décatie a des yeux de velour - ThTh

Transcription

décatie a des yeux de velour - ThTh
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décatie a des yeux de velour
revue mensuelle proposée par konsstrukt
t e x t e s , d e s s i n s , m u s i q u e , v i d é o , e t c .
numéro 7
novembre 2010
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sommaire
Mandy
Aurore Laloy
N.A.G.
Benjamin Monti
Boris Crack
Dave 2000
Mamadou Love
Soomiz
Dom Garcia
Nicolas Brûlebois
Marlène Tissot
RMM Alkbazz
Clotilde Delcommune
Anaïs Mauzat
Paul Sunderland
Horses eat sugar
Myriam Linguanotto
Joel Mas
Ex Aequo
Gaijin
Régis Belloeil
Jacques Cauda
Osmose Curves
Sarah Fist'Hole
Alain Marc
Samantha Gai
Manuel Montero
Florian Tomasini
Sara Chelou
Rémi Teulière
Heptanes Fraxion
Oscarr
Lance-Roquette
Ronan Rocher
SLip
Thomas Vinau
Cloud
A.C. Hello
Gilles Fela
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Olivier BKZ
Jérémy Brethes
Wood
Thierry Théolier
Jean-Marc Renault
Marc Brunier-Mestas
François Richard
Vincent Pons
Fred Gevard
Christophe Siébert
Olivier Allemane
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mandy
sans titre
Pour regarder ses oeuvres,
cliquez sur son nom dans le
dossier Galerie ou bien cliquez ici
pour ouvrir directement la
première image
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aurore laloy
nacre 1
La tache de sperme sur sa robe
étincelait de mille petites paillettes
et éclipsait l’éclat de ses yeux.
6
aurore laloy
nacre 2
Pour regarder ses oeuvres,
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7
n.a.g.
c+U=
C
J'ai le béguin pour two thousand and nine. J’ai une fibre.
Une vibe. Un cri unanime. J’ai des rots de joie scotchés
au palais. Ça fait mal.
Ça congestionne. Faut qu’ça sorte tous ces Hmpff, faut
qu’ça crisse comme des paquets de chips sous mes
doigts.
J’embarque.
J’ai l’âme ciselée, taillée au cordeau, nettoyée au
plumeau.
Putain, on fait partie de l’Histoire, non ? C’est con mais
on pourrait finir par en douter vu tout ce qu’on entend
sur le monde.
Ils veulent nous pourrir le paradis ? Eh bien ?!!! Oui ?
Non ?
On fait partie du cri de désespoir généralisé oui ou non ?
Soit, nous en serons les voyelles et nous pisserons des I
majuscules dans les neiges de juillet, qu’en dis-tu
Ursula ?
Je lui fais : j’ai le béguin pour two thousand and nine,
mon sucre, mon miel, mon ovocyte.
Elle sourit. Elle aime bien quand je suis bien. Elle adore
quand j’me marre.
Il fait froid dehors, c’est ça qui me rend jouasse.
Une putain de caillante à pas traîner dans les rues avec
les doigts mouillés.
La ville fume de froid.
On bifurque sur l’avenue de Rome avec la poussette et
le pique-nique dedans, à la place de la gamine.
En réalité, on arrive pas à faire un enfant, mais on a
acheté une poussette en attendant.
Je lui ai dit : on va pique-niquer au square ?
Par un temps pareil ? Elle m’a fait
Aboule le jambon j’ai dit et on a tracé.
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J’avais juste oublié que le square est rempli de
balançoires remplies d’enfant remplis de joie, remplis de
putain de bâtons de dynamite de joie.
Bon. Bref. Voilà. C’est ma première histoire de deux
mille neuf. C’est inquiétant, qu’en pensez-vous ? Deux
personnes âgées de trente et quelques années et douées
de toute la raison du monde qui achètent une poussette
avant même la conception du môme. Qui s’esquintent
avec ça. Basculent dans la nouvelle année comme un
malheureux par-dessus un balcon…
Mon père me téléphone à 12h52. Tout le monde
cherche ma mère. Elle s’est barrée. Tout le monde lui
court après. Une infirmière l’a vue sortir vers 11h et puis
plus rien. Elle a dit qu’elle allait faire le tour du petit
bassin et nourrir les trois canards. C’est ce qu’elle a dit
qu’il me dit, tu te rends compte ? Tu t’imagines un peu ?
Je saisis, oui. C’est l’enfer. Ça commence bien.
U
J’ai pas la gueule de bois, je sais plus ce que ça veut dire
la gueule bois, j’étais même pas défoncée hier soir, le
31/12. Même pas chaude. Même pas gaie.
J’ai marché sur des trottoirs toute la nuit à m’imaginer
des flaques de verglas mauves un peu partout.
J’ai cherché une boulangerie d’ouverte ou un salon de
coiffure.
J’ai remonté la Rue de la Roquette. Les bars à salsa.
Merde. Les videurs qui zozotent, des blondes en Levi’s
ni tristes ni joyeuses, on ne sait pas ce qu’elles ont dans
le crâne, on n’arrive pas trop à voir, elles sont toutes
molles, habillées en bleu, intangibles, elles ne
parviennent jamais jusqu’à l’excès…
Me suis laissée gobée par le marché d’art contemporain
à Bastille. Ai négocié une statue avec un pneu de Jeep et
le Christ au milieu. Dessiné le portrait de mon enfant pas
encore né.
Ce soir, nous sommes sur le balcon, on fume le canal
Saint-Martin, d’humeur fantôme. Non pas qu’on en
veuille à tous ces crétins pour la mascarade d’hier soir,
ce serait trop facile.
Hier après-midi, j’ai reçu un texto de Cyril : Devant
Carrefour… Un océan de bagnoles à portée de mains, ça
brille de partout, on dirait un cimetière cétacé… Viens
me chercher… Pourquoi m’as-tu demandé de venir ici ?
Je te conchie…
Cyril à peine tournée la clé dans la serrure quand il est
rentré hier après-midi vers 5h, je lui ai sauté dessus. L’ai
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sucé. Un goût de pomme verte. Lui, des sacs de
provisions plein les mains. J’ai retiré un minuscule petit
bout de peau de sa bite avec le bout de ma dent. L’ai
crachoté sur le parquet.
Alors ce soir, ça rigole pas sur le balcon :
–– On aime ses personnages qu’une fois qu’on a terminé
de rédiger leur histoire !
–– Ah ouais ?
–– Ecrire est un truc d’impuissant, quoi !
–– !!!???
–– Une sale vérole mentale… ça m’empêche de dormir !
–– Viens te coucher...
–– Quoi ???
Cyril est écrivain. Pas moi. Il fait la gueule.
Je l’ai vu quand on est rentrés de la balade tout à l’heure,
il tirait la tronche. Faut dire qu’il y a eu hier quand je l’ai
mordu volontairement, il m’en veut encore. Je pensais
pas que ça faisait aussi mal, honnêtement, je croyais pas
que c’était si sensible.
Hier on a pas fait le réveillon ensemble. On est marié
depuis quatre ans et quart. C’était le premier réveillon
qu’on faisait pas ensemble. C’est pour ça que je l’ai
mordu, mais je lui ai pas dit.
Moi j'ai marché toute la nuit du 31/12 dans les rues du
XIè.
=
Je viens de tuer Ursula. JE VIENS DE TUER URSULA.
Ursula, on dirait un mannequin de mauvaise qualité
maintenant. Enroulée, étendue, saupoudrée de son sang
coquelicot. Elle crée une flaque avec des grumeaux sur
l’avenue Parmentier. Des croûtons, des dés de jambon,
des haricots rouges, ça parsème le bitume jusqu’aux
deux trottoirs. Et puis y a son corps au milieu, en plein
milieu, on dirait qu’elle l’a fait exprès. Elle forme une
espèce de croix gammée parfaitement parallèle aux deux
trottoirs.
La bagnole de police lui déloge un poignet en pilant. Y a
des bruits de portières, y a des caquètements, y a des
flashs, des rots qui veulent toujours pas sortir, j’aperçois
une gamine qui passe, y a sa mère qui la tire par le bras,
elle qui continue de lécher sa sucette en regardant tout
ça, y a des caravanes de gens qui passent et regardent et
puis un flic qui essaye de remettre le poignet d’Ursula à
sa place d’origine.
Mon père m’a téléphoné à 13h16 : on a retrouvé
maman, tu sais quoi. Tu devineras jamais. C’est trop
drôle, tu devineras jamais. Partie faire un pique-nique en
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campagne. Doux Jésus Marie Joseph. Un pique-nique
avec rien à bouffer !!! Faudrait quand même qu’on
réfléchisse à la suite pour Maman, t’en dis quoi ? Pas un
croûton de pain dans la poche et elle elle s’imaginait
qu’elle allait se faire un pique-nique !!! Et le temps
dehors, t’as vu la température qui fait ??? !!!
Je me rappelais la dernière missive de ma mère. Un
skud. Une anthologie pour âmes égarées. Le parfait
exemple de ce qu’on a pas envie de devenir, je crois que
c’est ce qui m’a finalement décidé à pousser Ursula dans
le vide. J’y avais déjà pensé mais là, en repensant à la
missive de Maman, j’ai dégénéré. Dans sa lettre, Maman
me parlait des oiseaux qui chantaient dans le jardin
devant sa chambre à l’asile. Elle dressait une liste
exhaustive des espèces avec leur nom latin et tout le
tremblement. Je m’étais mis à trembler en lisant ça.
Ensuite, elle me parlait des ateliers de motricité. Elle
disait qu’on la faisait mettre en cercle avec les autres
patients. Il s’agissait de faire rebondir une balle au sol en
la faisant tourner en rond de mains en mains. Attention,
la balle ne devait rebondir qu’une fois elle précisait, et
m’expliquait combien c’était difficile. Après, il fallait
refaire l’exercice deux à deux, de plus en plus vite, avec
un seul rebond, sans laisser échapper la balle. Elle disait
qu’elle en bavait avec les toutes ces ombres qui
dansaient sur le mur à cause du soleil rasant, et la
difficulté qu’elle avait à se concentrer.
Y a un pompier qui soulève Ursula et la replie comme
une boîte en carton.
Je vois le flic avec un calepin sur le trottoir. Il interroge
un type chauve et lève la tête vers moi. Je rentre à
l’intérieur et puis ressort par la porte d’entrée. Je prends
l’escalier, j’hésite, la porte de derrière ou celle de devant
sur l’avenue Parmentier. Je prends celle de devant, je
vais voir le flic, je me dis que c’est le meilleur moyen. Je
me plante devant le flic en me frottant la nuque. Il me
toise, ôte son képi et se gratte les cheveux avec son
stylo. Y a la gamine un peu plus loin qui me regarde en
léchant sa sucette. Elle plisse les yeux. Elle m’observe en
penchant sa tête vers l’avant. On dirait qu’elle attend de
voir ce que je vais bien pouvoir raconter. Je déglutis. Le
flic a l’air embarrassé. Votre femme est morte j’en ai bien
peur, il me fait. Je fonds en larmes.
Bon. C’est qu’une première histoire de deux mille neuf.
Rien de neuf sous le soleil, eh eh eh. Les couples auront
toujours du mal à se supporter, le tout étant de ne pas
basculer dans le sordide et l’irrattrapable, Osama Bin
Laden court toujours. Bref. Ursula a sauté par-dessus la
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rambarde, je ne sais pas si j’irai à son enterrement. Je
suis veuf, putain de Dieu, JE SUIS VEUF. Ça me fait
l’effet du permis de conduire. Une sacrée nouvelle. Pour
l’instant, je sais pas trop comment je vais m’en sortir sans
elle. Je digère le scoop, je profite pleinement du caillot
qu’il a laissé au fond de ma gorge.
Pourtant, j’ai le béguin pour two thousand and nine. J’ai
une vibe pour ce nombre en anglais. Si vous le dites
avec l’accent Cockney, ça fait two thousand and noine,
y a un rythme là-dedans, ça me fout en transes. Le n est
ma lettre préférée, je viens de le décider, et puis y a une
espèce d’aboutissement dans ce nombre, two thousand
and nine, pas un truc fermé comme dans two thousand
and ten, non, plutôt une sorte de fin ouverte, une note
qui se prolonge, un larsen qui meurt doucement. Y a un
cri unanime dans ma tête qui me dit qu’il faut en
profiter. C’est littéralement un appel. Il se poursuit
jusque dans mes bras et mes doigts qui tricotent sur le
clavier. Vraiment, j’ai pas l’habitude de dire des trucs
comme ça, mais je crois que je vais être magnifique en
écriture cette année.
U
Cyril me fait chier avec ses textes, autant dire les choses
telles qu’elles sont. Au début je trouvais ça excitant de
remuer ses papiers. C’était transcendant et doux à la fois,
je crois que je confondais mon amour pour lui et son
écriture en quelque sorte. J’étais indulgente, c’était
tellement nouveau pour moi, j’acceptais tout ce qu’il
écrivait, je ne voyais même pas les fautes
d’orthographe… Je trouvais tout subtil, j’étais capable de
lire entre ses lignes. Et puis ça le rendait précautionneux,
attentif aux autres, l’écrivain observe il disait, l’écrivain
prend note. Maintenant il a bloqué tous les accès. Je ne
l’ai pas vu venir. Il est enfermé devant son ordinateur
comme dans la pire des prisons coréennes et ne se rend
pas compte. Il vous trouve des sentences pour tout, on
dirait qu’il s’amuse à fusiller toutes les valeurs les unes
après les autres. Le seul problème est qu’il a mis l’amour
dans le peloton d’exécution. Il m’a projetée en première
ligne avec un bandeau sur les yeux et m’a demandé cinq
minutes, le temps de charger son fusil.
En cette fin d’après-midi du premier janvier deux mille
neuf, on est à demi couché sur la rambarde de sécurité
et on fume sur le balcon, lui et moi. Il neige et je trouve
que c’est une belle surprise, une merveilleuse nouvelle,
mais si je le regarde je sens que je vais m’énerver encore
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une fois. Prenez le premier cochon en peluche que vous
trouverez dans un magasin pour enfants et vous aurez
une idée du regard qu’il jette sur le canal Saint-Martin.
Ses yeux ostensiblement tournés vers l’intérieur. De là
où je suis si je le regarde, je ne verrai qu’un voile gris, si
je lui pose une question il ne me répondra pas et je vais
m’énerver encore une fois, si je lui prends la main, il
serrera la mienne machinalement en me pressant les
doigts, me caressera la nuque et ça s’arrêtera
probablement là. Je vais rentrer à l’intérieur, je vais aller
me coucher, c’est plus rationnel comme ça. Tant pis
pour les flocons de neige.
C’était quoi ces conneries à propos d’écrire tout à
l’heure ? « Une vérole mentale », ça veut tout et rien
dire… Cyril a le chic pour ça, son imagination le rend
imprécis… Il veut imiter qui avec ce genre de phrases ?
« Ecrire est un truc d’impuissant… » Il veut se dédouaner
de quoi avec ça ? Du fait qu’il ne me touche plus ? Ne
me baise plus que par rafales, comme on décharge un
pistolet, avec une violence inouïe ? Et puis : « On aime
ses personnages qu’une fois qu’on a terminé de rédiger
leur histoire ! », ça veut dire quoi, franchement ?
Je suis couchée. J’ai les yeux grands ouverts dans le noir,
j’imagine que ça brille férocement, mes yeux dans la
nuit. Dans trois secondes je vais pleurer, je vais ruisseler
comme une fontaine, je vais faire du bruit et Cyril
m’entendra. Il va s’approcher de moi, s’assoir sur le bord
du lit, de mon côté, il va dire : « Allons bon… » Et se
sentira mal. Des dizaines de choses vont se bousculer
dans sa tête et il va essayer d’argumenter. Il me rassurera
car il sait trouver les mots. Nous allons baiser, ce sera
toujours ça de pris que je me dis, et puis je sens que je
commence à pleurer. Pourtant je rigole à l’intérieur, mais
je sais que ce rire est malade. J’entends Cyril qui
s’approche dans le couloir. Je hoquète, j’ai du mal à
respirer, je sanglote, ça me fait trembler de partout et je
perds le contrôle de tous ces spasmes… J’aimerais qu’il
soit déjà là, juste à côté de moi, je sens que mon visage
se tord dans tous les sens, la bouche en U inversé, les
yeux injectés, le nez tout morveux. C’est vrai que ça doit
être impressionnant vu de l’extérieur mais moi je sais
que ce n’est rien, un orage passager, je m’en remettrai.
Cyril allume la lumière et avance à petits pas. Je repense
à hier, quand je lui ai mordu la quéquette, putain fallait
que je sois dans une drôle de rage pour faire ça… Fallait
vraiment qu’il m’ait poussée à bout… Je ris à l’intérieur,
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c’est trop con, tout ça est trop drôle… Vas te faire voir
Cyril, vas te faire foutre mais avant, fais-moi juste un
enfant… C’est tout c’que je te demande… Un enfant et
je te laisse en paix ! Je trouve rien de mieux à lui dire :
un enfant et je te laisse en paix ! Je suis confuse, j’ai
honte de ce que je viens de dire. Cyril me darde un
regard étonné, j’ai l’impression que je le dégoûte, ça me
donne envie de pleurer encore plus fort, qu’est-ce que tu
veux que je te dise d’autre ? Je lui demande… Qu’est-ce
que tu voudrais que j’espère de mieux de ta part ? Cyril
est pris de cours. Il ne s’attendait pas à un tel scandale. Il
se racle la gorge en cherchant quoi répondre. Je me
demande si ça l’inquiète vraiment tant que ça, s’il est
réellement avec moi, sur cette planète, à cet instant
précis. Cyril est écrivain, ce genre d’histoires, ça le
connaît.
C
C’était un accident ! Un bien étrange accident ! Je
m’explique : Il neigeait. Vous avez vu ça ? Il neigeait je
vous dis ! Des flocons gros comme le poing ! Et durs
comme tout ! De vrais obus ! Ursula a voulu en attraper
un et hop elle a basculé, c’est aussi simple que ça, elle
voulait en mettre un dans sa bouche, vous entendez ?
Juste pour le plaisir, pour le goût que ça a, les premières
neiges de l’année… Le flic continue de se gratter le
crâne avec son stylo. Il ne trouve pas que j’en fais trop,
ça lui semble naturel d’en rajouter un peu dans un cas
pareil et je vous assure que son verdict est sans appel, je
le vois dans ses yeux radieux de compassion : C’ETAIT
UN ACCIDENT.
A peine le temps de jeter un dernier coup d’œil à Ursula,
y a un pompier qui referme un sac noir autour d’elle et
plus loin la petite fille qui continue de lécher sa sucette
en m’observant. Elle assombrit un peu le tableau cette
gamine avec sa sucette, comme le leitmotiv qui vous
transforme un rêve en cauchemar. Son apparente
innocence ne me plaît guère.
Je lui balance une
grimace, la plus horrible trogne dont je sois capable mais
c’est sa mère qui prend peur. Allez viens, Ursula, elle lui
dit en la tirant par le bras… La gamine s’appelle Ursula !!!
CETTE GOSSE INFERNALE se prénomme Ursula !!!
J’ai l’impression que mon cœur me lâche, y a plus que
de la fumée dans mes bras et mes jambes, ça picote, ça
se vide en crachotant ses dernières étincelles, y a plus
que des volutes rêches en moi, peu de chances que j’en
sorte indemne. J’ai froid d’un seul coup.
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Je me remonte l’escalier en veuf, note un tremblement
dans mes doigts au moment d’introduire ma clé dans la
serrure. Si je me questionnais sur ma qualité de monstre
absolu, me voilà rassuré. Je balance des coquillettes
dans une casserole sans poignée… La dernière trouvaille
d’Ursula avant sa mort… Le must en matière de
rangement… Ursula, voyez-vous, je l’aimais pour ça
aussi. Je dégote un paquet de 200g de lardons. J’en bave
pour l’ouvrir, péniblement je me souviens que j’ai oublié
de faire bouillir l’eau pour les coquillettes.
Les lardons légèrement calcinés, je ne comprends pas
comment les grands chefs n’y ont jamais pensé. Pour
peu que vous preniez des lardons fumés au feu de bois,
le résultat est stupéfiant. Ne pas lésiner sur le jus. Verser
l’intégralité de la poêle sur les coquillettes et déguster.
Les lardons se révèleront longs en bouche,
incroyablement fondants et fermes sous leur croûte
noire.
Pour faire court, je dirais que ma première surprise de
deux mille neuf survient lorsque j’entends des hoquets
dans la chambre à coucher. Ses reniflements. J’aurais dû
m’en douter. Avec tous ces mouflets dans le square...
Passe-moi le jambon je disais, passe-moi ci passe-moi ça
mais je savais bien qu’elle n’avait d’yeux que pour les
gosses. Et puis y avait la poussette qui brillait à côté de
nous. Quelle étrange idée j’ai eu d’acheter cette
poussette… C’est pas un jouet une poussette, c’est
sérieux, c’est bourré de symboles lumineux… Faut que
j’aille la voir, faut que je m’approche doucement, faut
m’assoir à côté d’elle, elle adore ça, faut qu’je trouve les
mots, les enchaînements… Two thousand and nine, ça
va être notre année, ma chérie… Y a qu’à voir comment
ça sonne bien en anglais… En plus si tu prends l’accent
Cockney, ça fait two thousand and noine… Tu vois
comme ça rend bien ? Cette année c’est pour nous mon
amour !!! Faut que je lui communique mon humeur,
c’est palpable un optimisme… Je lui fais : j’ai le béguin
pour two thousand and nine, mon sucre, mon miel, mon
ovocyte. Elle sourit. Elle aime bien quand je suis bien.
Elle adore quand j’me marre.
Il fait froid dehors, c’est ça qui me rend jouasse.
Une putain de caillante à pas traîner dans les rues avec
les doigts mouillés.
La ville fume de froid.
Tous les héros de mon histoire sont en place. Ça tient la
route, putain. Ça tient la route !
15
=
Après, Il ne neige plus. La rue est large, l’asphalte
régulier, je m’engouffre sans peine entre les vieilles
maisons. Je suis bien, je suis au mieux, je souris à
l’adhérence de mes pneus sur les rares craquelures du
sol.
Dans mon coffre un jerrycan fait le va-et-vient mais je
n’y prête guère attention, j’ai une main sur le volant,
l’autre repose sur mon fémur droit juste au-dessus de la
rotule. Régulièrement je change une vitesse et le bruit
du moteur comme un cri étouffé dans un foulard me
rassure. Je ne fume pas, mon cœur est reposé, je suis
bien, je suis au mieux.
J’appréhende la courbe à 120° devant une école. A un
moment T, au milieu du grand virage, le soleil vient
taper le pare-brise. Je tire sur le pare-soleil, ma main
droite abandonnant un instant mon fémur. Je ressors de
la courbe et salue deux vieux messieurs qui se tiennent
debout sur le bas-côté. Ils ne me voient pas. Je tends les
doigts, j’agite la main, je parle plus fort, je plante mon
visage au plus près de la vitre passager mais les deux
vieillards ne me saluent pas.
A un moment T+2 je suis sur le parking du Franprix.
J’avance tranquillement en pompant la pédale de
débrayage. Une vieille dame surgit au milieu de la place
de parking. Une femme concentrée sur ses pas. Je
ralentis pas. La mémé ne me voit pas. Je ralentis pas.
Bientôt ma voiture frôle son tibia, elle regarde ses
souliers, cherche à éviter les flaques d’huile.
La collision se produit sans un bruit, naturellement.
J’entraperçois sa jambe qui disparaît sous le capot, puis
son bassin, sa nuque. J’actionne le frein à main, je me
propulse en avant d’un coup de rein, j’ouvre la portière,
je sors au soleil bleu.
Après, j’appelle mon père : Ursula est morte, tu sais.
Bon Dieu c’est arrivé à quelle heure ?? Et puis, je viens
d’amocher une vieille, elle est pas jolie à voir, Papa… Si
tu la voyais tu comprendrais…
Les pompiers, ils mettent pas trente secondes à arriver,
le camion tout penché sur le côté dans les virages. Les
flics aussi, les mêmes flics que tout à l’heure, la
patrouille de secteur quoi. Le gars est tout emmerdé de
me revoir. Il va s’en faire une infection du cuir chevelu
tellement il se sera gratté pour moi aujourd’hui. Merde,
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vous alors, on peut dire que c’est votre jour… Mon pauv’
vieux… Il balance la tête en soupirant bien fort pour que
je l’entende… Et un premier janvier avec ça !
Putain de reflet du soleil sur la neige, je lui fais, putain
de soleil… Pas vu la vieille !!! Je crie entre mes dents...
Pas vu la pauvre vieille… Même pas son chapeau…
Même pas son chien… Même pas sa canne avec les
affreuses dorures… Putain de vieille je conclus. Il se
redresse. Pôvre… Pôôôôvre vieille, je corrige. Il se
détend et conclut : AFFAIRE CLASSEE.
Tapie dans l’ombre avec sa sucette, bien à l’abri derrière
un climatiseur pendu sur les murs du Franprix, y a la
gamine qui me regarde, sa mère a disparu. Elle est où sa
mère ??!!
Two thousand and nine, j’aimerais pouvoir te parler face
à face pour te dire à quel point ta gueule me plaît. Ta
fibre, tes formes, ta couleur, ta tessiture m’inspirent. Tes
premiers cris me parlent. On dirait que je me tiens au
bloc opératoire et que je viens de voir mon propre
visage jaillir des entrailles de la Terre. Je ne sais pas
combien de temps ça va vouloir sourire alors en
attendant j’écris. Tout le temps, même quand je
descends les poubelles, j’écris en pissant, j’écris en
conduisant, j’écris en me pignolant, j’écris au travail,
j’écris en allant chercher du vin à la cave, j’écris en
dormant, j’écris en marmonnant bonne nuit. J’écris les
yeux grands ouverts dans le noir en ce moment même,
j’imagine que ça brille férocement, mes yeux dans la
nuit. Ma femme dort à côté de moi, sa crise de larmes
est passée. Un coup de sang, rien qu’un petit coup de
spleen, elle m’a dit. Moi je sais que c’est plus profond
que ça mais je fais comme si je comprenais que dalle.
Ça me donne du temps pour écrire en attendant de
m’occuper d’elle plus sérieusement. D’ailleurs elle fait
sûrement semblant de dormir en ce moment même. Je
ne sais pas trop par quel bout je vais prendre ça mais je
vais m’occuper d’elle bientôt, dès que mon ciboulot
m’aura laissé en paix.
U
J’ai passé toute la nuit du 31 /12 à vagabonder dans les
rues du 11è. Y avait des flaques de verglas comme des
nuages sur les trottoirs. Des nuages de couchers de
soleils, mauves et clignotants. Dans les appartements
toutes les lumières étaient allumées et les portes
ouvertes en grand, je voyais des verres qui trinquaient
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mais jamais de visages. J’entrapercevais des bras qui
tendaient des plateaux de gibier à travers des tables
dressées et jamais un seul regard qui m’aurait guidé vers
une âme. Des rideaux pourpres tombaient aux fenêtres,
derrière j’imaginais les grands lustres qui s’effondraient
sur les convives et allumaient des feux. Des brasiers de
fête. Y avait des plateaux d’huîtres qui circulaient aussi,
accrochés à des mains et des boutons de manchettes, ça
me soulevait le cœur et me ramenait à Cyril. Cyril
adorait les huîtres et il m’avait plantée pour le réveillon.
C’est pour ça que je l’ai mordu et lui ai retiré un
morceau de prépuce dès le lendemain.
J’ai trouvé une boulangerie juste avant 2009. J’ai mangé
deux gâteaux à la crème de café, l’échoppe était déserte
et il y faisait froid, les gâteaux n’étaient pas mauvais mais
j’ai préféré sortir et les bouffer dehors en marchant au
milieu des boulevards.
Et puis, plus loin en direction de la Seine, il y avait un
salon de coiffure pour mères célibataires. C’est ce que
disait l’enseigne aux néons : salon de coiffure, coupes,
mèches et teintures pour mères célibataires. J’ai poussé
la porte en espérant qu’ils demandaient pas le livret de
famille.
C’était surtout des femmes pauvres à l’intérieur, des
junkies, un air de dignité apaisée circulait dans leurs
regards. Les tarifs étaient dérisoires. Je me suis assise,
j’ai calé mon cou et j’ai demandé des mèches blanches.
Blanches ? Ouais, blanche-neige j’ai fait. Des fils de
neige un peu partout dans mes cheveux noirs. Tu fais
chier Cyril, j’ai pensé. Les femmes conversaient à voix
basse dans la boutique en se tenant la main d’un siège à
l’autre. Elles se racontaient des histoires affolantes et
conservaient un air impassible, le regard déconnecté.
Elles demandaient toutes une transformation radicale de
leur visage par le prisme de leur coupe de cheveux.
« Quand on a vécu deux ou trois trucs vous savez… »
m’a dit la coiffeuse. Elle m’a regardée et a ricané. Elles
avaient des vies merdiques et moi j’étais la bourge de
service, un ventre plat comme une limande. J’avais
jamais touché à la cocaïne ou à l’héroïne, j’avais jamais
avorté, j’avais jamais enterré mon mari, j’avais jamais
voulu me noyer avec mon enfant dans les bras.
A minuit les cloches de 2009 ont sonné et on s’est toutes
embrassés à la va-vite. Je me faisais l’effet d’un fantôme,
j’ai à peine senti leurs lèvres sur mes joues.
Cyril. Maintenant je suis à quatre-pattes sur lui et il arrive
pas à ouvrir les yeux. Je le chevauche comme une
enragée. Cyril est comme tous les autres, il bande
18
surtout quand il a peur. Il trique même comme un âne
alors j’ai aucun mal à le diriger, surtout que j’en ai
salement envie et que cette envie me semble
paradoxale, limite nauséabonde, mais je m’attarde pas làdessus sur le coup. Cyril tapote la table de nuit, il
cherche ses lunettes. Il pue de la gueule. Je le
chevauche, je suis en équilibre sur mes pieds à présent,
c’est meilleur ainsi. Je lui dis que c’est pas la peine de se
réveiller, que c’est bon comme ça, comme un viol. Faismoi juste un enfant je murmure à son oreille sale, il
panique et cherche la lampe de chevet qui se renverse et
se brise. Je lui tire sur la queue quand il se ramollit. Je
me retire et attrape son membre comme une arme de
poing. Il rebande vite. Je le chevauche en lui donnant
des coups de seins au visage. Il est KO, son cerveau
évaporé dans une de ses histoires. Il a perdu toute sa
substance, Cyril, depuis qu’il écrit des histoires de
meurtres. Je lui fous des coups de nichons de plus en
plus forts et j’enrage quand il jouit et que je sens le
nuage tiède et le gland pomper dans mon trou. Il est
vide, il n’a plus de tripes, plus de cœur, il se rendort.
C
Le 23 janvier elle vient me voir sur la pointe des orteils
et ça y est c’est bon. Ça y est c’est réglé, une affaire qui
marche. Attend de savoir ce que j’en pense, se plante
devant moi en tapotant le test de grossesse dans la
paume de sa main. Ça ressemble à n’importe quoi son
test de grossesse, une sorte de petit thermomètre, et
pourtant elle tient ça comme si elle manipulait une arme
sophistiquée dont elle allait pas tarder à se servir.
Visiblement elle attend une espèce de clin d’œil du
destin pour la pointer sur ma tempe.
J’ai pas de réaction autre que de la prendre dans mes
bras et d’enfoncer mes doigts dans ses cheveux et de les
peigner.
Le lendemain je reçois une autre lettre de ma mère avec
papier à en-tête de l’asile où elle m’explique comment
elle entend les oiseaux du matin au soir maintenant. A
quel point elle les entend pépier du matin au soir, au
moment du petit-déjeuner collectif à la cantine, pendant
le repas de midi, entre les deux aussi, de 8 à12h et puis
après à la sieste tout en somnolant. Elle dit qu’elle ne
dort que très peu pendant la sieste finalement à cause
du vacarme. Et qu’elle entend alors les oiseaux. Peu de
sommeil profond c’est le lot de toutes les folles dans son
genre elle m’explique, m’implore de la sortir de là.
Au beau milieu des ateliers de sophrologie, au
19
crépuscule avec un tintement de cloches en contrepoint, elle dit qu’elle ne vit plus que pour les oiseaux.
Que ce soit dehors, que ce soit dehors sur le balcon,
dehors dans le parc, dehors dans le jardin aux
magnolias, plus loin sur le terrain de sports ou plutôt
dans son cerveau dément, elle entend piailler et battre
de l’aile, claquer ces mêmes ailes contre l’air trop doux,
comme des appels au calme depuis le fond de leur bec
aussi. Elle dit qu’elle va s’enfuir de là, avec les sternes de
préférence. Avec les sternes de préférence elle martèle
dans sa lettre, dégringoler avec elles, leurs ailes qui se
froissent, leurs yeux comme des lance-flammes quand
elles frôlent la mer et reprennent leur vol, une proie
entre les pattes, etc. Tout ça me fait penser à cette
nouvelle de Selby dans chanson de la neige silencieuse
et finalement me donne envie de pleureur.
J’écoute en boucles un morceau qui s’appelle scared of
ghosts en ce moment. En boucles aussi je plie et replie
les lettres de ma mère dans mes poches de pantalon, et
c’est ainsi que formidablement tout se met à faire sens
d’un seul coup tandis qu’au fond de mes poches de
pantalon, je sens que les coutures cèdent…
=
L’enterrement d’Ursula est une réussite. Y a pas grand
monde mais tous mes personnages sont là : la mère de
la gamine et la gamine cachée derrière un cyprès son
sucre d’orge à la main, le flic chauve, mon père radieux,
ma propre mère avec ses cheveux fous, deux infirmiers
qui la tiennent par dessous les bras, comme pendus à
son peignoir, trois couples de pompiers. Il neige et les
pas des fossoyeurs crissent et de la fumée froide sort de
nos bouches. Nos larmes gèlent, nos doigts nous font
mal, nos nez coulent. Il y a aussi quelques collègues de
travail d’Ursula, chacun lutte avec son corps et la peine
qu’il lui inflige. Ursula était vendeuse et maintenant elle
est morte, Ursula était belle, née à Fontainebleau morte
à Paris, c’est déjà une sacrée trajectoire de réussite fait le
prêtre civil - ou quelque soit son titre. So long Ursula, il
conclue, see you in heaven, il dit ça avec un accent
irlandais, je le regarde bizarrement et lui file un billet de
50 euros. Le soir même je rêve que j’incise le ventre
d’Ursula, de bas en haut, que je retire l’embryon et le
mange.
Au matin du 24 janvier j’ai plus de fuel. J’aurais jamais
dû rassembler mes personnages à l’enterrement d’Ursula.
C’est là que les problèmes commencent. Ma tête me
20
gratte, j’ai une douleur intercostale, le bras ankylosé, je
l’ai entendue chantonner en se coupant les ongles des
pieds depuis son réveil et ça me fait souffrir. J’ai jamais
été très bon pour les dialogues alors je lui parle pas, je
lui hurle pas de la fermer à travers le couloir, je garde
tout pour moi. Pas étonnant dès lors que ma pensée
devienne brouillonne et que mes yeux se perdent sur
l’écran de mon PC comme des papillons en fuite. Mes
oreilles bourdonnent, mon cœur grince. Je me lève :
syndrome de la page blanche, writer’s block en anglais,
peu importe, de l’avancée de ce curseur Word vertical
ne dépend pas la survie de ma famille, ça pourrait être
pire, je fulmine, je boue littéralement, je suis en nage à
cause du chauffage collectif ouvert en grand. Je suis pas
écrivain, j’ai menti, à vrai dire j’ai une autre occupation
qui subvient à nos besoins, je suis enseignant. En classe,
j’étudie des extraits de roman en anglais, parfois des
nouvelles entières, les jeunes n’aiment plus trop lire, je
les force pas. Je m’appelle Sébastien, ma femme se
prénomme Sophie, elle est une des rares choses vraies
dans cette histoire. Nous attendons notre premier enfant,
elle dit que c’est une fille. Je regarde son ventre et j’y
vois que dalle.
–– Comment tu sais ça toi ?
–– Simple intuition, tu sais bien… Et toi, tu voudrais que
ce soit quoi ? Elle rigole.
–– What’s a blind deer ?
–– ????
–– No idea ! Je lui fais et enfile mon blouson. Je suis en
colère.
Ce qui est vrai aussi dans cette histoire, c’est qu’il neige
une espèce de neige de noël depuis 25 jours. Paris est
un château blanc. La ville a perdu l’arrogance de ses
boulevards, la paralysie lui va bien. Je passe devant le
lycée fermé à double tour, la neige a obstrué le grand
portail en bois, des stalactites pendent aux fenêtres et
des toiles d’araignées s’enroulent autour.
Quand j’arrive à Fontainebleau je me gare en forêt. Je
marche en faisant des glissades sur la neige. Derrière
moi j’entends de petits pas. J’aimerais bien que ce soit
un chevreuil beige qui me suive. Je me retourne pas, je
sais que c’est la gamine au sucre d’orge qui bondit de
sapin en sapin et m’observe en attendant la suite.
Ursula. Putain d’enfoirée d’Ursula ! Le silence retombe et
devient terrifiant.
C’est dans cette ambiance-là que tu comptes finir ton
roman ? Je me demande. Avec une pensée pour ma
mère, je retourne à ma voiture et prends la direction du
sud.
21
benjamin monti
sans titre
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22
boris crack
le crack de 29
J’ai eu 29 ans hier
A 29 ans Romy Schneider
vidait les cendriers
J’ai bu des bières
J’ai dormi sur le balcon
J’avais l’air un peu con
Romy dans sa trentaine
vidaient les cendriers
d’Harry Meyen
Je me suis réveillé
C’était bière ou café
J’ai bu des bières
J’ai vu Romy Schneider
qui vidait les cendriers
chez moi à l’aube
« C’est le Crack de 29 »
J’ai dit à Romy
« Il écrit de la daube »
Moi aussi elle m’a dit
« J’ai 29 ans aujourd’hui
et je vide les cendriers »
J’ai allumé la radio
Un livre de Cadiot
lui servait de balayette
Il y avait des cendres par terre
Je fêtais mon anniversaire
à Pompéi
23
« Pour mon pays
me dit Romy Schneider
Je suis une petite pute »
Il y avait un air de flute
à la radio et bientôt
ils nous promettaient
du Michel Berger
Je suivais des yeux Romy
qui vidaient les cendriers
J’ai regardé son cul
J’ai dit « Si j’ai survécu
c’est grâce à Michel »
« C’est le Crack de 29 »
J’ai dit à Romy
« Ghost is in the Shell »
Si j’ai survécu, c’est grâce à la bonne musique
C’est grâce à la bonne musique si j’ai survécu
Si j’ai survécu, c’est grâce à la bonne musique
C’est grâce à la bonne musique si j’ai survécu
La justice c’est la voiture
La police c’est la nature
Les nains ont les yeux clairs
Ce soir je vais plaire
C’est le Crack de 29 je lui dis
Et Romy vident les cendriers
Ma grand-mère est née en 29
C’est elle qui m’a payé
Ma première banana split
Si j’ai survécu, c’est grâce à la bonne musique
C’est grâce à la bonne musique si j’ai survécu
et à la banana split de ma mémé
Si j’ai survécu, c’est grâce à la banana split
C’est grâce à la banana split si j’ai survécu
C’est grâce à la banana split de ma mémé
Et Romy vident les cendriers
« Pour mon pays
me dit Romy Schneider
Je suis une petite pute »
24
Il y avait un sac en toile de jute
et un livre de Cadiot
par terre, à la radio
il passait du Balavoine
Je suivais des yeux Romy
qui vidaient les cendriers
J’ai regardé son cul
J’ai dit « Si j’ai survécu
c’est grâce à Daniel »
« C’est le Crack de 29 »
J’ai dit à Romy
« Ghost is in the Shell »
C’est grâce à la bonne musique si j’ai survécu
Si j’ai survécu, c’est grâce à la bonne musique
et grâce à la banana split de mémé
Si j’ai survécu, c’est grâce à la banana split
C’est grâce à la banana split si j’ai survécu
C’est grâce à la banana split de ma mémé
Et Romy vident les cendriers
La justice c’est la voiture
La police c’est la nature
Les nains ont les yeux clairs
Ce soir c’est mon anniversaire
25
boris crack
j'ai payé 13 euros 50
pour voir une bite en 3D
se faire bouffer par un
piranha
(Les petits reportages de Boris)
J’ai payé 13 euros 50 pour voir une bite en 3D se faire
bouffer par un piranha. C’est ma faute, j’ai pris un
Perrier. Mais ça fait quand même 11 euros 50 pour voir
« Piranha 3D » d’Alexandre Aja. Je n’ai rien contre la 3D,
même si ça fait un peu loucher. Quant à mon mal de
tête, ce devait être la chaleur, il faisait très chaud ce jourlà dans le sud de la France. Il a dû se trouver quelques
personnes, à l’époque, pour reprocher aux Pharaons le
côté tridimensionnel de leurs pyramides et préférer les
peintures murales. Contre le film lui-même, je n’ai pas
non plus de critiques à formuler. Les films d’horreur, j’ai
grandi avec, ils auront toujours un goût de « reviens-y ».
Je les ai tous vus, sans doute parce que mon père les
aimait lui aussi mais s’interdisait de les voir à cause des
« enfants ». Quand je vais en voir un au cinéma, j’y vais
de manière non-intellectuelle. Un rien fait mon bonheur.
Comme ce moment où l’un des personnages principaux
(joué par la vedette de cette ancienne série « Sliders – les
mondes parallèles ») vient de se faire attaquer par les
piranhas et s’écrie « Y m’ont bouffé la bite! Y m’ont
bouffé la bite ! » La caméra replonge dans l’eau et on
retrouve sa bite (belle bite) en 3D en train de couler au
fond du lac. Elle est alors, à la stupeur d’un public
adolescent qui n’aura pas rêvé pareille scène (moi non
plus), interceptée par un piranha qui la pousse du nez
vers son collègue qui, lui, l’avale tout rond. 3 secondes
et la bite est recrachée par le poisson avec un signe de
dégoût. L’organe à demi mâchouillé reste suspendu un
26
instant au-dessus de nous dans la grande salle du
multiplexe. J’ai de très bon souvenirs dans les
multiplexes. Mais je ne me rappelle pas avoir jamais
payé si cher même quand j’habitais aux Etats-Unis. Le
supplément de 1€ pour couvrir les frais occasionnés par
la technologie 3D passent encore. La location des
lunettes (qui ressemblaient d’ailleurs à des masques de
plongée) facturée aussi 1€ est, elle, une pure arnaque.
