiaires n’est pas achevée 267. Ainsi, le
rapport du CPT sur la France, dont l’on détaillera le contenu dans les pages qui suivent,
met en lumière l’importante diversité des pratiques de l’administration pénitentiaire d’un
établissement à l’autre, certaines étant clairement illégales. Le CPT formule donc un certain nombre de recommandations pour un encadrement plus strict des prérogatives de
l’administration pénitentiaire, seul à même de garantir les droits des personnes détenues. Par ailleurs, l’abondante jurisprudence de la CEDH illustre les nombreuses difficultés existantes : recours trop systématique à la détention, phénomène de surpopulation
carcérale, conditions matérielles de détention contraires à la dignité dans certains établissements, fouilles à nu trop systématiques, défaillances dans la protection des détenus,
taux de suicides, procédure de placement en quartier disciplinaire, conditions de travail…
Promotion des alternatives à la détention
pour lutter contre la surpopulation carcérale
Deux recommandations de l’EPU ont été consacrées au développement du recours aux
alternatives à la détention 268. Ces recommandations font écho à de nombreux travaux
d’instances internationales, et notamment à une récente résolution de l’APCE 269, réaffirmant que l’emprisonnement doit être une mesure de dernier ressort, et regrettant le
recours trop systématique à l’emprisonnement, avec pour conséquence, d’importants
phénomènes de surpopulation carcérale.
265. Anne–Gaëlle Robert, « Conditions de détention : lorsque les juges nationaux prennent le relais de la
Cour européenne des droits de l’homme », Droit pénal, no 10, 10/013.
266. Voir notamment : Défenseur des droits, L’Action du Défenseur des droits auprès des personnes détenues. Bilan 2000/2013, 2013.
267. Voir notamment Défendre en justice la cause des personnes détenues, La Documentation française, 2014 ;
voir également l’arrêt fondateur, CEDH, 21/02/1975, Golder c. Royaume-Uni, Req. no 4451/70.
268. Reco. no 120-107 (Togo) et 120-108 (Autriche).
269. APCE, « La promotion d’alternatives à l’emprisonnement », 31/05/2013, Recommandation no 1938.
125

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Surpopulation carcérale
La surpopulation carcérale peut en effet être constitutive de traitements inhumains ou
dégradants, ainsi que l’a souligné le Rapporteur spécial sur la torture et autres
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants 270. Suivant les statistiques
pénales annuelles du Conseil de l’Europe, l’APCE identifie la France (108 détenus/100
places) comme étant l’un des six pays du Conseil de l’Europe où la situation est la pire
avec la Serbie (172 détenus/100 places), l’Italie (153 détenus/100 places), Chypre (151
détenus/100 places), la Grèce (123 détenus/100 places) et la Turquie (115 détenus/100
places) 271. À l’occasion de son rapport sur la France, le CPT a dressé un bilan du surpeuplement des établissements pénitentiaires : « Selon les statistiques officielles, il y
avait au 1er décembre 2010, pour 56 463 places opérationnelles, 61 473 personnes
détenues (dont 16 170 prévenus) ; 116 établissements ou quartiers de détention avaient
un taux d’occupation supérieur à 100 %. Le surpeuplement concernait presque exclusivement les maisons d’arrêt. » Au 1er janvier 2014, 67 075 personnes écrouées étaient
détenues, pour 57 516 places opérationnelles 272.
L’arrêt Canali contre France de la CEDH 273 illustre les difficultés posées par la surpopulation carcérale dans les maisons d’arrêts : « le requérant a été détenu six mois à la
maison d’arrêt de Nancy. La cellule qu’il partageait avec un codétenu mesurait 9 m²,
ce qui lui permettait de disposer d’un espace individuel de 4,5 m2, réduit cependant
par les installations sanitaires […] et les meubles de la cellule. » La Cour note que cet
espace n’est pas, en lui-même, constitutif d’un traitement inhumain ou dégradant,
la Cour plaçant le seuil à 3 m2 par détenu. Néanmoins, doivent être pris en compte
d’autres aspects des conditions de détention, tels que « la possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée, le mode d’aération, l’accès à la lumière et à l’air naturels, la
qualité du chauffage et le respect des exigences sanitaires de base ». En l’espèce, la
Cour « estime que les modalités et la durée très limitées des périodes que le requérant
était autorisé à passer hors de la cellule qu’il occupait aggravaient sa situation » ; en
outre, la Cour relève l’absence d’intimité des installations sanitaires. En conséquence,
« la Cour considère que l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés
aux règles d’hygiène ont provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et
d’infériorité propres à l’humilier et à le rabaisser ». Nous renvoyons par ailleurs ci-dessous aux développements du CPT concernant le centre pénitentiaire du Havre.
En cas de problème systémique résultant d’un dysfonctionnement chronique du système pénitentiaire, la CEDH peut décider de recourir à la procédure d’arrêt pilote. Elle
a ainsi mis l’Italie dans l’obligation d’instaurer un recours ou un ensemble de recours
internes effectifs aptes à offrir un redressement adéquat et suffisant dans les cas de
surpeuplement carcéral, et ce conformément aux principes de la Convention tels que
270. Site des Nations unies, le Rapporteur spécial sur la torture propose la révision des règles minima pour le
traitement des détenus, 22/10/2013
271. Ibid.
272. Ministère de la Justice, Statistiques mensuelles de la population écrouée et détenue en France, 01/01/2014.
273. CEDH, 25/04/2013, Canali c. France, Req. no 40119/09.
126
mis en œuvre dans la jurisprudence de la Cour 274. Une requête tendant à l’application
de cette procédure à la France est actuellement pendante 275.
L’annonce par le ministre de la Justice, au début du mois de mai 2011, de l’extension
du parc immobilier pénitentiaire avait été présentée comme une réponse à la surpopulation carcérale. Le CPT a salué la mise en conformité et les travaux de rénovation
des établissements pénitentiaires mais « s’interroge cependant sur l’utilité d’un projet
visant à accroître en définitive de près de 20 % la capacité totale des établissements
pénitentiaires alors que, dans le même temps, des efforts importants sont faits pour
développer les mesures alternatives à la détention ». À la suite du rapport du CPT, une
loi de programmation pour l’exécution des peines prévoyant une extension du parc
pénitentiaire à 80 000 places d’ici à 2017 a été adoptée. Cependant, cet objectif nécessite que les dépenses pertinentes soient autorisées par la loi de finances, et ne lie pas
le Parlement dont la composition a, depuis, été renouvelée.
Alternatives à l’emprisonnement
Dans sa réponse à l’EPU, le nouveau Gouvernement a identifié deux voies pour lutter
contre la surpopulation carcérale, qui est l’une des priorités d’action de la circulaire
de politique pénale transmise aux parquets le 19 septembre 2012 : la construction de
nouveaux établissements pénitentiaires (le parc pénitentiaire, qui a augmenté de plus
de 80 % depuis 1985, sera porté à 63 500 places à échéance du cadre triennal budgétaire 2012-2015) ; le « développement des aménagements de peine » et la priorité
donnée aux mesures alternatives à l’incarcération. La loi pénitentiaire du 24 novembre
2009 « a produit ses effets : au 1er février 2013, 20,5 % des condamnés écroués bénéficiaient d’un aménagement de peine, alors qu’au 1er février 2009, ils n’étaient que
12,7 % ». Le développement des alternatives à l’emprisonnement constitue également
l’une des recommandations de la Conférence de consensus consacrée à la prévention
de la récidive ainsi que celle d’un rapport parlementaire 276.
Les efforts engagés depuis l’adoption de la loi pénitentiaire pour développer les alternatives à la détention sont également notés par le CPT. Il souhaite recevoir des informations sur les premiers bilans concernant la mise en œuvre des décrets no 2010-1276,
no 2010-1277 et no 2010-1278 du 27 octobre 2010 et sur la mise en œuvre des recommandations du Comité des ministres du Conseil de l’Europe portant sur les alternatives à la détention. Ce développement des alternatives est également encouragé
par l’APCE « pour les primo-délinquants, les délinquants qui n’ont commis aucun acte
de violence, les jeunes délinquants et les femmes ». Les alternatives à l’emprisonnement poursuivent le « but légitime d’une politique de réinsertion sociale progressive
des personnes condamnées à des peines d’emprisonnement », rappelé par la CEDH
dans l’arrêt Boulois c. Luxembourg 277. L’APCE souligne, dans sa Résolution 1938, les
274. CEDH, 08/01/2013, Torreggiani et autres c. Italie, Req. no 37818/10.
275. CEDH, 04/06/2013, Yengo c. France, Affaire communiquée, Req. no 50494/12.
276. Dominique Raimbourg, Sébastien Huyghe, Rapport d’information no 652 sur les moyens de lutte contre
la surpopulation carcérale, Assemblée nationale, 23/01/2013.
277. CEDH, grande chambre, 03/04/2012, Boulois c. Luxembourg, Req. no 37575/04.
127

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
principes que doivent respecter les alternatives à l’emprisonnement. L’on citera notamment : le principe de légalité ; le principe de proportionnalité entre la gravité de l’infraction et l’intensité du caractère afflictif de la mesure, et l’ingérence de celle-ci dans
les droits du délinquant ; l’obligation d’obtenir le consentement de l’intéressé lorsque
les mesures non privatives de liberté sont appliquées avant ou en lieu et place de la
procédure officielle ou d’un procès ; le droit au contrôle de ces mesures, c’est-à-dire
à l’existence de garanties juridictionnelles et de voies de recours ; les droits des délinquants au respect de la vie privée et de la dignité humaine ; la protection contre tout
risque excessif de dommage physique ou mental.
Depuis le changement de Gouvernement, un projet de loi relatif à la prévention de la
récidive et à l’individualisation des peines a été déposé au Parlement 278.
Conditions matérielles de détention
Le CPT a visité pour la première fois la maison centrale de Poissy et le centre pénitentiaire du Havre. L’encellulement individuel était la règle dans la maison centrale de Poissy
et les conditions matérielles de détention étaient relativement satisfaisantes. Quelques
problèmes étaient néanmoins relevés : une température basse, un manque de certains
produits d’hygiène, une quantité de nourriture parfois insuffisante.
Au centre pénitentiaire du Havre, établissement opérationnel depuis moins d’un an lors
de la visite de la délégation du Comité, les conditions de détention sont variables : le
centre de détention et le quartier pour les mineurs sont insuffisamment utilisés, alors
que la maison d’arrêt est en sur-occupation, et certaines cellules individuelles ont dû
être pourvues d’un second lit. Le CPT considère ce taux d’occupation comme acceptable à condition que les détenus aient la possibilité de passer une partie raisonnable
de la journée en dehors de leur cellule, et que les annexes sanitaires soient totalement
cloisonnées, ce qui n’est pas le cas. Par ailleurs, le CPT constate les malfaçons de ce
nouvel établissement, concernant notamment le chauffage et des infiltrations d’eau.
Les ascenseurs sont souvent en panne, ce qui favorise le racket dans les cages d’escalier et perturbe la délivrance des médicaments. Le CPT recommande donc la réalisation de travaux pour maintenir cet établissement en bon état. Il a également recueilli
de nombreuses plaintes concernant la qualité de la nourriture.
S’agissant des conséquences de la surpopulation carcérale sur les conditions matérielles
de détention, l’on renverra aux développements pertinents concernant l’arrêt de la
CEDH Canali c. France. À titre indicatif, il sera mentionné ici un cas notable d’application par le juge national de la jurisprudence de la CEDH relative aux conditions matérielles de détention : par une ordonnance du 22 décembre 2012 279, le juge des référés
du Conseil d’État a « enjoint à l’administration pénitentiaire de procéder à la détermination des mesures nécessaires à l’éradication des animaux nuisibles présents dans
278. Projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, no 1413, déposé le
09/10/2013 à l’Assemblée nationale.
279. CE, Juge des référés, 22/12/2012, Req n°364584, Publié au recueil Lebon.
128
les locaux du centre pénitentiaire des Baumettes », la présence de ceux-là constituant
une atteinte à la dignité des détenus contraire à l’article 3 de la Convention 280 : nous
renvoyons également aux importants travaux du CGLPL sur ce point.
Fouilles en détention
Dans son arrêt Frérot c. France 281, la CEDH a considéré que les fouilles intégrales pratiquées sur un détenu pouvaient, en raison de leur caractère extrêmement aléatoire,
provoquer un sentiment d’arbitraire, d’infériorité et d’angoisse, a conclu à l’existence
d’un degré d’humiliation dépassant celui que comporte inévitablement la fouille corporelle des détenus.
À la suite de cet arrêt, le Conseil d’État a décidé que « si les nécessités de l’ordre public
et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un
détenu d’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une part, que le recours à ces fouilles intégrales soit justifié, notamment, par
l’existence de suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements
antérieurs ou les circonstances de ses contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles
se déroulent dans des conditions et selon des modalités strictement et exclusivement
adaptées à ces nécessités et ces contraintes ; qu’il appartient ainsi à l’administration
de justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la proportionnalité des
modalités retenues 282 ». La loi pénitentiaire de 2009 283, tirant les conséquences de
cette jurisprudence, a encadré le recours aux fouilles, puis, plus strictement encore, le
recours aux fouilles intégrales. Elle a ainsi posé le principe de la prohibition, sauf exceptions, des investigations corporelles internes. Une circulaire du 14 avril 2011 est venue
expliciter les modalités du contrôle des personnes détenues 284.
Par un arrêt du 20 janvier 2011 285, la CEDH a, de nouveau, conclu à une violation
de l’article 3 pour des fouilles intégrales pratiquées sur une personne détenue. Les
faits étaient relativement spécifiques, puisqu’il s’agissait d’un détenu particulièrement
280. Le Conseil d’État souligne notamment qu’il appartient à l’administration pénitentiaire « de prendre les
mesures propres à protéger [la vie des détenus] ainsi qu’à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant
afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2
et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que
le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice
administrative ; que, lorsque la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour
la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou
dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la
situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures,
le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, prescrire
toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence ».
281. CEDH, 2e section, 12/06/2007, Frérot c. France, Req. no 70204/01.
282. CE, 14/11/2008, M. E. S., Req. no 315622.
283. Article 57 de la loi pénitentiaire no 2009-1436 du 24/11/2009.
284. Circulaire du 14/04/2011 relative aux moyens de contrôle des personnes détenues NOR : JUSK1140022C.
285. CEDH, 5e section, 20/01/2011, El Shennawy c. France, Req. no 51246/08.
129

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
signalé, soumis en conséquence à d’importantes mesures de surveillance (cf. infra) ;
toutefois, la Cour considère que ces fouilles étaient trop systématiques, et qu’elles
ne reposaient pas sur un impératif convaincant de sécurité. Alors que les faits étaient
antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi pénitentiaire, la Cour « prend acte » de l’adoption de cette loi « qui apporte un cadre législatif au régime de la fouille des détenus et
dont l’article 57, bien que ne visant pas spécifiquement les DPS, limite strictement le
recours aux fouilles intégrales », qui ne sont désormais « possibles [que] si les fouilles
par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique sont insuffisantes ».
Statuant en référé, le Conseil d’État a tiré les conséquences de la jurisprudence de la
Cour dans deux ordonnances du 6 juin 2013 286 : d’une part, les mesures de fouilles
ne doivent pas « revêtir un caractère systématique et doivent être justifiées par l’un
des motifs qu’elles prévoient », d’autre part, elles doivent revêtir « un caractère subsidiaire par rapport aux fouilles par palpation ou à l’utilisation de moyens de détection
électronique 287 ».
Le CPT s’est prononcé sur l’encadrement des fouilles de sécurité tel que modifié par
l’article 57 de la loi pénitentiaire, et notamment sur la gradation mise en place entre
fouilles par palpation ou par l’utilisation de moyens électroniques, fouilles intégrales
et investigations corporelles internes. Il a appelé à ce que ces fouilles préservent le
respect de la dignité des personnes détenues et a souhaité avoir communication des
éventuelles circulaires et consignes adoptées en la matière à la suite de l’entrée en
vigueur de la loi pénitentiaire. Le CPT a constaté notamment que, plus d’un an après
l’adoption de la loi, les détenus faisaient encore systématiquement l’objet d’une fouille
intégrale après les parloirs.
À l’occasion de l’EPU, la Norvège a recommandé à la France de mettre fin aux fouilles
complètes corporelles en prison. Le Gouvernent a refusé la recommandation et a insisté
sur le caractère exceptionnel et subsidiaire de celles-ci.
Protection des détenus
Protection des détenus contre les violences du personnel
pénitentiaire
Dans l’arrêt Alboreo c. France 288, la CEDH a conclu, à propos des violences commises
par des membres d’une équipe régionale d’intervention et de sécurité (ERIS) à l’encontre
d’un détenu, à l’existence de traitements inhumains et dégradants. La Cour souligne
que « même si aucun élément du dossier ne permet d’affirmer avec certitude » que la
fracture de la côte du requérant est survenue au cours des interventions des ERIS, « les
286. CE, réf., 06/06/2013, SF-OIP, n°368816, et CE, réf., 06/06/2013, Nezif E., n°368875
287. Ibid. Sur ce sujet, voir notamment Serge Slama, « Encadrement jurisprudentiel du rapport d’humiliation
intégral des fouilles à nu systématiques » [PDF], in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 20/06/2013.
288. CEDH, 20/10/2011, Alboreo c . France , Req. no 51019/08.
130
allégations du requérant sont plausibles au vu de la manière dont les opérations se sont
déroulées et notamment du fait que le requérant, mesurant 1,72 m et pesant 66 kg, a
été maîtrisé par quatre agents des ERIS et fermement plaqué au sol à deux reprises ».
La Cour relève néanmoins « l’absence totale d’explication sur ce point de la part du
Gouvernement et l’impossibilité d’établir les circonstances exactes dans lesquelles le
requérant a été blessé, alors qu’il se trouvait sous le contrôle des agents de l’État ».
Or, « une telle séquelle atteint indubitablement le seuil minimum de gravité requis par
l’article 3 », et dès lors, « des explications sont nécessaires sur la survenue d’une telle
blessure ». En conséquence, la Cour conclut à une violation de l’article 3 de la CESDH.
Dans le centre pénitentiaire du Havre, des incidents ayant entraîné à maintes reprises
un usage excessif de la force de la part de certains membres du personnel ont été rapportés au CPT lors de sa visite en France, ces comportements étant liés selon toute vraisemblance au manque d’expérience de la majorité des surveillants. Le CPT a demandé
que la direction du centre pénitentiaire rappelle à l’ensemble du personnel pénitentiaire que leurs interventions doivent être proportionnées, seule la force strictement
nécessaire devant être utilisée.
À l’occasion de la recommandation CM/Rec(2012)5F/12 avril 2012, le Comité des
ministres du Conseil de l’Europe a recommandé aux gouvernements des États
membres « de s’inspirer, dans leurs législations et pratiques internes et dans leurs codes
de conduite pour le personnel pénitentiaire, des principes énoncés dans le modèle du
code européen de déontologie pour le personnel pénitentiaire […] qui doit être lu
conjointement avec les Règles pénitentiaires européennes 289 ».
Protection des détenus contre un usage abusif
de moyens de contrainte
Le CPT salue l’encadrement, à la suite de l’adoption de la loi pénitentiaire, du recours
aux moyens de contrainte (menottes, entraves, etc.) 290. Cependant, il constate que
l’application de ces règles est très variable selon l’établissement visité, et que l’usage de
ces moyens de contrainte n’est pas consigné. En conséquence, le Comité a demandé
communication des circulaires et/ou instructions adoptées dans chaque établissement
pour préciser le contenu des règles relatives à l’usage des moyens de contrainte.
289. Comité des ministres, Recommandation CM/Rec(2012) 5 sur le code européen de déontologie pour le
personnel pénitentiaire, 12/04/2012.
290. Décret no 2010-1634 du 23/12/2010 portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le code de
procédure pénale.
131

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Protection des détenus contre leurs codétenus
Le ministère de la Justice a dénombré un taux d’agressions de 1 311,8 pour 10 000
détenus en 2011, et de 1 329,3 pour 10 000 détenus en 2012 291. La CEDH a rappelé,
dans un arrêt du 20 octobre 2011 292, que l’administration est débitrice d’une obligation de moyens pour éviter la survenance de tels faits. Dans cette décision, la CEDH a
rejeté la requête d’un détenu qui alléguait « avoir été victime en détention de traitements inhumains et dégradants de la part d’autres détenus », et qui estimait que « les
autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour l’en protéger ». La Cour considère « comme établi que le requérant a subi en détention des violences suffisamment
sérieuses pour conférer aux faits en cause le caractère de traitement inhumain et dégradant, au sens de l’article 3 ». Elle relève néanmoins que la France dispose d’une législation pénale efficace, qui réprime tant le viol dont le requérant soutient avoir été victime
que les violences qu’il dit avoir subies. Surtout, le requérant disposait de recours tant
au pénal qu’au civil qui avaient une chance raisonnable de succès. Concernant le comportement des autorités pénitentiaires, la Cour relève que celles-ci ont pris en compte
l’homosexualité du requérant en le plaçant dans une cellule individuelle, et ont veillé,
lorsqu’elles lui ont fait partager sa cellule, à ce que le profil de son codétenu soit compatible avec le sien. La Cour note de plus que le requérant n’a pas informé l’administration pénitentiaire de la plupart des sévices qu’il prétend avoir subis. Lorsqu’il a fait
une tentative de suicide, il a été suivi par du personnel soignant et « a été placé sur la
liste des détenus présentant un risque de suicide. Enfin, il ressort du dossier que, sur
demande du procureur de la République, le directeur de l’établissement lui a rendu
compte des faits ». En conclusion, la Cour estime que « dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu des faits qui ont été portés à leur connaissance, les autorités ont
pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour protéger l’intégrité physique du requérant ».
Le CPT a également été informé d’un risque non négligeable d’actes d’intimidation
et de violence entre détenus dans l’un des deux établissements pénitentiaire visités
(Le Havre), dû principalement à la formation de bandes, risque favorisé par le nombre
restreint de personnel dans les zones de détention et par la difficulté de circulation
dans l’établissement qui entraîne de trop longs délais de réaction. Le CPT recommande
donc l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie pour résoudre ces problèmes. Il
recommande d’accroître de manière significative l’effectif en personnel de surveillance
dans cet établissement, ce manque de personnel participant d’un sentiment d’insécurité pour tous, détenus et membres du personnel.
291. Sébastien Huyghe, « Avis fait au nom de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de
l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale sur le projet de loi (no 1395) de finances
pour 2014 », tome VI, Justice, administration pénitentiaire, 10/10/2013.
292. CEDH , 20/10/2011, Stasi c. France, Req. no 25001/07.
132
Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice

Protection des détenus contre eux-mêmes : suicides en prison
Lors de l’EPU, la France s’est vu adresser deux recommandations concernant le nombre
élevé de suicides en prison. Le Gouvernement a mis en avant, dans sa réponse à l’EPU,
sa « politique volontariste de prévention des suicides à destination des personnes incarcérées » : une généralisation du plan d’action ministériel de prévention du suicide des
personnes détenues du 15 juin 2009 et l’expérimentation de dispositifs innovants ayant
démontré leur efficacité dans des États voisins. Le Gouvernement met également en
avant la labellisation des « quartiers arrivants » des établissements pénitentiaires, qui
doivent préserver la dignité de la personne détenue et limiter le « choc carcéral » en
garantissant la prise en compte des besoins urgents de cette personne, lors de son arrivée.
La CEDH, dans l’arrêt Ketreb, a conclu à une violation de la CESDH à propos du placement en cellule disciplinaire d’un détenu vulnérable ayant conduit à son suicide .
Nous renvoyons aux développements pertinents dans la partie consacrée au placement
en cellule disciplinaire.
Détenus nécessitant des soins
Deux recommandations de l’EPU ont été consacrées à l’amélioration de la prise en
charge médicale des personnes détenues 293. En réponse, le Gouvernement a fait valoir
que « les personnes détenues bénéficient de soins délivrés par des professionnels hospitaliers » et que « la loi française vise à assurer aux personnes détenues une qualité et
une continuité des soins équivalentes à celles offertes à l’ensemble de la population ».
Les personnes détenues souffrant de troubles mentaux sont prises en charge « pour les
soins ambulatoires : par le secteur psychiatrique hospitalier dont dépendent les unités
sanitaires des établissements pénitentiaires ou par les services médico-psychologiques
régionaux (SMPR) » ; « pour les soins en hospitalisation complète », soit, en cas de soins
sans le consentement du malade, « en hospitalisation sur décision du représentant de
l’État, toujours en milieu hospitalier », ou « en unité pour malades difficiles lorsque la
dangerosité (pour elle ou pour autrui) de la personne l’exige », soit, en cas de soins
avec le consentement du malade, en UHSA.
La CEDH a progressivement explicité les garanties qui doivent être reconnues aux personnes détenues nécessitant des soins 294. Dans l’arrêt G. c. France 295 , elle a conclu à
une violation de l’article 3 de la Convention à l’égard d’un détenu atteint de psychose
chronique. À la suite d’une destruction de biens dans un hôpital psychiatrique dans
lequel il était placé, il a été incarcéré dans un établissement pénitentiaire. Au cours
de cette incarcération, il a provoqué un incendie, à la suite duquel son codétenu est
décédé. Il a été mis en examen du chef de destruction de biens par incendie ayant
entraîné une incapacité totale de travail supérieure à huit jours et placé en détention
293. Reco. no 120.111 (Algérie) et no 120.112 (Australie).
294. Sur le droit à la santé en prison, voir CEDH, Droits des prisonniers à la santé, sur le site internet de la Cour.
295. CEDH, 23/02/2012, G. c. France, Req. no 27244/09 ; Damien Roets, « Les conditions de détention en
France des détenus atteints de troubles mentaux toujours sur la sellette européenne », Revue de science criminelle, 2012, p. 683.
133
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
provisoire. Après quatre années de cette détention, la cour d’assises a conclu à son
irresponsabilité pénale.
La Cour rejette le grief tiré de la violation de l’article 6 de la Convention, mais conclut
à la violation de l’article 3. Le requérant soutenait que son incarcération était constitutive de traitements inhumains ou dégradants dès lors qu’il aurait dû, en raison de son
état de santé, être hospitalisé. La Cour rappelle qu’elle s’est prononcée sur la compatibilité du maintien en détention des personnes souffrant de pathologies dans ses
arrêts Mouisel c. France 296 et Rivière c. France 297. Elle relève également « le constat
fait à l’échelle nationale de l’insuffisance de la prise en charge psychiatrique en détention et de l’urgence à faire en sorte que les détenus qui souffrent de troubles mentaux
soient hospitalisés ». En l’espèce, la gravité de la maladie du requérant est incontestée
et sa détention a été cause de nombreuses rechutes qui peuvent, par principe, relever
de l’article 3. Si le requérant a régulièrement bénéficié de soins pendant sa détention,
et s’il a été placé au sein du service médico-psychiatrique régional (SMPR) dès que sa
détention n’a plus été compatible avec son état de santé, son extrême vulnérabilité
appelait « des mesures aptes à ne pas aggraver son état mental, ce que n’ont pas permis les nombreux allers-retours de celui-ci entre la détention ordinaire et ses hospitalisations ». En raison de la répétition et de la fréquence de ces hospitalisations et des
conditions matérielles de détention du requérant au sein du SMPR, la Cour estime
que le maintien en détention a « entravé le traitement médical que son état psychiatrique exigeait et lui a infligé une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ». La Cour insiste sur l’importance des
règles pénitentiaires européennes pour prendre en charge les détenus, « fussent-elles
non contraignantes ». Elle conclut à un traitement inhumain et dégradant, et, partant,
à la violation de l’article 3.
Le CPT a constaté dans les deux établissements visités un manque de personnel (psychologues, infirmiers et psychiatres à la maison centrale de Poissy ; médecins généralistes,
addictologues, psychiatres dentistes et infirmiers au centre pénitentiaire du Havre). Au
centre pénitentiaire du Havre, ce manque de personnel a des conséquences directes
sur la distribution des traitements ; ainsi, la délivrance pour plusieurs jours de certains
traitements, notamment des traitements substitutifs des pharmacodépendances aux
opiacés, engendre un trafic de médicaments.
Le CPT relève également des défaillances concernant la confidentialité des relations
médicales, ce qui peut résulter de locaux inadaptés (ainsi, à la maison centrale de
Poissy, l’unité de soins ambulatoires ne dispose pas de cabinet pour les consultations
psychiatriques) ou du fait que les demandes de consultations médicales passent par
l’intermédiaire du personnel surveillant (centre pénitentiaire du Havre). Le CPT relève
par ailleurs que les détenus ne disposent pas toujours des droits reconnus à l’ensemble
des patients : ainsi à la maison centrale de Poissy, les détenus n’ont pas accès aux informations contenues dans leur propre dossier médical.
296. CEDH, 14/11/2002, Mouisel c. France, Req. n° 67263/01.
297. CEDH, 11/07/2006, Rivière c. France, Req. no 33834/03.
134
Le CPT formule un certain nombre de remarques qui ne portent pas seulement sur
les deux établissements visités. Il relève l’existence d’obstacles pratiques qui peuvent
avoir des conséquences dommageables pour les patients. Ainsi en est-il de la diversité des formats des dossiers médicaux des détenus qui fait obstacle au suivi des détenus lorsqu’ils sont transférés. Il demande donc des informations sur la mise en place
du dossier médical unique. En outre, il se montre très préoccupé par les conditions
dans lesquelles se déroulent les transferts et les soins prodigués en milieu hospitalier
extérieur. En effet, les dispositifs de sécurité priment sur la déontologie médicale : les
détenus sont parfois menottés, et le principe de confidentialité des examens et soins
médicaux n’est pas toujours respecté. Le CPT appelle donc à une révision de ces règles.
Détenus soumis à des régimes de détention
spéciaux
Placement en cellule disciplinaire
La CEDH considère que les placements en cellule disciplinaire peuvent relever de l’article 3 de la convention. Elle a conclu à une violation de l’article 3 de la CESDH dans une
affaire Ketreb c. France 298 . En l’espèce, M. Ketreb, polytoxicomane atteint de troubles
mentaux, s’est suicidé pendant son placement en cellule disciplinaire. La Cour considère
que le placement en cellule disciplinaire pendant quinze jours n’était pas compatible
avec le niveau de traitement exigé à l’égard d’une personne atteinte de tels troubles
mentaux. Ce placement a constitué un traitement et une peine inhumains et dégradants. La Cour considère notamment qu’au regard des antécédents de M. Ketreb, il
appartenait aux autorités d’avoir « une vigilance toute particulière et, à tout le moins »,
d’organiser « une consultation avec son psychiatre avant son placement en quartier
disciplinaire et un suivi adapté durant son séjour ».
La CEDH a également conclu à une violation de l’article 3 de la CESDH dans l’affaire
Plathey c. France 299. En l’espèce, le requérant a été détenu pendant vingt-huit jours,
vingt-trois heures sur vingt-quatre au quartier disciplinaire, dans une cellule qui avait
été entièrement incendiée une semaine auparavant et dans laquelle régnait une « odeur
très forte, à la limite de la suffocation ». Le requérant a été placé dans cette cellule
disciplinaire en raison du manque allégué de cellules disciplinaires. La Cour estime
en conséquence que les conditions dans lesquelles le requérant a été détenu portent
atteinte à la dignité humaine et constituent un traitement inhumain ou dégradant.
Dans l’arrêt Cocaign c. France 300, la CEDH n’a pas retenu de violation de l’article 3. Le
détenu, qui souffrait d’importants troubles psychiatriques, a tué son codétenu, puis
a mangé une partie de ses poumons. Elle considère que le seuil pour qu’une violation de l’article 3 soit retenue n’est pas atteint dès lors que le détenu n’est resté que
298. CEDH, 19/07/2012, Ketreb c. France, Req. n° 38447/09 .
299. CEDH, 10/11/2011, Plathey c. France, Req. n° 48337/09.
300. CEDH, 03/11/2011, Cocaign c. France, Req. no 32010/07.
135

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
quelques jours, le directeur de l’établissement ayant jugé son état incompatible avec
le placement en cellule disciplinaire, qu’il a fait l’objet d’un important suivi médical et
que rien ne permettait de considérer que les conditions matérielles de détention étaient
en elles-mêmes contraires à l’article 3 de la Convention.
En revanche, à l’occasion de cet arrêt, la Cour a confirmé son arrêt Payet 301 : elle avait
considéré que la procédure disciplinaire ne remplit pas les exigences du droit au recours
effectif étant donné que le requérant ne dispose pas d’un droit au recours effectif au
sens de l’article 13 de la CESDH, le recours contre cette décision n’étant pas suspensif,
et la procédure ne permettant pas au juge de se prononcer en temps utile. Depuis, le
juge administratif a précisé qu’il est possible d’introduire une demande de suspension
de la décision prise à l’issue de la procédure disciplinaire par la voie d’un référé liberté
ou d’un référé suspension 302.
Le CPT s’est quant à lui penché sur le caractère contradictoire de la procédure disciplinaire telle que réformée par la loi pénitentiaire, et un décret du 23 décembre 2010 303.
S’il a reconnu que cette procédure contenait des garanties appropriées, il a demandé si
les personnes à l’encontre desquelles une procédure disciplinaire a été engagée peuvent
faire citer des témoins et faire contre-interroger les témoins à charge.
Il a également appelé les autorités françaises à poursuivre dans la voie du raccourcissement de la durée de la mise à l’isolement, qui est passée de quarante-cinq à trente
jours en cas de violence physique envers des personnes. Enfin, il a recommandé que
des mesures soient prises afin de garantir que les détenus placés à l’isolement reçoivent,
quotidiennement, la visite d’un membre du personnel de santé.
Détenus particulièrement signalés
Selon la circulaire d’application de l’instruction ministérielle relative au répertoire des
détenus particulièrement signalés de la DAP du 18 décembre 2007, « les critères d’inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés sont liés au risque d’évasion et à l’intensité de l’atteinte à l’ordre public que celle-ci pourrait engendrer ainsi
qu’au comportement particulièrement violent en détention de certains détenus ». Le
CPT a, lors de sa visite en France, pu se prononcer sur la situation des DPS dans la maison centrale de Poissy : il constate notamment que « la décision d’inscrire un détenu au
répertoire des DPS n’était pas systématiquement notifiée au détenu concerné » ; que
« la situation de tous les DPS n’était pas réexaminée une fois par an » ; qu’en cas de
réexamen, « cette décision n’était pas motivée ou, dans le meilleur des cas, contenait
pour seule motivation des formules stéréotypées ». Le CPT considère au contraire que
« toute décision d’inscrire un détenu (ou de maintenir son inscription) au répertoire des
DPS doit être basée sur une évaluation individuelle et approfondie des risques réels, et
prise à l’issue d’une procédure assortie de garanties appropriées. De plus, l’inscription
301. CEDH, 20/01/2011, Payet c. France, Req. no 19606/08.
302. CE, 28/12/2012, Req. no 357494.
303. Décret no 2010-1634 du 23 décembre 2010 portant application de la loi pénitentiaire et modifiant le
code de procédure pénale .
136
à ce répertoire doit être limitée au temps strictement nécessaire ». Enfin, le CPT recommande que « le cadre juridique régissant l’inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés [soit] complété et [que soient mentionnées] expressément les
modalités de recours contre les décisions d’inscription (et de maintien de l’inscription)
à ce répertoire, d’une part, et l’autorité en charge du réexamen de la situation des
détenus particulièrement signalés, d’autre part ».
Les DPS font l’objet d’une surveillance particulière. En ce sens, le CPT s’est montré extrêmement critique à l’égard de la mesure de surveillance nocturne des DPS, « réveillés
toutes les heures par les surveillants qui allumaient la lumière dans les cellules lors des
rondes de nuit ». Il recommande de revoir les modalités de la surveillance nocturne des
détenus particulièrement signalés, dans tous les établissements pénitentiaires en France,
et de ne procéder à l’éclairage des cellules qu’en cas de nécessité avérée.
La CEDH s’est prononcée récemment à deux reprises, sur les mesures de surveillance
dont peuvent faire l’objet les DPS : dans l’arrêt El Shennawy c. France, elle a considéré
que le caractère systématique de ces fouilles conduit à une violation du droit au respect de la vie privée (voir les développements concernant les fouilles ci-dessus). Dans
l’arrêt Alboreo c. France 304, la Cour s’est prononcée sur les rotations de sécurité dont
ont systématiquement fait l’objet les DPS à partir de 2003, en application d’une note
relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d’arrêt. Elle reprend ses constats de l’arrêt Khider, dans lequel elle avait considéré que les
rotations de sécurité peuvent, lorsqu’elles sont très nombreuses, créer un sentiment
d’angoisse, engendrant un déséquilibre « entre les impératifs de sécurité et l’exigence
d’assurer au détenu des conditions humaines de détention ». Dans l’arrêt Alboreo,
elle considère que, compte tenu du profil du requérant, de sa dangerosité et de son
passé, « les autorités pénitentiaires ont ménagé un juste équilibre entre les impératifs
de sécurité et l’exigence d’assurer au détenu des conditions humaines de détention,
lesquelles, dans le cas présent, n’ont pas atteint le seuil minimum de gravité nécessaire
pour constituer un traitement inhumain au sens de l’article 3 ».
Néanmoins, la Cour retient une violation de l’article 13 combiné avec l’article 3, le
requérant n’ayant pas bénéficié de recours effectif contre ces rotations de sécurité. Le
Gouvernement souligne pourtant que, depuis trois décisions d’assemblée, le Conseil
d’État, modifiant sa jurisprudence, « a étendu les possibilités de recours devant la juridiction administrative, en particulier en ce qui concerne les rotations de sécurité 305 ». En
l’espèce, le requérant avait déposé deux recours contre des mesures de transfèrement
de sécurité le 24 mars 2006, sous forme de référé, et le 29 mai 2007, sous forme d’un
recours pour excès de pouvoir assorti d’une demande de référé. Le tribunal administratif a rejeté sa demande de suspension, considérant que celle-ci relevait des mesures
d’ordre intérieur, non susceptibles de recours. Le Conseil d’État a rejeté l’appel contre
l’ordonnance de référé du président du tribunal administratif le 20 décembre 2006,
considérant qu’il n’y avait plus lieu à statuer, la décision ayant été exécutée, et que dès
lors il n’y avait plus d’urgence. La CEDH constate qu’en l’espèce, le requérant n’a pas
304. CEDH, 20/10/201, Alboreo c. France, Req. no 51019/08.
305. CE, 14/12/2007, Req. n° 306432, Req. n° 290730, Req. n° 290420.
137

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
bénéficié de recours effectif. La Cour relève notamment que le revirement de jurisprudence est postérieur à l’arrêt du Conseil d’État relatif aux faits de l’espèce, et que la
note relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons
d’arrêt n’a été annulée par le Conseil d’État que le 29 février 2008 306.
Travail en prison
À l’occasion de ses observations de 2011 sur le rapport de la France, le CEDS s’est
penché sur la question du travail en prison. Il dénombre trois différentes possibilités
d’emploi : le service général, les ateliers de la régie industrielle des établissements pénitentiaires et le travail en concession.
Cependant, le Comité relève que le rapport de la France ne lui permet pas de s’assurer
que son observation interprétative est respectée. Selon celle-ci, « le travail des prisonniers doit être encadré, de façon appropriée, en particulier s’il est effectué, directement
ou non, pour le compte d’autres employeurs que l’administration pénitentiaire. Cet
encadrement, qui peut être opéré par voie législative ou réglementaire ou par voie de
convention (notamment en cas d’intervention comme sous-traitant d’entreprises dans
des ateliers pénitentiaires), en application du principe de non-discrimination énoncé
par la Charte, devra porter sur la rémunération, la durée et les autres conditions de
travail, et sur la protection sociale (en matière d’accident du travail, de chômage, de
maladie et de retraite) ». En conséquence, le Comité demande des informations sur
les conditions d’emploi et de travail en milieu pénitentiaire.
La Commission d’experts de l’OIT s’est également prononcée sur ce sujet lors de son
examen de l’application de l’article 2, paragraphe 2 C, de la Convention no 29 de l’OIT
sur le travail forcé 307. Celui-ci exclut de la définition de travail forcé, et donc du champ
de la convention, « tout travail ou service exigé d’un individu comme conséquence d’une
condamnation prononcée par une décision judiciaire, à la condition que ce travail ou
service soit exécuté sous la surveillance et le contrôle des autorités publiques et que
ledit individu ne soit pas concédé ou mis à la disposition de particuliers, compagnies
ou personnes morales privées ». Or, « les détenus peuvent être amenés à travailler pour
des entreprises privées, d’une part, au service général des établissements pénitentiaires
à gestion mixte, à des travaux liés au fonctionnement de ces établissements et, d’autre
part, à des activités de production pour le compte des entreprises privées concessionnaires de l’administration pénitentiaire ou dans des établissements à gestion mixte ».
La Commission note que l’ensemble du dispositif a été profondément modifié par
l’adoption de la loi pénitentiaire, et que des décrets d’application sont en cours de
préparation. Concernant la rémunération, la commission « rappelle que les modalités
de fixation des rémunérations des détenus varient en fonction du régime de travail et
de la catégorie d’établissement », celles-ci étant généralement nettement inférieures
306. CE, 29/02/2008, Req. no 308145, inédit au Recueil Lebon.
307. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 29 sur le travail forcé, 101ème session CIT (2012), 2011.
138
au SMIC. La Commission observe qu’un « projet de décret d’application de l’article 32
de la loi pénitentiaire, selon lequel la rémunération du travail des personnes détenues
ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le SMIC, est en
cours d’examen par le Conseil d’État ». Elle « espère que l’introduction dans la législation nationale d’un taux minimum horaire de rémunération indexé sur le SMIC permettra de continuer de rapprocher la rémunération des détenus travailleurs de celle
des travailleurs libres ». Elle prie également le Gouvernement « de communiquer des
informations sur les contrôles réalisés pour s’assurer que le seuil minimum de rémunération est garanti et sur le nombre de cas dans lesquels les chefs d’établissement
ont constaté que ce seuil n’a pas été respecté par les concessionnaires ainsi que ceux
dans lesquels des pénalités ont été imposées aux établissements de gestion mixte pour
non-respect des objectifs minima de rémunération ».
La Commission relève que les détenus n’ont pas de contrat de travail, mais qu’à la
suite de l’adoption de la loi pénitentiaire, « la participation des personnes détenues
aux activités professionnelles organisées dans les établissements pénitentiaires donne
lieu à l’établissement d’un acte d’engagement par l’administration pénitentiaire ». Le
contenu de cet acte d’engagement, signé par le chef de l’établissement, devra être
précisé par un décret, dont la Commission demande la transmission.
Le CPT s’est également prononcé sur ce sujet à propos deux établissements pénitentiaires visités (Le Havre et Poissy). Il a constaté les efforts de chacune des deux directions, mais a néanmoins pris note des difficultés économiques sur l’offre d’emploi.
Il convient également de souligner un arrêt de la grande chambre de la CEDH concernant l’Autriche sur ce sujet 308. Au niveau national, les juridictions financières, judiciaires et administratives se sont prononcées 309. Doivent être mentionnées une décision
du Tribunal des conflits 310 et une décision du Conseil constitutionnel ayant déclaré
conformes à la Constitution les dispositions du code de procédure pénale prévoyant
que « les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat
de travail 311 ».
Relations avec l’extérieur
Le CPT encourage le développement des unités de vie familiale, situées dans l’enceinte
pénitentiaire mais en dehors des zones de détention pour des durées allant jusqu’à
quarante-huit heures une fois par trimestre dans la centrale de Poissy, ou tous les deux
mois au Havre, voire soixante-douze heures une fois par année. Il salue également la
reconnaissance par la loi pénitentiaire du droit de téléphoner, ce droit étant désormais
308. CEDH, grande chambre, 07/07/2011 Stummer c. Autriche, Req. no 37452/02.
309. Voir notamment Philippe Auvergnon, « L’exemple du contentieux des droits sociaux », Défendre en justice la cause des personnes détenues, La Documentation française, 2014.
310. Tribunal des conflits, 14/10/2013, Req. n˚ 3918 ; voir Serge Slama, « Saisine du Tribunal des conflits en
vue de la détermination de la juridiction compétente pour indemniser un détenu travaillant sous le régime de
la concession » [PDF] in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 10 avril 2013.
311. Conseil constitutionnel, décision no 2013-320/321, QPC du 14/06/2013, M. Yacine T. et autre.
139

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
reconnu aux prévenus. Cependant, le CPT a constaté, dans l’un des établissements
visités, qu’en réalité les détenus n’étaient autorisés à appeler que les numéros dont ils
pouvaient produire la facture, ce qui découlait d’une circulaire du 13 juillet 2009. Il a
demandé si cette circulaire était toujours en application ainsi que les motifs de cette
exigence.
Par ailleurs, le Comité des disparitions forcées a regretté, dans ses observations
finales, que la personne placée en détention provisoire puisse être privée du droit de
communiquer avec l’extérieur pendant vingt jours (dix jours renouvelables une fois par
le JLD, art. 145-4 du code de procédure pénale). Mais, en aucun cas, cette interdiction
ne vise les communications avec l’avocat de la personne mise en examen.
140
Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice

Chapitre 2
Lutte contre certaines atteintes
graves aux personnes
Il découle des engagements de la France des obligations de réprimer efficacement certaines violations des droits de l’homme. C’est notamment le cas du terrorisme, de la
disparition forcée, de la vente d’enfants, de la prostitution des enfants et de la pornographie impliquant les enfants, de la traite et l’exploitation.
1. Terrorisme
La résolution de l’APCE sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme 312 peut
résumer la doctrine de nombreuses instances internationales en matière de lutte contre
le terrorisme. Si « le terrorisme a un effet direct sur les droits de l’homme », les États
« doivent veiller à ce qu’aucune exception, quelle qu’elle soit, ne soit faite aux droits
non susceptibles de dérogation, comme le droit à la vie et l’interdiction de la torture
et des traitements inhumains ou dégradants », et que, « s’agissant des droits faisant
l’objet de restrictions au titre de la Convention, toute limitation doit être strictement
nécessaire pour protéger le public et proportionnée au but légitime poursuivi, conformément à la jurisprudence de la Cour ». L’APCE « considère que le terrorisme doit être
traité en priorité par le système de justice pénale, dont les garanties de procès équitable, intégrées et bien établies, permettent de protéger la présomption d’innocence
et le droit à la liberté de tous ».
La CJUE s’est prononcée, par un arrêt de grande chambre 313, sur la conformité du jugement du Tribunal de première instance de l’Union européenne qui annulait la décision
2008/583/CE du Conseil, du 15 juillet 2008, mettant en œuvre l’article 2, paragraphe 3,
du règlement (CE) no 2580/2001 concernant l’adoption de mesures restrictives spécifiques à l’encontre de certaines personnes et entités dans le cadre de la lutte contre
le terrorisme. Ce règlement avait été adopté à la suite de la Résolution 1373 (2001)
du Conseil de sécurité arrêtant des stratégies pour lutter par tous les moyens contre
le terrorisme et, en particulier, son financement. Cette résolution dispose notamment
que tous les États gèlent sans attendre les fonds et les autres avoirs financiers ou ressources économiques des personnes qui commettent, ou tentent de commettre, des
actes de terrorisme. Le règlement prévoyait donc le gel des avoirs des groupes et entités inclus dans une liste fixée par une position commune du Conseil. Pour prononcer l’annulation de la décision, le Tribunal retient que celle-ci a été prise en violation
312. APCE, Les Droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme, 06/10/2011.
313. CJUE, grande chambre, 21/12/2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C-27/09 P.
141
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
des droits de la défense et de l’obligation de motivation, dès lors que l’organisation
des moudjahidines du peuple d’Iran ne s’est pas vu communiquer les éléments retenus à sa charge ni n’a été entendue préalablement à l’adoption de cette décision. Or,
si certains aménagements sont possibles pour préserver l’efficacité de la décision, et
notamment l’effet de surprise, il ne s’agissait pas en l’espèce d’une décision initiale de
gel de fonds, mais seulement d’une décision de maintien sur la liste, ne nécessitant
pas d’effet de surprise.
La Cour confirme le jugement du Tribunal. Après avoir rappelé « l’importance fondamentale qui doit être attachée au respect des droits de la défense », consacrés par l’article 41, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, elle relève que le Conseil
n’établit pas l’existence d’une « urgence telle qu’il était impossible pour le Conseil de
communiquer à l’organisation les éléments retenus contre elle et permettre l’audition
de celle-ci préalablement à l’audition de la décision litigieuse ». Cet arrêt a été confirmé
par l’arrêt du 18 juillet 2013 Commission c. Kadi 314, dans lequel elle a notamment rappelé que l’adoption de mesures restrictives à l’égard d’une personne est conditionnée à
l’existence de preuves susceptibles d’étayer son implication dans des activités terroristes.
Il convient enfin de souligner une série d’arrêts de la CEDH en date du 26 janvier
2012 315 et un arrêt du 26 septembre 2013 316, qui ont conduit à un constat de violation par la France de l’article 5, paragraphe 3, de la CESDH. En l’espèce, il s’agissait de
personnes membres d’un commando de l’organisation basque ETA, mises en examen
en raison de leur participation aux activités d’une organisation préparant des actes de
terrorisme. Les requérants qui avaient, pour certains, passé presque six ans en détention provisoire, se plaignaient du manque de diligence et de célérité avec lequel l’instruction avait été menée. Le Gouvernement soutenait que la complexité de l’affaire, le
manque de coopération des mis en cause et la gravité des actes reprochés expliquaient
la longueur de la procédure, d’une part, et, d’autre part, le fait que les personnes soient
demeurées en détention provisoire.
La Cour retient que, si la gravité des faits reprochés et les risques de fuite justifiaient
effectivement la détention provisoire le temps de l’instruction, les autorités judiciaires
n’ont pas apporté une diligence particulière à la conduite de la procédure. Elle relève
notamment que, pendant deux ans, les juridictions internes ont fait droit aux demandes
de prolongation de la détention provisoire « en raison de la charge du rôle de la cour
d’assises spécialement composée ». En conséquence, la Cour considère que la détention des requérants a violé l’article 5, paragraphe 3, de la Convention.
314. CJUE, grande chambre, 18/07/2013, Commission c. Kadi, C-584/10 P, C-593/10 P & C-595.
315. CEDH, 26/01/2012, Berasategi c. France, Req. no 29095/09 ; CEDH, 26/01/2012, Esparza Luri c. France,
Req.no 29119/09 ; CEDH, 26/01/2012, Soria Valderrama c. France, Req. no 29101/09; CEDH, 26/01/2012,
Guimon Esparza c. France, Req. no 29116/09 ; CEDH, 26/01/2012, Sagarzazu c. France, Req. no 29109/09.
316. CEDH, 26/09/2013, Abad Urkixo c. France, Req. no 45087/10.
142
Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice

2. Disparitions forcées
Le Comité des disparitions forcées, à l’occasion de ses observations finales sur
le rapport présenté par la France en application de l’article 29, paragraphe 1, de la
Convention 317, a formulé des recommandations concernant « la définition et la criminalisation de la disparition forcée ». Ces observations sont intervenues alors que le
projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice
en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de
la France, ayant pour objet la mise en conformité du droit français avec la convention,
était en cours d’adoption par le Parlement. Il a depuis été adopté.
Incrimination
À la date à laquelle le Comité s’est prononcé, le crime de disparition forcée ne constituait pas une infraction autonome dans le code pénal français. Le Comité a donc
recommandé à la France d’adopter une « disposition qui affirme d’une façon explicite qu’aucune circonstance exceptionnelle […] ne peut être invoquée pour justifier le
crime de disparition forcée ».
La disparition forcée faisait néanmoins partie des infractions visées par l’article 212-1
du code pénal, au sein du chapitre intitulé « Des autres crimes contre l’humanité ». Aux
termes de cet article, étaient considérés comme un crime de disparition forcée « l’arrestation, la détention ou l’enlèvement de personnes, suivis de leur disparition et accompagnés du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation
du sort qui leur est réservé ou de l’endroit où elles se trouvent dans l’intention de les
soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée », lorsqu’ils avaient
été « commis en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population
civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique ». Si le Comité a approuvé
la France d’avoir incriminé la disparition forcée en tant que crime contre l’humanité,
il a néanmoins recommandé de modifier le texte précité afin que la référence au plan
concerté soit supprimée, conformément au droit international.
Lors de l’adoption de la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et
des engagements internationaux de la France, le législateur n’a pas supprimé la référence au plan concerté. En revanche, il a créé une infraction autonome de disparition
forcée (art. 211-2 du code pénal), qualifiée de crime contre l’humanité dans la seule
hypothèse où elle a été commise dans le cadre d’un plan concerté (art. 212-1 du code
pénal). Le Comité des disparitions forcées s’est prononcé alors que cette voie avait été
choisie, mais que la loi n’avait pas encore été adoptée. Il a adressé un certain nombre
de critiques au projet d’incrimination : « la soustraction à la protection de la loi » ne
devrait pas être considérée comme un élément constitutif de l’infraction ; l’expression
317. Comité des disparitions forcées, Observations finales sur le rapport présenté par la France, 4e session,
19/04/2013, CED/C/FRA/CO/1.
143
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
« lorsque ces agissements sont suivis de sa disparition et accompagnés soit du déni
de la reconnaissance », peu claire, devrait être évitée. Sur ce point, le Comité n’a pas
été entendu, puisque l’infraction de disparition forcée est désormais définie comme
« l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté
d’une personne, dans des conditions la soustrayant à la protection de la loi, par un
ou plusieurs agents de l’État ou par une personne ou un groupe de personnes agissant avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement des autorités de l’État, lorsque ces
agissements sont suivis de sa disparition et accompagnés soit du déni de la reconnaissance de la privation de liberté, soit de la dissimulation du sort qui lui a été réservé ou
de l’endroit où elle se trouve ».
Régime
Le Comité a également recommandé, à l’instar des crimes contre l’humanité, de soumettre la responsabilité du supérieur hiérarchique à un régime de pleine responsabilité et non à un régime de complicité 318. Il a également recommandé de considérer
l’inclusion de « circonstances atténuantes dans la législation comme une mesure qui
pourrait contribuer à la récupération en vie de la personne disparue », « notamment
en faveur de ceux qui, impliqués dans la commission d’une disparition forcée, auront
contribué efficacement à la récupération en vie de la personne disparue ou auront
permis d’élucider des cas de disparition forcée ou d’identifier les auteurs d’une disparition forcée » (art. 7 de la Convention). Concernant la prescription, le Comité a salué
l’allongement de dix à trente ans de la durée de prescription, mais a regretté que ne
soit pas précisé le point de départ du délai de prescription, qui devrait être, selon le
Comité, le moment où le crime de disparition forcée « cesse dans tous ses éléments ».
Sur ces points, le législateur n’a pas pris en compte les recommandations du Comité.
Compétence extraterritoriale
Le Comité salue la reconnaissance par le projet de loi portant diverses dispositions
d’adaptation dans le domaine de la justice d’une compétence extraterritoriale des
juridictions françaises : en effet, la loi du 5 août 2013 a permis l’ajout dans le code
de procédure pénale d’un article 689-13 qui, par renvoi, permet aux juridictions françaises de poursuivre et juger, « si elle se trouve en France, toute personne qui s’est
rendue coupable hors du territoire de la République » (art. 689-1 du code de procédure pénale) « d’un crime défini au 9e de l’article 212-1 ou à l’article 221-12 du code
pénal lorsque cette infraction constitue une disparition forcée au sens de l’article 2 de
la convention précitée ». Cependant, si la disparition forcée est qualifiée de crime relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, elle entre alors dans le cadre
des dispositions de l’article 689-11 du code de procédure pénale, et se voit dès lors
318. Le code pénal permet de punir « la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou
de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre » ou « la personne
qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation » (art. 121-7 du code
pénal), et « comme auteur » (art. 121-6 du code pénal).
144
soumise à un certain nombre de conditions très restrictives, critiquées par le Comité
(cf. la deuxième partie du rapport, et plus particulièrement les développements relatifs au droit international pénal).
Eu égard à l’article 113-8-1 du code pénal, qui permet d’appliquer la loi pénale française « à tout crime ou à tout délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement commis
hors du territoire de la République par un étranger dont l’extradition a été refusée à
l’État requérant par les autorités françaises aux motifs, soit que le fait à raison duquel
l’extradition avait été demandée est puni d’une peine ou d’une mesure de sûreté
contraire à l’ordre public français, soit que la personne réclamée aurait été jugée dans
ledit État par un tribunal n’assurant pas les garanties fondamentales de procédure et
de protection des droits de la défense, soit que le fait considéré revêt le caractère d’infraction politique », le Comité note « avec préoccupation que l’obligation d’extrader
ou de juger un suspect, selon l’article 113-8-1 » du code pénal « s’applique seulement
aux personnes dont l’extradition est refusée ».
Procédure
Concernant la procédure applicable, le Comité insiste sur l’importance des garanties
d’indépendance des personnes en charge de l’enquête, et sur les risques de « voir un
corps de police soupçonné d’avoir commis un crime de disparition forcée enquêter sur
ce crime ». Il recommande que soit mis en place un mécanisme veillant à ce qu’un corps
de police soupçonné du crime de disparition forcée ne puisse participer à l’enquête.
Quant au déclenchement des poursuites, qui relève du procureur de la République, le
Comité note que les plaignants peuvent « faire appel de la décision auprès du procureur général ou du ministre de la Justice mais pas auprès d’un autre organe judiciaire
indépendant pour une révision du bien-fondé juridique de la décision initiale du procureur », et recommande « de garantir à toute personne qui dénonce une disparition
forcée le droit à contester le bien-fondé juridique de la décision du procureur de ne
pas enquêter ou poursuivre les faits ». Enfin, le Comité recommande de soumettre à
la compétence du pôle judiciaire spécialisé compétent pour lutter contre les crimes
contre l’humanité, les crimes et délits de guerre, récemment établi auprès du tribunal
de grande instance de Paris, « pour assurer l’indépendance des enquêtes ».
Prévention
Le Comité formule un certain nombre de recommandations relatives aux droits des
personnes détenues (voir les développements de ce rapport consacrés à la garde à vue,
aux majeurs détenus, au placement en rétention et en zone d’attente) ou aux personnes pouvant être renvoyées dans leur pays d’origine (voir les développements relatifs à l’asile et à l’entrée sur le territoire). Il recommande également la mise en place
d’un « mécanisme pour garantir que toute personne ayant un intérêt légitime ait le
droit et la possibilité effective d’accéder à l’information concernant la personne présumée disparue […] et puisse exercer un recours devant un tribunal pour obtenir des
informations à son sujet ».
145

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Réparation et protection
Le Comité est préoccupé par le fait que l’article 2 du code de procédure pénale, qui
exige un dommage direct et personnel pour qu’une personne puisse bénéficier du
statut de victime, ne soit pas conforme à l’article 24, paragraphe 1, de la Convention,
« qui vise à la fois la personne disparue et toute personne physique qui a subi un préjudice direct du fait de la disparition forcée ». En conséquence, il recommande à la
France de supprimer l’exigence d’un préjudice « personnel » concernant le crime de
disparition forcée. Il demande également à l’État de prévoir de façon explicite le droit
des victimes à connaître la vérité, et cela sans qu’elles aient besoin d’un avocat. Enfin,
il recommande d’élargir les formes de réparation, qui peuvent être notamment « la
restitution, la réadaptation, la satisfaction et les garanties de non-répétition en conformité avec l’article 24, paragraphe 5, de la Convention ».
S’agissant des disparitions forcées d’enfants, le Comité recommande d’aggraver les
peines actuellement encourues, et d’introduire dans le code de procédure civile « une
disposition explicite qui prévoie que le recours en révision à l’encontre du jugement
d’adoption comprenne, comme base légale au recours, l’adoption qui trouve son origine dans une disparition forcée ». Il souligne également la nécessité de fournir une
assistance spécifique aux femmes et aux enfants, en raison de leur vulnérabilité.
3. Vente d’enfants, prostitution
des enfants et pornographie
impliquant les enfants
La Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants a, à la suite d’une
visite sur le terrain, publié son rapport le 29 février 2012 319. Un certain nombre de ses
observations et recommandations portent sur la pénalisation de ces actes (nous renverrons pour une présentation du reste de son rapport aux développements relatifs aux
mineurs isolés étrangers dans le titre II, et aux développements relatifs à la protection
de l’enfance dans le titre IV).
Ces différents faits ne sont pas nécessairement visés par une incrimination spécifique :
ainsi, le droit français ne possède pas de disposition autonome prohibant la vente au
sens du Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants
et la pornographie mettant en scène les enfants. Cependant, la Rapporteuse souligne
que les différents faits évoqués par le protocole sont visés par d’autres dispositions.
319. Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution d‘enfants et la pornographie impliquant des
enfants, Najat Maalla M’jid, Rapport sur la mission en France, 29/02/2012, A/HRC/19/63/Add.2.
146
D’une manière générale, la Rapporteuse ne formule aucune critique contre les incriminations en droit interne.
La Rapporteuse salue également quelques spécificités de la procédure pénale. Elle note
avec attention que, concernant les crimes et les délits mentionnés à l’article 706-47
du code de procédure pénale 320 commis contre les mineurs, le délai de prescription
de l’action de publique (art. 7 du code de procédure pénale pour les crimes, art. 8 du
code de procédure pénale pour les délits) ne commence à courir qu’à la majorité de
la victime. De même, elle salue la règle de compétence répressive internationale, qui
permet de poursuivre le Français ou la personne résidant habituellement en France
auteur du délit de recours à la prostitution de mineurs, même si les faits ne sont pas
punis dans le pays où ils ont été commis, et même en l’absence de plainte de la victime
ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où lesdits faits ont été commis
(art. 227-27-1 du code pénal).
Concernant la pornographie impliquant des enfants, la Rapporteuse souligne que « la
France dispose d’un cadre législatif très solide, pénalisant sévèrement les contrevenants ». Elle émet trois réserves : sur l’efficacité de la loi LOPPSI 2, qui permet en principe de bloquer l’accès à des sites, mais ne permet pas d’en éliminer le contenu ; sur
certaines lenteurs judiciaires et la minimisation par la justice de la cybercriminalité en
raison de l’aspect virtuel de l’infraction ; enfin, sur le manque de lisibilité du dispositif,
marqué par une frénésie législative, qui répond parfois à des injonctions de l’Union
européenne ou du Conseil de l’Europe.
4. Traite et exploitation
des êtres humains
La France a ratifié le Protocole additionnel à la Convention des Nations unies contre
la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des
personnes, en particulier des femmes et des enfants, en date du 29 octobre 2002, et
la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains le
9 janvier 2008. Elle n’a pas, pour l’instant, ratifié la Convention no 189 de l’OIT sur
le travail décent pour les travailleuses et travailleurs domestiques (voir, sur ce sujet la
partie du rapport consacrée aux droits sociaux). L’OSCE avait adopté un plan d’action
320. Il s’agit du meurtre ou d’assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou
d’actes de barbarie ou pour les infractions d’agression ou d’atteintes sexuelles, de traite des êtres humains à
l’égard d’un mineur ou de proxénétisme à l’égard d’un mineur, ou de recours à la prostitution d’un mineur.
147

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
pour lutter contre la traite des êtres humains le 24 juillet 2003 321, modifié par addendum en 2005 322. Un additif à ce plan d’action a été adopté le 6 décembre 2013 323.
À la suite de l’adoption de la directive no 2011/36/UE du 5 avril 2011 concernant la
prévention de la traite des êtres humains, l’UE a adopté, le 19 juin 2012, une stratégie en vue de l’éradication de la traite des êtres humains pour la période 2012-2016.
Celle-ci définit cinq priorités : détecter les victimes de la traite, les protéger et leur porter assistance ; renforcer la prévention de la traite des êtres humains ; poursuivre plus
activement les auteurs d’infractions ; améliorer la coordination et la coopération entre
les principaux acteurs et la cohérence des politiques ; mieux cerner les nouvelles préoccupations relatives aux diverses formes de traite des êtres humains et y répondre
efficacement. Un site Internet spécifique recense les différentes ressources documentaires pertinentes 324.
Le GRETA a rendu son premier rapport sur la situation française 325 : celui-ci fait suite à
la visite du 26 mars au 30 mars 2012 d’une délégation qui a rencontré des représentants
des autorités françaises, de différentes autorités administratives indépendantes et de la
société civile. Ce rapport a été rendu public à la veille de la transposition de la directive
no 2011/36/UE 326. Il intègre la jurisprudence pertinente de la CEDH. Le GRETA insiste,
dans ce rapport, sur le fait que « l’application à la lutte contre la traite de l’approche
fondée sur les droits humains impose aux États de mettre en place un cadre complet
pour prévenir la traite, pour protéger les personnes victimes de la traite en tant que
victimes d’une violation grave des droits humains, et pour mener des enquêtes et des
poursuites effectives à l’encontre des trafiquants ».
D’autres mécanismes se sont prononcés sur la lutte contre la traite et l’exploitation en
France : la Commission d’experts de l’OIT, la Rapporteuse spéciale des Nations unies
sur la traite des êtres humains, l’Agence européenne des droits fondamentaux et le
représentant spécial et coordinateur pour la lutte contre la traite des êtres humains
de l’OSCE 327. Différentes thématiques peuvent être distinguées : l’architecture institutionnelle, la répression de la traite et de l’exploitation, la prévention et la protection
des victimes.
321. OSCE, Plan d’action pour lutter contre la traite des êtres humains, 24/07/2003.
322. OSCE, Addendum au plan d’action pour lutter contre la traite des êtres humains : prise en considération
des besoins spéciaux des enfants victimes de la traite en matière de protection et d’assistance, 07/07/2005.
323. OSCE, Additif au plan d’action de l’OSCE pour lutter contre la traite des êtres humains : une décennie
plus tard, 06/12/2013.
324. http://ec.europa.eu/anti-trafficking/
325. GRETA, Rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre
la traite des êtres humains par la France, 1er cycle d’évaluation, 28/01/2013, GRETA(2012)16.
326. Loi n° 2013-711 du 5/08/2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice
en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.
327. Special Representative and Co-ordinator for Combating Trafficking in Human Beings, Trafficking in Human
Beings Amounting to Torture and other Forms of Ill-treatment, OSCE, Occasional paper series n° 5, 2013.
148
Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice

Mise en place d’un cadre spécifique
Approche globale de la lutte contre la traite des êtres humains
Sur le plan institutionnel, le GRETA a pris note de la mise en place d’une structure interministérielle sur la lutte contre la traite des êtres humains, de l’implication de différents
ministères (ministère de l’Intérieur, de la Justice, des Affaires étrangères) et de l’activité de différentes ONG. Il a cependant regretté le manque de visibilité de la structure
interministérielle et a recommandé que la structure nouvellement créée ait « l’autorité,
le mandat et les ressources nécessaires pour mener à bien son rôle de coordination
de la politique et de l’action des services de l’administration et des autres organismes
publics luttant contre la traite des êtres humains ».
Le GRETA a formulé des critiques envers la France qui n’avait toujours par adopté de
plan national d’action contre la traite. Depuis, le plan d’action national a été publié 328.
En réponse à des recommandations similaires formulées lors de l’EPU, le Gouvernement
avait présenté la structure à vocation interministérielle sur la lutte contre la traite des
êtres humains instituée le 1er mars 2012. Celle-ci « prend la forme d’un réseau de “points
focaux”, ou des personnes de référence sur la traite, nommées au sein de chaque ministère concerné », qui est amenée à se réunir à intervalles réguliers.
Collecte de données
Le GRETA invite le Gouvernement à prendre en compte les travaux de la CNCDH, et
notamment son étude sur la traite et l’exploitation des êtres humains en France. Il
« exhorte les autorités françaises, aux fins d’élaborer, de superviser et d’évaluer les politiques de lutte contre la traite, à concevoir et rendre opérationnel un système statistique complet et cohérent sur la traite des êtres humains, en réunissant des données
statistiques fiables émanant de tous les acteurs clés et pouvant être ventilées (par sexe,
âge, type d’exploitation, pays d’origine et/ou destination, etc.) », qui « devrait s’accompagner de toutes les mesures nécessaires au respect du droit des personnes concernées
à la protection des données à caractère personnel ». Il « invite les autorités françaises à
mener et soutenir des travaux de recherche sur les questions liées à la traite ».
328. Site du ministère des Droits des femmes, Plan d’action national contre la traite des êtres humains (20142016), 2014.
149
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Répression de la traite et de l’exploitation
Obligations de répression découlant de l’interdiction
de l’esclavage et du travail forcé
À l’occasion de l’arrêt Siliadin contre France 329, la CEDH avait rappelé qu’il découle
de l’article 4 de la CESDH des obligations positives pour les États, et notamment celles
de criminaliser et de réprimer effectivement tout acte entrant dans le champ d’application du texte, soit le travail forcé ou obligatoire, la servitude et l’esclavage. Cet arrêt
concernait une étrangère mineure en situation irrégulière placée contre son gré dans
une situation de servitude et de dépendance la contraignant à travailler sans relâche
et sans rémunération. La Cour a constaté l’absence d’incrimination spécifique concernant l’esclavage et la servitude, qui avait permis aux auteurs des faits d’échapper à une
condamnation ; en conséquence, l’État n’avait pas « assuré à la requérante une protection concrète et effective contre les actes dont elle a été victime ». Elle a relevé que
le droit pénal français ne concernait que l’exploitation par le travail et la soumission
à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine,
et ne visait pas l’ensemble des droits garantis par l’article 4 de la Convention ; par ailleurs, « ces dispositions étaient susceptibles d’interprétations variant largement d’un
tribunal à l’autre » alors que « le niveau d’exigence croissant en matière de protection
des droits de l’homme impliquait une plus grande fermeté dans l’appréciation des
atteintes aux valeurs fondamentales ».
Dans son arrêt C. N. et V. contre France 330 , la Cour a confirmé l’arrêt Siliadin. Les faits
étaient relativement similaires. En l’espèce, deux sœurs avaient, à la suite du décès
de leurs parents, quitté leur pays d’origine, le Burundi, pour rejoindre leur tante, qui
s’était vu confier leur tutelle. Dès leur arrivée, les deux requérantes ont été logées dans
une pièce non aménagée et mal chauffée ; elles ont alors été chargées de s’occuper
de l’ensemble des tâches ménagères et domestiques, utilisées comme bonnes à tout
faire, sans aucune rétribution en échange. L’aînée ne fut jamais scolarisée, s’occupant toute la journée de son cousin handicapé ; la seconde requérante connut un sort
meilleur, puisqu’elle fut scolarisée. Lorsque l’aînée atteignit la majorité, son oncle et
sa tante n’ont pas essayé de régulariser sa situation. Les deux requérantes affirment
avoir subi de nombreuses brimades, et n’ont pas reçu certains soins de santé. Elles
avaient fait l’objet d’un signalement par le service départemental d’action sociale, mais
après enquête de la brigade des mineurs, le dossier avait été classé sans suite. Ce n’est
qu’après un second signalement et la fuite des deux requérantes du domicile que le
parquet demanda la mainlevée de l’immunité diplomatique de leur oncle, et qu’une
enquête préliminaire fut ouverte. Une information judiciaire du chef d’atteintes à la
dignité de la personne humaine et de violences volontaires n’ayant pas entraîné d’incapacité supérieure à huit jours fut ouverte. Le tribunal correctionnel condamna l’oncle
329. CEDH, 26/07/2005, Siliadin c. France, Req. no 73316/01.
330. CEDH, 11/10/2012, C. N. et V. c. France, Req. no 67724/09 ; Natalie Fricero, « Obligations positives de
l’État », Procédures, no 12, décembre 2012, comm. 350.
150
et la tante des requérantes pour soumission de plusieurs personnes vulnérables dont
au moins un mineur à des conditions d’hébergement et de travail indignes et pour
violences volontaires aggravées à l’encontre de l’une des requérantes. La cour d’appel infirma le jugement le 29 juin 2009 et ne retint que la culpabilité de la tante des
requérantes pour violences volontaires aggravées. En l’absence de pourvoi du ministère public, la Cour de cassation ne fut saisie que du pourvoi concernant le volet civil
de l’affaire, qu’elle rejeta.
Les dispositions applicables aux faits de l’espèce étant identiques, la Cour confirme
son arrêt Siliadin. Par ailleurs, elle constate, comme dans l’arrêt Siliadin, la carence du
ministère public à l’encontre de l’arrêt d’appel, qui a fait obstacle à ce que la Cour de
cassation soit saisie du volet pénal de l’affaire. Elle conclut pour l’aînée à l’existence
d’un travail forcé ou obligatoire (art. 4.2) et à son maintien dans un état de servitude
(art. 4.2). Elle retient notamment une violation de l’article 4 de la Convention au titre
de l’obligation positive de l’État de mettre en place un cadre législatif et administratif
permettant de lutter avec efficacité contre la servitude et le travail forcé, mais exclut
la violation de l’article 4 sur le fondement de l’obligation procédurale d’enquêter sur
les situations d’exploitation potentielle. Pour la seconde, la Cour considère que le seuil
de gravité nécessaire pour que soient constituées des violations des articles 4.1 et 4.2
n’a pas été atteint.
Obligations découlant de la Convention sur la lutte
contre la traite des êtres humains
D’une manière générale, le GRETA regrette que les différentes autorités mettent l’accent sur la lutte contre la traite aux fins d’exploitation sexuelle, d’exploitation de la
mendicité ou de contrainte à la commission de tout crime ou délit au détriment de la
lutte contre la traite aux fins d’exploitation par le travail.
Le GRETA constate le faible nombre de condamnations pour traite, soulignant que les
« infractions relatives à différents types d’exploitation lui sont encore souvent préférées,
notamment parce qu’elles sont mieux établies par la jurisprudence, que les conditions
de preuves sont considérées comme moins exigeantes et, dans certains cas, que les
sanctions sont identiques ». Sont ainsi préférées les infractions de proxénétisme, les
infractions relatives aux conditions de travail et d’hébergement contraires à la dignité
humaine et au travail non rétribué ou rétribué d’une manière manifestement insuffisante, et les infractions relatives à l’exploitation de la mendicité, « ce qui n’est pas sans
conséquences en matière de droits des victimes, de coopération internationale, en
particulier pour la traite aux fins d’exploitation sexuelle, et de sanctions et protection,
notamment pour les victimes de traite aux fins d’exploitation par le travail et d’exploitation de la mendicité ». Le GRETA invite donc les autorités à adopter une circulaire de
politique pénale générale consacrée à la traite pour corriger la situation.
S’agissant de l’incrimination de traite, il convient de souligner qu’en 2003, postérieurement à l’arrêt Siliadin, une infraction de traite des êtres humains avait été ajoutée dans le code pénal. Depuis, l’article 225-4-1 du code pénal a fait l’objet de deux
modifications législatives, en 2007 et en 2013. Le rapport du GRETA ne porte pas
151

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
sur la législation actuellement en vigueur, ultérieurement modifiée pour tenir compte
notamment de la directive de l’UE sur la traite et de la ratification de la Convention
du Conseil de l’Europe sur la traite mais sur une version intermédiaire. Il reprend les
critiques formulées par la CEDH et demande que soit adoptée une définition claire de
l’infraction de traite des êtres humains 331. Il note que l’infraction de traite ne se réfère
qu’aux notions générales de conditions de travail et d’hébergement contraires à la
dignité « qui risquent de souffrir d’interprétations variables selon les juridictions », sans
se référer « explicitement au travail forcé, aux services forcés, à l’esclavage et aux pratiques analogues à l’esclavage, et à la servitude ». En conséquence, le GRETA exhorte
les autorités à modifier la définition de la traite, et demande à être tenu informé de la
transposition de la directive de l’UE sur le sujet. Comme indiqué ci-dessus, celle-ci a,
entre-temps, été adoptée 332.
Concernant le vol et la destruction de documents d’identité afin de lutter contre la
traite, le GRETA recommande de créer, à côté du dispositif existant qui permet d’ores
et déjà de réprimer ces faits, une nouvelle infraction spécifique « punissant le fait de
retenir, de soustraire, d’altérer, d’endommager ou de détruire un document de voyage
ou d’identité d’une autre personne intentionnellement afin de permettre la traite ».
Le GRETA identifie le défaut de formation comme l’une des causes pouvant expliquer
les défaillances dans l’identification des victimes et dans la répression de la traite et
de l’exploitation. Le GRETA note que les divers aspects de la lutte contre la traite des
êtres humains ne sont inclus que dans des modules de formation continue des juges
331. Celle-ci se compose, selon la Convention, et ainsi que le rappelle le GRETA, « de trois éléments : une
action (“le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes”) ; l’utilisation
d’un certain moyen (“par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte, par
enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une
autre”) ; et le but de l’exploitation (“au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes
d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage,
la servitude ou le prélèvement d’organes”) ».
332. Article 225-4-1 du code pénal : « I. – La traite des êtres humains est le fait de recruter une personne,
de la transporter, de la transférer, de l’héberger ou de l’accueillir à des fins d’exploitation dans l’une des circonstances suivantes : 1° Soit avec l’emploi de menace, de contrainte, de violence ou de manœuvre dolosive
visant la victime, sa famille ou une personne en relation habituelle avec la victime ; 2° Soit par un ascendant
légitime, naturel ou adoptif de cette personne ou par une personne qui a autorité sur elle ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ; 3° Soit par abus d’une situation de vulnérabilité due à son âge, à une
maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, apparente ou
connue de son auteur ; 4° Soit en échange’ou par l’octroi d’une rémunération ou de tout autre avantage ou
d’une promesse de rémunération ou d’avantage.
L’exploitation mentionnée au premier alinéa du présent I est le fait de mettre la victime à sa disposition ou à
la disposition d’un tiers, même non identifié, afin soit de permettre la commission contre la victime des infractions de proxénétisme, d’agression ou d’atteintes sexuelles, de réduction en esclavage, de soumission à du
travail ou à des services forcés, de réduction en servitude, de prélèvement de l’un de ses organes, d’exploitation de la mendicité, de conditions de travail ou d’hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre
la victime à commettre tout crime ou délit.
La traite des êtres humains est punie de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. […] ».
L’infraction est assortie de plusieurs circonstances aggravantes dont certaines conduisent à la criminalisation
du délit de base.
152
et procureurs, et invite les autorités françaises à ce qu’ils soient inclus dans leur programme de formation initiale. Quant aux formations à destination des personnels du
ministère de l’Intérieur, il dénombre les différentes formations existantes et demande
à être tenu informé des autres formations dispensées. Il considère que « les autorités
françaises devraient faire en sorte que tous les personnels concernés suivent périodiquement des formations, afin d’améliorer la détection des victimes potentielles de la
traite, l’identification officielle des victimes et l’aide qui leur est apportée ».
La Commission d’experts de l’OIT souligne également la nécessité de sensibiliser et
former l’inspection du travail et la police judiciaire à l’identification des situations relevant du travail forcé ainsi que de permettre au parquet de disposer des éléments de
preuve pour qualifier les faits et initier les poursuites pénales. Elle insiste également
sur la nécessité d’assurer « une meilleure coordination entre les organes chargés du
contrôle de l’application de la loi (ministère public, magistrats) de manière à renforcer
leur capacité d’intervention ».
Traite à des fins de prélèvement d’organes
La Représentante spéciale des Nations unies sur la traite des êtres humains a
consacré une partie de son rapport 2013 à la question de la traite de personnes à des
fins de prélèvement d’organes 333 ; ce sujet a également été abordé par le Représentant
spécial de l’OSCE sur la lutte contre la traite des êtres humains 334. Si ces deux
documents ne mettent pas l’accent spécifiquement sur la France, ils insistent sur le fait
que le défaut de clarté de certaines questions clés entrave la lutte contre la traite à des
fins de prélèvement d’organes et sur l’« urgence à faire en sorte que les lois relatives à
la traite de personnes à des fins de prélèvement d’organes soient complétées par une
incrimination effective de toutes les infractions qui, bien qu’étant connexes, peuvent
ne pas correspondre entièrement à la définition générique en trois points de la traite
des personnes ». Dans le cadre du Conseil de l’Europe, un projet de convention contre
le trafic d’organes humains a été adopté le 22 octobre 2013 335 ; la convention sera
ouverte à ratification une fois adoptée par le Conseil des ministres. La loi du 5 août
2013 déjà citée a permis d’inclure le prélèvement d’organe dans la définition de la
traite (art. 225-4-1 du code pénal).
333. Ngozi Ezeilo Joy, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les
femmes et les enfants, 02/08/2013, A/68/256.
334. OSCE Office of the Special Representative and Co-ordinator for Combating Trafficking in Human Beings,
Trafficking in Human Being for the Purpose of Organ Removal in the OSCE Region: Analysis and Findings,
occasional paper series no. 6, 08/07/2013.
335. APCE, Projet de Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains, 22/10/2013.
153

