1803… Quand Fribourg était capitale de la Suisse
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1803… Quand Fribourg était capitale de la Suisse
1803… Quand Fribourg était capitale de la Suisse C’est sous ce titre appelé à titiller la curiosité de tout à chacun que la Médiathèque Jacques Baumel de Rueil-Malmaison nous accueille pour une exposition conçue par l’historien francosuisse Alain-Jacques Czouz-Tornare, collaborateur aux Archives de la Ville de Fribourg chargé de seconder les activités du Musée franco-suisse de Rueil-Malmaison. Napoléon Bonaparte, avant d’être l’empereur conquérant, celui qui a inspiré une bonne centaine de milliers d’ouvrages, ce héros superstar d’innombrables long-métrages et de superproductions télévisées, fut le « Médiateur de la Confédération ». Pourquoi s’est-il tant intéressé à un si petit pays, allant jusqu’à lui consacrer plus de temps qu’à n’importe quel autre dossier à l’époque? Le règlement du problème suisse est-il le fruit d’un caprice de Bonaparte ou réalise-t-il tout simplement des projets ancestraux des rois de France ? De quoi s’agit-il ? Au XVIIIe siècle, la Ville-Etat de Fribourg en Suisse jouit des faveurs de la Cour et d’un grand prestige en France, pour sa position stratégique, ses fromages réputés et ses fameux soldats si appréciés des souverains français. Fribourg, la ville « francophone » la plus au cœur de la Suisse, mais la plus proche du cœur des Français, dirigeait un canton connu pour être alors le plus lié à la France. De là à envisager Fribourg comme capitale de la Suisse, il n'y a qu'un pas, franchi précisément et allégrement en 1803 par le Premier Consul Napoléon Bonaparte lorsqu’il choisit Louis d’Affry (1743-1810) pour être le premier Landamman de la Suisse. Cette exposition est l'occasion de rappeler comment la Cité des Zaehringen, fondée en 1157, ville-pont entre les différentes cultures du pays, est devenue sous Napoléon Bonaparte « cheflieu de canton directeur », et de ce fait, première capitale tournante de la Confédération moderne. Fribourg sera à nouveau le centre de gravité de la Suisse en 1809. La période dite de Médiation (1803 – 1813/1814) a été occultée dans l'historiographie nationale suisse. Elle passe encore pour une période intermédiaire sans conséquence, simple parenthèse entre l'Ancien Régime et la Restauration. Or, en restructurant de force la Suisse, en rééquilibrant le poids de ses différentes composantes et en établissant l'égalité de droit entre les cantons et les anciens territoires sujets ou alliés, la République Helvétique d’abord, mais surtout le temps de la Médiation – en raison de sa longévité et de sa stabilité – ont posé les fondements solides de l'Etat fédéral tel qu'il parviendra à s'imposer en 1848. Fribourg aux frontières des langues contribua puissamment à donner tout son sens à une Suisse enfin plurilingue en 1803 (Avec Vaud et le Tessin certes, mais en qualité de seul canton majoritairement francophone de l’ancien Corps Helvétique des XIII Cantons). En quoi consiste l’exposition ? Cette exposition nous montre pourquoi Fribourg en Suisse, à ne pas confondre avec Fribourg en Brisgau, fut appelée à devenir la première capitale annuelle et tournante de la Suisse de 1803. Ce printemps 2005, le public est invité à se familiariser avec le Fribourg de la Médiation (1803-1814), ce « lieu idéal pour recommencer la Suisse », grâce à une exposition originale à voir à la Médiathèque Jacques Baumel de Rueil-Malmaison. Cette exposition se compose d’une vingtaine de panneaux relatant les relations franco-suisses au temps de Napoléon et les raisons pour lesquelles la petite ville des bords de la Sarine a pu devenir l’épicentre politique de la Suisse. Elle a été augmentée d’un volet introductif rueillois afin d’évoquer l'importance des relations entre les deux cités ainsi que le rôle joué par Rueil lors de la création de la Confédération suisse des XIX cantons. Le choix de cette cité est hautement symbolique dans la mesure où Fribourg est précisément jumelée avec RueilMalmaison pour des raisons historiques. C’est en ce lieu qu’a été créé en 1999 le Musée