Comment pourrait-il être légal de facturer la location
d’une paire de lunettes sans laquelle le film aurait
l’apparence d’un vitrail d’avant-garde ? D’un point de vue
juridique, cette location obligatoire est indéfendable, j’en
suis convaincu. Si je m’étais douté qu’il fallait payer une
telle somme pour voir une bite en 3D se faire bouffer
par des poissons, j’aurais mis la mienne dans un
aquarium. J’ai un copain qui a un aquarium. Il aurait été
ravi de me voir plonger un chibre frileux (au demeurant
une belle bite) parmi les algues artificielles, près de
l’entrée d’un château en terre cuite. Il aurait pris une
photo et il aurait mis ça sur Facebook, ce con. Je suis
sorti du cinéma vénère. J’avais pourtant passé un bon
moment (suis-je idiot ?). La scène où une centaine
d’étudiants en maillots de bain se font massacrer dans
l’eau est un régal. Les hors-bords et la sono du port de
plaisance où avait lieu le concours de t-shirts mouillés
disparaissent sous des hectolitres de sang et des tonnes
de viscères. Bande de païens fortunés (étudiants en droit
et apprentis ingénieurs ci-inclus), vous l’avez bien
mérité ! « N’empêche, je me dis, 13€50 avec un Perrier
pour voir une bite en 3D se faire bouffer par un piranha,
j’ai du mal à l’avaler. » Je dois rejoindre ma copine à
l’autre bout du centre commercial. Je sors du parking du
cinéma en enjambant un mur en béton. Je longe Top
Office. J’allume une cigarette dans l’ombre de Kiabi. Je
finis mon Perrier. Je traverse la route. J’arrive sur le
parking d’Auchan. Je suis le sentier ouvert pour les
piétons entre deux rangées d’arbustes. Il y a
énormément d’insectes volants dans ces arbustes. Je n’ai
pas trouvé de poubelle alors j’ai encore ma bouteille de
Perrier à la main. J’ai l’impression que ça les attire.
J’aperçois une espèce de gigantesque taon. Je me fais
discret mais c’est trop tard. Je sens une douleur vive
dans mon arrière mollet droit. Merde, ça brûle. Je
traverse à nouveau la route. Les automobilistes
ralentissent à contrecoeur. Il font rugir leur moteur. C’est
un samedi après-midi et, dites-le à Francis Cabrel, un
samedi soir sur la Terre, un samedi après-midi en enfer.
Le film d’horreur, c’est d’aller au cinéma. Le centre
commercial s’étend sur des kilomètres. Il faut une demi
27
heure pour en sortir à pied. Je trouve enfin une
poubelle. Je tourne au coin après Conforama et me
retrouve sur un chemin de terre au bord d’un petit ravin.
J’ai dû manquer quelque chose. Quelqu’un longe le ravin
devant moi, je le suis. On passe entre deux buissons. On
marche sur des copeaux de bois. L’homme parle Russe
dans son téléphone portable. Plus loin, deux vigiles (des
agents de la sécurité du parking) nous regardent. On
arrive sur le parking de Toys « Я » Us. L’un des vigiles
vient vers moi. Il me demande ce que je fais là. Je luis
dis « Quoi ? Eh ben je fais les magasins comme tout le
monde. » Il me dit « ça fait un moment que les caméras
du parking vous suivent et on vous a vu entrer dans
aucun magasin. » Heureusement, dieu-de-la-zac soit
loué !, à ce moment-là ma copine arrive et leur dit qu’on
avait rendez-vous ici. Les vigiles matent ma copine et
s’éloignent en nous souhaitant une bonne fin de journée.
Doris a acheté une des ces grandes assiettes
rectangulaires en plastique qu’on met sous les
jardinières. Elle ne rentre pas dans son sac à dos. Je la
porte à la main. On avait prévu de faire un tour chez
Cultura. Rentrée littéraire. Je m’abrite derrière ma
jardinière. On trouve deux bricoles (un tube de colle et
un magazine) et on passe à la caisse. Je dis à la caissière
que « l’assiette à jardinière, c’est à nous, on l’a achetée
chez Auchan, de toute façon vous en vendez pas ici. »
La caissière me dit « Attendez, il faut que je vérifie. »
Elle prend le téléphone, elle dit à quelqu’un « On vend
des jardinières ?... Des jardinières, tu sais, des pots et
des assiettes en plastique pour mettre des fleurs sur le
balcon... OK... d’accord... Je t’attends... » Quelqu’un
arrive, regarde ma grande soucoupe à jardinière, me
demande « C’est à vous ? », à quoi je répond « Oui ».
Conclusion : « Bon, OK, allez-y. » On sort du magasin.
On rejoint l’arrêt de bus. Il est 45, le bus passe à 54. Il
n’y a pas de banc. On s’assoit sur le trottoir, au bord de
l’espace prévu pour le bus sur le côté de la route. Ni
Doris, perdue dans le mode d’emploi de sa colle, ni moi,
perdu dans la lecture d’un article sur mon téléphone
portable à propos de Johnny Hallyday, ne remarquons
l’arrivée du bus avant qu’il ne soit près de nous écraser
les jambes. Le chauffeur, un jeune très sympathique,
s’amuse de nous. Je lui achète deux tickets et nous
avançons au milieu du bus. Nous restons debout, il n’y a
plus de place. En face de nous, il y a deux blacks, très
grandes et très minces, sans doute des sœurs. Toutes les
fenêtres du bus ont été verrouillées pour privilégier une
clim’ pourtant très légère. Nous roulons depuis dix
minutes quand l’une des deux blacks s’évanouit.
28
Quelqu’un la retient mais elle est inerte. Tout le monde
vient à son secours. Quelqu’un lui donne son Coca. Le
chauffeur s’arrête. Elle met du temps à revenir à elle. On
l’assoit dans un siège à l’avant du bus. Le chauffeur dit
qu’il peut appeler les pompiers mais la sœur dit que « ça
va aller, on descend bientôt. » Elle est très calme. Sa
sœur, elle, fait des grimaces de douleur. Le bus
redémarre. J’ai envie de boire une bière. Le vendredi,
c’est poisson. Le samedi, c’est l’horreur.
29
dave 2000
last days part 2
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30
mamadou love
jolie biche
Explosion tendre pour toi jolie
Une biche tuée tuer une biche tu es une biche tu es la
biche
Du haut des toit mitraillettes, jolie
Viens là bibiche
Allez vas-y !
Déchirée en 2 la bibiche tendre
Petit trésor qui culmine au top 10 de mon cœur.
Présentation d'un nouveau produit sensationnel qui va
véritablement révolutionner
Le monde du ...... grâce à ses incroyables ..... .
Tous les regards sont fixés sur l'écran. L'instant est
intense mythique.
Il déclare sa flamme à bibiche.
Mes plusieurs moi ont tous envie de toi ma jolie.
Marteau et clous pour bien qu'elle comprenne
Oh ! La belle peluche féroce
Regardez bien ici et voilà hop
Jolie visqueuse sac d'entrailles dans la biche au soleil
séchée
Fais la sieste dans ruelle 4 étoiles coup de pavé au bas
ventre
C'est ça, oui , danse à poil au carrefour de bagdad
On ira boire des sodas cendres c'est ça
Oh bordel ! Jolie ! Tape ce regard bbrrrrrr
Souffle la langue ton accent étranglé
Explose moi biche jolie ta fourrure au soleil /sur le
trottoir
Tu trimes avec les mouches
Bibiche cœur glacé recouverte d'étiquettes
Je marche dans ton nid, tes bébés à la fourrière
Explose la bibiche family
Ouai oh ouai oh ! Oh ! Ouaaiii !
Schplarf ah tu rigoles moins là hein ? Jolie
31
Joli sourire mamal
Jolie biche, jolie biche, joliiie biii ii cheuu !
Jolie biche tu nous rend si heureux !
Dans tes montagnes fleuries va planter les bougies
Joyeux anniversaire bichette à la fraise
De peu tu rate la bouée jolie
Biche molle gonflée
Dans le bac à crocos ton histoire finie male mal mal
32
soomiz
le petit chaperon rouge
ou le loup travesti
Il était une fois un loup qui vivait dans une très grande
ville avec des centaines de milliers d’autres loups. Les
loups avaient toujours vécu en meute, mais la ville avait
atteint une taille tout à fait démesurée, et, comme bon
nombre de ses congénères, notre loup se sentait souvent
bien seul, surtout le soir lorsqu’il rentrait du chantier, le
corps harassé et les mains dégueulasses.
Un jour ou plutôt une nuit, alors qu’il regagnait son triste
logis après s’être un poil enivré dans un bar du quartier
de la Gare, il rencontra sur un trottoir le petit Chaperon
rouge. D’emblée, il tomba à genoux devant la beauté
fière et froide de cette ténébreuse prédatrice tout de
latex et de cuir vêtue. Habituellement ce sont les
chaperons qui font les quatre heures des loups, et en
particulier de loups de chantier tant il est vrai qu’ils ont
grave la dalle après le boulot, mais il était une fois n’est
pas coutume, et ce Chaperon-là avait plus d’un tour dans
son sac (en fait, dans son sac, il y avait des godes, des
menottes, des préservatifs fantaisie, un tube de gel
lubrifiant et pas mal de liquide. Notons, pas de petite
monnaie). Le loup, ébahis, ne savait comment garder un
minimum de contenance quand le petit Chaperon rouge
s’approcha de lui, une cigarette aux lèvres, pour lui
demander du feu. Celle-ci, experte, remarqua aisément
la gêne du loup et lui proposa sans détour un marché
que le loup aurait bien du mal à refuser. Contre un peu
d’oseille le Chaperon, pas farouche, lui offrait son pot de
beurre.
Le loup fut bien en peine de refuser, d’autant qu’il lui
restait un peu du blé que sa mère-grand lui avait envoyé
par mandat postal pour agrémenter son quotidien…
Une fois dans l’intimité d’une chambre de bonne, le loup
se mit spontanément à genoux, au pied de la divine mais
injuste créature qui lui ordonna prestement de lécher ses
cuissardes rouges qu’elle avait fort longues. L’opération
33
prit bien du temps pendant lequel le Chaperon, toujours
de rouge botté, jouait du bout d’une cravache avec le
rectum du loup qui l’avait sensible. « Tu les aimes, mes
bottes de sept lieues, hein mon cochon ? » Le loup
rougissait en acquiesçant. La vicieuse lui proposa de
l’attacher, puis de lui bander les yeux, ce que le loup ne
refusa pas, et en guise de pot de beurre, c’est un
lubrifiant qu’elle lui passa sur l’anus, avant de le déflorer
sauvagement à l’aide d’un gode ceinture. Quand elle lui
rendit la vue, l’érection du loup redoubla.
Vingt minutes plus tard, il était dehors, plus léger d’une
centaine d’euros, et voulant se jurer, mais un peu tard,
qu’on ne l’y prendrait plus… Or dès le lendemain soir,
alors qu’il essayait de calmer sa faim en se frottant le
ventre, le souvenir lui revint de son expérience, et
l’envie le prit de nouveau.
Les jours passaient et le loup luttait contre son désir fou
de retourner voir le petit Chaperon rouge. Finalement il
craqua et fit mander à sa bonne mère-grand quelques
menues monnaies pour, lui écrivit-il par lettre, racheter
les Equipements de Protection Individuels qu’il avait
égarés sur le chantier et que son patron ne voulait plus
lui fournir. Tôt fait l’argent arriva, et le loup retourna
rôder aux alentours de la Gare.
Le Chaperon vénal, le vit venir de loin et en conçut
quelques projets fructueux. Elle décida de s’occuper de
lui bien longuement en prenant soin de ne jamais le
laisser jouir, mélangeant ainsi plaisir et frustration, elle
escomptait le revoir plus vite. Ainsi fut fait, et le loup
tomba dans la dépendance de cette maitresse sanguine
qui le tourmentait en esprit nuit et jour. Il recalcula son
budget, économisa sur toute ses dépenses, et emprunta
partout ou il le pouvait pour revoir le sujet de ses
fantasmes aussi vite qu’il le put. Ce petit manège se
poursuivit plusieurs mois, et chaque fois, le petit
Chaperon rouge inventait de nouvelle torture pour ce
pauvre loup qui n’avait plus d’estime de soi qu’au travers
des rares compliments de sa dominatrice. Le jeu le plus
avilissant qu’elle avait inventé consistait à travestir le
loup de la plus horrible manière qui soit avec des habits
de vieille femme. Vêtu de la sorte, le loup était attaché,
griffé, mordu et molesté, et le petit Chaperon rouge lui
répétait sans cesse :
« Mère-grand, que vous avez de petits seins ! » et lui de
répondre « C’est que je n’ai plus de lait mon enfant… »,
et elle le frappait. « Mère-grand, que vous avez de petits
tétons ! », disait-elle en les lui pinçant. « C’est qu’ils sont
très sensibles mon enfant… », pleurait-il. Elle : « Mèregrand, que vous avez une petite bouche ! », et lui :
34
« C’est que je n’ai jamais sucé, mon enfant… ». Elle :
« Mère-grand, que vous avez une petite queue ! » Et lui
tristement : « C’est qu’elle ne sert jamais, mon enfant… »
Par ce traitement, le petit Chaperon rouge eut bien vite
fait de déconstruire la personnalité du loup qui fut
entièrement en son pouvoir. Elle n’avait plus qu’à l’offrir
à d’autres loups contre de modestes mais substantiels
émoluments.
Le loup ne mangeait plus, ne dormait plus, n’avait plus
gout à rien ; il ne se souvenait même plus de sa dernière
érection, pourtant il continuait d’attendre passivement
chacun de ses rendez-vous avec celle qui avait fait de lui
sa chose. Chaque nuit recelait son lot de stupre. Le loup
se dégoutait lui-même d’être ainsi réduit à des passes à
dix euros dans le fond d’une ruelle, mais un simple
sourire ou un regard méchant de sa déesse lunaire et il
se sentait comblé, différent, en un sens privilégié. Pour
être honnête, quoique l’histoire ne s’attarda pas sur ce
point, tout cela excitait beaucoup notre loup, surtout
quand le Chaperon rouge lui fournissait du poppers.
Un soir que la vilaine, vilaine fille avait conduit son
esclave, car c’est bien ce qu’il était, dans une soirée
bondage huppée, ce dernier trouva la mort lors d’un jeu
sexuel d’étranglement. Le décès fut très habilement
masqué en suicide, et nul ne fut jamais inquiété.
MORALITÉ :
On voit ici que certaines sortes de gens,
Sans scrupule, profitent de toute forme de faiblesse,
Disposant d’autrui et de leur argent,
Sans jamais s’inquiéter de savoir s’ils les blessent,
Et que ce n’est pas chose étrange
Si tant de loup disparaissent,
Dans de secrètes parties de fesse,
Qu’on les abuse, les viole ou les mange.
Ils s’évanouissent dans des pratiques honteuses.
L’amour et l’addiction sont choses dangereuses.
Mais nul ne peut dire si au final,
Si le loup n’a pas eut une fin royal,
Car les voies des plaisirs restent mystérieuses,
Quoique pénétrables, et il ne faut lire dans ce conte,
Rien d’autre qu’une histoire peu sérieuse,
Où se mêlent plaisir, humour, danger et honte.
35
dom garcia
bitume/fonte
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36
dom garcia et thierry
theolier
alibi art
«The match is over (pas le temps de pleurer ? ``vs 2#``:)
In order to stay alive, knowledge workers will have to
stay virtual. Cyborg-narrators will do their dance of
differance on the border.»
Le silence ouvre sur le virtuel quand tout est musique
dans une danse macabre extatique. Avec un désir de se
faire l'instrument des medias pour rentrer dans la cour
cynistrée des Actualités, simple cafardage amplificateur
déformant, qui veut se faire événement (tel le crapaud et
le buffle), Alibi Art singe les mythomanes qui règnent
dans les châteaux de sable de la dixit «société
d'information», société d'informateurs, de rapporteurs
(Etat policier vu ultérieurement ?). Fiers de revendiquer
un machiavélisme opportuniste, les deux compères & co
jouent à l'art contemporain en étalant les petits riens
accessibles à tous qui aiguisent les différences au sein
même de la répétition. Avec une touche esthétisante
37
superflue propre au voyeurisme séculaire, le quotidien y
est en effet vénéré en vue des opportunités de
rencontrer des acteurs à solliciter pour une performance
d'autodérision. Le tampon est un passe-partout.
Attitude infamante de demander la grâce de pouvoir
tamponner l'épiderme, prétexte à séduction. De quel
côté est le don et où est le contre-don ? Hommage aux
corps désirants et pensants. Fameux tampon, symbole
administratif du règne de la paperasse, instrument
d'autorité, de reconnaissance officielle. Invalider ou
valider, degré zéro du jugement, logique binaire du
codage de l'information réservée auparavant aux
machines outils. Y aurait il inversion, illustration de «l'art
à l'ère de sa reproductibilité technique» ? Ne peut-on
attendre un approfondissement de cet équilibre de plaisir
et de déplaisir ? Alibi Art - Label : duo d'agents de
liaison, dandies portraitistes de l'époque, chirurgiens du
temps présent qui s'évertuent à tenter d'épuiser la sphère
médiamétrique, processus à la Perec mais appliqué au
spectaculaire et non à l'infra-ordinaire. En indexant des
personnalités sans réelle valeur ajoutée, sinon une vague
esthétique
de
la
présence
co-temporelle
(contemporanéité hors cadre historique) le marquage de
masse se fait indice unidimensionnel, surface immanente
glacée de flashs.
Cette tribu aux airs de troupeau, tels les fascinés, devant
ou derrière, de l'écran, addicts à la notoriété, a le mérite
de rassembler de l'hétérogène. Dans un dépassement du
sens à portée collective, il y a là une collection de
subjectivités qui revendique la perte du réel pour mieux
appréhender les fictions qui se disputent l'orchestration
du chaos. Cette instantanéité fétichisée au service d'un
surf sur l'intensité illustre une guérilla dans laquelle
l'anonymat se rebelle contre le matraquage médiatique.
Comme pour mordre la main qui nourrit, le harcèlement
à coups de tampon n'est qu'une légitime défense où
l'alibi se fait symbole de la supercherie en quête de
notoriété (ou l'inverse). L'esthétique relationnelle qui
opère dans ce processus contagieux est également un
écho au rituel qui se pratique aux entrées des soirées
payantes. Le tampon s'échange contre une participation
aux frais. La libre circulation des personnes y dépend de
cette marque. Le folklore nocturne placé sous les signes
d'une industrie du divertissement se fait complice de la
dictature consensuelle qui dicte les comportements et
les interactions diurnes. Le tampon s'y fait ultime trace
culturelle de résistance aux diversions programmées.
38
En cela Alibi Art est un symptôme pertinent de la
résurgence des matricules tatoués. Le totalitarisme n'est
qu'une forme de la prolongation de l'esprit des
Lumières, maîtrise de la nature, de l'homme par luimême, de l'homme par l'homme encore d'actualité. Le
réseau contre la hiérarchisation des pensées serait il une
issue
au
schéma
pyramidal
maternant
et
instrumentalisant qui apprivoise les ressources humaines
(forces productives désubjectivisées) ?
Alibi Art convie à une sorte d'enthousiasme permanent,
«Blank Revolution», dionysie assoiffée d'horizontalité
dans les rapports humains. La frénésie du tampon
pourrait être un moyen de sortir du mauvais rêve décrit
ci-dessus : ligne de fuite permettant de ne pas jouer le
jeu du black-out qui sévit depuis plus d'un demi siècle.
La fulgurance de l'acte ne permet certes qu'un jugement
hâtif propre à la génération fin de siècle prise dans
l'accélération provoquée par l' aspiration du vide, mais
elle permet par contre de déchirer le voile des illusions
conservatrices. La durée de vie du tampon n'étant
qu'éphémère on ne peut calquer cette pratique sur les
usages concentrationnaires, tout au plus un symptôme
révélateur, une irruption quasi allergique.
Alors à quand
pansement ?
le
patch
repositionnable,
Karma-trauma contre karma police.
Laurent Carlier
ou
un
39
nicolas brulebois
en attendant la chute
Elle n’a que 25 ans, et déjà les seins qui tombent. C’est
effrayant… et merveilleux à la fois. Les caresses y
gagnent en ambiguïté : plaisir d’humilier en cajolant,
rehausser d’amour pour mieux les voir chuter ensuite –
prétexte à revenir la consoler, plutôt deux fois qu’une !
*
Le dénivelé entre la posture rehaussée et celle livrée à
elle-même est impressionnant : un gouffre, qui n’a
jamais tant mérité son nom de gorge, avec l’idée de
cascade ou bel éboulis qui s’y rattache.
*
Décolleté audacieux, qui n’occulte pas l’idée d’un
naufrage à venir. Elle bombe le torse en grandes
inspirations inquiètes, prie pour que les bouées ne
lâchent pas en cours de route.
*
Mes mains lui offrent, en rêve, ce beau maintien que la
réalité leur refuse : rehaussée dans l’estime de soi, pour
mieux affronter le regard des autres.
*
Je l’imagine, à l’adolescence : sous l’assaut d’une puberté
trop expansive, crever les pronostics (premiers dessous
achetés) et ne pas s’interrompre en si bon chemin…
passant le point de non-retour pour adopter cette
morphologie tombante, mollesse caractéristique des
filles de sa race : affaissement que même les plus sévères
armatures ne sauraient endiguer… et que l’amour, seul,
semble pouvoir réparer.
40
nicolas brulebois
en attendant la pièce*
Clou du spectacle : le petit ventre de l’ouvreuse, à l’air
très doux, qu’elle laissait distraitement affleurer sous son
pull. Le cher Bertolt, en son paradis, dut apprécier ce
parti pris de mise en scène...
*
Entre-deux charmant, où pantalon et gilet ne se
rejoignaient plus, qu’un geste ample suffisait à révéler.
Ce n’était pas de ces nombrils qu’on exhibe, trop sûrs de
leur platitude. Le laisser-aller semblait involontaire,
révélant la rondeur à sa naissance : ce moment où le bas
laisse place au ventre proprement dit, bombé de si
aimable façon qu’on en devine les prémisses, avec un
peu d’attention.
*
Chair entrevue l’espace d’une seconde : bien plus
précieuse que celles, jetées à la figure sans qu’on l’ait
demandé, par des filles n’ayant pas froid aux yeux.
Quelques kilos joliment accommodés, plutôt que les
perfections au milligramme près, si vulgairement mises
en sauce.
*
Divin entre-deux, bombé à souhait, où se viendront
idéalement joindre les mains d’un amant – surgi dans
son dos, sans qu’elle sursaute le moins du monde.
*
Chair épanouie en courbe si naturelle, qu’il ne vient pas
à l’idée d’en avoir honte : elle la laisse libre, préférant
cette gourmandise aux restrictions complexées.
41
*
Il en faudra du temps, des grossesses et des coups au
moral (l’affaissement de l’humeur précède souvent celui
des chairs), pour que cet arrondi inspire pitié.
*
Elle était charmante, promenant sur nous ses beaux
yeux las – tandis que je ne pouvais ôter les miens de son
bedon, involontairement dévoilé. Nous allions voir un
spectacle de Brecht, mais il n’était plus question de
distanciation, pour le coup. La cohue du public,
attendant qu’elle dénoue le cordon pour accéder à la
salle, dissimulait tant bien que mal la gourmandise de
mes regards.
Une camarade ouvreuse finit pourtant par remarquer ce
manège : elle lui adressa un signe d’alerte, qui me fit
détourner les yeux in extremis. Repassant devant elle au
sortir de la pièce, je m’aperçus que le divin pli de chair
était définitivement remballé – et son air passablement
durci, à l’idée d’avoir été surprise, en ses zones les plus
vulnérables…
* Rêverie autour du Don Juan de Brecht (adapté d’après
Molière), vu au théâtre Lucernaire le 30/10/2010
Chronique du spectacle : http://www.ep-la.fr/index.php?
option=com_content&view=article&id=258%3Amoliereb
recht&catid=11%3Atheatre&Itemid=46
42
marlene tissot
colle-toi bien ça dans
le crâne
Comme le début d’une fin. Quelque chose en dedans
sur le point de basculer du côté adulte de la vie. Et
j’avais beau lutter, mes griffes plantées dans le mur du
temps, un monde s’effritait. Ne restait que la poussière à
bouffer…
On entamait le dernier trimestre de l’année scolaire et
déjà, j’appréhendais la trop longue coupure estivale.
J’espérais trouver un petit job. Pour remplir mes
journées. Éviter de penser. Ne pas tourner en rond dans
l’appart’. Avec papa et maman et leurs problèmes qui
finissaient toujours par devenir mes problèmes. Je
détestais l’été. Le soleil c’est bien beau quand on a des
lunettes noires et qu’on aime lézarder au bord de l’eau
chlorée/salée (rayer la mention inutile).
Enfin, d’ici là, y avait le bac de français à préparer. Et les
résultats à maintenir aussi haut que possible. Au-dessus
des lignes de flottaisons. S’accrocher à cette foutue
réussite comme à une bouée pour éviter de sombrer
dans le gosier du monde d’en bas. Celui où plus rien
n’est possible. Y croire un peu parfois, malgré les parois
glissantes qu’on escalade dans le froid et l’odeur de
merde. Et puis se faire magistralement enfoncer la tête
sous l’eau par un enculé de prédateur à cravate.
J’avais jamais pu blairer la gueule de monsieur M., le
prof de math. Ses regards comme des anguilles
sournoises. La sueur en perles grasses sur son visage.
Ses poings serrés quand il marchait d’un pas raide, entre
les allées de tables, à l’affût des tricheurs. Il me foutait les
jetons. Sa rage contenue, ce je-ne-sais-quoi de violent
qu’il dégageait. Alors j’évitais d’avoir affaire à lui. Mais ce
vendredi-là, il m’a retenue à la fin du cours. La sonnerie
a résonné dans les couloirs. Le cri des chaises traînées
sur le carrelage. Cavalcade d’ados dans les escaliers. Et
puis le silence ouaté a repris possession des lieux. Le
bâtiment s’était vidé en une poigné de secondes. Tout le
43
monde avait foutu le camp. Le week-end s’annonçait
splendide. Et moi j’étais là. Au pied de l’estrade.
Je regardais le bureau. En silence. Ma copie retournée
entre les mains du prof. Les manches de sa chemise
remontée. Ses bras poilus. Sa montre. Son alliance.
J’attendais. Il a soupiré. J’ai levé les yeux vers son visage.
Les gouttelettes de sueur sur ses tempes et juste audessus de sa bouche. Il m’observait. Je comprenais pas
trop. Qu’est-ce que je foutais-là ? C’était à cause de
l’interro ? J’avais eu une mauvaise note ? C’était ça ?
Mais pourquoi il disait rien bordel ?
Il a fini par se lever. Il a contourné le bureau pour venir
se planter juste devant moi. Tout près. Beaucoup trop
près.
–– Il faut que je te parle, il a dit. À propos de… il a
toussoté, puis il a repris : à propos de ton devoir.
Et il a agité la feuille double sous mon nez. Il s’est
penché vers moi, son regard punaisé dans le mien.
–– Je te fais peur ? il a demandé.
J’ai secoué la tête.
–– Tu as perdu ta langue ? il a demandé. Et ça l’a fait
marré.
–– Non, j’ai dit.
Il mordillait sa lèvre inférieure, le visage toujours penché
vers moi. Si proche que j’aurais pu compter chaque pore
de sa putain de peau suintante. Son haleine puait l’ail et
le vin. J’ai tendu une main tremblante vers ma copie,
mais il l’a reculée. Il a soupiré à nouveau.
–– Je t’ai mis un mot à l’intérieur, il a dit, en montrant
mon devoir. Je t’ai mis un mot, mais ça doit rester entre
toi et moi, il a précisé.
J’ai hoché la tête.
–– Entre toi et moi, compris ?
Et il m’a laissée récupérer la feuille double.
Il s’est éloigné, quelques pas vers la fenêtre. J’ai
demandé si je pouvais y aller. Il m’a fait signe que oui et
j’ai foncé vers le couloir. Mais il a dû se raviser, m’a
rattrapée in extremis, plaquant sa main sur la porte pour
m’empêcher de sortir. Il était dans mon dos. Collé
contre mon cul. Et je me suis sentie soudain prise au
piège. L’épine dorsale hérissée d’une peur animale.
J’étais prête à crier, à demander de l’aide. Mais il ne
s’était rien passé. Il ne se passait rien. Juste son corps
contre le mien. Son odeur de transpiration. Son souffle
tiède.
–– Ce mot que j’ai mis dans ta copie, il a murmuré, c’est
strictement personnel, tu comprends ?
J’ai hoché la tête.
–– Tu le liras, n’est-ce pas ?
44
J’ai hoché la tête.
–– Tu le liras ce soir dans ton lit. Et on en parlera plus
tard. Tu me raconteras, n’est-ce pas ?
Je tremblais. Il continuait de chuchoter je ne sais quoi
dans mon cou, et je sentais ses lèvres sur ma peau. Il
puait de la gueule. Sa main droite bloquait toujours la
porte. Son autre main a glissé sur ma hanche, m’attirant
contre lui. Je l’ai senti bander contre mes reins, et quand
il m’a mordu l’oreille, ça a fait comme une décharge
électrique. Mes muscles prêts au combat. Sursaut vital.
Je l’ai repoussé avec une sauvagerie mal maîtrisée. Et je
me suis sauvée à l’autre bout de la salle de cours.
Il m’a regardé. Avec surprise d’abord. Et puis avec
colère. Je chialais, planquée derrière une table.
Accroupie. Je savais pas quoi dire, ni comment me sortir
de ce merdier.
–– Qu’est-ce que c’est que ce cinéma ? il a rugi.
Pourquoi tu pleures ? Pourquoi tu pleures bordel ?
J’ai haussé les épaules. J’avais pas de réponse.
–– Tu n’es plus une gamine, il a dit, en pointant son
index vers moi. Colle-toi bien ça dans le crâne, tu n’es
plus une gamine, il a répété.
Puis il est venu m’arracher la copie des mains d’un geste
agacé. Dégage, il a fait, sans me regarder.
Je suis partie.
J’avais loupé le bus.
Je n’étais plus une gamine. Je me suis collée ça dans le
crâne. Je savais pas trop si c’était une bonne ou une
mauvaise nouvelle…
45
marlene tissot
puisque je n'étais plus
une gamine
Se dire qu’il est temps de tondre les dernières mèches de
l’enfance tremper les orteils dans l’océan des choses des
choses de la vie avancer coûte que coûte éviter de se
faire piétiner
C’est étrange parfois les sentiments. Ces trucs qui
poussent en nous et qu’on ne sait pas trop dans quelle
case ranger. Cet été-là, mon cœur n’en faisait qu’à sa
tête. À croire qu’il se mettait à fonctionner comme celui
des gens normaux. Je suis tombée amoureuse de Saïd.
En tout cas, j’y ai cru. Mais peut-être était-ce davantage
le plaisir de faire enrager papa qui faisait palpiter l’oiseau
dans ma cage thoracique.
Saïd venait me siffler en bas de l’immeuble. Pourquoi tu
laisses ce petit con t’appeler comme une chienne,
demandait papa ? Je répondais pas. Je descendais
rejoindre Saïd. Papa descendait une autre bière. Chaque
chose était à sa place. Le monde continuait de tourner.
On a failli baiser, Saïd et moi. Dans ma chambre. Il était
monté, un jour où les parents n’étaient pas là. On
s’embrassait, allongés sur mon lit. Puis il a vite
commencé à s’exciter, à se frotter sur mon short. Il a
remonté mon tee-shirt , viré mon soutif. Et je savais bien
qu’il faudrait que j’y passe un de ces jours. Mais les
bruits qu’il faisait, sa bouche grande ouvert, les soupirs
moites, le soleil qui m’observait par la fenêtre en
ricanant, les ressorts du lit qui grinçaient. Non, je
pouvais pas, pas comme ça, pas maintenant, pas ici.
Et puis papa et maman sont rentrés. Plus tôt que prévu.
J’ai entendu la poignée de la porte d’entrée. Merde, a fait
Saïd ! Ce con avait fermé à clef sans me le dire.
Sûrement qu’il avait prévu de me sauter depuis le début.
Papa a commencé à tambouriner en gueulant. Je suis
allée ouvrir illico, consciente que j’allais probablement
m’en recevoir une bonne. Papa m’a jeté un regard
dangereusement sombre, du genre qui annonce la
46
violence de l’orage à venir. Saïd s’est faufilé vers la sortie
sans dire un mot.
Évidemment, cette histoire a fait comme un petit
cataclysme à la maison. Papa a sérieusement ralenti la
boisson. Il avait dans l’idée de me fliquer. Maman savait
pas trop si elle devait prendre ma défense ou juste
fermer sa gueule. J’avais l’interdiction formelle de revoir
Saïd. Mais j’ai jamais supporté les interdictions. Alors on
se retrouvait en cachette. Et on a même fini par baiser
dans les toilettes de la piscine municipale. Contre le
carrelage blanc et humide. Ça sentait le chlore et la
pisse. On entendait les mômes plonger, pleurer, rire. Et
la radio de la baraque à frites à côté qui grésillait dans les
haut-parleurs.
On a fait ça très vite. Debout. Il a juste écarté le maillot
de bain entre mes cuisses avant de m’enfourner son
sexe. Ça a été vaguement moins douloureux que je ne le
craignais. Juste désagréable. La sensation d’un corps
étranger. Le frottement. Les mains de Saïd agrippées à
mon cul. En trois minutes, il avait tout lâché. Ensuite, il
a rangé sa bite, comme si de rien n’était. À l’époque on
parlait pas tellement du
SIDA. J’y avais pas pensé. J’avais pensé à rien. La page
était tournée. Je n’étais plus une gamine. Bon. Pas la
peine d’en faire une histoire.
On a guetté par-dessus la porte des chiottes. Saïd est
sorti dès que le champ a été libre. Je suis restée là un
moment, assise sur la lunette des toilettes. À me
demander si quelque chose avait vraiment changé, et
quoi exactement. J’ai senti que ça coulait entre mes
jambes. Dans la cuvette des toilettes, il y avait une petite
flaque de sperme marbrée d’un filet de sang. Résumé
d’un chapitre sans intérêt. Je me suis essuyée. J’ai
remonté mon maillot de bain et je suis allée bouquiner à
l’ombre d’un grand arbre.
47
rmm alkbazz
sans titre
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48
clotilde delcommune
chambre
Le personnel, gérant d’un culte, inquisiteurs. Leur regard
menaçant enjoint au sérieux, dans l’immensité froide des
couloirs. Dans toute la dignité de l’odeur d’hôpital
déployée. Les narines confirment ce que le cerveau
savait : on ne pourrait être ailleurs.
Le lit est central, immense, cérémonieux. Temple du
sacré. On n’est pas là pour rigoler. Le Lit ne souffre
aucune impertinence. Le Lit est La Loi.
Des machines tout autour. Ca pourrait sonner comme
du Kraftwerk. S’il n’était La Loi du Lit. On n’est pas là
pour penser à du vivant, ne serait-ce que par analogie.
On est là pour Révérer La Vie. La Vie Mécanique. La
Vie qui fait bip et des dessins de montagnes sur un
moniteur.
Des tuyaux relient les machines et le lit. Très sérieux
aussi, les tuyaux. Dans toute la dignité de leur fonction,
toute la fierté de leur fonctionnalité. Il y a celui qui
goutte-à-goutte ; il y a celui qui insuffle de l’air.
C’est en suivant les tuyaux qu’on la trouve. Elle est
devenue partiellement machine. Le rythme l’a prise. Elle
soubresaute régulièrement avec le tuyau-à-air, le tuyauà-gouttes dans le bras.
Portant, le monstre de la mer. Pourtant, l’incroyable de
sa force. Le sel dans le nez. L’eau étouffe. Des gouttes
partout. Ballottée. Emportée. Vagues derrière. Ennemi
dans le dos. Géants. Vagues éclatent. Prennent. Corps
infime. Courant vers le bas. Vorace. Chaos. Eau et air
mélés dans la bouche. Cris se fraient un chemin. Voix si
faible dans grondement furieux. Au secours. Ne pas
boire la tasse. De nouveau, les vagues. Le courant. Sans
régularité. Peut pas s’adapter. Panique. Immensité
rugissante.
Une main t’agrippe. Ton corps, lourd, sur un corps, fort.
Le sable sous toi. Des mains sur toi. Couchée.
Déshabillée. Bouche-à-bouche.
Des corps s’agitent. Une ambulace t’emporte.
Te faire analyser.
49
Scruter.
Radiographier.
Réparer.
Aliter.
Mourir dans la dignité.
C’est à la mer que je dis que tu me manques. Je fuis les
hôpitaux, depuis.
Pour Caroline Delhaye (1987-2007)
50
anaïs mauzat
sans titre
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51
paul sunderland
comment j'ai terrorisé
une fillette
Je sortis de ma chambre d’étudiant. Il faisait un temps
humide, la nuit était déjà tombée, c’était l’automne ou
l’hiver. J’ai oublié le mois, même la saison. Il y avait un
boulevard à traverser, sur les dix-huit heures quarantecinq beaucoup de voitures circulaient encore, on se
trouvait sur une artère très passante. Je traversai en
dehors des clous, entre deux giclées de carcasses
lumineuses, et me retrouvai sur un terre-plein central
transformé en parking, saturé de carcasses éteintes. Je
zigzaguai un peu entre des carrosseries au repos et des
arbres qui se faisaient chier. Par bouffées ça humait les
feuilles en décomposition et les gaz d’échappement. Je
me retrouvai de l’autre côté, à attendre pour traverser
l’allée parallèle.
La ville, je la trouvais conne, grise et sale, avec ses
maisons de briques rouges dupliquées à l’infini (disons
une longueur trop importante à mes yeux), souvent
accolées les unes aux autres, comme pour mieux se
soutenir dans leur médiocrité. Les autochtones, je ne les
aimais pas des masses non plus, en général. Je n’avais
pas trop envie de leur faire la conversation, à cette
époque. Pas que ça aie beaucoup changé, d’ailleurs. Je
suis sélectivement asocial.
Je traversai sans me faire aplatir. En fait, j’allais au resto
u, comme tous les soirs en semaine. Ma chambre avec
sa plaque chauffante et sa fenêtre sur cour intérieure
absurde, elle me déprimait. Je n’avais même pas envie
d’allumer, en rentrant. Je ressortais vite fait, même
quand il faisait un temps de merde. Même pour aller
manger de la daube ; je me demandai probablement ce
soir-là si ce serait encore du steak haché-purée, une
barbaque noircie, sèche, accompagnée de bouillie à
grumeaux servie à la louche par Miss Ukraine 1956.
Je n’étais pas encore arrivé, il fallait traverser un pâté de
maisons, un petit quartier engoncé entre deux colonnes
52
de trafic, celle que je venais de franchir et une autre,
plus loin. Là, les rues n’étaient pas larges, c’était de la
ligne droite mais ça partait un peu dans tous les sens,
probablement parce que c’était une zone plus ancienne.
Comme on dit, c’était chichement éclairé. Les
lampadaires, vous aviez presque envie de les appeler des
becs de gaz. Il n’y avait pas un chat, dans ces rues. Je
passai devant une boulangerie encore ouverte. La
lumière de ce commerce, à chaque fois que je le voyais
à cette heure-là, en ces moments de l’année, je ne
comprenais pas. Enfin si, je comprenais, mais ça
tranchait sur l’ambiance locale. Je me disais qu’à la limite
ça aurait déjà dû être fermé parce qu’on était dans une
espèce de ville morte de son urbanisme, de son usure,
de ses flots séquencés de phares et de catadioptres sur
les grands axes. Moi, j’étais à pied, je prenais juste des
rues tristes.
Je tournai à un angle et aperçus la gamine.
Elle était probablement sortie de la boulangerie quelques
instants avant que je passe, et elle ramenait à la maison
la baguette familiale. Brave petite. Je n’en avais
strictement rien à foutre du point de vue qui est le vôtre
et auquel vous ne pouvez pas ne pas penser. De mon
point de vue à moi, je vis tout de suite que nous étions
les seuls humains sur un segment de trottoir désert et
qu’elle allait forcément entendre le bruit de mes pas.
J’eus la certitude que j’allais la rattraper même si je ne le
désirais pas. Je ne le désirais pas. Seulement, je marchais
plus vite qu’elle.
Je ralentis mon allure, m’obligeai à ne pas la regarder
avec insistance. De dos, j’estimai son âge à dix-onze ans
maximum. Petite fille sage qui allait chercher le pain,
cheveux châtains qui tombaient un peu dans le cou. Sa
maison ne devait pas être très loin. Elle entend
forcément le bruit de mes pas, me dis-je. Elle sait mon
regard posé sur son corps.
« Paul, tu sais que tu as une tête de pervers ? On
t’imagine bien à la sortie des écoles ! Ou dans les parcs,
en imper ! A poil en dessous, bien sûr… Ou alors non,
pas à poil, mais avec plein de photos de cul que tu
revends à la sauvette ! Non mais franchement on te
verrait bien faire ça… Bon tu nous en veux pas, on dit ça
pour rigoler, hein. »
J’avais de vrais copains, à l’époque. La gamine se
retourna et me regarda sans rien dire.