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Prévention
Le GRETA note que les autorités n’ont pas lancé de campagne nationale sur la traite
des êtres humains ; il les exhorte, dans le cadre du plan national de lutte contre la traite,
« à sensibiliser davantage le grand public aux différents types de traite et de victimes »
en organisant des campagnes d’information et de sensibilisation, en incluant la thématique de la traite des êtres humains dans le cadre du programme d’éducation civique.
Le GRETA prend acte de la réflexion en cours sur la pénalisation de la demande en
matière de prostitution. Sans se prononcer expressément sur cette question, qui ne
relève de la compétence du GRETA que si celles-ci sont victimes de la traite, il « exhorte
les autorités à intensifier les efforts destinés à décourager la demande de services
fournis par des personnes soumises à la traite non seulement aux fins de l’exploitation sexuelle mais aussi aux fins de servitude domestique ou d’exploitation par le travail, par exemple dans les secteurs de l’agriculture, du bâtiment, de la restauration et
l’hôtellerie et du nettoyage, par le biais notamment de campagnes de sensibilisation ».
Protection des victimes
On renverra aux développements relatifs aux victimes dans le chapitre consacré à la
justice. Pour une présentation détaillée des droits des victimes de traite, l’on renverra
également à l’ouvrage publié par la Commission européenne 336 sur ce sujet.
Identification des victimes de traite
Le GRETA recommande aux autorités françaises de « clarifier le processus de détection et d’identification des victimes dans un cadre national d’orientation qui précise le
rôle des différents acteurs, prévoit des outils communs pour l’identification […], coordonne l’action des différents acteurs et favorise une approche multidisciplinaire ». Il
recommande également de « ne pas faire uniquement reposer, et ce dès le début du
processus, l’identification des victimes de traite sur leur coopération avec les forces de
l’ordre », et de « s’assurer de l’identification des victimes étrangères placées en centre
de rétention avant leur expulsion ». Dans le même sens, la Commission européenne
a publié des lignes directrices pour l’identification des victimes de traites à destination
des services consulaires et de la douane 337.
Prise en charge et assistance des victimes
Le GRETA prend note des observations qui lui ont été communiquées selon lesquelles les
victimes de traite ne sont « pas identifiées comme telles, notamment en raison du temps
nécessaire à cela, mais comme délinquants, dont l’infraction est plus immédiatement
336. Commission européenne, Les Droits des victimes de la traite des êtres humains dans l’Union européenne, 2013.
337. European Commission, Guidelines for the Identification of Victims of Trafficking in Human Beings, 2013.
154
établie (racolage, vol à la tire, etc.), et sanctionnées en conséquence ». Il « exhorte les
autorités françaises à prendre toutes les mesures appropriées afin que la possibilité
prévue en droit interne de ne pas imposer de sanctions aux victimes pour avoir pris
part à des activités illicites lorsqu’elles y ont été contraintes soit respectée conformément à l’article 26 de la Convention, eu égard à la grave violation des droits humains
que les victimes ont subie ».
Deux types de structures d’accueil et d’hébergement existent : le dispositif Ac-Sé
(accueil sécurisant), dispositif spécialisé qui accueille entre 50 et 100 victimes nécessitant un éloignement géographique, et le dispositif de droit commun, ne distinguant
pas les victimes entre elles et pratiquant l’accueil inconditionnel. Le GRETA recommande d’« assurer un même niveau d’assistance à toutes les victimes de traite quelles
que soient leur nationalité, leur volonté de coopérer avec les forces de l’ordre ou leur
situation au regard du droit de séjour » ; de « faire en sorte que les services proposés
dans les centres d’accueil soient adéquats et adaptés aux besoins particuliers des victimes de la traite » ; d’« assurer les ressources humaines et financières suffisantes pour
garantir à toutes les victimes la fourniture effective de l’assistance nécessaire, même
lorsque cette prestation est déléguée à des ONG » ; et de « former tous les professionnels chargés de la mise en œuvre de mesures d’assistance et de protection en faveur
des victimes de la traite ».
Par ailleurs, le GRETA note que, s’il existe des dispositifs permettant de protéger les
victimes de traite, ceux-ci ne sont pas utilisés. Il recommande donc de « renforcer
les mesures procédurales visant à protéger les victimes et les témoins au sens de la
Convention et à éviter qu’elles ne fassent l’objet d’intimidations et de représailles pendant et après l’ensemble de la procédure pénale » et de « prévoir une protection spécifique aux enfants victimes de traite quel que soit le type d’exploitation ».
Indemnisation des victimes
Le GRETA identifie deux types de difficultés relatives à l’indemnisation des victimes de
traite, indépendamment des règles de procédure pénale : un manque d’information des
victimes sur la procédure existante devant la commission d’indemnisation des victimes
d’infraction et les conditions d’accès à celle-ci, notamment la condition de régularité
du séjour. Il demande notamment d’inclure toutes les victimes dans le champ d’application de l’indemnisation de victimes d’infraction, quelles que soient leur nationalité
et leur situation au regard du séjour.
Protection des victimes étrangères de traite des êtres humains
Ainsi que le relève la FRA, les étrangers en situation irrégulière « sont particulièrement
exposés à l’exploitation sur le marché du travail », ce qui découle notamment de leurs
difficultés à « prouver la relation de travail », cause d’échec des « procédures de réclamation pour retenues sur salaires ou rémunération inéquitable 338 ». Ce constat est
338. FRA, Les droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière dans l’Union européenne, 2012, 11/2011.
155

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
partagé par la Commission d’experts de l’OIT qui considère que « les victimes de
traite des personnes et d’exploitation au travail sont en grande majorité des travailleurs migrants qui se trouvent dans une situation de vulnérabilité – et de vulnérabilité
accrue lorsqu’elles sont en situation irrégulière ».
Or, le droit français ne reconnaît un droit au séjour qu’aux seules victimes de traite,
et non aux victimes d’exploitation du travail par abus de vulnérabilité. La Commission
d’experts demande donc au Gouvernement de fournir des éléments sur les mesures
prises pour renforcer la protection des victimes de travail forcé, qu’elles résident ou
non de manière régulière sur le territoire national, afin qu’elles puissent effectivement
faire valoir leurs droits. Elle demande également des statistiques sur le type de titre de
séjour octroyé et sur les poursuites pénales engagées et les condamnations prononcées,
que ce soit pour traite des personnes, soumission d’une personne à des conditions de
travail incompatibles avec la dignité humaine ou travail dissimulé 339.
Le GRETA recommande aux autorités françaises de « s’assurer que la traite, en tant
que phénomène distinct de l’immigration irrégulière, soit pleinement prise en compte
dans le cadre de l’action des services de police aux frontières ». Il souligne également
la nécessité de former adéquatement les personnels en charge de la lutte contre le
trafic et l’exploitation des migrants.
Concernant l’entrée sur le territoire, le GRETA insiste sur le fait que « les autorités
françaises devraient s’assurer que des informations écrites sont fournies aux étrangers
envisageant de se rendre en France dans une langue qu’ils peuvent comprendre, afin
de les mettre en garde contre les risques de la traite aux fins d’exploitation sexuelle,
d’exploitation par le travail et de servitude domestique, de les renseigner sur les services auxquels ils peuvent s’adresser pour obtenir de l’aide et des conseils, et de leur
donner des informations sur leurs droits, par exemple en créant une ligne de téléphone d’assistance ».
Alors que la Convention prévoit que les victimes de traite doivent bénéficier d’un délai
de rétablissement et de réflexion avant de porter effectivement plainte, le GRETA note
que ces victimes ne sont pas systématiquement informées de leur droit de bénéficier
d’un tel délai, et qu’elles peuvent se voir éloignées avant le terme de ce délai. Par ailleurs, le droit français permet d’écourter ce délai lorsque la victime a renoué de son
propre chef avec le milieu de l’exploitation. Or le GRETA relève que cette notion peut
s’avérer difficile à mettre en œuvre en pratique et recommande donc que l’ensemble
des préfectures « appliquent de façon homogène et systématique les conditions d’octroi » dudit délai.
Le GRETA souligne la grande proportion de titres et documents provisoires de séjour
de très courte durée délivrée aux victimes de traite et la diversité des comportements
des préfectures. Il recommande en conséquence une délivrance homogène des titres
de séjour et des autorisations de travailler dont doivent bénéficier les victimes.
339. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 29 sur le travail forcé, 101e session
CIT (2012), 2011.
156
Eu égard à l’éloignement des étrangers, le GRETA met en garde contre les risques de
re-victimation, notamment concernant les mineurs. À cet égard, le GRETA s’inquiète
« de ce que des enfants non accompagnés, notamment placés en zone d’attente dans
les aéroports, seraient régulièrement renvoyés dans des pays où ils risquent d’être revictimisés, et ce sans que leur situation personnelle ait été véritablement évaluée ».
Par ailleurs, le GRETA relève que les victimes de traite qui demandent l’asile se voient
refuser le bénéfice du statut de réfugié et ne puissent prétendre qu’à la protection subsidiaire, contrairement aux préconisations du HCR. Deux décisions de la Cour nationale
du droit d’asile (CNDA) s’étaient éloignées de cette ligne, en considérant que les victimes de traite pouvaient constituer un « groupe social » et donc prétendre au bénéfice
du statut de réfugié. Le HCR a publiquement soutenu cette jurisprudence 340, mais l’OFPRA a fait appel. Le GRETA demande à être informé de deux pourvois formés devant le
Conseil d’État à ce propos. Depuis, le Conseil d’État a annulé l’une des décisions de la
CNDA 341. Le point de contact français du Réseau européen des migrations a publié une
étude ciblée portant sur l’identification des victimes de la traite des êtres humains dans
les procédures d’asile et de retour en novembre 2013 342 qui aborde cette thématique.
Ces critiques doivent être mises en lien avec une communication de la Rapporteuse
spéciale sur la traite des êtres humains, qui a envoyé le 25 mars 2011 une lettre
d’allégation au Gouvernement français concernant la situation d’une ressortissante
sierra-léonaise qui aurait été victime de traite à des fins d’exploitation sexuelle et qui,
condamnée à plusieurs reprises pour séjour irrégulier en France, n’aurait reçu ni protection ni assistance. Sa demande d’asile et sa demande de titre de séjour ont échoué.
La Rapporteuse spéciale a demandé au Gouvernement des éléments concernant la
situation individuelle de la requérante et, plus largement, la manière dont « il protège
et assiste les victimes de traite des personnes ainsi que les mesures d’assistance qui
leur sont fournies, incluant les abris, les conseils psychologiques et juridiques et les
systèmes de réintégration et aussi quelles mesures il avait prises ou avait l’intention de
prendre afin que les victimes de traite des personnes ne soient pas considérées comme
des personnes en séjour irrégulier et qu’elles reçoivent la protection et l’assistance adéquate ». Le Gouvernement n’a pas répondu à cette communication 343.
340. HCR, Position du HCR relative à l’application de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 ou Protocole
de 1967 aux victimes de la traite en France publiée à l’occasion de deux décisions récentes de la Cour nationale du droit d’asile, 12/06 /2012.
341. CE, sect., 25/07/2013, Req. n°350661, Publié au recueil Lebon.
342. Point de contact français du Réseau européen des migrations, L’identification des victimes de la traite
des êtres humains dans les procédures d’asile et de retour, 11/2013.
343. Ngozi Ezeilo Joy, Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les
femmes et les enfants. Addendum. Observations et communications transmises au Gouvernement et réponses
reçues, 21/06/2012, A/HRC/20/18/Add.4.
157

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Dans une décision de 2011 344, la CEDH a rejeté la requête d’une ressortissante nigériane qui alléguait un risque, en cas d’expulsion vers son pays d’origine, de réenrôlement dans le réseau de prostitution auquel elle avait échappé ou encore de représailles,
sans que les autorités nigérianes puissent la protéger. La Cour réaffirme que « la lutte
contre la traite des êtres humains ne s’entend pas seulement de l’obligation faite aux
États de criminaliser et poursuivre le trafic, mais aussi de prendre des mesures visant
à prévenir ce phénomène et en protéger les victimes avérées ou potentielles » et qu’il
existe une obligation positive de l’État de prévenir le trafic sur son territoire. Cependant,
en l’espèce, la requérante n’avait pas tenté d’interpeller les autorités sur sa situation, et
les autorités de police ne savaient pas, et ne pouvaient savoir, que la requérante était
victime d’un réseau de traite des êtres humains au moment où elles avaient décidé de
son éloignement. Elle rejette donc ce grief. Mais surtout, la Cour refuse de se prononcer
sur une question de droit, l’application extraterritoriale de l’article 4 de la Convention,
en relevant que, dans les faits de l’espèce, même si l’article 4 était d’application extraterritoriale, les autorités françaises ne pouvaient pas savoir si, en cas d’éloignement,
la requérante risquait d’être réenrôlée dans un réseau de prostitution en cas de renvoi
vers le Nigeria. La requête a donc été rejetée.
Dans une décision ultérieure, la CEDH a rappelé que l’éloignement d’une ressortissante
étrangère vers son pays d’origine, qu’elle a fui pour sortir d’un réseau de prostitution,
peut être considéré comme une violation de l’article 3 à la condition que la situation
générale dans le pays de renvoi ne permette pas de prévenir une telle violation et que
la réalité de la crainte de l’intéressée paraisse établie 345.
Victimes mineures
Lorsque la victime est mineure, le droit de la protection de l’enfance s’applique, et
l’aide sociale à l’enfance peut être déclarée responsable. Or, le GRETA se fait le relais
de critiques selon lesquelles l’aide sociale à l’enfance serait inadaptée pour les victimes
de traite, et saturée dans certains départements. De même, selon certaines informations, « les enfants victimes de traite et contraints à commettre des infractions (vols,
racolage, etc.) seraient avant tout considérés comme des délinquants et ne bénéficieraient par conséquent d’aucune mesure d’assistance ». En conséquence, le GRETA
« s’inquiète d’une manière générale de l’absence d’assistance appropriée spécifiquement à destination des enfants victimes de la traite » et recommande de « renforcer
le système d’assistance aux enfants victimes de la traite, en ce qui concerne à la fois
l’hébergement et la mise en place de programmes de soutien à moyen et à long terme,
adaptés aux besoins des enfants ».
344. CEDH, Décision, 29/11/2011, V. F. France, Req. no 7196/10 ; voir notamment Nicolas Hervieu, « Apports
et apories des instruments conventionnels de lutte contre la prostitution forcée » [PDF], in Lettre « Actualités
Droits-Libertés » du CREDOF, 15 décembre 2011.
345. CEDH, Décision, 27/03/2012, Idemugia c. France, Req. no 4125/11.
158
Le CEDS s’est prononcé sur la protection des mineurs victimes d’exploitation sexuelle
dans ses conclusions pour l’année 2011 346. Il rappelle qu’il a considéré dans ses conclusions 2004 et 2006 que la législation française est conforme à la Charte. Il prend note
des mesures prises pour améliorer la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants, et
notamment le recours à de nouveaux outils d’investigation, la répression de la provocation à la pédopornographie, l’allongement des délais de prescription pour les infractions
sexuelles. Il demande des informations à la France concernant la réadaptation sociale
et psychologique des enfants victimes d’exploitation sexuelle et de traite et le nombre
d’enfants en ayant bénéficié à la suite de critiques formulées par le Comité des droits
de l’enfant. Par ailleurs, le CEDS rappelle sa jurisprudence selon laquelle « les enfants
victimes d’exploitation sexuelle ne peuvent être poursuivis pour aucun des actes liés
à cette exploitation ». Le CEDS demande dans quels cas un mineur peut être jugé responsable d’un quelconque acte lié à l’exploitation sexuelle et à la traite. Enfin, le CEDS
souhaite que le prochain rapport de la France donne des informations sur les autres
formes d’asservissement découlant de la traite ou du fait que les mineurs sont à la rue.
Il convient enfin de renvoyer à l’étude de la FRA sur la traite des enfants dans l’Union
européenne 347, ainsi qu’aux travaux en cours sur la représentation des mineurs victimes
de traite et sur les systèmes de tutelle dont ils peuvent bénéficier.
346. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
347. FRA, La Traite des enfants dans l’Union européenne. Défis, perspectives et bonnes pratiques, 07/2009.
159

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 3
Procédure administrative
contentieuse
Nous rappellerons que les juridictions administratives sont compétentes dès lors qu’il
s’agit de « l’annulation ou la réformation des décisions prises, dans l’exercice des prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs
agents, les collectivités territoriales de la République ou les organismes publics placés
sous leur autorité ou leur contrôle 348 ». Elles sont donc notamment compétentes pour
se prononcer sur l’annulation ou la réformation des décisions de l’administration pénitentiaire, mais également s’agissant de police administrative, de droit des étrangers
et de droit d’asile.
L’instance internationale qui a exercé la plus grande influence sur la procédure administrative contentieuse est sans aucun doute la CEDH 349. Si l’on se contentera ici d’aborder les cas récents dans lesquels la Cour s’est expressément prononcée sur la situation
interne, cela ne doit pas occulter que, dans de nombreuses situations, le juge administratif a su intégrer certaines jurisprudences constantes de la Cour dans l’ordre interne
avant même une éventuelle décision de la CEDH. À titre d’illustration récente, l’on
mentionnera l’arrêt d’Assemblée du 21 décembre 2012 où le Conseil d’État a appliqué à la procédure suivie devant l’Autorité de la concurrence l’article 6, paragraphe 1,
de la CESDH en prenant pleinement en compte la jurisprudence de la CEDH sur la
notion de « tribunal 350 ». Cette intégration n’est toutefois pas toujours complète 351.
Rôle du rapporteur public
L’évolution la plus évidente concerne le rôle de l’ancien commissaire du gouvernement,
devenu rapporteur public. À l’occasion de l’arrêt Kress c. France 352, la CEDH avait considéré que la participation du commissaire du Gouvernement au délibéré méconnaissait
le droit au procès équitable, celui-là pouvant être assimilé à une « partie » au sens de
l’article 6, paragraphe 1, de la Convention en vertu de la théorie des apparences. Cet
348. Conseil constitutionnel, Décision no 86-224 DC du 23 janvier 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence.
349. Voir notamment Jean-Marc Sauvé, Enjeux et défis du Conseil d’État de France, discours prononcé à l’Université catholique de Louvain, 15/10/2013 ; cela n’exclut pas que d’autres instances internationales soient
saisies. Voir, notamment, Comité des droits de l’homme, 28/11/2013, R. C., Com. no 1923/2009, CCPR/
C/109/D/1923/2009, pour l’exemple d’une non comunication rejetée pour irrecevabilité.
350. CE, Assemblée, 21/12/2012, Groupe Canal Plus et Vivendi Universal, Req. n°353856.
351. Ainsi, le Conseil d’État considère que la Commission de discipline pour les personnes détenues n’entre
pas dans le cadre de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, en raison du caractère administratif de cette instance ; CE, 6ème et 1ère sous-sections réunies, 11/07/2012, Req. n°347146, Inédit au recueil Lebon.
352. CEDH, grande chambre, 07/06/2001 Kress c. France, Req. no 39594/98.
160
arrêt a été confirmé par l’arrêt Martinie c. France 353. À la suite de ces arrêts, plusieurs
réformes ont été engagées. Doivent être cités ici les décrets no 2006-964 du 1er août
2006 modifiant la partie réglementaire du code de justice administrative et no 200914 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au
déroulement de l’audience devant ces juridictions.
Dans une décision Marc Antoine c. France 354, la CEDH s’est prononcée sur un autre
aspect du rôle joué par le rapporteur public. En l’espèce, le requérant se plaignait de
ne pas avoir eu communication du projet de décision du conseiller rapporteur, contrairement au rapporteur public. Le conseiller rapporteur est un magistrat de la formation de jugement chargé d’instruire le dossier ; son rapport ne contient qu’un « simple
résumé des pièces » du dossier, et n’est donc pas « une pièce produite par une partie
et susceptible d’influencer la décision juridictionnelle, mais un élément établi au sein
de la juridiction dans le cadre du processus d’élaboration de la décision finale ». En
conséquence, la Cour considère qu’« un tel document de travail interne à la formation
de jugement, couvert par le secret, ne saurait être soumis au principe du contradictoire
garanti par l’article 6, paragraphe 1, de la Convention ».
Concernant le rapporteur public, la Cour note que rien ne le distingue des autres
membres du Conseil d’État hormis « les fonctions particulières qui lui sont confiées de
façon temporaire » ; son rôle « consiste à exposer publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent, il procède à une analyse du dossier comparable à celle faite
par le rapporteur ». Certains commentateurs 355 ont souligné que cette décision allait
à l’encontre de l’arrêt Kress, dès lors que la Cour n’applique pas la théorie des apparences au rapporteur public et se contente de noter que « le requérant ne démontre
pas en quoi le rapporteur public serait susceptible d’être qualifié d’adversaire ou de
partie dans la procédure, condition préalable pour être à même d’alléguer une rupture de l’égalité des armes ».
La Cour considère que le rôle du rapporteur public est, en l’espèce, une garantie pour
le droit au procès équitable. En effet, ses conclusions intègrent l’analyse du conseiller
rapporteur et peuvent « permettre aux parties de percevoir les éléments décisifs du dossier » et leur offre « l’opportunité d’y répondre avant que les juges n’aient statué ». La
Cour « est donc d’avis que cette particularité procédurale, qui permet aux justiciables
de saisir la réflexion de la juridiction pendant qu’elle s’élabore et de faire connaître
leurs dernières observations avant que la décision ne soit prise, ne porte pas atteinte
au caractère équitable du procès ». Elle rejette donc la requête.
353. CEDH, 12/04/2006, Martinie c. France, Req. no 58675/00.
354. CEDH, 04/06/2013, Marc-Antoine c. France, Req. no 54984/09.
355. Nicolas Hervieu, « Le rapporteur public français finalement sauvé des eaux européennes » [PDF] in Lettre
« Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 13/06/2013.
161

Analyse thématique – Droits et libertés en matière de justice
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Recours de pleine juridiction et droit au procès équitable
en matière fiscale
Dans un arrêt Segame SA c. France 356 , la CEDH s’est prononcée sur le pouvoir du juge
de moduler le taux des pénalités fiscales. En l’espèce, la société requérante avait fait
l’objet d’une procédure de redressement fiscal. Elle fit l’objet d’un avis de recouvrement d’un montant de 2 428 133 euros dont 1 214 066,93 euros d’amende. La requérante sollicita auprès du directeur des services fiscaux un dégrèvement total des droits
amendes mis en recouvrement. À la suite du rejet de cette réclamation, la requérante
introduisit un recours devant le TA de Paris, puis devant la CAA, et enfin devant le
Conseil d’État qui rejeta le pourvoi.
La requérante saisit la CEDH en arguant de l’incompatibilité de la procédure fiscale
française avec l’article 6, paragraphe 1, de la Convention, les juridictions nationales
ne pouvant pas moduler l’amende en fonction du comportement du contribuable : en
effet, selon une jurisprudence des juridictions administratives 357, qui s’opposent aux
juridictions judiciaires sur ce point, « le juge de l’impôt, après avoir exercé son plein
contrôle sur les faits invoqués et la qualification retenue par l’administration, décide,
dans chaque cas, selon les résultats de ce contrôle, soit de maintenir ou d’appliquer
la majoration effectivement encourue au taux prévu par la loi, sans pouvoir moduler
celui-ci pour tenir compte de la gravité de la faute commise par le contribuable, soit,
s’il estime que l’administration n’établit ni que celui-ci se serait rendu coupable de
manœuvres frauduleuses ni qu’il aurait agi de mauvaise foi, de ne laisser à sa charge
que des intérêts de retard. Les stipulations du 1 de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne l’obligent
pas à procéder différemment ».
En l’espèce, la Cour rappelle le principe selon lequel un système d’amendes administratives n’est pas contraire à l’article 6, paragraphe 1, de la Convention dès lors que la
décision administrative peut être soumise à un contrôle ultérieur d’un organe de pleine
juridiction, qui inclut le pouvoir de réformer en tout point la décision entreprise rendue
par l’organe inférieur. Cependant, la Cour, d’une part, observe que le caractère proportionné de la sanction découle de la loi, qui prend en considération le comportement
du contribuable, d’autre part, souligne « le caractère particulier du contentieux fiscal
impliquant une exigence d’efficacité nécessaire pour préserver les intérêts de l’État et
observe, en outre, que ce contentieux ne fait pas partie du noyau dur du droit pénal au
sens de la Convention ». Enfin, la Cour note qu’en espèce, le taux de l’amende (25 %)
n’apparaît pas disproportionné. En conséquence, elle rejette le grief invoqué par le
requérant. La Cour rejette également comme mal fondé le grief relatif à la motivation
de l’arrêt du Conseil d’État que la requérante juge stéréotypée, en soulignant que la
juridiction a répondu aux arguments de la requérante, et qu’il ne lui appartient pas de
se substituer aux juridictions internes dans l’appréciation du droit national.
356. CEDH, 07/06/2012, Segame SA c. France Req. no 4837/06.
357. CE, Avis no 195664 du 08/07/1998.
162
Droits et libertés dans
un contexte de migration
La population immigrée (née étrangère à l’étranger) en France représente 5,5 millions
de personnes dont 40 % sont issues de l’Union européenne 358. Au 1er janvier 2010,
3,8 millions d’étrangers vivaient sur le territoire national. Selon le rapport annuel de
l’OFPRA 359, 66 251 demandes d’asile ont été enregistrées en 2013, chiffre en augmentation constante depuis 2007. Le nombre total de personnes placées sous protection s’établit à 11 371 pour l’année 2013. L’éloignement des étrangers en situation
irrégulière, enjeu politique, est plus difficile à appréhender, et nous conseillons donc
au lecteur de croiser les différentes sources, notamment associatives 360, existantes.
Le ministère de l’Intérieur indique dans son rapport précité avoir atteint le nombre de
15 469 départs forcés. Il n’existe pas d’évaluation récente et fiable du nombre d’étrangers en situation irrégulière.
Avec la suppression de ses frontières internes, le territoire de l’Union européenne s’est
progressivement substitué à celui des États membres comme destination des migrants
et, en conséquence, comme cadre d’élaboration des politiques migratoires. Pour cette
raison, nous consacrerons une partie importante de ce chapitre à l’espace de liberté, de
sécurité et de justice, consacré par le Traité de Lisbonne, qui s’est progressivement subtitué à l’ancien « Troisième pilier » 361. Cela n’empêche pas les États membres de disposer d’une importante marge d’appréciation dans la mise en œuvre du droit de l’Union,
et la France conserve de nombreuses spécificités. Si les instances internationales ont,
pour l’essentiel, réitéré leurs observations, que ce soit sur le droit d’asile ou sur le droit
des étrangers, certains nouveaux sujets de préoccupation sont néanmoins apparus.
358. Ministère de l’Intérieur, Politique d’immigration : bilan et perspectives, 2014.
359. OFPRA, Rapport d’activité 2013, 04/2014.
360. Voir notamment le rapport sur les centres et locaux de rétention administrative publié chaque année par
l’ASSFAM, Forum Réfugiés, France Terre d’Asile, La Cimade et l’Ordre de Malte.
361. Programme de Stockholm – une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens, JO C 115 du
04/05/2010, p. 1–38.
163
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 1
Politiques européennes
en matière de migration
François Crépeaux, Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme
des migrants, a consacré un rapport à la gestion des frontières extérieures de l’Union
européenne et ses incidences sur les droits de l’homme des migrants. Si ce document
ne porte pas spécifiquement sur la France, il convient ici de lui consacrer une place
importante : d’une part, les grandes orientations nationales concernant la réponse à
apporter au phénomène migratoire découlent directement du droit de l’Union européenne ; d’autre part, la France joue un rôle décisif tant dans la définition de la politique, l’élaboration des instruments qui en découlent que dans leur mise en œuvre.
François Crépeaux a ainsi mis en lumière la tendance des États membres de l’Union
européenne à utiliser « les liens complexes entre les compétences relevant de l’Union
européenne et celles appartenant aux États membres dans le domaine des migrations »
pour s’exonérer de leurs obligations en matière de droits de l’homme en mettant « en
œuvre des politiques migratoires plus restrictives au niveau national, tout en tendant
à rejeter la responsabilité de cette situation sur le système régional 362 ».
1. Entrée dans l’UE
François Crépeaux a regretté, dans son étude régionale, qu’« une grande majorité des
initiatives régionales de migration en provenance de l’UE continuent d’être axées sur
le contrôle aux frontières et ne prennent pas en considération d’importantes questions telles que la mise en place de voies de migration régulières 363 ». L’absence de
telles voies de migration régulières est d’autant plus regrettable que différents pays
voisins de l’Union européenne ont connu d’importants bouleversements internes qui
ont entraîné d’importants déplacements de population. Une commission de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a appelé l’Union européenne et ses États
membres à « faire preuve de ”générosité et de solidarité” pour les réfugiés syriens ». Le
Parlement européen a également « appelé à mettre en place une politique commune
pour la migration légale, à faire preuve de solidarité envers les États membres les plus
confrontés aux flux migratoires et à travailler sur les racines du problème avec les pays
362. Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, François Crépeaux, Étude régionale : la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne et ses incidences sur les droits de l’homme des migrants,
24/04/2013, A/HRC/23/46.
363. Commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe, Les réfugiés syriens : comment organiser et soutenir l’aide internationale ?, 2013.
164
d’origine des migrants 364 ». À l’inverse, la politique de l’Union est marquée par l’externalisation croissante du contrôle des frontières et le renforcement de l’agence Frontex.
Externalisation des frontières
L’externalisation des frontières de l’Union européenne se compose, à titre principal, de
deux volets : le renforcement des capacités de contrôle des frontières à l’étranger et
la mise en place d’accords de réadmission 365. Elle a été dénoncée par Nils Muizneks,
Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe : « L’externalisation
par l’Union européenne des politiques de contrôle de ses frontières extérieures a des
effets délétères sur les droits de l’homme, en particulier sur le droit de quitter un pays,
qui est une condition préalable nécessaire à la jouissance d’autres droits, notamment
du droit de demander l’asile 366 ». L’APCE s’est elle aussi montrée très critique à l’égard
de ces mécanismes 367.
Décès en mer
Selon la FRA, « en termes numériques, les arrivées d’immigrants par voie maritime ne
constituent qu’un petit pourcentage du nombre total de personnes entrant dans l’UE
ou dans l’espace Schengen 368 ». Depuis 1998, une moyenne de 40 000 personnes
pénètre irrégulièrement par voie maritime sur le territoire de l’Union européenne 369. Ces
entrées fluctuent beaucoup d’une année à l’autre : moins de 20 000 entrées en 2009,
2010 et 2012, presque 80 000 en 2011, et plus de 40 000 en 2013. Par-delà ces variations, la tendance de fond est l’augmentation significative du risque de décès en mer
lors de la traversée : minime avant les années 2000, il est devenu fréquent au cours de
la décennie qui a suivi. L’année 2011 fut, à ce jour, la pire année : plus de 2 000 personnes sont décédées lors de la traversée. Ce chiffre noir est d’autant plus surprenant
que ces décès se produisent souvent dans des zones très fréquentées, alors que les
navires ont, selon la convention SOLAS, une obligation de secours en mer.
Le Rapporteur des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants identifie notamment comme cause le fait que les navires privés n’apportent pas l’aide qu’ils
devraient apporter, en raison des « difficultés bien connues que posent le débarquement des migrants, les coûts élevés d’une telle opération et le manque de coopération
des États avec des entités privées qui cherchent à fournir une assistance humanitaire,
364. Parlement européen, Tragédie de Lampedusa: solidarité et politique de l’UE pour la migration légale, 2013.
365. Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, op. cit.
366. Nils Muizneks, Les Politiques de contrôle des frontières de l’UE nuisent aux droits de l’homme, 2013.
367. Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, La Gestion des défis en matière de flux migratoires
mixtes et d’asile au-delà de la frontière orientale de l’Union européenne, Réso. no 1933, 2013.
368. FRA, Les Droits fondamentaux aux frontières maritimes méridionales de l’Europe, rapport, 2013.
369. Ce chiffre doit être comparé à celui de 1,5 million de personnes par an pénétrant régulièrement sur le
territoire de l’Union européenne. Voir sur ce sujet Philippe De Bruycker, Anna Di Bartolomeo, Philippe Fargues,
Migrants Smuggled by Sea to the EU : Facts, Laws and Policy Options, MPC (Migration Policy Centre), 2013.
165

Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
ainsi que les éventuelles conséquences pour les particuliers » qui expliquent « que les
navires privés n’ont guère envie de prendre la responsabilité des bateaux en détresse
aggravant le risque de décès en mer 370 ». La FRA a formulé le souhait que ne soit
pas sanctionné pour « aide à l’entrée irrégulière tout capitaine privé qui prend à bord
ou apporte une autre assistance à des migrants se trouvant dans des embarcations
impropres à la navigation et surchargées ».
Une autre difficulté tient au lieu de débarquement des personnes secourues en mer,
certaines pratiques de reconduites immédiates vers le pays d’origine étant rapportées.
À l’occasion de son arrêt de grande chambre Hirsi Jamaa et autres c. Italie 371, la CEDH
a rappelé qu’il appartient aux États parties de s’assurer du respect de la convention à
bord de navires militaires battant pavillon de leur État, même si les faits se sont déroulés en haute mer. En l’espèce, trois navires battant pavillon italien avaient intercepté
des embarcations sur lesquelles étaient onze ressortissants somaliens et treize ressortissants érythréens ; ils avaient été immédiatement reconduits à Tripoli. La Cour considère que ces personnes relevaient de la « juridiction » de l’Italie. Elle considère qu’en
reconduisant ces personnes en Libye, alors que le « traitement réservé en Libye aux
immigrés clandestins à l’époque des faits » était « préoccupant », l’Italie a exposé ces
personnes à un risque de traitements inhumains et dégradants, et, dès lors, a méconnu
l’article 3 de la CESDH.
Un événement particulier a attiré l’attention de l’opinion publique internationale et des
instances internationales. Le 3 octobre 2013, une embarcation a coulé en Méditerranée,
et 360 personnes ont trouvé la mort. À la suite de cet accident, la FRA a appelé à réexaminer les mesures relatives à l’asile et aux migrations 372. Le président de la Commission
européenne et Cecilia Malmström ont appelé à une amélioration des capacités de
recherche et de sauvetage des personnes naufragées, ainsi qu’à l’amélioration du système de détection des navires pour permettre un retour sain et sauf des naufragés 373.
Enfin, un groupe de travail présidé par la Commission européenne a adressé une communication au Parlement européen et au Conseil 374.
370. Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, François Crépeaux, Étude régionale : la gestion
des frontières extérieures de l’Union européenne et des incidences sur les droits de l’homme des migrants,
24/04/2013, A/HRC/23/46.
371. CEDH, grande chambre, 23/02/2012, Hirsi Jamaa et autres c. Italie, Req. no 27765/09.
372. FRA, Tragedy Off Coast of Italy Reminds Europe of Its Need to Revisit Asylum and Migration Measures, 2013 .
373. José Manuel Durão Barroso, président de la Commission européenne, Statement by President Barroso
Following his Visit to Lampedusa, 2013.
374. Commission européenne, Communication from the Commission to the European Parliament and the
Council on the Work of the Task Force Mediterranean, 2013.
166
Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration

Frontex
De nombreuses instances internationales ont également pointé du doigt le rôle de
l’agence Frontex. Créée en octobre 2004 375 l’Agence européenne pour la gestion
de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de
l’Union européenne (Frontex) a notamment pour tâche de « coordonner la coopération opérationnelle entre les États membres en matière de gestion des frontières extérieures ». L’APCE a ainsi souligné les « responsabilités » de Frontex en matière de droits
de l’homme 376, tout comme la FRA 377. La CJUE a considéré que « l’attribution de pouvoirs de puissance publique aux gardes-frontières » à l’agence Frontex « parmi lesquels
figurent l’arrestation des personnes appréhendées, la saisie de navires et le renvoi des
personnes appréhendées vers un endroit déterminé, permet des ingérences dans des
droits fondamentaux des personnes concernées d’une importance telle qu’est rendue
nécessaire l’intervention du législateur de l’Union 378 ». La Médiatrice européenne
a lancé une consultation sur le rôle de Frontex. Elle a constaté que « dans l’ensemble,
Frontex avait réalisé des progrès raisonnables dans le traitement des questions relatives aux droits fondamentaux ». Elle a cependant recommandé que « Frontex mette
en place un mécanisme de traitement des plaintes 379 ».
2. Détermination de l’État membre
responsable du traitement
de la demande d’asile (Dublin II)
Le règlement Dublin II 380 a créé un mécanisme permettant de déterminer l’État membre
de l’Union responsable de la demande d’asile. Il a été refondu dans le Règlement (UE)
no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dit Dublin III 381
qui ne bouleverse pas l’économie générale du dispositif. Selon ces différents textes, et
sauf exception, l’État compétent pour traiter de la demande de protection internatio-
375. Règlement (CE) no 2007/2004 du Conseil du 26 octobre 2004 portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de
l’Union européenne.
376. APCE, Frontex : responsabilités en matière de droits de l’homme, 2013.
377. Frontex, EU solidarity and Frontex: fundamental rights challenges, 2013.
378. CJUE, 05/09/2012, Parlement européen contre Conseil de l’Union européenne et Commission européenne, C-355/10.
379. Emily O’Reilly, Special Report of the European Ombudsman in own-initiative inquiry OI/5/2012/BEHMHZ concerning Frontex, 2013.
380. Règlement (CE) no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de
détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des
États membres par un ressortissant d’un pays tiers
381. Règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26/06/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.
167
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
nale est le premier des États membres dans lequel est entré le demandeur d’asile. Ce
principe vise à éviter ce que certains ont appelé « asylum shopping », à savoir que le
demandeur d’asile choisisse l’État de l’Union qui lui offre les meilleurs chances d’obtention d’une protection internationale, et, en cas de refus, qu’il tente d’obtenir une
protection dans un autre État membre. Cependant, cette procédure a d’importantes
conséquences pour les demandeurs d’asile, puisque quelques États se voient désignés
comme responsables d’un nombre important de demandes alors qu’ils sont dans l’incapacité de les traiter.
Dublin II et traitements inhumains ou dégradants
Ainsi, dans l’arrêt M. S. S. c. Belgique et Grèce 382, la grande chambre de la CEDH a
considéré que le renvoi par la Belgique de demandeurs d’asile vers la Grèce entraînerait
une violation de l’article 3 de la Convention, dès lors que les conditions de détention
des demandeurs d’asile en Grèce, tout comme leurs conditions de vie, sont constitutives de traitements inhumains ou dégradants. De même, la Cour constate les défaillances de la procédure d’asile en Grèce qui risquerait d’aboutir à une méconnaissance
du principe de non-refoulement. Ces défaillances ont été également constatées par
de nombreuses autres instances, et notamment par l’Assemblée parlementaire du
Conseil de l’Europe 383.
Dans un arrêt N. S. c. Secretary of State for the Home Department 384, la CJUE a
confirmé pour l’essentiel la jurisprudence de la CEDH. Après avoir rappelé que, dans leur
mise en œuvre du règlement Dublin II, les États membres doivent respecter la Charte
européenne des droits fondamentaux, la Cour souligne que « dans l’hypothèse où il y
aurait lieu de craindre sérieusement qu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’État membre
responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4
de la Charte, des demandeurs d’asile transférés vers le territoire de cet État membre,
ce transfert serait incompatible avec ladite disposition ». Or, la Grèce « était, en 2010,
le point d’entrée dans l’Union de près de 90 % des migrants illégaux », si bien que
« les autorités grecques sont dans l’incapacité matérielle d’y faire face », de telle sorte
que cet État faisait face à « une défaillance systémique de la procédure d’asile et des
conditions d’accueil des demandeurs d’asile ». En conséquence, la Cour souligne qu’« il
incombe aux États membres de ne pas transférer un demandeur d’asile vers l’“État
membre responsable” au sens du règlement no 343/2003 lorsqu’ils ne peuvent ignorer que les défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil
des demandeurs d’asile dans cet État membre constituent des motifs sérieux et avérés de croire que le demandeur courra un risque réel d’être soumis à des traitements
inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte ».
382. CEDH, grande chambre, 21/01/2011, MSS c. Belgique et Grèce, Req. no 30696/09.
383. APCE, Migrations et asile : montée des tensions en Méditerranée orientale, 2013.
384. CJUE, grande chambre, 21/12/2011 NS c. SSHD & ME et al. c. ORAC, C-411/10 et C-493/10.
168
Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration

Dublin II et droit au recours effectif
En conséquence, les États membres sont tenus de s’assurer que le renvoi vers l’État normalement compétent pour le traitement de leur demande n’aboutira pas à une violation des droits du demandeur d’asile. La CEDH a souligné, dans l’arrêt précité M. S. S.
c. Belgique et Grèce, qu’il appartenait à l’État d’accueil de mettre en place un recours
suspensif contre la décision de transfert. Or la procédure belge d’extrême urgence, qui
permet de suspendre la décision de transfert, ne présente pas de garanties suffisantes
eu égard au droit à un recours effectif protégé par l’article 13 de la CESDH. Cette jurisprudence de la CEDH doit être mise en lien avec celle de la CJUE qui a imposé aux
États d’accueil de faire jouer leur clause de souveraineté lorsque le renvoi vers l’État
membre normalement responsable du traitement de la demande aboutirait à une violation des droits fondamentaux du requérant. L’exercice de la faculté de faire jouer la
clause d’humanité n’est soumis « à aucune condition particulière 385 ».
Si la France n’a pas été directement visée par ces différentes décisions, elle est pourtant pleinement concernée. Il convient ici de souligner les ressemblances importantes
entre la procédure d’extrême urgence belge et les procédures de référés existantes en
France. L’essentiel des critiques de la Cour à l’égard de cette procédure est transposable aux procédures existantes en France.
Dans un premier temps, et en l’absence de recours suspensif au niveau national, les
personnes faisant l’objet d’une décision de réadmission vers la Grèce ont utilisé la procédure de l’article 39 du règlement de la CEDH pour obtenir la suspension de la décision. Face à l’explosion des demandes, le président de la Cour a rappelé l’obligation
des États de mettre en œuvre des recours effectifs au niveau national 386. La France a
cessé de transférer les demandeurs d’asile vers la Grèce : selon les statistiques du ministère de l’Intérieur, aucun demandeur d’asile n’a été transféré vers ce pays en 2011 387.
Cependant, la fin des transferts vers ce pays ne règle pas l’ensemble des difficultés ;
certains pays peuvent être ponctuellement confrontés à des difficultés similaires 388. La
Grèce est cependant le seul pays pour lequel les renvois ont été totalement suspendus ;
pour les autres pays de renvoi, les autorités administratives ont fait une appréciation
au cas par cas, sans suivi réel de la décision du HCR.
385. CJUE, 30/05/2013, Zuheyr Frayeh Halaf, C-528/11.
386. Jean-Paul Costa, Déclaration du Président de la Cour européenne des droits de l’homme concernant les
demandes de mesures provisoires (article 39 du règlement de la Cour), 11/02/2011.
387. Secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de l’immigration, Les Chiffres de la politique de
l’immigration et de l’intégration. Année 2011, Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2012.
388. À titre d’exemple, voir UNHCR, Le HCR appelle à la suspension temporaire des renvois de demandeurs
d’asile, en application du règlement de Dublin II, vers la Bulgarie, 03/01/2014.
169
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Dublin II et droit à la vie privée et familiale
La CJUE a également imposé aux États d’accueil de faire jouer la clause humanitaire à
l’égard de la famille située dans un état de dépendance par rapport à un demandeur
d’asile 389. Concernant les mineurs, la Cour a par ailleurs rappelé que la détermination
de l’État membre responsable pour le traitement de la demande de protection internationale doit prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant 390.
389. CJUE, grande chambre, 06/11/2012, K. c. Bundesasylamt, C-245/11.
390. CJUE, 06/06/2013, MA, BT, DA c. Secretary of State for the Home Department, C-648/11.
170
Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration

Chapitre 2
Entrée en France
L’étranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aérienne et qui, soit
n’est pas autorisé à entrer sur le territoire français, soit demande son admission au titre
de l’asile, peut être maintenu en zone d’attente pour une durée qui ne peut excéder
vingt jours (4 + 8 + 8). Les prolongations doivent être autorisées par le juge des libertés et de la détention. Les maintiens en zone d’attente sont en baisse constante depuis
une décennie : 23 072 en 2001, ils n’étaient plus que 8 317 en 2011 391 ; de même,
les conditions matérielles de détention dans la ZAPI III (zone d’attente pour personnes
en instance de Roissy), principale zone d’attente en France, se sont légèrement améliorées 392. Cependant, la question du maintien en zone d’attente, qui a fait l’objet de
nombreuses observations d’instances internationales, reste un sujet important. On rappellera que la CEDH a considéré que les personnes placées en zone d’attente relèvent
de la juridiction française, la zone ne bénéficiant pas d’un statut d’extraterritorialité 393.
1. Mineurs en zone d’attente
Il s’agit de la seule hypothèse dans laquelle des mineurs non accompagnés qui n’ont pas
commis d’infraction peuvent être privés de liberté. Cette privation de liberté pose un
certain nombre de difficultés. Elle doit notamment être mise en lien avec l’Observation
générale no 6 du Comité des droits de l’enfant qui avait considéré que « la détention
ne saurait être justifiée par le seul fait que l’enfant est séparé ou non accompagné, ni
par son seul statut au regard de la législation relative à l’immigration ou à la résidence
ou l’absence d’un tel statut 394 ».
L’appréciation de la minorité fait difficulté : alors que, en principe, les actes d’état civil
font foi jusqu’à preuve du contraire 395, les mineurs isolés étrangers font l’objet d’examens osseux de manière systématique pour identifier leur âge. Or, la fiabilité de ces
tests a été discutée. Le Comité des droits de l’enfant, en 2009 396, avait demandé
d’introduire des méthodes récentes de détermination de l’âge qui se sont avérées plus
précises que les examens osseux actuellement utilisés ; ces demandes n’ont pas été
391. Secrétariat général du Comité interministériel de contrôle de l’immigration, Les Chiffres de la politique de
l’immigration et de l’intégration. Année 2011, Direction de l’information légale et administrative, Paris, 2012.
392. CPT, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France du
28 novembre au 10 décembre 2010, 19/04/2012, (CPT)Rapport [CPT/Inf (2012) 13].
393. CEDH, 25/06/1996, Amuur c. France, Req. no 19776/92.
394. Comité des droits de l’enfant, Observation générale no 6 (2005), traitement des enfants non accompagnés et des enfants séparés en dehors de leur pays d’origine, 1/09/2005, CRC/GC/2005/6.
395. Voir l’article 47 du code civil.
396. Comité des droits de l’enfant, Observations finales du Comité des droits de l’enfant : France, CRC/C/
FRA/CO/4, 2009.
171
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
suivies d’effet. Dans l’hypothèse où elle est mineure, la personne maintenue en zone
d’attente doit bénéficier d’un administrateur ad hoc 397. À l’occasion de la publication
de son rapport concernant la France, le GRETA s’inquiétait « de ce que le Comité des
droits de l’enfant des Nations unies ait relevé que les enfants non accompagnés placés en zone d’attente ne bénéficiaient pas systématiquement d’administrateur ad hoc,
contrairement à ce qui est prévu par la législation ». Une étude publiée par l’OIM relevait les mêmes difficultés 398. Cette situation s’est améliorée depuis la publication de ce
rapport 399 ; cependant, le recours systématique aux tests osseux aboutit, dans les faits,
à priver de leurs droits certains mineurs considérés à tort comme majeurs. Le Bureau
européen d’appui pour l’asile a publié en décembre 2013 une étude sur les pratiques
utilisées en Europe pour déterminer l’âge des demandeurs d’asile 400.
Le GRETA s’est également associé aux observations du Comité des droits de l’enfant,
qui « s’inquiète que ces enfants, particulièrement vulnérables à l’exploitation, ne bénéficient pas d’un soutien psychologique. Il recommande de mettre à la disposition des
enfants non accompagnés et des enfants placés en zone d’attente des moyens d’assistance psychologique adaptés et de les protéger de l’exploitation, en particulier en
contrôlant strictement l’accès à ces zones 401 ». En conséquence, « le GRETA considère
que les autorités françaises devraient prendre des initiatives sociales, économiques et
autres à l’intention des mineurs étrangers placés en zone d’attente ».
2. Audiences délocalisées
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a adressé une
lettre à la ministre de la Justice concernant le projet de délocaliser une salle d’audience
à proximité de la zone d’attente. Comme toute privation de liberté, le placement en
zone d’attente doit être contrôlé par le juge judiciaire, gardien des libertés individuelles
selon l’article 66 de la Constitution. Celui-ci intervient aux 4e et 12e jours du maintien
en zone d’attente. Actuellement, les personnes maintenues dans la ZAPI III de Roissy
sont transférées au palais de justice de Bobigny pour voir leur situation examinée. Dans
son courrier, le Commissaire a rappelé que les personnes placées en zone d’attente
sont avant tout des personnes privées de liberté, et qu’elles doivent bénéficier des
garanties prévues à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Or, le transfert de la salle d’audience à proximité de la zone d’attente risque « de porter atteinte à l’indépendance et à l’impartialité du tribunal concerné, à tout le moins
aux yeux des requérants », de « compliquer l’exercice des droits de la défense et de
397. Article L. 221-5 du CESEDA.
398. Blanka Hancilova et Bernadette Knauder, Unaccompanied Minor Asylum-seekers: Overview of Protection,
Assistance and Promising Practices, décembre 2011.
399. Voir notamment, ANAFE, Bilan Roissy, 2009, 12/2010 (p. 33).
400. EASO, Age Assessment Practice in Europe, 12/2013.
401. GRETA, Rapport concernant la mise en œuvre de la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre
la traite des êtres humains par la France, 1er cycle d’évaluation, 28/01/2013, GRETA(2012)16.
172
faire obstacle à la publicité des débats 402 ». Cette lettre visait également le centre de
rétention du Ménil-Amelot.
3. Zones d’attente ad hoc
Le CPT a critiqué l’incertitude de la notion de « zones d’attente ad hoc » : celles-ci
peuvent être créées « lorsqu’il est manifeste qu’un groupe d’au moins dix étrangers
vient d’arriver en France en dehors d’un point de passage frontalier, en un même lieu
ou sur un ensemble de lieux distants d’au plus dix kilomètres ». En ce cas, « la zone
d’attente s’étend, pour une durée maximale de vingt-six jours, du ou des lieux de
découverte des intéressés jusqu’au point de passage frontalier le plus proche ». Le CPT
a donc demandé aux autorités françaises de transmettre « des informations détaillées
sur les mesures envisagées par les autorités françaises en vue d’assurer des conditions satisfaisantes, s’agissant des équipements, de l’encadrement et de l’exercice des
droits, dans les zones d’attente ad hoc. Le cas échéant, le CPT souhaite être informé
de la création de telles zones 403 ». Le Comité des disparitions forcées a émis des
recommandations similaires, et a même demandé la suppression de ces dispositions.
Ces dispositions n’ont jamais été utilisées depuis leur adoption 404.
4. Procédure d’asile à la frontière
Parmi les différentes catégories de personnes présentes en zone d’attente, il convient
de consacrer une place importante à l’étranger qui se présente à la frontière sans remplir les conditions administratives pour entrer sur le territoire et demande à bénéficier
de l’asile ; une décision de refus d’entrée sur le territoire peut être prise par le ministre
chargé de l’immigration, « après consultation de l’Office français de protection des
réfugiés et apatrides, qui procède à l’audition de l’étranger 405 ». À la suite de l’arrêt
Gebremedhin 406, la France a introduit un recours suspensif contre la décision de refus
d’admission sur le territoire au titre de l’asile. Le demandeur d’asile dispose de quarante-huit heures suivant la notification de la décision pour introduire un recours devant
le président du tribunal administratif 407.
402. Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Lettre à la ministre de la Justice concernant la mise en place d’audiences délocalisées au Centre de rétention du Ménil-Amelot et à la ZAPI III, 2013.
403. CPT, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France par le
Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du
28 novembre au 10 décembre 2010, CPT/Inf (2012) 13.
404. Voir les commentaires de la France au sujet des observations finales du Comité des disparitions forcées
18/04/2014, CED/C/FRA/CO/1/Add.1.
405. Article R. 213-2 du CESEDA.
406. CEDH, 26/04/2007, Gebremedhin c. France, Req. no 25389/05.
407. Article L. 213-9 du CESEDA.
173

Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Cependant, cette procédure, en raison de sa célérité, peut ne pas présenter l’ensemble
des garanties nécessaires pour s’assurer que l’étranger n’est pas exposé à des risques
dans le cas de renvoi. Le Comité des disparitions forcées a ainsi exprimé sa « préoccupation au sujet des procédures administratives d’admission et du très bref délai
de recours accordé aux demandeurs d’asile qui se trouvent en zone d’attente ». Dans
l’affaire R. J. c. France 408 , la CEDH a prononcé des mesures provisoires pour permettre
l’admission sur le territoire d’un ressortissant sri lankais. Le requérant était arrivé le
2 février 2011 à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle et avait sollicité aussitôt son
admission sur le territoire français au titre de l’asile. Placé en zone d’attente, il a été
examiné par un médecin qui a constaté plusieurs plaies par brûlure. Dans son rapport,
l’agent de l’OFPRA a considéré néanmoins que le récit du demandeur, insuffisamment
étayé, ne permettait pas de tenir pour « crédible une menace actuelle et personnelle
susceptible de justifier un examen approfondi de sa demande ». Le requérant a introduit un recours devant le président du tribunal administratif de Paris qui a rejeté cette
demande ; il a donc été contraint d’introduire une demande de mesures provisoires
devant la CEDH, qui a décidé d’indiquer au gouvernement français, en application
de la disposition précitée, de ne procéder au renvoi du requérant ni vers la Syrie, son
pays de transit, ni vers le Sri Lanka. M. R. J. a donc été admis sur le territoire, et a pu
introduire une demande d’asile. Si la demande d’asile a été rejetée le 15 avril 2012
par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), la CEDH a considéré dans une décision
du 19 septembre 2013 que le renvoi du requérant vers le Sri Lanka l’exposerait à des
risques de traitements inhumains ou dégradants.
De même, le CAT a interpellé les autorités françaises pour qu’une demandeuse d’asile
maintenue à la zone d’attente de Roissy ne soit pas renvoyée vers la Somalie 409. Le
Gouvernement n’a pas mis la décision de renvoi à exécution.
408. CEDH, 19/09/2013, R. J. c. France, Req. no 10466/11.
409. CP Anafé, « Zone d’attente Roissy : la France empêchée de refouler une demandeuse d’asile vers la
Somalie », 12/07/2012.
174
Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration

Chapitre 3
Droit d’asile
L’obligation de la France de respecter le principe de non-refoulement impose, d’une
part, d’accorder au demandeur d’asile le droit au séjour pendant l’instruction de sa
demande, et, d’autre part, de mettre en place une procédure équitable, qui permette
de s’assurer que le demandeur d’asile ne sera pas soumis à des traitements inhumains
ou dégradants en cas d’éloignement.
1. Procédure d’examen
de la demande de protection
Procédure prioritaire et recours suspensif
Certaines demandes d’asile peuvent être traitées en procédure prioritaire : il s’agit
notamment des demandes formulées par un demandeur originaire d’un pays d’origine sûre, ou lorsque la demande repose « sur une fraude délibérée ou constitue un
recours abusif aux procédures d’asile ou n’est présentée qu’en vue de faire échec à
une mesure d’éloignement prononcée ou imminente 410 ». L’orientation en procédure
prioritaire est réalisée par la préfecture lors de l’admission au séjour des demandeurs
d’asile 411. Ce classement a deux principales conséquences : d’une part, la procédure
devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et la CNDA est
plus rapide ; d’autre part, le recours devant la CNDA est dépourvu d’effet suspensif.
Si « le droit français ménage deux voies pour l’étranger qui allègue être exposé à des
risques en cas de retour : le recours contre la mesure d’éloignement devant le juge
administratif et le recours devant l’OFPRA, chargé d’examiner la demande d’asile 412 »,
seul le recours devant le juge administratif peut garantir au demandeur d’asile de bénéficier d’un recours juridictionnel à caractère suspensif. Il appartient donc au demandeur d’asile dont la demande est traitée en procédure prioritaire d’introduire un recours
contre la décision d’éloignement qui serait prise par la préfecture lors du dépôt du
dossier. La complexité de ce dispositif, et le manque de garanties pour le demandeur
d’asile qui n’aurait pas introduit un tel recours ont suscité à de nombreuses critiques
d’instances internationales.
410. Article L. 741-4 du CESEDA.
411. Article L. 741-2 du CESEDA.
412. CEDH, 02/02/2012, IM c. France, Req. no 9152/09.
175
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
À l’occasion de l’EPU, la France s’est vu rappeler son obligation de « veiller à ce qu’aucune
décision d’expulsion d’un demandeur d’asile, y compris selon la procédure prioritaire,
ne soit exécutée avant qu’un juge compétent ne se soit prononcé sur la question 413 ».
Le Comité des disparitions forcées s’est également « préoccupé du fait que la procédure prioritaire n’offre pas de recours suspensif contre un refus initial de l’Office
français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le demandeur peut donc
être renvoyé vers un pays où il risque d’être soumis à une disparition forcée, avant
que la Cour nationale du droit d’asile ait pu entendre sa demande de protection ». En
conséquence, « le Comité recommande que l’État garantisse aux demandeurs d’asile
un recours effectif […]. Le Comité recommande à l’État partie d’instaurer un recours
suspensif pour les demandes d’asile placées en procédure prioritaire sur lesquelles
l’OFPRA a rendu une décision négative ».
Le classement en procédure prioritaire des demandes d’asile formulées par des personnes placées en rétention est le plus problématique. La CEDH, dans un arrêt I. M.
c. France 414, a considéré que la procédure prioritaire pouvait s’apparenter à une « procédure sommaire », qui ne présente pas toutes les garanties du droit à un recours
effectif. L’affaire concernait un demandeur d’asile placé en rétention, qui avait donc
été contraint, alors que c’était sa première demande, à préparer celle-ci en rétention,
dans un délai de cinq jours seulement, sans assistance linguistique et sans accès réel à
ses documents. Si la Cour reconnaît que le recours devant le tribunal administratif est
effectivement suspensif, le délai de quarante-huit heures pour introduire son recours,
délai resserré en raison de son placement en centre de rétention administrative, ainsi que
l’impossibilité matérielle dans laquelle il était de préparer son recours ont fait obstacle
au respect du droit au recours effectif ; le fait que l’appel devant la CNDA ne soit pas
suspensif n’a laissé au requérant que le recours ouvert sur le fondement de l’article 39
du règlement de la Cour pour faire obstacle à son éloignement. En conséquence, la
Cour a conclu que la France a violé le droit à un recours effectif. Cet arrêt est motivé
par des considérations de fait assez particulières. Il est néanmoins possible d’en tirer
deux enseignements : le premier porte sur la nécessité pour la France d’aménager la
procédure de demande d’asile pour les personnes placées en rétention. Le second doit
être compris comme une mise en garde : la Cour considère que le classement en procédure prioritaire de la demande du requérant ne doit pas être automatique et qu’il ne
doit pas être lié à un simple motif procédural « sans relation ni avec les circonstances
de l’espèce, ni avec la teneur de la demande et son fondement ».
La CEDH s’est également prononcée sur la procédure prioritaire dans l’arrêt K. K.
c. France 415. En l’espèce, il s’agissait d’un primo-demandeur d’asile, qui, du fait du
classement en procédure prioritaire, avait « bénéficié de délais de recours réduits pour
préparer une demande d’asile complète et documentée en langue française » ; cependant, à la différence de l’arrêt I. M. c. France, le requérant était présent en France depuis
deux ans lorsqu’il a introduit sa demande d’asile ; il avait, de plus, « volontairement
413. Reco. no 120.163.
414. Ibid.
415. CEDH, 10/10/2013, K. c. France, Req. n° 18913/11.
176
omis de préciser aux autorités françaises qu’il avait auparavant vainement sollicité l’asile
auprès des autorités britanniques et grecques » ; enfin, il était libre et non en rétention
lorsqu’il avait formé sa demande d’asile devant l’OFPRA et introduit « un recours suspensif devant le tribunal administratif contre le second arrêté de reconduite à la frontière, bien que ces recours soient enfermés dans des délais brefs de, respectivement,
cinq jours et quarante-huit heures ». En conséquence, la Cour considère qu’il n’y a
pas eu méconnaissance du droit à un recours effectif du requérant. Cet arrêt confirme
l’arrêt M. E. c. France 416, qui portait sur des faits similaires.
La CJUE a fait écho aux critiques de la Cour européenne des droits de l’homme.
Le mécanisme de la procédure prioritaire est envisagé par l’article 23 de la directive
Procédures 417, ce qui explique que celle-ci se soit prononcé sur ce dispositif. Dans une
affaire concernant l’Irlande, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que
les États membres disposaient d’une importante marge d’appréciation concernant la
procédure applicable et leur régime procédural. Néanmoins, elle a rappelé que la procédure prioritaire « doit pleinement permettre l’exercice des droits que ladite directive
confère aux demandeurs d’asile », même si ces derniers sont considérés comme originaires d’un pays d’origine sûre. En conséquence, « ces derniers doivent pouvoir bénéficier d’un délai suffisant pour rassembler et présenter les éléments nécessaires pour
étayer leur demande, permettant ainsi à l’autorité responsable de la détermination
d’effectuer un examen équitable et complet de ces demandes ainsi que de s’assurer
que les demandeurs ne sont pas exposés à des dangers dans leur pays d’origine 418 ».
Le plan d’action communiqué par la France au Comité des ministres du Conseil de
l’Europe concernant l’exécution de l’arrêt I. M. c. France annonçait un certain nombre
de réformes, qui n’ont pas vu le jour pour l’instant 419. À l’occasion de sa réponse aux
recommandations de l’examen périodique universel, la France a annoncé qu’« une
réflexion générale sur les politiques d’asile est engagée à l’occasion de la refonte des
directives communautaires sur l’asile ; l’objectif étant d’assurer un haut niveau de protection et de garantir des procédures justes, équitables et rapides aux personnes en
besoin de protection ».
Motivation des décisions de l’OFPRA et de la CNDA
La CEDH a, à plusieurs reprises, conclu que l’éloignement d’un demandeur d’asile
aboutirait à une violation de l’article 3 de la CESDH en raison du caractère sommaire
de la motivation des décisions de l’OFPRA et de la CNDA. La Cour estime que lorsque
le demandeur d’asile est originaire d’un pays où les traitements inhumains ou dégradants sont fréquents, et lorsque le demandeur fournit un certain nombre d’éléments
416. CEDH, 06/06/2013, M. E. c. France, Req. no 50094/10.
417. Directive no 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant
la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres.
418. CJUE, 31/01/2013, H. I. D et B. A, C-175/11.
419. France, Plan d’action (11/10/12), Communication de la France relative à l’affaire I. M. contre France
(Req. no 9152/09), 2012.
177

Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
concernant sa situation personnelle, il appartient à l’instance qui rejette cette demande
de motiver spécialement sa décision.
Dans l’affaire R. J. c. France, la CEDH a considéré qu’en raison de l’appartenance d’un
requérant de nationalité sri-lankaise à l’ethnie tamoule et du fait qu’il produisait un
certificat médical à l’appui de ses allégations de mauvais traitements subis lors de sa
détention, la Cour nationale du droit d’asile était tenue de motiver spécialement sa
décision. Elle ne pouvait se contenter d’affirmer que « le certificat en date du 3 février
2011 ne peut être regardé comme justifiant de l’existence d’un lien entre les constatations relevées lors de l’examen médical du requérant et les sévices dont il déclare avoir
été victime lors de sa détention », et devait dissiper « les fortes suspicions sur l’origine
des blessures du requérant ». Dans l’affaire Z. M. c. France 420, la Cour a considéré que
la décision de l’OFPRA rejetant la demande de protection internationale au motif qu’un
document produit par le demandeur « ne comporterait pas “toutes les garanties d’authenticité” devait être écartée » dès lors que la Cour « ne dispose, à cet égard, d’aucun
élément explicatif » de la décision de l’OFPRA. Enfin, dans l’affaire Mo. M. c. France 421,
la CEDH a écarté les décisions des instances compétentes en matière d’asile, en raison
de leur « motivation très succincte », celles-ci se bornant « à relever l’absence d’éléments probants (voir paragraphes 13 et 14) », et ne disposant « d’aucun élément explicatif ». Des considérations similaires ont motivé le constat de violation de l’article 3 par
la France dans l’affaire K. K. c. France 422 ou dans l’affaire N. K. c. France 423.
2. Accueil
Les demandeurs d’asile présents sur le territoire doivent bénéficier de conditions matérielles d’accueil décentes au sens de la directive no 2003/9/CE du 27 janvier 2003
relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États
membres. Cependant, le droit français ne permet pas à l’ensemble des demandeurs
d’asile de bénéficier du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile. Dans un
arrêt CIMADE et GISTI contre ministère de l’Immigration, la CJUE a pourtant souligné
que le droit de l’Union implique de faire bénéficier les demandeurs d’asile placés en
procédure prioritaire du droit aux conditions matérielles d’accueil décentes 424.
La privation du droit à conditions matérielles d’accueil décentes peut constituer une
atteinte grave et manifestement illégale au droit de solliciter le statut de réfugié, et
donc au droit constitutionnel d’asile ; en conséquence, les demandeurs d’asile peuvent
demander au juge des référés d’enjoindre à l’administration de procurer aux demandeurs des conditions matérielles d’accueil décentes 425. Cependant, dans un contexte
420. CEDH, 14/11/2013, Z. M. c. France, Req. no 40042/11.
421. CEDH, 18/04/2013, MO. M. c. France, Req. no 18372/10.
422. CEDH, 10/10/2013, K. K. c. France, Req. no 18913/11.
423. CEDH, 19/12/2013, N. K. c. France, Req. no 7974/11.
424. CJUE, 27/09/2013, CIMADE et GISTI contre MIOMCT, C-179/11.
425. CE, Juge des référés, 17/09/2009, Req. n o 331950.
178
d’augmentation des demandes d’asile, le dispositif national est dramatiquement sousdimensionné 426 et l’administration est dans l’impossibilité d’exécuter ces décisions.
S’annonce donc une nouvelle étape contentieuse, avec des décisions à venir d’instances internationales des droits de l’homme. Plusieurs requêtes sont pendantes devant
la CEDH 427.
Enfin, il convient ici de rappeler le principe selon lequel les demandeurs d’asile ne
doivent pas être privés de liberté le temps de l’instruction de leur demande. Le droit
français permet une telle privation dans un certain nombre de cas, notamment lorsque
les demandeurs d’asile sont placés en centre de rétention administratif. Le HCR a publié
des lignes directrices concernant les critères et standards applicables à la privation de
liberté des demandeurs d’asile et concernant les alternatives à la détention 428.
3. Champ du principe de nonrefoulement et notion de persécution
Persécution et terrorisme
À l’occasion de l’affaire Rafaa contre France 429 , la CEDH s’est opposée à l’extradition
d’un ressortissant marocain, militant sahraoui, soupçonné de terrorisme. La Cour a réaffirmé « le caractère absolu de la prohibition de la torture ou des peines ou traitements
inhumains et dégradants prévue par l’article 3 de la Convention, quels que soient les
agissements de la personne concernée, aussi indésirables et dangereux soient-ils ».
Elle a considéré que « les mauvais traitements réservés aux personnes soupçonnées de
participation à des entreprises terroristes persistent » et que l’extradition du requérant
aboutirait à une méconnaissance du droit au non-refoulement.
Persécution et liberté de religion
La CEDH s’est prononcée dans l’arrêt M. E. c. France 430 sur les risques que pourrait
comporter le renvoi vers l’Égypte d’un copte. Elle constate « les nombreuses violences
et persécutions subies par les chrétiens coptes d’Égypte » et « la réticence des autorités égyptiennes à poursuivre les agresseurs », mais refuse de « conclure à un risque
426. CNCDH, Avis sur les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, 15/12/2011.
427. CEDH, Affaire communiquée, 15/05/2012, Panohi et Atayi c . France 30027/12 ; Cour EDH, Affaire communiquée, 07/10/2013, Gjutaj et autres contre France.
428. UNHCR, Guidelines on the Applicable Criteria and Standards relating to the Detention of Asylum-Seekers
and Alternatives to Detention, 21/09/20025
429. CEDH, 30/05/2013, Rafaa c. France, Req. no 25393/10.
430. CEDH, 06/06/2013, M. E. c. France, Req. no 50094/10.
179

Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
généralisé, pour tous les Coptes », de telle sorte qu’il est nécessaire de rechercher
l’existence de « risques personnels ». En l’espèce, elle remarque que le requérant est
un prosélyte reconnu, et qu’il pourrait « être une cible privilégiée de persécutions et
de violences de la part d’intégristes musulmans, qu’il soit libre ou incarcéré. Même si
ces risques proviennent de personnes privées et non pas directement de l’État, l’absence de réaction de la part des autorités de police face aux plaintes déposées par les
chrétiens coptes, dénoncée par les rapports internationaux, instaure un doute sérieux
quant à la possibilité pour le requérant de recevoir une protection adéquate de la part
des autorités égyptiennes ». En conséquence, la Cour a constaté la méconnaissance,
par la France, du droit au non-refoulement.
Cet arrêt doit être replacé dans le contexte d’une augmentation du contentieux lié aux
persécutions religieuses. À l’occasion d’un arrêt du 5 décembre 2012, la CJUE a souligné
que toutes les atteintes à la liberté de religion ne sont « pas susceptibles de constituer
un “acte de persécution” » au sens de la directive qualification, mais que « l’existence
d’un acte de persécution peut résulter d’une atteinte à la manifestation extérieure
de ladite liberté 431 ». En conséquence, « les autorités compétentes doivent vérifier, au
regard de la situation personnelle de l’intéressé, si celui-ci, en raison de l’exercice de
cette liberté dans son pays d’origine, court un risque réel, notamment, d’être poursuivi ou d’être soumis à des traitements ou à des peines inhumains ou dégradants ».
Mutilations sexuelles féminines
Selon les données du HCR, la France est le premier pays de l’Union européenne à
accueillir des femmes, des fillettes et des jeunes filles qui craignent l’excision et les autres
mutilations sexuelles féminines. Par un arrêt d’Assemblée, le Conseil d’État a reconnu
le risque d’excision comme motif de persécution, ce qui lui ouvre droit à la protection
selon la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés. Une circulaire du
5 avril 2013 prévoit désormais la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant
la mention « vie privée et familiale » aux parents d’enfants bénéficiaires d’une protection internationale. Le délégué du HCR s’est félicité de la décision du Conseil d’État et
de ce que l’unité de la famille puisse être garantie à travers la délivrance de titres de
séjour aux parents des fillettes ou jeunes filles reconnues réfugiées 432.
Persécutions liées à l’identité et l’orientation
sexuelle
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a rappelé que « lorsque,
du fait de la situation dans leur pays d’origine, des personnes LGBT risquent d’être
soumises à la persécution, y compris la torture ou des peines ou traitements cruels,
431. CJUE, 05/09/2012, RFA c. Y. et Z., C-71/11 et C-99/11.
432. UNHCR, Trop de souffrance : mutilations génitales féminines et asile dans l’Union européenne, 17 avril 2013.
180
inhumains ou dégradants, elles sont en droit de demander l’asile dans un autre pays
et d’y bénéficier du statut de réfugié 433 ». Une requête avait été introduite concernant
le sort d’un Iranien homosexuel, qui n’avait pu déposer sa demande d’asile en France,
devant faire l’objet d’un renvoi vers la Grèce en application du règlement Dublin II. Elle
a cependant été radiée du rôle par la CEDH, les autorités ayant fait jouer la clause de
souveraineté postérieurement à l’introduction de la requête, ce qui a permis au requérant
de demander l’asile en France 434. Le Commissaire salue le fait qu’en France la notion
d’appartenance à un certain groupe social englobe l’orientation sexuelle, à l’inverse de
l’identité de genre. Il souligne quelques difficultés auxquelles est confronté l’ensemble
des États membres concernant le traitement des demandes d’asile liées à l’orientation
et l’identité sexuelles. Comment évaluer la pénalisation des relations entre personnes
de même sexe, qui peuvent rester clandestines pour éviter la pénalisation ? Comment
apprécier la crédibilité du demandeur d’asile, alors que ces demandes reposent sur des
aspects intimes de la vie privée ? Enfin, comment s’assurer que les demandeurs d’asile
LGBT ne rencontrent pas de difficultés pendant l’instruction de leur demande d’asile
dans les centres d’accueil ?
Disparitions forcées
Enfin, il convient de mentionner que le Comité des disparitions forcées a formulé
une recommandation pour que les disparitions forcées soient expressément reconnues
comme une persécution pour le droit français 435.
4. Interventions ponctuelles
Les instances internationales peuvent également intervenir ponctuellement pour s’assurer que le droit au principe de non-refoulement n’est pas méconnu. Par une lettre
conjointe du 10 février 2012 436, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, le Rapporteur spécial
sur le droit de réunion et d’association pacifiques, la Rapporteuse spéciale sur
la situation des défenseurs des droits de l’homme et le Rapporteur spécial sur
la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
433. Commissaire aux droits de l’ homme du Conseil de l’Europe, La discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre en Europe, 2011.
434. CEDH, Décision, 19/06/2012, K. N. c. France et al., Req. no 47129/09 411/10 63239/09.
435. Comité des disparitions forcées, Observations finales sur le rapport présenté par la France, 4e session,
19/04/2013, CED/C/FRA/CO/1
436. Lettre du 10/02/2012 du Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté
d’opinion et d’expression, du Rapporteur spécial sur le droit de réunion et d’association pacifiques, de la
Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs des droits de l’homme et du Rapporteur spécial sur la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants concernant l’extradition d’un journaliste algérien opposant.
181

Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
ont interpellé les autorités françaises concernant l’extradition de M. Mourad Dhina,
ressortissant algérien membre du mouvement d’opposition Rachad et directeur d’une
ONG basée à Genève. Les Rapporteurs attirent notamment l’attention des autorités
françaises sur le fait que cette extradition vise à « sanctionner son militantisme politique » ainsi que « ses activités de défense des droits de l’homme ». Le 4 juillet 2012, la
chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris s’est opposée à son extradition 437.
437. La France n’extradera pas l’opposant algérien Mourad Dhina, Le Monde, 04/07/2012.
182
Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration

Chapitre 4
Entrée, séjour et éloignement
des étrangers
À l’inverse des demandeurs d’asile, les étrangers de droit commun ne bénéficient pas,
prima facie, d’un droit au séjour : l’État dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Cela
ne signifie pas pour autant que les étrangers ne bénéficient pas de droits. La FRA a
rappelé 438 que le droit international des droits de l’homme et le droit européen des
droits de l’homme imposent de garantir les droits fondamentaux des étrangers, même
s’ils sont en situation irrégulière. Or la politique de lutte contre l’immigration irrégulière
fragilise les droits de personnes déjà en situation de vulnérabilité.
1. Droit au séjour et regroupement
familial
Peu d’instances internationales se sont prononcées sur cette problématique lors de
la période de référence. Il est néanmoins possible de citer les conclusions du CEDS
pour 2011 439, concernant la mise en œuvre par la France de l’article 19, paragraphe 6,
de la CSER concernant le droit regroupement familial. Nous rappellerons que la procédure de regroupement familial est la procédure qui permet à un étranger en situation
régulière de faire venir en France sa famille. La procédure doit notamment respecter
l’article 8 de la CESDH ou la directive no 2003/86/CE relative au droit au regroupement
familial. Les obligations pesant au titre de l’article 19 de la CSER sont moins connues.
Le CEDS conclut à une violation de l’article 19 en raison de la trop longue durée minimale de résidence, qui est de dix-huit mois, ce qui est jugé excessif par le Comité.
438. FRA, Les Droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière dans l’Union européenne. Rapport
comparatif, 2012
439. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
183
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
2. Identification des étrangers
en situation irrégulière
Interpellation
La FRA 440 a dénoncé les interpellations à proximité des services publics, celle-ci constituant « certainement l’une des mesures les plus graves en matière d’atteinte aux droits
fondamentaux des migrants en situation irrégulière. En pratique, la crainte de l’arrestation pousse les migrants à éviter ces prestataires et donc revient à les priver de leurs
droits fondamentaux 441 ». Elle s’est également montrée très réservée à l’égard des
interpellations au domicile des étrangers, technique qui a été utilisée en France. Or
« chasser des migrants en situation irrégulière du foyer dans lequel ils ont installé leur
vie privée et familiale équivaut à les jeter à la rue sans aucun abri. Dans de telles situations, l’éviction peut être considérée comme une réponse disproportionnée par rapport
à l’objectif de contrôle de la migration irrégulière poursuivi par l’État ».
Pénalisation du séjour irrégulier
L’un des volets de la lutte contre l’immigration irrégulière était la pénalisation du séjour
irrégulier, qui pouvait être sanctionné d’un an d’emprisonnement. Cette pénalisation
permettait le recours à des techniques réservées en principe à la procédure pénale :
interpellation, garde à vue, obligation des fonctionnaires d’informer le procureur de la
République des délits.
Dans un arrêt du 28 avril 2011 442, la CJUE a considéré que la directive relative aux normes
et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants
de pays tiers en séjour irrégulier « s’oppose à une réglementation nationale infligeant
une peine d’emprisonnement à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier qui ne
se conforme pas à un ordre de quitter le territoire national ». Si un doute pouvait subsister quant à la conformité du droit français, il a été dissipé par l’arrêt Achughbabian
c. Préfet du Val-de-Marne 443, qui a constaté l’incompatibilité de l’article L. 621-1 du
CESEDA avec le droit de l’Union. La Cour de cassation a tiré les conséquences de cet
arrêt ; elle a retenu que « l’étranger en simple séjour irrégulier n’encourt pas l’emprisonnement prévu par l’article L. 621-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers
et du droit d’asile (CESEDA) et en conséquence ne peut être placé en garde à vue à
l’occasion d’une procédure de flagrant délit diligentée de ce seul chef 444 ».
440. FRA, Les droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière dans l’Union européenne, 11/2011.
441. Ibid.
442. CJUE, 28/04/2011, Hassen El Dridi, alias Soufi Karim c. Italie, C-61/11.
443. CJUE, 06/12/2011, Alexandre Achughbabian /Préfet du Val-de-Marne, C-329/11.
444. CNCDH, Avis sur le projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour, 12/11/2011.
184
Cette jurisprudence a donc conduit à neutraliser une partie du dispositif de lutte contre
l’immigration irrégulière. La loi du 31 décembre 2012 445 a tiré les conséquences de
celle-ci : elle a singulièrement réduit le champ du délit de séjour irrégulier 446, et a créé
une nouvelle procédure, la retenue pour vérification du droit au séjour. La CNCDH s’est
auto-saisie de ce projet de loi et a formulé un certain nombre de recommandations,
dont certaines ont été entendues par le législateur 447.
3. Pénalisation de l’aide
au séjour irrégulier
Les instances internationales se sont également prononcées sur le délit d’aide à l’entrée, à la circulation et au séjour irrégulier 448. La CJUE a considéré que délit d’aide à
l’immigration illégale commis dans un but lucratif et en bande organisée n’était pas
contraire au droit communautaire 449. Pose plus de difficultés l’aide au séjour désintéressée. La FRA s’est montrée réservée sur une application extensive de ce délit 450. Dans un
arrêt Mallah contre France 451, la CEDH a rejeté le recours introduit par un ressortissant
marocain qui avait été condamné pour avoir hébergé, de manière désintéressée son
gendre, alors en situation irrégulière. Elle considère que cette condamnation ne porte
pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale du
requérant, dès lors que la personne condamnée a bénéficié d’une dispense de peine.
La loi du 31 décembre 2012 a permis l’élargissement des immunités prévues par l’article
L. 622-4 du CESEDA ; ne peut désormais faire l’objet de poursuites l’aide au séjour irrégulier d’un étranger lorsqu’elle est le fait « des ascendants ou descendants de l’étranger,
de leur conjoint, des frères et sœurs de l’étranger ou de leur conjoint » ; « du conjoint
de l’étranger, de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui, ou des
ascendants, descendants, frères et sœurs du conjoint de l’étranger ou de la personne
qui vit notoirement en situation maritale avec lui » ; « de toute personne physique ou
morale, lorsque l’acte reproché n’a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration,
d’hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes
et décentes à l’étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l’intégrité physique de celui-ci ».
445. Loi no 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et
modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées publiée
au Journal officiel.
446. Voir l’article 9 de la loi no 2012-1560.
447. Ibid.
448. Voir notamment, à ce sujet, CNCDH, Avis sur l’aide à l’entrée à la circulation et au séjour irréguliers,
19/11/2009.
449. CJUE, 10/04/2012, Minh Khoa Vo, C-83/12 PPU.
450. FRA, Les Droits fondamentaux des migrants en situation irrégulière dans l’Union européenne, 2012, 11/2011.
451. CEDH, 10/11/2011 Mallah contre France, Req. no 29681/08.
185

Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
La FRA a publié une étude sur la pénalisation du séjour irrégulier et de l’aide au séjour
irrégulier qui retrace ces différentes évolutions 452.
4. Placements en rétention
En droit français, les personnes qui font l’objet d’une décision d’éloignement et qui
ne peuvent quitter immédiatement le territoire français peuvent être placées en rétention par l’autorité administrative dans des locaux ne relevant pas de l’administration
pénitentiaire 453. Selon un rapport interassociatif, 43 746 personnes ont été placées en
rétention en France en 2012 (23 537 dans l’Hexagone, 20 209 outre-mer) 454. Lors de
sa visite au centre de rétention de Geispolsheim, le Commissaire aux droits de l’homme
a souligné la souffrance psychologique des personnes retenues 455.
Alternatives au placement en rétention
La recherche d’alternatives au placement en rétention est devenue une obligation à la
suite de l’adoption de la directive no 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux
normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Le droit de l’Union est à ce titre conforme
aux recommandations de l’Assemblée générale des Nations unies, qui dans sa résolution 63/184, a prié les États « d’adopter des mesures autres que la rétention ». Le
Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants a
consacré une part importante de son premier rapport 456 à l’identification de différentes
alternatives à la rétention. Celles-ci doivent obéir aux mêmes règles que le recours à la
rétention, et ne doivent être prises qu’après un examen individualisé, et uniquement
si elles sont nécessaires et proportionnées au but recherché.
Cette obligation a également été consacrée par la CEDH dans son arrêt Popov c. France,
du 19 février 2012 457 : elle considère, concernant l’article 8 que, pour être proportionnée au but poursuivi, la rétention doit être la plus brève possible, et, concernant
l’article 5.1. f, qu’il appartient à l’autorité administrative de rechercher des alternatives à la rétention. En l’espèce, la CEDH a condamné la France, aucune alternative
n’ayant été recherchée.
452. FRA, Criminalisation of Migrants in an Irregular Situation and of Persons Engaging With Them, 03/2014.
453. Article L. 551-1 du CESEDA.
454. ASSFAM, forum réfugiés, France Terre d’Asile, La Cimade, Ordre de Malte, Centres et locaux de rétention administrative, Rapport 2012.
455. Nils Muizneks, 4e Rapport trimestriel d’activité pour 2013, 2014.
456. Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, François Crépeaux, Étude régionale : la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne et ses incidences sur les droits de l’homme des migrants,
24/04/2013, A/HRC/23/46.
457. CEDH, 19/01/2012, Popov c. France, Req. nos 39472/07 et 39474/07.
186
Il n’existe pas, actuellement, de données exhaustives concernant le recours aux alternatives à la rétention : celles-ci sont notamment utilisées concernant les familles avec
enfants (voir ci-dessous). Une réflexion a été engagée par le ministère de l’Intérieur qui
a consulté la société civile et les autorités administratives indépendantes.
Conditions de rétention
Lors de sa venue en France du 28 novembre au 10 décembre 2010, le CPT a visité
les centres de rétention administrative (CRA) nos 2 et 3 de Vincennes, et le CRA de
Rouen-Oissel 458.
Il a constaté que ces deux établissements étaient mal chauffés, et que les personnes
retenues ne pouvaient pas toutes bénéficier de meubles pouvant être fermés à clé. Eu
égard au régime de rétention, le CPT se félicite de la politique de « portes ouvertes »
qui permet aux personnes retenues de circuler librement. Il a également constaté une
insuffisante prise en charge psychologique des personnes retenues. Le CPT a également constaté des défaillances dans l’organisation systématique d’examens médicaux
à l’entrée et en cas de retour dans un centre d’éloignement en raison de la résistance
de la personne concernée. Le Comité a regretté l’absence de formation spécialisée
des fonctionnaires de police appelés à travailler en centre de rétention, et l’absence
d’un registre spécifique des mises à l’écart, où devraient être consignées les modalités de cette mise à l’écart. Enfin, la complexité du règlement intérieur des CRA, dont
certaines parties sont « difficilement compréhensibles », a été soulignée. Outre ces
remarques, le CPT a jugé les conditions de rétention « globalement bonnes » aux CRA
nos 2 et 3 de Vincennes. Il a néanmoins identifié un problème concernant la présence
insuffisante des infirmières.
S’agissant du CRA de Rouen Oissel, le CPT souligne que, si aucune allégation de mauvais
traitement n’a été recueillie, les personnes retenues ont fait part de propos méprisants
de la part du surveillant. De plus, le CPT s’est montré critique à l’égard du port, par le
personnel de surveillance, de matraques télescopiques, pratique qui « n’est pas propice
à l’établissement de bonnes relations entre les surveillants et les personnes retenues ».
Le CPT s’est également montré réservé sur les conditions matérielles de rétention dans
ce CRA. Il a regretté que les personnes retenues ne puissent avoir suffisamment accès
à la grande cour extérieure, et que peu d’activités leur soient proposées. Il a constaté
aussi un nombre insuffisant de dentistes.
Le Comité des disparitions forcées a également formulé des recommandations dans
ses observations finales concernant le droit de communication des personnes placées
en centre de rétention ; il a recommandé que le droit de communiquer avec l’extérieur
soit reconnu à toutes les personnes retenues, et ne puisse faire l’objet de restrictions
après l’expiration d’un délai de quarante-huit heures.
458. CPT, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France du
28 novembre au 10 décembre 2010, 19/04/2012, (CPT) Rapport [CPT/Inf (2012) 13].
187

Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Enfants en rétention
La CEDH s’est également prononcée sur les conditions du placement en rétention des
familles avec enfants dans l’arrêt Popov contre France du 19 février 2012. Un couple
de ressortissants kazakhstanais et leurs deux enfants de cinq mois et trois ans ont fait
l’objet d’une obligation de quitter le territoire, et ont été placés en rétention. La Cour
a relevé un certain nombre violations : elle a considéré, d’une part, que le placement
en rétention des enfants avait été constitutif de traitements inhumains et dégradants,
en raison « des conditions matérielles inadaptées », de « la promiscuité, le stress, l’insécurité et l’environnement hostile » pour des enfants en bas âge. Elle considère néanmoins que le seuil n’a pas été atteint pour les parents. Elle a également jugé que le
placement en rétention avait méconnu le droit au respect de la vie privée et familiale
de l’ensemble de la famille, l’atteinte n’étant pas nécessaire, dès lors que des alternatives à l’enfermement n’avaient pas été recherchées ; en outre, la Cour a estimé que le
placement en rétention avait méconnu les articles 5.1. f et 5.4 de la CESDH, en soulignant notamment que les enfants n’avaient pas été en mesure de contester la décision de placement.
Une circulaire 459 est venue limiter les cas dans lesquels il est possible de placer en rétention les familles avec enfants ; celle-ci incite à préférer les alternatives au placement en
rétention pour les familles avec enfants. Cet arrêt a donné lieu à une communication
conjointe de la CNCDH et du Défenseur des droits devant le Comité des ministres 460,
dans la phase de surveillance de l’exécution de l’arrêt. Cette communication constatait
une baisse du nombre de placements en rétention des familles avec enfants : entre le
6 juillet 2013, date de publication de la circulaire, et le 31 décembre 2013, dix-huit
familles auraient, selon le ministère de l’Intérieur, été placées en centre de rétention 461.
Elle soulignait néanmoins que les hypothèses dans lesquelles il y avait eu placement
en rétention de famille avec enfants méconnaissaient l’article 5 de la CESDH. En effet,
l’arrêt Popov condamne l’ensemble de la procédure française aboutissant au placement en rétention des familles avec enfants, dès lors que les enfants sont dépourvus
d’existence juridique pendant toute la procédure : ils suivent leurs parents, et ne font
donc l’objet ni d’une obligation de quitter le territoire, ni d’un arrêté de placement en
rétention, et leur privation de liberté n’est jamais contrôlée par un juge.
459. Circulaire du 6/07/2012 relative à la mise en œuvre de l’assignation à résidence prévue a l’article L561-2
du CESEDA, en alternative au placement des familles en rétention administrative sur le fondement de l’article L551-1 du même code.
460. CNCDH et Défenseur des droits, Communication au Comité des ministres du Conseil de l’Europe relative à l’arrêt Popov c. France, 30/04/2013.
461. Assemblée nationale, xive législature, session ordinaire de 2013-2014, Compte rendu intégral, Deuxième
séance du jeudi 30/01/2014 : questions au ministre de l’Intérieur.
188
Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration

Contrôle du juge judiciaire
Le Comité des disparitions forcées a regretté que les personnes placées en rétention administrative ne puissent accéder à un juge qu’après un délai de cinq jours. Cet
allongement du délai résulte d’une modification législative intervenue lors de l’adoption
de la loi sur l’immigration, l’intégration et la nationalité : alors que le juge des libertés et de la détention intervenait au bout de quarante-huit heures, ce délai a désormais été porté à cinq jours 462. Il en découle qu’un nombre important de personnes
retenues n’est jamais présenté au juge des libertés et de la détention (JLD) 463, qui est
pourtant le seul juge compétent pour se prononcer sur la régularité de la procédure
de privation de liberté.
Dans un arrêt remarqué 464, la CJUE a éclairé le sens de l’article 15 de la directive
no 2008/115/CE concernant l’étendue du contrôle de l’autorité judiciaire statuant sur
une demande de prolongation du placement en rétention. Elle a souligné qu’« une
autorité judiciaire statuant sur une demande de prolongation de rétention doit être
en mesure de statuer sur tout élément de fait et de droit pertinent pour déterminer si
une prolongation de la rétention est justifiée », et donc « être en mesure de substituer
sa propre décision à celle de l’autorité administrative ». Cet arrêt concerne le système
bulgare, qui est quelque peu différent du système en vigueur en France. Néanmoins, la
compatibilité de la situation française avec les prescriptions de la CJUE pose question 465.
La mise en place d’audiences délocalisées ne concerne pas uniquement la zone d’attente de Roissy : une annexe au TGI de Meaux devrait être installée dans le CRA du
Ménil-Amelot. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a
formulé à l’encontre de ces audiences délocalisées des critiques identiques à celles portant sur la zone d’attente 466. Nous renverrons ici aux développements pertinents dans
la partie consacrée à l’entrée en France et au maintien en zone d’attente.
5. Droits des étrangers Outre-mer
Les différentes collectivités d’outre-mer, qu’il s’agisse de départements et régions d’outremer ou de collectivités de l’article 74 de la Constitution, sont confrontés à des difficultés
propres concernant le droit des étrangers et le droit d’asile. Le droit applicable y est largement dérogatoire, et le nombre d’éloignements important. Deux départements sont
462. Article L. 552-1 du CESEDA.
463. ASSFAM, forum réfugiés, France Terre d’Asile, La Cimade, Ordre de Malte, Centres et locaux de rétention administrative, Rapport 2012.
464. CJUE, 05/06/2014, Bashir Mohamed Ali Mahdi, C 146/14 PPU.
465. Serge Slama, « Rétention : le JLD doit-il désormais exercer un contrôle de pleine juridiction lors de la prolongation ? Brèves remarques à propos de l’arrêt de la CJUE du 5 juin 2014, Mahdi, affaire C-146/14 PPU »,
Combats pour les droits de l’homme, 05/06/2014.
466. Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Lettre à la ministre de la Justice concernant la mise en place d’audiences délocalisées au Centre de rétention du Ménil-Amelot et à la ZAPI III, 2013.
189
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
particulièrement exposés : 13 001 éloignements ont été réalisés à Mayotte en 2012,
9 757 en Guyane, contre 21 841 éloignements réalisés depuis la métropole (36 822 si
l’on y ajoute les départs aidés) 467. S’il n’existe pas d’analyse systématique des instances
internationales sur la situation des droits des étrangers outre-mer, celles-ci se sont prononcées, dans la période de référence sur deux sujets : les décès en mer dans l’océan
Indien, lors de la traversée depuis les Comores vers Mayotte, et l’absence de recours
effectif pour les étrangers faisant l’objet d’une décision d’éloignement en Guyane.
Concernant les décès en mer dans l’océan Indien, Le HCR a rappelé « les risques encourus par des personnes désespérées qui fuient la pauvreté, le conflit et la persécution »,
certaines de ces personnes souhaitant notamment demander l’asile en France. Il a souligné « que l’ensemble des contrôles aux frontières et autres mesures doit permettre
d’identifier les personnes en quête d’une protection contre la persécution et le conflit,
et que ces personnes aient accès à la procédure pour évaluer leurs besoins 468 ».
La CEDH s’est prononcée, dans l’arrêt De Souza Ribeiro contre France 469, sur la conformité à la CESDH de l’éloignement depuis la Guyane d’un étranger vers le Brésil sans
qu’il ait bénéficié d’un recours suspensif. Dans l’Hexagone, le CESEDA prévoit que le
recours introduit devant le juge administratif contre l’obligation de quitter le territoire
dans le délai de recours contentieux suspend celle-ci. Cependant, les garanties existant sur le territoire hexagonal ne s’appliquent pas à la totalité du territoire français,
et notamment pas en Guyane : le recours contre la décision d’éloignement n’y est pas
suspensif. Dans l’affaire De Souza Ribeiro, le requérant avait été « interpellé le matin du
25 janvier 2007, le requérant fit l’objet d’un APRF et fut placé en rétention administrative le même jour à 10 heures, pour être ensuite éloigné le lendemain à 16 heures. Il
a donc été éloigné de Guyane moins de trente-six heures après son interpellation ». Le
requérant a saisi le tribunal administratif le 26 janvier 2007 à 15 heures et 11 minutes,
et a été éloigné vers le Brésil le même jour à 16 heures. Dans un premier temps, la
CEDH a, par un arrêt de chambre du 30 juin 2011 470, rejeté la requête, considérant
que la France n’avait pas méconnu la Convention « compte tenu de la marge d’appréciation dont les États jouissent en pareille matière ».
M. De Souza Ribeiro a demandé le renvoi de son affaire devant la grande chambre,
et le collège a fait droit à sa demande. Par un arrêt en date du 13 décembre 2012,
la grande chambre de la Cour a déclaré à l’unanimité que la France avait méconnu
l’article 13 combiné à l’article 8 de la Convention. Elle a notamment estimé que les
référés, qui auraient pu permettre à l’étranger d’obtenir la suspension de la décision
d’éloignement, ne pouvaient pas être considérés comme un recours effectif en raison du « caractère excessivement bref du délai écoulé entre la saisine du tribunal et
467. Comité interministériel de contrôle de l’immigration, Les Étrangers en France. Rapport 2012, 02/2014.
468. Adrian Edwards, porte-parole du HCR, « Naufrage au large de Mayotte. Des passagers sont morts
noyés et d’autres sont portés disparus », Points de presse, 09/10/2012 ; Andrej Mahecic, porte-parole du
HCR, « Naufrage tragique au large de l’île de Mayotte dans l’océan Indien », Points de presse, 22/05/2012.
469. CEDH, grande chambre, 13/12/2012, De Souza Ribeiro c. Frnce, Req. no 22689/07.
470. CEDH, 30/06/2011, De Souza Ribeiro c. France, Req. no 22689/07.
190
l’exécution de la décision d’éloignement », qui avait empêché le juge des référés de se
prononcer avant que l’ordonnance ne fût rendue.
Le nombre d’éloignements réalisés depuis l’outre-mer explique en partie que la surveillance de l’arrêt ait été orientée vers la procédure soutenue. Selon la communication de
la France relative à l’affaire De Souza Ribeiro contre France 471, une note a été adressée
par le ministre de l’Intérieur le 5 avril 2013 aux préfets de Guadeloupe et de Guyane
afin de leur rappeler le respect « des règles ou bonnes pratiques rappelées par la Cour
de Strasbourg 472 », « notamment, l’examen particulier de la situation personnelle et
familiale de chaque étranger interpellé, la motivation en droit et en fait, exclusive de
tout stéréotype, de chaque mesure d’éloignement ainsi que la notification à l’intéressé de cette mesure avec l’indication des voies et délais de recours et la notification
de ses droits en cas de placement en rétention ». Dans l’hypothèse où une action en
référé a été engagée, « les préfets concernés ont été expressément invités à reporter
la mise en œuvre de l’éloignement jusqu’à ce que le juge des référés se soit prononcé
lorsque le requérant a invoqué, à l’appui de sa demande en référé, des “griefs défendables”, c’est-à-dire des moyens étayés et sérieux tirés de la situation de l’intéressé ».
Une lettre d’une portée similaire a été adressée au préfet de Mayotte, celle-ci faisant
suite à une ordonnance de référé du tribunal administratif de Mayotte 473, qui tirait les
conséquences de la position de la CEDH dans l’arrêt De Souza Ribeiro.
471. Communication de la France relative à l’affaire De Souza Ribeiro contre France (requête no 22689/07).
472. Réponse du ministère de l’Intérieur à la question n° 16582 de Sergio Coronado, publiée au Journal officiel le 15/10/2013, p. 10872.
473. TA Mayotte, ord., 28/01/2013, Req. no 130023.
191

Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 5
Droits des étrangers présents
sur le territoire
Lors du recensement de 2010, 3 817 562 étrangers, dont 1 339 284 ressortissants de
l’UE, étaient présents sur le territoire français 474. Ceux-ci sont, selon la Commission
d’experts de l’OIT 475, confrontés à « des problèmes majeurs », « notamment sous
la forme de perceptions négatives de la population immigrée, d’une discrimination
généralisée et de mauvaises conditions de logement ». L’on distinguera ici deux problématiques : les discriminations à l’égard des étrangers en situation régulière, et les
conséquences de la politique d’intégration. L’on renverra vers d’autres développements
de ce rapport concernant par exemple la traite et l’exploitation, les discriminations, ou
les droits économiques et sociaux, certains droits n’étant, par ailleurs, pas conditionnés par la régularité du séjour.
À l’occasion de l’EPU, quatorze États ont recommandé à la France de ratifier la Convention
des Nations unies sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres
de leur famille. La France a refusé ces recommandations. Son argumentation s’articule
autour de deux points : d’une part, la France est partie à la plupart des conventions
internationales en matière de droits de l’homme, qui couvrent l’essentiel des droits
reconnus par cette Convention. Certains États s’opposent à cette affirmation, considérant que cette Convention apporte une protection supplémentaire 476. D’autre part, le
Gouvernement souligne que « comme les dispositions de la Convention relèvent pour
partie de la compétence de l’Union européenne, les États membres ne sont plus en
droit d’y adhérer unilatéralement 477 ». Nous renverrons ici aux développements relatifs
à l’Union européenne ; si le droit de l’Union fait effectivement obstacle à une adhésion unilatérale à cette Convention, l’UE peut néanmoins autoriser cette ratification.
Si la France n’est pas partie à la Convention des Nations unies, elle est partie à la
Convention no 97 de l’OIT sur les travailleurs migrants. À la différence de la première,
celle-ci ne reconnaît des droits qu’aux travailleurs en situation régulière. La France
n’a pas non plus ratifié la Convention no 143 de l’OIT sur les travailleurs migrants. La
Commission d’experts de l’OIT a examiné la situation de la France à l’égard de la
Convention no 97 en 2013 478. Le CEDS s’est également prononcé sur cette question
lors de ses conclusions de 2011 479, publiées en 2012, à propos de la mise en œuvre
474. Site internet de l’INSEE.
475. Commission d’experts de l’OIT, Observations : Convention no 97 sur les travailleurs migrants, 102e session CIT (2013), 2012.
476. Paragraphe 79 et Reco. no 120.13 de l’EPU.
477. France, Réponse à l’EPU.
478. Commission d’experts de l’OIT, op. cit.
479. CEDS, Conclusions 2012 (France), 01/2012.
192
par la France de l’article 19 de la CSER relatif au droit des travailleurs migrants et de
leurs familles à la protection et à l’assistance.
1. Discriminations à l’égard
des étrangers en situation régulière
La Commission d’experts de l’OIT s’est montrée critique à l’égard du dispositif de
lutte contre les discriminations dont peuvent souffrir les étrangers en situation régulière : elle a rappelé en effet que « les dispositions de l’article 6 de la Convention n’envisagent pas l’égalité de traitement uniquement en droit mais aussi dans la pratique ».
En conséquence, elle a prié « le Gouvernement d’indiquer en détail les dispositions
légales pertinentes appliquant aux travailleurs migrants un traitement qui ne soit pas
moins favorable que celui qu’il applique à ses propres ressortissants », et « les mesures
prises pour faire en sorte que le principe de l’égalité de traitement soit effectivement
appliqué dans la pratique », en ce qui concerne le droit du travail, y compris son volet
collectif, le droit au logement, le droit fiscal, le droit à la sécurité sociale et les actions
en justice, « en indiquant toute différence pouvant exister entre les diverses catégories
de travailleurs immigrés ». Une attention particulière est portée au droit au logement et
au sort des femmes migrantes. Elle s’est par ailleurs montrée préoccupée à l’égard du
« coût pour les travailleurs migrants des examens médicaux exigés lors de leur entrée
en France et des frais facturés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration
aux travailleurs étrangers pour la délivrance ou le renouvellement des titres de séjour
autorisant l’emploi ».
Le CEDS a relevé quant à lui que « les pratiques discriminatoires restent extrêmement
répandues et socialement admises en France », et rappelle, concernant l’affiliation aux
syndicats qu’ « il ne suffit pas pour un gouvernement de prouver l’absence de discrimination sur les seules règles de droit, mais qu’il lui appartient de prouver aussi qu’aucune
discrimination n’est pratiquée en fait ou d’informer les organes de contrôle des mesures
pratiques prises pour y remédier ». Il demande en conséquence au Gouvernement de
fournir une description complète et à jour de la situation, et conclut à la méconnaissance l’article 19, paragraphe 4 de la CSER par la France.
2. Politiques d’intégration
La politique d’intégration des étrangers « repose en France sur la construction d’un parcours d’intégration depuis l’accueil de l’immigré jusqu’à son éventuelle acquisition de la
nationalité française. Cette politique est organisée par l’Office français de l’immigration
193

Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
et de l’intégration (OFII), en lien avec les services déconcentrés de l’État 480 ». Le Contrat
d’accueil et d’intégration (CAI) est l’un des outils utilisés par l’OFII pour « favoriser l’intégration dans la société française des étrangers admis pour la première fois au séjour
en France et qui souhaitent s’y installer durablement », ainsi que le note le CEDS. Le
Comité reprend les critiques formulées par l’ECRI, et rappelle que « tout système de
sanction ou de droit conditionné à l’intégration devrait être fondé sur le principe de
proportionnalité entre le but poursuivi et les mesures prises pour atteindre ce but, et
que l’appréciation du respect de la condition d’intégration devrait se faire dans le plein
respect de la diversité en évitant tout risque d’arbitraire ». En conséquence, il demande
aux autorités françaises de fournir « des données chiffrées concernant les éventuelles
décisions de non-renouvellement des titres de séjour de ressortissants d’États parties à
la Charte au motif du non-respect, par l’étranger, des stipulations du Contrat d’accueil
et d’intégration ainsi que les litiges auxquels ces décisions ont donné lieu ». Le sujet préoccupe également la Commission d’experts d’OIT, qui demande au « Gouvernement
de fournir des informations sur la mise en œuvre des cours d’intégration, en précisant
dans quelle mesure les participants ont été obligés de participer à ces cours, ainsi que
sur les sanctions imposées à ceux qui n’y participent pas 481 ».
Concernant le droit à l’enseignement de la langue de l’État d’accueil, protégé par l’article 19, paragraphe 11, de la Charte, le CEDS 482 demande un certain nombre d’éléments
avant de se prononcer sur la conformité de la situation : la proportion de travailleurs
migrants ne parlant pas français, le nombre de classes de français pour travailleurs
migrants, et les conditions d’accès notamment financières à ces cours. Concernant
l’enseignement de la langue maternelle du migrant, qui est protégé par l’article 19,
paragraphe 12, la France apporte quelques éléments d’information concernant la mise
en place d’enseignements de la langue et de la culture d’origine dès l’école primaire.
Cependant, le rapport de la France n’apporte aucune réponse aux demandes du CEDS
concernant les enseignements et les soutiens existant en dehors du système scolaire,
de telle sorte que le Comité estime que la situation n’est pas conforme à la charte.
480. Réponse de la France aux recommandations de l’EPU.
481. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 97 sur les travailleurs migrants (révisée), 102e session CIT (2013), 2012.
482. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
194
Analyse thématique – Droits et libertés dans un contexte de migration

FOCUS – Protection des mineurs isolés étrangers présents
sur le territoire Les mineurs isolés étrangers apparaissent, malgré leur statut protecteur en droit des
étrangers 483, « parmi les enfants les plus défavorisés et les plus vulnérables à toute forme
d’exploitation » 484 selon la Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution
des enfants et la pornographie impliquant des enfants. Ils sont estimés entre 6 000 et
8 000 485 ; leur prise en charge fait l’objet d’une importante polémique (concernant la
prise en charge des mineurs isolés étrangers en zone d’attente, voir plus haut). Ils sont un
sujet de préoccupation pour la Commission européenne qui a adopté un plan d’action
sur les mineurs non accompagnés 486, dans lequel elle insiste sur l’importance de prendre
en compte l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le premier problème tient à la preuve de la minorité. Le recours aux tests osseux, qui
est très largement pratiqué, ne fait pas consensus pour le milieu médical, qui relève que
ceux-ci ont « des marges d’erreur d’au moins dix-huit mois, notamment à partir de quinze
ans ». Or « les enfants déclarés majeurs » à suite d’un test osseux « sont alors soit exclus
immédiatement du dispositif de l’ASE – sans même leur laisser le temps d’apporter les
preuves de leur minorité, les laissant ainsi du jour au lendemain seuls, à la rue, sans argent
ni repères –, soit placés dans des centres de rétention en attendant leur expulsion 487 ».
Des critiques similaires sont formulées par le GRETA concernant les victimes de traite
(voir la partie consacrée à la traite).
Un rapport de l’OIM 488 a relevé quelques problèmes auxquels sont confrontés les mineurs
présents sur le territoire : ceux qui souhaitent demander l’asile sont mal informés de leurs
droits ; le système de représentation légale (administrateur ad hoc, tuteurs) est insuffisant, et certains mineurs ignorent qu’ils en ont un. Surtout, certains mineurs ne sont pas
hébergés pendant de longues périodes, alors que d’autres sont hébergés en hôtel, et
n’en restent pas moins isolés, faute de prise en charge sociale. La Rapporteuse spéciale
sur la vente d’enfants souligne les tensions entre conseils généraux et l’État, chacun
estimant qu’il revient à l’autre de s’occuper des mineurs isolés étrangers. Cette tension
fragilise encore plus le sort des mineurs, dont le sort varie d’un département à l’autre,
en raison du dépassement des capacités de certains départements.
Le Parlement européen a adopté une résolution qui « condamne vivement les lacunes
existant en matière de protection des mineurs non accompagnés au sein de l’Union
européenne et dénonce les conditions d’accueil souvent déplorables de ces mineurs
ainsi que les nombreuses violations de leurs droits fondamentaux dans certains États
membres 489 » et recommande d’améliorer la prise en compte de l’intérêt supérieur de
483. Ils ne sont pas tenus de détenir un titre de séjour et ne peuvent faire l’objet d’une décision d’éloignement.
484. Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant
des enfants, Najat Maalla M’jid, Rapport sur la mission en France, 29/02/2012, A/HRC/19/63/Add.2.
485. Ibid.
486. Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil. Plan
d’action pour les mineurs non accompagnés (2010-2014), 06/05/2010, COM/2010/0213.
487. Najat Maalla M’jid, op. cit.
488. Blanka Hancilova, Bernadette Knauder, Unaccompanied Minor Asylum-seekers : Overview of Protection,
Assistance and Promising Practices, OIM, 12/2011.
489. Parlement européen, Résolution du Parlement européen du 12 septembre 2013 sur la situation des
mineurs non accompagnés dans l’Union européenne (2012/2263(INI)).
195
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
l’enfant. Une circulaire 490 a été publiée pour répondre à ces difficultés. Elle fait l’objet de
fortes critiques de la part de la société civile. La CNCDH a, dans son avis de 2014 sur la
situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national, fait un état des
lieux un an après la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge
des jeunes isolés étrangers.
À l’occasion de sa réponse à l’EPU, le Gouvernement a rappelé que « les mineurs isolés
étrangers relèvent du droit commun de la protection de l’enfance », s’agissant de jeunes
« privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille » (cf. art. L. 112-3
du code de l’action sociale et des familles). En conséquence, selon le Gouvernement, leur
prise en charge ressort de la compétence des départements. Le Gouvernement souligne
ainsi qu’« une des difficultés majeures tient à ce que les flux d’arrivée de ces jeunes se
concentrent sur quelques territoires. La charge pour les départements les plus impactés
est alors très lourde, ce qui fragilise l’ensemble des services de protection de l’enfance
et nuit aux capacités d’intégration de ces jeunes ».
Enfin, le sort des jeunes majeurs isolés est également préoccupant. Ils ne peuvent alors
bénéficier du statut protecteur reconnu aux enfants, et peuvent être éloignés à tout
moment. La Commission permanente de l’APCE a, à ce propos, adopté une résolution
invitant à « créer une catégorie de transition, se situant entre dix-huit et vingt-cinq ans,
afin d’aider les jeunes migrants 491 ».
490. Circulaire du 31/05/2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes isolés étrangers : dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation NOR : JUSF1314192C.
491. APCE, Enfants migrants : quels droits à dix-huit ans ?, Résolution no 1996 (2014).
196
Promotion de l’égalité,
lutte contre
les discriminations
et inclusion dans la société
Nous aurons ici une approche large de la promotion de l’égalité et de la lutte contre
les discriminations, puisque nous évoquerons également les violences et la stigmatisation dont les personnes peuvent être victimes, et l’inclusion de celles-ci dans la société.
Cette partie regroupe, pour l’essentiel, certaines recommandations adressées à la
France lors de l’EPU, des travaux du Comité européen des droits sociaux, des études
de la FRA, les conclusions de l’ECRI sur la mise en œuvre des recommandations faisant
l’objet d’un suivi intermédiaire ainsi que les observations du CERD lors de l’examen
du rapport de la France en 2010. La Commission d’experts de l’OIT s’est également
prononcée sur l’application par la France de la Convention no 111 concernant la discrimination en 2011 et 2012.
Préalablement à une analyse par critère de discrimination, il est nécessaire de présenter brièvement ce qu’il est possible de décrire à grands traits comme les tensions entre
l’égalité républicaine et l’approche de certaines instances internationales. Il est également nécessaire de présenter les grandes évolutions de l’architecture institutionnelle.
1. Une opposition conceptuelle
Droits des minorités et refus de reconnaissance
des droits collectifs
Le rapport de la France à l’EPU 492 rappelle la doctrine traditionnelle concernant la
reconnaissance des minorités : « Le droit français repose sur deux principes essentiels
consacrés par l’article 1er de la Constitution : l’égalité de droit des citoyens, “sans distinction d’origine, de race ou de religion”, et l’unité et l’indivisibilité de la nation. Ces
principes ont été soulignés par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, qui ont
reconnu l’indivisibilité de la République française et l’impossibilité que soient recon-
492. France, Rapport national présenté conformément au paragraphe 5 de l’annexe à la résolution 16/21 du
Conseil des droits de l’homme, 15° session du Conseil des droits de l’homme, 04/12/2012, A/HRC/WG.6/15/FRA/1.
197
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
nus des droits spécifiques à “aucune section du peuple”. La France considère que c’est
dans le cadre de cette conception fondée sur l’égalité devant la loi que les droits de
chacun sont les mieux garantis ».
En conséquence, la France a rappelé à plusieurs reprises sa volonté de ne pas être liée
par les instruments qui reconnaissent ces droits collectifs, soit en ne les ratifiant pas
(voir par exemple la Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des
minorités nationales), soit en émettant des réserves et observations interprétatives. Dans
son rapport au Comité des droits de l’homme, la France souligne que « l’absence de
reconnaissance d’un statut juridique spécifique à des minorités n’empêche pas la mise
en œuvre de nombreuses politiques destinées à mettre en valeur la diversité culturelle
nationale et à accompagner les choix individuels dans ce domaine ».
Cette opposition n’empêche pas le sujet de revenir régulièrement devant les instances
internationales. À l’occasion de l’EPU 493, l’Italie a ainsi recommandé à la France d’« envisager la possibilité de retirer sa réserve à l’article 30 de la Convention relative aux droits
de l’enfant conformément aux principes de la Constitution de la France », étant donné
que la réserve en question prévoit que « compte tenu de l’article 2 [actuel article 1er]
de la Constitution de la République française, l’article 30 n’a pas lieu de s’appliquer
en ce qui concerne la République ». Le Gouvernement a refusé cette recommandation
et a mis en valeur « des mesures et des politiques qui, tout en promouvant le principe
d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction d’origine, permettent en
pratique à toute personne d’exercer ses droits et libertés aussi bien dans le domaine
privé que dans la sphère publique ».
Égalité « sans distinction » entre les individus
Dans son cinquième rapport au Comité des droits de l’homme, la France rappelle
que l’absence de subdivision au sein du peuple français « répond philosophiquement
à une volonté des pouvoirs constituants de laisser à chaque citoyen la liberté fondamentale individuelle de choisir de se définir – ou de ne pas se définir – par rapport à
une culture, à une religion ou à une langue particulières et non d’y être automatiquement inclus en raison de critères préalablement arrêtés et impliquant l’appartenance
à un groupe ». En cela, la France s’oppose à plusieurs instances internationales, qui
considèrent que certaines différences de situation nécessitent une reconnaissance par
l’État de ces caractéristiques.
Ces oppositions de principe ont des implications multiples, et expliquent certains des
développements que nous retrouverons ci-dessous, concernant par exemple les statistiques ethniques, les droits culturels, ou, dans une certaine mesure, le principe de
laïcité et les droits des populations autochtones.
493. Reco. no 120.3.
198
Cependant, si les oppositions demeurent, la tendance est à la reconnaissance progressive de la « diversité » et de la prise en compte des spécificités individuelles, notamment
sous la pression du droit communautaire. Deux exemples peuvent être trouvés dans les
réponses de la France à l’EPU. Concernant la fonction publique, le Gouvernement français insiste sur la création d’un label diversité. De même, dans le domaine de l’emploi,
et en réponse à de nombreuses recommandations en ce sens, le Gouvernement souligne l’amélioration de l’arsenal législatif, et notamment l’adoption de la loi no 2008496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire
dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Celle-ci permet l’intégration en
droit interne de la notion de discrimination indirecte 494. Ce concept implique la mise
en place d’indicateurs, qu’ils soient qualitatifs ou quantitatifs, nécessaires pour démontrer qu’« un critère ou une pratique neutre en apparence » est « susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes ».
Inévitablement, la notion de discrimination indirecte pose la question de la définition
de deux groupes de population, un groupe discriminé et un groupe témoin.
Certaines instances internationales sont les témoins attentifs de ces mutations du
principe d’égalité. Ainsi, la Commission d’experts de l’OIT a pris « note avec intérêt
de l’amendement de l’article 1er de la Constitution, par la loi du 23 juillet 2008, et de
l’adoption de la loi no 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations
qui réalise et complète la transposition de cinq directives européennes et modifie, entre
autres, le code du travail 495 ».
Évolution des critères de discrimination
Le cadre juridique général en matière de discrimination est constitué par le code du
travail, le code pénal, le code civil et la loi no 2008-496. Il est complété par des textes
portant sur certains critères spécifiques. La reconnaissance de discriminations nécessite
en effet de distinguer, parmi les différences de traitement, celles qui sont liées à motif
prohibé des autres. La CEDH a pu, à l’occasion de son arrêt Chabauty c. France, préciser que « le critère de différenciation que constitue la “fortune foncière” peut, dans
certaines circonstances, générer une discrimination prohibée par la Convention, il ne
figure pas parmi ceux que la Cour juge inacceptables par principe (tels que la race ou
494. L’article 1er de la loi no 2008-496 du 27/05/2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations précise que « Constitue une discrimination
indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour
l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à
d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié
par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. »
495. Commission d’experts de l’OIT, Observation : Convention no 111 concernant la discrimination (emploi
et profession), 102e session CIT (2013), 2012.
199

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
l’origine ethnique) ou inacceptables en l’absence de considérations très fortes (tels que
le sexe et l’orientation sexuelle) 496 ».
Progressivement, le droit français a élargi la liste des motifs de discrimination, jusqu’à
atteindre vingt critères. Aux termes de l’article 225-1 du code pénal, « constitue une
discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur
origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence
physique, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur
handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou
identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales,
de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie,
une nation, une race ou une religion déterminée ». On soulignera ici l’ajout récent du
motif du lieu de résidence par la loi no 2014-173 du 21 février 2014 de programmation
pour la ville et la cohésion urbaine, et du motif de l’identité sexuelle par la loi no 2012954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel.
La liste n’est cependant pas close. Dans sa demande directe concernant la Convention
no 111 497, la Commission d’experts de l’OIT s’est emparée de débats nationaux
concernant l’introduction d’un nouveau critère de discrimination concernant l’origine
sociale. Le critère en question ne fait pas partie des motifs de discrimination interdits
par la loi française, à l’inverse de la Convention no 111. Cependant, la HALDE a recommandé dans sa délibération no 2011-121 du 18 avril 2011, « de mener une réflexion
sur l’intégration du critère de l’origine sociale dans la liste de critères prohibés ». La
Commission d’experts demande donc « au Gouvernement de fournir des informations
sur toute mesure prise aux fins d’introduire “l’origine sociale” dans la liste des motifs de
discrimination interdits par le code du travail ». La CNCDH a adopté un avis à ce sujet
lors de sa plénière du 26 septembre 2013 498. Elle recommande d’insérer un motif de
précarité sociale aux critères de discrimination existants.
496. CEDH, Grande chambre, 04/10/2012, Chabauty c. France, Req. no 57412/08 ; Hélène Surrel, « Le contentieux français des associations communales de chasse agréées devant la Cour de Strasbourg : suite et fin »,
La Semaine juridique édition générale, no 50, 10/12/2012, p. 1351.
497. Commission d’experts de l’OIT, Observations : Convention no 111 concernant la discrimination (emploi
et profession), 102e session CIT (2013), 2012.
498. CNCDH, Avis sur les discriminations fondées sur la précarité sociale, 26/09/2013.
200
Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations

2. Évaluations de l’architecture
institutionnelle de lutte contre
les discriminations
À l’occasion de l’EPU, la France s’est vu adresser des recommandations préconisant le
renforcement du cadre institutionnel et juridique de lutte contre la discrimination 499.
Celles-ci rejoignent les préoccupations d’autres mécanismes internationaux.
Disparition de la HALDE
À l’occasion de son rapport sur la France, l’ECRI, comme l’avait fait auparavant le CERD
en 2010 500, avait souhaité que, dans le cadre de la mise en place du Défenseur des
droits, « la protection des droits assurée par les autorités existantes ne soit pas affaiblie, surtout concernant la lutte contre les discriminations actuellement menée par la
HALDE, y compris la lutte contre la discrimination raciale qui demande une certaine
spécialisation ». Il s’est saisi de nouveau de cette question lors de ses conclusions dans
le cadre du suivi intermédiaire de la France. La HALDE a été remplacée par le Défenseur
des droits, autorité constitutionnelle indépendante créée en juin 2011. À la différence
de la HALDE, le Défenseur des droits a un ancrage constitutionnel. Surtout, l’ECRI note
que le Défenseur des droits « préserve les fonctions et le personnel de l’ancienne HALDE
tout en renforçant le statut, l’indépendance et les pouvoirs de l’autorité indépendante
spécifiquement chargée de la lutte contre le racisme et la discrimination raciale ».
Néanmoins, l’ECRI constate une « une baisse de 35 % du nombre de dossiers de discrimination dont la HALDE et le Défenseur des droits ont été saisis en 2011 (8 503)
par rapport à celui que la HALDE avait traité en 2010 (13 064) ». Si le Défenseur des
droits avance quelques arguments, l’ECRI considère, à la suite de différents acteurs,
que « l’absence de politique de communication présentant clairement le Défenseur des
droits comme la nouvelle autorité compétente en matière de discrimination a eu des
effets négatifs non seulement sur le nombre de réclamations individuelles mais aussi
sur la visibilité du Défenseur des droits en tant que principal interlocuteur des autorités
en matière de lutte contre la discrimination », alors que l’un des points positifs de la
HALDE était justement ses efforts de communication, qui lui avaient permis de devenir
« un acteur essentiel de la lutte contre les discriminations raciales ». En conséquence,
l’ECRI estime que sa recommandation n’a été suivie qu’en partie.
Le CEDS s’est également penché sur cette question dans ses conclusions 2012, concernant la mise en œuvre de l’article 1er de la CSER relative à l’emploi. Il a demandé que
« le prochain rapport donne des précisions sur les activités du nouveau Défenseur des
499. Reco. no 120.38.
500. CERD, Observations finales sur les dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de
la France, 25/08/2010, 77e session, CERD/C. FRA/CO/17-19.
201
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
droits en matière de lutte contre la discrimination dans l’emploi 501 ». Il a renouvelé
cette question à propos cette fois de la mise en œuvre de l’article 23 de la CSER, lors
de ses conclusions 2013 502.
Enfin, la Commission d’experts de l’OIT a, dans une demande directe concernant la
Convention no 111 503, demandé au Gouvernement de « faire en sorte que la Mission
Lutte contre les discriminations puisse, au sein du Défenseur des droits, poursuivre et
intensifier ses activités en matière de sensibilisation contre les discriminations et de
promotion de l’égalité sans distinction fondée sur les motifs de discrimination interdits
par la législation dans l’emploi et la profession ».
Accès à la justice
La FRA a publié une étude sur l’accès à la justice en cas de discrimination 504. La France
figure au nombre des huit États membres qui font l’objet d’une analyse plus approfondie. Cette étude est divisée en quatre parties : systèmes judiciaires des États membres
de l’UE sélectionnés ; structures ; procédures ; et soutien aux victimes.
Elle salue quelques caractéristiques du modèle français : les pouvoirs d’enquête du
Défenseur des droits, la possibilité pour celui-ci de déposer des contributions désintéressées (amicus curiae) devant les juridictions sur les questions relevant de son expertise, ou la variété des recours ouverts au Défenseur en matière de discrimination.
La FRA relaie trois critiques importantes formulées par les victimes, par les avocats ou
par les organisations offrant des conseils aux victimes plaignantes concernant le système français : à l’égard de la durée moyenne de la procédure, la France est en queue
de peloton des États analysés, avec une durée de trente-six mois, d’une part ; à l’égard
du faible niveau des dédommagements accordés à l’issue des procédures, d’autre part ;
enfin, à l’égard du dispositif législatif : celui-ci n’est pas assez clair, et le concept même
de discrimination devrait être clarifié.
La Commission d’experts de l’OIT 505 a mis l’accent quant à elle sur le rôle de l’inspection du travail en matière de protection contre la discrimination et de promotion de
l’égalité dans l’emploi et la profession. Elle a demandé au Gouvernement de « renforcer la capacité des inspecteurs du travail en matière de lutte contre la discrimination en
leur permettant de bénéficier de formations appropriées et en les dotant de moyens
adéquats, notamment dans les départements et régions d’outre-mer » .
501. CEDS, Conclusions 2012 (France). Articles 1, 9, 10, 15, 18, 20, 24 et 25 de la Charte révisée, 01/2013.
502. CEDS, Conclusions 2013 (France), 01/2014.
503. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 111 concernant la discrimination
(emploi et profession), 102e session CIT (2012), 2011.
504. FRA, Accès à la justice dans les affaires de discriminations dans l’UE : vers une plus grande égalité, 12/2012.
505. Ibid.
202
Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations

FOCUS – Hate crime
La lutte contre les crimes de haine est inscrite à l’agenda de nombreuses instances internationales 506. L’OSCE définit les crimes de haine comme les infractions motivées par l’intolérance contre un groupe déterminé de la société. Deux critères doivent, selon l’OSCE,
être remplis : l’acte doit être considéré comme une infraction, et l’infraction doit être
commise à raison d’une motivation discriminatoire, ce qui signifie que « l’agresseur choisit
intentionnellement la cible du crime, parce qu’elle présente une certaine caractéristique
protégée 507 ». Concernant la qualification de caractéristique protégée, l’OSCE renvoie
aux législations nationales. Néanmoins, certaines caractéristiques sont généralement
considérées comme protégées : la « race », la langue, la religion, l’ethnie, la nationalité,
l’identité de genre ou l’orientation sexuelle.
La FRA a organisé une Conférence à Vilnius sur ce sujet le 12 novembre 2013. Les travaux de l’Agence témoignent d’une volonté de promouvoir une politique ferme et cohérente contre ces crimes. À titre indicatif, les intitulés des groupes de travail organisés lors
de cette Conférence sont significatifs : importance des crimes de haine, phénomène de
sous-déclaration, défaillances de l’appareil statistique, instruments juridiques concernant
les crimes de haine au sein de l’UE, services d’aide aux victimes, pratiques effectives d’investigation et de poursuite, aspect discriminatoire des crimes de haine, éducation aux
droits de l’homme et travail de mémoire, renforcement des capacités d’application de la
loi et des systèmes de justice pénale, enjeux de la « cyberhaine ».
Cette définition peut trouver un équivalent en droit pénal français dans les articles 13276 et 132-77 du code pénal : « Dans les cas prévus par la loi, les peines encourues pour
un crime ou un délit sont aggravées lorsque l’infraction est commise à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une
nation, une race ou une religion déterminée » (art. 132-76 du code pénal) ou « à raison
de l’orientation ou identité sexuelle de la victime » (art. 132-77 du code pénal).
Les travaux des instances internationales sur les crimes de haine doivent être mis en lien
avec les travaux sur les discours de haine. Le CERD a organisé une grande réunion thématique en août 2012 sur les discours de haine raciale. Sur la base de ces travaux, il a
adopté l’année suivante une recommandation générale sur les discours de haine raciale 508.
Dans sa réponse à l’EPU, le Gouvernement français présente le dispositif existant : « La
loi française pénalise depuis 1972 la provocation publique à la haine ou à la violence, la
diffamation publique et l’injure publique commises “à raison de l’origine ou de l’appartenance ou de la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion
déterminée” de la victime ». Cette pénalisation a depuis été étendue à la provocation
publique à la haine ou la violence, et à la diffamation publique et à l’injure publique
commise envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur
orientation sexuelle ou de leur handicap.
506. Voir notamment Cecilia Malmström, Combating Hate Crime in the EU, 12/11/2013.
507. BIDDH (OSCE), Les Lois sur les crimes de haine. Guide pratique, 2005.
508. CERD, Recommandation générale no 35. Lutte contre les discours de haine raciale, 26/09/2013.
203
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 1
Égalité femmes-hommes
Il convient de souligner à titre liminaire une différence linguistique. Si le code pénal
français fait référence aux discriminations liées au sexe, les instances internationales se
réfèrent volontiers au « genre ». Le Comité CEDAW considère que le mot genre renvoie « à l’identité, aux attributs et au rôle de la femme et de l’homme, tels qu’ils sont
définis par la société, et à la signification sociale et culturelle que la société donne aux
différences biologiques, ce qui engendre des rapports hiérarchiques entre femmes et
hommes, et se traduit par une répartition du pouvoir et des droits favorable aux hommes
et désavantageux pour les femmes 509 ». La CNCDH a, dans son avis sur la perspective
de genre 510, tenté d’identifier les différences conceptuelles entre ces deux approches.
1. Inégalités femmes-hommes
Les inégalités entre les femmes et les hommes constituent un sujet transversal, qui
touche à l’ensemble des sujets évoqués dans ce rapport. Nous nous concentrerons dans
cette partie sur les recommandations présentées par les instances internationales qui
portent sur ce sujet à titre principal ; nous renvoyons par ailleurs aux développements
pertinents de ce rapport portant notamment sur la traite et l’exploitation, les migrations ou les droits économiques et sociaux.
La France a levé ses dernières réserves à la Convention CEDAW en octobre 2013.
Celles-ci portaient sur la dévolution du nom de famille (art. 16, paragraphe 1), la protection sociale des conjoints de chef d’exploitation agricole (art. 14, paragraphe 2 c), et
la discrimination à l’égard des femmes dans les zones rurales (art. 14, paragraphe 2 h).
Les dernières observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à
l’égard des femmes (CEDAW) datent de 2008 511. Certaines des recommandations du
Comité CEDAW ont été renouvelées à l’occasion de l’EPU 512. D’autres ont pu trouver un écho dans certaines recommandations du Comité européen des droits sociaux
en 2011 et 2012, ou dans les observations de la Commission d’experts de l’OIT. D’une
manière générale, la bonne volonté des différents gouvernements successifs a pu être
509. CEDAW, Recommandation générale no 28 du Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes concernant les obligations fondamentales des États parties découlant de l’article 2
de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femme”, 16/12/2010,
CEDAW/C/GC/28.
510. CNCDH, Avis sur la perspective de genre, 22/03/2012.
511. CEDAW, Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes,
40e session, 08/04/2008, CEDAW/C/FRA/CO/6.
512. Reco. nos 120.56 ; 120.57 ; 120.58 ; 120.59 ; 120.60 ; 120.61.
204
saluée ; il est néanmoins trop tôt pour évaluer de manière certaine les effets de ces
évolutions normatives 513.
Prise en compte de l’égalité femmes-hommes
dans l’élaboration des lois
Plusieurs recommandations de l’EPU ont insisté sur la nécessité de prendre en compte
l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’ensemble des politiques publiques ;
une recommandation a été consacrée à l’élaboration et l’adoption d’un « plan exposant
les mesures que le Gouvernement entend prendre pour améliorer l’égalité des sexes
en France, y compris par l’application plus efficace de la législation existante contre
la discrimination 514 ». Le Gouvernement a présenté, dans sa réponse, différents dispositifs qui garantissent une prise en compte effective de l’égalité entre les hommes
et les femmes : Comité interministériel des droits de la femme ; mise en place, par la
ministre des Droits des femmes, de « Conférences de l’égalité » pour établir un plan
d’action déclinant l’égalité femmes-hommes dans toutes les politiques publiques. Le
Gouvernement a également annoncé qu’une étude d’impact de toutes les mesures
(lois et décrets) intéressant les droits des femmes sera systématiquement réalisée. Une
circulaire du 23 août 2012 a précisé les modalités de prise en compte, dans la préparation des textes législatifs et réglementaires, de leur impact en termes d’égalité entre
les femmes et hommes 515. Il a également annoncé le maintien d’une instance d’évaluation des politiques publiques en matière d’égalité femmes-hommes et de droits
fondamentaux. Depuis la réponse du Gouvernement, le Haut Conseil à l’égalité entre
les femmes et les hommes a été créé, remplaçant les missions de l’Observatoire de
la parité, de la Commission nationale contre les violences faites aux femmes et de la
Commission sur l’image des femmes dans les médias.
Chômage et lutte contre la précarité
Dans sa réponse à l’EPU, le Gouvernement a présenté différentes mesures « en ce
qui concerne le taux de chômage des femmes, d’une manière générale », et a estimé
que « la promotion des mesures visant à un partage plus équilibré des responsabilités
entre les femmes et les hommes au sein des familles a un effet positif sur l’emploi des
femmes » : « un accompagnement personnalisé du retour à l’emploi est expérimenté
dans neuf régions pilotes », et une loi sur les droits des femmes devrait faire « des propositions concrètes sur l’articulation temps de travail/temps personnel en vue d’un partage
513. Voir notamment, Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 111 concernant la
discrimination (emploi et profession), 102e session CIT (2013), 2012.
514. Recommandation no 120.43.
515. Circulaire du 23/08/2012 relative à la prise en compte dans la préparation des textes législatifs et réglementaires de leur impact en termes d’égalité entre les femmes et les hommes.
205

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
homme/femme plus opérationnel ». Un projet de loi pour l’égalité entre les femmes
et les hommes a, depuis la réponse du Gouvernement, été déposé au Parlement 516.
Enfin, le Gouvernement a présenté quelques mesures qui, sans viser spécifiquement
les femmes, leur bénéficieraient à titre principal : l’accord national interprofessionnel
sur la sécurisation de l’emploi 517 « prévoit la majoration des heures complémentaires
de 10 à 25 % dès 2014 et vise à imposer un seuil minimum de vingt-quatre heures par
semaine, le temps partiel d’une durée inférieure devant désormais faire l’objet d’une
dérogation ou d’un accord de branche garantissant l’accès à des droits sociaux dont
les salariés ne bénéficiaient pas auparavant ».
Égalité femmes-hommes au travail
Le CEDS s’est prononcé en 2012 sur la conformité de la situation française à l’article 20
de la CSER 518, concernant le droit à l’égalité des chances et de traitement en matière
d’emploi et de profession, sans discrimination fondée sur le sexe en vue d’assurer
l’exercice effectif du droit à l’égalité. Il a, d’une manière générale, considéré le cadre
juridique conforme à la CSER, tout en notant que des inégalités perdurent en pratique.
Inégalités de rémunération entre les femmes et les hommes
Différents textes de droit interne reconnaissent le principe de l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes 519. L’effectivité de ces dispositions rencontre un
certain nombre de difficultés : ainsi la Commission d’experts de l’OIT 520, dans son
analyse sur la mise en œuvre de la Convention no 100 sur l’égalité de rémunération,
reprend les résultats d’une publication de la DARES, une direction rattachée au ministère du Travail, selon laquelle en 2009, les salaires nets annuels moyens des femmes
travaillant à temps complet étaient inférieurs à ceux perçus par les hommes (- 20,1 %
dans le secteur privé ; - 14,5 % dans la fonction publique de l’État ; - 9,3 % dans la
fonction publique territoriale ; et de - 21,2 % dans le secteur hospitalier public), cela
s’expliquant par le fait que les femmes sont « moins nombreuses dans les postes d’encadrement, qu’elles occupent souvent des emplois moins qualifiés et qu’elles ont en
général moins d’ancienneté ; et, d’autre part, qu’“à caractéristiques voisines”, les femmes
ont un salaire horaire moyen inférieur de 9 % à celui des hommes ». Elle encourage le
Gouvernement à lutter contre ces inégalités et demande à être informée des mesures
prises, tant dans le public que dans le privé, tant au niveau national qu’au niveau des
accords de branche, et au niveau des entreprises des progrès constatés.
516. Projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, no 717, déposé le 3 juillet 2013 ;
517. Accord national interprofessionnel (ANI) sur la compétitivité et la sécurisation de l’emploi, 11/01/2013.
518. CEDS, Conclusions 2012 (France), 01/2013.
519. Voir les articles L. 3221-1 et s. du code du travail, qui sont applicables aux salariés soumis au code du
travail et à « ceux non régis par le code du travail et, notamment, aux agents de droit public » et la loi du
13/07/1983 concernant la fonction publique.
520. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 100 sur l’égalité de rémunération,
1951, 102e session CIT (2013), 2012.
206
Le CEDS, dans son analyse de la conformité de la situation française à l’article 20 de
la Charte 521 a considéré que le fait de limiter les comparaisons entre la rémunération
perçue par les hommes et les femmes à un même établissement était trop restreint :
« Le principe d’une rémunération égale pour un travail de valeur égale ne peut donc
être invoqué par des personnes travaillant pour des entreprises différentes, même si
elles sont couvertes par la même Convention collective ». En conséquence, le Comité
« considère que la situation n’est pas conforme à la Charte ».
Promotion de l’égalité professionnelle
En réponse à des recommandations de l’EPU insistant sur la nécessité d’améliorer l’égalité entre les hommes et les femmes au travail, le Gouvernement a présenté, concernant
le secteur public, le plan d’action interministériel en matière d’égalité hommes-femmes
dans le secteur public, lancé le 24 octobre 2012. Dans tous les ministères, un haut
fonctionnaire à l’égalité des droits doit proposer des mesures pour cet objectif et assurer leur suivi. Concernant le monde du travail au sens large, le Gouvernement a présenté différents mécanismes antidiscriminations existants, et notamment l’imposition
de pénalités financières pour les entreprises d’au moins 50 salariés qui n’ont pas d’accord ou de plan relatif à l’égalité professionnelle.
Dans ses conclusions de 2012 522, le CEDS s’est prononcé sur ce dispositif de pénalité
financière, en l’absence d’accord ou de plan d’action en faveur de l’égalité 523, qui peut
atteindre 1 % de la masse salariale, l’inspection du travail étant chargée du contrôle
du dispositif. Le Comité a constaté que, malgré l’ambition du texte, le nombre d’accords de branche, d’accords professionnels ou d’accords d’entreprise qui contiennent
des dispositions relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes reste faible, et
demande donc à être informé du nombre de ces accords.
Représentation des femmes à des postes de haut niveau
Les recommandations de l’EPU ont également insisté sur la nécessité d’améliorer l’accession des femmes à des postes de haut niveau. Le rapport de la CEPEJ illustre en
partie le constat de l’insuffisante représentation des femmes à haut niveau, dans un
domaine spécifique, celui de la justice 524.
521. Ibid .
522. CEDS, Conclusions 2012 (France), 01/2013.
523. Celle-ci découle de l’article 99 de la loi no ’010-1330 du 9 novembre 2010.
524. CEPEJ, Rapport d’évaluation des systèmes judiciaires européens de la CEPEJ, édition 2012 (données 2010),
Les Études de la CEPEJ, no 18, 20/09/2012, p. 292 ; 143 présidents de juridiction de première instance sont
des hommes contre 58 femmes, 33 présidents de juridiction d’appel sont des hommes contre 12 femmes, les
2 présidents de juridictions suprêmes sont des hommes ; p. 294 : en première instance, 735 procureurs sont
des femmes, et 664 sont des hommes ; dans les juridictions d’appel, 321 procureurs sont des hommes, 186
sont des femmes ; à la Cour de cassation, 46 avocats généraux sont des hommes, 9 sont des femmes. Pour
rappel, au concours externe, 81,73 % des candidats présents lors des épreuves étaient des femmes ; 76,24 %
des admis étaient des femmes. Claire Favre, présidente du jury de la session 2012, Rapport sur les concours
d’accès à l’École nationale de la magistrature, 2013.
207

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
En réponse aux recommandations de l’EPU, le Gouvernement a insisté sur le fait que,
« pour la première fois dans l’histoire de la République, le nouveau Gouvernement mis
en place en mai 2012 est paritaire ». Il a mentionné l’adoption d’une loi relative à la
représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance qui vise les entreprises cotées en Bourse et des entreprises
publiques, à travers la mise en place de quotas. Concernant spécifiquement le secteur
public, le Gouvernement insiste sur l’adoption de la loi relative à l’accès à l’emploi et à
la lutte contre les discriminations dans la fonction publique qui « rappelle le cadre de la
représentation équilibrée de personnes de chaque sexe dans l’encadrement supérieur
de la fonction publique », et qui « est accompagnée de la mise en œuvre d’objectifs
chiffrés et progressifs de nominations, à hauteur de 40 %, et est assortie de sanctions
financières devant permettre d’assurer leur respect ».
Concernant l’application de la Convention no 111 de l’OIT relative à la discrimination 525, la Commission d’experts « note avec intérêt l’adoption de la loi no 2012-347
du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions
d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, et l’adoption
du décret no 2012-601 du 30 avril 2012 relatif aux modalités de nominations équilibrées dans l’encadrement supérieur de la fonction publique qui fixe les postes concernés. La loi fixe des objectifs chiffrés et progressifs (20 % de 2013 à 2014, 30 % entre
2015 et 2017, et 40 % à partir de 2018), et des quotas relatifs à la représentation des
femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des établissements publics
et d’autres instances (art. 52 à 55) et contient des dispositions sur le congé parental.
Elle prévoit en outre que l’égalité professionnelle, y compris en matière de recrutement, de formation, de temps de travail, de promotion, de conditions de travail, de
rémunération et d’articulation entre activité professionnelle et vie personnelle, doit
faire l’objet d’un rapport annuel (art. 51) ».
2. Violences à l’égard des femmes
Outre la Convention CEDAW, il convient de mentionner la ratification par la France
de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence
à l’égard des femmes et la violence domestique, dite Convention d’Istanbul ; le droit
interne avait, antérieurement, été mis en conformité avec la Convention 526. En outre,
la spécificité des violences faites aux femmes est reconnue par la CEDH 527, en raison
525. Commission d’experts de l’OIT, Observation : Convention no111 concernant la discrimination (emploi et
profession), 102e session CIT (2013), 2012.
526. Loi n° 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice
en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France.
527. CEDH, 26/03/2013, Valiuliené c. Lituanie, Req. no 33234/07 : les vices de procédure et lacunes dans l’enquête ayant abouti à la prescription de poursuites pour violences domestiques sont constitutives de manquement aux obligations positives de l’État concernant la prohibition des traitements inhumains ou dégradants.
208
notamment de leur caractère particulièrement anxiogène pour la victime et de leur
récurrence sur le long terme.
Violences au sein des couples
Les femmes sont les principales victimes de violence au sein des couples ; ainsi, dans
son analyse relative à la mise en œuvre par la France de l’article 16 de la CSER relatif au
droit de la famille à une protection sociale, juridique et économique 528, le CEDS note
que, « selon le rapport de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses
pénales du 17 novembre 2009 : en 2008, 184 personnes (157 femmes et 27 hommes)
sont décédées, victimes d’un homicide volontaire ou de violences ayant entraîné la mort
sans intention de la donner, commis par leur conjoint. En 2007, 192 décès avaient été
constatés (166 femmes et 26 hommes) ». De manière plus récente, le rapport 2013 de
l’ONDRP recense, s’appuyant sur les statistiques issues de la police et de la gendarmerie
et sur les travaux de la délégation d’aide aux victimes, 174 homicides volontaires, ou
violences volontaires ayant entraîné la mort, commis par le conjoint ou l’ex-conjoint de
la victime, dont 148 femmes et 26 hommes ; 1 170 viols sur majeurs (1 074 femmes et
96 hommes) par conjoint ou ex-conjoint ont été enregistrés par les services de police
et gendarmerie ; 61 297 coups et violences volontaires non mortels par conjoint ou exconjoint ont été constatés (83 % des victimes étant des femmes) 529.
Ainsi que le note le CEDS, deux lois ont été récemment adoptées : la loi du 4 avril 2006
renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises
contre les mineurs, et la loi no 2010-769 du 9 juillet 2010, relative aux violences faites
spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de
ces dernières sur les enfants. L’article 132-80 du code pénal prévoit « une circonstance
aggravante lorsque les faits sont commis non seulement par le conjoint, le concubin
ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité (PACS), mais également par l’ancien
conjoint, l’ancien concubin et l’ancien partenaire lié par un PACS, afin de prendre en
compte les infractions commises après la rupture du couple si l’infraction est commise
“en raison des relations ayant existé entre l’auteur des faits et la victime” ». Cette circonstance aggravante est étendue aux faits de meurtre, au viol et aux autres agressions
sexuelles, ainsi qu’aux faits de menaces. Le droit français permet également l’éviction
du conjoint violent du domicile.
Le CEDS salue également l’adoption d’un « guide de l’action publique relatif à la lutte
contre les violences au sein du couple, réactualisé en 2008 », d’une circulaire du 19 avril
2006 qui recommande aux procureurs de la République « d’améliorer la prise en charge
des victimes des violences, d’une part, et de garantir la mise en œuvre de l’éviction de
l’auteur des violences du domicile, d’autre part », et d’une circulaire générale de politique pénale du 1er novembre 2009 qui « rappelle qu’il convient d’améliorer la prise en
charge de l’auteur, pour prévenir la réitération du passage à l’acte ».
528. CEDS, Conclusions 2011 (France), janvier 2012.
529. INHESJ/ONDRP, « Éléments de mesure des violences au sein du couple en 2012 », Rapport 2013.
209

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Le CEDS demande que le prochain rapport fournisse des informations concernant la
mise en œuvre de l’ordonnance de protection. Celle-ci a été créée par la loi n° 2010769 du 9 juillet 2010, relative aux violences faites spécifiquement aux femmes ; l’article 1er de la loi précise que « lorsque les violences exercées au sein du couple ou par
un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien
concubin mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le
juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance
de protection ». Un bilan mitigé de l’application de ce dispositif, mal connu, a été réalisé par l’Assemblée nationale 530.
À l’occasion de l’EPU, deux recommandations ont porté sur la mise en place d’un
observatoire national des violences faites aux femmes 531 et sur l’amélioration de la
lutte contre la violence familiale contre les femmes 532. Outre les éléments susmentionnés, le Gouvernement a annoncé, le 10 janvier 2013, le lancement d’un plan global pour la protection des femmes victimes de violences et l’installation de la mission
interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre
la traite des êtres humains.
La FRA a publié les résultats d’une enquête sur les violences commises à l’égard des
femmes 533. Celle-ci a porté sur un échantillon aléatoire de 42 000 femmes dans l’ensemble des États membres de l’UE, Croatie incluse, et apporte « des données cohérentes
et comparables dont les décideurs politiques ont besoin pour formuler des politiques
existantes et ciblées afin de lutter contre ce type de violence 534 ». Il s’agit de la seule
enquête à l’échelle européenne. Les déclarations des femmes françaises classent la
France parmi les pires États de l’UE. Ainsi, 26 % des femmes ont subi des violences de
nature physique ou sexuelle de la part de leur partenaire ou d’un ancien partenaire. La
France figure, avec le Danemark, les Pays-Bas et la Suède parmi les pays où les femmes
déclarent avoir subi le plus de violence de la part d’une personne autre que leur partenaire. De plus, 47 % des femmes déclarent avoir subi des violences psychologiques de
la part de leur partenaire. La France est l’un des pays de l’UE où les femmes déclarent
le plus avoir été victimes de harcèlement (stalking) (29 %), et de harcèlement sexuel
(sexual harassment) (75 %).
530. Guy Geoffroy et Danielle Bousquet, Rapport d’information no 4169 sur la mise en application de la loi
no 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein
des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, Assemblée nationale, 17 janvier 2012.
531. Reco. no 120.37.
532. Reco. no 120.115.
533. FRA, Violences contre les femmes : enquête dans l’UE, 04/2014.
534. FRA, Factsheet: Gender-based Violence Against Women. An EU-wide Survey, 2011.
210
Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations

Harcèlement sexuel
Le Conseil constitutionnel a, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité 535, considéré que les dispositions de l’article 222-33 du code pénal concernant
le délit de harcèlement sexuel ne définissaient pas suffisamment les éléments constitutifs de l’infraction et méconnaissaient le principe de légalité des délits et des peines.
L’article 222-33 a donc été déclaré contraire à la Constitution. La loi no 2012-954 du
6 août 2012 relative au harcèlement sexuel a pris acte de cette décision et est venue
combler le vide juridique créé. Elle a défini le harcèlement sexuel comme étant « des
propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à [la]
dignité [du travailleur] en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent
à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Elle assimile au harcèlement sexuel « toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le
but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché
au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers ».
La Commission d’experts de l’OIT, à propos de la mise en œuvre de la Convention
no 111 concernant la discrimination 536, se « félicite du fait que la nouvelle définition
du harcèlement sexuel, qui a été insérée dans le code du travail, couvre à la fois le
harcèlement sexuel s’apparentant à un chantage sexuel et l’environnement de travail
hostile. Elle note toutefois que les agissements visés doivent être “répétés” ou, s’ils ne
sont pas répétés, qu’il doit s’agir d’une “pression grave”, et estime que ces dispositions pourraient avoir pour effet de limiter la protection des travailleurs contre le harcèlement sexuel ». En conséquence, elle demande des informations sur l’application
de ces nouvelles dispositions, y compris dans les départements d’outre-mer, et encourage le renforcement des actions de sensibilisation visant à prévenir et éliminer le harcèlement sexuel au travail.
535. Conseil constitutionnel, Décision no 2012-240 QPC du 04/05/2012, M Gérard D. [Définition du délit
de harcèlement sexuel].
536. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 111 concernant la discrimination
(emploi et profession), 102e session CIT (2013), 2012.
211
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 2
Discriminations
à raison de l’orientation
et l’identité sexuelles
S’agissant du droit des couples de même sexe de se marier et d’adopter, nous renverrons aux développements du titre relatif au droit à la vie privée et familiale. Idem
concernant le changement de sexe à l’état civil.
Une feuille de route de l’UE contre l’homophobie et les discriminations fondées sur
l’orientation sexuelle et l’identité de genre a été adoptée par le Parlement européen
le 4 février 2014 537. Celle-ci invite la Commission européenne à adopter une stratégie
de lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et l’identité de genre,
qui pourrait entraîner, à terme, des évolutions du cadre normatif européen et national.
1. Discriminations liées
à l’orientation sexuelle
La FRA a réalisé une étude sur les ressentis des discriminations par les personnes
LGBT 538. Cette étude a été réalisée en ligne entre le 2 avril 2012 et le 15 juillet 2012 ;
93 079 personnes habitant dans l’ensemble du territoire de l’UE ont répondu. De ces
résultats, qui ne permettent pas de distinguer selon le pays de résidence des personnes
enquêtées, se dégagent quelques traits saillants : les répondants ont, dans près de la
moitié des situations, déclaré avoir eu le sentiment d’être personnellement victimes de
discrimination ou de harcèlement fondés sur l’orientation sexuelle au cours de l’année
précédant l’enquête. Un quart de l’ensemble des répondants à l’enquête a été victime
d’agression ou de menaces avec violence au cours des cinq années précédentes, alors
que moins d’un répondant sur cinq (17 %) a signalé à la police le dernier incident de
violence motivée par la haine dont il a été victime. La FRA recommande la mise en
place d’un plan d’action pour lutter contre les violences et discriminations commises
à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Elle souligne l’existence,
pour la France, d’un programme d’actions gouvernemental contre les violences et les
discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre 539.
537. Parlement européen, résolution du 4 février 2014 sur la feuille de route de l’UE contre l’homophobie et
les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre (2013/2183(INI).
538. FRA, Les expériences des personnes LGBT en matière de discrimination et de crimes de haine dans l’UE
et la Croatie, 05/2013.
539. FRA, European Union Lesbian, Gay, Bisexual and Transgender Survey Results at a Glance, 05/2013.
212
Ces résultats sont corroborés par la publication du Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe, La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité
de genre en Europe 540. Il souligne notamment que, en France, 16 % des personnes LGBT
indiquent avoir été battues à leur domicile par des membres de leur famille. Concernant
les personnes transgenres, il met en valeur les résultats d’une étude selon laquelle plus
de la moitié des personnes transgenres interrogées déclarent ne pas avoir confiance en
la police 541. En creux de cette étude, le cadre législatif français peut néanmoins sembler satisfaisant : la France fait partie des dix-huit États membres pour qui la discrimination en raison de l’orientation sexuelle est considérée comme une infraction pénale,
et des quinze États qui considèrent l’intention homophobe comme une circonstance
aggravante dans les affaires concernant des délits de droit commun.
2. Discriminations liées
à l’identité sexuelle
Ici aussi, une opposition linguistique doit être mise en évidence : un certain nombre
d’instances internationales ont recours au terme d’identité de genre, alors que le
terme fait débat en France. Selon les principes de Jogjakarta, « l’“identité de genre”
fait référence à l’expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue
par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance, y compris la
conscience personnelle du corps (qui peut impliquer, si consentie librement, une modification de l’apparence ou des fonctions corporelles par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autre) et d’autres expressions du genre, y compris l’habillement, le discours
et les manières de se conduire ». Récemment, l’APCE a ainsi rappelé la nécessité de
lutter contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre 542.
Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté, le 14 juillet 2011, une
résolution intitulée Droits de l’homme, orientation sexuelle et identité de genre 543.
Le code pénal français a évolué : l’article 225-1 ne mentionnait pas expressément ce
motif, et les discriminations liées à l’identité « de genre » étaient couvertes par le critère du sexe, des mœurs, ou de l’orientation sexuelle. La loi no 2012-954 du 6 août
2012 a ajouté un nouveau critère, celui de l’identité sexuelle.
540. Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, La discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre en Europe, 2011 ; voir également APCE, Lutter contre la discrimination fondée
sur l’orientation sexuelle et sur l’identité de genre, 27/06/2013, Réso. no 1948, Reco. no 2021.
541. Lewis Turner, Stephen Whittle, Ryan Combs, Transphobic Hate Crime in the European Union, Press for
Change, Londres, 2009, p. 55.
542. APCE, 26/06/2013, Lutter contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et sur l’identité de
genre, Résolution no 1945.
543. Conseil des droits de l’homme, 14/07/2011, Droits de l’homme, orientation sexuelle et identité de genre,
Résolution no 17/19.
213

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
L’une des dernières étapes du mouvement vers une meilleure reconnaissance des droits
des personnes transsexuelles est le retrait de la transsexualité de la liste des pathologies de longue durée 544. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe a pris acte de cette avancée, mais a jugé qu’il était trop tôt pour évaluer les
conséquences pratiques du décret.
Nous renvoyons, concernant l’articulation entre identité de genre et droit au respect de
la vie privée, aux développements pertinents dans le chapitre consacré à ces thèmes.
544. Décret no 2010-125 du 8 février 2010 portant modification’de l’annexe figurant à l’article D. 322-1 du
code de la sécurité sociale relative aux critères médicaux utilisés pour la définition de l’affection de longue
durée, « Affections psychiatriques de longue durée ».
214
Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations

Chapitre 3
Discriminations « ethnoraciales »
et discriminations liées
à l’origine
Les développements qui suivent portent sur les discriminations à raison de différents
critères : origine, patronyme, appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée,
à une ethnie, une nation, ou une race déterminée. S’il n’existe pas de données exhaustives concernant les discriminations fondées sur ces critères (cf. infra), il est néanmoins
possible de mettre en avant quelques données. En 2008, selon l’INSEE, « 8,4 % des
personnes vivant en France sont immigrées. Deux sur dix y vivent depuis quarante ans
au moins, et trois sur dix sont arrivées il y a moins de dix ans. Les descendants directs
d’immigrés représentent 11 % de la population en France métropolitaine ; la moitié a
entre 18 et 50 ans, et, parmi eux, un sur deux a un seul parent immigré 545 ». Un quart
des immigrés et fils et filles d’immigrés déclare avoir été victime de discriminations 546. Les
saisines liées à l’origine sont le deuxième critère de saisine du Défenseur des droits 547.
Le CERD s’est prononcé sur la situation française en 2010 548 ; le Gouvernement français a remis le 23 mai 2013 ses vingtième et vingt et unième rapports périodiques,
qui devaient être remis en 2012 549. Ces rapports ne seront pas examinés avant 2015.
L’ECRI a adopté son quatrième rapport sur la France le 29 avril 2010 550. Le 20 mars
2013, l’ECRI a adopté des conclusions sur la mise en œuvre des recommandations faisant l’objet d’un suivi intermédiaire adressées à la France 551.
Nous renvoyons aux développements (voir supra) concernant l’opposition entre la
doctrine républicaine et de nombreuses instances internationales, et concernant les
évolutions de l’architecture institutionnelle. En raison du nombre et de la richesse des
observations des instances internationales concernant les Roms et les Gens du voyage,
il est apparu nécessaire de leur consacrer une section spécifique.
545. Voir le site internet de l’INSEE. Voir également Catherine Borrel et Bertrand Lhommeau, « Être né en
France d’un parent immigré », INSEE première, no 1287, 03/2010.
546. Cris Beauchemin, Christelle Hamel, Maud Lesné, Patrick Simon, et l’équipe de l’enquête TeO, « Les discriminations : une question de minorités visibles », Population et sociétés, no 466, avril 2010 ; voir également
Maud Lesné, Patrick Simon, La mesures des discriminations dans l’enquête “Trajectoires et Origine”, Document
de travail Ined, no 184, 2012.
547. Défenseur des droits, Rapport annuel 2012, 2013.
548. CERD, Observations finales sur les dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de
la France, 25/08/2010, 77e session, CERD/C. FRA/CO/17-19.
549. France, Vingtième et vingt et unième rapports périodiques au CERD, 23/05/2013, CERD/C/FRA/20-21.
550. ECRI, Quatrième rapport sur la France, 29/04/2010
551. ECRI, Conclusions sur la mise en œuvre des recommandations faisant l’objet d’un suivi intermédiaire
adressées à la France, 20/03/2013, CRI(2013)22.
215
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
1. Présentation générale
Égalité et discriminations
Nous distinguerons deux types d’observations des instances internationales : celles qui
portent sur des différences de traitement inscrites dans la loi, et celles qui portent sur
des différences de traitement en pratique.
Différences de traitement inscrites dans les textes
Les différences de traitement liées à l’appartenance d’une personne à une race ou une
ethnie sont contraires à la Constitution et à l’ensemble du droit national. La brièveté
de cette partie ne sera donc pas surprenante. Plus fréquent est, par contre, le recours
à des critères apparemment neutres, qui peuvent avoir une « coloration » ethnique,
par exemple concernant les Gens du voyage (voir infra).
Une décision peut néanmoins être citée ; qu’elle soit en lien avec la présence française
en Algérie et la guerre qui a suivi est relativement significatif. La CEDH 552 s’est prononcée sur le refus de versement de l’allocation de reconnaissance à une personne qui
s’était engagée dans les formations supplétives et assimilés pendant la guerre d’Algérie au motif qu’il était « rapatrié de souche européenne ». Cette personne relevait,
avant 1962, du statut civil de droit commun, et non du statut civil de droit local, applicable aux populations arabes ou berbères d’origine locale.
Ce refus relevait du dispositif découlant de la loi no 87-549 du 16 juillet 1987 relative au
règlement de l’indemnisation des rapatriés, la loi du 11 juin 1994 relative aux rapatriés
anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en
Algérie, la loi du 30 décembre 1999, l’article 67 de la loi de finance rectificative pour 2002
et le décret no 2003-167 du 28 février 2003 pris pour l’application de l’article 67 de la loi de
finances rectificative pour 2002. Le CE avait rejeté, dans une décision du 30 mai 2007 553,
le moyen selon lequel ce dispositif était contraire à l’article 14 de la CESDH combiné avec
l’article 1er du premier protocole au motif que « […] l’allocation de reconnaissance vise à
reconnaître les sacrifices consentis par les harkis, moghaznis et anciens membres des formations supplétives et assimilés en Algérie soumis au statut civil de droit local, qui se sont
installés en France, et a pour objet de compenser les graves préjudices qu’ils ont subis
lorsque, contraints de quitter l’Algérie après l’indépendance, ils ont été victimes d’un déracinement et connu des difficultés spécifiques et durables d’insertion lors de leur accueil et
de leur séjour en France ; […] les intéressés, qui relevaient d’un statut juridique spécifique,
se trouvaient dans une situation objectivement différente de celle des anciens supplétifs
soumis au statut civil de droit commun ; […] par suite, si le législateur a subordonné l’octroi
de l’allocation de reconnaissance à la soumission antérieure des intéressés au statut civil
552.CEDH, 23/01/2014, Montoya c. France, Req. no 62170/10.
553. CE, 30/05/2007, Union nationale laïque des anciens supplétifs, Req. no 282553.
216
de droit local, une telle condition est fondée sur un critère objectif et rationnel en rapport
avec les buts de la loi, et ne méconnaît pas les stipulations précitées de la Convention […] ».
La CEDH considère que les intérêts du requérant entrent dans le champ de l’article 1er
du premier Protocole de la CESDH (droit de propriété), et qu’il peut dès lors bénéficier
de la protection de l’article 14 (non-discrimination). La différence de traitement entre
les anciens supplétifs de statut civil de droit local et les anciens supplétifs de statut civil
de droit commun, est, en réalité, « une distinction entre les anciens supplétifs d’origine
arabe ou berbère et les anciens supplétifs d’origine européenne », au sein « d’un groupe
de personnes qui ont en commun d’être d’anciens membres des formations supplétives
auxquelles les autorités françaises ont eu recours lors de la guerre d’Algérie et d’avoir
été rapatriées en France à la fin de celle-ci ». Cependant, la CEDH estime que cette
différence de traitement poursuit un but légitime eu égard au déracinement entraîné
par le départ des anciens supplétifs d’origine arabe ou berbère vers la France métropolitaine et aux difficultés spécifiques et durables d’insertion lors de leur accueil et de
leur séjour en France. Notant que « l’allocation de reconnaissance n’est que l’une des
modalités de la reconnaissance par la France du dévouement à son égard des anciens
supplétifs et des souffrances qu’ils ont endurées », la Cour estime donc que cette différence de traitement n’est pas disproportionnée, et rejette donc cette requête.
L’arrêt de la CEDH prend le soin de souligner que, postérieurement à sa saisine, le
Conseil constitutionnel a annulé une partie du dispositif 554 en ce qu’il réservait le versement de l’allocation de reconnaissance aux seuls Français. Par la suite, le CE 555 a
considéré que la décision du Conseil avait déclaré contraire à la Constitution le fait que
ce dispositif réservait aux seuls ressortissants de statut civil de droit local le bénéfice de
l’allocation de reconnaissance. Cette différence de traitement a donc été supprimée.
Différences de situation
La FRA a publié un rapport intitulé La Directive sur l’égalité raciale : application et défis 556,
qui réalise une synthèse de différentes enquêtes réalisées dans les États membres de l’Union.
Il révèle notamment que, malgré le fait que la directive sur l’égalité raciale ait provoqué
d’importantes réformes législatives dans les États membres de l’Union, ses effets sont difficiles à quantifier : parmi les États où, à l’instar de la France, existait un droit de la nondiscrimination, les partenaires sociaux « ont tendance à douter que cette directive ait eu
un effet pratique », ses effets étant avant tout indirects ou symboliques. La Commission
d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT abonde
dans ce sens, et souligne même que « malgré certaines initiatives, les mesures et dispositifs
ne sembl [ent] pas produire d’effets suffisants pour lutter efficacement contre la discrimination fondée sur la race ou l’ascendance nationale dans l’emploi, notamment en ce qui
concerne l’accès à l’emploi des jeunes français d’origine étrangère 557 ».
554. Conseil constitutionnel, 04/02/2011, n° 2010-93 QPC : Comité Harkis et Vérité.
555. CE, 20/03/2013, Req. no 342957.
556. FRA, La Directive sur l’égalité raciale : application et défis, 2012.
557. Commission d’experts de l’OIT, Observation : Convention no 111 concernant la discrimination (emploi
et profession), 102e session CIT (2013), 2012.
217

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Statistiques « ethniques »
De manière répétée, les instances internationales, notamment le CERD et l’ECRI, recommandent à la France de procéder au recensement de la population sur la base d’une
auto-identification ethnique ou raciale des individus, qui soit purement volontaire et
anonyme afin d’« identifier et d’avoir une meilleure connaissance des groupes ethniques
présents sur leur territoire, des types de discriminations dont ils sont ou peuvent être
victimes, d’apporter les réponses et les solutions adaptées aux formes de discriminations identifiées et, enfin, de mesurer les progrès effectués 558 ».
Ainsi que le reconnaît la FRA dans un rapport sur la lutte contre les discriminations raciales,
la France n’est pourtant pas isolée sur ce point, puisque, en Allemagne et au Portugal, il
est également illégal de collecter des statistiques relatives aux minorités raciales ou ethniques. Cependant, la FRA souligne les difficultés qui existent pour présenter un bilan réel
des discriminations existantes sans outil statistique, et écarte l’argument tiré de l’atteinte
à la vie privée, les recherches démontrant « que la plupart des personnes appartenant à
des groupes minoritaires seraient disposées à indiquer leurs origines ethniques dans un
recensement anonyme destiné à lutter contre les discriminations 559 ». Dans son avis du
22 mars 2012, la CNCDH a rappelé en outre qu’il existait d’autres possibilités de recueil
de données fondées sur l’origine des personnes, grâce à des éléments objectifs tels que
le lieu de naissance et la nationalité des personnes et de leurs parents.
L’EPU a été l’occasion de renouveler ces recommandations 560. En réponse à celles-ci,
le Gouvernement a réitéré son opposition de principe. Il souligne d’une part les obstacles liés au droit français, qui « ne reconnaît pas la notion de minorité » ; le Conseil
constitutionnel a jugé que « si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la
mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le
principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la
race 561 ». D’autre part, le Gouvernement souligne que l’appareil statistique est suffisant pour mesurer les discriminations, et qu’il existe un large consensus dans la société
civile pour ne pas mettre en place de référentiel ethnoracial.
Les possibilités existantes avaient été mises en valeur par le rapport du Comité pour la mesure
et l’évaluation de la diversité et des discriminations, à qui le président de la République avait,
dans un discours du 17 décembre 2008, demandé d’identifier les « outils statistiques permettant de mesurer sa diversité, pour identifier précisément ses retards et mesurer ses progrès ». Si le rapport du Comité s’opposait à un bouleversement général du droit applicable
en la matière, il suggérait la mise en place de quelques outils, et notamment d’un rapport
de situation comparée. La Commission d’experts de l’OIT prend acte de ce rapport, et
demande au Gouvernement les suites qu’il entend y donner 562. Elle demande également
558. CERD, Observations finales sur les dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de
la France, 25/08/2010, 77e session, CERD/C.FRA/CO/17-19.
559. FRA, Lutter contre la discrimination raciale, 01/2012.
560. Reco. no 120.46 et 120.47.
561. Conseil constitutionnel, 15/11/2007, DC no 2007-557.
562. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 111 concernant la discrimination
(emploi et profession), 102e session CIT (2013), 2012.
218
au Gouvernement de fournir des informations sur la diffusion auprès des entreprises d’un
guide publié par la CNIL et le Défenseur des droits sur la collecte des données concernant
l’égalité dans l’emploi 563. Ce guide « précise les procédures à suivre pour établir des indicateurs de mesure fiables afin de permettre aux employeurs d’agir pour l’égalité en respectant la législation et en assurant la protection des données personnelles ».
Pour une illustration des ressources statistiques existant en France, il convient de renvoyer
vers les résultats de l’enquête Trajectoire et Origine (TeO). Cette enquête a été réalisée
entre septembre 2008 et février 2009 par l’INED et l’INSEE en France métropolitaine,
sur un échantillon de 21 000 personnes : immigrées, natives d’un DOM, descendantes
d’immigrés, descendantes d’originaires d’un DOM, natives de France métropolitaine
dont aucun parent n’est immigré ou originaire d’un DOM. Elle « cherche à appréhender dans quelle mesure les origines migratoires (géographiques ou nationales) sont
susceptibles de modifier les conditions et chances d’accès aux biens, services et droits
qui fixent la place de chacun dans la société : logement, éducation, emploi et promotion, services publics et prestations sociales, santé, relations sociales, nationalité et
citoyenneté 564 » et permet de dresser un bilan des discriminations à raison de l’origine.
Profilage ethnoracial
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe avait dénoncé la
pratique de contrôle au faciès 565, et l’ECRI avait souligné que la question du profilage
racial était, en France, un problème sérieux 566. Cinq recommandations de l’EPU ont
été consacrées à ce sujet 567. La France a fait savoir, dans sa réponse, qu’elle estimait la
loi suffisante pour interdire ces pratiques. Le dispositif législatif doit être lu à la lumière
de la déclaration interprétative du Conseil constitutionnel qui avait estimé que « la
pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires [est] incompatible avec
le respect de la liberté individuelle 568 ». Plusieurs garanties sont mises en avant par le
Gouvernement français : les contrôles d’identité sont « effectués sous le contrôle de
l’autorité judiciaire, avec pour objectifs la prévention des atteintes à l’ordre public et la
recherche des auteurs d’infractions à la loi pénale. Ils ne peuvent intervenir, à l’initiative
des forces de l’ordre ou sur réquisition du procureur de la République, que dans des
cas limitativement définis ». De plus, les policiers et gendarmes sont tenus au respect
de règles déontologiques. Un code de déontologie commun 569 consacre une obligation d’impartialité et la prohibition des discriminations.
563. CNIL, DDD, Mesurer pour progresser vers l’égalité des chances, guide méthodologique à l’usage des
acteurs de l’emploi, 03/2012.
564. Trajectoire et Origines, Enquête sur la diversité des populations en France, Documents de travail n° 168,
10/2010.
565. Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, 20/07/2009, intervention disponible sur le
site Internet du Conseil de l’Europe (rubrique « Commissaire aux droits de l’homme/Points de vue »).
566. ECRI, Quatrième rapport sur la France, 29/04/2010.
567. Reco. nos 120.97, 120.98, 120.99, 120.100, 120.101.
568. Conseil constitutionnel, 05/08/1993, Contrôles et vérifications d’identité, Décision no 93-323 DC.
569. Décret no 2013-1113 du 04/12/20 3 relatif aux dispositions des livres Ier, II, IV et V de la partie réglementaire du code de l’insécurité intérieure (Décrets en Conseil d’État et décrets simples), Article R. 434-11.
219

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Le Gouvernement souligne également que le président de la République s’est engagé
« à lutter contre le “délit de faciès” dans les contrôles d’identité par une procédure respectueuse des citoyens ». Néanmoins, la délivrance d’un récépissé a été écartée. Depuis
le 1er janvier 2014, sauf exception les « agents qui exercent leurs missions en tenue
d’uniforme doivent être porteurs, au cours de l’exécution de celles-ci, de leur numéro
d’identification individuel 570 ». Cela doit permettre de sortir les contrôles d’identité de
l’anonymat qui a souvent été pointé comme source d’impunité.
Politiques publiques de lutte contre les discriminations
La Commission d’experts de l’OIT recommande au Gouvernement de « prendre
sans tarder des mesures, en collaboration avec les organisations de travailleurs et
d’employeurs, afin de s’attaquer de manière effective au problème ». À l’occasion de
l’EPU, plusieurs États ont également recommandé à la France d’améliorer le dispositif existant, en insistant notamment sur la nécessité d’adopter des mesures positives
pour lutter contre ces discriminations 571, et sur l’élimination de « toutes les pratiques
discriminatoires qui empêchent les personnes appartenant à des minorités ethniques
de bénéficier de l’égalité d’accès à l’emploi 572 ». Le Gouvernement souligne, dans sa
réponse, les progrès accomplis ces dernières années : la reconnaissance des discriminations indirectes est à ce titre une étape décisive (voir supra) pour lutter contre les
discriminations en matière d’emploi ou d’aides sociales.
Le CEDS, dans ses conclusions 2011, prend également note des informations relatives
à la formation des agents publics de l’État en ce qui concerne le respect des différences,
la neutralité du service public et, plus généralement, le respect d’autrui 573. Il demande
des informations complémentaires sur les formations mises en œuvre en direction des
officiers de la police judiciaire par les magistrats référents chargés de l’animation des
pôles antidiscrimination.
Racisme et la xénophobie
Le rapport de la FRA consacré aux droits de l’homme en période de crise établit une
corrélation entre crise économique et crise politique, qui se manifeste notamment par
« l’expression plus ouverte d’attitudes xénophobes et discriminatoires », et une défiance
à l’égard des autres habitants de l’UE mettant à mal la solidarité au sein de l’Union.
Ce constat rencontre celui présenté par la CNCDH à l’occasion de son rapport annuel
sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Nous incitons très fortement les lecteurs à se reporter à la dernière édition de ce rapport 574. La CNCDH est
570. Arrêté du 24/12/2013 relatif aux conditions et modalités de port du numéro d’identification individuel
par les fonctionnaires de la police nationale, les adjoints de sécurité et les réservistes de la police nationale,
NOR : INTC1327617A, JORF no 0300 du 27 décembre 2013.
571. Reco. no 120.5.
572. Reco. no 120.40.
573. CEDS, Conclusions 2011 (France) articles 7, 8, 16, 17, 19, 27 et 31 de la charte révisée, 01/2012.
574. CNCDH, Rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 2013, La Documentation
française, 2014.
220
confrontée chaque année à de nombreuses difficultés dans l’établissement de l’état
des lieux du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie. Les indicateurs utilisés,
que vous trouverez ci-dessous, doivent donc être pris avec une extrême précaution.
Nombre de victimes de la violence raciste, antisémite et antimusulmane par années
*Jusqu’en 2010, les victimes musulmanes ont été intégrées dans le bilan général des victimes du racisme ;
depuis 2011, elles font l’objet d’un décompte spécifique.
Racisme dans l’opinion publique : l’indice longitudinal de tolérance 575 (1990-2013)
575. Indice élaboré par Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj.
221

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Antisémitisme
Le Représentant personnel de la présidence de l’OSCE sur la lutte contre l’antisémitisme a effectué une visite en France du 23 au 25 avril 2013, où il a rencontré
des représentants de la communauté juive, des ministères et de la CNCDH 576. Il décrit
la France comme un pays marqué par un antisémitisme profond, dont l’augmentation
serait liée aux agissements d’une partie de la communauté arabe et musulmane. À cet
égard, il regrette que l’interdiction des statistiques ethniques ne permette pas d’identifier les auteurs des actes antisémites sur une base ethno-raciale. Il consacre une partie de son rapport aux propos antisémites sur Internet, et appelle à la mise en place
d’une solution négociée avec les fournisseurs d’accès Internet et les réseaux sociaux,
pour limiter les propos haineux sans avoir recours à la voie contentieuse.
La FRA a mené une enquête sur les expériences et les perceptions de l’antisémitisme
par des personnes juives 577. L’enquête a été menée sur la base d’un questionnaire standardisé administré en ligne, couvrant des échantillons d’entre 350 et 1 500 hommes
et femmes dans neuf États membres de l’UE. En France, 1 192 personnes ont répondu
à cette enquête. Pendant quatre semaines, l’enquête était accessible en ligne à tous
les participants éligibles, à savoir les personnes âgées de plus de seize ans qui se définissaient comme juives. L’étude identifie la France comme l’un des deux pays avec le
plus fort taux de personnes enquêtées considérant l’antisémitisme comme problématique. La France, la Hongrie, la Belgique sont les trois pays où les répondants ont été
le plus confrontés indirectement à des actes antisémites soit en tant que témoins, soit
à travers leur cercle de proches. De même, la France, la Belgique et la Hongrie sont
les trois pays où les personnes ont le plus affirmé éviter de porter des signes religieux
distinctifs, et où un nombre important de répondants ont indiqué avoir considéré émigrer au cours des cinq dernières années parce qu’ils ne se sentaient pas en sécurité en
tant que juifs. En France et en Belgique, les personnes enquêtées ont particulièrement
établi une corrélation entre conflit au Moyen-Orient et antisémitisme.
Discours publics
Le Rapporteur des Nations unies sur les droits de l’homme des migrants souligne que « la question des migrations est devenue de plus en plus sensible en Europe,
donnant souvent lieu à des débats publics polarisés et houleux et se transformant en
un enjeu décisif lors des élections nationales 578 ». Une recommandation de l’EPU a
été consacrée aux discours politiques racistes ou xénophobes 579. Il s’agit là d’un sujet
de préoccupation des instances internationales ; l’ECRI avait consacré une partie de
576. Rabbi Andrew Baker, Report of the Personal Representative of the OSCE Chairperson-in-Office on
Combating Anti-Semitism, April 23-25, 2013, 18/10/2013, CIO.GAL/147/13.
577. FRA, Discrimination and Hate Crime Against Jews in EU Member States : Experiences and Perceptions
of Antisemitism, 2013.
578. Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, François Crépeaux, Étude régionale : la gestion des frontières extérieures de l’Union européenne et ses incidences sur les droits de l’homme des migrants,
24/04/2013, A/HRC/23/46.
579. Reco. 120.72.
222
son rapport de 2010 au racisme dans le discours public, et c’était l’un des sujets d’inquiétude du CERD en 2010 580. Le CERD a adopté une recommandation générale sur
la lutte contre les discours de haine raciale 581. L’APCE a adopté plusieurs résolutions
à ce propos 582.
Le CEDS a repris, dans ses conclusions relatives au rapport de la France pour 2011 583,
les critiques formulées par l’ECRI lors de son quatrième rapport. Celui-ci relevait que
« plusieurs propos tenus notamment sur des questions d’immigration et d’intégration par
des responsables politiques, y compris par des élus et des membres du Gouvernement,
ont été ressentis comme encourageant l’expression du racisme et particulièrement de
la xénophobie », et incitait les leaders politiques à prendre des précautions particulières
« pour veiller à ce que le message transmis à la société dans son ensemble ne soit pas
de nature à fomenter ou encourager l’intolérance ». L’ECRI « a aussi souligné l’importance d’éviter que certains médias, notamment dans le cadre d’internet, contribuent
à créer une atmosphère d’hostilité et de rejet envers les membres des groupes minoritaires ». Le CEDS demande donc au Gouvernement de fournir lors du prochain rapport
« une description complète et à jour des mesures éventuellement prises à l’encontre
de la propagande trompeuse concernant les travailleurs migrants ».
À l’occasion de son examen du respect par la France de la Convention no 97 de l’OIT
sur les travailleurs migrants 584, la Commission d’experts de l’OIT s’est prononcée sur
la propagande trompeuse concernant l’immigration et les travailleurs migrants, obligation qui découle de l’article 3 de la Convention. À la suite d’observations de la CGT
concernant « les préjugés et la stigmatisation de la population migrante qui ont cours
en France, notamment les stéréotypes discriminatoires relatifs aux personnes des communautés Roms », la Commission « prie le Gouvernement de fournir des informations
complètes sur les mesures prises, en collaboration avec les partenaires sociaux et, le
cas échéant, d’autres parties prenantes concernées pour prévenir et combattre efficacement les préjugés relatifs à l’immigration ainsi que la stigmatisation et la propagation de stéréotypes relatifs aux travailleurs migrants, notamment à la population rom,
et de communiquer des informations complètes sur les résultats obtenus ».
Il convient enfin de mentionner une recommandation de l’EPU 585 concernant l’ajout
dans les programmes scolaires des éléments pertinents qui permettent de combattre
les préjugés négatifs contre les groupes de la société française d’origine immigrée.
Le Gouvernement a accepté cette recommandation, et a rappelé que « le respect de
580. CERD, Observations finales sur les dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de
la France, 25/08/2010, 77e session, CERD/C.FRA/CO/17-19.
581. CERD, Recommandation générale no 35, lutte contre les discours de haine raciale, 26/09/2013.
582. APCE, 06/2012, Image des migrants et des réfugiés véhiculée pendant les campagnes électorales, Rés.
no 18892 ; APCE, 30/11/2012, Le rôle des ONG dans la lutte contre l’intolérance, le racisme et la xénophobie,
Rés. n° 1910 ; APCE, 30/01 2013, Lutter contre la haine à l’égard des migrants : les parlementaires doivent
montrer la voie
583. CEDS, Conclusions 2011 (France) articles 7, 8, 16, 17, 19, 27 et 31 de la Charte révisée, 01/2012.
584. Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, Rapport III, Partie IA,
102e session, 2013, p. 864.
585. Reco. no 120.71.
223

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
soi et des autres est inscrit dans le socle commun de connaissances, de compétences
et de culture », et que la lutte contre les discriminations de manière générale et plus
particulièrement contre le racisme l’antisémitisme et la xénophobie font l’objet d’une
formation spécifique.
Plan national d’action contre le racisme et l’antisémitisme
Lors de la Conférence mondiale des Nations unies contre le racisme, la discrimination
raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, qui s’est tenue du 31 août
au 8 septembre 2001 à Durban, en Afrique du Sud, les États signataires – dont la
France – ont convenu d’une déclaration et d’un programme d’action 586 qui « engage
vivement les États à établir et mettre en œuvre sans tarder des politiques et des plans
d’action nationaux pour lutter contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie, et l’intolérance qui y est associée, y compris leurs manifestations sexospécifiques ».
En août 2010, à l’occasion de l’examen du rapport de la France par le CERD, le
Gouvernement, répondant à une recommandation de ce Comité, a annoncé l’élaboration d’un plan national de lutte contre le racisme. Celui-ci a été rendu public le
15 février 2012 587. Il a été complété par un programme d’action le 26 février 2013.
Ces deux documents ont été adoptés dans un contexte de libération de la parole
raciste. À titre d’illustration, il est possible d’évoquer ici la condamnation, par le HautCommissariat aux droits de l’homme des Nations unies 588 et par Viviane Reding 589,
vice-présidente de la Commission européenne, d’insultes racistes adressées à Christiane
Taubira, ministre de la Justice.
À l’occasion de l’EPU, différents États ont demandé à la France de continuer à mettre
en œuvre le plan national de lutte contre le racisme. En réponse, le Gouvernement a
mis en avant quelques points du programme d’action complémentaire : l’amélioration
de la formation initiale des agents de l’État, avec un module portant sur les valeurs
de la République, les droits de l’homme et la lutte contre les préjugés, et l’amélioration de la prise en charge des victimes. Le ministère de la Justice a également appelé
l’attention des parquets généraux sur la nécessité d’apporter une réponse ferme aux
actes à caractère raciste ou xénophobe 590. Celle-ci s’inscrit dans le cadre d’une politique vigilante qui a abouti à une augmentation de 8 % des condamnations pour des
infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe. Le Gouvernement souligne
également les efforts engagés pour améliorer le dispositif statistique concernant le
recensement des actes antimusulmans.
586. Nations unies, Rapport de la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, Durban, 31/08- 08/09/2001, A/CONF.189/12.
587. Plan national d’action contre le racisme et l’antisémitisme 2012–2014.
588. LeMonde.fr avec AFP, L’ONU s’alarme des attaques « racistes » à l’encontre de Taubira, 15/11/2013.
589. Lefigaro.fr avec AFP Viviane Reding dénonce les insultes à Taubira, 13/11/2013.
590. Ministre de la Justice, dépêche du 30 mars 2012 et dépêche du 27 juin 2012.
224
À l’occasion de son examen de la mise en œuvre de la Convention no 111 concernant
la discrimination, la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations de l’OIT a également demandé au Gouvernement de fournir des éléments
d’informations concernant « le contenu et la mise en œuvre du Plan national d’action
contre le racisme et l’antisémitisme en ce qui concerne l’éducation, la formation professionnelle et l’emploi 591 ».
FOCUS – Racisme sur Internet
Dans son rapport sur la France, l’ECRI a « recommandé vivement aux autorités françaises
de poursuivre et de renforcer leurs efforts en vue de lutter contre les formes d’expression raciste diffusées au moyen d’Internet ». L’ECRI « a recommandé de mener une campagne d’information auprès du grand public sur l’interdiction des propos incitant à la
haine raciale véhiculés par le biais d’Internet et sur la possibilité de signaler les contenus portant atteinte à cette interdiction ». Une recommandation similaire a été formulée lors de l’EPU 592.
Dans le cadre de ses conclusions dans le cadre du suivi intermédiaire de la France 593,
l’ECRI analyse le renforcement des institutions en charge de la lutte contre le racisme sur
internet : la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des
signalements des contenus illicites de l’internet (PHAROS) a vu son site amélioré et ses
effectifs renforcés ; l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de
l’information et de la communication (OCLCTIC) a amélioré sa coopération avec l’association des fournisseurs d’accès et de services internet. L’OCLCTIC, en 2011, a traité 8 605
cas concernant des contenus racistes ou discriminatoires, soit une augmentation de 12 %
par rapport à 2010 ; trente-six enquêtes judiciaires liées au racisme et à la discrimination
raciale, ont été ouvertes. En conséquence, « l’ECRI juge les efforts faits par les autorités
satisfaisants en ce qui concerne le suivi des infractions à caractère raciste commises sur
internet et les poursuites engagées contre les auteurs ».
Cependant, si l’ECRI prend note des efforts engagés pour sensibiliser le grand public à la
lutte contre le racisme sur Internet, elle considère ceux-ci comme insuffisants. En conséquence, elle estime que sa recommandation n’a été que partiellement suivie.
2. Roms et Gens du voyage
Le point de vue des instances internationales sur le traitement par les autorités françaises des Roms et Gens du voyage est symptomatique des tensions entre la logique
universaliste de la doctrine républicaine et certaines tendances du droit international
des droits de l’homme. Une attitude conforme aux principes républicains impose de
ne pas prendre en considération l’appartenance de certaines parties de la population
591. Commission d’experts de l’OIT, Observation : Convention no 111 concernant la discrimination (emploi
et profession), 102e session CIT (2013), 2012.
592. Reco. no 120-73.
593. ECRI, Conclusions sur la mise en œuvre des recommandations faisant l’objet d’un suivi intermédiaire
adressées à la France, 20/03/2013, CRI(2013)22.
225

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
roumaine et bulgare à une minorité « rom 594 », mais permet d’asseoir une politique
publique sur le nomadisme de quelques individus, consacrant une catégorie administrative de « Gens du voyage ». À l’inverse, les instances internationales considèrent que
les Roms constituent une minorité vulnérable qui préexiste à l’action publique, et qu’il
appartient donc aux autorités nationales de les protéger, en mettant en place des politiques publiques spécifiques. L’absence de prise en compte de cette vulnérabilité aboutit
à traiter de la même manière des personnes dans une situation différente et s’analyse,
selon certaines instances internationales comme un traitement discriminatoire. Face à
ces accusations, la France met en valeur la qualité du dispositif de droit commun, qui
a vocation à accueillir chacun, qu’il se revendique Rom ou non.
Il convient à ce stade de donner quelques précisions terminologiques. Dans son avis
sur le respect des droits des Gens du voyage et des Roms migrants au regard des
réponses récentes de la France aux instances internationales, la CNCDH a distingué
deux populations. Le premier de ces groupes, les Gens du voyage, rassemble les individus qui relèvent d’une catégorie administrative qui « réunit des individus qui possèdent pour la très grande majorité la nationalité française et qui ont un mode de vie
traditionnel fondé à l’origine sur la mobilité et le voyage, même si nombre d’entre eux
sont aujourd’hui sédentaires ». Leur nombre est estimé à 400 000 personnes 595. Le
second de ces groupes, les Roms ou Roms migrants, « rassemble les personnes vivant
sur le territoire national, venant essentiellement des pays d’Europe centrale et orientale (Roumanie, Bulgarie, pays de l’ex-Yougoslavie) et se reconnaissant comme Roms ».
Leur nombre est évalué entre 15 000 et 20 000 596.
Les instances internationales, à l’exception notable du CERD, ne reprennent pas nécessairement la dichotomie entre Roms et Gens du voyage. L’Union européenne et les
instances du Conseil de l’Europe incluent ainsi les Gens du voyage dans l’entité Roms.
Les personnes désignées par la CNCDH sous le terme de Roms sont désignées le plus
souvent par les instances du Conseil de l’Europe comme Roms migrants.
La plupart des instances internationales se sont prononcées sur ce sujet : pour l’Union
européenne, la Commission, mais aussi le Conseil économique et social européen 597 ;
la quasi-totalité des instances du Conseil de l’Europe (CEDH, CEDS, ECRI, Commissaire
aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, APCE, Comité des ministres), certaines instances spécifiques ayant même été créées (Comité d’experts sur les Roms et
Gens du voyage et Coordonnateur des activités du Conseil de l’Europe concernant les
Roms et les Tsiganes) 598 ; au niveau des Nations unies, le CERD avait consacré deux
594. Il convient ici de souligner que les autorités nationales n’ont pas toujours respecté les principes républicains : nous renverrons aux développements concernant la circulaire du 5 août 2010 dans le 6e paragraphe
de cette partie.
595. Constance Jamet, « Gens du voyage, Roms : des réalités bien différentes », Lefigaro.fr, 08/07/2013.
596. Défenseur des droits, Bilan d’application de la circulaire interministérielle du 26 août 2012 relative à
l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites d’août 2012 à
mai 2013, 06/2013.
597. CESE, 14/11/2012, Avis sur l’autonomisation sociale et intégration des citoyens roms en Europe, SOC/447.
598. Pour une analyse détaillée des travaux du CoE sur les Roms et Gens du voyage, voir Carole Nivard, « La
situation des Roms et des Gens du voyage en France saisie par le Conseil de l’Europe », RDLF 2013, chron. no 25.
226
recommandations prioritaires de ses observations sur le rapport de la France aux Roms
et Gens du voyage. La France a répondu à celles-ci le 11 août 2011, ce à quoi le CERD a
répondu par un courrier du 9 mars 2012. Des experts indépendants se sont également
prononcés sur cette question. De manière récente, il convient enfin de souligner l’action
du bureau régional du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies,
qui a organisé un colloque à Madrid sur la ségrégation des Roms 599 dans le logement.
Des populations stigmatisées
Plusieurs recommandations de l’EPU ont été consacrées à la lutte contre la stigmatisation et les discriminations dont peuvent être l’objet les Roms 600. Ce rejet découle
notamment de l’amalgame permanent, dans les discours publics, entre Roms et Gens
du voyage, migrants et nomades. Le Gouvernement a insisté dans sa réponse sur la
stratégie du Gouvernement français pour l’inclusion des Roms et présenté les trois axes
de la politique de lutte contre le racisme : mettre fin à la confusion entre migrants et
nomades ; développer des supports de lutte contre les préjugés ; valoriser des expériences et des parcours individuels réussis.
Ce rejet a pu entraîner des passages à l’acte. En témoignent les faits sur lesquels porte
la lettre adressée le 9 novembre 2011 601 aux autorités françaises par le Rapporteur
spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale,
de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée et l’Experte indépendante
sur les questions relatives aux minorités. Le 27 septembre 2012, des habitants
de Marseille auraient expulsé des familles roms installées sur un campement, mis le
feu à leurs effets personnels et au campement. Les auteurs de cette lettre expriment
leur préoccupation face à la réaction de ces habitants et à l’inaction prétendue des
pouvoirs publics, y compris de la police, qui n’a pas permis de poursuivre ni de sanctionner ces actes ; cette inaction contribue à « aggraver l’hostilité envers les Roms et
les tensions entre les populations roms et non roms ». Les deux titulaires de mandat
rappellent aux autorités nationales les termes de la Recommandation générale no 27
du CERD concernant la discrimination à l’égard des Roms (2000) qui met l’accent sur
la nécessité d’une politique d’intégration qui évite la ségrégation des Roms dans le
logement, qui les implique pleinement, et qui lutte contre les discriminations dont ils
peuvent être victimes. Ils insistent également sur la nécessité de lutter contre les préjugés dont peuvent être victimes les Roms ainsi que sur l’obligation de protéger les droits
des Roms en tant que minorité qui découle de la déclaration de 1992 des Nations unies
sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques 602.
599. Site internet du Bureau européen du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, Madrid
colloquium addresses Roma segregation in housing, 17/01/2014.
600. Recommandation nos 120.67 ; 120.145 ; 120.147 ; 120.150 ; 120.151 ; 120.152 ; 120.156.
601. Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie
et de l’intolérance qui y est associée, et de l’Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités,
Courrier du 09/11/2012.
602. Assemblée générale des Nations unies, Déclaration des droits des personnes appartenant à des minorités
nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, Résolution no 47/135 du 18 décembre 1992.
227

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Stratégie nationale d’intégration des Roms
La Commission européenne est intervenue plusieurs fois, notamment lors de l’été 2012,
lorsque les évacuations des campements de Roms et les éloignements se multipliaient 603.
Elle a adopté en avril 2010 une communication intitulée L’Intégration sociale et économique des Roms en Europe 604, suivie, le 5 avril 2011, d’une communication sur le
Cadre de l’UE pour les stratégies nationales d’intégration des Roms 605. Ce cadre propose une approche ciblée en faveur de l’intégration des Roms, définis largement et
incluant les Gens du voyage, en fixant des objectifs en matière d’éducation, d’emploi,
de santé et de logement. Comme l’ensemble des États européens, la France a mis en
place une stratégie nationale d’intégration des Roms 606.
La Commission européenne a réalisé une première évaluation des stratégies nationales
le 21 mai 2002 607. Concernant la France, la Commission salue, d’une manière générale, les politiques publiques qui ne visent pas spécifiquement les Roms, mais qui leur
bénéficient : lutte contre le chômage de longue durée, principe d’égalité dans l’accès
à l’éducation, droit au logement opposable, etc. Elle salue également la richesse de la
société civile et l’implication des acteurs locaux. Elle formule un ensemble de critiques
qui tiennent aux méthodes d’élaboration et d’évaluation des politiques publiques visant
à l’intégration des Roms et Gens du voyage, et notamment au manque d’indicateurs
statistiques visant spécifiquement les Roms 608.
La Commission s’est prononcée sur les avancées réalisées dans la mise en œuvre des
stratégies nationales d’intégration des Roms en 2013 609. Elle a identifié quelques points
manquants dans la stratégie française : l’absence d’allocation de ressources financières
proportionnées, de mécanisme national de suivi permettant de mesurer les résultats
et les effets de la stratégie nationale, et l’insuffisance des efforts pour lutter contre les
discriminations.
603. Commission européenne, Rapport 2012 sur l’application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne, 08/05/2013, {SWD(2013) 171 final}.
604. Commission européenne, Communication au Conseil, au Parlement européen, Comité économique
et social européen et au Comité des régions. L’intégration sociale et économique des Roms en Europe,
07/04/2010, COM/2010/0133 final.
605. Commission européenne, Communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique
et social européen et au Comité des régions, Cadre de l’UE pour les stratégies nationales d’intégration des
Roms pour la période allant jusqu’à 2020, 05/04/2011, COM/2011/0173 final.
606. Gouvernement français, Une place égale dans la société française : stratégie du Gouvernement français pour l’inclusion des Roms dans le cadre de la communication de la Commission du 5 avril 2011 et des
conclusions du Conseil du 19 mai 2011, 02/2012
607. Commission européenne, Stratégies nationales d’intégration des Roms : un premier pas dans la mise en
œuvre du cadre de l’UE, 21/05 20012, COM(2012) 226 final.
608. Commission européenne, Factsheet – France, 23/05/2012.
609. Commission européenne, Avancées réalisées dans la mise en œuvre des stratégies nationales d’intégration des Roms, 26/06/2013, COM(2013) 454 final.
228
Cette implication des instances de l’Union européenne s’est traduite par l’adoption
du premier instrument juridique de l’UE relatif à l’inclusion des Roms, le 9 décembre
2013 610. Si cet instrument est non contraignant, il a été l’occasion pour les États de
renouveler leur engagement d’entreprendre « des actions ciblées pour combler les écarts
entre les Roms et le reste de la population ». L’Union européenne participe également
à l’effort budgétaire à travers différents fonds structurels 611.
Les autres instances internationales se sont également penchées sur la mise en œuvre
de la stratégie nationale d’inclusion des Roms. Le CERD a ainsi demandé à être informé
dans le prochain rapport périodique soumis au Comité de la mise en œuvre des engagements européens de la France 612 ; elle a été évoquée à plusieurs reprises lors de l’EPU,
et le CEDS a pris en compte cette stratégie dans ses décisions.
Lutte contre les discriminations
à l’égard des Gens du voyage
Il ressort des résultats d’une enquête de la FRA que les Roms et les Gens du voyage
en France se sentent victimes de discrimination dans l’accès à l’éducation, à l’emploi,
à la santé, au logement 613. Ces constats sont partagés par la Commission d’experts
de l’OIT, qui regrettent que « la situation des Gens du voyage au regard de l’accès à
l’éducation, à la formation professionnelle, à l’emploi et aux différentes professions
ne semble pas s’être améliorée », et « incite le Gouvernement à prendre des mesures
concrètes visant spécifiquement à promouvoir l’égalité de chances et de traitement
des Gens du voyage en matière d’emploi et de profession, notamment des mesures
destinées à améliorer leur niveau de qualification, à reconnaître et valider leurs compétences professionnelles et à permettre leur inscription auprès du service de l’emploi 614 ».
Livret de circulation
À l’occasion de ses observations finales de 2010 615, le CERD avait recommandé « d’abolir les titres de circulation des “Gens du voyage” de manière à garantir une égalité
de traitement entre tous les citoyens de l’État partie ». Les obligations des Gens du
voyage sont inscrites dans la loi no 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des
activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans
610. Recommandation du Conseil relative à des mesures efficaces d’intégration des Roms dans les États
membres, 09/12/2013, 2013/0229 (NLE).
611. Commission européenne, Adoption du premier instrument juridique de l’UE relatif à l’inclusion des Roms,
communiqué de presse, 9/12/2013, IP/13/1226.
612. Alexei Avtonomov, président du CERD, Courrier du 09/03/2012.
613. FRA, La Situation des Roms dans 11 États membres de l’UE : les résultats des enquêtes en bref, Office
des publications de l’Union Européenne, 2013.
614. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 111 concernant la discrimination
(emploi et profession), 102e session CIT (2013), 2012.
615. CERD, Observations finales sur les dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques de
la France, 25/08/2010, 77e session, CERD/C.FRA/CO/17-19.
229

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
domicile ni résidence fixe. Si le Gouvernement français a répondu au Comité 616, il a
préféré se concentrer sur les politiques concernant les Roms et n’a pas répondu à la
recommandation prioritaire concernant l’abolition des titres de circulation.
En 2014, le Comité des droits de l’homme s’est prononcé sur une amende prononcée le 29 février 2004 contre une personne appartenant à la communauté des Gens
du voyage qui n’avait pas fait viser son carnet de circulation 617. Le décret no 70-708
du 31 juillet 1970 portant application du titre Ier et de certaines dispositions du titre II
de la loi no 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au
régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe
prévoyait une amende de 5e classe pour les personnes appartenant à la communauté
des Gens du voyage qui n’ayant pas fait viser leur carnet de circulation. Le Comité
estime que l’obligation de faire viser ce carnet de circulation à dates rapprochées, ainsi
que la possibilité de sanctionner pénalement ces personnes ne sont ni nécessaires ni
proportionnées au résultat escompté. Le Comité constate donc une violation de l’article 12 du Pacte. Il enjoint donc de fournir au requérant un recours utile permettant
de réparer la violation et de modifier sa législation pour éviter des violations analogues.
Dans cette affaire, les dates sont importantes. En effet, le Conseil constitutionnel a
déclaré contraire à la Constitution plusieurs dispositions de la loi du 3 janvier 1969
relative aux obligations spécifiques des Gens du voyage en octobre 2012 618, soit postérieurement à la date de l’amende, et à la date à laquelle se sont prononcées les juridictions nationales dans l’affaire Ory. Le droit condamné par le Comité des droits de
l’homme n’était donc plus en vigueur lorsque celui-ci s’est prononcé.
Le Conseil constitutionnel a considéré que, dans son principe même, l’obligation faite
aux personnes sans domicile ni résidence fixe de plus de six mois d’être munies d’un
titre de circulation n’institue aucune discrimination fondée sur une origine ethnique
et repose sur des critères objectifs et rationnels. Le Conseil constitutionnel a considéré
que l’atteinte portée à la liberté d’aller et de venir qui en résulte est justifiée par la
nécessité de protéger l’ordre public et proportionnée à cet objectif. Il a de plus considéré que la distinction opérée par le législateur entre les personnes qui pratiquent un
mode de vie itinérant en logeant de façon permanente dans un abri mobile et les autres
personnes n’ayant ni domicile ni résidence fixe depuis plus de six mois se fonde sur
une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit et, par
suite, ne méconnaît pas le principe d’égalité 619. Cependant, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l’article 5 de la loi de 1969, qui prévoyait une
peine d’emprisonnement de trois mois à un an pour les personnes qui circulent sans
carnet de circulation. L’article 20 du décret no 70-708, devenu depuis l’article 11, est
toujours en vigueur, mais se voit privé de base légale. La décision du Conseil constitu-
616. Communication de la France suite aux recommandations prioritaires du CERD 11/08/2011, CERD/C/
FRA/CO/17-19/Add.1
617. Comité des droits de l’homme, 28/03/2014, Claude Ory, Com. no 1960/2010, CCPR/C/100/D/1960/2010
618. Conseil constitutionnel, Décision no 2012-279, QPC du 5/10/2012, M. Jean-Claude P. [Régime de circulation des Gens du voyage].
619. Voir les 20e et 21e rapports périodiques de la France au CERD, 23 mai 2013, CERD/C/FRA/20-21.
230
tionnel a permis de prévenir une partie des violations analogues, mais l’obligation de
faire viser le carnet de circulation à dates rapprochées perdure.
Droit de vote
Dans sa décision sur le bien-fondé du 19 octobre 2009 620, le CEDS avait estimé que
les dispositions de la loi no 69-3 du 3 janvier 1969 qui n’autorisent l’inscription sur
une liste électorale qu’aux Gens du voyage qui sont rattachés administrativement à
une commune de manière ininterrompue depuis trois ans étaient discriminatoires.
L’un des arguments décisifs était que, pour les personnes qui ne sont pas des Gens du
voyage, ce délai n’est que de six mois. Dans sa décision sur le bien-fondé du 24 janvier 2012, le CEDS a réitéré ces constats : malgré les recommandations du rapport
Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun 621, la législation n’a pas
été modifiée. Il a donc constaté, de nouveau, une violation de l’article E de la Charte
(« Non-discrimination »), combinée avec l’article 30 (« Droit à la protection contre la
pauvreté et l’exclusion sociale »).
Depuis, le Conseil constitutionnel a annulé les dispositions critiquées. En conséquence, les Gens du voyage n’ont plus besoin d’être rattachés administrativement
à la commune dans laquelle ils votent depuis trois ans. Leur inscription sur les listes
électorales n’est plus conditionnée que par la présentation de « leur livret de circulation sur lequel figure leur commune de rattachement, ainsi que les pièces habituelles
attestant de leur qualité d’électeur, conformément aux dispositions des articles L. 2
et L. 11 du code électoral » 622. Le CEDS a constaté cette évolution dans ses conclusions pour l’année 2013 623 ; il estime que la situation est désormais conforme à la
Charte, sauf concernant la limite de 3 % du nombre de votants sans domicile ni résidence fixe, qui permet au préfet, lorsque le nombre des personnes détentrices d’un
titre de circulation rattachées à une commune atteint 3 % de la population municipale, de refuser de leur accorder le rattachement, le déclarant pouvant alors choisir
une autre commune de rattachement.
Manque de places dans les aires d’accueil
La loi no 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement (dite
loi Besson) a en effet mis à la charge des communes une obligation de créer des aires
d’accueil pour les Gens du voyage, qui n’est cependant pas toujours respectée. Ainsi,
le CERD avait dans ses observations de 2010 recommandé « la mise en œuvre accélérée
620. CEDS, 19/10/2009, Décision sur le bien-fondé, Centre européen des droits des Roms (CEDR) c. France,
Réc. no 51/2008.
621. Pierre Hérisson, Parlementaire en mission, Gens du voyage : pour un statut proche du droit commun,
rapport au Premier ministre, 07/2011.
622. Réponse du ministère de l’Intérieur à la question écrite no 01943 de Daniel Reiner, publiée dans le JO
Sénat du 10/01/2013, p. 85.
623. CEDS, Conclusions 2013 (France), 01/2014.
231

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
de la “loi Besson” de manière à ce que la question des aires illégales de stationnement
ne se pose plus ».
Le CEDS a constaté à plusieurs reprises que les conditions de logement des Roms ne
respectaient pas la CSER, et notamment l’article 31 relatif au droit au logement. Une
décision du 19 octobre 2009, CEDR c. France 624, mérite d’être mentionnée ; elle a fait
l’objet d’un réexamen par le CEDS dans le cadre de l’examen de l’application de l’article 31 de la CSER en 2011 625.
Il a de nouveau considéré, dans sa décision Forum européen des Roms et Gens du voyage
du 24 janvier 2012 626, que le défaut de mise en œuvre de la loi Besson constitue une
discrimination dans l’exercice du droit au logement. Le CEDS part du constat de violation qu’il avait fait dans sa décision sur le bien-fondé du 19 octobre 2009, dans le cadre
de la Réclamation no 51/2009, Centre européen des droits des Roms (CEDR) c. France.
Il note que le nombre de places de stationnement a augmenté jusqu’à atteindre 52 %
des places de stationnement dans les aires prévues par les schémas départementaux,
que les places de stationnement réalisées avec le financement de l’État ont augmenté,
et que le retard pris dans la finalisation des schémas départementaux n’est pas trop
long. Cependant, le CEDS considère que, malgré les mesures prises, il reste des difficultés dans la mise en œuvre des schémas départementaux, et que rien ne prouve
que l’effort de l’État pour se subroger aux départements soit suffisant. Il conclut donc
à une violation de l’article E combiné avec l’article 31, paragraphe 1, de la Charte.
Le CEDS souligne les conséquences de ce manque de place : les Gens du voyage sont
alors contraints d’adopter des comportements répréhensibles, et donc d’occuper illégalement des terrains. Le CEDS considère que les procédures d’évacuation de ces terrains sont la conséquence directe de ce manque de places, et que celles-ci exposent
les personnes expulsées au risque de se retrouver sans aucun abri, en violation de l’article E combiné avec l’article 31, paragraphe 1, de la CSER.
Lutte contre les discriminations à l’égard des Roms
Dans une résolution sur les migrants roms, l’APCE 627 a exprimé sa crainte que « les
Roms ne fassent partie des groupes les plus défavorisés, discriminés, persécutés et brimés d’Europe » ; elle constate que cette situation perdure, voire empire. Elle y souligne
également que « le fait d’être à la fois Rom et migrant augmente encore les désavantages et les discriminations, conséquences de cette double stigmatisation ». Le HCDH
a exprimé des craintes similaires, et appelé à intensifier les efforts pour améliorer l’intégration des Roms 628.
624. CEDS, 19/10/2009, Centre européen des droits des Roms (CEDR) c. France, Réc. no 51/2008.
625. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
626. CEDS, 24/01/2012, Forum européen des Roms et des Gens du voyage (FERV) c. France, Réc. no 64/2011.
627. APCE, 28/06/2012, Les Migrants roms en Europe, Recommandation no 2003 (2012).
628. HCDH, Working for a More Inclusive Policy Towards Migrant Roma in France, 18/10/2013.
232
Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations

Droit au séjour et droit d’exercer une activité professionnelle
La population Rom présente en France est composée pour l’essentiel de Roumains
et de Bulgares. Or la Roumanie et la Bulgarie sont membres de l’Union européenne
depuis 2007 ; à ce titre, leurs ressortissants, qu’ils soient Roms ou non, disposent d’un
droit à la liberté de circulation sur le territoire de l’Union, tel que définie par les Traités
et par la directive européenne de 2004 sur la libre circulation no 2004/38/CE. Cette
liberté de circulation inclut le droit de séjourner pendant trois mois dans un autre État
membre. Ils disposent également du droit au séjour, à l’expiration de ce délai de trois
mois, soit s’ils exercent une activité professionnelle en France ; soit s’ils disposent de
ressources suffisantes pour ne pas devenir une charge pour le système d’assistance
sociale ainsi que d’une assurance maladie ; soit s’ils sont inscrits dans un établissement
éducatif ou de formation professionnelle, et qu’ils disposent de ressources suffisantes
pour ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale et une assurance
maladie. En outre, leur présence ne doit pas constituer une menace pour l’ordre public.
Néanmoins, les Traités d’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne
ont prévu une période transitoire pendant laquelle les États membres pouvaient restreindre l’accès au marché de l’emploi des ressortissants de ces pays. La France fait partie
des États de l’Union qui ont utilisé cette possibilité jusqu’à son terme, le 31 décembre
2013. En conséquence, à l’expiration du délai de trois mois, l’immense majorité des
ressortissants roumains et bulgares étaient dans l’obligation, pour avoir droit au séjour,
de demander une autorisation de travail à l’autorité compétente. L’autorité compétente
disposait alors d’une large marge d’appréciation. L’administration pouvait opposer aux
Roumains et aux Bulgares la situation de l’emploi uniquement lorsque ceux-ci sollicitaient un métier figurant sur une liste fixée par arrêté 629. Cette liste initialement réduite
a fait, progressivement, l’objet d’un élargissement, ainsi que le note la Commission
d’experts de l’OIT 630.
Il découle de cette période transitoire un certain flou. Ainsi, le CEDS considère que
« seule une petite proportion de migrants d’origines bulgare et roumaine réside régulièrement en France 631 », tout en avouant qu’il est extrêmement difficile de déterminer, parmi les Roms, ceux qui sont en situation régulière de ceux qui ne le sont pas 632.
Il considère néanmoins que l’éloignement par les autorités nationales des Roms, et
roumains, et bulgares, ne distingue pas selon que ceux-ci sont en situation régulière
ou non. Il revient au Gouvernement de prouver, lors de la délivrance d’une décision
d’éloignement, que l’étranger est présent sur le territoire depuis plus de trois mois. Or
beaucoup de décisions d’éloignement ne mentionnent pas la durée de présence de
629. Arrêté du 1er octobre 2012 modifiant l’annexe de l’arrêté du 18 janvier 2008 relatif à la délivrance, sans
opposition de la situation de l’emploi, des autorisations de trav’il aux ressortissants des États de l’Union européenne soumis à des dispositions transitoires.
630. Commission d’experts de l’OIT, Observations : Convention no 97 sur les travailleurs migrants, 102e session CIT (2013), 2012.
631. CEDS, 11/09/2012, Médecins du Monde International c. France, Réc. no 67/2011.
632. Cela découle notamment du fait que les ressortissants communautaires ne sont pas tenus à l’obligation
de disposer d’un titre de séjour, article L. 121-2 du CESEDA.
233
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
chacun sur le territoire. En conséquence, le CEDS conclut qu’il n’y a pas eu d’examen
individuel des situations et donc à l’existence d’expulsions collectives. De plus, la Charte
impose une proportionnalité que les autorités nationales n’ont pas respectée 633. Le
CEDS a donc conclu que les éloignements forcés de Roms avaient eu lieu en violation
de l’article E (« Non-discrimination ») combiné avec l’article 19, paragraphe 8 (« Droit des
travailleurs migrants et de leurs familles à la protection et à l’assistance ») de la CSER.
Dans ses conclusions 2011 634, le CEDS a conclu également à une violation de l’article 19,
paragraphe 8, mais en appuyant son constat de violation sur un autre raisonnement :
beaucoup de Roms venant des pays d’Europe centrale ont fait l’objet de la procédure
de retour volontaire, consistant à offrir une aide (300 euros par adulte et 100 euros
par enfant) au retour dans leur pays d’origine aux étrangers se trouvant dans un état
de dénuement ou de grande précarité. Or, « étant donné la situation de grande précarité ou de dénuement des personnes concernées par la politique susmentionnée et
constant que celle-ci a concerné en particulier les Roms venant des pays d’Europe centrale et orientale, le Comité n’est pas convaincu de l’acceptation volontaire du retour »,
et conclut que, « contraints à exprimer ce consentement [ils] ont été expulsés pour des
raisons non autorisées par les articles 19, paragraphe 8, ou G de la Charte ».
Le CEDS s’est également prononcé sur la conformité de la situation française à l’article 18 de la CSER concernant le droit à l’exercice d’une activité lucrative sur le territoire des autres parties contractantes 635 ; ressortissants roumains et bulgares font
partie des personnes qui ne pouvaient pleinement bénéficier du droit de l’Union mais
qui sont couvertes par l’article 18 de la Charte. Le CEDS considère que la France ne
respecte pas cet article car le Gouvernement est incapable de prouver qu’il applique
les règlements existants « dans un esprit libéral ».
Depuis le 31 décembre 2013, seule la Croatie, nouvelle entrante dans l’Union européenne, est soumise à la période transitoire.
Des bidonvilles insalubres
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe avait, lors de sa
visite en France en 2008, dénoncé les conditions de logement des Roms. Ces critiques
ont été reprises par le CEDS qui a estimé dans ses conclusions 2011 qu’il y a là une
violation de l’article 31 relatif au droit au logement de la CSER 636.
Dans une décision de septembre 2012 637, le CEDS a de nouveau conclu à l’existence
de plusieurs discriminations dans l’exercice du droit au logement des Roms migrants.
La première de ces discriminations concerne l’accès trop limité des Roms migrants résidant légalement ou travaillant régulièrement en France à un logement d’un niveau
suffisant. Il constate les problèmes rencontrés par les Roms en situation régulière pour
633. CEDS, 24/01/2012, Forum européen des Roms et des Gens du voyage (FERV) c. France, Réc. no 64/2011
634. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
635. CEDS, Conclusions 2012 (France), 01/2013.
636. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
637. CEDS, 11/09/2012, Médecins du monde I’international c. France, Réc. no 67/2011.
234
bénéficier d’un logement décent. Or la France ne démontre pas avoir effectivement
mis en œuvre une politique garantissant le droit au logement de cette population :
beaucoup de Roms sont donc contraints de vivre dans des bidonvilles insalubres. Le
CEDS considère néanmoins que les villages d’insertion n’offrent une solution de logement que pour un nombre limité de Roms, les autres continuant à être non conformes
à l’article 31, paragraphe 1, de la Charte.
Le CEDS émet également des doutes quant à la méthode suivie pour améliorer concrètement les conditions de logement des Roms : « Les plans, les déclarations d’intention,
les processus exploratoires, les feuilles de route pour identifier les objectifs principaux
et les “outils spéciaux” à déployer dans le futur peuvent être nécessaires pour atteindre
les objectifs visés mais ne peuvent pas être considérés comme des mesures efficaces et
suffisantes, d’autant plus qu’il semble que leur élaboration et leur conception utilisent
une part considérable des ressources budgétaires au détriment des actions concrètes. »
Enfin, le CEDS conclut à une discrimination concernant la mise en place d’une approche
globale et coordonnée pour promouvoir l’accès effectif au logement, qui est l’un des
droits visés par l’article 30 (Droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale)
de la CSER. La discrimination est constituée, selon le CEDS, par le manque de moyens
affectés à la stratégie globale de lutte contre l’exclusion sociale et par l’insuffisance
de la stratégie du Gouvernement français pour l’inclusion des Roms. Il relève qu’en
conséquence les Roms migrants, qui sont dans une situation différente du reste de la
population, sont traités de la même manière que les autres, ce qui constitue une discrimination ; il conclut à une violation de l’article E et de l’article 30 de la CSER.
Dans sa décision Forum européen des Roms en Gens du voyage 638, le CEDS a également constaté une violation de l’article 31, paragraphe 1 de la Charte concernant les
Roms roumains et bulgares qui souhaitent vivre dans des résidences mobiles sur les
aires d’accueil. Si ces aires sont ouvertes en principe à tous, en réalité, seuls les Gens
du voyage y habitent. L’on renverra donc aux développements pertinents ci-dessus.
Accès aux soins de santé
Concernant l’accès aux soins de santé, le CEDS a conclu à la violation de plusieurs
articles de la CSER dans la décision Médecins du monde International c. France 639. Il
considère que les autorités nationales étaient tenues de prendre en compte la vulnérabilité des Roms migrants, cette vulnérabilité découlant de la précarité de leur droit
au séjour et des fréquentes expulsions dont ils font l’objet. Le CEDS constate une violation de l’article E combiné à l’article 11, paragraphe 1, concernant l’accès aux soins
de santé ; paragraphe 2, en raison d’un défaut d’information et de sensibilisation des
Roms migrants ; et paragraphe 3, en raison d’un défaut de prévention des maladies et
des accidents ; suivant le même résultat, le CEDS constate une violation de l’article 13,
paragraphe 1, en raison d’un défaut d’assistance médicale pour les Roms migrants résidant légalement ou travaillant régulièrement en France ; et une violation de l’article 13,
638. CEDS, 24/01/2012, Forum européen des Roms et des Gens du voyage (FERV) v. France, Réc. no 64/2011.
639. Ibid.
235

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
paragraphe 4, en raison d’un défaut d’assistance médicale d’urgence pour les Roms
migrants ne résidant pas légalement ou ne travaillant pas régulièrement en France.
L’un des points les plus problématiques tient au fait que seuls les étrangers présents
sur le territoire depuis plus de trois mois peuvent bénéficier de l’aide médicale d’État.
De nombreux Roms sont donc exclus de ce dispositif.
Problèmes communs aux Roms
et aux Gens du voyage
L’insuffisance de l’offre d’hébergement pour les Roms et le manque de place dans
les aires d’accueil pour les Gens du voyage expliquent en partie l’occupation illégale
de terrains. À ces occupations illégales répondent les évacuations, et les nombreuses
conséquences de celles-ci sur les droits sociaux, dont l’exercice est souvent conditionné
par la stabilité du domicile. Pour faire face à ces problèmes, le Gouvernement a adopté
une circulaire qui précise les étapes à suivre lors des évacuations des campements.
Évacuation des campements
À la suite de deux expulsions de campements de Roms, quatre titulaires de mandats
ont adressé une lettre aux autorités nationales 640. Ils ont rappelé les règles pertinentes
du droit international des droits de l’homme, et ont interpellé les autorités nationales
pour savoir si les personnes affectées par l’évacuation avaient été consultées, si un délai
de départ pour préparer leur expulsion leur avait été notifié, et si des mesures pour s’assurer de leur relogement, pour qu’elles ne deviennent pas sans abri avaient été prises.
Les autorités nationales ont répondu 641 en soulignant que ces deux opérations avaient
été effectuées en application de décisions de justice, en conformité avec la loi applicable,
et pour des motifs tenant à des questions de sécurité et à l’existence de tensions avec
les riverains. Elles ont rappelé la doctrine républicaine qui s’oppose à la reconnaissance
de droits collectifs, les droits étant reconnus à l’individu, quelle que soit sa communauté
d’appartenance, et ont fait valoir que ces expulsions n’ont pas été menées en raison de
l’appartenance de ces personnes à une quelconque minorité ethnique, mais seulement
en application du droit. Les autorités ont souligné leurs efforts pour améliorer la situation : l’adoption de la circulaire du 26 août 2012 sur l’évacuation des camps, de trois
circulaires du 12 septembre 2012 concernant la scolarisation des enfants en situation
de précarité et d’itinérance, et l’élargissement de la liste des métiers pour lesquels la
situation de l’emploi n’est pas opposable aux Roumains et aux Bulgares. Concernant
640. Rapporteuse spéciale sur le logement convenable en tant qu’élément du droit à un niveau de vie suffisant ainsi que sur le droit à la non-discrimination à cet égard, Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des
migrants, Experte indépendante sur les questions relatives aux minorités, Rapporteur spécial sur les formes
contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associé,
courrier du 20/08/2012.
641. Réponse du Gouvernement français à l’appel urgent des quatre procédures spéciales de l’ONU en date
du 21 août 2012, relatif à l’évacuation et à l’expulsion de Roms, 22/08/2012.
236
l’obligation de mise à l’abri pour les personnes expulsées, le courrier insiste sur le dispositif de mise à l’abri de droit commun, qui a vocation, en application du principe
d’inconditionnalité de l’accueil, à accueillir tout le monde. Enfin, le Gouvernement a
affirmé rechercher des solutions à moyen terme.
La circulaire du 5 août 2010 relative à l’évacuation des campements illicites demandait
aux préfets d’engager une démarche de démantèlement des camps illicites, « en priorité ceux de Roms ». Dans une décision du 28 juin 2011, le CEDS avait considéré que
celle-ci était discriminatoire 642. Cette circulaire a été annulée par le Conseil d’État qui
a considéré qu’en désignant spécialement certains des occupants de campements illicites par leur origine ethnique, la circulaire méconnaissait le principe d’égalité devant
la loi 643. Cette annulation avait été anticipée par le Gouvernement, puisqu’une circulaire en date du 13 septembre 2010 avait repris l’essentiel de celle-ci, tout en supprimant la référence aux Roms. Le CEDS a néanmoins estimé que cette substitution
n’avait en rien modifié les pratiques policières d’évacuation des campements roms, et
que celle-ci était donc constitutive d’une discrimination indirecte, puisque derrière le
critère neutre des occupations illégales, les Roms ont été les principales victimes des
démantèlements : 70 % des campements roms avaient ainsi été évacués 644.
Dans un arrêt Winterstein et autres c. France, la CEDH 645 a conclu que l’expulsion en
exécution de décisions de justice de familles de Gens du voyage avait violé l’article 8
de la CESDH. En l’espèce, les familles étaient pour la plupart installées sur ces terrains
depuis de nombreuses années, certains y étant même nés. La CEDH constate l’existence d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée des personnes expulsées, celles-ci ayant développé des liens suffisant et continus avec le lieu sur lequel elles
étaient installées depuis entre cinq et trente ans. La Cour considère que cette ingérence
est prévue par la loi et qu’elle poursuit un but légitime, la préservation d’une zone
naturelle qui se rattache au droit des autres membres de la communauté de voir l’environnement protégé. Cependant, selon la Cour, cette atteinte n’est pas proportionnée, notamment parce que les juridictions nationales n’ont pas répondu aux moyens
relatifs à l’ancienneté de leur installation et à la tolérance de la commune pendant de
nombreuses années, et n’a pas réellement vérifié la proportionnalité de l’ingérence
dans le droit au respect de la vie privée des requérants.
Dans le même arrêt, la Cour rappelle que doivent être prises en compte, pour déterminer la proportionnalité de la mesure, les possibilités de relogement de remplacement,
et les conséquences de cette expulsion, pour éviter que les personnes deviennent sans
abri. En outre, l’appartenance des requérants à une minorité vulnérable doit être prise
en compte, ce qui n’a été que partiellement le cas en l’espèce. La Cour relève pourtant
que certains des requérants, qui n’ont pu bénéficier d’un relogement, sont aujourd’hui
dans une grande précarité, et occupent des terrains inadaptés. En conséquence, la
Cour conclut à une violation de l’article 8 de la CESDH.
642. CEDS, 28/06/2011, Centre sur les droits au logement et les expulsions (COHRE) c. France, Réc. no 63/2010.
643. CE, 7 avril 2011, Association SOS Racisme-Touche pas à mon pote, Req. no 343387.
644. CEDS, 24/01/2012, Forum européen des Roms et des Gens du voyage (FERV) c. France, Réc. no 64/2011.
645. CEDH, 17/10/2013, Winterstein et autres c. France, Req. no 27013/07.
237

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Dans plusieurs décisions, le CEDS retient l’existence d’une discrimination concernant
le droit à un abri et les fréquentes expulsions de leur domicile auxquelles peuvent être
exposés les Roms migrants. Le droit à un abri ne dépend pas de la qualité du séjour,
régulier ou non : le droit à la dignité et le droit à la vie sont en effet reconnus à tous.
Les expulsions ne respectent pas les conditions de base de la charte : elles sont exécutées sans tenir compte de la présence d’enfants, de femmes enceintes, de personnes
âgées, malades ou handicapées, pendant toute l’année, hiver compris. Elles sont accompagnées d’actes d’intimidation, de harcèlement moral, de violences injustifiées et de
destructions de biens personnels. Le CEDS reconnaît que les expulsions peuvent être
justifiées par la volonté de mettre un terme à une atteinte illégale aux droits des propriétaires, mais que celle-ci ne doit pas laisser les personnes expulsées sans abri, et
qu’il appartient donc à l’État de proposer des offres de relogement appropriées et suffisamment pérennes. En conséquence, il retient l’existence d’une violation de l’article E
(« Non-discrimination ») et de l’article 31, paragraphe 2, relatif au droit à un abri.
Scolarisation
La précarité du logement des Roms et Gens du voyage a d’importantes conséquences,
la stabilité du logement étant, en France, un prérequis pour l’exercice de nombreux
droits. Outre le droit de vote (voir les développements pertinents dans la partie consacrée aux Gens du voyage), il est possible d’évoquer ici les conclusions de l’ECRI sur la
mise en œuvre des recommandations faisant l’objet d’un suivi intermédiaire, adressées à la France 646, et plus particulièrement celles relatives à la scolarisation effective
et durable des enfants des Gens du voyage et itinérants ou semi-itinérants. Ces développements ne portent pas uniquement sur les Gens du voyage, mais concernent également les Roms.
Alors que le Gouvernement met en valeur l’édiction de trois circulaires, l’ECRI constate
que celles-ci n’ont, pour l’heure, pas été suivies d’effet, et que les problèmes de scolarisation persistent. Ces problèmes sont renforcés par le manque de personnel des
classes pour non francophones et par les évacuations des campements Roms, chaque
évacuation entraînant des déscolarisations. L’ECRI relève également que certaines communes demandent une domiciliation des parents en préalable à l’inscription des enfants.
Ces observations rejoignent celles du CEDS 647 concernant la scolarisation des Roms.
Certes, le CEDS constate que les textes encadrant la scolarisation sont conformes à la
CSER. Cependant, différents rapports font part d’importantes difficultés d’accès des
Roms au système éducatif. Ces difficultés sont d’autant plus évidentes que, pour le
reste de la population, le taux de scolarisation est proche de 100 %. Or le CEDS note
que « le Gouvernement ne prend pas de mesures particulières, alors qu’il le devrait,
à l’égard des membres d’un groupe vulnérable, pour assurer aux enfants roms d’origine roumaine et bulgare une égalité d’accès à l’éducation ». Il conclut que le système
646. ECRI, Conclusions sur la mise en œuvre des recommandations faisant l’objet d’un suivi intermédiaire
adressées à la France, 20/03/2013, CRI(2013)22.
647. CEDS, 11/09/2012, Médecins du monde International c. France, Réc. no67/2011.
238
éducatif français n’est pas suffisamment accessible à ces enfants, ce qui est constitutif
d’une violation de l’article 17, paragraphe 2 (accès à l’enseignement primaire et secondaire), combiné avec l’article E (« Non-discrimination ») de la CSER.
Ces considérations sont enfin partagées par la Commission d’experts de l’OIT 648 qui
constate, tant pour les Roms que pour les Gens du voyage, des problèmes de scolarisation, et demande au Gouvernement de transmettre tous les éléments d’information nécessaires.
Circulaire du 26 août 2012
L’EPU a été l’occasion pour la France de répondre à différentes recommandations portant sur l’évacuation des campements et l’accès aux droits sociaux 649. Le Gouvernement
a annoncé le lancement d’une politique interministérielle pour accompagner les évacuations des campements illicites, définie par la circulaire du 26 août 2012. Celle-ci
détaille plusieurs modalités d’action qui ont pour objectif d’anticiper les éventuelles
difficultés et d’améliorer l’accompagnement, l’insertion et l’hébergement des familles
pour favoriser leur accès au dispositif de droit commun. Le Gouvernement insiste dans
sa réponse sur le fait que des solutions d’hébergement d’urgence ou de relogement
sont ainsi systématiquement recherchées.
Le Défenseur des droits a réalisé un bilan d’application de la circulaire interministérielle
du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites d’août 2012 à mai 2013 650. Il souligne que « depuis son
adoption, la circulaire interministérielle n’a pas systématiquement été mise en œuvre
sur le territoire et que, dans les cas où elle a été suivie, elle a été appliquée de manière
insuffisante ou hétérogène ». Ce constat est partagé par le délégué interministériel à
l’hébergement et à l’accès pour l’hébergement et l’accès au logement des personnes
sans abri ou mal logées, chargé du suivi de la mise en œuvre de cette circulaire 651.
648. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 111 concernant la discrimination
(emploi et profession), 102e session CIT (2013), 2012.
649. Voir notamment les Reco. no 120.146 ; 120.149 ; 120.154 ; 120.155.
650. Défenseur des droits, Bilan d’application de la circulaire interministérielle du 26 août 2012 relative à
l’anticipation et a l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites d’août 2012 à
mai 2013, 06/2013.
651. DIHAL, Éléments de bilan de la circulaire du 26 août 2012 un an après et perspectives 2013/2014, 2013.
239

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 4
Discriminations liées
à la liberté de conscience
et de religion et principe
de laïcité
Consacrée depuis plus d’un siècle, la laïcité constitue un principe fondateur de la
République française, conciliant la liberté de conscience, le pluralisme religieux et la
neutralité de l’État. Selon ce principe, la République « assure la liberté de conscience »,
respecte « toutes les croyances » (art. 1er de la Constitution), et « garantit le libre exercice des cultes » (art. 1er de la loi de 1905). Si la séparation des Églises et de l’État ne
doit donc pas être comprise comme visant à l’éviction hors de l’espace public de toute
manifestation d’une conviction religieuse 652, elle peut justifier une obligation de neutralité à la charge des agents du service public, et, dans certains domaines spécifiques,
une obligation pour les individus de ne pas porter certains signes religieux ; c’est le cas
du port de signes religieux ostensibles à l’école et sur les photos d’identité.
Alors que la laïcité est conçue au niveau national comme une garantie de la liberté de
conscience, certains dispositifs s’en réclamant de manière directe ou indirecte ont pu
faire l’objet de critiques de la part des instances internationales, percevant ces dispositifs comme discriminatoires, et restreignant la liberté de conscience et de religion.
1. Laïcité et port de signes religieux
Laïcité et signes ostensibles à l’école
La loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de
signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges
et lycées publics, a fait l’objet de nombreuses critiques d’instances internationales :
Comité des droits de l’homme 653, Rapporteur spécial des Nations unies sur les formes
652. CNCDH, Avis sur la laïcité, 26/12/2013.
653. Comité des droits de l’homme, Observations finales du Comité des droits de l’homme, 31/07/2008,
CCPR/C/FRA/CO/4.
240
contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée 654, experte indépendante sur les droits des minorités 655, ECRI,
CERD, CEDAW.
Le Comité des droits de l’homme a pu expliciter les raisons de son opposition à cette
loi dans ses constatations sur une communication de M. Bikramjit Singh 656. En l’espèce, M. Singh avait été exclu de l’établissement où il était scolarisé en raison du port
du turban sikh. Le Comité des droits de l’homme considère qu’il s’agit d’une restriction à la liberté de manifester sa religion, qui doit donc être justifiée par « la protection
de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et
droits fondamentaux d’autrui », en application de l’article 18 du Pacte. Or, si le Comité
« reconnaît que le principe de laïcité est en soi un moyen par lequel un État partie peut
s’efforcer de protéger la liberté religieuse de l’ensemble de la population », et si « la loi
no 2004-228 sert les objectifs de protection des droits et libertés d’autrui, de l’ordre
public et de la sécurité publique », l’État partie ne démontre pas en quoi le port du
turban présentait une menace pour les autres élèves et pour l’ordre public, ni en quoi
l’exclusion était nécessaire. Il souligne que cette décision n’a donc pas été prise en
considération de la situation et des intérêts de M. Singh, mais en raison de son appartenance « à une large catégorie de personnes définies par leur conduite motivée par
des raisons religieuses ». Si il prend note que la loi a pour objectif de simplifier la tâche
de l’administration, celle-ci ne démontre pas en quoi la solution choisie est nécessaire
ou proportionnée aux buts visés. En conséquence, le Comité constate une violation
de l’article 18 du Pacte.
À l’occasion de l’EPU, huit recommandations ont été consacrées à l’interdiction dans
les établissements scolaires du port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse. Le Gouvernement a refusé de
prendre en compte ces recommandations. Il souligne que « depuis 2005, la loi a été
appliquée sereinement : les académies n’ont eu connaissance que de quelques cas
isolés d’élèves se présentant avec un signe religieux ostensible. À l’occasion des rentrées 2008 et 2009, aucune procédure disciplinaire n’a été mise en œuvre, et aucun
contentieux nouveau n’a été signalé au titre de la rentrée scolaire 2009-2010. Ces
chiffres sont le signe que les principes de la loi ont été bien acceptés par les élèves et
leurs familles. La compréhension du sens de la loi par l’immense majorité des élèves et
des familles est, de plus, attestée par le fait que le Médiateur de l’Éducation nationale
indique n’avoir jamais été saisi sur ce point ». Le Gouvernement souligne également
que la CEDH a considéré que l’interdiction de tous les signes religieux ostensibles dans
les écoles, collèges et lycées publics ne méconnaissait pas le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, les restrictions prévues par la loi, poursuivant un but
légitime, étant nécessaires dans une société démocratique 657.
654. Doudou Diène, Rapport soumis par le Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, de
discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, 12/01/2007, A/HRC/4/19.
655. Asma Jahangir, Report Submitted by the Special Rapporteur on Freedom of Religion or Belief, Addendum 2,
Mission to France, 2005, E/CN.4/2006/5/Add.4.
656. Comité des droits de l’homme, 01/11/2012, Bikramjit Singh, Com. no 1852/2008, CCPR/C/106/D/1852/2008.
657. CEDH, 04/12/2008, Dogru c. France, Req. n° 27058/05.
241

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
La Commission d’experts pour l’application des conventions de l’OIT a demandé
de nouveau à la France de fournir des éléments statistiques concernant l’application de
cette loi et de sa circulaire d’application, ainsi que toute décision administrative et judiciaire relative à l’application de cette loi, y compris les mesures prises pour veiller à ce
que les élèves expulsés aient une possibilité d’accéder à l’éducation et à la formation.
La Commission « prie également le Gouvernement de veiller à ce que l’application de
cette loi n’ait pas pour effet de diminuer les chances des femmes de trouver un emploi
à l’avenir, et de fournir des informations sur l’impact de cette loi sur les opportunités
d’emploi des hommes et des femmes ».
Laïcité et port de signes religieux
sur les photographies d’identité
Le Comité des droits de l’homme a adopté des constatations lors de sa 108e session
concernant la Communication no 1928/2010 introduite par M. Shingara Mann Singh
contre la France. Le requérant, qui appartient à la religion sikhe, s’est vu refuser le renouvellement de son passeport en raison de son refus de se découvrir sur la photo de son
passeport. Il a donc attaqué le refus de renouvellement du passeport devant le tribunal
administratif, puis a fait appel de cette décision devant la cour administrative d’appel
de Versailles. À la suite du rejet de sa demande par la cour administrative d’appel, il
a introduit un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui a rejeté
sa demande. Le requérant a, par la suite, saisi le Comité des droits de l’homme, qui a
considéré que la France avait méconnu l’article 18 du Pacte. Si « l’obligation d’apparaître “tête nue” sur la photographie d’identité est prévue par la loi et […] poursuit le
but de la protection de la sécurité et de l’ordre public », elle n’apparaît pas nécessaire
dès lors, d’une part, que le turban sikh ne dissimule pas le visage, et, d’autre part, que
« l’État partie n’a pas expliqué dans des termes spécifiques comment une photographie d’identité “tête nue” d’une personne qui se montre toujours en public tête couverte servirait à faciliter son identification dans la vie de tous les jours et à combattre
les risques de falsification et de fraude des passeports 658 ». Le Gouvernement a apporté
des éléments d’information dans le cadre de la procédure de suivi de la Communication
no 1928/2010 le 19 février 2014, en rappelant sa doctrine traditionnelle, et en informant le Comité de son refus de modifier les dispositions critiquées.
658. Comité des droits de l’homme, 19/07/2013, Shingara Mann Singh, Com. n o 1928/2010,
CCPR/C/108/D/1928/2010.
242
Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations

2. Port du voile intégral
À la suite d’une loi d’octobre 2010, la France a interdit de dissimuler son visage dans
l’espace public 659. Cette loi a fait l’objet de nombreuses critiques d’instances internationales lors de son adoption. L’effet potentiellement discriminatoire de cette loi
a été dénoncé notamment par la Commission d’experts de l’OIT, qui a demandé
à nouveau « au Gouvernement de fournir des informations sur l’application de la loi
no 2010-1192 dans la pratique en ce qui concerne l’emploi et la profession. Elle prie le
Gouvernement d’indiquer les mesures prises pour s’assurer que l’application de cette
loi n’ait pas pour effet d’empêcher les femmes de religion musulmane portant le voile
intégral de trouver et d’exercer un emploi et d’indiquer si un mécanisme d’évaluation
des effets de ce texte est prévu 660 ».
Ces critiques ont été renouvelées lors de l’examen périodique universel. À l’occasion de
sa réponse aux observations de l’EPU, le Gouvernement s’est défendu d’avoir adopté
une loi discriminante, celle-ci s’appliquant à tous, et ne visant pas uniquement le port
du voile intégral. Ce dernier n’en constitue pas moins l’une des raisons ayant motivé
l’adoption de cette loi : le voile intégral « est en effet un facteur d’enfermement pour
les femmes qui le portent, qu’elles le fassent librement ou non ». Le Gouvernement
soutient également que « le port de ces tenues n’est pas interdit en tant qu’il serait
l’expression de croyances religieuses, mais parce qu’il est contraire aux règles de base
du “vivre-ensemble” et porte atteinte à la dignité de la personne ». Le maintien de
l’ordre public était également l’une des préoccupations du législateur.
Le nombre de personnes portant le voile intégral est réduit, et cette loi n’a pas donné
lieu à un contentieux important depuis son adoption. Néanmoins, il convient de citer ici
un arrêt de la Cour de cassation 661, à propos d’une femme portant un voile intégral qui
manifestait devant l’Élysée. La Cour de cassation considère que la condamnation de l’intéressée ne méconnaît pas l’article 9 de la CESDH dès lors que la loi interdisant la dissimulation intégrale du visage dans l’espace public « vise à protéger l’ordre et la sécurité publics
en imposant à toute personne circulant dans un espace public de montrer son visage ».
La CEDH a été saisie de plusieurs requêtes concernant le port du voile intégral. La plupart de ces requêtes ont été rejetées comme irrecevable. Une requête 662, introduite
le 11 avril 2011 a toutefois été renvoyée directement en grande chambre. L’audience
s’est déroulée le 27 novembre 2013 663. Des questions relatives à la recevabilité de la
requête peuvent se poser, notamment eu égard à l’épuisement des voies de recours
interne, puisque la requérante n’a pas été condamnée, et que, partant, aucune juridiction
659. Loi no 2010-1192 du 11 o’tobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.
660. Commission d’experts de l’OIT, Observation : Convention no 111 concernant la discrimination (emploi
et profession), 102e session CIT (2013), 2012.
661. Cass., crim., 05/03/2013, 12-80.891, publié au Bulletin.
662. CEDH, Affaire communiquée 01/02/2012, S.A.S. c. France, Req. no 43835/11
663. Saïla Ouald Chaib, « S.A.S. v. France : A Short Summary of an Interesting Hearing », Strasbourg Observer,
29/11/2013.
243
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
nationale ne s’est prononcée sur sa situation. Sur le fond, la requérante invoque la violation des articles 3, 8, 9, 10, 11 et 14 de la Convention.
3. Associations cultuelles
et dérives sectaires
Si « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte 664 », les
associations cultuelles peuvent bénéficier d’un régime fiscal favorable. Dans une série
d’arrêts en date du 31 janvier 2013 665, la CEDH a confirmé son arrêt Association Les
témoins de Jehovah c. France 666. Était en question « la mesure qui avait pour effet de
maintenir [l’association] requérante dans le régime de droit commun des associations,
en l’excluant des avantages fiscaux réservés à d’autres associations, dont les associations cultuelles ». Cette mesure aboutit à la taxation des dons manuels, ce qui a d’importantes conséquences pour une association dont la survie dépend très largement de
ces dons. Elle s’inscrit dans un contexte de lutte contre les sectes, pour lequel l’administration fiscale a été mobilisée. La Cour a considéré que cette taxation était une ingérence dans la liberté de religion, dès lors qu’elle menace la pérennité de l’association :
« Vu l’impact de cette mesure sur les ressources de l’association requérante et sur sa
capacité à mener son activité religieuse en tant que telle, la Cour conclut à l’existence
d’une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 9 de la Convention ».
Elle a considéré que cette ingérence ne pouvait être considérée comme étant prévue par la loi, en raison de « l’imprévisibilité dans l’application de la loi fiscale » de la
taxation des dons manuels. En conséquence, la Cour « n’est pas convaincue que la
requérante était à même de prévoir à un degré raisonnable les conséquences pouvant
résulter de la perception d’offrandes et de la présentation de sa comptabilité à l’administration fiscale ». Il est à souligner que la Cour ne s’est pas prononcée sur la nature
de ces mouvements 667.
Le Rapporteur spécial sur la liberté de religion et de croyance a pris pour exemple la
situation française concernant les conséquences de la qualification de secte pour empêcher un groupe d’obtenir la personnalité juridique 668.
664. Article 2 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État.
665. CEDH, 31/01/2013, Association des chevaliers du lotus d’or c. France, Req. no 50615/07, CEDH, 31/01/2013,
Église évangélique missionnaire et Salaûn c. France, Req. no 25502/07, CEDH, 31/01/2013, Association cultuelle
du temple Pyramide c. France, Req. no 50471/07.
666. CEDH, 30/06/2011, Association Les témoins de Jehovah c. France, Req. no 8916/05.
667. Voir notamment, Jean-Manuel Larralde, Le Principe de laïcité face aux engagements internationaux de
la France, Conférence CRDFED Caen, 28/11/2013.
668. Special Rapporteur on Freedom of Religion or Belief, Heiner Bielefeldt, 2012 Report, 24/12/2012, A/
HRC/22/51.
244
Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations

Chapitre 5
Populations autochtones
et spécificités ultramarines
Un Rapporteur spécial des Nations unies se consacre à cette question. Le Rapporteur
spécial avait publié un Rapport sur la situation du peuple kanak de Nouvelle-Calédonie
(France), en septembre 2011. Ce rapport n’a pas fait l’objet de suivi dans la période
de référence. Il est également intervenu concernant le refus de la France de permettre
aux populations autochtones de la République du Vanuatu d’accéder aux îles d’Umaenupne et d’Umaenea, sous souveraineté française, afin qu’ils puissent y exercer des
rituels culturels et religieux 669. La France a, dans sa réponse du 30 janvier 2012, souligné que l’accès à ces îles est périlleux et qu’il n’existe pas à sa connaissance de pratiques religieuses ou culturelles liées à ces îles, mais qu’elle est ouverte au dialogue. Le
Rapporteur spécial a été invité à se rendre sur place, et porte un regard attentif à cette
question. Outre cet échange, les observations des instances internationales s’agissant
des populations autochtones peuvent être divisées en deux grandes catégories : celles
relatives à la reconnaissance de droits collectifs et celles relatives à la reconnaissance
de droits individuels aux personnes appartenant aux populations autochtones.
1. Droits collectifs
La recommandation formulée par le Guatemala lors de l’EPU 670 constitue le nouvel épisode d’une longue série de recommandations tendant à la ratification de la Convention
no 169 de l’OIT. Le CERD avait également rédigé une recommandation en ce sens.
Cette Convention, instrument de référence s’agissant de la reconnaissance des droits
des populations autochtones, crée un certain nombre de droits individuels et collectifs
pour les populations autochtones.
Dans sa réponse à l’EPU, la France a rappelé son opposition à la reconnaissance de
droits collectifs, et rappelé son attachement à une égalité qui ne distingue pas selon
l’appartenance de populations à une race ou une ethnie. Le refus de ratification par la
France de la Convention no 169 doit être mis en balance avec son rôle décisif joué lors de
l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones 671.
669. Rapporteur spécial sur les populations autochtones, Lettre du 29/11/2011 concernant le refus de la
France de permettre aux populations autochtones de la République de Vanuatu d’accéder aux îles d’Umaenupne et d’Umaenea, sous souveraineté française, afin qu’ils puissent y exercer des rituels culturels et religieux, 29/11/2011.
670. Reco no 120.15.
671. Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, 13/09/2007, A/61/L.67.
245
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
2. Droits individuels
et promotion de l’égalité
La Recommandation de l’EPU portant sur le renforcement de l’intégration des populations autochtones 672, celle relative à l’enregistrement des naissances en Guyane 673
et la Recommandation du CERD tendant à l’intensification des efforts en vue de permettre l’égalité d’accès à l’éducation, au travail, au logement et à la santé en outremer visent de manière directe ou indirecte les personnes appartenant aux populations
autochtones. Dans ses différentes réponses, le Gouvernement a mis en valeur ses
efforts pour promouvoir l’égalité des droits des personnes appartenant à des populations autochtones, et notamment, en Guyane, la création d’un poste de sous-préfet
pour être l’interlocuteur des populations amérindiennes ou « Noirs marrons » à l’intérieur des terres isolées par la forêt amazonienne, l’amélioration de l’accès aux services
publics les concernant, avec la mise en place de missions itinérantes.
L’amélioration de l’égalité des Ultramarins ne doit pas occulter l’existence d’un droit
dérogatoire dans les collectivités d’outre-mer, et, dans une certaine mesure, dans les
départements et régions d’outre-mer. Nous renverrons aux développements concernant l’arrêt de la CEDH De Souza Ribeiro c. France pour une illustration des spécificités
ultramarines concernant le droit des étrangers. Cet arrêt peut être lu comme un rappel :
les circonstances locales ne peuvent pas justifier d’atteinte aux droits fondamentaux.
672. Reco. no 120.66.
673. Reco. no 120.131.
246
Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations

FOCUS – Protection des langues régionales
Plusieurs recommandations de l’EPU ont porté sur la protection des langues régionales,
leur meilleure diffusion et la ratification de la Charte européenne des langues régionales. La réponse du Gouvernement est double. Conformément à l’article 75-1 de la
Constitution, qui précise que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la
France, plusieurs textes soutiennent « l’expression, l’enseignement et la mise en valeur
des langues régionales ». La loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté
de communication reconnaît par exemple une place importante aux langues régionales.
Cependant, le Gouvernement rappelle son opposition à la ratification de la Charte européenne des langues régionales. Celle-ci tient notamment aux risques d’inconstitutionnalité de celle-ci. Le 20 mai 1999, le président de la République avait saisi le Conseil
constitutionnel pour qu’il examine la compatibilité d’une ratification de la Charte avec
la Constitution. Celui-ci a répondu le 15 juin 1999 674 que la Charte européenne comporte des clauses contraires à la Constitution. Le motif déterminant de la décision du
Conseil constitutionnel est que la Charte « confère des droits spécifiques à des “groupes”
de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées », ce qui porte atteinte aux principes constitutionnels
d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.
Un autre aspect de la réponse du Gouvernement tient au fait que la ratification de la
Convention n’apporterait pas une meilleure protection à ces langues. Le Gouvernement
annonce également de nouvelles mesures protectrices.
À la suite de la réponse du Gouvernement, une proposition de loi constitutionnelle 675
visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires a été déposée au Parlement. Elle a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale. Cette
proposition permettrait un ajout d’un article 53-3 de la Constitution pour permettre une
ratification de la Charte complétée par la déclaration interprétative pour s’assurer que
la Charte n’est pas contraire à la Constitution, en ce qui concerne la reconnaissance de
droits collectifs et l’usage du français par l’administration.
674. Conseil Constitutionnel, Décision no 99-412 DC du 15 juin 1999, Charte européenne des langues
régionales ou minoritaires ; voir, également, le commentaire de cette décision dans le Cahier n° 7 du Conseil
constitutionnel.
675. Proposition de loi constitutionnelle visant à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou
minoritaires, no 1618, déposée le 10 décembre 2013.
247
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 6
Discriminations liées
au handicap et inclusion
des personnes handicapées
Selon l’INSEE, la population handicapée vivant sur le territoire français peut être estimée à 9,6 millions de personnes 676. Parmi celles-ci, 2 millions de personnes âgées de
15 à 64 ans, vivant à domicile, ont une reconnaissance administrative du handicap qui
leur permet de bénéficier de la loi sur l’obligation d’emploi de travailleur handicapé 677.
L’état de santé et le handicap représentent 25,9 % des réclamations portées devant le
Défenseur des droits, ce qui en fait le premier critère, devant l’origine 678. Une enquête
de l’INSEE avait révélé que 2,3 millions de personnes de 18 ans et plus vivant dans un
logement ordinaire en France déclarent avoir subi des comportements stigmatisants
en raison de leur état de santé ou de leur handicap 679.
La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapés, adoptée par l’AGNU le 13 décembre 2006, et son Protocole facultatif ont été ratifiés par la
France le 18 février 2010. Elle a soumis son rapport le 18 mars 2012, mais le Comité
ne s’est pas encore prononcé. L’article 33 de la Convention prévoit que l’État partie
doit se doter d’un dispositif de promotion, de protection et de suivi. Le Défenseur
des droits assure ce rôle depuis juillet 2011, en associant étroitement la CNCDH et le
Conseil national consultatif des personnes handicapées.
Dans le cadre du Conseil de l’Europe, outre l’article 14 de la CESDH, l’article 15 de la
CSER reconnaît le droit des personnes handicapées à l’autonomie, à l’intégration sociale
et à la participation à la vie de la communauté. Le CEDS a examiné la mise en œuvre
par la France de cet article lors de ses conclusions 2012 680. Un plan d’action pour la
promotion des droits et de la pleine participation des personnes handicapées a été
lancé en 2006 par le Comité des ministres 681. Le Commissaire aux droits de l’homme
du Conseil de l’Europe a publié deux documents sur ce sujet dans la période de référence : l’un sur le droit des personnes handicapées à l’autonomie de vie et l’inclusion
676. INSEE, Tableau de l’économie française, 2011.
677. INSEE, Tableau de l’économie francaise, 2014.
678. Défenseur des droits, Rapport annuel 2012, 2013.
679. Gérard Bouvier, Stéphane Jugnot, « Les personnes ayant des problèmes de santé ou de handicap sont
plus nombreuses que les autres à faire part de comportements stigmatisants », Économie et statistique,
no 464-465-466, 2013.
680. CEDS, Conclusions 2012 (France).
681. Comité des ministres du Conseil de l’Europe, Plan d’action du Conseil de l’Europe pour la promotion
des droits et de la pleine participation des personnes handicapées à la société : améliorer la qualité de vie
des personnes handicapées en Europe 2006-2015 ; Recommandation Rec(2006)5 du Comité des ministres
aux États membres.
248
dans la société 682, l’autre sur le droit à la capacité juridique des personnes ayant des
déficiences intellectuelles et psychosociales 683.
Il s’agit également d’un domaine où l’UE est impliquée. L’article 21 de la Charte des
droits fondamentaux interdit toute discrimination fondée sur le handicap, et l’article 26
leur reconnaît le droit à l’autonomie, à l’intégration sociale et professionnelle et à la
participation à la vie de la communauté. L’UE a ratifié la Convention des Nations unies
relative aux droits des personnes handicapés, ce qui en a fait la première Convention en
matière de droits de l’homme ratifiée par l’Union européenne 684. Le handicap est l’un
des critères couvert par la directive no 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000
portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière
d’emploi et de travail. La Commission a adopté le 15 novembre 2010 la Stratégie européenne 2010-2020 en faveur des personnes handicapées 685. Le handicap est l’un des
thèmes de travail de la FRA, qui a publié de nombreuses études sur cette question.
L’arsenal législatif relatif aux personnes handicapées ne relève pas du seul droit de
la discrimination. Outre le volet santé, traité plus loin, doivent être cités les objectifs
d’autonomie, d’inclusion, et de prise en compte de la volonté des personnes handicapées. Les instances internationales se montrent d’ailleurs très attachées à ce que ces
personnes soient consultées sur les mesures qui les concernent. Le CEDS s’est ainsi
félicité des améliorations concernant la consultation des personnes handicapées à travers le Conseil national consultatif des personnes handicapées, ou l’organisation d’une
Conférence générale du handicap tous les trois ans.
1. Définition du handicap
Le cadre juridique a été profondément remanié par la loi no 2005-102 du 11 février
2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées. Cette loi a été bien accueillie par les instances internationales,
notamment par le CEDS et par la FRA. Néanmoins, celles-ci sont attentives à l’effectivité
des droits qui y sont reconnus, et prêtent une attention importante aux statistiques,
seules à même, selon elles, de prouver l’effectivité de ces dispositifs.
Avant la loi de 2005, il n’existait pas de définition légale du handicap. La France n’était
pas un cas isolé ; ainsi, ni la CEDH, ni la directive no 2000/78/CE ne définissaient le
handicap 686. C’est dans le cadre de l’OMS qu’a émergé une définition consensuelle,
682. Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Le Droit des personnes handicapées à l’autonomie de vie et à l’inclusion dans la société, 03/2012, CommDH/IssuePaper(2012)3.
683. Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Le Droit à la capacité juridique des personnes
ayant des déficiences intellectuelles et psychosociales, 02/2012, CommDH/IssuePaper(2012)2.
684. Commission européenne, L’Union européenne ratifie la Convention des Nations unies relative aux droits
des personnes handicapées, 05/01/2011, IP/11/4.
685. Commission européenne, Stratégie européenne 2010-2020 en faveur des personnes handicapées : un
engagement renouvelé pour une Europe sans entrées, 15/11/2010, {SEC(2010) 1323} {SEC(2010) 1324}.
686. FRA, CEDH, Manuel de droit européen en matière de non-discrimination, 07/2010.
249

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
avec la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé,
qui s’est substituée en 2001 à la classification internationale des handicaps. Lors de
l’adoption de la loi de 2005, le législateur a défini, à l’article L. 114 du code de l’action
sociale et des familles, le handicap comme « toute limitation d’activité ou restriction
de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne
en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive, d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques d’un polyhandicap ou
d’un trouble de santé invalidant ». Le CEDS, dans ses conclusions pour l’année 2008
avait salué l’adoption de cette définition, avis qu’il réitère dans ses conclusions 2012.
2. Accessibilité
La loi no 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a défini l’accessibilité et fixé
l’objectif d’accessibilité du cadre bâti, des transports et des nouvelles technologies
pour 2015. Le CEDS a pris note dans ses conclusions 2012 des importants progrès
réalisés en matière d’accessibilité, même si la mise aux normes a pris du retard par rapport à l’objectif initial : en juin 2012, seuls 15 % des établissements recevant du public
sont effectivement accessibles aux personnes handicapées. Le CEDS a regretté l’insuffisance du rapport national qui ne lui permet pas de s’assurer des progrès accomplis
concernant les aides techniques dont bénéficieraient les personnes handicapées, et la
participation financière que ces personnes doivent supporter, ou si en pratique l’accessibilité des transports collectifs s’est améliorée et si les personnes handicapées bénéficient de tarifs réduits. En conséquence, le Comité a ajourné sa décision. L’objectif
de 2015 semblant inatteignable, un report à une date ultérieure de l’accessibilité est
actuellement en discussion 687.
3. Inégalités d’accès
à l’enseignement et à la formation
L’article 15, paragraphe 1, de la CSER met à la charge des États une obligation d’assurer aux handicapés une scolarisation dans le cadre du droit commun, ou, si ce n’est pas
possible, dans le cadre d’institutions spécialisées. Sur ce fondement, le CEDS a conclu
à deux occasions au non-respect par la France de ses obligations : dans ses conclusions
2008, et dans la décision du 4 novembre 2003 688. Depuis cette décision, des progrès
ont été constatés : la loi no 2005-102 qui prévoit l’obligation de scolariser les enfants
687. Voir Claire-­Lise Campion, Marie Prost Coletta, Rapport à M. le Premier ministre. Agenda d’accessibilité
programmée : propositions issues de la concertation, 02/2014.
688. CEDS, 4/11/2003, Autisme Europe c. France, Réc. no 13/2002.
250
handicapés en milieu ordinaire, à tous les niveaux d’enseignement, et de leur garantir
l’accès à l’établissement scolaire de leur secteur a été adoptée. Le CEDS relève également dans ses conclusions 2012 que la jurisprudence permet de faire cesser les violations en urgence et de réparer le préjudice qui en est né. De plus, il prend note des
informations contenues dans le rapport de la France concernant l’augmentation des
élèves handicapés scolarisés en milieu ordinaire dans l’enseignement primaire, dans
l’enseignement secondaire, général et professionnel, ou, en milieu spécialisé, dans
l’enseignement supérieur et la formation professionnelle.
Cependant, le CEDS se montre attentif à ce que ces progrès soient effectifs. Or il émet
des doutes sur la fiabilité de l’appareil statistique, et demande donc des informations
supplémentaires. Concernant la formation professionnelle, il demande que lui soient
communiqués le nombre de personnes bénéficiant d’une formation dans une structure ordinaire ou spécialisée, et le nombre de demandes d’admission dans une structure ordinaire ou spécialisée, des précisions sur les dispositifs mis en place pour faciliter
l’intégration des personnes handicapées.
Le Comité se prononce également sur le suivi de la réclamation Autisme Europe c. France,
qui avait abouti à une décision de non-conformité à l’article 15, paragraphe 1, l’égalité
d’accès à l’enseignement des personnes atteintes d’autisme n’étant pas démontrée.
Le rapport de la France fait état de l’adoption d’un nouveau plan Autisme qui poursuit
trois objectifs : renforcer la connaissance scientifique de l’autisme, mieux repérer pour
mieux accompagner les personnes autistes et leurs familles, et diversifier les approches
dans le respect des droits fondamentaux de la personne. Néanmoins, le Comité considère que l’impact du précédent plan n’est pas démontré, et que le rapport n’apporte
pas d’informations suffisantes sur la réalité de l’égalité d’accès des personnes autistes
au niveau éducatif ordinaire et à l’enseignement spécial. En conséquence, il ne revient
pas sur sa conclusion précédente en la matière. Le CEDS a renouvelé son constat de
violation de l’article 15, paragraphe 1, combiné avec l’article E de la CSER dans une
décision sur le bien-fondé Action européenne des handicapés c. France 689.
4. Inégalité face à l’emploi
L’article 15, paragraphe 2, de la CSER met à la charge de l’État l’obligation de favoriser l’accès à l’emploi des personnes handicapées dans le milieu ordinaire de travail, en
adaptant les conditions de travail aux besoins de ces personnes ou, « en cas d’impossibilité en raison du handicap, par l’aménagement ou la création d’emplois protégés
en fonction du degré d’incapacité ». Les dispositions nationales applicables aux personnes handicapées sont contenues dans le code du travail, qui impose notamment
une obligation d’emploi de personnes handicapées à hauteur de 6 % de l’effectif total
des salariés des entreprises (art. L. 5212-2 du code du travail).
689. CEDS, 11/09/2013, Action européenne des handicapés (AEH) c. France, Réc. no 81/2012.
251

Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Le CEDS, s’appuyant sur le rapport 2010 du réseau européen des experts juridiques
en matière de non-discrimination, se montre préoccupé par le fait que seules les personnes handicapées inscrites en tant que telles puissent bénéficier de cette obligation
d’emploi, et par le fait que cette obligation d’emploi ne s’applique pas aux travailleurs
handicapés non salariés ni aux personnes handicapées exerçant une profession libérale. Ces craintes sont partagées par la FRA 690 : « Ainsi, les personnes non “déclarées”
handicapées et toutes les personnes qui ne satisfont pas aux critères visés à l’article
L. 5212-13 du code du travail ne sont pas couvertes par l’obligation d’aménagement
raisonnable. » Le CEDS demande donc à la France de fournir des informations concernant la protection dont bénéficient les personnes non couvertes par l’obligation de
prévoir des aménagements raisonnables, ainsi que des éléments concernant l’application de l’obligation d’aménagements raisonnables et les effets de cette obligation sur
l’emploi des personnes handicapées.
L’autre préoccupation du CEDS concerne l’effectivité des droits reconnus. Lors du précédent examen du rapport de la France, il avait demandé des éléments permettant de
s’assurer de la conformité de la situation française avec l’article 15. Le rapport de la
France souligne les efforts engagés pour favoriser l’emploi des personnes handicapées,
et notamment la mise en place d’une stratégie qui repose sur les principes de non-discrimination, sur l’implication des partenaires sociaux et sur le recours à des mesures
d’incitation. Concernant les éléments demandés, le rapport souligne l’augmentation
du nombre de travailleurs handicapés et l’augmentation du nombre d’entreprises
développant une politique d’emploi adaptée à l’emploi des personnes handicapées.
Néanmoins, un nombre significatif d’entreprises privées ne respecte pas le quota de
6 % de travailleurs handicapés. En outre, le nombre de demandeurs d’emploi handicapés a augmenté de 20 %, même si différentes mesures ont été prises pour faciliter
le retour à l’emploi des travailleurs handicapés. S’agissant du secteur public, le taux
d’emploi des personnes handicapées est de 4,2 % au 1er janvier 2010, mais des efforts
ont été engagés pour atteindre le seuil de 6 % des emplois. Si le CEDS prend bonne
note de ces efforts, il estime néanmoins le rapport incomplet, notamment parce qu’il
ne permet pas de s’assurer des effets des mesures annoncées sur le taux d’emploi des
personnes handicapées, ni sur le transfert des travailleurs handicapés de l’emploi en
milieu protégé vers un emploi en milieu ouvert.
Lors de l’EPU, le Gouvernement français a accepté une recommandation relative au
chômage des personnes handicapées 691, en soulignant l’installation d’un nouveau
Comité interministériel du handicap, la mise en place d’un nouveau plan pour l’emploi des travailleurs handicapés et l’adoption d’un pacte pour l’emploi des travailleurs
handicapés en entreprise adaptée.
690. FRA, La Protection juridique des personnes souffrant de troubles mentaux en vertu de la législation en
matière de non-discrimination. Comprendre le handicap tel que défini par la loi et l’obligation d’apporter des
aménagements raisonnables dans les États membres de l’Union européenne, 10/2011.
691. Reco. no 120-144.
252
Analyse thématique – Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations

5. Capacité juridique
La FRA a réalisé une enquête avec des entretiens menés avec des personnes souffrant
de troubles mentaux et de handicapés intellectuels dans neuf États membres, dont la
France, pour contrôler la mise en œuvre de la Convention des Nations unies sur les
droits des personnes handicapées 692. Pour cela, elle a conduit une recherche et une
analyse juridiques comparatives dans l’ensemble de l’Union européenne et lancé une
recherche qualitative sur le terrain dans neuf États membres, dont la France.
La FRA a salué le dispositif français sur plusieurs points : le droit français reconnaît,
conformément à la Recommandation CM/Rec (2009) 11 du Comité des ministres du
Conseil de l’Europe, une « directive anticipée », qui permet aux majeurs d’exprimer leurs
souhaits quant aux événements qui pourraient survenir dans le futur, la désignation
d’un tuteur pour l’avenir par exemple. Conformément à la Recommandation Rec(99)
4 du Conseil de l’Europe, le droit français, qui prévoit qu’une procédure de protection
est ordonnée pour « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts
en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit
de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté », respecte
le principe de nécessité qui veut qu’« aucune mesure de protection ne devrait être instaurée à l’égard d’un majeur incapable à moins que celle-ci ne soit nécessaire, compte
tenu des circonstances particulières et des besoins de l’intéressé […] » La loi française,
qui prévoit une période maximale de tutelle et de curatelle de dix ans, renouvelable
une fois pour une période de cinq ans, met en place des mécanismes de contrôle régulier de la tutelle conformément à l’article 7, Résolution 1642 (2009) de l’Assemblée
parlementaire du Conseil de l’Europe, ce d’autant plus que la personne sous tutelle et
ses proches peuvent faire appel de la décision altérant sa capacité juridique. De plus,
la personne sous tutelle peut choisir la personne ou l’entité qui devra appliquer les
mesures de protection, ce qui répond au principe 9 de la Recommandation Rec (99) 4.
Lors de l’EPU, la Slovaquie a recommandé à la France de retirer la déclaration interprétative de l’article 29 de la Convention. Par cette réserve, la France a affirmé que « l’exercice du droit de vote est une composante de la capacité juridique 693 », et renvoie donc
à l’article 12 de la Convention qui définit les cas dans lesquels une privation de capacité
juridique est possible. Cette déclaration vise, selon la réponse du Gouvernement, l’hypothèse où le juge a expressément supprimé le droit de vote d’un majeur bénéficiant
d’une mesure de tutelle. Le Gouvernement a refusé cette recommandation, estimant
que sa déclaration interprétative était parfaitement conforme au droit international.
692. FRA, La Capacité juridique des personnes souffrant de troubles mentaux et des personnes handicapées
intellectuelles, Office des publications de l’Union européenne, 2013.
693. Nations unies, Convention relative aux droits des personnes handicapées, Collection des traités.
253
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
6. Droit à une vie autonome
La FRA a mené, entre novembre 2010 et juillet 2011, une enquête dans neuf États
membres, dont la France, sur le droit à une vie autonome des personnes souffrant de
troubles mentaux 694. Elle a procédé à des entretiens individuels et a organisé des groupes
de discussion avec un nombre limité de personnes souffrant de troubles mentaux et
de personnes handicapées intellectuelles. Il ne s’agit pas d’une enquête quantitative,
et elle ne permet pas de dresser un bilan exhaustif du sort des personnes souffrant de
troubles mentaux en France. Néanmoins, quelques traits saillants se dégagent. Les personnes souffrant de troubles mentaux sont, en France comme dans beaucoup d’autres
États membres, particulièrement exposées à des situations de pauvreté, ce qui est un
facteur majeur empêchant l’inclusion et la participation. Ce handicap est partiellement
compensé par les différents services mis en place ou soutenus par les autorités. L’étude
insiste à plusieurs reprises sur le rôle joué par les services d’accompagnement à la vie
sociale (SAVS) et par les services d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH), qui aident les personnes handicapées à gérer les activités de la vie
quotidienne, ainsi que sur le rôle des Groupes d’entraide mutuelle, qui sont gérés par
des associations dirigées par des personnes souffrant elles-mêmes de troubles mentaux. Elle met également en valeur des initiatives associatives, celles de l’Union nationale des associations de parents de personnes handicapées mentales et de leurs amis
par exemple, ou des initiatives locales, comme l’aide à la recherche de logement dans
la Communauté urbaine de Lille. Enfin, la FRA salue la mise en place d’une semaine
d’information sur la santé mentale, qui contribue à lutter contre la stigmatisation dont
sont victimes les personnes souffrant de troubles mentaux.
694. FRA, Choix et contrôle : le droit à une vie autonome. Expériences de personnes handicapées intellectuelles
et de personnes souffrant de troubles mentaux dans neuf États membres de l’Union européenne, Office des
publication de l’Union européenne, 2013.
254
Droit au respect
de la vie privée
Cette partie regroupe un certain nombre de thématiques qui peuvent, à première vue,
sembler éloignées : identité, vie familiale, droit de l’enfant à être protégé, et droit à la
protection des données personnelles. La cohérence de cette partie est à rechercher du
côté de l’article 8 de la CESDH, qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale largement entendue. Cela ne signifie pas pour autant que l’intégralité de l’abondante jurisprudence de la CEDH relative à ce texte se trouve réunie dans ce chapitre :
ainsi, nous renverrons, par exemple concernant les implications du droit au respect
de la vie privée et familiale sur le droit au séjour des étrangers, au chapitre relatif aux
migrations, ou encore, concernant les personnes détenues, au chapitre relatif à la justice. En outre, l’insertion d’une partie sur la protection de l’enfance dans ce chapitre
s’explique en partie par l’absence d’observations du Comité des droits de l’enfant dans
la période de référence. De telles observations auraient sans aucun doute justifié qu’un
chapitre spécifique soit consacré aux seuls droits de l’enfant.
D’une manière générale, il s’agit d’un domaine où la France s’illustre positivement,
exeption faite de l’articulation avec le droit des étrangers et le droit d’asile. La protection du droit au respect de la vie privée découle, outre des engagements conventionnels de la France, de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen 695 et de l’article 9 du code civil. L’absence de consensus au niveau international sur les questions de mœurs doit être prise en compte. Quelques points de friction
apparaissent néanmoins : la reconnaissance de la filiation des enfants issus de la gestation pour autrui ; la protection de l’enfance, notamment la question du placement
des enfants ; et la protection contre les châtiments corporels des enfants. Certaines
questions restent en suspens, et notamment celles du droit à l’oubli et du droit au respect de la vie privée sur Internet.
695. Conseil constitutionnel, 23/07/1999, 99-416 DC, « Loi portant création d’une couverture maladie
universelle ».
255
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
FOCUS – L’interprétation par la CEDH de l’article 8 de la CESDH
Deux arrêts de la CEDH concernant la France illustrent la richesse de l’interprétation par
la CEDH de l’article 8. Le premier a trait au droit à l’environnement, et le second droit au
respect des correspondances dans un cadre professionnel. Dans l’affaire Flamenbaum et
autres c. France 696, la CEDH a rappelé que la protection de l’article 8 s’étend aux « atteintes
immatérielles ou incorporelles, telles que les bruits, les émissions, les odeurs et autres
ingérences » au droit au respect de la vie privée et du domicile, « conçu non seulement
comme le droit à un simple espace physique mais aussi comme celui à la jouissance, en
toute tranquillité, dudit espace ». Elle a rejeté la requête de riverains d’un aéroport qui
soutenaient que l’allongement de la piste principale avait violé l’article 8 de la CESDH et
l’article 1er du Protocole I de la Convention.
La Cour relève que, en l’espèce, les bruits causés par l’aéroport atteignent un niveau suffisant pour être considérés comme une ingérence dans le droit au respect de la vie privée,
ce qui implique que l’article 8 trouve à s’appliquer, dans son volet matériel (les actes des
autorités ont-ils respecté l’article 8 ?), et dans son volet procédural (le processus décisionnel a-t-il permis une juste prise en compte des intérêts des individus ?). S’agissant
du volet matériel, la Cour conclut que l’ingérence était prévue par la loi dès lors que les
juridictions administratives ont considéré les décisions comme légales. Elles poursuivaient
un but légitime, le bien-être économique de la région, et l’ingérence peut être considérée
comme nécessaire, étant donné qu’elle n’a pas entraîné une augmentation considérable
du trafic aérien. Concernant le processus décisionnel, la Cour rejette l’argumentation des
requérants, considérant que des enquêtes et études ont été menées et que le public a pu
accéder de façon satisfaisante à leurs conclusions. Elle juge que la complexité de la procédure, avec une première procédure relative à l’annulation des décisions, puis une autre
procédure relative à la réparation du préjudice subi, n’est pas problématique dès lors que
les requérants ont eu l’occasion de participer à chaque phase du processus décisionnel.
La Cour rejette également l’argumentation des requérants relative à la violation de l’article 1er du Protocole 1, en relevant que « les requérants n’établissent pas si et dans quelle
mesure l’allongement de la piste de l’aéroport de Deauville a pu avoir une incidence sur
la valeur de leurs biens ».
À l’occasion de son arrêt Michaud c. France 697, la CEDH a rappelé que le droit au respect
de la vie privée ne s’arrête pas au domaine de l’intime, mais couvre également le secret
des correspondances professionnelles. Dans le cadre de la transposition en droit français
de trois directives de l’UE visant à prévenir l’utilisation du système financier aux fins du
blanchiment des capitaux, le Conseil national des barreaux (CNB) a adopté une décision
portant adoption d’un règlement professionnel qui impose « aux avocats la mise en place
de procédures internes relatives aux diligences à accomplir lorsqu’une opération paraît
susceptible de faire l’objet d’une “déclaration de soupçon” ». La CEDH a considéré que
cette obligation de déclaration de soupçon incombant aux avocats dans le cadre de la lutte
contre le blanchiment ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel.
Le requérant avait, préalablement, saisi le Conseil d’État qui avait rejeté sa demande.
La CEDH considère que la déclaration de soupçon est une ingérence dans le secret des
correspondances, et dans le droit à la vie privée, qui inclut la vie professionnelle ; surtout, la CEDH accorde un poids singulier au risque d’atteinte au secret professionnel des
avocats car il peut avoir des répercussions sur la bonne administration de la justice. Elle
696. CEDH, 13/12/2012, Flamenbaum et autres c. France, Req. nos 3675/04 et 23264/04.
697. CEDH, 06/12/2012 Michaud c. France, Req. no 12323/11.
256
considère néanmoins que ces restrictions sont prévues par la loi, et qu’elles poursuivent
un but légitime. Concernant la nécessité de la mesure, la Cour exclut la présomption de
protection équivalente, reconnue au droit de l’Union européenne, qui aurait pu jouer
s’agissant de transpositions de directives, dès lors que le mécanisme international pertinent de contrôle des droits fondamentaux n’a pu déployer l’intégralité de ses potentialités. Elle considère néanmoins l’ingérence comme nécessaire, à l’instar du Conseil d’État,
qui est « parvenu à cette conclusion eu égard à l’intérêt général qui s’attache à la lutte
contre le blanchiment de capitaux et à la garantie que représente l’exclusion de son
champ d’application des informations reçues ou obtenues par les avocats à l’occasion
de leurs activités juridictionnelles, ainsi que de celles reçues ou obtenues dans le cadre
d’une consultation juridique ».
La Cour souligne également la portée limitée de l’obligation de soupçon, qui ne concerne
que des activités éloignées de la mission de défense confiée aux avocats, ainsi que le
rôle protecteur du secret joué par le président de l’ordre des avocats au Conseil d’État
et à la Cour de cassation, ou le bâtonnier de l’ordre auprès duquel ils sont inscrits, qui
reçoit les déclarations de soupçon et doit les transmettre à Tracfin. En conséquence, la
Cour considère l’ingérence comme nécessaire, et dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.
257

Analyse thématique – Droit au respect de la vie privée
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 1
Identité
1. Nom de famille
Dans une décision Ram et autres c. France 698, la CEDH a rappelé que le nom de famille
relève du droit au respect de la vie privée. Les dispositions de la loi du 4 mars 2002
relative au nom de famille et consacrant l’égalité entre parents dans l’attribution de
nom de famille doivent donc respecter l’article 8 de la CESDH. Se posait la question de
savoir si le fait d’avoir privé les enfants nés avant 1990 de la possibilité de bénéficier
de cette loi pouvait être considéré comme une discrimination liée à l’âge, et donc une
violation des articles 14 et 8 de la CESDH. La Cour a considéré que cette différence de
traitement « était raisonnablement et objectivement justifiée par la nécessité d’assurer
la transition dans le temps de l’évolution des règles de dévolution du nom de famille,
et par la légitimité du choix de tenir compte du respect dû aux principes de sécurité
juridique et d’immutabilité du nom ». De plus, les requérants ne démontraient pas que
cette impossibilité avait eu des conséquences disproportionnées au but poursuivi. En
conséquence, la Cour a déclaré leur requête irrecevable.
2. Changement de sexe
Les juridictions françaises ont évolué pour prendre en compte la jurisprudence de la
CEDH 699 sur le sujet. Depuis deux arrêts d’assemblée plénière de la Cour de cassation, « lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le “syndrome” du transsexualisme ne possède
plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du
respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle
a l’apparence. Le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification 700 ».
698. CEDH, décision, 27/08/2013, Ram et autres c. France, Req. no 38275/10.
699. CEDH, grande chambre, 25/03/1992, B. c. France, Req. no 13343/87.
700. Cass. ass. plén., 11 déc. 1992, no 91-11.900 et 91-12.373.
258
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe 701 recommande
aux États membres du Conseil de l’Europe d’« accorder aux personnes transgenres la
reconnaissance légale du genre qu’elles ont choisi, et instaurer des procédures rapides
et transparentes permettant à ces personnes de faire modifier leur nom et leur sexe
dans les actes de naissance, les registres d’état civil, les cartes d’identité, les passeports,
les diplômes et autres documents analogues ».
Or le Commissaire souligne l’absence de cadre législatif en France, le cadre juridique
ne résultant que de la jurisprudence de la Cour de cassation. Cette absence de législation laisse une importante marge d’appréciation aux autorités saisies. En outre, le
Commissaire souligne que la France fait partie des États qui posent comme préalable
à la reconnaissance légale du genre une intervention chirurgicale conduisant à la stérilisation, et réserve la reconnaissance légale du genre qu’elles ont choisi aux personnes
célibataires, ce qui implique l’obligation de divorcer pour les personnes mariées. Il
recommande en conséquence la suppression de ces deux obstacles.
701. Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, La Discrimination fondée sur l’orientation
sexuelle et l’identité de genre en Europe, 2011.
259

Analyse thématique – Droit au respect de la vie privée
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 2
Vie familiale
1. Mariage, PACS, concubinage
Mariages forcés
Ce point devrait faire l’objet prochainement d’une publication de la FRA, qui souhaite
promouvoir de bonnes pratiques nationales afin d’identifier les mariages forcés, de
prévenir ce phénomène, de lutter contre et de protéger les victimes.
Reconnaissance des couples de même sexe
Situation avant la loi du 17 mai 2013
Prohibition des mariages entre personnes de même sexe
Dans son arrêt Shalk et Kopf c. Autriche 702, la CEDH a pris note du consensus émergeant au niveau européen concernant la reconnaissance légale des couples de même
sexe. Cependant, si ce mouvement s’est accéléré, l’évolution n’est pas achevée. En
l’état actuel, la Cour considère donc que cette question est encore en pleine évolution,
et qu’il est nécessaire de laisser à l’ensemble des États une importante marge nationale
d’appréciation. La Cour ne conclut à l’existence de violations de la CESDH que lorsque
les États dépassent la marge d’appréciation autorisée.
En conséquence, l’état du droit antérieur à l’adoption de la loi du 17 mai 2013, qui
ne permettait pas, en principe, aux couples de personnes de même sexe de se marier,
pouvait sembler conforme à la CESDH. Un arrêt de la CEDH est cependant attendu
concernant l’annulation par le TGI de Bordeaux d’un mariage célébré par le maire de
Bègles entre deux hommes 703 à partir d’une interprétation audacieuse du droit antérieur à la loi du 17 mai 2013.
Pacte civil de solidarité
Depuis l’adoption de la loi no 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de
solidarité, deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe
peuvent conclure un pacte civil de solidarité pour organiser leur vie commune. La France
n’était pas le seul État du Conseil de l’Europe à avoir choisi cette voie : dans son arrêt
702. CEDH, 24/06/2010, Schalk and Kopf c. Autriche, Req. n° 30141/04.
703. CEDH, Affaire communiquée Chapin et Charpentier c. France, Req. no 40183/07.
260
Vallianatos et autres c. Grèce 704, la Cour a dénombré dix-neuf États qui autorisent
des formes de partenariats enregistrés autres que le mariage. La marge d’appréciation
des États membres concernant ces partenariats est moins importante que concernant
le mariage, dès lors que la CEDH a considéré que la législation grecque excluant les
couples de même sexe du pacte de vie commune était contraire à la CESDH.
La tendance est celle d’un alignement progressif des droits économiques et sociaux des
couples pacsés sur ceux des couples mariés. La CJUE a, dans un arrêt du 12 décembre
2013 705, considéré que la disposition d’une convention collective en vertu de laquelle
un travailleur salarié lié par un pacte civil de solidarité avec une personne de même
sexe est exclu du droit d’obtenir des avantages tels que des jours de congés spéciaux
et une prime salariale, octroyés aux travailleurs salariés à l’occasion de leur mariage,
crée une discrimination directe fondée sur l’orientation sexuelle à l’encontre des travailleurs salariés homosexuels pacsés, contraire à l’article 2, paragraphe 2, de la directive
no 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général
en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.
Loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage
aux couples de personnes de même sexe
Après des débats riches mais difficiles, le Parlement a adopté la loi ouvrant le mariage
aux couples de même sexe. La CNCDH avait soutenu l’adoption de ce projet de loi. En
marge de cette manifestation, d’importantes manifestations ont eu lieu. L’adoption par
l’APCE d’une résolution 706 dénonçant « les récents cas de recours excessif à la force
pour disperser les manifestants », et réitérant « son appel aux autorités à veiller à ce
que l’action de la police, si elle est nécessaire, reste proportionnée » a été interprétée
par certains comme un rappel à l’ordre de la France 707.
Lors de l’EPU, le Bélarus a recommandé à la France d’« adopter des mesures supplémentaires pour la protection de l’institution de la famille et [de] mettre fin à la propagande
au niveau de l’État en faveur des couples homosexuels [et d’] organiser un débat public
sur la question de l’adoption d’enfants par des couples de même sexe ». La France a
refusé cette recommandation, en soulignant que « depuis une loi en date du 23 avril
2013, le droit français autorise, au nom du principe d’égalité, le mariage entre deux
personnes de même sexe et l’adoption d’enfants par des personnes de même sexe ».
704. CEDH, grande chambre, 07/11/2013, Vallianatos et autres c. Grèce, Req. no 29381/09 et Req. n° 32684/09.
705. CJUE, 12/12/2013, Frédéric Hay c. Crédit agricole mutuel de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres,
C-267/12.
706. APCE, Résolution 1947 (2013), Manifestations et menaces pour la liberté de réunion, la liberté des
médias et la liberté d’expression, 27/06/2013.
707. « La répression de manifestations dénoncée par le Conseil de l’Europe », AFP, 27/06/2013.
261

Analyse thématique – Droit au respect de la vie privée
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
2. Filiation et succession
Accouchement sous X et accès aux origines
Dans son arrêt de grande chambre Odièvre c. France 708, la CEDH avait considéré que
le dispositif français d’accouchement sous X permettait la conciliation de deux intérêts
opposés : l’intérêt de l’enfant à connaître ses origines, et l’intérêt de la mère à conserver
l’anonymat pour sauvegarder sa santé en accouchant dans des conditions médicales
appropriées. Une jurisprudence récente concernant l’Italie 709 confirme la conventionnalité du dispositif français, qui, depuis la « nouvelle loi du 22 janvier 2002 renforce la
possibilité de lever le secret de l’identité et facilite la recherche des origines biologiques
grâce à la mise en place d’un Conseil national pour l’accès aux origines personnelles.
D’application immédiate, elle permet désormais aux personnes intéressées de solliciter
la réversibilité du secret de l’identité de la mère, sous réserve de l’accord de celle-ci ».
Adoption par des personnes homosexuelles
État antérieur à la loi du 17 mai 2013
Adoption par une personne homosexuelle
Dans l’arrêt E. B. c. France 710, la grande chambre de la CEDH a considéré que le refus
d’agrément pour adopter un enfant opposé par un président de conseil général, motif
pris des « conditions de vie » d’une femme ayant une relation stable avec une femme,
constituait un traitement discriminatoire prohibé par la Convention. Si ce refus peut
être considéré comme révélateur des difficultés rencontrées par les personnes célibataires homosexuelles souhaitant adopter, il ne trouve pas sa source dans la loi. Ainsi
que le souligne la communication de la France au Comité des ministres, afin de se
conformer à l’arrêt E. B. c. France 711, « l’article 343-1 du code civil prévoit que l’adoption peut être demandée par toute personne âgée de plus de vingt-huit ans. Le droit
français ouvre donc la voie à l’adoption par une personne célibataire, sans considération de son orientation sexuelle ».
Adoption simple au sein d’un couple homosexuel
La CEDH s’est prononcée, dans l’arrêt Gas et Dubois c. France 712, sur le refus de l’adoption simple d’un enfant par la femme vivant avec la mère biologique de l’enfant dans
le cadre d’un couple homosexuel. L’arrêt a fait l’objet de deux opinions concordantes
et d’une opinion dissidente. Les requérantes soutenaient que la limitation aux seuls
708. CEDH, grande chambre 13/02/2003, Odievre c. France, Req. no 42326/98.
709. CEDH, 25/09/2012, Godelli c. Italie, Req. no 33783/09.
710. CEDH, grande chambre, 22/01/2008, E. B. c. France, Req. no 43546/02.
711. Comité des ministres, 30/09/2009, E. B. c. France, Req. no 43546/02, Res-54.
712. CEDH, 15/03/2012, Gas et Dubois c. France, Req. no 25951/07.
262
couples mariés de la possibilité d’adopter l’enfant du conjoint était constitutive d’une
violation de l’article 14 combiné avec l’article 8. La CEDH souligne dans un premier
temps que l’article 8 de la CESDH ne reconnaît pas le droit de fonder une famille ni
celui d’adopter. La Cour considère cependant que, les faits de la cause tombant sous
l’empire de l’article 8 de la CESDH, les requérantes sont fondées à invoquer une éventuelle violation de l’article 14 de la CESDH.
La CEDH conclut néanmoins à l’absence de violation de l’article 14. Son argumentation
tient en trois temps. Dans un premier temps, elle fait valoir que les requérantes, qui
ne sont pas mariées, ne peuvent se prétendre dans la même situation que les couples
mariés. La CEDH rappelle que le mariage, qui est protégé par l’article 12 de la CESDH,
« confère un statut particulier à ceux qui s’y engagent », et « emporte des conséquences
sociales, personnelles et juridiques » telles que les personnes non mariées ne peuvent
se prétendre dans la même situation que celles mariées. Dans un deuxième temps, la
Cour fait valoir que les couples hétérosexuels pacsés sont dans la même situation que
les requérantes, et se voient également opposer un refus d’adoption simple. Dans un
troisième temps, la Cour refuse de se prononcer sur l’existence d’une discrimination
indirecte, fondée sur l’impossibilité de se marier, alors que les couples hétérosexuels
peuvent échapper par ce biais à l’article 365 du code civil, qui réserve la possibilité
de partager l’autorité parentale à l’hypothèse où l’adoptant est marié avec le parent
de l’enfant. Elle renvoie alors aux développements concernant la large marge nationale d’appréciation des États concernant l’ouverture ou non du mariage aux couples
homosexuels.
Loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage
aux couples de personnes de même sexe
En ouvrant le mariage aux couples de même sexe, la loi du 17 mai 2013 a également
autorisé l’adoption conjointe par deux parents de même sexe et l’adoption unilatérale
de l’enfant du conjoint de même sexe. Dans sa décision du 17 mai 2013 713, le Conseil
constitutionnel a émis une réserve d’interprétation, en soumettant la délivrance de
l’agrément de l’adoption à la condition de sa conformité à l’intérêt de l’enfant, qui
découle selon lui du préambule de la Constitution de 1946.
La loi n’a toutefois pas ouvert le droit à la procréation médicalement assistée ni le
droit à la gestation pour autrui. Le second procédé est prohibé par l’article 16-7 du
code civil, alors que le premier procédé est réservé aux seuls couples hétérosexuels qui
souffrent d’infertilité médicalement diagnostiquée (art. L. 2141-2 du code de la santé
publique). Les conséquences de la prohibition de la gestation pour autrui, qui interdit
d’établir la filiation des enfants nés d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger
à l’égard de leurs parents d’intention, ont donné lieu à une abondante jurisprudence
des juridictions nationales 714. Dans une circulaire du 25 janvier 2013, le ministère de
713. Conseil constitutionnel, Décision no 2013-669 DC du 17/05/2013.
714. Voir notamment, Cass., civ, 1re, 13/09/2013, no 12-18.315 et no 12-30.138, et Cass., civ 1re, 19/03/2014,
no 13-50.005.
263

Analyse thématique – Droit au respect de la vie privée
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
la Justice a rappelé que, en principe, les actes d’état civil établis à l’étranger font foi,
jusqu’à preuve du contraire 715, et que le simple soupçon de recours à la gestation pour
autrui n’est pas suffisant.
La CEDH a considéré, dans un arrêt du 26 juin 2014 716, que le refus de transcription
sur les registres d’état civil français d’un acte de naissance établi en Californie en application d’une Convention de mère porteuse entre les parents d’intention et l’enfant
viole le droit au respect de la vie privée. Elle considère que ce refus est une ingérence
dans le droit au respect de la vie privée prévue par la loi qui poursuit un but légitime :
« décourager [l] es ressortissants [français] de recourir hors du territoire national à une
méthode de procréation qu [e la France] prohibe sur son territoire dans le but, selon
sa perception de la problématique, de préserver les enfants et la mère porteuse ».
Cependant, si ce refus a ménagé un juste équilibre entre les intérêts des requérants et
ceux de l’État, les requérants ne démontrant pas en quoi l’impossibilité d’obtenir en
droit français la reconnaissance d’un lien de filiation les a empêchés de bénéficier en
France de leur droit au respect de leur vie familiale, ce n’est pas le cas concernant le
droit au respect de la vie privée des enfants. Cette décision est en effet source d’incertitude juridique, et porte atteinte à leur identité au sein de la société française. La Cour
prend notamment en compte les effets de cette non-reconnaissance du lien de filiation
sur la nationalité des enfants et sur leurs droits sur la succession. De plus, en l’espèce,
l’un des parents d’intention est également le parent biologique, et le refus de reconnaissance aboutit à priver les enfants d’un lien de filiation avec son parent biologique.
En conséquence, « la Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des troisième et quatrième
requérantes, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement
en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation ».
On indiquera, de manière incidente, que la CJUE s’est prononcée sur une question
annexe, le droit pour une femme qui est devenue légalement mère à la suite d’une
Convention de gestation pour autrui de bénéficier du congé maternité 717.
715. Circulaire du 25 janvier 2013 relative à la délivrance des certific t de nationalité française – Convention
de mère porteuse – état civil étranger, JUSC1301528C.
716. CEDH, 26/06/2014, Mennesson c. France, Req. no 65192/11.
717. CJUE, 18/03/2014, C.D./S.T., C-167/12 et Z./A Government Department and the Board of Management
of a Community School C-363/12 ; voir Stéphanie Hennette Vauchez, « Deux poids, deux mesures : GPA, congé
maternité de la mère commanditaire et procréation en droit de l’Union européenne », La Revue des droits
de l’homme [En ligne], in « Lettre Actualités Droits-Libertés », 08/04/2014. URL : http://revdh.revues.org/653.
264
Analyse thématique – Droit au respect de la vie privée

Non-discrimination entre les enfants légitimes
et adultérins
La CEDH avait considéré, dans son arrêt Mazurek c. France 718, que les dispositions de
la loi du 3 janvier 1972 prévoyant un droit successoral réduit de moitié pour l’enfant
adultérin par rapport à l’enfant légitime violaient la CESDH. Le législateur a tiré les
conséquences de cette condamnation en adoptant la loi no 2001-1135 du 3 décembre
2001. La grande chambre de la CEDH s’est prononcée, dans l’affaire Fabris c. France 719,
sur l’application de la jurisprudence Mazurek à des faits antérieurs à l’adoption de la
loi de 2001, à savoir une donation-partage qui, conclue en 1970 au profit des seuls
deux enfants légitimes, excluait le requérant, enfant adultérin. Celui-ci avait en effet
engagé sans succès une action en réduction de la donation-partage, la cour d’appel
puis la Cour de cassation ayant estimé que ni la loi de 2001 ni la position de la CEDH
ne pouvaient s’appliquer en l’espèce, la situation étant acquise. La grande chambre de
la CEDH, s’écartant de l’interprétation de la cinquième section de la CEDH, conclut à
une violation de l’article 14 combiné à l’article 1er du premier protocole de la CESDH.
Elle considère, dans un premier temps, que le grief du requérant, relatif à l’impossibilité
de faire valoir ses droits successoraux au moyen d’une action en réduction de la donation-partage en méconnaissance de sa part réservataire, entre dans le champ d’application de l’article 1er du premier Protocole de la Convention (droit de propriété). Elle
considère que la différence de traitement poursuit un but légitime, la préservation de
la sécurité juridique, valeur sous-jacente à la Convention. Cependant, la Cour considère que les moyens employés ne sont pas proportionnés au but recherché. En effet,
« la protection de la “confiance” du de cujus et de sa famille doit s’effacer devant l’impératif de l’égalité de traitement entre enfants nés hors mariage et enfants issus du
mariage », ce d’autant plus, que, en l’espèce, les demi-frères et sœurs du requérant
savaient ou auraient dû savoir que leurs droits pouvaient se voir remis en cause. La
disproportion entre les moyens employés et le but visé est d’autant plus évidente que
la jurisprudence européenne et les réformes législatives nationales manifestent une
tendance claire en faveur de la suppression de toute discrimination envers des enfants
nés hors mariage eu égard à leurs droits héréditaires.
En conclusion, la Cour rappelle l’obligation pour l’État « de prévenir, avec diligence,
de nouvelles violations semblables à celles constatées dans les arrêts de la Cour », ce
qui implique que le juge national assure, « conformément à son ordre constitutionnel et dans le respect du principe de sécurité juridique, le plein effet des normes de la
Convention, telles qu’interprétées par la Cour ».
718. CEDH, 01/02/2000, Mazurek c. France, Req. no 34406/97.
719. CEDH, Grande chambre, 07/02/2013, Fabris c. France Req. no 16574/08.
265
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Obligations positives de l’État de garantir
les liens familiaux
Adoption et kafala
Dans un arrêt du 4 octobre 2012 720, la CEDH a rejeté la requête introduite par une
femme qui faisait valoir que le rejet par les autorités nationales de sa requête en adoption plénière d’un enfant recueilli par elle sous le régime de la kafala avait violé l’article 8
de la CESDH. La Cour considère que « là où l’existence d’un lien familial avec un enfant
se trouve établie, l’État doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer et
accorder une protection juridique rendant possible l’intégration de l’enfant dans sa
famille ». Cependant, « le refus opposé à la requérante tient en grande partie au souci
du respect de l’esprit et de l’objectif des conventions internationales ». La Cour considère en outre ce refus comme proportionné et n’ayant que des conséquences limitées : la requérante et l’enfant ont le même nom de famille, à la suite d’une requête en
concordance de nom. Il est également possible d’établir un testament, qui a pour effet
de faire entrer l’enfant dans la succession de la requérante et de nommer un tuteur
légal en cas de décès du recueillant. Enfin, l’enfant a la faculté d’obtenir, dans un délai
réduit, la nationalité française, et, ainsi, celle d’être adopté, dès lors qu’il a été recueilli
en France par une personne de nationalité française. En conséquence, la Cour « estime
que, en effaçant ainsi progressivement la prohibition de l’adoption, l’État défendeur,
qui entend favoriser l’intégration d’enfants d’origine étrangère sans les couper immédiatement des règles de leur pays d’origine, respecte le pluralisme culturel et ménage
un juste équilibre entre l’intérêt public et celui de la requérante », et rejette la requête.
Enlèvements d’enfants
La CEDH s’est prononcée dans une délicate affaire 721 concernant le sort de deux enfants
dont les parents s’étaient séparés, le père ayant son domicile en France, et la mère au
Royaume-Uni. Lors du divorce, le juge aux affaires familiales du TGI de La Roche-surYon a décidé que l’autorité parentale serait exercée conjointement par les deux parents,
et fixé la résidence habituelle chez leur mère, au Royaume-Uni. Lors d’un séjour des
enfants chez leur père, celui-ci s’est présenté à la gendarmerie pour dénoncer leur souffrance. Le parquet a saisi le juge des enfants qui a pris une ordonnance de placement
provisoire sur le fondement du règlement Bruxelles II bis, relatif à la compétence, la
reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale. Les juridictions
britanniques, saisies par la requérante, ont ordonné leur retour auprès de leur mère,
les enfants étant placés sous tutelle de la juridiction jusqu’à nouvel ordre. L’autorité
centrale de l’Angleterre et du pays de Galles a transmis une demande de retour à l’autorité centrale française. Le juge aux affaires familiales a ordonné le retour des deux
720. CEDH, 04/10/2012, Harroudj c. France, Req. no 43631/09; Michel Farge, « Kafala et adoption : un inattendu brevet de conventionalité accordé au système français », Droit de la famille, no 12, décembre 2012,
comm. 187.
721. CEDH, 07/03/2013, Raw et autres c. France, Req. no 10131/11.
266
enfants, confirmé par la cour d’appel de Poitiers et la Cour de cassation. Des mesures
ont été prises au cours de l’année 2009 pour que cet arrêt soit exécuté. Toutefois, la
rencontre médiatisée entre les enfants et leur mère a échoué. À l’issue de la rencontre,
la High Court of justice a ordonné le retour des deux enfants, et décidé l’organisation
d’une visioconférence. Tandis que le préfet de Vendée, après avoir refusé le concours
de la force publique, tentait de mettre en œuvre la visioconférence, l’un des enfants a
pu contacter sa mère qui est venue le chercher chez son père.
La CEDH conclut à la violation de l’article 8 de la CESDH en raison du manque de diligence des autorités françaises à exécuter l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers. Elle considère que l’article 8 de la CESDH imposait à la France de prendre des mesures positives
pour garantir le respect effectif de la vie familiale. Elle considère néanmoins que ce droit
doit être concilié avec l’intérêt supérieur de l’enfant, qui s’oppose à ce que des mesures
coercitives soient prises et impose parfois que l’enfant ne soit pas rendu au parent qui le
réclame. En l’espèce, si la Cour salue la réactivité des autorités nationales, elle constate
néanmoins que celles-ci n’ont pas pris toutes les mesures que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles, et se sont progressivement désinvesties. Elle considère que l’intérêt
supérieur des enfants aurait dû imposer que des mesures coercitives soient prises à l’égard
du père afin de l’inciter à coopérer d’avantage, et que les autorités françaises auraient
dû donner suite à la plainte pour non-représentation d’enfants déposée par la mère.
3. Droit de la famille à une protection
sociale, juridique et économique
Le CEDS s’est prononcé, à l’occasion de ses observations pour l’année 2011 722, sur
la conformité de la situation française avec l’article 16 de la CSER. Il a conclu à l’existence d’une violation concernant le droit au logement des Gens du voyage (voir supra
« Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations et inclusion dans la société »).
Il a demandé quelques éléments d’information qui devront être transmis par la France
pour le prochain rapport, concernant en particulier la notion de famille en droit interne,
les évolutions du régime des droits et devoirs des conjoints dans le couple et envers les
enfants, et modalités juridiques pour régler les litiges à ce propos, et les moyens mis
en œuvre pour assurer la protection économique des familles roms.
Il s’est penché sur un point ayant fait l’objet d’une abondante jurisprudence : le droit, pour
les enfants entrés en France en dehors de la procédure de regroupement familial, de bénéficier de prestations familiales. Avant 2005, la Cour de cassation avait estimé que cette exigence était contraire aux articles 8 et 14 de la CESDH 723. Le législateur a modifié l’article
L. 512-2 du code de la sécurité sociale pour y mentionner expressément la condition d’entrée régulière dans le cadre de la procédure de regroupement familial, ce que le Conseil
722. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
723. Cass., ass. plén., 16/04/2004, Bull. ass. plén., no 8.
267

Analyse thématique – Droit au respect de la vie privée
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
constitutionnel a estimé conforme à la Constitution 724. Par la suite, la Cour de cassation a
estimé que ces dispositions « revêtent un caractère objectif justifié par la nécessité, dans un
État démocratique, d’exercer un contrôle des conditions d’accueil des enfants, ne portent
pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale garanti par les articles 8 et 14
de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni
ne méconnaissent les dispositions de l’article 3-1 CIDE 725 ». Le CEDS rappelle que la HALDE
s’était écartée de ces conclusions, et avait considéré cette circonstance comme discriminatoire. Or la Charte « prévoit l’égalité de traitement l’égalité de traitement en matière de
prestations familiales ». Le CEDS demande donc que le prochain rapport indique si toutes
les familles de ressortissants étrangers ou apatrides ont droit aux prestations familiales. Une
requête est actuellement pendante devant la CEDH sur ce point 726.
Hormis ces manquements, le CEDS établit un bilan satisfaisant de la protection de la
famille en France, qui s’illustre de manière positive sur quelques points, et notamment
concernant le niveau des prestations familiales, les services de conseil familial et la participation des associations représentant les familles.
Suspension d’allocations familiales
Dans une décision sur la recevabilité et le bien-fondé EUROCEF c. France 727, le CEDS
s’est prononcé sur la conventionnalité de la suspension d’allocations familiales en cas
d’absentéisme scolaire prévu par la loi no 2010-1127 du 28 septembre 2010. Deux opinions dissidentes accompagnaient cette décision. Le CEDS considère que cette suspension est une restriction dans le droit de la famille à une protection sociale, juridique et
économique reconnu par l’article 16 de la CSER. Néanmoins, serait-elle prévue par la loi,
et poursuivrait-elle un but légitime dès lors qu’elle vise à réduire l’absentéisme scolaire,
cette mesure n’est pas proportionnée au but recherché : en effet, elle est susceptible de
rendre plus vulnérable la situation économique de la famille concernée, alors qu’il n’est
pas établi qu’elle concoure à l’objectif de réinsertion de l’enfant. Enfin, elle fait peser sur
les seuls parents la responsabilité d’atteindre le but de réduire l’absentéisme scolaire, alors
que l’État a également des responsabilités en ce domaine. Cependant, le CEDS rappelle
qu’il statue à la date de sa décision. Or, à la date de celle-ci, les dispositions litigieuses
ont été supprimées par la loi no 2013-108 du 31 janvier 2013. Le CEDS rejette donc ce
moyen, tout en constatant que la suspension d’allocations familiales aurait effectivement
violé l’article 16. Il dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 30 de la Convention relatif
au droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale, car si les allocations familiales peuvent constituer une part essentielle des revenus des personnes vivant sous le
seuil de pauvreté, l’approche globale et coordonnée mise en place par le Gouvernement
forme un cadre analytique clair et fixe des priorités et des actions pertinentes ; de plus,
le CEDS note que, selon une étude comparative de l’OCDE, la France détient le ratio le
plus élevé, rapporté au PIB, en matière de prestations familiales.
724. Conseil constitutionnel, 15/12/2005, décision no 2005-528 DC.
725. Cass., ass. plén., 03/06/2011, 09-71.352, publié au Bulletin.
726. CEDH, Okitaloshima Okonda Osungu c. France, Req. no 76860/11, communiquée le 10/02/2014.
727. CEDS, 19/03/2013, Comité européen d’action spécialisée pour l’enfant et la famille dans leur milieu de
vie (EUROCEF) c. France, Réc. no 82/2012.
268
Analyse thématique – Droit au respect de la vie privée

Chapitre 3
Protection de l’enfance
La protection de l’enfance recouvre l’ensemble des activités qui vont de la prévention
des difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs
responsabilités parentales jusqu’à la substitution familiale. La protection de l’enfance
est d’autant plus importante que la France doit faire face à un climat conjoncturel qui
se détériore, ainsi que le souligne la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la vente
d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants : chômage, difficulté ou absence de logement, décrochage scolaire, et ce malgré les efforts
du Gouvernement.
1. Architecture institutionnelle
de la protection de l’enfance
L’architecture générale de la protection de l’enfance a été profondément modifiée par
la loi no 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Les conseils
généraux jouent désormais un rôle central ; ils consacrent chaque année plus de 6 milliards d’euros à la protection de l’enfance, selon la Rapporteuse spéciale des Nations
unies sur la vente d’enfants 728. Celle-ci souligne l’une des conséquences de la décentralisation : il existe des « disparités entre conseils généraux en matière d’approches,
de pratiques, de programmes et de moyens alloués ». Elle regrette le manque de coordination au niveau national, et « la complexité de l’architecture de la protection de
l’enfance, la multiplicité des acteurs mais également une articulation délicate entre le
cadre administratif et le cadre judiciaire ». Elle regrette également qu’il n’existe « pas
de véritable stratégie nationale intégrée de la protection de l’enfance, basée sur une
approche centrée sur les droits des enfants ». Situation d’autant plus problématique
que les services de l’aide sociale à l’enfance « sont submergés, leurs capacités d’accueil
et d’encadrement sont dépassés ».
Elle recommande donc que soit mis en place un cadre stratégique national de la protection de l’enfance, « les schémas départementaux de protection de l’enfance seraient
alors une déclinaison de ce cadre stratégique national, constituant ainsi des systèmes
territoriaux intégrés de protection des enfants, harmonisés et conformes aux règles et
normes internationales ».
728. Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant
des enfants, Najat Maalla M’jid, Rapport sur la mission en France, 29/02/2012, A/HRC/19/63/Add.2.
269
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
2. Placements d’enfants
Dans une résolution intitulée Droits de l’homme et tribunaux des affaires familiales,
l’APCE s’est déclarée « préoccupée par le fonctionnement des tribunaux des affaires
familiales dans certains États membres du Conseil de l’Europe, en particulier dans des
affaires où des enfants sont retirés à leur famille contre la volonté de leurs parents et en
violation du droit au respect de la vie familiale et du principe de procès équitable 729 ».
Si les principaux États visés étaient l’Allemagne, la Croatie, le Portugal, la République
Tchèque et le Royaume-Uni, un détour vers l’exposé des motifs 730 permet de percevoir que la France ne peut être totalement exonérée de ces critiques : en France, « sur
15 millions d’enfants, près de 148 000 ne vivent pas avec leurs parents biologiques.
Parmi ces derniers, 48 600 sont placés en établissement ». Ce constat est partagé par
la CNCDH qui, dans son avis sur le droit au respect de la vie privée et familiale et les
placements d’enfants en France 731, a dénoncé un recours trop systématique aux placements d’enfants. De même, le CEDS, dans son analyse relative au respect par la France
de l’article 17 de la Charte 732, a rappelé que « toute restriction ou limitation du droit
de garde des parents doit se baser sur des critères établis par la législation et ne doit
pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour la protection et l’intérêt de l’enfant et
la réunification de la famille. Le placement d’un enfant en dehors de son foyer ne doit
être possible que dans le cas où une telle mesure se fonde sur des critères adéquats et
raisonnables prévus par la législation ». Le CEDS a donc demandé à la France de préciser « les garanties procédurales prévues pour veiller à ce que les enfants ne soient
retirés à leur famille que dans des circonstances exceptionnelles ».
L’on rappellera ici que les placements d’enfants peuvent faire l’objet d’un contrôle par
la CEDH. Ainsi, dans un arrêt du 26 septembre 2013 733, la Cour a rejeté la requête
d’une mère qui alléguait que la déclaration judiciaire d’abandon de sa fille suivie du
prononcé de l’adoption plénière avait violé l’article 8 de la CESDH. La fille de la requérante avait fait l’objet de plusieurs ordonnances de placement provisoire alors que la
mère traversait une période de troubles psychologiques nécessitant plusieurs hospitalisations. Le TGI, constatant le désintérêt de la requérante, admit l’enfant en qualité de
pupille de l’État, délégua l’autorité parentale au service d’aide sociale à l’enfance, puis
prononça l’adoption plénière de l’enfant au profit de la famille d’accueil de l’enfant.
La CEDH rappelle qu’elle « exige que des mesures aboutissant à briser les liens entre un
enfant et sa famille ne soient appliquées que dans des circonstances exceptionnelles,
c’est-à-dire uniquement dans les cas où les parents se sont montrés particulièrement
indignes […] ou lorsqu’elles sont justifiées par une exigence primordiale touchant l’intérêt supérieur de l’enfant ». Le processus décisionnel doit être équitable, impartial, et
729. APCE, 30/11/2012, Droits de l’homme et tribunaux des affaires familiales, Réso. no 1908.
730. Exposé des motifs, par M. Chope, Rapporteur.
731. CNCDH, Avis sur le droit au respect de la vie privée et familiale et les placements d’enfants en France,
27/06/2013.
732. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
733. CEDH, 26/09/2013, Zambotto Perrin c. France, Req. no 4962/11.
270
non entaché d’arbitraire. En l’espèce, les mesures litigieuses étaient des ingérences dans
la vie familiale de la requérante, prévues par la loi, et poursuivaient un but légitime, la
préservation de la santé et de la moralité de la fille de la requérante et la défense de
ses droits. La Cour considère que cette mesure était nécessaire dans une société démocratique, après avoir souligné le caractère ténu des liens unissant la mère et la fille. La
Cour note que les autorités ont pu estimer que la déclaration d’abandon correspondait à l’intérêt supérieur de l’enfant, intérêt qui commandait, la déclaration d’abandon une fois prononcée, de stabiliser et sécuriser la situation personnelle de l’enfant,
et d’établir un lien légalement reconnu avec sa famille nourricière. En conséquence, la
Cour dit qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 8 de la CESDH.
3. Droits procéduraux
Plusieurs instances ont insisté sur la nécessité de prendre en compte la parole de l’enfant dans les procédures les concernant. La Rapporteuse spéciale des Nations unies
sur la vente des enfants a noté que « la participation des enfants en France reste
relativement limitée » 734, ceux-ci ne participant pas activement aux décisions qui les
concernent. Ces recommandations portent tant sur la phase administrative que sur la
phase juridictionnelle de la procédure.
Elles rejoignent celles exprimées notamment par le Comité des ministres du Conseil
de l’Europe dans ses lignes directrices sur une justice adaptée aux enfants 735, ou dans sa
recommandation sur les droits de l’enfant et les services sociaux adaptés aux enfants et
aux familles 736, ou encore par le Conseil économique et social des Nations unies 737. Ce
sujet fait également l’objet d’une réflexion de la FRA qui a lancé une étude à ce sujet.
4. Protection contre les châtiments
corporels
Un nombre croissant d’instances internationales s’oppose à la pratique des châtiments
corporels. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe avait ainsi adopté
en 2004 une recommandation intitulée Interdire le châtiment corporel des enfants en
734. Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant
des enfants, Najat Maalla M’jid, Rapport sur la mission en France, 29/02/2012, A/HRC/19/63/Add.2.
735. Comité des ministres, Lignes directrices du Comité des ministres du Conseil de l’Europe sur une justice
adaptée aux enfants, Monographie 5, Éditions du Conseil de l’Europe, 2011.
736. CM/Rec(2011)12F / 16 novembre 2011. Recommandation du Comité des ministres aux États membres
sur les droits de l’enfant et les services sociaux adaptés aux enfants et aux familles (adoptée par le Comité
des ministres le 16 novembre 2011, lors de la 1126e réunion des Délégués des ministres).
737. Conseil économique et social des Nations unies, Lignes directrices en matière de justice dans les affaires
impliquant les enfants victimes et témoins d’actes criminels, 22/07/2005, Réso. no 2005/20.
271

Analyse thématique – Droit au respect de la vie privée
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Europe 738 ; le Comité des ministres a adopté une recommandation visant à soutenir
une parentalité positive 739, et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de
l’Europe a publié un document thématique sur ce sujet 740.
Trois recommandations de l’EPU 741 ont été consacrées à la lutte contre les châtiments corporels à l’encontre des enfants, dans tous les contextes, y compris familiaux. Cette prohibition des châtiments corporels avait également été affirmée par le Comité des droits de
l’enfant. La France a accepté ces recommandations, en mettant en avant les dispositions
du code pénal qui répriment les violences commises à l’encontre d’un mineur de quinze
ans, celles-ci étant aggravées lorsque l’auteur des faits est un ascendant de la victime.
Concernant le cadre scolaire, différents textes protègent l’enfant scolarisé en école maternelle, qui ne peut faire l’objet d’aucune sanction, l’enfant scolarisé à l’école primaire, qui
ne peut subir de châtiment corporel, et l’enfant scolarisé dans les établissements secondaires, qui ne peut subir que des sanctions proportionnées, et poursuivant un but éducatif.
Le CEDS s’est prononcé lors de ses conclusions 2011 742 sur le respect de l’article 17 relatif au droit des enfants et des jeunes à une protection sociale, juridique et économique,
qui inclut une protection contre les mauvais traitements. Le CEDS a rappelé que « pour se
conformer à l’article 17 en ce qui concerne les châtiments corporels infligés aux enfants,
il faut que le droit interne des États contienne des dispositions qui permettent d’interdire
et de sanctionner toute forme de violence à l’égard des enfants, c’est-à-dire tout acte ou
comportement susceptible de porter atteinte à l’intégrité physique, à la dignité, au développement ou à l’épanouissement psychique de l’enfant. Ces dispositions doivent être suffisamment claires, contraignantes et précises pour ne pas laisser au juge la possibilité de
refuser d’en faire application aux violences contre les enfants. Par ailleurs, l’État doit agir
avec diligence pour éliminer concrètement les violences proscrites ». Il a estimé que le droit
français n’assure pas une telle prohibition, ce qui ressort tant du rapport de la France que
d’une contribution alternative reçue par le Comité. Par ailleurs, une réclamation 743 a été
introduite devant le CEDS par l’association concernant la protection des enfants (APPROACH)
à ce sujet. Le Comité ne s’est pas encore prononcé sur son bien-fondé.
738. APCE, 23/06/2004, Recommandation de l’Assemblée Parlementaire 1666 (2004): Interdire le châtiment
corporel des enfants en Europe.
739. Comité des ministres, 13/12/2006, Recommandation Rec(2006)19 du Comité des ministres relative aux
politiques visant à soutenir une parentalité positive.
740. Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Les Enfants et les châtiments corporels :
« Le droit à l’intégrité physique est aussi un droit de l’enfant », 01/2008, CommDH/IssuePaper(2006)1REV.
741. Reco. no 120.116 ; 120.117 ; 120.118.
742. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
743. CEDS, Réclamation no 92/2013, Association pour la protection des enfants (APPROACH) Ltd c. France,
enregistrée le 04/02/2013.
272
Analyse thématique – Droit au respect de la vie privée

Chapitre 4
Droit au respect de la vie
privée et droit à la protection
des données personnelles
La protection des données personnelles au niveau national découle pour l’essentiel de
la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Postérieurement à cette loi, plusieurs instruments internationaux ont été adoptés et,
notamment, la Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes à
l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, que la France a
ratifiée le 24 mars 1983, et son Protocole additionnel, ainsi que la directive européenne
no 95/46/CE du 24 octobre 1995 du Parlement européen et du Conseil relative à la
protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère
personnel et à la libre circulation de ces données.
La Charte européenne des droits fondamentaux reconnaît, en plus du droit au respect
de la vie privée (art. 7), un droit à la protection des données personnelles (art. 8). Cela
implique notamment que l’ensemble du droit dérivé respecte ces articles. La directive
no 2006/24/CE relative à la conservation de données générées ou traitées dans le cadre
de la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public ou de
réseaux publics de communications et modifiant la directive no 2002/58/CE, a ainsi été
déclarée invalide par la CJUE, car ne permettant pas de protéger suffisamment les droits
garantis par les articles 7 et 8 de la Charte 744. Cela implique également que les États,
lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’UE, respectent la Charte. À titre d’illustration,
l’on mentionnera un arrêt de la CJUE concernant l’Allemagne 745, dans lequel la Cour a
considéré que l’intégration d’empreintes digitales dans les passeports est licite : « Si leur
prélèvement et leur conservation dans le passeport constituent une atteinte aux droits au
respect de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, ces mesures
sont néanmoins justifiées pour empêcher toute utilisation frauduleuse des passeports. »
Il n’y a pas d’arrêt concernant la France dans la période de référence sur ce sujet.
Le 25 janvier 2012, la Commission a lancé une réforme des règles relatives aux données
personnelles. Elle a notamment adopté une proposition de règlement relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel
et à la libre circulation de ces données 746, ainsi qu’une proposition de directive relative à
744. CJUE, grande chambre, 8 avril 2014, Digital Rights Ireland Ltd & Michael Seitlinger e.a., C-293/12 et C-594/12 ;
Marie-Laure Basilien-Gainche, « Une prohibition européenne claire de la surveillance électronique de masse »,
La Revue des droits de l’homme [En ligne], in Lettre « Actualités Droits-Libertés », 14/05/2014.
745. CJUE, 17/10/2013, Michael Schwarz c. Stadt Bochum, C-291/12.
746. Commission européenne, Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la
protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre
circulation de ces données (règlement général sur la protection des données), 25/01/2012, COM(2012) 11
final, 2012/0011. Le processus d’adoption peut être suivi sur le site Prelex.
273
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère
personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des
infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions
pénales, et à la libre circulation de ces données 747. La FRA 748 et le Contrôleur européen
pour la protection des données ont été consultés. Ce processus devrait aboutir en 2014.
L’obligation de mettre en place une autorité nationale chargée de la protection des
données découle notamment de la directive no 95/46/CE. L’indépendance de cette
autorité est contrôlée par la CJUE 749. Au niveau national, la CNIL joue un rôle décisif
dans la protection des données personnelles, ainsi que l’a mis en valeur la FRA dans
sa publication relative au rôle des autorités nationales chargées de la protection des
données 750. La FRA a également publié une étude sur les voies de recours en matière
de données personnelles en 2014 751.
Enfin, la CEDH peut également exercer un contrôle des fichiers mis en œuvre au plan
national. Ainsi, dans une affaire M. K. c. France 752 , la CEDH a conclu à l’existence
d’une violation de l’article 8 de la CESDH concernant un refus d’effacement du fichier
automatisé des empreintes digitales (FAED). Le requérant, qui avait fait l’objet d’une
relaxe et d’un classement sans suite dans deux affaires de vol de livres, avait vu ses
empreintes digitales prélevées lors de ces deux affaires ; il avait alors demandé au procureur de la République l’effacement de ces empreintes du FAED.
La Cour considère que la conservation dans un fichier des empreintes digitales d’un individu est une ingérence dans le droit au respect de la vie privée. Cette ingérence est prévue
par l’article 55-1 du code de procédure pénale et par le décret no 87-249, et poursuit un
but légitime, à savoir la détection et la prévention des infractions pénales. La Cour rappelle
que, pour que cette ingérence puisse être considérée comme nécessaire dans une société
démocratique, elle doit répondre à un besoin social impérieux, être proportionnée au but
légitime poursuivi, et les motifs invoqués par les autorités nationales doivent apparaître
pertinents et suffisants. La Cour rappelle que « la législation interne doit donc ménager
des garanties appropriées pour empêcher toute utilisation de données à caractère personnel qui ne serait pas conforme aux garanties prévues » par l’article 8 de la CESDH. En
l’espèce la Cour considère que les modalités de consultation du FAED sont suffisamment
encadrées ; cependant, elle estime qu’il n’en est pas de même concernant le régime de
collecte et de conservation des données. Elle considère, d’une part, que les hypothèses
747. Commission européenne, Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la
protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites en la matière ou d’exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation de ces données, 25/01/2012,
COM/2012/010 final - 2012/0010 (COD) */
748. FRA, Data Protection Reform Package FRA Opinion, 10/2012.
749. CJUE, grande chambre, 8/04/2014, Commission c. Hongrie, C-288/12.
750. FRA, La Protection des données à caractère personnel dans l’Union européenne : le rôle des autorités
nationales chargées de la protection des données. Renforcement de l’architecture des droits fondamentaux
au sein de l’UE II, Office des publications de l’Union européenne, 2012.
751. FRA, Access to Data Protection Remedies in EU Member States, Office des publications de l’Union européenne, 2013.
752. CEDH, 18/04/2013, M. K. c. France, Req. no 19522/09.
274
dans lesquelles le décret permet de collecter ces empreintes sont particulièrement larges,
et s’appliquent même à des infractions mineures, et, d’autre part, que les autorités nationales ont une interprétation extrêmement large de ces dispositions, qui « reviendrait en
pratique à justifier le fichage de l’intégralité de la population présente sur le sol français,
ce qui serait assurément excessif et non pertinent ». En outre, la Cour note que le fait
que le requérant n’ait fait l’objet d’aucune condamnation n’a eu aucune incidence sur la
collecte et la conservation de ces empreintes. La procédure d’effacement, qui n’est pas
un droit, constitue une garantie théorique et illusoire, et non concrète et effective, alors
que la durée d’archivage (vingt-cinq ans) est « en pratique assimilable à une conservation
indéfinie ». En conséquence, la CEDH conclut à une violation de l’article 8 de la CESDH.
FOCUS – Droit à l’anonymat sur Internet
Le cadre juridique applicable au droit à l’anonymat sur Internet découle en partie du droit
de l’Union européenne et du droit international. Dans une décision du 13 mai 2014 753
concernant l’Espagne, la CJUE a considéré que les exploitants de moteurs de recherche
sont des responsables des traitements de données personnelles au sens de la directive
no 95/46/CE. Elle considère que « l’exploitant d’un moteur de recherche est obligé de
supprimer de la liste de résultats, affichée à la suite d’une recherche effectuée à partir du
nom d’une personne, des liens vers des pages web, publiées par des tiers et contenant
des informations relatives à cette personne, également dans l’hypothèse où ce nom ou
ces informations ne sont pas effacés préalablement ou simultanément de ces pages web,
et ce, le cas échéant, même lorsque leur publication en elle-même sur lesdites pages est
licite ». En conséquence, « la personne qui a un droit à ce que l’information en question
relative à sa personne ne soit plus […] liée à son nom par une liste de résultats affichée
à la suite d’une recherche effectuée à partir de son nom » peut « demander que l’information en question ne soit plus mise à la disposition du grand public », ses droits fondamentaux prévalant sur l’intérêt économique de l’exploitant du moteur de recherche, mais
également sur l’intérêt du public, sauf si « l’ingérence dans ses droits fondamentaux est
justifiée par l’intérêt prépondérant dudit public à avoir, du fait de cette inclusion, accès
à l’information en question ».
Le sujet a également été abordé par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui
a consacré plusieurs recommandations à cette question, concernant plus spécifiquement
les réseaux sociaux 754, les moteurs de recherche 755, ainsi que l’universalité, l’intégralité
et l’ouverture de l’Internet 756.
753. CJUE, grande chambre, 13/05/2014, Google Spain SL, Google Inc. c. Agencia Española de Protección
de Datos (AEPD), Mario Costeja González, C-131/12 ; voir notamment Sylvie Peyrou, « La Cour de justice et
la consécration du droit à l’oubli numérique : quand le juge européen des droits fondamentaux persiste et
signe… », site du groupement de recherche du Réseau universitaire européen dédié à l’étude du droit de
l’espace de liberté, sécurité et justice, 14/05/2014.
754. Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur la protection des droits de l’homme dans
le cadre des services de réseaux sociaux, 04/04/2012, CM/Rec(2012)4F.
755. Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur la protection des droits de l’homme dans
le contexte des moteurs de recherche, 04/04/2012,CM/Rec(2012)3F.
756. Comité des ministres, Recommandation aux États membres sur la protection et la promotion de l’universalité, de l’intégrité et de l’ouverture de l’internet, 21/09/2011, CM/ec(2011)8F.
275

