MVOGO JEAN PAUL THESE - Base Institutionnelle de
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MVOGO JEAN PAUL THESE - Base Institutionnelle de
UNIVERSITE PARIS DAUPHINE Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Définition‐ Enjeux‐ Réalités et propositions THESE pour l’obtention du titre de Docteur de l’Université Paris Dauphine en Sciences économiques présentée et soutenue publiquement par JeanPaul MVOGO Directeur de recherche : Joël METAIS Professeur, Université Paris Dauphine Membres du jury : Monsieur Thierry CHAUVEAU Professeur émérite, Université Paris I Sorbonne Monsieur Régis BLAZY le Rapporteur Rapporteur Monsieur Marc RAFFINOT Suffragant Monsieur Joël METAIS Directeur de thèse Professeur, Université et IEP de Strasbourg Professeur, Université Paris Dauphine Professeur, Université Paris Dauphine Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 2 UNIVERSITE PARIS DAUPHINE Doctorat de Sciences Economiques __________________ Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Définition- Enjeux- Réalités et propositions Thèse pour l’obtention du titre de Docteur en Sciences économiques présentée et soutenue publiquement par Jean-Paul MVOGO Directeur de recherche : Joël METAIS Professeur, Université Paris Dauphine Ecole doctorale de Dauphine LEDa (Laboratoire d'Economie de Dauphine) Membres du jury : Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 3 A l’Afrique, ma Terre, Et parce que cette Terre vous donne toujours plusieurs mères, merci Angélique, merci Rose. Femme noire, femme africaine, Ô toi ma mère, je pense à toi... Ô Daman, ô ma Mère, Toi qui me portas sur le dos, Toi qui m'allaitas, toi que gouvernas mes premiers pas, Toi qui la première m'ouvris les yeux aux prodiges de la terre, Je pense à toi. Ô toi Daman, Ô ma mère, Toi qui essuyas mes larmes, Toi qui me réjouissais le cœur, Toi qui, patiemment, supportais mes caprices, Comme j'aimerais encore être près de toi, Etre enfant près de toi ! Femme simple, femme de la résignation, Ô toi ma mère, je pense à toi. Ô Daman, Daman de la grande famille des forgerons, Ma pensée toujours se tourne vers toi, La tienne à chaque pas m'accompagne, Ô Daman, ma mère, Comme j'aimerais encore être dans ta chaleur, Etre enfant près de toi... Femme noire, femme africaine, Ô toi ma mère, Merci, merci pour tout ce que tu fis pour moi, Ton fils si loin, si près de toi. Camara Laye, L’enfant Noir Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 4 REMERCIEMENTS Le chemin est long du projet à la chose Molière Rédiger cette thèse a été un processus long. Au terme de ce parcours, je tiens à remercier pour leur soutien et contribution plusieurs personnes sans lesquelles cet exercice n’aurait pas été possible : Mes remerciements vont tout d’abord à mes professeurs qui, avec patience et application, ont su me transmettre leur savoir et passion. Je tiens tout particulièrement à témoigner de ma profonde gratitude à mon directeur de thèse, le Professeur Joël METAIS, pour son aide et ses précieux conseils. J’associe également à ces remerciements le Professeur Jérôme SGARD, pour les intuitions glanées tout au long de son enseignement sur les crises financières, et le Professeur Sophie MERITET pour son excellente introduction à l’économie de la concurrence. Ma sollicitude va aussi aux membres de l’équipe pédagogique du DEA 106 et à sa secrétaire, Madame Corinne VIRIQUE, ainsi qu’aux personnels du Service des Thèses pour leur gentillesse (notamment Monsieur Bruno BALBASTRE). Cette thèse de doctorat est aussi le fruit de différentes expériences au sein de la Société Générale des Banques du Cameroun (SGBC) et de l’Agence française de Développement (AfD). Elles ont été l’occasion de découvrir les systèmes financiers des pays en développement et de développer de précieuses intuitions. Je tiens, par conséquent, à témoigner toute ma reconnaissance aux personnels de ces institutions et plus particulièrement à Messieurs Grégoire Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 5 CHAUVIERE LE DRIAN et Nicolas MEISEL, respectivement économistes au sein du Département Banques et Marchés financiers et du Département de la Recherche. Tout en assumant seul la responsabilité de toute erreur contenue dans cette thèse, je tiens, par ailleurs à associer à ce travail Francis ZE AKONO, Jean-Marie MVOGO et Matthieu BOUSSICHAS pour leur relecture attentive et précieuse. Au final, je tiens à remercier ma famille et mes amis pour m’avoir accompagné tout au long de ce cheminement. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 6 SOMMAIRE REMERCIEMENTS .................................................................................................................................... 5 SOMMAIRE .............................................................................................................................................. 7 LISTE DES ABREVIATIONS ...................................................................................................................... 14 INTRODUCTION ..................................................................................................................................... 16 PARTIE I SYSTEMES FINANCIERS EFFICIENTS ET DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ............................. 27 Introduction....................................................................................................................................... 28 Chapitre 1 Les vertus microéconomiques de systèmes financiers efficients et développés ........... 30 Introduction ................................................................................................................................... 30 Section I – systèmes financiers subsahariens efficients et amélioration des interactions entre agents economiques ..................................................................................................................... 31 §1- La facilitation des échanges de biens et services ............................................................... 32 §2- L’action en faveur de la mobilisation de l’épargne ............................................................. 33 §3- Les intermédiaires financiers comme financeurs de projets et créateurs d’information .. 34 §4- Des acteurs précieux en matière de gestion du risque ....................................................... 36 §5- Une action décisive sur la gouvernance des entreprises .................................................... 36 Section II – Systèmes financiers efficients et capacité des ménages à faire face aux chocs macro et microéconomiques.................................................................................................................... 38 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 7 §1- La relation générale entre système financier efficient et résilience aux chocs économiques. ............................................................................................................................ 38 §2- Le lien entre intermédiation financière, le travail des enfants, le niveau de scolarisation et l’amélioration de l’accès aux soins de sante ............................................................................. 40 Conclusion ..................................................................................................................................... 42 Chapitre 2 Systèmes financiers efficients et croissance................................................................... 44 Introduction ................................................................................................................................... 44 Section I - La controverse théorique autour du lien finance-croissance et l’apport des modèles de croissance endogène ................................................................................................................ 45 §1- L’approche néoclassique et les travaux fondateurs sur le lien croissance-finance ............ 45 §2-Les modèles de croissance endogène clarifient les canaux par lesquels des systèmes financiers influent sur la croissance .......................................................................................... 48 Section II - Eléments empiriques faisant de systèmes financiers efficients un pre-requis a la croissance en Afrique .................................................................................................................... 51 §1- Le recours à l’épargne locale comme alternative à la faiblesse des flux de financements extérieurs................................................................................................................................... 52 §2- Différentes études économétriques attestent de la relation finance/croissance en Afrique subsaharienne ........................................................................................................................... 54 Conclusion ..................................................................................................................................... 62 Chapitre 3 Systèmes financiers et réduction de la pauvreté ........................................................... 63 Introduction ................................................................................................................................... 63 Section I – La controverse théorique autour du lien entre système financier et pauvreté .......... 64 §1 - Le lien entre inégalités, pauvreté, croissance et politique financière............................... 64 §2 - Les théories postulant une relation positive entre systemes financiers EFFICIENTS et réduction de la pauvreté ........................................................................................................... 66 §3 - Les théories postulant une intermediation financiere source d’ appauvrissement .......... 68 Section II - études empiriques et contribution positive du système financier à la réduction de la pauvreté ........................................................................................................................................ 70 Conclusion ..................................................................................................................................... 71 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 8 Conclusion ......................................................................................................................................... 73 PARTIE II LE FAIBLE DEVELOPPEMENT FINANCIER DES PAYS SUBSAHARIENS ..................................... 75 Introduction....................................................................................................................................... 76 Chapitre 4 Une nouvelle méthodologie d’analyse du développement financier ............................ 79 Introduction ................................................................................................................................... 79 Section I – Les différentes dimensions du développement financier et les indicateurs permettant de mesurer leur essor.................................................................................................................... 81 §1-La profondeur ou taille du système financier ...................................................................... 81 §2-Diversité du secteur financier ou complétude ..................................................................... 82 §3-Rentabilité - Stabilité ............................................................................................................ 86 §4-L’efficacité ............................................................................................................................ 88 §5-L’accessibilité........................................................................................................................ 88 §6-Les institutions d’appui ........................................................................................................ 91 §7-Ouverture du système financier .......................................................................................... 93 Section II - Vers une typologie des systèmes financiers subsahariens.................................... 94 §1- Définitions et méthodologie ............................................................................................... 94 §2- Premiers résultats ............................................................................................................... 98 Conclusion ................................................................................................................................... 100 Chapitre 5 Des systèmes financiers peu profonds et faiblement diversifiés ................................. 101 Introduction ................................................................................................................................. 101 Section I - Les espaces financiers subsahariens affichent une capacité limitee de financement de leur économie.............................................................................................................................. 102 § 1- Des systèmes financiers caractérisés par une summa divisio entre l’Afrique du Sud et le reste du continent mais aussi la domination du secteur bancaire ......................................... 102 §2 - L’incapacité des acteurs bancaires à assurer le financement de l’économie et les phénomènes de Surliquidité ................................................................................................... 105 Section II - La faible diversité des systèmes financiers subsahariens contraint les agents économiques dans la réalisation de leurs projets. ...................................................................... 114 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 9 §1- Des usagers actuels et potentiels aux besoins financiers non satisfaits ........................... 114 §2 - Peu de pays d’Afrique subsaharienne disposent d’une gamme élargie d’institutions et d’instruments financiers.......................................................................................................... 123 Conclusion ................................................................................................................................... 143 Chapitre 6 L’accessibilité limitée aux systèmes financiers : une contrainte puissante à l’esprit d’entreprise ..................................................................................................................................... 145 Introduction ................................................................................................................................. 145 Section I - différents facteurs freinent l’accès des ménages à des services financiers à même de les faire participer à une croissance non paupérisante .............................................................. 147 §1- La faible accessibilité géographique des ménages aux services financiers ...................... 148 §-2 Les intermédiaires financiers doivent accomplir des efforts en matière de soutenabilité des frais financiers ................................................................................................................... 151 §3- Des formalités parfois contraignantes .............................................................................. 153 Section II – Des PME au développement financièrement contraint ........................................... 154 §1 - Le facteur financier : une des contraintes les plus fortes pesant sur le développement des entreprises dans l’espace subsaharien.................................................................................... 154 §2-Une acuité de la contrainte financière différente selon la taille, le secteur et la nationalité de l’entreprise ......................................................................................................................... 161 Conclusion ................................................................................................................................... 164 Chapitre 7 Le faible niveau de concurrence : une explication à l’excellente rentabilité et à l’efficacité relative des intermédiaires financiers ? ........................................................................ 165 Introduction ................................................................................................................................. 165 Section I – Le paradoxe des institutions financières subsahariennes : fortes rentabilités mais faibles efficacité........................................................................................................................... 166 §1-La profitabilité des intermédiaires financiers subsahariens : mythe, realite ou normalite ? ................................................................................................................................................. 167 §2 – Une rentabilité tributaire du faible degré de concurrence ? .......................................... 172 Section II - Concurrence et efficacité des banques au sein de l’arc subsaharien........................ 175 §1 - La concurrence : ses différentes acceptions et techniques de mesure ........................... 176 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 10 §2-Les systèmes bancaires d’Afrique subsaharienne : entre forte concentration et faible concurrence ............................................................................................................................. 186 §3-Faible concurrence et faible efficacité bancaire : le lien par les inefficiences X ................ 193 Section III – Le pari des pays subsahariens : limiter la concurrence pour favoriser la stabilite au detriment de l’efficacite et de la diversite ? ............................................................................... 198 §1-Le lien positif entre concurrence et développement financier.......................................... 200 §2- La vision de la concurrence comme élément déstabilisateur ne résiste pas à un examen minutieux................................................................................................................................. 207 Conclusion ................................................................................................................................... 218 Conclusion ....................................................................................................................................... 220 Partie III DES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT FINANCIER DESEQUILIBRES ................................... 223 Introduction..................................................................................................................................... 224 Chapitre 8 La notion de politique de développement financier .................................................... 227 Introduction ................................................................................................................................. 227 Section I- Le développement financier comme bien public et les imperfections associées à sa production ................................................................................................................................... 228 §1 - Le développement financier comme bien public ............................................................. 229 §2-Les phénomènes de passager clandestin et les imperfections liées à la création de biens collectifs justifient l’intervention des pouvoirs publics ........................................................... 234 Section II- Faire de la politique de développement financier un nouvel outil des politiques de développement ........................................................................................................................... 239 §1-Politique de développement financier de facto et développement financier de jure ...... 240 §2- Objectifs finaux, intermédiaires et canaux de la politique de développement financier . 241 §3 - Les politiques agissant sur les fondamentaux .................................................................. 247 §4-Les politiques agissant sur les dimensions ......................................................................... 253 Conclusion ................................................................................................................................... 261 Chapitre 9 Les leçons d’un siècle de développement financier dans l’arc subsaharien ................ 264 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 11 Introduction ................................................................................................................................. 264 Section I - Des politiques de développement financier volontaristes, finalement victimes de la généralisation de pratiques de gouvernance défaillantes (1960-1980) ..................................... 266 §1-Des institutions financières au service de la mobilisation de l’épargne et du financement de l’investissement .................................................................................................................. 266 §2-Une période de développement financier réel … .............................................................. 268 §3-… Interrompue par l’extension de pratiques de gouvernance publique et privée dommageables ........................................................................................................................ 271 Section II - Les réformes de libéralisation financière n’ont pas remis le malade sur pied .......... 274 §1 - La crise financière affecte durement les mécanismes du développement financier ...... 274 §2-Le bilan contrasté des réformes de libéralisation .............................................................. 277 Conclusion ................................................................................................................................... 279 Chapitre 10 De la politique de développement financier aux politiques de développement financier ........................................................................................................................................... 282 Introduction ................................................................................................................................. 282 Section 1- Le développement financier en Afrique subsaharienne requiert des politiques pragmatiques et non des solutions dogmatiques ....................................................................... 283 §1 - L’exemple des pays de l’OCDE : coexistence de mécanismes d’intervention directE et régulation par les marchés ...................................................................................................... 285 §2- pragmatisme et gouvernance améliorée : les clés du succès des politiques de développement financier subsahariennes .............................................................................. 292 Section II - Des politiques de développement financier déséquilibrés ....................................... 307 §1- Des politiques de developpement financier notoirement centrees sur l’offre ou la demande de services financiers .............................................................................................. 307 §2- Axer les politiques de developpement financier sur le renforcement de la demande de services financiers ................................................................................................................... 312 Conclusion ................................................................................................................................... 319 CONCLUSION ....................................................................................................................................... 321 BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................... 324 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 12 ANNEXES.............................................................................................................................................. 341 Liste des illustrations ....................................................................................................................... 342 Liste des tableaux ............................................................................................................................ 345 Liste des encadrés ........................................................................................................................... 347 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 13 LISTE DES ABREVIATIONS Sigles AfD APD ASS BAD BCEAO BDEAC BEAC BM BOAD BRVM CAD CAR CBN CEDEAO CEDEAO CEMAC CNUCED DAB/GAB EAC F CFA FANAF FMI IDE IDH IFAD IFNB IMF MENA NEPAD OCDE OHADA OMC Signification Agence française de Développement Aide publique au Développement Afrique Sub-Saharienne Banque Africaine de Développement Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest Banque de Développement des Etats de l’Afrique Centrale Banque des Etats de l’Afrique Centrale Banque Mondiale Banque Ouest Africaine de Développement Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan Comité d’Aide au Développement Capital Adequacy Ratio Central Bank of Africa Communauté Economique de Développement de l’Afrique de l’Ouest Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement Distributeur Automatique de Billet/Guichet Automatique Bancaire East African Community Franc de la Communauté Financière Africaine, Coopération Financière en Afrique Centrale Fédération des Sociétés d'Assurances de droit National Africaines Fonds monétaire international Investissement Direct étranger Indicateur de Développement Humain International Fund for Agriculture Development Institutions Financières Non Bancaires Institutions de Microfinance Middle East and North Africa Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique Organisation pour la Coopération et le Développement Economique Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique Organisation Mondiale du Commerce Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 14 Sigles OMD ONU PAS PAZF PED PIB PME PNB RBE RNB ROA ROE TGE TIC TPE UA UEMOA ZF Signification Objectifs du Millénaire pour le Développement Organisation des Nations Unies Programme d’Ajustement Structurel Pays Africains de la Zone Franc Pays En Développement Produit Intérieur Brut Petites et Moyennes Entreprises Produit Net Bancaire Revenu Brut d'Exploitation Revenu national brut Return on Assets Return on Equity Très Grandes Entreprises Technologies de l’information et de la communication Très Petites Entreprises Union Africaine Union Economique et Monétaire Ouest Africaine Zone Franc Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 15 INTRODUCTION L’Afrique noire est mal partie. René Dumont La Commission économique des Nations Unies pour l'Afrique découvrit que les pays qui suivaient les programmes recommandés par le FMI avaient des taux de croissance inférieurs à ceux des pays qui se reposaient sur le secteur public pour répondre aux besoins fondamentaux de leur population. Noam Chomsky, L'An 501, la conquête continue Le capital ne manque, ce qui manque, c’est la vision. Denis Watley Contrastant avec les sombres prédictions de René Dumont, l’optimisme semble de retour en Afrique subsaharienne. Il faut dire que les décennies 80 et 90 ont été une période noire, souvent considérée à juste titre comme les décennies perdues du développement. Depuis 2000, cet espace enregistre un regain de croissance, bien loin des taux antérieurs (2,1% en moyenne entre 1980 et 1990 contre 4,8% sur la période 2000-2005 et 6,2% en 2007). D’autres indicateurs témoignent de Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 16 ce passage au vert. Si l’Indice de Développement Humain du PNUD recule dans certains pays, la tendance est globalement à la hausse dans l’arc subsaharien, signe d’une amélioration graduelle des conditions de vie des habitants (Cf. graphique n°1). Ces performances sont le fruit de profondes réformes structurelles réalisées par les Etats depuis le milieu des années 80. Le passage sous les fourches caudines de l’ajustement structurel, au-delà des critiques sur ses conséquences sociales, a permis aux pays subsahariens d’améliorer leurs finances publiques et de réduire leur niveau d’inflation. Par ailleurs, contrairement à l’image véhiculée par les médias à l’occasion des grandes crises (Kenya, Zimbabwe, Tchad), les transitions démocratiques conduisent progressivement à une plus grande stabilité politique ainsi que l’atteste la baisse de l’indicateur de troubles politiques développé par la Banque Africaine de Développement et l’OCDE (Cf. graphique n°1). Les initiatives de lutte contre la corruption et différentes réformes réglementaires (instauration de l’OHADA1, par exemple) contribuent à l’amélioration de l’environnement des affaires. Toutefois, la hausse de la croissance africaine est aussi largement liée à des facteurs exogènes. Au-delà des annulations de dette qui octroient aux Etats subsahariens de nouvelles marges de manœuvre, la hausse des prix des matières premières arrive au premier rang des facteurs expliquant les performances actuelles des économies africaines. Les recettes issues de ces flux commerciaux représentent parfois les trois quarts des ressources budgétaires de l’Etat. Une telle dépendance expose les pays subsahariens à d’éventuels retournements conjoncturels résultant d’une baisse de la demande de matières premières ou de la générosité des bailleurs. Elle remet en cause la capacité des pays de l’arc subsaharien à atteindre le taux de croissance soutenu de 7-8% considéré par les Nations Unies et la Banque Mondiale comme un minimum pour la réalisation des Objectifs de Développement du Millénaire. Réaliser de manière durable et auto-entretenue ce taux de croissance nécessite le développement d’un secteur privé dynamique, au-delà du secteur exportateur de matières premières. Malheureusement, sur ce chemin de Damas, les obstacles sont nombreux pour les entrepreneurs subsahariens. Et l’accès ainsi que le coût du financement ne sont pas les moindres. En effet, l’accès et le coût du financement apparaissent au deuxième rang des contraintes rencontrées par les entrepreneurs subsahariens lorsqu’ils souhaitent développer leurs activités, juste après la contrainte énergétique2 (Banque Mondiale, 2008). La puissance de l’obstacle financier peut expliquer bien des paradoxes présents dans l’arc subsaharien. 1 Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique. Institution regroupant 16 pays africains avec pour finalité l’harmonisation et la réforme de leurs droits privés. 2 A titre d’exemple, la crise énergétique que traverse actuellement l’Afrique du Sud explique en grande partie le ralentissement de la croissance économique (5,4% en 2007 contre une prévision de 3,4% en 2008) et l’effondrement de la production minière au cours de l’exercice 2007 (-17,2%) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 17 Ainsi la crise alimentaire et les émeutes de la faim3 qu’ont connues la majorité des pays de cet espace sont dues, entre autres causes, à la baisse des financements octroyés au secteur agricole4. Le facteur financier est aussi à considérer dans la hausse des flux migratoires en provenance de cet espace. En effet, faute d’activités ou d’opportunités de créer une activité dans le secteur formel, de nombreux jeunes étudiants africains se trouvent contraints à un triple choix aux conséquences parfois tragiques: (i) (ii) (iii) rejoindre la cohorte des chômeurs, prospérer dans l’informel ou migrer vers des cieux plus cléments selon eux. La puissance de la contrainte financière pesant sur l’arc subsaharien est d’autant plus paradoxale que l’Afrique ne manque pas de ressources financières : la Cnuced (2007a) estime à près de 10 milliards de dollars au minimum le volume annuel de la fuite des capitaux, avec un pic à 21 milliards en 2005 (Cf. figure n°2). Ces flux traduisent une des limites des systèmes financiers subsahariens : leur capacité limitée à remplir pleinement leur fonction de transformation et plus largement d’intermédiation. 3 L’huile de palme a augmenté de 140% entre décembre 2007 et mars 2008 au Cameroun. Sur la même période, le sac de 50 kg de blé a progressé de près 46% au Togo tandis que le kilo de riz s’envolait de 40% en Côte d’Ivoire et le kilo de farine progressait de 35% au Congo. Source : Jeune Afrique (2008), Les prix flambent, l’Afrique souffre, n°2461, du 9 au 15 mars 2008. 4 La part de l’aide internationale consacrée à l’agriculture est passée de 26% à la fin des années 80 à moins de 5% en 2005. (Ministère Français des Affaires Etrangères, 2008). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 18 Figure 1: Quelques grandeurs socio-économiques caractérisant l’espace subsaharien Evolution de l’IDH dans différents pays africains (1975-2004) Evolution de la croissance et des troubles politiques en Afrique subsaharienne (1996-2007) Source : Cnuced (2007a) Source : Pnud (2008) Source : OCDE (2008) et auteur. Pays retenus pour réaliser l’indice: Afrique du Sud, Botswana, Burkina Faso, Cameroun, Tchad, Côte d'Ivoire, Guinée Equatoriale, Ethiopie, Gabon, Ghana, Kenya, Mali, Maurice, Mozambique, Namibie, Nigeria, Sénégal, Tanzanie, Ouganda, Zambie et Zimbabwe. L’indicateur comprend des variables portant sur les grèves, manifestations, blessés et morts politiques ainsi que les coups d’Etat. Différentes études ont jeté d’excellents jalons dans la compréhension des systèmes financiers subsahariens et l’analyse de leurs dysfonctionnements *Monga (1997), Joseph (2000 et 2002) ou Chouchane-Verdier (2001)+. Elles s’accordent toutes sur le diagnostic du blocage de Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 19 l’intermédiation dans l’aire subsaharienne et pointent, entre autres facteurs, le rôle des asymétries d’information, l’impact de techniques de décision peu efficientes, le manque de garanties et les dysfonctionnements des procédures de recouvrement. Elles soulignent la faiblesse du crédit octroyé, la structuration défaillante des acteurs financiers et les attentes insatisfaites de leurs utilisateurs. Afrique subsaharienne : différents flux financiers en 2005 (mds de $) Figure 2: Différents flux financiers vers et en provenance d'Afrique subsaharienne. Source: Cnuced (2007a), IFAD (2007) et Cnuced (2007b) Loin de se livrer à une réécriture ou à une réinterprétation de ces travaux, cette thèse abordera la problématique du financement dans l’arc subsaharien sous un angle différent, développant ainsi une intuition née pendant un stage au sein de la Société Générale des Banques du Cameroun. Cette dernière, à la limite de l’interpellation ou du questionnement, interroge la qualité de la gouvernance des actions mises en œuvre pour favoriser l’essor des systèmes financiers comme pouvant être un des facteurs à même d’expliquer leurs piètres performances. Cette intuition part d’un constat : en matière de structuration de leurs systèmes financiers, comme dans d’autres secteurs, les pays subsahariens possédaient à la fin de la Seconde Guerre Mondiale des niveaux de développement proches de certains de leurs homologues asiatiques. Un demi-siècle plus tard, l’écart est patent et ne cesse de s’accroître avec la convergence des systèmes financiers asiatiques vers les pays les plus développés de l’OCDE. Or, la qualité des politiques publiques a souvent été considérée comme étant un des facteurs clé du succès des différents secteurs de l’économie réelle des pays asiatiques. Le niveau élevé de la contrainte financière dans l’arc subsaharien pourrait-il s’expliquer par la faillite de la gouvernance des politiques menées par les pouvoirs publics pour favoriser l’essor de ces systèmes financiers ? Et surtout, quel impact ces Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 20 défaillances de la gouvernance du secteur financier ont-elles sur la croissance mais aussi sur les mécanismes de réduction de la pauvreté ? Plus particulièrement, il faudra s’interroger, en déclinant les différents avatars de la notion de gouvernance, sur la capacité des Etats à identifier au bon moment les besoins financiers des agents économiques mais aussi sur leur aptitude à développer des instruments à même d’y répondre. Loin de reproduire le clivage opposant dogmatiquement partisans de la libéralisation financière et ceux d’une intervention plus forte de l’Etat, cette thèse s’attellera à répondre à ce questionnement en trois temps. La première partie aura à cœur d’améliorer l’intelligence de la notion de systèmes financiers définis comme un ensemble intégrant les intermédiaires financiers certes, mais aussi les instruments proposés par ceux-ci, les différents marchés sur lesquels ils opèrent et les institutions légales et réglementaires qui en assurent le bon fonctionnement. Le chapitre 1 reviendra sur les différentes fonctions microéconomiques que des systèmes financiers efficients proposent aux agents non financiers et leurs effets positifs sur la qualité et le volume des interactions entre ceux-ci. En présentant les différentes imperfections pouvant affecter ces fonctions, ce chapitre met aussi en lumière les causes du blocage de l’intermédiation dans l’arc subsaharien. Le chapitre 2 s’appuiera sur ces fondements microéconomiques pour établir l’influence d’une intermédiation financière efficiente sur la croissance et ses composantes. Il mettra notamment en exergue le rôle que peuvent jouer des systèmes financiers bien structurés dans l’intégration réussie au commerce international, un élément important pour des économies subsahariennes qui représentent sur longue période moins de 3% du commerce mondial. Le chapitre 3 essaiera de présenter l’état de la connaissance sur le lien entre structuration financière et réduction de la pauvreté. Bien qu’encore ambiguë, cette relation semble étayée par de nombreux travaux théoriques reposant sur la capacité d’intermédiaires financiers efficients de proposer des solutions de financement à des ménages pauvres porteurs de projets rentables. Au-delà de cet examen de la contribution des systèmes financiers à la croissance et à la réduction de la pauvreté, la deuxième partie aura à cœur de dresser un état des lieux des systèmes financiers en Afrique subsaharienne. Elle marquera aussi un pas qualitatif dans l’analyse de la structuration des systèmes financiers en ayant à cœur de déterminer si leurs différentes fonctions et mécanismes contribuent au développement socioéconomique dans l’arc subsaharien. Cet exercice sera réalisé à travers une réflexion sur la notion de développement financier, c’est-à-dire un processus multidimensionnel par lequel un système financier gagne en accessibilité, profondeur, efficacité, rentabilité, stabilité, qualité institutionnelle, propose une plus grande diversité d’institutions et d’instruments aux agents économiques et s’ouvre aux flux internationaux de capitaux. Cette définition met l’accent sur sept dimensions fondamentales mais qui ne doivent pas Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 21 être considérées de manière exclusive dans la mesure où elles interagissent entre elles pour concourir au développement financier d’un pays : 1-La profondeur du système financier ; 2-L’accessibilité des agents économiques au système ; 3-L’existence d’institutions d’appui permettant son bon fonctionnement ; 4-La rentabilité et la stabilité des institutions et du système dans son ensemble ; 5-L’efficacité des intermédiaires financiers ; 6-La complétude ou diversité du système financier et 7-L’ouverture du système financier. Les sept dimensions retenues pour caractériser le développement financier sont non seulement à même de caractériser le niveau de maturité d’un système financier mais constituent aussi une approximation de l’impact du système financier sur les opérations des agents économiques non financiers. Le chapitre 4, en proposant une batterie de variables susceptibles de mesurer le degré de maturité de chaque dimension, jette les bases d’une série d’indicateurs de développement financier. Se livrer à un tel exercice quantitatif n’est pas aisé en raison de la nature encore parcellaire des données sur les systèmes financiers subsahariens et ce malgré des progrès significatifs. En sus de cette approche quantitative, les chapitres 5, 6 et 7 permettent de préciser qualitativement l’état du développement financier dans l’arc subsaharien. S’il est globalement faible, la profondeur et la diversité des institutions financières apparaissent comme étant les parents pauvres des systèmes financiers subsahariens. Ces deux dimensions pèsent fortement sur l’aptitude des économies à développer de nouvelles opportunités productives mais aussi à obtenir des services financiers à même de conduire leurs agents non financiers vers des équilibres optimaux. Une telle situation, accrue par l’accessibilité réduite des ménages et des PME aux systèmes financiers, limite la création d’emplois mais aussi les opportunités de sortie de l’informel et plus largement de la pauvreté. Cet état des lieux est d’autant plus consternant que la rentabilité moyenne des intermédiaires financiers subsahariens est excellente dans un système caractérisé par un retour à la stabilité (chapitre 7). Ce hiatus entre une faible contribution aux besoins des acteurs et une bonne rentabilité s’explique peut être par le niveau limité de concurrence au sein des sphères financières de l’arc subsaharien et plus particulièrement de leur compartiment bancaire. Une situation qui pourrait être le résultat d’une préférence des autorités bancaires pour la stabilité au détriment des effets escomptés de la concurrence en matière d’innovation ou de qualité du service. La troisième partie fera des dynamiques des acteurs, et plus particulièrement celles des Etats subsahariens, la clé du sous-développement dont souffre cet espace. Le chapitre 8 insistera sur la nécessité de déployer des politiques publiques ad hoc dites politiques de développement financier en démontrant le caractère de bien public du développement financier et l’existence de toute une Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 22 série d’imperfections affectant sa production. Tout en posant le cadre conceptuel de cette nouvelle politique, ses objectifs finaux, intermédiaires et ses instruments, ce chapitre reviendra sur un des aspects indispensables à la réussite des politiques de développement financier : leur formalisation. Le chapitre 9 analysera sur longue période (de l’ère coloniale à la décennie 2000) les modes de régulation et la gouvernance des politiques de développement financier mises en œuvre au sein de l’arc subsaharien. De cette analyse, ressortiront deux grandes conclusions. Premièrement, loin de la traditionnelle condamnation des interventions de l’Etat au sein des sphères financières pendant les décennies 60-70, cette période correspond en fait à un épisode de développement financier réel. Les crises qui minent les systèmes financiers subsahariens au milieu des années 80 résultent plus une démission de la gouvernance des politiques de développement financier qu’une remise en cause de leurs instruments. Deuxièmement, les thérapies de restructuration des systèmes financiers subsahariens n’ont pas réussi à susciter un développement financier harmonieux. Notamment, parce qu’elles ne se sont pas attardées sur les causes profondes du blocage de l’intermédiation (faible diversification économique, niveau élevé de risque, rationalité atypique des agents). Mais aussi parce qu’elles ont créé un piège d’économie politique autour duquel gravitent les différentes parties prenantes du développement financier sans qu’aucune d’entre elles n’accepte de porter le poids de réformes structurelles profondes. En mettant en perspectives les politiques de développement financier au sein de l’OCDE et des pays subsahariens, le chapitre 10 s’appuiera sur les résultats du chapitre 9 pour apporter une conclusion forte : l’écart de performances des systèmes financiers de ces deux ensembles pourrait s’expliquer par la divergence de la gouvernance de la politique de développement financier en Afrique subsaharienne. Divergence qualitative, tout d’abord, avec la multiplication de pratiques malsaines. Divergence dans les instruments, ensuite, avec la renonciation à toute forme d’intervention forte de l’Etat au sein des systèmes financiers subsahariens. Face à ces divergences, le chapitre 10 démontrera que seules des politiques de développement volontaristes, avec une implication plus forte de l’Etat, sont à même de résorber les déséquilibres affectant le développement financier dans l’arc subsaharien. Longtemps, une telle prise de position aurait été soumise à de vives critiques en raison de la promotion des théories de la libéralisation financière. Deux éléments laissent espérer qu’elle sera bien accueillie. Premièrement, la publication du rapport The Growth Report: Strategies for Sustained Growth and Inclusive Development par la Commission pour la croissance et le Développement (Commission on Growth and Development, 2008)5. Mais aussi le rapport 2007 de la Cnuced sur le développement en Afrique intitulé Le Développement économique en Afrique, Retrouver une marge 5 La Commission on Growth and Development est un groupe de travail qui a réuni entre 2006 et 2008 une vingtaine de praticiens du monde des affaires et des questions de développement pour réfléchir sur les stratégies de développement du XXIème siècle. Dirigée par le prix Nobel Michael Spence et le vice-président de la Banque Mondiale (Danny Leipziger), elle comprend entre autres membres Kemal Dervis (administrateur du PNUD), Trevor Manuel (Ministre des finances sud africain) ou le prix Nobel d’économie Robert Solow. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 23 d’action- La mobilisation des ressources intérieures et l’Etat développementiste (Cnuced, 2007a). Ces deux contributions placent une intervention publique forte au cœur des processus de structuration de la sphère financière. Afin de ne pas rééditer les dérives des décennies 60-80, quelques principes forts seront présentés et formeront la base d’une gouvernance renouvelée des politiques de développement financier au sein de l’arc subsaharien. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 24 L’Afrique subsaharienne et ses composantes L'Afrique sub-saharienne, parfois qualifiée appelée « Afrique noire », est souvent mise en opposition avec l'Afrique du Nord, limitée au Sud par le Sahel. Plusieurs facteurs socio économiques sont traditionnellement utilisés pour alimenter cette summa divisio : revenu par habitant et niveaux d’IDH (globalement plus élevés en Afrique du Nord), dynamique de croissance et intégration dans la mondialisation (moins rapide et intense en Afrique subsaharienne, exception faite de l’Afrique du Sud), l’histoire ou le peuplement. L'Afrique sub-saharienne est généralement subdivisée en quatre sousrégions : - l’Afrique de l'Ouest, - l’Afrique de l'Est, - l’Afrique centrale, - l’Afrique australe. Afrique de l'Ouest : Afrique de l’Est Afrique centrale Afrique australe Sont généralement considérés comme Sont généralement considérés Sont généralement considérés Sont généralement considérés comme appartenant à cet ensemble les pays comme appartenant à cet comme appartenant à cet appartenant à cet ensemble les pays suivants : ensemble les pays suivants : ensemble les pays suivants : suivants : Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Érythrée, Éthiopie, Djibouti, Burundi, République centrafricaine, Afrique du Sud, Angola, Botswana, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée- Somalie, Kenya, Ouganda, Tchad, République démocratique Comores, Lesotho, Madagascar, Bissau, Cap-Vert, Libéria, Mali, Tanzanie. du Congo (Congo-Kinshasa, l'ex- Malawi, Maurice, Mozambique, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Zaire), Rwanda, Cameroun, Guinée Namibie, Swaziland, Zambie, Zimbabwe. Sierra Leone, Togo. équatoriale, Gabon, République du Congo (Congo-Brazzaville), Angola, Zambie. Certains pays de l'Afrique australe sont parfois considérés comme faisant partie de l'Afrique centrale. Tableau 1: L’Afrique subsaharienne et ses subdivisions géographiques. Source: auteur et Wikipedia (2008) Figure 3: Les organisations régionales africaines. Source : Durand, M-F, Martin, B. et Törnquist-Chesnier, M., (2007) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 26 PARTIE I SYSTEMES FINANCIERS EFFICIENTS ET DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE INTRODUCTION Semblables à l’huile qui adoucit les mouvements d’une machine compliquée, les monnaies, répandues dans tous les rouages de l’industrie humaine, facilitent des mouvements qui ne sont plus productifs dès que l’industrie cesse de les employer Say, Traité d’Economie politique, 1803 Le banquier n’est donc surtout pas un intermédiaire dont la marchandise serait la puissance d’achat ; il est d’abord le producteur de cette marchandise Schumpeter, Business Cycles Les banquiers ne prêtent qu’aux riches Diction populaire Comprendre la nécessité d’une action publique en faveur de systèmes financiers plus efficients en Afrique subsaharienne nécessite une bonne intelligence des mécanismes par l’intermédiaire desquels ceux-ci agissent sur les différentes dimensions du développement. Depuis quelques années, l’essor de la microfinance, au-delà de son impact direct sur le bien être des plus pauvres, a redonné une impulsion forte aux travaux portant sur l’action de systèmes financiers efficients en faveur du développement. L’organisation de la conférence des Nations Unies "Financing for Development" à Monterrey en 2002, l’attribution du prix Nobel de la Paix 2006 à Muhammad Yunus ou la hausse des concours d’aide publique au développement destinés à la structuration des systèmes financiers des PED illustrent cet intérêt6. Cette attention pour les systèmes financiers contraste avec des décennies de politique de développement et plaide pour un examen du rôle de systèmes financiers efficients dans les pays d’Afrique subsaharienne (ASS). Ces derniers sont, en effet, réputés pouvoir exercer une 6 Bien au-delà de la déferlante micro finance, cet engouement est consacré en Afrique subsaharienne par la publication par différentes institutions internationales de plusieurs rapports majeurs consacrés à cette question. Ainsi, en 2007, la Banque Mondiale a présenté en grandes pompes son rapport Making Finance Work For Africa (Banque Mondiale, 2007) tandis que la Cnuced a intitulé son rapport 2007 sur le développement économique en Afrique Retrouver une marge d’Action : la mobilisation des ressources intérieures et l’Etat développementiste (Cnuced, 2007). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 28 influence multidimensionnelle indirecte et directe sur différentes variables affectant le développement. Microéconomiquement, ils sont réputés exercer un rôle fondamental en réduisant le niveau de risque des agents économiques non financiers, en contrôlant l’exécution de leurs projets, en jouant le rôle d’intermédiaire entre les agents à capacité de financement et ceux ayant des besoins de financement et en proposant une gamme d’instruments de paiement. Ce faisant, ils contribuent à la diversification, à l’augmentation de la qualité et du volume des opérations mises en œuvre par les autres agents économiques (chapitre 1). Ces fonctions microéconomiques expliquent les vertus de systèmes financiers efficients sur la croissance (chapitre 2) et la réduction de la pauvreté (chapitre 3). Toutefois, ainsi que l’atteste la référence à la vox populi, à Joseph Schumpeter et à Jean Baptiste Say, les effets positifs des systèmes financiers dans ces deux domaines ont longtemps fait débat. Malgré leurs limites, différentes études empiriques commencent à y apporter une réponse en légitimant l’attention portée aux systèmes financiers dans l’arc subsaharien. Face à cette présentation des effets vertueux de systèmes financiers efficients sur le développement, les pays d’Afrique subsaharienne semblent ne pas être en mesure d’en récolter les fruits tant leurs systèmes financiers se caractérisent par des niveaux de structuration et de développement parmi les plus faibles au monde (partie II). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 29 CHAPITRE 1 LES VERTUS MICROECONOMIQUES DE SYSTEMES FINANCIERS EFFICIENTS ET DEVELOPPES La finance est l'art de faire passer l'argent de mains en mains jusqu'à ce qu'il ait disparu. Robert W. Sarnoff INTRODUCTION A l’instar de Sarnoff, le rôle de l’intermédiation financière a longtemps été envisagé de manière négative voire sarcastique. Face à cette vision, le rôle des intermédiaires financiers dans l’essor des interactions entre les différentes catégories d’agents économiques a fait l’objet de nombreux développements au sein de la littérature économique. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 30 Historiquement, l’étude des vertus d’un système financier efficient a d’abord été réalisée en considérant les conséquences bénéfiques de l’action des intermédiaires financiers au niveau microéconomique. Nous inscrirons notre travail dans cette tradition car la compréhension des fondements microéconomiques de l’utilité de systèmes financiers efficients est nécessaire à la bonne intelligence de leur impact macroéconomique (action sur le rythme, le niveau et la qualité de la croissance) mais aussi en matière de réduction de la pauvreté. Afin de ne point déroger à la tradition académique, l’analyse des fonctions microéconomiques remplies par un système financier sera réalisée en suivant une typologie proposée par Levine (2005). Pour ce dernier, un système financier efficient remplit cinq fonctions majeures: (i) (ii) (iii) (iv) (v) la facilitation des échanges de biens et services ; la mobilisation et la collecte de l’épargne ; la production d’informations sur les investissements envisageables et l’allocation de l’épargne ; la répartition, la diversification et la gestion du risque ; et au final, le suivi des investissements en exécution et le contrôle de la gouvernance. Ces différentes fonctions sont à même de contribuer à l’amélioration des transactions effectuées entre les différentes classes d’agents économiques, et à travers eux, elles favorisent une meilleure efficience de l’économie dans son ensemble. A ce titre, ces fonctions constituent les fondements microéconomiques de l’impact macroéconomique des systèmes financiers. Leur analyse dans le contexte des pays d’Afrique subsaharienne révèle un certain nombre de goulots d’étranglements, bien souvent à l’origine de blocages macroéconomiques affectant la croissance dans l’espace subsaharien. La section I présente une revue de la littérature portant sur les effets positifs associés à ces différentes fonctions tandis que la section II s’attache à souligner les avantages de l’intermédiation financière pour les ménages des pays d’Afrique subsaharienne notamment en raison de la capacité des intermédiaires financiers de proposer des solutions susceptibles de les protéger contre des chocs aléatoires. SECTION I – SYSTEMES FINANCIERS SUBSAHARIENS EFFICIENTS ET AMELIORATION DES INTERACTIONS ENTRE AGENTS ECONOMIQUES En reprenant chacune des cinq fonctions microéconomiques proposées par des intermédiaires financiers efficients, il est possible de mettre en lumière non seulement leurs gains potentiels pour les pays subsahariens mais aussi les goulots d’étranglements qui en limitent la Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 31 portée. Pour mener cet exercice, l’intéressante revue de la littérature menée par Jacquet et Pollin (2007) servira, en partie, de fil conducteur. §1- LA FACILITATION DES ECHANGES DE BIENS ET SERVICES Afin d’appréhender le rôle des systèmes financiers dans l’amélioration des processus d’échange de biens et de services, notre analyse se doit de débuter dans un monde hypothétique sans coûts de transactions. Dans cet hypothétique univers, le besoin de détenir de la monnaie n’existe pas. Ce monde à la Arrow-Debreu, sans coûts de transaction et frictions au sein de la sphère commerciale, étant impossible à réaliser, les acteurs se doivent d’intégrer ces coûts dans leurs calculs économiques en raison des pertes et des perturbations qu’ils subissent. De par son aisance d’utilisation, de transport et de conservation, la monnaie constitue un vecteur d’échange plus pratique que le troc (Clower, Howitt, 1978). Ces propriétés font de l’évolution vers une monétarisation de plus en plus forte, une source de développement pour l’économie et justifient la création et le développement d’intermédiaires financiers spécialisés (notamment les banques) dont l’une des missions est la gestion du système de paiements. Le système financier, à travers l’action de certains de ses acteurs, facilite ainsi les échanges de biens et services en réduisant les coûts de transaction et d’accès à l’information liés aux échanges. Son rôle est comparable à celui de la monnaie, qu’il approfondit, notamment en facilitant les paiements et en apportant une dimension inter temporelle par l’accès au crédit. Le lien avec la croissance passe par l'interaction entre le développement des échanges et la spécialisation, l’efficacité productive et l’innovation. Cette interaction se produit autant au niveau national qu'au niveau international, le développement des échanges ayant contribué à la mobilité des capitaux, qui, à son tour, nourrit la vigueur du commerce international. Le bilan en termes de croissance d’un système de paiements efficient est, au final, fonction de la manière dont cette interaction engendre un processus efficace d'allocation des ressources. Dans le cas des pays africains, la large sous utilisation de la monnaie scripturale constitue un frein au développement des échanges et réduit la contribution à la croissance de cette fonction. Les explications sont à rechercher dans des comportements de défiance assez semblables à ceux du public français après la faillite de la Banque de Law en 1720. Les faillites bancaires qui ont affecté l’Afrique subsaharienne au cours des décennies 1980-1990 ont généré un fort sentiment de méfiance par rapport à l’institution bancaire, le développement de la thésaurisation et le recours à la monnaie scripturale. La faible expansion des systèmes de compensation électronique et les fraudes affectant certains moyens de paiement (chèque notamment) expliquent, par ailleurs, leur faible utilisation. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 32 Ces différentes imperfections limitent la portée des enchaînements vertueux associés à la fonction de facilitation des échanges dans l’arc subsaharien. Ces imperfections peuvent aussi exercer une influence tout aussi défavorable sur la mobilisation des ressources. §2- L’ACTION EN FAVEUR DE LA MOBILISATION DE L’EPARGNE Pour des économies subsahariennes souvent caractérisées par de faibles densités de population et une forte concentration de la population dans des zones rurales encore peu desservies par les acteurs financiers, les systèmes financiers sont appelés à jouer un rôle important dans la mobilisation et la collecte de l’épargne. . Dans de tels environnements, l’apport du système financier se comprend aisément car il permet de constituer un stock de ressources financières à partir de la contribution non coordonnée d’un grand nombre d’épargnants, ce qui réduit les coûts de transactions. Il assure aussi une fonction essentielle de garant de la confiance nécessaire pour que chaque épargnant soit prêt à lui confier son épargne. Ce rôle est assuré aussi bien par les marchés que par les intermédiaires financiers : les marchés proposent dans un contexte institutionnel encadré par des autorités de régulation différents véhicules, qu’il s’agisse de placements en actions, obligations, différents types de produits ou de fonds communs de placement ; les intermédiaires financiers attirent l’épargne par la réputation qu’ils acquièrent dans leur capacité à faire fructifier cette épargne, dans un contexte également régulé, et assorti de diverses garanties des dépôts, susceptible de rassurer l’épargnant. De nombreux pays d’ASS ne peuvent malheureusement pas bénéficier des retombées positives associées à la capacité de mobilisation de l’épargne des systèmes financiers en raison de lacunes institutionnelles. Au sein de pays sévèrement touchés par des crises financières qui ont parfois détruit l’épargne des déposants et autres agents économiques, le système financier ne joue pas pleinement son rôle en l’absence d’une régulation et de mécanismes garantissant le remboursement des dépôts en cas de crise7. Dans les pays de l’arc subsaharien, le manque de mécanisme de solidarité de place ou d’assurance des dépôts combinés aux effets mémoires (crise des années 1980-1990 et dévaluation dans la zone franc en 1994) constituent de puissants freins à la mobilisation de l’épargne. Ces déterminants conditionnent une importante fuite des capitaux. 7 Cf. Les travaux de Bryant sur les effets de l’assurance des dépôt : Bryant, .J (1980), A model of reserves bank runs and deposit insurance, Journal of Banking and Finance, 43, p 749-761 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 33 D’après la Cnuced (Cnuced, 2007), ce phénomène représente sur la période 1970- 2007 près de 400 milliards de dollars soit près de deux fois le volume de la dette africaine8. Le phénomène bancaire bénéficie, en outre, d’une mauvaise presse en raison des coûts extrêmement élevés associés aux produits et services financiers par rapport au revenu des habitants. Dans des espaces encore largement marqués par l’informel, l’introduction du fait financier et son utilisation engendre un arbitrage entre les gains de la financiarisation et ceux de l’informel (économie fiscale notamment). La capacité des systèmes financiers à œuvrer en faveur d’une meilleure mobilisation de l’épargne requiert, par conséquent, la prise en compte des différents facteurs exogènes limitant le recours au système financier. Au-delà des contraintes, on peut aussi s’interroger de manière plus générale sur la capacité de mobilisation de l’épargne dans les pays africains. Ainsi, si la décennie 90 a été marquée par la mise en œuvre de politiques de libéralisation financière destinées à améliorer la mobilisation de l’épargne grâce à la libre détermination de taux d’intérêts jusque là quasi administrés, près de vingt ans après le début de ces politiques, deux constats contradictoires et provocateurs peuvent être formulés. Premièrement, en considérant l’ensemble des pays en développement, on peut affirmer que la libéralisation a été un demi-échec en Afrique subsaharienne car les taux d’épargne y sont encore faibles par rapport aux autres régions en développement. La deuxième conclusion est assez provocatrice: au vu de la surliquidité bancaire dans de nombreux pays subsahariens (Cf. chapitre 5), on peut penser que la libéralisation financière en Afrique subsaharienne a été un succès en matière de mobilisation de l’épargne mais a failli à en assurer une allocation efficiente vers les projets d’investissements. Ce phénomène de surliquidité est, en effet, à rattacher à une autre fonction microéconomique associée à un système financier efficient : le financement de projets et la création d’information pour juger de la pertinence de ceux-ci. Cette fonction est malheureusement difficilement remplie par les systèmes financiers des pays d’Afrique subsaharienne, avec des conséquences microéconomiques et macroéconomiques désastreuses. §3- LES INTERMEDIAIRES FINANCIERS COMME FINANCEURS DE PROJETS ET CREATEURS D’INFORMATION La Banque Mondiale et différents bailleurs de fonds ont financé la réalisation du programme Investment Climate Assessement afin de mieux comprendre les contraintes affectant la croissance des entreprises et de pouvoir y remédier. Entre autres sujets, les enquêteurs ont demandé aux chefs d’entreprises de sélectionner parmi neuf contraintes, celle qui affectait de manière prépondérante leur croissance. Le tableau n°2 reprend quelques uns de ces résultats. En examinant les réponses 8 Entre 1991 et 2004, le volume de la fuite des capitaux a représenté près de 10 milliards de dollars par an soit près de 7% du PIB continental. Cf. Cnuced (2007), Le Développement économique en Afrique, Retrouver une marge d’action- La mobilisation des ressources intérieures et l’Etat développementiste, Genève. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 34 données pour 10 pays d’Afrique subsaharienne, il apparaît que le facteur financier (accès au financement et coût du financement) constitue l’obstacle principal pour les entrepreneurs dans six pays de l’échantillon. Contraintes Corruption Tribunaux Criminalité Electricité Finance Code du travail Compétences de la main d'œuvre Incertitude politique Fiscalité Erythrée Ethiopie Kenya Madagascar Mali Sénégal Afriq du Sud Tanzanie 3 39 74 47 49 40 16 51 0 0 0 35 17 13 9 20 1 10 70 38 22 15 29 26 38 43 48 41 24 31 9 59 54 40 58 63 57 60 15 53 5 5 23 15 4 16 33 12 41 18 28 31 21 19 36 25 32 31 39 74 52 68 42 45 22 37 31 51 18 19 32 73 Tableau 2: Pourcentage de chefs d’entreprises citant la contrainte comme étant un obstacle majeur au développement de leur entreprise. Source : Banque Mondiale (2007c) Ce tableau souligne aussi le hiatus entre des acteurs économiques en attente de financement et des intermédiaires financiers ne répondant pas à leur demande. L’absence ou la mauvaise qualité de l’information sur les différents projets se trouve au cœur de ce conflit d’intérêt. Or, le traitement de l’information sur les projets d’investissement et leur financement constitue une des raisons d’être de l’intermédiation financière. La production d’informations est, en effet, essentielle pour que le système financier soit capable d’orienter l’épargne vers les utilisations les plus rentables. Dans ce processus, les intermédiaires financiers permettent une meilleure analyse des projets d’investissements et des entreprises, contribuant ainsi à l’identification des meilleurs projets, au financement des entreprises les plus profitables, et donc à l’efficacité de l’allocation des ressources, à la productivité et à la croissance. Dans ce domaine, ils apportent des solutions optimales aux agents économiques qui seraient tentés de surveiller et de produire individuellement de l’information sur les différents projets dans lesquels ils auraient investis. Les intermédiaires financiers étant des coalitions de créanciers qui préfèrent se regrouper et mutualiser leurs coûts individuels de production et de diffusion de l’information sur les projets d’investissements, ils permettent à chaque agent de bénéficier d’économies d’échelle en effectuant une surveillance des projets pour l’ensemble des investisseurs9. Quelque soit leur nature, ceux-ci peuvent, par ailleurs, en diversifiant leurs activités (association d’activités dans la banque, l’assurance, les marchés financiers) générer des économies 9 Cf. Diamond (1984) pour une analyse de ces économies d’échelles dans le domaine bancaire Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 35 d’envergure qui sont le fruit de la réutilisation de l’information acquise dans un type de transaction dans d’autres transactions (Black, 1975). Ces effets positifs doivent être combinés à ceux dérivés de la gestion des risques. §4- DES ACTEURS PRECIEUX EN MATIERE DE GESTION DU RISQUE Les systèmes financiers facilitent également la gestion et la diversification du risque en permettant aux épargnants de détenir des portefeuilles d’actifs diversifiés. Ce faisant, ils augmentent la propension d’agents averses au risque à investir dans des projets risqués dont la rentabilité est plus forte. On peut donc escompter des effets bénéfiques pour la croissance à long terme. Au-delà de cet effet de diversification, les systèmes financiers favorisent la gestion du risque en fonction de la liquidité, c’est-à-dire de la possibilité de convertir des instruments financiers en pouvoir d’achat prévisible dans des délais brefs. Or, la liquidité augmente la volonté des investisseurs de détenir des instruments (actions, obligations, dépôts bancaires) alors même qu’ils servent à financer des investissements risqués à long terme. La liquidité des marchés peut ainsi contribuer à ce que les décisions prennent davantage en compte le long terme. En même temps, cependant, elle peut aussi faciliter l'instabilité due à la réversibilité des décisions, dont les coûts peuvent alimenter les processus donnant naissance aux crises. Loin de ce schéma, les différents mécanismes de protection contre le risque sont encore limités dans les pays d’Afrique subsaharienne. La sphère financière est généralement peu diversifiée (prédominance du compartiment bancaire, rôle limité des institutions financières non bancaires et des compagnies d’assurance). Cette offre limitée constitue une contrainte forte pour la croissance des activités des entreprises, le bien être des ménages et le développement économique dans son ensemble. Cette notion sera considérée de manière plus détaillée dans la section II qui étudie les mécanismes à travers lesquels des systèmes financiers efficients peuvent contribuer à limiter l’ampleur des chocs micro et macroéconomiques affectant les ménages. §5- UNE ACTION DECISIVE SUR LA GOUVERNANCE DES ENTREPRISES Le contrôle de la gouvernance des projets réalisé par les intermédiaires financiers constitue la dernière fonction exercée par un système financier efficient. Cette fonction est particulièrement importante, notamment en raison de son action sur la croissance. En effet, si les investisseurs, actionnaires ou créanciers peuvent inciter les dirigeants d’entreprises à maximiser la valeur de Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 36 l’entreprise, il en ressort une amélioration de l’allocation des ressources et une plus forte disposition des épargnants à financer les entreprises et l’innovation. Cette fonction butte sur le traitement d’une information très asymétrique : le dirigeant d’entreprise a un accès direct à l’information et peut en contrôler la diffusion (le risque existe aussi que cette information soit manipulée), tandis que cet accès implique un investissement (à la fois financier et en termes d’expertise) de la part des apporteurs de capitaux. Ce phénomène d’asymétrie d’information est un obstacle sérieux à la conclusion des opérations de financement parce qu’il engendre deux types de difficultés (Jacquet et Pollin, 2007) : - un problème de « sélection adverse » qui rend difficile la fixation d’un prix d’équilibre entre l’offre et la demande de financement. En effet, si l’on considère que l’apporteur de capitaux ne peut connaître la qualité ou le risque des projets pour lesquels il est sollicité, alors, il demandera une rémunération qui sera fonction de la qualité ou du risque moyen des projets tel qu’il les apprécie. Ce qui revient à dire que les projets les moins risqués devront supporter une tarification trop élevée tandis que les projets les plus risqués seront, au contraire, sous tarifés. Dans ces conditions, les bons risques (évincés par les mauvais, d’où cette notion d’anti sélection) renonceront à leur demande de financement. Ceci réduit la qualité moyenne des projets, justifie une hausse de la rémunération requise, élimine à nouveau une partie des demandes de financement et ainsi de suite … Au final, en appliquant au marché des capitaux (crédits et fonds propres), les conclusions d’Akerlof (1970), celui-ci court un risque de rétrécissement et éventuellement un risque de disparition. A tout le moins, on montre que dans ces circonstances, l’offre de capitaux sera rationnée, c’est-à-dire que l’ajustement se fera par le volume de financement faute de trouver un prix ou en l’occurrence une rémunération d’équilibre (Stiglitz etWeiss, 1981). - un problème « d’aléa de moralité » qui hypothèque le respect des clauses du contrat financier. Ce dernier est lié à l’incomplétude des contrats qui dispose qu’il est difficile d’écrire précisément les droits et obligations des co-échangistes dans tous les cas de figure possibles. Le demandeur de capitaux peut alors utiliser sa situation d’information privilégiée pour jouer contre les intérêts du créditeur. Il peut, en particulier, choisir un projet plus risqué que prévu, ou le mettre en œuvre selon des modalités différentes, cacher la réalité des résultats obtenus. La position asymétrique des co-contractants peut rendre impossible, ou du moins difficile la réalisation de l’opération. La réduction des différents effets induits par les asymétries se situe au cœur du processus de développement financier et économique. Améliorer la capacité des intermédiaires financiers à exercer leur droit de gouvernance sur les entreprises pourrait à cet égard contribuer fortement au développement du secteur privé en Afrique. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 37 L’analyse des effets positifs prêtés aux différentes fonctions présentées supra démontre à loisir la contribution de systèmes financiers efficients à l’amélioration de l’efficience microéconomique des acteurs de la sphère réelle. Au-delà de cette présentation générale des effets positifs d’un système financier efficient, leur impact sur les ménages mérite une attention toute particulière au sein d’un espace géographique où 41,1% des individus vivent avec moins d’un dollar par jour (United Nations, 2007). Cette interrogation est particulièrement importante au vu de la volonté de la communauté internationale d’améliorer la capacité des populations d’Afrique subsaharienne à se prémunir contre les aléas de la vie incarnée dans la Déclaration du Millénaire. SECTION II – SYSTEMES FINANCIERS EFFICIENTS ET CAPACITE DES MENAGES A FAIRE FACE AUX CHOCS MACRO ET MICROECONOMIQUES Les différentes fonctions et instruments (notamment les dépôts et les crédits) mis en œuvre par les intermédiaires financiers peuvent améliorer la gestion par les ménages de leur contrainte de liquidité et beaucoup plus largement de leur contrainte financière. Ils augmentent leur résilience à différentes catégories de chocs. Des mécanismes généraux (§1) et spécifiques (§2) sous-tendant ces processus seront présentés avec une attention toute particulière pour leur impact positif en matière de hausse de la productivité, de baisse du travail des enfants, de scolarisation ou d’amélioration de l’accès aux soins médicaux. §1- LA RELATION GENERALE ENTRE SYSTEME FINANCIER EFFICIENT ET RESILIENCE AUX CHOCS ECONOMIQUES. Les ménages, comme tout agent économique, sont amenés à réaliser un certain nombre d’investissements illiquides ou alors ayant une rentabilité uniquement à long terme. Il peut s’agir d’investissement dans des activités intangibles telles que l’éducation ou alors un investissement dans une activité productive. Face à ces dépenses engagées sur le long terme, les ménages se doivent parfois de maintenir un niveau minimal de consommation courante ou alors d’augmenter celle-ci de manière temporaire. Confrontés à un choc microéconomique ou macroéconomique, ils peuvent enregistrer une baisse de leur revenu courant (qui exerce une contrainte sur leur consommation courante) ou alors être dans l’obligation d’augmenter leur consommation courante (volonté qui vient buter sur leur contrainte Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 38 financière). Pour faire face à ces aléas et en l’absence de toutes ressources nouvelles, les ménages peuvent être contraints de liquider leurs investissements de long terme. Cette décision est doublement sous-optimale dans sa réalisation et dans son esprit. Dans sa réalisation, elle se heurte au caractère illiquide de certains investissements. Ceux-ci ne peuvent être vendus immédiatement ou alors à leur valeur de marché. Cette contrainte limite la capacité des ménages à faire face à un choc économique et peut les pousser à recourir à d’autres moyens (travail des enfants et son corollaire désinvestissement dans l’éducation, par exemple) pour satisfaire leur besoin de consommation courante. Dans son esprit, la liquidation prématurée de ces actifs remet en cause les gains futurs supérieurs à ceux réalisés immédiatement lors de la vente. Le système financier peut réintroduire de l’optimalité dans le calcul économique des ménages à travers deux mécanismes complémentaires : l’accès aux crédits et à une épargne mutualisée. La première forme (à travers l’accès aux dépôts/crédits, par exemple) permet aux ménages de passer d’une situation dans laquelle ils pourraient investir eux mêmes dans des projets de long terme rentables mais peu liquides vers une deuxième situation dans laquelle ils peuvent investir sur le long terme dans un placement semblable à la rentabilité égale ou plus forte mais caractérisée par une meilleure liquidité. Dans ce dernier cas, l’intermédiaire financier se substitue à la vocation entrepreneuriale de chaque individu. Pour les ménages et les entreprises, les dépôts à vue et les comptes chèques offerts par les banques possèdent le plus fort degré de liquidité car ils sont susceptibles d’être échangés à tout moment contre tout autre bien. Cette propriété est critique dans la maximisation de l’utilité de la consommation inter temporelle des ménages. Les dépôts à vue peuvent être considérés comme des contrats détenus par des agents ayant chacun des préférences différentes, des besoins et des plans de consommation qui sont soumis à des chocs aléatoires à chaque période. Au regard de cet aléa, les dépôts à vue fournissent une assurance-liquidité. Un encours de dépôts à vue suffisant permettant à l’agent d’ajuster son programme de consommation pour tenir compte des chocs sans qu’une contrainte de liquidité (pas suffisamment de moyens de paiement relativement à la consommation désirée au cours d’une période) ne le rende sous-optimal. Le coût de l’assurance liquidité, la prime, se traduit par la sous rémunération (ou l’absence de rémunération) des dépôts à vue (Bryant, 1980). Ces différents mécanismes seront analysés de manière plus spécifique dans leur contribution à la réduction de la déscolarisation, du travail des enfants et à la baisse de la consommation suite à un choc médical. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 39 §2- LE LIEN ENTRE INTERMEDIATION FINANCIERE, LE TRAVAIL DES ENFANTS, LE NIVEAU DE SCOLARISATION ET L’AMELIORATION DE L’ACCES AUX SOINS DE SANTE Différents services proposés par les intermédiaires financiers permettent de desserrer la contrainte financière des ménages. Face à un choc macroéconomique (sécheresse, récession,…) ou microéconomique (maladie, par exemple), l’accès au crédit constitue une alternative permettant aux ménages de maintenir leur programme optimal de consommation inter temporelle sans avoir à effectuer des choix cornéliens ou sous-optimaux (recours au travail des enfants, sacrifice de certaines dépenses essentielles telles que l’éducation, vente d’une partie du patrimoine). A-Accès au crédit et conséquence sur le travail des enfants et la scolarisation La protection de l’enfance fait partie des objectifs que s’est assignée la communauté internationale dans le cadre de la Déclaration du Millénaire. D’après l’Unicef, près de 246 millions d’enfants ayant moins de 14 ans travaillaient dans le monde en 2006 (Unicef, 2008a et 2008b). En Afrique subsaharienne, sur la période 1999-2005, près de 37 pourcent des moins de 14 ans exerçaient une activité professionnelle. Figure 4: Travail des enfants dans différentes régions en développement. Source : Unicef (2008a et 2008b) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 40 Dans l’approche économique orthodoxe, le travail des enfants est considéré comme étant une conséquence de la pauvreté10 mais cette interprétation unique semble désormais être remise en cause. En s’appuyant sur la théorie du revenu permanent, une littérature récente, s’inspirant des travaux de Morduch (1995) fait de l’absence d’accès au crédit un des déterminants de la prévalence du travail des enfants. Selon cet auteur, en l’absence d’accès au crédit, des ménages désireux de lisser leur profil de consommation peuvent utiliser différents mécanismes dont le travail des enfants. En s’appuyant sur l’étude de données de panel menée dans la région de Kagera en Tanzanie, Beegle et al.(2003) démontrent que le travail des enfants est un mécanisme que les ménages ruraux des pays en voie de développement utilisent pour lisser leur consommation. Le raisonnement est simple : suite à un choc macroéconomique (mauvaises récoltes), les ménages peuvent souhaiter, pour différentes raisons, maintenir leur revenu courant inchangé (entre autres raisons, on peut citer le besoin de disposer de ressources pour faire face aux besoins alimentaires). En l’absence de systèmes financiers fonctionnels, les ménages ne peuvent pas emprunter pour faire face à ce choc transitoire et peuvent recourir au travail des enfants. L’absence de marché du crédit empêche le ménage type de réaliser un arbitrage optimal entre les gains de court terme liés au travail des enfants et les gains plus importants sur longue période résultant d’une meilleure éducation de ceux-ci. Dehejia et Gatti (2002), utilisant des données en coupe portant sur 172 pays, ont confirmé cette causalité en mettant en exergue une relation négative entre le travail des enfants et l’accès au crédit. L’étude conclut sur un recours au travail des enfants plus important comme variable d’ajustement aux variations macroéconomiques dans des pays disposant de systèmes financiers sous-développés. Ces travaux soulignent la nécessité de développer les systèmes financiers dans les pays d’ASS ou alors de favoriser l’essor de produits d’assurance. Le travail des enfants ayant pour complémentaire la déscolarisation, le développement financier peut permettre de faciliter la réalisation d’un autre Objectif du Millénaire : l’augmentation du taux de scolarisation des enfants. S’intégrant dans la lignée des analyses en termes de revenu permanent, Jacoby (1994) démontre qu’un faible accès au crédit contribue à la perpétuation de la pauvreté en raison de la propension des ménages les plus démunis à limiter le niveau d’éducation de leurs enfants. Pour Jacoby et Skoufias (1997), suite à un choc macroéconomique, les populations de six villages d’indiens du Pérou ne disposant pas d’un accès aux marchés du crédit réduisaient davantage le niveau de scolarisation de leurs enfants que les ménages ayant un accès au crédit. 10 Cf. notamment le document rédigé par Fallon et Tzannatos (1998): Fallon, P.et Z. Tzannatos (1998), Child Labor: Issues and Directions for the World Bank, Washington D.C.: Banque Mondiale. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 41 Si l’absence d’intermédiaires ou de mécanismes financiers efficients constituent un facteur de déscolarisation et de recours au travail des enfants, leurs effets se font aussi sentir en matière d’accès aux soins médicaux. B-Accès au crédit et résilience aux chocs médicaux Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, en l’absence de filet de protection sociale, les ménages doivent gérer individuellement les conséquences de la maladie. Ce manque de couverture sanitaire peut occasionner des risques importants liés notamment à la perte de revenu associée à la maladie mais aussi aux coûts médicaux élevés qui y sont associés. Dans un tel environnement, les ménages peuvent compter sur des mécanismes privés et informels d’assurance (ponction sur leur épargne thésaurisée, vente d’actifs, transferts d’argent). L’existence de ces formes imparfaites de protection sociale permet aux familles de se prémunir plus ou moins parfaitement contre les effets de chocs aléatoires. En fait, ces mécanismes ne sont pas forcément optimaux et constituent des solutions de second rang. Gertler et Gruber (2002) ont démontré que des familles s’appuyant uniquement sur des mécanismes informels n’étaient pas à même de préserver leur niveau de consommation en cas de maladie grave. Dans une étude datant de 2003 et portant sur des familles indonésiennes, Gertler, Levine et Moretti (2003) mettent en évidence le rôle fondamental joué par l’accès aux institutions d’épargne et de crédit pour le maintien du niveau de consommation en cas de maladie. Ce faisant, ils mettent en avant la capacité du système financier, à travers les institutions de micro finance dont ces familles étaient clientes, à contribuer au maintien de leur niveau de consommation. L’épargne financière et d’autres formes d’actifs jouent, par conséquent, un rôle majeur dans la préservation de la consommation familiale en cas de crise sanitaire. Une stratégie prometteuse dans ce domaine consisterait à rendre leur accès plus aisé. CONCLUSION De ce premier chapitre, il apparaît que des systèmes financiers efficients constituent une nécessité pour améliorer les interactions économiques entre agents mais aussi leur capacité à faire face à toute une série de chocs pouvant affecter et réduire leur bien-être. A ce titre, la capacité des intermédiaires financiers à proposer des solutions à même d’empêcher le recours à des solutions sous-optimales (travail des enfants, déscolarisation, vente prématurée d’actifs productifs) représente un facteur indéniable de développement. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 42 Différents mécanismes microéconomiques étudiés dans ce chapitre constituent quelques uns des fondements microéconomiques des théories associant le développement financier au développement économique. La réalité et la pertinence de ces liens feront l’objet du chapitre 2 (lien développement financier et croissance) et du chapitre 3 (lien développement financier et pauvreté). Toutefois, la portée de ces mécanismes au sein des pays de l’arc subsaharien semble altérée en raison de la présence de facteurs susceptibles d’en réduire l’impact. A titre d’exemple, le souvenir des crises financières des années 80 et 90 limite la confiance des agents à capacité d’épargne tout en alimentant les processus de fuite des capitaux. L’existence d’asymétries d’information réduit le volume et la qualité du processus d’intermédiation tandis que la multiplicité des risques limite la capacité des acteurs financiers à les diversifier et à les supporter. Dans des marchés encore plus imparfaits que sous d’autres cieux, les logiques de maximisation de la rentabilité en univers incertain par des agents à la rationalité limitée peuvent exclure de l’accès aux services financiers des clientèles qui devraient pourtant en être les premiers bénéficiaires (pauvres, PME innovantes). Ces imperfections et leurs conséquences constituent autant de remises en cause des effets vertueux associés à l’intermédiation financière. Au sein d’environnements caractérisés par l’incapacité des acteurs à se coordonner, ces imperfections et processus sous-optimaux soulignent la nécessité d’actions correctrices mises en œuvre par la puissance publique. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 43 CHAPITRE 2 SYSTEMES FINANCIERS EFFICIENTS ET CROISSANCE Les opinions, les théories, les systèmes, passent tour à tour sur la meule du temps, qui leur donne d'abord du tranchant et de l'éclat, et qui finit par les user. Rivarol, Maximes, pensées et paradoxes INTRODUCTION C’est en gardant cette maxime à l’esprit et en procédant avec une certaine prudence qu’il faut envisager le lien entre des systèmes financiers développés et efficients et les différentes composantes de la croissance dans la mesure où la littérature sur ce lien a été animée d’effets de mode statuant tantôt négativement ou positivement sur cette relation. En effet, à l’instar de la querelle des Anciens et des Modernes, le débat autour du lien entre finance et croissance a parfois, voire souvent, été plus qu’animé. Malgré les différentes fonctions microéconomiques qu’il remplit au sein de toute économie, la prise en compte du rôle du facteur financier dans le processus de développement est assez récente et la réflexion sur sa contribution à la croissance a été l’objet d’un débat théorique très dense (section I). Ainsi, la vision d’un système Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 44 financier répondant passivement aux impulsions de la sphère réelle défendue par Say et les néoclassiques s’oppose à la position schumpetérienne faisant de l’intermédiaire financier et du banquier un des moteurs du cycle économique (Schumpeter, 1911). S’inscrivant dans cette lignée, les modèles de croissance endogène éclairent depuis le début des années 80 les canaux d’interactions entre variables financières et réelles. De nombreuses études empiriques réalisées depuis les années 1990 permettent d’étayer le lien positif entre développement financier et croissance. Elles reposent soit (i) sur le constat du rôle joué par des systèmes financiers développés dans les trajectoires de développement d’autres PED, (ii), sur leur capacité à palier la baisse ou la volatilité des ressources financières extérieures (APD, IDE) mais aussi sur des études économétriques précisant la nature des interactions entre les sphères réelle et financière, notamment dans les pays d’Afrique subsaharienne (section II). SECTION I - LA CONTROVERSE THEORIQUE AUTOUR DU LIEN FINANCE-CROISSANCE ET L’APPORT DES MODELES DE CROISSANCE ENDOGENE La controverse autour de la contribution de systèmes financiers efficients à la croissance s’est développée autour de travaux émanant de la pensée néoclassique qui ont fait l’objet d’une réfutation méthodique de la part d’économistes tels que Schumpeter, Gurley, Shaw ou Gerschenkron (§1). Au tournant des années 80, l’avènement des modèles de croissance endogène est venu légitimer encore plus fortement l’apport du développement financier à la croissance économique (§2). §1- L’APPROCHE NEOCLASSIQUE ET LES TRAVAUX FONDATEURS SUR LE LIEN CROISSANCE-FINANCE Le débat épistémologique autour du lien entre finance et croissance se caractérise aujourd’hui par un relatif consensus sur la capacité du secteur financier à influer sur la croissance. Cette quasi unanimité n’a cependant pas toujours été de rigueur (A). A-La vision néoclassique : le secteur financier n’influe pas sur la croissance Dans la lignée des économistes néoclassiques et des disciples de la théorie de la monnaievoile de Jean-Baptiste Say, des économistes de renom tels que Robinson (1962) et Lucas (1988) ont affirmé que les opérations du secteur financier répondent simplement au développement économique et s’adaptent aux évolutions de la sphère réelle. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 45 “In general, I believe that the importance of financial matters is very badly over-stressed in popular and even much professional discussion and so am not inclined to be apologetic for going to the other extreme. Yet insofar as the development of financial institutions is a limiting factor in development more generally conceived I will be falsifying the picture, and I have no clear idea as to how badly. But one cannot theorize about everything at once. I had better get on with what I do have to say”. Lucas, R.E. (1988) Les modèles néoclassiques (dont le plus influent d’entre eux, celui de Solow) ont longtemps incarné l’orthodoxie et ignoré les frictions pouvant affecter l’intermédiation financière. Dans ces modèles, les systèmes financiers garantissent de manière quasi mécanique et optimale l’allocation de l’épargne vers les projets d’investissements. Pour les tenants de cette tradition économique, le rôle accordé au secteur financier dans le processus de développement est injustifié voire disproportionné. Cette position est contestée par de nombreux économistes dont les travaux portant sur la croissance endogène remettent en cause la pensée néoclassique et valident une intuition ancienne faisant du facteur financier un des déterminants de la croissance. Ces travaux postulent que les secteurs financiers nationaux exercent un rôle crucial dans la résorption des frictions existant sur les marchés et influent sur les taux d’intérêt, les décisions d’investissement, l’innovation technologique et les taux de croissance de long terme. En effet, les institutions financières tirent leur légitimité et leur raison d’être de leur capacité à réduire les conséquences découlant des coûts de transaction et d’information ainsi que des imperfections au sein de la sphère financière présentées supra. Ces facteurs réduisent le processus d’allocation et d’accumulation de l’épargne domestique mais aussi l’effectivité des différents mécanismes microéconomiques par lesquels les intermédiaires financiers influent positivement sur leur environnement. Différents auteurs, ont essayé de réconcilier ces effets microéconomiques avec l’action de la sphère financière sur la croissance de la sphère réelle. B-Les travaux fondateurs sur le lien entre systèmes financiers efficients et la croissance La compréhension des effets bénéfiques d’un système financier fonctionnel sur la croissance et le développement ne peut se faire sans un arrêt sur quelques auteurs considérés comme des classiques de la littérature sur le développement financier et son impact : Schumpeter (1911), Gerschenkron (1962), Gurley et Shaw (1955, 1960) ainsi que Goldsmith (1969). Au-delà de ses contributions sur la théorie de l’innovation, de l’entrepreneur et du cycle du produit, Schumpeter affirme dès 1911 que l’accès au crédit constitue un des prérequis à l’innovation car il n’y a pas de théorie du développement qui ne soit une théorie monétaire Chouchane-Verdier (2001). S’inscrivant dans le cadre d’une économie de plein emploi, il souligne que Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 46 la seule source d’évolution réside dans la modification et l’amélioration des conditions productives antérieures. Dans son analyse, l’épargne ne correspond pas à un effort d’abstinence au détriment de la consommation mais constitue le fruit des gains accumulés antérieurement. Or, l’épargne est malheureusement insuffisante pour satisfaire le besoin de monnaie des entrepreneurs qui doivent solliciter les banques. Ces dernières créent littéralement du pouvoir d’achat et Schumpeter oppose cette création monétaire intitulée "crédit essentiel" au "crédit non essentiel" apporté par l’épargne. Dans une telle économie, les intermédiaires ont un rôle déterminant à travers un double mécanisme à la fois quantitatif et qualitatif. Qualitativement, seul l’octroi de crédit aux entrepreneurs peut permettre à ceux-ci d’innover et de modifier les processus de la sphère réelle. Quantitativement, le volume de crédit accordé par les banques a des effets sur l’évolution du cycle économique. La montée des préoccupations développementalistes dans la période d’après Guerre, va donner libre cours à une série de réflexions orientées spécifiquement sur les systèmes financiers des PED. Gerschenkron, s’inscrivant dans la tradition schumpétérienne, précise la nature du lien entre système financier et croissance économique dans les pays en voie de développement. Pour cet auteur, le système bancaire est amené à jouer un rôle primordial dans le processus de développement car il s’agit de la seule source de financement dans des pays ne disposant pas d’un stock de capital préalablement constitué. Selon Gerschenkron, plus le retard économique est fort, plus le rôle du secteur bancaire est fondamental en tant que pourvoyeur de crédit. Le rôle des banques diffère, par ailleurs, selon les étapes du développement. S’opposant à la vision d’un processus uniforme de développement présentée par Rostow et s’appuyant sur une étude des différentes expériences d’industrialisation, Gerschenkron établit l’importance de la mise à disposition du capital pour asseoir le processus d’industrialisation. Il fait, par ailleurs, remarquer que pendant la phase d’industrialisation dans les pays européens, le manque de capital a été compensé par le système bancaire grâce à la création de crédit. Il s’agit du "paradoxe de Gerschenkron" qui n’est malheureusement pas à l’œuvre en Afrique. En effet, face à la carence de capitaux pour financer des investissements, les banques africaines ne jouent pas le rôle qu’ont pu avoir leurs consœurs européennes dans le passé. Gerschenkron en déduit une recommandation de politique économique : face à l’incapacité des banques d’octroyer des crédits aux entrepreneurs, l’Etat se doit de mener une politique visant à encourager les institutions financières. Par ailleurs, il affirme que l’activité de pourvoyeur de pouvoir d’achat sera facilitée si le processus d’industrialisation repose sur la reproduction d’unités de production dans le même secteur et non sur une forte diversification des activités. En effet, les banques sont plus à même de prendre des risques sur des projets déjà expérimentés. L’ultime recommandation de Greschenkron a trait aux réformes financières. Le processus d’industrialisation requiert des institutions financières différentes selon le stade de retard Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 47 économique. Les réformes financières doivent, par conséquent, prendre en compte cette séquence et ne pas être appliquées uniformément telle une panacée universelle. Pour Gurley et Shaw, la fonction principale des intermédiaires financiers est de transférer la fraction du revenu non dépensée des agents à excédent aux agents à besoin de financement. Il en résulte une amélioration du niveau d’épargne, d’investissement et une allocation plus efficiente de l’épargne. La diversification des instruments financiers permet, en outre, une croissance économique optimale. Goldsmith s’inscrit dans la démarche méthodologique de Gurley et Shaw. Il s’appuie sur l’étude d’une douzaine de pays développés mais qui diffèrent par le degré de maturité de leur structure financière (diversité des instruments financiers), et leur évolution dans le temps (apparition des différents instruments financiers, vitesse de pénétration dans les différents secteurs de l’économie et adaptation aux modifications de l’environnement économique). Goldsmith réalise une typologie des systèmes financiers à partir de certains ratios dont le FIR (Financial Interrelations Ratios). Celui-ci se définit comme le rapport des actifs financiers à la richesse nationale. La valeur de ce ratio permet de distinguer trois catégories de structures financières. Un FIR faible (0.2 à 0.5) correspond à un système dans lequel les institutions financières ne détiennent qu’une faible part des actifs financiers. Dans ce type de système, les banques commerciales sont les institutions financières et la relation de gré à gré est prépondérante. Une deuxième catégorie de structures se distingue par les conditions du premier stade mais accorde un rôle plus important aux institutions financières étatiques. La troisième catégorie englobe les pays pour lesquels le FIR est supérieur à 1. Il s’agit généralement de pays développés dans lesquels les institutions financières détiennent une part importante des actifs financiers. Un rôle plus considérable y est dévolu aux compagnies d’assurance et autres intermédiaires financiers. Selon Goldsmith, le niveau de développement économique est d’autant plus élevé que le système financier est complexe et diversifié. La multiplicité et la diversité des instruments financiers permettent, en effet, d’obtenir un niveau d’investissement supérieur au montant de l’épargne nationale. Les modèles de croissance endogène ont essayé d’intégrer ces différents apports afin de présenter de la manière la plus exhaustive possible l’impact du développement financier sur la croissance économique. §2-LES MODELES DE CROISSANCE ENDOGENE CLARIFIENT LES CANAUX PAR LESQUELS DES SYSTEMES FINANCIERS INFLUENT SUR LA CROISSANCE Les modèles néoclassiques de croissance à la Solow ont longtemps postulé que la sphère financière était une boîte noire ayant pour unique fonction la transmission de l’épargne des agents excédentaires vers les agents à besoin de financement. Dans ces modèles, seules les variables de la Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 48 sphère réelle, notamment le progrès technique, exercent une influence sur le taux de croissance. Différents modèles de croissance endogène, s’appuyant sur l’analyse de Romer (1989), se sont attachés à démontrer que la qualité de l’intermédiation financière pouvait avoir des effets sur le niveau de capital par tête ou celui de la productivité mais aussi sur leurs taux de croissance respectifs. Parmi les différentes contributions théoriques intégrant le facteur financier, Pagano (1993) modélise une économie concurrentielle avec externalités à la Romer dans laquelle chaque entreprise fait face à des rendements d’échelle constants. Le bien unique produit au sein de cette économie peut être investi ou consommé. Ce modèle a été largement utilisé, notamment par Santamero et Seater (2000) afin de déterminer la taille optimale du système financier. Il permet de préciser les différents mécanismes d’interaction entre finance et croissance. Jacquet et Pollin (2007) explicitent les trois canaux de transmission mis en exergue par Pagano entre des systèmes financiers et la croissance à long terme. Premièrement, un système financier plus efficient peut contribuer à accroître la proportion de l’épargne allouée au financement de l’investissement. Un système financier plus efficient est à même de mieux identifier les opportunités d’investissement et d’allouer une part plus importante de l’épargne vers des projets productifs. Par ailleurs, il entraîne une baisse des coûts de transaction impliqués dans la collecte de l’épargne et dans son allocation à l’investissement. Ces coûts constituent la part de l’épargne captée ou perdue au sein du processus d’intermédiation. Deuxièmement, à travers l’allocation de l’épargne vers les projets les plus rentables, le développement financier augmente la productivité marginale du capital, un des facteurs de la croissance à long terme. Troisièmement, un système financier plus efficient peut accroître le taux d’épargne privé. Cet effet est toutefois sujet à caution et souvent présenté comme ambigu. En effet, le développement d’instruments d’épargne fiables et efficaces ainsi que la rémunération de l’épargne peuvent conduire à la hausse du taux d’épargne. Mais, le développement financier peut aussi réduire l’épargne : des ménages mieux assurés, par exemple, peuvent diminuer l’épargne de précaution. Le développement financier relâche aussi la contrainte de liquidité à laquelle les ménages font face et permet un lissage de la consommation, ce qui peut également conduire à une baisse du taux d’épargne. Ces effets de l’organisation financière ont pour conséquence d’accroître à la fois, le niveau et la productivité du capital, donc la croissance de l’économie, selon un enchaînement que l’on peut résumer par le schéma suivant. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 49 Meilleure sélection des investissements et contrôle des décisions Amélioration de la collecte et de la rémunération de l’épargne (2) Hausse de la productivité du capital (3) Hausse de l’épargne (1) Hausse de l’investissement Hausse de la Production Figure 5: Les canaux d’interaction entre système financier et variable réelle. Source : Jacquet, P. et Pollin, J.-P. (2007) Jacquet et Pollin concluent qu’ « …en supposant qu’il existe une proportionnalité entre le stock de capital et le niveau de production, on parvient à justifier l’incidence de l’organisation financière sur le taux de croissance de l’économie : une amélioration de l’efficience du système financier engendre un accroissement du niveau de production en raison de l’augmentation du niveau et de la productivité du capital, ce qui génère une augmentation de l’épargne et un accroissement du stock de capital. Au final, il en résulte un processus auto entretenu. Le taux de croissance devient endogène aux caractéristiques de l’économie et particulièrement à celles du système financier.» En plus de ce schéma récapitulant les avancées des modèles de croissance endogène, le tableau n°3 revient sur les différentes approches théoriques justifiant l’importance du lien entre développement financier et différentes variables réelles contribuant à la croissance. Au-delà de cet effort théorique, de nombreux économistes se sont lancés dans une quête de preuves empiriques pouvant légitimer la relation finance-croissance. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 50 Thèmes Système financier et financement du cycle économique Canaux d’action du système financier sur la sphère réelle Système financier et accroissement du stock de capital Action sur l’épargne, la productivité marginale du capital et le niveau d’investissement Aspects microéconomiques Auteurs L’accès au crédit constitue un des prérequis à l’innovation. La création de pouvoir d’achat par les intermédiaires financiers permet de financer de nouvelles activités. Effet qualitatif du crédit (financement de l’innovation) et quantitatif (volume de financement) sur l’activité. Le crédit est le moteur du cycle économique. Schumpeter (1911) Le système bancaire comme seule source de financement dans des pays ne disposant pas d’un stock de capital préalablement constitué. Paradoxe de Gerschenkron : face à la carence de capitaux pour financer des investissements, les banques des PVD ne jouent pas le rôle qu’ont pu avoir leurs consœurs européennes au cours de la révolution industrielle. Recommandation : action de la puissance publique pour palier à ce déficit. Gerschenkron (1962) Un système financier plus efficient contribue à la hausse de l’épargne allouée en faveur de l’investissement. L’allocation de l’épargne vers les projets les plus rentables permet d’augmenter la productivité marginale du capital, un des facteurs de la croissance de long terme. un système financier plus efficient peut accroître le taux d’épargne privé. Des intermédiaires financiers fonctionnels améliorent l’efficience des agents économiques à travers cinq fonctions de base : (i) la facilitation des échanges de biens et services ; (ii) la mobilisation et la collecte de l’épargne ; (iii) la production d’information sur les investissements envisageables et l’allocation de l’épargne ; (iv) la répartition, la diversification et la gestion du risque et au final ; (v) (v) le suivi des investissements en exécution et le contrôle de la gouvernance. Modèles de croissance endogène dont Pagano (1993) Levine (2005) Tableau 3: Différentes contributions théoriques au débat sur le lien entre système financier et croissance. SECTION II - ELEMENTS EMPIRIQUES FAISANT DE SYSTEMES FINANCIERS EFFICIENTS UN PREREQUIS A LA CROISSANCE EN AFRIQUE Depuis plusieurs années, l’utilisation de l’économétrie permet de préciser le lien entre le développement du secteur financier et la croissance de la sphère réelle (§2) tandis que différents rapports et études soulignent la nécessité pour les pays d’Afrique subsaharienne de disposer de Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 51 systèmes financiers solides afin de faire face à la baisse des flux d’APD et financer la croissance de leur secteur productif (§1). §1- LE RECOURS A L’EPARGNE LOCALE COMME ALTERNATIVE A LA FAIBLESSE DES FLUX DE FINANCEMENTS EXTERIEURS En dépit d’un taux de croissance régional de 5.3% en 2005, le continent africain n’attire pas les investissements directs étrangers (IDE). En 2004, le continent n’a reçu que 3% des flux d’IDE entrants mondiaux contre près de 23% pour les pays asiatiques en développement. A elle seule, l’Afrique du Nord a capté le tiers des 18 milliards de dollars américains investis sur le continent. Le reste, soit près de 14 milliards de dollars américains, a été réparti entre les 48 pays d’Afrique subsaharienne. Malheureusement, l’essentiel de ces flux a été orienté vers quelques pays pétroliers. Cette inégalité dans la répartition de l’IDE fait de la constitution de systèmes financiers nationaux profonds une nécessité afin de financer le développement des pays africains. Elle permettrait aussi de compléter les flux de financement provenant de l’APD dont les fluctuations sont parfois erratiques (OCDE, 2007). La mobilisation des ressources internes est d’autant plus importante que certaines études affirment que la capacité d’un pays à financer ses besoins d’investissements de manière autonome constitue une des clés de la croissance de long terme. A-L’auto financement local de l’investissement : un gage de croissance forte et durable Aizenman et al. (2004) proposent un indicateur d’autofinancement national qui correspond au ratio Epargne brute nationale cumulée et actualisée/Investissement brut. Ce ratio indique la part de capital tangible financée par l’épargne nationale accumulée. Le numérateur correspond au volume de capital qui serait disponible si tous les investissements nationaux étaient financés sans recourir aux emprunts extérieurs. Dans l’idéal, un ratio d’autofinancement égal à 1 correspond à une économie dans laquelle le stock de capital est entièrement financé par l’épargne nationale. Un ratio inférieur (respectivement supérieur) à 1 indique un recours à l’épargne extérieure (respectivement une capacité de financement). L’étude d’Aizenman et al. est intéressante à plus d’un titre. Premièrement, elle met en lumière les différences régionales en matière d’auto financement. Bien que stable dans la majorité des pays en voie de développement sur la décennie 1990 (ratio moyen de 90%), le ratio a connu une baisse de 3% en moyenne dans les pays d’Amérique latine et d’Afrique. Ces derniers ont donc enregistré une hausse de leur dépendance vis-à-vis de l’épargne extérieure pour financer leur effort d’investissement. A contrario, dans les pays asiatiques, ce ratio, déjà largement supérieur à 1 en 1991 n’a cessé de progresser. Les pays asiatiques ont donc largement financé leur accumulation de capital en recourant à leur épargne domestique. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 52 mérique Latine Figure 6: Ratio d’autofinancement moyen par Figure 7: Taux de croissance moyen par région du région. Source : d’après Aizeman J. (2005) PIB. Source : d’après Aizeman J. (2005) Deuxièmement, Aizenman et al. font remarquer que les pays ayant les taux d’auto financement plus élevés sont ceux qui connaissent les taux de croissance les plus forts (en l’occurrence les pays asiatiques suivis par l’Amérique latine et l’Afrique). B-Des systèmes financiers à même de palier au « financing gap » des pays africains L’examen des financing gaps de certains pays africains, c’est-à-dire la différence entre la formation brute de capital et l’épargne brute, révèle l’incapacité des systèmes financiers africains à financer leurs besoins d’investissement interne. Cette réalité constitue une de leurs principales faiblesses et justifie la volonté de structurer ceux-ci afin que le développement financier puisse accompagner le développement économique. Au niveau des bailleurs de fonds, cette volonté doit être d’autant plus forte que des systèmes nationaux efficients et profonds seraient capables de palier à la faiblesse des flux d’investissements directs et de compenser les fluctuations erratiques de l’APD. Le développement des secteurs financiers nationaux subsahariens doit, par conséquent, constituer une priorité des politiques économiques. Au-delà de ces constats empiriques sur la nécessité du développement financier, de nombreux travaux économétriques se sont attelés à préciser la nature de la relation entre développement financier et croissance. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 53 Figure 8: Financing gap de quelques pays africains. Source : Banque Mondiale (2007a) Figure 9: Financing gap de quelques pays africains. Source: Banque Mondiale (2007a) §2- DIFFERENTES ETUDES ECONOMETRIQUES ATTESTENT DE LA RELATION FINANCE/CROISSANCE EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE Avec le développement de l’économétrie, une série d’études vont essayer de préciser à partir des années 90 la nature du lien entre finance et croissance ainsi que ses modalités. Avant de présenter des études attestant de l’existence de cette relation dans le cas africain (B), la présentation Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 54 des études séminales sur le lien entre croissance et finance (A) permettra de comprendre certaines de leurs limites. A-Les travaux économétriques séminaux sur le lien finance-croissance #1- La corrélation générale intermédiation financière/croissance et ses fondements micro et macroéconomiques La littérature traitant du lien entre finance et croissance a connu un formidable développement au cours des quinze dernières années en raison de l’élaboration par la Banque Mondiale de bases de données comprenant différentes variables financières portant sur plus de 190 pays depuis 1960. Plusieurs études, remontant parfois jusqu’aux années 60, se sont efforcées d’établir le lien entre le niveau de développement financier d’un pays (notion appréhendée à travers toute une série d’indicateurs de profondeur et d’efficience) et son taux de croissance économique. En raison de la difficulté de disposer d’indicateurs portant sur des dimensions telles que l’accès, la diversité, la plupart des études utilisent des indicateurs de profondeur du système comme une approximation du développement financier. La mise à disposition de données plus riches devrait permettre d’améliorer la qualité des études. L’article séminal dans ce domaine est celui de King et Levine (1993). Ces deux économistes ont établi une relation entre des indicateurs macroéconomiques de profondeur financière (une des dimensions du développement financier) et de croissance (croissance du PIB par tête et/ou de la productivité par tête). Au-delà de ce lien de corrélation, leurs travaux mettent en exergue la capacité du niveau de développement financier à déterminer la croissance future. Ils affirment, en effet, que la profondeur financière actuelle est à même d’influer et de déterminer le niveau de croissance économique pour les dix voire trente prochaines années. On peut en déduire, avec les auteurs, que de meilleurs systèmes financiers sont à même de promouvoir une croissance plus rapide de la productivité et du PIB par tête. De nouvelles études essaient de préciser la contribution du développement financier à la croissance réelle. Certains travaux empiriques laissent penser que le développement financier influencerait plus la croissance économique de manière qualitative que quantitative. Les travaux réalisés par Beck, Levine et Loayza (2000) soulignent que l’action de systèmes financiers plus efficients en faveur de la hausse du taux de productivité et d’une meilleure allocation des ressources exerce un impact plus fort que l’amélioration de la mobilisation de l’épargne et du volume d’investissements alloué à l’économie. Au-delà des modalités d’action des systèmes financiers, plusieurs études se sont attelées à déterminer l’effet des systèmes financiers sur différentes variables macroéconomiques (canal 2, la balance commerciale, par exemple) ou secteurs de l’économie (canal 1, le développement sectoriel). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 55 Canal n°1 : l’effet sur le développement des différents secteurs de l’économie S’appuyant sur des échantillons de données industrielles recueillis aussi bien dans des pays développés qu’en voie de développement, de nombreux économistes ont tenté de valider les conclusions des modèles théoriques portant sur les effets aux niveaux micro/méso économiques de systèmes financiers plus efficients (Demirgüç-Kunt, 2006). Une première série d’études s’est attelée à mesurer l’impact microéconomique du développement financier en analysant son rôle dans le financement et la croissance des entreprises. En matière de taux de croissance, Demirguc-Kunt et Maksimovic (1998), à l’aide d’un modèle de planification financière, affirment que des systèmes financiers plus développés (caractérisés par la présence d’un secteur bancaire plus large et des marchés plus liquides) permettent aux entreprises de connaître une croissance plus rapide que si elles recouraient uniquement à l’autofinancement. L’investissement des entreprises s’avère, par ailleurs, plus sensible à la capacité d’autofinancement et à ses fluctuations dans des systèmes connaissant un faible degré de développement financier (Love, 2003). Dans un article publié en 2004, Fisman et Love (2004) donnent une dimension temporelle à la contrainte de financement. Pour eux, sur le court terme, dans un pays bénéficiant d’un système financier efficient, l’allocation de l’épargne se fera vers tout secteur connaissant une augmentation de ses opportunités de croissance. Sur le long terme, au contraire, les imperfections financières viendront contraindre le développement de ce secteur par rapport à des secteurs présentant de moindres besoins de financements externes. Rajan et Zingales (1998) ont établi que dans des pays disposant d’un système financier développé, les industries dépendantes des financements externes connaissaient des niveaux de croissance plus élevés que leurs homologues de pays moins bien financièrement dotés. Quant aux études sur données industrielles, elles ont permis de mettre en exergue un effet distributionnel : les industries qui sont naturellement composées de petites firmes croissent plus vite dans les économies financièrement développées. Wurgler (2000), s’inscrivant dans la lignée des études analysant la répartition du crédit, insiste sur la qualité de l’efficience allocative en soulignant que dans les pays connaissant un degré élevé de maturité financière, les investissements ont tendance à croître plus fortement en faveur des secteurs en expansion et à décroître plus rapidement dans les secteurs en déclin. Ces études internationales sont corroborées par des travaux empiriques nationaux. Guiso, Sapienza et Zingales (2002), examinant les différentes régions italiennes, ont mis en évidence que le développement financier local augmentait la probabilité qu’un individu se lance dans une activité entrepreneuriale mais aussi le degré de concurrence industrielle, accélérant ainsi la croissance des firmes. Dans le cas français, Bertrand, Shoar et Thesmar (2004) se fondant sur des données microéconomiques, affirment que la dérégulation de 1985, mettant fin aux interventions du gouvernement dans les prêts bancaires, a encouragé la concurrence sur le marché du crédit et augmenter l’efficience allocative. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 56 Canal n°2: l’effet sur la balance commerciale L’impact sur la qualité de l’allocation est particulièrement important pour les pays africains qui tirent une part importante de leur revenu des recettes générées par les exportations. Dans la majorité des travaux, la contribution à la croissance du niveau de développement financier et du degré d’ouverture économique sont étudiées de manières dissociées. Dans un modèle présenté en 2001, Beck (2001), résout cette lacune en établissant le rôle d’un secteur financier efficace dans la détermination du niveau et la composition de la balance commerciale. Reprenant les travaux de Kletzer et Bardhan (1987), cet article souligne que les pays disposant d’un bon niveau de développement financier exploitent mieux leur avantage comparatif. En effet, les secteurs exportateurs qui se financent principalement par recours à des ressources externes bénéficient dans cet environnement de potentialités de développement plus fortes. Cette spécificité repose sur la capacité d’un secteur financier fonctionnel d’allouer l’épargne vers les secteurs confrontés à des contraintes de liquidité. Ceci permet, entre autres, aux secteurs bénéficiant d’économies d’échelle de se développer et de pouvoir tirer parti de ces dernières. S’inspirant de cette intuition, le modèle présenté par Thorsten Beck comprend deux secteurs : le premier a des rendements à l’échelle constants (production de nourriture) et l’autre présente des économies d’échelles croissantes. Les producteurs des deux secteurs peuvent augmenter leurs ressources grâce à l’épargne déposée au sein des banques. Dans cette économie, les frictions causées par les asymétries d’information donnent naissance aux intermédiaires financiers qui à leur tour font face à des coûts de recherche. Le développement financier se trouve dès lors matérialisé par la réduction de ces coûts qui entraîne une augmentation des possibilités de recourir à des financements externes. Il en découle une aptitude à modifier la spécialisation de l’économie vers le secteur affichant des économies d’échelle dans la mesure où le développement de ce dernier n’est plus entravé. En guise de conclusion, le modèle énonce que les économies avec un secteur financier développé seront des exportateurs nets du bien affichant des rendements d’échelle croissants. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 57 Figure 10: Part de l’Afrique dans le commerce mondial. Source : Cnuced (2007b) Plusieurs enseignements peuvent être tirés. Premièrement, le niveau de développement financier a un impact sur la structure de la balance commerciale d’où la nécessité de réformer le système financier pour permettre à l’économie de pleinement tirer partie de ces potentialités exportatrices. Au-delà de son impact dans la composition et le volume de la balance commerciale, un système financier développé constitue un atout fondamental pour l’intégration d’un pays dans l’économie mondiale. Une étude menée par Aghion, Angelos, Banerjee et Manova (2004) accrédite ce rôle en démontrant que le développement financier réduit l’impact de chocs externes sur les économies nationales. Pour les pays africains dont la part dans le commerce mondial représente à peine 2 pourcent du total des échanges mondiaux, la mise en œuvre de systèmes financiers fonctionnels constitue, par conséquent, un enjeu majeur. Encadré n°1. Synthèse de quelques uns des canaux d’actions entre facteurs financiers et croissance 1. Des systèmes financiers plus efficients permettent de lever la contrainte financière et d’obtenir une croissance plus rapide des entreprises. Demirguc-Kunt et Maksimovic (1998) affirment que les entreprises évoluant au sein de pays disposant de systèmes financiers plus développés connaissent des taux de croissance de leur activité plus élevés que si elles recouraient uniquement à l’autofinancement. Par ailleurs, la possibilité de pouvoir accéder à des sources de financement externes réduit leur contrainte de financement global et leur dépendance vis-à-vis de leur capacité d’autofinancement *Love, 2003+. . Rajan et Zingales (1998) ont établi que dans des pays connaissant un fort niveau de développement financier, les industries dépendantes des financements externes enregistraient des niveaux de croissance plus élevés que leurs homologues de pays moins bien financièrement dotés. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 58 2. Le développement financier améliore la gouvernance des entreprises et l’exécution des projets Certains travaux empiriques affirment que le développement financier influencerait plus la croissance économique de manière qualitative que quantitative. L’étude réalisée par Beck, Levine et Loayza (2000) concluent que le système financier exerce un impact déterminant sur la croissance à travers l’activité de surveillance des projets et d’analyse de la gouvernance des entreprises réalisées par les intermédiaires financiers. La hausse de la productivité et une meilleure allocation des ressources constitueraient des facteurs aussi importants que le volume d’épargne collectée et le montant des investissements alloués aux acteurs économiques. 3. Un secteur financier efficient permet une meilleure intégration au commerce international La qualité et l’activité du secteur financier sont susceptibles de déterminer la composition de la balance commerciale et la compétitivité des économies des PED. Beck (2001), reprenant les travaux de Kletzer et Bardhan (1987) affirment que les pays disposant d’un bon niveau de développement financier exploitent mieux leur avantage comparatif. En effet, les secteurs exportateurs se finançant principalement par recours à des ressources externes bénéficient de potentialités de développement plus fortes, peuvent accroître leurs économies d’échelle et utiliser pleinement leur compétitivité-prix pour participer à la compétition internationale. Par ailleurs, un système financier efficient et stable constitue un facteur de protection face à des chocs internationaux et peut faciliter l’intégration des PED au commerce mondial. Une étude menée par Aghion, Angelos, Banerjee et Manova (2004) accrédite ce rôle en démontrant que le développement financier réduit l’impact des chocs externes sur les économies nationales. #2-Les lacunes méthodologiques des études sur le lien finance/croissance et leur amélioration Les études présentées supra sur le lien développement financier et croissance se sont largement développées à partir du milieu de la décennie 1990 et constituent aujourd’hui un corpus important voire autonome au sein de la littérature sur la croissance. Par souci d’exhaustivité, il apparaît important d’en souligner quelques limitations et de présenter les améliorations qui ont pu être apportées. Cette démarche permettra d’attester de la robustesse actuelle du lien entre développement financier et croissance. La première ligne de critiques portant sur ces études repose sur leur méthodologie, notamment le recours aux études en coupe instantanée pour analyser l’impact de la profondeur financière sur la croissance. Driffill (2003) résume quelques unes des interrogations sur la méthodologie et l’interprétation des résultats. Sa remise en cause de la méthodologie des études portant sur le lien finance/croissance se fonde avant tout sur l’étendue de la base de données utilisée pour les réaliser. Bien que couvrant la période 1960-2003, les données ne sont pas complètes pour l’ensemble des pays. Le ratio d’intermédiation le plus souvent retenu, Crédit privé rapporté au PIB, comprend en moyenne 24.1 observations par pays alors que la période comprend 43 observations potentielles. Pour résoudre ce problème, la plupart des travaux utilisent des études en coupe instantanée. Pour ce faire, les auteurs Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 59 procèdent en général à un calcul de moyennes de la variable sur une période assez longue ou alors sur l’ensemble de la période d’étude. La moyenne présentant de nombreux inconvénients, Driffill s’interroge sur la pertinence des résultats qui découlent de son utilisation. Le recours à des études en coupe instantanée fait naître un doute sur la significativité du lien entre finance et croissance en raison de la longueur de la période d’étude considérée mais aussi des éventuels biais de sélection. Afin de remédier aux éventuelles distorsions associées à la moyenne, un certain nombre d’études en données de panel ont été réalisées [entre autres, Levine et al. (2000)]. Tout en constituant un progrès sensible, elles présentent toutefois une limitation pratique : elles requièrent l’ensemble des observations sur la période d’étude pour chaque pays. L’appareil statistique souvent rudimentaire des pays en développement étant incapable de fournir de telles informations, la taille de l’échantillon de pays s’en trouve mécaniquement réduite. Dans le cas de l’étude réalisée par Levine et al., le panel comprend 5 moyennes effectuées sur 5 périodes mais ne comprend que 71 pays étudiés contre 150 pays potentiellement observables. La deuxième série de critiques formulées par Driffill porte sur le peu de conclusions quantitatives pouvant être tirées de cette littérature. Manning (2002) remet ainsi en cause une des principales conclusions de Levine et Zervos (1998) : les pays en voie de développement pourraient augmenter leur taux de croissance moyen d’un pourcent par an s’ils élevaient leur niveau de développement financier vers celui de pays plus mature. Pour Driffill, ces résultats sont largement générés par l’intégration dans l’échantillon des Dragons Asiatiques. L’intégration de variables muettes permettant de différencier les résultats par région, notamment pour les Dragons asiatiques, rend non significatif le lien entre système financier et croissance. Driffill en conclut que la relation positive entre finance et croissance est largement attribuable à la croissance des Dragons asiatiques. Or, dans ces pays, la croissance est largement expliquée par d’autres facteurs structurels11. Une autre limitation inhérente aux études sur la relation finance et croissance est liée à la date limite des données. En effet, la dernière observation de la base de données utilisée dans la plupart des études correspond à l’année 1995. Les études n’ont, par conséquent, pas toujours pris en compte la crise financière asiatique. Or, celle-ci a été une période de retournement économique précédée par un fort approfondissement des systèmes financiers. La profondeur financière mesurée dans les études réalisées par Levine et al. (crédit au secteur privé rapporté au PIB) a fortement augmenté au sein des Dragons asiatiques pendant la période 1992-1998 : la hausse de cet indicateur s’est échelonnée de 21.9 pourcent en Indonésie à 142.9 pourcent aux Philippines. De telles limitations remettent en cause la significativité du lien entre finance et croissance lorsque l’on prend en compte le poids des pays asiatiques dans la régression. La prise en compte de ces limitations pourraient permettre de valider la force du lien finance/croissance et faire du développement du secteur financier une priorité, notamment dans les pays subsahariens. 11 Cf. notamment les travaux de Rodrik dans ce domaine : Rodrik, D. (1996). ‘Understanding Economic Policy Reform’. Journal of Economic Literature, 34(1):9–41.. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 60 B-Etudes économétriques centrées sur le lien développement financier-croissance en Afrique Un des reproches formulé à l’encontre des études économétriques réalisées par les équipes de la recherche sur le secteur financier de la Banque Mondiale réside dans l’hétérogénéité des pays retenus dans les échantillons. En effet, l’intégration de quelques pays africains caractérisés par un faible niveau de développement financier au sein d’échantillon contenant de nombreux pays développés a souvent été source de conclusions biaisées quant à la portée du facteur financier en Afrique. Différentes études centrée sur l’Afrique ont remédié à ce biais. Les travaux de Gelbard et Leite (1999), Collier et Gunning (1999), et Ndikumana (2001) arrivent à la même conclusion : le développement financier a un impact positif sur la croissance économique en Afrique. L’étude de Gelbard et Leite est d’autant plus intéressante que les auteurs ont construit un indicateur composite de développement financier à l’aide de six indices représentant les caractéristiques majeures des systèmes financiers des pays africains : (i) (ii) (iii) (iv) (v) (vi) la structure de marché et la compétitivité du système financier ; l’éventail des produits financiers disponible sur le marché financier ; le degré de libéralisation financière ; la qualité de l’environnement institutionnel ; le degré d’ouverture financière et, le degré de complexité des instruments de politique monétaire. L’enquête couvre 38 pays de l’Afrique subsaharienne entre 1987 et 1997. Les résultats des estimations économétriques montrent une relation positive entre l’indice composite de développement financier et la croissance du PIB par tête. Si le développement financier influe sur la croissance dans les pays africains, ce facteur, tout comme de nombreuses autres variables (capital humain, physique,…), exerce un impact plus faible sur la croissance en Afrique que dans d’autres régions en voie de développement. Cette faiblesse a été mise en évidence par Kpodar (2005) sur la base d’une analyse portant sur différentes variables financières recueillies dans 71 PED dont 28 pays d’Afrique subsaharienne sur la période 1968-1997. Il démontre qu’une augmentation d’un point de pourcentage du ratio M3/PIB entraîne une hausse de la croissance de 0,27 point dans les autres PED contre 0.04 points pour les pays africains. Une croissance d’un point de pourcentage du ratio Crédit au secteur privé/PIB contribue à une croissance additionnelle de 0.37 point dans les autres PED contre 0.12 point de pourcentage dans les pays Africains soit un impact trois fois plus faible. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 61 CONCLUSION Au-delà des arguments portés par Robinson et Lucas, la littérature économique semble désormais s’accorder sur la capacité du facteur financier à exercer une action sur le niveau et la stabilité de la croissance (Bernanke, Gertler, 1989). Théoriquement et empiriquement, différentes études documentent l’action au niveau méso et macroéconomique d’intermédiaires financiers développés et efficients sur les différents ressorts (processus et acteurs) contribuant à la croissance. Le véritable débat porte sur l’intensité de cette relation. Dans la sphère subsaharienne, celleci semble moindre que dans d’autres régions en développement. Au nombre des explications susceptibles d’éclairer ce résultat, figurent l’instabilité financière, la présence de nombreuses imperfections, le faible degré de concurrence, la mauvaise qualité de la réglementation/régulation et l’efficacité judiciaire. Face au peu de travaux consacrés à ces sujets, une meilleure intelligence des facteurs influençant l’impact du facteur financier apparaît nécessaire. Un effort devrait notamment être envisagé afin de mieux appréhender les effets d’une meilleure intermédiation financière sur les différents secteurs des économies subsahariennes. L’analyse pourrait, par ailleurs, être affinée afin de déterminer la ou les formes d’intermédiation financière à même de répondre aux besoins des différents acteurs. Guidées par de telles analyses, les interventions dans la sphère financière seront à même de lever les contraintes affectant les différents systèmes financiers subsahariens et leur permettront de jouer pleinement leur rôle. Ces interventions sont d’autant plus impérieuses que le volume et la qualité de l’intermédiation exercent aussi un impact sur les processus de réduction de la pauvreté (Chapitre 3). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 62 CHAPITRE 3 SYSTEMES FINANCIERS ET REDUCTION DE LA PAUVRETE L'emprunt est le premier-né de la pauvreté. Proverbe peul Le riche domine les pauvres, du créancier l’emprunteur est esclave. La Bible, Proverbes 22:7 INTRODUCTION Il ne peut y avoir assertions plus contradictoires que l’intitulé de ce chapitre et les deux citations précédentes. Celles-ci s’inscrivent dans une longue tradition morale, longtemps partagée par différentes civilisations, qui réprouve certaines activités financières (notamment le prêt à l’usure). Elles entrent en conflit avec une part importante de la littérature économique faisant de l’émergence d’intermédiaires financiers forts un gage de développement social. Les travaux qui s’inscrivent dans cette veine laissent supposer que des intermédiaires financiers efficients sont susceptibles de modifier le niveau et la redistribution des revenus en offrant des services financiers adéquats (financement, notamment) aux agents économiques et plus particulièrement aux plus fragiles d’entre eux. Face à ces visions antagonistes de la contribution du facteur financier à la réduction de la pauvreté, de nombreuses contributions académiques ont essayé d’établir l’impact du développement financier en matière de réduction de la pauvreté. Or, théoriquement, le développement financier semble avoir un effet ambigu dans ce domaine (Section I). Lever cette indétermination est nécessaire pour orienter les politiques économiques des pays subsahariens, tâche à laquelle s’attellent différentes études empiriques (Section II). Leurs résultats semblent postuler une influence positive de systèmes financiers développés en matière de réduction de la pauvreté. SECTION I – LA CONTROVERSE THEORIQUE AUTOUR DU LIEN ENTRE SYSTEME FINANCIER ET PAUVRETE Pendant longtemps, les recherches réalisées n’ont pas permis de déterminer si des systèmes financiers développés bénéficient à l’ensemble de la population, à sa fraction la plus riche ou alors aux couches les plus pauvres. Différents modèles théoriques fournissent des conclusions divergentes sur la relation entre développement financier et son impact en matière de lutte contre la pauvreté. Les premiers concluent à une influence « démocratisante » du développement financier, bénéfique à l’ensemble des couches sociales (§2), tandis que les seconds affirment le contraire (§3). Avant de présenter ces modèles, la compréhension des mécanismes liant développement financier et pauvreté requiert de revenir sur la notion de pauvreté et les outils permettant de la réduire (§1). §1 - LE LIEN ENTRE INEGALITES, PAUVRETE, CROISSANCE ET POLITIQUE FINANCIERE Il existe un consensus au sein des praticiens en faveur de l’adoption d’une mesure absolue de la pauvreté. Celle-ci est déterminée par un seuil de revenu qui délimite une partie de la population dont le revenu se situe en dessous de ce seuil et qui est, par conséquent, considérée comme pauvre. Deux seuils (1 dollar américain et 2 dollars américains par jour), sont souvent retenus et permettent de définir un des Objectifs de Développement du Millénaire : la proportion de la population disposant de moins d’un dollar par jour. Dans un article intitulé "The Poverty-Growth-Inequality Triangle", François Bourguignon (2003) fait des politiques visant à stimuler la croissance et à modifier la répartition des revenus les deux piliers de la lutte contre la pauvreté. Ce double choix s’explique par l’existence d’une relation arithmétique associant pauvreté absolue, croissance et répartition des revenus. Dans cette optique, la croissance se définit comme l’évolution en valeur relative du bien être au sein de la population quantifiable à travers la consommation ou le revenu moyen. En supposant qu’il n’y ait pas de modification dans la répartition des gains de la croissance, cette variable constitue à elle seule un outil de réduction de la pauvreté. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 64 En effet, tous gains de croissance supplémentaire attribués aux plus pauvres contribuent à augmenter leur revenu absolu et peuvent leur permettre de franchir le seuil de pauvreté. Cette relation explique la volonté des bailleurs de fonds d’encourager les politiques de stimulation de la croissance. La répartition des revenus ou l’inégalité dans leur distribution constitue la deuxième alternative pour atteindre l’objectif de réduction de la pauvreté absolue. La répartition des revenus fait référence aux disparités relatives de revenu au sein de l’ensemble de la population. En l’absence de toute hausse des revenus de l’ensemble de la population, une meilleure redistribution de ceux-ci entre les individus peut constituer un outil de baisse de la pauvreté absolue. Différentes études se sont attachées à calculer la contribution de ces deux mécanismes à la réduction de la pauvreté. Besley et Burgess (2003) ont calculé que les pays en voie de développement devraient réaliser un taux de croissance moyen de 3,8 pourcent afin d’atteindre les Objectifs de Développement du Millénaire12. Ce niveau représente le double de la performance en matière de croissance enregistrée par ces pays entre 1960 et 1990. Ces auteurs estiment, par ailleurs, qu’une modification de la distribution des revenus d’un point d’écart-type pourrait réduire la pauvreté de moitié en Amérique Latine, voire plus en Afrique subsaharienne. Ces chiffres soulignent la dimension binaire que doivent emprunter les politiques de lutte contre la pauvreté en associant politiques de croissance globale du revenu et politiques de réduction des inégalités. Ils mettent, par ailleurs, le doigt sur un besoin fondamental : la détermination de politiques de croissance qui soient bénéfiques aux pauvres ("Pro poor Growth"). En raison de la focalisation sur l’objectif de croissance par tête, peu d’attention est portée aux conséquences de la croissance et des politiques de promotion de celle-ci sur la répartition des revenus. En effet, s’il est largement admis que la croissance économique est un puissant moteur pour réduire la pauvreté, les bénéfices de la croissance peuvent être réduits ou annihilés par l'accroissement des inégalités susceptibles d’accompagner la croissance. En effet, de nombreux facteurs influant sur la croissance économique, telles que la stabilité macroéconomique, l'ouverture au commerce international, l'importance des dépenses publiques, les règles de droit et d’autres politiques conjoncturelles ou structurelles peuvent affecter la répartition des gains de la croissance. Ces politiques, en fonction de leur pilotage peuvent (i) augmenter le revenu de l’ensemble de la population, (ii) favoriser une hausse plus forte du revenu des couches les plus riches, (iii) ou contribuer à une forte hausse du revenu des strates les plus pauvres. Des politiques de croissance ayant une forte capacité à favoriser les populations les plus pauvres sont donc mieux à même de contribuer à la réduction de la pauvreté. S’agissat des politiques visant à favoriser l’essor du système financier ayant un impact sur la croissance (Cf. chapitre 2), il est nécessaire de s’interroger sur leurs effets en matière de distribution 12 Les Nations Unies et la Banque Mondiale font d’un objectif de 7% un minimum pour les pays subsahariens. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 65 des revenus au sein de la population. Certains modèles postulent qu’un secteur financier plus développé exerce une influence positive sur la croissance et réduit les inégalités. Ils partent d’un constat : les imperfections caractérisant les marchés financiers telles que les asymétries d’information, les coûts de transactions et les coûts d’application des contrats peuvent constituer des contraintes majeures pour les entrepreneurs les plus pauvres qui ne disposent pas de garanties, de relations ou alors d’un historique en matière de crédit. Ces contraintes sont susceptibles de limiter le flux de crédit vers des personnes ayant des projets rentables mais qui ne possèdent pas les capitaux nécessaires à leur mise en œuvre. Il peut en résulter une baisse de l’efficience de l’allocation du capital et une augmentation des inégalités de revenu. Le développement financier peut modifier la donne en réduisant la contrainte de crédit pesant sur les pauvres ainsi que les inégalités de revenus et améliorer l’allocation du capital et accélérer la croissance. Cet enchaînement vertueux est remis en cause par d’autres travaux qui affirment que les améliorations du secteur financier bénéficient en premier lieu aux entrepreneurs les plus riches. Les entrepreneurs les plus pauvres n’utilisent que leurs relations familiales ou alors le secteur informel afin de réunir les fonds nécessaires à la mise en œuvre de leur projet. L’étude de la relation entre le développement financier et la réduction de la pauvreté s’apparente ainsi à un grand écart afin de réconcilier deux courants de la littérature apparemment contradictoires. Le premier souligne l'effet positif du développement financier sur la croissance (et la pauvreté) tandis que pour un autre courant d’autres mécanismes, dont la croissance du crédit, constituent des facteurs d’appauvrissement à travers par exemple les effets des crises bancaires et monétaires. Au vu des enjeux, les enchaînements théoriques sous-tendant ces deux courants seront explorés avant de considérer les études empiriques. Ces dernières étayent le rôle du facteur financier dans la réduction de la pauvreté. §2 - LES THEORIES POSTULANT UNE RELATION POSITIVE ENTRE SYSTEMES FINANCIERS EFFICIENTS ET REDUCTION DE LA PAUVRETE La contrainte de crédit résultant des asymétries d’information est particulièrement exacerbée pour les couches les plus pauvres. Pour certains économistes, l’évolution de l’intermédiation financière devrait avoir un impact largement positif pour les pauvres. Selon Banerjee et Newman (1993) mais aussi Galor et Zeira (1993), les plus pauvres, en raison de l’absence de ressources, de garantie ou de connexions politiques pour accéder au financement, éprouvent des difficultés à financer leurs projets d’investissements ou alors de formation. L’absence d’institutions financières fonctionnelles crée des phénomènes d’hystérèse (reproduction sociale des inégalités) et fait converger des économies caractérisées par la pauvreté et de fortes inégalités vers une situation de pauvreté au moins égale ou plus forte. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 66 Banerjee et Newman (1993) s’inscrivent dans cette veine et s’intéressent au processus de détermination des choix occupationnels (salariat, auto-emploi, chômage), c’est-à-dire les activités exercées par les individus appartenant à une population donnée. Ces dernières et leur dynamique sont particulièrement importantes dans la mesure où elles exercent un impact sur la distribution des revenus et de la richesse entre agents mais aussi sur le niveau d’épargne, de consommation voire la nature et le niveau de la demande et de la production. Dans la modélisation adoptée, les individus les plus pauvres ne peuvent mettre en œuvre des projets pourtant rentables en raison des imperfections caractérisant les marchés financiers. A contrario, ils peuvent travailler pour des individus mieux dotés et qui ont pu mettre en œuvre une activité entrepreneuriale. Quant au statut occupationnel (salarié ou chômeur ou alors création d’une micro-activité personnelle), il est tributaire des conditions sur le marché du travail. Sans opportunités de financements, le sentier de changement structurel se trouve déterminé par les conditions initiales : les plus pauvres ne peuvent qu’accéder à deux états : salariés ou chômeurs, la possibilité de créer une micro-activité personnelle étant fortement contrainte par l’élément financier. Le modèle de Galor et Zeira fait porter la contrainte financière sur l’accumulation de capital humain car les imperfections existant au sein de la sphère financière empêchent les individus les plus pauvres d’emprunter afin d’acquérir une meilleure éducation. Dans un tel environnement, seules les personnes ayant hérité d’un niveau de richesse suffisant peuvent obtenir un certain niveau d’éducation et changer de statut social. Plus la répartition initiale des richesses est inégalitaire, plus le nombre de personnes à même d’accumuler un niveau conséquent de capital humain est faible. Or, cette dernière variable étant une des clés conditionnant une croissance forte et soutenue sur le long terme, les économies caractérisées par de telles inégalités risquent de sombrer dans un piège à pauvreté. Le développement de l’intermédiation financière peut rompre cet enchaînement fataliste, notamment en réduisant les coûts d’intermédiation ou alors en rendant ceux-ci plus supportables par les intermédiaires financiers dans le cadre de système plus profond. En effet, l'accès des ménages pauvres aux crédits bancaires est freiné par les coûts unitaires élevés pour des prêts de faible montant. Cependant, au fur et à mesure que le système financier devient plus sain, plus vaste et plus compétitif, il est possible qu'il soit plus apte à supporter les coûts élevés de cette catégorie de crédits. A titre d’exemple, en Amérique latine, les banques commerciales font désormais des crédits groupés aux pauvres à l’instar des institutions de microcrédit. De plus, le développement du crédit informel, qui est souvent l'unique source de dépôt et d'emprunt pour les pauvres, est facilité par la croissance du système financier formel qui offre des occasions de placements rentables aux institutions ou aux agents financiers informels. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 67 Figure 11: Politiques de développement financier et liens avec la lutte contre la pauvreté. Source : auteur. Toutefois, cette vision « démocratisante » du développement financier ne fait pas l’unanimité car un autre courant de la littérature affirme que l’accès au système financier, notamment au crédit, bénéficie principalement aux riches et aux personnes pourvues d’appui. §3 - LES THEORIES POSTULANT UNE INTERMEDIATION FINANCIERE SOURCE D’ APPAUVRISSEMENT Le thème du développement financier appauvrissant peut être exploré en adoptant une approche structurelle (la contribution positive ou négative sur longue période du système financier à la réduction de la pauvreté) ou conjoncturelle (les effets des crises affectant le système financier sur les populations les plus pauvres). L’approche conjoncturelle insiste sur le lien entre sophistication/complexification des institutions et instruments financiers et la pauvreté. La sophistication/complexification financière s'accompagne souvent périodiquement de crises financières susceptibles d'avoir de profondes répercussions sur le niveau de pauvreté. L’expansion du crédit, un des indicateurs de développement financier constitue un bon indicateur pour prédire les crises financières. Ainsi, une étude réalisée par Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 68 Guillaumont Jeanneney et Kpodar (2006) fait remarquer que sur un échantillon de 110 pays en voie de développement, le développement financier mesuré par le ratio des actifs liquides du système financier sur le PIB (M3/PIB) est souvent accompagné d’une instabilité de ce ratio. Or, les pauvres sont plus vulnérables aux crises bancaires que les riches. Les perturbations du système de paiement et les fermetures de banques ont des effets bien plus graves sur les individus les plus démunis. Le gel des dépôts leur est particulièrement préjudiciable, puisqu'ils ne peuvent pas diversifier leurs actifs et notamment investir leur épargne dans des banques étrangères. Cette couche de la population est, par ailleurs, la première affectée par les mesures de rationnement prises par les banques en cas de difficulté. Cette logique s’explique par une plus faible rentabilité des prêts octroyés à ce type de clientèle et son faible pouvoir de négociation. À côté des effets directs de l'instabilité financière sur les pauvres, celle-ci affecte ces derniers par d’autres canaux plus indirects. En effet, puisque le taux d'investissement dépend de la disponibilité de financements, l'instabilité financière induit celle de ce taux, et par conséquent du taux de croissance. De plus, l'instabilité financière conduit à la volatilité des prix relatifs car les prix des différents biens et services ne sont pas influencés de la même façon par une modification de la disponibilité des crédits. En effet, si les prix des biens échangeables sont déterminés par les prix internationaux et par le taux de change nominal, ceux des biens non échangeables dépendent de l'offre et de la demande intérieure. Ils sont donc plus directement liés au volume des crédits. Ces deux instabilités (celle du taux d'investissement et celle du taux de change réel) provoquent la volatilité de la croissance. Cette dernière variable exerçant un effet négatif sur le taux de croissance annuel13, l'instabilité financière, en provoquant la volatilité de la croissance économique, peut ralentir la croissance. La croissance économique étant nécessaire à la réduction durable de la pauvreté, l'instabilité financière est défavorable aux pauvres à cause de son effet négatif sur la croissance économique. De plus, les pauvres peuvent être plus vulnérables au caractère cyclique de la croissance économique que les riches, du fait d'une asymétrie entre les périodes de baisse et de hausse du revenu global, les premières réduisant plus le revenu des pauvres que les secondes ne l'augmentent. Au-delà de cet effet conjoncturel des systèmes financiers sur la pauvreté, ce dernier peut avoir un impact plus structurel et sur le long terme. Haber, se fondant sur l’exemple mexicain affirme que le système financier peut contribuer à la croissance sans que son impact sur la distribution des revenus soit clair (Haber, 2004, 2005). Greenwood et Jovanovic (1990), reprenant le raisonnement de Kuznets établissant un lien entre croissance et hausse des inégalités (la courbe en U inversé), se sont attelés à examiner le lien existant entre développement financier et l’évolution des inégalités. Le modèle mis en œuvre par les deux auteurs postule que si l’accès au crédit s’améliore avec la croissance économique et l’entrée des franges les plus pauvres dans le secteur formel, la relation entre développement financier et distribution du revenu peut être non linéaire. Au cours des 13 Cf. notamment l’article rédigé par Ramey et Ramey: Ramey G. et Ramey V.A (1995), Cross-country Evidence on the Link Between Volatility and growth, The American Review, vol. 85, n° 5, December 1995, p. 1138-1151 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 69 premières étapes du processus de développement, seules les couches les plus riches peuvent se permettre d’accéder aux marchés financiers et le développement financier accroît les inégalités de revenus tandis que la maturité se caractérise par la conjonction d’un système financier développé, une distribution moins inégale du revenu entre les individus et un niveau de croissance élevé. Face aux divergences de ces différentes écoles de pensée, le recours aux études empiriques constitue un secours précieux dans la détermination de la relation entre pauvreté et développement financier. SECTION II - ETUDES EMPIRIQUES ET CONTRIBUTION POSITIVE DU SYSTEME FINANCIER A LA REDUCTION DE LA PAUVRETE Beck, Demirguc-Kunt et Levine (2004) ont analysé le lien entre développement financier, le taux de croissance de l’indice de Gini, le taux de croissance du revenu du quintile le plus pauvre de la population et la fraction de la population vivant avec moins de 1 dollar américain par jour. Selon les résultats de cette étude, le développement du système financier contribue fortement à la réduction de l’inégalité des revenus et à la réduction de la pauvreté absolue et relative. La méthodologie de cette étude est séminale car elle repose sur trois indicateurs complémentaires mais qui ont des portées différentes en termes de politiques économiques. Le premier indicateur est le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour, un indicateur de pauvreté absolue. A titre de rappel, un consensus de plus en plus fort se fait autour de l’adoption d’indicateurs de pauvreté absolue comme indicateur privilégié en matière de mesure de la pauvreté (Bourguignon, 2003). Le deuxième indicateur, le coefficient de Gini mesure le niveau d’inégalité au sein d’une population. Il est obtenu à partir de la courbe de Lorenz. Cette dernière relie le pourcentage cumulé de la population au pourcentage cumulé de revenu. Si la courbe de Lorenz est matérialisée par une droite à 45°, la distribution des revenus est égalitaire (20 pourcent de la population reçoit 20 pourcent du revenu). Le coefficient de Gini correspond au ratio entre l’aire délimitée par la courbe de Lorenz et la droite à 45° rapporté à l’aire située sous la droite à 45°. Les valeurs du coefficient s’échelonnent de 0 à 1 et plus sa valeur est élevée, plus le niveau d’inégalités est important. Le troisième indicateur retenu est le revenu du quintile le plus pauvre de la population qui appartient à la catégorie des indicateurs de pauvreté relative. Sur la base de données portant sur la période 1960-1999 et dans le cadre d’un échantillon comprenant 52 pays (dont 23 pays africains), les auteurs concluent que : Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 70 1-Le développement financier accélère le taux de croissance du revenu du quintile de la population le plus pauvre. Le développement financier réduit la pauvreté relative ; 2-Le développement financier entraîne une baisse du coefficient de Gini. La relation négative entre le développement financier et le taux de croissance du coefficient de Gini est robuste même après contrôle de la croissance du PIB réel par tête. On peut déduire de ce résultat que le développement financier réduit les inégalités de revenu ; 3-Le développement financier réduit le pourcentage de la population vivant avec moins d’1 dollar américain par jour. Les auteurs en déduisent que le développement financier réduit le niveau de pauvreté absolue. Les résultats obtenus pour chacun des indicateurs sont robustes au test de contrôle sur d’autres variables explicatives. Bien que présentant certaines limitations (l’indicateur de développement financier retenu ne mesure pas l’accès au secteur financier de la population la plus pauvre), les conclusions de cette étude ont de profondes implications en matière de politique économique. En réduisant les frictions au sein de la sphère financière, la mise en œuvre de réformes au sein de la sphère financière semble à même de réduire les inégalités de revenu et la pauvreté, de stimuler la croissance sans les éventuelles distorsions liées à la mise en œuvre de politique de redistribution. Honohan (2004) complète cette étude en démontrant, par ailleurs, que pour des niveaux de revenus identiques, des économies présentant des systèmes financiers plus profonds sont caractérisés par un nombre moins élevé de personnes pauvres. CONCLUSION Ces différents travaux apportent de premières réponses sur le rôle positif que peut exercer un système financier développé en matière de réduction de la pauvreté et complètent les développements sur le lien entre systèmes financiers efficients et croissance. Toutefois, les premières conclusions optimistes des études empiriques sur le rôle du facteur financier en matière de réduction de la pauvreté ne doivent pas minorer la présence de nombreux effets de seuil. Ainsi, des produits financiers sophistiqués et potentiellement sources d’amélioration du bien être des couches sociales les plus fragiles ne leur seront d’aucune utilité si leurs conditions d’utilisations (coûts des services, niveau d’éducation requis) limitent leur diffusion. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 71 Par ailleurs, il est nécessaire de souligner, par honnêteté intellectuelle, certaines des faiblesses des études d’impact des produits/institutions financières sur la pauvreté. En effet, en dépit du développement de la microfinance, son action sur la pauvreté demeure encore largement sujette à caution. Les études d’impact microéconomique souffrent encore de nombreux biais (sélection des échantillons, durée des études, etc…). Au niveau subsaharien, il n’existe pas d’étude globale sur le rôle des variables bancaires dans le processus de réduction de la pauvreté. Le coût de ces études et la difficulté d’accéder aux données limitent encore malheureusement leurs conclusions et restreignent les conclusions à certains pays de l’arc subsaharien qui sont souvent les plus développés. Or, vouloir lutter contre la pauvreté en utilisant le facteur financier requiert une connaissance plus poussée des interactions entre les deux sphères. A cet égard, loin de conclure sur une note faussement optimiste, il apparaît nécessaire de compléter les premières conclusions positives par des études d’impact portant sur les effets de la mise à disposition de services et de produits financiers. C’est à ce prix que la mise en place de systèmes financiers inclusifs sera à même d’exercer un impact massif en termes de réduction de la pauvreté. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 72 CONCLUSION Cette première partie a permis de préciser et de comprendre la mécanique reliant des systèmes financiers efficients et développés aux différentes dimensions du développement socioéconomique. Au-delà d’un simple résumé des différents chapitres, il peut être utile de clore ce premier volet par une réinterprétation de certains phénomènes affectant le développement dans l’arc subsaharien à l’aune des jalons empiriques et théoriques présentés. Le chapitre 1 a permis de présenter cinq fonctions microéconomiques remplies par des intermédiaires financiers efficients : (i) la facilitation des échanges de biens et services ; (ii) la mobilisation et la collecte de l’épargne ; (iii) la production d’information sur les investissements envisageables et l’allocation de l’épargne ; (iv) la répartition, la diversification et la gestion du risque ; (v) et le suivi des investissements en exécution et le contrôle de la gouvernance. Ces fonctions influent au quotidien sur la qualité et le niveau des opérations mises en œuvre par les agents non financiers. Elles constituent le sous-bassement microéconomique de l’influence de l’intermédiation en matière de croissance et de réduction de la pauvreté mais voient leur impact limité par la présence de nombreux facteurs inhibant le développement de l’intermédiation dans l’arc subsaharien. En mettant en lumière la capacité d’un système financier à impulser qualitativement et quantitativement la croissance, le chapitre 2 a mis en évidence différents canaux méso et macroéconomiques à même d’expliquer l’incapacité de l’espace subsaharien à susciter une croissance forte et durable hors secteur producteurs de matières premières14. Face aux études soulignant les performances enregistrées par des secteurs ou des régions bénéficiant de systèmes financiers développés et efficients, la stagnation de l’entrepreneuriat africain pourrait aussi s’expliquer par les carences de l’intermédiation financière en zone subsaharienne. Les faiblesses de cette dernière et l’incapacité de ses acteurs à pourvoir aux besoins de financement pourrait ainsi expliquer la trajectoire chaotique de l’entreprise subsaharienne : peu d’entreprises sortent de 14 La forte croissance enregistrée au sein de l’arc subsaharien au cours des cinq dernières années est largement liée à la hausse des cours des matières premières et aux performances des industries extractives. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 73 l’informel, encore moins parviennent à passer du statut de TPE à celui de PME et celles qui deviennent de grandes entreprises constituent des quasi ovnis. Les mécanismes reliant l’intermédiation et le développement de certains secteurs sont à l’origine de l’incapacité des pays africains à exploiter leurs avantages comparatifs dans de nombreux domaines et de leur difficile insertion dans la chaîne de la mondialisation [l’Afrique représente en moyenne un peu plus de 2% du commerce mondial sur les 10 dernières années (Cnuced, 2007b)]. La première thérapie pour favoriser la réduction de la pauvreté étant la croissance, il ne faut pas s’étonner que des systèmes financiers peu à même de susciter la croissance, soient encore moins à même de participer à la lutte contre la pauvreté. Pourtant, ainsi que l’atteste le chapitre 3 les interactions entre des systèmes financiers développés et efficients et la réduction de la pauvreté sont fortes. En octroyant des services financiers de qualité à même de répondre aux besoins des plus démunis, les intermédiaires financiers peuvent participer à l’augmentation et à une meilleure redistribution des revenus. Malheureusement, différents goulots d’étranglements peuvent entraver ces processus vertueux. A titre d’exemple, les asymétries d’informations peuvent inciter les banques à sélectionner les projets provenant des ménages les mieux nantis au détriment de ceux émanant de personnes physiques démunies mais possédant des projets plus rentables. Au final, il apparaît qu’un système financier traversé par de telles distorsions, bien que disposant d’une palette d’institutions et d’instruments variés, contribuera peu au développement socio-économique. Ce double paradoxe (capacité de systèmes financiers diversifiés et profonds à ne pas contribuer à la réduction de la pauvreté et à ne pas susciter une croissance durable et répartie dans tous les secteurs) appelle une réflexion profonde sur les indicateurs couramment utilisés pour mesurer la maturité d’un système financier et sa contribution au développement socio-économique. La partie II entend apporter une modeste contribution à ce processus d’intelligence en revenant largement sur la notion de développement financier et en proposant une nouvelle méthodologie à la fois quantitative et qualitative d’analyse du développement financier. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 74 PARTIE II LE FAIBLE DEVELOPPEMENT FINANCIER DES PAYS SUBSAHARIENS Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 75 INTRODUCTION Il existe plusieurs sources potentielles de financement intérieur qui pourraient fournir d’importantes ressources additionnelles pour le développement s’il en était tiré parti comme il convient. Toutefois, les mesures de politique générale prises jusqu’à présent pour accroître le montant total des ressources pour le développement ne tiennent pas suffisamment compte du fait que les pays d’Afrique doivent mieux mobiliser leurs ressources intérieures. Cnuced (2007a), Rapport sur le développement en Afrique Les différents travaux théoriques et empiriques présentés dans la première partie ont permis de mieux comprendre les liens unissant des systèmes financiers efficients et développés à deux dimensions fondamentales du développement socio-économique : la réduction de la pauvreté et la promotion d’une croissance soutenue, auto-entretenue et non centrée sur les secteurs extractifs. Les différents protagonistes des systèmes financiers d’Afrique subsaharienne15 se rejoignent autour d’un constat : comparés à leurs homologues d’autres pays en développement, ceux-ci sont sous-développés et l’écart est encore plus prononcé avec les systèmes financiers des pays de l’OCDE. Au nombre des reproches les plus souvent avancés, on trouve : (i) (ii) (iii) la faible accessibilité des utilisateurs (ménages et PME notamment) ; des frais et commissions bancaires élevés par rapport au niveau de vie ; une offre de services limitée tandis que les intermédiaires financiers sont le plus souvent accusés de prospérer et d’afficher des taux de rentabilité insolents sans rechercher à innover ou alors à améliorer la qualité du service proposée aux utilisateurs. Malheureusement, au-delà de ces constats, il est difficile de mesurer le niveau de contribution des systèmes financiers subsahariens au développement socio-économique et ce faisant, leur capacité à favoriser la croissance et la réduction de la pauvreté. 15 Etats, bailleurs de fonds, ménages, entreprises et intermédiaires financiers. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 76 C’est dans cette voie que les quatre chapitres de cette deuxième partie entendent s’inscrire et marquer un certain nombre de progrès. Le chapitre 4 présentera une nouvelle méthodologie élaborée parallèlement à cette thèse dans le cadre d’une mission de conseil effectuée au sein de l’Agence française de Développement par l’auteur. En s’appuyant sur le concept de développement financier, elle appréhende la contribution d’un système financier au développement socioéconomique à travers un indicateur de développement financier. Celui-ci permet de mesurer de manière quantitative les performances des systèmes financiers subsahariens en utilisant sept dimensions: l’accessibilité, la profondeur, l’efficacité, la rentabilité/stabilité, les institutions d’appui, la diversité institutionnelle et instrumentale et l’ouverture aux flux internationaux de capitaux. Les notes recueillies constituent une avancée dans la compréhension des systèmes financiers subsahariens tout en soulignant leurs lacunes. Face aux limites de cette approche quantitative, les chapitres suivants complètent ces notes en précisant qualitativement les performances des systèmes financiers africains pour certaines dimensions. Le chapitre 5 met ainsi en exergue une réalité connue : la faible profondeur des systèmes financiers subsahariens. Ces derniers, malgré une amélioration de leur capacité à mobiliser l’épargne, sont encore loin des performances affichées par leurs homologues des autres PED. Pis, ils se caractérisent par leur incapacité à allouer cette épargne à des fins productives et affichent des niveaux de surliquidité élevés. Ce dernier phénomène inhibe fortement l’efficacité de la politique monétaire et les stimulations des autorités en charge de celle-ci. Au-delà de la faible profondeur des systèmes financiers subsahariens, leur faible diversité constitue une deuxième contrainte pour le développement de nombreux projets et activités. Elle se décline aussi bien au niveau des institutions (largement dominées par le compartiment bancaire) mais aussi des services proposés (les agents économiques non financiers peinent à trouver des produits ayant une maturité adaptée à leurs besoins). Le chapitre 6 revient sur une autre carence structurelle des systèmes financiers de l’arc subsaharien : leur niveau réduit d’accessibilité. Cette notion désigne la capacité des acteurs non financiers à faire face à différents types d’obstacles (distance, coûts des services et formalités administratives) pour accéder aux services financiers. Pour les ménages et les PME, le niveau élevé de ces obstacles limite leur capacité à mettre en œuvre des activités productives susceptibles de créer des emplois, de participer à la réduction de la pauvreté mais aussi d’augmenter le niveau de croissance. Incapables de satisfaire les attentes des entreprises et de la majorité des ménages, les intermédiaires financiers subsahariens, et plus particulièrement les banques, enregistrent néanmoins des taux de rentabilité parmi les plus élevés au monde. Le chapitre 7, en détaillant et en nuançant les conditions de cette rentabilité, fait du maintien de l’augmentation du coût des services financiers le principal déterminant de ces performances. A contrario, les établissements financiers subsahariens Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 77 affichent des niveaux d’efficacité sensiblement plus faibles que ceux de leurs homologues des autres régions en développement. Cette situation à longtemps été expliquée à l’aune du coût des facteurs et des nombreuses contraintes présentes dans l’environnement des intermédiaires financiers subsahariens (risque politique, macroéconomique et microéconomique). Toutefois, le faible degré de concurrence apparaît désormais comme un autre facteur explicatif. Le chapitre 7, en revenant sur cette notion, établit le lien entre faible degré de concurrence et le niveau réduit d’efficacité des intermédiaires financiers. Il souligne, par ailleurs, la nécessité de promouvoir une concurrence plus importante dans ces sphères financières afin de bénéficier des effets vertueux de celle-ci dans des dimensions telles que la profondeur et la diversité. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 78 CHAPITRE 4 UNE NOUVELLE METHODOLOGIE D’ANALYSE DU DEVELOPPEMENT FINANCIER Si la science évolue, c'est souvent parce qu'un aspect encore inconnu des choses se dévoile soudain. François Jacob INTRODUCTION Une étude fine des espaces financiers subsahariens ne peut se faire sans un canevas d’analyse permettant de caractériser leur niveau de développement et in fine les canaux à travers lesquels ils contribuent au développement économique. Répondant à cette exigence, cette partie présentera une méthodologie permettant de caractériser l’état de développement et les besoins des systèmes financiers africains. Cette méthodologie a été élaborée par l’auteur dans le cadre d’une mission de conseil au sein de l’Agence française de Développement en collaboration avec le Département de la Recherche (REC) et la Division Banques et Marchés Financiers (SFP) de cette Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 79 institution. Elle se fonde sur une réflexion autour de la notion de développement financier, un concept qui est intuitivement facile à comprendre mais difficile à définir. Ce concept et sa mesure ont usé plusieurs générations d’auteurs qui ont essayé de le définir, voire de le mesurer (Cf. encadré n°2). En ce sens, François Jacob traduit bien le lent processus d’intelligence du développement financier. Nous apportons notre pierre à cet édifice en définissant tout d’abord le développement financier comme étant un processus multidimensionnel par lequel un système financier gagne en accessibilité, profondeur, efficacité, rentabilité, stabilité, qualité institutionnelle, propose une plus grande diversité d’institutions et d’instruments aux agents économiques et s’ouvre aux flux internationaux de capitaux. Cette définition met l’accent sur sept dimensions fondamentales mais qui ne doivent pas être considérées de manière exclusive dans la mesure où elles interagissent entre elles pour concourir au développement financier d’un pays : 1-La profondeur du système financier ; 2-L’accessibilité des agents économiques au système ; 3-L’existence d’institutions d’appui permettant son bon fonctionnement ; 4-La rentabilité et la stabilité des institutions et du système dans son ensemble ; 5-L’efficacité des intermédiaires financiers ; 6-La complétude ou diversité du système financier ; 7-L’ouverture du système financier. Figure 12: Les sept dimensions du développement financier. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 80 L’utilisation de ces dimensions permet de mettre à contribution différents indicateurs susceptibles de mesurer de manière thématique les forces et les faiblesses des systèmes financiers subsahariens. Ce faisant, cette méthode établit une typologie des systèmes financiers africains. La section I reviendra de manière détaillée sur chacune de ces dimensions, leur définition et les indicateurs permettant de mesurer leur développement. La section II, quant à elle, présentera la méthodologie permettant de générer une typologie des systèmes financiers africains et les résultats d’une analyse du niveau de développement financier menée sur l’ensemble de l’espace16. Le classement obtenu sera utile dans le cadre de notre effort de catégorisation des systèmes financiers subsahariens et sera complété par une étude qualitative, objet des chapitres 5, 6 et 7. SECTION I – LES DIFFERENTES DIMENSIONS DU DEVELOPPEMENT FINANCIER ET LES INDICATEURS PERMETTANT DE MESURER LEUR ESSOR La réflexion menée infra a pour finalité premièrement d’approfondir la connaissance des fonctions remplies par les intermédiaires financiers dans chacune de ces dimensions mais aussi de définir les dimensions pertinentes du développement financier et de sélectionner des indicateurs à même de les caractériser. §1-LA PROFONDEUR OU TAILLE DU SYSTEME FINANCIER La profondeur fait référence à l’importance du secteur financier au sein d’une économie et à sa capacité à drainer l’épargne pour financer les opportunités d’investissement. La profondeur associe, par conséquent, deux sous-dimensions complémentaires, la financiarisation ou approfondissement financier (approche par les stocks) et le financement (approche par les flux). La financiarisation ou approfondissement financier désigne la part du secteur financier relativement au reste de l’économie. Le degré de financiarisation est souvent utilisé pour juger du degré de maturité financière d’une économie. On considère, en effet, que plus un pays possède un niveau avancé de développement, plus les agents économiques sont supposés détenir une part importante de leur épargne sous forme d’actifs financiers. Quant au financement, il a trait aux ressources apportées par le secteur financier à l’ensemble de l’économie. Celui-ci comporte deux aspects : la mobilisation des ressources et 16 Cf. à ce sujet AfD (2007), Etat des systèmes financiers en Afrique, sous la direction de Grégoire Chauvière Le Drian et Nicolas Meisel, Agence française de développement, Paris Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 81 l’allocation de ceux-ci sous forme d’emplois. Différents ratios peuvent permettre de déterminer les niveaux de financiarisation et de financement, à savoir : Actifs financiers totaux/PIB ; Crédit au secteur privé/PIB ; Taux d’épargne/PIB ; Dépôts du système financier/PIB ; Capitalisation boursière/PIB. Plus ces indicateurs sont élevés, plus la profondeur est jugée importante et le secteur financier est supposé contribuer positivement au développement. Toutefois, l’interprétation de ces différents ratios doit être faite avec précaution dans la mesure où des pays connaissant des niveaux de développement identiques peuvent avoir des modes d’intermédiation financière différents. §2-DIVERSITE DU SECTEUR FINANCIER OU COMPLETUDE La complétude ou diversité du système financier traduit la capacité des agents économiques à pouvoir disposer d’institutions et d’instruments financiers diversifiés à même de répondre à leurs attentes. Cette dimension est particulièrement importante pour satisfaire les différents types de besoin financier. Cette notion comporte plusieurs déclinaisons : la complétude institutionnelle (A), la complétude instrumentale (B), la complétude temporelle (C), la complétude fonctionnelle (D) et la complétude des clientèles (E). En raison de leur importance, il apparaît nécessaire de revenir sur chacune de ces sous-dimensions. A- La complétude institutionnelle Ce concept caractérise un système financier dans lequel l’intermédiation financière est réalisée par des institutions financières diversifiées. Il peut s’agir, entre autres, de banques, de sociétés de crédit immobilier, de leasing, d’institutions financières non bancaires comme des compagnies d’assurance, des fonds de pension, de sociétés de courtage ou d’entreprises de capital risque. La composition relative du secteur financier constitue une première approche pour mesurer la diversité du système financier. La part de chaque grande classe d’institutions financières peut se faire en rapportant la valeur de son total bilan à celle de l’ensemble des actifs financiers du pays. On obtient la part relative des différents types d’acteurs financiers au sein du système financier. Une autre approche rapporte la valeur des actifs au PIB afin de connaître le degré de développement de ce type d’intermédiation financière au sein de l’économie nationale. Dans les pays d’Afrique Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 82 subsaharienne largement dominés par le compartiment bancaire, une forte épargne hors du système bancaire et un financement non bancaire élevé constituent parfois le signe d’une diversification. Bien que présentant des limitations, la capitalisation boursière rapportée au crédit à l’économie ou au crédit au secteur privé permet d’évaluer historiquement la part de financement levée par des émissions d’actions ou d’obligations. Indicateurs retenus Complétude instrumentale Complétude institutionnelle Part types d’instruments Marché boursier Capitalisation boursière totale (actions et obligations) /PIB Dépôts/Total actifs financiers Obligations/Total actifs financiers Actions/ Total actifs financiers Par types de besoins Assurances Primes d’assurance/PIB Total actif compagnies d’assurances /Total actifs financiers Crédit à la consommation/Crédit total Crédit à l’investissement/ Crédit total Crédit d’exploitation/ Crédit total immobiliers et crédit bail Actifs des sociétés de crédit immobilier/ Total actifs financiers Banques Total bilan bancaire/ Total actifs financiers OPCVM/ Total actifs financiers Commentaires Difficile à évaluer en l’absence de données sur plusieurs pays. La composition relative du système financier est difficile à obtenir en raison des différences de référentiel comptable entre pays Tableau 4: Instruments de mesure de la complétude instrumentale et institutionnelle. B- La complétude instrumentale La complétude instrumentale traduit la capacité du système financier à offrir aux agents économiques une gamme assez riche d’instruments financiers susceptibles de répondre à leurs besoins. La mobilisation de l’épargne peut se faire par des instruments aussi divers que les dépôts, obligations, actions, billets de trésorerie. Les agents peuvent, par ailleurs, avoir recours à différents types de produits pour obtenir des financements, placer leur épargne ou alors se prémunir contre le risque (polices d’assurance, produits dérivés). L’étude de la diversification peut aussi être effectuée par types de besoins satisfaits. Les ménages et les entreprises peuvent, par exemple, exprimer une demande de crédit à la Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 83 consommation, de crédit immobilier, pour financer leur investissement ou alors leur cycle d’exploitation. C- La complétude temporelle La complétude temporelle fait référence à la possibilité pour les agents économiques de pouvoir accéder à des financements ou des formes d’épargne répondant à leurs besoins en termes d’échéances et de maturité. Cette notion est particulièrement importante dans de nombreux pays en voie de développement car les entreprises n’ont accès qu’à peu de solutions pour financer leur investissement de long terme. Ce faisant, le système financier finance uniquement la croissance de court-moyen terme au détriment de la croissance de long terme. Du côté de l’épargne, excepté les obligations d’Etat et quelques titres de participations, les ménages et les investisseurs institutionnels ne disposent que de peu d’instruments de placements à long terme tandis que les possibilités de placements à court terme sont souvent mal rémunérées. Indicateurs retenus Complétude temporelle Commentaires Banques Dépôts à long terme/Total Dépôt Crédits à long terme/Total Crédit Il existe peu de bases de données donnant la répartition des actifs et passifs par maturité d’où nécessité de réaliser des enquêtes plus fines Actifs financiers Valeur des actifs à long terme (obligations, actions, crédits à long terme, immobilier)/Total actifs financiers Tableau 5: Instruments de mesure de la complétude temporelle. D- La complétude fonctionnelle Elle désigne la possibilité pour les agents économiques de pouvoir jouir des 5 fonctions de base d’un système financier, à savoir : (i) (ii) (iii) (iv) (v) la facilitation des échanges de biens et services ; la mobilisation et la collecte de l’épargne ; la production d’information sur les investissements envisageables et l’allocation de l’épargne ; la répartition, la diversification et la gestion du risque et au final ; le suivi des investissements en exécution et le contrôle de la gouvernance. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 84 Système de paiement Complétude fonctionnelle Commentaires Analyse des différents ratios monétaires M1/PIB (M2-M1)/PIB (M3-M2)/PIB Nombre de Distributeur Automatique de Banque/Guichet Automatique de Banque (DAB/GAB) La vélocité de la monnaie permet de mesurer les comportements d’utilisation de la monnaie, comportement de thésaurisation ou de rétention de monnaie Nombre de chambre de compensation L’analyse des différents ratios permet d’étudier la répartition entre monnaie scripturale et fiduciaire Nombre de cartes de paiement ou de crédit en circulation Nombre de détenteurs de chéquiers Nombre de chèque émis Nombre de jours pour la compensation d’un chèque Production d’information et allocation de l’épargne Nombre de dossiers clients traités Nombre de dossiers acceptés Existence de centrales des bilans Existence de registres de crédit Difficile à mesurer Suivi de l’investissement et contrôle de la gouvernance Participation au conseil d’administration des sociétés Avis favorable sur les projets Augmentation des autorisations de crédits Difficile à mesurer Gestion du risque Indicateurs de développement l’assurance et des produits dérivés Mobilisation et collecte de l’épargne Epargne/PIB Epargne par catégorie d’agents/PIB Epargne par catégorie d’agents/Epargne totale Epargne par maturité/ Epargne totale de . Tableau 6: Instruments de mesure de la complétude fonctionnelle. E-La complétude des clientèles Cette notion s’attache à mesurer la capacité du système bancaire à offrir des services de qualité à l’ensemble des clientèles potentielles qu’elles soient constituées d’entreprises (TPE, PME, TGE) ou de ménages (ménages plus ou moins pauvres). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 85 L’analyse de la complétude est complémentaire de l’accessibilité bien que cette dernière se situe en amont (évaluation de la capacité d’accéder au système financier). La complétude des clientèles a pour objectif l’appréciation en aval de la composition des clientèles bancaires. Elle peut se faire par l’intermédiaire des dossiers clients des banques afin d’obtenir une répartition de la clientèle par CSP, secteurs, taille d’entreprise voire niveau de revenu pour les ménages. §3-RENTABILITE - STABILITE La stabilité du système financier fait référence non seulement à la bonne santé financière des institutions financières, de leur contrepartie (suivi du taux d’endettement des ménages, des entreprises et de la composition de leur richesse) mais aussi de leur capacité de résilience suite à un choc macroéconomique. La rentabilité du système financier est intimement liée à la stabilité car les résultats conditionnent l’existence de fonds propres susceptibles de permettre de faire face à des chocs. Elle s’oppose parfois à l’accessibilité car certaines politiques de recherche de la rentabilité prônées par les institutions financières privilégient le service à des clientèles spécifiques ou alors excluent certains types d’instruments. A-Mesure de la rentabilité Différents indicateurs peuvent servir à apprécier la rentabilité : marge d’intermédiation, niveau de commissions, le Résultat Brut d’Exploitation (RBE), le Return on Equity (ROE) et le Return on Asset (ROA). La marge d’intérêt ou marge d’intermédiation correspond à la différence entre les produits provenant des intérêts perçus sur les prêts réalisés et les charges financières versées à la clientèle ou d’autres établissements financiers. Le niveau de cette marge dépend de la structure actif/passif et présente une forte exposition à l’évolution des taux. Les commissions perçues proviennent de la tarification des services rendus par l’établissement bancaire. Le suivi des commissions est particulièrement important dans la mesure où les banques essaient de développer celles-ci car elles ne sont pas entièrement liées à l’évolution des taux d’intérêts. Le résultat brut d’exploitation (RBE) correspond à la différence entre le PNB et les frais généraux auxquels s’ajoutent aussi des charges d’exploitation. La part la plus significative est représentée par les frais généraux qui regroupent, outre les frais de fonctionnement, les charges sociales et salariales. Le RBE est le premier solde intermédiaire permettant de mesurer la rentabilité. En effet, il indique clairement le niveau de marge dégagée par l’activité courante et permet surtout une bonne comparaison entre des banques ayant des structures ou des réseaux différents. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 86 Le résultat d’exploitation représente le RBE, duquel sont déduites les dotations aux amortissements sur immobilisation et provisions. Dans l’activité bancaire, les dotations aux amortissements sont significatives en raison d’investissements technologiques parfois massifs. Le Return on Equity (ROE) correspond au rapport Résultat de l’exercice/Fonds propres et mesure la rentabilité des fonds apportés par les actionnaires. Le Return on Asset (ROA) mesure quant à lui la rentabilité de la banque par rapport à l’ensemble des actifs mis à contribution pour réaliser le bénéfice. Instruments Rentabilité Stabilité Produit Net Bancaire (PNB) Respect des référentiels locaux et régionaux comptables Evolution des commissions Respect des normes prudentielles Evolution de la marge d’intérêt Respect procédures LAB Coefficient d’exploitation Généraux/PNB) (Frais Marge nette (Résultat net/PNB) Rapport des auditeurs Notation par des agences Marge brute (PNB/Total Bilan) ROE ROA Commentaires Obtention des données dans les rapports sur le système bancaire rédigés par les commissions bancaires Obtention des données dans les rapports sur le système bancaire rédigés par les commissions bancaires Peu d’agences de notation existent en Afrique Tableau 7: Instruments de mesure de la rentabilité et de la stabilité B-La stabilité Il est difficile de mesurer les performances globales des systèmes financiers en matière de stabilité en raison de l’hétérogénéité des normes réglementaires. Toutefois, différents indicateurs peuvent être utilisés à l’instar : Du respect des ratios réglementaires de fonds propres (Cook, MacDonough) ; De l’observation des ratios de division des risques ; Le taux d’endettement des ménages et des entreprises. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 87 Ces indicateurs ne sont malheureusement pas disponibles dans de nombreux pays africains tout comme les études sur la décomposition de la richesse des ménages. §4-L’EFFICACITE L’efficience traduit la capacité du secteur financier à fournir des produits et services d’excellente qualité au coût le plus faible c’est-à-dire en consommant le moins de ressources possibles. Par ressources, il faut ici entendre les prélèvements effectués (commissions, marge d’intérêts) par les différents intermédiaires financiers pour réaliser les transactions financières mais aussi les délais associés à l’intermédiation financière et les coûts supportés (l’examen de la marge d’exploitation est à ce titre très importante). Marges et coûts Indicateurs Commentaires Marge d’intermédiation Plus la marge d’intermédiation est forte, plus ceci traduit la capacité des institutions financières à générer une forte rentabilité sur les opérations de prêts à travers la collecte d’une ressource bon marché et l’octroi de prêts à des taux relativement plus élevés. Marge d’intermédiation/PNB Productivité par agent (Crédit ou dépôt par agent/Effectif) Productivité des capitaux (PNB/Capitaux utilisés) Coût total de l’intermédiation/Total des actifs Frais d’émissions actions obligations/Valeur de l’émission Concentration/Concurrence Diversification et Indice de concentration des 3 ou 4 premières banques Indice Herfindhal Tests de Panzar et Rosse Liquidité Volume transigé/capitalisation boursière (ratio de rotation ou turnover ratio) Malgré la théorie des marchés contestables, la concentration des acteurs est généralement utilisée comme approximation du degré de concurrence. Concurrence et efficience sont généralement liées. Approximation de la liquidité du marché boursier et de son efficience Tableau 8: Instruments de mesure de l’efficacité §5-L’ACCESSIBILITE L’accessibilité désigne la capacité des différentes catégories d’agents économiques, quelque soit leur lieu de résidence, leur niveau de vie, de revenu pour les ménages, leur taille pour les entreprises à pouvoir accéder à des services financiers de qualité. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 88 Pour les ménages, cette notion est très importante car elle est parfois reliée à des considérations de politique sociale et d’équité nationale à travers la notion d’exclusion financière et ses répercussions en matière de paix sociale. L’accessibilité comporte trois sous-dimensions : 1-La soutenabilité des frais financiers ; 2-L’accessibilité géographique ; 3-Les formalités pour accéder à un service financier. L’attention portée à ces sous-dimensions s’explique par leur capacité à freiner l’accès d’utilisateurs potentiels aux services financiers. Des frais financiers élevés par rapport aux revenus des ménages, une faible accessibilité géographique et des formalités d’accès au crédit draconiennes peuvent, en effet, constituer de puissants facteurs d’exclusion. Pendant longtemps, la mesure de l’accessibilité dans les pays subsahariens n’a pas été aisée en raison du refus des établissements bancaires de documenter leurs frais financiers et la non publication des statistiques sur la pénétration bancaire. Afin de mesurer l’accessibilité, il est désormais possible de s’appuyer sur de nouvelles bases de données. A titre d’exemple, Beck, Demirgüc-Kunt et Martinez Peria (2006) ont créé une base de données contenant des informations recueillies auprès de 193 banques implantées dans 58 pays dont 15 africains17 et portant sur différents indicateurs d’accessibilité. Bien qu’imparfaits, ces indicateurs appréhendent les facteurs limitant l’accessibilité géographique, le coût des services bancaires ou alors conditionnant l’éligibilité à certains produits. A-La soutenabilité des frais financiers Par rapport à leur revenu et situation financière, cette notion désigne la capacité des ménages et des entreprises à pouvoir faire face aux frais et commissions financiers demandés par les différents intermédiaires financiers. A titre d’exemple, l’ouverture d’un compte chèque au Cameroun requiert un dépôt minimum à l’ouverture de 700 dollar américain, une somme supérieure au PIB annuel par tête dans ce pays (662 USD en 2004). A contrario, l’ouverture d’un compte ne requiert pas de montant minimal dans de nombreux pays africains. Le cabinet Genesis (2005) affirme qu’il est insoutenable de demander à des ménages pauvres de dépenser plus de 2 pourcent de leur revenu en charges bancaires. Or, les frais bancaires dans les pays subsahariens vont parfois bien au-delà de cette limite et représentent parfois le revenu sur 17 Algérie, Cameroun, Egypte, Ethiopie, Ghana, Kenya, Madagascar, Malawi, Mozambique, Nigeria, Sierra Leone, Afrique du Sud, Ouganda, Zimbabwe Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 89 plusieurs années d’un ménage. Le coût des services financiers affecte aussi les activités de transferts d’argent internationaux qui constituent une part importante des services financiers proposés dans l’arc subsaharien18. B-L’accessibilité géographique L’accessibilité physique ou géographique désigne la possibilité pour un utilisateur de pouvoir accéder aux services financiers dans différentes zones géographiques. Elle peut être évaluée en déterminant le nombre de personnes ayant accès aux services financiers sous quelque forme que ce soit. L’accès physique peut être limité par la faible couverture du réseau bancaire et du système financier ou alors par des dispositions imposant un passage au siège de la banque ou alors de l’institution financière afin d’effectuer certains types d’opérations financières. C-Les formalités Cette sous-dimension a pour vocation d’apprécier les barrières documentaires ou les procédures auxquelles les ménages et les entreprises doivent faire face pour accéder au crédit. Les formalités pour accéder aux différents services financiers peuvent s’avérer dissuasives pour de nombreuses catégories de populations bancaires potentielles. Par exemple, l’environnement socioéconomique de certains PED ne permet pas l’utilisation des critères classiques d’accès aux services financiers. En effet, peu de personnes disposent d’une adresse fixe et permanente ou d’un emploi dans le secteur formel. Cette donne est accentuée dans les pays africains où la majorité de la population vit dans des zones rurales ou alors travaille dans le secteur informel. Accessibilité géographique Indicateurs Commentaires Nombre d’habitants desservis par une agence Peu d’études ou de mesures approfondies. La densité par guichet ou par DAB/GAB présente de fortes limitations en raison de la concentration dans certaines zones. Nombre total d’agences Densité bancaire par DAG/GAB ou alors par guichet Analyse de la densité de la couverture par région ou province/ Zone rurale ou 18 Les frais collectés par les opérateurs sur les transferts financiers peuvent représenter jusqu’à 15-20 de la somme (Cf. chap. 5 et 6). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 90 Indicateurs Commentaires urbaine Soutenabilité des conditions financières Frais financiers/PIB par tête Apport à l’ouverture du compte/PIB par tête Encours minimal à conserver sur le compte/PIB par tête Frais sur transferts d’argent/Montant transféré Comparaisons internationales difficiles en raison des niveaux de vie différents mais permet d’obtenir une approximation de la soutenabilité. Formalités Nombre de documents à produire pour obtenir un service bancaire Difficultés méthodologiques Nombre de jours pour instruire une demande de crédit Hétérogénéité des instruments financiers Nombre de jours pour obtenir un prêt Habitudes financières différentes Tableau 9: L’accessibilité, ses sous-dimensions et ses indicateurs §6-LES INSTITUTIONS D’APPUI La notion d’institutions d’appui au système financier fait référence à l’existence de règles et d’organisations permettant le bon dénouement des contrats financiers. Ces institutions d’appui sont endogènes au système financier (agences de notation, centrale des bilans, banques centrales, agence de la concurrence, autorités des marchés financiers) mais aussi exogènes. Ces dernières sont généralement liées au cadre macroéconomique, politique et juridique. A-Stabilité politique et macroéconomique La stabilité politique et macroéconomique constitue une des conditions essentielles au développement du système financier. En effet, la corruption et la criminalité économique augmentent les coûts entreprenariaux et l’incertitude en matière de droits de propriété. Ayyagari, Demirguc-Kunt et Maksimovic (2005) démontrent que l’instabilité politique et le crime constituent des freins majeurs à la croissance des entreprises. Detriagache, Gupta et Tressel (2005) abondent dans ce sens en soulignant que dans les pays à faible revenu, l’instabilité politique et la corruption exercent des effets nuisibles au développement financier. Par ailleurs, dans un environnement politique stable, la discipline budgétaire et des politiques macroéconomiques stables sont autant de facteurs contribuant à l’émergence d’acteurs financiers dynamiques. Selon Boyd, Levine et Smith (2001), les pays connaissant des taux d’inflation stables connaissent des degrés de développement bancaire et des marchés financiers plus élevés. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 91 B-Qualité du système juridique Le développement d’un cadre juridique adapté et d’une infrastructure facilitant l’échange d’informations sont autant de conditions nécessaires au développement de systèmes financiers efficients. L’aptitude des entreprises à lever des fonds auprès du système financier formel est fonction du degré de protection accordé aux investisseurs externes. Ceux-ci manifestent généralement une réticence à investir dans une entreprise si leurs droits en matière de gouvernement d’entreprise et de protection de leurs investissements sont susceptibles d’être bafoués par les actionnaires ou les gestionnaires. La protection des droits de propriété et l’applicabilité des contrats constituent des éléments essentiels au développement du système financier. Djankov, McLiesh et Shleifer (2005) ont démontré qu’une meilleure protection des créanciers augmente le volume de crédit accordé au secteur privé. Beck, Demirguc-Kunt et Maksimovic (2004) confirment le rôle fondamental du système judiciaire : leur étude établit que les entreprises sont mieux à même d’accéder à des financements externes dans des pays où les tribunaux assurent pleinement l’applicabilité des contrats. C-Information sur les créanciers De nombreuses études font de la qualité et de l’accessibilité de l’information des facteurs décisifs dans la constitution d’un secteur financier développé. Pour Jappelli et Pagano(2002), le volume de crédit bancaire est plus élevé dans les pays disposant de systèmes d’échanges d’information. Love et Mylenko (2004) vont dans ce sens car les entreprises font état de moindres contraintes de financement en présence d’une meilleure information sur le crédit. A cet égard, le développement de centrale des bilans et de registre des sociétés constitue une priorité pour le développement des institutions financières. E-Régulation financière Une régulation et une supervision adéquates constituent d’autres conditions de succès et de développement des systèmes financiers bien que le degré d’implication des autorités soit un facteur de discussion entre économistes. Loin du laissez-faire, la régulation par les autorités gouvernementales est perçue comme une solution aux déficiences du marché (Stigler, 1971). Dans ce cadre d’analyse, les régulateurs sont censés assurer la stabilité du système et guider les décisions des banques par le biais de la réglementation et de la supervision. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 92 Cette vision de la réglementation nécessite toutefois la réalisation de deux hypothèses : les gouvernements doivent mieux connaître le marché que les acteurs évoluant sur celui-ci et se doivent d’agir dans l’intérêt général. L’absence de ces conditions (expertise limitée des autorités et phénomènes de capture) limite l’effectivité de la régulation. La contestabilité et l’efficience des marchés financiers et systèmes bancaires commencent à être considérées depuis peu non comme une donnée mais un objet de politique économique. Dans des environnements où quelques banques ont longtemps été en situation oligopolistiques, le renforcement de la concurrence devrait intégrer les actions en faveur de la structuration de systèmes financiers efficients. §7-OUVERTURE DU SYSTEME FINANCIER L’ouverture du système financier fait référence à deux processus distincts (Classens et Jansen, 2000) : (i) (ii) la possibilité pour des institutions financières étrangères de pouvoir pénétrer au sein du système bancaire ou alors dans les autres compartiments du secteur financier, et la possibilité de pouvoir recevoir ou envoyer des flux financiers sans contrainte excessive sous forme de lignes de crédit, d’investissements de portefeuille, d’IDE, de remittances, de placements en bourse ou alors au sein des institutions financières (Claessens et Jansen, 2000). Bayraktar et Wang (2006) insiste sur le fait que l’ouverture du compte de capital fait certes partie des mesures visant à promouvoir l’ouverture mais ne doit pas être confondue avec celle-ci. La mesure du degré d’ouverture financière n’est pas un exercice aisé. Une première série de mesures examinent la présence, l’absence et le niveau des règles contrôlant les flux de capitaux. La source la plus utilisée pour réaliser cet exercice est une publication du FMI, l’Annual Report on Exchange Arrangements and Exchange Restrictions (AREAER). Certaines études utilisent ce document pour compiler des indices synthétiques d’ouverture financière. Le KAOPEN présenté par Chinn et Ito (2002) s’inscrit dans cette lignée et comprend trois grands groupes de variables : (i) les restrictions sur les transactions du compte de capital, (ii) l’existence de régimes de change parallèle et (iii) les restrictions sur le compte courant. D’autres études essaient de mesurer le degré d’ouverture financière réelle. Certains travaux utilisent des notions telles que la convergence des taux d’intérêts domestiques et internationaux, les corrélations entre l’épargne domestique et l’investissement et entre épargne domestique et les flux de capitaux. Ces mesures apprécient les contraintes réelles pesant sur les participants au système Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 93 financier car les acteurs privés arrivent souvent à détourner les mesures instaurées par les autorités publiques. Face aux difficultés méthodologiques rencontrées, des indicateurs plus simples sont adoptés en raison de leur disponibilité pour de nombreux pays : Flux d’IDE ; Flux d’investissement de portefeuille ; Flux des transferts de migrants ; Flux d’APD ; Part d’intérêts étrangers dans le capital des banques nationales ; Pourcentage des dépôts, crédits ou flux financiers effectués par des institutions majoritairement détenues par des étrangers. SECTION II - VERS UNE TYPOLOGIE DES SYSTEMES FINANCIERS SUBSAHARIENS §1- DEFINITIONS ET METHODOLOGIE L’indicateur de développement financier proposé infra a été élaboré dans le cadre d’une mission de conseil menée au sein de l’AfD [(AfD, 2007) ainsi que (Meisel et Mvogo, 2007)]. Cet outil a été conçu avec une finalité cognitive : mieux connaître les systèmes financiers subsahariens et obtenir une typologie mettant à la fois en lumière les besoins des pays en développement. Encadré n°2. Quelques étapes dans l’histoire des typologies des systèmes financiers Goldsmith réalise une typologie des systèmes financiers à partir de certains ratios dont le FIR (Financial Interrelations Ratios). Celui-ci se définit comme le rapport des actifs financiers sur la richesse nationale. La valeur de ce ratio permet de distinguer trois catégories de structures financières. Un FIR faible (0.2 à 0.5) correspond à un système dans lequel les institutions financières ne détiennent qu’une faible part des actifs financiers. Dans ce type de système, les banques commerciales sont les institutions financières et la relation de gré à gré est prépondérante. Une deuxième catégorie de structures se distingue par les conditions du premier stade mais accorde un rôle plus important aux institutions financières étatiques. La troisième catégorie englobe les pays pour lesquels le FIR est supérieur à 1. Il s’agit généralement de pays développés dans lesquels les institutions financières détiennent une part importante des actifs financiers. Un rôle plus considérable y est dévolu aux compagnies d’assurance et autres intermédiaires financiers. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 94 Selon Goldsmith (1969), le niveau de développement économique est d’autant plus élevé que le système financier est complexe et diversifié. La multiplicité et la diversité des instruments financiers permettent, en effet, d’obtenir un niveau d’investissement supérieur au montant de l’épargne nationale. Les modèles de croissance endogène ont essayé d’intégrer ces différents apports afin de présenter de la manière la plus exhaustive possible l’impact du développement financier sur la croissance économique. Gelbard et Leite (1999) dans le cadre d’un article publié en 1999 ont construit un indicateur composite de développement financier à l’aide de six indices représentant les caractéristiques majeures des systèmes financiers des pays africains (la structure de marché et la compétitivité du système financier, l’éventail des produits financiers disponible sur le marché financier, le degré de libéralisation financière, la qualité de l’environnement institutionnel, le degré d’ouverture financière et le degré de complexité des instruments de politiques monétaire). Chouchane-Verdier (2001) propose de caractériser le développement financier des pays africains à travers une série d’indicateurs composites. La réflexion sur les différentes dimensions du développement financier a largement avancé sous l’influence de réflexions menées au sein de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International (FMI, 2005). La Banque Mondiale a élaboré une méthodologie assez voisine de la nôtre permettant de caractériser le développement financier dans différents pays africains. Il s’appuie sur la notion de développement financier et reprend dans sa composition six des sept dimensions sous-tendant cette notion (la diversité du système institutionnel n’a pas été intégrée en raison des difficultés à reconstituer des séries longues pour mesurer les variables pertinentes). L’indicateur est le fruit de la réflexion sur les différentes dimensions du développement financier et les variables susceptibles de les caractériser au mieux. Au terme de celle-ci, un certain nombre de variables ont été sélectionnées en raison de la disponibilité des données pour l’ensemble des pays de l’arc subsaharien mais aussi de leur corrélation avec la dimension. Le tableau n°10 présente les six dimensions d’analyse, leur définition et les indicateurs retenus pour chacune d’entre elles. Les indicateurs s’écartent parfois de ce qu’auraient été des indicateurs « idéaux » de la dimension mesurée, faute de disponibilité ou de qualité suffisante des données dans les pays d’Afrique mais témoignent d’une réelle avancée par rapport aux études antérieures sur le développement financier en Afrique subsaharienne. En fonction de l’impact positif ou négatif sur la dimension, un signe positif ou négatif a été attribué à la variable. En prenant pour exemple la dimension efficacité, plus le système bancaire est concentré moins il est réputé contribuer favorablement à l’efficacité du système financier. Un signe négatif a donc été attribué à la variable concentration des banques. A contrario, plus le marché boursier est liquide, plus les investisseurs sont protégés du risque de décote. Ils sont donc, par conséquent, plus enclins à prendre des positions sur le marché boursier. La liquidité est, par conséquent, doté d’un signe positif. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 95 Dimension Définition Indicateurs retenus pour l’Afrique Profondeur Mesure le degré de financiarisation de l’économie et de l’importance des financements apportés par le système financier à l’économie Actifs financiers totaux/PIB Crédit au secteur privé/PIB Dépôts du système financier/PIB Capitalisation boursière/PIB Accessibilité Mesure la capacité des différents agents économiques, quelles que soient leurs caractéristiques, à accéder à l’offre de produits et services financiers Crédit au secteur privé/PIB Nombre de guichets pour 100000 habitants Taux emprunteur Prime de risque des prêts bancaires Mesure l’efficacité des institutions, des règles et des organisations qui assurent le respect des contrats financiers Indice d’information financière Indice de développement des lois bancaires, des centrales de bilan et des registres de crédit Indice de sanction des contrats Stabilité Mesure la solvabilité et la capacité de résilience du système financier national. La stabilité macroéconomique est un facteur de stabilité financière. Actifs de la banque centrale/PIB Réserves de devises en mois d’importations Transparence et reporting financier Dette publique totale/PIB Inflation Efficacité Mesure la capacité du secteur financier à proposer une offre et des performances les plus élevées possible au moindre coût. Concentration du système bancaire Liquidité du marché boursier Liquidité monétaire (M2/PIB) Spread des taux d’intérêt Frais généraux des banques Ouverture Mesure le degré d’ouverture du système financier local aux investisseurs étrangers (au sens large) Investissements directs étrangers Prêts accordés par les banques étrangères Transferts de fonds des migrants Institutions régulation d’appui et de Tableau 10: Les six dimensions d'analyse des systèmes financiers. Source : Meisel et Mvogo (2007) et Afd (2007) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 96 Il est important de souligner que les exercices de notation présentent un certain nombre de limites. En effet, l’agrégation des notes obtenues sur ces six dimensions, utile pour la présentation et la lisibilité des chiffres, ne présente que peu de sens au plan conceptuel. Par exemple, le degré d’ouverture ne peut pas être interprété de façon normative : « plus » d’ouverture n’est pas nécessairement « mieux ». Les caractéristiques d’une petite économie insulaire peuvent l’amener à être extrêmement ouverte alors qu’un grand pays continental peut s’avérer plus fermé sans qu’une configuration soit, par nature, « meilleure » que l’autre. De même, plus de profondeur financière n’est pas nécessairement mieux. Et l’on ne voit pas non plus comment un optimum pourrait exister en la matière, qui serait valable pour tous les pays du monde. Ceci n’aurait proprement aucun sens. Ce qui compte est l’interaction dynamique entre les composantes du système financier, la cohérence d’ensemble des dispositifs et leur utilité pour le développement économique, autant d’éléments qu’aucune échelle de notation n’est en mesure de bien saisir. D’où le choix d’une échelle de notation purement relative. Outre leur normativité implicite, les exercices de notation ou de comparaison des mesures de développement financier aboutissent souvent à « écraser » les performances obtenues par les pays africains dans les classements. Des écarts trop importants ne permettent pas de tirer de réels enseignements des classements, au-delà de l’habituel constat négatif d’un « retard » de l’Afrique. De ce constat, deux conséquences ont été tirées. Premièrement, nous avons décidé de construire une (seconde) base de données exclusivement centrée sur l’Afrique sub-saharienne, ne retenant que des indicateurs couvrant de façon suffisamment fiable et complète l’ensemble du continent. Deuxièmement, nous avons adopté une méthodologie de notation qui permette de comparer des grandeurs comparables, c'est-à-dire les pays d’Afrique entre eux, en augmentant la variance et donc le « contenu informationnel » des notes. Ainsi, pour chaque dimension, le pays le moins bien noté obtient automatiquement 0, et le mieux noté 10, quelle que soit leur performance absolue (valeur de la donnée source). Les notes obtenues au final sont donc purement relatives (voir Encadré n°3 pour la méthodologie). Encadré n°3. Construction des indicateurs Pour chaque variable élémentaire (donnée source), les ordres de grandeurs présentant des écarts parfois considérables selon les pays, nous avons commencé par prendre le logarithme de toutes les variables. Dans un second temps, nous avons transformé ces données en « notes relatives » comprise entre 0 (pour le moins bon) et 1 (pour le meilleur pays). La k k transformation est linéaire, si Xi est le logarithme de la donnée brute du pays i pour l’indicateur k, alors sa note relative Yi est définie par : X ik min j ( X kj ) k k max j ( X j ) min j ( X j ) Yi k k k max j ( X j ) X i max ( X k ) min ( X k ) j j j j Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 97 selon que la composante contribue « positivement ou non » au développement du système financier. Le sens de la relation a été déduit à partir des résultats solidement établis par la littérature empirique. En guise d’agrégation des indicateurs pour chaque dimension, nous avons effectué une simple moyenne et multiplié le résultat par 10 afin d’obtenir une « note relative » comprise en 0 et 10 par dimension. Les notes pays n’ont pas été renseignées quand, pour une dimension donnée, moins de la moitié des indicateurs était utilisable, que ce soit par manque de données, ou parce que les valeurs prises sur un indicateur étaient trop extrêmes et « écrasaient » le reste des notes pays. Une autre présentation des résultats à vocation opérationnelle (aide à l’établissement de priorités par pays) a consisté à classer les pays en quatre groupes pour chaque dimension, en agrégeant les notes relatives précédentes afin d’obtenir une note par dimension comprise entre 1 et 4. La transformation de base est encore linéaire. Avec les notations précédentes, la note Zi du pays i pour une dimension donnée est : Z i 0.5 4 moyk ( X ik ) min j (moyk ( X kj )) max j (moyk ( X kj )) min j (moyk ( X kj )) où k décrit l’ensemble des indicateurs se rapportant à la dimension considérée (la moyenne est arithmétique simple). La valeur obtenue est enfin arrondie à l’unité pour obtenir une note de 1 à 4. Dans le même souci de cohérence et afin de ne pas écraser les notes, l’Afrique du Sud a été exclue de la matrice finale, le système financier sud-africain égalant voire dépassant sur la plupart des dimensions le niveau de développement financier des pays développés. Le résultat se présente sous la forme du tableau ci-dessous (Tableau 11). §2- PREMIERS RESULTATS Au sein du tableau 11, les six premières colonnes présentent les résultats obtenus dans chaque dimension par les différents pays étudiés. La septième colonne correspond à la moyenne des notes obtenues dans chaque dimension. La dernière colonne propose une moyenne relative africaine. A titre d’illustration, la dernière colonne (note globale) est calculée en appliquant à ces moyennes la méthode de notation décrite dans l’encadré 3 : le pays dont la moyenne est la plus faible (la RDC qui obtient 0,1) obtient 0 comme note relative et le mieux classé 10. Ainsi Maurice, avec une note moyenne de 7,7, se retrouve en tête du classement relatif et obtient donc 10. Le Botswana, avec une moyenne de 6,2, obtient 7,9 en « note relative ». Toutes les notes pays s’étirent ainsi entre la RDC et Maurice. Les notes pays par dimension permettent d’identifier rapidement dans une lecture en ligne les points faibles d’un système financier donné. L’analyse des moyennes, notamment la moyenne relative, place l’île Maurice en tête de cette analyse du niveau de structuration des systèmes financiers subsahariens (7,7 en moyenne normale). Le Botswana et le Cap Vert occupent tous deux la deuxième place. Ce palmarès obéit à la perception Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 98 usuelle du degré de développement financier de l’île Maurice et du Botswana. La bonne gestion des excédents liés à l’extraction minière dans ce pays a permis de développer un système financier particulièrement diversifié (présence de nombreux fonds de pension, par exemple) et dense. Le Cap Vert bénéficie quant à lui de son statut d’économie touristique (flux de liquidités dépensés par les touristes) mais aussi des transferts de fonds réalisés par la diaspora capverdienne. La conjonction de ces volumes de liquidités dans cette petite économie a donné naissance à des réseaux particulièrement denses d’institutions financières. Les moyennes régionales sont également parlantes : le niveau de développement financier des pays africains apparaît très faible, puisque même sur une base de comparaison strictement régionale, la note moyenne du continent n’est que de 3,7. Les notes des pays de la Zone Franc sont inférieures à celles des pays non Zone Franc en matière d’institutions d’appui, d’accessibilité et d’ouverture. Au sein de la Zone Franc, la CEMAC présente une moyenne régionale très faible (2,3), tandis que l’UEMOA avec une note moyenne de 3,9 se situe au même niveau que le reste de l’Afrique hors Zone Franc. Profondeur Accessibilité Institutions d'appui Stabilité Efficacité Ouverture NOTE MOYENNE NOTE RELATIVE Cameroun 2 3 4 3 5 2 2,9 3,7 Centrafrique 1 4 3 3 2 2,6 3,3 Tchad 0 4 2 3 1 2,0 2,5 Congo, Rep. 1 2 2 1 1 1 1,4 1,7 Gabon 2 4 3 3 3 2 2,6 3,3 Benin 3 6 4 3 4 2 3,7 4,7 Burkina Faso 3 5 3 3 6 1 3,4 4,3 Cote d'Ivoire 3 4 5 3 5 6 4,1 5,2 Guinée Bissau 1 5 2 3 5 8 3,9 5,0 Mali 3 4 3 3 4 3 3,5 4,4 Niger 1 6 6 3 2 2 3,2 4,1 Sénégal 4 5 5 4 7 6 5,3 6,8 Togo 3 6 4 3 3 7 4,4 5,7 Angola 1 0 3 2 2 1,5 1,8 Botswana 4 6 10 10 6 6,2 7,9 Burundi 4 6 3 2 1 3,2 4,1 Cap Vert 6 8 6 3 5 7 6,1 7,9 Congo RDC 0 0 0 0 0 0,1 0,0 Ethiopie 5 6 5 4 7 4 5,1 6,5 Gambie 3 4 6 1 2 6 3,5 4,4 Ghana 3 2 5 4 3 3 3,4 4,3 Kenya 5 5 8 4 8 5 5,9 7,5 Lesotho 2 6 2 3 3 3,2 4,0 Madagascar 2 3 6 3 4 0 2,8 3,5 Malawi 2 4 4 1 0 0 1,9 2,3 Pays 1 Mauritanie 3 6 5 1 3 5 3,8 4,8 Maurice 10 10 5 3 8 10 7,7 10,0 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 99 Mozambique 1 5 5 2 2 5 3,3 4,2 Namibie 7 9 10 Nigeria 3 5 4 2 5 0 5,5 7,1 4 10 2 4,7 Rwanda 1 6,0 4 3 2 0 2,1 2,5 Seychelles 9 Sierra Leone 2 8 3 4 6 6,0 7,7 6 0 5 0 2 2,5 3,2 Soudan 1 Swaziland 3 7 1 2 2 8 2,8 3,6 7 2 3 5 4,5 Tanzanie 2 5,8 4 5 3 5 1 3,2 4,0 Ouganda Zambie 2 3 5 7 3 4 3,9 5,0 3 3 5 6 4 3 4,0 5,1 Zimbabwe 7 0 5 4 3 2 3,8 4,8 CEMAC 1 3 3 3 2 2 2,3 2,9 UEMOA 3 5 4 3 4 4 3,9 5,0 ZF 2 4 4 3 4 4 3,4 4,2 NON ZF 3 5 5 3 4 3 3,9 4,9 Afrique S.-S. 3 5 4 3 4 3 3,7 4,7 Tableau 11: Matrice des notes pays par dimension. Source : AFD (2007) CONCLUSION Face à la difficulté d’analyser et de comparer les performances des systèmes financiers subsahariens et plus largement leur contribution à la croissance et à la réduction de la pauvreté, ce chapitre a proposé une méthodologie permettant de situer aussi bien qualitativement que quantitativement leurs niveaux de développement financier. De manière qualitative, l’intelligence du développement financier à l’échelle subsaharienne a été améliorée par la construction d’indicateurs de développement financier à même de capturer pour chaque pays son niveau de développement financier global mais aussi de préciser la qualité des interactions avec différents éléments de la sphère réelle grâce à l’utilisation de six dimensions (profondeur, accessibilité, institutions d’appui et de régulation, stabilité, efficacité, ouverture). Malheureusement, dans chacune de ces dimensions, les performances de l’espace subsaharien sont faibles en comparaison de celles affichées par les systèmes financiers d’autres régions en développement (moyenne d’ensemble de 3,7 sur 10). Malgré le soin apporté à la construction de ces indicateurs de développement financier, ceux-ci sont, par nature, imparfaits et doivent être améliorés par une étude qualitative. Cette dernière confirme ces résultats (chapitre 5, 6 et 7). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 100 CHAPITRE 5 DES SYSTEMES FINANCIERS PEU PROFONDS ET FAIBLEMENT DIVERSIFIES Trois questions distinctes doivent être considérées pour que les ressources intérieures puissent prendre une place plus importante dans le développement économique des pays africains. Premièrement, la question du volume des ressources existantes se pose; deuxièmement, ces ressources doivent être détenues sous une forme qui en facilite une allocation utile du point de vue économique et social. Enfin, les ressources disponibles doivent être utilisées effectivement et efficacement. Cnuced (2007a), Rapport sur le développement en Afrique INTRODUCTION Après avoir décrit un nouvel outil d’analyse du développement financier dans le chapitre 4, nous allons utiliser les dimensions présentées afin de caractériser qualitativement l’état de développement financier des systèmes financiers d’Afrique subsaharienne. La citation extraite du Rapport 2007 sur le Développement en Afrique de la Cnuced met l’accent sur un élément essentiel : la nécessité d’analyser la profondeur des systèmes financiers subsahariens et leurs déterminants. Cette dimension apparaît fondamentale au vu des liens mis en évidence entre différents indicateurs les caractérisant et les processus contribuant à la réduction de la pauvreté et à la croissance au sein de la sphère réelle. Au sein de l’espace subsaharien et exception faite de l’Afrique du Sud, la part des actifs financiers rapportée au PIB est faible et le système financier mobilise mal l’épargne disponible ainsi que l’atteste le volume de la fuite des capitaux (Section I). En outre, les plaintes des agents économiques sur l’incapacité de leur système financier à leur octroyer des niveaux et des formes adéquates de financement transparaissent dans la part relativement réduite des crédits à l’économie rapportés au PIB. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 101 La section II renforce ce constat en revenant longuement sur la faible diversité des institutions mais aussi des services proposés dans l’arc subsaharien. Dans un environnement financier marqué par la prédominance du compartiment bancaire, cette situation est à l’origine du financing gap spécifique à certains secteurs ou clientèles de l’arc subsaharien, mais aussi du recours à des solutions financières non optimales (Geiss et Mvogo, 2008). SECTION I - LES ESPACES FINANCIERS SUBSAHARIENS AFFICHENT UNE CAPACITE LIMITEE DE FINANCEMENT DE LEUR ECONOMIE Les systèmes financiers subsahariens ne se ressemblent pas. Il existe en réalité une summa divisio entre l’Afrique du Sud, qui affiche un développement financier qui n’a rien à envier à une économie émergente et le reste du continent. Il existe aussi des différences structurelles liées à la taille des économies (les systèmes financiers nigérians et burundais n’ont rien de comparable, Cf. §1). Toutefois, quelques grandes lignes directrices semblent caractériser les systèmes financiers africains, au nombre desquelles leur faible profondeur et capacité limitée de financement de leurs économies respectives. Face à des acteurs économiques se plaignant des difficultés à accéder au financement, les systèmes financiers d’ASS connaissent une forte surliquidité qui rend difficile le pilotage de la politique monétaire (§2). § 1- DES SYSTEMES FINANCIERS CARACTERISES PAR UNE SUMMA DIVISIO ENTRE L’AFRIQUE DU SUD ET LE RESTE DU CONTINENT MAIS AUSSI LA DOMINATION DU SECTEUR BANCAIRE A-La prépondérance du compartiment bancaire dans les systèmes financiers subsahariens Malgré l’absence de données harmonisées sur la composition des systèmes financiers des pays d’Afrique subsaharienne, les chiffres existant permettent de s’accorder sur une réalité : le secteur bancaire y occupe une place prépondérante. Les actifs du secteur représentent plus de 70% du total des actifs des acteurs financiers dans les pays au sein desquels le FMI a mené des enquêtes Financial Stability Assessment Program19. 19 Le FMI consacre un site aux enquêtes Financial Stability Program (FSAP) accessible à l’adresse suivante, http://www.imf.org/external/NP/fsap/fsap.asp, page consultée le 13 juin 2008 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 102 Tableau 12: Répartition des actifs financiers dans quelques pays africains en 2004. Source : FMI (2006) Au sein des 7 systèmes financiers pour lesquels nous disposons de statistiques pour 2004, le total bilan des compagnies d’assurances représentaient en moyenne 2,7% de l’ensemble des actifs du système financier, tandis que le total bilan des fonds de pension et autres intermédiaires financiers représentaient respectivement 10,6 et 13,1% de l’ensemble des actifs financiers. Quant au secteur bancaire, il totalisait en moyenne 73,7% des actifs avec des pics en Ethiopie (94%) et au Botswana (46,7%). La majorité des systèmes financiers d’Afrique subsaharienne se situent entre ces deux extrêmes, avec une plus forte proximité de la situation éthiopienne que du cas botswanais20. Cette domination du secteur bancaire au sein des systèmes financiers d’Afrique subsaharienne explique la part assez importante qui lui sera accordée infra. Elle justifie l’utilisation de celui-ci comme approximation des différences de taille entre systèmes financiers africains (B). B-La taille des systèmes financiers, reflet des disparités économiques entre pays africains Le chapitre 4 a permis d’établir une liste d’indicateurs à même de caractériser la taille ou la profondeur d’un système financier. Malheureusement, nombre d’entre eux (notamment le montant total des actifs du système financier) sont indisponibles pour les pays d’Afrique subsaharienne. Il est toutefois possible d’approcher leur taille en considérant celle du système bancaire, ce dernier dominant bien souvent largement la sphère financière. La disponibilité et la fiabilité des statistiques sur le secteur bancaire sont plus grandes en raison de l’effort d’harmonisation des données entrepris sous l’égide des bailleurs de fonds (FMI, notamment). Toutefois, en raison de divergences nationales dans la comptabilisation des agrégats monétaires, il est préférable de choisir un agrégat étroit, tel que M2 (encours des billets, pièces, dépôts à vue et certains dépôts à terme). L’utilisation de ce dernier comme indicateur de profondeur financière révèle que seuls le Nigeria et l’Afrique du Sud disposent de systèmes financiers dont les actifs dépassent 10 milliards de 20 Ce pays bénéficie, en effet, d’un des niveaux de vie par habitant les plus élevés et un système d’épargne salariale et patronale développé. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 103 dollars américains. Près de dix pays africains possèdent des actifs compris entre 2 et 10 milliards de dollars américains. Le reste de l’espace subsaharien correspond à des marchés dont la profondeur est inférieure à 2 milliards de dollars américains, l’équivalent du total bilan d’une petite banque régionale dans un pays développé (East African Community, 2006). Ce classement ne fait que reproduire les performances économiques de ces pays et suit de près celui effectué en fonction du PIB. Le rapport Making Finance Work for Africa (Banque Mondiale, 2007) publié par la Banque Mondiale abonde dans ce sens : après contrôle de différentes variables (dont l’inflation), le revenu par habitant semble constituer un des déterminants majeurs du niveau de profondeur financière dans les pays subsahariens. L’analyse du classement des 75 premières banques d’Afrique subsaharienne du magazine African Business21 confirme cette logique et suit à peu de choses près le poids économique des pays (Cf. tableau n°13). Ainsi, les cinq premières banques de cet espace sont sud africaines (Standard Bank, ABSA Group, Nedbank Group et FirstRand Banking Group, Investec) suivies par une multitude de banques nigérianes. Parmi les 30 premières banques du classement, seuls trois établissements n’appartenant pas à ces deux pays viennent perturber le duopole entre l’Afrique du Sud et le Nigeria. En termes de taille, les performances des banques sud africaines confirment la summa divisio entre le système financier sud africain et ses homologues du continent. Il n’y a, en effet, rien de comparable entre les cinq premières banques sud africaines (64% du capital social de l’ensemble des 75 premières banques africaines, 80% du total bilan et 73% des bénéfices engrangés par les établissements bancaires de cet ensemble). Le système bancaire sud africain constitue à juste titre un véritable mastodonte et un modèle dont de nombreux pays africains devraient s’inspirer. Sur les 75 premiers établissements bancaires d’Afrique subsaharienne, 12 appartiennent à la zone Franc22, 8 sont kenyans, 4 sont ghanéens, 20 sont nigérians. Cette forte place des banques nigérianes s’explique par le poids économique et démographique du pays mais aussi par le processus de consolidation entre les banques de ce pays. Suite au passage à 127 millions de dollars du capital minimum pour exercer l’activité bancaire décidée en juillet 2004 par le gouverneur de la Central Bank of Nigeria (CBN), Charles Soludo, un mouvement de fusion-concentration au sein du secteur bancaire nigérian a fait passer celui-ci de 89 banques en 2004 à 25 banques qui constituent autant de poids lourds régionaux (Jeune Afrique, 2007). Autre comparaison, dans le top 75 des banques d’Afrique subsaharienne, 8 banques nigérianes avaient des actifs supérieurs à 2 milliards de dollars. Au-delà des comparaisons nationales, ce classement démontre au final une fois de plus la faible taille des banques d’ASS : le total bilan des 75 premières banques africaines représente 470 21 Cette publication consacre chaque année un numéro au panorama du secteur bancaire africain. Nous nous sommes appuyés sur l’édition 2007 : African Business (2007), Africa Top 100 Banks, October 2007, n°335, 41st year 22 Soit 4 pour le Cameroun, 2 pour la Côte d’Ivoire, le Gabon et le Sénégal, 1 pour le Togo et le Bénin Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 104 milliards de dollars23, soit moins du tiers des actifs de la première banque mondiale en termes d’actifs en 2007, UBS (1 963 milliards de dollars)24. Ce volume assez faible des banques en termes d’actifs semble aller de pair avec l’incapacité des acteurs financiers à accorder des financements aux secteurs privés des économies africaines ainsi que l’atteste le paragraphe (§2). §2 - L’INCAPACITE DES ACTEURS BANCAIRES A ASSURER LE FINANCEMENT DE L’ECONOMIE ET LES PHENOMENES DE SURLIQUIDITE L’effort d’intermédiation des systèmes financiers subsahariens peut être analysé à travers sa participation aux deux dimensions de cet exercice : sa capacité à mobiliser des ressources mais aussi son aptitude à les utiliser pour le financement de l’économie, et plus particulièrement du secteur privé. Dans ces deux domaines, les performances des systèmes financiers d’Afrique subsaharienne sont souvent inférieures à celles observées dans d’autres régions (A). Un niveau de ressources collectées supérieures aux emplois est à l’origine de la surliquidité et symbolise le blocage de l’intermédiation dans de nombreux systèmes financiers subsahariens. Or, au-delà de sa capacité à révéler les dysfonctionnements, la surliquidité constitue un frein pour la politique monétaire de ces pays et un coût pour la croissance (B). A- Des niveaux d’intermédiations plus faibles que dans les autres régions en développement Ce constat est le fruit de l’analyse de différents agrégats bancaires (M3/PIB et Crédit au secteur privé/PIB) qui témoigne assez bien de pratiques communes à de nombreux agents financiers subsahariens. La mobilisation des ressources dans les pays africains est réduite avec un ratio M3/PIB de 32% contre 49% en Asie du Sud Est/Pacifique et plus de 100 % dans les pays à hauts revenus25. La transformation des ressources en emplois est particulièrement faible dans les pays d’Afrique subsaharienne. Le ratio Crédit au secteur privé/PIB illustre parfaitement l’incapacité de ces systèmes à participer au financement de l’économie. D’après le rapport Making Finance Work For Africa (Banque Mondiale, 2007d), ce dernier est de 18% en moyenne en Afrique contre 30% en Asie du Sud et 107% dans les pays d’Asie de l’Est. 23 24 Calculs de l’auteur d’après le classement fourni par African Banker (2007) D’après Bankersalmanac (2008), Top 50 banks in the World, http://www.bankersalmanac.com/addcon/infobank/wldrank.aspx, page consultée le 13 juin 2008. Les chiffres correspondent aux bilans de 2006. 25 D’après les statistiques de Making Finance work for Africa (Banque Mondiale, 2007) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 105 Banques Pays Capital Actifs CAR (m$) (m$) 6516 139023 Profits ROE ROA (m$) 4,7 2634 40,4 1,9 Standard Bank Afrique du Sud ABSA Afrique du Sud 4850 68766 7,1 1585 32,7 2,3 Nedbank Afrique du Sud 4082 59016 6,9 971 23,8 1,6 Investec Afrique du Sud 3175 46813 6,8 835 26,3 1,8 FirstRand Banking group Afrique du Sud 2928 61700 4,7 1522 52 2,4 Intercontinental Bank Nigeria 1277 5735 22,2 184 14,4 3,2 Union Bank of Nigeria Nigeria 783 5248 14,9 106 13,5 2 Zenith International Bank Nigeria 738 4785 15,4 119 16,1 2,4 First Bank of Nigeria Guaranty Trust Bank IBTC Chartered Bank Oceanic Bank United Bank for Africa First Inland Bank Diamond Bank Spring Bank Ecobank Nigeria Platinium Habib Bank Access Bank Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria 465 406 308 297 296 282 272 267 238 224 215 6574 3959 895 2926 6962 1510 1738 1052 1070 1249 2502 7,1 10,2 34,4 10,1 4,2 18,6 15,6 25,4 22,2 17,9 8,6 184 128 37 91 101 32 41 39,5 31,5 12 30,6 34,1 11,3 15,1 2,8 3,2 4,1 3,1 1,4 2,1 2,3 41 28 52 17,2 12,5 24,2 3,8 2,2 2 Banques Pays Afribank Nigeria Standard Chartered Bank of Nigeria Wema Bank Fidelity Bank Skye Bank First City Monument Bank BGFI Bank Barclays Bank of Kenya Commercial Bank of Ethiopia Banco de Fomento Angola Kenya Commercial Bank Standard Chartered Bank of Kenya Société Générale de Banque de Côte d'Ivoire Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria Nigeria Gabon Kenya Ethiopie Angola Kenya Kenya Côte d'Ivoire 211 207 206 200 198 196 185 178 166 155 132 120 104 1024 531 1050 934 1346 831 1199 1689 3828 1579 1333 1167 903 20,6 38,9 19,6 21,4 14,7 23,6 15,5 10,5 4,3 9,8 9,9 10,3 11,5 19 25 24 24 12 22 36 93 91 89 45 55 17 9 12,1 11,6 11,6 6,2 11,2 19,3 52,2 54,8 57,4 34,1 45,8 16,3 1,8 4,7 2,3 2,3 0,9 2,6 3 5,5 2,3 5,6 3,4 4,7 1,9 Standard Bank of Namibia Capitec Bank Bank Windhoek Barclays Bank of Botswana Standard Chartered Bank of Ghana Ghana Commercial Bank Teba Bank CBAO Namibie Afrique du Sud Nambie Botswana Ghana Ghana Afrique du Sud Sénégal 101 85 83 79 78 78 76 73 1334 204 1052 1150 758 645 360 860 7,5 41,6 7,9 6,8 10,3 12,1 21,1 8,5 26 27 17 43 30 26 32 24 25,7 31,7 20,4 54,4 38,4 33,3 42,1 32,9 1,9 13,2 1,6 3,7 3,9 4 8,9 2,8 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Capital (m$) Actifs (m$) Page 107 CAR Profits (m$) ROE ROA Banques Pays Capital (m$) Actifs (m$) CAR Profits (m$) ROE ROA Banque Commerciale de l'Industrie de la Côte Côte d'Ivoire d'Ivoire Banco de Poupanca e Credito SARL Angola Sasfin Holdings Afrique du Sud Société Générale de Banque du Sénégal Sénégal 69 574 12 9 13 1,5 66 65 64 649 343 858 10,1 18,9 7,4 36 32 20 54,5 49,2 30,8 5,5 9,3 2,3 Cooperative Bank of Kenya Banque Internationale pour l'épargne et le Crédit Kenya Cameroun 63 61 831 764 7,5 8 18 13 28,5 21,2 2,1 1,7 Development Bank of Mauritius Barclays Bank of Ghana Developement Bank of Mauritius Banco Africanos de Investimentos CFC Bank National Bank of Kenya Banco International de Mocambique Societe Generale Ghana National Bank of Malawi BICIG Barclays Bank Zambia National Bank of Commerce Maurice Ghana Maurice Angola Kenya Kenya Mozambique Ghana Malawi Gabon Zambie Tanzanie 60 59 58 51 49 48 47 44 43 43 42 42 247 541 245 1283 581 520 849 320 261 556 455 443 24,3 10,9 23,67 3,9 8,4 9,2 5,5 13,7 16,5 7,69 9,2 9,48 2 29 2 42 20 13 14 10 11 11 10 11 3,3 49,1 3,45 82,3 40,8 27 29,8 22,7 25,6 25,64 23,8 26,19 0,8 5,3 0,81 3,2 3,4 2,5 1,6 3,1 4,2 1,97 2,2 2,48 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 108 Banques Pays Société Générale de Banques au Cameroun Cameroun Capital (m$) Actifs (m$) 40 Afriland First Bank Cameroun 40 CRDB Tanzanie 38 ABC Holdings Botswana 38 Bank of Africa Benin Bénin 36 Standard Chartered Bank Zambia Zambie 36 Investment and Mortgage Bank Kenya 35 CRDC Bank Tanzanie 34 National Industrial Credit Bank Kenya 33 BCI Fomento Mozambique 32 Barclays Bank of Uganda Ouganda 31 Commercial Bank of Cameroon Cameroun 30 Bank of Abyssinia Ethiopie 29 Tableau 13: Caractéristiques des 75 premières banques subsahariennes. Source : African Business (2007) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 109 CAR Profits (m$) 514 7,8 550 634 347 507 354 322 710 284 455 218 550 237 7,3 6,01 10,9 7,1 10,1 10,8 4,8 11,6 7 14,2 5,4 12,2 ROE ROA 6 15,5 1,2 16 10 6 14 13 22 6 9 9 41,72 26,3 16,6 38,8 37,1 64,7 18,2 28,1 29 2,51 2,9 1,2 3,9 4 3,1 2,1 1,9 4,1 9 31 3,8 Au-delà de ces généralités, une analyse plus fine permet de distinguer des différences fondamentales entre pays africains dans le processus d’intermédiation et de souligner l’existence de paliers de développement financier. Le graphique n°13 démontre que la région MENA affiche de meilleures performances en matière de collecte des dépôts et d’octroi du crédit. Elles sont pratiquement identiques à celles observées dans les pays asiatiques. A contrario, les pays des deux zones Franc sont sensiblement en retrait par rapport à la zone MENA et il existe un écart important entre la CEMAC et l’UEMOA. La profondeur financière au sein de l’UEMOA est faible mais comparable à la moyenne de l’Afrique subsaharienne. Le ratio Dépôts/PIB au sein de l’UEMOA représente près du double de celui de la CEMAC et il approche les performances des pays de la zone MENA. Toutefois, en matière de prêts, le différentiel entre les deux espaces économiques est plus important. En effet, l’UEMOA est proche de la moyenne de l’Afrique subsaharienne (17,8% pour l’UEMOA contre 16,7% pour l’Afrique subsaharienne en 2002-2003) mais très loin des performances des pays du pourtour méditerranéen (40.1%)26. Figure 13: Ratios d’intermédiation financière de différentes zones géographiques. Source : Micco, A., Panizza U. et M. Yañez (2006) Le graphique ci-dessous met en exergue la nécessité de développer le financement du secteur privé dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. Excepté l’Afrique du Sud (avec un 26 Cf. Amadou N., Sy, R. (2006), Financial Integration in the West African Economic and Monetary Union, WP/06/214, International Monetary Fund, Washington D.C. ratio de près de 78%), les secteurs bancaires subsahariens se caractérisent par de piètres performances en matière de financements à l’économie. Figure 14: Moyenne du ratio crédit accordé par les banques de dépôts au secteur privé/PIB entre 2003 et 2005. Source : Banque Mondiale (2006) Dépôts bancaires/PIB Figure 15: Moyenne du ratio dépôts bancaires/PIB entre 2003 et 2005. Source : Banque Mondiale (2006) Les difficultés en matière de financement de l’économie dans ces pays s’expliquent, entre autres causes, par la faible mobilisation de l’épargne au sein du secteur bancaire ainsi que l’atteste le Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 111 graphique n°15. Celui-ci souligne l’écart en matière de collecte des dépôts entre les systèmes financiers subsahariens et ceux des autres régions en développement. B - Le blocage de l’intermédiation, la surliquidité et ses conséquences sur l’efficience de la politique monétaire #1-Le blocage de l’intermédiation dans les pays d’Afrique subsaharienne De nombreux pays subsahariens sont aujourd’hui caractérisés par un blocage de l’intermédiation se manifestant par une mobilisation des dépôts largement supérieure aux crédits octroyés à l’économie, source de surliquidité. Cette situation est liée à différents facteurs. Au niveau microéconomique, on retrouve les asymétries d’informations associées à la mauvaise diffusion de l’information en Afrique et les risques associés à la réalisation de projets (notamment le risque de défaut). Au niveau macroéconomique, l’accumulation de divers risques (instabilité politique, dévaluation, existences d’opportunités commerciales pour les entreprises) remet en cause la viabilité des secteurs industriels locaux et vient renforcer le risque microéconomique perçu par les banques, légitimant ainsi une politique de crédit rigoureuse.Par ailleurs, la structure économique dans de nombreux pays ne favorise pas l’intermédiation car la majorité des crédits est octroyée à de grandes entreprises et repose sur quelques grands secteurs exportateurs de matières premières. Cette situation entraîne une concentration des risques bancaires sur quelques acteurs et filières. Au-delà des politiques visant à renforcer les institutions financières, seules des politiques agissant sur les différents facteurs réels à l’origine de l’intermédiation sont à même de mettre fin au blocage de l’intermédiation. Ces politiques feront l’objet de la troisième partie de cette thèse. Elles sont d’autant plus nécessaires que la surliquidité résultant de la faible intermédiation limite la portée de la politique monétaire. Les systèmes bancaires africains se caractérisent par une surliquidité récurrente. Le FMI estime ainsi que les réserves non rémunérées dans les pays d’Afrique subsaharienne représentaient en moyenne 13% du total des dépôts avec des pics supérieurs à 30% dans des pays pétroliers tels que la Guinée Equatoriale ou le Tchad (FMI, 2006). #2-Des niveaux de surliquidité bancaire inégalés La situation de surliquidité dans laquelle se trouvent plongés de nombreux systèmes bancaires africains est parfaitement illustrée par les cas de la CEMAC et de l’UEMOA. La faiblesse des Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 112 volumes de financement offerts surprend d’autant plus que le niveau des ressources disponibles ne cesse de progresser depuis 1997 au sein des deux zones en raison de facteurs externes (hausse des cours de certaines matières premières, désendettement) et internes (croissance économique et remboursement de la dette intérieure). C’est particulièrement vrai au sein de la CEMAC où les avoirs externes nets ont été quasiment multipliés par 4 entre 2003 et 2005 d’après le rapport de la BEAC 2005 (BEAC, 2005). La forte surliquidité bancaire que connaît cette zone est le fruit de la hausse des dépôts due à l’augmentation des recettes pétrolières combinée à la stagnation des crédits à l’économie. Figure 16: Des avoirs extérieurs nets en forte croissance au sein de la BEAC. Source : BEAC (2005) Au premier trimestre 2007, les réserves libres des établissements bancaires, c’est-à-dire les réserves constituées hors réserves obligatoires représentaient 922,4 milliards de Francs CFA au sein de la BEAC (BEAC, 2007). Au-delà des réserves des établissements financiers, les réserves officielles des Etats sont en constante progression et permettraient de satisfaire le besoin de financement nominal de la zone CEMAC. Entre 2004 et 2005, les réserves brutes de la BEAC ont enregistré une hausse de 89.6% passant de 1 535 milliards de Francs CFA à 2 911 milliards de Francs CFA (BEAC, 2007). Les avoirs au sein du Compte d’opérations placé auprès du Trésor français ont doublé passant de 1 305 milliards à 2 647.2 milliards fin 2005 soit près de 4 milliards d’euros. L’abondance des ressources accentue encore plus fortement la dimension paradoxale des difficultés de financement des différentes catégories d’agents des pays de la CEMAC. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 113 Au-delà des pays disposant de rentes extractives, ce phénomène peut s’expliquer par plusieurs facteurs : (i) le faible développement des marchés financiers, (ii) la faible concurrence et le manque d’initiative dans la sphère bancaire, (iii) l’existence d’asymétries d’information, (iv) le manque de projets bancables et (v) l’étroitesse du marché interbancaire. #3-Les coûts de la surliquidité La surliquidité figure au nombre des facteurs pouvant affecter l’efficience de la politique monétaire. Une étude récente du Fonds Monétaire International (Saxegaard, 2006) souligne les effets pervers de ce phénomène dans les pays d’Afrique subsaharienne en mettant en exergue l’insensibilité des banques commerciales à toute modification de la politique monétaire lorsque leur trésorerie (et notamment le volume des réserves non obligatoires) est surabondante. La faiblesse de l’intermédiation et la surliquidité qui en résulte constituent deux des facteurs les plus préoccupants du sous-développement financier des pays subsahariens. La faible diversité de ces systèmes vient aggraver cette situation en associant à un faible volume de financement des choix d’instruments, de maturité et d’institutions somme toute assez limités (Section II). Elle n’empêche pourtant pas les intermédiaires financiers de dégager des niveaux de rentabilité parmi les plus élevés au monde. SECTION II - LA FAIBLE DIVERSITE DES SYSTEMES FINANCIERS SUBSAHARIENS CONTRAINT LES AGENTS ECONOMIQUES DANS LA REALISATION DE LEURS PROJETS. La capacité d’un système financier à fournir à ses usagers des produits/services aptes à répondre à leurs besoins constitue un de ses principaux critères d’efficience. Contrairement au chapitre 6 qui s’interrogera sur l’accessibilité des ménages et des PME à ces services (les services sont disponibles mais se pose la question de la capacité financière et physique à y accéder), cette section mettra l’accent sur l’existence de produits/services et institutions susceptibles de satisfaire les besoins. Il apparaît que les systèmes financiers d’Afrique subsaharienne se caractérisent par un contraste entre la grande diversité des besoins financiers (§1) et la faible complétude des institutions et services pour les satisfaire (§2). §1- DES USAGERS ACTUELS ET POTENTIELS AUX BESOINS FINANCIERS NON SATISFAITS Connaître précisément les besoins financiers des agents économiques relève de la gageure dans de nombreux pays africains. En effet, il n’existe pas d’enquêtes systématiques et harmonisées Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 114 exprimant ces besoins ou leur insatisfaction. L’expression des besoins reflète souvent le fruit de la vox populi et s’avère non documentée. Toutefois, ces dernières années ont été marquées par quelques avancées majeures dans ce domaine. Les enquêtes Finscope27 ont permis de mieux connaître la pénétration de différents services/produits financiers auprès des ménages/entreprises en Afrique australe. Nous caractériserons la diversité des besoins non satisfaits en utilisant (A) les fonctions de base que des agents économiques souhaiteraient trouver dans un système financier efficient mais aussi (B) la disponibilité de certaines formes de financement pour répondre aux besoins sectoriels et par maturité. A- Des secteurs financiers qui peinent à remplir leurs fonctions de base A titre de rappel (Cf. partie I), un système financier efficient remplit cinq fonctions : (i) (ii) (iii) (iv) (v) la facilitation des échanges de biens et services ; la mobilisation et la collecte de l’épargne ; la production d’information sur les investissements envisageables et l’allocation de l’épargne ; la répartition, la diversification et la gestion du risque et au final, le suivi des investissements en exécution et le contrôle de la gouvernance. Ces cinq fonctions microéconomiques accomplies par les intermédiaires financiers sont à même de contribuer à l’amélioration de l’efficience économique des différents agents et à travers eux, de façon agrégée, à celle de l’ensemble de l’économie. Or, les intermédiaires financiers subsahariens semblent ne pas remplir de manière efficiente ces différentes fonctions ainsi que nous le verrons à travers un examen attentif de deux d’entre elles : (i) les systèmes de paiement et (ii) la mobilisation de l’épargne. #1-La faiblesse des systèmes de paiement pénalise les acteurs économiques subsahariens La transition vers des formes monétaires plus évoluées (monnaie scripturale et ses différentes formes) est un signe de développement financier. Cette évolution apporte à l’économie une meilleure fluidité des échanges. 