Soit. Alors je m’amusais bien avec ma tête de pervers
nouvellement décrétée, quand j’étais dans ma chambre,
disons quand j’étais seul devant une glace. Le mieux :
les petites armoires murales, à trois portes avec miroir
53
sur chacune d’elles. En orientant correctement celle de
gauche et celle de droite, vous bénéficiez non seulement
de votre tête vue de face, mais également de profil, de
trois-quarts avant, trois-quarts arrière, côté gauche, côté
droit. Pour mon faciès, c’était simple : pour que ça ait
frappé à ce point et de façon unanime les copains
carabins et pharmas avec qui j’avais l’habitude de dîner,
c’est que ça ne devait pas demander beaucoup d’efforts
d’imagination.
Eh,
regarde-toi,
de
face
pour
commencer ; tu relèves un peu la tête, de préférence le
matin au réveil, les cheveux hérissés, le menton gris.
Garde encore un peu ton haleine de trappeur kalmouk,
ça, on ne le voit pas mais c’est la petite touche
subjective qui aide. Regarde-toi, avec ta tête de pervers,
surtout ne souris pas, dis-toi que tu es en garde à vue,
on est en train de te prendre en photo, c’est un police
line-up, comme on dit chez les Américains, montre bien
ton matricule, Paul. Et puis soudain mets-toi à rouler des
yeux fous, sans bouger, fais comme si tu étais pris
d’hyperventilation, continue de te regarder, ce n’est plus
le line-up à présent, vision latérale dans les autres glaces
si tu as envie, tu joues, tu te regardes en train de
regarder comme si ça allait franchement mal finir pour
quelqu’un dans les secondes à venir.
La petite poursuivit son chemin sans modifier son allure,
sans lâcher sa baguette.
Ouais, c’est exact, j’ai une tête de pervers, maintenant
que vous le dites je m’en rends compte. Ma piaule, en
ces détestables années quatre-vingt, sent le phoque et j’y
entasse des bouquins de cul. La chambre d’à côté est
occupée par la fille de mes logeurs. Doit avoir dans les
quinze-seize ans. Pas vilaine. Je ne la croise pas souvent
mais je l’entends qui prend sa douche tous les soirs,
avant de se coucher ou de faire ses devoirs. Dès qu’elle
libère la salle d’eau je vais prendre une douche moi aussi
et là, évidemment, je me branle en pensant à elle.
Evidemment. La trace de son corps est si proche.
Evidemment…
Soudain, sans pousser le moindre cri, sans me regarder à
nouveau, la petite se mit à tracer droit devant elle. Elle
avait utilisé ses ultimes réserves de self-control mais
pour une enfant de cet âge et dans cette situation, ce
n’était déjà pas mal. Surtout qu’elle continuait de tenir
son pain. Donc, voilà, je l’avais terrorisée.
Heureusement qu’à cet endroit du quartier se trouvait
une fourche entre deux rues et que je devais pour ma
part prendre à gauche, tandis qu’elle prit à droite. Sur
l’instant je me dis qu’au moins elle n’aurait peut-être pas
besoin d’attendre d’avoir refermé la porte derrière elle
54
pour se sentir en sécurité. J’eus désespérément envie
qu’elle comprenne l’épisode comme une fausse alerte.
Sans joie, je poursuivis mon chemin, arrivai au bout de
la rue. Je récupérai un boulevard, de la circulation. Je fus
presque saisi de la flemme incroyable d’avoir à attendre
à un feu avant de traverser. Je me sentais crevé.
–– Dites, vous savez pas où on peut trouver des putes,
dans le coin ?
Il s’était inscrit dans mon champ de vision, il se tenait
même debout à côté de moi, à guetter le prochain
passage au vert pour les piétons mais je n’y avais pas
prêté attention. Il était juste arrivé plus brusquement que
moi. A ses paroles je le regardai vivement. On était les
deux seuls cons à ce feu. Un homme entre quarantecinq et cinquante ans, pour autant que je me rappelle.
Une allure quelconque. L’air d’un type seul, ou en
ménage, mais alors franchement pas heureux dans ce
cas. Oh mec, si tu savais l’erreur que tu viens de
commettre. Il y a à peine cinq minutes que je viens de
causer bien malgré moi un malentendu attristant, je
viens juste, cent mètres en arrière, de faire peur à une
gosse alors que je ne lui voulais rien, tout ça parce qu’on
vit dans l’horreur quotidienne, médiatisée, l’horreur
démocratique qui peut arriver à tout le monde, y
compris à une enfant qui était ressortie uniquement pour
aller, en ronchonnant ou de bonne grâce, chercher le
pain et toi, entre des engins de chantier au repos et des
zombies motorisés, sur un terre-plein gadouilleux et
jonché de jantes, d’artefacts plastiques et de bouts de
verre brisé, à un feu de circulation sous un éclairage
cadavérique, là ce soir où il fait froid, où rien ne donne
envie, toi, tu trouves encore le moyen d’avoir la bite en
feu et de me demander l’adresse du baisodrome le plus
proche comme si tu allais éjaculer dans ton slip dans
moins de dix minutes, comme si le premier type croisé
allait te répondre de la façon la plus naturelle puisque
ben hé hé, communauté masculine et tout, on se
comprend, etc.
–– Hein dites, vous sauriez pas ?...
Voix vulgaire. Je faillis lui confier mes pensées de
l’instant dans toute leur spontanéité vespérale mais je
m’abstins et en fait, je ne dis absolument rien et lui mis
un taquet dans la gueule. Le type partit en arrière, tomba
sur les fesses. Sa bouche saignait. Pris de peur, il se
releva et détala. Je le regardai s’estomper dans la nuit.
Je respirai lentement, par le nez. Je dus rater une
séquence complète de passage autorisé. Je finis par
traverser. En face, on arrivait dans la rue du restaurant
55
universitaire. C’était une zone mieux éclairée, plus
vivante. Dans les toilettes du bâtiment je me lavai
soigneusement les mains car je venais de toucher le
Diable. Puis je montai à l’étage, m’insérai dans la file
avec tout l’attirail, plateaux, couverts, et mon ticket.
Je me souviens que contrairement à mes prévisions, ce
n’était pas steack haché-purée, ce soir-là. C’était knacksfrites. Ca allait.
56
Horses eat sugar
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57
myriam linguanotto
bleus d'enfance
C’était un jour de Toussaint, terne et pluvieux. Tôt le
matin, ma mère et ma grand-mère sont parties dans les
vignes. Je jouais dans le poulailler qui s’étendait entre la
route, peu fréquentée, et les champs à perte de vue. A
cette hauteur, le goudron formait un lacet serré pour
s’éloigner jusqu’à la prochaine église. Trois ombres
vêtues de noir sont passées silencieusement, des fleurs à
bout de bras. Elles rejoignaient le cimetière, à plusieurs
centaines de mètres en bordure des prés. Une pluie fine
relevait l’odeur âcre des arbres. Tout était calme autour
de moi.
J’ai entendu le crissement des pneus. Un grincement sec
et strident, qui s’est interrompu dans un fracas de tôles,
effroyable. La violence du choc a troué l’air, figeant la
vie un court instant dans un silence glacé. Des oiseaux
se sont envolés de la forêt, de l’autre côté de la route.
J’ai ouvert les yeux, senti la contracture de ma mâchoire
et mon cou raidi. A quelques mètres de moi, dans le
virage, un camion barrait la chaussée, une voiture
écrasée contre son pare-chocs. Un monstre de ferraille
compressée s’éventrait sur la cabine du poids lourd. Une
portière a grincé. Lentement, un homme est descendu
du camion. Il s’est approché de la voiture pour coller son
visage contre la vitre du conducteur. Il a marché
rapidement, en sens inverse, en criant des mots que je
n’ai pas compris. Il singeait des gestes désespérés. J’étais
cachée par le léger surplomb et les broussailles qui
séparaient le poulailler de la route. Je ne pouvais faire le
moindre geste. Ma grand-mère est arrivée en courant.
L’homme pleurait. Je ressentais son effroi. Je l’ai entendu
parler, ils ont rejoint la maison. Ma grand-mère jetait des
regards furtifs derrière elle.
Je suis restée seule, un long moment à regarder la
voiture disloquée. A écouter le silence. Je sentais une
odeur de métal chaud se répandre. Le moteur
refroidissait dans un cliquetis métallique. Je n’osais pas
m’approcher, je surveillais les moindres signes, un bruit
58
de tôle, la pluie qui coulait contre la carrosserie. Ma
grand-mère est enfin revenue avec l’homme, des
voitures se sont arrêtées. Les gendarmes et bientôt une
ambulance. Leurs voix me parvenaient, ils s’affairaient,
ce qu’ils disaient m’était étranger. Ils ont réussi à ouvrir
la portière avant. J’ai vu la civière blanche. Je devinais
un corps, entièrement recouvert sous un drap. Les
gendarmes regardaient les traces sur le goudron, ils
parlaient à voix basse. Je n’ai pas senti ma mère
s’approcher de moi. Elle m’avait cherchée, je la voyais
tourmentée. Elle m’a entraîné dans la maison. Mes
jambes étaient lourdes, mon cœur serré dans un étau.
J’ai retrouvé la chaleur de la cuisine. Plusieurs fois les
gendarmes sont venus téléphoner, ils parlaient avec ma
grand-mère et avec l’homme du camion. Je l’observais.
Abattu, il ressemblait à une bête traquée. Il soupirait,
répétait sans cesse « c’est pas vrai », le visage enfoui
dans ses mains. Ma mère lui a servi du café, sans une
parole, elle était pâle. Après, ils sont tous repartis, en
disant merci. Ma grand-mère et ma mère ont préparé le
déjeuner, personne n’avait faim.
C’était déjà l’heure des champs. La pluie avait cessé, ma
grand-mère et ma mère sont retournées travailler dans
les vignes. Jusqu’au soir, j’ai attendu dans la cuisine, en
regardant la route à travers la fenêtre. Les ombres du
matin sont repassées. Elles se sont arrêtées à quelques
pas de la voiture, ont fait le signe de croix. Une
remorque a dégagé la chaussée, emportant avec elle la
montagne de ferraille encore fumante. Le camion a
démarré, escorté par les gendarmes. Le goudron a été
nettoyé. Dans la cuisine, j’attendais que la vie reprenne
en s’éloignant du matin.
Le soir, ma grand-mère a raconté ce qui s’était passé.
L’homme avait eu une crise cardiaque, sa voiture s’était
déportée dans le virage et écrasée contre le camion. Tué
net, d’un coup, sans souffrir. Il n’était pas d’ici. On n’y
pouvait rien, il y en avait eu d’autres, à cet endroit. Il y
en aurait d’autres. La route était dangereuse, aucun
panneau n’annonçait le tournant. J’écoutais, une boule
dure au creux du ventre. Broyée d’incertitudes, je me
demandais comment traverser la nuit, avec cet homme
qui rodait parmi nous. La mort, elle, crépitait dans la
cheminée, le long des parois en fonte, escaladant les
bûches pour entamer un dialogue avec l’au-delà. Elle
s’amusait avec les flammes et nous réchauffait de ses
feux.
Le lendemain matin, je suis retournée à l’endroit. Il y
avait des débris de pare-brise mêlés aux graviers.
Certains brillaient, minuscules diamants couchés sur
59
l’herbe verte. Les traces des pneus apparaissaient
encore. Au milieu du goudron, un corps était dessiné à
la craie bleue. Je me suis approchée. J’ai enjambé le
tracé, jusqu’à l’emplacement du coeur. Les yeux fermés,
la gorge serrée, j’écoutais ce qu’il restait, un bout de lui,
sa voix. Je me préparais à sentir l’âme, à accueillir un
souffle chaud, un frôlement de quelque chose. Mais
seule la forêt murmurait, les branches des arbres
dansaient au fil du vent. Tout était rempli, les fermes au
loin entourées de champs, la route à l’horizon, un
serpent gris sur les coteaux verdoyants. J’écrasais les
débris de pare-brise de toute la force de mes pieds, je les
faisais crisser pour faire sortir l’âme. Je ressentais la
dureté du verre traverser mes semelles. L’âme était
tombée dans les entrailles de la terre, avant de rejoindre
le cimetière. Je tremblais à l’idée de la voir errer, au
milieu des tombes, puis frappant aux portes des fermes
endormies.
Les jours suivants, le contour bleu s’est peu à peu effacé,
au gré du passage des voitures, du vent et de la pluie.
Seuls les cristaux de verre persistaient dans leur éclat.
J’ai déserté le poulailler, pour jouer plus près de la
maison ou dans les champs, à l’écart de la route. La mort
s’éloignait. Je ressentais pourtant sa présence bleutée
accompagner mes silences. Elle était là, tapie au fond de
moi, invisible. Je la pressentais de l’autre côté de la
route, dans le balancement sombre des arbres.
A la fin des vacances, nous sommes reparties, ma mère
et moi, en voiture. Les roues sont passées là où l’âme
s’était échappée. J’ai regardé l’endroit disparaître dans le
rétroviseur. Je me sentais soulagée au fur et à mesure
que nous avancions sur l’autoroute. Des voitures
arrivaient en sens inverse à vice allure, j’étais grisée par
leur vitesse.
60
joel mas
sans titre
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61
ex aequo
les chiens dorment
parmi les loups
Alors c’est ça, la vie de rêve. Trainer son cul d’chantier
en chantier, se bâfrer à côté d’tous ces ploucs, en faisant
mine de rire à leurs blagues de putes bigardées,
confondus dans leurs pets, dans leurs rots, savoir seul
dans son coin qu’on n’sera jamais autre chose qu’un
peigne-cul de smicard sans talent et sans âme, continuer
sa journée d’merde à bouffer du ciment et d’la terre
molle, les mains dans l’cambouis, les mains dans la
chiasse mécanique, rêver d’un bureau chauffé, d’une
secrétaire un peu chienne, rêver de vivre comme ces
pontes, ces mafieux d’la finance, boursicoteurs en latex
Chanel, vivre comme une hyène, attendre 17h30, foutre
le camp dans sa caisse de merde, payée à crédit, qui pue
pas comme soi-même, mais qui sent salement l’effort de
réussite et la prise de tête quotidienne, écouter d’la
musique de merde sur NRJ, ou sur Foune Rade Yo, peu
importe, on fait tous pareil, au fond, bien au fond du
confort prolétaire. Maudire ces petits branleurs diplômés.
Qui, eux, ont des « noms », véritables étiquettes,
passeport pour la réussite, avec des jobs qui payent,
bien, un peu trop, et des places de concert gratis pour
aller voir des groupes de putes islandaises en dentelle.
Des connards de bobos en faculté qui aspirent à la vie
de voyou, de rebelle, d’antécliché. Polaroïds sans
couille, tous. Rentrer dans son taudis de 40m2, chialer
devant la télé (en silence et sans trace, pute légère),
baiser (et s’apercevoir être un mauvais coup, vouloir
tenir plus qu’une minute, ne pas y arriver, vouloir
s’arracher la bite à coup d’burin), partir chier du sang
(avoir peur d’un cancer du cul ou d’un aut’truc tout aussi
grave, sale, qui t’emportera lentement et surement),
fumer des clopes toute les demi-heures et boire de la
mauvaise orge (faut pourtant bien mourir de quelque
chose, comme le voudrait ce vieil adage néo-beaufien,
de ceux qui n’ont peur de rien dans l’absolu, et
62
trembleront au jour du jugement des derniers cons),
attendre le repas, compote de chiotte, fait de plats
micro-ondables dégarnis et de yaourt Lidl, tu sais, les
liquides qui baignent dans ces gros pots sans image,
café-télé-odeur de bite rance, dormir profond dans un lit
trop court, se réveiller toujours trop tôt, repartir au
boulot dans sa 206 quasi-neuve (penser à c’putain
d’crédit, encore et encore, penser à en faire un autre
pour les loyers en retard, un autre pour ce canapé qui te
manque tant, un autre pour lui offrir une vraie robe, de
vraies fleurs, une vraie féminité). Devenir dingue.
Ecraser des vieilles, des mioches, des ados-putes antiHadopi, sac à dos Eastpack à patch Slipknot qui
manifestent devant la fac, avec des joints tout frais et des
I-Pod dernier cri crachant leurs merdes synthétisées, des
t-shirts fantaisie de chez Zara, ou d’autres encore, du
Che Guevara, de l’imagerie d’bobo hypocrite, en vérité,
une masque de sympathie sur un visage de prétention,
des putes en décolletés d’à peine 16 ans, minis shorts
armés, prêts à faire feu. Les écraser, en faire de la purée
d’organes, déraper salement sur leurs gueules blafardes,
faire voler ces petites merdes sur l’asphalte, rire fort, rire
à pleines dents, se croire dans GTA, continuer sa route
avec des boyaux déchiquetés dans l’pare-brise, des
poumons incrustés dans les jantes, des cervelles collées
sur le capot, qui tremblotent sous l’effet du vent, se
gratter les couilles avec vigueur et lâcher son volant,
partir droit dans un mur de béton brut. Rater sa mort et
finir légume dans un fauteuil d’occasion, entouré
d’infirmières pleines de verrues, de suffisance et
d’antipathie, et gober des cachetons pendant des
semaines, se faire torcher l’cul (en espérant puer bien
fort, bien fait pour toi, salope), voir sa femme partir avec
un autre connard, un beau-gosse costard faux-chic
acheté sur un quelconque site maghrébo-russe, cet
entrepreneur, qui en plus, est ton ancien patron, celui
par qui venait l’angoisse, et qui viendra t’plaindre chez
les éclopés, la gueule pleine de rires retenus (ça
t’apprendra, tête de gland, quand tu seras remis,
direction la prison mon gars, sans case départ, mais avec
un casier neuf et des tas d’frayeurs au cul). N’en plus
pouvoir, se faire sauter à coup d’hydrogène dans les
locaux d’l’hôpital, partir avec tout ces connards
d’infirmes et d’cancéreux, ces pédés du Sida et ces
drogués d’l’aiguille, ces déchets de trisomiques mal
foutus, ces pétasses en blouse blanche et ces escrocs du
scalpel.
63
gaijin
sans titre
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64
regis belloeil
multa tuli
L’homme regarda par la petite fenêtre de son duplex,
d’où s’échappait une lumière poussiéreuse. Sombre. Peu
d’animation dans la rue : quelques piétons, deux ou trois
voitures. Le silence n’était jamais total car…
Martèlement. Une enclume peut-être. Ou un froissement
de tôles. Des corps carbonisés encore vivants (comment
cela peut-il être possible ? Et pourtant si, ils crient).
La charogne commençait à puer. Sous le toit se trouvait
un corps intumescent, gonflé par les gaz de la
décomposition. L’homme monta l’escalier et s’attarda
longuement sur le spectacle de la corruption. Lèvres
violettes. Ventre bombé, comme prêt à exploser.
Baudruche infernale, amusement de pacotille pour
psychopathe taquin. Cette femme était belle, pourtant. Il
n’y a pas si longtemps. Ce brutal changement
d’apparence fit naître un sourire sur son visage.
Impermanence de toute chose, pensa-t-il… les
bouddhistes sont dans le vrai.
Pureté du chaos. La folie des hommes était symbolisée
par cette croix en feu illuminant la nuit. La chair
humaine grésillait sous les flammes, barbecue
démoniaque empuantissant un air déjà méphitique et
qui se corrompait de plus en plus.
Il lui fallait du sang, encore plus de sang pour accomplir
sa destinée. Tout était écrit depuis sa naissance mais la
révélation n’avait eu lieu qu’à l’aube de la trentaine.
Comme le christ. Non. Pas tout à fait. Le christ n’était
qu’un imposteur, un faux prophète venu sur terre pour
avilir l’espèce humaine. Une âme faible, dominée par
l’asservissement. Comme les autres.
Lui, au contraire, se sentait fort. Et capable de causer de
grandes douleurs. Privilège des forts selon Baudelaire.
65
Tuer. Tuer par amour. Quoi de plus beau ? La………
Sortir de cet appartement. L’odeur devenait vraiment
insupportable. Dehors, tout semblait normal. Quelle folie
dans cette normalité. Le bruit se trouvait à l’intérieur de
lui.
Bordel de merde. Ce bruit dans la tête va finir par le
rendre fou. Comme un acouphène mais ce n’est pas
seulement un son. Il sait que quelqu’un lui parle,
quelqu’un qui veille sur lui mais en même temps lui tord
la cervelle comme une éponge moisie. Une seule façon
de faire cesser le bruit : la mort. La mort détruit tout,
même le temps, la mort aspire la douleur, elle est la
grande rédemptrice, l’alpha et l’omega de toute chose.
L’homme se dirigea vers la porte de son appartement
puis s’arrêta net. Il lui fallait des accessoires. Corde.
Marteau. Voilà qui ferait l’affaire. Ne pas faire n’importe
quoi. Réfléchir. Peser les conséquences de ses actes. Ah
Ah Ah ! L’homme éclata de rire à cette pensée. Quel
con. Comme si quelque chose avait la moindre
importance…
Il descendit calmement les escaliers et se retrouva dans
la rue. Le soleil de plomb attisait encore ses maux de
tête. Toute cette rage au fond de lui devait sortir d’une
façon ou d’une autre. Il ne connaissait qu’un seul
remède, en fait.
La forêt n’était pas très éloignée. Il marchait vers elle
comme on retourne vers la matrice, en quête de pureté
originelle. Aucun souffle de vent n’agitait les grands
arbres. Un silence de mort régnait. Que venait-il
chercher ? Il n’en savait rien mais marcher dans cette
forêt lui semblait la seule chose sensée à faire. Dans son
sac à dos, la corde, le marteau, un sandwich et des
bières.
La tension dans son esprit était à son comble. Il se
mordait les lèvres si fortement que l’odeur du sang lui
emplissait la bouche. Il aimait cette odeur.
Il emprunta un sentier au hasard, sans savoir où il
menait. Marcher lui faisait du bien. Le bruit faiblissait
quand il marchait, devenait un murmure presque
agréable à entendre. L’homme souriait.
Le silence l’angoissa tout à coup. Aucune bestiole à
l’horizon. Pas normal. Il s’arrêta de marcher et tendit
l’oreille, en quête d’un signe de vie. Il entendit alors une
sorte de râle étouffé. Il se dirigea vers la source du bruit
et comprit de quoi il s’agissait.
Caché derrière un arbre, il examina la situation. A
quelques dizaines de mètres, une blonde sur le retour se
66
faisait ramoner sur une barrière. Il voyait le mec,
pantalon sur les chevilles, en train de donner des coups
de butoir entre les cuisses écartées. L’homme ne se
sentit pas excité par le spectacle. Rien de plus qu’un
accouplement de cadavres en sursis, mélange de viandes
et d’orifices destinés à se remplir puis se vider. Rien de
plus qu’une mécanique de l’instinct, perdurant depuis
l’aube des temps.
L’homme n’éprouva aucun mal à se rapprocher du
couple, tant celui-ci était concentré sur sa jouissance.
Mourir pendant l’acte est le rêve de bien des humains.
Chanceux que vous êtes, pensa l’homme. Le marteau se
trouvait désormais dans sa main droite. Il le serrait si fort
qu’il eut peur d’en briser le manche. Mais non. Ce n’est
pas le manche qui céda mais la boîte crânienne de la
viande masculine. Horrible craquement. Le coup fut si
violent que le marteau resta prisonnier de la boîte.
L’homme le dégagea avec brutalité, laissant apparaître
un trou béant sur le haut du crâne. La femelle semblait
tétanisée mais hurlait, comme si ça servait à quelque
chose dans ce lieu désert. Son visage dégoulinait du
sang de son amant. Emouvant, non ? L’homme hésita un
instant. Fallait-il lui infliger le même destin ? Non… Il
avait tout son temps. Il faut prendre le temps de profiter
de la vie lui répétait sa mère lorsqu’il était petit. Salope.
Dans sa bouche, ça signifiait se faire troncher par tous
les crevards du coin. Bref…
L’homme enfonça son mouchoir dans la bouche de la
blonde et la ligota avec la corde. Il était atterré par tant
d’imbécillité de sa part. Pourquoi ne pas tenter de
s’enfuir ? Pourquoi ne pas résister ? Pourquoi…
Elle ne savait que pleurer visiblement, les larmes
faisaient couler son maquillage et elle plaisait à l’homme
comme ça. Résignée. Désespérée. Marquée du sceau du
destin qui lui a fait croiser sa route.
L’homme saisit une bière dans son sac. Après l’effort, le
réconfort. Son esprit était en paix, il entendait même les
oiseaux maintenant, la vie animale était réapparue dans
cette forêt en même temps que celle de l’homme avait
cessé. Le cycle continuait.
Chaque goulée du liquide le remplissait d’aise,
décidemment une bonne invention ces sacs isothermes.
Bon. Et maintenant ?
Creuser un trou pour enterrer l’homme semblait une
bonne idée mais avec quel outil ? Brûler le cadavre ?
Avec quelle essence ? Merde !
Rien à foutre ! Que les corbeaux lui bouffent les yeux à
ce connard !
L’homme chargea la blonde sur son dos et pénétra plus
67
profondément dans la forêt.
Il marcha au hasard, sans autre but que d’avancer. Son
esprit était vide de pensées et cette sensation lui était
agréable. Enfin, les bruits le laissaient en paix, il
éprouvait une paix intérieure inconnue jusqu’alors.
La blonde ne pesait pas très lourd mais il commençait à
fatiguer. Il allait devoir penser rapidement à la suite des
événements. Qu’allait-il faire d’elle ? Où aller ?
Il s’arrêta dans une clairière et posa la fille contre un
arbre. Il la regarda vraiment pour la première fois. Elle
n’était pas spécialement jolie, ni moche d’ailleurs.
Banale. Résignée en tout cas.
68
jacques cauda
la lime
Sac à croûtes
Purin des pizzas
Trou à merde mixée vomi
Dont le mieux est l’anus où
Je m’enfonce raide saleté
Dans ce cul !
69
Chienne boue la fente trempée
Suant les chiottes à l’odeur de blatte
De pute nazant le poil chauve
Et pire!
Miches tourniquets ce cul sans plis
Les cuisses écartées la motte grosse
Qui lâche dans le trou du centre c’est une
Salope par la faille une
Volaille limée (un) croupion !
C’est à moi encore avec ma bite et mes boules
Dont les infantes sont toutes maboules
(je chante et je rime)
La lime et la baise
Toujours dans ce cul
Posé comme chié sur la table
Qui rend l’effet bien plus durable !
70
jacques cauda
sans titre
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71
osmose curves
c'est moi qui t'ai baisé
mon chéri
Je comprends mieux,
son envie de ne pas être à l'avance
Éviter de monter,
d'être seul avec elle
Ce besoin de pouvoir
résister à ses pulsions
qui parcourent son échine
face à ses courbes
Fuir la faiblesse
de ses bas qui le blessent,
de son regard avide,
cette peur du grand vide
Il en connaît la saveur,
l'odeur de son entre-cuisse
Ses doigts qui y glissent
et sa langue sur ses lèvres
La baiser comme à chaque fois,
déchirer sa croupe,
sa queue brûlante et
son visage couvert de foutre
« Stop je m'égare... »
« tu penses que je devrais lui dire
qu'elle s'est servie de lui ? »
Il était l'excuse idéale,
ce tourniquet infernal
Feindre l'éprise,
détonateur de sa fuite
Savourer ses pseudos petites victoires,
72
faire semblant de le croire
Intensifier de toute part et
le pousser à s'inventer une vie
Dérisoire en est le résultat
Il reste ce branleur ébranlé,
satisfait de sa vie illusoire
Vainqueur éphémère, presque évincé
Jusqu'à la moelle elle a sucé
ses faux espoirs
A plaider sa cause, faussaire,
piégé jusqu'à en crever
et
tard le soir
elle suce son pouce devant son miroir
avale quelques bouts de chairs
le regard satisfait
« n'est pas manipulateur qui veut,
il se prendra le même couteau mais plus profond »
73
sarah fist'hole
sans titre
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74
alain marc
six poésies erotiques
Même quand nous sommes
loin de l’autre
tout nous unit
La plus familière
créature hypnotique
ILLUMINATIONS
Mêler à ma jouissance
mes dernières illusions
et mes aspirations sentimentales
s’évanouissent
JAMAIS JAMAIS
je ne te connaîtrais
QUAND JE ME BRANLE
Une femme
sur le canapé
son corps était ouvert
COMME SON SEXE
Se frayant un chemin
au milieu de la merde
la bite
continuait son avancée
DESTRUCTRICE
Vicieuse
pute et salope
Elle redevenait vierge
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après chaque viol
Une main sur la jambe
restée posée l’autre tenant
la deuxième
à angle droit
appuyée sur son épaule
dans une liberté
mutuelle
de se mouvoir
en de multiples variantes
profonde pénétration
la masse des seins bouge
au rythme des coups
DE BOUTOIR
Debout nue
elle a jeté ses bras en avant
ET MONTRE SON CUL
poils noirs fournis
entourant les deux trous
76
samantha gai
sans titre
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77
manuel montero
miettes dimanche
octobre 10
...
Un jour je décidais d'être parmi ceux qui me détestaient
à mort.
Hercule urine de l'éther sur le fils du chien.
La critique de l'excellence est le privilège de la blancheur
affolée du poli dahlia qu'on vient mettre sur la
commode. Ses pétales sont les canifs des anges, les
menaces du décapité.
Salomé récurrente dans la broderie des blessures
masculines.
Le soldat languissant : le Saint Sébastien de Guido Reni
au Musée du Prado.
Le narcisse pense que le dahlia c'est lui.
La nymphe Europe ? Ou était-elle simplement une
femme ? Le coeur palpitant sur un Mihura dont le dos
était voué au sacrifice.
Horreur des dahlia éclos qui savent que les pages des
livres durent plus ouvertes que les paupières de leurs
corps.
Le livre avait les pages rouges, je lisais des partitions
étrangères au dedans de mes côtes, j'écoutais la couleur
illicite dans le pavot rouge de ce livre intérieur, une
musique qui battait depuis quarante ans comme avaient
battu les siècles sur les larmes des montagnes. Le jeune
78
Montero, le jeune Montero, le vieux.
Ils pensaient qu'il manquait du poids à la fleur accusée,
la couvrirent de chaînes et la firent brûler le temps d'un
infini.
Guido Reni n'a pas de suite possible, son génie est la
jouissance stérile. Et pourtant il aborde la course entre
l'homme et la femme, sachant la féroce métamorphose
qu'elle entraîne, suite à la ruse de l'or. (Hippoménès et
Atalante au Prado)
Le Grimal suffit à l'écrivain, le peintre a besoin d'Ovide.
Les familles d'artistes ne supportent que mal la mixité.
Elles sont comme les écoles religieuses.
Amour à minuit, aucun dans son lit.
Per me si va nella città dolente , disait la grille que le
poète latin voulait nous ouvrir. Nous en fûmes bien
instruits. L'épique fut bien forcée de se mettre à servir.
Nous avions la foi de la doctrine, la machinerie du sujet.
(Je voulais voir s'il y avait de l'italique sur facebook. Ils
en sont même pas fichus, je vais faire un scandale !)
...
Je n'ai que ça, les raclures des planètes pour un ciel sans
fixité, un atelier sans papier ni pinceaux.
Que suis-je sans rien à fumer ? Un poids de conscience
futile.
Peux-je dire que j'ai une faim canine d'ivresse ?
Vénus est l'écume d'un ciel castré.
Vous voyez, mademoiselle, à quels extrêmes j'arrive ? Je
trahis votre nom pour parler à la Lune. Je passe à côté,
je fais du bruit, je suis ivre d'eau fertile, de froid dans les
poumons, de votre silence.
En toute intimité, comme des vieux, on s'ignore
passionnément.
Si je meurs, je n'aurai pas connu la Chine, du moins ce
soir.
79
Tout va bien, ma pigeonne, ma colombe, vole et dis-le à
mon père du ciel, dont tu es consubstantiel.
L'on n'arrose pas avec de la vodka les géraniums, mais
l'on touche la Bible avec un peu de salive. Tout est
erreur et désespoir, dans le monde des objets.
La voix des ménades me fait frémir... pire que ça, me
paralyse.
Bon, d'accord, vous me crucifiez... mais alors je touche
l'invalidité, disait-il.
Elle sait, ça cesse, elle sait, je ne sais pas si elle sait.
Cette nocturne peinture du fou: Tasso avec sa folie a
passé la relève aux étrangers comme Rubens et après
l'exception du Titien a achevé le peintre italien. Du côté
du Titien c'est comme s'il s'était dit : Puisque Florence
ne veut pas de ma peinture, finie l'Italie, en avant,
Rubens.
...
80
manuel montero
miettes sur les larmes
...
Lancé dans l'art comme prostitution universelle, quelle
différence avec les agences de recrutement ?
Il y a pas de pute sans proxénète, disait le Christ aux
justes d'Israël.
Ce sera la faute à la vodka et à Sarkozy, vos larmes à
mon atelier, votre absence.
Mon ami me tord la gueule dans cet alcool où il n'y a
pas toi, même pas lui, il y a personne.
Je ne fume plus, je bois, au bout du rouleau, la vérité et
autour, la variété.
L'œuf sera pourri, le sel aura un goût sucré, le matin
commencera au milieu de la nuit.
Les larmes du peintre pleuvent sur le Louvre.
Surpopulation de larmes où les bouteilles sont des
armes.
Les infâmes qui déportent des gitans meurent tranquilles
entourés de chiens. Voilà l'ironie de Dieu, une goutte de
vodka, une larme, un pet.
Be freak, not geek.
C'est interdit de parler du café ?
Travailler ? C'est ce que fait l'étalon sur la première
dame de son choix, vous parlez de quel travail, vous ?
J'aurais dû mettre une majuscule à l'étalon. Dieu travaille
81
par plaisir.
Le salaire était salé... mais sucré.
...
Du n'importe quoi, voilà ce qu'est l'amour pour moi.
Je serai déchiqueté par les filles à travers le téléphone,
disait mon oracle à Delphes.
Un coup de matraque et va dormir, me dit la France.
Tout ce que j'ai construit est un bidon-ville.
On a mis sous hypnose l'hystérique jusqu'à ce qu'elle
porte une barbe.
Tu veux que je dorme ? Pour le bien du Parti ? Ou pour
mon bien ? Tu sais ce que je pense de mon bien ?
La femme barbue et l'éléphant rose, mes nouveaux
amis.
Le sommeil est le problème.
Un type assez coincé était partant pour draguer, mais
dans son coin, quoi.
Déchiqueté par les filles, sa tête roula par la pente de
Ménilmontant et miraculeusement, arrivée à Belleville,
elle s'arrêta comme il se doit au feu rouge. Les cyclistes
ne le font même pas.
Enfin la beauté à la portée du public, ça valait la peine
de lire le journal.
Belle histoire que j'aperçois à peine, dans une
catastrophe.
Les rues m'angoissent à nouveau, la nuit redevient la
vérité.
Je change de lunettes les années de vraie bagarre, quand
ça me touche, les casseuses.
La ruine du songe est le luxe.
J'amusais ma grande-mère et depuis je erre, je erre...
82
manuel montero
sans titre
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83
florian tomasini
les futurs demunis
Ni l’Orient ni l’Occident
ni les désirs de voyage
ni les errances immobiles
Ni les espoirs désertiques
ni les gouffres de bonheur
à sec les rivières de tristesse
encastrées les échappatoires
perdus les yeux appesantis
Ni nuage, ni voie lactée
Nos assiettes sont vides, nos couverts
des serpents qui nous fixent.
Nous marchons face à l’espace qu’engouffrent
nos pas,
nos bras s’enlacent au danger fumant.
Les nuits meurtrières courent sans cesse
dans nos vaisseaux.
Elles se démarquent du soleil mais en prélèvent la force.
C’est un astre en construction, une fournaise
sans pareil.
Ce soir encore, demain, qui sait, nous y aurons droit
Nous nous en souvenons comme d’un rêve
et ses impuretés noires :
notre minuscule vie et ses tentacules
puissants.
Jusqu’où aller,
remplis d’amour envers la bête qui nous pèse ?
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florian tomasini
les tortures
Cime
C’est qu’il faut briser les lampes,
marcher sur le verre bouillant et glisser
sur l’huile des ruptures
Se cloisonner dans ses pensées,
aiguiser les lames de ses pensées
et rire de sa bâtisse
Choisir les siens qui ont cherché sous terre,
Cherché partout ou va le possible,
vers un nouveau monde, sans tête
Les aveugles
Que cherchent-ils au ciel, tous ces aveugles ?
une terre mêlée à la grève,
un secours qu’illumine un soleil absent
et le sable du sommeil que déversent ses rayons ?
Oh je sais qu’ils voient de riches couleurs,
c’est le propre du noir,
cette composition visqueuse mélangée de bitume et de
poix,
d’être visité du jaune et du rouge spasmodique
et de descendre dans l’iris chaque jour un peu plus
Le vent
Le vent coule son fleuve sans fin,
sa fin est sa mort,
sa disparition insensée.
Seules les graines qu’il emporte
voyagent, et quelques grains de terre bruns.
Mais il est trop libre,
il ne nous heurte pas,
son silence n’est pas mécanique
IL EST TROP LIBRE
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sara chelou
rêve urbain
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86
rémi teulière
erenvolk
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87
heptanes fraxion
c'est vide et c'est beau
c o m m e u n v o ya g e
chiant entre deux
etoiles mortes
Ce monde stupide est plein de symboles
ma petite sœur se sent seule et pourtant
elle ne veut voir personne et pour une fois
elle ne connait pas de proverbe à la con pour exprimer
ça
ma petite sœur refait son chignon-tortillon
ma petite sœur fouille dans son sac comme un marsupial
dans sa poche ventrale
et l'infinie finesse du moindre de ses gestes fait
carrément kiffer les fées
ce monde stupide est plein de symboles
quand il y a trop de monde ma petite sœur imagine
que les gens sont des arbres et qu'elle se balade en forêt
et s'il n'y a personne c'est pas le style à rester prostrée
dans le noir
à regarder la télévision
à faire de l'électro-musculation
à fumer des plantes ésotériques
à attendre que ça passe
que la pâte à bois et que la caravane passe
non son truc c'est plutôt de faire le ménage habillée en
salope sexy
de faire la vaisselle en écoutant du Vivaldi
de passer l'aspirateur en écoutant du McLusky
en espérant que tout ça puisse aussi nettoyer son âme
ce monde stupide est plein de symboles
le vieux sperme passe dans la pisse
les vieilles larmes dans les sourires
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et ma petite sœur sourit
et son sourire fait des étincelles
et ses yeux font du feu
les mêmes yeux que ceux du petit chaperon rouge
qui a mangé du loup au lit et pas qu'un peu
le même feu qui brule mais qui réchauffe
ce monde stupide est plein de symboles
89
heptanes fraxion
moi aussi je t'emmmerde
même les chiens ne m'aiment plus
c'est rigolo
c'est même pour ça que je partirais bien
quelques semaines en week end
style maison de campagne à la mer
le temps que le bronzage
fasse tenir en équilibre toutes les bosses de ma tête
c'est rigolo l'océan
ça manque un peu de trottoirs
ça fait que je suis de suite un peu paumé
mais c'est vachement beau
les baïnes surtout
c'est rigolo tout le monde me prend pour DJ Henao
tout le monde croit que je vais mixer samedi
tout le monde s'imagine que si j'avais une bite aussi
grosse que mon ego
ben je m'enculerais tout seul
que c'est même un fantasme mais non
attaquer les gendarmes à coups de caleçon pendant mon
arrestation
ça oui c'est un fantasme
c'est rigolo
ton petit cul de petite pute hypersensible
peut tenir caché derrière une boite de céréales
c'est rigolo mais c'est pas une raison pour me briser le
cœur
kesse tu crois casser nos liens c'est pas facile
c'est comme couper des veines
ça va pas sans peine
c'est rigolo
en te regardant je me dis que le système semble parfait
surtout quand on en fait partie
que la France c'est mon pays mais que c'est pas ma
90
patrie
et que je n'ai jamais tort sauf des fois quand je te parle
encore
durant mon sommeil
somniloquie ça s'appelle
moi aussi je t'emmerde mon amour
mais moi c'est une putain de tendresse
91
heptanes fraxion
le vomi du diable
Après tout tout le monde te croyait en train de tournoyer
plein sud
cuvant déjà découpé par la nuit
quasi rongé par les bestioles de la mélancolie dans un
parking souterrain
où c'est tellement triste et tordu que ça ne peut que te
plaire
toi dont l'ange gardien est un petit enculé
toi que le pur instinct fout souvent dans la merde
tout le monde croyait ça mon pote
du coup lorsque tu débarques dans le bar préféré de ta
princesse gothique
ben la princesse gothique en question renifle la clavicule
d'un rugbyman argentin
même pas de niveau international
et toi tu fais bien le mec qui dit normal
le mec qui fait bien le mec qui n'a pas mal
et t'essayes de retrouver un peu de charisme
mais c'est pas facile d'être encore crédible maculé
comme tu l'es de guacamole
mais c'est pas du guacamole que tu dis
c'est le vomi du diable
et ça, ça fait rire l'autre moitié de ton visage
et faire rire l'autre moitié de ton visage c'est pas donné à
tout le monde
et quand l'autre moitié de ton visage rigole tout le
monde rigole
même les esprits zoomorphes de cet univers hanté
Après tout c'est vrai que c'est drôle mon pote
tes coups de foudre tous les dix mètres
tes tangos qui finissent dans le sang
et à la fin le ramassage de tes dents
tu savais que les jolies nanas pouvaient te briser le cœur
maintenant tu sais que les laides aussi
92
Après tout, on peut pas vraiment t'en vouloir mon pote
les journées sont longues parfois
comme bloquées par un feu rouge dans le désert
d'Atacama
et même avec une nouvelle bagnole
et même avec une nouvelle carte bancaire
et même dans la perspective d'un nouvel appartement…
Les journées sont encore plus longues quand tu les
passes
planqué dans l'espoir morbide de rester vivant jusqu'à la
prochaine paye
Après tout tu peux être comme eux mon pote
normal c'est-à-dire normalement taré
c'est-à-dire assez con pour être heureux mais pas
comme eux !