Analyse thématique – Droit au respect de la vie privée
Liberté d’expression
et d’information
La liberté d’expression est protégée par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen. Il est néanmoins possible d’y apporter des restrictions a priori
et a posteriori. Il n’y a pas eu, pendant la période de référence, d’observations d’instances internationales concernant les restrictions a priori. Concernant les observations
à venir, nous soulignerons ici l’introduction d’une requête devant la CEDH 757 à propos
de l’interdiction du spectacle de Dieudonné Le Mur.
Concernant les limites a posteriori, l’essentiel des sanctions pénales applicables est
contenu dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Une jurisprudence nationale
abondante est venue expliciter et donner corps à cette loi importante en matière de
libertés. Pourtant, la France est l’un des États du Conseil de l’Europe à l’encontre desquels la CEDH a constaté le plus grand nombre de violations de l’article 10 de la CESDH
relatif à la liberté d’expression : sur la période allant de 1981 à 2013, 30 constats de
violation ont été dressés, ce qui place la France au troisième rang des États les plus
condamnés sur ce fondement.
Cela s’explique pour partie par la place déterminante reconnue par la CEDH à la liberté
d’expression et à la liberté de la presse dans une société démocratique. La CEDH considère ainsi que les restrictions à la liberté d’expression doivent être aussi limitées que
possible, même si la Cour reconnaît une marge nationale d’appréciation plus importante lorsque l’ingérence a pour but la protection d’un droit reconnu par la Convention,
ou lorsque les propos ne relèvent pas d’un débat d’intérêt général 758. Or, si la législation française est protectrice de la liberté de la presse, elle peut être plus protectrice
du droit au respect de la vie privée que ne l’estime nécessaire la Cour de Strasbourg,
ou peut reconnaître une place importante aux préoccupations relatives à l’ordre public
(le souci de faire respecter certains secrets, secret de l’instruction ou secret professionnel) ; de plus, ce n’est que récemment que la France s’est dotée d’un cadre protecteur
du secret des sources.
757. CEDH, M’Bala M’Bala c. France, affaire no 25239/13 communiquée le 03/02/2014.
758. Voir notamment, sur la période de référence, CEDH, 10/01/2013, Ashby Donald et autres c. France,
Req. no 36769/08 : la condamnation pénale de photographes qui avaient publié sur Internet des photographies de défilés de mode n’avait pas violé l’article 10 de la CESDH, dès lors que les requérants poursuivaient
un but commercial, et que cette sanction avait pour but de protéger le droit d’auteur des créateurs, qui entre
dans le cadre de l’article 1er du Protocole de la CESDH, et que la mise en ligne de ces photos ne s’inscrivait
pas dans le cadre d’un débat d’intérêt général.
277
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 1
Liberté d’expression
et négationnisme
Nous renverrons, concernant la lutte contre les discours de haine, aux développements
du chapitre 4. Nous nous contenterons ici de rappeler que la CEDH considère que les
propos de haine entrent dans le cadre de l’article 17 de la CESDH, et ne sont donc pas
protégés par l’article 10 de la Convention 759.
La Représentante de l’OSCE pour les médias 760 s’est élevée contre l’adoption d’une
proposition de loi 761 visant à pénaliser la négation de génocides limitativement énumérés par la loi ; les débats entourant la discussion de la proposition de loi ont porté
sur la pénalisation du génocide arménien. Si la Représentante de l’OSCE reconnaît la
volonté humaniste d’une telle pénalisation, elle souligne qu’une telle loi soulèverait
d’importants problèmes en termes de standards pour la liberté d’expression. De plus,
cela pourrait créer un précédent international pour la pénalisation de certains débats
portant sur des événements historiques 762. La Représentante a appelé le Sénat à ne
pas adopter cette proposition de loi. Elle n’a pas été entendue. Néanmoins, par la
suite, le Conseil constitutionnel a déclaré celle-ci non conforme à la Constitution 763,
solution qui ne semble pas aller à l’encontre de la jurisprudence de la CEDH. Dans un
arrêt concernant la Suisse 764, la CEDH a considéré que la condamnation du président
général du Parti des travailleurs de Turquie, qui avait publiquement déclaré, lors de
diverses manifestations, que le génocide arménien était un « mensonge international »
avait méconnu l’article 10 de la CESDH ; cet arrêt n’est cependant pas définitif, le collège ayant renvoyé l’affaire devant la grande chambre 765.
Une nouvelle proposition de loi est actuellement déposée devant l’Assemblée. Comme
pour la loi déclarée inconstitutionnelle, ses auteurs prennent soin de s’appuyer sur la
décision-cadre no 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte
contre certaines formes et manifestations de racisme et de xénophobie au
moyen du droit pénal. Celle-ci incite les États membres à prendre, entre autres, les
mesures nécessaires pour faire en sorte que l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes
759. Voir notamment CEDH, 17/12/2013, Perinçek c. Suisse, Req. no 27510/08.
760. Représentante pour la liberté des médias de l’OSCE, Dunja Mijatović, Yearbook 142012.
761. Proposition de loi portant transposition du droit communautaire sur la lutte contre le racisme et réprimant la contestation de l’existence du génocide arménien, no 3842, déposée le 18/10/2011.
762. OSCE Media Representative Expresses Concern Over Plans to Criminalize Genocide Denial in France,
22/12/2011.
763. Conseil constitutionnel, décision n° 647 DC du 28 février 2012 – Voir le commentaire de la décision
aux Cahiers.
764. CEDH, 17/12/2013, Perinçek c. Suisse, Req. no 27510/08.
765. Communiqué de presse du greffier de la Cour, Décisions du collège de la grande chambre, 03/06/2014,
CEDH 158 (2014).
278
de guerre soient punissables 766. Cependant, la décision-cadre, à la différence des différentes initiatives législatives, prend soin de ne pas énumérer les génocides dont la
réalité ne peut être contestée, et renvoie au statut de la CPI et à la Charte du Tribunal
militaire international annexée à l’accord de Londres du 8 août 1945 767.
766. Décision-cadre no 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes
et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal.
767. Commission européenne, Rapport de la Commission au Parlement et au Conseil relatif à la mise en œuvre
de la Décision-cadre no 2008/913/JAI du Conseil du 28 novembre 2008 sur la lutte contre certaines formes
et manifestations de racisme et de xénophobie au moyen du droit pénal, SWD (2014) 27 final 27/01/2014.
279

Analyse thématique – Liberté d’expression et d’information
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 2
Liberté d’expression
et atteinte aux droits d’autrui
Nous distinguerons trois problématiques : l’atteinte au droit au respect de la vie privée, la pénalisation de la diffamation et la question spécifique du délit d’offense au
chef de l’État.
1. Droit au respect de la vie privée
Le Représentant de l’OSCE sur la liberté des médias est intervenu le 17 juillet
2013 768 auprès du ministère des Affaires étrangères à propos de la condamnation par
la cour d’appel de Versailles du Point et de Mediapart dans l’affaire Bettencourt 769. La
cour d’appel avait notamment ordonné à Mediapart le retrait de la publication de tout
ou partie des enregistrements illicites réalisés au domicile de Mme Bettencourt, avec
une astreinte de 10 000 euros par article et jour de retard, et condamné Mediapart,
Edwy Plenel, Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme à verser une provision de 20 000 euros à
valoir sur la réparation du préjudice moral. Le représentant de l’OSCE a invoqué devant
le ministre des Affaires étrangères le caractère disproportionné de la condamnation,
en raison du haut degré d’intérêt public des informations révélées. Le ministre des
Affaires étrangères a répondu le 30 juillet au représentant de l’OSCE, insistant sur le
droit au respect de la vie privée.
La CEDH a, dans un arrêt Couderc et Hachette Filipacchi c. France 770, conclu à une
violation de l’article 10 de la CESDH en raison de la condamnation à 50 000 euros de
dommages et intérêts et à une publication judiciaire dans le magazine pour avoir révélé
que le prince de Monaco avait un enfant caché. La CEDH considère qu’il n’existe pas
de rapport raisonnable de proportionnalité entre la sanction infligée et la protection
de la réputation et des droits d’autrui. Cette disproportion est d’autant plus manifeste qu’une partie des informations publiées relevaient d’un débat d’intérêt général : si l’enfant ne peut, en l’état, prétendre succéder à son père, son existence même
est de nature à intéresser le public et notamment les citoyens de Monaco, le titre se
transmettant de manière héréditaire. En outre, la Cour souligne qu’il est nécessaire de
prendre en considération les intérêts de la mère et de l’enfant pour contrôler la proportionnalité de la mesure.
768. Dunja Mijatović, OSCE Representative on Freedom of the Media, Regular Report to the Permanent
Council, 28/11/2013, FOM.GAL/4/13/Rev.1.
769. CA Versailles, 04/07/2013, RG no 12/00191.
770. CEDH, 12/06/2014, Couderc et Hachette Filipacchi associés c. France, Req. no 40454/07.
280
Analyse thématique – Liberté d’expression et d’information

2. Pénalisation de la diffamation
Plusieurs instances internationales ont recommandé la dépénalisation de la diffamation,
et notamment l’APCE 771 et le Représentant de l’OSCE pour la liberté des médias 772. La loi
sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 prévoit une peine d’amende (45 000 euros),
et même une peine d’un an d’emprisonnement lorsque la diffamation a été commise
envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine supposée,
ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une
race ou une religion déterminée ou à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap 773, ou de six mois s’agissant d’injures sur les mêmes
motifs 774. Cependant, les juridictions judiciaires ont su faire une lecture libérale de
ce texte, et, à notre connaissance, seules des peines d’amendes sont prononcées. La
dépénalisation de la diffamation avait été évoquée par le précédent président de la
République, à la suite de la publication d’un rapport 775. Cependant, la réforme n’a pas
été menée à son terme, eu égard notamment à l’opposition de certains syndicats de
journalistes, qui considéraient le système actuel comme plus protecteur 776. Ce point
fait l’objet d’une importante jurisprudence de la CEDH.
Dans l’arrêt Lesquen du Plessis-Casso c. France 777 , la CEDH a conclu que la condamnation du chef de diffamation publique envers un particulier pour des propos tenus
lors d’une réunion du conseil municipal avait violé l’article 10 de la CESDH. Le requérant, représentant de l’opposition, avait évoqué une affaire de marché public truqué et
émis des sous-entendus concernant la probité d’un membre de la majorité municipale.
La Cour considère que cette condamnation est une ingérence dans le droit à la liberté
d’expression, que celle-ci est légale, puisque prononcée en application des articles 29,
32 et 48 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et qu’elle poursuit un
but légitime, la protection de la réputation et des droits d’autrui. Cependant, cette
ingérence ne peut être considérée comme nécessaire dans une société démocratique.
La Cour considère en effet que, en raison du cadre dans lequel les propos ont été prononcés, une réunion du conseil municipal, de la fonction politique assurée par leur
auteur, membre de l’opposition, de la nature des propos relevant de l’invective politique, et du fait que la base factuelle sur laquelle ils reposaient n’était pas inexistante,
la condamnation du requérant a violé l’article 10 de la CESDH.
771. APCE, Résolution no 1577(2007), Vers une dépénalisation de la diffamation ; APCE, Recommandation
1897(2010), Le Respect de la liberté des médias.
772. Représentant de l’OSCE pour la liberté des médias, Rapport sur les progrès de la dépénalisation de la
diffamation, IRIS 2006-10 : 2/1.
773. Article 32 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
774. Article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
775. Site du ministère de la Justice, Les 65 propositions de la commission Guinchard, 2008.
776. Syndicat national des journalistes, Dépénalisation de la diffamation : attention, danger !, 03/12/2008.
777. CEDH, 12/04/2012, De Lesquen Du Plessis-Casso c. France, Req. no 54216/09.
281
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
La cinquième section de la CEDH 778 s’est également prononcée dans une affaire portée
par le même requérant, à la suite cette fois d’une condamnation pour diffamation en
raison d’une publication sur Internet portant atteinte à l’honneur et à la considération
du maire de Versailles, qui se voyait reprocher d’avoir « déserté » le combat des harkis
et se voyait associé à ceux qui avaient fait le choix de soutenir les rebelles algériens.
La Cour dit qu’en l’espèce, la condamnation n’a pas violé l’article 10 de la CESDH, eu
égard au faible montant de l’amende, à la gravité de l’atteinte portée à l’honneur du
maire diffamé, et au fait que le requérant n’a pas cherché à vérifier si les faits allégués
étaient exacts. Le collège a rejeté la demande de renvoi devant la grande chambre.
La CEDH a conclu à une violation de l’article 10 de la CESDH dans une autre affaire
de condamnation pour diffamation d’un élu municipal qui avait mis en cause l’utilisation et la gestion des fonds publics par le maire 779. Le requérant avait, lors d’une
Conférence de presse, critiqué la décision du maire de créer un poste de directeur d’une
association délégataire de service public, en créant ce poste d’« emploi factice » et en
dénonçant une forme de « gabegie » et de « gaspillage ». La CEDH considère, d’une
part, que ces déclarations s’apparentent davantage à des jugements de valeur qu’à des
déclarations de fait, et que, d’autre part, la base factuelle de ces jugements de valeur
était suffisante. En outre, « les termes utilisés, bien que polémiques, restent néanmoins
dans les limites de l’exagération ou de la provocation admissibles ». En conséquence,
« la Cour estime qu’un juste équilibre n’a pas été ménagé entre la nécessité de protéger le droit du requérant à la liberté d’expression et celle de protéger les droits et la
réputation du plaignant », eu égard notamment au montant de l’amende prononcée
(1 000 euros) et aux dommages et intérêts que devra payer le requérant (3 000 euros).
Elle considère donc que « la condamnation du requérant s’analyse en une ingérence
disproportionnée dans son droit à la liberté d’expression et qu’elle n’était pas nécessaire dans une société démocratique ».
Enfin, nous soulignerons que l’affaire Morice c. France 780, relative à la condamnation
pénale d’un avocat pour complicité de diffamation de juges d’instruction, a été renvoyée devant la grande chambre.
3. Délit d’offense au chef de l’État
Les faits de l’arrêt Eon c. France 781 ont fait l’objet d’une importante couverture médiatique. Lors d’un déplacement du chef de l’État, le requérant avait brandi un écriteau sur
lequel était inscrit : « Casse-toi pov’con », en référence à une réplique très commentée
du président de la République prononcée le 23 février 2008 au salon de l’agriculture. Le
requérant a été reconnu coupable d’offense au président de la République et condamné
778. CEDH, 30/01/2014, De Lesquen du Plessis-Casso c. France (no 2), Req. no 34400/10.
779. CEDH, 10/10/2013, Jean-Jacques Morel c. France, Req. no 25689/10.
780. CEDH, 11/07/2013, Morice c. France, Req. no 29369/10.
781. CEDH, 14/04/2013, Eon c. France, Req. no 26118/10.
282
à une amende de 30 euros avec sursis. La cour d’appel a confirmé le jugement du
tribunal de grande instance et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’intéressé.
La Cour considère que la condamnation du requérant est une ingérence dans le droit
à la liberté d’expression. Cependant, l’acte du requérant doit être compris comme une
critique politique exprimée sur un mode satirique, qui « est une forme d’expression
artistique et de commentaire social qui, de par l’exagération et la déformation de la
réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter ». En conséquence,
il faut « examiner avec une attention particulière toute ingérence dans le droit d’un
artiste – ou de toute autre personne – à s’exprimer par ce biais ». La Cour considère
qu’une condamnation « est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur les interventions
satiriques concernant des sujets de société, qui peuvent elles aussi jouer un rôle très
important dans le libre débat des questions d’intérêt général sans lequel il n’est pas de
société démocratique ». Elle considère donc, que, en l’espèce, « le recours à une sanction pénale par les autorités compétentes était disproportionné au but visé et n’était
donc pas nécessaire dans une société démocratique ».
Ce constat de violation est précédé de développements dans lesquels la Cour justifie
son refus, en l’espèce, d’apprécier la compatibilité avec la Convention de la qualification d’offense au chef de l’État. Elle relève dans un premier temps que l’application
du délit d’offense, prévu par l’article 26 de la loi de 1881, « est sans relation avec les
intérêts de la liberté de la presse puisque les propos litigieux n’ont pas été formulés
dans un tel contexte ». Elle exclut donc l’application de sa jurisprudence Colombani
c. France 782, selon laquelle le délit d’offense aux chefs d’État étrangers imposait des
restrictions disproportionnées à la liberté d’expression des requérants dans le but de
protéger la réputation et les droits d’une personne.
Une lecture a contrario de cet arrêt a pu laisser penser à l’inconventionnalité du délit
d’offense lorsque les faits sont commis par voie de presse. C’est l’un des arguments 783
qui a milité pour l’abrogation, par la loi du 5 août 2013 portant diverses dispositions
d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne
et des engagements internationaux de la France, de l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : l’offense au chef de l’État a donc été supprimée.
782. CEDH, 25/06/2002, Colombani et autres c. France, Req. no 51279/99.
783. Voir notamment Anne-Gaëlle Robert, Exit le délit d’offense au président de la République, « La suppression du délit d’offense au président de la République : nouvelle illustration de l’influence européenne sur
l’évolution des délits de presse », Revue des droits et libertés fondamentaux, 2013, chron. no 26.
283

Analyse thématique – Liberté d’expression et d’information
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Chapitre 3
Liberté d’expression et secrets
1. Secret de l’instruction
Dans l’affaire Mor c. France 784, la requérante était une avocate qui représentait les
parents d’une enfant de douze ans décédée des suites d’une maladie survenue après
une vaccination contre l’hépatite B. Une plainte a été déposée, et une information
judiciaire ouverte. Le quotidien Le Parisien consacra un article à un rapport d’expertise
qui avait été remis au juge d’instruction, alors que ce rapport était couvert par le secret
de l’instruction. La requérante, qui avait fait dans la presse des commentaires sur ce
rapport, fut poursuivie pour violation du secret de l’instruction et violation du secret
professionnel. Elle fut déclarée coupable, et condamnée à verser 1 euro de dommagesintérêts à la société plaignante. Les recours contre cette décision n’aboutirent pas.
La CEDH considère que cette condamnation est une ingérence dans le droit à la liberté
d’expression, qu’elle est prévue par la loi, et que la protection du secret de l’instruction
est un but légitime. Concernant la proportionnalité de l’ingérence, la Cour rappelle que
le statut spécifique des avocats leur donne une position centrale dans l’administration
de la justice, et qu’ils « ont le droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice », même si leur critique ne doit pas franchir certaines limites. Ainsi,
une ingérence dans la liberté d’expression de l’avocat ne peut qu’exceptionnellement
passer pour « nécessaire dans une société démocratique ». En l’espèce, la requérante
n’a pas été condamnée pour avoir divulgué le rapport, mais seulement pour l’avoir
commenté. Ses déclarations s’inscrivaient dans le cadre d’un débat d’intérêt général dès lors que les faits concernaient directement une question de santé publique et
« mettaient en cause la responsabilité de laboratoires pharmaceutiques et des représentants de l’État ». Dans l’article, la requérante soulignait les pressions subies par
l’expert, et produisait, dans ce cadre, des informations effectivement couvertes par le
secret de l’instruction. Cependant, la Cour reprend l’argument de la requérante qui
souhaitait alerter le public et considère que ces déclarations ne pouvaient passer pour
susceptibles de troubler le bon fonctionnement de la justice ni de porter atteinte à
la présomption d’innocence des personnes mises en cause. La Cour considère également que « la défense de ses clients pouvait se poursuivre avec une intervention dans
la presse, dès lors que l’affaire suscitait l’intérêt des médias et du public ». En conséquence, la Cour conclut que la sanction prononcée n’était pas nécessaire, et qu’elle a
violé l’article 10 de la CESDH.
784. CEDH, 15/12/2011, Mor c. France, Req. no 28198/09.
284
Analyse thématique – Liberté d’expression et d’information

2. Droit à l’information et secret
Différentes instances du Conseil de l’Europe ont déduit du droit à la liberté d’expression un droit à la liberté d’information. Les implications de ce droit sont multiples. Ainsi
l’APCE a adopté une résolution concernant le recours abusif au secret d’État et à la
sécurité nationale, considérés comme des obstacles au contrôle parlementaire et judiciaire des violations des droits de l’homme 785. L’APCE constate que, « dans leur lutte
contre le terrorisme, les gouvernements invoquent de plus en plus souvent le “secret
d’État” ou la “sécurité nationale” afin d’éviter que leurs actions ne fassent l’objet d’un
contrôle judiciaire ou parlementaire ».
L’exposé des motifs de cette résolution témoigne du fait que la France n’est pas exonérée de ces critiques : à la suite de la loi du 29 juillet 2009, les magistrats ne peuvent
plus pénétrer ni saisir des documents ou des objets dans certains lieux faisant l’objet d’une classification – « comme les ministères ou les locaux de police » – sans être
accompagnés par le président de la Commission consultative du secret de la défense
nationale. Cette Commission doit également donner un avis au ministre quant à l’autorisation d’utiliser les documents et objets saisis. Le rapporteur de l’APCE poursuit
en soulignant que « la liste des lieux faisant l’objet d’une classification est elle-même
classifiée », et conclut que « cette réglementation rend encore plus difficile la tâche des
magistrats dans les affaires visant à établir la vérité sur le comportement des autorités
exécutives concernées ». L’APCE appelle à mettre en place des procédures spéciales de
surveillance des activités des services spéciaux qui garantissent aussi bien une protection suffisante des secrets d’État légitimes qu’une protection des droits et des libertés
fondamentaux. En conséquence, elle demande au Comité des ministres d’élaborer une
recommandation sur la notion de secret d’État, et d’inviter tous les États membres à
mettre en place des mécanismes parlementaires de contrôle des services secrets ainsi
que « des procédures spéciales au sein de la justice pénale et civile visant à permettre
le déroulement correct des procès nécessitant le traitement d’informations de nature
sensible et soumises au secret, tout en tenant compte des intérêts légitimes de l’État
et de sa sécurité 786 ». Par la suite, des principes globaux sur la sécurité nationale et
le droit à l’information, dits Principes de Tshwane 787, ont été élaborés par une large
assemblée d’experts d’organisations internationales et de la société civile, d’universitaires et de praticiens de la sécurité nationale. L’APCE a, dans une résolution de 2013,
exprimé son adhésion à ces principes 788.
785. APCE, Les Recours abusifs au secret d’État et à la sécurité nationale : obstacles au contrôle parlementaire
et judiciaire des violations des droits de l’homme, 06/10/2011, Reco no 1983 (2011),.
786. Ibid.
787. The Global Principles on National Security and the Right to Information (Tshwane Principles), Open
Society Foundations 12/06/2013.
788. APCE, La Sécurité nationale et l’accès à l’information, 02/10/2013, Résolution no 1954 (2013).
285
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
3. Protection du secret des sources
La presse joue un « rôle indispensable de “chien de garde” en démocratie 789 » ; or, sans
protection du secret des sources par l’État, « son aptitude à fournir des informations
précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie ». Ainsi, la protection du secret des
sources est « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse 790 ».
Plusieurs instances internationales se sont montrées attachées à la protection du secret des
sources. En réponse à une recommandation de l’APCE 791, le Comité des ministres du
Conseil de l’Europe a rappelé les termes de sa recommandation sur les droits des journalistes de ne pas révéler leurs sources 792, et a signalé que, « dans certaines circonstances,
la protection des sources nécessitera peut-être d’être étendue aux acteurs des nouveaux
médias 793 ». Sur la période de référence, deux arrêts de la CEDH doivent être signalés.
Dans l’affaire Martin c. France 794 , les requérants, journalistes à Midi libre, ont publié un
rapport d’observations provisoires d’une chambre régionale des comptes mettant en cause
la gestion de la région par son président. Le président de la région a déposé une plainte
avec constitution de partie civile des chefs de violation du secret professionnel et de recel
de violation du secret professionnel. Une perquisition a été réalisée dans les locaux du
quotidien, à l’issue de laquelle les journalistes ont été mis en examen. Ils ont opposé alors
le secret des sources, et sollicité l’annulation de la perquisition et des saisies réalisées ainsi
que des actes subséquents. La chambre de l’instruction a rejeté leur demande, et la Cour
de cassation a rejeté le pourvoi. Les requérants ont introduit un recours devant la CEDH
contre les perquisitions. Par la suite, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de nonlieu à l’égard des requérants, ordonnance confirmée par la chambre de l’instruction.
La Cour considère que, malgré l’ordonnance de non-lieu rendue à l’égard des requérants, la perquisition est, en elle-même, constitutive d’une ingérence, l’absence de
résultat n’enlevant rien à sa finalité, à savoir l’identification de l’auteur d’une violation
du secret professionnel. Si la Cour considère cette ingérence comme légitime, elle ne
considère pas celle-ci comme nécessaire dans une société démocratique pour atteindre
le but poursuivi. Plusieurs éléments militent en ce sens : d’une part, les journalistes ont
effectué une présentation exacte du rapport d’observation de la CRC, en précisant que
celui-ci pouvait évoluer ; d’autre part, les perquisitions ont eu pour principal but de
découvrir les sources des journalistes ; enfin, la Cour se demande si d’autres mesures
auraient pu permettre de rechercher s’il y avait eu effectivement violation du secret
professionnel. Elle conclut donc à une violation de l’article 10 de la CESDH.
789. CEDH 27/03/1996, Goodwin c. Royaume-Uni, Req. no 17488/90.
790. Ibid.
791. APCE, 24/01/2011, La Protection des sources d’information des journalistes, Recommandation no 1950(2011).
792. Comité des ministres, 08/03/2000, Recommandation no R(2000)7 aux États membres sur le droit des
journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information.
793. Comité des ministres, La Protection des sources d’information des journalistes, 23 janvier 2012, Doc. 12834.
794. CEDH, 12/04/2012, Martin et autres c. France, Req. no 30002/08.
286
Dans l’affaire Ressiot et autres c. France 795, l’hebdomadaire Le Point et le quotidien
L’Équipe ont publié des articles concernant une instruction diligentée ouverte sur des
soupçons de dopage au sein d’une équipe de coureurs cyclistes. Ces articles reprenant
des éléments des procès-verbaux de transcription d’écoutes téléphoniques réalisés dans
le cadre de cette enquête, l’équipe de coureurs cyclistes a porté plainte contre X pour
violation du secret de l’instruction et recel. Dans le cadre de cette enquête, des perquisitions ont été effectuées en 2005 au siège des deux journaux et au domicile des
journalistes. Les requérants ont saisi la chambre de l’instruction, qui n’a annulé que
certaines réquisitions. La Cour de cassation a rejeté leur pourvoi.
La CEDH rappelle que « la protection des sources est l’une des pierres angulaires de
la liberté de la presse », qui constitue l’un des fondements essentiels d’une société
démocratique. Elle ne doit pas être considérée comme un simple privilège dont bénéficieraient les journalistes, mais comme un véritable attribut du droit à l’information.
Elle retient l’existence d’une ingérence dans l’exercice du droit à la liberté d’expression.
Cette ingérence est prévue par l’article 11 du code de procédure pénal relatif au secret
de l’instruction et par différents articles du code pénal relatifs à l’infraction de recel, ce
que les requérants ne peuvent prétendre ignorer au regard de leur activité professionnelle. Elle considère que l’ingérence est légitime, dès lors qu’elle visait à empêcher la
divulgation d’informations confidentielles, à protéger la réputation d’autrui et à garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
Néanmoins, la Cour considère que cette ingérence n’est pas nécessaire dans une
société démocratique. Pour parvenir à cette conclusion, elle relève que ces informations concernent un débat d’un intérêt public très important. Ces mesures ne peuvent
être envisagées qu’en dernier recours, et seulement s’il existe un besoin social impérieux propre à justifier cette atteinte. Or l’État ne démontre pas l’existence d’un tel
besoin impérieux en l’espèce. À l’inverse, la Cour note l’ampleur de mesures ordonnées, les perquisitions au siège des deux journaux, particulièrement impressionnantes
et spectaculaires, ne pouvant « que marquer profondément les professionnels qui y
travaillaient et être perçues par eux comme une menace potentielle pour le libre exercice de leur profession ». La Cour conclut donc que le Gouvernement n’a pas démontré que la balance des intérêts en présence a été préservée, et retient une violation de
l’article 10 de la CESDH.
Le Représentant de l’OSCE sur la liberté des médias est également attentif à ce
sujet, et peut intervenir pour des cas individuels. Il était par exemple intervenu pour
que soit renforcée la protection du secret des sources à la suite d’une poursuite contre
un journaliste pour révélation d’informations couvertes par le secret défense 796. Il est
également intervenu pour se féliciter d’un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du
5 juin 2011 qui reconnaissait une place importante au secret des sources 797. Il est enfin
795. CEDH, 28/06/2012, Ressiot et autres c. France, Req. no 15054/07 et 15066/07 ; Jacques Francillon,
« Liberté d’expression. Protection des sources des journalistes », Revue de science criminelle, 2012, p. 603.
796. OSCE, Media Watchdog Calls for Protection of Sources Law in France After Journalist Charged Over
Intelligence Leaks, 12/12/2007.
797. Dunja Mijatović, OSCE Representative on Freedom of the Media, Yearbook 13/2011.
287

Analyse thématique – Liberté d’expression et d’information
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
intervenu dans l’affaire des « fadettes », qui avait vu un journaliste du Monde être placé
sur écoute pour identifier l’un de ses informateurs. Il avait formulé le souhait que la loi
no 2010-1 du 4 janvier 2010 améliore la protection du secret des sources 798.
Il convient de souligner que les deux arrêts de la CEDH portent sur des faits antérieurs
à l’adoption de cette loi. Celle-ci reconnaît expressément le secret des sources des journalistes et intègre en droit français quelques notions issues directement de la jurisprudence de la Cour, et notamment celle d’« impératif prépondérant d’intérêt public ».
À la suite d’une affaire médiatisée, certains ont souligné les manques de cette loi. La
CNCDH a été consultée pour proposer une amélioration du dispositif existant 799. Un
projet de loi est en cours d’examen devant le Parlement 800.
798. Ibid.
799. CNCDH, Avis sur la réforme de la protection du secret des sources, 25/04/2013.
800. Projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes, no 1127, déposé le 12 juin
2013 à l’Assemblée nationale
288
Analyse thématique – Liberté d’expression et d’information

FOCUS – Protection des lanceurs d’alerte
Plusieurs instances internationales ont recommandé la mise en place un cadre juridique
protecteur des lanceurs ou donneurs d’alerte 801. Leur protection résulte notamment de
la Convention des Nations unies contre la corruption, de la Convention no 158 de l’OIT
(art. 33) sur le licenciement de 1992, des conventions pénale et civile du Conseil de l’Europe sur la corruption (STE no 173 et no 174) et de l’article 10 de la CESDH concernant
la liberté d’expression et d’information.
La CEDH a, dans un arrêt Guja c. République de Moldova 802, considéré que la sanction
d’un lanceur d’alerte qui avait communiqué, de bonne foi, des informations authentiques
d’intérêt public qui ne pouvaient être divulguées par d’autre moyen faute d’autres vecteurs de divulgation de l’information avait méconnu l’article 10 de la Convention. À la
demande du secrétaire général du Conseil de l’Europe, un rapport d’étude a été réalisé
afin de déterminer la faisabilité d’un instrument juridique sur la protection des employés
qui divulguent des informations dans l’intérêt public 803. Le Comité des ministres a adopté
en 2014 une recommandation sur la protection des lanceurs d’alerte dans laquelle il
demande aux États « de disposer d’un cadre normatif, institutionnel et judiciaire pour
protéger les personnes qui, dans le cadre de leurs relations de travail, font des signalements ou révèlent des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l’intérêt général 804 ». En annexe de cette recommandation figuraient des principes généraux
pour guider les États membres.
La loi no 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et
la grande délinquance économique et financière a consacré l’un de ses titres à ce sujet.
L’article 35 de la loi protège les personnes qui ont relaté ou témoigné, de bonne foi, de
faits constitutifs d’un délit ou d’un crime dont elles auraient eu connaissance dans l’exercice de leurs fonctions contre un certain nombre de sanctions, et l’article 36 reconnaît
un rôle au Service central de prévention de la corruption. Certains commentateurs ont
néanmoins souligné que la protection reconnue aux lanceurs d’alerte par cette loi ne
recouvrait pas exactement la protection reconnue par la CEDH 805.
801. Voir notamment APCE, 29/04/2010, Recommandation no 1916 (2010), Protection des « donneurs
d’alerte » ; Comité des ministres, 24/01/2011, La Protection des « donneurs d’alerte », Réponse du Comité
des ministres à la recommandation de l’APCE.
802. CEDH, grande chambre, 12/02/2008, Guja c. République de Moldova, Req. no 14277/04.
803. Paul Stephenson, Michael Levi, La Protection des donneurs d’alerte. Rapport d’étude sur la faisabilité
d’un instrument juridique sur la protection des employés qui divulguent des informations dans l’intérêt public,
Conseil de l’Europe, CDCJ(2012) 9FIN12/2012.
804. Comité des ministres, 30/04/2014, Recommandation sur la protection des lanceurs d’alerte CM/Rec(2014) 7.
805. Jean-Philippe Foegle et Serge Slama, « Refus de transmission d’une QPC sur la protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte », La Revue des droits de l’homme, in Lettre « Actualités Droits-Libertés », 14/03/2014.
289
Droits économiques
et sociaux
Deux autres parties de ce rapport peuvent contenir des développements pertinents concernant
les droits économiques et sociaux : celle concernant la traite et l’exploitation, et notamment
l’exploitation par le travail ; et celle concernant la promotion de l’égalité, la lutte contre les
discriminations et l’inclusion dans la société. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est nécessaire d’aborder brièvement le contexte économique et les évolutions du cadre normatif.
1. Crise économique
La période de référence a été marquée par l’aggravation des conséquences de la crise
sur les droits sociaux. Le sujet est inscrit à l’agenda de plusieurs instances internationales.
Nous citerons ici deux publications : celle du Commissaire aux droits de l’homme du
Conseil de l’Europe sur la sauvegarde des droits de l’homme en période de crise 806,
et celle de la FRA dans son rapport annuel de 2012 807. Cette dernière a souligné que
« la situation s’est encore aggravée pour les groupes qui présentent déjà un risque accru
de pauvreté, comme les jeunes adultes, les enfants, et dans une certaine mesure les
migrants ». Cette situation peut, selon la FRA, « avoir des effets néfastes » sur le droit à
la dignité humaine, la liberté professionnelle et le droit de travailler, le droit à la non-discrimination, la protection en cas de licenciement injustifié, le droit à la sécurité sociale et
à l’aide sociale, le droit aux soins de santé et la liberté de circulation et de séjour.
Il n’existe aucun bilan complet des conséquences de cette crise sur les droits de l’homme
en France mais quelques éléments peuvent être soulignés ici. D’une manière générale,
le système français est plutôt salué par les instances internationales. L’importance des
transferts sociaux permet d’amortir en partie les conséquences de la crise 808. Cependant,
certaines observations des instances internationales témoignent de difficultés réelles :
augmentation du chômage 809, augmentation des personnes en risque de pauvreté ou
d’exclusion sociale 810, augmentation des personnes éprouvant des difficultés à bénéficier d’un logement adéquat par exemple. Ce contexte rend complexe la réalisation de
806. Nils Muizneks, Safeguarding Human Rights in Times of Economic Crisis, Council of Europe, 11/2013.
807. FRA, « L’Union européenne, une communauté de valeur : sauvegarder les droits fondamentaux en période
de crise », Les droits fondamentaux : défis et réussites en 2012, Rapport annuel, 07/2013.
808. Voir notamment INSEE, La redistribution : état des lieux en 2012, 2013
809. Eurostat, Taux de chômage harmonisé par sexe, 2013.
810. Cet indicateur résume le nombre de personnes qui sont menacées par la pauvreté, et/ou vivent dans le
dénuement matériel, et/ou vivent dans des ménages à très faible intensité de travail. Eurostat, Personnes en
risque’de pauvreté ou d’exclusion sociale, 2013.
291
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
« l’objectif constant de renforcer les droits économiques et sociaux des individus et d’améliorer les conditions de vie des pauvres 811 » mis en avant par le Gouvernement lors de l’EPU.
La protection des droits économiques et sociaux doit, de plus, être conciliée avec la maîtrise
des déficits publics et l’obligation de respecter les critères de convergence qui découlent de
l’article 140 du TFUE. Certaines observations des instances internationales doivent être comprises comme un rappel : les mesures d’austérité ne peuvent se faire sans considération des
droits fondamentaux, qu’il s’agisse du droit au logement, de l’accueil des personnes victimes
de traite et de prostitution, des droits des Roms, ou des droits des personnes handicapées 812.
2. Cadre normatif
Le 10 décembre 2008 813, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté le Protocole
facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels. Celui-ci permet au Comité des droits économiques sociaux et culturels de recevoir des communications de particuliers ou de groupes de particuliers relevant
de la juridiction d’un État partie. La CNCDH a adopté un avis concernant la ratification de
ce Protocole le 5 mai 2011. Le Premier ministre s’est engagé devant la CNCDH à le ratifier le 24 septembre 2012 814. Il a été signé, le 11 décembre 2012. Le projet de loi autorisant la ratification du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels déposé le 12 mars 2014 à l’Assemblée nationale.
Enfin, il convient ici de citer deux décisions d’instances internationales relatives aux mesures
d’austérité, qui sont intéressantes même si elles ne concernent pas directement la France. Le
CEDS 815 a constaté une violation de la CSER concernant les mesures d’austérité adoptées
par la Grèce. La CEDH a quant à elle rappelé que, si « les États ont une importante marge
d’appréciation concernant les atteintes au droit de propriété », ils ne peuvent y porter atteinte
de matière illimitée ; en effet, « la Cour vérifie qu’un juste équilibre entre l’objectif d’intérêt général et la protection des droits de l’individu » a été préservé. Si elle a considéré, en
l’espèce, que, eu égard à l’objectif de réduction des dépenses de sécurité sociale, d’intérêt
général au sens de l’article 1er, Protocole 1, et en raison la situation économique extrême
dans laquelle est plongé le Portugal, la baisse des indemnités versées au requérant n’a pas
été disproportionnée 816, elle a affirmé clairement que les mesures d’austérités doivent respecter la CESDH.
811. Réponse de la France à l’EPU.
812. Navi Pillay, Déclaration lors de la Conférence sur les droits fondamentaux 2012 de la FRA, 2012.
813. Assemblée générale des Nations unies, Résolution A/RES/63/117 relative au Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 10 décembre 2008.
814. Communiqué du Gouvernement, De nouvelles thématiques pour la CNCDH, 2012.
815. CEDS, 07/12/2012, Ika-Etam c. Grèce.
816. CEDH, 08/10/2013, Da Conceição Mateus c. Portugal et Santos Januário c. Portugal, Req. no 62235/12
et n° 57725/12.
292
Analyse thématique – Droits économiques et sociaux

Chapitre 1
Droit au travail et liberté
professionnelle
Sont rassemblées dans ce chapitre les observations des instances internationales portant
sur la lutte contre le chômage, les conditions de travail et les droits collectifs, notamment le droit de grève. Concernant la prohibition du travail forcé, des développements
pertinents peuvent être trouvés dans la partie consacrée à la traite et à l’exploitation et
dans la partie relative au travail dans les établissements pénitentiaires.
1. Mise en œuvre d’une politique
active de l’emploi
La Commission d’experts de l’OIT s’est prononcée en 2011 sur la mise en œuvre de
la Convention no 122 sur la politique de l’emploi 817. Elle a constaté les conséquences
de la crise économique, que les efforts engagés par le Gouvernement ne permettent
pas d’enrayer. Une étude du BIT a ainsi souligné que « la crise a renforcé les inégalités et
que certaines catégories de travailleurs ont été plus durement touchées que d’autres »,
et que, en France, « les travailleurs temporaires ont en quelque sorte servi d’amortisseur pour l’emploi pendant la crise » 818. La Commission d’experts a donc demandé au
Gouvernement de « fournir une évaluation des mesures de politique active actuellement
mises en œuvre et d’indiquer leur impact concret tant en ce qui concerne la création
d’emplois productifs qu’en matière de lutte contre le chômage et le sous-emploi au
niveau national. Prière également d’indiquer dans quelle mesure les récentes initiatives
prises par le Gouvernement en vue du désendettement de l’État parviendront à améliorer la situation de l’emploi ». La Commission s’est également montrée préoccupée
par le sort des jeunes, confrontés à un taux de chômage important à peine compensé
par le recours aux contrats aidés, et par le sort des personnes âgées.
Le CEDS s’est prononcé une année plus tard, dans ses conclusions 2012 819, sur le
rapport de la France, concernant la mise en œuvre de l’article 1er de la CSER relatif au
droit au travail. Lorsque le Comité s’est prononcé, la France faisait plutôt bonne figure
par rapport à d’autres États du Conseil de l’Europe. Le CEDS a salué l’importance des
dépenses publiques consacrées aux politiques actives en faveur de l’emploi, qui sont,
817. Commission d’experts de l’OIT, Observation : Convention no 122 sur la politique de l’emploi, 101e session CIT (2012), 2011.
818. Daniel Vaughan-Whitehead (dir), Les Inégalités au travail pendant la crise. Éléments d’appréciation en
provenance d’Europe, 2012.
819. CEDS, Conclusions 2012 (France), 01/2013.
293
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
selon Eurostat, supérieures à la moyenne des pays de l’UE. Il a cependant regretté que
le rapport n’indique pas le nombre de bénéficiaires de mesures actives en faveur de
l’emploi et a demandé que, par la suite, le rapport indique le taux d’activation des chômeurs. Concernant la discrimination dans l’emploi, outre des développements concernant l’intégration de la HALDE dans le DDD (voir supra, « Droits et liberté en matière
de justice »), le CEDS s’est montré préoccupé par un éventuel plafonnement de l’indemnité versée en cas de discrimination et par la limitation de certains postes aux ressortissants de l’Union européenne ou aux seuls nationaux français. Des informations
à ce sujet sont attendues dans le prochain rapport de la France.
Le CEDS s’est également prononcé sur la compatibilité de la perte des allocations de
chômage consécutive au refus d’une offre d’emploi 820 avec l’article 1er de la CSER. Il
considère que cela « pourrait indirectement constituer une restriction à la liberté de
travailler, de sorte que la situation devrait être examinée, à ce titre, sous l’article 1er,
paragraphe 2 ». En conséquence, il demande que le prochain rapport contienne des
informations à jour sur ce point. Il considère en outre que cette mesure pose un certain
nombre de difficultés au regard de l’article 12 de la Charte relatif au droit à la sécurité
sociale, sur lequel il se prononcera lors d’un prochain examen.
Services de placement des demandeurs d’emploi
Concernant les services gratuits de placement des demandeurs d’emploi, le CEDS
prend acte de la fusion de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) et du réseau de
l’assurance chômage dans un nouvel établissement public à caractère administratif,
Pôle emploi. Il note cependant que la Commission européenne a considéré que les
effets de cette fusion étaient encore mitigés, et demande au Gouvernement de fournir pour le prochain rapport plus d’informations concernant les moyens, les ressources
et le fonctionnement de Pôle emploi.
Dans le cadre de son examen concernant la mise en œuvre de la Convention no 96 sur
les bureaux de placement payants (révisée) de 1949, ratifiée par la France en 1953 821,
la Commission d’experts de l’OIT a noté que la loi no 2008-126 de février 2008 a
mis fin au monopole légal de l’ANPE, et a donc autorisé l’activité de placement privé.
Or la seconde partie de la Convention no 96 demande la suppression progressive des
bureaux de placement payants à fin lucrative et la réglementation des autres bureaux
de placement. La Commission « exprime donc l’espoir que le Gouvernement sera prochainement en mesure d’adhérer aux obligations découlant de la Convention (no 181)
sur les agences d’emploi privées, 1997, ratification qui entraînerait la dénonciation
immédiate de la Convention no 96 ».
820. Article L. 5412-1 du Code du travail.
821. Commission d’experts de l’OIT, Observation : Convention no 96 sur les bureaux de placement payant
(révisée), 101e session CIT (2012), 2011.
294
Analyse thématique – Droits économiques et sociaux

Droit à la protection en cas de licenciement
Lors de son examen de la mise en œuvre par la France de l’article 24 de la CSER relatif
à la protection en cas de licenciement 822, le CEDS a ajourné ses conclusions en attente
d’informations relatives à la possibilité d’allonger une période d’essai au-delà de quatre
mois ; et aux règles relatives à la cessation automatique d’activité de l’emploi à l’âge
de 70 ans, à la prohibition ou non du licenciement fondé sur le fait que le salarié a
déposé une plainte en raison de violations alléguées de la législation. Il a également
demandé des informations sur la charge de la preuve dans les procédures pour licenciement abusif, après avoir rappelé son observation interprétative selon laquelle cette
procédure ne devrait pas reposer uniquement sur le plaignant, mais faire l’objet d’un
aménagement approprié entre salarié et employeur.
2. Conditions de travail
Travailleurs domestiques
Lors de l’EPU, une recommandation a été adressée à la France concernant la ratification
de la Convention no 189 de l’OIT concernant le travail décent pour les travailleuses et
travailleurs domestiques. La France a accepté cette recommandation, et a indiqué que le
processus de ratification de la Convention no 189 de l’OIT est en cours. La Commission
européenne a présenté une proposition de décision du Conseil en ce sens.
Droit à une rémunération équitable
Dans une demande directe relative à la Convention no 131 sur la fixation des salaires
minimaux 823, la Commission d’experts de l’OIT reprend les résultats d’une étude de
la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) selon
laquelle la revalorisation du SMIC au 1er janvier 2011 a concerné 10,6 % des salariés
(soit 1,6 million de salariés). Entre 2007 et 2010, 161 procès-verbaux constatant des
infractions à la réglementation sur les salaires minimaux ont été dressés par les services
d’inspection, soit moins de 1,5 % de l’ensemble des procès-verbaux.
La Commission a par ailleurs noté que « la part des branches d’activité disposant d’une
grille salariale conforme au SMIC au 31 mai 2011 n’était plus que de 73 %, couvrant
8 740 000 salariés (soit 127 branches) ». La Commission a donc prié le Gouvernement d’apporter de plus amples informations sur les raisons expliquant la diminution soudaine du
822. CEDS, Conclusions 2012 (France), 01/2013.
823. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 131 sur la fixation des salaires minima,
101e session CIT (2012), 2011.
295
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
nombre de grilles salariales de branche en conformité avec le SMIC entre décembre 2010
et mai 2011. Elle a pris acte des explications du Gouvernement concernant certains
dispositifs qui permettent de rémunérer certaines salariées en dessous du SMIC ; elle
a prié néanmoins « le Gouvernement de donner de plus amples informations quant à
la nécessité des abattements sur le salaire minimum applicables à ces travailleurs » et
« d’indiquer si un réexamen des circonstances à l’origine de ce dispositif, à la lumière
du principe de l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale, est envisagé ».
Elle a demandé également des informations concernant la consultation des organisations représentatives d’employeurs et de travailleurs pour la fixation du salaire minimum.
Rémunération des heures supplémentaires
Le CEDS s’est prononcé à plusieurs reprises concernant l’application par la France de
l’article 4, paragraphe 2, de la Charte sociale européennes révisée. Il considère que la
création du compte épargne temps dans la fonction publique d’État et dans la magistrature ne méconnait pas le droit à rémunération majorée des heures supplémentaires 824,
mais a, par contre, considéré le mécanisme de rémunération des dépassements de l’horaire normal de travail des officiers de police non conforme à l’article 4, paragraphe 2 825.
3. Droits collectifs
Plusieurs décisions ont porté sur la réforme de la représentativité des syndicats, dont
les règles ont profondément évolué à la suite de l’adoption de la loi no 2008-789 du
20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail. Si, pour l’essentiel, ces décisions n’entrent pas dans le cadre de ce rapport, nous
mentionnerons néanmoins que, selon le Comité de la liberté syndicale, « tant les systèmes de négociation collective accordant des droits exclusifs au syndicat le plus représentatif que les systèmes permettant à plusieurs syndicats d’une entreprise de conclure
des conventions collectives différentes sont compatibles avec les principes de la liberté
syndicale ». Le Comité a néanmoins appelé la France à « prendre les mesures appropriées
dès lors que des difficultés ou des entraves à la liberté syndicale et au droit de négociation collective seront soulevées dans le cadre de l’application de la législation 826 ».
Le Comité de la liberté syndicale s’est prononcé sur les réquisitions de personnels dans
le secteur pétrolier lors d’un mouvement de grève en octobre 2010, dans le cadre de
la contestation de la réforme du système des retraites 827. Or le Comité rappelle qu’« il
a toujours reconnu aux travailleurs et à leurs organisations le droit de grève comme
824. CEDS, 02/12/2013, Union syndicale des magistrats administratifs (USMA) c. France, Réc. no 84/2012.
825. CEDS, 23/10/2012, Conseil européen des syndicats de police (CESP) c. France, Réc. no 68/2011.
826. Comité de la liberté syndicale, 11/2011, Rapport où le Comité demande à être informé de l’évolution
de la situation, Rapport no 362, Cas no 2750 (France) CGT-FO ; voir, également, Comité de la liberté syndicale,
mars 2013, Rapport définitif, Rapport no 367, Cas no 2931 (France) STAAAP.
827. Comité de la liberté syndicale, novembre 2011, Rapport définitif, Rapport no 362, Cas no 2841 (France), CGT.
296
moyen légitime de défense de leurs intérêts économiques et sociaux ». Cependant, le
droit de grève peut être restreint dans les services dont l’interruption mettrait en danger, « dans l’ensemble ou dans une partie de la population, la vie, la sécurité ou la
santé de la personne ». Le Comité considère que, dans le secteur aéroportuaire, seul
le contrôle du trafic aérien peut être considéré « comme un service essentiel justifiant
une restriction au droit de grève » ; cependant, « le Comité a déjà eu à considérer que,
en cas de paralysie d’un service non essentiel au sens strict du terme dans un secteur
de très haute importance dans le pays – comme peut l’être le transport de passagers
et de marchandises –, l’imposition d’un service minimum peut se justifier. Un tel service pourrait aussi être approprié comme solution de rechange possible dans les situations où une limitation importante ou une interdiction totale de la grève n’apparaît
pas justifiée et où, sans remettre en cause le droit de grève de la plus grande partie
des travailleurs, il pourrait être envisagé d’assurer la satisfaction des besoins de base
des usagers ou encore la sécurité ou le fonctionnement continu des installations ». En
conséquence, le Comité admet le recours aux réquisitions. Il demande cependant au
Gouvernement « de privilégier à l’avenir, devant une situation de paralysie d’un service non essentiel mais qui justifierait l’imposition d’un service minimum de fonctionnement, la participation des organisations de travailleurs et d’employeurs concernées
à cet exercice, et de ne pas recourir à l’imposition de la mesure par voie unilatérale ».
Dans le cadre du suivi de son rapport 828, le Comité a pris note des éléments fournis
par le Gouvernement qui souligne qu’il n’y a pas eu, depuis la décision, de grève de la
même ampleur concernant un service non essentiel. Le Gouvernement indique également toujours privilégier la concertation.
Enfin, il convient de mentionner un arrêt de la CEDH 829 dans lequel elle a considéré
que le refus de concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice
ordonnant l’expulsion de salariés qui avaient décidé d’occuper les locaux de leur entreprise pour s’opposer à la vente de leur entreprise ne viole pas l’article 6, paragraphe 1,
de la CESDH. Les juridictions nationales avaient donné raison aux deux sociétés Sofiran
et BDA, qui avaient acheté l’établissement, mais les autorités nationales avaient refusé
le concours de la force publique pour l’exécution de ces décisions. La CEDH rappelle
qu’elle considère que le droit au procès équitable implique l’exécution des décisions
de justice. Néanmoins, le droit à l’exécution des décisions de justice peut être limité si
cette limitation tend à un but légitime, et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En l’espèce, la Cour considère
que « le refus de prêter le concours de la force publique en vue de l’exécution de [la
décision de justice] répondait au souci d’éviter des troubles à l’ordre public », que les
sociétés n’avaient pas tout mis en œuvre pour faire exécuter cette décision, qu’elles
avaient connaissance des difficultés existantes lors de l’achat, et que l’occupation illégale n’a duré que dix mois. En conséquence, elle considère que la France n’a pas violé
la Convention en l’espèce.
828. Comité de la liberté syndicale, juin 2013, Suites données aux recommandations du Comité et du conseil
d’administration, Rapport no 368, Cas no 2841 (France) CGT.
829. CEDH, 11/07/2013, Sofiran et BDA c. France, Req. no 63684/09
297

Analyse thématique – Droits économiques et sociaux
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
4. Protection des salariés
et rôle de l’inspection du travail
Le Syndicat Sud Travail Affaires sociales a, dans une communication de décembre 2011,
invoqué l’article 24 de la Constitution de l’Organisation internationale du travail, concernant l’inexécution par la France de la Convention (nº 81) sur l’inspection du travail 830. Le
Syndicat alléguait un manquement des autorités à l’article 6 de la Convention, celles-ci
n’ayant pas protégé une inspectrice du travail victime d’une campagne de dénigrement,
mettant en péril l’action de l’inspection du travail. Le Comité rappelle « l’importance
que revêt l’image de l’inspection du travail dans l’opinion publique, en tant qu’autorité
respectée, pour mener à bien ses fonctions », qui sont nécessaires pour garantir l’application réelle de la législation du travail. Il appartenait au Gouvernement de concilier
« la nécessité de protéger les agents de l’administration et la liberté fondamentale de
débattre publiquement au sein de la société et dans une presse libre ». En l’espèce, le
Comité « regrette que, dès les premiers temps de l’affaire, l’administration du travail
n’ait pas plus fermement attiré l’attention de l’employeur sur son obligation fondamentale de se limiter strictement aux voies légales de recours et de ne pas utiliser des
moyens de pression, qui constituent une influence extérieure indue et pourraient être
considérés comme une tentative d’obstruction à l’exercice des fonctions de l’inspectrice
du travail, aux termes de l’article 18 de la Convention no 81 et des articles L. 8114-1 et
L. 8114 2 du code du travail. Le Comité considère en outre que les obligations légales
de l’employeur auraient également pu être mentionnées plus clairement dans le cadre
des communications aux médias, en éclairant ainsi l’opinion publique sur l’importance
de l’application du droit du travail et de l’accomplissement efficace de la mission de
l’inspection du travail ». Il invite donc le Gouvernement à prévenir toute atteinte future
de ce type, et à s’assurer que l’enquête concernant « le délit de diffamation et d’injure
publique contre un fonctionnaire public progresse aussi rapidement que possible en
vue d’établir les faits, de déterminer s’il existe des actes illégaux, d’identifier les responsables et de mettre en œuvre les procédures légales applicables ».
Le CEDS s’est lui aussi prononcé sur le rôle joué par l’inspection du travail à propos
de la conformité de la situation française à l’article 3 de la CSER. Il a demandé des
informations concernant le nombre de travailleurs couverts par les visites de contrôle
effectivement réalisées par l’inspection du travail, et le volume global des sanctions
prononcées, l’efficacité des contrôles et rapports, y compris dans la fonction publique.
Il salue l’adoption de mesures pour renforcer la protection des inspecteurs du travail,
et demande des informations sur l’impact de cette réglementation.
830. Rapport du Comité chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la Convention
(nº 81) sur l’inspection du travail, présentée en vertu de l’article 24 de la Constitution de l’OIT par le Syndicat
SUD Travail Affaires sociales, 03/2013 (GB.313/INS/13/3) (GB.317/INS/12/8).
298
Analyse thématique – Droits économiques et sociaux

Chapitre 2
Protection sociale
et autres droits sociaux
Selon l’INSEE, 8,7 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, avec
moins de 977 euros par mois en France en 2011. Le nombre d’enfant vivant dans des
ménages dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté est estimé à 2,7 millions 831.
Lors de l’EPU, une recommandation a été adressée au Gouvernement concernant « les
efforts visant à préserver le bien-être de tous les groupes de la société et la protection
de leurs droits 832 ». En réponse, le Gouvernement a mis en avant la création du revenu
de solidarité active (RSA), le renforcement de la mise en œuvre du droit au logement
et l’adoption d’un plan pluriannuel de lutte contre la grande pauvreté, officiellement
adopté le 21 janvier 2013 lors de la réunion du Comité interministériel de lutte contre
les exclusions 833. Ce plan est composé de trois volets : réduire les inégalités et prévenir
les ruptures ; venir en aide et accompagner vers l’insertion ; coordonner l’action sociale
et valoriser ses acteurs. Il a associé les services de l’État, les collectivités territoriales, les
associations, les partenaires sociaux, les chercheurs et experts, ainsi que les personnes
en situation de pauvreté elles-mêmes. Une première évaluation de la mise en œuvre
de ce plan a été réalisée en 2014 834.
831. INSEE, Tableaux de l’économie française, édition 2014, 04/2014. Pour une analyse comparée de la situation française par rapport aux autres États de l’UE, voir Magali Beffy, Marie-Émilie Clerc et Céline Thévenot,
« Inégalités, pauvreté et protection sociale en Europe : état des lieux et impact de la crise », La France dans
l’Union européenne, INSEE Références, édition 2014.
832. Reco no 120.137.
833. Plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, adopté lors du Comité interministériel de
lutte contre les exclusions, 21/03/2013.
834. François Chérèque, Simon Vanackere, Évaluation de la première année de mise en œuvre du plan pluriannuel contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, La Documentation française, 2014.
299
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
FOCUS – Droit à la sécurité sociale
Le droit à la sécurité sociale est garanti par l’article 12 de la CSER. Le CEDS s’est penché
sur la conformité à la situation nationale dans ses conclusions pour l’année 2013. Il a
considéré que la situation est, d’une manière générale, conforme à la Charte. Alors qu’il
avait considéré que la situation nationale n’était pas conforme à la Charte concernant
la pension d’invalidité lors de ses précédentes conclusions, il a inversé son constat, en
prenant en considération les prestations annexes auxquelles peuvent prétendre les personnes éligibles. Il a constaté que le montant minimum de l’allocation de chômage est
suffisant, que « la France est l’un des pays de l’OCDE où la part des soins de santé prise
en charge par le régime de base de l’assurance maladie est des plus élevées ».
Il a néanmoins demandé des informations concernant le taux de couverture des prestations de chômage, de maladie, de vieillesse, de maternité, d’invalidité. Il a considéré
que la France manque à ses obligations concernant l’égalité de traitement en matière
de droit à la sécurité sociale pour les ressortissants des pays du Conseil de l’Europe qui
ne sont pas membres de l’Union européenne, et concernant l’obligation de garantir leur
droit au maintien des droits en cours d’acquisition.
Nous rappellerons que la Commission d’experts de l’OIT observe les évolutions du financement de la sécurité sociale, branche maladie incluse, dans le cadre de la surveillance
de l’application de la Convention no 102 concernant la sécurité sociale 835, ratifiée par
la France en 1974.
1. Politique de lutte contre la pauvreté
Le CEDS a consacré ses conclusions 2013 836 à l’examen des articles 3, 11, 12, 13, 14
et 23, qui portent soit de manière directe, soit de manière indirecte, sur les droits des
personnes en situation de pauvreté. Le CEDS a constaté, à la suite du rapport de la
France, une augmentation du risque de pauvreté monétaire. Si celui-ci est compensé en
partie par les transferts sociaux, certaines populations sont plus fragiles que d’autres,
notamment les jeunes, les immigrés, les Roms et les familles monoparentales.
D’une manière générale, les dépenses consacrées à la protection sociale par la France
(31,6 % du PIB) sont supérieures à la moyenne de l’UE (28,4 %), ainsi que l’a relevé le
CEDS 837. Ce dernier a considéré que la France garantit le droit à la protection contre
la pauvreté et l’exclusion sociale, sauf en ce qui concerne l’insuffisance de la politique
de logement à l’égard des plus pauvres et concernant les Roms. Il a jugé la situation
française conforme à la Charte concernant la non-discrimination dans l’exercice des
droits sociaux et politiques et concernant la prévention, l’abolition ou l’allégement de
l’état de besoin, et concernant l’assistance d’urgence spécifique aux non-résidents
(voir infra les développements concernant l’AME). Cependant, le niveau des prestations
835. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 102 concernant la sécurité sociale
(norme minimum), 101e session CIT (2012), (2011).
836. CEDS, Conclusions 2013 (France), 01/2014.
837. Pour des données comparées actualisées, voir INSEE, « Condition de vie, société. Fiche thématique », La
France dans l’Union européenne, 2014.
300
ne permet pas d’établir que le niveau de l’assistance sociale est compatible avec le seuil
de pauvreté, et il a conclu à la non-conformité à l’article 13 de la Charte sur ce point.
RSA
La loi no 2008-1249 généralisant le RSA a été adoptée le 1er décembre 2008. Le RSA remplace deux minima sociaux. Le CEDS s’est livré à une analyse de ce dispositif en 2013 838.
Il a considéré que le fait que les jeunes de moins de vingt-cinq ans dans le besoin ne
puissent pas tous bénéficier du RSA et que les étrangers en situation régulière depuis
moins de cinq ans en soient totalement exclus viole l’article 13 de la Charte (« Droit à
l’assistance sociale et médicale »). Concernant les personnes de moins de vingt-cinq
ans, le CEDS a noté l’extension du RSA aux jeunes actifs, mais a considéré que celle-ci,
qui ne touche qu’un nombre réduit de jeunes, et ne vise que les jeunes qui ont travaillé
deux ans, est insuffisante. Il a demandé de plus au Gouvernement de fournir un bilan
des dispositions relatives à l’implication des allocataires du RSA dans le fonctionnement et l’évaluation du dispositif (art. 14 sur le droit au bénéfice des services sociaux).
Dans une demande directe relative à la mise en œuvre de la Convention no 95 sur la
protection du salaire de 1949 839, la Commission d’experts de l’OIT a mis en lumière
un autre problème concernant le RSA. Elle s’est inquiétée du fait que « la fraction insaisissable du salaire est désormais fixe, peu importe le nombre de personnes composant
le foyer du salarié, et correspond au RSA pour une personne seule », ce qui semble
aller à l’encontre de l’article 10 de la Convention no 95 sur la protection du salaire de
1949, qui prévoit que « le salaire doit être protégé contre la saisie ou la cession dans la
mesure jugée nécessaire pour assurer l’entretien du travailleur et de sa famille ». Elle a
demandé également à la France de continuer à lui transmettre des informations relatives au nombre de PV établis entre 2007 et 2010 par les services de l’inspection du
travail et constatant des infractions pénales à la réglementation concernant les salaires.
Protection des personnes âgées
Le CEDS a considéré la situation de la France concernant les personnes âgées comme
conforme à l’article 23 de la Charte sociale révisée, tant pour le problème des soins en
institution, la prévention de la maltraitance, les services et facilités, que pour le logement ou les soins de santé. Concernant le droit à des ressources suffisantes, le CEDS
a estimé la situation conforme à l’article 23 de la Charte, mais a relevé que, en 2011,
1 % des personnes âgées de plus de soixante-cinq ans disposaient d’un revenu inférieur à 40 % du revenu médian ajusté. Si ce chiffre est en diminution, le CEDS s’est
inquiété du sort de ces personnes et a souhaité être informé des mesures prises pour
remédier à leur situation.
838. CEDS, Conclusions 2013 (France), 01/2014.
839. Commission d’experts de l’OIT, Demande directe : Convention no 95 sur la protection du salaire, 102e session CIT (2013), 2012.
301

Analyse thématique – Droits économiques et sociaux
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
2. Droit au logement
Mal-logement
Le CEDS s’est prononcé sur la conformité de la situation à l’article 31 de la CSER dans
ses conclusions 2011. Le Comité part des constats de l’INSEE, estimant à 2,9 millions
le nombre de personnes souffrant de mal-logement, et du bilan établi par la Fondation
Abbé-Pierre et la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec
les sans-abri pour conclure à la violation de l’article 31, paragraphe 1, de la Charte, en
raison de la situation de l’habitat indigne et du manque d’infrastructures adéquates
pour un grand nombre de ménages.
Lors de l’EPU, la République islamique d’Iran a recommandé à la France de « prendre des
mesures efficaces pour renforcer encore la mise en œuvre de son cadre juridique afin
de remédier à la situation des personnes et des familles qui vivent dans des logements
ne répondant pas aux normes, caractérisés par des conditions d’insécurité et d’insalubrité 840 ». La France a accepté cette recommandation, et mis en avant les efforts engagés
par l’État et son opérateur, l’Agence nationale de la rénovation urbaine, pour améliorer
les quartiers présentant les plus grandes difficultés urbaines, sociales et économiques.
Droit au logement opposable
La loi no 2007-290 instituant le droit au logement opposable a permis l’inscription dans
le code de la construction et de l’habitat du principe selon lequel « le droit à un logement décent et indépendant, mentionné à l’article 1er de la loi no 90-449 du 31 mai
1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, est garanti par l’État à toute
personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’État, n’est pas en mesure d’y
accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir ». La mise en œuvre de ce droit
s’est faite progressivement. Si le CEDS a salué l’adoption de cette loi, il a considéré
que l’exclusion du droit au logement opposable des personnes en situation régulière
depuis moins de deux ans est discriminatoire, et a conclu à une violation de l’article 31,
paragraphe 1, sur ce point.
Ce sujet a été abordé un an plus tard par la Commission d’experts de l’OIT, à propos de l’application par la France de la Convention no 97 sur les travailleurs migrants
(révisée) de 1949 841. Or, postérieurement aux conclusions du CEDS, le Conseil d’État
a annulé les dispositions du code de la construction et de l’habitation qui limitaient le
droit au logement opposable aux étrangers en situation régulière depuis plus de deux
ans. Le Conseil d’État s’est appuyé pour cela sur l’article 6-1 de la Convention no 97 de
l’OIT, qu’il a reconnu directement invocable, et sur le principe d’égalité, qui ne permet-
840. Reco. no 120.139.
841. Commission d’experts de l’OIT, Observations : Convention no 97 sur les travailleurs migrants, 102e session CIT (2013), 2012.
302
tait pas de distinguer entre différentes catégories de personnes en situation régulière.
La Commission d’experts se félicite donc de cette annulation. À la suite de l’annulation
du Conseil d’État, le décret no 2012-1208 du 30 octobre 2012, pris en application de
l’article L. 300-1 du code de la construction et de l’habitation et modifiant les articles
R. 300-1 et R. 300-2, est venu préciser les personnes qui peuvent bénéficier du droit
au logement opposable : la seule condition est désormais de justifier d’un droit au
séjour, sans condition de durée. La Commission s’est néanmoins montrée soucieuse
des discriminations que peuvent rencontrer les travailleurs migrants, en pratique, dans
l’accès au logement, et a donc demandé à être informée des mesures mises en œuvre.
Droit à un abri
L’article 31, paragraphe 2, de la CSER impose aux États de réduire l’état de sans-abri. Le
CEDS avait conclu à une violation de la Charte dans une décision FEANTSA de 2007 842.
Il a considéré dans ses conclusions de 2013 que la situation reste problématique, et
que l’État a manqué à son obligation de prévenir l’état de sans-abri. Plusieurs points
positifs ont néanmoins été relevés par le CEDS : l’amélioration de l’outil statistique, la
création d’un nouvel outil dans les modes de prise en charge des personnes en situation de grande exclusion, les « pensions de famille », et la mise en place d’une politique
globale de lutte contre l’exclusion et contre la pauvreté. Cependant, le CEDS a jugé
ces progrès insuffisants, en s’appuyant sur les chiffres de demandes au 115 non pourvues et l’insuffisance de la capacité d’accueil du dispositif d’hébergement et de logement temporaire par rapport au nombre de personnes privées de domicile personnel.
Par ailleurs, si le CEDS a pris note du fait que la loi DALO a reconnu un droit à un hébergement 843, il a réservé sa position en attendant que la France communique des informations concernant la qualité de l’offre d’hébergement d’urgence, les personnes qui
peuvent y prétendre, et si une éventuelle interdiction des évictions est prévue concernant l’hébergement d’urgence.
Expulsions
Pour les expulsions, le CEDS a rappelé qu’il avait considéré plusieurs éléments du régime
français conformes à ses principes directeurs. Cependant, les carences dans le fonctionnement du système, ainsi que l’absence de garantie quant aux possibilités d’obtenir
un relogement stable et accessible l’ont conduit à constater une violation de la Charte
sur ce point également. Il a renouvelé son constat de violation, en s’appuyant sur le
nombre important de personnes en instance d’expulsion et sur le nombre d’expulsions
842. CEDS, 05/12/2007, Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri
(FEANTSA) c. France, Réc. no 39/2006
843. Il convient également de renvoyer à l’article L. 345-2-2 du CASF qui reconnaît que : « Toute personne
sans abri en situation de détresse médicale, psychique et sociale a l’accès, à tout moment, à un dispositif
d’hébergement d’urgence. »
303

Analyse thématique – Droits économiques et sociaux
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
effectives. Il a souligné de plus les conséquences importantes pour les personnes en
instance d’expulsion : celles-ci doivent s’acquitter chaque mois de leurs indemnités
d’occupation alors même qu’elles sont privées d’aide au logement. Il a donc conclu à
la violation de l’article 31, paragraphe 2, sur ce point, ainsi que sur les expulsions dont
sont victimes Roms et Gens du voyage (voir le Titre III).
Logements sociaux
Enfin, le CEDS a conclu à une violation de l’article 31paragraphe 3 en raison de l’insuffisance de l’offre de logements sociaux d’un coût accessible aux personnes les plus
pauvres, aux dysfonctionnements du système d’attribution de logements sociaux et des
voies de recours existantes. Il a également conclu à une violation de cet article concernant le manque de places dans les aires d’accueil pour Gens du voyage (voir supra,
« Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations et inclusion dans la société »).
3. Droit à l’éducation
Le CEDS a jugé la situation française conforme à l’article 17 de la Charte concernant le
droit des enfants à l’enseignement primaire et secondaire gratuit 844. Le CEDS s’est toutefois montré préoccupé par la prise en compte de la vulnérabilité des groupes sociaux,
et notamment les Gens du voyage, les Roms et les étrangers en situation irrégulière. Il
a donc demandé à la France de fournir des informations à ce propos.
Il convient de mentionner deux recommandations du Comité des ministres du Conseil
de l’Europe. La première, adoptée le 12 décembre 2012, vise à assurer une éducation
de qualité pour tout individu et à définir le rôle des pouvoirs publics pour en garantir
la mise en œuvre 845. La seconde est relative à la responsabilité des pouvoirs publics
concernant la liberté universitaire et l’autonomie des établissements 846.
844. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
845. Comité des ministres, Recommandation aux États membres en vue d’assurer une éducation de qualité,
2/12/2012, CM/Rec(2012)13F.
846. Comité des ministres, Recommandation aux États membres relative à la responsabilité des pouvoirs
publics’concernant la liberté universitaire et l’autonomie des établissements, 20/06 /2012, CM/Rec(2012)7F.
304
Analyse thématique – Droits économiques et sociaux

Chapitre 3
Droit à la santé
Le droit à la santé est protégé par l’article 12 du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, et par les articles 3, 11 et 13 de la Charte sociale
européenne révisée. Dans son Observation générale 14 847, le Comité DESC a considéré que ce droit implique quatre types d’obligations : la disponibilité des installations,
des biens et des services ainsi que des programmes fonctionnels en matière de santé
publique et de soins de santé ; l’accessibilité, sans discrimination, à toute personne
relevant de la juridiction de l’État partie ; l’acceptabilité sur un plan éthique et culturel
des soins ; et la qualité des soins.
Si, pendant la période de référence, le Comité DESC ne s’est pas prononcé sur la
situation française, d’autres instances se sont prononcées : le CEDS s’est livré, lors de
ses conclusions pour l’année 2013, à une analyse détaillée de la situation française ;
l’APCE a consacré une résolution aux inégalités de santé, et le CPT a visité des établissements psychiatriques.
D’une manière générale, la France s’illustre de manière positive : l’espérance de vie à
soixante-cinq ans est ainsi la plus élevée d’Europe, tant pour les hommes que pour les
femmes. Le CEDS a néanmoins identifié quelques insuffisances, concernant le taux de
mortalité maternelle, notamment outre-mer, l’organisation de dépistage de maladies
responsables des principales causes de décès, le droit à un environnement sain, les
évolutions en matière d’alcoolisme de toxicomanie et de tabagisme.
1. Inégalités de santé
Dans une résolution consacrée à l’égalité dans l’accès aux soins de santé 848, l’APCE
a constaté « les inégalités d’accès aux soins de santé sont en train de s’accroître dans
les États membres du Conseil de l’Europe ». Elle identifie plusieurs priorités, comme
« réduire […] la part des dépenses de santé restant à la charge des patients les plus
démunis » ; « assurer l’accessibilité aux établissements et aux professionnels de santé
sur l’ensemble du territoire » ; « assurer l’accessibilité aux informations relatives au système de santé » ; « garantir que les femmes enceintes et les enfants […] bénéficient
d’un plein accès aux soins de santé et à la protection sociale, quel que soit leur statut » ;
« simplifier les procédures administratives requises pour pouvoir bénéficier de soins de
santé » ; « mettre en place des mesures de lutte contre la corruption dans le secteur
de la santé » ; « dissocier leurs politiques de sécurité et de l’immigration de celle de la
santé, le cas échéant en supprimant l’obligation de signalement des migrants en situa-
847. Comité DESC, « Observation générale 14 », UN Doc., E/C.12/2000/4 (2000).
848. APCE, L’Égalité de l’accès aux soins de santé, 26/06/2013, Réso. no 2020.
305
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
tion irrégulière faite aux professionnels de santé » ; « mettre en place des politiques de
formation du personnel de santé qui insistent sur la nécessité de lutter contre l’arbitraire, les discriminations et la corruption dans le secteur de la santé ».
Barrières géographiques
Parmi les difficultés évoquées par l’APCE, deux concernent particulièrement la France.
Pour l’existence de barrières géographiques, l’exposé des motifs de la résolution mentionne la situation française : « En France par exemple, on trouve 458 médecins pour
100 000 citadins contre seulement 122 pour 100 000 ruraux. Toutefois, en France,
ce phénomène dit de déserts médicaux touche également les zones urbaines dans la
mesure où, dans certains quartiers parisiens ou dans certaines grandes villes, il est très
difficile de trouver un généraliste à tarif opposable (tarif remboursé par l’assurance
maladie) ». L’APCE recommande donc de prendre « des mesures appropriées, le cas
échéant en ayant recours à des mesures incitatives ».
Migrations
L’autre point concerne l’accès aux soins des migrants en situation irrégulière. L’APCE
rejoint ici les préoccupations du Comité des ministres du Conseil de l’Europe qui a
adopté une recommandation sur la mobilité, les migrations et l’accès aux soins de
santé 849. Des lignes directrices sont annexées à cette recommandation.
Un rapport de la FRA consacré à « l’accès aux soins de santé des migrants en situation irrégulière dans 10 États membres de l’Union européenne » 850 a souligné le caractère protecteur de la législation française. Un obstacle a néanmoins été identifié par
l’Agence : pour pouvoir bénéficier de l’aide médicale d’État, dispositif permettant aux
étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins, les étrangers en
situation irrégulière doivent prouver qu’ils résident depuis trois mois sur le territoire.
Or, au regard de la précarité de leur situation, il est parfois difficile de prouver cette
résidence. Il existe des difficultés similaires concernant la scolarisation des mineurs, y
compris ceux de moins de seize ans, une preuve d’adresse ou de résidence étant exigée.
La Charte sociale européenne des droits sociaux reconnaît un accès aux soins et un
droit à la protection sociale à tous les étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou
non 851. Le CEDS 852 considère la situation française comme conforme à l’article 19 de
849. Comité des ministres, Recommandation du Comité des ministres aux États membres sur la mobilité, les
migrations et l’accès aux soins de santé, 16/11/2011, CM/Rec(2011)13F.
850. FRA, Migrants en situation irrégulière : accès aux soins de santé dans 10 États membres de l’Union
européenne 10/2011.
851. Voir notamment CEDS, 03/11/2004, FIDH c. France, Réc. no 14/2003 (paragraphe 32) : une « législation
ou pratique qui nie le droit à l’assistance médicale aux ressortissants étrangers, sur le territoire d’un État partie, fussent-ils en situation irrégulière, est contraire à la Charte ».
852. CEDS, Conclusions 2011 (France), 01/2012.
306
la CSER concernant « les services sanitaires, la prise en charge médicale et les conditions
d’hygiène durant le voyage », le « droit des travailleurs migrants et de leurs familles à la
protection et à l’assistance » ; concernant l’article 17 de la Charte (« Droit des enfants et
des adolescents à une protection sociale, juridique et économique »), il salue l’adoption
de la circulaire DHOS/DSS/DGAS no 141 du 16 mars 2005 relative à la prise en charge
des soins urgents délivrés à des étrangers résidant en France de manière irrégulière et
non bénéficiaires de l’aide médicale d’État (AME), et l’arrêt du CE 853 qui a annulé les
décrets qui imposaient une condition de durée de résidence aux enfants pour pouvoir bénéficier de l’AME, qui permettent de mettre fin à la violation de l’article 17 de
la Charte qu’elle avait constatée dans l’affaire FIDH contre France. Il prend cependant
note du décret no 2011-273 du 15 mars 2011 qui fixe des conditions supplémentaires
pour l’admission des demandes de soins médicaux dans le cadre de l’AME, et demande
des informations sur la mise en œuvre de ce décret.
Une autre difficulté apparaît cependant dans les conclusions du CEDS pour l’année 2013 :
la complexité du recours à l’AME pour les professionnels de sécurité sociale et santé,
qui, selon Médecins du monde, constituerait des obstacles à l’accès aux soins. Le CEDS
a donc demandé au Gouvernement d’apporter des éclaircissement sur ce point.
Accès aux soins des personnes démunies
Les personnes qui résident en France de façon stable et régulière depuis plus de trois mois
ont le droit de bénéficier de la couverture maladie universelle de base. Les personnes
dont les revenus sont inférieurs à un certain seuil peuvent bénéficier de la couverture
maladie universelle complémentaire. Dans ses conclusions 2013, le CEDS a demandé
au Gouvernement de répondre aux remarques de l’ONG Médecins du monde, qui
considère que, en raison de barrières administratives, « 75 % des personnes éligibles à
l’aide à la complémentaire santé n’ont pas déposé de demande ».
Populations nécessitant une attention spécifique
Outre le sort des Roms, que le CEDS estime contraire à l’article 3 de la Charte (voir supra
« Promotion de l’égalité, lutte contre les discriminations et inclusion dans la société »),
et la question de la stérilisation des personnes transgenres comme préalable à la reconnaissance juridique de l’identité de genre, nous signalerons que le CEDS a demandé à
la France de fournir, lors de son prochain rapport, des éléments concernant les structures de réadaptation pour toxicomanes et la variété de structures de traitement.
853. CE, 28/07/2005, Req. no 285576.
307