franco-suisse dans un des pavillons d’entrée de la dernière caserne, toujours debout, qui abrita les célèbres Gardes-Suisses, dont un grand nombre de Fribourgeois qui, parfois, firent souche autour de Paris. C’est des entretiens de la Malmaison que sortit, en mai 1801, le projet de constitution helvétique dit de la Malmaison qui servira de matrice aux constitutions futures de la Suisse. Ainsi faut-il voir en Rueil, un grand lieu de mémoire de la présence helvétique en général, et fribourgeoise en particulier. Cette exposition interpelle le visiteur en ce sens qu’elle explique comment Fribourg sut tirer parti d’une situation a priori inconfortable, à savoir son quasi-enclavement dans le canton de Berne, pour en faire un atout de premier ordre. L’exposition « 1803…Quand Fribourg était capitale de la Suisse » et la plaquette éponyme d’une quarantaine de pages rédigée par le concepteur de l’exposition, font la synthèse de plusieurs années de recherches sur le sujet. Ces découvertes ont de quoi surprendre jusqu’à ceux qui pensaient connaître l’histoire de la Suisse, perçue ici sous l’angle particulier de ses rapports privilégiés, et pas toujours reconnus, avec la France. Qui aurait eu l’idée jusqu’à présent de faire du Premier Consul le concepteur du fédéralisme suisse tel que nous l’entendons ? Comment est-ce possible ? Comment en est-on arrivé là ? Que s’est-il passé ? Que reste-t-il de cette époque étonnante ? On y découvrira, notamment, un rappel des dates marquantes des relations franco-suisses, une mise en perspective de Fribourg, « l’ami de trois siècles » de la France, quelques événements clés du parcours du Landamman Louis d’Affry, seul homme politique suisse d’alors à posséder une dimension internationale. La loyauté de cet homme d'épée et plus encore de Cour l'a fait remarquer du général Bonaparte, d’où l’évocation de sa rencontre avec ce dernier à l’ossuaire de Morat. L’exposition présente bien entendu l’Acte de Médiation : l’acte de naissance devrait-on dire de la Confédération suisse moderne. Il faut retenir ici la mise en exergue des relations franco-suisses elles-mêmes. Plus que par de longs discours, c’est via l’image, en l’occurrence une carte originale créée de toutes pièces pour la circonstance, que l’historien nous montre l’épée de Damoclès autrichienne qui pèse en permanence durant les temps modernes sur le Corps Helvétique, l’obligeant à se rapprocher d’une France beaucoup moins menaçante. Une autre carte nous montre le quasi-enclavement de Fribourg dans le canton de Berne, lequel entraîne le rapprochement obligé avec une France faisant office de contrepoids. C’est ainsi que la France fut appelée à régler les problèmes insurmontables que rencontraient les Confédérés à l’aube du XIXème siècle et que Fribourg, formidablement positionné sur la carte de la Suisse, devint l’interlocuteur privilégié de Bonaparte en la personne de Louis d’Affry issu d’une famille traditionnellement attachée à la France. D’où la place significative accordée à cette famille dans le cadre de cette exposition. Cela tombe d’autant mieux en la circonstance que Louis d’Affry avait été en son jeune temps un officier qui commandait une compagnie de Gardes-Suisses, casernée justement à Rueil ! Après leur visite, certains se demanderont pourquoi le canton n’a pas élevé une statue à un si digne représentant… Peut-être parce que ce dernier avait la mine plus austère qu’un protestant genevois répondront les observateurs taquins, qui se plairont à relever le contraste visuel saisissant entre le Landamman et son père Auguste Augustin d’Affry, administrateur des troupes suisses jusqu’en 1792, représenté dans un habit somptueux faisant ressortir son élégance un brin cynique et sa physionomie de bon vivant décidé à tout entreprendre afin de préserver la bonne entente franco-helvétique. Les derniers panneaux constituent la partie la plus intéressante et la plus novatrice de l’exposition. L’auteur crée une interface entre 1803 et l’époque contemporaine, non seulement en nous montrant tout ce que nous devons à cette période fondatrice et féconde, mais surtout en interrogeant