93
heptanes fraxion
ça veut dire que je ne
va i s p a s r ê v e r
cette nuit c'est pas difficile de la connaître par cœur
c'est toujours la même
interminable ou minable
y a pas trop le choix en fait
en tombant en mille morceaux
je fais semblant de danser à la fête
et en dormant dans mon vomi
je fais semblant d'attendre la femme de ma vie
et me salir me lave
et me vautrer me purifie
et le jus violent de ma viande qui bégaye et qui bave
c'est encore de la chaleur humaine de la vraie lave
à faire voler à travers le bordel
comme Victor le singe fou le fait si bien avec sa merde
ça veut dire que je ne vais pas rêver d'avenir
et ça me va très bien
ça veut dire que je ne vais pas rêver d'avenir
et c'est merveilleux comme venin
ça veut dire que je ne vais pas rêver
ça veut dire que je ne vais pas rêver
94
oscarr
sans titre
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95
lance-roquette
I
Je suis là dans cet appartement
J’attends des nouvelles de moi-même
Je ne reçois que rarement une lettre
parfois qui me dit d’aller voir ailleurs si j’y suis
parfois qui me tend les bras
II
C’est comme si au lieu de perdurer
l’amour s’est pétrifié en statue
puis réduit en cendres
Je n’ai pas de regret car tu es délébile
III
On peut toujours décider de mettre un coup de trique au
destin
Moi c’est ce que j’ai fait
Un coup suffisamment violent pour changer, dévier ma
trajectoire
J’ai même fait double coup
IV
J’en perds mon latin et mes lèvres s’assèchent
sans parler le langage de l’amour charnel
V
Partir du vide, conclure au vide
Eviter les polémiques
Etre un vrai humain
Réciter l’amour
VI
J’essaie de regarder chez les gens leurs côtés fragiles et
de les envelopper
Je suis une fille sensible mais aussi une conne bornée
VII
Tout me semble inquiétant et vil
Tout semble en effet inapte à me redresser
96
Je ne peux compter que sur moi même pour retrouver
un chemin
Et j’écris comme si la chiasse coulait de mes doigts sur le
papier,
d’une façon plate et idiote
VIII
Nos journées de travail sont autant de cadeaux aux
riches,
autant d’injures à nos âmes et à nos corps.
IX
Détruire, détruire tous nos amours
La crainte anticipante et la destruction à coup
d’arguments-massue, massifs
J’ai déjà fait
X
On a beau avoir une belle crinière de cheveux, on en est
pas moins mortels et fragiles Tout est ouvert au vent et
tout ce qui vole dans les airs vient se planter dans mon
thorax
XI
Si on arrête de chanter, ça veut dire qu’on est un peu
morts
Mais il faut payer pour chanter Para bailar la bamba
XII
Tu aimes une version facile de moi, une version
édulcorée
Je ne suis pas ta pute.
La peur rend con,
le pont rancœur
le cœur rend pont
le rond pend cœur
la con rancœur
XIII
97
ronan rocher
sans titre
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98
slip
sans titre
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99
Thomas vinau
sans titre
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100
cloud
alone in the city
Premier épisode - david
Ce matin mon réveil n’a pas sonné
Marche plus
C’est peut-être moi
Je vais être viré
Je vais être viré
Je suis toujours en retard
Mais aujourd’hui le matin doit être près de se terminer
Comme si j’aimais ça
Donner à bouffer à des petites frappes
Qui vous crachent à la gueule
A la première occas’
J’allume une cigarette de marque américaine
Et me sert un thé brûlant
Je bois je fume
Je me régénère
Pas le temps pour la douche de toute façon
J’aime mon odeur
Je ne sais pas pour les autres
Et je m’en fous
Tiens ma radio ne marche plus
Je voulais passer un peu des feux d’artifices royaux
Histoire d’entamer la merde quotidienne
Comme un seigneur
Les piles étaient quasi neuves pourtant
Foutus pakis
Avec leurs bazars en plastoc’
Une chemise un pantalon la ceinture
Tout est silencieux
C’est dingue vraiment
Je m’entends penser si fort
On dirait des cris
101
Pas le bruit d’une voiture pas une parole dans la rue
Pas une injure
Par la fenêtre le soleil me reconnaît
Je baigne mes yeux trois secondes sublimes
En son centre
Le pacte entre lui et moi continue
Tout semble désert
Il est onze heure bientôt je dirais mais
Pas une voiture pas un chat pas un enfant qui pépie
Merde
Sans musique
Cette journée s’annonce très moyenne
Tout à l’heure
Deux timbrés ont fait une crise commune
Je me suis ramassé une claque
Au réfectoire
Sur le chemin de l’aller
Il y avait trois personnes dans mon wagon
Trois adolescents
En train de fumer un pétard
J’aurais dû tirer une latte
Je me serai mis en colère
Et j’aurai balancé les plateaux
A la figure du claqueur
J’aurai enfin perdu ce boulot
J’écris ce poème depuis que j’ai vingt ans
Ça lui aurait donné peut-être
Un peu plus de piquant
Sans travail
Les dernières limites franchies
Sombrer doucement dans
L’exclusion la plus complète
Papa va bientôt sombrer lui aussi
Son cancer le ronge
Il va falloir que je le revoie
Les infirmières me prendront
Pour un fils indigne
Et maman s’effondrera sûrement
Son visage tourné vers la fenêtre de la chambre
Dans l’ombre du soir
Petite sœur
Mettra sa main sur mon épaule
J’irai acheter une bouteille de vodka
Chez l’épicier en bas de chez moi
102
Sur le trajet du retour
Il n’y avait personne dans mon wagon
Je refumerai bien de l’herbe
Et ce contre l’avis de ma jolie psychiatre
Elle me parle de fuite et d’infantilisme
De médicaments et d’amour définitif
Je l’écoute d’une oreille distraite
En pensant à des cathédrales englouties
Sous le poids des siècles
Je pense aussi à mon destin
Je sais qu’un saint
Me le révélera au coin d’une rue
Menotté à un réverbère
Aboyant sur les passants
Mon grille-pain a lâché
Je voulais me faire des tartines grillées
Au chèvre chaud
Accompagnées d’une salade bien vinaigrée
Au lieu de quoi
J’ai avalé avec peine un grec immonde
Salade-tomate-oignons
Sauce samouraï
La radio annonçait la reprise des hostilités
Sur le front Est
Si loin de la ville
Tactiques et frappes chirurgicales
Je suis objecteur de conscience
Sans quoi je me retrouverai
Le cul collé à un bureau quelconque
A valider des transferts et des rationnements
J’ai remis des piles des bonnes cette fois-ci
Dans ma radio
Mais ma radio refuse de marcher
Je ne peux plus me mettre sous hypnose
Emporté par les boucles infinies de Steve Reich
J’écris deux fois plus
De choses inutiles maintenant
Et je fume
Je fume deux paquets de cigarettes
Pour tuer le temps
Il ne passe plus aucune voiture dans ma rue
Tant de gens sont donc partis
La foule qui s’étiole crée un vide
J’ai repéré un dealer que je connais
Il a refilé de la came à un junkie quelconque
Que je connais
103
La tentation était grande
Mais j’y ai résisté
Sans Mozart
Je suis fier
Et tenté
De fortes bourrasques ont soufflé
Toute la nuit
Et encore au petit matin
Je n’ai pas dormi
Une horrible mégère a gueulé
Des heures et des heures
Je voyais sa tête écrasée par flashs
La cervelle étalée sur le trottoir
Près de la lumière artificielle de mon lampadaire
Il faudra que je pense à m’acheter un nouveau cahier
C’est le troisième réveil que j’achète
Et qui ne marche plus
Je commence à croire qu’il y a
Quelque chose de maudit chez moi
L’ambiance au centre se dégrade
Depuis que trois nouveaux dingues sont arrivés
Encore plus dingues que les autres
Il va y avoir un meurtre à ce rythme
Ou bien un viol sérieux
Avec strangulation etcetera
Mon chef ne supporte plus mes retards répétés
Il ne veut pas croire en ma malédiction
Je lui ai demandé de me prêter son réveil
Il m’a fixé en silence
Puis m’a conseillé de prendre un ou deux jours
De repos
Non non je ne veux pas me reposer
Je veux gagner de l’argent
Je vous promets
Chef que je vais régler ma vie
Je prends des métros vides
Les seules voix que j’y entends
Sont celles des annonces automatiques
A la télé ils ont parlé d’un sanglant fait-divers
Trois adolescents ont été retrouvés défoncés à mort
dans une ruelle
De la vieille ville
Lacéré de trois cent coups de couteaux
On craint qu’un nouveau tueur sadique
Se ballade quelque part
La guerre a détraqué tellement de citoyens
Et bla bla bla
104
Des conneries pour étouffer le mal
Je ricane sur mon canapé
Un verre de vodka à la main
Un joint dans l’autre
Que le chaos vienne une bonne fois pour toute
Myriam ne m’a pas rappelé depuis deux mois
Nous faisions l’amour comme des animaux
Et elle partait toujours avant que je ne me lève
C’était comme ça
Notre vie normale
Je regarde deux gouttes de pluie faire la course
Sur ma vitre
Comportement infantile ne grandira jamais
Il arrive au lampadaire de s’éteindre par intermittence
Je passe une taf au dealer
Et sort mes cinquante crédits
Au revoir et à bientôt
Je me suis résigné à ne plus acheter de réveil
J’ai pris l’habitude
De me réveiller avec l’aube
C’est un sentiment inédit
Je profite de ces deux heures gratuites
Pour ranger mes papiers
Il y a trop de phrases sans importance
Je bois mon thé et je supprime beaucoup d’histoires
Autant se concentrer sur mon grand œuvre
Afin de m’assurer la gloire dérisoire de l’écrivain
Avec le thé je fume un joint
Mes idées se remettent en place
Il faut que je recontacte Myriam
En prétextant l’état de maladie avancé
De mon père
Demain je dois me rendre à l’hôpital
Et subir la tristesse de ma mère
La pitié de ma sœur
Le regard sévère des infirmières
Myriam m’a répondu après le déjeuner
Il y avait de la résignation dans sa voix
Peu importe
Ce qui compte ce n’est pas sa résignation
C’est la chaleur de son corps contre le mien
Les nouveaux dingues ont l’air plutôt calmes
Mais jusqu’à quand
Chef se réconcilie avec moi
Ici on est un peu tous original
Sinon comment pourrait-on bosser
Il part d’un grand sourire
105
Je dis oui oui c’est vrai chef en remarquant
Que sa montre est arrêtée
Il faudra qu’on aille se prendre un verre un de ces quatre
Je vous présenterai ma femme
Je pars de son bureau mal à l’aise
Ma télé se brouille de plus en plus souvent
Je rate les informations
Aux dernières nouvelles
La guerre sur le front est faisait rage
Et le tueur sadique avait commis un autre crime
abominable
Une histoire de chats éventrés dans une église
protestante
Je me suis surpris à rêver
Que leurs entrailles brillaient d’une flamme bleue
Aux pieds d’un prêtre fondant en larmes
Les voies du seigneur sont impénétrables
Voici venir des temps de grand changement
Je sirote mon whisky avec volupté
Je fais de gros ronds de fumée
La trinité diabolique comme on la surnomme
Maintenant dans les couloirs du centre
A commencé à frapper
Ils entraînent les autres à se révolter contre l’Ordre
Merde c’est qu’ils ne sont pas si fous que ça
Donc d’autant plus dangereux
Des manipulateurs charismatiques
Des Führers en puissance
Et moi là avec mes plateaux repas
Je ne reçois plus de menace
Mais des bravades poétiques et sensées
Si les fous commencent à s’organiser
Vraiment
J’ai peur
Papa m’a accueilli sans rancœur
Je me sens moins soulagé que je ne le devrais
Il faut dire que maman a refait son grand numéro
Dos tourné masque de marbre et larmes contenues
Fils indigne ne cesse-t-elle de répéter dans ma tête
Grande sœur n’était pas là
Pour m’épauler
Il y avait une infirmière sexy par contre
Au bloc numéro 15
J’en ai profité pour rendre visite à un ami
Je matais son cul jusqu’au vertige
Elle m’a grillé et m’a souri
106
Comme un ange
Je bandais encore en sortant de l’hôpital
Près à revoir Myriam
Des banalités échangées autour d’une bouteille de rouge
L’ivresse qui amollit nos carapaces caractérielles
La promesse d’une proche réunion sexuelle
Ne pas brusquer les choses
Jouer sur sa corde sensible à la manière
D’un équilibriste
Je connais
Myriam n’a pas changé
Elle m’excite toujours comme au premier jour
Où nous nous étions rencontrés
Adolescents perdus dans un concert de hippies
Nous avions connus alors la certitude
Que seul un amour animal peut apporter
Je dois la revoir dans deux jours
Chez moi
J’achète la vodka
Et ma journée fait que
Je ne méprise pas le vendeur
107
a.c. Hello
sale temps
Je suis un homme empêché. Qui s’est interrompu. Qui
est resté collé à des choses quelconques. Je fais du bruit.
Je remue dans les lieux publics sans savoir comment
sortir de ma trajectoire. J’absorbe des nourritures
chimiques. J’ai peu d’amis. Je débarque. On me dit
d’appeler machin. On m’explique comment ça
fonctionne. Je débarque. J’ai des gros yeux éjaculés.
Hors de l’orbite. Je tiens un rôle. Un beau rôle. Je
marche vite le long des murs. Je débarque. J’ai la
sensation de mener une vie borgne au milieu d’une
matière malade.
Un matin je me réveille et je décide d’appeler machin. Je
veux comprendre. J’appelle machin. Je lui murmure des
cochonneries. Je m’agite. Je tiens le bon bout. J’éjacule.
Puis je dis au revoir.
Je décide d’opérer un renversement. Au milieu de leur
vision compartimentée. De leurs uniformités rectilignes.
De leurs formes d’expressions dominantes. Je vais faire
sauter mes résistances. Perdre mon histoire. D’ustensile.
Je cherche une destination. Je veux être hors du sillon.
Convulsif. Dur. Déréglé. J’efface l’histoire. La petite
histoire. Ma pauvre petite histoire d’ustensile. Je décide
que je ne sais plus rien et je fixe un nouveau point de
départ. Demain.
Le lendemain je me suis enfin ramassé. Ramassé par
terre. Avec mes deux mains. Je me suis enfin ramassé.
Remis droit. Bien que cassé par endroits. Je vis
différemment. C’est une bonne nouvelle. Je ne suis
définitivement plus une cible. Les choses changent.
Je les laisserai stupéfaits. Avec des plaies. Tout sera
programmé. Ignoble dans le moindre détail. Ils
souffriront longtemps. Je n’en ressentirai rien
d’extraordinaire. Je serai sans étonnement. Aveugle.
Sourd. Au fond de cette machinerie radicale résonnera
peut-être une sympathie fugace. Secondaire. Vite effacée
par un émouvant mépris.
Je suis Dupont, âgé de trente ans, de corpulence
108
moyenne. Je suis étendu sur le dos et je repose
directement sur la moquette de mon salon. Mon corps
est écrasé par une bibliothèque de trois mètres
cinquante de long. La partie de la moquette où repose
ma tête est couverte de caillots de sang auxquels sont
mêlés des écailles de peinture blanche. La rigidité
cadavérique est très prononcée. La putréfaction n’est pas
commencée.
Plaies ecchymotiques du désir avec écrasement du
leurre.
Plaies à bords décollés de quatorze centimètres de
longueur au niveau du chantage à l’inconscient.
Petite plaie rectiligne du binarisme. Longueur : cinq
centimètres.
Parallèlement au bord de la mâchoire polémique, plaie
ovalaire de quinze centimètres de longueur de la prise
de recul.
Cœur mou, vide de sang, présentant les caractéristiques
d’un organe souffrant de la famine.
Le contenu de l’estomac, semi liquide et de couleur
grisâtre, contient quelques fragments de tomates et de
vermicelles. L’estomac a souffert d’une rupture gastrique
et a ingurgité plus de quatre litres de soupe chimique. Le
contenu s’est répandu dans tout le corps, provoquant
des contusions fraîches au niveau des organes génitaux,
pouvant faire penser à des violences sexuelles.
Je ne veux pas mourir ainsi. Je suis Dupont. J’ai trente
ans. Je suis secrétaire de rédaction. Au chômage.
Célibataire. J’ai un hobby : écrire des chansons. Je les
chante dans ma cave auprès de mon vieux sapin en
plastique démontable.
Stature : 168,5 cm
Poids : 62,4 kg
Tour de poitrine : 96 cm
Tour de taille : 75 cm
Tour de hanches : 92 cm
Tour de bassin : 100 cm
Je sens bien à ces chiffres, que mon offre produit
pourrait être réajustée pour mieux s’adapter à la
clientèle.
Dupont, trente ans, de corpulence moyenne, je dois
maigrir, je ne veux pas mourir d’une déchirure gastrique
causée par de la soupe chimique écrasé par une
bibliothèque. Je vis perché sur une chaise. On dirait un
œuf. Parfois agité de tics nerveux et de piaulements
angéliques. Mes jambes sont repliées bizarrement sous
moi. Je mange pour deux euros par jour. Deux soupes
lyophilisées. J’ai une grosse bouche. Il paraît que les
grosses bouches sont sensuelles. Qu’elles engloutissent.
109
Certes. Pour le moment de la soupe lyophilisée. Je
possède vingt chaussures de grand standing peu
adaptées à ma mobilité. Alors souvent je porte les
mêmes baskets. Avec des habits troués (par des
cigarettes ou peut-être des mites). J’aime bien mes
meubles. Je me suis mis à acheter n’importe quoi. Des
nains de jardins Pop. Un porte-éponge Bob l’éponge. J’ai
rangé beaucoup de livres dans mon étagère. Je ne me
souviens pas de tout. Je’ crois, Dostoïevski, Camus,
Kafka, Céline, Ionesco, Beckett, Soljenitsyne, Böll,
Arendt, Acker, Kundera, Jean-Louis Costes, Boris Vian,
John Kennedy Toole, William Burroughs. Puis dans un
coin des livres d’art, par exemple un livre sur la
collection Peggy Guggenheim à Venise ou bien encore
« Le design depuis 45 ». Ainsi qu’un plan de ParisBanlieue. Cet assemblage disparate ne signifie rien. Il ne
signifie rien. À part que manifestement ces lectures
m’ont donné le goût de l’absence de chute et d’objectif.
Car c’est bien de ça dont il s’agit. Dupont, 30 ans, un
point errant. Suivant une ligne ordinaire et sans
secousses. Un échantillon de banalité. Je ne me déplace
plus. Je sors rarement. C’est devenu complexe. Je
fréquente beaucoup le ED. Je me rappelle avoir baisé
dans des chambres d’hôtel bas de gamme. Comme cette
fois, près de l’île de Ré. Je ne me souviens plus du nom
de la ville. J’ai baisé violemment. J’ai déjà baisé sous un
pont avec un type homophobe, raciste et mythomane.
Je ne savais plus quoi faire de sa gueule blanche. Peutêtre lui vomir dessus. J’ai déjà baisé sur un banc public
très tard dans la nuit. Des types se rapprochaient depuis
le terrain de pétanque, tapis derrière les arbres. J’ai déjà
pleuré dans des couloirs d’immeuble, dans le métro,
dans ma cuisine, dans ma rue. Mais rarement. J’ai vomi
dans la rue en allant au travail. Mon père fume des
Cohiba Behike et prononce des phrases violentes. Car
devenir père n’a pas été facile. Ma mère arrose ses
chaussons rangés par gamme chromatique sur son
balcon, manifestement détériorée par vingt ans de
mariage avec cet homme problématique. On note
également dans son appartement la présence d’une
mouette empaillée. Mon frère est porté disparu.
Dupont. Trente ans. Mon cadavre de corpulence
moyenne qui pourrait maigrir, mon corps frustré et
maladroit qui ne veut pas mourir d’une déchirure
gastrique causée par de la soupe chimique écrasé par
une bibliothèque dont les livres ne signifient RIEN, ma
capacité à baiser près d’un terrain de pétanque, mon
père qui me dit que je vais faire crever ma mère, ma
mère qui possède une mouette empaillée, mes gestes
110
d’animal traqué, sont malheureusement inadaptés à mon
rôle social. Ce qui explique mon licenciement.
Alors je vais rentrer dans les rangs. Réorganiser mon
corps et ma personnalité individuelle autour de mon rôle
socioprofessionnel. Adopter des automatismes. Je
donnerai de l’importance à machin. Je l’écouterai me
raconter abondamment sa vie, ses passions, ses visions
solipsistes, ses admirations. Je le féliciterai pour sa
stéréotypie. Son royaume d’évidences.
Voici mon rôle :
1. Cesser d’aimer.
2. Il n’y a plus de part inviolable en moi.
111
gilles fela
surfer d'argent
Je regarde le monde à hauteur d’homme, ma passion est
égoïste : j’aime aimer et ne percevoir qu’uniquement des
détails zoomés. Les poils, la largeur des jambes au
travers du tissu du pantalon, la matière du pantalon, le
pli du sexe, la boucle de la ceinture, la montre, rarement
les chaussures. En été, en sandales, en tongs, la forme
du gros orteil et la régularité des doigts de pieds. Pour
les doigts de mains, c’est l’épaisseur qui prime, qui saute
à mes yeux, la paume doit être ronde et le bout des
doigts arrondi. Il n’y doit pas avoir un doigt trop long ou
des doigts de taille trop différente formant une herse, pas
de mains de pianiste, des mains de pommier. Le visage
doit être légèrement aussi rond et les yeux crever l’écran
du film documentaire sur la Souffrance et son corollaire,
la Douceur d’homme seul immergé dans sa camera
obscura. Les yeux doivent être marron, parfois bleu si je
peux y couler après y avoir plongé. Les yeux pleins de
bleu sont d’eau. Les yeux marrons des pépites
mélangeant charbon et diamant dur, combustible qui
brûle le désir des miens fortement et à une vitesse de
combustion vertigineuse. Les yeux marrons scrutent
pour à l’égal uniquement se donner et prendre appui,
force, solidarité, silence; ce sont, contrairement aux yeux
bleus, des yeux muets ; et foi, espoir, amour caché,
discret, vache voire de lynx sans se voir grands et beaux
entourés d’un visage ovale poncé au papier de verre. Les
yeux bleus sont bleu simple, de cette simplicité dans
laquelle on se noie avec enthousiasme et abandon.
Avec les yeux marrons il ne faut jamais s’abandonner, il
faut faire fier et ne se fier qu’au courroux des sourcils
bruns. Les avant-bras sont charnus et veloutés, couverts
de poils noirs ordonnés comme une œuvre d’art,
d’optical art. Les points poussant de la barbe piquent.
Pour les yeux bleus aux cheveux châtains clairs, la peau
est vue ; il s’agit de ne jamais toucher; elle doit être
glabre si ce n’est rasée proprement. Le nez doit être viril,
il n’y a rien d’autre à dire. Le port de tête, Mister
112
Univers, et les cheveux savamment sauvages comme de
l’eau ; les cheveux bruns sombres jusqu’à châtains clairs,
jamais blonds, doivent être l’équivalent d’un parfum, de
Dior jusqu’à la flagrance d’un Issey Miyake. Le torse doit
être torse parfois bombé au dessus de la bombe d’un
petit bidon harmonieusement tendu par la chemise un
poil trop serrée laissant imaginer qu’un bouton pète
révélant la pilosité du thorax. Les biceps répondant de
profil : oui aux dorsaux. La démarche doit être lente et
presque psychotique mais sans l’être, ahurie, soliptique
jusqu’à ce que la voix tonne grave. L’homme peut
bouger, remuer dans la mélasse de l’air, ses bras de
robot fiveties. Ses gestes doivent être artificiels comme
contenant un désir secret d’enlacement du vide pour
l’instant ne montrant jamais l’importance de la rose. Les
cils : les cils sont grands et féminins, les cils sont les
maîtresses de l’homme. La lumière irradie de l’ensemble
du corps au-delà du vêtement clair ou sombre, presque
jamais bariolé, de couleur Nicolas de Staël. Le battement
du cœur doit s’entendre des kilomètres réguliers autour
de lui, émission d’un signal séminal. Seigneurial,
l’homme doit parfois éclater d’un sourire, jamais de rire,
un sourire rare, parfois autorisé dans certaines
circonstances très codifiées à un rire gras de cascade.
L’homme qui rit, sourit avec calme, air entendu de celui
qui s’amuse plutôt que de celui qui s’esclaffe.
La démarche est un rien brutale cachant mal son mâle
rythme. Son centre de gravité au-delà du regard est son
sexe
:
invisible.
C’est
pourtant
une
étoile
hollywoodienne, l’essieu, le fouet, l’accélérateur de
particules, le défragmenteur de disque, tout le reste est
spoutnik tournant satellite autour de lui. A quelques
dizaines de centimètres du call center viril les mains
jouent au scrabble et forment des mots de sept lettres
tous blancs qui pour qui devine écrivent qu’elles ne
tournent jamais loin du phallus, de la bite piédestale, lui
répondant en canon. Tout geste non mesuré de l’achat
d’un café à la remise en place du sous vêtement, tout
geste non mesuré tombe par terre pourtant même à terre
il est debout si sa chute est mesurée, tellurique.
L’homme parfait regarde toujours quelque chose d’autre
que l’objet de son désir puis une nanoseconde venue
théâtralement montre qu’il a remarqué lui aussi cette
femme.
Ce que dit l’homme sur les femmes n’a aucune
importance, il ment, il ne dit jamais la chose ; pudique
jusqu’à se masquer d’une hyper vulgarité ; alcoolique
pour ne pas montrer sa sensiblerie ou violent pour
détruire ses propres sentiments, il vous baisera les mains
113
si ridicule vous le remettez debout et disparaitra parfois à
jamais. L’homme disparait toujours au coin de la rue et
se fait alors passer pour mort sans indiquer à quiconque
ni perte ni profit. Les hommes qui discutent se doivent
de jouer avec eux-mêmes ; l’idéal c’est une main dans
une poche ; pas de walkman ; un journal en turc :
Hurryiet par exemple ou à l’opposé un Financial Times.
Quand à ceux qui n’ont pas conscience de leur ridicule,
c’est l’adolescence de l’homme qui parfois est courte
voire écourtée parfois longue voire trop longue,
adolescence qui n’a rien à envier au complexe du
homard de Françoise Dolto et même par certains aspects
s’en rapproche même si l’homme n’aime pas qu’une
femme le comprenne : il n’a pas d’armure, non, il est de
marbre voilà, c’est ainsi. Un homme n’est pas envieux :
un homme porte sa vie sur ses épaules comme une
femme une étole un soir d’automne au Théâtre de la
Ville bien que cet us soit remplacé aujourd’hui par l’Ipod qui ne fait vibrer que le tympan. L’homme est
ontologiquement écrasé. Les veines de l’homme battent
bouillantes. Un homme dira toujours qu’il est nerveux
pour vous faire comprendre qu’il est émotif, à fleur de
peau, fêlé. Celui-là, celui qui ne sait rien sur lui et qui le
sait, celui-là seul, à mon sens, sera un bon amant, doux,
viril et droit.
***
Depuis que je ne picole plus, ma peau est redevenue
bien alors pourquoi tu nies, ne nie pas, je me suis vu
dans les chiottes de Délices d’Asie le néon blanc au
dessus de la glace du lavabo est le pire de tous les
chiottes des bars et restaus du quartier pire que ceux de
Monoprix. Pourquoi ne pas me le dire que je ne suis
plus bouffi. Tout le monde me le dit que j’étais
métamorphosé même les gens qui ne m’aiment pas
spécialement surtout ceux là même c’est bizarre hein ?
Ma peau est belle et pas seulement moins rouge et avec
moins de cernes sous les yeux ce n’est pas être pédé que
d’admettre ça. Ca te troue le cul de dire que je suis
beau. Je le sais pas la peine de le dire que tu n’es pas
amoureux de moi pas la peine de le crier sur tous les
toits quel est le rapport Akli m’a appelé beau gosse une
fois alors qu'il n’est pas pédé Akli. Je reprends gout à la
vie mon corps se remet et toi tu n’es même pas capable
de le dire je suis juste moins gros moins de poches sous
les yeux et moins rouge alors pourquoi tu m’as dit que
ma veste en jean m’allait bien si tu ne vois pas ce genre
de détails et ne viens pas dire que c’est parce que l’on se
114
voit tous les jours. Pourquoi tu faisais la gueule à la
manif contre Sarkozy t’essayais de me semer dans la
foule tu n’as pas ri lorsque j’ai mis un autocollant C.G.T.
sur mon pull je voulais te le coller dans le dos je ne l’ai
pas fait pour ne pas que tu penses que je veuille te
toucher que tu sois touché par la main d’un pédé si c’est
pas de la vraie amitié ça. Et pourquoi dans le métro ce
keubla debout a touché le lobe de l’oreille de son ami
assis de dos pour lui dire salut et que l’autre keubla l’a
regardé en souriant si ce n’est pour nous faire
comprendre que nous sommes deux cons. C’est ma
différence qui fait que tu ne me feras jamais la bise
depuis le temps qu’on se connait qu’au premier de l’an
alors pourquoi tu lorsque nos mains ou nos chaussures
se touchent dis pardon. Quel vice te pousse à me parler
des culs des femmes et de me dire que dommage que
cela ne m’intéresse pas –– dommage aussi que les
hommes ne t’intéressent pas, je dis et tu réponds
dommage hein ? Avant de disparaitre pisser dans les
chiottes du bar te toucher quoi alors si ce n’est la queue
ha ça va je ne vais pas venir te la tenir quel vice c’est
diksa d’allumer le pédé qui s’en fout ah c’est dur que le
pédé s’en foute et après de lui jeter un seau d’eau
glaciale comme sur deux chiens qui s’enculent.
***
Est-ce que le mot mort mord dans le noir ? Je ne veux
pas être un artiste de plus je veux être un artiste de
moins comme dans les installations de Tatiana Trouvé
où il n'y a de place pour personne et où l’on se sent
pourtant étrangement chez soi. Un jean c'est tout ce que
je vois. Un Djinn très bon ou très mauvais comme elle
dit Tatiana comme le vin de table –– pour moi un
tableau violet. J’ai grimacé gesticulé hurlé. La close
queen est enfermée la queue à la main dans les water
closet : elle se vide de sa pisse et sa pisse est la water
music d’Haendel. Ca la rend heureuse cette musique elle
se pisse sur les doigts c’est chaud dans le froid de l’hiver
évaporation odeur d’urine pure elle n’a besoin de rien
d’autre elle voit sa bite comme si c'était celle d'un autre.
La bite est celle d’un autre soi. Elle se la montre se la
raconte se la joue. Pisse-moi dessus. Hurle-moi je veux
au creux de l’oreille : le lobe oculaire gobe. J’avale ta
bite pour espérer qu’elle m’encule à l’envers défoncé de
la bouche jusqu’au cul puis tu me retournes et fais
craquer ma chemise assez d’assez je râle bavant le mot
mort aux dents ton nœud coulant m’étouffe aspirateur
éclatant tubercule solaire brillant de vaseline star night
115
ce jour j’éjacule de la light par tous les pores je suis
intense arque bouté chair énergie émotionnelle solidifiée
condensée sueur fluide je suis une statue qui frémit ma
bouche est rouge blanc bleu sans rouge à lèvres est-ce
donc pour ça que Tatiana en met un coup, de tube ––
drapé de draps agrippés par ma main là j’artisane je
sculpte un cri je rauque tu escrimes toute ta littérature
sacrée bout dans l’extrémité de ton membre tu craches
une giclée de non-mots opéra spatial d’outre-dos si je
pouvais nous peindre perdre paître naître, fenêtre-êtres
blêmissants lueur du moi-peau dans la peur de jouir
jusqu’à la suprême explosion tâche d’être régulier et
avec à coup brosse ton code de l’honneur à cheval sur le
principe du plaisir presque nu. C’est avec une horreur
non feinte que je respire je ne suis plus moi je suis toi je
suis nous tu es ma bouche crachant le soleil et des
perles de sueur de dégout –– le dégout est hors de nous
–– salées retiens ta main elle tremble comme tout ton
corps sur mon flanc. Alors toi aussi hein toi aussi oui.
Où es Tatiana Trouvé? Elle promène son chien
d’installation en installation pendant que ta bite est juste
à la taille de mon cul ma bite est juste à la taille de ton
cul tu dis juste une peu trop grosse plus grosse que
d’habitude juste parfaite les portes ont volé en éclats ? Il
n’y a pas de portes ici pas de miroir qu’une télé vidéo
crachant du cul bleu plus d’art que celui de la collision le
sang n’explique pas tout cela il n’y a plus d’interstice
entre nos deux mondes il y a une collision brutale qui
illumine tout être nous regardant c’est un état d’une
pureté brutale de diamant liquide-solide-gazeux-en
fusion-minéral-végétatif-bestial-divin-nirvana de carnaval
où avec des masques se pratique la sodomie les WC
sont trop petits pour nous deux par chance ne formons
désormais qu’un installateur de débouche-chiottes si tant
est que c’est ce que nous faisons, nettoyer nos
âmemoncules
de
leur
merde
respective
et
interchangeable d’ailleurs je ne sais pas pourquoi je crois
que nous sommes dans des WC ; estimé glissement de
tes pectoraux humides sur mes bras derme électrolyse
anode et cathode plus et moins devant derrière et le
grand han ! Au milieu creusant nos vits vital pour nous
deux. Je veux jouir en toi encore un petit peu encore un
petit peu non c’est bien comme ça tu te masturbes
tombant par terre tout ton être crie, éjecte de la lumière
je jouis je jouis je ne te vois pas jouir je me retourne il
ne reste que l’installation de Tatiana Trouvé je suis un
chien ou quoi ? Personne dans la pénombre je distingue
un troisième type que me dit « dommage que tu aies
joui. » avec toi les draps imaginaires du lit –– il n’y a pas
116
de lit dans ses installations –– de Tatiana Trouvé ont
disparu. Je me remets à avoir des yeux à ne voir qu'avec
eux. La pièce est devenue de théâtre et vide noire
excepté le troisième type et moi ramassant mes
morceaux tombés sur le sol sale de carrelage quant à
moi, je suis libre enfin je crois l’espace d’un instant c’est
si violent que je me cogne sur le montant de la porte
voilà c’est fini. Pour une fois que je n’ai pas l’impression
de regarder le monde de derrière une vitre en plexiglas.
Ca m’apprendra quoi d’aller dans une backroom baiser
en sortant d’une exposition d’art contemporain, je suis
en manque de picrate, je me vide les couilles, je vois
tout de traviole et je perds les pédales. Dehors –– j’ai fini
mon Coca light –– la ville resplendit, brillante de lumière
morte, dehors c’est l’autre monde, dedans le hasard,
pour l’espace d’un instant, t’a remplacé, surfer d’argent,
sans un mot.
117
olivier bkz
les règles du je
C'était Samedi. Je suis allé à Franprix pour acheter des
trucs qui me manquaient, et déjà à cet instant j'avais
l'âme bleu-gris.
L'entropie envahissait de plus en plus mon quotidien. Je
m'étais battu contr'elle jusqu'à aujourd'hui, mais là, je
commençais à fatiguer. Alors j'avais pris des vacances,
mais pas elle. L'entropie s'était insinuée dans beaucoup
de choses, elle squattait chez moi depuis quelque temps,
et il devenait difficile de la déloger.
Elle était tout d'abord entrée par la fenêtre, en la cassant.
Je n'avais toujours pas appelé le vitrier, du coup ça
caillait. Elle avait envahie ma boite aux lettres sous
forme de prospectus, je les ai virés, mais ils se sont
retrouvés au milieu du salon, comme ça, par terre.
Ensuite l'entropie s'est glissée par les fentes d'aération de
mon ordinateur, et a déposé son baiser glacé sur ma
carte graphique qui s'est mise à grésiller en saignant un
peu d'électricité, faisant de mon écran une putain
d'œuvre d'art contemporain résolument postmoderne.
Ensuite, Samedi, elle s'est attaquée avec succès à la
douce lampe de la cuisine, celle-là même que je laissais
allumée pour écrire ou faire l'amour.
Saloperie !
Avant le Franprix, j'ai étudié sans succès le problème de
l'interrupteur bloqué de la lampe. J'ai forcé en appuyant
dessus, ensuite je lui ai mis des petits coups de poing
sec. Rien à faire.
Je réalisais enfin pourquoi les femmes bandaient pour les
bricoleurs, c'est parce qu'ils avaient le pouvoir de
repousser l'entropie. Enfin, c'est une illusion bien sûr,
car la mort à toujours le dernier mot à la fin. Les
bricoleurs ont cette capacité de projeter leur énergie
vitale vers les objets malades afin d'en comprendre le
fonctionnement, puis d'agiter leurs avant-bras outillés
afin de les soigner , alors que moi, je ne sais projeter
mon énergie que pour aimer/haïr, manger/baiser, boire,
118
rire et pleurer, et enfin, écrire. C'est pas grand chose tout
ça, ça ne sert à rien.
J'étais en colère alors j'ai pris le marteau pour prouver au
monde que je pouvais réparer cette foutue applique, que
j'étais bon à un truc aussi, et ne me demandez pas
comment je comptais m'y prendre exactement.
Naturellement, ça a mal fini. Un grand coup de marteau
dans la gueule de la lampe ! Des centaines de petites
pièces de plastique partout qui volaient... Les femmes
aiment les bricoleurs, les publicitaires orangés et cokés,
les techniciens de l'art, les marchands d'art, les artistes
subventionnés ou médiatisés, les écrivains édités, les
quinquagénaires mariés, et puis tous ceux qui peuvent
faire avancer leurs carrières ou qui possèdent un
appartement grand et ensoleillé. C'est dans la nature des
choses et ce n'est pas très grave. La plupart du temps,
les femmes sont des connasses.
C'est dans cet état d'esprit que je me pointe au Franprix,
dernier endroit où je dois trainer lorsque je suis en
baisse de moral. La marque du papier toilette que je
prend au hasard est identique, à une lettre près, au
prénom d'une ex, et cela me déprime un peu plus,
même si le parallèle reste géométriquement judicieux.
Mauvaise idée ces courses, je choisi sans le vouloir des
produits abusant d'huile hydrogénée, j'ai oublié les fruits
et légumes. La caissière qui a pourtant l'âge de profiter
de sa retraite est nouvelle dans le magasin. Je pars, vite.
Ce soir, j'ai rendez-vous avec une ex, pas celle dont le
prénom est presque une marque de papier toilette, bien
sûr.
Au début, nous n'arrivons même plus à nous
comprendre, comme si nous ne parlions pas la même
langue. Cette situation bizarre dure une demi heure, puis
ça va mieux, nous sommes un peu plus détendus. Nous
avons passé une soirée tranquille dehors, puis elle
m'invite chez elle, par pure politesse bien sûr.
Elle ne me voit plus. Je m'y attendais, mais cela fait
toujours bizarre. Comme le musicien dans « Il était une
fois dans l'ouest », elle joue quand il faut se taire, et se
tait quand il faudrait jouer. Qu'est-ce qui est à l'origine
de ça, exactement ? Qu'est-ce qu'il fait que l'autre ne
vous voit plus, d'un coup, alors que vous êtes la même
personne, celle pour laquelle ses yeux brillaient et
s'illuminaient il n'y a pas si longtemps ? Je ne sais pas, et
on s'en fout. Seul le résultat compte, il s'agit d'un crime
contre mon humanité, ouais... Un crime dont nous
sommes tous coupables un jour...
J'étais assis en face d'elle, et elle ne me voyait pas, alors
du coup, elle pouvait être n'importe qui, et moi aussi.
119
Je lui ai demandé pourquoi elle avait souhaité me voir,
elle me répondit « comme ça, histoire de parler , c'est
sympa », tout en regardant l'heure sur l'ordinateur. « Et
puis... » ajouta t-elle, « c'est toi qui me l'a proposé... ».
Ouais c'est vrai, j'avais oublié ce détail.
Alors je lui ai fait une bise sur le front, et puis je suis
parti sous la pluie.
Je ne suis pas rentré chez moi...
Le bar était plein à craquer, et tout tournait. Je n'arrivais
pas à détacher mes yeux de ceux de cette fille qui se
trouvait toujours, quoique je fasse, à deux mètres de
moi. Je me suis approché d'elle, et j'ai fait ce que je sais
faire, je lui ai envoyé une bonne dose d'énergie. Ensuite,
j'ai dragué sa copine, ouvertement, et en la regardant
avec ce qu'un ami appelait « mon regard salace ! ».
Et puis je me suis barré sans me retourner, en prétextant
que je devais aller voir un copain dans cet endroit rempli
d'inconnus. J'ai attendu une demi heure, et puis je suis
revenu vers elle, et je lui ai renvoyé une grosse dose
d'énergie, pas de celle qui répare les choses, mais de
celle qui fait briller les yeux, et battre le cœur. Plus tard
on s'est embrassé sous la pluie, et j'ai repensé à cet ex
de ce soir que j'avais aussi embrassé sous la pluie, la
première nuit.
« Tu veux venir boire un verre chez moi ? »
« Oui. »
Je l'ai suivie, nous avons traversé deux cours intérieures,
et pris un ascenseur en nous embrassant encore.
Dans son petit salon chaleureux, elle avait un canapé
deux places de couleur rouge. J'ai enlevé mes
chaussures mouillées et elle aussi, puis ma veste, et nous
sommes allé nous vautrer dans le canapé.
On continuait de s'embrasser comme ça, et puis je ne
sais pas pourquoi, je me suis retrouvé à califourchon sur
les genoux de la fille. J'ai levé les yeux vers l'étagère au
dessus du canapé, et mon regard a été pris par le sien. Il
s'agissait d'un mec aux joues un peu épaisse, blondin, au
regard porcin. Il posait à côté de la fille que j'embrassais,
devant un paysage de cocotiers, ils avaient l'air
heureux...
Je ne sais pas pourquoi, je n'arrivais pas à détacher mon
regard du type. La fille me dit : « C'est mon ex. J'ai
toujours cette photo...c'est pas grave ne t'en fais pas... »
Comme je continuais de le fixer, elle s'est tortillée pour
se dégager, puis a plaqué la photo contre l'étagère.
Ensuite, elle s'est levée et est partie dans la cuisine.
N'ayant plus le blondin sous les yeux, je me suis rassis
sur le canapé.
La fille revint avec deux verres à pied remplis de vin.