Analyse thématique – Droits économiques et sociaux
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
2. Droit à la sécurité
et à l’hygiène au travail
Le CEDS a considéré, lors de ses conclusions 2013 854, que la situation française était
conforme à l’article 3 de la CSER qui protège le droit à la sécurité et à l’hygiène dans
le travail. Il a salué l’implication des pouvoirs publics dans la prévention des risques
professionnels et dans la recherche, l’élaboration et la formation en vue d’améliorer
la sécurité et la santé des travailleurs. Le CEDS a considéré que les niveaux de prévention et de protection sont conformes à la Charte, qu’il s’agisse de la mise en place, de
la modification et de l’entretien des postes de travail, de la protection contre les substances et agents dangereux. Le CEDS a considéré que la réglementation des risques
couverts par les règlements est alignée sur le niveau des normes internationales de
référence, et est donc conforme à l’article 3, paragraphe 2, de la Charte.
Il a posé un certain nombre de questions, sur « la manière dont se déroule, dans la
pratique des établissements qui emploient moins de 50 salariés, la consultation relative au bilan annuel de la situation de la santé, de la sécurité et des conditions de
travail, ainsi que celle relative au programme de prévention » (art. 3.1), et « l’identification des risques et [les] niveaux de prévention et protection requis » (art. 3.2) ; sur la
mise en œuvre de la directive no 2000/54/CE, concernant la protection des travailleurs
contre les risques liés à l’exposition à des agents biologiques au travail, et de la directive no 2008/46/CE sur les risques dus aux agents physiques ; sur la mise en œuvre de
la réforme relative à la prévention et la protection de l’amiante, qu’il examinera lors
du prochain cycle d’évaluation ; sur les évolutions intervenues au cours de la période
de référence concernant l’accès des travailleurs non permanents, temporaires ou intérimaires à l’information et à la formation en matière de sécurité et de santé au travail.
Le CEDS a retenu une violation de la Charte concernant les travailleurs indépendants.
Ils sont en effet « exclus du bénéfice de la protection requise dans la plupart des activités, et ne bénéficient que de la protection offerte par la réglementation spécifique aux
activités les plus dangereuses », alors que « tous les travailleurs, tous les lieux de travail
et tous les secteurs d’activité doivent être couverts par la réglementation ».
Pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, le CEDS avait conclu que
la situation n’était pas conforme à l’article 3, paragraphe 3, de la CSER en raison du
nombre trop élevé des accidents professionnels. Sur la période de référence, le CEDS a
noté une amélioration. Cependant, il a demandé des éléments d’information concernant la disparité entre les données du rapport de la France et les chiffres d’Eurostat, et
les « mesures prises pour contenir l’augmentation sensible des accidents mortels et le
nombre important de cas mortel de maladie professionnelle », ainsi que les « mesures
prises pour enrayer l’augmentation du nombre de cas de maladies professionnelles non
musculo-squelettiques ». Le CEDS a également demandé des informations concernant
l’inspection du travail (cf. supra).
854. CEDS, Conclusions 2013 (France), 01/2014.
308
Concernant l’accès à la médecine du travail, que le CEDS avait jugé conforme à l’article 3
de la Charte, il a pris note de l’adoption de la loi no 2011-867 du 20 juillet 2011 relative à l’organisation de la médecine du travail et a demandé des éléments concernant
le taux d’entreprises qui offrent l’accès aux services de santé au travail. Il a demandé
des informations sur les moyens de contrôle permettant de vérifier que les obligations
de recourir aux services de santé dans la pratique sont effectivement respectées, ainsi
que des informations concernant l’accès des travailleurs indépendants, des travailleurs
à domicile ainsi que des travailleurs intérimaires aux services de santé.
3. Bioéthique et fin de vie
À l’occasion de l’adoption de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, le Parlement
a ratifié la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être
humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, dite Convention
d’Oviedo 855. Au niveau national, les dispositions relatives à la bioéthique découlent des
lois relatives à la bioéthique 856 et sont codifiées dans le code civil (art. 16 et s.) et dans
le code de la santé publique. D’une manière générale, le droit national peut sembler
conforme au droit international des droits de l’homme. Il n’existe pas de condamnation par les instances compétentes du droit en vigueur.
Parmi les différentes questions de bioéthique, la fin de vie reste le sujet le plus débattu.
Le droit applicable a été profondément remanié à la suite de l’adoption de la loi n° 2005370 du 22 avril 2005 relative à la fin de vie. L’article 1er de cette loi indique que les
actes de prévention, d’investigation ou de soins « ne doivent pas être poursuivis par
une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou
n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris ». Cette loi reconnaît une place décisive à la volonté du
patient, aux directives anticipées et aux personnes de confiance, et organise une procédure de consultation.
L’APCE a adopté récemment une résolution relative à la protection des droits humains
et la dignité de la personne en tenant compte des souhaits précédemment exprimés
par les patients 857. Celle-ci insiste sur l’importance des testaments de vie, documents
d’instructions préalables ou directives anticipées, qui sont les « documents écrits dans
lequel un majeur capable exprime librement à l’avance sa volonté afin qu’elle puisse
855. Damien Thierry, « La France enfin liée par la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine », RDSS, 2012, p. 839.
856. Voir notamment les lois no 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, no 94-654 du
29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale
à la procréation et au diagnostic prénatal, no 2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique, no 2011-814
du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, no 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la
qualité du système de santé, no 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.
857. APCE, Protéger les droits humains et la dignité de la personne en tenant compte des souhaits précédemment exprimés par les patients, 25/01/2012, Réso. no 1859.
309

Analyse thématique – Droits économiques et sociaux
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
être prise en compte dans des situations où il ne peut plus s’exprimer lui-même (ayant
été privé de la capacité juridique ou ayant perdu conscience par exemple) 858 ». L’APCE
recommande aux États qui ont une législation spécifique en la matière, ce qui est le cas
de la France 859, de veiller « à ce que le grand public et les professionnels de la santé et
du droit aient une connaissance suffisante de cette législation et l’utilisent en pratique ».
Enfin, il convient ici de signaler la saisine de la CEDH dans l’affaire Lambert. En l’espèce, le médecin chef du pôle autonomie et santé de l’hôpital a pris la décision de
mettre fin à l’alimentation et à l’hydratation artificielle de M. Vincent Lambert, qui,
victime d’un accident de la circulation, est tétraplégique et en état de complète dépendance, dans un « état de conscience minimale “plus” ». Pour prendre cette décision,
le médecin chef a consulté l’ensemble de la famille du patient, l’équipe soignante, et
des médecins extérieurs au service. Il a considéré que, eu égard à la nature irréversible
des lésions cérébrales, de l’absence de progrès depuis l’accident, de la consolidation
du pronostic fonctionnel, et de la certitude que le patient « ne voulait pas avant son
accident vivre dans de telles conditions », souhait corroboré par les observations du
personnel soignant sur ses manifestations comportementales, cette décision s’imposait. Si plusieurs membres de la famille du patient ont soutenu cette décision, ce n’est
pas le cas des parents qui ont introduit un référé-liberté contre la décision du médecin
chef. Le tribunal administratif de Chalons a suspendu la décision du médecin chef par
une ordonnance du 16 janvier 2014. Le Conseil d’État, dans une décision du 6 février
2014, a renvoyé l’affaire devant l’assemblée du Conseil d’État, qui, dans une décision du 24 juin 2014, a rejeté la demande des parents, et a considéré que la décision
du médecin était légale. Les parents de M. Vincent Lambert ont saisi la CEDH d’une
demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 du règlement de la
Cour. La chambre de la Cour saisie a indiqué au Gouvernement de faire suspendre
la décision en attendant que la Cour se prononce au fond. Elle a décidé de traiter la
requête en priorité, conformément à l’article 41 860.
4. Hospitalisation des personnes
souffrant de troubles mentaux
La question de l’hospitalisation des personnes souffrant de troubles mentaux est au
croisement de plusieurs problématiques : accès aux soins, mais aussi liberté, avec la
question de l’hospitalisation sans consentement, et celle du contrôle par le juge de la
privation de liberté. Les établissements psychiatriques entrent dans le cadre de l’article 2
de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, et, à ce titre, peuvent être visités par le CPT. Lors de sa
858. Voir l’exposé des motifs de la résolution.
859. Voir notamment les articles L. 1111-4 et L. 1111-11 du code de la santé publique.
860. CEDH, Lambert c. France, Req. no 46043/14, affaire communiquée le 24 juin 2014. Voir le communiqué de presse en ligne.
310
dernière visite en France 861, il s’est ainsi rendu dans plusieurs unités fermées de services
de psychiatrie générale de groupe hospitalier (Groupe hospitalier Paul-Giraud à Villejuif ;
Établissement public de santé mentale Val-de-Lys/Artois à Saint-Venant), et des unités de
soins sécurisées (unité pour malades difficiles (UMD) Henri-Colin du Groupe hospitalier
Paul-Giraud ; unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) et unité de soins intensifs
psychiatriques USIP du centre hospitalier spécialisé Le Vinatier). Il s’est appuyé lors de sa
visite sur les travaux du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui font référence
en la matière, et notamment sur la Recommandation Rec(2004) 10 relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux.
La FRA a publié une étude sur le placement involontaire et le traitement involontaire
de personnes souffrant de troubles mentaux 862. Celle-ci fait suite au rapport de 2002
cofinancé par la Commission européenne sur la législation et les pratiques relatives au
placement, à l’internement forcé et aux troubles mentaux au sein de l’UE 863. Elle se
divise en trois parties : les normes internationales et européennes, le cadre juridique des
États membres de l’UE, et les récits personnels recueillis dans le cadre de l’enquête de
terrain. La France fait partie des neuf États de l’UE ciblés. Cette étude a pris en compte
les recommandations formulées par le CPT.
Au niveau national, le principe, fixé à l’article L. 3211-1 du code de la santé publique,
est que les soins psychiatriques doivent être consentis, sauf exceptions limitativement
énumérées. Le code de la santé publique détaille deux types de soins sans consentement : l’admission en soins psychiatriques à la demande d’un tiers ou en cas de péril
imminent (art. L. 3212-1 à L. 3212-12 du CSP), et l’admission en soins psychiatriques sur
décision du représentant de l’État (art. L. 3213-1 à L. 3213-11 du CSP). Le CSP encadre
également l’admission en soins psychiatriques des personnes détenues atteintes de
troubles mentaux (art. L. 3214-1 à L. 3214-5 du CSP), qui peut résulter ou non de la
demande de la personne détenue. Enfin, le code de procédure pénale envisage, à son
article 706-135, l’hypothèse de l’admission en soins psychiatriques de la personne qui
a fait l’objet d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.
Les règles des soins psychiatriques sans consentement ont profondément évolué, à la
suite d’une décision du Conseil constitutionnel du 26 novembre 2010 imposant la mise
en place d’une procédure judiciaire de contrôle, systématique et régulier, des mesures
de soins psychiatriques sans consentement. Cette décision faisait écho à une jurisprudence de la CEDH 864. La loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection
des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en
charge a décliné les modalités de cette obligation constitutionnelle, en reconnaissant
un rôle central au juge des libertés et de la détention qui doit être saisi dans les quinze
861. CPT, Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France du
28 novembre au 10 décembre 2010, 19/04/2012, (CPT)Rapport [CPT/Inf (2012) 13].
862. FRA, Placement involontaire et traitement involontaire de personnes souffrant de troubles mentaux,
Office des publications de l’Union européenne, 2012.
863. Hans Joachim Salize, Harald Dreßing, Monika Peitz, Compulsory Admission and Involuntary Treatment
of Mentally Ill Patients. Legislation and Practice in EU-Member States, 15/05/2002.
864. Voir notamment CEDH, 27/06/2002, L. R. c. France, Req. no 33395/96, CEDH, 08/11/2005, Gorshkov
c. Ukraine, Req. no 67531/01.
311

Analyse thématique – Droits économiques et sociaux
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
jours suivant l’admission du patient, puis tous les six mois suivant la dernière décision
judiciaire. La CNCDH s’est prononcée en amont, par un avis du 31 mars 2011, sur le
projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins
psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. Elle s’est également prononcée sur les premiers effets de la réforme des soins psychiatriques sans consentement
sur les droits des malades mentaux par un avis du 22 mars 2012.
Depuis l’adoption de la loi du 5 juillet 2011, d’autres péripéties juridiques sont venues
faire évoluer le droit de l’hospitalisation sans consentement. Ainsi, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 20 avril 2012 865 a déclaré la procédure de placement en
unité pour malades difficiles contraire à la Constitution, cette déclaration d’inconstitutionnalité prenant effet le 1er octobre 2013. En conséquence, le Parlement a adopté,
le 27 septembre 2013, la loi no 2013-869 modifiant certaines dispositions issues de la
loi no 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes
faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.
La procédure française d’admission en soins psychiatriques est donc en évolution constante,
et les constats des instances internationales doivent être replacés dans ce contexte. La tendance est en outre celle d’une augmentation du nombre d’hospitalisation sans consentement. L’étude d’impact du projet de loi, qui aboutit à la loi du 5 juillet 2011 866, avançait
ainsi le chiffre de 69 000 personnes hospitalisées sans leur consentement en 2007 et 2008.
Procédure d’admission en soins psychiatriques
Admission consentie
Le CPT a constaté, concernant les services de psychiatrie générale, qu’« une grande
partie des patients faisant l’objet d’une admission en soins psychiatriques “libres” lors
de la visite étaient, de fait, privés de leur liberté, et plus précisément maintenus dans
des unités d’hospitalisation temps plein fermées à clef, sans libre accès à d’autres parties de l’établissement et encore moins à l’extérieur de l’établissement, même pour
quelques heures ». Il recommande donc que « lorsqu’un patient faisant l’objet de ce type
de soins est retenu contre son gré dans l’établissement, son mode de prise en charge
doit être revu afin qu’il puisse bénéficier des garanties offertes par la loi ».
Il a constaté également des difficultés lorsque le patient passe d’une procédure d’hospitalisation sans consentement à une hospitalisation consentie dans le cadre d’un placement en UHSA, pour les personnes relevant de l’administration pénitentiaire. En
effet, il a relevé que ce changement s’est parfois fait sur l’unique base d’un certificat
médical. Il rappelle la nécessité de recueillir un consentement écrit avant de lever l’hospitalisation sans consentement.
865. Conseil constitutionnel, décision no 2012-235, QPC du 20/04/2012.
866. Étude d’impact du projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins
psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, 05/2010.
312
Analyse thématique – Droits économiques et sociaux

Admission sans consentement
La visite du CPT s’est déroulée alors que la loi relative aux droits et à la protection
des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en
charge, adoptée le 5 juillet 2011, était en cours de discussion. Le CPT a accueilli positivement l’innovation centrale de la loi du 5 juillet 2011, qui permet de présenter à
intervalles réguliers le patient à l’autorité judiciaire. Il a salué le fait que le juge doive
se prononcer sur la base d’un double avis psychiatrique. Il a néanmoins formulé une
recommandation pour que « l’avis du psychiatre ne participant pas à la prise en charge
du patient soit celui d’un psychiatre n’exerçant pas dans l’établissement d’accueil ». Il a
demandé des précisions concernant ces nouvelles formes de soins sans consentement
et en particulier sur les modalités pratiques de mise en œuvre.
Le CPT a questionné certains choix du législateur : le fait que le juge n’intervienne
qu’après quinze jours, la possibilité d’avoir recours à des moyens de télécommunications audiovisuelles lors des audiences et la lourdeur des procédures de sortie du dispositif de soins sans consentement. Il a demandé également des informations sur les
conditions dans lesquelles les patients bénéficieront de l’aide juridictionnelle.
Enfin, le CPT a souligné que l’admission en soins psychiatriques sans consentement
ne doit pas être interprétée comme autorisant automatiquement de se dispenser du
consentement aux soins du patient. Il a demandé que ce principe soit clairement reflété
dans la législation et dans les faits. De même, il a rappelé que l’ensemble des personnes
concernées, patient inclus, doivent être informées sur le déroulement de la procédure,
et sur les voies de recours existantes.
Concernant l’admission en soins psychiatriques sur demande du représentant de l’État
en cas de danger imminent pour la sûreté des personnes, le CPT recommande que
la législation soit amendée pour tenir compte de la recommandation du Comité des
ministres du Conseil de l’Europe Rec(2004) 10 relative à la protection des droits de
l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux, afin que personne ne soit hospitalisé par le maire ou le commissaire de police sur la simple foi de
la notoriété publique sans avoir vu un médecin. Lors de la visite du CPT, une décision
sur le maintien en soins devait être prise à intervalles réguliers suivant le mode d’admission au vu d’un certificat médical établi par un médecin psychiatre dans les 24 heures,
auquel la loi du 5 juillet 2011 a ajouté un nouveau certificat qui doit être établi dans
les 72 heures suivant l’admission. Si ces deux certificats concluent à la nécessité d’une
hospitalisation, le psychiatre de l’établissement d’accueil propose une forme de prise
en charge. C’est alors le représentant de l’État qui prend sa décision, en tenant notamment compte de la sûreté des personnes et de l’ordre public. Cependant, le CPT a noté
que la formulation de la loi laisse subsister un doute quant à la possibilité du représentant de l’État de s’éloigner de la proposition médicale, et demande des informations
aux autorités françaises sur ce point. Enfin, le CPT s’est montré préoccupé par le fait
que, dans les établissements visités, les certificats médicaux sur lesquels s’appuie l’hospitalisation ne sont pas toujours suffisamment étayés. Il a également appelé à la mise
en place de critères clairs et précis, notamment concernant les placements en UMD.
313
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
Dans son étude sur le placement involontaire, la FRA a examiné la conformité des
législations nationales à la recommandation Rec (2004) 10 du Comité des ministres
du Conseil de l’Europe 867. Elle a souligné que la législation française satisfait aux cinq
critères nécessaires pour avoir recours au placement involontaire, à savoir : (1) la personne est atteinte d’un trouble mental ; (2) l’état de la personne présente un risque réel
de dommage grave pour sa santé ou pour autrui ; (3) le placement a notamment un
but thérapeutique ; (4) aucun autre moyen moins restrictif de fournir des soins appropriés n’est disponible ; (5) l’avis de la personne concernée a été pris en considération.
Droits pendant l’hospitalisation
Quelques traits saillants du rapport du CPT peuvent être mis en évidence. D’une manière
générale, le CPT salue les conditions matérielles d’hospitalisation, qui sont satisfaisantes, ainsi que l’attitude du personnel hospitalier. Peu de mauvais traitements sont
constatés, exception faite de rares cas où l’action du personnel pour maîtriser un
patient présentant un comportement agité n’a pas respecté la stricte proportionnalité exigée. D’une manière générale, le CPT salue l’action des pouvoirs publics dans la
lutte contre la maltraitance.
Thérapeutique
Concernant la thérapeutique utilisée, le CPT salue l’individualisation des soins dans la
quasi-totalité des établissements visités, à l’exception de l’USIP de Bron, où il a regretté
qu’un manque d’activités thérapeutiques individualisées (en dehors des loisirs) ne semblât guère favoriser une évolution vers plus d’autonomie, et au Groupe hospitalier PaulGuiraud de Villejuif, où l’offre était « variable » d’un service à l’autre.
Le CPT s’est prononcé sur le recours à la sismothérapie, qui concernait une dizaine de
patients par an à l’hôpital Brousse de Villejuif : si le consentement a, apparemment, été
obtenu, le CPT a recommandé qu’une information complète leur soit délivrée avant ; que le
consentement soit recueilli par écrit ; et que chaque usage de la sismothérapie soit recensé.
Par ailleurs, le CPT considère essentiel de laisser une place important au libre choix du
patient. Ainsi, il a appelé le groupe hospitalier Paul-Guiraud à permettre aux patients
une certaine liberté dans l’habillement, l’individualisation de l’habillement faisant partie du processus thérapeutique.
Le CPT a mis en garde contre les effets psychologiques de mesures de sécurité, notamment concernant l’UHSA de Bron, qui a pour vocation d’accueillir les personnes détenues
qui doivent être hospitalisées : il a regretté les démonstrations de force du personnel
pénitentiaire qui ne s’imposent pas ou la pose de barreaux aux fenêtres des chambres
qui n’apportent pas d’avantage de sécurité, mais ont essentiellement pour but de rappeler aux patients qu’ils sont toujours incarcérés.
867. Comité des ministres, Recommandation Rec(2004) 10 aux États membres relative à la protection des
droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux, 22/09/2004.
314
Analyse thématique – Droits économiques et sociaux

Conséquences du manque de places adaptées
dans les établissements psychiatriques
Outre le manque de personnel, variable d’un établissement à l’autre, l’un des défis
majeurs est la gestion des lits d’hospitalisation. Cet état de fait, selon le Comité, « aboutissait à des situations qui n’étaient pas acceptables du point de vue de la prise en
charge des patients : allongement des temps d’attente dans les services d’urgence des
hôpitaux généraux, sous l’action de médicaments fortement tranquillisants, voire sous
contention mécanique ; hébergement provisoire en chambre d’isolement en attendant
qu’un lit ne se libère (de tels hébergements pouvaient s’étendre jusqu’à plusieurs jours) ;
admission et séjour dans un autre secteur de psychiatrie générale dans l’attente d’une
place dans le secteur concerné, ce qui n’était pas sans conséquence en matière de
continuité des soins ». Il appelle donc à redoubler d’efforts pour résoudre ce problème.
Le manque de place est d’autant plus problématique lorsqu’il s’agit d’accueillir des
patients qui nécessitent des mesures de sécurité spécifiques : par défaut de dispositifs adéquats, ces patients se voient soumis à des mesures trop coercitives, et placés à
l’isolement. Ainsi, les personnes en attente de placement en unité de malades difficiles
sont mises en chambre d’isolement pendant des périodes allant jusqu’à six mois d’affilée, fréquemment sous contention complète, ce qui contribue à accentuer la rupture
du lien thérapeutique entre patients et professionnels de santé, et peut constituer un
traitement inhumain et dégradant. Le CPT a appelé à ouvrir d’urgence de nouvelles
places en UMD.
De même, en raison du manque de place dans l’UHSA de Bron, seul UHSA de France,
les personnes détenues bénéficiant de soins psychiatriques en milieu hospitalier, qui
faisaient donc généralement l’objet d’une hospitalisation complète sur décision du
représentant de l’État en secteur de psychiatrie générale, étaient presque systématiquement mis en chambre d’isolement pendant toute la durée de leur hospitalisation,
généralement sous contention pendant 48 heures. À l’instar du CGLPL, le CPT a considéré que la mesure d’isolement compromet la santé du détenu malade, puisqu’elle lui
interdit d’avoir accès aux thérapies collectives et provoque une demande précoce du
détenu de réintégrer l’établissement pénitentiaire.
Mise en chambre d’isolement
Le CPT a constaté que les pratiques relatives à la mise en chambre d’isolement (MCI)
varient d’un établissement visité à l’autre voir d’un service à l’autre. À la suite de ses
recommandations dans son rapport relatif à sa visite en France en 2000, le CPT a rappelé que la MCI ou la mise sous contention sont des mesures extrêmes qui doivent être
prescrites par un médecin, ou tout au moins qu’il puisse, dans un délai bref, les autoriser, pour faire face à un risque imminent de blessures ou un état de violence aiguë. Ces
mesures doivent être nécessaires et proportionnées, de telle sorte que « l’utilisation de
moyens de contention mécanique pendant des jours, sans interruption, ne saurait avoir
de justification et s’apparente à un mauvais traitement ». De plus, le CPT souhaite que
les protocoles de MCI mis en place dans tous les établissements visités encadrent, par
écrit, aussi strictement que possible, les moyens pouvant être utilisés, les circonstances
315
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
dans lesquelles ils peuvent être appliqués, la surveillance requise et les mesures à prendre
une fois que cesse la contention. Pendant la MCI, « un membre du personnel soignant
devrait être présent en permanence pour maintenir un lien thérapeutique avec le patient
et l’assister » ; une simple vidéosurveillance n’est pas satisfaisante. Enfin, le CPT a insisté
sur la traçabilité des mesures prises, les progrès constatés par le CPT n’étant pas suffisants.
316
Analyse thématique – Droits économiques et sociaux

FOCUS – Responsabilité des entreprises
en matière de droits de l’homme
Le Conseil des droits de l’homme a adopté, le 21 mars 2011, les Principes directeurs
relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence
« Protéger, respecter et réparer » des Nations unies 868. Ceux-ci ont marqué l’aboutissement des travaux du représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des
droits de l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, à la suite du Pacte
mondial des Nations unies lancé en juillet 2000. Le Groupe de travail des Nations unies sur
les droits de l’homme et les entreprises transnationales et autres entreprises encourage
fortement les États à développer, adopter et mettre à jour un plan national d’action au
titre de leur responsabilité de diffusion et de mise en œuvre des principes directeurs 869.
D’autres travaux similaires ont été menés dans d’autres enceintes. Au niveau de l’OIT,
la déclaration tripartite sur les principes concernant les entreprises multinationales et la
politique sociale de 1977 a été amendée en 2000, puis 2006. L’OCDE a mis à jour ses
principes directeurs à l’intention des multinationales en 2011 870. Au niveau du Conseil de
l’Europe, le Comité des ministres a chargé le Comité directeur pour les droits de l’homme
(CDDH), par une décision du 30 janvier 2013 871, d’élaborer une déclaration politique
soutenant les Principes directeurs des Nations unies, ainsi qu’un instrument non contraignant, qui pourrait inclure un guide de bonnes pratiques, répondant aux lacunes dans
la mise en œuvre des Principes directeurs des Nations unies au niveau européen, y compris la question de l’accès à la justice des victimes de violations des droits de l’homme
par les entreprises.
À la suite de ces initiatives, la Commission européenne a adopté une nouvelle stratégie
de l’UE pour la période 2011-2014 872. La Commission a demandé aux États membres
de l’Union européenne de lui soumettre deux plans, qui peuvent être fusionnés : l’un
sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ; l’autre sur la mise en application des
Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
Ce plan devait initialement être remis à la Commission européenne fin 2012 ; mais la
date a été repoussée à 2013 873.
Dans le cadre de l’élaboration du plan national de RSE, le Commissariat général à la
stratégie et à la prospective a établi, en janvier 2013 un document préparatoire. Une
plateforme consacrée à la RSE a été créée en juin 2013, et constitue désormais l’un des
organes permanents du Commissariat général à la stratégie et à la prospective. Elle a
pour principal objectif la préparation du plan.
868. John Ruggie, Rapport du Représentant spécial du Secrétaire général chargé de la question des droits de
l’homme et des sociétés transnationales et autres entreprises, Principes directeurs relatifs aux entreprises et
aux droits de l’homme : mise en œuvre du cadre de référence « Protéger, respecter et réparer » des Nations
unies, 21/03/2011, A/HRC/17/31
869. Informations disponibles sur le site du Haut-Commissariat aux droits de l’homme http://www.ohchr.org/
870. OCDE, Les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, édition 2011.
871. CDDH, Étude de faisabilité sur la responsabilité sociale des entreprises dans le domaine des droits de
l’homme, (CM(2012)164 add), 30/01/2013.
872. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social
européen et au Comité des régions, Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE
pour la période 2011-2014, Bruxelles, 25/10/201 1, COM(2011) 681 final.
873. EU Strategic Framework and Action Plan on Human Rights and Democracy, Council of the European
Union, Luxembourg, 25/06/2012, 11855/12, p. 19-20.
317
Mise en œuvre du droit international des droits de l’homme
En parallèle, la CNCDH a été saisie par le ministre délégué chargé des Affaires européennes et le ministre délégué chargé du Développement en vue de la préparation du
plan d’action français de mise en application des Principes directeurs des Nations unies
relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Elle a adopté son avis le 24 octobre
2013. Cet avis s’inscrit dans la suite directe des travaux antérieurs de la CNCDH sur la
RSE 874. Le ministre des Affaires étrangères a répondu aux recommandations de cet avis
le 16 juin 2014.
874. CNCDH, Avis sur la responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme, 24/04/2008 ; CNCDH,
étude réalisée par Olivier Maurel, La Responsabilité des entreprises en matière de droits de l‘homme, vol. 1,
La Documentation française, 2009 ; CNCDH, étude réalisée par Olivier Maurel, La Responsabilité des entreprises en matière de droits de l’homme, vol. 2, La Documentation française, 2008.
318
LIVRE II
MISE EN ŒUVRE DU
DROIT INTERNATIONAL
HUMANITAIRE ET DU
DROIT INTERNATIONAL
PÉNAL
Le présent livre traite de la mise en œuvre nationale des engagements de la France au
regard des principaux instruments de droit international humanitaire (DIH) et de droit
international pénal (DIP). Ces développements ont une double dimension – interne et
externe – en proposant un aperçu factuel et analytique de la mise en œuvre de ces
normes internationales en France et par la France.
Les procédures de suivi de la mise en œuvre des instruments de DIH et de DIP diffèrent
largement de celles liées aux instruments relatifs au droit international des droits de
l’homme, traitées précédemment. À l’exception des décisions de certaines juridictions
pénales (voir supra « Instruments de droit international pénal : mise en œuvre nationale et suivi »), il n’existe en effet pas de réel regard extérieur à la fois international,
institutionnel et indépendant qui soit directement porté sur la mise en œuvre des instruments conventionnels du DIH et du DIP et dont les décisions ou recommandations
seraient publiques et également contraignantes.
Seul le comité international de la Croix-Rouge (CICR) a reçu, des 196 États parties
aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, le mandat de veiller à la mise
en œuvre et au respect du DIH 875. En sa qualité de « gardien du DIH », le CICR dispose d’une palette de moyens propres à rappeler aux États leurs obligations, qui vont
de démarches bilatérales et confidentielles jusqu’à la possibilité d’une dénonciation
publique, procédure rarement utilisée 876.
De plus, les activités d’institutions multilatérales, dans le cadre de l’Organisation des
Nations unies (Conseil de sécurité en particulier) ou encore de l’UE, de même que les
Conférences d’États parties à certaines conventions, y compris les Conférences internationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, permettent un certain suivi de
la mise en œuvre des obligations incombant aux États. Ces instances et mécanismes
ne s’adressant pas uniquement à la France, bien que l’associant à leurs travaux, ou
travaillant de manière confidentielle, il est par conséquent moins aisé de rassembler
des observations et recommandations comparables à celles des instances traitant du
droit international des droits de l’homme. L’ensemble de ces travaux offre néanmoins
aussi un cadre dans lequel l’action de la France est évaluée et se développe, et dans
lequel elle souscrit à un certain nombre de résolutions et d’engagements volontaires
concrets relatifs à la mise en œuvre et à la promotion de dispositions conventionnelles
– en France comme dans son action et sa coopération extérieures.
875. Voir la liste des États parties aux conventions de 1949 et à leurs protocoles additionnels.
876. Le CICR s’est doté à cet égard, depuis 1981, de lignes directrices relatives aux démarches qu’il peut faire
en cas de violations du DIH, étant précisé que le CICR se préoccupe de toutes les violations du DIH, y compris
dans des situations auxquelles le DIH n’est pas formellement applicable. Ces lignes ont été revues et complétées en 2005 pour tenir compte de la réalité des activités opérationnelles du CICR, et, afin que ses méthodes
de travail soient comprises de tous ses interlocuteurs, elles ont été publiées ; voir « Les démarches du Comité
international de la Croix-Rouge en cas de violations du droit international humanitaire ou d’autres règles fondamentales qui protègent la personne humaine en situation de violence », Revue internationale de la Croix-Rouge,
juin 2005, no 858, pp. 393-400, disponible en ligne sur le site Internet du CICR (rubrique « Ressources »).
321
Mise en œuvre du DIH et du DIP
Cette partie s’appuie par conséquent sur des sources multiples. Elle offre une vue d’ensemble de l’état des ratifications des instruments conventionnels en matière de DIH
et de DIP, en signalant les principaux développements intervenus ces dernières années
en matière de mise en œuvre et, le cas échéant, d’adaptation du droit interne. Sont
également synthétisés les différents engagements thématiques et opérationnels formalisés dans le cadre des Conférences internationales de la Croix-Rouge et du CroissantRouge, des Conférences des États parties et de révision du Statut de Rome, du Conseil
de sécurité des Nations unies, de l’Union européenne.
Cette partie du rapport s’appuie également sur les observations et recommandations
de la CNCDH, qui assume, de manière indépendante, le rôle de commission nationale
de mise en œuvre du DIH et s’exprime régulièrement sur des questions relatives au DIH
et à la justice internationale pénale (voir également la partie préliminaire du rapport,
s’agissant de ses missions).
FOCUS introductif – Droit international
des droits de l’homme et droit international humanitaire
Si le droit international humanitaire (DIH) et le droit international des droits de l’homme
(DIDH) sont des branches distinctes du droit international, celles-ci n’en partagent pas
moins une visée générale commune : la protection des personnes.
Le droit international humanitaire est contraignant, opposable à tous les belligérants
– États et groupes armés non étatiques – et strictement applicable – sans dérogation
possible – dans les situations de conflit armé international et non international. Le droit
international des droits de l’homme s’applique en période de paix comme de guerre,
même si de nombreuses dispositions conventionnelles peuvent faire l’objet de dérogations dans des circonstances exceptionnelles 877.
Un certain nombre de garanties fondamentales, auxquelles il ne peut être dérogé, constituent un noyau dur commun aux deux ensembles de normes et applicable en toutes circonstances : il s’agit en particulier du droit à la vie, de l’interdiction de la torture et des
traitements inhumains ou dégradants, de l’esclavage, ou encore des garanties de procédure en matière judiciaire (non-rétroactivité des lois en matière pénale) 878.
Différents instruments internationaux, tels la Convention contre la torture et autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1984), la Convention sur les droits de
l’enfant (1989) et son Protocole facultatif concernant l’implication d’enfants dans les
conflits armés (2000) ou, plus récemment, la Convention sur la protection de toutes les
personnes contre les disparitions forcées (2006) offrent ainsi une protection transversale dans certains cas. Cette complémentarité normative s’illustre sur différents enjeux
877. Voir par exemple l’article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui autorise les
États à prendre des mesures à titre temporaire dérogeant à des obligations prévues par le Pacte « dans le cas
où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation », mais seulement « dans la stricte mesure
où la situation l’exige », ou encore l’article 15 de la CESDH qui comporte une disposition similaire.
878. À l’inverse, des dispositions ne sont couvertes que par l’une des deux branches, tels la conduite des
hostilités, les statuts de prisonnier de guerre et de combattant (pour les conflits armés internationaux), la
protection des emblèmes pour le DIH ou la liberté de la presse, le droit à la liberté de réunion pacifique et
à la liberté d’association pour le DIDH. Voir également Droit international humanitaire et droit international
des droits de l’homme : similitudes et différences, Fiche technique, CICR, 2003, disponible en ligne sur le site
Internet du CICR (rubrique « Ressources »).
322
thématiques, telle la protection des enfants 879. D’autres initiatives, dont les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays 880 (1998),
témoignent d’un effort de synthèse visant les droits et garanties de protection des personnes, quelles que soient les circonstances (temps de paix et temps de guerre), ainsi
que leurs implications opérationnelles.
Dans un avis consultatif de 2004, la Cour internationale de justice (CIJ) a estimé que « la
protection offerte par les conventions régissant les droits de l’homme ne cesse pas en
cas de conflit armé, si ce n’est par l’effet de clauses dérogatoires […]. Dans les rapports
entre droit international humanitaire et droits de l’homme, trois situations peuvent dès
lors se présenter : certains droits peuvent relever exclusivement du droit international
humanitaire ; d’autres peuvent relever exclusivement des droits de l’homme ; d’autres,
enfin, peuvent relever à la fois de ces deux branches du droit international. Pour répondre
à la question qui lui est posée, la Cour aura en l’espèce à prendre en considération les
deux branches du droit international précitées, à savoir les droits de l’homme et, en tant
que lex specialis, le droit international humanitaire 881 ». En pratique, la possibilité d’une
mobilisation simultanée du DIDH et du DIH est aujourd’hui très largement admise 882.
Les juridictions pénales ad hoc mises en place ces dernières années ainsi que la CPI
ont été dotées d’une compétence pour poursuivre des violations relevant aussi bien du
droit international des droits de l’homme que du DIH. Après ses avis consultatifs, la CIJ
a pu elle-même conclure à des violations simultanées de dispositions relevant des deux
ensembles de normes 883. Des arrêts de la CEDH reconnaissent l’applicabilité extraterritoriale de la CESDH dans des situations de conflits internes ou d’occupation 884, quand
d’autres situations l’ont amenée à considérer explicitement des dispositions relevant du
879. Le DIH prévoit une protection contre la participation directe aux hostilités des enfants de moins de quinze
ans et prévient leur recrut ment (art. 77 (2), Protocole I aux conventions de G nève ; art. 4 (3), Protocole II). La
Convention relative aux droits de l’enfant (1989) renvoie directement aux règles du DIH (art. 38). Son Protocole
facultatif sur l’implication des enfants dans les conflits armés (2000), qui traite également des enjeux de libération et de réinsertion des enfants, interdit la conscription ou l’enrôlement obligatoire des enfants de moins
de dix-huit ans (art. 2), et porte de quinze à dix-huit ans l’âge minimal requis pour participer directement aux
hostilités (art. 1er). La Convention no 182 de l’OIT interdit les pires formes de travail des enfants, y compris le
recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation dans des conflits armés.
880. Conseil économique et social, E/CN.4/1998/53/Add.2 (1998).
881. CIJ, Avis consultatif sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
occupé, 9 juillet 2004, paragraphe 106. Voir également CIJ, Avis sur la licéité de la menace ou de l’emploi
d’armes nucléaires, 8 juillet 1996, cet avis souligne que, « en principe, le droit de ne pas être arbitrairement
privé de la vie vaut aussi pendant des hostilités. C’est toutefois, en pareil cas, à la lex specialis applicable, à
savoir le droit applicable dans les conflits armés, conçu pour régir la conduite des hostilités, qu’il appartient
de déterminer ce qui constitue une privation arbitraire de la vie. Ainsi, c’est uniquement au regard du droit
applicable dans les conflits armés, et non au regard des dispositions du Pacte lui-même (Pacte international
relatif aux droits civils et politiques), que l’on pourra dire si tel cas de décès provoqué par l’emploi d’un certain
type d’armes au cours d’un conflit armé doit être considéré comme une privation arbitraire de la vie contraire
à l’article 6 du Pacte » (paragraphe 25).
882. Lignes directrices de l’Union européenne mises à jour concernant la promotion du droit humanitaire international [Journal officiel C 303 du 15/12/2009], paragraphe 12. Voir, pour un autre exemple, la Recommandation
générale no 31 du Comité DH, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, paragraphe 11 : « Tout en étant distincts, ces
ensembles de règles peuvent tous deux s’appliquer à une situation particulière, et il est par conséquent parfois nécessaire de tenir compte de la relation qui existe entre eux. »
883. CIJ, 19/12/2005, Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo
c. Ouganda), CIJ, Recueil 2005, p. 168
884. Voir, par exemple, CEDH, 07/07/2011, Al Skeini et al. c. Royaume-Uni, Req. no 55721/07.
323
Mise en œuvre du DIH et du DIP
DIH dans ses raisonnements 885. Ces jugements ont mis en lumière les possibles, voire
nécessaires, complémentarités au niveau des raisonnements juridictionnels, susceptibles de
servir l’effectivité de la protection et des sanctions à l’encontre des auteurs de violations.
Au niveau des Nations unies, les Comités conventionnels ont souligné l’utilité interprétative du DIH dans le cadre de la mise en œuvre du DIDH 886. Les résolutions et travaux
du CSNU renvoient logiquement aux deux branches du droit. Son groupe de travail sur
les enfants dans les conflits armés s’intéresse aux violations graves issues du « droit international applicable » – soit de dispositions complémentaires du DIH et du DIDH 887. En
outre, si le mandat du Conseil des droits de l’homme (CDH) ne fait pas explicitement
référence au DIH, celui-ci a pu mandater des commissions d’experts à compétence transversale (voir également « Focus. Établissement des faits »). En outre, les travaux de plusieurs procédures spéciales assumées par le CDH prennent appui sur les deux branches
du droit pour légitimer et exercer un droit de regard effectif vis-à-vis de pratiques étatiques 888. À l’occasion de la 22e session du Conseil des droits de l’homme, le président
du CICR a souligné la complémentarité et les différences qui existent entre le CICR et le
Conseil des droits de l’homme 889.
La traduction opérationnelle et institutionnelle de cette approche croisée n’est pas pour
autant linéaire. Au-delà des incertitudes purement juridiques quant à l’articulation du DIH
et du DIDH, les positionnements d’États en faveur d’une applicabilité exclusive des deux
ensembles de normes rappellent les enjeux politiques – et in fine de protection – attachés
au pouvoir de qualifier une situation, de déterminer le droit applicable et les institutions
compétentes pour en évaluer le respect ou en sanctionner les violations.
885. Voir, par exemple, CEDH, grande chambre, 17/05/2010, Kononov c. Lettonie, Req. no 36376/04 ; CEDH,
grande chambre, 19/09/2008, Korbely c. Hongrie, Req. no 9174/02.
886. Recommandation générale no 31 du Comité DH CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, paragraphe 11.
887. Les rapports du SGNU, sur lesquels s’appuie le groupe de travail du CSNU, se concentrent aujourd’hui
sur les violations les plus graves « du droit international applicable » en visant l’identification directe des responsables. Six types de violations ont été successivement identifiés par les Résolutions du CSNU : assassinat ou mutilation d’enfants ; recrutement ou emploi d’enfants soldats ; attaques dirigées contre des écoles
ou des hôpitaux ; refus d’autoriser l’accès des organismes humanitaires aux enfants ; enlèvement d’enfants ;
viol d’enfants ou autres actes graves de violence sexuelle à leur égard. Voir, également, Office of the Special
Representative of the Secretary General on Children in Armed Conflict, The Six Grave Violations Against
Children During Armed Conflict: The Legal Foundation, Working Paper no 1, octobre 2009.
888. On pourra se référer aux travaux et réflexions, à ce sujet, du Rapporteur spécial des Nations unies sur les
exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Voir également Philip Alston, Jason Morgan-Foster et
William Abresch, « The Competence of the UN Human Rights Council and its Special Procedures in Relation
to Armed Conflicts: Extrajudicial Executions in the War on Terror », The European Journal of International
Law, 2008, vol. XIX, no 1.
889. Déclaration de Peter Maurer, président du CICR, 22e Session du Conseil des droits de l’homme, Genève,
26/02/2013.
324
Première partie
Instruments
de droit international
humanitaire : mise en
œuvre nationale et suivi
325
Cette partie couvre l’ensemble des instruments conventionnels relatifs au DIH auxquels
la France est partie : Conventions de Genève et protocoles additionnels ; Convention
pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé ; protocoles et instruments
conventionnels relatifs aux méthodes et aux moyens de combat. Un développement
est également réservé aux instruments non ratifiés par la France, ainsi qu’à ceux en
cours de négociations. Des éclairages complémentaires sont apportés sur l’« établissement des faits » (fin de la partie).
Au préalable, il convient de souligner ici la place importante jouée par la coutume
internationale en droit international humanitaire. Mandaté par les États lors de la
xxvie Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, tenue en
décembre 1995, le CICR a mené, en coopération avec des experts universitaires et
gouvernementaux, une étude de dix années à l’issue de laquelle 161 règles de DIH
coutumier ont été dégagées. Elles sont publiées dans une étude parue en 2005 890. Les
règles identifiées sont regroupées en six catégories et sont régulièrement actualisées
sur une base de données ad hoc lancée par le CICR en août 2010 891. Pour la France,
les références ont été actualisées en mars 2014 892.
Comme le précise le CICR, l’étude ne constitue pas un exercice définitif ni une compilation exhaustive, la formation du droit coutumier étant un processus permanent.
Cette étude s’est appuyée à l’origine sur les pratiques de cinquante États, toutes régions
confondues, principalement au cours des trente dernières années, sur la consultation
d’experts et sur une analyse des archives du CICR sur quelque quarante conflits armés.
Elle rappelle, considérant la jurisprudence existante, que, « pour donner naissance à
une règle de droit international coutumier, la pratique des États doit être pratiquement uniforme, fréquente et représentative » (sans pour autant que des critères de
temps, d’universalité soient strictement opposables) et qu’il est également nécessaire
que cette pratique découle « de la conviction juridique qu’elle répond à une règle de
droit (opinio juris) 893 ».
L’étude permet d’établir qu’un certain nombre de règles et de principes contenus dans
les Conventions de Genève et leurs protocoles relèvent également du droit coutumier et
lient par conséquent l’ensemble des États indépendamment de leur ratification de ces
instruments et sont également opposables aux groupes armés non étatiques. C’est en
particulier le cas de plusieurs règles relatives à la conduite des hostilités et au traitement
des personnes ne participant pas – ou plus – directement aux hostilités. Toujours selon
le CICR, l’étude « montre également qu’un grand nombre de règles coutumières DIH
sont applicables à la fois aux conflits armés internationaux et aux conflits armés non
internationaux » : sur les 161 règles répertoriées, 159 s’appliquent aux conflits armés
internationaux et 148 aux situations de conflits armés non internationaux.
890. Étude de droit international humanitaire coutumier, CICR et Cambridge University Press, 2005 (publication en anglais) et CICR et Bruylant, 2006 (version française), disponible sur le site Internet du CICR (rubrique
« Ressources »).
891. Voir sur le site Internet du CICR (rubrique « La guerre et le droit »).
892. Customary IHL, France, site Internet du CICR.
893. Voir l’introduction de l’Étude de droit international humanitaire coutumier, p. 10.
327
Mise en œuvre du DIH et du DIP
Le corpus de règles applicables aux conflits armés non internationaux se trouve renforcé. Par exemple, alors que le droit conventionnel applicable dans les conflits armés
non internationaux n’interdit pas expressément les attaques menées contre des biens
civils, une telle interdiction a pris corps en droit international coutumier 894. En outre,
le DIH coutumier prévoit le respect et la protection du personnel ainsi que des biens
de secours humanitaire. Or le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève ne
prévoit que la possibilité d’organiser des actions de secours en faveur des populations
civiles dans le besoin, sans mettre en place de régime de protection 895. Outre cette
protection des secours, le DIH coutumier oblige les parties au conflit à autoriser et faciliter l’acheminement des secours en leur garantissant l’accès aux personnes civiles dans
le besoin 896 et la liberté de déplacement 897. Cette exigence n’est pas prévue dans le
Protocole II aux Conventions de Genève.
Dans un rapport relatif à la mise en œuvre du DIH et des protocoles additionnels aux
Conventions de Genève 898, la France considère « les principes humanitaires les plus universellement reconnus, qui figurent souvent dans le droit conventionnel (par exemple
l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949), sont de nature coutumière, et
qu’il appartient dès lors à chaque État de les respecter en tant que tels 899 ». Elle constate
cependant qu’« existent encore des incertitudes sur la détermination du contenu et de
l’étendue exacts de ces principes coutumiers ». Elle dit avoir à cet égard « pris connaissance de l’étude du CICR sur le droit humanitaire coutumier », qui « constitue de son
point de vue un travail à valeur doctrinale utile mais qui ne saurait être opposé en tant
que tel aux États ». Les Lignes directrices de l’UE pour la promotion du droit humanitaire international, adoptées en 2005, rappellent que, « à l’instar d’autres branches du
droit international, le DIH a deux sources principales : les conventions internationales
(Traités) et le droit international coutumier. Le droit international coutumier découle
de la pratique des États à laquelle ceux-ci reconnaissent un caractère contraignant.
Les décisions judiciaires et les écrits d’auteurs éminents constituent des moyens subsidiaires d’établir le droit 900 ».
894. Règle 7 du droit international humanitaire coutumier : « Les attaques ne doivent pas être dirigées contre
des biens de caractère civil. »
895. Article 18, paragraphe 2, du Protocole additionnel II.
896. Règle 55 du droit international humanitaire coutumier.
897. Règle 56 du droit international humanitaire coutumier.
898. Rapport de la France au secrétaire général des Nations unies dans le cadre de la Résolution no 61/30 de
l’Assemblée générale des Nations unies, 2008. Ce rapport a été mis à jour en 2012.
899. Ibid., p. 3.
900. Lignes directrices de l’Union européenne concernant la promotion du droit humanitaire international
(2005/C 327/04), 23 décembre 2005, paragraphe 7.
328
Instruments de droit international humanitaire – Conventions de Genève de 1949

Chapitre 1
Conventions de Genève
de 1949 et protocoles
additionnels
La première section sera relative au contenu des Conventions de Genève et des deux
protocoles additionnels, la seconde section relative à leur mise en œuvre. Le contenu
du iiie Protocole et sa mise en œuvre au niveau national seront examinés dans une troisième section.
1. Les Conventions de Genève et les
deux premiers protocoles additionnels
Les Conventions de Genève
La France est partie aux quatre Conventions de Genève, qu’elle a ratifiées en 1951 901 :
– Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans
les forces armées en campagne (I)
– Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des
naufragés des forces armées sur mer (II)
– Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (III)
– Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de
guerre (IV)
Les Conventions de Genève sont entrées en vigueur le 21 octobre 1950 et sont aujourd’hui
universellement applicables du fait de leur ratification par 196 États.
Ces instruments contiennent les règles essentielles à la conduite des conflits armés
visant à en limiter les conséquences tout particulièrement pour les personnes qui ne
participent pas aux hostilités (les civils, les membres du personnel sanitaire ou d’organisations humanitaires) ainsi que pour celles qui ne prennent plus part aux combats
(les blessés, les malades et les naufragés, les prisonniers de guerre). Les Conventions
de Genève prévoient également des mesures afin de prévenir et de réprimer les infractions graves au DIH.
901. Loi de ratification no 51-161 du 16 février 1951.
329
Mise en œuvre du DIH et du DIP
L’article 1er commun aux quatre conventions indique : « Les Hautes Parties contractantes
s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances. » De même, l’article 3 commun 902 impose aux parties au conflit le respect, en
cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international, de certaines dispositions qui correspondent, selon la Cour internationale de justice, à des « considérations
élémentaires d’humanité 903 ».
Les protocoles additionnels I et II de 1977
Les protocoles additionnels aux Conventions de Genève, relatifs à la protection des victimes des conflits armés internationaux pour le premier et à la protection des victimes
des conflits armés non internationaux pour le second, ont été ratifiés par la France
en 2001 et 1983 respectivement.
Complémentaires des Conventions de Genève, les protocoles font l’objet du même
type de suivi. Cependant, en décembre 2006, l’Assemblée générale des Nations unies
a adopté une Résolution priant le Secrétaire général des Nations unies (SGNU) de « lui
présenter un rapport, établi à partir des renseignements reçus des États membres et
du CICR, sur l’état des protocoles additionnels relatifs à la protection des victimes des
conflits armés et sur les mesures prises en vue de renforcer le corps de règles en vigueur
constituant le DIH, notamment pour en assurer la diffusion et la pleine application au
niveau national 904 ». La France a remis en 2008 un rapport au SGNU faisant état de la
mise en œuvre des protocoles additionnels dans sa législation nationale 905. Ce rapport
902. Article 3 commun aux Conventions de Genève : « En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère
international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au
conflit sera tenue d’appliquer au moins les disposition suivantes : 1) Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui
ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes
circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la
couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue. À cet
effet, sont et demeurent prohibés, en tout temps et en tout lieu, à l’égard des personnes mentionnée ci-dessus : a) les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes,
les mutilations, les traitements cruels, tortures e supplices ; b) les prises d’otages ; c) les atteintes à la dignité
des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ; d) les condamnations prononcées et
les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti
des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés. 2) Les blessés et malades
seront recueillis et soignés. Un organisme humanitaire impartial, tel que le Comité international de la CroixRouge, pourra offrir ses services aux Parties au conflit. Les Parties au conflit s’efforceront, d’autre part, de
mettre en vigueur par voie d’Accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention.
L’application des dispositions qui précèdent n’aura pas d’effet sur le statut juridique des Parties au conflit. »
903. Voir par exemple CIJ, Détroit de Corfou, 9 avril 1949, p. 21.
904. AGNU, A/RES/61/30 (2006), État des protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949 relatifs à la protection des victimes des conflits armés.
905. Rapport de la France au Secrétaire général des Nations unies dans le cadre de la Résolution no 61/30 de
l’Assemblée générale des Nations unies, État des protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949
relatifs à la protection des victimes des conflits armés, 2008.
330
a été mis à jour en 2012 906 à la suite d’une demande de l’Assemblée générale des
Nations unies en 2010 907.
Protocole additionnel I relatif à la protection des victimes des
conflits armés internationaux
Le 30 janvier 2001, la France a adopté la loi no 2001-79 autorisant l’adhésion au
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I). Cent soixante-quatorze États ont ratifié ce Protocole au 30 juin 2014 ou y ont adhéré.
Ce Protocole complète et renforce les dispositions des Conventions de Genève, en
incluant notamment dans son champ d’application « les conflits armés dans lesquels les
peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les
régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes consacré
dans la Charte des Nations unies et dans la Déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations unies » (art. 1er, paragraphe 4), qualifiant dès lors ces
situations de « conflit armé international ». Le Protocole additionnel I édicte également
de nouvelles règles relatives à la conduite des hostilités qui relevaient jusqu’alors des
conventions dites de La Haye et du droit coutumier. Il rappelle aussi que le droit des
parties à un conflit de choisir des méthodes ou moyens de guerre n’est pas illimité et
que l’emploi d’armes, de projectiles, de matières ainsi que des méthodes de guerre de
nature à causer des maux superflus est interdit (art. 35) 908. Enfin, les garanties fondamentales de toutes les personnes se trouvant, lors d’un conflit armé, au pouvoir d’une
partie au conflit (art. 75) sont précisées et renforcées.
Protocole additionnel II relatif à la protection
des victimes des conflits armés non internationaux
Le 23 décembre 1983, la France a adopté la loi no 83-1130 autorisant l’adhésion au
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II). Cent soixantesept États ont ratifié ce Protocole au 30 juin 2014.
Les dispositions du Protocole II s’appliquent aux conflits armés non internationaux se
déroulant sur le territoire d’un État, « entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement
responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette
de mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer le présent
906. Rapport de la France au secrétaire général des Nations unies, État des protocoles additionnels aux
Conventions de Genève de 1949 relatifs à la protection des victimes des conflits armés, 2012
907. AGNU, A/RES/65/29 (2011), État des protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949 relatifs à la protection des victimes des conflits armés
908. Voir Les protocoles additionnels I et II aux Conventions de Genève de 1949, Fiche technique du CICR,
2007, disponible en ligne sur le site Internet du CICR (rubrique « Ressources »).
331

Instruments de droit international humanitaire – Conventions de Genève de 1949
Mise en œuvre du DIH et du DIP
Protocole », à l’exclusion explicite des « situations de tensions internes, de troubles
intérieurs, comme les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence et autres
actes analogues, qui ne sont pas considérés comme des conflits armés ». Le Protocole II
complète utilement les dispositions de l’article 3 commun aux quatre Conventions
de Genève. Il renforce les garanties fondamentales des personnes ne participant pas
ou plus aux hostilités (art. 4), établit les droits des personnes privées de liberté et les
garanties judiciaires de celles faisant l’objet de poursuites pénales en relation avec un
conflit armé (art. 5 et 6), et interdit les attaques dirigées contre la population civile et
les personnes civiles (art. 13), les biens indispensables à la survie de la population civile
(art. 14), les ouvrages et installations contenant des forces dangereuses (barrages,
digues, centrales nucléaires) (art. 15) et les biens culturels et lieux de culte (art. 16).
Il interdit également les déplacements forcés de la population civile à l’exception des
cas où la sécurité des personnes civiles ou des raisons militaires impératives l’exigent
(art. 17) et prévoit la protection des blessés, des malades et des naufragés (art. 7) 909.
2. La mise en œuvre des Conventions
de Genève et des deux protocoles
additionnels
Ces instruments n’ont pas fait l’objet d’une transposition globale dans la législation française.
Cependant, de nombreuses dispositions ont été intégrées dans le droit français et codifiées.
Ainsi, les grands principes applicables aux conflits armés internationaux et non internationaux sont, de manière générale, repris aux articles D. 4122-1 à D. 4122-11 du code de la
défense. À côté de l’énoncé de dispositions générales rappelant les devoirs et responsabilités
des chefs et subordonnés militaires (art. D. 4122-1 à D. 4122-6), y sont en particulier précisées les obligations incombant aux militaires français au regard du DIH : le militaire au combat est « soumis aux obligations issues du droit international applicable aux conflits armés,
notamment les lois et coutumes de la guerre ainsi que les quatre Conventions de Genève
[…] et leurs deux protocoles additionnels » (art. D. 4122-7) ; il « doit respecter et traiter avec
humanité toutes les personnes protégées par les conventions internationales applicables,
ainsi que leurs biens […] » et ne peut « prendre délibérément pour cible des personnes protégées (les prisonniers de guerre, les personnes civiles, les blessés, les malades, les naufragés, le personnel sanitaire et religieux. Sont aussi protégés le personnel et les biens utilisés
dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix conduite conformément à la Charte des Nations unies, pour autant qu’ils aient droit à la protection garantie
aux civils et aux biens de caractère civil au titre du droit des conflits armés) » (art. D. 41228). L’interdiction « de torturer ou d’infliger des traitements inhumains ou dégradants » et
l’obligation de respecter « le droit à un procès équitable des personnes suspectées de crimes
ou de délits » sont également rappelées (art. D. 4122-9). L’article D. 4122-11 du code de la
909. Ibid.
332
défense dispose en outre que « tout militaire doit être formé à la connaissance et au respect
des règles du droit international applicable dans les conflits armés ».
On notera de plus que, conformément à l’article 122 de la iiie Convention de Genève, et
conformément à un engagement pris lors de la xxxe Conférence humanitaire, la France
a créé un bureau national de renseignement, qui est chargé, en temps de conflit armé,
de communiquer via le CICR des informations relatives aux prisonniers de guerre 910. Ce
bureau a été activé le 18 mars 2011, premier jour de l’intervention française en Libye 911.
On pourra également se référer au Manuel de droit des conflits armés, édité en 2001 puis
réédité en 2012 par le ministère de la Défense 912. En outre, la répression des infractions
graves au DIH est globalement prévue par le code de justice militaire 913, et l’adoption
en 2010 de la loi d’adaptation du droit pénal français au Statut de Rome 914 a permis
de compléter, au moins en partie, la mise en conformité du droit interne au regard
de l’incrimination et de la répression des crimes de guerre (voir également infra, DIP).
Le Protocole I a été publié par le décret no 2001-565 du 25 juin 2001 et le Protocole II
par le décret no 84-727 du 17 juillet 1984. S’agissant du Protocole I, la France a assorti
son adhésion de dix-huit réserves et déclarations interprétatives limitant la portée du
Protocole, notamment sur les questions des armes nucléaires, de la protection de la
population civile et de la responsabilité des militaires français pour crimes de guerre 915.
Elle n’a pas non plus reconnu la compétence de la Commission d’établissement des faits
prévue à l’article 90 du Protocole, qui offre la possibilité pour celle-ci d’« enquêter sur
tout fait prétendu être une infraction grave » au sens des conventions et du Protocole,
ou « une autre violation grave » des conventions ou du Protocole, et de « faciliter, en
prêtant ses bons offices, le retour à l’observation des dispositions des conventions et
du Protocole ».
910. Voir la circulaire no 126/DEF/EMA/ESMG/JUROPS, relative au bureau national de renseignements sur les
prisonniers de guerre, 02/02/2010.
911. Rapport de la France au Secrétaire général des Nations unies, État des protocoles additionnels aux
Conventions de Genève de 1949 relatifs à la protection des victimes des conflits armés, 2012.
912. Ministère de la Défense, Manuel de droit des conflits armés, 2012.
913. L’article L. 122-3 du code de justice militaire prévoit que « sont de la compétence des juridictions des
forces armées les crimes et délits commis depuis l’ouverture des hostilités par les nationaux ennemis ou par
tous agents au service de l’administration ou des intérêts ennemis, sur le territoire de la République ou sur
un territoire soumis à l’autorité de la France ou dans toute zone d’opérations de guerre :
1° soit à l’encontre d’un national ou d’un protégé français, d’un militaire servant ou ayant servi sous le drapeau français, d’un apatride ou réfugié résidant sur un des territoires visés ci-dessus ;
2° soit au préjudice des biens de toutes les personnes physiques mentionnées ci-dessus et de toutes les personnes morales françaises, lorsque ces infractions, même accomplies à l’occasion ou sous le prétexte du temps
de guerre, ne sont pas justifiées par les lois et coutumes de la guerre. »
914. Loi no 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale
internationale.
915. Voir le Rapport, fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi, adopté par le
Sénat, autorisant l’adhésion au Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif
à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), annexe 1, Assemblée nationale,
no 2833, 20 décembre 2000.
333

Instruments de droit international humanitaire – Conventions de Genève de 1949
Mise en œuvre du DIH et du DIP
En 2001, la CNCDH, qui avait déjà publié un avis en 1998 priant le Gouvernement de
bien vouloir « prendre les initiatives nécessaires pour que soit ratifié dans les meilleurs
délais le Protocole I du 8 juin 1977 916 », s’était félicitée de l’adhésion de la France à
celui-ci mais avait déploré ces nombreuses réserves et déclarations interprétatives 917.
Ces réserves sont aujourd’hui toujours en vigueur. Nous renvoyons, infra, la partie
relative aux « Instruments de droit international pénal : mise en œuvre et suivi », pour
l’incorporation dans le droit interne des crimes de guerre.
Par ailleurs, dans un avis du 22 mai 2014 sur la protection des travailleurs humanitaires 918, la CNCDH a rappelé au Gouvernement toute l’importance d’effectuer la
déclaration prévue à l’article 90, conseil renouvelé après la saisie par la présidente de
la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits.
Le Protocole I met également à la charge des États parties une obligation de diffusion le
droit international humanitaire. Dans le rapport au secrétaire général des Nations unies
sur l’état des protocoles additionnels aux Conventions de Genève 919, le Gouvernement
détaille les différentes formations dispensées et les documents pédagogiques publiés.
Au sein du ministère de la Défense, le bureau du droit des conflits armés, chargé de
cette diffusion, a réalisé plusieurs documents pédagogiques, comme le manuel des
conflits armés ou un cédérom interactif sur le DIH. Il organise, en lien avec le CICR, des
formations à destination des conseillers juridiques du ministère de la Défense ayant
vocation à servir en opérations extérieures. De plus, dans chaque formation militaire initiale sont dispensés des cours de droit des conflits armés. Concernant la sensibilisation
du grand public, il met en avant l’action de la Croix-Rouge française et de la CNCDH.
3. Le Protocole additionnel III relatif
à l’adoption d’un signe distinctif
additionnel et sa mise en œuvre
La France a adopté le 21 avril 2009 la loi no 2009-432 920 autorisant la ratification
du Protocole III relatif à l’adoption d’un signe distinctif additionnel conformément à
l’engagement pris lors de la XXXe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du
Croissant-Rouge, le 29 novembre 2007, conjointement avec la Croix-Rouge française.
916. CNCDH, Avis sur la ratification par la France du Protocole additionnel aux Conventions de Genève,
8 janvier 1998.
917. CNCDH, Avis sur l’adhésion française au Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août
1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I), 6 juillet 2001.
918. CNCDH, Avis sur le respect et la protection des travailleurs humanitaires, 22/05/2014.
919. Rapport de la France au secrétaire général des Nations unies, État des protocoles additionnels aux
Conventions de Genève de 1949 relatifs à la protection des victimes des conflits armés, 2012.
920. Loi no 2009-432 du 21 avril 2009 autorisant la ratification du Protocole additionnel aux Conventions de
Genève du 12 août 1949 relatif à l’adoption d’un signe distinctif additionnel (Protocole III).
334
Elle s’était alors également engagée à « renforcer dans le droit français la protection des
emblèmes reconnus par les Conventions de Genève et leurs protocoles additionnels ».
Mise en œuvre
Dans un premier temps, le Gouvernement a fait valoir que l’article D. 4122-9 du code
de la défense qui dispose que « le militaire au combat respecte les signes distinctifs prévus par le droit international et leurs bénéficiaires. Il lui est donc interdit d’user indûment du drapeau blanc de parlementaire ou de signes distinctifs reconnus par le droit
international », et l’article 433-14, 2o, du code pénal qui incrimine le fait « d’user d’un
document justificatif d’une qualité professionnelle ou d’un insigne réglementés par
l’autorité publique » étaient suffisants pour mettre en œuvre le Protocole III.
À l’inverse, la CNCDH a, dans un avis de 2010, pointé les insuffisances de ces textes et
recommandé la refonte du dispositif 921. Le point de vue du Gouvernement a progressivement évolué, celui-ci finissant par admettre que ces dispositions ne permettaient
pas de répondre pleinement aux obligations résultant du Protocole additionnel III 922.
La loi no 2013-711 du 5 août 2013 portant diverses dispositions d’adaptation dans
le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France a permis de compléter l’article 433-14 du code
pénal, qui prohibe désormais d’« user de l’emblème ou de la dénomination de l’un
des signes distinctifs définis par les conventions signées à Genève le 12 août 1949 et
leurs protocoles additionnels ». Ces faits sont punis de six mois d’emprisonnement et
de 7 500 euros d’amende. Les recommandations formulées par la CNCDH dans son
avis de 2010 ont pour l’essentiel été retenues.
921. CNCDH, 15/04/2010, Avis sur la protection et l’utilisation des emblèmes de la Croix-Rouge, du CroissantRouge et du Cristal-Rouge.
922. « Cependant, les éléments constitutifs de l’article 433-14, paragraphe 2, du code pénal ne suffisent pas
à répondre pleinement aux obligations résultant du Protocole additionnel III. C’est pourquoi des adaptations
de la législation française sont actuellement en cours aux fins de mettre celle-ci en parfaite conformité avec les
obligations résultant du Protocole additionnel III », Rapport de la France au secrétaire général des Nations unies
dans le cadre de la Résolution no 61/30 de l’Assemblée générale des Nations unies, État des protocoles additionnels aux Conventions de Genève de 1949 relatifs à la protection des victimes des conflits armés, 2008, p. 2.
335

Instruments de droit international humanitaire – Conventions de Genève de 1949
Mise en œuvre du DIH et du DIP
Chapitre 2
Convention et protocoles
pour la protection des biens
culturels en cas de conflit armé
Élaborés sous l’égide de l’UNESCO et adoptés en 1954, la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et son Protocole I ont été ratifiés par
la France en 1957. Le Protocole II, adopté en 1999, n’a en revanche pas été signé, ni
a fortiori ratifié, par la France.
La Convention prévoit une série de mesures concrètes, y compris en temps de paix,
pour la sauvegarde des biens culturels et l’interdiction « de leur utilisation, de celle de
leurs dispositifs de protection et de leurs abords immédiats à des fins qui pourraient
exposer ces biens à une destruction ou à une détérioration en cas de conflit armé »
(art. 4). Ces dispositions visent le patrimoine culturel immobilier ou mobilier (y compris
les monuments d’architecture, d’art ou d’histoire, les sites archéologiques, les œuvres
d’art, les manuscrits, les livres et autres objets d’intérêt artistique, historique ou archéologique), ainsi que les collections scientifiques de toute nature, indépendamment de
l’origine, du propriétaire ou de la valeur monétaire. Le Protocole I traite des biens
meubles, interdit l’exportation des biens culturels d’un territoire occupé et prévoit, le
cas échéant, le retour des biens dans le territoire de l’État d’où ils ont été exportés. Il
prohibe également la retenue de ces biens culturels au titre de dommages de guerre.
Le Protocole II complète les dispositions de la Convention liées au respect des biens
culturels et à la conduite des hostilités avec la création d’une protection renforcée pour
les biens culturels particulièrement importants pour l’humanité. Il définit, en outre,
les sanctions à apporter pour les violations graves commises sur des biens culturels et
précis les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale individuelle est engagée.
En matière de suivi, une réunion des États parties à la Convention se tient périodiquement sous les auspices de l’UNESCO, afin de faire le point sur la mise en œuvre de la
Convention et de ses deux protocoles additionnels. La dixième réunion des États parties s’est tenue le 16 décembre 2013. La France faisait partie des États présents ou
représentés 923. Les États n’étant pas encore parties à la Convention et/ou à ses deux
protocoles ont été encouragés « à le devenir rapidement, et à adopter et mettre en
œuvre efficacement une législation nationale pertinente ».
Le Protocole II établit également un Comité pour la protection des biens culturels en
cas de conflit armé. Composé de douze États parties, il est compétent pour assurer le
suivi du Protocole II, par un examen de rapports nationaux portant également sur la
923. Rapport final sur la dixième réunion des hautes parties contractantes à la Convention de La Haye de 1954
pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, siège de l’UNESCO, Paris, salle XI, 16/12/2013,
CLT-13/10.HCP/CONF.201/Rapport.
336
Convention et le Protocole I et pour gérer le système de protection renforcée prévu par
le Protocole II. Il a tenu sa huitième session les 18 et 19 décembre 2013.
Mise en œuvre
La France, par sa loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques intégrée au
code du patrimoine par l’ordonnance du 20 février 2004 924, s’est dotée de règles qui
permettent d’identifier les biens devant être protégés en raison de leur intérêt historique, artistique ou archéologique, indépendamment d’un contexte de conflit armé.
Deux modes de protection sont prévus : le classement au titre des monuments historiques (biens imprescriptibles et frappés d’une interdiction d’exportation) et l’inscription
à l’inventaire supplémentaire (mécanisme préventif qui fait naître une obligation d’information à la charge du propriétaire lorsqu’il envisage par exemple de transformer le
bien). Un arrêté en date du 13 mai 1958 institue au ministère de l’Éducation nationale
une Commission d’application de la Convention internationale pour la protection des
biens culturels en cas de conflit armé.
Dans le rapport précité transmis au SGNU en 2008, remis à jour en 2012, le Gouvernement
avait dit réfléchir « à l’établissement d’un inventaire particulier pour l’application de la
Convention, l’inventaire actuel semblant trop large 925 », précisant que la France n’avait
jusqu’alors « inscrit aucun site au registre international des biens culturels sous protection
spéciale tenu par l’UNESCO et prévu par la Convention 926 ». Il était par ailleurs précisé
que « la France n’utilise pas, à ce jour, les signes distinctifs proposés par la Convention
pour protéger les biens culturels ». Le même rapport faisait état, en matière de diffusion
des dispositions de la Convention, de la mise au point par le ministère de la Défense
d’« outils pédagogiques concernant la protection des biens culturels par les militaires à
l’occasion des opérations extérieures ». Au 30 juin 2014, ces éléments restent valables.
S’agissant des sanctions prévues en droit interne, le code du patrimoine prévoit des
incriminations spécifique concernant l’exportation, la destruction, la dégradation ou la
détérioration d’un bien culturel (art. L. 114-1 et L. 114-2). Les articles 322-1 et 322-2
du code pénal disposent quant à eux que la destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui « est punie de trois ans d’emprisonnement
et de 45 000 euros d’amende lorsque le bien […] est […] un immeuble ou un objet
mobilier classé ou inscrit ».
S’agissant plus particulièrement du Protocole I à la Convention de 1954, le rapport
transmis au SGNU indiquait que « la France se conforme en particulier au règlement
communautaire no 116/2009 du 12 décembre 2008, qui harmonise pour tous les États
membres les règles de surveillance à l’exportation des biens culturels vers les pays
924. Ordonnance no 2004-178 du 20 février 2004, article L. 621-1 et suivants du code du patrimoine.
925. Rapport de la France au secrétaire général des Nations unies dans le cadre de la Résolution no 65/29 de
l’Assemblée générale des Nations unies, 2012, p. 7.
926. Ibid., p. 6, article 12 du règlement d’exécution de la Convention.
337

Instruments de droit international humanitaire – protection des biens culturels en cas de conflit armé
Mise en œuvre du DIH et du DIP
tiers. L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC), dépendant du
ministère de l’Intérieur et agissant comme autorité centrale, est chargé de mettre en
œuvre les procédures de revendication et de restitution ainsi que des mesures conservatoires s’appliquant aux trésors nationaux ayant quitté illicitement le territoire d’un
État membre vers le territoire d’un autre État membre. L’obligation de restitution prévue par la Convention de 1954 est mise en œuvre au moyen d’une action en revendication de pleine propriété devant les juridictions françaises ».
En outre, la loi no 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la CPI qualifie le crime ou délit de guerre : « Le fait de lancer des attaques
délibérées contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la
science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux
où des malades ou des blessés sont rassemblés, pour autant que ces bâtiments ne
soient pas alors utilisés à des fins militaires, est puni de vingt ans de réclusion criminelle » (art. 461-13 CP).
338
Instruments de droit international humanitaire – Règles relatives aux moyens et méthodes de combat

Chapitre 3
Règles relatives aux moyens
et méthodes de combat
Cette section du rapport fait le point sur les principaux instruments relatifs aux moyens
et méthodes de combat auxquels la France est partie, leur mode de suivi et leur mise
en œuvre par la France. Elle rappelle, le cas échéant, les recommandations et observations de la CNCDH.
1. Convention sur l’interdiction
de la mise au point, de la fabrication
et du stockage des armes
bactériologiques (biologiques)
ou à toxines et sur leur destruction
La France a adhéré en 1984 927 à la Convention sur l’interdiction de la mise au point,
de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines
et sur leur destruction qui fut ouverte à signature en 1972. L’objectif de la Convention,
défini dans le Préambule, est d’« exclure totalement la possibilité de voir des agents
bactériologiques (biologiques) ou des toxines être utilisés en tant qu’armes ». Elle prévoit l’obligation fondamentale pour les États parties de « ne jamais, et en aucune circonstance, mettre au point, fabriquer, stocker, ni acquérir ou conserver des agents
microbiologiques ou biologiques et des toxines, […] et des armes, de l’équipement ou
des vecteurs destinés à l’emploi de tels agents à des fins hostiles ou dans des conflits
armés » (art. 1er). Cependant, elle n’en interdit pas l’utilisation. Le Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de
moyens bactériologiques de 1925 ratifié par la France le 10 mai 1926 928 prévoit, lui,
cette interdiction. La France a levé en 1997 les réserves relatives à la possibilité d’employer ces armes en représailles, apposées lors de la ratification du Protocole 929. Cette
décision visait à renforcer la norme d’interdiction totale d’emploi.
927. Loi no 84-547 du 4 juillet 1984 autorisant l’adhésion de la France à la Convention du 10 avril 1972.
928. Voir également le décret du 22 août 1928 portant promulgation du Protocole concernant la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques, en date
à Genève du 17 juin 1925.
929. Décret no 97-760 du 11 juillet 1997 portant publication de la levée des réserves françaises.
339
Mise en œuvre du DIH et du DIP
En matière de suivi, la Convention prévoit qu’en cas de violation de ses dispositions
chaque État partie est habilité à saisir le CSNU et doit coopérer à toute enquête que
celui-ci déciderait d’entreprendre (art. 6). Cette procédure n’a jusqu’à présent jamais
été mise en œuvre.
Parallèlement à la Conférence annuelle des États parties, une Conférence d’examen
de la Convention se tient tous les cinq ans, chaque État étant invité à cette occasion
à fournir des informations relatives au respect de la Convention. Ces derniers doivent
également transmettre au Département des affaires de désarmement des Nations unies
un rapport annuel faisant état de la mise en œuvre nationale de la Convention. Le
suivi de la mise en œuvre prend appui sur ces réunions annuelles, sur la coopération
avec le Département des affaires de désarmement des Nations unies à Genève et sur le
mécanisme d’investigation en cas d’usage allégué d’armes chimiques ou biologiques.
L’amélioration de la surveillance de la mise en œuvre de la Convention est actuellement en débat. Deux solutions existent. La troisième Conférence d’examen de la
Convention, en septembre 1991, a créé de manière ad hoc un groupe d’experts scientifiques et gouvernementaux (VEREX) pour examiner, d’un point de vue technique,
l’adoption d’éventuelles mesures de vérification, permettant de s’assurer que les États
parties respectent les dispositions de l’Accord. À la suite d’un rapport publié en 1994,
le groupe a été mandaté pour établir un projet de Protocole obligatoire en matière de
vérification pour renforcer la Convention 930. Celui-ci n’a pas été adopté, mais certains
continuent de soutenir la mise en place d’un Protocole disposant d’un régime de vérification effectif et pratique. Lors d’une réunion du groupe d’experts qui s’est déroulé
du 16 au 20 décembre 2012, la mise en œuvre de la Convention au niveau national
a de nouveau été examinée.
Lors de la septième Conférence d’examen de la Convention, qui s’est déroulée du 5
au 22 décembre 2011, la France est intervenue pour défendre la mise en place d’un
système de revue par les pairs (Peer Review) 931, qui serait le premier dans le cadre de
la maîtrise de l’armement et de la non-prolifération. Dans un premier temps, la France
a soumis un document de travail pour ouvrir le débat à ce sujet 932. Dans un second
temps, elle a organisé à Paris, du 4 au 6 décembre 2013, un exercice pilote de revue
par les pairs, auquel elle a participé. La CNCDH n’y a pas été associée, malgré plusieurs
demandes en ce sens. À la suite de cet exercice, la France a proposé un non-papier
(document non officiel) qui en établit le bilan 933.
930. Rapport final de la Conférence des États parties à la Convention sur l’interdiction de la mise au point,
de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques) ou à toxines et sur leur destruction, 1994, p.12.
931. Intervention d’Éric Danon, ambassadeur, Représentant permanent de la France à la Conférence du
désarmement, 08/12/2011.
932. BWC/CONF/VII/WP.38
933. France, Non-papier sur l’exercice pilote de revue par les pairs, Paris, 4 – 6/12/ 2013.
340
Instruments de droit international humanitaire – Règles relatives aux moyens et méthodes de combat