le temps présent. A titre d’exemple citons la constitution fribourgeoise, dont la première mouture a été rédigée à Paris en 1803 ou ce rôle de trait d’union entre les Suisses que Fribourg peine aujourd’hui à valoriser. L’exposition montre que Fribourg avant d'être un canton marginal en quête d'une nouvelle identité a pu être une fois dans son existence un canton-phare de la Suisse en raison de facteurs qui existent toujours mais que l'on ne se donne pas suffisamment la peine de redécouvrir. L’exposition montre en filigrane l’impossibilité pour la Suisse de faire abstraction de son environnement européen. La Suisse entière, confrontée aux grands défis de la construction européenne, devrait s’interroger aujourd’hui sur la signification présente et l’actualité de la Médiation, dont l’étude permet de tirer cette leçon : Quand la Suisse est dans l’incapacité de se transformer par elle-même, c’est de l’extérieur que s’impose le changement. Ainsi, ce fédéralisme et ce goût du consensus si inhérents à la nature suisse ont été conceptualisés par Napoléon Bonaparte. Ce que le Premier Consul a si bien conçu en son temps, les Suisses du XXIe siècle ne pourraient-ils pas lui redonner sens, compte tenu de l’évolution du monde et de l’Europe en particulier? La brochure reprend exactement les textes et les illustrations de l’exposition, avec cependant un bonus de taille : la partie intitulée « Des jugements contradictoires sur la Médiation » qui montre l’évolution des avis sur la Médiation et surtout que les événements passés sont toujours perçus à l’aune de nos préoccupations présentes. Quant aux « Regards pluriels sur la Médiation », ils se veulent un face à face entre partisans et détracteurs de Napoléon Bonaparte et de ses apports à la Suisse moderne. Emblématiques de ce débat, la mise en parallèle de textes de Pascal Couchepin, Président de la Confédération en 2003, avec les réflexions du journaliste et historien Gérard Delaloye. Selon le premier, grâce à l’Acte de Médiation « la Confédération a pu sortir de l’immobilisme. Toute cette période de turbulences, dominée par l’influence française, a été bénéfique. (…) Le futur Napoléon Ier a en quelque sorte assuré notre indépendance, notre neutralité et notre fédéralisme. » En réponse à la profession de foi du Conseiller fédéral, G. Delaloye déclare: « La Suisse de 1803, je le répète, était un Etat croupion complètement dominé par la France, occupé militairement par les troupes françaises, dépourvu de toute indépendance et même de gouvernement. Rien qui puisse correspondre au grand mythe helvétique des monts indépendants. Ni à celui de la Suisse libre et souveraine. » Que les choses soient claires : Il ne s’agit pas ici de porter aux nues une période particulière de l’histoire suisse ou de vanter outre mesure les mérites de Napoléon Bonaparte. Cette brochure n’a d’autre objectif que de permettre à tout à chacun de (re) découvrir une période méconnue qui mérite qu’on se la réapproprie, compte-tenu du contexte environnemental dans lequel nous évoluons en ce début de XXIe siècle. Ce travail se veut équitable, et si les aspects positifs sont mis enexergue, c’est parce que jusqu’à présent, ce sont surtout les éléments négatifs qui ont été présentés au public. Indéniablement, l’Acte de Médiation, cette œuvre de Napoléon Bonaparte, a eu un impact considérable et fondamental pour la Confédération. Faut-il aujourd’hui encore le déplorer ? Ou se réjouir que quelqu’un ait fait le travail de reconstruction de l’Helvétie à la place des Suisses eux-mêmes ? Vaut-il mieux faire comme si de rien n’était et nier tout apport extérieur à la formation de la Suisse moderne ? Au visiteur et au lecteur de découvrir à travers ces pages confrontées à d’autres où se niche la vérité historique. L’auteur de l’exposition Alain-Jacques Czouz-Tornare, à qui l’on doit le concept de « Suisse Nation-Etat de l’extérieur », avait eu l’occasion de faire état des résultats de ses investigations dans l’entretien accordé à Chantal Tauxe, sous le titre « Napoléon est le vrai père de la Suisse », pour le dossier spécial : « Napoléon, le faiseur de Suisse/Napoléon père de la Suisse. Les historiens réhabilitent l’influence française », paru dans L’Hebdo du 24 juillet 2003. Rappel des faits : 1789-1798: la Révolution française chahute l'Europe, mais épargne la Suisse. 