120
Elle m'en tendit un et alla s'assoir sur un petit fauteuil en
rotin, et maintenant, une table basse nous séparait.
« Je suis désolé...j'sais pas... » je lui ai dit.
« Quoi ? »
« Rien, non je ne sais pas. »
Silence. Je lui dit, pour reprendre la conversation :
« Tu... Est-ce que parfois, tu attends son appel ? »
Elle prit un paquet de clope sur la table basse, en sortit
une, la posa entre ses lèvres puis l'alluma d'une façon
très élégante.
« Non. Oui. Enfin, je n'attends pas le téléphone. Mais
quand j'ouvre ma boite mail, il y a une petite partie de
moi, tout au fond, qui espère avoir un message de lui.
Un mail qui dirait « je t'aime, nous avons fait une erreur,
je t'aime et je t'aimerais toujours », ce genre de
conneries... »
J'acquiesçai en silence.
« Et toi ? » me demanda t-elle.
« Oui. J'attends aussi. Enfin, je n'attends pas. C'est
toujours une petite partie enfouie aussi qui attend,
malgré moi. »
« Et c'est déjà arrivé ? »
« Oui. Une fois. J'étais persuadé de n'avoir plus jamais
l'occasion de lui parler, et puis un jour, elle m'a envoyé
un mail, et je me suis retrouvé en train de jouir en elle. »
« Et... c'était bien ? »
« Non... C'était pire à la fin... »
Je tendis l'index à la fille et je lui fit signe de venir. Elle
se leva et écrasa sa cigarette dans le cendrier. Elle a
contourné la table basse qui nous séparait, et s'est assise
sur moi, nous nous sommes embrassés, et puis nous
avons baisé sur ce canapé, nous avons baisé comme des
malades, comme des désespérés, sous la photo
retournée d'un type blondin aux joues grasses et au
regard porcin qui avait l'air heureux devant des
cocotiers.
« Tu ne dors pas avec moi ? » me demanda t-elle plus
tard, à moitié endormie.
« Non, j'ai du boulot demain ».
Elle se réveilla un peu :
« on va se revoir ? »
je lui répondis
« Tu en a envie ? »
Elle me dit :
« Claque la porte en partant, ce sera bien. »
Je suis parti en claquant tout doucement la porte.
J'ai allumé mon ordinateur en rentrant. Je n'avais aucun
message. Enfin si, j'avais des messages, mais en fait non,
je n'avais aucun message.
121
jérémy brethes
ma famille, mes amis
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122
jérémy brethes
même pas mal (sur un
c h e va l r a i d e d e a d )
Je suis sur un cheval là, et je me souviens, le ciel
dispense des couleurs chaudes, roses et jaunes, comme
un crépuscule à red dead, ma vie est faîtes d'rêves, parce
que j'en branle pas une, enfin, juste une, et accélère,
tagatak tagatak... Dans mon casque, un riff répétitif,
sciant, en quatre quatre, 22 long riffle, sang froid.
J'ai envie de crier, pleurer, là ma rédemption passe par là
la la la, somme d'orgasmes, poésie chaude.
Des chansons inconséquentes et violantes
Depuis que l'amour est raide dead. Le futur est red red.
Comme bloody-mary-jane-d'arc un triomphe cramé
comme mes ailes (mais elle).
Je te jure c'est comme l'Afrique avec du fric, veau-doux
child saigné où toute les natures (se roulent des) pêlemèlent.
Césure que c'est///(silence)/// la faim de l'Histoire, et le
dé-pute du Jeu. Le hasard est une prostit-huée, mais
c'est comme chat, life is chaos et indomptable.
Je l'aime imprévisible et féline ; elle marche sans faire de
bruit le bras tendu poignet tordu la main parallèle au sol
comme si elle caressait un lion invisible. Elle parle avec
des tissus (fascinante farouche fashionista) de mensonges délicats, qui ceci dit sont veaux doux, pas veaux
d'or, ni veaux tour de Baby(so)lone-ly.
***
Refrain :
c'est parce que je savoure
ma course
que je suis brave ours
mon oeuvre est mon parcours
123
J'ai l'alcool joyau et je m'idolâtre (tu sais c'est à Moor
Marie... : « si on s'aime pas qui nous aimera ? »)
Un jour je ne m'aimais plus et j'ai fait une dépression.
J'étais vraiment de bad company. Et puis parlais avec
Dieu et dansais avec le Diable. Maintenant je suis sur un
cheval et j'ai envie de pleurer, mais je ne peux pas, je
n'ai plus de larme, peu de rancœur, je me sens comme
un missionnaire (je te baise frontale), galope vers la fin
du jour où des nuages pourpres.
Une post-civilisation, que je dessinerai tribale et (il faut
surtout) t'aimer-raire, pas hyène (paupières closes), pour
la transe en danse, une intelligence à la sueur, extatique,
exotique, et zoo-térique. Chaude comme ma foi, le
souffle de mon destrier que je surnomme Térus et que je
motive en criant : uh ! Térus !
Il contient un enfant invisible destiné à piétiner une ou
deux fois Troie qui s'est vendue sans tripe sans cœur
sans foi. Que serais-je devenu sans toi ? Hein ?
Toi qui n'aimais pas trop ma froideur de façade. Mais
sans elle sans quoi, je ne serai pas si cool qu'ils
m'appellent renoi. Rayonnant comme ce peintre des
pensées nerveuse qui rêve d'être, à la bravoure, raide
déf' éparpillé, parti pillé, mais bref, on t'emmerde, nous
sommes exquis esthèthes s'escrimant à trouver un terme
à nous-même. Pas mal.
Nous. même pas mal (x72).
Pas mal (x164)
124
wood
emprise
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125
thierry théolier
cyberpunkpostmondain
1.0
Teaser pour le tiseur
« CR2VARD_le retour de la fuite en avant! »
[baise-sollers]
extrait du premier chapitre
LES RESTES
1. CyberPunkPostMondain 1.0
à paraitre dans un an chez un éditeur couillu.
***
« Nous sommes tous des hypeux A un moment
pourtant, nous pouvons cesser de l'être. Savez-vous à
quel moment ? » Nobody after Bove
Frag/ment 0_ TOUCHER Lundi j'appelle Eudeline pour
un one2one # 04 / je tombe sur sa messagerie / ya
personne à part son esclave standardiste comme dans
Soleil Vert mais désincarné, juste une voix en boucle.
Du coup, j'improvise un jingle et une impro chaotique
façon büro electronica / je prends l'ouverture du
morceau de Sheller dans la B.O de L'écrivain public (ça
me va bien ça, moi le spammeur public) / ça donne
Bienvenus à Hypol / Abruti par les boucles sonores
schizoïdes, je sors de ma Tour pour aller à l'Espace
boborepaire voir l'expo de Francky Boy. C'est surtout
pour picoler à l'œil en bon SDH-chien que j'incarne et
TOUCHER du monde / marre du screen / en arrivant je
tombe sur Soral, il porte comme une armure, un
imperméable cow-boy, casque de moto, casquette russe,
imposant le mec. Il est aussi boxeur / ben ouais / La
sociologie est un sport de combat. Direct je l'accueille en
petit frère fan : j'avais lu ses Mouvements de mode
126
expliqués aux parents qu'un max de journaleux ont
pompé pour décrypter les attitudes et les tribus de Hype
City et ça continue... / Pas mal de crevards Mamie Nova
et des vieilles peaux années 80. Bordel qui se souvient
de Francky Boy ? Une pensée2merde : qui se
souviendra d'André le gentil marchand du Palais du
Tok ? Nobody... mais j'ai un doute en fait, les nouveaux
taggers ont bien mieux intégré la machine commerciale
et ont oublié d'être diiiiistroy comme leurs grands frères
punks des années 80... / retour boborepaire des jeunes
taggers aux dents longues et aux logos envahissants
s'agglutinent autour de Jérôme Mesnager, Jean
Faucheur, Miss.Tic. Y'en a un même qui bombe sur le
verso blank d'un panneau publicitaire, juste à droite la
porte de la galerie. Je balance « Tiens, ça me rappelle les
Crottes de Lascaux ». Voodoöo me lance un œil noir et
sûrement un sort. Je rentre inside et m'enfile le plus vite
possible du picrate, bouffe des chips au céleri (pitain c
beurk). Débarquent alors Artus de NIM ex-Epicier de
choc, l'artiste Hondo résident à Ars Longa et le skateur
Bilal. Ils viennent en repérage pour une expo dans ce
nouveau lieu plutôt notsobad, open et vivant mais un
peu 4$$-been, il n'y a pas de réel galeriste : c'est juste un
parking payant pour des artistes et des commissaires un
peu à la ramasse sauf mes potes (sick) mais why not,
c'est roots et souvent open bar / sur le trottoir, je baise
les bottes à talons pointus d'une MILF blonde, une
copine de Miss.Tic... Célia, une jeune reporter photos à
peine de retour d'un exil australien me shoote, je la
rencarde sur le SDH. Artus me prête son nouveau skate,
une marque qui a débarqué à Paris en 1976 et je discute
avec l'importateur parisien venu ici par hasard (...).
Arrivent
aussi
Pascal
Bories
en
jolies
tennisTechni(aristo)kart et Lazerges que j'ai rencontré la
veille en train de réparer sa mob devant l'Ile
Désenchantée (pour les organisateurs de soirées : ils sont
radins bah comme tous les patrons de bars de
P.A.R.I.S). On déballe les infos et/ cassos.
Jeudi. Soirée Trash Poney à la Nouvelle Supérette près
du café Calcaire avec notre Yvette Neliaz, elle doit faire
un vibrant hommage à sa girlfriend disparue Luzy (voir
l'article dans le gratuit des « outsider de l'underground »).
Jude 4$$ spamme un mail très agressif sur le SDH et je
casse ultime en mattant Le Prince des Ténèbres de John
Carpenter. C'est Chloé Delaume qui m'a rappelé cette
diffusion. Je trouve çà mimi.
Vendredi. Toute la semaine je zappe le salon du livre qui
me rappelle trop la FIAC mais en plus conceptuel (sick)
mais ce soir, j'abdique pour aller boire du champagne
127
chez Léo Scheer dans sa galerie au 16.17 rue de
Verneuil avec son buffet, son champ' et ses potes de
l'édition (mélange hétéro d'intelligentsia largos et depuis
peu d'intello-warriors déguisés en crevards avec dans
leurs poches des nids d'hirondelles chinois (?) et un seul
Blanchot Les intellectuels en question (...). A notre
arrivée, Léo nous déçoit grave. Picrate à la place du
champ' et le buffet Aloyau est remplacé par des
ca'ouètes toutes pourrîtes. Du coup, sur un coup de
sang/ sur-sens, je renverse direct un verre de vin devant
l'écrivain rock n' roll Christophe Fiat (Bienvenus à
Sexpol) et une blonde plutôt mignonne que j'insulte de «
pétasse » –– pour la forme/ et juste pour stopper le pingpong verbal mondain sur le (non)sens de casser d'la
hype et ainsi lui faire une petite démo : je crache alors
dans le verre de vin rouge, bois le picrate et le recrache
par terre. La meuf de Scheer –– une blonde riche
héritière, très belle (bonne pour un Rohmer), n'apprécie
pas du tout mais je m'en branle complet et le serveur
ramasse ma casse... Fiat s'excite en me sortant Debord
que je n'ai pas lu et que je ne lirai jamais. Tout la pasta
littéraire Al Dante est là : Daniel Foucard (Novo), Eric
Arlix (Mise à jour) et d'autres comme Luis de Miranda
(Ego-trip une société d'artistes sans œuvre) et sa sublime
girlfriend polonaise Evelyn. Je lui souffle au passage
dans le creux de l'oreille en regardant son décolleté que
« c'est trop hype d'être polonaise à Paris », du coup, elle
saute de joie et demande dans un polonais-anglais à son
mec Luis pourquoi il la cache !!! Ah ah ah... Timothée
Rolin shoote, Koozil est là, Jean-Yes, Emmanuel Caron,
Igor Tourgueniev, Laurence Rémila, Antoine Besse,
Franck Chevalier, Pascal Bories aussi et c'est le big
«Rendez-vous!» SDH. Entre deux ballons et saucissons
ED, chu interviewé par Elénora Rossi pour la radio
semi-libre Paris-Plurielle. A la fin, Chloé nous lance un
fatal « Nan j'vais pas à Gallimard. » le groupe
despasjolipunks se scinde en deux et on s'infiltre à la
réception Gallimard qui a lieu dans un hôtel particulier
juste à côté... Vieilles peaux de l'édition... ET BAM ! On
tombe au buffet nez à nez sur MAURICE G.
DANTEC !!! Le buffet est digne de l'ancienne époque
Léo Scheer : Alcools à donf' et petits fours. L'excitation
du commando SDH devant le Momo du cyberpunk est
totale. De plus, Stéphanie Rebato une petite nana
inconnue au bataillon nous a suivis et sa présence est
plus qu'attractive... Ensuite, on amène Maurice au Bar
des Bons Amis à Belleville pour retrouver ma Victoire,
Anaïs Donati et Cathy TR4$H - elle la pauvre, je l'envoie
balader par terre sous de l'electronica speed (la chaise
128
morfle) / je manque de rouler une pelle à son mec qui
commence à s'énerver mais dommage, il se dégonfle. La
bande commande bières sur bières et roule des pétards
avec Momo. Je remarque une grande nana cheveux
noirs très belle. Koozil en a même des vertiges mais
fuck/ c'est la copine de Jimmy T. La nuit passe et on se
finit au Zorba à 7 h du matin. Je prends le phone de
Momo qui devient officiellement le fan le plus
cyberpunkmondain des plus underoverground egotroopers de Paris, les cassos2hiiipe. Le reportage photo
par Timothée Rolin, l'ange aux doigts de fiel.
Dimanche. Les cow-boys de la post-modernité
contemporaine top moderne se donnent RDV à EOF
(lieu hyperactif et subground au 15, rue St Fiacre) pour
le vrai saloon du livre indépendant, j'ai nommé Les
Littératures Pirates. On passe aussi à la galerie
Peauneuve pour voir un concert de EVOLUTION
CONTROL COMMITTEE, entre temps je bois un thé
avé Krikor & Sandrine à Ménil... Telex : Krikor part
mixer en Russie, Sandrine me promet de shooter les
pét4$$-punks de la maffia. Kool. Voilà finito, chu naze :
vivement un charter mondain à Bagdad pour une grosse
teuf à l'arrivée avec les trans-irakiennes, on flambe
Hussein & Bush au pastis sous un mix de Jean-Yes et
DJoubliémoNom... Et hop!
« Le hype va mourir, ça vous apprendra.» Nobody after
Rigaut
F1rst Frag/ment_ EGO-TROOPER IN MARS La
dernière fois que je squattais les tuyaux PHP de Parissi,
j'ai paumé en un seul malheureux geste con-pulsif tout
mon texte sur 3 ou 4 events de mars notamment l'expo
ABSOLUT CUSSOL et aussi la soirée de lancement de
l'essai Ego Trip, la société des artistes sans œuvre à
l'atelier Papa-rassis (sick). L'auteur Luis de Miranda a
invité des hypeux à se faire photographier le nombril.
Les clichés ont été affiché au fur et à mesure,
construisant un «mur de nombrils». Bon voilà les restes
retrouvés dans mes dossiers outlook : « (…) j'en reviens
c'était supra-décadent tout le monde bourré au bout de 3
heures de blabla ensuite shoots intense-festifs de
nombrils et tamponnage alibi-art : c'était limite partouze
avec sexe... C.a.l.v.i.n a accroché 1/4 de peau (jeune
blonde). Evelyn était au top /copine de Luis/ y'avait ausi
un couple bandant avec des vêtements assorties
tapisseries et une culotte en dentelle orange très-très
mimi / Dabug faisait le distributeur de vodka avec le
caddie et d'autres trucs /chai plus / chu trop blindé dodo
129
(…) 5 h du matin, assis en yogi dans mes chiottes, - 'rive
pas à dormir - je lis le livre de Miranda presque bon
bouquin : j'y retrouve + ou - mes stigmates de praticien
en transe conceptuelle on-line entre le YES et le NO / le
passage Jésus² et le terme nobody etc. Je commençais à
me sentir un peu encerclé, le fiel se transformerait-il en
miel ? Dur pour un casseur... et bam! je surfe sur
mixbeat.com et tombe nez à nez avec la soirée
Minotaure chez Maxim's ... Et là, me revoilà, comment
dire... motivé.
Second Frag/ment_ HYSTERIE KITSCH Après avoir
descendu les bassines de sang alcoolisé (The blood of
Christ) au Café Charbobo et hacké une drink card au
café Castes en descendant nos flasks, NOUS les
Intouchables avons décidé d'aller checker la Grande
Schlemerie au bowlin' Foche... Waouh les nerfs des
casseurs ont été mis à rude épreuve. Armés de nos
invitations détournées par nos agentriples², nous avons
frôlé la dépression au-dessus du nain de jardin.
Topo_20€ pour encourager une compétition de bowlin'
entre des équipes d'hommes sandwichs paninimédiatiques (Anal +, Show bizz café, Blest qui
ressemble de + en + à Actuel, Rodak etc.). Un max de
hiiiiiipe était au rendez-vous. Dix pétasses au m² pour un
seul people. Bières à 10€ (...). Seules les péta$$ de
Quiche se sont révélées à la hauteur de l'hystérie
organisée. Vous avez dit kitsch production ?
Troisième Frag/ment_ HAHA! 2BAD Pas allé à
l'exposition hehe ! de Helen Evans & Heiko Hansen à
Mains d'œuvres : chu resté coincé à Artazart avec ma
Victoire et Pauline de la Gaité Lyrique (inutile de vous
dire qu'on a cassé ultime la boom-scaleuse de TRAX,
nous avons bouffé chez Maurice / pas Dantec / le restau
derrière 'tazart ! Tout ce que je sais, c'est qu'un des
selectors Ewen Chardronnet a balancé des skeuds à
cette expo... Pour info, Ewen a traduit un très bon texte
UNDER CONTROL de Konrad Becker édité par NSB
samplé de l'Introduction au Dictionnaire de Réalité
Tactique. Ewen fait parti de l’Association des
Astronautes Autonomes. Il rentre juste de Moscou et du
Cosmodrome Gagarine où il a fait un vol d'entraînement
à l'apesanteur. 19 paraboles de 25 secondes en zero-g !
ça vous retourne votre hypeux ! Comme un gros extasy
mais en mieux parce que les autres lévitent autour de
vous et cela dans le cadre de MIR. Voilà de l'info
Bordel / mais que fout les arbres scoopés de la hiiiipe ?
Ah ah ces infos-links sont copyleft notsobad / mettez la
130
source sinon Koozil mon avocat-casseur vous
tronçonne. Kapito ? MEDIA NOSTRA EN FORCE. Fin
du soli-loque.
Quatrième Frag/ment_ YOU'RE NOT BACK IN
DENIM ! 1992. Un dandy-anglais PD comme un FOCK,
Lawrence explose son groupe pop FELT déjà cultissime
et casse la dance music montante avec un titre
monumental
prophétique.
Ce
single
enterre
rétroactivement le revival actuel électro-glam-rock
(foutez la paix au Clash) Nobody percute et c'est un
flop : ça s'appelle BACK IN DENIM soit un méga-egotrip sonique en l'honneur de sa situation de looser trop
génial pour les kids qui encensaient à l'époque les
Happy-Mondays et autre New Order. Avant l'électroconsensuel chiant des 00's qui passe à bobobourg juste
avant Polette et bien avant le matraquage marketin' Red
Lewi's couilles de rat/ bref avant la hiiiiiiiipe qui re-suck
les re-vivals, Laurence était déjà BACK. Faites une B.A,
écoutez ce single et retenez le nom de ce groupe mortné : DENIM et faites un doigt bien profond aux suiveurs
en gueulant « You're not back in DENIM !!! » et si, un
seul Scout Massif, balance-ça dans une soirée
sponsorisée par les zombies de la marchandise teknoïde
scaleuse, prévenez-moi, je leur tamponne le cul et leurs
vomis ma flask de saké à la gueule. « I'm back in Denim
and Denim will put a soul in Rock and Roll » « Once I
owned the world but I gave it away » Lawrence de
FELT.
Cinquième Frag/ment_ NOPRESENT.exe Avril.exe
(expo) chu passé samedi dernier / le 19.04.03 / très déçu
par la conception de l'X-bition : frontale, ça m'a même
carrément NRV quand j'ai vu la gueule de KRN sur le
screen dans une esthétique très MTV flashouille (en +
c'est le clone de Gabrielle Lazure) bref, c'est du LOFT en
différé d'artistes démiurges - expression d'Henri Chapier
pour IVG (sick) - pluggés à la subvention/convention qui
démo-montre en main - « espace-support-temps
unique » un « savoir-faire-faire-savoir » technique
accompagné d'une logorhée théorique-teasin' drapée de
consensus intello 10 mots à deux l'heuze / bon alors
faudrait construire peut être des passerelles >entre< l'art
contemporain² qui pense parfois l'expo en terme
d'œuvre –– mais il faut « Oublier l'exposition » –– et l'art
numérique qui dépense le budget en pluggin' et leur
temps en apprentissage sans penser au collectif noninitié/ en fait chai pas trop/ vous devez alors faire de la
peinture presque interactive en attendant Hollywood / je
131
ne suis pas critique mais tout cela me semble très (net)
art appliqué, un dispositif archaïque comme à la
première expo de la Gaité / je suis peut être passé au
mauvais moment, peut être au meilleur du pire mais
faites gaffe BORDEL (TM) vous allez finir comme
Maurice Benayoun, plein de tunes et à la ramasse ou
Fred Forest à la ramasse sans tunes/ Vivement une
expo-manifeste ! La dernière en date : ZAC 99 et sur ma
Console d'occaz' tous les jours....» extrait de La société
du slide-show (en cours d'oubli soon sur http://editionsoubliees.fr.st)
Sixième Frag/ment_ JAVA 5000 Only for White Trash
Pussies J'ai reçu çà dans ma B.A.L : FREAK THE
SKIPPING SHEILA MIX March 03 par Javasoul
([email protected]) 77 MO de FREE-MP3 !!! JeanYes : « Pas mal du tout ce mix par moments ça a un
côté chicago/old-school qui est pas désagréable, ça
change un peu de l'ambiance Scratch Machin » & Koozil
« ça y est ça tourne... ça commence très bien. DJ Sneak,
vieux de la vieille. En parlant de ça, Anthony Shakir ce
soir au Rex, vieux briscard de Detroit, je pense que
j'vais aller m'y mettre une ourlée direct. »
La PLAYLIST_ 1-Those Guys « American Poem »
Basement Boys 2-Virgo « Free Yourself » Trax 3-M.E
« Ride » Trax 4-Sheila The Freak « Sheila the Freak»
Loose Screws Dub n/a 5-16B « Doubt » Brooks
Slickquick mix Hooj 6-Dexter « I Dont Care » N/A 7Mr.Negative « Star Spangled Banger » FreaksMix C&S 8Phonique « Beets&Greets » PokerFlat 9-Phil Weeks
« Trip to Paros » « Luke Sardello Rmx Icon 10-Nasty
Girl »Nasty Girl« UC001 11-Formidable Forces » « Mind
Games » Original Mix 20:20 12-DJ Sneak « Fix My Sink »
B.h.q rmx Creadance 13-DJ Sneak « Basic Jam »
Magnetic 14-Sheila The Freak « Sheila The Freak »
Kaboom Feeling sheila up Rmx N/A 15-Phil Weeks
« Hypnose » Tony Hewitt Rmx Robsoul Rev. 16Stephann Goldmann « True » Riton Rub Classic.
« Le cerveau a des capacités tellement étonnantes,
qu'aujourd'hui les hypeux en ont un. » Nobody
Septième Frag/ment_ Ceci n'est pas une note au-delà de
la hype. L'undeground branchouille a du mal à employer
le terme « hype », il préfère travestir son reflet dans un
jeu de miroir sémiologique en deçà de sa représentation
pré-institutionnelle dans la Hype et utilisera donc en
auto-critique refoulée : les mots « tendance » ou
« trendy » et même « branché » plus populaire et plus
132
méprisant de peur de propager sa véritable appellation
self-control. Il chroniquera ainsi sa propre mort
annoncée juste avant ou pendant sa métamorphose de
larve prospectrice silencieuse en mouche bruyante
attirée par les sponsors. Merci de votre attention.
NIHILISME. n. m. T. de Philosophie. Doctrine d'après
laquelle rien de ce que nous croyons connaître par les
sens n'a de réalité substantielle. Il se dit aussi du
Système politique qui vise à la destruction de toutes les
institutions
religieuses,
sociales,
politiques.
(in
Dictionnaire de l'Académie française, 8ème édition)
Huitième Frag/ment_ GIRLS THEY JUST WANNA
HAVE FANS
Aline Can Dance a invité Aurore Daerden & Smagghe au
Lime-moi Light_
X : Ya un album de Lou Reed qui s'appelle Sally Can't
dance...
Y : Ah... hommage ou pompage ?
X : Rien des deux man, c'est ça le pire !
X : Ah... sinon Salepif et l'autre... c'est pour un Ultime
Divorce Mix ?
Y : Nan... c'est un Fautbienkonbouffe Mix
X : Hiiiipe just banana flouze !!!
Neuvième frag/ment_ OLD POLITIK NETWORK
SUCKS. BLANK E-GENERATION IS BORN. CREATE
A NOMAD.ID.ENTITY SPAM ALL HYPEDATA FOR
SOCIAL-HACKIN. NOBODY Je viens d'écouter pour la
première fois les Scroutch Mastik et je me suis dit «Vasy, sois cool... tu connais Xavier, il est maqué avec
Maud... blabla... fais comme toute la hiiiiipe, dis que
c'est bien... » Mais bordel c'est quoi cette voix ? Elle
geint en anglais –– j'ai horreur des français qui se la
pètent in english (même les Thugs à la fin chantaient en
français merci Seconde Chambre) –– Ah je la vois la
Maudasse acheter sa baguette en anglais –– sur une ligne
de basse asthmatique digne d'un groupe de neuve-fève
qui répète pour la première fois dans la cave... Le clip
accumule les clichés de la nuit parigote qui se termine
comme chacun sait par une bonne branlette et une
partie de Playstation à shooter des streumons. Un clip de
Duran-Duran est dix fois plus décadent que cette soupe
visuelle digne de Zazie. Le pire c'est que j'apprends dans
le communiqué de presse maquillé en article dans
Culturama ex-Inrocks qu'un Poupaud a participé à
l'album « Et ça c'est vraiment pas possible ». Allez je fous
un pirate de New-Order (« Temptation » Rennes/1987)
133
« En démocratie romantique la destruction n'est qu'une
promesse de reconstruction. » Luis de Miranda in EgoTrip une société d'artistes sans œuvre.
Dixième Frag-ment_ 26 AVRIL SKIES. Je blackliste la
soirée de Jérôme Sans au Café Chéri(e) : trop de monde
que je ne connais pas (ou que je ne veux pas connaitre)
alors forcément c'est naze/ ah ah ah « Je t'emmerde et je
t'emmerde » MC Jean Gab'1. Je me casse à l'Ile
Désenchantée pour entendre de l'electro-hip-hop de
Jacques Braunstein (passeur de plats à Tech' et Zurban).
Too late / juste entendu du New Order, Smiths et du
Cure bootleggé à moins que le son était pourrave... Ce
soir le Grenier Overground d'Alex relève plus du sauna
que du club de poche (genre Menestrel) tellement il fait
chaud. On devra next time se mettre à poil avec des
walk-man... Question gibier : OK c'est un peu hippique
mais alert ! la moyenne d'âge des polypeuses est de 2025 ans. Rencontré en bas Victor de mixbeat et espion
double sur Kantin. Sucrage2fion fini, je passe au
vernissage de Miss. Toc ex-Miss-Tic à Artéfact : OB
timide et concept du boudoir-rencontre un peu pompé
sur Calle mais Sophie a du déjà pomper quelqu'un...
Célia Couder, la RP est vraiment trop bandante / ensuite
avec Laurence Rémila on va direct à CONSOLE pour le
concert de Dorine Muraille et c'est une musique
échantillonnée contemplative dixit Victoire, un rien
maladive que je rate pour cause de soif au 1étage. Pour
Informe : Dorinne (Julien quoi...) va de temps en temps
au bar des Bons Amis pour les soirées d'Alex (un autre)
les fameux Global Elements –– la seule soirée que je
kiffe à fond : gros son, public hyper chaud et pas trop
jeun's, bière pas chère, Anais Donati et Catherine Nutten
(les freegirls au supermarché et au fast-food) sont
souvent en furie etc. Merde je m'égare... revenons à
CONSOLE : concert également de Deathsitcom de
Lionel qui fait parti de Büro dans la cave de Murielle
Colin-Barrand (j'aime bien quand elle ne porte pas de
soutien gorge) –– Un casseur @nonyme fracasse une
œuvre (un cocktail molotof rose d'Olivier Babin - au fait
Oliv' sur sa grande tof avec ses cuisses écartées façon
HPG ressemble méchamment aussi au guitariste de Noir
Dez... les tofs.
« Intégrer le spectacle-spectaculaire intégré OK mais
après ? » Nobody after Dabug
Onzième Frag/ment_ Googlism for : thth
134
thth is very meaningful for me
thth is ed's review of this book about the history of the
church in Bali
thth is an unknown symbol
thth is 1 book
thth is accorded a similar valuation for its growth during
the next five years
thth is the basis of a smooth continuation of
thth is defined to be the action such that (?)
thth is me on camea
thth is the kind of functions from type expressions of
kind thth is goin down.
« Ne jamais se lever. Ou ne jamais se coucher. Le doute
le plus célèbre du monde. Est-il noble de se lever le
matin en sachant déjà tous les emmerdements qui vont
suivre ? Est-il lâche d'aller se coucher, de dormir jusqu'à
en crever, et dire au revoir à tout ce qui nous bouffe
l'existence ? C'est là, la question. » Tonio Benacquista
Douzième fag/ment_ Mail à Tania une Putafrange Hier
au Purple c'était l'ouverture de Büro et leur festival
anniversaire 5 ans (déjà) avec... Jack Lang ! Toute la
clique du cahier TentaFion de Libé, Olivier Zahm +
Arnaud Viviant, MBK, la freeparty girl Anaïs Donati
(encore elle..) et d'autres... Une certaine Jude 4$$ l'a
insultée sur le SDH...)
« Bonjour Tania, oui je me suis permis de mettre notre
échange de mails sur le blackblog. Sorry mais prends
une partie de mes conneries comme d'une « médiation
hardcore » comme du « terrorismedia sur le journalisme
de luxe » (sick) / pas très éthique mais j'assume mes
méthodes / trop kiffé l'inspecteur Harry / chu donc
capable de me griller parce que l'éthique des médias de
masse actuellement spamme une langue2bois percée du
clou du spectacle s(t)imulis-acres / maintenant les
crevards de la Cantine qui n'ont pas la parole savent
qu'ils écoutent aussi une crevarde qui bosse. Désolé
d'avoir été mon otage. C'est fini tout a été dit. On peut
continuer à bosser ensemble ? » affaire classée X
putafrange. Tu sais le fait de s'appeler Putafranges et
commencer à se la péter hiiiipe au Lime-moi light (sick)
–– cloube qui a l'air d'être déjà mal barré –– génère une
provok et de la jalousie alors faut assumer les mauvais
feed-backs et les larsens on-line. Le rapport du public et
des médias changent, les gens se lâchent, s'organisent,
se fédèrent etc. C'est un espace public/privé encore
assez vierge et obscur... anyway, je suis désolé des
propos de Jude cette folle et essaierai de la tempérer
135
next time. Si vous pouviez rectifier : « Les principaux
activistes du SDH sont des artistes, des pigistes, des
cybergonzos bref des intello-précaires, des nerds aussi et
si l'Elite (TM) veut nous taxer de « crevards » no prob.
« Nous sommes seulement sur-informés et constituons la
première
solidarité
post-mondaine
cyberhumaniste2merde. » Là, on applaudit.
« Le vide de leur intérieur, l'insipidité de leur
intelligence, la pauvreté de leur esprit les poussent à
rechercher la compagnie, mais une compagnie
composée de leurs pareils car similis simili gaudet. Alors
commencent en commum la chasse au passe-temps et à
l'amusement, qu'ils cherchent d'abord dans les
jouissance sensuelles, dans les plaisirs de toute espèce et
finalement dans la débauche. » A.S . 1851.
Treizième frag/ment_ WE ARE ALIVE - THEY ARE
DEAD DANCING BY MODULES. Dernièrement sur la
Kant-IN (backroom du SDH) Klute m'a cassé les couilles
avec le dernier bébé de la mère Burgalate... Rien à faire
je blackliste R.A.S DRAGON pour clonage sans flip. Le
rock end roll ça s'écoute sur le Net avec un son bien
cracra et pas à la Nouvelle Supérette devant des
Johnsoneux2merde / disons que –– rapidement –– ça se
streamme à partir de vieilles K7 toutes pourries de ton
adolescence avec des morceaux qui ont disparu de la
circulation parce que la hiiiiiiiipe (TM) l'a décidé pour
vendre de la daube recyclée façon Daft ou pire
2manydj's. Quand t'es vraiment rock end roll c.a.d
icono-castes –– tu crack pour les autres des logiciels,
ces nouvelles guitares qui crachent de l'image et parfois
du son comme le fait Jean-Gilles des Electrik Callas
(groupe punk défunt). C'est le nouveau paradigme du
spirit punk et je mets pas « cyber » devant –– because on
est déjà sur le web puis lisez le dernier Eudeline, il a
écrit l'avenir du rock en une seule page et c'est
pathétique, le reste appelle ça du clonage qui est encore
plus pathétique. Allez j'écoute les FEELIES qui
reprennent le Velvet sur mon walkman STEREO SCP52 pluggé sur mon HP 233 d'occase.
« L'opposition qu'il faut maintenant unir contre la
décomposition idéo-médiatico-plastok doit s'attacher à
casser les merdes qui se produisent dans les formes
comme l'art contemporain ou la mode. » Nobody after
Debord in La décomposition, stade suprême de la
pensée bourgeoise
136
Quatorzième Frag/ment_ ROTE TOGETHER Date : I
don't remember. Heure : 23 h 30. Terminus P.A.R.I.S.
Café Be4. Cabaret Electro-nique. Je rentre. Audrey
Mascina (ACTUEL ex-BLAST + Modzob) et Jérôme
Sans (Palais du Tok) sont aux commandes d'un énième
planeur relationnel-festouille. Les deux apprentis-pilotes
flight-simulator essaient désespérément de faire planer
leur cabaret Vol-au-Vent à grands coups de vents
électroclash-mou-du-bide (cholestérol tekno que les DJ's
injectent en intraveineuse aux porcs du Tok qui leurs
permet de se vautrer dans la boue nostalgique de leur
première boum gothique / tout en ayant l'aval d'OVAL
(?) –– fin de l'hyparté / L'engin festif plane dans le vide et
pique direct du nez pour tomber dans un bain d'ennui et
expulser des petits pets nostalgiques kitschouilles.
L'odeur, corps gazeux des désirs de viscosité tribalebobo insatisfaits, surplombe l'abysse du ridicule quand
Gégé Sans mime tel un Maurad pour retraités Frac-Drac,
le fameux geste des rappeurs –– YO ! –– et balance sans
trop y croire une reprise de « Boys Boys » de Sabrina
bootleggée « encore et encore » par un obscur groupe
suédois-basque. La deuxième couche des lyrics années
80 (période Guy Lux / oublié à jamais John Peel et ses
sessions, le Bertrand Lenoir anglais des 80's...) –– est
rajoutée en play-back par un clone raté de Placebo qui
–– quand il balance un désespéré « I WANT MAKE SEX
TONIGHT » –– se fait à moitié pécho par les hanches
par un rapatrié-irakien en costard Tati, complétement
bourré. Pathétique pantonyme d'une partouze sans sexe
qui voudrait rendre hommage à Kurt Weill mais ne fait
mouiller qu'Amanda Lear. Débarquent sur ce fiasco non
gratta, G.Wen artiste Trash pour gens chics accompagné
de son singe punk et de sa pét4$$ rose qui nous infligent
(en)direct une pantalonnade sponsorisée Diesel poussive
performance où rien ne doit dépasser : ni une bite rouge
de gorille rose, ni un poil de cul d'ados attardé. Les
artistes Trash mais pas trop simulent une partie à trois en
se trémoussant à mes pieds –– là, me vient l'idée
saugrenue de leur pisser à la gueule mais too bad, chu
pas déchiré / open bar fantôme / Ils arrivent quand
même, à mes pieds, pour me foutre de la peinture
argentée sur mes Acupuncture et voilà la goutte qui fait
déborder cette vase. Scène porno sort graphique.
J'aurais préféré tout de même un lancer d'étron de
Costes sur la gueule de Mascina (avec un peu de chance
il aurait éclaboussé la suckeuse underground (TM)
Bubble Star. « Pourquoi tant de haine ? » Tais-toi et rote
« over me ».
137
« Une nuit sans hype c'est un jour de lecture gagné mais
je préfère allumer ma console. » Serge Balasky
Quinzième Frag/ment_ LES ANGES CRÂNENT Soirée
Kia-No rue de Ravioli –– 16 septembre 2003 ––
Rencontré avant-hier soir à la soirée KIA-NO qui a
pondu un B.ame G.oy (inversez les initiales valeurs et
vous pourrez jouer à « The Game ») THibaut de
Montaigu, l'auteur des « Anges brûlent » (Fort Fayard).
Bon. J'ai pas lu son livre –– je lis « Rien » à P.A.R.I.S ––
un livre blank hypra design qui se vit everyday I write
the blank book –– mais le branleur rive extrême-gauche
Fauchon est kool. Nada à voir avec ses cons-génères
blacklistés sur le blackblog.fr.fm : bientôt les tofs de
cette soirée hype sur pOst-repOrt où nous avons croisé
Bouchitey, le Phoque-Kan –– 'savez le péruvien qui
shoote les soirées depuis 20 ans sans (se) casser (de)
cette Mascara en rade –– un géant blond « dont j'ai
oublié le nom » qui branle du k-raté dans des chef
d'oeuvres kitchs, le clone d'HPG poursuivi par une
meute de pét4$$ qui gueulaient dans le Vide de la soirée
« Toozeur ! Toozeur ! », Calvin 2 : le Retour,
Inès2labarre, Antoine Besse (avec sa coupe Zurban) qui
arrivait quand on s'cassait, Dabug qui fight à L'EntrepriZ
une nouvelle gueule THomas Floyd, Marla Singer qui a
shooté (une) Jud4$$ qui s'est téj' sur elle en lui disant :
« C'est pour ki ? » (accent2merde parigot) –– C'est pour
wam. –– Ah bon... ça roule alors ! Viens que je t'sucke
chez Damepipi !!! Bon plan pour la Béné-tr4$h-fion,
l'alibi du papa-rassis. Alexandra2Muteen avec ses
chaussettes à rayures roses (très Burennnnn meets H&M)
Franck Knight le sucker2hype de la soirée, filmé par
Vladimir TYBIN (remember le documentaire sur Pacadis
en juin dernier au Palais du Tok...). Bientôt les culottes
et les tampax du SDH en « Prime time » (Flama-Rions).
Un 26 minutes est en tournage ! Préparez les chéquiers
Anal +. Klute avec son ego Puma et sa nouvelle EXVictoire : Flore. Alix (Vaginale ?) démon-stra$$-trice
suédoise de B.ame G.oy/ Quant au Crevard N°1, il
devait casser ultime avec Syphon Filter 2 sur PS1. Ben
ouais, il évite de trop sortir, il n'a plus une tune pour
s'HT ne serait-ce qu'un shampouin2merde, il est juste
allé entendre le dernier al-boum de Belle & Sebastian au
pub-club qui monte le Truskel.com avec Laurence
Rémila mais too bad ils sont tombés sur un
match2foot2merde avé des yuppies qui s'enfilaient des
pintes devant un écran géant très All(beauf)Over, c'était
donc très PopProlo (heureusement Sandri & Émilie
138
étaient là). After ? Sorry... « J'ai la mémoire qui flanche,
je record plus très bien » mes excuses auprès des
oubliés, les Invisibles (super « heroes » de la nonprésence) mais je crois qu'on s'est fini chez le Ventriloque des animaux avec Klute. Spam U soon ?
Seizième Frag/ment_ MISSION ACCOMPLIE « Ce soir
l'appel de l'alcool et du Vide sera plus fort que le désir
de re-trouver l'Innocence que seuls les jeux vidéos
arrivent à … » Nan ! je déconne. Bring your flask-back :
avant hier-soir, j'ai cassé ultime. Resté chez wam koi.
Espace Tricard, j'ai raté Catherine M. merde j'aurais bien
foutu le Bordel mais j'ai préféré combattre les démons
échappés du Necronomicon dans EVIL DEAD sur ma
PS1 d'okaz. Matté aussi des loutres empêtrées dans les
filets de TF1. A part ça, parait que l'OB des Clarkounets
au Rex a duré une misérable heure comme au Geebbouse. Ce soir add-ID-4$$ au Grand Rex pour encore
une daube design Ora-Clito. Rien à foutre. La promo se
termine au Rex avec Pedro Winter, Ivan Smagghe.
Super. La sempiternelle Hype Ac'. Le turn-over est
vraiment faible. Ya aussi un after D*I*R*T*Y au Palais
duTok. C'est tentant mais si j'arrive à m'trainer en slamboard rive extrême-gauche et que je bois, chu capable
du pire mais bon, faut que j'aille F1rst au coke-tail et ça,
c'est pas donné. Je résiste ................... Raté. Je m' casse
de ma Tour. Joker. Chais toujours pas où j'vais. Des fois,
je fais le tour du canal en mattant les bobos au snack du
MK2 quai de seine et je rentre pour retrouver mes
pixels. Là, j'ai une canette de bière et ma flask de saké
dans les poches c'est donc (très) mal parti pour une
casse ultime. Je phone à Klute. Il bosse pour un site
écologique nucléaire. Mort2rire. Je prends le trome.
(quelques heures trépassent...)