Mise en œuvre
Ainsi que souligné lors de la réunion d’experts à la Convention sur l’interdiction de la
mise au point, de la fabrication et du stockage des armes bactériologiques (biologiques)
ou à toxines et sur leur destruction de 2012 934, la mise en œuvre de la Convention
découle, en premier lieu, de la publication de la Convention par le décret no 84-1014
du 16 novembre 1984. Dès 1972, une législation interne avait été adoptée sur les armes
biologiques (art. L. 2341-1 à L. 2341-7 du code de la défense). L’article L. 2341-1 du
code de la défense interdit « la mise au point, la fabrication, la détention, le stockage,
l’acquisition et la cession des agents microbiologiques, des autres agents biologiques
et des toxines biologiques, quels qu’en soient l’origine et le mode de production et
en quantité non destinés à des fins prophylactiques, de protection ou à d’autres fins
pacifiques ». L’article 322-6-1 du code pénal (inséré par la loi no 2004-204 du 9 mars
2004) punit « le fait de diffuser par tout moyen, sauf à destination des professionnels,
des procédés permettant la fabrication d’engins de destruction élaborés à partir de
poudre ou de substances explosives, de matières nucléaires, biologiques ou chimiques
[…] d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Les peines sont portées
à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende lorsqu’a été utilisé, pour la
diffusion des procédés, un réseau de télécommunications à destination d’un public non
déterminé 935. De plus, le code pénal, en son article 421-1o, 4o et 5o, qualifie certaines
de ces infractions d’actes de terrorisme sous réserve que d’autres conditions soient
remplies. Doivent également être cités un décret de 2010 relatif au contrôle des transferts des agents biologiques sur le territoire national et le règlement (CE) no 428/2009
du Conseil du 5 mai 2009 instituant un régime communautaire de contrôle des exportations, des transferts, du courtage et du transit de biens à double usage.
On notera enfin l’existence d’une action conjointe de l’UE décidée en 2008, dont la
conduite des activités développées en appui de l’universalisation de l’instrument (qui
compte aujourd’hui 164 États parties) et en faveur de sa mise en œuvre au niveau
national a été confiée au Bureau des affaires du désarmement des Nations unies, pour
la période de mai 2009 à décembre 2011 936.
Lors de l’exercice pilote de revue par les pairs, le Gouvernement a présenté le système
national de biosécurité et de sûreté biologique, et notamment le système d’autorisation
et de contrôle pour la manipulation d’agents pathogènes dangereux 937. Les experts
934. Intervention de Mme Minh-di Tang, Représentante permanente adjointe de la France auprès de la
Conférence du désarmement à Genève, Genève, 18/07/2012.
935. Questionnaire de suivi de la XXVIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge
avec réponse du Gouvernement français, mai 2007, p. 9-10.
936. Council Joint Action 2008/858/CFSP in Support of the Biological and Toxin Weapons Convention, in
the Framework of the Implementation of the EU Strategy Against the Proliferation of Weapons of Mass
Destruction. Les éléments relatifs aux projets soutenus sont disponibles sur le site Internet de l’Office des
Nations unies à Genève (rubrique « Désarmement/Convention sur les armes bactériologiques (biologiques)
et toxiques/EU BWCJoint Action »).
937. Voir l’arrêté du 22/09/2001 relatif à la mise en œuvre, l’importation, l’exportation, la détention, la cession à titre gratuit ou onéreux, l’acquisition et le transport de certains agents responsables de maladies infectieuses, micro-organismes pathogènes et toxines, SANP0123410A.
341
Mise en œuvre du DIH et du DIP
ont jugé le système français approprié, celui-ci contribuant efficacement à la mise en
œuvre de la Convention. Ils ont formulé quelques recommandations et notamment la
prise en compte des antécédents judiciaires de la personne dans le processus de certification autorisant les individus à manipuler les agents pathogènes dangereux ; la mise
en œuvre d’une norme commune en matière de biosécurité pour mieux encadrer la
pratique des laboratoires pharmaceutiques ; la mise en place d’une liste d’agents pathogènes animaux pour compléter la liste d’agents pathogènes humains.
Le Gouvernement a également présenté le système de contrôle des exportations, qui
traite essentiellement des procédures de certification pour les matériaux biologiques à
double usage et le matériel connexe. Les experts ont considéré que ce système répond
aux exigences de la Convention. Les participants ont recommandé de mettre en œuvre
soit en cas de doute, soit de manière aléatoire, une vérification de l’utilisateur final, et
de s’assurer que la communication en direction des milieux universitaires et de l’industrie est suffisante. Enfin, la plupart des experts ont émis des avis très positifs sur l’enseignement et la formation en matière de biosûreté. Ils ont également formulé quelques
suggestions d’amélioration.
2. Convention sur l’interdiction ou
la limitation de l’emploi de certaines
armes classiques qui peuvent être
considérées comme produisant
des effets traumatiques excessifs ou
comme frappant sans discrimination
et protocoles I, II, III, IV et V
La Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques
qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou
comme frappant sans discrimination, adoptée en 1980 et dont le champ d’application
a été modifié en 2001 afin d’étendre les provisions de la Convention et de l’ensemble
de ses protocoles à tous les conflits armés, qu’ils soient internationaux ou pas 938, a été
938. Convention de 1980 sur certaines armes classiques, Fiche technique, CICR, 2004, disponible sur le site
Internet du CICR (rubrique « Ressources »).
342
ratifiée par la France en 1987 939. Elle fixe un cadre de dispositions générales, désormais
complété par cinq protocoles régissant l’emploi de catégories d’armes, tous ratifiés par
la France. Ces protocoles sont relatifs aux éclats non localisables (Protocole I, 1980) 940,
aux mines, pièges et autres dispositifs (Protocole II, 1980, modifié en 1996) 941, aux
armes incendiaires (Protocole III, 1980) 942, aux armes à laser aveuglantes (Protocole IV,
1995) 943 et aux restes explosifs de guerre (Protocole V, 2003) 944.
Des discussions sont en cours dans le cadre d’un groupe d’experts gouvernementaux auquel participe la France, quant à l’adoption d’un Protocole relatif aux armes à
sous-munitions dans le cadre de la Convention 945, qu’il ne faut pas confondre avec la
Convention sur les armes à sous-munitions du 30 mai 2008. Le CICR s’est montré très
réservé à l’égard de ce Protocole 946 que la France soutient.
Une Conférence d’examen de la Convention se tient tous les cinq ans. Conformément
aux décisions respectives de la troisième Conférence d’examen de 2006 et de la Réunion
des Hautes Parties contractantes de 2007, sur la mise en œuvre d’un mécanisme de
contrôle du respect de la Convention et de ses protocoles, les Hautes Parties contractantes se sont engagées à fournir des rapports nationaux annuels sur la diffusion des
informations relatives à la Convention et à ses protocoles additionnels à leurs forces
armées et à la population civile ; les progrès accomplis pour se conformer aux exigences
techniques de la Convention et de ses protocoles additionnels et toute autre information
pertinente sur ce sujet ; la législation liée à la Convention et à ses protocoles additionnels ;
les mesures prises en matière de coopération et d’assistance techniques ; ainsi que toute
autre question importante. La quatrième Conférence d’examen s’est déroulée du 14 au
25 novembre 2011. À ces Conférences s’ajoutent les réunions annuelles des États parties et les réunions régulières des experts gouvernementaux afin de veiller au respect et
939. Loi no 87-1134 du 31 décembre 1987 autorisant la ratification d’une Convention sur l’interdiction ou la
limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets
traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination (ensemble les protocoles I et II). La Convention
ainsi que les protocoles I et II ont été publiés par le décret no 88-1021 du 2 novembre 1988. Voir également le
décret no 2005-714 portant publication de l’amendement à la Convention sur l’interdiction ou la limitation de
l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques
excessifs ou comme frappant sans discrimination du 10 octobre 1980, adopté à Genève le 21 décembre 2001.
940. Décret no 88-1021 du 2 novembre 1988.
941. Ibid.
942. Décret no 2002-1364 du 14 novembre 2002 portant publication du Protocole sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des armes incendiaires (Protocole III), adopté à Genève le 10 octobre 1980.
943. Décret no 2002-123 du 25 janvier 2002 portant publication du Protocole additionnel à la Convention sur
l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme
produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination, adopté à Vienne le
13 octobre 1995.
944. Décret du 2 juillet 2008 portant publication du Protocole additionnel relatif aux restes explosifs de guerre
à la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être
considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination
(ensemble une annexe), adopté à Genève le 28 novembre 2003.
945. Voir notamment Intervention de l’ambassadeur français Éric Danon lors de la 3e session de la réunion
du groupe d’experts gouvernementaux à la CCAC, 22 août 2011.
946. Déclaration de Jakob Kellenberger, Président du CICR, Quatrième Conférence d’examen des États parties à la Convention sur certaines armes classique, 14-25/11/2011.
343

Instruments de droit international humanitaire – Règles relatives aux moyens et méthodes de combat
Mise en œuvre du DIH et du DIP
à l’application de la Convention et de ses protocoles et de promouvoir l’universalité de
la Convention. La France préside la réunion des États parties pour 2013-2014 947. Elle a,
dans ce cadre, joué un rôle décisif dans le lancement de travaux sur les « robots létaux »
(armes autonomes), et dans l’organisation de la réunion informelle d’experts sur les systèmes d’armes létaux autonomes qui s’est tenue à Genève du 13 au 16 mai 2014 948.
Mise en œuvre
La France a remis en 2012, 2013 et 2014 des rapports sur la mise en œuvre de la
Convention 949, les derniers se contentant de mises à jour. Ces rapports mentionnent
notamment le fait que « la procédure de conduite des programmes d’armement comporte des jalons permettant de vérifier la conformité des systèmes développés par rapport aux dispositions, limitations ou interdictions prévues par la Convention de Genève
de 1980 sur certaines armes classiques et ses protocoles ».
En matière de diffusion d’information aux forces armées et à la population civile, référence est faite à l’instruction sur le droit des conflits armés dans les écoles militaires de
formation des cadres incluant la mise en œuvre de la Convention de Genève de 1980
sur certaines armes classiques. Selon le rapport, « des stages de formation au droit
international humanitaire sont dispensés aux officiers déployés comme conseillers
juridiques des commandements d’opération », stages qui incluent un enseignement
spécifique consacré à la Convention. Une procédure interarmées, élaborée en 2011 et
amendée en 2012 950, décrit les principes et l’organisation générale pour l’application
par les armées du Protocole V relatif aux restes explosifs de guerre. La France précise
également avoir coopéré avec la Slovaquie et la Bosnie en 2013.
Dans le cadre du questionnaire de suivi de la xxviiie Conférence internationale de la
Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, le Gouvernement avait rappelé qu’il « contribu [ait]
aux travaux menés sur ce thème par les experts gouvernementaux de la Convention
de Genève de 1980 sur certaines armes classiques 951 ». Il avait également déclaré que,
« à l’instar de son action à l’issue du récent conflit survenu au Liban, la France entend
poursuivre son action internationale dans les domaines de l’enlèvement des débris de
guerre explosifs, de la sensibilisation aux risques qu’ils représentent et de l’aide aux
victimes dans le cadre de la mise en œuvre du Protocole V. Elle continue de promouvoir l’universalisation de ce nouvel instrument du DIH ». La France a remis des rapports
nationaux sur son suivi du Protocole V chaque année depuis 2008 952.
947. Voir le site de la mission permanente de la France auprès de la Conférence du désarmement à Genève.
948. Ibid.
949. Ces rapports sont disponibles en ligne sur le site Internet de l’Office des Nations unies à Genève (rubrique
« Désarmement/Convention sur certaines armes classiques/Contrôle du respect/Base de données des rapports
nationaux présentés en application de la décision sur le respect »).
950. Restes explosifs de guerre, Publication interarmées, 13, PIA-7.7.7_REG(2011).
951. Questionnaire de suivi de la XXVIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge
avec réponse du Gouvernement français, mai 2007, p. 7.
952. Ces rapports sont disponibles sur le site Internet de Bibliomines, base francophone de connaissances de
l’action contre les mines (rubrique « Traité et droit international ») et sur le site des Nations unies à Genève.
344
3. Convention sur l’interdiction
de la mise au point, de la fabrication,
du stockage et de l’emploi des armes
chimiques et sur leur destruction
La Convention sur l’interdiction des armes chimiques et sur leur destruction, ouverte
à signature en 1993, a été ratifiée par la France en 1994 953 et est entrée en vigueur
le 29 avril 1997. Cent quatre-vingt-dix États sont parties à cette Convention. Tout État
partie à la Convention s’engage « à ne jamais, en aucune circonstance : a) mettre au
point, fabriquer, acquérir d’une autre manière, stocker ou conserver d’armes chimiques,
ou transférer, directement ou indirectement, d’armes chimiques à qui que ce soit ; b)
employer d’armes chimiques ; c) entreprendre de préparatifs militaires quels qu’ils soient
en vue d’un emploi d’armes chimiques ; d) aider, encourager ou inciter quiconque, de
quelque manière que ce soit, à entreprendre quelque activité que ce soit qui est interdite à un État partie en vertu de la présente Convention » (art. 1er, paragraphe 1) 954.
La France a levé en 1997 les réserves relatives à la possibilité d’emploi de ces armes en
représailles, qu’elle avait apposées lors de la ratification du Protocole concernant la
prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens
bactériologiques de 1925, le 10 mai 1926.
Les États parties sont tenus au respect de la Convention par un système contraignant de
vérification de leurs obligations conventionnelles en matière de destruction sous l’égide
de l’OIAC, lauréat du prix Nobel 2013. Ils doivent notamment produire des déclarations,
initiales puis annuelles, relatives à leur production chimique industrielle et peuvent être
amenés à recevoir régulièrement des missions internationales d’inspection. Cent pour
cent des installations de fabrication d’armes chimiques qui ont été déclarées par les
États parties ont été mises hors service. Toutes sont soumises à un régime de vérification rigoureux. Sur les 70 installations de fabrication d’armes chimiques déclarées à
l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC), 43 ont été détruites et
21 converties à des fins pacifiques. La France relève des États parties qui ont déclaré
des installations de fabrication d’armes chimiques 955. Elle a déjà accueilli sur son territoire plus d’une cinquantaine de missions d’inspection de l’OIAC.
La 18e session de la Conférence annuelle des États parties s’est tenue du 2 au 5 décembre
2013. La France est membre de l’OIAC pour un mandat allant de 2013 à 2014. Par
ailleurs, une Conférence chargée de l’examen de l’application de la Convention a lieu
953. Loi no 94-1098 du 19 décembre 1994 autorisant la ratification de la Convention sur l’interdiction de
la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction.
954. Voir Convention de 1993 sur l’interdiction des armes chimiques et sur leur destruction, fiche technique,
CICR, disponible sur le site Internet du CICR (rubrique « Ressources »).
955. Voir le site Internet de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) (rubrique « Publications/
Faits et chiffres »).
345

Instruments de droit international humanitaire – Règles relatives aux moyens et méthodes de combat
Mise en œuvre du DIH et du DIP
tous les cinq ans. Les deux premières Conférences ont eu lieu en 2003 et 2008. La
troisième Conférence s’est déroulée du 18 au 19 avril 2013 à La Haye.
Mise en œuvre
Le 17 juin 1998, la France a adopté une loi relative à l’application de la Convention du
13 janvier 1993 sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et
de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction 956. Cette loi a été consolidée
le 21 décembre 2004 957 et beaucoup de ses dispositions ont été codifiées au sein du
code de la défense (art. L. 2342-1 à L. 2342-84 et D. 2342-1 à D. 2342-121).
Aux termes de l’article L. 2342-3 du code de la défense, « sont interdits l’emploi
d’armes chimiques, leur mise au point, leur fabrication, leur stockage, leur détention,
leur conservation, leur acquisition, leur cession, leur importation, leur exportation, leur
transit, leur commerce et leur courtage. […] Les services de l’État sont toutefois autorisés, dans des conditions prévues par décret, à détenir, stocker ou conserver des armes
chimiques en vue de leur destruction ». La loi no 2011-266 du 14 mars 2011 relative
à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs
a modifié cet article pour interdire également « de procurer un financement en fournissant, réunissant ou gérant des fonds, des valeurs ou des biens quelconques ou en
donnant des conseils à cette fin, dans l’intention de voir ces fonds, valeurs ou biens
utilisés ou en sachant qu’ils sont destinés à être utilisés, en tout ou partie, en vue d’entreprendre une activité interdite par le présent chapitre, indépendamment de la réalisation effective d’une telle activité ». Le même code « punit de la réclusion criminelle à
perpétuité et de 7 500 000 euros d’amende » le fait d’employer « une arme chimique »
(art. L. 2342-57), de « fabriquer des armes chimiques, des munitions chimiques non
remplies et du matériel destiné à l’emploi d’armes chimiques » (art. L. 2342-58) et « le
fait de diriger ou d’organiser un groupement ayant pour objet l’emploi, la mise au
point, la fabrication, le stockage, la détention, la conservation, l’acquisition, la cession, l’importation, l’exportation, le transit, le commerce ou le courtage d’une arme
chimique » (art. L. 2342-59).
956. Loi no 98-467 du 17 juin 1998 relative à l’application de la Convention du 13 janvier 1993 sur l’interdiction
de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction.
957. Ordonnance no 2004-1374 du 20 décembre 2004, article 5, V, JORF du 21 décembre 2004.
346
Instruments de droit international humanitaire – Règles relatives aux moyens et méthodes de combat

4. Convention sur l’interdiction
de l’emploi, du stockage, de la
production et du transfert des mines
antipersonnel et sur leur destruction
Le 1er juillet 1998, la France a adopté la loi de ratification 958 de la Convention sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction, dite Convention d’Ottawa, adoptée en 1997. Elle a ensuite
déposé son instrument de ratification auprès du SGNU le 23 juillet 1998, devenant
ainsi le premier des cinq États membres permanents du CSNU à ratifier la Convention.
Une conférence d’examen des États parties à la Convention se tient tous les cinq ans.
La première a eu lieu en 2004, la deuxième du 30 novembre au 4 décembre 2009 en
Colombie 959. La troisième conférence s’est déroulée du 23 au 27 juin 2014 à Maputo
(Mozambique). Est inscrit à l’ordre du jour l’examen du Plan d’action de Maputo 960
pour la période 2014-2019. Il succéderait au plan d’action de la deuxième conférence
d’examen de Carthagène pour la période 2010-2014, dans lequel soixante-cinq actions
portant sur des domaines d’intervention similaires étaient identifiées. Dans le Plan d’action de Nairobi, qui portait sur la période 2005-2009, les États parties s’engageaient à
mettre en œuvre des mesures spécifiques visant à l’universalisation de la Convention ;
à la destruction des stocks de mines antipersonnel ; au nettoyage des zones minées ; à
l’assistance aux victimes ; à la coopération et l’assistance technique ; à la transparence
et au développement des échanges d’information ; à la prévention et la répression des
activités ; et, enfin, à l’appui à la mise en œuvre de la Convention.
Chaque État doit soumettre au SGNU un rapport annuel sur les mesures prises pour
honorer les engagements découlant du Traité (art. 7). Doivent notamment y figurer
des informations concernant le nombre total et les types de mines antipersonnel que
le pays a stockées ; l’état des programmes de destruction des mines ; le nombre total
et les types de mines antipersonnel conservées à des fins de formation ; la localisation
de toutes les zones minées sous sa juridiction ou son contrôle ; ou encore les mesures
prises pour alerter la population civile et celles prises à l’échelon national (telles que
l’adoption d’une législation ou de dispositions réglementaires) pour prévenir et réprimer les violations du Traité 961.
958. Loi no 98-564 du 8 juillet 1998 tendant à l’élimination des mines antipersonnel.
959. Information publiée sur le site Internet de l’International Campaign to Ban Landmines (ICBL) (rubrique
« Calendar »).
960. Maputo + 15: Draft Declaration of the States Parties to the Convention on the Prohibition of the Use,
Stockpiling, Production and Transfer of Anti-Personnel Mines and on Their Destruction, 22/05/2014.
961. CICR, Interdiction des mines antipersonnel : le Traité d’Ottawa expliqué aux non-spécialistes, Publication
CICR, 1998, disponible sur le site Internet Bibliomines.
347
Mise en œuvre du DIH et du DIP
Mise en œuvre
La loi du 8 juillet 1998 962, codifiée aux articles L. 2343-1 et s. du code de la défense,
consacre le principe d’interdiction de « la mise au point, la fabrication, la production,
l’acquisition, le stockage, la conservation, l’offre, la cession, l’importation, l’exportation,
le transfert et l’emploi de mines antipersonnel » et précise les modalités d’application en
droit interne des dispositions de la Convention d’Ottawa. Elle dote notamment l’administration des pouvoirs nécessaires à une répression de toute forme d’infraction, avec un
décret de 1999 963 codifié aux articles R. 2343-7 et s. du code de la défense qui confirme
l’habilitation individuelle pour différents agents du ministère de la Défense pour les constater. Elle prévoit également les modalités d’accueil et d’accompagnement en France des
missions internationales de contrôle. Un second décret de 1999 964, en lien avec l’article 9
de la loi du 8 juillet 1998, codifié aux articles R. 2343-1 et suivants, a permis la mise en
place de la Commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel (CNEMA).
Il précise les modalités de désignation de ses membres ainsi que son organisation et son
fonctionnement. La Commission est notamment chargée de publier chaque année un
rapport sur l’application de la loi. Il convient par ailleurs de mentionner la mise en place
en 2007 du Comité de liaison de l’action contre les mines (CLAM) qui réunit les différents acteurs français de l’action contre les mines (administrations, ONG, entreprises).
Après avoir achevé la destruction de ses stocks fin 1999 (plus de 1,5 million d’unités)
et la dépollution des zones sous sa juridiction en 2008 (en particulier l’enclave de la
Doudah, à Djibouti), la France se concentre aujourd’hui sur ses obligations au titre de
l’article VI de la Convention relatif à la coopération et l’assistance internationales. Le dernier rapport national, transmis le 30 avril 2014, met en valeur les actions de formation,
de mise à disposition d’experts, de sensibilisation et d’échange d’information mises en
place par la France. L’ensemble de ces coopérations représente un engagement total de
1 668 050 euros pour l’année 2013.
En matière diplomatique, un ambassadeur est spécialement chargé depuis 1999 de la
coordination de l’action internationale de la France pour promouvoir la lutte contre les
mines et autres restes explosifs de guerre et le soutien aux victimes de ces armes. Son
champ de compétence a été étendu aux armes à sous-munitions et à l’ensemble des
restes explosifs de guerre par lettre de mission du ministre des Affaires étrangères et
européennes du 14 décembre 2009. Il est par ailleurs secrétaire général de la CNEMA.
Le questionnaire du CICR renseigné par la France en 2007, précité, mentionnait que,
« en plus de sa contribution à l’action européenne, la France participe financièrement
à un Fonds d’aide au développement géré par la Commission européenne destiné
notamment à l’action de lutte contre les mines antipersonnel. Elle soutient également
financièrement plusieurs ONG agissant directement dans ce domaine 965 ».
962. Loi no 98-564 du 8 juillet 1998 tendant à l’élimination des mines insérée au code de la défense, partie 2, livre III, titre IV, chapitre 3.
963. Décret no 99-357 du 10 mai 1999.
964. Décret no 99-358 du 10 mai 1999.
965. Questionnaire de suivi de la XXVIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge
avec réponse du Gouvernement français, mai 2007, p. 6.
348
Instruments de droit international humanitaire – Règles relatives aux moyens et méthodes de combat

5. Convention sur les armes
à sous-munitions
La France a ratifié la Convention sur les armes à sous-munitions le 25 septembre 2009.
La Convention, entrée en vigueur le 1er août 2010, indique que, en devenant parties,
les États s’engagent « à ne jamais, en aucune circonstance : (a) employer d’armes à
sous-munitions ; (b) mettre au point, produire, acquérir de quelque autre manière, stocker, conserver ou transférer à quiconque, directement ou indirectement, des armes à
sous-munitions ; (c) assister, encourager ou inciter quiconque à s’engager dans toute
activité interdite à un État partie en vertu de la présente Convention » (art. 1er, paragraphe 1). La Convention comporte des dispositions qui engagent les États parties à
dépolluer les régions affectées et à détruire leurs stocks, ainsi qu’à réprimer pénalement
toute violation à la Convention commise sur leur territoire, sous leur juridiction ou leur
contrôle. Une assistance aux victimes d’armes à sous-munitions « prenant en considération l’âge et les sexospécificités, des soins médicaux, une réadaptation, un soutien
psychologique et une insertion sociale et économique » (art. 5) est également prévue.
La France avait participé à la Conférence d’Oslo de février 2007, lancée pour négocier
un nouveau Traité international sur les armes à sous-munitions, et signé, conjointement
avec quarante-six autres États, la Déclaration d’Oslo, dans laquelle elle s’engageait à
« interdire ou limiter les armes à sous-munitions qui ont des conséquences inacceptables pour les populations civiles 966 ». Cette déclaration allait dans le sens d’un avis
de la CNCDH de 2006 967, qui recommandait au Gouvernement français, au niveau
national, d’interdire l’utilisation, la production, le stockage et le transfert de ce type
d’armes dès lors que les problèmes humanitaires qu’elles posent ne sont pas résolus
et, au niveau international, d’agir en faveur d’un instrument juridique contraignant,
spécifique aux armes à sous-munitions.
En matière de suivi, la Convention prévoit la remise d’un rapport par chaque État partie
au SGNU faisant le point sur les mesures nationales de mise en œuvre, la présence et
la nature des armes à sous-munitions. Ces rapports sont mis à jour annuellement par
l’État partie et accessibles à l’ensemble des États parties. L’Assemblée des États parties
se réunit annuellement afin d’examiner « toute question concernant l’application ou
la mise en œuvre de la présente Convention » (art. 11). Une Conférence d’examen est
également prévue, cinq ans après l’entrée vigueur de la Convention.
La première Assemblée des États parties à la Convention qui s’est tenue à Vientiane
(Laos) du 9 au 12 novembre 2010 a donné lieu à l’adoption d’une déclaration intitulée
Un monde sans armes à sous-munitions : passer du concept à l’action (Déclaration de
Vientiane) et d’un plan d’action sur cinq ans (Plan d’action de Vientiane), qui constitue une feuille de route pour les États afin « d’assurer la mise en œuvre effective et
966. Déclaration d’Oslo, Conference on Cluster Munitions, 22-23/02/2007.
967. CNCDH, Avis portant sur les systèmes d’armes à sous-munitions, 21/09/2006.
349
Mise en œuvre du DIH et du DIP
en temps voulu des dispositions de la Convention 968 ». Les Assemblées qui ont suivi
ont porté un regard attentif à la mise en œuvre de cette déclaration. De plus, la deuxième Assemblée des États parties a convenu de créer une Unité de soutien à la mise
en œuvre de la Convention, dont les modalités pratiques de fonctionnement restent
encore à déterminer.
La quatrième Assemblée des États parties s’est déroulée à Lusaka en Zambie du 9 au
13 septembre 2013. Le rapport d’activité de Lusaka fait le point sur le suivi des progrès accomplis dans la mise en œuvre du Plan d’action de Vientiane, à partir des rapports communiqués par les États 969. Il salue le mouvement d’universalisation de la
Convention, et les progrès dans la mise en œuvre de celle-ci. La France fait partie des
États qui ont contracté des obligations au titre de l’article 3 de la Convention (« Stockage
et destruction des stocks »), ont démarré le processus de destruction mais ne l’ont
pas achevé. La France fait également partie des États qui déclarent avoir conservé des
armes à sous-munitions et des sous-munitions explosives pour la formation et la mise
au point de contre-mesures. La France a fourni des fonds au titre de la coopération et
de l’assistance internationale.
Mise en œuvre
La loi d’application nationale de la Convention 970 du 20 juillet 2010 reprend le régime
général d’interdiction de la Convention. Elle dispose que « la mise au point, la fabrication, la production, l’acquisition, le stockage, la conservation, l’offre, la cession, l’importation, l’exportation, le commerce, le courtage, le transfert et l’emploi des armes
à sous-munitions sont interdits » (art. L. 2344-2 du code de la défense). Elle ajoute
qu’est « interdit le fait d’assister, d’encourager ou d’inciter quiconque à s’engager
dans une des activités interdites susmentionnées ». Elle prévoit également l’extension
des prérogatives de la CNEMA, organe chargé en France du suivi de la mise en œuvre
de la Convention d’Ottawa, aux armes à sous-munitions et, ainsi, au suivi de la mise
en œuvre de la Convention d’Oslo. C’est désormais chose faite avec l’adoption d’un
décret en juin 2011, qui prévoit aussi la remise d’un rapport au Parlement sur l’application des dispositions pertinentes du code de la défense 971.
La France indique, dans son rapport initial 972, avoir décidé d’appliquer l’interdiction
de l’assistance à quiconque s’engagerait dans toute activité interdite à un État partie en vertu de la présente Convention prévue par la Convention dans son article 1er,
dès la signature de celle-ci et avant même son entrée en vigueur, en instaurant « une
968. Convention sur les armes à sous-munitions, première Assemblée des États parties, Vientiane, 9-12/11/2010,
document final, 31/01/2011.
969. Le dernier rapport de la France au titre de l’article 7 a été remis le 30/04/2014 CCM/MSP/2010/WP.4.
970. Loi no 2010-819 du 20/07/2010 tendant à l’élimination des armes à sous-munitions.
971. Décret no 2011-737 du 28/06/2011, article 1er modifiant l’article R. 2343-1 du code de la défense.
972. Le rapport est disponible sur le site Internet de l’Office des Nations unies à Genève (rubrique « Désarmement/
Convention sur les armes à sous-munitions/Mesures de transparence/Base de données des rapports présentés dans le cadre de l’article 7 »).
350
procédure de contrôle sur les exportations de matériels ou de composants pouvant
entrer dans la composition d’armes à sous-munitions au sens de la Convention ». Ce
contrôle « consiste à s’assurer auprès de l’État destinataire, non partie à la Convention,
que ces équipements ou produits ne seront pas utilisés pour la production d’armes à
sous-munitions prohibées », et « si la France ne peut obtenir ces assurances, elle refuse
l’exportation de ces biens ».
Les différents rapports détaillent les stocks existants. Le rapport pour l’année 2013
indique qu’un marché a été passé pour le démantèlement d’armes à sous-munitions
pour un montant de 20,2 M euros. Contractuellement, l’ensemble des armes à sousmunitions sera éliminé avant le 1er août 2018. La loi française autorise la conservation de 500 armes à sous-munitions et de leurs sous-munitions au maximum, ainsi
que 400 sous-munitions acquises hors conteneur. Aucune arme à sous-munition n’a
été produite sur le territoire français depuis 2000. Aucun territoire français n’a vu son
sol contaminé. Le Centre national de déminage humanitaire a effectué plusieurs campagnes de sensibilisation. Il a coopéré à hauteur de 1 668 050 Meuros à l’assistance et
la coopération humanitaire.
La CNCDH s’était prononcée sur le projet de loi tendant à éliminer les armes à sousmunitions. Jugeant le projet de loi « satisfaisant dans son ensemble 973 », elle avait
néanmoins pointé quelques insuffisances du texte. Elle avait ainsi recommandé d’inscrire de manière explicite dans la loi l’interdiction des investissements et financements,
tant directs qu’indirects, dans des entreprises menant, même partiellement, des activités prohibées et liées aux armes à sous-munitions, afin de lever toute ambiguïté juridique sur le principe comme sur l’interprétation et afin d’envoyer un message politique
fort. Cette recommandation a été partiellement prise en compte dans la mesure où, à
défaut d’une inscription explicite dans le texte de loi, le secrétaire d’État à la Défense
a déclaré à l’Assemblée nationale que toute aide financière, directe ou indirecte, en
connaissance de cause, d’une activité de fabrication ou de commerce d’armes à sousmunitions serait interprétée comme constitutive d’une assistance, d’un encouragement
ou d’une incitation tombant sous le coup de la loi pénale au titre de la complicité ou
de la commission des infractions prévues par le présent projet de loi. Il a en outre souligné que, « si les travaux de suivi de l’application de la loi par la Commission nationale pour l’élimination des mines antipersonnel, la CNEMA, amenaient à constater
une insuffisance de la loi sur ce point, le Gouvernement en tirerait les conclusions qui
s’imposent, en proposant au Parlement les modifications législatives nécessaires 974 ».
De même, la CNCDH avait recommandé de préciser dans la loi la définition de la notion
de « transfert » qui intègre les opérations de transit d’armes à sous-munitions. Le transfert désigne, « outre le retrait de matériel d’armes à sous-munitions du territoire d’un
État ou leur introduction matérielle dans celui d’un autre État, le transfert du droit de
propriété et du contrôle de ces armes à sous-munitions […] ». Elle demandait aussi de
973. CNCDH, Avis sur le projet de loi tendant à l’élimination des armes à sous-munitions, 15/04/2010.
974. Déclarations faites lors de la discussion d’un projet de loi relatif à l’élimination des armes à sous-munitions, le 06/07/2010, à l’Assemblée nationale, disponibles sur le site Internet de l’Assemblée nationale (rubrique
« Comptes rendus des débats »).
351

Instruments de droit international humanitaire – Règles relatives aux moyens et méthodes de combat
Mise en œuvre du DIH et du DIP
faire figurer l’interdiction des opérations de transit interdites au même titre que le transfert, ce qui serait une simple reprise de l’interprétation donnée au terme « transfert »
dans la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel. Cette recommandation n’a pas été prise en compte ; néanmoins, le secrétaire d’État à la Défense a
indiqué que le champ d’interdiction s’étendait au transit pour les activités commerciales.
6. Traité sur le commerce des armes
Le Traité sur le commerce des armes a été adopté par l’Assemblée générale des Nations
unies le 2 avril 2013. La France a joué un rôle actif dans l’élaboration de ceelui-ci, conformément à l’engagement pris avec les autres États de l’UE lors de la XXXIe Conférence
humanitaire. La CNCDH a adopté plusieurs avis à ce sujet 975. Ce Traité a pour objet
d’« instituer les normes communes les plus strictes possibles aux fins de réglementer ou
d’améliorer la réglementation du commerce international d’armes classiques », et de
« prévenir et éliminer le commerce illicite d’armes classiques et empêcher le détournement de ces armes » afin de « contribuer à la paix, la sécurité et la stabilité internationales et régionales », « réduire la souffrance humaine », « promouvoir la coopération,
la transparence et l’action responsable des États Parties dans le commerce international des armes classiques et bâtir ainsi la confiance entre ces États ». Il prévoit notamment l’interdiction absolue de toute exportation d’armement s’il existe un risque que
les matériels exportés soient utilisés pour commettre des actes de génocide, des crimes
contre l’Humanité ou de graves violations des Conventions de Genève de 1949 (art. 6).
Le Traité entrera en vigueur 90 jours après la date du dépôt du cinquantième instrument de ratification (art. 22). Au 30 juin 2014, 41 instruments de ratification ont été
déposés. La France l’a signé le 3 juin 2013. La loi no 2013-1202 autorisant la ratification du Traité sur le commerce des armes a été adoptée le 23 décembre 2013, et
publiée le lendemain au Journal officiel. La France a déposé l’instrument de ratification le 2 avril 2014.
Le Traité prévoit que « dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur du présent Traité à son égard, chaque État partie adresse au secrétariat, conformément à
l’article 22, un rapport initial sur les mesures prises pour mettre en œuvre le Traité, y
compris les lois nationales, listes de contrôle nationales et autres règlements et mesures
administratives internes adoptés » (art. 13). Les États doivent produire « un rapport
annuel portant sur l’année civile précédente concernant les exportations et importations
d’armes classiques visées par l’article 2 (1) autorisées ou effectuées ». La Conférence des
États parties, qui se réunira pour la première fois un an après l’entrée en vigueur de la
Convention, est notamment chargée de surveiller la mise en œuvre de la Convention.
975. Voir notamment CNCDH, Avis sur le projet de Traité sur le commerce d’armes, 18/02/2013 ; CNCDH,
Avis sur le projet de Traité sur le commerce des armes, 23/06/2011.
352
En l’absence de rapports nationaux, il est néanmoins possible de se tourner vers l’étude
d’impact du projet de loi de ratification 976 qui apporte quelques éléments d’information
concernant la mise en œuvre du Traité. Selon cette étude, la mise en œuvre du Traité
n’aura pas de conséquences économiques, financières, sociales ou environnementales.
L’étude d’impact identifie un certain nombre de difficultés d’articulation avec le droit
de l’UE. Concernant l’articulation avec le droit national, cette étude indique que « la
France applique d’ores et déjà, et de manière plus restrictive les dispositions du Traité
relatives au contrôle des armes classiques ».
976. Étude d’impact du projet de loi autorisant la ratification du traité sur le commerce des armes, de la loi
de ratification, projet déposé au Sénat le 11/09/2013.
353

Instruments de droit international humanitaire – Règles relatives aux moyens et méthodes de combat
Mise en œuvre du DIH et du DIP
Chapitre 4
Autres instruments
et initiatives dans le domaine
du DIH
D’autres instruments juridiques internationaux encadrant la conduite des hostilités
peuvent être mentionnés, bien que la France n’y soit pas partie à ce jour, ou qu’ils ne
soient encore, au 30 juin 2014, qu’en cours de discussion.
1. Travaux relatifs à l’interprétation
et/ou au renforcement de certaines
dispositions du droit international
humanitaire
Dans le cadre du suivi de la xxviiie Conférence internationale de la Croix-Rouge et du
Croissant-Rouge, la France rappelait sa participation et son implication dans tous les
groupes de travail relatifs aux thématiques contemporaines du DIH, comme ceux sur
la participation directe aux hostilités ou sur la privatisation du recours à la force 977.
Guide interprétatif du CICR sur la notion
de « participation directe aux hostilités »
en droit international humanitaire
Ce guide, fruit de deux années d’études menées par le CICR en coopération avec des
experts universitaires et gouvernementaux, a pour objet « de formuler des recommandations en vue de l’interprétation des dispositions du DIH relatives à la notion de
participation directe aux hostilités 978 ». Il s’attache à clarifier la distinction entre les
personnes civiles qui doivent être protégées des attaques directes de ceux qui perdent
cette protection en raison de leur participation directe aux hostilités. La présence de
civils à proximité des opérations militaires et le fait qu’un nombre croissant de tâches
traditionnellement militaires soient assumées par des civils sont sources de confusion.
977. Questionnaire de suivi de la XXVIIIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge,
avec réponse du Gouvernement français, mai 2007, p. 23.
978. Guide interprétatif du CICR sur la notion de « participation directe aux hostilités » en droit international
humanitaire, introduction, p. 11, disponible sur le site Internet du CICR (rubrique « Ressources »).
354
Le guide rappelle pourtant que la distinction est fondamentale afin que la règle interdisant de diriger les attaques contre des civils soit pleinement respectée. Il vise à faciliter
l’établissement de ces distinctions en donnant des indications sur la manière d’interpréter le DIH au regard de la notion de participation directe aux hostilités. Il détermine
ainsi dans un premier temps ce qu’est un « civil », c’est-à-dire quelles sont les personnes
protégées contre les attaques directes ; puis la conduite qui constitue une participation directe aux hostilités, entraînant ainsi une suspension de la protection contre les
attaques directes ; et, enfin, les modalités qui régissent la perte de la protection contre
les attaques directes : durée de la perte de la protection contre les attaques directes,
les présomptions, les règles et les principes régissant l’emploi de la force contre des
cibles militaires légitimes, etc. La France a participé à la réflexion à l’issue de laquelle
le guide a été élaboré. De certaines publications il ressort que, si la France est globalement d’accord avec l’ensemble de ce guide, elle émet quelques interprétations
différentes sur la notion de personne participant directement aux hostilités et d’appartenance à un groupe armé.
Document d’encadrement des opérations
des entreprises militaires et de sécurité privées
Le document de Montreux est « un document intergouvernemental qui a pour but
de promouvoir le respect du droit international humanitaire et du droit des droits de
l’homme lorsque des entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP) opèrent dans
le cadre d’un conflit armé. Il n’est pas juridiquement contraignant à proprement parler,
mais présente une compilation des obligations juridiques internationales et des bonnes
pratiques pertinentes 979 ». Le document ne se prononce pas sur la question de la légitimité ni de l’opportunité du recours à des EMSP dans les situations de conflit armé. Il
rappelle les obligations juridiques internationales pertinentes qui incombent aux États,
aux EMSP et à leur personnel dans les situations de conflit armé, ceux-ci devant les
respecter et les faire respecter. Cependant, il ne constitue pas un instrument contraignant énonçant de nouvelles obligations pour les États parties aux instruments du DIH
et du DIDH. Il souligne la responsabilité des trois types d’États : les États contractants
avec les services d’EMSP, les États où opèrent les EMSP, et les États d’origine où les
EMSP sont basées. Le document met l’accent sur le fait que toute mauvaise conduite
de la part d’EMSP et de leur personnel peut engager non seulement la responsabilité pénale des auteurs des violations et de leurs supérieurs hiérarchiques, mais aussi
la responsabilité de l’État dont ils ont suivi les instructions ou les directives, ou sous le
contrôle duquel ils ont agi. Enfin, il fournit un outil aux Gouvernements pour instaurer
des mécanismes efficaces de surveillance et de contrôle des EMSP tels que l’instauration d’un régime d’autorisations.
979. Commentaires explicatifs du Document de Montreux, p. 31, disponible sur le site Internet du CICR
(rubrique « Ressources »).
355

Instruments de droit international humanitaire – Autres instruments et initiatives dans le domaine du DIH
Mise en œuvre du DIH et du DIP
La France avait pris part à la réflexion engagée sur cette question et pour l’élaboration du document. Elle compte parmi les 17 États qui ont finalisé ensemble le document lors de la réunion finale qui a eu lieu à Montreux, en Suisse, le 17 septembre
2008. Au 30 juin 2014, 50 États avaient apporté leur soutien à ce document 980. L’UE,
l’OSCE et l’OTAN se sont joints à cette initiative. Une Conférence intitulée Montreux
+ 5 s’est déroulée du 11 au 13 décembre 2013 981. Elle a été l’occasion de promouvoir les bonnes pratiques existantes, d’aborder les défis que pose la mise en œuvre du
Document et de discuter des modalités permettant d’établir un dialogue plus régulier
entre les signataires.
2. Convention sur l’interdiction
d’utiliser des techniques
de modification de l’environnement
à des fins militaires
ou toutes autres fins hostiles
La France n’a ni signé ni a fortiori ratifié la Convention sur l’interdiction d’utiliser des
techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres
fins hostiles adoptée le 10 décembre 1976, qui compte 76 États parties au 30 juin
2014. Aux termes de la Convention, entrée en vigueur le 5 octobre 1978, les États
parties s’engagent « à ne pas utiliser à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles
des techniques de modification de l’environnement ayant des effets étendus, durables
ou graves en tant que moyens de causer des destructions, des dommages ou des préjudices à tout autre État partie » (art. 1er, paragraphe 1). L’expression « techniques de
modification de l’environnement » désigne toute technique ayant pour objet de modifier
– grâce à une manipulation délibérée de processus naturels – la dynamique, la composition ou la structure de la Terre, y compris ses biotes, sa lithosphère, son hydrosphère
et son atmosphère, ou l’espace extra-atmosphérique (art. 2). Est visée l’utilisation de
techniques à des fins hostiles, causant la destruction, des dommages ou des préjudices
à un autre État partie ; et entraînant des effets qui sont étendus, durables ou graves.
Des exceptions sont autorisées pour les modifications qui sont inférieures au seuil fixé
par la Convention ou qui interviennent à des fins non hostiles.
La Convention ne comporte pas de dispositions de vérification, mais un comité consultatif d’experts qui peut, à la demande d’un État partie, fournir des avis autorisés sur
tout problème soulevé. Cet instrument a été ratifié par une majorité d’États membres
980. Le document de Montreux est disponible sur le site Internet du CICR (rubrique « Ressources »). La liste
des États est disponible sur le site du département fédéral des Affaires étrangères de la Confédération suisse.
981. Entreprises militaires et de sécurité privées : cinq ans après l’adoption du document de Montreux, site
de la Confédération suisse, 2013.
356
de l’Union européenne, dont l’Allemagne, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Italie ou
encore la Finlande.
S’agissant plus spécifiquement du recours aux armes nucléaires, on rappellera que la
France est partie au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) entré en
vigueur en 1970 et prorogé pour une durée indéfinie en 1995. Le Traité prévoit notamment que les États dotés d’armes nucléaires s’engagent à ne pas en transférer et à ne
pas aider un État non doté de telles armes à en acquérir ainsi que des technologies
connexes, ou à contrôler de telles armes et dispositifs. Les États non dotés d’armes
nucléaires s’engagent à ne pas en accepter le transfert et à ne pas en fabriquer. Le
Traité reconnaît également le droit de chaque État partie de développer la recherche,
la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Il autorise les
États dotés d’armes nucléaires à aider les États non dotés d’armes nucléaires à exploiter
les technologies nucléaires à des fins pacifiques. Les États parties sont également invités à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures relatives au désarmement nucléaire et sur un Traité de désarmement général et complet sous un contrôle
international strict efficace.
3. Convention internationale
contre le recrutement, l’utilisation,
le financement et l’instruction
des mercenaires
Adoptée le 4 décembre 1989 et entrée en vigueur en 2001, cette Convention compte
33 États parties, dont l’Italie et la Belgique. Elle prévoit que les États parties « s’engagent
à ne pas recruter, utiliser, financer ou instruire de mercenaires et à interdire les activités
de cette nature » et répriment « les infractions définies dans la Convention par des peines
appropriées qui prennent en considération la nature grave de ces infractions » (art. 5).
De nombreux pays, dont la France, jugent en effet que certaines dispositions de la
Convention soulèvent des difficultés. Selon un rapport du Sénat de 2003 982, le fait que
la définition du mercenariat donnée par cette Convention, qui reprend pour l’essentiel les dispositions contenues dans le Protocole I de 1977, « mais ne précise pas que le
mercenaire est celui “qui, en fait, prend une part directe aux hostilités” » est l’un des
points problématiques : « Cette omission introduit une imprécision qui ne permet pas
d’exclure clairement de la notion de mercenaire des personnes qui sont envoyées par
leur État au titre de l’assistance militaire technique pour assurer des missions d’instruction, d’organisation, d’entraînement ou d’encadrement au profit des forces armées
982. Rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur
le projet de loi relatif à la répression de l’activité de mercenaire, annexe au procès-verbal de la séance du
23/01/2003, disponible sur le site Internet du Sénat (rubrique « Travaux parlementaires/Rapports »).
357

Instruments de droit international humanitaire – Autres instruments et initiatives dans le domaine du DIH
Mise en œuvre du DIH et du DIP
étrangères, et qui pourraient se trouver en péril si elles venaient à tomber aux mains
d’un État étranger en conflit avec celui auprès duquel elles sont placées ». Le rapport
estime également que « la complexité des mécanismes pénaux mis en place dans la
Convention par la règle de compétence juridictionnelle universelle risque de susciter de
nombreux conflits de compétence avec les juridictions françaises, voire d’entraîner la
condamnation de Français présents à l’étranger pour des faits qui ne sont pas illicites
au regard du droit français. La responsabilité pénale de fonctionnaires ou militaires
français ainsi que des plus hautes autorités de l’État pourrait ainsi être recherchée pour
complicité (art. 4 de la Convention) ou pour avoir “recruté, utilisé, financé ou instruit
des mercenaires” (art. 2), et cela aussi bien devant une juridiction française que devant
une juridiction de n’importe quel État étranger partie à la Convention ». La France a
néanmoins adopté en 2003 une loi relative à la répression de l’activité de mercenaire,
complétant le code pénal avec un chapitre consacré à la « participation à une activité
de mercenaire » (art. 436-1 à 436-5) 983.
FOCUS – Vers une interdiction des armes nucléaires ?
Compte tenu des conséquences humanitaires considérables que provoquerait l’usage
de l’arme nucléaire, mais aussi en raison du fait qu’aucune aide humanitaire ne pourrait être apportée aux victimes, la question de l’interdiction des armes nucléaires dans
les conflits armés se pose. Elle a été soulevée par le Conseil des délégués, qui a adopté
en décembre 2013 une résolution dans ce sens 984. Les États, dont la France, seront invités à y réfléchir lors de la prochaine Conférence internationale de la Croix-Rouge et du
Croissant-Rouge, qui se tiendra à Genève fin 2015. La deuxième Conférence sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires s’est tenue les 13 et 14 février à Nayarit, au
Mexique. La France n’a pas participé à cette Conférence.
983. Loi no 2003-340 du 14/04/2003 relative à la répression de l’activité de mercenaire.
984. Conseil des délégués du mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Vers l’élimination des armes nucléaires. Plan d’action quadriennal, Sydney (Australie) 18/11/2013, CD/13/R1.
358
Instruments de droit international humanitaire – conférences internationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

Chapitre 5
Engagements et résolutions
issus des conférences
internationales de la CroixRouge et du Croissant-Rouge
En matière de suivi, le CICR est considéré comme le gardien des Conventions de Genève
et des protocoles additionnels 985. Il veille au respect des règles de DIH par les États parties et offre en outre, grâce à ses services consultatifs, une assistance juridique et technique pour aider les États à intégrer le DIH dans leur législation interne. Mais, comme
précédemment indiqué, le CICR n’émet pas d’observations ni de recommandations
publiques aux États, sauf exceptions. La Conférence internationale de la Croix-Rouge
et du Croissant-Rouge, qui réunit, tous les quatre ans, les sociétés nationales, leur fédération internationale, le CICR et les 196 États parties aux Conventions de Genève, est
l’instance délibérante qui fixe les orientations de l’action humanitaire du Mouvement
international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Elle contribue au respect et au
développement du DIH. À cette occasion, les États font part du suivi de leurs engagements (pledges), de la mise en œuvre des résolutions de la précédente Conférence et
prennent des engagements complémentaires.
1. Engagements volontaires
À l’occasion de la xxxie Conférence qui s’est tenue à Genève du 28 novembre au
1er décembre 2011 986, de nouveaux engagements complémentaires ont été pris. Ces
nouveaux engagements doivent concourir à la réalisation des principaux thèmes de
la Conférence, portant sur le renforcement de la protection juridique des victimes de
conflits armés ; du droit relatif aux catastrophes ; de l’action humanitaire au niveau
local ; et sur la levée des obstacles aux soins de santé.
985. Voir également Yves Sandoz, Le Comité international de la Croix-Rouge, gardien du droit international
humanitaire, 1998, accessible en ligne sur le site Internet du CICR (rubrique « Qui nous sommes/Mandat et
missions »).
986. Voir le site Internet du CICR (rubrique « Qui nous sommes/Le Mouvement »).
359
Mise en œuvre du DIH et du DIP
Engagements du Gouvernement
dans le cadre d’une initiative multilatérale
pour renforcer le DIH (Pledge P1096)
Conformément à ce qui avait été annoncé lors de la Conférence du 60e anniversaire
des Conventions de Genève, les gouvernements et les sociétés civiles dépositaires
s’engagent à entreprendre un processus, avec les Hautes Parties contractantes et en
collaboration avec le CICR, visant à :
• explorer et identifier des voies et des moyens concrets pour améliorer l’application du
droit international humanitaire, incluant la question des mécanismes de mise en œuvre ;
• renforcer le dialogue sur les questions du droit international humanitaire entre les
Hautes Parties contractantes et les autres acteurs intéressés.
Critères d’évaluation proposés (pour 2015) :
• des discussions régulières sur les façons d’améliorer ou opérationnaliser les méca-
nismes de DIH existants ou sur la possibilité de développer un nouveau mécanisme ont
eu lieu entre les Hautes Parties contractantes et les autres acteurs concernés ;
• plusieurs rencontres gouvernementales d’experts ont eu lieu sur cette problématique ;
une Conférence-bilan a été organisée.
Engagements du Gouvernement
dans le cadre de l’Union européenne
L’Union européenne a exprimé six engagements lors de la XXXIe Conférence.
Renforcer le droit international humanitaire en adoptant
un Traité sur le commerce des armes effectif (Pledge P1256)
L’Union européenne se montre préoccupée par la propagation des armes, qui facilite
les violations du droit international humanitaire et entrave l’assistance aux victimes de
conflit armé. Les États de l’Union européenne se sont donc engagés à échanger des
informations sur les négociations relatives au Traité sur le commerce des armes, pour
que celui-ci contienne le plus de normes juridiquement contraignantes pour garantir
que les armes conventionnelles ne soient pas utilisées pour violer le droit humanitaire
(voir la section sur le TCA dans le chapitre 3).
Soutenir la Cour pénale internationale (Pledge P1311)
Les États de l’Union se sont engagés à :
• continuer de préserver l’intégrité du statut de Rome et de promouvoir son universalité ;
• continuer de lutter contre l’impunité pour les crimes les plus graves, notamment
en incluant dans les accords entre l’Union européenne et ses partenaires des clauses
relatives à la Cour pénale internationale et la justice internationale ;
• continuer d’apporter son soutien à la Cour, à la société civile et aux États tiers qui
souhaitent obtenir une assistance pour devenir partie au statut de Rome et mettre leur
droit interne en conformité avec le statut.
360
Instruments de droit international humanitaire – conférences internationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

Instruments de droit international humanitaire (Pledge P1316)
Les États de l’Union européenne se sont engagés à envisager de ratifier, lorsqu’ils ne
sont pas encore parties :
• le troisième Protocole additionnel aux Conventions de Genève ;
• la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit
armé et ses deux protocoles ;
• le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant
l’implication d’enfants dans les conflits armés ;
• la Convention d’Ottawa sur l’interdiction de l’emploi, du stockage, de la production
et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction ;
• le Protocole II sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des mines, pièges et
autres dispositifs, tel qu’il a été modifié le 3 mai 1996 à la Convention relative à l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être
considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant
sans discrimination ;
• la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles.
Ils s’engagent à soutenir les États dans leurs efforts pour mettre leur législation nationale en conformité avec leurs obligations en matière de droit international humanitaire,
et à soutenir les mécanismes existants en matière de droit international humanitaire,
notamment, en ayant recours aux services de la Commission internationale humanitaire
d’établissement des faits constituée conformément à l’article 90 du Premier Protocole
additionnel aux Conventions de Genève.
Promotion et dissémination du droit international humanitaire
(Pledge P1318)
Les États de l’UE s’engagent à poursuivre leurs efforts de formation et de dissémination du droit international humanitaire dans les États tiers, y compris en temps de paix,
à destination en particulier des autorités nationales, des acteurs non étatiques et des
acteurs humanitaires. Ils s’engagent également à continuer leurs efforts de formation
et diffusion du DIH au sein de l’UE, et notamment à destination du personnel civil et
militaire impliqué dans des opérations de gestion de crise.
Garanties procédurales (Pledge P1319)
L’UE et ses États membres s’engagent à promouvoir le respect des garanties fondamentales en matière de procédure à travers une large variété de mesures, y compris :
• la formation du personnel participant aux opérations européennes militaires et civiles
de gestion des crises et aux garanties fondamentales de procédure ;
• s’efforcer de garantir la mise en œuvre de ces standards par les États parties tiers
impliqués dans les opérations de l’UE ;
• soutenir les sessions de formation et de dissémination sur la mise en œuvre des
garanties fondamentales de procédure ;
361
Mise en œuvre du DIH et du DIP
• rappeler dans les dialogues avec les autres États, l’importance de respecter les garanties fondamentales de procédure.
Mines antipersonnel, armes à sous-munitions, engins explosifs
improvisés et restes explosifs de guerre (Pledge P1322)
Les États membres de l’UE se sont engagés à :
• promouvoir les instruments internationaux relatifs aux dangers des restes explosifs
de guerre, bombes à sous munition, engins explosifs improvisés et mines antipersonnel ;
• encourager
les États parties à la Convention sur les mines antipersonnel et la
Convention sur les bombes à sous munition à communiquer leurs rapports à temps,
en accord avec les articles pertinents de ces Traités.
Engagements du Gouvernement conjointement
avec la Croix-Rouge française
Diffusion du droit international humanitaire (Pledge P1443)
Les autorités françaises et la Croix-Rouge française s’engagent à :
• « Proposer aux forces armées françaises des formations dans le domaine du droit
international humanitaire et du droit international pénal. La Croix-Rouge française
apportera son soutien à la réalisation de formations et de sensibilisations. »
• « Développer l’offre éducative de la Croix-Rouge française auprès des collèges et
lycées en France, en s’appuyant notamment sur les programmes d’enseignement d’éducation civique du collège et du lycée qui permettent aux professeurs d’aborder avec
leurs élèves la question du droit international humanitaire. »
• « Appuyer les actions de la Croix-Rouge française dans son projet de diffusion du
droit international humanitaire auprès de la jeunesse au niveau international, avec
l’accord et à la demande des sociétés nationales et en concertation avec les autres
composantes du mouvement (CICR et FICR). La Croix-Rouge française apportera son
soutien aux Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge afin de renforcer leurs capacités dans la diffusion du Droit international humanitaire. »
Renforcer les sociétés nationales (Pledge P2439)
Les autorités françaises et la Croix-Rouge française, « convaincues de l’importance d’établir une coopération spécifique basée sur le dialogue et la confiance, et conformément
aux engagements pris lors de la XXXe Conférence internationale, s’engagent à étudier
ensemble le rôle de la Croix-Rouge française en tant qu’auxiliaire des pouvoirs publics
dans le domaine humanitaire tout en prenant en compte et en renforçant les partenariats déjà existants. Ce travail s’effectuera conformément aux principes fondamentaux du
Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, en particulier ceux
de neutralité et d’indépendance. Des réunions régulières de concertation et de suivi des
engagements pris lors de la XXXIe Conférence internationale seront organisées. »
362
Instruments de droit international humanitaire – conférences internationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge

Renforcer l’accès aux soins (Pledge P3442)
Les autorités françaises et la Croix-Rouge française, pour les années 2012-2015, prolongent l’engagement pris à la XXXe Conférence internationale sur l’accès à la santé
dans les pays les moins avancés et les pays en développement, avec l’accord et à la
demande des Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge concernées :
• en renforçant les systèmes de santé mis en place par les sociétés nationales ou leur
gouvernement, avec une priorité portée sur la base de la pyramide sanitaire, pour proposer une offre de soins au plus grand nombre parmi les communautés vulnérables
aux risques de maladies récurrentes et émergentes ;
• en complétant systématiquement le renforcement des systèmes de santé par des
activités de santé communautaire pour promouvoir les bonnes pratiques de santé
publique, et renforcer la capacité des communautés à se protéger.
La Croix-Rouge française aidera les Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du CroissantRouge à s’inscrire dans le plan d’action de leur ministère de la Santé, et mettra à leur
disposition son expertise dans le champ de la gestion d’établissements sanitaires et
dans la formation socio-sanitaire.
2. Résolutions
Lors de la XXXIe Conférence, 9 résolutions ont été adoptées :
• Résolution 1, « Renforcement de la protection juridique des victimes des conflits
armés » ;
• Résolution 2, « Plan d’action quadriennal pour la mise en œuvre du droit international humanitaire » ;
• Résolution 3, « Migration : garantir l’accès, la dignité, le respect de la diversité et
l’intégration sociale » ;
• Résolution 4, « Renforcement du rôle d’auxiliaire : partenariat pour des Sociétés
nationales plus fortes et développement du volontariat » ;
• Résolution 5, « Les soins de santé en danger : respecter et protéger les soins de santé » ;
• Résolution 6, « Réduire les inégalités en matière de santé dont sont victimes les
femmes et les enfants » ;
• Résolution 7, « Renforcer les cadres normatifs et lever les barrières réglementaires
à l’atténuation des catastrophes, à l’intervention et au relèvement » ;
• Résolution 8, « Mise en œuvre du Protocole d’accord et de l’Accord sur des arrangements opérationnels datés du 28 novembre 2005 entre le Croissant-Rouge palestinien et le Magen David Adom d’Israël » ;
• Résolution 9, « Notre monde : à vous d’agir – pour l’humanité ».
363
Mise en œuvre du DIH et du DIP
FOCUS – De nouveaux enjeux à venir
En application de la résolution 1, une double initiative est en cours, en vue de renforcer le respect du DIH. D’une part, l’initiative suisse CICR qui a pour objectif de réfléchir
au renforcement du respect du droit international humanitaire en général ; d’autre part,
l’initiative du CICR qui consulte les États sur la question de la détention dans les conflits
armés non internationaux.
La France participe à toutes les consultations que le CICR, d’une part, le CICR et la
Suisse, d’autre part, organisent afin de renforcer la protection qui doit être accordée aux
conflits armés qu’ils soient ou non internationaux. La prochaine Conférence internationale (fin 2015) devrait voir l’aboutissement de ces travaux.
Par ailleurs, nous rappellerons que le DIH n’autorise pas toutes les méthodes et tous les
moyens de guerre. L’article 36 du Protocole I indique ainsi que « dans l’étude, la mise au
point, l’acquisition ou l’adoption d’une nouvelle arme, de nouveaux moyens ou d’une
nouvelle méthode de guerre, une Haute Partie contractante à l’obligation de déterminer
si l’emploi en serait interdit, dans certaines circonstances ou en toutes circonstances, par
les dispositions du présent Protocole ou par toute autre règle du droit international applicable à cette Haute Partie contractante ». C’est dans ce cadre que doit être replacée la
réflexion initiée par le CICR sur les armes autonomes qui a encore donné lieu à une réunion d’experts gouvernementaux fin mars 2014 987. La France a participé à cette réunion.
987. Voir le site du CICR, Armes autonomes : quel contrôle humain ?
364
Instruments de droit international humanitaire – Résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et engagements connexes

Chapitre 6
Résolutions du Conseil
de sécurité des Nations unies
et engagements connexes
Les travaux récents du CSNU en matière de protection des civils, des enfants et des
femmes dans les situations de conflit et de post-conflit visent à renforcer l’application
du DIH dans le monde et à développer des mécanismes de suivi et de sanction. Ces
travaux, auxquels la France est étroitement associée en tant que membre permanent
du CSNU, l’engagent tout particulièrement.
1. Protection des civils
Le CSNU a adopté de nombreuses résolutions ces dernières années pour rappeler la
nécessité de protéger les populations civiles dans le cadre des conflits armés et l’interdiction de les prendre pour cible délibérée 988. Sa Résolution no 1894 du 11 novembre
2009 condamne, outre les attaques dirigées contre des civils ou objets protégés, les
attaques aveugles ou disproportionnées et l’utilisation de civils comme « boucliers
humains » pour protéger des zones de combat en les qualifiant de « violations flagrantes
du DIH 989 ». Elle réaffirme que les attaques ciblées contre les civils peuvent constituer
une menace à la paix et à la sécurité internationales 990. En outre, la résolution rappelle
l’obligation pour les États :
• de diffuser aussi largement que possible des informations concernant le DIH ;
• d’offrir une formation aux fonctionnaires ainsi qu’aux membres des forces armées
et des groupes armés ;
• de veiller à ce que les ordres et instructions donnés aux forces armées et aux autres
parties concernées soient conformes au droit international applicable et à ce qu’ils
soient respectés, notamment en mettant en place des procédures disciplinaires efficaces
où une adhésion sans faille au principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique
tienne une place centrale, afin de promouvoir le respect du DIH 991.
988. CSNU, S/RES/1265 (1999), S/RES/1296 (2000), S/RES/1325 (2000), S/RES/1612 (2005), S/RES/1738
(2006), S/RES/1820 (2008), S/RES/1882 (2009), S/RES/1888 (2009) et S/RES/1889 (2009), disponibles sur le
site Internet des Nations unies : « Les Nations unies et l’assistance humanitaire ».
989. CSNU, S/RES/1894 (2009), paragraphe 2.
990. CSNU, S/RES/1265 (1999), S/RES/1894 (2009), paragraphe 19.
991. CSNU, S/RES/1894 (2009), paragraphe 7 a)-c).
365
Mise en œuvre du DIH et du DIP
La Résolution rappelle enfin que « les États sont tenus de se conformer aux obligations
qui leur incombent en matière de lutte contre l’impunité et de prendre des mesures
concrètes pour asseoir le principe de la responsabilité en menant des enquêtes approfondies et en poursuivant les auteurs de crimes de guerre, de génocides, de crimes
contre l’humanité et d’autres violations graves du droit international humanitaire ».
La Résolution no 1894 reconnaît l’importance de l’action du CSNU et liste les mesures
qui doivent être prises pour assurer l’effectivité et la mise en œuvre des mandats de
protection. La France avait par ailleurs exprimé son souhait de voir affinée la doctrine
relative aux opérations de protection des civils 992. Cette position du CSNU engage donc
les États à agir en faveur de la protection des civils, lors de conflits à l’étranger, en fournissant leur assistance dans le cadre d’une opération de maintien de la paix notamment.
L’« obligation de protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre,
le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité » est une nouvelle fois réaffirmée par le CSNU, qui rappelle également que cette protection ne peut être efficace
sans des informations fiables sur la situation 993 et une lutte contre l’impunité des responsables des crimes les plus graves commis contre les civils 994. À ce titre, le CSNU
« envisage la possibilité de faire appel […] à la Commission internationale humanitaire
d’établissement des faits établie par l’article 90 du premier Protocole additionnel aux
Conventions de Genève 995 ».
La protection des civils fait partie intégrante du plan Rights Up Front du Secrétaire
général des Nations unies 996. Le 22 novembre 2013, il a communiqué au Conseil
de sécurité son Rapport sur la protection des civils en période de conflit armé 997. Il y
dénombre les conflits dans lesquels les civils sont pris pour cible : Syrie, Afghanistan,
République Centrafricaine, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Irak,
Mali, Myanmar, Territoires palestiniens, Pakistan, Somalie, Darfour, sud du Soudan,
Yémen. Cinq impératifs doivent permettre de garantir que les civils ne soient pas les
victimes de ces conflits : le respect du droit international, le respect du droit par les
groupes armés non étatiques, le renforcement du rôle des missions de maintien de la
paix et des autres missions, l’amélioration de l’accès humanitaire et la responsabilisation. Par la voix de son président, le Conseil de sécurité a rappelé le 12 février 2014 son
engagement concernant la protection des civils en période de conflit armé. La France
soutient une action forte à ce sujet 998.
992. AGNU, « Réflexion sur le maintien de la paix », intervention de Nicolas de Rivière », 22 juin 2010, disponible sur le site Internet de la Représentation permanente de la France auprès des Nations unies à New York.
993. CSNU, S/RES/1894 (2009), paragraphe 8.
994. Ibid., paragraphe 10.
995. Ibid., paragraphe 9.
996. SGNU, Rights Up Front. A Plan of Action to Strengthen the UN’s Role in Protecting People in Crises, 07/2014.
997. CSNU, Rapport du secrétaire général sur la protection des civ ls en période de conflits armé, 22/11/2013,
S/2013/689.
998. Conseil de sécurité, « Protection des civils en période de conflit armé », intervention de Gérard Araud,
Représentant permanent de la France auprès des Nations unies, 12/02/2014.
366
Instruments de droit international humanitaire – Résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies et engagements connexes

2. Protection des enfants
Depuis 1999, le CSNU a adopté de nombreuses résolutions relatives à la protection
de l’enfance dans les conflits armés, voir notamment les Résolutions no 1261 (1999),
no 1314 (2000), no 1379 (2001), no 1460 (2003), no 1539 (2004), no 1612 (2005), no 1998
(2011), no 2068 (2012), et no 2143 (2014). Ces résolutions condamnent de manière
réitérée l’utilisation et le recrutement d’enfants par des parties à des conflits armés,
en violation du droit international, et appellent à y mettre un terme. Conformément
à certaines de ces résolutions, un mécanisme de surveillance et de communication de
l’information sur le terrain, en lien avec un Groupe de travail du CSNU chargé de traiter
des graves violations des droits de l’enfant commises en période de conflit armé, a été
mis en place. La France, membre du Groupe de travail qui rassemble l’ensemble des
membres du Conseil, en a présidé les travaux depuis sa création en novembre en 2005
avant d’être remplacée par le Mexique en 2009. Parallèlement à ce mécanisme, existe
une Représentante spéciale pour le sort des enfants en temps de conflit armé, rattachée au secrétaire général de l’ONU ; depuis le 13 juillet 2012, ce mandat est exercé
par Leila Zerrougui, nommée en remplacement de Radhika Coomaraswamy.
Par ailleurs, les engagements et principes de Paris, adoptés en février 2007 en présence
de représentants de 58 États, visent à lutter contre le recrutement ou l’utilisation illicites d’enfants par les forces armées ou les groupes armés. Les dispositions portent sur
la prévention du phénomène, la libération des enfants associés aux forces armées et
aux groupes armés et la promotion de leur réinsertion, suivant une approche fondée
sur les droits de l’enfant et tenant compte des sexospécificités.
Un Forum ministériel de suivi des engagements de Paris a été créé par la France en
partenariat avec l’UNICEF. Il permet notamment de faire annuellement le point sur les
besoins existants en matière de réinsertion des ex-enfants soldats. Ses deuxième et
troisième éditions ont eu lieu respectivement les 29 septembre 2009 et 27 septembre
2010. Le quatrième Forum ministériel, qui s’est tenu le 26 septembre 2011, a permis
de porter à 100 le nombre d’États ayant souscrit aux engagements de Paris.
La France a également signé en tant qu’observateur la déclaration de N’Djamena 999
conjointement avec 6 pays africains (Cameroun, Centrafrique, Niger, Nigeria, Soudan
et Tchad), à la suite de la Conférence régionale organisée au Tchad, en coopération
avec l’UNICEF, du 7 au 9 juin 2010. Les signataires se sont engagés à mettre fin à toute
forme d’enrôlement et d’implication des enfants dans les groupes et forces armés, à
souscrire aux principes et engagements de Paris de 2007, à signer et/ou ratifier les
textes internationaux et régionaux en la matière. Ils s’engagent également à « garantir
qu’aucun enfant de moins de dix-huit ans ne prenne part, directement ou indirectement,
à des hostilités et, le cas échéant, à prévenir toute forme de recrutement », ainsi qu’à
mettre en place une stratégie de lutte contre la prolifération et la détention d’armes
légères par les enfants.
999. Déclaration de N’Djamena sur les enfants soldats, juin 2010.
367
Mise en œuvre du DIH et du DIP
3. Résolutions
« femmes, paix et sécurité »
Le CSNU a adopté une série de résolutions relatives à la protection des femmes dans les
conflits armés. Sa résolution initiale du 31 octobre 2000 appelait les États à prendre les
mesures nécessaires de protection avant, pendant et après les conflits, et réaffirmait que
le respect des droits fondamentaux des femmes et des filles et la participation des femmes
sur un pied d’égalité à l’ensemble des processus décisionnels et à tous les niveaux de responsabilité constituent, à la fois, des objectifs et des moyens essentiels pour prévenir les
conflits, les résoudre et favoriser une culture de paix. Les résolutions no 1820 (2008), no 1888
(2009), no 1889 (2009) et no 1960 (2010), no 1998 (2011), no 2068 (2012) et no 2106
(2013) ont complété les préconisations du CSNU, en créant et en renforçant par ailleurs les
mécanismes de protection, de suivi dans le contexte de situations de conflit, et de recensement des parties responsables de violences sexuelles, dans la perspective de l’adoption de
sanctions ciblées. Chaque année, le Secrétaire général communique un rapport sur la mise
en œuvre de ses résolutions sur les femmes et la paix et la sécurité au Conseil de sécurité.
En 2010, la France s’est dotée d’un plan national d’action relatif à la mise en œuvre des
Résolutions « femmes, paix et sécurité » du CSNU 1000. Ce plan d’action, sur lequel la CNCDH
avait été consultée, « vise à favoriser, au niveau international, la protection des femmes
contre toutes les formes de violences, le respect de leurs droits fondamentaux ainsi que
leur égale participation aux processus décisionnels dans le cadre de la consolidation de
la paix, de la reconstruction et du développement 1001 ». Il comprend quatre volets principaux regroupant des engagements concrets qui portent sur une période de trois ans :
– protection des femmes contre les violences et mobilisation pour le respect de leurs
droits fondamentaux ;
– participation des femmes à la gestion des situations de conflit et de post-conflit ;
– sensibilisation au respect des droits des femmes dans les programmes de formation ;
– développement de l’action politique et diplomatique.
Le plan est doté d’objectifs et d’indicateurs, dans une matrice identifiant également les
ministères et administrations chargés de piloter la mise en œuvre des actions. À côté
des réunions semestrielles d’un comité de pilotage, associant l’ensemble des ministères
et administrations concernés, le plan prévoit la tenue de réunions semestrielles avec les
organisations de la société civile, en lien avec la CNCDH, et en associant étroitement les
délégations parlementaires aux droits des femmes et à l’égalité, afin d’évaluer la mise
en œuvre du plan et de procéder à son actualisation. Une réunion de suivi a été organisée par la CNCDH, à laquelle étaient conviées différentes associations non membres.
Différentes propositions ont été adressées au ministère des Affaires étrangères. Le plan
est arrivé à échéance en 2013, un nouveau Plan doit être adopté en 2014.
1000. Plan national d’action de la France pour la mise en œuvre des Résolutions « femmes, paix et sécurité »
du Conseil de sécurité des Nations unies, disponible sur le site du ministère des Affaires étrangères et européennes (rubrique « Enjeux internationaux/Droits de l’homme/Droits des femmes »).
1001. Ibid., p. 6.
368
Instruments de droit international humanitaire – Instruments de l’Union européenne

Chapitre 7
Instruments
de l’Union européenne
L’UE s’est dotée d’instruments encadrant son action extérieure et, donc, celle de la
France en matière de promotion du DIH. Cette section présente les lignes directrices
de l’UE, ainsi que les instruments successifs plus spécifiques adoptés en matière de
contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires.
1. Lignes directrices de l’Union
européenne concernant la promotion
du droit humanitaire international
L’UE avait élaboré en 2005 des lignes directrices concernant la promotion du DIH 1002.
Ces lignes directrices constituent encore aujourd’hui le cadre pour son action extérieure et celle de ses États membres en matière de promotion du respect du DIH auprès
des États tiers et des acteurs non étatiques intervenant dans ces États. Actualisées en
décembre 2009, elles présentent les instruments opérationnels à disposition de l’UE
et de ses institutions pour promouvoir le respect du DIH.
Les lignes directrices soulignent notamment qu’il convient, dans le cadre de la détermination de l’applicabilité du DIH et de la définition d’actions concrètes, d’envisager la
« tenue de consultations ou d’échanges d’informations avec des intervenants qualifiés,
notamment le CICR et d’autres organisations pertinentes telles que les Nations unies et
les organisations régionales » ou encore, « le cas échéant, de s’appuyer sur les services
de la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits, constituée en
vertu de l’article 90 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949,
qui peut apporter sa contribution sur ce plan grâce à ses compétences pour établir les
faits et son rôle de bons offices ».
Y sont listés les différents instruments disponibles pour l’action de l’UE : dialogue politique ; déclarations politiques générales ; démarches et déclarations publiques pour
condamner les violations du DIH dans le cadre d’un conflit ; mesures restrictives et sanctions à l’égard des parties à un conflit ; coopération avec d’autres organismes internationaux, notamment les Nations unies, les organisations régionales concernées et
le CICR ; opérations de gestion de crises, avec notamment la collecte d’informations
1002. Lignes directrices de l’Union européenne concernant la promotion du droit humanitaire international
(2005/C 327/04), 23/12/2005.
369
Mise en œuvre du DIH et du DIP
utiles à la CPI ou dans le cadre d’autres investigations sur des crimes de guerre ; promotion par l’UE de la lutte contre l’impunité afin que les crimes de guerre ne restent
pas impunis et afin d’encourager les États tiers à adopter des mesures de droit pénal
punissant les violations du DIH ; formation et éducation au DIH, notamment pour les
agents des services répressifs et le personnel militaire, et financement des programmes
de formation et d’éducation au DIH dans les pays tiers ; octroi, en matière d’exportation d’armements, de licences subordonné à l’examen du respect du DIH par ce pays.
Sont également listés, en annexe des Lignes directrices, les instruments juridiques de
référence.
L’UE s’est également dotée le 8 décembre 2003 de lignes directrices sur les enfants
dans les conflits armés. Afin de mettre en œuvre ces orientations, un plan d’action sur
les enfants dans les conflits armés concentré sur treize pays particulièrement touchés
avait été mis en place en 2004. Il prévoyait notamment des projets de coopération
conjoints dans ces pays.
2. Règles communes régissant
le contrôle des exportations
de technologie et d’équipements
militaires
En 1998, le Conseil de l’UE a adopté un code de conduite en matière d’exportation
d’armements. Ce code de conduite fixait les critères à l’exportation avec un mécanisme
d’information et de consultation et une procédure de transparence, par la publication annuelle d’un rapport de l’UE sur les exportations d’armements. La Position commune no 2008/944/PESC de l’UE, adoptée le 8 décembre 2008, remplace le code de
conduite, qu’elle actualise et renforce, notamment en raison de son caractère juridiquement contraignant. Son article 2 prévoit huit critères à l’exportation, dont le deuxième a trait « au respect des droits de l’homme dans le pays de destination finale » et
« au respect du droit humanitaire international par ce pays ». Elle prévoit également
notamment l’extension des contrôles au courtage, au transit et aux transferts intangibles de technologies, ainsi que des procédures renforcées visant à harmoniser les
politiques des États membres en matière d’exportation. Un guide d’utilisation, qui fait
l’objet d’un réexamen périodique, a été mis en place pour aider les États membres à
mettre en œuvre la Position commune. Le 15e Rapport annuel de l’UE 1003 détaille les
exportations d’armements de l’UE par État membre ainsi que les licences (autorisations
à l’exportation) octroyées ou refusées.
1003. Quinzième rapport annuel établi en application de l’article 8, paragraphe 2, de la Position commune
no 2008/944/PESC du Conseil définissant des règles communes régissant le contrôle des’exportations de technologie et d’équipements militaires 2014/C 18/01.
370
L’UE s’est aussi dotée, depuis 2000, d’une liste commune des équipements militaires
de l’UE que couvre la Position commune (22 catégories de technologies et équipements militaires sont recensées). Sa version la plus récente a été adoptée le 27 février
2012. Cette liste sert aux États membres pour interpréter tous les embargos sur les
armes décrétés par l’UE 1004 et sert également de référence pour les listes nationales
de technologie et d’équipements militaires des États membres, bien qu’elle ne les
remplace pas directement. La France a, par arrêté du 17 juin 2009 modifié par arrêté
du 30 décembre 2010, repris dans la réglementation nationale le contenu de la liste
commune des équipements militaires de l’UE. Concernant le respect des embargos
sur les armes de façon générale, un projet de loi relatif à la violation des embargos et
autres mesures restrictives est en cours d’examen au Parlement. Déposé en 2006, il a
été adopté par le Sénat en 2013.
Le 15e Rapport annuel de l’UE fait le point sur la mise en œuvre au niveau national de
cette position commune. Concernant la France, la mise en œuvre de cette position
découle du décret no 95-589 du 6 mai 1995 tel que modifié par le décret no 2002-23.
Un amendement des textes est annoncé.
L’UE s’est également dotée d’un règlement (C