1798-1802: la Révolution helvétique renverse le croulant édifice du Corps helvétique et crée une Suisse moderne sur le modèle unitaire: la République helvétique. Mais sa consolidation est compromise par la guerre européenne qui transforme la Suisse en champ de bataille. Automne 1802: une guerre civile, encouragée en sous-main par les ennemis de la France (Grande-Bretagne, Autriche), éclate entre partisans et adversaires du nouveau régime. Deux armées suisses s'affrontent. La République helvétique s'effondre et la Suisse est menacée de disparition. Bonaparte, Premier Consul, intervient et propose sa médiation, acceptée par les deux camps qui envoient à Paris leurs délégations. Décembre 1802 – janvier 1803: la Consulta – "conférence" en corse – permet la mise en place, au terme de longues négociations, d'institutions nouvelles fondées sur une modernisation en profondeur du fédéralisme archaïque d'autrefois. 19 février 1803: l'Acte de Médiation, le chef d’œuvre de Napoléon Bonaparte, comportant 19 constitutions cantonales – 13 anciens cantons dont Fribourg et 6 nouveaux, soit St-Gall, Grisons, Argovie, Thurgovie, Tessin et Vaud – ainsi qu'un Acte fédéral faisant fonction de constitution commune - est signé par toutes les parties en présence. Fribourg est choisie comme première capitale tournante. 27 septembre 1803 : Signature de la dernière alliance entre la Suisse et la France et de la « capitulation militaire » prévoyant l’engagement de 16’000 soldats répartis sur quatre régiments. L’exposition « 1803…Quand Fribourg était capitale de la Suisse », est à voir à l’espace exlibris de la Médiathèque de Rueil-Malmaison jusqu’au 24 avril 2005. Elle sera officiellement inaugurée le 8 avril. La brochure qui accompagne l’exposition pourra être obtenue sur demande à la réception de la Médiathèque ou au Musée franco-suisse de Rueil-Malmaison. Cette brochure est à télécharger gratuitement sur le site internet de la Bibliothèque Cantonale et Universitaire de Fribourg (BCU) : www.fr.ch/bcu ou sur le site de la ville de Fribourg : www.fr.ch/villefribourg/ Un jumelage hors des sentiers battus La dimension historico-culturelle tient une place primordiale dans le jumelage établi le 10 octobre 1992 entre la ville des bords de la Sarine et celle des bords de la Seine. Concrètement, la Ville de Fribourg a soutenu la création dans le pavillon d'entrée de l'ancienne caserne des gardes du musée franco-suisse, unique établissement de ce type en France, inauguré le 9 novembre 1999. La Ville de Fribourg a également apporté une aide scientifique à la mise sur pied du Centre de recherches et de documentation, chargé de collecter des documents et de transmettre des informations sur les Suisses au service de France. De plus, divers articles ont été fournis à la Gazette des Amis du Musée franco-suisse, organe de liaison de l’Association. Parmi les projets d’avenir, évoquons la création d'une salle fribourgeoise, laquelle devrait mettre en valeur le Pays de Fribourg en Ile-de-France, et dont la présente exposition pourrait fournir les bases. A relever également que les traditionnelles relations plus spécifiquement liées à un jumelage sont naturellement présentes, comme les échanges réguliers d'élèves, de sportifs ou de musiciens, sans omettre les rencontres entre philatélistes. Le 4 juillet 2003, alors que les festivités du bicentenaire de l’Acte de Médiation battaient leur plein à Fribourg, la « Terrasse de Rueil-Malmaison » y a été inaugurée, en présence du maire de Rueil, à l’occasion du dixième anniversaire du jumelage entre les deux villes. Cet espace, au centre même de la cité, témoigne de la profonde amitié entre Rueillois et Fribourgeois, unis par un « jumelage du cœur » selon l’heureuse formule de Jacques Baumel. Gageons que les deux villes seretrouveront à nouveau pour fêter ensemble le 850e anniversaire de la fondation de la cité des Zaehringen en 2007.