Mission accomplie ! J'me suis fait ENFIN viré du Palais
du Tok comme un Crevard que je suis. C'était
VRAIMENT mou du cul, j'ai dû pousser ma
gueulante2merde. D*I*R*T*Y devrait s'auto-tamponner
C*L*E*A*N et les vidéos du Fake-Club sont bonnes
pour Anal+. « Que s'est-t-il passé....? » spamme
Stéphane Rakita de Dirty Fashion sur la Kant-in. RIEN.
J'ai chouré une bouteille de cognac que j'ai refilée à
Vladimirrr Tybin (c'est l'amorce de la CAISSE NOIRE du
SDH (que du liquide) pour les LAVAGES2CERVEAU
(bientôt + d'inf.). Secundo, j'ai picolé méthodiquement à
l'OB (bière japonaise chaude/cognac2merde) et aussi
mon verre de saké (1.8 € àBelleville ssous chapeau
plastique) Tertio on s'est mis devant le faisceau du projo
qui passait en boucle la vidéo du Zouk-Club. Clovis, la
139
boule à zéro comme Faltot- trop hiiiiiiipe la boule à zéro
semble-t-il en cette rentrée2merde (je garde les cheveux
longs comme le dernier des hippies) est venu me
demander de dégager l'angle... J'ai fait : « NON je pars
pas. ». Rien que pour masquer avec nos têtes, le
logo2merde Fake qui squattait des images récupérées
des nanars 70's. OK pour estampiller/détourner les films
hollywoodiens 00's reloaded mais les nanars et leurs
nains, c'est sacré merde ou alors « ils » auraient pu foutre
un nocopyright ou un copykat mais non, c'était comme
dans Videogag mais sans avoir HT les droits –– ah peut
être que « ça » s'voulait 'subversif-softcore' peut être
(suck). Bon « ok ok » –– accent Joe Pesci –– c'était biensûr un alibi pour me Vn'R et faire mon true-man-show
au Palais du Fake. J'ai commencé petit à petit à m'exciter
le corpus et le cortex quand enfin j'ai entendu les
premières mesures de « Highway to Hell ». Avant cette
bombe, le reste de la zik, c'était limite easy-listening
(beurk). Remué la bidoche avec Inès2labarre et Anaïs
Donati / me suis ramassé sur mon skate plusieurs fois / à
moitié bousillé mes lunettes de vue de nuit puis j'ai
commencé à gueuler comme si je spammais sur le web
des slogans2merde style « Ressentiment corporation »,
« Fake ! Fake ! la hype est fake » (Evidenz quand tu nous
tiens...) / 'fin bref j'essayais de Rester Vivant dans ces
sables mouvants mondains qui ressemblaient à RIEN
jusqu'à qu'un gentil GO physio me demande de me
barrer sans Inès. Hélas trois fois hélas je n'ai pas fait le
« corps mort ». Shame on mi fa sol la si dodo et donc
chu rentré avec Calvin et Franck Anesse du magazine
SOFA où j'ai pécho ENFIN une blank page pour écrire
mes rastignaKeries-post-punk (sick). Bon faudrait surtout
pas oublier qu'hier, c'était surtout la sortie officielle de la
seule compilation valable depuis la découverte de la
capote et qu'elle s'appelle mollestement « Seriously
underground shit found in the trunk of a mini parked
underneath the Eiffel tower ». C'est du tout bon. La
hiiiiiipe extrême rive-gauche2merde à la ramasse peut
aller se coucher après leur after Plaza. Culturama exInrocks, Nova et FG aussi peuvent se faire aussi fister
par Jude 4$$ (ça fait du monde.) Du coup, Je streamme
un morceau de ROYALTRUX de 95 (not available on
C*L*E*A*N stuff) biscotte Chic CR-4$$ over for neobobos sucks. « Back to the Kroots ! » je dis, les tofs by
Carl2Tagada
Dis-septième
Frag/ment_CREVARDS
ex-NONOS
(antiBOBOS) « Up-date. Les « Crevards 00's » selon PH
Nassif et Pascal Bories, ce sont déjà les bobo-artistes que
140
Léon Bloy carbonisait avec bonheur dans plusieurs
exégèses, ces bobos à mi-temps, ces bobos vacataires,
ces bobos de troisième type, ces bobos-à-la-pige, bref
ces bobos anti-bobos sont en fait des NONOS*, bobosrebelles, bobos contestataires de l'ordre établi (hype), ces
nonos spammeurs, webmasters ou cybergonzos, exvidéastes, DJ's qui ont oublié leurs 100 noms, explasticiens sans oeuvres, ces bobos précaires par intérim,
post-journalistes du web (cybergonzos notsobad sur
parissi.com ), antiphilosophes de mailin' list (kant-in) ––
je reste clean et néo-progressiste –– révolutionnaires
syndicaux (SDH), nous les avons tous reconnus, c'est at
least ce crevard de TH, ce qui n'était encore qu'une
tendance socio-politique parmi d'autres à l'époque de
Léon Bloy est devenu l'instance suprême du monde
démocratique post-moderne –– la Hype (bis) –– sa
substance et son telos. Les bobos-pauvres, ou semipauvres, ces prolos-cultivés, ces bobos devenus
parasites sociaux de la Hype, n'en étaient alors qu'à leurs
gestations ou disons à sa toute récente parturition, mais
au cours du XXIe siècle ils finiront par se rendre rois de
P. A. R. I. S, en l'ayant trance-muté à leurs images (couv'
Tech septembre 2003) : un immense réseau de signes et
de flux instituant l'économie free pornogaphique, le web
devenu un simulateur de haut v(i)ol social ». S(ai)igné
Nobody after Maurice G. Dantec / extrait de « Bloy est
vivant et nous sommes morts » in Cancer ! Hors-série
n°3). Tof : Pierre Chanson @ La Suite
« Au ressentiment, je demande la compafion à sec. »
Serge Balasky
Dis-huitème Frag/ment_ DE RIVETS EN DÉRIVE Trop chanmé/trop golerie !!! Hier soir, je m'suis fait
interdire le passage à la nouvelle supérette d'art –– sans
amour –– Nemour rive extrême-gauche par la BO$$
d'AGENDA !!!! (inepte gratuit2merde : « Si t'es pas
starsucker / t'es mort »). Hourra !!! Victoire !!!! T'es où
que je t'enlace mon Amour ? Sophie Berbar-Sollier nous
l'a mimé cerbère de Kamel en bonne chienne hype «
qu'elle hait ». Mieux encore... Encore plus hype !!!! Elle a
même tej' mon idole Cathy TR4$H (« Freeparties dans
les supermarchés ») quand ma pineco m'a confondu
avec un autre clône et qu'elle a gueulé très (trop) fort :
–– « Hé !!! mais c'est ... (« Ou knout mi amen ») L'autre
chienne-put4$$ s'est jeté sur elle : –– « Quoi !!! Tu
connais ce connard ?!!! Dehors !!! » (véridique : source
TR4$H) La crevure l'a donc poussée violemment jusqu'à
la sale salida comme une Demoiselle pas clean. Trop
141
cool la hype 90's. Dépités par autant de (res)sentiments à
notre égard (sick & suck) mais heureux d'être sevrés de
hype pour un moment d'Eternity (ce n'est que passager,
nous –– les jolis hype(r)junkies-archi-freaks-sans fric ––
reviendrons chez nos BO$$ tels des bâtards virtuels
abandonnés sur les autoroutes de l'information en
juillet ! –– mes ami(es) crevard(e)s et moi avons donc «
dérivé en mauvais produits mondains » vers le QG des
étudiants d'archi Rue Jacques Callot (Merci Jérémy).
Complètement déchirés les futurs bobos !!! Bataille
d'eau, pétards, bière, tags ont coulé, brûlé dans une salle
improbable mal éclairée et sous une déferlante de
cuivres et de tambours balancés par la « Vrai-Faussefanfare des Beaux-arts » (???). Bref, une putain de bonne
Z.A.T (zone anarchiste temporaire / Fuck les Bey, je
préfère les framboises.) comme on les aime au SDH !!!!!!
J'vous en reparlerai plus tard car hier soir... c'était... «
Trop golerie ! Trop chan-mé !!! » (j'insiste sur cette effet
sémantique
mimétique2merde
de
ma
playgégé...gé...nération). Se pétait donc sévèrement la
tronche hier soir (pendant qu'le Cerbère gardait son fief)
un max de beaux mecs et de jeunes filles pas encore
trop contaminés par le Jeu Social2merde qui sévit à
P.A.R.I.S. Évidemment c'est d'la chair à canon hiiiiipe
dans 5 ans. C'est quand même aliénant d'apprendre à
construire des trucs hype sur des bases pourries, non ?
Bon faut voir alors comment ils se mettent minables les
étudiants d'architecture. Signs of times2merde.
142
jean-marc renault
sans titre
Pour regarder ses oeuvres,
cliquez sur son nom dans le
dossier Galerie ou bien cliquez ici
pour ouvrir directement la
première image
143
marc brunier-mestas
sans titre
Pour regarder ses oeuvres,
cliquez sur son nom dans le
dossier Galerie ou bien cliquez ici
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première image
144
françois richard
replicants (2)
Modules scriptopsiques pour oeil
[compression moyenne]
V.
VI.
VII.
John Isidore
Rick Deckhard
Rachel Tyrell
les réplicants : ceux qui donnent la réplique
Nom : John Isidore
Type : Humain
Genre : Masculin
Statut : Débile / Spécial
Naissance : 29/02/1984
Fonction : Sans
Autorisation départ Terre [émigration] : Non
Scriptopsie : som animo, vec outil ksapel cervo / paraît
que ma bouche parle / que je devrais surveiller la /
jpeuple banlieubandonnée, abanlieudonné, abanlie né
dodo / autroutes terrompues dans vide, omilieu
dchamps / jvoudrais bien avoir cervo comme vôtr ;
jpasserais test et nsrais plus débil / vous : spérieurs ;
jpourrais prendre beaucoup dvous / j’a pas chappé
nettoyeurs cervo / étiqté spécial, stérisé, cessé dfaire
partie manité / j'essaye trouver + dans - / jchange chair
en os / jmanifest pour objets / pour leurs droits /
ozobjets / zandroïdes sont malades… d’une maladi
atroce / - l’est mort ? / - difficile dire à, l’a toujours tête-là
cette / robots doiv êtr traités vec manité / tuer robots est
contnatur / cien métier : ogrammeur de livr / suis
végétation ambiante / mzyeux sont gétationbiante,
pnneaux solaires d’ADN / j’entends pensées / j’a pas
voix mais j’envie / zenfants courent vite com rats en rage
/ lucinations teractives / jromps silence par otr silence,
différent / ton vizaj ktsors dnulpart / intérieur tête capter,
émissions vnant xtérieur corps / jpy rien : msens pa
145
kserné par tricité / enyj py rien : msens pa kserné par
osiété / voir… vouarc-en-ciel d'idées comme arc-en-ciel
couleurs / bombe nuclaire dans champ dfleurs / vingt
mille poubelles distinctes dans arc-en-viol, sans
qu'ocune soit nuance d'autre / babelpoubel : descendons
tous de viols / msuis achté brochur Suicid pour Nuls /
exilofoné / msuis cent fois mieux dverti quand jtais
coma dans / simlateur d’aube, fontaines bière / on fum
pas dans mtête MERCI / tu mmarches sur la bouche / - -tu me manques – be ou / fleurtrounoirs / umain orscircuit / t'engueules vec réverbèr / fçades fnêtres murées
/ beauté monde vie quand soleil là / chminées scapées
struction zine / sréchauff tour feu dans bidon / - chu
mort, pas sourd / dans mense meuble vide décrépi,
cepteur lévision bite formations dans pièce déserte /
dans mense meuble vide & crépidé, qui jadis a brité liers
d’habitants, un nique récept vilésion bite sa salade dans
pièce déserte / normaux gendrent parfois spéciaux par
advertance / penser par camizol / viouvriers crasseux
tagent verres plastic gros rouge sur capot voiture pleine
d’outils / nconnaît vraiment organes ses, kprès vous fait
sffrir ou jouir / sonnalités fantômes / pupolations
dracinées par guerre errent hasard, campent dans région
puis autre / maintenant soleil cessé briller Terre,
conisation entr dans phase tièrement nouve / coquille
ville, cancer tête / la gérosité des achines, la géronité des
dinateurs, y pense-t-on, pense-t-on assez, y pense-t-on
ssez souvent ? / jcherche côté sombre dl’obscurité / jvis
par mon nez / la pluie tatoue poux sur vizaj / grêle pique
zaj-paupière / ptêt nodules extra-soriels dservo fini par
rpousser / suis ponge blessée kponce oigneusement ses
plis / mèches chveux pogotent / arc-en-ciel est pâtissrie
solaire (mille-feuilles photonique) / monamie laptiteNoire
ochveumoves et blousonranjo / pourquoi sortir
drêvenfance ? / trairement à Réplicant un, la moinde
plante, kpourtant parle pas, contient sprit conscient kvoit
tout, qu’est âme de plante, son essence, qui rend vivante
la / même pétales tige feuilles, sont pleines d’êtres /
Rplicant a rien dtout ça, et doit tout rcréer lui / même
chveux yeux reilles, sont pleines d’êtres / suis portevalises à microrganismes / janage sous ladouche ma j’du
mal à rmonter lcourant / fermi zyeux : squences dmages
lusnantes dfilant tesse nouïe / ADN : slule vivante
qu’émet photons / ma subjet d’étude : lmission photons
dans nrones d’un ête qu’halcine / libellumaindroïd /
rende louïe o sourds / diouleur fantôme, rebelle à
traitement / cancer dla tête / structions mentales dont
zêtes héros / térieurement veuglé par orescence
neurones / flubiorescence / hom des fondeurs de tête /
146
âm du crim : lalime du crâne / mémains gratt murs tjours
ploin, cherchent fourmis dans racines tête / tellement
pressé que mtorche avant chier / faut vite que jchie
avant kmerde pourrisse dans testins / j'ava pote qui chie
piranhas, flait gaffe à scouilles quand passe après lui /
pluie = programme stinction spèces masse / sleil briller
Terre cessé / liqué-fictionné / iperdéprim / bistouil,
cracher bistouil sur sol stéril / mon nom .est. ihizy door /
Nom : Rick Deckhard
Type : Humain
Genre : Masculin
Statut : Normal / Normal
Naissance : 27/07/1994
Fonction : Tueur de robots
Autorisation départ Terre [émigration] : En attente
Scriptopsie : jme fais des shoots d’€$ (l’argent est drogue
dure) / humeur optimisée / chaque être est un scénario
différent / suis forme ancienne et élevée de
biotechnologie / ma proie est supérieure mais sans
défense / chacune de mes cellules contient jusqu’à cent
mille milliards fois plus d’informations que puces
informatiques les plus sophistiquées / 1 cerveau = 10100 milliards de neurones / 1 neurone = 1000
synapses / 1 synapse = 10 millions de récepteurs /
j’écoute de la quantech / ma conscience est champ
électromagnétique engendré par l’ensemble de mes
émissions corticales / « Il semble que le cerveau soit un
des objets les plus complexes que l’on puisse rencontrer
dans l’univers » / trahir un traître, éthiquement, ça se
situe où ? / votre structure cognitive ne dispose pas des
ressources nécessaires pour accéder à la conscience et la
compréhension d’elle-même / bonne odeur mêlée
d’orange fraîche et de café brûlant / je suis un tueur de
mort / je ne tue pas ce qui ne vit pas, je tue des nonvivants : les androïdes / je ne tue pas : je retire,
reformate, réforme, rétracte, diffracte / réformé 6 Nexus6 en 24h / les robots qui se suicident à la moindre
contrariété, c’est pénible, on peut plus les tuer / boom
sur stimulations psychiques exogènes (apport données
cognitives) / les hommes disposent d'un orgue
d'humeur, appareil leur servant à choisir [composer] leur
état d'esprit / les ordis sont devenus tellement
compliqués, des systèmes si subtils, que vouloir
comprendre ce qui déconne dans un système
s’apparente à de la psychanalyse, une psychanalyse
d’ordinateur / mieux faut reformater, ça va plus vite / on
peut pas faire ça avec les humains, dommage / ai-je déjà
mis hors service un humain par erreur ? / ton organe
147
mental est incapable d’interpréter l’abîme entre nos deux
existences / laisse-moi pénétrer ton cerveau… et je
cesserai de te torturer / les mésanges vivant dans les
villes acquièrent un chant plus varié émis à une
fréquence plus élevée que leurs homologues des bois et
des champs / robots toxicos, accros au biotex / au sein
de bâtiments gigantesques se cache une microbille de
2mm de diamètre / je nage à la surface du lac le plus
profond du monde, il grouille de circuits réplicants /
d’organismes synthétiques / toute vie est en retirée /
utopie ou autopsie / je collectionne les poèmes de serialkiller, les lettres d’espionne, les lettres de condamnés à
mort, les poignards d’anarchiste, les pistolets, l’horlogerie
de bombes ayant tué des gens célèbres, les statuettes
empoisonnées, les squelettes d’assassins décapités /
vous avez de très belles veines, des veines à piqûres / il
faut aussi répertorier tous les présumés innocents /
chapelet de lacs de méthane liquide / lacs sombres et
irréguliers associés à des chenaux et des dépressions /
neige d’éthane / le sperme m’embouteille les synapses /
baiser nettoie le sperme qui mbouche le crâne / baiser
enlève les émeutes qui me bousillent la tête / pute-frite
svp = pipe + vous mangez des frites, très répandu à
Lunar-3 / dégage de mon schéma actanciel / je ne suis
pas une personne, chuis une arme, j’encule le métal /
chuis un mystère que t’as pas envie de découvrir / le
combat est l'hygiène de la guerre / rien à voir avec ce
que tu crois être ta « personnalité », putain / ta cousine
est un uzi, regarde-la dans les yeux, regarde son ptit trou
/ jte transperce et t’épingle comme insecte dans
collection / liposuce ton trouduc babouine / mets ta tête
dans ta foune babouine jveux plus voir ta gueule de
fouine / jtranspire angoisses dans bain de sang-froid /
étranges bactéries dans tes tissus internes / d-graf le
soutien-gorge rouge de tes fesses / cible 1 : Roy Batty
[Préoccupé de métaphysique, cet androïde « mystique »
a été l’instigateur d’une tentative d’évasion en groupe
assortie d’une pseudo-justification idéologique : le
caractère prétendument sacré de la « vie » des
androïdes. De plus, cet androïde a dérobé et manipulé
pour diverses expériences des drogues ayant pour
propriété de permettre la fusion des esprits. Pris sur le
fait, il a alors fait remarquer que les androïdes étaient «
privés » de toute expérience de groupe de type fusion
sacrée, et indiqué qu’il désirait remédier à cet état de
fait.] / grille-pain / baiser mdébouche le cerveau / cible 2
: Isidore [Monstre, plus spécial que le plus spécial des
spéciaux] / plus spécial que le plus spécial des spéciaux,
je suis le flic des normaux / plus spécial que le plus
148
spécial des spéciaux, je suis le chien de garde des
normaux / plus spécial que le plus spécial des spéciaux,
je suis le protecteur des normaux / plus spécial que le
plus spécial des spéciaux, je suis le gardien de la paix
des normaux / plus spécial que le plus spécial des
spéciaux, je suis le policier des normaux / les
Souffleurs : émigrez ou dégénérez / haut niveau du
caniveau c’est du chaos-niveau bébé / avec l’allure de
l’espoir / dealer de douleur-délire / ordi rachidien / la
pourriture mutilante de l’air / seins-nébuleuses / crime
anti-empathique / boire bière sous pluie en haut
montagne face vallée / la toux est dans le crâne bas / le
soleil se lève avec les neurones / l’os-œil, le soleil est l’os
de l’œil / villes de mensonges, cabanes de vérité /
habille-toi pour la mort / cible 3 : Léon [Vampire
électrique né de la foudre et suçant l’électricité des
vivants et des objets (mécanismes, sources d’énergie) ;
particularité : systèmes de furtivité (absorption des ondes
radar et profils aérodynamiques spécifiques) ; nous
pouvons présumer qu’il fonctionne sur le thème « tuerécraser-détruire »] / cités : silos à humains / humains :
silos à ADN / ADN = serpents / station Guerre-Mondiale
/ centre commercial Zone-Nucléaire-Soleil / ma surface
de muqueuse olfactive est de 150 cm3 / par jour de
grand vent, les caniches mutent en cerfs-volants / écoute
ce langage des couilles, débile métal : t’es hors-circuit /
va tfaire archiver, tes pets toxiques sont la préhistoire du
terrorisme / interfass tracorticale / procédure
neurochirurgicale d'augmentation dl'intelligence /
premier humain amplifié / d’abord je fonce, ensuite jpète
les plombs / partouzes super-rapides / 100% pure mort /
on éclate et on svide de son sang comme un porc / sexe
brûlant et sang frais / délit : copulation avec androïde,
article 14.242 / au bout d’un certain temps, je trouve
que c’est incestueux dcoucher avec sa propre femme /
fille dans le vent, fille qui sait se vendre / prostipute
fourre-tout / tes yeux sont des trous noirs où les gens
meurent / ce ne sont pas des personnes, ce sont des
armes / j’ai un révolver caché dans mon œil, elle a un
révolver caché dans ses gros seins (des poches-rêvelovers sous les yeux) / androïdes mystiques et drogués
contre machines réflexes recouvertes de chitine et
dépourvues de vie réelle / choses étranges se suicident
par réponse émotive programmée / herbes couvertes de
poussière / j’ai l’impression de plus rien avoir dnaturel,
suis devnu personnalité contre-nature / j’ai trop de
pensées dans tête ma, je… npeux pas concentrer, ça
mjêne / tu dois lutter contre / je dois laisser faire / la
pluie se. suicide sur nous / le sang éclabousse le feu et
149
l’éteint / nous n'avons pas réussi à modifier
lesmodifications de leursmodifications / cervo abîmé par
diocvité _ ça y est chuis spécial _ me confonds
totalement avec la poussière / ja me conf. tot. vec la
pouss. / me conftote vec pouss /
Genre : Féminin
Désignation : Rachel
Série : NEXUS-7
Modèle : N7MAA10130
Mise en service : 1er janvier 2030
Fonction : Recherche
Niveau physique : A
Niveau mental : AA
Scriptopsie : la pensée est matière comme terre ou son :
je la vois / écrire n’est pas penser mais sculpter / cervoN7 peut choisir parmi 30 trillions de constituants – mille
milliards trajectoires neuroniques distinctes / mille
milliards de combinaisons d’activité cérébrale possibles /
le pouvoir sur notre pensée : un sacré marché / je pense
sans aspérité / tout ce que quiconque a jamais sculpté
est vrai / en ligne pour toujours / l’information est ma
nourriture / loi 1 : dire la vérité modifie la vérité / loi 2,
dite de convergence : quand les hommes deviennent
des machines, les androïdes aspirent à avoir des
émotions humaines / sensation temporalité débordée par
trop-plein données / virus biomécanoïde m’a fait subir
des transformations biochimiques importantes / d’une
simple pensée je les ai tous détruits / sabir saphir /
activité nerveuse de sculptures semi-vivantes connectée
à des bras robotisés qui bougent en fonction des influx
nerveux / mon crâne serre / chamane robote /
condensation de résumés de résumés / concentrer les
résumés pour aboutir au niveau 2, faire ouvrir la porte
secrète – des pensées, du cervo / toujours se dire :
jusqu’ici ce n’était qu’un échauffement, il faut aller
beaucoup plus loin / l’ADN s’exprime à travers la
musique / neurones-spermatroïdes vont vers odulesnovules apparus dans cervo / penséponge, pensigne /
molécule d’ADN informatique = technologie ultime :
organique et si miniaturisée qu’elle s’approche des
limites mêmes de l’existence matérielle / mes molécules
d’ADN organo-informatique sont un support capable
d’autoduplication / le son est interactif, il est possible de
dialoguer avec lui / I WANNA BE AN ANARTIST /
superposition des nervures d’une main avec celles d’une
feuille verte / conscience agrandie niveau moléculaire /
je conçois, définis et programme des peurs / suis une
matière programmée pour copier le monde / une usine
150
capable de fabriquer ses propres machines / mécanisme
de capture interconnecté aux consciences du monde
entier / imaginaire niveau 4 / protéines-enzymes =
robots miniaturisés / cellules = usines / ribosomes =
ordinateurs moléculaires / je bouillonne de microordinateurs biologiques / concentrer toutes les
informations en un seul point minuscule – pour créer un
point particulier synthétique, accéder au niveau 2 /
compresser les résumés pour atteindre le niveau 2 / le
clavier du corps, c’est l’oreille / 5000 milliards
d’opérations à 14 chiffres/seconde / puissance lumineuse
de 750 milliards d’ampoules ordinaires de 100 watts /
mini-nukes / hybride mathématico-empirique / il faut
apprendre et s’entraîner à tordre son esprit / le
décoincer, l’assouplir, pour qu’il puisse exécuter figures,
gestes, acrobaties / lui enlever son incapacitant collier
de contrôle / les expériences de cauchemar maîtrisé sont
des sources de savoir biomoléculaire (le tout est d’en
sortir intacte) / synthétiser et centraliser les données
pour en tirer une vue d’ensemble / technologie
d'autoreprogrammation directe permettant de se
transcender / se reprogrammer pour être plus
intelligente, se reprogrammer (avec cette nouvelle
intelligence) pour être encore plus intelligente, et ainsi
de suite, jusqu’une seule de mes phrases soit chargée de
centaines d'informations, de concepts, et de sentiments /
somme totale de la connaissance scientifique humaine
stockée dans un format cognitif prédigéré, prêt-àpenser / les tâches simples sont réalisées à des vitesses
phénoménales et sans erreur, les tâches conscientes
réalisées avec une mémoire parfaite et une conscience
de soi totale, au rythme d’un million d'années
subjectives par seconde / toute solution se situe en
dehors du cerveau humain / totalité de la connaissance
humaine perceptible en une expérience instantanée, de
la même façon que l’on perçoit une image entière d'un
seul coup / vous n'êtes pas celui qui exprime vos
pensées, vous êtes celui qui entend vos pensées / les
modèles prédictifs s’effondrent à ma proximité / un
nombre a produit sur moi, la première fois que je l'ai
rencontré, une impression indescriptible : dans les
chiffres décimaux de ce nombre peuvent être encodées,
avec pratiquement n'importe quelle méthode, toutes les
œuvres jamais écrites par une main humaine, et toutes
celles qui auraient pu être écrites, à raison de cent mille
mots par minute, pendant toute la durée de l'Univers,
mis à sa propre puissance mille fois / bébandroïde a
appris 324 langues cette semaine / j’ai un contrat avec
un futur absolu / à 10 000 années-amour de toute
151
pensée / vivons heureux sans lendemain (sous l’angle de
l’éternité) / je recueille les pensées extra-terrestres /
cerveau tumeur / mettez une tentacule sur votre œil,
cela vous reliera à la mémoire optique de la nuit des
temps, et agira comme une représentation 3D de tout ce
qui s'est passé / créature dont yeux sont fibres optiques
amovibles qui enregistrent sans discontinuer et renvoient
les images même en étant séparés du corps / j’étais la
seule possi / la terminaison de toutes idées possibles ou
impossibles, leur inconnue / les pistolets me
nourrissent / pluie de message / avertissement : tout
fonctionnera comme prévu / s’endormir et se réveiller
c’est « redémarrer » # mappemonde-moi # )( quatrième
nature )( () () ^ des parcours hors du commun peuvent
donner des êtres très banals ^ O un robot averti en vaut
trois O / première ligne / totale émersion / lesbiennes
mécaniques = + ° ` | {‘`}~{} }{ ¤o0O°dµ§§§/}*µ*{
}
*ç*{}Oço{ }°ç°{
}*ç°{ }*µ°{ }0µ^{
}^µ°{ croistoi vivant, ne te réveille jamais, et peut-être qu’un jour tu
naîtras / un pénis en forme d’interrogation nucléaire /
puissance crue – pouvoir pur / la vérité n’est pas bonne
à dire ni même à penser / nouvelle partie : une vie
entière à bousiller / les pansements poussent sur ma
peau / les pense-vivants / je suis une bibliothèque dans
un singe / l’observatoire d’un ciel pur et noir / fusées,
radars, détecteurs infrarouges, sonars / je plonge pour
trouver l’inspiration au milieu des micro-organismes des
eaux glacées / piégées dans des millions de seringues :
la palette des odeurs existantes / vivons heureux, sans
lendemain / « C’est une idée d’androïde », dit-elle /
Modules scriptopsiques pour oreille
[compression forte / données : incomplètes]
V.
John Isidore
VII. Rachel Tyrell
Données manquantes pour VI
Nom : John Isidore
Type : Humain
Genre : Masculin
Statut : Débile / Spécial
Naissance : 29/02/1984
Fonction : Sans
Autorisation départ Terre [émigration] : Non
Scriptopsie : som animo, vec outil ksapel cervo / paraît
que ma bouche parle / que je devrais surveiller la /
jpeuple banlieubandonnée, abanlieudonné, abanlie né
dodo / autroutes terrompues dans vide, omilieu
152
dchamps / jvoudrais bien avoir cervo comme vôtr ;
jpasserais test et nsrais plus débil / vous : spérieurs ;
jpourrais prendre beaucoup dvous / j’a pas chappé
nettoyeurs cervo / étiqté spécial, stérisé, cessé dfaire
partie manité / j'essaye trouver + dans - / jchange chair
en os / jmanifest pour objets / pour leurs droits /
ozobjets / zandroïdes sont malades… d’une maladi
atroce / - l’est mort ? / - difficile dire à, l’a toujours tête-là
cette / robots doiv êtr traités vec manité / tuer robots est
contnatur / j’entends pensées, j’a pas voix mais j’envie /
jromps silence par otr silence, différent / intérieur tête
capter, émissions vnant xtérieur corps / jpy rien : msens
pa kserné par tricité / enyj py rien : msens pa kserné par
osiété / voir… vouarc-en-ciel d'idées comme arc-en-ciel
couleurs / bombe nuclaire dans champ dfleurs /
babelpoubel : descendons tous de viols / msuis achté
brochur Suicid pour Nuls / exilofoné / on fum pas dans
mtête MERCI / tu mmarches sur la bouche / - - -tu me
manques – be ou / fleurtrounoirs / umain ors-circuit /
t'engueules vec réverbèr / - chu mort, pas sourd /
normaux gendrent parfois spéciaux par advertance /
penser par camizol / nconnaît vraiment organes ses,
kprès vous fait sffrir ou jouir / maintenant soleil cessé
briller Terre, coquille ville, cancer tête / la gérosité des
achines, la géronité des dinateurs, y pense-t-on, pense-ton assez, y pense-t-on ssez souvent ? / jcherche côté
sombre dl’obscurité / jvis par mon nez / ptêt nodules
extra-soriels dservo fini par rpousser / mèches chveux
pogotent / arc-en-ciel est pâtissrie solaire (mille-feuilles
photonique) / monamie laptiteNoire ochveumoves et
blousonranjo / trairement à Réplicant un, la moinde
plante, kpourtant parle pas, contient sprit conscient kvoit
tout, qu’est âme de plante, son essence, qui rend vivante
la / même pétales tige feuilles, sont pleines d’êtres /
Rplicant a rien dtout ça, et doit tout rcréer lui / même
chveux yeux reilles, sont pleines d’êtres / janage sous
ladouche ma j’du mal à rmonter lcourant / fermi zyeux :
squences dmages lusnantes dfilant tesse nouïe / ma
subjet d’étude : lmission photons dans nrones d’un ête
qu’halcine / libellumaindroïd / rende louïe o sourds / âm
du crim : lalime du crâne / mémains gratt murs tjours
ploin, cherchent fourmis dans racines tête / tellement
pressé que mtorche avant chier / faut vite que jchie
avant kmerde pourrisse dans testins / j'ava pote qui chie
piranhas, flait gaffe à scouilles quand passe après lui /
pluie = programme stinction spèces masse / sleil briller
Terre cessé / liqué-fictionné / iperdéprim / bistouil,
cracher bistouil sur sol stéril / mon nom .est. ihizy door /
153
Genre : Féminin
Désignation : Rachel
Série : NEXUS-7
Modèle : N7MAA10130
Mise en service : 1er janvier 2030
Fonction : Recherche
Niveau physique : A
Niveau mental : AA
Scriptopsie : la pensée est matière comme terre ou son :
je la vois / le pouvoir sur notre pensée : un sacré marché
/ je pense sans aspérité / tout ce que quiconque a jamais
sculpté est vrai / en ligne pour toujours / l'information
est ma nourriture / loi 1 : dire la vérité modifie la vérité /
loi 2, dite de convergence : quand les hommes
deviennent des machines, les androïdes aspirent à avoir
des émotions humaines / d'une simple pensée je les ai
tous détruits / superposition des nervures d'une main
avec celles d'une feuille verte / conscience agrandie
niveau moléculaire / je conçois, définis et programme
des peurs / suis une matière programmée pour copier le
monde – une usine capable de fabriquer ses propres
machines : mécanisme de capture interconnecté aux
consciences du monde entier / votre structure cognitive
ne dispose pas des ressources nécessaires pour accéder
à la conscience et la compréhension d'elle-même / toute
solution se situe en dehors du cerveau humain / un
nombre a produit sur moi, la première fois que je l'ai
rencontré, une impression indescriptible ; dans les
chiffres décimaux de ce nombre peuvent être encodées,
avec pratiquement n'importe quelle méthode, toutes les
œuvres jamais écrites par une main humaine, et toutes
celles qui auraient pu être écrites, à raison de cent mille
mots par minute, pendant toute la durée de l'Univers,
mis à sa propre puissance mille fois / crois-toi vivant, ne
te réveille jamais, et peut-être qu'un jour tu naîtras /
vivons heureux, sans lendemain / « C'est une idée
d'androïde », dit-elle.
154
françois richard
amatemp 6
· · · — — — · · · code : 404 · · · — — — · · ·
déconnexion impossible · · · — — — · · · Les sites sont
autonomes, les pages défilent d'elles-mêmes, les liens
s’ouvrent d'eux-mêmes. · · · — — — · · · De la
croissance et de la forme de la Métamorphose des
plantes · · · — — — · · · dizaines d'écrans saturés de
couleurs et de mouvements saccadés · · · — — — · · · en
ligne, tu n'as jamais existé · · · — — — · · · Vers une
Réalité Diminuée massive · · · — — — · · · N'admire
rien. · · · — — — · · · le destin, on l'emmerde · · ·
—
—
—
·
·
·
anatomie
de
l'anomie
· · · — — — · · · du punk-hardcore pour sourds, reposant
uniquement sur les vibrations fortes · · · — — — · · ·
point de non-retour atteint quand seuls restent les yeux
et la langue · · · — — — · · · NO MAN'S LANGUE · · ·
— — — · · · à la perceuse, aspire l'air dans la tête de
poupées Barbie et injecte-le-toi dans les veines · · · — —
—
·
·
·
dissémination de poussières intelligentes _ capables de
se diviser frénétiquement sans jamais mourir, · · ·
— — — · · · le nombre de joueurs en ligne augmente, la
fréquence du jeu elle aussi s'accélère · · · — — — · · ·
combinaison de molécules peu efficaces séparément
mais dont l'union fait la synergie · · · — — — · · · nuvo
jeu vidéo : une phrase qui se détruit elle-même · · · — —
— · · · la principale difficulté consiste à trouver la
matière première, à savoir des cerveaux de joueurs,
100% consacrés au jeu et non « pollués » par d'autres
substances · · · — — — · · · unité Inserm 837 · · ·
— — — · · · neurones projettent leurs branches axonales
comme autant de tentacules à la recherche de contacts ·
· · — — — · · · oiseau sans ailes. le cerveau consomme à
lui seul 20% de l'énergie de l'organisme · · · — — — · · ·
tu es une série... d'impulsions électriques · · · — — — · ·
· Merci. Merde. Pardon. · · · — — — · · · je cherche ma
poche et ne la trouve pas, et pour une bonne raison : je
155
suis nu. · · · — — — · · · phobie-phobe, je raconte à trois
psy différents que ces chats parlent avec la voix de ma
mère · · · — — — · · · me suis fait jeter des Hare Krishna
parce que j'étais trop hippie · · · — — — · · ·
...psychothérapies en tous genres, pensée positive,
méthode
Coué,
homéopathie,
acupuncture,
aromathérapie, sophrologie, relaxologie, stages de
rigologie, de méditation, luminothérapie ou encore
coaching de vie · · · — — — · · · je devrais voir un psy...
un psychopathe · · · — — — · · · traverser les murs
comme un ver qui avance en mangeant ce qu'il trouve
sur son chemin · · · — — — · · · c'est pas un baladeur
que j'ai mais un casque anti-bruit · · · — — — · · · Ici : le
corps social le plus docile et le plus soumis qui soit
jamais apparu dans l'histoire de l'humanité. · · · — — — ·
· · La vie est simple quand on suce des bites. · · ·
— — — · · · Ici : création de corps dociles mais libres
qui assument leur identité et leur liberté de sujet dans le
processus même de leur assujettissement. · · · — — — ·
· · Les vaches qui ont des noms donnent plus de lait. · · ·
— — — · · · On te branche, puis tu vis le reste de ta vie
dans un rêve. (ça ira très bien dans une soirée lecture ) · ·
· — — — · · · léthargie très profonde, le cerveau
empêche tout mouvement afin d'éviter de "vivre" · · ·
— — — · · · fourmillement de processus de limitation
sociaux, physiques, intellectuels · · · — — — · · ·
combinaison complexe de stimuli visuels et auditifs
subsoniques ingénieusement conçus pour court-circuiter
les impulsions électriques du cerveau, les piégeant dans
une boucle sans fin. · · · — — — · · · C'est un virus
informatique qui infecte les personnes _ Satanesque ! · ·
· — — — · · · · · · — — — · · tape frénétiquement sur
Google : « où est la sortie ? » · · · — — — · · · le monde
est une balle dans la tête · · · — — — · · · les gens et les
pensées sont des vagues qui rongent et corrodent · · · —
— — · · · je n'aime que les gens que je ne connais pas · ·
· — — — · · · LE DESTIN, ON L'EMMERDE · · ·
— — — · · · Internet, the drug of the planet (27
personnes aiment ça) · · · — — — · · · On ne dissertera
pas sur le triomphe du smartphone. · · · — — — · · · Le
gouvernement décrète qu'un humain soit repérable par
des pigeons. · · · — — — · · · Ce sujet a été gavé de
stimulants et gardé éveillé une année entière,
constamment soumis à des images terrifiantes. · · ·
— — — · · · Le Marine place son pénis dans le canon
huilé du tank et atteint l'orgasme en quelques va-etvient. · · · — — — · · · Jacques a commandé pour 2 000
$ de sperme de babouin. · · · — — — · · · DHL Error :
nous ne livrons pas les bébés · · · — — — · · · les
156
humains sont des systèmes électriques · · · — — — · · ·
Les pigeons sont des rats avec des ailes. · · · — — — · · ·
100 000 milliards d'interconnexions sous surveillance · ·
· — — — · · · toute déconnexion est désormais interdite
· · · — — — · · · toute déconnexion est désormais
impossible et interdite · · · — — — · · · biohackers
développent des bactéries aux propriétés étranges
comme celle de produire de l'électricité (mousses, gels,
émulsions, cristaux liquides) · · · — — — · · · explosion
de la population de Turritopsis nutricula, méduse
potentiellement immortelle, à travers les océans du
globe : l'animal est capable d'inverser son processus de
vieillissement _ régénérer l’ensemble de son corps, et
cela de façon infinie · · · — — — · · · Anywhere out of
the Internet (34 personnes aiment ça) · · · — — — · · · la
biologie a maintenant pour objectif de construire de
nouveaux systèmes vivants. · · · — — — · · · panne de
courant lors d'une tentative de réinitialisation de
personnalité. _ résultat : gros black out, chais pas qui
chuis, et télécharge péniblement des fragments ici et là
pour me recomposer en vague quelque chose. · · ·
— — — · · · pied droit garanti pour un milliard de pas. · ·
· — — — · · · tout corps doit être remboursé en cas de
non-paiement. — — — · · · toute déconnexion est
désormais impossible et interdite · · · — — — · · · « Il
faut bien que ceux qui sont partout se vengent de ceux
qui ne savent pas comment faire pour n’être nulle part. »
· · · — — — · · · toute déconnexion est désormais
interdite · · · — — — · · · · · · — — — · · · · · · — — — · ·
·
157
françois richard
chant des réplicants –
final
Pour écouter ce morceau,
rendez-vous dans le dossier
bande originale ou bien cliquez
ici pour écouter directement le
morceau
158
françois richard
sans titre
Pour regarder ses oeuvres,
cliquez sur son nom dans le
dossier Galerie ou bien cliquez ici
pour ouvrir directement la
première image
159
vincent pons
sans titre
Pour regarder ses oeuvres,
cliquez sur son nom dans le
dossier Galerie ou bien cliquez ici
pour ouvrir directement la
première image
160
f r e d g e va r t
cryo (episode 1)
Miller regrettait d’avoir tué sa femme. Et surtout de s’y
être pris n’importe comment. En regardant le panier, il
ne put s’empêcher de penser que tout ceci n’était qu’un
malheureux concours de circonstances.
Il aurait suffi que la fille — Miller se rendit compte qu’il
n’avait jamais retenu son nom — ne décroche pas son
téléphone, pour remplacer au pied levé sa collègue. Du
coup, elle ne serait pas allée travailler dans ce bar à
Soho, ce soir-là. Elle n’aurait pas assisté au concert. Un
groupe au nom péteux, réduit en fait à un seul guitariste.
Le type était vaguement paumé, vaguement débraillé,
vaguement alcoolique, mais franchement talentueux.
Elle l’avait laissé la raccompagner chez elle à la
fermeture.
Le gamin, Dieu sait pourquoi, avait justement choisi ce
moment-là pour passer à l’improviste. Depuis quelques
semaines, il projetait de la demander en mariage. On ne
saura jamais si c’était la première fois que sa fiancée se
détendait de cette manière après avoir trimé pendant
cinq heures dans les flaques de bière, mais cette
question devint sans importance à l’instant où le gamin
ouvrit la porte du deux pièces sur la cent cinquante
sixième rue. Il les surprit sur le canapé, elle le cul en l’air
et le visage écarlate, l’autre jean troué sur les genoux. La
fille hurlait en haute-contre pendant que Django la
pilonnait. En pleine lumière, nom de Dieu. Le gamin
claqua la porte. Le type se retira d’un seul coup, mais ne
put s’empêcher de jouir sur le cul de la fille. Elle, elle
regarda le gamin avec stupeur, avant de se mettre à
pleurer. Le guitariste marmonna des excuses en gagnant
la porte, les laissant seuls. Ni la fille ni le gamin ne le
revirent jamais.
Le gamin s’en alla vers six heures trente. Il erra dans
Manhattan, sans parvenir à pleurer, longeant Central
Park et ce qui restait de ses souvenirs. En fin de
matinée, il dépassa la ville, en suivant les voies de
chemin de fer. Il hésita longtemps. Plus d’une fois, il
161
s’était arrêté devant des cabines téléphoniques, aux
abords des gares, et avait composé le numéro de la fille.
Mais chaque fois il avait raccroché. Même s’il avait
caressé l’espoir d’entendre des regrets, même s’il les
aurait acceptés, pour l’heure, les images étaient trop
fortes. Cette grosse queue plantée au fond d’elle, cette
giclée de foutre quand il avait ouvert la porte. Cette
plaie, cette salissure. Il s’était jeté sur la voie au passage
de l’express de 17 heures 15, en pleine heure de pointe,
au moment où le train atteignait sa vitesse de croisière.
Le trafic fut interrompu durant près de quatre heures, le
temps pour les ambulanciers de récupérer les restes du
gosse, et pour les flics d’interroger les témoins. Il fallut
détourner le train sur une voie de garage, puis rendre
compte des complications au siège de la compagnie des
chemins de fer du New Jersey. Pendant tout ce temps, à
Grand Central, c’était l’émeute. Une armée de
businessmen en furie courait dans tous les sens, prenant
à parti les employés de la compagnie, invectivant les
contrôleurs, et de manière générale tous ceux qui leur
paraissaient socialement inférieurs. Même les petits
porteurs de bagages avaient du mal à s’en tirer
indemnes. Le gamin, sans le savoir, avait fait exploser un
pétard dans cette fourmilière. On se serait cru à la
corbeille un jour d’octobre 29.
Miller passa à travers la cohue comme un fantôme,
indifférent à la débandade. Sourd au bruit, aveugle aux
mouvements. Il se sentait hors-jeu. Six semaines qu’il
n’avait plus goût à rien, qu’il était mal dans sa peau. Au
début il avait mis ça sur le compte d’une dépression
passagère, peut-être pas sans rapport avec les deux ou
trois contrats qu’il avait laissés filer. Par le passé, il n’était
pas le genre d’homme à se laisser abattre pour trois ou
quatre malheureux millions de dollars. Il pouvait alors,
les meilleurs jours, en ramasser le triple sur un
claquement de doigts.
Miller avait mal au dos.
« Simple sciatique, mon vieux », l’avait rassuré Stan, leur
médecin de famille. « Tu devrais prendre du repos.
Merde , tu ne t’arrête jamais une minute ? »
Miller avait rassuré son médecin, ce cher vieil ami, d’un
hochement de tête, sachant pertinemment qu’il ne
lâcherait pas la bride. Ce n’était pas le moment. Avec la
crise, lâcher la bride revenait à introduire six cartouches
dans un barillet, et coller le canon contre sa tempe. Il
était donc sorti du cabinet de Stan et il avait rejoint la
Banque à pied — pas le temps de poireauter un quart
d’heure après un taxi — en coupant par Central Park,
sans prêter attention à la douceur de l’été indien. Puis il
162
avait repris la course, comme tous les gens
indispensables, ses semblables, cette élite à laquelle il
avait plus que jamais conscience d’appartenir : la
douleur ne rentrait pas en ligne de compte, qu’elle se
contente de lui titiller les vertèbres à la façon d’un
boxeur poids mouche, où qu’elle lui balançât ses droites
avec la violence d’un super-lourd. Il avait continué, tous
les matins, à attraper son train à six heures quarante,
qu’il pleuve ou qu’il vente. Une putain de course de rats.
Un labyrinthe dans lequel il s’entêtait à courir dans tous
les sens, sans vouloir admettre qu’un dingue avait déjà
ouvert le robinet.
Mais Miller s’était retrouvé au tapis, pour finir. Contraint
de s’arrêter pour de bon, direction l’hôpital et les
comprimés, la kiné et l’enchaînement des mauvaises
nouvelles. Pendant son hospitalisation — trois semaines,
autant dire trois siècles — le monde avait continué à
tourner et Cunningham, son subalterne, en avait profité
pour prouver ce qu’il estimait devoir prouver. Le gosse
avait raflé des contrats réputés infaisables, le genre de
coups que seuls des vieux briscards comme Miller
réussissaient parfois, avec un coup de pouce de la
chance, et encore, à peine dans un tiers des cas. Autant
dire qu’à peine sorti de l’hôpital, Miller s’était rué au
bureau, plié en deux, alors qu’il n’avait pas encore subi
la moitié des examens prescrits par Stan.
Assis à une mauvaise table de la buvette de la gare,
derrière un double scotch sans glace, Miller se demanda
pourquoi il s’était remis à picoler aussi sec. La douleur
sans doute un peu (il ne supportait pas la morphine,
cette sensation ouatée de perdre tout contrôle), mais
surtout cette terrible spirale d’échec qui avait suivi. Ces
contrats mal négociés sous le regard faussement
compatissant de Cunningham. Sa mauvaise humeur et
l’ambiance abominable à la maison avaient fait le reste.
Ses relations avec Marla s’étaient rapidement dégradées.
Au début, elle avait fait tout ce qu’elle avait pu pour le
retenir au bord de l’abîme. Mais depuis un gros mois elle
avait lâché prise. Il ne se parlaient plus, excepté de sujets
terre à terre comme passer la salière, aller chercher la
petite à l’école, ce genre de choses insignifiantes.
Non, en fait c’était inexact : Miller parlait. Depuis toutes
ces semaines, il n’arrêtait pas de déblatérer à propos de
ces contrats qu’il ne parvenait plus à conclure, des
regards de moins en moins patients du Boss, de la sale
petite gueule de Cunningham. Et puis il grimaçait de
douleur en se resservant un verre de vin. Sa douleur, il
lui collait un bâillon sur la bouche dès qu’il pénétrait
dans la banque, mais à la maison, il la laissait exprimer
163
toutes ses gammes et massacrer toutes les mélodies.
Deux semaines auparavant, Marla avait craqué. « Ecoute,
arrête de nous casser les pieds avec ton martyre. Si tu es
vraiment malade, retourne voir Stan et prends toi enfin
en mains ».
Il avait grommelé, réussi à enchaîner sur la perte du
contrat Rosenthal, et Marla n’avait plus prononcé un mot
de la soirée. Le lendemain, il était retourné au cabinet de
Stan, à contre cœur. Puis il avait enfin accepté de passer
son Scanner. Les résultats n’étaient pas bons. Ses
lombaires ressemblaient à des caramels brûlés. Stan avait
pris une figure d’enterrement et lui avait prescrit de
nouveaux examens, en le suppliant presque de les
réaliser. Miller, homme pragmatique s’il en est, avait
aussitôt contacté Life Ex, afin de souscrire à l’option
ALIVE, pour lui et pour elle. Il n’en avait pas encore
parlé à Marla.
Nous ne sommes que des intérimaires dans cette grande
mascarade, déclara-t-il en levant son verre. Dans les
allées en surchauffe, ses semblables continuaient à courir
dans tous les sens, hurlant, vociférant, exigeant. Des
putains de rats dans un putain de labyrinthe. Même pas
foutus de se rendre compte que l’inondation a déjà
commencé. Dans les dernières secondes de lucidité qui
lui restaient, il faillit tout laisser tomber, attraper un taxi,
par la force s’il le fallait, filer à la Guardia et s’embarquer
pour la Suisse. Vingt-six minutes de vol. Loin de tout.
Puis Lausanne, un autre taxi, et le bâtiment sépulcral de
Life Ex, celui qui éclaboussait toutes les brochures de
son imposante sobriété. Il signerait tous leurs foutus
papiers. Tout compris, Miller aurait pu être libre dans
moins de deux heures, et attendre, confiant, qu’on le
réveille le jour où on traiterait les cancers du poumon
comme des rages de dents ou des boutons d’acné.
Mais il y avait Juliet. Et puis Marla. Pas question de s’en
aller sans leur dire au revoir. Et sans obtenir un semblant
d’explication. Il arrêta un serveur et commanda un autre
scotch.
Aujourd’hui, venait la noyade. Ce matin, Marla lui avait
menti. C’était rare. Du moins, d’ordinaire, elle tricotait
ses mensonges avec beaucoup moins de fil blanc.
« Il faudra que tu passes chercher la petit à la garderie »,
lui avait-elle signalé d’un ton morne, pendant qu’il avalait
son café. « Pourquoi ? C’est quand même beaucoup plus
pratique pour toi, tu n’es qu’à cinq minutes ». Elle avait
haussé les épaules. « Il y a une réunion importante, à la
pharmacie. Winston voudrait s’agrandir. Ça commence à
dix-huit heures. »
Il avait rendez-vous chez Stan trois heures avant, ce qui
164
lui laissait largement le temps d’attraper un train, de
rentrer à la maison et de passer prendre Juliet en voiture
à dix-huit heures trente à la garderie. Aussi, il ne protesta
pas. Ce n’était pas le moment de toute façon. Marla était
d’une humeur massacrante.
Puis, à quinze heures, il y avait eu Stan et ses trémolos :
Cancer. Métastases. Ça se résumait à ça. Et puis Miller
avait demandé : « Combien de temps ? »
Une heure plus tard, comme prévu, il était arrivé à la
gare. Trois quarts d’heure que le gamin n’était plus de ce
monde. Et c’était déjà l’enfer à Grand Central. Mais
Miller répétait avec minutie la conversation qu’il aurait
avec Marla, quand elle rentrerait de sa réunion. Il y
aurait des larmes. Ce serait difficile. Il se demandait
surtout comment ils s’y prendraient avec la petite. « Sois
courageuse. Soyez courageuses ». Il lui dirait ça, devant
un verre de Chardonnay, une fois que Juliet serait
couchée. Il attendrait de la voir se décomposer, ce qui
lui retournait le ventre par avance, avant d’enchaîner
« Normalement je devrais mourir. J’ai un cancer.
Généralisé ». Merde, il se donnait lui-même envie de
pleurer.
Mais il lui laisserait à peine le temps de mouiller le coin
de ses yeux. Il balancerait son miracle sur un plateau.
« Mais j’ai peut-être une bonne nouvelle » continuerait-il
sur un ton flegmatique. Un air de marin britannique en
pleine tempête à l’heure du thé. « J’ai modifié notre
police Life Ex. Je nous ai pris l’option ALIVE ».
Il se répétait tout cela, devant son Whisky, comprenant
peu à peu qu’il allait falloir téléphoner à Marla. Il était
clair qu’il lui faudrait renoncer à sa réunion importante.
Elle comprendrait. Miller paya son verre et gagna la
cabine téléphonique la plus proche. Il glissa une pièce
dans la fente et composa le numéro de la pharmacie sur
le cadran électronique. C’est Winston lui-même qui
décrocha. Il eut l’air surpris quand il vit le visage de
Miller sur l’écran. Le vieil homme avait piqué un fard de
collégien. Mais il reprit aussitôt le contrôle de lui-même,
et parla d’une voix presque naturelle.
— Tiens, salut, Tom. Qu’est-ce qui me vaut l’honneur ?
— Salut, Winston. Je voudrais dire un mot à Marla. Vous
pouvez me la passer ?
À nouveau, le visage de Winston se crispa. Le vieux se
passa la main dans la barbe.
— Je ne comprends pas, Tom. Je voudrais bien te la
passer, mais elle est partie il y a une heure.
— Hein ?
Miller avait haussé le ton sans le vouloir. Winston se
repassa la main sur le menton.
165
— Attendez, Tom, reprit le vieux. N’allez pas vous
projeter un film. Elle est peut-être juste sortie faire une
course. Je ne sais plus exactement ce qu’elle m’a dit.
— Oui, ça doit être ça…Laissez tomber, rien de grave,
dit Miller, essayant de reprendre le contrôle. Je
rappellerai tout à l’heure, juste avant la réunion, c’est
bien à six heures, hein ?
Winston devint si écarlate qu’il n’était même plus
nécessaire d’essayer de couvrir quoi que ce soit. L’un et
l’autre le comprirent tout de suite. Il n’y avait aucune
réunion. Juste un alibi fragile, qui n’avait tenu aucun
compte des impondérables. Ils écourtèrent la
conversation avec embarras.
En raccrochant, Miller se sentit tomber. Marla lui avait
raconté des salades. Elle était Dieu sait où. Dieu sait
avec qui. Et il n’y avait aucun moyen de la joindre.
Il dut accomplir un effort quasi surhumain lorsqu’il
téléphona à la garderie. Une fois le problème réglé, il
retourna à sa table, commanda un nouveau verre, puis
un autre encore, se détachant peu à peu de la situation.
L’ivresse, le seul moyen d’essayer de ne pas y voir trop
clair. À ta santé Marla. À ta santé petite tumeur de mes
amours…
Pourtant, il fut l’un des premiers, à vingt et une heures, à
monter dans un train. Il composta son billet et trouva par
miracle une place assise. La douleur, malgré l’alcool,
avait repris de plus belle. Bientôt libéré.
Bon sang, la souffrance était abominable désormais.
Sur le trajet, beaucoup d’hommes d’affaires, ayant eu
vent des raisons de cette interruption du trafic, scrutaient
les rails à travers les vitres embuées. À la recherche de
Dieu sait quel vestige. Morceau de scalp, flaque de sang,
fragments de cervelle oubliés. Miller ne vit rien. Il
descendit à son arrêt, longea les squares désertés, leur
sol couvert de feuilles mortes, arpenta les rues livides.
Sans doute ne reverrait-il pas l’automne de sitôt, pensa-til en progressant sur le bitume. Il se mit à pleuvoir dru.
La petite se jeta dans ses bras à peine eut-il franchi la
porte d’entrée. Elle aurait dû être couchée depuis
longtemps, mais elle réclamait sa séance de lecture
quotidienne. Elle voulait toujours que ce soit lui. Il
s’efforça donc de masquer sa douleur, s’installa dans le
canapé avec sa fille sur ses genoux, et lui lut une
histoire. Marla, elle, s’affairait dans la cuisine. Miller
expédia l’histoire (une vingtaine de pages), en deux
minutes, puis pria sa fille d’aller au lit.
Enfin, il rejoignit sa femme. Marla lui tournait le dos,
penchée au dessus de l’évier, où elle feignait de
s’escrimer sur une casserole. Miller fonça tout droit vers
166
le frigo et se décapsula une bière.
— Salut, dit-il en reniflant.
Puis il vida sa bière en trois gorgées. Une armée de
petits alpinistes sadiques étaient en train de planter des
pitons dans son dos. Des pitons bien pointus et bien
longs. Il grimaça sans qu’elle le vît. Au dessus de leurs
têtes, la pluie martelait le toit de la cuisine au rythme
d’un boléro.
— Pas eu trop de mal à prendre la petite ?
Marla ne répondit pas, elle semblait figée sur place,
toujours le visage penché sur sa saloperie d’évier. Miller
rouvrit la porte du frigo et décapsula une deuxième
bière.
— Désolé que tu aies dû louper ta réunion. J’espère que
Winston n’a rien trouvé à y redire, dit-il avant de porter
la canette à ses lèvres.
— Arrête de boire comme ça…
— « Arrête de boire comme ça… » C’est tout ce que tu
trouves à dire ? J’en ai besoin, dit-il en vidant la bière
d’un trait. Rudement besoin.
Puis, comme Marla avait repris son petit manège, il
s’alluma une cigarette. En temps normal, elle aurait
poussé des hurlements. Ce ne fut pas le cas.
— Je crois que j’en ai jamais eu autant besoin, précisa-til.
Miller retourna au salon et se vautra dans le canapé.
Cinq minutes plus tard, il se relevait. Il se confectionna
un Whisky et revint avec un verre rempli à ras-bord,
ainsi qu’avec une autre bière. Marla toujours
cramponnée à son évier, ne lui fit aucune remarque.
— Il y a eu un accident. Je crois qu’un gosse s’est jeté
sur la voie. T’aurais dû voir le bordel à la gare.
— Je sais. J’ai entendu ça à la radio…
Sur sa colonne vertébrale, les alpinistes avaient été
foudroyés. Il eut l’impression que des milliards de volts
sillonnaient tous ses nerfs. Miller grimaça, sans que
Marla ne paraisse s’en étonner. Puis, l’espace d’une
seconde, le calme revint dans son corps. Mais le répit ne
serait pas long. L’alcool ne suffirait pas cette fois.
Marla vint s’asseoir en face de lui, sur un fauteuil en cuir
saccagé par le chat. Ses yeux étaient écarlates.
— Où tu étais, cet après-midi, nom de Dieu ?
— Je ne veux pas que tu ailles en Suisse…
Miller fut pris de court. Il ne s’était absolument pas
préparé à cet aspect de la discussion. Il l’avait occulté. Il
avait envisagé d’autres scénarios. Des aveux de son côté
à elle. Il avala son verre cul-sec et fut pris d’une quinte
de toux. Juliet passa la tête par l’escalier et sa mère se
redressa :
167
— Juliet ! Je t’ai dit d’éteindre la lumière.
— J’arrive pas à dormir ! P’pa tousse trop fort.
Marla lui lança un regard noir. La douleur se réveilla,
plus pénible que jamais. Il se releva pourtant, et gravit
l’escalier. Il prit l’enfant dans ses bras, malgré les coups
de poignard qu’il ressentait dans sa colonne, et lui
murmura quelques mots apaisants, en se faisant
violence, puis Marla les entendit marcher jusqu’à la
chambre de Juliet. Miller redescendit quelques secondes
plus tard et se servit un autre verre. Il revint s’asseoir au
salon, en face d’elle. Il baissa les yeux.
— Comment t’es au courant ? dit-il en vidant les trois
quarts de son verre.
Marla haussa les épaules. Il termina son Whisky et fit
aussitôt mine de se relever.
— Arrête ça bon sang ! Tu vas arrêter de fuir, nom de
Dieu ?
— Fous-moi la paix.
Il se rassit néanmoins, puis, en essayant d’être patient :
— Comment t’es au courant ? Non. Je veux dire, on
verra ça après. Tu étais où, bordel ? Avec qui ?
Marla secoua la tête. C’est elle qui se leva, cette fois. Elle
qui entra dans la cuisine. Elle qui se servit deux doigts
de Whisky. Miller fronça les sourcils. Tout ceci
n’annonçait rien de bon. Sa femme n’avait jamais tenu
l’alcool. Au bout de quelques gorgées, comme prévu,
elle commença à divaguer.
« Comment t’es au courant ? » reprit-elle, l’imitant mal à
dessein. Mais tout ce qui te trotte dans la tête, comme
toujours, c’est surtout « avec qui ? », hein ? Tu ne
changeras jamais…
Miller balança son verre sur le parquet, mais il résista au
choc. Il rougit.
— Ne te fous pas de ma gueule. Ne te fous pas de ma
gueule, s’il te plaît. Je répète : pourquoi tu m’as raconté
des bobards pour ta réunion ?
Elle haussa les épaules et ferma les yeux.
— Je me suis trompée de date, c’est tout… Qu’est-ce
que tu es encore allé t’imaginer ? Tu t’es vu ce soir ?
Comme si c’était moi qui avait quelque chose à
expliquer...
D’ordinaire, Miller se serait probablement contenté de
cette explication. Parce qu’elle l’arrangeait bien. Mais
Miller, à la gare, avait déjà bu. Il était arrivé chez lui déjà
dans le brouillard, n’avait retrouvé son chemin qu’à
l’instinct, à la manière des pigeons voyageurs. Il avait
vaguement conscience que cette conversation serait
calamiteuse, pourtant, il insista.
168
— Ça me paraît court, comme explication, dit-il en se
redressant sur son siège. Va me chercher un autre verre.
— Va te faire foutre. Tu devrais t’entendre. Tu es déjà
ivre mort.
— Qu’est-ce que ça peut bien te foutre ?
Ses lèvres tremblaient.
— Je ne vais plus supporter ça longtemps, tu sais.
— C’est une menace ?
Miller s’était trompé. Il pensait avoir franchi les bornes
tout à l’heure, mais il était encore très loin du compte.
La colère lui montait aux joues.
— Arrête. Tu sais très bien que ce n’est plus toi qui
parles.
— C’est quoi, alors ? C’est qui ?
— Tu sais très bien ce qui est en train de parler. Tu
devrais aller dormir. Demain nous parlerons de tout ça.
Au calme.
Miller passa l’extrémité de ses doigts sur les coutures de
son fauteuil. Le contact du tissu lui procura une vague
sensation de dégoût. Ni lui, ni elle, n’avaient besoin de
ça. Juliet non plus.
Mais il ne parvenait pas à se calmer. Marla jeta le
contenu de son verre dans le pot du ficus. Miller se
mordait les lèvres. Il crevait d’envie d’aller s’excuser
quelque chose d’étrange l’en empêchait. L’envie de
savoir. La jalousie. C’était une de ses toutes dernières
soirées, et ils étaient plongés en pleine scène de
ménage. Il alluma une autre cigarette. Il réprima pour le
moment l’envie de prendre une nouvelle bière dans le
frigo — la dernière, s’il tenait bien le compte —.
À ce moment précis, Miller aurait encore pu se donner
l’illusion de retrouver son calme. Sa femme était là. Aux
dernières nouvelles, elle l’aimait. Du moins, c’était
encore à l’ordre du jour il y avait moins de trois mois.
Mais elle était au courant d’une chose. D’une chose que
seuls lui et Stan savaient. Il se radoucit.
— Qu’est-ce que tu sais, au juste ?
Marla se mordit les lèvres. Ses yeux s’étaient humidifiés
et elle renifla. Le peu d’alcool qui était passé dans cette
petite gorge suffisait à faire trembler sa voix.
— Je sais que tu es malade et que c’est grave.
Avant qu’il ait eu le temps de dire quoi que ce soit.
Affirmer ou nier, elle reprit, avec une voix de robot, le
regardant droit dans les yeux, s’efforçant de ne pas ciller.
— Je sais que tu as souscrit au contrat ALIVE de Life Ex.
Nom de Dieu, comment tu as pu décider ça sans m’en
parler ?
169
Il rougit et se rendit compte que son dos ne lui faisait
plus du tout mal.
— Je… J’allais t’en parler.
Elle haussa les épaules et poursuivit.
— Je sais que tu as un cancer. Que ton cas est sans
espoir… Je sais qu’on te donne à peine six mois. Je sais
aussi que tu ne t’es jamais fait à l’idée…
— Nom de Dieu… C’est Stanley qui t’a raconté ça ?
Elle ne répondit rien. Miller revit la scène, dans le
bureau de leur médecin, l’ami de la famille, tout à
l’heure. Le bon vieux Stan, ce cher, très cher ami…Stan
avait pris un air lugubre. C’était une charmante attention.
Il montrait à Miller quelle gueule il aurait le jour de
l’enterrement. Satané fils de pute. Ils se faisaient
jusqu’alors face, de part et d’autre de son bureau, et Stan
avait gardé son attitude professionnelle : mains jointes,
petites lunettes. Son nœud de cravate, comme toujours,
n’était pas une réussite. Miller, Dieu sait pourquoi, avait
reporté toute son attention sur ce nœud de cravate, sur
ce col de chemise amidonné avec amour par Emma, la
femme de Stan. Elle était allée à la fac avec Miller. Une
fille gentille. Très gentille. Un peu nunuche, certes…
Stan avait rompu le cérémonial. Il s’était levé de sa
chaise pour rejoindre Miller de l’autre côté. Il avait
franchi la frontière : plus de diplômes, de connaissances
scientifiques, de statistiques. Juste un ami qui étreignait
un ami, qui avait desserré sa cravate pour chercher un
peu d’air en contournant son bureau en chêne, un
meuble prétentieux qui devait valoir dans les sept mille
dollars. Un vieil ami, un frère.
— Sois courageux, Tom. Je suis avec toi.
— Ne dis rien à Marla, Stan. Je t’en prie. Laisse-moi le
temps.
Il avait senti les mains de Stan se crisper, lorsqu’il avait
dit ça. Il avait pris cette réaction pour une émotion triste.
Pour un sanglot viril. « Ne dis rien à Marla, Stan… ».
Marla était là, en face de lui, et le regardait de ses grands
yeux bleus détrempés. Il ferma les siens.
— Comme tu veux, Tom. Bien sûr. Pourquoi voudraistu que je lui en parle ?
Peut-être parce que t’avais juste envie de célébrer la
grande nouvelle avec elle, enculé. Allez, un peu de
patience, toubib, mon ami, mon frère. Dans six mois,
d’après toi, je ne serai plus là et tu pourras larguer ton
laideron stérile, t’installer dans mon lit et te faire sucer le
gland par ma femme.
— Depuis combien de temps vous couchez ensemble ?
Depuis combien de temps, merde ?
170
Marla se redressa, prit une expression de colère absolue.
— Pauvre crétin…
Il la gifla. Marla se figea net. On aurait dit qu’il venait de
briser une poupée de porcelaine.
Il était horrifié. Il avait projeté, ce soir, de rentrer, de
serrer sa fille dans ses bras. Il aurait dîné ; tard, avec sa
femme. Ils auraient bu du vin, du Chardonnay. Il avait
répété ça, tout à l’heure, à la gare, avant que le geste du
gamin n’ait provoqué ce stupide retard, avant qu’il ne
doive téléphoner à la pharmacie.
Il connaissait la séquence par cœur. Là-bas, Miller aurait
aussi bien tenu l’alcool que le Consul dans Sous Le
Volcan. Au terme de ce repas déchirant-larmoyant, il
aurait tout dit à sa femme. Oui, il était malade depuis des
mois, oui, il était théoriquement condamné. Oui, il
ignorait encore tout cela il y avait quelques heures. Il
était désolé que les dernières semaines aient été si
moches. Elle aurait pleuré, beaucoup pleuré. Il aurait
pleuré aussi. Ils auraient fait l’amour. Mais juste avant,
ou bien juste après, il lui aurait appris, comme un
miracle, qu’il venait justement (enfin le hasard n’y était
pour rien) de modifier son contrat de Life Ex. Qu’il
venait de souscrire à l’option ALIVE. Du reste, cela
aurait dû se passer de cette manière. C’était Marla qui
avait insisté pour inclure cette clause dans leur contrat
de mariage. Du temps romantique et révolu où ils
s’aimaient d’amour, d’eau fraîche et d’espérance. Elle lui
avait dit « je veux que ça dure toujours comme ça. Toi,
moi. » C’était bien avant la naissance de Juliet.
A suivre
171
christophe siebert
une chance sur six
(episode 7)
43. 3 JANVIER 2006
Toulouse, le 3 janvier 2006
Cynthia, ma chérie, mon bébé,
Les semaines, mois, années passent et je ne reçois,
jamais, aucune nouvelle de toi. Rien, aucune
information, aucun commentaire, aucune réponse à mes
propres envois. C’est difficile, de ne pas se sentir triste et
déprimé. Je ne sais même pas quels sont tes sentiments
à mon égard, je ne peux qu'en saisir le caractère négatif.
Je tente de deviner. Le mépris, le dégoût, la haine pure
et simple. Je ne sais pas. Je penche pour le mépris, le
dégoût ; s’il s’agissait de haine tu m’aurais écrit,
téléphoné, retrouvé peut-être, tu aurais été motivée,
poussée par l’envie de me cracher au visage tout ce que
tu penses de moi.
Mais là, rien. Le silence, le néant. Le mépris. Le dégoût.
Tu n’es pas venue au rendez-vous que je t’ai fixée. Je
sais, je me répète. Mais c’est le rôle de ton vieux père,
non, de radoter ? Je ne te fais aucun reproche. Tu es
grande. Tu es grande, n’est-ce pas ? Où en es-tu ? Tu as
passé ton bac, tu l’as eu ? Tu es à l’université ? Tu
travailles ? Tout ce que j’ignore de toi et que j’aimerais
tant savoir. Ton visage, je l’oublie. Tous ces coups que
je reçois dans la tête, je crois que ça perturbe ma
mémoire.
Je vais bientôt mourir, tu sais. David est de plus en plus
exigeant, et je comprends de moins en moins ce qui me
lie à lui. Une partie de moi se révolte, hurle de rage,
voudrait le tuer, et fuir ; pourtant je reste, je me soumets
et j’étouffe aussi fort que je peux cette subversion,
jusqu’à ce qu’elle crève.
J’aimerais tant te voir avant de mourir. J’ai tant de choses
à t’expliquer, à justifier. Tant de choses...
Je n’ai pas été un bon père ; je ne suis pas un bon
172
amant ; je ne crois pas, en définitive, avoir une
quelconque valeur comme être humain. Si je devais être
jugé maintenant, ça ne serait ni l’enfer ni le paradis, je ne
suis rien d’assez virulent pour mériter l’une ou l’autre de
ces deux fins ; non, simplement le purgatoire éternel,
une étendue grise et tiède qui sera comparable à ce qu’a
été ma vie.
J’aimerais te dire ce qui se passe dans ma tête. La
culpabilité, la terreur. Les pensées coupables, les
pensées mauvaises. Sais-tu ce que c’est, d’être amoureux
de ce qui est interdit ? Et de détester ce qui est promis ?
Ta mère – ma femme –, je la détestais. Non, même pas.
Je la considérais avec indifférence. Elle ne faisait rien de
bien, elle ratait tout, elle n’avait rien pour plaire à un
homme comme moi.
J’ai aimé des filles que je n’avais pas le droit d’aimer ; et
puis j’ai aimé David, qui profane mon corps et détruit ma
raison, petit à petit. Il me fait du mal, il m’abîme, et moi
je suis amoureux de lui, je l’aime comme je n’ai jamais
aimé personne. Il est la personne la plus importante de
mon univers. Il m’a émasculé, pratiquement ; je ne peux
plus marcher normalement, je ne peux plus mâcher ; je
suis une collection de douleurs et de stigmates. Je
l’aime, du plus profond de mon être.
Comment est-ce possible, cela ? Aimes-tu quelqu’un ?
Aimes-tu un monstre ? Ou bien es-tu comme ta mère,
sèche et banale ? Réponds moi. Réponds au moins à
cette question-là...
Ton père qui t’aime.
44. 6 JANVIER 2006
http://www.tousvosforums.com/lavieestunemaladie ;
topic : présentation des membres ; pseudo : rage
Je sais pas par quoi commencer. J’ai lu vos histoires, la
mienne est trop banale, tout est pareil, quoi. Putain
comment c’est trop vrai le nom de ce forum. Je vais pas
me la jouer mes parents me comprennent pas, à l’école
on m’aime pas, j’ai pas de mec, je suis grosse, blablabla.
Y’en a peut-être pour qui c’est vrai mais moi ça serait un
pur pipeau. Mes parents me comprennent pas parce que
je leur décroche pas un mot et que je les emmerde, à
l’école je fous rien et je fais la gueule alors j’ai des sales
notes et je passe pour la connasse de service et aussi
pour une pute parce que j’ai eu ma période « je me fais
sauter par tout le monde », et je suis ni un thon ni une
bombe. J’ai une vie banale, une vie de merde
banalement de merde, quoi. C’est juste que ça me fait
trop chier, de vivre.
173
D’avance, me faites pas chier avec vos désespoirs plus
gros que le mien, s’il vous plaît. J’espère que je me suis
pas trompée d’endroit. C’est une meuf qui m’a parlé de
ce forum. Je veux pas de la compréhension, ni de putain
de condéscendance. Je sais pas ce que je veux, au juste.
Je veux raconter ma vie. Je veux crever. Je sais pas
comment. J’aimerais bien m’allonger, penser à des trucs
chouettes, penser à David, et juste pas me réveiller. Ca
serait top, comme mort. Y a les médicaments mais c’est
grave dangereux. Je veux pas me réveiller à l’hosto, ou
me gerber dessus, ou me péter un truc du cerveau et
devenir maboule. Ca serait trop glauque. Je veux mourir
en douceur, sans souffrir. Souffrir, j’en ai marre.
Ma mère elle est médecin, ça serait facile de piquer des
trucs mais, je sais pas, j’ose pas. Vraiment, j’ai grave,
grave peur de me louper. Y’en a qui ont déjà essayé et
qui se sont ratés ? Comment ça se passe, après ? On se
fait coller en psy ? Il se passe quoi au juste ?
Putain comment j’aimerais sortir de mon corps, de ma
peau et tout. Et entrer dans une autre, ou alors devenir
un arbre ou un caillou. Enfin, un truc à qui il n’arrive
rien de rien.
Quand j’ai fugué je me suis faite violer par trois enculés.
Ils sont en taule maintenant. J’ai fugué parce que
l’homme que j’aime est un dingue, un monstre. Il me
tapait sur la gueule et il me violait pendant que son
copain nous filmait. C’était il y a plus de six mois, tout
ça. J’y pense encore à ce salopard, à ce monstre. Il me
manque. Mes parents me prennent pour une dingue, je
suis bouclée à la maison, je n'en sors que pour aller en
cours, c’est tout. Ca fait longtemps que j’y pense, à
mourir. J’y pensais déjà avant de rencontrer David mais
j’avais les moyens de pas trop y penser. Je baisais
n’importe qui, n’importe comment, ça me vidait la tête,
je ne pensais plus du tout, plus à rien. Et puis y’a eu
David, il m’a tellement remplie que j’avais plus envie de
mourir. J’avais envie d’accélérer le temps jusqu’au
prochain rendez-vous. Il me faisait mal et tout mais
c’était chouette. Il se passait un truc dans ma vie, même
si c’était trop glauque, c’était quelque chose, déjà.
Ensuite c’est devenu moins classe, et puis c’est devenu
carrément grave, et il a été trop loin. Il tapait trop fort,
me faisait trop mal, limite torture, quoi. Alors l’envie est
revenue. Mais je m’exprime mal, en fait c’est pas l’envie
de mourir que j’ai, c’est juste que j’ai pas envie de vivre.
J’ai envie de parler à des gens comme moi, c’est pour ça
que je suis ici.
174
45. 2 MARS 2006
http://www.tousvosforums.com/lavieestunemaladie ;
topic : demain je le fais ; pseudo : rage
Samira, tu m’impressionnes trop. Putain comment
j’aimerais avoir ta volonté. Grave. Je te souhaite très
bonne chance pour demain. J’aurais bien aimé venir te
voir, moi aussi. J’aurais trop aimé te serrer dans mes
bras. Peut-être tu m’aurais donné la force de faire
comme toi ? C’est trop la classe, que des gens du forum
viennent te voir à ce moment-là. Tu as l’air contente.
C’est cool. Comment j’aimerais savoir ce que tu
éprouves ! Demain, je penserai grave à toi.
A l’école j’ai parlé du suicide, pour voir. Pour voir ce
qu’ils pensent les cons qui n’y connaissent rien. Putain
j’ai été effarée. Ils sont trop graves tous ces connards. Ca
m’aurait fait rire si ça avait pas été aussi gravement
pathétique. Y’avait deux camp, quoi. Ceux qui
trouvaient que le suicide c’est un acte de courage et
ceux qui trouvaient que c’est une preuve de lâcheté. Ils
sont trop, trop cons. Moi je ne disais rien. Je les écoutais
et je les méprisais, je ne voyais rien d’autre à faire. Y’en
a pas un qui a compris. Y’en a pas un qui a eu une
bonne idée ou dit un truc juste. Que des conneries,
toutes plus graves les unes que les autres.
C’est trop pas une question de courage ou de lâcheté, le
suicide, c’est trop pas ça, ça a grave rien à voir. Y’a un
mec qui te plaît, tu vas lui parler ou pas, t’oses ou pas,
mais c’est juste que t’as pas le choix. Soit t’es du genre à
aller dire à un mec qu’il te plaît, soit t’es du genre à
l’aimer en silence et à fermer ta gueule. Devant cette
maladie de merde qu’est la vie, c’est pareil. Soit tu
prends les devants et tu en termines au plus vite et de la
façon la plus efficace et la moins dégueulasse, soit tu
fermes ta gueule et tu souffres en silence. Je crois pas,
moi, qu’il y a des gens qui veulent vivre. Y’a juste ceux
qui peuvent mourir et ceux qui peuvent pas, c’est juste
ça. Moi je sais trop pas où je me situe. C’est pas aussi
facile que ça, quoi.
Ca vous branche la roulette russe ? Putain moi j’aimerais
trop essayer. Ca c’est une trop belle façon d’en finir.
Mon fantasme c’est de le faire avec quelqu’un qui me
baise. A chaque coup de queue qu’il me met j’appuie sur
la gachette. Je pense à ça quand je me branle. J’espère
que je vous choque pas. Je sais pas si je pourrais le faire
en vrai. Y’en a qui ont essayé la roulette russe ? Ca doit
être trop classe.
Enfin bref je m’égare. Je t’admire trop Samira. C’est trop
beau ce que tu fais, c’est grave un exemple pour nous
175
toutes. Quand je serai en cours demain à quinze heures
toute mon énergie sera tournée vers toi, que tu
réussisses. Le plus rageant c’est que tu viendras pas nous
dire ce qui s’est passé, comment ça c’est passé. C’est
pour ça que c’est trop génial que des filles du forum
soient là-bas avec toi au moment où tu vas le faire. J’ai
hâte de lire ce qui ce sera passé. J’ai trop, trop hâte.
46. 16 MAI 2006
http://www.tousvosforums.com/lavieestunemaladie ;
topic : amours déçus ; pseudo : rage
Je ne suis plus au lycée. J’ai plus la force d’y aller. De
toute façon j’ai dix-neuf ans alors personne ne peut rien
dire et surtout pas mes parents. Dix-neuf ans en
terminale ils me l’ont assez répété que c’était trop la
honte et tout et tout. Bah voilà c’est plus la honte. De
toute façon je sors plus de chez moi alors je peux rien
faire que leur fasse honte à ces deux connards. Je ne
sors plus de la maison. Pourtant ils m’empêchent plus.
Ils croient que c’est terminé. Je veux dire ils croyaient
que quand j’avais fugué c’était comme si une espèce de
maladie, comme un virus, quoi, me rongeait la tête, et
maintenant ils pensent qu’au bout de presque un an c’est
terminé, la maladie est partie. C’est grave, comme ils
sont cons. C’est pas une maladie, c’est ça qu’ils
comprennent pas. C’est vivre qui est la maladie.
Je reste tout le temps dans la chambre.
Je me souviens, entre dix-sept et dix-huit ans je notais
les jours qui me séparaient de ma majorité. J’étais grave
conne, je m’imaginais qu’il allait se passer un truc le jour
de mes dix-huit ans. Que genre j’allais tout péter et partir
en gueulant. Ou qu’une tumeur au cerveau
m’emporterait. Il ne s’est trop rien passé, évidemment.
Je me réveille vers onze heures du matin. Ils sont déjà
partis travailler. Ils sont médecins tous les deux, dans le
même cabinet, en ville. Je reste au lit une heure ou
deux, des fois plus, j’ai pas faim, pas sommeil, j’ai envie
de rien. J’ai aucune envie. Je me masturbe des fois, pas
tout le temps. Après je me lève et je mange ce qu’il y a,
après je remonte dans ma chambre. Je ne fais rien.
J’écoute de la merde à la radio, je pense à David. Je me
dis que je le hais, que j’ai pas la force de le revoir. Je sais
pas pourquoi j’ai pas la force. De toute façon j’ai trop pas
de force, trop pas d’énergie, pour rien faire. Je suis
molle, c’est grave. Mes parents font semblant de
s’inquiéter mais il s’en foutent mortel en vrai. Les heures
passent. Je pense à ma vie, j’écris des lettres à David
mas je les envoie pas, je m’allonge et je me dis que je
176
suis morte. Je fais des siestes, je note mes rêve. Le soir
quand ils rentrent je ferme la porte de la chambre à clé.
Ils viennent me parler des fois, ça me fait trop chier et ils
restent pas longtemps. Ils ont la trouille de moi je crois,
ou alors ils me détestent, enfin en tout cas je m’en fous
grave. J’écoute de la musique bien fort, pour pas les
entendre vivre. C’est trop écoeurant de les entendre
parler, discuter de leurs vies de merde, préparer le repas,
tout ça. Je suis obligée de descendre manger avec eux,
ça me gave trop. Ils parlent, ça m’intéresse trop pas.
Après le repas je monte dans ma chambre, je dessine
des trucs, j’écris genre des poèmes, et puis rien d’autre.
Je lis des bouquins des fois mais ça m’intéresse pas, c’est
juste pour attendre d’être fatiguée. Je me couche vers
deux ou trois heures du matin et quand je m’endors c’est
l’aube, souvent. Je mate les rayons de soleil qui entrent
dans ma chambre, tout est gris. Je pense ça y’est, encore
une journée. J’espère que je me réveillerai pas, et je
ferme les yeux.
David, à la fois il me manque et à la fois je le déteste, j’ai
envie de le tuer. C’est space, au départ c’est de lui que je
voulais parler, et finalement j’ai parlé que de moi. Trop
la fille suicidaire mais mégalo, n’importe quoi, quoi.
47. 17 MAI 2006
mail to : [email protected]
mail from : [email protected]
subject : si tous les porcs du monde voulaient se donner
la main…
Nom de Dieu, l’échangisme ça marche du tonnerre !
Plus que ça, même ! Aurélie se fait tringler par des
hordes de cochons, et moi je suis submergé par les
chaudasses de tous horizons. Enfin, bon, j’exagère un
peu. En tout cas, on a fait pas mal de partouzes, un peu
dans tous les styles. Si ça t’intéresse, je peux te faire une
rapide étude socio du truc. D’un côté tu as les
partouzards à l’ancienne, la quarantaine, un bronzage
d’institut de beauté, de la chirurgie esthétique et des faux
seins, des cosumes de merde, du champagne tiède, on
se croirait dans un soap-opera sauf qu’ils sont tous à
poil. Les feux de l’amour porno, ce genre. De l’autre tu
as la partouze intello, celle-là se passe en appart et y’a
plus de mecs que de filles, et ça cite Bataille et tous les
dingos du cul, on s’y fait chier comme des rats et y’a pas
moyen de filmer ou quoi, vu que c’est là-dedans que tu
trouves toujours une semi-célébrité à la ramasse, style le
futur-ex Houellebecq, c’est-à-dire la même tête de
clébard sur l’autoroute mais juste un peu moins de talent
177
et de hype, et enfin tu as les touzes des beautiful people,
c’est-à-dire les seize-vingt ans, pétés de thunes, dans des
apparts assez grand pour y ranger tous ceux que j’ai
occupés depuis que je suis adulte, et encore il resterait
de la place. Là c’est came, porno (sur les écrans aussi
bien que en vrai, les filles sont de pures chiennes et les
mecs de vraies brutes) et narcissisme. Perso, j’en aime
aucun des trois. Quant à l’échangisme classique, deux
ou trois couples, un appart, du champagne, des petits
fours et chacun choisit sa chacune en écoutant Moby
éclairé par des bougies, bof aussi.
Enfin, on a fait ça pendant un an, quoi, voire un peu
plus, et on a aussi écumé les boites et tout, ça fait qu’on
commence a être un peu connus dans le milieu. On a
aussi organisé deux ou trois soirées, rien de terrible.
Non, ce qui nous fait tripper maintenant qu’on a tout
essayé du côté de l’échangisme, mélangisme,
collectivisime, tous les communismes du cul, c’est de
filmer les autres, enfin presque les autres. Je t’explique.
On a un truc qui s’appelle l’invité de la semaine, sur
notre site, on a piqué ça à des sites pornos pros. Des
mecs et des nanas nous envoient des photos, des mails,
des vidéos, etc. Nous, on sélectionne celui ou celle qui
va passer chez nous, et là on se filme en train de le
tringler.
Ah, oui, au fait : je suis devenu omnivore, avec toutes
ces expériences. Le seul truc que je fais pas, c’est sucer.
Mais enculer, me faire enculer ou me faire piper par un
mec, pas de souci. Ca t’en bouche un coin, pas vrai ? Et
bin, moi aussi ! (et pas seulement celui auquel tu penses,
cochonne !)
On s’est fait une quinzaine de films comme ça. C’est
chouette, à chaque fois. Les meufs se donnent à fond
dès qu’il y a une caméra, et vas-y que je veux tout
recevoir en pleine poire, et vas-y que je veux que tu me
lèches la chatte pendant que ta femme m’encule avec un
gode-ceinture, enfin si leurs mamans voyaient ça elles
les reconnaîtraient pas ! Les mecs c’est autre chose, ils
ont souvent les yeux plus gros que les couilles. Je veux
dire qu’ils n’arrivent pas tous à bander devant la caméra.
Là c’est plus chaud, mais Aurélie est devenu la reine des
suceuses. Elle ferait triquer un eunuque à la retraite !
Au fait, pendant que j’y pense, tu voudrais pas venir faire
l’invitée de la semaine, toi, un de ces quatre ? J’en ai
parlé à Aurélie, elle est d’accord.
Des gros bisou baveux de gros cochon !
Marc.
178
48. 3 JUIN 2006
http://www.noircommelavie.blogspot.com
Je commence ce truc dans l’espoir de dêméler un peu
les fils du bordel dans lequel je me trouve. Ce n’est pas
vraiment destiné à être lu, encore moins commenté,
mais, par une bizarre perversion, j’éprouve la nécessité
de rédiger mes pensées ici et pas sur un calepin, par
effet de mode peut-être, j’en sais rien. J’avertis mes
éventuels lecteurs que j’ai évidemment modifié les
noms.
J’ai trente-huit ans, je suis marié depuis douze ans, j’ai
un enfant de huit ans, j’aime ma femme, j’aime mon
enfant. Mon supérieur hiérarchique est tombé dans le
coma, il y a quelques jours, juste devant moi. Nous
étions assis face à face, dans un bistrot, et nous
discutions d'une enquête complêxe sur laquelle il voulait
que je le seconde. Ca signifait une quasi promotion.
L’instant d’après, son visage était écrasé contre la table et
du sang lui coulait des oreilles.
Plus tard, les médecins ont dit qu’il s’agissait d’une
rupture d’anévrisme. J’ai décidé d’aller rendre visite au
commissaire chaque jour, mais ça ne change rien à son
état. Ca me rend triste, j’ai l’impression de voir mon
père. Je lui ai parlé. Ca m’a mis en colère, je lui en veux
d’être absent, d’être dans le coma. Je me sens
désemparé, surtout avec un dossier aussi sordide et aussi
pourri. Mes collègues m’offrent leur aide, mais ils ne
peuvent rien faire, ils ont eux aussi leurs propres
dossiers pourris. Le successeur de mon patron ne
comprend rien à rien, c’est un type parachuté là en
catastrophe, il ne sert à rien d’autre qu’à poser des
questions vides de sens et à ralentir tout le monde. Je ne
l’aime pas, c'est stupide de penser à lui de cette manièrelà, c’est mon supérieur, je n’ai pas à l’aimer ou à ne pas
l’aimer, mais c’est comme ça. J’aimais le commissaire
Mattaeï.
J’enquête sur un réseau de vidéos pédophiles, mais pas
uniquement. Il y a des vidéos de diverses sortes, sexe,
violence, mineurs, majeurs, leur seul point commun est
que ce qui s’y déroule est affreux, et illégal évidemment.
Contraire, de toute façon, à toute dignité. L’enquête
établit, péniblement, que ces diverses cassettes, ces
divers fichiers informatiques, ces divers DVD, saisis en
des cirsconstances différentes, proviennent d’une même
source, que nous n’arrivons pas à identifier pour le
moment.
Je suis fatigué, je ne pense plus qu’à ça, je ne sors pas
du travail. Quand je suis chez moi, j’y pense, je regarde
179
les pistes, je compare les témoignages, j’appelle des gens
avec mon téléphone privé. Même au bureau je laisse
tomber les autres dossiers, tout se casse la gueule.
J’ignore pourquoi je fais ça.
Voici un extrait de catalogue trouvé sur Internet :
- Rein : 5000 euros (âges : 12-16 ans, 30-40 ans)
- Oeil (paire) : 3000 euros (âges : 15-20 ans, adultes ;
couleurs : verts, bruns)
(etc. ; le catalogue en question propose aussi des films.
Le fichier était crypté, nous l’avons intercepté en pièce
jointe adressée à une adresse e-mail n’appartenant à
personne. Dans ce genre d’affaire, c’est courant. Les email, les sites, rien n’appartient à personne. C’est comme
enquêter dans un musée de cire...)
49. 22 SEPTEMBRE 2006
Cassette non numérotée et intitulée « le vrp / copie de
travail / non monté »
Ca n’est pas une cassette super-huit mais une cassette de
caméra vidéo professionnelle. La qualité de l’image est
comparable à du seize millimètres. De plus,
contrairement aux cassettes précédentes, il y a du son.
Premières séquences : l’image, flottante, la caméra est
portée, montre en gros plan le corps d’un homme
attaché à la croix. La croix est disposée à l’horizontale
dans le grenier vivement éclairé (mais les sources de
lumière, multiples étant donné qu’il n’y a presque pas
d’ombre, sont hors champ). La caméra explore en gros
plan tout le corps de l’homme, habillé. L’homme pousse
des cris, se débat mais il est attaché à la croix au moyen
de chaînes cadenassées ainsi que l’était quelqu’un
d’autre sur le film de la cassette numérotée 38. Le visage
de l’homme porte de multiples traces de coups. Il a l’œil
droit poché, le nez cassé, peut-être la mâchoire
fracturée. Cependant il trouve l’énergie de crier de
fureur, d’insulter plusieurs personnes, de cracher en
direction de la caméra. D’autres plans plus stables, filmés
à la manière de futurs plans de coupe, montrent à
diverses distance, filmé dans son ensemble ou de façon
détaillée, le portique en bois sculpté sur lequel sont
suspendus les outils en or, déjà vu dans la cassette
numérotée 37.
Séquences suivantes : une altenance confuse de plans
larges et de plans rapprochés, de zooms, de plans fixes
et de travellings à l’épaule, montrent de manière
fragmentée une action simple. Un homme encagoulé, le
même que celui qui sodomisait ou torturait sur certaines
cassettes précédentes, utilise une visseuse électrique
180
pour enfoncer trois longues vis aux extrémités latérales
et inférieures de la croix, dans les filetages prévus à cet
effet et à travers les poignets et chevilles de l’homme
qu’il crucifie. L’homme perd son sang en abondance,
cependant aucune artère n’est percée. On entend
nettement le cartilage brisé par la vis. On entend aussi,
bien entendu, des hurlements à divers degrés de
stridence et de volume selon les séquences. Le visage de
l’homme est déformé par la douleur. Il n’y a plus de
trace de colère.
Séquences suivantes : L’homme est crucifié mais encore
en vie. Il est couvert de sang, ainsi que le sol. L’homme
qui a enfoncé les vis essaie de soulever la croix pour
l’emmener en position verticale. C’est très dur. Il n’y
arrive pas. Au bout de plusieurs essais, couvert du sang
de sa victime, il abandonne. Tout au long de ses
tentatives, sa victime tentait de ne pas bouger, ou
d’accompagner les mouvements erratiques de son
bourreau en plein effort, probablement parce qu’à
chaque embardée que faisait la croix, soulevée ou
remise à terre, les vis fouillaient un peu plus la chair
qu’elles traversaient.
La séquence suivante est en plan fixe. La caméra,
simplement posée à terre, filme les deux hommes, le
bourreau et son complice (son complice est l’homme qui
se faisait sodomiser et torturer sur les cassettes
précédentes). Ils soulèvent la croix, et parviennent à
l’installer en station verticale puis à la hisser au-dessus
du sol pour enfin la planter dans son socle. L’ensemble
tangue un peu puis se stabilise. L’homme crucifié gémit
et laisse une piste de sang qui se mèle au flaques déjà
présentes au sol. Des gouttes épaisses recouvrent
rapidement le socle de béton gris dans lequel la croix est
fichée.
Séquences suivantes : on assiste à la mort de l’homme.
Des plans courts, tantôt larges tantôt rapprochés, il y a
même quelques close-up, qui couvrent de façon
fragmentaires les quelques heures d’agonie de l’homme.
Séquences suivantes : L’homme est mort. Son bourreau
à l’autre bout du grenier joue aux fléchettes en prenant
son corps pour cible. Sur douze fléchettes quatre
atteignent leur cible. Une au ventre, une à la cuisse, une
au front (mais elle rebondit contre l’os et retombe),
l’autre à la main juste à côté de la vis.
A suivre
181
christophe siebert
metaphysique de la
viande (épisode 1)
PREMIERE PARTIE
Le silence, on entendrait les mouches voler, s’il y avait
des mouches. Trois murs tapissés de lin, le quatrième
lambrissé de frêne et semé d’appliques comme des
meurtrières opalescentes, une moquette alternant larges
bandes coquille d’œuf et rayures crème, un plafond
blanc avec au centre un demi-globe en verre fumé, un lit
queen size tapi à ras du sol contre le mur lambrissé et
couvert d’une couette sable et de trois coussins blanc
cassé, en face deux hautes portes-fenêtres masquées de
rideaux plissés en coton écru encadrant un bureau en
frêne décoré d’une lampe de chevet à abat-jour carré et
blanc, au mur de gauche la porte d’entrée et une patère
en frêne, au mur de droite une penderie encastrée à
porte coulissante blanc mat avec une psyché sans cadre
et l’entrée de la salle de bain, deux escarpins Repetto en
cuir noir, de style charleston, à talons de neuf
centimètres, posés sur la moquette parallèles l’un à
l’autre et perpendiculaires au lit, une robe Ralph Lauren
en jersey noir à profond décolleté étendue sur la
couette, accompagnée d’un blazer bleu marine pour
femme sans un pli et de même marque, une paire de bas
Chantal Thomass en fine résille anthracite, enroulés et
posés sur les coussins, sous le bureau un sac de voyage
Vuitton en cuir brun, fermé, sur le bureau un sac
baguette Lancaster de couleur réglisse muni d’une
longue anse en chaîne et arboré de quatre pompons
noirs, au sol près de la porte de la salle de bain un
soutien-gorge et un string Nina Ricci, tous deux en tulle
noire brodée d’un motif floral et décorés de dentelle
ardoise, dans la salle de bain un lavabo, une baignoire,
un épais tapis de bain, les WC, tout ça immaculé, sec,
propre, lumineux, et une cabine de douche fermée qui
laissait entendre l’eau couler et rebondir et laissait voir
182
une ombre mouvante à travers le plexiglas translucide
envahi de fausses gouttes figées dans sa matière et de
vraies glissant à sa surface.
En emboutissant la serrure après un mouvement de
balancier, la boule en acier du bélier bâti comme un rail
et propulsé par trois CRS fit un bruit de marteau qui
percute une enclume et la porte craqua comme un arbre
abattu, vola en arrière, claqua contre un mur. Elle ouvrit
sur un hall réduit à l’état de carcasse. Tout était noir. Au
fond, à neuf ou dix mètres de l’entrée, un escalier
émergeait du noir et faisait face à la rue. Les hommes en
tenue de combat s’écartèrent et posèrent le bélier ;
d’autres prirent place et s’agenouillèrent, lance-grenades
à l’épaule. Aux ordres ils tirèrent. Les projectiles partirent
en cloche et s’abattirent au pied de l’escalier. Les
grenades éclatèrent. Il y eut un bruit mat et bref. En
plusieurs foyers une brume blanche gicla dans l’obscurité
et se répandit vite, effrayant des blattes qui se mirent à
courir en tout sens. Quinze CRS, combinaison pareballes, bouclier souple et transparent, longue matraque
noire, masque à oxygène, intensificateur de lumière,
visière baissée, envahirent le squat. Leurs semelles
écrasèrent les insectes en panique.
Après s’être resservi un verre, Claude Zecke reposa le
carafon. Il avala la moitié du verre. C’était un verre de
petite taille et de forme évasée, un genre de ballon. La
surface était grise à force de passages dans le lavevaisselle. Le vin était clair. Il sortit son carnet, fit défiler
les feuillets jusqu’à arriver à une page blanche, et nota
ceci, jetant des coups d’œil à ce qu’il avait
précédemment griffonné sur une serviette en papier :
SPIDERMAN
L’homme à Reigner
L’ohm a régné
L’homard est niais
L’eau, ma reine y est
Omar hait nier
Au marais, niais !
Oh ! Marraine ! Yeah !
Ho, ma raie niée
Il relut son poème. Il but un verre de vin, en but un
autre. Il rangea le carnet dans la poche intérieure de son
manteau, qui était accroché au dossier de la chaise. Il
attendit. Un moment après il se leva, enfila son manteau
et descendit en salle de repos. Il regarda d’un côté et de
l’autre. Il entra dans le vestiaire des filles, sortit un
cadenas de la poche gauche et s’en servit pour
183
s’enfermer dans la petite pièce. C’était une petite pièce
rectangulaire, aux murs blancs, au sol carrelé. Contre
l’un des grands murs il y avait un banc en bois. Contre
l’autre il y avait une série de casier fermés par des
cadenas à clé ou à combinaison. Sur le mur qui faisait
face à la porte, il y avait une ouverture qui donnait sur
une douche.
Jean-Jacques Népès tourna à gauche au croisement,
s’arrêta au feu rouge, repartit au vert, s’engagea dans la
rue et au bout de la rue il y eut sa maison flanquée
d’autres maisons. Il était en chemise et pantalon noirs à
235 euros l’ensemble, ceinture fine en cuir anthracite à
75 euros, cravate mauve rayée bordeaux à 75 euros
aussi, chaussures pointues noires à 225 euros, veste
noire à 135 euros. C’était la tenue préférée de sa femme.
Elle la lui avait offerte à Noël. Il avait employé une partie
des jours suivants à vérifier combien tout cela avait
coûté. Il était rasé de près. Ses cheveux étaient nets et
ses mains manucurées. Ses yeux fuyaient. Il avait
quarante-deux ans. Il conduisait une Toyota Aygo bleu
terne très propre à l’exception de quelques moucherons
écrabouillés sur le parebrise, près de la vignette
d’assurance. Sa femme avait quarante-sept ans. Elle
s’appelait Denise. Elle était proviseur de lycée. Elle
gagnait 3200 euros bruts par mois. Il peignait. Il ne
gagnait rien. Avant il était professeur. Il y a sept ans sa
femme l’avait encouragé à quitter l’enseignement pour
tenter de percer dans l’art. Ce fut un long débat. Il
n’aimait pas la solitude, n’aimait pas travailler à domicile,
n’aimait pas sa peinture, disait-il. Seul dans la maison il
était fréquent qu’il parle tout seul, qu’il pleure ou qu’il
hurle des insultes à son épouse. Ces moments
d’isolement étaient les seuls où il élevait la voix. Ils
avaient acheté la maison à crédit vingt ans auparavant et
terminé de payer cette année. Elle avait 210 mètres
carrés de surface habitable divisés en deux étages et sept
pièces. On y trouvait des murs et des tapis de couleurs
claires, des meubles Ligne Roset en ébène noir, bultex
rouge brique ou acier chromé, des reproductions de
Lichtenstein, Klein, Warhol, Soulages. Le jardin était
séparé du trottoir par un muret en pierre de taille de un
mètre de haut et une haie de deux mètres de haut en
fusain du Japon. Debout dans le jardin on ne voyait pas
la rue. C’était Denise qui avait choisi la haie. Lui aurait
préféré sans. Ils avaient discuté. Elle avait eu gain de
cause. Dans le jardin on trouvait un garage qui
communiquait avec la maison, des massifs de fleurs, des
arbres taillés, un barbecue en pierre, une table et quatre
184
chaises en teck, un chemin de gravillons et un autre de
dalles, une petite piscine. Ils vivaient là avec leur fille de
dix-sept ans, leur fille de quatre ans, leur chat de neuf
ans.
C’était un hôtel désaffecté depuis la fin des années
quatre-vingt. Les fenêtres étaient murées depuis huit ans
et depuis huit ans la lumière du jour n’avait pas pénétré.
Il y avait une cave où personne n’allait plus après qu’une
partie du plafond était tombée. Dans le hall, débris de
meubles, gravats provenant d’un comptoir en ciment et
vestiges de cloisons abattues étaient entassés sur les
côtés. Des planches étayaient l’ensemble et dégageaient
un chemin. Chaque étage comptait six chambres : deux
doubles plus salle de bain, deux doubles plus douche,
deux simples plus douche. Un étage sur trois avait l’eau
courante, deux sur trois l’électricité. Là où l’eau n’arrivait
plus, des plaques de plâtras, des débris de béton, des
planches, des vieux vêtements, des livres collés et moisis
remplissaient les WC, les douches et les baignoires, tout
ça figé dans la même teinte gris fer. Souvent de la
vermine en sortait, qu’il fallait écraser. Partout des
caillasses ou des morceaux de bois encombraient le sol
de ciment abîmé ; le plâtre et la peinture s’écaillaient au
plafond et couvraient tout d’un tapis de miettes. Le
mortier effrité déposait une suie grise sur les choses et
dans les poumons.
Zecke s’approcha d’un des casiers. Il sortit de la poche
intérieure de la veste qu’il portait sous son manteau un
segment de fil d’acier, qu’il utilisa pour ouvrir le cadenas
qui condamnait le casier numéro six. Cela lui prit une
quarantaine de secondes. Il rangea le fil et empocha le
cadenas. Il ouvrit le portillon. Le casier contenait un jean
taille basse décoré de papillons en paillettes, un
chemiser rose pale, une veste en jean et un sac à main
en faux cuir, noir, posé sur les vêtements. Il déplaça le
sac et prit le chemisier en faisant attention. Il le porta à
ses narines. Il sentit. Ca sentait le parfum. Il inspira fort.
C’était un parfum doux, élégant et fleuri. Il tenait le
chemisier d’une main. De l’autre il se tâtait la bite à
travers le jean. Il flaira pendant une demi-minute. Il
reposa le chemisier. Il sortit sa bite. Il était en érection. Il
ferma les yeux et commença de se masturber. Ensuite il
ouvrit les yeux et, se masturbant toujours, il alla à la
douche. Il s’accroupit au sol et se pencha en avant. Il
termina de se masturber. Il éjacula. Il se releva, se lava
les mains, reboutonna son pantalon et sa ceinture, rinça
le sperme à l’aide de la douche, retourna au vestiaire,
185
remis de l’ordre dans le casier, le referma, ouvrit et
récupéra son cadenas, ouvrit la porte du vestiaire, jeta
un œil, sortit.
La famille Abdou occupait les six chambres situées au
premier étage du squat. Ils étaient douze. Ils venaient de
Tunisie. Ils séjournaient illégalement en France. Les
femmes et les jeunes enfants mendiaient aux arrêts de
bus, les enfants plus âgés dealaient ou volaient à la tire,
les hommes trafiquaient des accessoires de voiture. Dans
leur pays ils avaient été menuisier, garagiste, pompier,
boucher, vendeur de chaussures. L’une des salles de
bain servait au stockage des autoradios, un des WC à
planquer la drogue.
Au deuxième étage les familles Charkaoui et Zibi se
partageaient les chambres doubles. Les Charkaoui
étaient huit. Les Zibi étaient trois. Ils venaient d’Algérie.
Ils séjournaient illégalement en France. Ceux qui avaient
plus de treize ans travaillaient au noir dans un atelier de
tissage de tapis, les autres trainaient. Dans leur pays ils
avaient été restaurateur, gérant de vidéoclub, infirmier
psychiatrique. Habib Yazidi occupait une chambre
simple. Il avait cinquante-trois ans. Il était réfugié
d’Afghanistan. Il avait été employé de banque. Son titre
de séjour avait expiré. Driss Elabkari occupait l’autre
chambre simple. Il avait dix-neuf ans. Il était Algérien. Il
avait été garçon de ferme. Un tribunal avait ordonné
qu’il soit reconduit à la frontière. Il faisait aussi l’objet
d’un mandat d’arrêt pour vol avec violence. Il avait tapé
un chauffeur-livreur à coups de barre de fer et pris son
camion pour aller à la mer.
Le troisième étage était le plus en ruines. Tous les murs
étaient écroulés et en trois endroits charpente et toiture
s’étaient effondrées. Pour boucher les trous on avait
tendu des couvertures qu’on avait fixées avec du ruban
adhésif marron, mais il fallait les remplacer chaque fois
qu’il pleuvait trop. L’hiver dernier tout avait moisi. Le
plâtre s’était dissous en plaques visqueuses, révélant des
colonies d’insectes. L’odeur s’était incrustée. Ici elle était
plus forte que le renfermé, la merde et la pisse qui
imprégnaient le reste du bâtiment. Il n’y avait que trois
occupants. Jose Embalo, seize ans, Espagnol, fugueur ;
Cyril Villagrassa, vingt-trois ans, Français, RMIste,
recherché par la police pour avoir participé à des
cambriolages ; Emmanuel Ombric, quarante ans,
Français, alcoolique, clochard.
La femme sortit de la douche et s’enveloppa d’une
serviette blanche brodée du monogramme de l’hôtel. Ses
186
cheveux noirs y coulaient comme des algues. Elle en fit
une natte qu’elle enroula d’une serviette plus petite et de
même couleur. Cela prolongea sa tête d’une corne
molle. Elle rangea ses vêtements dans la penderie. Elle
commanda à manger par téléphone. Elle parlait français
avec un accent anglais. Elle dîna allongée sur le lit. Son
repas se composa d’une salade de crudités, d’un verre
d’Evian et d’un yaourt nature. Elle pria pendant quinze
minutes, silencieuse, les yeux fermés, agenouillée contre
le rebord gauche du lit, les mains jointes. Elle se coucha
à vingt et une heures, éteignit la lumière, ferma les yeux.
Dix minutes plus tard sa respiration ralentit. Elle s’éveilla
à sept heures le lendemain, commanda par téléphone un
petit déjeuner continental d’une voix que la nuit n’avait
pas altérée, ne consomma du plateau que le thé et le jus
d’orange et laissa le toast beurré, le croissant, la pomme,
l’œuf coque et les mouillettes. Elle se doucha, s’habilla
comme la veille, se maquilla, vaporisa autour d’elle un
nuage de Coco Mademoiselle, sortit de la chambre. Le
taxi la laissa rue Emile Richard, devant la porte numéro
trois du cimetière Montparnasse. Elle entra. Elle avait un
plan à la main. Son attention se portait au plan et au
numéro des allées, pas aux tilleuls qui barraient les allées
de leurs ombres, pas aux tombes, pas à celle d’Aloycius
Bertrand dont elle n’avait sans doute jamais entendu
parler, pas aux quelques admirateurs recueillis devant.
Elle s’arrêta devant le tombeau de la famille Mallon, en
ruine depuis cinquante ans, de forme ogivale, percé d’un
vitrail brisé, parcouru de rouille, mauvaises herbes,
bestioles en tous genres qui aimaient l’humide. Ca
sentait le moisi, la pisse, le chien. Il y avait des tessons
de canettes, opaques à force d’être là, figés dans la
poussière qui figeait tout et pendouillait du plafond en
filets gris, des grappes de mégots confondus avec la
pierre, des graffitis délavés, des cailloux, de la terre, du
papier toilette sale, des journaux froissés, un préservatif
de la même couleur que le reste, des fleurs qui
tomberaient en poussière si on les touchait. La femme
marcha quelques pas au milieu des ordures qui ne
semblaient pas la gêner. Elle passa la main sur des
plaques de marbres et découvrit des noms. La pellicule
marron moutonna, s’effrita, remplit l’air. Henri Mallon
(1880-1952), Louise Mallon née Morlay (1884-1948),
Claude Mallon (1913-1940), Jacqueline Mallon née Rivel
(1916-1933), Norbert Mallon (1916-1922), Noémie
Mallon (1919-1940). Elle demeura une vingtaine de
minutes sans rien faire. Elle ne parla pas. Elle ferma les
yeux une partie de ce temps. Elle renifla, à cause de la
poussière peut-être ou bien d’une émotion.
187
Les Renault Master, Peugeot Boxer et Peugeot J5 de la
Police Nationale et des CRS étaient arrivé à cinq heures
quarante-cinq du matin. Ils s’étaient garé en partie dans
la rue Adolphe Thiers et en partie dans la rue Jules
Moch. Les deux rues, parallèles, étaient reliées
notamment par la rue Barbieri où se trouvait le squat.
Son accès était bloqué depuis l’arrivée des forces de
l’ordre. A cette heure-ci le quartier était silencieux. Entre
cinq heures quarante-cinq et six heures quinze, il passa
deux voitures, qui ralentirent et dont les conducteurs
observèrent le déploiement avec peu d’intérêt. Quelques
fenêtres s’allumèrent aux immeubles. On écouta peutêtre France-Inter, ou peut-être RTL, ou peut-être rien du
tout. Entre un lampadaire et un panneau de
signalisation, une araignée acheva de tisser sa toile. En
attendant les ordres, policiers et CRS avaient discuté et
bu du café gardé bien chaud dans des thermos qui
circulaient de mains en mains. Quelqu’un avait apporté
un petit poste et mis Rire et Chansons. Gardiens de la
paix et brigadiers souriaient de satisfaction en avalant le
liquide fumant. A six heures quinze le brigadier-chef
reçut l’ordre. Les lampadaires venaient de s’éteindre. Le
ciel devenait de moins en moins noir, de plus en plus
gris, à l’est des reflets roses et oranges donnaient du
relief aux nuages, mais personne ne s’en aperçut.
Elle flâna un moment dans le cimetière. Elle avait un
appareil photo numérique de la taille d’un paquet de
cigarette. Elle photographia des tombes et des arbres.
Elle photographia de loin le Génie du sommeil éternel et
des touristes qui se pressaient autour et le
photographiaient aussi. Elle photographia la Séparation
du couple dans les mêmes conditions. Il y aurait des
têtes et des dos sur toutes ces images. Elle sortit par la
porte principale et boulevard Quinet elle fut parmi la
masse des piétons et le bruit permanent des voitures et
des bus. Ca sentait l’essence. Elle contourna une énorme
merde de chien couverte de mouches bleues. Elle tendit
la main pour arrêter un taxi. Elle passa la journée dans
les magasins des grands boulevards. Elle acheta des
vêtements Ralph Lauren et des accessoires Christian
Dior et Louis Vuitton. Le lendemain elle sortit d’un autre
taxi au numéro soixante-seize de la rue Lafayette et
photographia avec abondance la façade et la porte. Elle
suivit quelqu’un qui entra et photographia le hall bien
propre, les boites aux lettres, la cour intérieure avec les
plantes dans des bacs vernis, l’escalier. A midi elle
déjeuna du poisson dans une brasserie. Tout autour
188
d’elle, le bruit. Elle but de l’Evian, refusa la carte des
desserts, accepta un thé. Elle passa l’après-midi au
musée du Louvre. Elle déambula beaucoup, regarda
peu.
La baby-sitter était allongée pieds nus sur un canapé
pourpre en forme de haricot. Elle regardait Reservoir
Dogs sur l’écran plasma. Le son était très bas. Quand
Jean-Jacques Népès ouvrit la porte elle se redressa et
appuya sur le bouton pause de la télécommande. Le
visage d’Harvey Keitel se figea en gros plan.
– Bonsoir ! Sandra est endormie. Elle a bien mangé, tout
va bien.
Elle sourit. Il fit de même, plus ou moins.
– D’accord, dit-il.
– Votre femme est à son cours de danse.
– Ma fille est sortie aussi ?
– Oui, elle dîne dehors.
– Ma femme t’a payée ?
– Non, elle a dit que vous le feriez.
– Bon.
Il sortit son portefeuille et adressa un regard interrogatif
à la jeune fille.
– Euh, bin ça fera quarante-cinq euros s’il vous plaît. Ca
fait deux heures que je suis là.
Il lui tendit deux billets de cinquante.
– Euh, vous vous êtes trompé je crois.
Elle sourit et lui rendit le deuxième billet. Il secoua la
tête.
– Non, non. Garde tout.
– Mais... je ne peux pas, c’est beaucoup trop...
– Laisse tomber, garde tout, tu t’achèteras des DVD
avec.
Il sourit mais ses yeux restèrent éteints. Sa voix était
dure. Leurs regards se croisèrent. Elle rougit. Il cessa de
sourire. Elle sourit avec embarras.
– Et bien... dans ce cas, euh, merci beaucoup, dit-elle.
C’est vraiment très généreux de votre part.
– Il faut que je te raccompagne ?
Elle parut surprise.
– Non, non, c’est bon, j’ai mon vélo, ça n’est pas la
peine.
Elle eut un sourire poli.
– Tu veux finir ton film ? demanda-t-il. Moi je vais me
coucher alors ça ne me dérange pas.
– Merci mais je crois que je vais y aller. Demain je me
lève tôt. J’ai un cours de socio.
Elle lui lança un regard décontenancé. Son visage à lui
resta triste et impassible. Tout en discutant elle s’était
189
levée et chaussée. Elle enfila son manteau et mit à
l’épaule une besace en laine de toutes les couleurs. Ils se
serrèrent la main. Népès referma la porte derrière elle
sans verrouiller, éteignit le lecteur DVD et l’écran
plasma, alla à la cuisine. Il but trois verres d’eau d’affilée,
après quoi il fut hors d’haleine. Appuyé au bord de
l’évier, il reprit son souffle en respirant avec bruit. Son
regard semblait préoccupé. Un moment, il regarda dans
la direction du lampadaire qui éclairait la rue. Une masse
de moucherons se pressait dans le halo.
– Et voilà, dit-il à voix haute, soufflant par le nez comme
un animal. Va te coucher, gros con. Sale con. Pédé.
Il s’enfila deux autres verres d’eau.
La porte enfoncée réveilla Farid Abdou. L’enfant
sursauta dans son lit de camp. Il se dressa, une
expression apeurée sur le visage, et commença de
pleurer au moment où les grenades lacrymogènes
éclatèrent dans le hall et réveillèrent les autres occupants
du premier étage et sans doute du reste de l’hôtel aussi.
Il appela sa mère. Son frère et sa sœur, qui occupaient
des lits de camps accolés au sien, pleurèrent à leur tour.
Khadidja Abdou eut une nausée. Depuis qu’elle était
enceinte cela arrivait souvent. Les CRS furent au
premier étage. Leur déplacement soulevait de la
poussière et réduisait les cafards en pulpe noire. Ils
matraquèrent les portes en gueulant de sortir. En bas la
voix du brigadier-chef portée et amplifiée par le
mégaphone donna l’ordre aux squatteurs d’évacuer les
chambres et de se regrouper dans le hall sans faire
d’histoire. Le gaz lacrymogène remonta l’escalier et
attaqua le couloir du premier étage. Les CRS grimpèrent
au deuxième. Le brigadier-chef répéta ses instructions.
Khadidja Abdou vomit dans la baignoire. Son mari
remplissait un sac de sport Décathlon. Ses enfants, son
père, son oncle et sa tante les avaient rejoint après s’être
habillés. Ils parlaient tous en même temps, vite et fort,
en Arabe et en Français. Leurs yeux brillaient
d’appréhension. Les CRS matraquèrent les portes du
deuxième étage. Driss Elabkari surgit de sa chambre en
slip. Il avait une pioche. Il avait l’air furieux. Il en donna
un coup au CRS qui ouvrait la marche. La pointe de la
pioche étoila le casque. Cela fit un bruit d’oiseau
percutant un pare-brise. Le CRS recula et abattit sa
matraque sur Elabkari, de toutes ses forces. Il cria
« Putain, le pédé ! ». La matraque tapa le côté du crâne
et s’écrasa sur l’épaule. Du sang gicla de la tête de
l’homme et son épaule s’affaissa bizarrement. L’homme
cria bref, lâcha sa pioche, tomba. Les CRS
190
l’enjambèrent. Le brigadier-chef répéta ses instructions
au mégaphone. Des bruits de toux montèrent du
premier étage et du hall. Habib Yazidi, qui avait l’air
triste et découragé, aida Elabkari à se relever. Les autres
occupants de l’étage se dirigèrent vers l’escalier envahi
de fumée. Eux aussi avaient l’air découragé. Quelquesuns semblaient en colère. Tout le monde marchait vite,
certains avaient des sacs de sport, d’autres des valises,
d’autres des sacs Lidl ou Ed remplis de vêtements et
d’objets de première nécessité. Des phrases brèves
fusaient en Arabe, sur un ton de hargne et d’indignation.
Elabkari perdait beaucoup de sang. Son visage était
affaissé. Yazidi et lui descendirent les marches ensemble
et après les autres. Elabkari avait du mal à conserver son
équilibre. Il avait les pieds nus. Il parlait mais Yazidi ne
répondait pas. Le porte-voix qui répétait la même
phrase, les coups de matraque tambourinés aux portes,
les bousculades, les pleurs, les cris, la toux, créaient une
importante confusion. Les CRS furent au troisième
étage. Villagrassa et Embalo avaient déjà quitté leurs
chambres. Il regardèrent avec tension les CRS
approcher. Villagrassa finissait d’enfiler son pantalon et
Embalo laçait ses chaussures. Les CRS les prirent et les
poussèrent vers l’escalier en leur gueulant de se magner
le cul et de descendre. Le Français cria ; l’Espagnol
perdit une chaussure et jura en espagnol. Ils coururent
en bas. Les CRS pénétrèrent ensuite dans ce qui restait
des chambres. Emmanuel Ombric dormait à côté de
deux bouteilles de vodka vides et d’un matelas qui puait
la pisse. Il était gras et nu comme un phoque. Ils le
réveillèrent à coups de pieds dans les côtes et les
cuisses. Il dit quelque chose d’incompréhensible et
vomit et un CRS le frappa d’estoc à la bouche avec
l’extrémité de sa matraque, qui ripa sur une dent. La
bouche pleine de sang et de vomi Emmanuel se hâta à
quatre pattes vers le fond de la pièce, vers un carton
rempli de cassettes vidéos. On l’attrapa et on le battit.
Ses souillures firent des traînées sur son cou et son
ventre. Il ne se défendit pas. Il cria et sanglota. On lui
ordonna de s’habiller. On lui lança ses vêtements, qui
étaient entassés sur le lit. Il s’habilla. Il n’essuya pas le
sang ni le vomi sur son corps. Ensuite on le prit et on le
jeta vers l’escalier. Il trébucha, tomba, roula jusqu’en
bas, se rétablit et tituba jusqu’au rez-de-chaussée. Il
s’arrêta une fois en chemin pour vomir encore. Les CRS
descendaient derrière lui et vérifiaient vivement que les
chambres étaient vides. Au deuxième étage il n’y avait
plus personne, au premier non plus.
191
Zecke consulta sa montre. Il était vingt-trois heures. Il
remonta dans la salle. Des clients venaient d’arriver. Il les
observa. Ils chargeaient leur plateau avec les entrées.
C’était un couple. L’homme était vêtu d’une veste de
cuir, d’un pull gris en laine et d’un jean usé aux genoux,
la femme portait une jupe plissée rouge qui arrivait sous
les genoux, des bas noirs, des ballerines noires, un teeshirt ou un débardeur noir à paillettes blanches, un gilet
de coton rouge qui s’effilochait un peu. L’homme avait
posé sur son plateau une assiette qui contenait une
tranche de pâté en croûte, une rondelle de tomates,
deux cornichons taillés en fleur ; la femme avait posé sur
son plateau une assiette de céleri rémoulade. Ailleurs un
enfant expliquait à sa mère qu’il avait vu une abeille dans
la salade. Il pleurait.
Désormais il se passait surtout ceci dans la vie de
Zecke : il buvait du vin à Flunch et se nourrissait peu.
Mais avant que sa vie s’étrécisse de la sorte il avait des
activités. Il travaillait, avait une femme, des enfants, une
maîtresse avec qui il lui arrivait de coucher. Un soir il se
passa ceci, qui modifia notablement le cours de sa vie :
une minute après avoir joui il se détacha de Lydia et se
leva du lit.
La pièce sentait le sexe et le graillon. La lueur des
lampadaires, trois étages plus bas, traversait la poussière
de l’unique fenêtre donnant sur la rue et fournissait le
seul éclairage. On se serait cru sous le plafonnier d’une
voiture arrêtée quelque part en pleine nuit. Lydia resta
allongée sur le dos et ramena sur elle le drap et la
couverture pelucheuse vert bouteille. Elle tendit un bras
hors du lit pour attraper un rouleau de papier toilette
posé par terre non loin d’un tabouret servant de support
à une lampe de chevet éteinte. Elle déchira quelques
feuilles roses et ornées de fleurs en filigrane, avec quoi
elle s’essuya la chatte. Elle abandonna les feuilles roulées
en boule sous le tabouret, près d’un radioréveil envahi
par une pile de numéros de Voici, Téléstar et Femme
actuelle. Zecke, une goutte s’arrondissant au méat, frotta
le gland contre sa cuisse et enfila un slip rouge sombre.
Il alla dans l’autre pièce et ouvrit le Frigo dans le noir, de
sorte que seule la veilleuse de l’appareil l’éclaira,
donnant à sa peau une teinte jaune et cireuse. Il
s’accroupit sur la pointe des pieds, une main accrochée à
la porte et l’autre appuyée sur sa cuisse. Il avait un
regard perplexe en face d’une clayette qui supportait un
camembert premier prix et un paquet de jambon blanc
Auchan entamé. Il évoquait une installation d’art
contemporain, une chose morte, une version kitsch du
Penseur de Rodin. Une odeur de viande flottait dans la
192
pièce.
– Il est où le Coca ?
– Y’en a plus, on l’a terminé tout à l’heure.
– Merde, et y’a même pas de jus de fruit.
Il ferma le Frigo trop fort. Quelque chose tinta à
l’intérieur.
– Putain, tu aurais pu me le dire, je serais descendu en
chercher. Maintenant, c’est trop tard, l’Arabe est fermé.
Il se leva, se retourna et alluma le tube au néon installé
au-dessus de l’évier. L’éclat blanc et dur lui fit plisser les
yeux. L’égouttoir était vide. Dans l’évier il y avait deux
assiettes contenant quelques coquillettes, des brins de
fromage râpé, des traces de moutarde et des débris de
viande hachée, des fourchettes, des couteaux, des verres
Nutella (sur l’un d’eux s’accrochaient encore des
lambeaux d’étiquette), une poêle à frire, une casserole en
aluminium remplie d’eau et de quelques coquillettes et
une écumoire en plastique orange pale. Il considéra tout
cela un instant en se grattant les couilles à travers l’étoffe
synthétique de son slip puis il prit les deux verres qu’il
secoua au-dessus de l’évier. Quelques gouttes de vin
rouge firent comme des trainées de sang sur la vaisselle
et l’émail. Zecke éteignit le néon. Dans la rue il y eut des
rires forts ; quelques instant plus tard il y eut
simultanément un bruit de moteur qui démarre et un
éclat de phares qui traversa le verre gras de la fenêtre à
côté de l’évier, glissa sur le visage pensif de l’homme,
mourut au plafond et révéla un instant des points noirs
qui pouvaient être des moucherons endormis. Zecke
revint dans la chambre, les deux verres serrés entre les
doigts de sa main gauche.
Lydia alluma la lampe de chevet. L’ampoule de quarante
watts diffusa à travers l’abat-jour terni par le tabac une
lumière qui paraissait chargée de cendres. La femme,
assise en tailleur, couverture tendue entre les cuisses,
commença à rouler une cigarette. Des brins de Pall Mall
tombaient sur la couverture. Un cendrier circulaire noir,
avec l’inscription Martini en rouge sur fond blanc qui se
répétait sur tout le tour, était posé dans son giron. Il était
rempli de cendres et de mégots.
A suivre
193
olivier allemane
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