27 Le site Internet de la société Finscope est accessible à l’adresse suivante: http://www.finscope.co.za/index.asp, page consultée le 13 juin 2006 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 115 L’approfondissement du secteur financier va souvent de pair avec une hausse de M1 et de M2, deux agrégats monétaires de base. Avec le développement financier et économique, M2 est supposé croître plus rapidement, entraînant une baisse du ratio M1/M2. Or, les pays d’Afrique subsaharienne possèdent le ratio régional M1/M2 le plus élevé, marquant ainsi la faible évolution des formes de la monnaie dans cet espace (FMI, 2006). Dans les pays africains, la large sous utilisation de la monnaie scripturale constitue un frein au développement des échanges. Afin d’expliquer ce phénomène, plusieurs facteurs peuvent être mis en avant. L’impact des faillites bancaires des années 1980-1990 n’est pas à sous-estimer car elles ont généré un fort sentiment de méfiance vis-à-vis de l’institution bancaire qui a entraîné le développement de phénomènes de thésaurisation et un recours significatif à la monnaie fiduciaire. Figure 17: Nombre de distributeurs automatiques pour 100 000 personnes. Source: Beck, DemirgucKunt et Martinez Peria (2005) Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, l’utilisation de la monétique demeure encore un phénomène marginal bien que les programmes de domiciliation de la paie des agents de l’Etat entraînent une hausse de l’utilisation des cartes bancaires. Des efforts doivent être réalisés afin d’augmenter le nombre de Distributeurs Automatiques de Banques et Guichets Automatiques de Banques (DAB/GAB) et leur répartition géographique. Toutefois, ce désir se heurte à la nécessité de mettre en œuvre des infrastructures de télécommunications lourdes (VSAT notamment) pour gérer ces systèmes. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 116 Les institutions monétaires ont tardé à promouvoir la monétique et les systèmes de compensation automatique. Cette inertie, la longueur des opérations de compensation et les fraudes expliquent la faible diffusion du chèque de banque et plus largement de la monétique. Le retard en matière de structuration des systèmes financiers est perceptible à travers la faiblesse du compartiment interbancaire. Au sein de la zone Franc, les marchés interbancaires des zones UEMOA et CEMAC ont longtemps eu des évolutions divergentes avec des volumes échangés plus importants au sein de l’UEMOA que dans la CEMAC (118,3 milliards de F CFA échangés annuellement en moyenne sur la période 1997-2004 contre 14,1 milliards sur la même période au sein de la CEMAC). La crise ivoirienne et ses répercussions économiques semble avoir eu un impact non négligeable sur le marché de la zone UEMOA dans la mesure où les volumes sont passés de 199,6 milliards de Franc CFA en 1999 à 48 milliards en 2004. Afin de combler ce retard, les institutions régionales de l’UEMOA et de la CEMAC ont lancé un vaste chantier autour de la réforme du système des paiements. La BCEAO a initié la mise en œuvre d’un système de règlement brut en temps réel (RTGS) (STAR-UEMOA) et d’un système de compensation bancaire (SICA-UEMOA). Par ailleurs, deux projets de systèmes de paiement par carte (GIM-UEMOA et CTMI-UEMOA) sont en cours. Au-delà de leurs difficultés à proposer des solutions de paiement efficientes, les intermédiaires financiers africains ne jouent pas leur rôle en matière de mobilisation de l’épargne et de financement de ceux-ci. #2-De piètres performances en matière de collecte de l’épargne Pour de nombreux pays subsahariens caractérisés par de faibles densités de population et une forte concentration de la population dans des zones rurales encore peu desservies par les acteurs financiers, des systèmes financiers efficients représentent une opportunité d’améliorer la mobilisation et la collecte de l’épargne. Dans de tels environnements, la contribution du système financier se comprend aisément car il permet de constituer un stock de ressources financières à partir de contributions non coordonnées d’un grand nombre d’épargnants, ce qui réduit les coûts de transactions. Il assure aussi une fonction essentielle de garant pour que chaque épargnant soit prêt à confier son épargne (Jacquet et Pollin, 2007). L’Afrique subsaharienne ne jouit pas de cette fonction : son niveau d’épargne sur longue période est le plus faible au monde et ne montre aucune amélioration sensible. Différentes explications peuvent être avancées. La faiblesse des niveaux de rémunération et le coût de la vie Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 117 dans des économies qui importent l’essentiel de leurs produits manufacturés constituent la première limite à la capacité d’épargne des agents. Figure 18: Evolution du taux d’épargne domestique. Source : Banque Mondiale (2007a) Elle s’explique aussi par la défiance envers les intermédiaires financiers. Celle-ci est liée à des phénomènes sociologiques (l’institution bancaire dans sa structuration paraît étrangère et éloignée des réalités quotidiennes) mais aussi à des effets mémoires. De nombreux épargnants gardent, en effet, un souvenir amer des évènements financiers qui ont ébranlé de nombreux pays africains au cours des années 80 et 90 (crises financières, dévaluation du Franc de 1994). Ceux-ci ont durablement et profondément remis en cause leur désir d’épargne en détruisant leurs maigres économies. En l’absence de mécanismes de solidarité de place, d’assurance des dépôts ou alors de prêteur en dernier ressort, les agents économiques recourent largement à la thésaurisation ou alors des processus de fuite des capitaux28. D’après certaines estimations, les capitaux quittant le continent africain s’élèveraient à près de 10 milliards de dollars américains chaque année. 28 Cette absence ne contribue pas à rassurer les épargnants qui se rappellent que la puissance publique a souvent accompagné la faillite des banques en remboursant uniquement les gros épargnants et les créanciers les plus importants au détriment des petits épargnants. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 118 Au-delà de ces faiblesses structurelles, les systèmes financiers africains se caractérisent par le hiatus entre les besoins exprimés dans la demande de financement et l’offre de services/produits formulées par les banques. Cette divergence est perceptible à travers l’analyse de la répartition sectorielle des crédits et celle du PIB mais aussi de la maturité des crédits proposés. B- La non satisfaction des demandes de financement pour certains secteurs ou à long terme #1-Non satisfaction des demandes de financement par secteur d’activité Dans de nombreux pays subsahariens, on ne peut qu’être frappé par la profonde divergence existant entre la composition sectorielle de l’économie et l’allocation du crédit. Le FMI estime ainsi que les secteurs secondaire et tertiaire représentent 2/3 du PIB régional dans les pays d’Afrique subsaharienne mais reçoivent près de 90 % des prêts octroyés par les institutions bancaires (FMI, 2006). A contrario, le secteur primaire qui comptait pour 31,7% du PIB et constituait une source de revenu essentiel pour des pays dont les populations sont encore largement rurales n’a reçu que 11.6% des prêts. Le décalage entre économie réelle et financière est encore plus perceptible au sein des pays de la zone UEMOA dans lesquels l’agriculture, la sylviculture, la pêche et les industries extractives n’ont reçu que 5% des crédits bancaires d’après le Rapport Annuel de la Commission Bancaire UMOA 2005 (BCEAO, 2005) alors que l’agriculture constitue un des principaux contributeurs au PIB. Il faut toutefois nuancer ces conclusions dans la mesure où certaines activités liées à l’agriculture sont comptabilisées dans le secteur d’activité commerce. Toutefois ces données interrogent quelques mois après les émeutes de la faim qui ont agité de nombreuses villes africaines. Elles font de la crise alimentaire dans laquelle baignent de nombreux pays subsahariens une crise du financement agricole. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 119 Figure 19: Répartition sectorielle des crédits. Source : FMI (2006) Figure 20: Répartition sectorielle du PIB. Source : FMI (2006) Secteurs d'activité Agriculture, sylviculture et pêche Industries extractives Industries manufacturières Electricité, gaz et eau Bâtiments, travaux publics Commerce, restaurants et hôtels Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne 2002 7 1 23 3 4 36 2003 6 1 24 3 4 33 2004 4 1 22 4 4 38 2005 4 1 22 4 4 38 Page 120 Secteurs d'activité 2002 2003 2004 2005 Transports, entrepôts et communications 7 8 10 10 Assurance, immobilier, service aux entreprises 5 5 6 6 Services divers 14 16 11 11 Total 100 100 100 100 Tableau 14: Répartition sectorielle des crédits dans la zone UEMOA, déclaration à la centrale des risques. Source : BCEAO (2005) Cette incapacité à servir certaines clientèles au niveau sectoriel se retrouve aussi lorsque l’on considère l’origine des débiteurs. La répartition des actifs bancaires en fonction du détenteur de la créance illustre le phénomène de non satisfaction de la demande. Les banques d’Afrique subsaharienne détiennent le niveau de créances sur le secteur privé le plus faible de toutes les régions en développement (Cf. graphe n°21). Cette situation est particulièrement préoccupante lorsque l’objectif affiché et recherché est l’utilisation du secteur privé comme vecteur de croissance. A contrario, les entreprises publiques font l’objet d’un financement massif (la plus forte proportion de l’échantillon régional) et les concours au gouvernement se situent en valeur relative en deuxième position derrière l’Asie du Sud. Figure 21: Répartition des actifs des banques par région. Source : Banque Mondiale (2007d) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 121 #2-La nécessité de renforcer la complétude temporelle pour financer la croissance de long terme en Afrique La complétude temporelle désigne la possibilité pour les agents économiques de pouvoir accéder à des financements ou des formes d’épargne répondant à leurs besoins en termes d’échéances et de maturité. Cette notion est particulièrement importante dans de nombreux pays en voie de développement car les entreprises n’ont accès qu’à peu de solutions pour financer leur investissement de long terme, les intermédiaires financiers privilégiant uniquement des investissements de court terme au détriment de projets qui pourraient alimenter la croissance de long terme. La possibilité donnée aux agents de pouvoir se financer à long terme réduit le risque de montage financier hasardeux tel que le financement de projets de long terme par des prêts à court terme. Les zones UEMOA et CEMAC fournissent d’excellents exemples de la difficulté des agents à obtenir des financements à long terme. Au sein de la zone UEMOA, les crédits à long terme accordés à l’économie et déclarés à la banque centrale représentaient seulement 3% du total des crédits octroyés par les banques en 2005. Dans la zone CEMAC, ils constituaient 1% du portefeuille crédits en 2004. On peut, par ailleurs, s’interroger sur le qualificatif de crédit à long terme car celui-ci s’applique, suivant la règlementation de la Zone Franc, à tous les crédits ayant une maturité supérieure à 3 ans. Figure 22: Répartition par maturité des crédits à l’économie déclarés à la centrale des risques dans la CEMAC entre 2003 et 2005. Source : BEAC (2005) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 122 Le faible niveau de crédit à long terme octroyé à l’économie dans les pays africains est à rechercher du côté de l’offre de capitaux par le peu de confiance accordée au système financier par les acteurs économiques en raison de l’incertitude macroéconomique et politique mais aussi du souvenir des crises bancaires passées. Toutefois, la réduction du nombre de crises politiques sur le continent autorise un certain optimisme en matière de constitution d’une épargne longue. Ce processus passe par la diversification des instruments d’épargne à long terme. Or, les ménages et les différents investisseurs institutionnels locaux disposent de peu d’instruments de placements à long terme à l’exception des obligations d’Etat et de quelques titres de participations. Au-delà des instruments et des maturités, la problématique de la diversité s’étend aussi à la gamme des institutions financières représentées dans les différents systèmes financiers subsahariens. §2 - PEU DE PAYS D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE DISPOSENT D’UNE GAMME ELARGIE D’INSTITUTIONS ET D’INSTRUMENTS FINANCIERS Face à l’extrême diversité des besoins formulés par les utilisateurs des systèmes financiers subsahariens, ceux-ci pêchent par le nombre relativement restreint d’institutions à même de les satisfaire. Or, au-delà du volume de financement, la diversité du système financier et sa capacité à répondre à des besoins multiples constituent deux des éléments majeurs du processus de développement financier. Avant d’examiner plus en détail l’état de développement des différentes catégories d’institutions financières africaines, deux précisions doivent être apportées. La première concerne le champ et la qualité de notre analyse. Cette présentation souffre naturellement des faiblesses associées à ce type d’exercice. Dans le contexte africain, l’accès aux données à été difficile. Lorsque ces dernières étaient disponibles, il n’a pas toujours été possible de disposer de statistiques homogènes ou harmonisées. Par ailleurs, les délais de publication des statistiques officielles étant parfois assez longs, il existe un décalage parfois assez important entre la date de rédaction de ce document et les données disponibles. L’objet de ce travail portant sur les systèmes financiers en Afrique subsaharienne, le panorama dressé ne sera jamais aussi précis et détaillé que des monographies pays29. La deuxième précision est d’ordre sémantique. La complétude institutionnelle caractérise un système financier dans lequel l’intermédiation financière est réalisée par des institutions financières diversifiées. Il peut s’agir, entre autres, de banques, de sociétés de crédit immobilier, de leasing, d’institutions financières non bancaires comme des compagnies d’assurance, des fonds de pension, 29 Les enquêtes Financial Stability Assessment Program du FMI et les parties consacrés au secteur financier des Investment Climate Assessment de la Banque Mondiale constituent des références dans ce domaine. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 123 de sociétés de courtage ou d’entreprises de capital risque. Quant à la complétude instrumentale, elle traduit la capacité du système financier à offrir aux agents économiques une gamme assez riche d’instruments financiers à même de répondre à leurs besoins. La mobilisation de l’épargne peut se faire par des instruments aussi divers que les dépôts, obligations, actions, billets de trésorerie. Les agents peuvent, par ailleurs, avoir recours à différents types de produits pour obtenir des financements, placer leur épargne ou alors se prémunir contre le risque (polices d’assurance, produits dérivés). Les complétudes institutionnelle et instrumentale sont souvent complémentaires dans la mesure où l’absence d’institutions pouvant offrir un instrument particulier empêche le développement de ce dernier. Ces deux dimensions de la complétude sont malheureusement peu développées dans les pays africains. Le secteur bancaire largement évoqué dans les précédents développements sera volontairement exclu de cette présentation au profit des institutions financières non bancaires (IFINB ou IFNB). Face aux carences des institutions d’assurance et de prévoyance (A), au développement erratique des institutions financières spécialisées dans le crédit à des secteurs prioritaires (B), l’essor du microcrédit (C) et la progression des marchés boursiers (D) font figure d’alternative à condition de ne pas en faire une panacée et de les ancrer dans des processus de croissance réfléchis. A- D’importants besoins en matière d’assurance accentués par la quasi faillite de nombreux organismes de prévoyance sociale Le chapitre 1 a présenté certaines des vertus microéconomiques associées au développement des systèmes financiers, notamment en matière d’assurance. Malheureusement, ce besoin et ses différentes déclinaisons (assurance-vie, Incendie Accidents Risques Divers) est faiblement couvert par les institutions existantes. Ces dernières se présentent sous deux formes principales : des compagnies (qui peuvent être privées, publiques ou mixtes) ou des caisses de prévoyance publiques couvrant des salariés du privé ou du public. Différents acteurs interviennent, par ailleurs, dans la galaxie assurantielle notamment dans la distribution des polices (courtiers, banques et, de plus en plus, des institutions de microcrédit). La gestion des caisses de prévoyance ne faisant pas l’objet d’une grande publicité et accusant les contrecoups d’une mauvaise gestion, l’essentiel de la présentation du secteur se fera sur la base des données des compagnies d’assurance. #1 - Des systèmes de prévoyance sociale en difficulté En matière de couverture sociale, le continent africain se caractérise par le faible développement des régimes de retraite et de prévoyance sociale. D’après la Banque Mondiale, ceuxLes politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 124 ci couvrent principalement les employés du secteur public et para public ainsi que les salariés de grandes entreprises privées soit un peu moins de 10% de la population active. Dans les pays où elle existe, cette couverture est loin d’être effective en raison de la situation de quasi faillite de nombreux régimes de prévoyance. En effet, les caisses et organismes de retraite et de prévoyance créés aux indépendances et fonctionnant sur le principe de la répartition connaissent des difficultés semblables à leurs homologues des pays de l’OCDE. Ces organismes sont en premier lieu victimes de l’évolution de la démographie. La conjonction de la baisse du nombre de cotisants (plans de réduction du personnel de la fonction publique) et le départ à la retraite de cohortes des fonctionnaires embauchés dans les années 1960-1970 entraînent des difficultés de paiement des prestations. Face aux déficits budgétaires récurrents liés aux déséquilibres des comptes sociaux, les bailleurs de fonds sont souvent contraints d’augmenter leur concours budgétaire. Ce mécanisme démographique est aggravé par la mauvaise gestion de ces systèmes de prévoyance. L’Etat ne s’est pas toujours acquitté de ses cotisations patronales tandis que les cotisations salariales n’ont généralement pas fait l’objet de placements sous formes de titres ou d’actifs immobiliers mais ont été utilisées dans le cadre de l’exécution du budget. Ces différents mécanismes expliquent la quasi faillite de nombreux systèmes de sécurité sociale et appellent des réformes structurelles profondes. A titre d’exemple, la réforme de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (CNPS) au Cameroun commence à porter ses fruits : après avoir connu pendant des années des difficultés à s’acquitter de ces prestations (notamment versement des pensions de retraites), celles-ci sont désormais versées régulièrement. Les difficultés rencontrées par les Caisses publiques mettent en lumière le potentiel de développement des activités d’assurance notamment dans le secteur vie. Ce secteur est encore peu développé à l’exception de l’Afrique du Sud et de quelques pays d’Afrique australe (Botswana, en particulier). #2 - Un secteur de l’assurance peu développé Afin d’appréhender le développement du secteur de l’assurance, plusieurs indicateurs sont traditionnellement utilisés tels que le nombre de compagnies, la part des actifs du secteur de l’assurance/total des actifs du secteur financier ou alors le niveau des primes rapporté au PIB. L’assurance représentait seulement 8.2% des actifs du secteur financier au Kenya, 7.1% au Gabon et 2.1% au Nigeria malgré la présence dans ce pays de 118 compagnies d’assurance actives (FMI, 2006) en 2005. Les données sur cet indicateur étant généralement limitées à quelques pays, la majorité des analyses utilisent un autre ratio, le taux de pénétration (part des primes totales/PIB). A l’exception de l’Afrique du Sud qui affiche des taux supérieurs aux principaux pays de l’OCDE (12,8% en 2005), ce ratio est particulièrement bas dans l’arc subsaharien avec un maximum Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 125 de 2,5% au Kenya en 2005. A titre de comparaison, en 2003, ce ratio était en moyenne de 4,8% pour l’Afrique, 7,5% pour l’Asie, 7,8% pour l’Europe et 8,5% pour le continent américain. En focalisant notre analyse sur l’UEMOA, on estime que ce ratio était en moyenne de 1,1% au sein de la zone avec des extrêmes allant de 0,6% au Niger à 1,6% en Côte d’Ivoire (BCEAO, 2006). La part relativement faible du secteur des assurances dans cette région est tributaire comme dans l’ensemble du continent des bas niveaux de revenu, des niveaux de primes jugées inabordables par de nombreux habitants, l’absence de couverture des secteurs informels et le manque de produits de couverture contre les aléas affectant le secteur agricole. Ce marché présente toutefois un réel potentiel. Si la cotisation moyenne en Afrique était de 44 $ en 2005, loin derrière l’Amérique (1 453 $) et l’Europe (1 514 $), ce continent affiche un fort taux de progression de cet indicateur depuis 2001 (FANAF, 2007). Au-delà de problèmes dans leur gestion, de nombreuses compagnies d’assurance n’arrivent pas à développer leurs activités en raison de la difficulté à quantifier et tarifier le risque. En considérant les activités vie, l’appareil statistique de nombreux pays africains ne permet pas l’obtention des tables de mortalité, d’indicateurs mesurant la prévalence de certaines maladies ou alors la sinistralité liée à différents phénomènes. Figure 23: Ratio primes d’assurance/PIB. Source : Banque Mondiale (2006) et FANAF (2007) Or, ces données sont fondamentales en assurance en raison de l’inversion du cycle de production. En effet, dans le monde de l’assurance, les prix de vente des produits sont fixés avant la détermination du coût de revient réel, qui n’intervient qu’après la survenance des sinistres. Les différents marchés (vie et dommage) ne sont donc pas à l’abri d’un risque de sous-tarification lié à Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 126 une mauvaise estimation d’un des paramètres du calcul actuariel. Avec ce cycle d’exploitation inversé, une mise à jour des différentes tables utilisées dans le calcul des différentes primes (table de mortalité, taux de prévalence de certaines maladies, coût d’une journée d’hospitalisation) est nécessaire et requiert des études fréquentes. Celles-ci étant onéreuses et rarement prises en charge par les Etats, l’action des bailleurs en faveur de ce secteur passe certainement par la résolution de cette imperfection de marché et le financement d’études actuarielles ou statistiques. Une autre limite au développement des compagnies d’assurance réside dans le nombre limité de placements sûrs, liquides et bien rémunérés dans lesquels les compagnies d’assurance pourraient placer les liquidités générées par leurs activités techniques. Ce problème constitue une forte limite au développement de l’ensemble des différentes catégories d’investisseurs institutionnels dans les pays africains. Or, le secteur de l’assurance présente un réel potentiel de financement pour l’économie. En 2003, au sein de l’UEMOA, les compagnies d’assurance détenaient un portefeuille d’investissement de 289,9 milliards de Francs CFA, soit environ 9% de l’encours de crédits à l’économie détenu par le secteur bancaire au cours du même exercice. La réalisation des réformes appropriées pourraient permettre au secteur d’afficher de se rapprocher des performances des acteurs de l’OCDE. Au sein de ce groupe, les placements financiers représentent une part importante de la rentabilité des compagnies d’assurance. Ainsi, en 2006, les compagnies d’assurance françaises ont dégagé un résultat net de 14 milliards d’euros, avec une contribution des produits financiers à hauteur de 75 milliards d’euros et un encours d’actifs financiers de près de 1 500 milliards d’euros (ACAM, 2006). Dans de nombreux pays africains, le code des assurances mais aussi l’inexistence de produits dynamiques, poussent les compagnies à détenir des actifs peu rémunérateurs (titres d’Etat) n’offrant pas une bonne protection contre l’inflation. La prépondérance de ces actifs dans les bilans des sociétés d’assurances présente un risque de détérioration de leur valeur en termes réels. Le secteur des assurances en Afrique subsaharienne se retrouve, par conséquent, dans une situation d’extrême tension entre d’une part son incapacité à proposer des produits adaptés aux besoins et aux moyens de ses clients et d’autre part ses difficultés à trouver des placements sûrs et rentables pour canaliser les flux de primes. B- Les institutions financières spécialisées: une histoire mouvementée et une présence de plus en plus réduite Derrière le terme générique d’institutions financières spécialisées, on trouvera des institutions ayant pour vocation la mobilisation de l’épargne, le financement, ou l’appui au Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 127 financement d’un certain nombre de secteurs ou de besoins non couverts par les acteurs bancaires traditionnels. Ces institutions, qu’elles soient publiques ou privées, peinent à prendre leur essor dans les pays subsahariens. Ces difficultés sont, le plus souvent, liées à la faible rentabilité émanant des opérations dans ces secteurs ou auprès de ces clientèles. Leur situation sera abordée à travers leurs interventions dans deux secteurs prioritaires en Afrique subsaharienne (l’immobilier et le secteur agricole) mais aussi une analyse de leur positionnement au sein d’une région emblématique, l’UEMOA. Ces deux analyses se recoupent pour faire des institutions financières spécialisées, les parents pauvres de la finance au sein de l’arc subsaharien. Leur faiblesse actuelle semble largement tributaire des aléas de leur histoire qui seront détaillés dans la troisième partie de ce travail. #1 - Les difficultés des institutions financières spécialisées dans le financement des besoins du secteur agricole et de l’immobilier Sur un continent au sein duquel plus de la moitié de la population vit encore en zone rurale30, il est frappant de constater la faible couverture des besoins du monde rural et du secteur agricole. Reprenant l’expression « On ne prête qu’aux riches », les banquiers africains semblent préférer les gros exploitants et ceux opérant des cultures de rente, génératrices de devises. Ce comportement, en minant les producteurs de cultures vivrières, pénalise les économies subsahariennes dans la quête de leur autosubsistance. Les comportements des acteurs des systèmes financiers africains expliquent, en partie, la hausse du coût de la vie dans de nombreux pays subsahariens et les émeutes de la faim qui s’y sont déroulées au cours du premier trimestre 2008. La deuxième partie de ce travail a permis de mesurer l’écart existant entre la contribution de l’agriculture au PIB dans de nombreux pays et les crédits alloués à ce secteur. Trois explications peuvent expliquer cette divergence. Premièrement, le secteur agricole n’étant pas intensément capitalistique en Afrique, il nécessiterait de moindres investissements et financements que les autres pans de l’économie. Deuxièmement, les acteurs financiers se défient d’un secteur aux évolutions incontrôlées. En particulier, les fluctuations des cours des matières premières ont souvent plombé les comptes de différentes filières agricoles avec pour conséquence le non remboursement des crédits de campagne. Troisièmement, les intermédiaires financiers n’ont pas encore trouvé des canaux de distribution adaptés du crédit et de mobilisation de l’épargne dans les zones rurales. En réalité, le déficit de financement du secteur agricole subsaharien semble résulter de la conjonction des deux derniers facteurs. En effet, dans un contexte de croissance mondiale des prix des produits agricoles et d’augmentation généralisée de la demande de matières premières agricoles, les potentialités de l’Afrique en matière agraire devrait inciter les banques à prêter 30 D’après la base de données Banque Mondiale (2006), World Development Indicators. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 128 massivement aux acteurs de la filière. Le premier argument ne tient donc pas car la satisfaction de la demande mondiale ou intérieure nécessite au contraire la mise en œuvre de filières fortement capitalistique. Le deuxième argument, celui relatif aux coûts d’intervention et aux risques, est légitime tout comme celui portant sur l’existence de canaux adéquats de collecte et de distribution des ressources vers le monde agricole. Afin d’apporter des solutions à ces contraintes, les gouvernements africains ont très tôt décidé la création d’organismes spécialisés dans le financement: banques de développement agricole, fonds de stabilisation ou de péréquation et des organismes coopératifs (caisse agricole). Malheureusement, nombre de ces institutions, après un essor fulgurant pendant les années 60-70, ont connu de sérieuses difficultés de gestion qui ont entraîné leur liquidation, déclin ou atonie. Avec la disparition des caisses de stabilisation et de péréquation des matières premières, les cultivateurs africains ne disposent plus dans de nombreuses régions de mécanismes pour se prémunir contre les fluctuations du cours de leurs productions tandis que les grands négociants internationaux disposent de systèmes élaborés de couverture contre le risque. Il en va de même des systèmes de collecte de l’épargne et de financement des petites exploitations agricoles. L’Agricultural Finance Corporation kenyane illustre cette situation. Créée afin de promouvoir l’accès aux services financiers en faveur du secteur agricole, elle a accumulé un niveau élevé de créances douteuses. Son actif s’est détérioré et son redressement est compromis par la corruption et la culture de non-remboursement qui s’est établie vis-à-vis de cette institution (à l’approche des échéances électorales, les gouvernements successifs ont accordé des annulations de dette aux paysans afin de renforcer leur base électorale). Toutefois, il existe quelques exemples de structures de financement du secteur agricole ayant réussi à tirer leur épingle du jeu. La Caisse Nationale de Crédit Agricole du Sénégal (CNCAS), filiale du Crédit Agricole français, est un exemple de réussite. Spécialisée dans le financement rural, la CNCAS dispose de l’un des réseaux les plus denses du point de vue de la répartition géographique (14 agences réparties dans 9 des 10 régions sénégalaises). Elle peut, par ailleurs, mobiliser des bureaux saisonniers en région si l’activité agricole le justifie. Autre secteur dans lequel, les intermédiaires financiers sont peu développés malgré l’intervention de la puissance publique : les marchés immobiliers. L’accès à un logement décent constituant la 11ème cible des objectifs du Millénaire (Réussir, d'ici à 2020, à améliorer sensiblement la vie d'au moins 100 millions d'habitants vivant dans des bidonvilles), la structuration d’institutions à même de contribuer au développement du marché immobilier dans les pays africains constitue une autre priorité. Les besoins dans ce domaine sont importants et font face à la faiblesse du marché du financement immobilier. A l’exception de l’Afrique du Sud où le secteur en charge du financement de l’immobilier représente entre 18 et 20% du PIB, ce type d’activité est très peu développé dans la majorité des pays d’Afrique subsaharienne malgré la création dans les années 60-70 d’institutions pour promouvoir les constructions de logement. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 129 Le Sénégal constitue un excellent exemple de la fortune de ce type d’institutions. Fondée en 1979 par l’Etat, la Banque de l’Habitat du Sénégal (BHS) s’est vue attribuer une mission de service public : le développement du logement social, grâce à des lignes de crédit et l’assistance technique de la Banque Mondiale. Son cœur de cible est constitué de personnes modestes dont le revenu mensuel est inférieur à 225.000 FCFA, ces dernières bénéficiant de prêts à taux d’intérêt bonifié. En dépit de ces intentions louables, la BHS, pas plus que sa sœur jumelle malienne (BHM) ne sont parvenues à susciter un développement immobilier massif et sur longue période les crédits à moyen et long terme représentaient moins de 5% des crédits à l’économie, avec près de 60% constitués de crédits à l’habitat de la BHS. Face à l’étroitesse des marchés immobiliers, différentes initiatives essaient de promouvoir leur essor. L’East African Community31 envisage ainsi de mettre en place un marché d’obligations hypothécaires garanties par les trois Etats membres afin de financer le développement d’acteurs spécialisés. #2 - L’UEMOA : un cas d’école pour analyser le développement actuel des institutions financières spécialisées L’UEMOA est un cas d’école pour observer le développement de ces institutions. Pour une population de près de 80 millions d’habitants, la zone n’accueillait en 2005 que deux établissements spécialisés dans la vente à crédit, 10 institutions financières intervenant dans les opérations de crédit-bail et 7 opérateurs dans le capital-investissement ou alors les fonds de garantie. Le Sénégal illustre encore mieux cette pauvreté institutionnelle. Les actifs sous gestion des établissements financiers non bancaires y représentent, en effet, moins d’un pourcent du total bilan du secteur bancaire. Les institutions spécialisées ont perdu une bonne part de leur spécificité voire de leur monopole car les banques proposent désormais des produits tels que le crédit-bail, le crédit à la consommation ou à la clientèle. Le secteur mutualiste et les intermédiaires financiers informels entravent aussi le développement de ce type d’institutions. Le symbole de ce déclin est la disparition du Crédit Sénégalais (CRESEN) en 2000 et la liquidation de la société de capital-risque SENINVEST en 2004. Quatre établissements spécialisés dans le crédit-bail et l’affacturage demeurent toutefois actifs. En reprenant secteur par secteur les dynamiques, celles-ci apparaissent néanmoins erratiques. La Compagnie Ouest-Africaine de CréditBail (LOCAFRIQUE), filiale du Groupe CBOA (80%) et des Assurances Générales du Sénégal (20%) est le seul établissement financier spécialisé dans la distribution de crédit-bail et immobilier. La Société de Crédit et d’Equipement du Sénégal (SOCRES), fondée en 1961 est spécialisée dans le crédit à 31 Organisation créée en 1999 afin de regrouper les pays de l’Afrique de l’Est : Kenya, Ouganda, Tanzanie Burundi et Rwanda Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 130 l’équipement, notamment de la maison (mobilier, TV, Hi-Fi, électroménager). Elle est désormais concurrencée par l’entrée depuis 2006 de la SAFCA Sénégal qui propose elle aussi du financement sur biens mobiliers et immobiliers, du crédit-bail et de la location longue durée. Le dernier établissement financier spécialisé, détenu par des actionnaires sénégalais et sous-régionaux, Sénégal Factoring (SENFAC), agréé depuis 2005, s’est orienté vers le factoring, la gestion externalisée de comptes clients et le renseignement commercial. Au-delà des institutions ayant pour vocation le financement de certains secteurs, d’autres intermédiaires ont été créés afin de subvenir aux besoins financiers d’une clientèle fragile au sein des ménages que des entreprises qui seront analysées de manière plus détaillée dans le chapitre 6 relatif à la faible satisfaction des besoins financiers de ces clientèles. La Banque Régionale de Solidarité (BRS) a pour ambition de desservir une clientèle exclue du système bancaire traditionnel, en particulier les femmes et les jeunes diplômés sans emploi. Quant à la Banque Sahélo-Saharienne pour l’Investissement et le Commerce (BSIC), créée en 1999, elle aspire à mettre en œuvre les projets de développement économique dans les 21 états membres de la communauté des Etats sahélo-sahariens. Face aux difficultés rencontrées par les institutions financières non bancaires traditionnelles, l’essor de la microfinance au cours des dernières années constitue une importante source de développement financier pour les pays subsahariens mais ne constitue malheureusement pas une panacée (C). C- La microfinance : panacée au faible développement financier des pays d’Afrique subsaharienne ? La microfinance étant désormais un champ d’étude en soi, l’objet de ce paragraphe n’est pas d’en faire une présentation mais plutôt d’en souligner l’apport en matière de développement financier pour les économies d’Afrique subsaharienne. Au sein d’un espace caractérisé par un des taux de bancarisation les plus bas au monde (11% des adultes possèdent un compte d’après le FMI, la rapide expansion des réseaux de microfinance semble apporter une solution à la question des canaux de distribution des produits et services financiers. La présence des institutions de microfinance (IMF) renforce certes la complétude institutionnelle mais peut aussi aller de pair avec la promotion d’une meilleure accessibilité, c’est-àdire la capacité d’un système financier à garantir l’accès aux institutions, produits et services financiers sans contraintes géographiques (distance), administratives ou de coûts excessifs. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 131 En effet, au-delà des programmes de downscaling visant à démocratiser l’accès aux opérations bancaires, la micro finance constitue une solution en raison de son fort potentiel de développement sur le continent. D’après le FMI, 2.5 % de la population des pays d’Afrique subsaharienne possède un compte au sein d’une institution de micro finance. L’UEMOA et le Cameroun (Cf. encadré n°4) fournissent d’excellents exemples du potentiel de croissance de ce secteur en Afrique. Au sein de l’UEMOA, les institutions de microfinance (IMF) représentaient en juin 2005 près de 7% des prêts et des crédits accordés au sein de la zone et desservaient près de 13.4% de la population. Si ces chiffres sont sensiblement peu élevés par rapport à la pénétration bancaire, ils traduisent la forte progression des IMF. Le graphique 24, souligne, par ailleurs, la capacité des institutions de microfinance à compléter les réseaux de distribution bancaire grâce à un maillage des territoires plus fin. Figure 24: Comparaison des réseaux micro finance et bancaire au sein de l’UEMOA en 2005. Source : BCEAO (2005b) Ces institutions semblent, par ailleurs, pratiquer une politique d’octroi du crédit plus volontariste que les banques sans toutefois connaître une dégradation de leur portefeuille bancaire. Le taux de créances douteuses des IMF de la sous-région était de 6.1% en juin 2005, un niveau assez proche de l’objectif de créances douteuses des banques (5%). Cependant, on peut s’interroger sur la capacité des institutions de microfinance à satisfaire à elles seules les besoins financiers des acteurs économiques des pays subsahariens. En effet, à moins Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 132 de réduire les économies africaines à une succession de très petites entreprises familiales, les prêts et volumes d’activité des IMF ne sont pas à même de susciter un décollage économique massif. Ce dernier passe plus certainement par le financement de filières à même de susciter une croissance riche en emploi et en valeur ajoutée. A ce titre, le recours aux marchés financiers peut constituer une alternative pour la mobilisation de volume de fonds élevés. Ce dernier doit toutefois être envisagé en ayant à l’esprit la nécessaire rationalisation de ces marchés, parfois trop petits et diversifiés à l’échelle de leur pays. Encadré n°4. Le secteur de la micro finance au Cameroun Le secteur de la micro finance au Cameroun est de loin le plus développé des pays de la zone CEMAC, avec 652 IMF (institutions de micro finance) recensées, soit 75 % du total de la zone. Touchant environ 200 000 clients (soit 44% du total de la clientèle de l'ensemble du secteur financier), le secteur de la micro finance fait quasiment jeu égal avec le secteur bancaire camerounais. Il ne représente par contre que 5% du total de bilan du secteur, 6% de l'épargne collectée et 4,6% des crédits distribués. Son maillage permet en outre une bien meilleure couverture territoriale que celle des banques et établissements financiers (287 localités couvertes par les institutions de micro finance contre 15 seulement pour le réseau bancaire traditionnel), même si les régions du Nord et du centre restent moins bien desservies que Douala, Yaoundé où l'Ouest. Source : COBAC (2004) D - Les bourses en Afrique subsaharienne : une contribution au financement de l’économie à améliorer par l’intermédiaire de l’intégration régionale Le phénomène boursier occupe une place marginale dans le financement des économies des pays africains mais celui-ci pourrait croître au vu des besoins de financement à long terme et à condition de respecter quelques règles essentielles (Geiss et Mvogo, 2007 et 2008). En matière de développement financier, la summa divisio entre l’Afrique du Sud et le reste du continent se vérifie une fois de plus. La capitalisation boursière sud africaine (près de 600 milliards de dollars américains en 2005) place ce marché dans le peloton de tête des bourses des pays émergents et souligne le caractère marginal du financement boursier dans les autres pays africains. Cette faible contribution est perceptible à l’aune du ratio capitalisation boursière/PIB qui fournit une approximation du financement octroyé par les marchés financiers. A titre indicatif, la capitalisation boursière des places sud africaines s’élevait à 170,5 % du PIB en 2005 contre 36% à Maurice, 26,1% au Kenya et 27,2 pourcent au Botswana. Quant à la capitalisation boursière de la Bourse Régionale Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 133 des Valeurs Mobilières d’Abidjan (BRVM), elle ne représentait que 12.3% du PIB des huit pays constituant la zone UEMOA32. La faible profondeur des marchés boursiers africains semble liée à leur faible liquidité et aux opportunités limitées de diversification. En effet, les investisseurs rechignent à se positionner sur des marchés caractérisés par un risque de décote important lors de la vente des actifs mais aussi sur lesquels le nombre de valeurs est réduit. Sur la majorité des places boursières africaines, les investisseurs bénéficient d’une liquidité réduite en raison du volume restreint des échanges et du nombre limité de titres inscrits à la cote. Le turnover ratio (volume des échanges/capitalisation boursière) appréhende cette faible liquidité avec des performances sud africaines (44,9%) largement au-dessus de la liquidité des autres places du continent : 3,2% au Ghana, 4,4% à Maurice ou 2,5% en Tanzanie. Au-delà de ces inconvénients, le recours aux marchés financiers présente une série d’avantages : (i) un coût parfois moins élevé que le financement bancaire ; (ii) la possibilité de s’affranchir de la réglementation bancaire car les ratios de division des risques peuvent restreindre les volumes de fonds mobilisables auprès des banques ; (iii) l’absence de risque de change liée à un endettement sur les marchés de capitaux ; (iv) l’opportunité d’accéder à des investissements rémunérateurs et sûrs pour les agents économiques locaux ; (v) et des maturités plus longues que les financements bancaires33. Encadré n°5. Présentation des opérations de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières Le compartiment action La forte concentration sectorielle de la capitalisation boursière Le 3 août 2008, la capitalisation boursière du compartiment actions de la BRVM s’élevait à 4539 milliards de Franc CFA soit un peu moins de 6,5 milliards d’euros. Elle apparaît faible eu égard aux capitalisations affichées par les principales bourses émergentes mais ce chiffre masque le dynamisme de cette bourse. La capitalisation a été multipliée par 4 depuis 1988 et 34 par trois depuis 2005 . Le compartiment action est dominé par deux secteurs : les services publics et l’industrie qui représentaient près de 76,4 pourcent de la capitalisation boursière en 2005. Fin 2007, la SONATEL, l’opérateur téléphonique sénégalais comptait à elle 32 La guerre en Côte d’Ivoire a entravé le développement du marché boursier régional mais celui-ci a bien résisté. Avec le retour de la paix, de nouvelles introductions alimentent le regain d’intérêt autour de la BRVM. 33 Cf. notamment R. Geiss, J.P Mvogo, L’étonnante performance des bourses africaines, la Tribune du 12 septembre 2007 et R. Geiss, J.P Mvogo, Investir sur le marché de la dette en Afrique, la Tribune du 14 janvier 2008 34 Cf. le site Internet du prestataire de services d’investissement CGF Bourse, http://www.cgfbourse.com/, page consultée le 3 août 2008 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 134 seule pour 46% de la capitalisation boursière totale. Ce chiffre souligne la faible profondeur de la bourse, la forte exposition des investisseurs au risque sectoriel et le besoin de diversification du portefeuille boursier. La concentration sectorielle se double aussi d’une concentration géographique : sur les 39 valeurs inscrites à la cote fin 2007, 35 sont ivoiriennes (CGF Bourse, 2007 et 2008). Cette situation est intimement liée au poids de l’économie ivoirienne dans le PIB régional mais aussi une meilleure diversification de cette économie. Le marché des actions se caractérise au final par son étroitesse et son peu de dynamisme: depuis l’ouverture de la Bourse en 1998, le nombre d’entreprises inscrites à la cote a peu progressé (39 entreprises cotées fin 2007 contre 35 en 1998). Cette situation reflète non seulement le ralentissement économique sousrégionale imputable à la crise ivoirienne mais aussi une certaine défiance des sociétés de la sous région vis-à-vis de la bourse. Toutefois, la donne semble se modifier avec l’introduction à la cote depuis le début 2008 de plusieurs valeurs. Un compartiment action caractérisé par une faible liquidité et contribution au financement de l’économie La BRVM est la seule bourse africaine francophone présentant une activité réelle mais au palmarès des bourses africaines, ses performances demeurent relativement modestes. En mesurant la contribution de la BRVM à la financiarisation de l’économie, on peut noter que la capitalisation boursière ne représente que 12,3 pourcent du PIB sous-régional (Banque, Mondiale, 2007a). Par ailleurs, les volumes échangés étant faibles, le ratio de rotation de la BRVM (volume de transaction/capitalisation boursière) n’était que de 1,5% en 2005 et 3,7 % en 2004. La baisse de ce ratio traduit un fléchissement de la liquidité du marché. Or, celle-ci constitue une dimension importante pour l’investisseur car elle lui garantit une possibilité de désinvestir sans subir de décote trop importante. Le compartiment obligataire Le relatif dynamisme du marché obligataire sous régional… 35 Le compartiment obligataire comptait 21 emprunts cotés début janvier 2007 contre 10 en 1998 . Début août 2008, les différents emprunts obligataires contribuaient pour 513 milliards de Francs CFA au financement des économies de la sousrégion. La dynamique du nombre d’emprunts obligataires inscrit à la cote a elle aussi été freinée par la crise ivoirienne bien que la qualité des emprunteurs soit bonne. Il faut ainsi noter qu’en dépit de la crise ivoirienne, les différents emprunts ivoiriens ont été assurés sans coup férir. Le Trésor ivoirien a ainsi marqué la qualité de sa signature en procédant au rachat anticipé de sa ligne « TPCI 6,5% 2003-2006 ». L’année 2006 a été marquée par le redémarrage de l’activité avec l’inscription de quatre nouvelles lignes à la cote (Etats togolais et de Côte d’Ivoire et deux lignes pour le compte de la BOAD). Au cours de cet exercice, les transactions ont progressé de plus de 460% en volume et de 430% en valeur des échanges. Toutefois, de manière structurelle, le marché connaît peu d’échanges. En effet, les transactions représentaient 1,2 milliards de francs CFA en 2005 et 6,4 milliards de francs en 2006. Par ailleurs, le nombre réduit d’intervenants institutionnels contraint ceux-ci à conserver leurs titres jusqu’à l’échéance, faute d’opportunité de diversification. La contribution du marché obligataire au financement de l’économie La capitalisation du marché obligataire représentait près de 513 milliards de francs CFA au 3 août 2008. La capitalisation obligataire a été multipliée par près de 5 entre 1999 et 2007 ce qui traduit une montée en régime de ce marché. 35 Cf. pour une présentation détaillée : CREPMF (2006a), Rapport Annuel 2006, Conseil Régional de l'Epargne Publique et des Marchés Financiers, Abidjan Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 135 En 2005, le montant de ressources effectivement mobilisé au titre des quinze opérations d’emprunts obligataires autorisées au cours de cet exercice a atteint 219.7 milliards de francs CFA contre 84.7 milliards de francs CFA en 2004. Le volume d’épargne mobilisé par voie obligataire au cours de l’exercice 2005 peut paraître conséquent mais ne représente que 5% du crédit accordé à l’économie cette même année par les banques de la zone. Ce chiffre marque une progression de plus de 150% des ressources levées annuellement sur le marché. La valeur des emprunts obligataires a régulièrement progressé depuis les premières émissions en 1998. Au cours de cet exercice, 57,2 milliards de francs CFA ont été levés contre 86,7 milliards en 2001 et 117,8 milliards en 2002. Entre 2001 et 2005, le total des fonds levés par voie obligataire a atteint 602,6 milliards de francs CFA. Au-delà de la faible contribution au financement de l’économie, le marché obligataire se caractérise par un fort tropisme en faveur des émetteurs publics. En effet, les ressources obligataires mobilisées en 2005 ont été levées pour près de 16 pourcent en faveur du secteur privé et pour 84 pourcent en faveur du secteur public (Etat, BOAD et entreprises publiques). Ces émissions publiques ne sont, par ailleurs, réalisées que par quelques Etats : en 2005, les Trésors Publics de Côte d’Ivoire et du Sénégal totalisaient 85% des ressources levées par les Etats. Au sein des émetteurs privés, la concentration des émissions obligataires est importante : 45 pourcent du volume des émissions obligataires a été orienté vers le secteur des télécommunications, contre 36 pourcent pour l’agriculture, 11 pourcent pour l’immobilier et 8 pourcent pour le secteur bancaire. Ainsi, la maturité moyenne des émissions obligataires lancées depuis 1999 sur la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières d’Abidjan (BRVM), seule bourse réellement active de la Zone Franc, est de 5 ans, un niveau supérieur à la maturité de la majorité des emprunts bancaires. Le cumul des fonds levés par voie obligataire et par émissions d’actions sur la BRVM entre 1997 et 2005 s’élève à 246,7 milliards de Francs CFA soit une moyenne de 27 milliards par an. Un tel volume annuel représente certes le centième des crédits à l’économie, mais 20% des financements à long terme accordés annuellement par les banques de la sous-région sur la même période. Malheureusement, l’utilisation des instruments boursiers reste réservée à un petit nombre de grandes sociétés satisfaisant des critères stricts. Par ailleurs, le compartiment réservé aux sociétés privées n’affiche pas de dynamique de développement réelle (Graphique 25). Un tel constat peut être étendu à de nombreuses bourses africaines qui sont de facto souvent considérées comme une réalité peu adaptée aux besoins des pays africains. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 136 Figure 25: Emissions actions et obligations privées sur la BRVM. Source : CREPMF (2006b) Toutefois, le succès phénoménal de la bourse de Nairobi constitue une illustration du potentiel boursier en Afrique pour les investisseurs et les entreprises. La capitalisation boursière du Nairobi Stock Exchange (NSE) a crû de près de 787% entre 2002 et 2007 sous l’effet de l’ouverture de capital de la société nationale d’électricité (KenGen) mais aussi d’introductions telles que celles du fabricant de piles Eveaready, de l’agence de publicité Scanad et de l’opérateur de téléphonie mobile Safaricom. Près de 126 millions d’euros ont été levés sur ce marché au cours de l’année 2006 et on estime à près d’un million le nombre de kenyans détenant des titres mobiliers. Certes, cette forte hausse de la valorisation boursière et l’engouement populaire autour de la bourse peuvent aussi s’expliquer par la création d’une bulle spéculative, phénomène qui souligne le besoin d’une intervention par les pouvoirs publics : seule celle-ci est à même de garantir un atterrissage en douceur de ce marché. Cette présentation des marchés financiers subsahariens clôt ce panorama sur la complétude des systèmes financiers africains. Leur faible diversité aussi bien en matière institutionnelle qu’instrumentale se conjugue à leur faible profondeur et capacité de financement des économies pour alimenter le constat de faible développement des systèmes financiers subsahariens. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 137 Figure 26: Capitalisation boursière/PIB dans différentes PED en 2005. Source : Banque Mondiale (2006) Le financement par les marchés boursiers constitue aujourd’hui une excellente alternative à explorer pour asseoir la diversification des sources de financement des économies africaines. Parallèlement, des efforts doivent être réalisés afin d’optimiser des sources apportant aux économies africaines des flux mais dont les potentialités sont sous-exploitées. L’épargne et les transferts des migrants appartiennent à cette catégorie. E - Le cas particulier des transferts des migrants : une opportunité de développement financier mal exploitée Les transferts de fonds émanant de la diaspora africaine représentent désormais une source de financement non négligeable pour les économies africaines ainsi que l’atteste la figure 27. En 2006, les migrants, quelque soit leur lieu de résidence, ont transféré pour près de 21,8 milliards de dollars vers l’Afrique subsaharienne soit un flux légérément plus élevé que le volume d’IDE accueilli par la région en 2005 (20,2 milliards). Ces flux contribuent de manière significative au financement de la plupart des économies. En considérant le cas français, il faut préciser que les transferts représentent, sur longue période, 15 à 25% du revenu des migrants. En moyenne, 41% des migrants vivant en France envoient de l’argent dans leur pays d’origine mais cette proportion peut s’élever à 60% pour les personnes originaires d’Afrique sub-saharienne. En valeur, les transferts vers le pays d’origine étaient de 7,95 Mds € en 2005 d’après le rapport Milhaud36. Mais ce chiffre souffre de certaines imprécisions. 36 Le rapport Milhaud a été commandé en décembre 2005 à Charles Milhaud, Président du Directoire de la Caisse Nationale des Caisses d'Épargne par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur afin d’envisager des solutions pour améliorer Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 138 Les tranferts de fonds des migrants : une place importante dans le financement des économies africaines Comparaison avec les autres flux de financement vers l’Afrique : des flux supérieurs à l’APD Transfert des migrants vers l’Afrique (IFAD, 2007) APD (source CAD, 2005) Total Afrique : 38,9 milliards de $ Flux nets d’APD à destination de l’Afrique Sub-saharienne : 32,6 Mds Transferts de fonds moyen reçu par habitant: 83 USD en 2005 (dont 8 milliards $ d’annulation de dette) Somme annuelle transférée par le migrant: APD moyenne par habitant :44 $ 1,358$ APD/PIB : 5,5% Masse des transferts de fonds/PIB: 4% Masse des transferts de fonds/Exportations : 4% IDE (CNUCED, 2005) Transfert de fonds moyen reçu par habitant/PIB Afrique, flux entrants d’IDE en $ : par habitant: 13% 30, 6 milliards Afrique subsaharienne, flux entrants Principaux récipiendaires en 2006 en $ : Maroc (6,1 d’IDE en $ : 20,2 milliards milliards), Nigeria (5,4 milliards), Algérie (5,164 milliards), Egypte ( 3,479 milliards), Tunisie ( 1,5 milliards) Répartition internationale et régionale l’intégration des migrants. Cf. Ministère français de l’Intérieur (2006), L’intégration économique des migrants et la valorisation de leur épargne, Rapport réalisé par Charles Milhaud, Septembre 2006, Paris Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 139 Source (IFAD, 2007) Source (IFAD, 2007) Figure 27: Comparaison des flux de transferts avec d'autres sources de fonds. Source: Cnuced (2007), IFAD (2007) A titre de comparaison, le volume annuel d’APD de la France vers les pays d’Afrique subsaharienne a été de 3,048 milliards de dollars sur la période 2001-2005. Face aux fluctuations de l’APD, ces transferts représentent une contribution majeure pour le développement de leurs pays d’origine mais les systèmes de transferts d’argent grèvent une partie de la générosité des migrants tout en proposant des solutions qui ne maximisent pas le potentiel des transferts. #1-Les solutions proposées grèvent la générosité des migrants Les systèmes de transfert d’argent peuvent être décomposés en trois éléments principaux : les institutions prestataires du service de transfert, le mécanisme qui permet d’effectuer le transfert d’un point A à un point B et l’interface client par laquelle l’argent est collecté et/ou décaissé. La diversité des solutions pour chacun des trois éléments permet une grande variété de combinaisons. Les flux de transferts empruntent différents canaux, plus ou moins formels, résumés dans le tableau ci-dessous. Les études auprès des clients montrent que les critères essentiels d’un bon service de transfert sont : (i) (ii) (iii) la sécurité ; la confidentialité ; la destination (peut-on envoyer l’argent jusqu’au village d’origine ?) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 140 (iv) et le coût, qui n’est pas le principal élément discriminant. Tableau 15: Avantages et limites des différents types de transferts Les frais prélevés sur les transferts de fonds vers l’Afrique sont plus élevés que ceux observés sur d’autres géographies (entre 8 à 11% en moyenne pour envoyer 200 $ en Afrique contre 6 à 8% en Amérique latine et Caraïbes) et obèrent fortement le montant des transferts vers les régions d’origine, entraînant une déperdition de ressources pouvant être affectées au développement. Ces différences s’expliquent par le faible développement des systèmes financiers et des infrastructures de télécommunications dans les pays d’origine mais aussi par les législations régissant les activités de transfert et qui en restreignent souvent l’exercice. La conjonction de ces facteurs est à l’origine de structures plus ou moins concurrentielles tout au long des chaînes de transfert de fonds. A titre d’exemple, Western Union réalise 46% des transferts à destination de l’Afrique sub-saharienne contre 27% vers l’Algérie et 33% vers le Maroc. #2- La faible efficience économique des transferts et ses raisons L’affectation économique des transferts de fonds dans le pays d’origine laisse perplexe quant à leur impact sur le développement. En effet : 75% des volumes transférés sont destinés à des dépenses de consommation (nourriture, habillement, frais de scolarité des enfants, transport, santé) ; 15% sont consacrés à l’habitat ; 5% affectés à des investissements collectifs (équipements villageois, communaux). Cette proportion passe à 12% en Afrique subsaharienne. On estime ainsi que les 400 associations Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 141 originaires du bassin du fleuve Sénégal financent chacune des investissements collectifs à hauteur de 10 000 € par an en moyenne ; 5% sont consacrés à des investissements économiques individuels ; L’essentiel des transferts ne fait que transiter dans les institutions financières et ne contribuent pas à l’approfondissement des systèmes financiers des pays d’Afrique subsaharienne. Si l’on peut comprendre l’importance du soutien aux proches, la répartition actuelle des transferts est à même de créer des comportements susceptibles d’alimenter l’économie de rente, de susciter des comportements consuméristes, une inflation importée et de favoriser la réduction de la productivité sans générer un essor de l’activité productive. La faible part des transferts alloués à l’investissement prive les économies africaines des effets positifs découlant des externalités des programmes de couverture des besoins sanitaires, productifs et immobiliers (hausse de l’emploi, création de filières en amont et en aval, amélioration de l’équipement urbain). En réalité, le migrant ou l’association de migrants porteurs de projet se trouvent confrontés à deux types de problèmes : L’absence de solutions de financement adaptées aux besoins d’investissement des migrants Le coût financier des projets d’investissements collectifs (équipements, mutuels de santé…), immobiliers ou productifs dans leur pays d’origine dépasse souvent la capacité à lever des fonds par les migrants. Bien que disposant d’un emploi, les migrants peinent à trouver des crédits en France ou dans leur pays d’origine pour financer ces projets faute de garanties et d'outils financiers adaptés. Les migrants doivent alors réaliser progressivement un projet dont la croissance est corrélée aux levées annuelles de cotisations (cas d’un projet collectif) ou à la succession de transferts (cas d’un projet individuel immobilier ou productif). On parle alors de « réalisations au comptant en escalier ». Pour les projets immobiliers, cette contrainte induit une augmentation du coût final de l’investissement car la détérioration des réalisations non achevées au fil des mois implique des frais supplémentaires de rénovation ou de consolidation. L’achat de matériaux en petites quantités à chaque levée entraîne des pertes d’économies d’échelle. Pour les investissements productifs, un tel fonctionnement peut contraindre l’essor de l’entreprise en l’empêchant de saisir des opportunités commerciales voire remettre en cause sa pérennité. Difficultés en matière d’accompagnement technique et de réalisation du projet Le projet d’investissement du migrant se heurte, par ailleurs, à la difficulté de rentrer en contact avec une structure d’études et de conseils apte à faciliter le montage et l’accompagnement du projet. En outre, il est souvent complexe de trouver dans le pays d’origine une personne dans la Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 142 famille ou parmi les connaissances, qui allie compétences et confiance pour être le promoteur du projet. Les lourdeurs administratives, accentuées par la distance, et les problèmes de confiance envers les intermédiaires locaux constituent aussi des freins importants. Toutefois, différentes solutions commencent à émerger pour faire face aux obstacles entravant la mobilisation de l’épargne des migrants. Leur nombre est limité, pour l’instant, car la majorité des acteurs préfèrent se cantonner à des mécanismes ayant fait leur preuve et à même de leur garantir la perpétuation d’une excellente rentabilité. CONCLUSION Au terme de ce chapitre, la profondeur et la diversité apparaissent comme étant deux des maillons les plus faibles des systèmes financiers subsahariens mais aussi comme deux contraintes puissantes limitant la matérialisation d’une croissance plus riche en emplois et source de réduction de la pauvreté. L’incapacité des systèmes financiers subsahariens à proposer des gammes d’institutions et d’instruments pèse lourdement sur le développement de certains secteurs ou activités. Ainsi, la crise agricole et alimentaire dont pâtit depuis quelques mois l’espace subsaharien est aussi, avant tout, une crise du financement du secteur agricole. Le nombre relativement réduit d’institutions opérant dans ce secteur et l’offre limitée de produits et services dédiés au monde rural explique sans doute, en partie, l’essor des phénomènes migratoires entre zones rurales et urbaines. Cette divergence entre les besoins exprimés et les solutions proposées par les intermédiaires financiers est aussi à l’origine des tensions observées dans des secteurs tels que la protection sociale ou le logement. Quant à la faible diversité des instruments posés, elle limite la capacité des agents non financiers à bénéficier des vertus microéconomiques associées à l’intermédiation financière. Au contraire, elle est à l’origine de comportements non optimaux et crisogènes tels que l’utilisation de financement à court terme pour satisfaire des besoins d’investissement à moyen long terme. La diversité limitée de systèmes financiers subsahariens largement dominés par le compartiment bancaire semble aller de pair avec leur faible profondeur. Celle-ci reflète un poids limité de la sphère financière dans l’ensemble de l’économie mais surtout un réel blocage de l’intermédiation. A l’origine de celui-ci, on retrouve tout d’abord des niveaux de mobilisations moins élevés que dans d’autres zones en développement de l’épargne locale et surtout une réelle difficulté des intermédiaires financiers à transformer celle-ci en emploi à même de satisfaire les besoins des différentes catégories d’acteurs. La surliquidité qui en résulte affecte la portée de la politique monétaire et alimente la critique des institutions financières par la vox populi. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 143 Celle-ci est d’autant plus vive que le couple faible profondeur/diversité semble constituer une réalité ancienne au sein de l’arc subsaharien (Cf. notamment le chapitre 9) tout comme le niveau d’accessibilité restreinte aux produits et services financiers (chapitre 6). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 144 CHAPITRE 6 L’ACCESSIBILITE LIMITEE AUX SYSTEMES FINANCIERS : UNE CONTRAINTE PUISSANTE A L’ESPRIT D’ENTREPRISE Entreprendre consiste à changer un ordre existant. Joseph Schumpeter INTRODUCTION Au vu des dernières projections démographiques portant sur la croissance de la population subsaharienne au cours des cinquante premières années du XXIème siècle, on ne peut que s’interroger sur la capacité des économies de l’arc subsaharien à générer les emplois nécessaires pour absorber les cohortes de jeunes actifs qui inonderont le marché du travail (Cf. graphique n°28). Le doute est d’autant plus de rigueur au vu du taux de chômage élevé régnant à l’heure actuelle dans ces pays et ce malgré le recours massif au secteur informel comme déversoir. La pression démographique étant déjà intenable avec une population subsaharienne de 769 millions de personnes en 2005, le pari semble risqué lorsque l’on sait que les économies africaines accueilleront près de 1,76 milliards de personnes en 2050 (United Nations, 2008). Figure 28: Evolution de la population subsaharienne entre 2005 et 2050. Source : United Nations (2008) Afin de faire face à ces défis, les pays d’Afrique subsaharienne se doivent d’augmenter leur capacité d’absorption de main d’œuvre mais aussi leur faculté à créer des emplois. Cette volonté passe par une réforme et une transformation des sphères productives nationales et sous-régionales. Cette transformation est d’autant plus nécessaire que les économies africaines se caractérisent bien souvent par une croissance faiblement génératrice d’emplois. L’origine de ce phénomène est à rechercher dans la structure socio-productive : la croissance économique est souvent le fruit d’activités extractives ou de cultures de rente qui n’emploient qu’une infime partie de la population active. Avec la hausse des prix des matières premières, la croissance africaine devrait être forte au cours des prochaines années mais pauvre en emplois. La perpétuation d’un tel régime de croissance est crisogène car il ne crée pas les conditions pour absorber le trop plein de main d’œuvre généré par la croissance démographique. La solution réside dans la mise en œuvre d’un régime de croissance riche en emploi. Au-delà de mesures structurelles générales (modernisation des politiques agricoles, politique commerciale plus efficiente, meilleure redistribution des gains de la croissance, politique de remontées de filières industrielles), la solution passe par l’amélioration du financement accordé à deux catégories d’acteurs : les ménages et les PME. En Afrique subsaharienne, ces deux acteurs sont ceux créant le plus d’emplois, aussi bien dans le secteur formel qu’informel. Améliorer les conditions de leur financement signifie pour les ménages une capacité plus forte à développer des activités leur permettant d’accéder à l’autoemploi. Favoriser les conditions d’accès au financement des PME aura pour conséquence une plus forte propension de ces acteurs à générer des emplois. En réunissant ces deux effets (création Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 146 d’auto-emploi et d’emplois), ceteris paribus, une action sur les conditions de financement des ménages et des PME devrait participer des mesures tendant à instaurer une croissance plus riche en emploi dans les économies subsahariennes. Or, les systèmes financiers de la zone peinent à satisfaire les besoins de ces acteurs en raison de leur faible accessibilité. L’accessibilité désigne la capacité des différentes catégories d’agents économiques, quelque soit leur lieu de résidence, leur niveau de vie, de revenu pour les ménages ou leur taille et secteur pour les entreprises, à pouvoir accéder à des services financiers de qualité. L’effectivité de cette notion est souvent jugée à l’aune de la possibilité des populations et entreprises de pouvoir jouir des produits et services du système bancaire, le principal compartiment du système financier formel. Quelque soit le pays, l’accessibilité est une notion essentielle car elle est parfois reliée à des considérations de politique économique et d’équité nationale. Le premier lien se fait à travers la capacité d’agents économiques bénéficiant de financement adéquats de participer de manière efficiente à la création de richesses et à la croissance. La deuxième relation est à rapprocher de la thématique de l’exclusion financière et ses répercussions en matière de paix sociale. Une bonne accessibilité garantissant, en effet, aux plus pauvres la possibilité de s’extraire de la misère par le biais d’activités productives (Cf. revue de la littérature, première partie). A l’aide de données récentes, la section I permettra de qualifier l’accessibilité des ménages aux services financiers dans les espaces subsahariens. La section suivante (section II) présentera les difficultés rencontrées par les entrepreneurs pour accéder aux services financiers et les contraintes pour leur activité. SECTION I - DIFFERENTS FACTEURS FREINENT L’ACCES DES MENAGES A DES SERVICES FINANCIERS A MEME DE LES FAIRE PARTICIPER A UNE CROISSANCE NON PAUPERISANTE Cette situation est tributaire de différents facteurs : dans la majorité des pays africains, les ménages bénéficient malheureusement (i) d’une faible accessibilité géographique ; (ii) font face à des frais financiers très élevés ; (iii) et doivent accomplir des formalités parfois très contraignantes pour accéder aux services bancaires. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 147 §1- LA FAIBLE ACCESSIBILITE GEOGRAPHIQUE DES MENAGES AUX SERVICES FINANCIERS Dans des systèmes largement dominés par le compartiment bancaire, la capacité du système financier formel à répondre aux besoins financiers des populations peut être appréhendée à l’aune des différents indicateurs de bancarisation37. Ces derniers traduisent, de manière certes imparfaite, la proximité géographique des services financiers pour leurs éventuels utilisateurs. Quelque soit l’indicateur choisi, celui-ci met en exergue le fossé entre l’Afrique subsaharienne et les autres régions du monde. En effet, la majorité de la population n’a pas accès au système financier formel et le compte bancaire constitue un luxe au sens propre comme au sens figuré dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. D’après le Fonds Monétaire International, seuls 11% des adultes au sein de cet espace possédaient un compte bancaire contre 25% dans les pays à revenu faible et intermédiaire non africain et 90% de la population dans les pays industrialisés. Cette proportion était encore plus faible dans les pays africains à faible revenu où seulement 7% de la population adulte avait un compte bancaire (FMI, 2006). Cet indicateur traduit les profondes disparités nationales entre pays d’Afrique subsaharienne. En effet, les taux de bancarisation s’échelonnent de 47% au Botswana, 46 % en Afrique du Sud à 0.8% en République Centrafricaine et 0.4 % au Tchad. Dans ce domaine, les performances des pays de la zone Franc sont assez modestes. A titre d’exemple, le Cameroun, un des poids lourds économiques de cet espace ne compte que 3.7% d’habitants possédant un compte contre 5% au Ghana et 10 % au Kenya. Un autre indicateur d’accès, le nombre de guichets pour 100 000 habitants met en évidence l’écart entre différents pays d’Afrique subsaharienne (à l’exception de l’Afrique du Sud) et les pays émergents (graphique n°29). Face à cette faible accessibilité, des systèmes financiers parallèles se sont développés afin de satisfaire les besoins des populations. En dépit de leur rôle au sein des économies d’Afrique subsaharienne, peu d’études se sont attachées à mesurer leur contribution au financement de l’économie. A titre d’exemple, on estime que les tontines géraient près de 140 milliards de Francs CFA en 1991 au Cameroun. A côté des activités de financement de l’économie, l’accessibilité aux institutions financières spécialisées dans la gestion du risque constitue une autre priorité au vu des effets bénéfiques de ces dernières sur l’activité et le comportement des agents (Cf. lien finance-pauvreté dans la Partie I). 37 Notamment le nombre de comptes bancaires, le nombre de comptes par habitant, le nombre de guichets pour 100 000 habitants, le pourcentage d’habitants possédant un compte bancaire. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 148 Malheureusement, ces dernières affichent une couverture géographique encore plus restreinte que les institutions bancaires ou de microfinance ainsi que l’atteste le cas kenyan (Cf. encadré n°6) Figure 29: Nombre de guichets bancaires pour 100 000 habitants en 2005. Source : Beck, DemirgucKunt et Martinez Peria (2005) La problématique de l’accessibilité géographique aux systèmes financiers en Afrique subsaharienne est amplifiée par la question du financement en zone rurale (espace qui recouvre en général la majorité du pays) et une de ses déclinaisons : le financement du secteur agricole qui emploie encore une large proportion des actifs. Il existe, en effet, une forte asymétrie entre les zones rurales, largement ignorées des grandes banques et institutions financières classiques, et les centres urbains dans lesquels sont concentrés l’essentiel des agences bancaires. Les espaces ruraux sont victimes du démantèlement des institutions financières spécialisées dans le financement du secteur agricole suite aux plans d’ajustement structurels et de réhabilitation du secteur financier qui ont vu la fermeture de nombreuses banques de développement agricole, victimes de leur mauvaise gestion. L’émergence d’institutions de microfinance ou alors les banques agricoles en activité (cas de la BNDA au Mali) ne suffisent pas à combler les besoins en termes d’accessibilité géographique. Ces difficultés font du développement financier en zone rurale un enjeu de politique économique et sociale. Ce dernier est d’autant plus grand que de nombreux pays subsahariens sont tributaires des devises générées par la vente des matières premières agricoles. Au-delà de Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 149 l’accessibilité géographique aux services financiers, la problématique plus générale, de l’accessibilité des ménages aux services financiers est avant tout associée aux coûts de ces derniers (§2). Encadré n°6. Le développement des produits d’assurance au Kenya En 2004, le Kenya comptait 40 sociétés d’assurance, 2 société de réassurance, 200 courtiers en assurance et 3000 agents de vente d’assurance. Bien que souffrant de certaines faiblesses structurelles (nombre trop 38 important de compagnies par rapport à la population du pays et mauvaise régulation) le secteur de l’assurance kenyan est l’un des plus développés en Afrique subsaharienne (le taux de pénétration, Primes d’assurances/PIB, était de 2,8% en 2005, se situant entre la Chine et le Maroc). Toutefois, le Kenya peine à améliorer son taux de pénétration au sein de la population, notamment en matière d’assurance vie malgré une bonne sensibilisation de la population à ce produit. Ces difficultés sont intimement liées à la problématique de l’accessibilité ainsi que l’atteste le tableau suivant. Seuls 8% des personnes interrogées dans le cadre d’une enquête sur le secteur utilisaient ou avaient utilisé des produits d’assurance au moins une fois dans leur vie. Sur la fraction de l’échantillon utilisant des services d’assurances, 39% des personnes disposaient d’une couverture santé-maladie. Bien que largement supérieurs aux taux rencontrés dans d’autres pays subsahariens, ces taux de pénétration assez faibles s’expliquent par la perception qu’ont les usagers des services d’assurance. Pour 69% d’entre eux, ils sont trop chers et près d’un tiers de la population ne sait comment y accéder. L’image des assureurs est d’autant plus mauvaise que 15% des sondés jugent les services d’assurance inutiles et les institutions les fournissant comme malhonnêtes (AfD, 2007). D’après l’Association des assureurs du Kenya, la principale explication de ce phénomène semble se trouver dans l’inadaptation des méthodes de distribution. Afin de palier à ce problème, des mécanismes de coopération avec les établissements bancaires sont à l’étude mais requièrent une modification des lois bancaires et du code des assurances pour permettre la création de mécanismes de bancassurance. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 150 Tableau 16: Utilisation et perception des services d’assurance au Kenya. Source : AfD (2007) Si la proximité géographique constitue un des freins à l’accessibilité des ménages aux services financiers, les frais associés à ceux-ci représentent un coût d’opportunité majeur et un élément expliquant le recours à des solutions non optimales. §-2 LES INTERMEDIAIRES FINANCIERS DOIVENT ACCOMPLIR DES EFFORTS EN MATIERE DE SOUTENABILITE DES FRAIS FINANCIERS La soutenabilité des frais exigés pour accéder à un service financier, c’est-à-dire la capacité des ménages à faire face à ce coût compte tenu de leur revenu, constitue une des dimensions les plus importantes dans toute réflexion sur le développement. Or, celle-ci est particulièrement critique dans de nombreux pays africains. L’analyse de la soutenabilité a franchi un grand pas depuis 2005 avec la publication d’études réalisées au sein de la Banque Mondiale (Beck et al., 2006) ou menées dans différents pays d’Afrique australe par des organismes tels que Finscope39 et Genesis (2005). Genesis (2005) affirme qu’il est insoutenable de demander à des ménages pauvres de dépenser plus de 2 pourcent de leur revenu en charges bancaires. Or, les frais bancaires dans les pays en voie de développement vont parfois bien au-delà de cette limite et représentent parfois le revenu sur plusieurs années d’un ménage. A titre d’exemple, l’ouverture d’un compte chèque au Cameroun requiert un dépôt minimum à l’ouverture de 700 USD, une somme supérieure au PIB annuel par tête dans ce pays (662 USD en 2004). Bien que les conditions financières pour ouvrir un compte soient moins contraignantes dans 39 Cf. le site de Finscope, http://www.finscope.co.za/index.asp, page consultée le 13 juin 2008 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 151 d’autres pays africains, le Cameroun est loin de constituer une exception, ainsi que l’attestent les graphiques 30 et 31. En matière de transferts de fonds, les frais et les pièces documentaires exigées affectent aussi l’accès des utilisateurs. Figure 30: Montant minimal pour ouvrir un compte à vue en pour cent du PIB/tête. Source : Beck T., A. Demirguc-Kunt et M.S. Martinez Peria (2006) Figure 31: Coût d’un transfert international d’argent. Source : Beck T., A. Demirguc-Kunt et M.S. Martinez Peria (2006) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 152 Figure 32: Frais de gestion d’un compte à vue. Source : Beck T., A. Demirguc-Kunt et M.S. Martinez Peria (2006) §3- DES FORMALITES PARFOIS CONTRAIGNANTES Les formalités, barrières documentaires ou les procédures auxquelles les ménages et les entreprises doivent faire face pour accéder au crédit peuvent constituer de puissants obstacles pour accéder aux services financiers. Dans de nombreux pays africains, peu de personnes disposent d’une adresse postale. En l’absence de plans d’aménagement urbain, il est difficile de se fier aux numéros des artères de circulation. En matière d’accès au dépôt ou au crédit, la nécessité de disposer d’un emploi dans le secteur formel et de pouvoir justifier de celui-ci à travers des fiches de paie ou alors des certificats de travail est une condition discriminante pour la majorité de la population dans la mesure où l’essentiel des actifs travaillent dans le secteur informel. Une grande partie de la population se trouve, par conséquent, limitée dans son accès aux services bancaires de base, notamment le compte à vue. Les règles anti blanchiment constituent une autre source de durcissement des conditions d’accès aux banques. On estime ainsi que près de 35% des adultes en Namibie et 30% en Afrique du Sud ne sont pas à même de fournir des justificatifs répondant aux normes anti blanchiment. Il s’agit pourtant de deux des économies du continent disposant d’un des niveaux de développement financier les plus élevés. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 153 Ces formalités apparaissent nécessaires afin de trier le bon grain de l’ivraie dans des pays caractérisés par de nombreuses asymétries d’information. Toutefois, le succès des programmes de micro finance démontre la capacité d’acteurs financiers à promouvoir l’accès aux services financiers sans formalités excessives. L’assouplissement des conditions d’accès aux services financiers apparait être une des priorités majeures pour faciliter la création et le développement d’activités productives par les ménages subsahariens. Cette problématique est partagée par les PME qui, dans des environnements caractérisés par un affaiblissement de l’Etat, se trouvent parfois dans l’incapacité de produire les différents éléments de la liasse documentaire nécessaire à l’ouverture d’un compte bancaire. Au-delà de cet aspect bien particulier, un faisceau de facteurs pénalise fortement l’accès des entreprises aux services financiers, et ce faisant, contraint leur développement et ralentit la croissance économique (Section II). SECTION II – DES PME AU DEVELOPPEMENT FINANCIEREMENT CONTRAINT Depuis le début des années 80, les PME de nombreux pays d’Afrique subsaharienne présentent le financement comme une des contraintes majeures à leur développement. Relayées par les organisations professionnelles ou la presse, ces plaintes n’avaient pas (ou peu) été étayées par des études quantitatives portant sur un ensemble conséquent de pays. Depuis quelques années, la publication de certaines statistiques (marge d’intermédiation, taux d’intérêt, Crédit à l’économie/PIB, pourcentage d’entreprises citant le facteur financier comme une contrainte majeure) par différentes organisations internationales (Banque Mondiale et FMI en particulier) permet de mieux apprécier l’ampleur de l’obstacle financier. Celui-ci apparait au rang des contraintes majeures rencontrées par les entreprises dans leur développement (§1) mais avec une acuité plus ou moins forte en fonction de la taille, du secteur, de la nationalité de l’entreprise (§2). §1 - LE FACTEUR FINANCIER : UNE DES CONTRAINTES LES PLUS FORTES PESANT SUR LE DEVELOPPEMENT DES ENTREPRISES DANS L’ESPACE SUBSAHARIEN A- L’accès au financement comme contrainte majeure pour le développement des entreprises africaines A l’instar des ménages et en l’absence d’indicateurs quantitatifs, la compréhension de la problématique financière spécifique aux entreprises de l’arc saharien a longtemps souffert d’un manque d’indicateurs précis. A travers différents programmes (Investment Climate Assessment, Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 154 Enterprise Surveys et Doing Business), la Banque Mondiale est à l’origine d’un bond qualitatif et quantitatif dans la compréhension des goulots d’étranglements affectant l’essor du secteur privé en Afrique (Banque Mondiale, 2007b, 2007c, 2008). Chaque année, la Banque Mondiale réalise dans le cadre de ces programmes des enquêtes auprès des chefs d’entreprises de ses pays membres afin d’y évaluer l’environnement des affaires40. Ces derniers sont interrogés, entre autres, sur les différents obstacles affectant le développement de leurs entreprises. Les enquêtes permettent d’obtenir pour chaque pays, un classement des contraintes les plus fortes affectant le développement des entreprises et la part de chaque contrainte dans l’ensemble des facteurs limitant l’essor des entreprises. Cette dernière information est reprise dans le graphique n°33. Ce dernier souligne une réalité fortement relayée par la vox populi : la prégnance de la contrainte financière sur le développement des entreprises en ASS. En effet, la contrainte financière y apparaît en 2006 comme le deuxième obstacle le plus important pour les entreprises : elle représente 11,99% de la contrainte totale, derrière la question électrique (47,45%). Et ce devant des contraintes telles que le taux d’imposition (9,05%), la criminalité et la stabilité économique (4,98%) et la corruption (3,42%) que l’on aurait pu penser plus fortes. Au-delà de leur apport statistique, ces données semblent traduire une plus forte capacité des entreprises à traiter et intégrer ces contraintes par rapport à la problématique financière. Comparé à d’autres zones géographiques, l’obstacle financier occupe une part plus forte dans la contrainte totale ressentie par les entreprises en ASS (11,99 en Afrique subsaharienne, 10,52% en moyenne dans le monde et 9,73% en Amérique Latine et dans les Caraïbes). Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, l’accès au financement constitue soit la première (Malawi, Burkina-Faso, Ethiopie, Mauritanie) ou deuxième plus forte contrainte (Tanzanie, RDC, Cameroun, Ethiopie, Mauritanie) au développement des entreprises. 40 Bien que présentant des limites associées à la subjectivité des réponses et à la composition de l’échantillon, les enquêtes Enterprise Surveys, Investment Climate Assessment et Doing Business permettent d’obtenir la vision des chefs d’entreprise sur les contraintes affectant le plus fortement le développement de leur entreprise. Elles permettent de dépasser un écueil fréquent des analyses des besoins de financement des entreprises qui privilégient un traitement de la question du point de vue de l’offre (analyses des encours de crédits bancaires aux entreprises et des ratios de crédit au secteur privé/PIB). Toutes les analyses de ce paragraphe sur les conditions d’accès aux services financiers des entrepreneurs reposent sur les données issues de ces enquêtes. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 155 Pays Auto financement Financement Financement Crédit Créditbancaire informel fournisseur bail Financement Cartes Finance Autres public et de crédit ment par spécialisé actions Benin 77,1 13,7 2,7 2,1 0,2 2,8 0 0,8 0,6 Burkina Faso 72,9 16,7 3,2 1,3 0 4,4 0 0 1,5 Cameroun 67,9 12,4 6,3 3,3 0 1,2 0 4 4,9 Mali 84,7 11,7 1,8 0,3 0 1,5 0 0 0 87 9,7 0,1 0,1 0 1,9 0 0 1,2 Sénégal 70,5 18,4 3,8 2 1,1 1 0 0 3,1 Kenya 52,7 32,4 1,5 4 0,2 0,4 0,8 0,4 7,7 Ouganda 71,4 13,5 3,5 0,5 2,4 2,2 0 2 4,5 Afrique du Sud Moyenne (Echantillon mondial) 58,5 16,5 1,1 0,6 15,6 0,7 0 0,1 6,9 65,2 14,9 4,9 3,2 2,9 1,1 0,3 3,7 3,3 Niger Tableau 17: Sources de financement de l’investissement des entreprises. Source : Banque Mondiale, Enterprise Surveys report (2007), Washington D.C Cette situation a des conséquences non négligeables sur le mode de financement des entreprises avec notamment un recours plus élevé à l’autofinancement. L’auto financement constitue traditionnellement la première source de financement des entreprises mais la littérature souligne que les secteurs dont la croissance est organiquement tributaire de financements externes obtiennent de meilleures performances lorsqu’ils peuvent plus facilement accéder aux ressources apportées par les intermédiaires financiers externes. Or, au sein de l’échantillon de pays observés dans le cadre de l’enquête Enterprise Surveys Report 2007, la moyenne des pays subsahariens retenus (71,4% des fonds mobilisés proviennent de l’auto financement, tableau n°17) est largement inférieure à la moyenne mondiale. L’auto financement atteint des pics au Niger et au Mali (87% et 85%) tandis que le financement bancaire oscille dans les Pays Africains de la Zone Franc analysés entre 9,66% (Niger) et 18,44% (Sénégal). Le Kenya et l’Afrique du Sud se démarquent avec pour le premier des niveaux élevés de financement bancaire (32,4% des sources de financement total) et pour le deuxième une répartition égale entre le crédit bail (15,6% de l’ensemble des sources de financement) et le financement bancaire (16,5%). Toutefois, une limite importante de la méthodologie d’enquête est liée à la technique de sélection des entreprises : un tirage au sort dans les registres officiels du commerce et des sociétés. Par conséquent, ces enquêtes apportent une contribution relative à la connaissance des Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 156 problématiques de financement des entreprises du secteur informel au niveau international.41 La part du financement informel ressort toutefois de façon assez nette pour les entreprises camerounaises (6,2%), confirmant la vigueur persistante des systèmes d’épargne informelle dans ce pays. En reprenant la méthodologie proposée par Beck, Demirguc-Kunt et Martinez Peria (2006) pour analyser les barrières freinant l’accès aux services financiers, les prochains développements seront consacrés à la compréhension de la faible accessibilité des PME aux services financiers. Les PME souffrent, elles aussi, certes dans une moindre mesure d’une accessibilité géographique limitée. Dans des environnements où les standards juridiques, comptables et fiscaux sont encore à développer, les documents requis par les institutions financières pour accéder à leurs services constituent une entrave supplémentaire. Toutefois, et même si elles sont parfois prêtes à accepter des coûts élevés pour accéder aux services financiers, ceux-ci représentent une lourde charge, susceptible d’obérer la compétitivité internationale des secteurs exportateurs. B- Marge d’intérêts, commissions et garanties : autant d’éléments réduisant la portée de l’intermédiation Il est possible d’appréhender le coût du financement à travers l’étude des taux créditeurs pratiqués par les banques. L’analyse de la marge d’intérêt est néanmoins plus parlante car elle traduit véritablement le coût supplémentaire imposé au financement de l’économie et des PME. A titre d’exemple, les différentiels moyens observés entre taux créditeurs et emprunteurs sur la période 2000-2004 au sein de la zone CEMAC s’élèvent à près de 14,3%. Au-delà des frais, taux et diverses commissions, les conditions posées par les banques pour accéder aux prêts et autres services financiers, notamment à travers les demandes d’apport de garanties réelles ou financières, sont de nature à décourager les entrepreneurs indépendamment de la qualité de leurs projets. Au Bénin, au Burkina Faso et au Cameroun, les banques exigent une garantie avant d’accorder un prêt dans plus de 90% des cas. Ce n’est pas tant le principe de la demande de garantie qui fait problème que la nature et le niveau élevé de la garantie demandée : en valeur, elle représente dans tous les cas analysés un montant supérieur au prêt sollicité (Tableau 18). Par ailleurs, face aux difficultés rencontrées dans la mobilisation des garanties réelles, les établissements financiers exigent de plus en plus souvent des nantissements de titres (actions, obligations, certificats de dépôts), des cautions bancaires dont le montant peut parfois égaler le crédit consenti. De manière paradoxale, des ressources monétaires sont immobilisées pour obtenir des fonds productifs. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 157 Pays Pourcentage des prêts nécessitant Valeur de la garantie pour obtenir un prêt (% du une garantie montant des prêts) Bénin 90.57 118.68 Burkina Faso 90.24 124.28 Cameroun 90.16 130.98 Kenya 86.14 172.45 Mali .. 117.53 Niger 83.05 102.89 Sénégal .. 108.03 Afrique du Sud 61.11 123.82 Ouganda 93.22 112.94 Tableau 18: Analyse des garanties exigées pour l’octroi de prêts. Source : Banque Mondiale, Enterprise Surveys Report (2007b), Washington D.C Cette prudence des banques s’explique par la difficulté d’utiliser le foncier comme garantie en raison des lacunes du système hypothécaire dans un espace caractérisé par des niveaux de pauvreté élevés, une forte insécurité juridique et la prédominance des relations informelles entre agents économiques. Plus généralement, la prudence des banques comme des autres institutions financières s’explique par le haut degré d’incertitude qui entoure l’activité des entreprises et leur pérennité. La prise en compte du risque microéconomique supporté par les agents et de ses conséquences dans un environnement macroéconomique également très risqué apparaît déterminante pour comprendre les logiques des acteurs42. Ainsi, s’explique la difficulté de la plupart des entreprises à accéder aux crédits bancaires et le faible niveau de bancarisation des entreprises. L’émergence de nouveaux acteurs (institutions de microfinance notamment) modifie la donne du financement dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. Dans le cadre de programmes d’upscaling (montée en gamme du montant des prêts) qui bénéficient souvent de l’appui des bailleurs, les institutions de micro finance proposent de plus en plus de financements non seulement aux TPE mais aussi aux PME locales. Toutefois, cette forme de financement reste marginale, aussi bien à l’échelle macroéconomique que dans les bilans agrégés des entreprises. Il faut aussi noter les progrès sensibles accomplis en Afrique du Sud en matière de financement des entreprises grâce à l’adoption de la Financial Charter43. Cette dernière impose aux institutions 42 Financial Sector Charter Council (2008), Financial Sector Charter Scorecard, Marshalltown, Charter Scorecard, Marshalltown, http://www.fscharter.co.za/page.php?p_id=1, page consultée le 13 juin 2008 43 Financial Sector Charter Council (2008), Financial Sector http://www.fscharter.co.za/page.php?p_id=1, page consultée le 13 juin 2008 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 158 financières, entre autres mesures, une obligation de services aux PME, notamment celles contrôlées par la majorité noire. Parmi les produits de dette offerts aux entreprises, le crédit à long terme reste rare (3% des crédits au sein de l’UEMOA et de la CEMAC en 2005), sachant que le qualificatif de « long terme » s’applique, suivant la règlementation de la Zone Franc, à tous les crédits ayant une maturité supérieure à 3 ans. Le volume limité des crédits à long terme et la difficulté d’y accéder peuvent pousser les entreprises à utiliser des montages potentiellement plus risqués (endettement en devises ou alors financement d’investissement à long terme par accumulation de prêts à court terme). Le crédit commercial est très peu utilisé (Tableau 17). Quant au crédit-bail, il ne l’est pour ainsi dire pas du tout, malgré les avantages qu’il offre : facilité de saisie pour les créanciers et source de fonds stables pour les emprunteurs. A titre d’exemple, le crédit bail ne représentait que 8 milliards de FCFA en 2004 au sein de la CEMAC dont près de 7 milliards d’encours pour le seul Cameroun (COBAC, 2004). Au-delà de ce sentiment homogène formulé par les chefs d’entreprises, l’accès et le coût du financement sont perçus différemment selon la taille, le secteur, la nature extravertie et l’origine des capitaux de l’entreprise. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 159 Figure 33: Part de chaque contrainte dans la contrainte globale des entreprises. Source : Banque Mondiale (2007b) §2-UNE ACUITE DE LA CONTRAINTE FINANCIERE DIFFERENTE SELON LA TAILLE, LE SECTEUR ET LA NATIONALITE DE L’ENTREPRISE L’analyse des données fournies par les études Enterprise Surveys permet d’établir, entre autres variables discriminantes, un distinguo dans la perception de la contrainte financière selon le secteur (A), la taille et la nationalité (C). A-Opposition entre les secteurs des services et l’industrie mais aussi entre entreprises exportatrices et non exportatrices Le graphique n°34 illustre ces différences de perception selon le secteur productif. Les entreprises évoluant dans le secteur des services semblent rencontrer plus de difficultés à accéder aux services financiers que leurs homologues de l’industrie. Figure 34: Pourcentage d’entreprises faisant de l’accès ou du coût du financement une contrainte majeure dans différents secteurs. Source : Banque Mondiale (2008) Figure 35: Pourcentage d’entreprises ayant une ligne de crédit en fonction de leur degré d’extraversion. Source : Banque Mondiale (2008) Le graphique n°35 matérialise une autre contrainte, beaucoup plus néfaste pour les économies des pays africains : la contrainte d’accès au financement des entreprises produisant pour satisfaire la demande intérieure est plus forte. En effet, dans de nombreux pays subsahariens, les entreprises exportatrices éprouvent une contrainte d’accès et des coûts de financement moindre que les entreprises produisant pour le marché domestique. Ces données traduisent aussi une autre réalité du financement des économies africaines : les banques prêtent plus volontiers aux grandes entreprises exportant des matières premières ou des produits semi-finis et dont les revenus sont libellés en devises. A contrario, les entreprises de transformation ou alors de fabrication de produits manufacturés sont pénalisées. Contraintes dans leur croissance, elles peinent à atteindre des niveaux de production leur permettant de réaliser des économies d’échelles importantes. Face aux exportateurs chinois, européens ou américains, une telle situation ne peut que pénaliser la croissance de ces PME et en fait souvent des proies aisées de la globalisation. B- L’effet taille et nationalité en matière d’accès au financement Ce constat est d’autant plus alarmant que les principaux parents pauvres de cette crise du financement sont les très petites et petites entreprises. En Afrique subsaharienne, et malgré l’absence de données précises, ces dernières emploient pourtant l’essentiel des actifs. Les difficultés de financement auxquelles elles sont soumises pénalisent à plus d’un titre l’objectif d’une croissance riche en emplois. Au demeurant, on peut s’interroger sur la pertinence des différents programmes de Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 162 réalisation des Objectifs du Millénaire tant que la question du financement en faveur de l’investissement productif n’aura pas reçu de réponse. Figure 36: Pourcentage de firmes identifiant le coût ou l’accès au financement comme une contrainte majeure en fonction de leur taille. Source : Banque Mondiale (2007b) Figure 37: Pourcentage d’entreprises ayant recours à différents instruments ou services financiers en fonction de leur taille. Source : Banque Mondiale (2007b) Ainsi, seules 12,99% des petites entreprises détiennent une ligne de crédit contre 36,56% des moyennes entreprises et 61,34% pour les grandes entreprises. La problématique est encore plus exacerbée en matière de financement de l’investissement ainsi que l’atteste le graphique n°37. Au final, les petites et moyennes entreprises pénalisées aussi bien dans leur volonté de disposer Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 163 d’instruments d’épargne et de crédit expriment une contrainte financière plus forte (68,77% et 67,95% respectivement) contre seulement 42,14% pour des grandes entreprises. L’accès aux services financiers semble, par ailleurs, fortement lié à un effet de nationalité. Ainsi, au Mali, 50% des entreprises locales interrogées déclarent bénéficier des services du secteur bancaire contre près de 75% des entreprises contrôlées par des capitaux étrangers. Cet écart est encore plus important au Bénin où seulement 19.2% des entreprises locales ont accès à des services bancaires contre 60% des entreprises étrangères. La nationalité du chef d’entreprise joue, par ailleurs, un rôle non négligeable dans les réponses apportées aux demandes de crédit. Au Mali, 42.7% des demandes de crédits effectuées par des entreprises dirigées par des entrepreneurs d’origine africaine ont obtenu une réponse positive contre 80% dans le cas d’entreprises détenues par des européens. CONCLUSION Au final, comme dans beaucoup de pays développés et en développement, il vaut mieux être une grande entreprise, extravertie et détenue par des capitaux étrangers qu’une PME à capitaux nationaux et produisant pour satisfaire la demande locale. Dans le cas particulier des pays de l’arc subsaharien, cette asymétrie n’est pas rassurante quant aux perspectives de développement des PME qui sont généralement de grandes pourvoyeuses d’emplois. Elle pose également la question de l’appropriation économique du développement, qui pourrait être grandement améliorée à travers des politiques ciblées d’accès aux services financiers de base pour les entrepreneurs locaux. Pour les ménages, les difficultés d’accéder à des services financiers constituent une forte contrainte au développement d’activités productrices rémunératrices susceptibles de contribuer à la réduction de la pauvreté. Les difficultés à accéder à une gamme élargie d’instruments affectent, par ailleurs, les processus de gestion et de diversification des risques. Ces différents facteurs s’alimentent et se renforcent et favorisent la perpétuation d’un piège à pauvreté lié au facteur financier. Le faible degré de concurrence auquel doivent faire face les acteurs financiers subsahariens constitue une des pistes à explorer pour expliquer cette situation (chapitre 7). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 164 CHAPITRE 7 LE FAIBLE NIVEAU DE CONCURRENCE : UNE EXPLICATION A L’EXCELLENTE RENTABILITE ET A L’EFFICACITE RELATIVE DES INTERMEDIAIRES FINANCIERS ? Les banquiers n'ont guère l'habitude d'apporter des oranges à leurs concurrents en difficulté. Ils préfèrent sortir leur dague. Marc Viénot, Extrait du journal Le nouvel économiste C'est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises et qui établit les vrais rapports entre elles. Montesquieu, Extrait de De l'esprit des lois INTRODUCTION De manière générale et à quelques exceptions près (Afrique du Sud, en particulier), les systèmes financiers d’Afrique subsaharienne semblent caractérisés par une situation de sousdéveloppement financier généralisé et une incapacité de répondre à leur raison d’être : le financement de l’économie. Cette situation qui perdure depuis deux décennies n’empêche toutefois pas les intermédiaires financiers (et plus particulièrement bancaires) évoluant au sein de ces systèmes d’afficher des taux de rentabilité à faire pâlir un gestionnaire de hedge funds. Bien que ces niveaux de rentabilité doivent être nuancés par zone géographique, taille d’établissement ou secteur d’activité, la tendance générale est à l’amélioration après une décennie de résultats en demi-teinte, legs de la crise financière du milieu des années 80. Ces perspectives de rentabilité expliquent l’intérêt grandissant d’acteurs internationaux de la finance pour les intermédiaires financiers internationaux44. Malheureusement, l’augmentation de la rentabilité des établissements financiers subsahariens n’est pas forcément allée de pair avec celui de leur efficacité et l’essentiel de cette progression semble s’expliquer par le maintien de marges d’intermédiation élevées sur les opérations avec la clientèle (Section I). Dans un contexte caractérisé par la volonté de créer des systèmes financiers plus inclusifs et à même de favoriser l’essor d’une classe entrepreneuriale dynamique, le couple forte rentabilité/faible efficacité interpelle. Au-delà, de facteurs structurels (coûts des différents facteurs de la fonction de production bancaire, niveau de risque micro et macroéconomique élevé45), différentes études pointent le faible niveau de concurrence au sein des sphères financières subsahariennes comme une des explications de cette situation (Section II). En mettant en exergue le faible niveau de concurrence, ces travaux soulignent aussi une orientation plus ou moins volontaire de la fonction d’objectifs du système financier en faveur de l’amélioration de la rentabilité/stabilité des intermédiaires financiers au détriment de leur efficacité. Cette orientation résulte d’une analyse de la concurrence au sein du système financier comme un processus déstabilisateur et non pas créateur de valeur et d’innovation. La section III présentera les éléments de cet arbitrage qui s’est fait au détriment d’un des prérequis de toute politique de libéralisation financière : l’existence de marchés concurrentiels. SECTION I – LE PARADOXE DES SUBSAHARIENNES : FORTES INSTITUTIONS FINANCIERES RENTABILITES MAIS FAIBLE EFFICACITE. Les banques d’Afrique subsaharienne affichent des niveaux de rentabilité souvent exceptionnels. Pendant longtemps, ce constat n’a été établi qu’à l’aune des comptes annuels des 44 Ce dernier se traduit non seulement par le succès des emprunts obligataires lancés par différentes banques nigérianes sur le marché londonien, la cotation d’ADR sur ce même marché mais aussi par des prises de participation par des intermédiaires financiers étrangers dans des banques subsahariennes. 45 Dans des environnements au sein desquels les infrastructures sont profondément dégradées, la contrainte énergétique, le coût des investissements nécessaires en matière de technologie de l’information constituent deux postes. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 166 grands groupes internationaux implantés en Afrique. De toutes les entités géographiques, leurs filiales implantées sur le continent affichaient la rentabilité la plus forte46. Toutefois, plusieurs facteurs incitaient à la prudence. En premier lieu, il fallait prendre en compte la summa divisio existant entre les filiales des grands groupes internationaux et les petites banques créées par des investisseurs locaux. Les premières bénéficiaient souvent des meilleures technologies et processus de gestion tandis que les autres, généralement plus petites et plus exposées aux risques, connaissaient des difficultés de gestion. Cette réserve a été renforcée par les crises financières des années 80-90 qui ont plombé les bilans et comptes de résultat des banques de l’espace subsaharien. Par ailleurs, toute une série de facteurs structurels semblaient contribuer à une sur rentabilité (artificielle) des établissements bancaires d’Afrique subsaharienne (Cf. Encadré n°7). Aujourd’hui, différents travaux nous poussent à apprécier l’excellente rentabilité des établissements financiers subsahariens au regard des standards internationaux (§1). Toutefois, celle-ci doit être appréciée au cas par cas en raison de facteurs discriminants (taille, nationalité, type d’activité, notamment). La prudence est d’autant plus de mise que la quête de l’efficience ne semble pas toujours expliquer ces niveaux de rentabilité (§2). §1-LA PROFITABILITE DES INTERMEDIAIRES FINANCIERS SUBSAHARIENS : MYTHE, REALITE OU NORMALITE ? A-Une profitabilité souvent supérieure aux standards internationaux Dans le cadre de cet exercice d’appréciation de la rentabilité des institutions financières en Afrique, trois études méritent une attention toute particulière : celle publiée par Micco, Panizza, et Yañe (2006), les développements sur le sujet du rapport Making Finance Work For Africa et le classement annuel des 100 premières banques africaines publié par la revue African Business (African Business, 2007). Ces différentes études sont toutes concentrées sur le secteur bancaire en raison de sa prédominance au sein des systèmes financiers. Les résultats proposés par chacune d’entre elles diffèrent parfois en raison d’échantillon et de méthodes de calculs non homogènes mais convergent vers une réalité : l’excellente rentabilité des secteurs bancaires d’ASS. D’après le rapport de la Banque Mondiale Making Finance Work for Africa (Banque Mondiale, 2007), sur la période 2000-2004e, le ROE moyen des banques africaines était de 20.1% contre 8.5% pour la moyenne mondiale soit un écart de près de 12,5 points. Les calculs établis par nos soins sur la 46 Définie à l’aune d’indicateurs traditionnels de rentabilité tels que le ROE, ROA, taux de marge d’intermédiation (marge d’intermédiation/PNB) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 167 base du classement de la revue African Business (African Business, 2007) vont dans le même sens et attestent de l’exceptionnelle rentabilité des 75 plus grandes banques africaines. Le taux de rentabilité moyen au sein de cet échantillon était de 29% sur la période 2005-2006 (Cf. tableau n°19). Pays Capital (m$) Total Actifs (m$) CAR(%) Profits(m$) ROE(%) ROA(%) 33499 470800 447 6277 13 144 29 3 Max 6516 139023 41,6 2634 82,3 22,4 Min 29 204 3,9 2 3,3 0,8 Médiane 85 895 10,3 26,5 26,3 2,505 1110,8 20425,0 8,0 414,3 16,2 3,0 Moyenne Ecart-type 10382 Tableau 19: Analyse statistique portant sur le capital, les actifs, le Capital Adequacy Ratio, les bénéfices, le ROE et le ROA des 75 premières banques d’Afrique subsaharienne. Source : African Business (2007), calculs de l’auteur Une étude réalisée par le Secrétariat de la Commission bancaire de la Banque de France (Dauchy et Gouteroux, 2006) apporte un benchmark plus qu’intéressant aux performances des banques africaines. Elle mesure le coefficient de rentabilité des principaux groupes bancaires de différents pays de l’OCDE (Suisse, Benelux, Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne, France, Japon, Allemagne, Italie) en 2004 et 2005. Le taux de rentabilité moyen des principaux groupes bancaires dans cet échantillon de pays était de 11,5% en 2004 et de 15% en 2005. A titre de comparaison, les cinq plus grandes banques sud africaines affichent toutes une rentabilité supérieure à 23% avec des pics pour FirstRand Banking Group (52%) et Standard Bank (40,4%)47. Pays 2004 2005 Suisse 17,7 20,7 Benelux 17,1 17,4 Etats-Unis 11,9 15,5 Royaume-Uni 15,8 15,3 Espagne 11,7 15,3 France 11,4 13,9 Japon 4,1 13,6 Allemagne 2,5 12 Italie 11,4 11,4 Moyenne 11,5 15,0 Tableau 20: Coefficient de rentabilité des principaux groupes bancaires. Source : Dauchy, C. et Gouteroux, C. (2006), 47 Cf. tableau retraçant les performances des 75 premières banques africaines. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 168 Les calculs effectués par Micco, Panizza, Yañe (2006) révèlent des écarts encore plus grands entre l’Afrique subsaharienne et d’autres régions en développement (zone MENA, Asie du Sud, Amérique Latine). Figure 38: ROE bancaire moyen par région géographique. Source : Micco, Panizza, Yañe (2006) B-Une rentabilité à nuancer selon la taille, la nationalité et le type d’institutions Le graphique précédent permet d’établir une première nuance à la situation de rentabilité des établissements bancaires d’ASS : la rentabilité semble ne pas être uniformément répartie selon la propriété de l’entreprise bancaire. Ainsi, les banques étrangères opérant en Afrique subsaharienne affichent une rentabilité de plusieurs points supérieure à celles contrôlées par l’Etat ou les intérêts privés domestiques. Pour de nombreux groupes internationaux, les filiales africaines constituent les entités les plus rentables. A titre d’exemple, Standard Chartered Bank et Barclays Bank of Ghana ont affiché sur les exercices 2005 et 2006 des rentabilités plus qu’enviables (38,8% et 49,1% respectivement). D’autres disparités existent. Elles peuvent être régionales : à titre d’exemple, le taux de rentabilité des fonds propres s’établissaient à 9.9% en 2005 (contre 8.6% en 2004) au sein de l’UEMOA, tandis que la zone CEMAC affichait un ROE de 17,2% en 2004 (Saab et Vacher, 2006). Par ailleurs, l’activité bancaire peut être fortement cyclique et tributaire des résultats des cultures ou produits de rente. Ainsi, d’après le Rapport Annuel de la Commission Bancaire de l’UMOA, le ROE du système bancaire malien était de -22.6% en 2004 et de 8.7% en 2005. Au Togo, le ROE est passé de 33.9% en 2004 à 7.2% l’année suivante (BCEAO, 2005a). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 169 Au final, les différences peuvent se faire selon la taille de l’institution financière ou sa spécialisation. Sur la période 2000-2004, les grandes banques de l’UEMOA ont affiché des écarts de rentabilité de plusieurs points avec les banques de taille moyenne et des écarts encore plus importants avec des banques de petite taille. Le type d’institutions joue aussi un rôle particulièrement important. Etablissements de crédit 2000 2001 2002 2003 2004 Grands 11,5 9,3 12 10,1 13,2 Moyens 0,3 2,1 10,3 7,9 22,5 Petits (dont Etblts financiers) -6,7 -2,4 4,9 -1 6 Types d'institutions 2000 2001 2002 2003 2004 Banques universelles 6,5 9,1 12,5 9,8 16 Banques spécialisées 2,7 -5,9 5,1 2,6 8,6 Etablissements financiers -4,5 0,2 -0,8 -1 9,9 Moyenne 4,5 5,1 10,1 7,4 14,2 Tableau 21: ROE par catégories d’institutions financières dans l’UEMOA. Source : BCEAO (2006c) Le tableau 21 souligne, là encore, l’écart de rentabilité existant entre les banques universelles (largement rentables), les banques spécialisées (rentabilité modérée ou bonne selon les années) et les établissements financiers qui souffrent d’une véritable méforme. A titre de comparaison, les institutions de microfinance de la zone UEMOA, quant à elles, ont affiché une rentabilité des fonds propres sur la période 1999-2003 de 7,5%, inférieure à la norme internationale de 15% admise pour le secteur. La rentabilité de l’actif (excédent net/total des actifs) a elle aussi été inférieure à la moyenne internationale : 1,7% contre 3% (BCEAO, 2006). La faible rentabilité des IMF est liée à leurs conditions d’exploitation et à des réseaux de collecte, de surveillance et de recouvrement beaucoup plus développés que ceux des banques. Ces prudences dans l’appréciation de la rentabilité des institutions financières africaines ne doivent néanmoins pas masquer la tendance à l’amélioration de leurs performances qui explique l’intérêt porté par de nombreux fonds d’investissements internationaux à différents acteurs du secteur48 et la forte croissance des valeurs bancaires cotées sur certaines places boursières du continent. 48 Le fonds russo-britannique Renaissance Capital détient ainsi 25% du 17ème groupe bancaire africain (Ecobank) et essaie d’augmenter son encours. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 170 Encadré n°7. Les performances des banques d’Afrique subsaharienne : rentabilité réelle ou artificielle L’analyse de la rentabilité des établissements bancaires africains a longtemps été un exercice sujet à caution et à précautions. En effet, plusieurs raisons étaient à même de venir nuancer les fortes rentabilités affichées par certains établissements subsahariens. Les pratiques comptables L’inadéquation des normes prudentielles et la faible supervision prudentielle ont parfois donné l’opportunité aux acteurs bancaires de majorer leurs résultats en s’affranchissant des règles orthodoxes de la comptabilité bancaire. Les primes de risque La juste rémunération du risque pris par les établissements bancaires a longtemps été un des moteurs de la forte rentabilité en ASS. En effet, dans un environnement économique risqué, la rémunération des capitaux devait intégrer une prime de risque élevée. La sous-capitalisation des banques et ses conséquences sur le ratio de rentabilité des fonds propres. Contrairement aux banques de l’OCDE et d’autres PED, de nombreuses banques africaines ont longtemps été affranchies de la réglementation Bâle I obligeant les banques à avoir un ratio risques pondérés/fonds propres égal à 8%. Ayant des obligations de capital réglementaire moindres, les établissements bancaires africains pouvaient afficher des coefficients de rentabilité supérieurs à ceux de leurs homologues suivant les normes Bâle I. Ces différentes nuances ne sont plus de mises pour plusieurs raisons. Premièrement, les filiales des grandes banques internationales opérant en Afrique adoptent, pour des raisons de consolidation et d’harmonisation des règles de gestion au sein du groupe, les normes prudentielles de la maison-mère. Deuxièmement, suite aux crises financières des années 80 et 90, de nombreux pays africains se sont engagés, sous l’influence du FMI et de la Banque Mondiale, à renforcer leurs règles prudentielles dans le domaine bancaire. Au terme de cet « ajustement structurel financier », les systèmes bancaires africains ont des normes de plus en plus proches des standards de l’OCDE. Troisièmement, les établissements financiers africains ont désormais des normes de gestion calquées sur les meilleures pratiques internationales. Leur actionnariat mais aussi leurs ambitions stratégiques expliquent cette évolution. Plusieurs banques africaines comptent parmi leurs actionnaires des fonds ou des actionnaires non africains qui imposent des règles de gestion conformes aux standards mondiaux. Le recours de plus en plus important aux marchés financiers internationaux pour lever des fonds participe de 49 cette logique . Les ratios de fonds propres se sont fortement améliorés au cours des dernières années dans les pays africains. Calculé sur la base d’un échantillon de banques africaines pat le FMI, le CAR ou Capital Adequacy Ratio moyen était de 15,5% en Afrique subsaharienne, chiffre qui traduit l’amélioration de la supervision et de la stabilité des banques (FMI, 2006). Le calcul sur l’échantillon des 75 premières banques d’Afrique subsaharienne fourni par le magazine African Business aboutit à un CAR moyen de 13% (avec un écart type de 8) et un ratio médian de 10,3%. Bien que l’écart entre les deux sources soit important, chacune traduit une réalité : les grandes banques africaines s’alignent désormais sur les standards internationaux (8%). Le ROA qui propose une vision moins biaisée de la rentabilité illustre aussi la bonne rentabilité des banques africaines lorsque celle-ci est mesurée par rapport aux actifs. 49 Cf. le cas de plusieurs banques nigérianes qui ont levé plusieurs milliards de dollars à la City en 2006 et 2007 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 171 Figure 39:Comparaison du ROE et du ROA de banques en fonction de leur implantation/appartenance sur la période 2000-2004. Source: Banque Mondiale (2007d) La baisse de l’inflation dans l’ensemble de la zone contribue, par ailleurs, à asseoir la justesse des calculs de rentabilité. La conjugaison de ces facteurs expliquent pourquoi plus que jamais la rentabilité affichée par les établissements africains peut être qualifiée de réelle. A contrario, on peut même penser qu’elle est parfois minorée par les techniques de provisionnement des risques… Cette amélioration de la rentabilité des établissements financiers en Afrique suscite des interrogations sur les facteurs à l’origine de celle-ci. Le retour de la croissance économique, la hausse des recettes d’exportation associées aux matières premières, une meilleure maîtrise de l’inflation sont autant d’éléments de l’environnement macroéconomique expliquant cette tendance. Au niveau des banques, elle semble toutefois plus liée à la perpétuation de commissions et de marges d’intermédiation élevées qu’à une forte amélioration de l’efficience interne. §2 – UNE RENTABILITE TRIBUTAIRE DU FAIBLE DEGRE DE CONCURRENCE ? L’excellente rentabilité du PNB des banques d’Afrique subsaharienne semble plus s’expliquer par une progression des marges que par la progression de l’efficacité. Au-delà de facteurs traditionnellement évoqués, cette situation pourrait trouver son origine dans le peu de discipline enregistrée dans les processus de gestion en raison du faible degré de concurrence. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 172 Figure 40: Frais de gestion bancaire/total des actifs (moyenne 2003-2005). Source : Banque Mondiale (2006) Les banques de l’espace subsaharien se caractérisent, en effet, par un niveau d’efficacité généralement plus faible que celui de leurs consœurs opérant dans d’autres PED. Le ratio frais de gestion bancaire/total des actifs constitue une approximation de l’efficience de la fonction de production bancaire (graphique 40). On peut constater une nette différence entre les performances affichées par les pays subsahariens et le reste des pays émergents bien que les banques de l’arc subsaharien aient amélioré leur efficience au cours de la dernière décennie. En fait, c’est l’amélioration du PNB et de ses déterminants (commissions et la marge d’intermédiation) qui alimente la progression de la rentabilité. En raison de leur forte croissance, les commissions représentent désormais une part de plus en plus forte du PNB pour de nombreux établissements subsahariens. Elles sont le fruit de différentes prestations associées aux conventions de compte (différents frais de tenue de compte ou alors de mise à disposition d’instruments de paiements) ou sont liées à l’octroi de produits financiers. Le volume de commissions engrangé au titre des conventions de compte est de plus en plus talonné voire supplanté par les commissions sur les transferts d’argent (Type Western Union ou MoneyGram), ces dernières étant généralement critiquées en raison de leur montant élevé par rapport aux revenus des ménages. La marge d’intermédiation des banques fait elle aussi l’objet de nombreuses critiques. D’après le Rapport Making Finance Work for Africa, les banques africaines présentent les marges d’intérêts les plus élevées au monde (800 contre 480 points de base pour les banques non africaines). Le spread est encore plus important en Afrique subsaharienne (Cf. graphique n°41). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 173 Figure 41: Spreads moyens sur la période 2002-2004 de différents pays. Source : Banque Mondiale (2006) Les banques subsahariennes sont caractérisées par une autre particularité : la non convergence du spread moyen subsaharien vers la moyenne mondiale. Dans un contexte marqué par une forte surliquidité (Cf. chapitre 5), le maintien du spread à des niveaux identiques à ceux des périodes de tensions portant sur l’accès à la liquidité accrédite une thèse : la non corrélation du spread avec le niveau de liquidité existant sur le marché ou alors la conjoncture économique. Le niveau élevé des spreads dans l’arc subsaharien a souvent été interprété comme le résultat d’une prime de risque plus forte associée aux marchés de cet espace. Or, depuis quelques années, les plans d’ajustement structurels produisent leurs fruits : l’inflation n’a jamais été aussi faible en ASS, les comptes nationaux ont été rétablis et contrairement à ce que pourraient laisser croire les évènements au Tchad, Kenya ou Darfour, cet espace n’a jamais été aussi calme depuis les indépendances (Cf. graphique n°1). La baisse des niveaux de risque politique et macroéconomique aurait dû avoir des répercussions positives sur le différentiel de taux mais sa quasi stagnation laisse supposer l’existence d’autres facteurs structurels. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 174 Figure 42: Evolution de la marge d’intérêt bancaire depuis 1996 dans différentes régions. Source : Banque Mondiale (2006) Parmi ceux-ci, de nombreuses études pointent désormais la forte concentration mais surtout le faible degré de concurrence bancaire comme étant un des facteurs explicatifs les plus pertinents du spread et de l’efficience des intermédiaires financiers. La section II revient sur les notions de concurrence/concentration, présentera une revue des différents efforts pour mesurer ces deux réalités au sein de l’arc subsaharien et les travaux faisant d’un faible niveau de concurrence le substrat idéal au développement d’inefficiences au sein de la firme bancaire. Au-delà des gains attendus en termes d’efficience de l’intermédiation, la concurrence peut avoir d’autres effets positifs ou négatifs. La section III analysera ceux-ci et formulera une hypothèse : suite aux crises financières qui ont affecté les systèmes financiers subsahariens, le recentrage de la fonction d’objectifs des systèmes financiers subsahariens sur la stabilité/rentabilité a entraîné une marginalisation des interrogations autour de la concurrence, pourtant source de diversité, de profondeur et d’accessibilité. SECTION II - CONCURRENCE ET EFFICACITE DES BANQUES AU SEIN DE L’ARC SUBSAHARIEN Au-delà de son utilisation par tout un chacun, la concurrence est une notion complexe et plurielle dont la compréhension des effets au sein des sphères bancaires subsahariennes requiert une excellente compréhension des tenants et des aboutissants (§1). Après avoir longtemps été Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 175 marginalisée voire ignorée, l’analyse de la concurrence dans les secteurs bancaires subsahariens enregistre depuis quelques années un regain d’intérêt notamment sous l’impulsion d’études lancées par la Banque Mondiale et le FMI (§2). §1 - LA CONCURRENCE : SES DIFFERENTES ACCEPTIONS ET TECHNIQUES DE MESURE La lecture des classiques, en économie, comme en littérature présente plusieurs avantages pour l’homme en quête de sens. Ils présentent, en général, des vérités universelles et complexes, souvent atemporelles avec le mérite de la clarté dans l’exposition des faits et des arguments, mais aussi un effort de catégorisation remarquable. En matière de concurrence, recourir aux classiques peut se révéler utile. Ainsi, faire appel à Adam Smith, génie protecteur des économistes, place cette analyse sous de bons auspices mais permet aussi de satisfaire cette recherche de clarté tout en ancrant historiquement l’évolution du concept de concurrence. La lecture d’un article de Stigler (1957) intitulé "Perfect Competition, historically contemplated" est fort édifiante et permet d’illustrer le génie conceptuel de la "Richesse des Nations" en matière de concurrence. En effet, si à la parution de l’ouvrage, le concept de concurrence était déjà largement débattu dans la littérature économique50, le mérite de l’ouvrage d’Adam Smith, au-delà d’une définition fonctionnelle de la concurrence (la concurrence comme facteur susceptible d’amener le prix de marché à un niveau auquel serait éliminé le surprofit mais aussi toute demande insatisfaite) réside dans la présentation de son caractère pluri morphe. Stigler reprend et présente les cinq conditions présentées par Smith et qui sont nécessaires à la matérialisation de la concurrence : 1-Les rivaux se doivent d’agir indépendamment et sans collusion ; 2-Le nombre de rivaux, potentiels et actuels, se doit d’être suffisants pour éliminer tout surprofit ; 3-Les unités économiques doivent posséder une connaissance suffisante des différentes opportunités de marché ; 4-Sur la base de cette information, les unités économiques doivent être libres de toute contrainte sociale et pouvoir prendre les décisions qui leur semblent les plus appropriées ; 5-Sur le long terme, la mobilité de tous les facteurs de production doit pouvoir être assurée. Ces différentes conditions sont toutes nécessaires à l’établissement d’un régime de concurrence mais au fil du temps, elles sont devenues différentes acceptions de la notion de concurrence, acceptions qui ont donné naissance à différents courants d’analyse de ce phénomène. Sur la base des conditions posées par Smith, une rapide présentation des cinq acceptions de la 50 Pour une revue de la littérature économique consacrée à la concurrence avant la Richesse des Nations, Cf. McNulty, P.J (1968), Economic Theory and the Meaning of Competition, Quaterly Journal of Economics 82 (639-656) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 176 définition de la concurrence sera effectuée dans le cadre africain (A) avant une brève introduction aux techniques de mesures de la concurrence (B). A- Les cinq acceptions de la notion de concurrence Adam Smith présente cinq conditions nécessaires pour caractériser un état de concurrence qui définissent cinq avatars de cette notion : (i) (ii) (iii) (iv) (v) la concurrence comme processus de rivalité ; la concurrence comme une structure de marché ; la concurrence comme processus de traitement de l’information ; la concurrence au sens liberté ; et la concurrence comme processus temporel. #1 - La concurrence comme rivalité L’expression concurrence peut être utilisée pour désigner un état de rivalité entre entreprises évoluant sur un même marché. Dans ce cas, le processus de rivalité peut mettre en jeu des compétiteurs déjà présents ou alors potentiels. La concurrence est alors appréciable à l’aune du comportement des entreprises et de l’existence d’un processus de rivalité. En effet, l’effectivité de la main invisible comme mécanisme d’allocation optimal des ressources est compromise si les firmes ne sont pas rivales. Cette dimension de la concurrence perçue comme rivalité est ancienne. On la retrouve notamment chez Ely (1901): "…Competition, in a large sense, means a struggle of conflicting interests…”. Stigler (1957) insiste, lui aussi, sur cette dimension: "…Competition entered economics from common discourse and for long it connoted only the independent rivalry of two or more persons…” De manière extrême, la concurrence comme absence de monopole présente chez certains auteurs peut être assimilée à une forme exacerbée de la concurrence-rivalité. En effet, des firmes preneuses de prix ne s’engagent pas dans des comportements de rivalité ou stratégiques. Cette vision est partagée par Chamberlin (1933) et Lerner (1934): Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 177 "…Monopoly ordinarily means control over the supply, and therefore over the price. A sole prerequisite to pure competition is indicated – that no one have any degree of such control…" Chamberlin (1933) "…the monopolist is confronted with a falling demand curve for his product…while the seller in a purely competitive market has an horizontal demand curve…" Lerner (1934): Par ailleurs, la concurrence comme processus de rivalité est parfois apparentée à un processus de sélection et d’élimination darwiniens. Cette conception de la concurrence est portée par un courant d’analyse de la concurrence fondé sur l’analyse du comportement (courant dit behavioriste) des acteurs de marché et les facteurs déterminant l’évolution des structures de marché (courant dit évolutionniste). Ces approches sont particulièrement pertinentes dans le cas des systèmes bancaires africains car les utilisateurs de services bancaires et la vox populi affirment que les banques ne se livrent pas à une concurrence en termes de rivalité. #2 - La concurrence comme structure de marché La deuxième condition mentionnée par Smith renforce l’impression d’un manque de concurrence au sein des systèmes financiers africains car elle met l’accent sur la structure bancaire et le nombre de concurrents. Elle repose sur l’ineffectivité de la main invisible lorsque le nombre d’acteurs actuels ou potentiels est faible. Cette définition de la concurrence privilégie une approche de cette notion en termes de structure de marché. Elle met l’accent sur le nombre et la distribution de la taille des entreprises et leurs coûts. Cette approche infère de la structure de marché le type de comportement concurrentiel. Elle est souvent qualifiée de courant structuraliste ou déterministe, un peu par opposition avec le courant behavioriste. Cet avatar de la concurrence constitue un axe d’analyse particulièrement intéressant de la concurrence au sein des sphères bancaires africaines dans la mesure où celles-ci sont souvent marquées par une forte concentration des dépôts et des encours de crédits entre les mains de quelques acteurs. #3 - La concurrence comme mécanisme de gestion de l’information Le troisième aspect (la concurrence comme processus de gestion de l’information), met l’accent sur l’effectivité limitée de la main invisible lorsque les entreprises bancaires ne sont pas conscientes des opportunités de gains. Il en va de même si les consommateurs méconnaissent les différentes offres bancaires. Bien que souvent méconnue ou alors considérée dans le cadre de l’économie de l’information, cette dimension est particulièrement importante dans la mesure où elle conditionne l’effectivité et la réalité du processus concurrentiel. Des acteurs mal informés et des consommateurs peu éclairés ne peuvent pas faire jouer la concurrence en leur faveur. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 178 Or, on peut s’interroger sur les efforts de communication des banques en Afrique et la portée de leurs canaux de transmission de l’information dans des environnements marqués par des taux d’analphabétisme assez importants. #4 - La concurrence comme garant de la liberté d’action La quatrième condition représente un apport majeur à l’analyse de la concurrence. En effet, elle insiste sur la notion de liberté d’action. Cette définition de la concurrence perçue comme l’absence de barrières à l’entrée a été portée par un courant de réflexion et de recherche souvent considéré comme précurseur de la théorie des marchés contestables51. Machlup (1942), faisait remarquer dès 1942 : "…In the succeeding discussion…the expression perfect competition …will exclusively denote free and easy entry into the industry…” (Machlup, 1942) Stigler (ibid) précisait la notion de concurrence quelques années plus tard: "…It seems preferable, therefore to adapt the concept of competition to changing conditions by another method: to insist only upon the absence of barriers to entry and exit from an industry in the long run normal period; that is, in the period long enough to allow substantial changes in the quantities of even the most durable and specialized resources…" #5 - La concurrence- processus temporel La cinquième condition insiste sur la dimension temporelle de la notion de concurrence car la main invisible n’est pas forcément efficace sur des périodes de temps ne permettant pas à la rivalité de s’exercer. D’où la nécessité d’analyser la concurrence sur un horizon favorisant l’entrée de nouveaux acteurs et l’utilisation de nouvelles combinaisons de production. Seule la réunion de ces cinq dimensions de la concurrence donne à cette notion toute son effectivité. Toutefois, l’analyse de la concurrence s’est développée principalement autour de l’approche béhavioriste qui privilégie le comportement des acteurs et de l’approche structuraliste qui associe degré de concurrence et structure de marché. Un rapide aperçu des techniques permettant de mesurer la concurrence dans le cadre de ces deux approches est présenté infra et permettra de caractériser cette notion dans la sphère subsaharienne. 51 Cf. les travaux de Baumol, W.J, Panzar J.C et Willig R.D (1982), Contestable Markets and the Theory of the Industry Structure, New York Harcourt Brace Jovanovitch Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 179 B- Les techniques de mesure de la concurrence La littérature sur la mesure de la concurrence s’organise autour de deux grandes approches : une approche structurelle et une approche dite non structurelle. L’approche structurelle, objet du (#2), intègre des théories aussi diverses que le paradigme Structure-Conduite-Performance, l’hypothèse d’efficience et d’autres méthodes qui puisent leurs racines dans les théories de l’économie industrielle. Le paradigme SCP essaie de déterminer si un marché concentré est source de comportements collusifs entre banques, comportements qui à leur tour confèrent à ces dernières des rentabilités exceptionnelles. L’hypothèse d’efficience, quant à elle, tente de démontrer qu’une plus grande efficience opérationnelle des banques est à l’origine de performances supérieures à la moyenne leur permettant de gagner des parts de marché, expliquant ainsi la concentration. Les modèles non structurels de mesure de la concurrence ont été développés afin de combler les déficiences empiriques et théoriques des modèles structurels. Le modèle de Panzar et Rosse (1987) s’inscrit dans cette lignée. Ignorant les mesures de concentration bancaire, il essaie de déterminer le comportement concurrentiel des banques et l’utilisation par ces dernières de leur pouvoir de marché (#3). Au-delà de leurs différences, elles partagent toute en commun une réflexion et des méthodes de détermination du marché pertinent objet du (#1). #1 - La définition du marché pertinent et des variables La concurrence et la concentration sont spécifiques à des marchés de produits ou de services mais aussi à des zones géographiques. Or, les banques proposent une multitude de produits qui ne sont pas distribués sur un seul marché. La mesure de la concentration et de la concurrence requiert donc comme préliminaire la définition du marché pertinent. Derrière cette notion fondamentale en économie industrielle, on retrouve en fait l’ensemble des fournisseurs d’un produit qui sont des concurrents actuels ou potentiels. La notion de marché a une double dimension : spatiale (zone, région, pays ou groupes de pays considérés) et commerciale (les produits susceptibles d’entrer en concurrence). La dimension commerciale du marché pertinent nécessite l’identification de l’ensemble des produits ou services bancaires qui sont considérés comme appartenant au même marché en raison de leur substituabilité par rapport à la demande du consommateur. Une bonne définition du marché pertinent est au cœur de toute politique efficiente en matière de concurrence. Il s’agit d’autant plus d’un enjeu de politique économique qu’un marché bancaire défini de manière trop étroite pourrait susciter des craintes infondées sur une éventuelle Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 180 absence de concurrence. Alternativement, un marché défini trop largement est susceptible de masquer un manque de concurrence. Les frontières géographiques d’un marché sont définies sur la base de contacts existant entre les acteurs actuels et potentiels du marché. Ces frontières sont définies en se basant sur le point de vue du consommateur et prennent en compte aussi bien des considérations liées aux consommateurs individuels que les caractéristiques du produit. La mobilité des clients bancaires et, par conséquent, les frontières géographiques du marché sont fonction du type de consommateur et de leur taille économique. Les produits de banque de détail ont en général un marché de taille locale alors que la banque d’affaires offre des produits dont le marché a une dimension régionale ou internationale. Les caractéristiques des produits influencent la mobilité des consommateurs dans la mesure où les emprunteurs semblent afficher une plus grande mobilité pour obtenir des opportunités de financement que les déposants. En ce qui concerne les différentes variables, certaines études ont recours au prix d’un service ou d’un produit comme mesure de la concurrence bancaire. On peut opter pour un prix moyen des produits et services proposés par les banques (taux d’intérêt moyen demandé pour les crédits, taux d’intérêt moyen rémunérant les dépôts ou alors du prix d’un service en particulier). L’utilisation du prix comme mesure de performances peut être sujet à caution en raison de phénomènes de subventions croisées entre différentes activités bancaires. De nombreux travaux emploient des indicateurs de profitabilités. Ils présentent l’avantage de consolider les profits et les pertes d’un établissement multi produits en un seul nombre et prennent en compte les phénomènes de subventions croisées. Il faut néanmoins remarquer qu’il peut ne pas exister de corrélation entre pouvoir de marché et profits car des pratiques opérationnelles inefficientes peuvent dégrader la profitabilité. Les inconvénients des différentes techniques expliquent le recours aux deux types de variables dans la majorité des études. Les variables de profitabilité peuvent servir à déterminer le pouvoir de marché alors que les variables de marché seront souvent utilisées pour déterminer le marché pertinent. Différents tests ont été développés afin de délimiter le marché pertinent. La méthode la plus communément utilisée par les autorités de la concurrence est le test du cartel ou du monopoleur hypothétique. Ce test a pour objectif d’identifier le plus petit ensemble de produits (respectivement de producteurs) contenant (respectivement produisant) le produit dont on recherche le marché pertinent pour lequel un cartel ou un monopoleur hypothétique contrôlant l’offre pourrait augmenter son profit en instituant une augmentation infime et permanente du prix par rapport au prix de concurrence. Ce test est aussi connu sous le nom de SSNIP (Small but Significant, NonTransitory Increase in Price) test. Cette approche sert non seulement à définir les frontières géographiques du produit mais aussi celles de ses substituts. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 181 Le Département de la Justice américain et la Federal Trade Commission (FTC) ont intégré ces principes dans l’édition de 1984 du Horizontal Merger Guidelines52 qui ont été repris par les autorités européennes de la concurrence #2 - Les indicateurs de concentration du marché bancaire Les ratios de concentration occupent une place centrale dans l’approche structurelle car ils concourent à la description de la structure de marché et mesurent notamment la concentration du marché bancaire. Ils permettent d’établir un lien entre concentration et concurrence. L’utilisation des ratios de concentration se justifie par leur capacité à appréhender un certain nombre de caractéristiques structurelles des marchés. Les ratios de concentration sont, par conséquent, souvent utilisés dans les modèles structurels afin d’expliquer les performances concurrentielles par la structure de marché. Par ailleurs, ils sont à même de fournir une idée de l’évolution de la concentration sur le marché aussi bien en raison d’une croissance externe ou interne. Deux revues de la littérature effectuées d’une part par Bikker et Haaf (2001)et d’autre part Bhattacharya et Das (2003) constituent une excellente introduction aux indices de concentration les plus fréquemment utilisés et permettent d’en établir une taxinomie en fonction de certaines de leurs propriétés. Il existe de nombreux ratios ayant pour finalité la mesure de la concentration. Toutefois, seuls quelques uns d’entre eux sont utilisés de manière régulière par les autorités de la concurrence ou alors par la littérature théorique et empirique. L’analyse portera, par conséquent, sur le ratio de concentration des k-premières banques, l’indice Herfindhal-Hirschman et l’indice de Rosenbluth. Le ratio de concentration des k-premières banques (CRk) La mesure la plus communément utilisée dans la littérature afin de déterminer le niveau de concentration régnant sur un marché bancaire donné est l’indice de concentration des parts de marché des k premières banques opérant sur celui-ci. Il s’obtient en additionnant les parts de marché des k plus grandes banques : 52 Cf. notamment Department of Justice and Federal Trade Commission (1992), Horizontal Merger Guidelines, Antitrust and Trade Regulation Report, 69(1559), Washington D.C. et pour une discussion de leur application Langenfeld, J, (1996), The Merger Guidelines as Applied, in Coate, M. et A. Kleit, eds., The Economics of the Antitrust Process. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 182 Toutes les banques intégrées dans le calcul bénéficient de la même pondération et l’indicateur fournit un résultat compris entre 0 et 1. La valeur minimale approche 0 pour un nombre infini de banques ayant la même taille et 1 lorsque les entreprises considérées pour le calcul représentent la totalité du secteur. Ce ratio est particulièrement apprécié en raison de sa simplicité et du nombre limité de données nécessaires à son calcul. La perfection étant un idéal difficile à atteindre, cet indicateur de concentration souffre du choix arbitraire du nombre k de banques retenues pour son calcul. Indice Herfindhal-Hirschmann (HHI) Dans le cadre d’une industrie bancaire comprenant n établissements ayant chacun une part de marché si, l’indice Herfindhal-Hirschmann se définit comme la somme du carré des parts de marché de l’ensemble des banques. En raison de la simplicité de son calcul, l’indice Herfindhal-Hirschmann arrive en deuxième place du classement des indices de concentration les plus utilisés. Il associe à cette qualité un autre avantage : son aptitude à prendre en compte les caractéristiques de l’ensemble des banques appartenant à la distribution, raison pour laquelle il est souvent considéré comme un indice d’information complet. Il sert, par ailleurs, d’étalon pour l’appréciation d’autres indices de concentration et constitue un indicateur avancé de concentration du marché employé par de nombreuses autorités de concurrence. Aux Etats-Unis, par exemple, une autorisation de fusion entre deux banques ne sera acceptée par les autorités ad hoc que si l’évaluation d’impact en matière de concentration sur le marché des dépôts est positive. Les normes en vigueur stipulent que la valeur de l’indice HHI ne doit pas dépasser 0.18. Par ailleurs, la hausse de l’indice ne doit pas dépasser 0,02 après la fusion (Cetorelli, 1999). Selon que l’on utilise une échelle de part de marché allant de 0 à 1 ou de 0 à 100, les valeurs de l’indice Herfindhal s’échelonnent de 1/n (respectivement 10 000/n) à 1 (respectivement 10 000). Les deux valeurs extrêmes sont celles obtenues en situation de concurrence pure et parfaite ou de monopole. Plus les banques sont de tailles équivalentes, plus l’indice HHI est petit. Nonobstant sa popularité, la mesure de concentration HHI présente un certain nombre d’inconvénients. En premier lieu, des distributions de part de marché fondamentalement différentes sont susceptibles de produire des indices similaires (Rhoades, 1995). Il accorde une prime aux grandes banques dans la mesure où le carré démultiplie leur impact sur l’indice. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 183 Kwoka (1985) relie l’indice HHI aux théories en matière de distribution en réécrivant l’indice HHI comme une fonction croissante de la variance des parts de marché des différentes banques: en posant, on obtient : Indice Rosenbluth (Rosenbluth Index) RI et Indice Hall-Tideman (HTI) Les indices de concentration définis par Hall et Tideman (1967) d’une part et Rosenbluth (1955) d’autre part présentent de fortes similitudes aussi bien dans leur forme que dans leur essence. Hall et Tideman, en particulier, mettent l’accent sur la nécessité d’intégrer le nombre de banques dans le calcul de l’indice de concentration car ce dernier reflète les conditions d’entrée dans une industrie. L’indice de Hall et Tideman prend la forme : La part de marché de chaque banque est pondérée par son classement afin de s’assurer de la prise en compte du nombre de banques. Ainsi, si la banque la plus grande reçoit un poids égal à i=1. Les valeurs de l’indice HTI sont comprises entre 0 et 1. Il est proche de 0 pour un nombre infini de banques de taille identique et atteint 1 en cas de monopole. L’indice de Rosenbluth est relié à la courbe de concentration. A titre de rappel, la courbe de concentration représente la somme cumulée des parts de marché des différentes banques prises dans un ordre croissant. La valeur affichée en tout point de la courbe représente le pourcentage qu’occupe les i plus grandes banques au sein de l’industrie. Contrairement au ratio de concentration des premières banques, l’indice Rosenbluth prend en compte le poids de chaque unité présente dans la distribution par taille. L’utilisation des classements des banques comme pondération pour le calcul de l’indice rend ce dernier sensible à tout changement intervenant dans la distribution des banques de faible taille. L’indice de Rosenbluth est calculé à partir de l’aire se situant au dessus de la courbe de concentration. La valeur de cette aire étant désignée par C, l’indice de Rosenbuth est de la forme : qui est équivalent à l’indice HTI pour Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 184 La seule différence entre les deux indices réside dans le classement des banques. Pour un degré d’inégalité donnée, l’indice RI décroît avec le nombre de banques. La valeur de l’indice de Rosenbluth est fortement influencée par les petites banques appartenant à la distribution d’où la nécessité d’analyser des déviations concurrentielles dans des industries fortement concentrées avec prudence. #3-Les méthodes de mesure non structurelles Face aux limites de l’analyse structurelle présentées par les théoriciens de l’école des marchés contestables, différents modèles économétriques ont été développés afin de mesurer le niveau de concurrence au sein du marché bancaire. Le modèle de Panzar et Rosse (1987)53 s’inscrit dans cette lignée. Ce modèle, ignorant les mesures de concentration bancaire, essaie de déterminer le comportement concurrentiel des banques et l’utilisation par ces dernières de leur pouvoir de marché. Le modèle de Panzar et Rosse cherche à déterminer dans quelle mesure un changement dans le prix des facteurs de production sera répercuté à l’équilibre sur les recettes générées par une banque dans le cadre d’un modèle d’équilibre à la Chamberlain. Il suppose que les banques utilisent des stratégies de tarification différentes en réponse à des changements des coûts des facteurs de production en fonction de la structure de marché dans laquelle elles opèrent. Pour ce faire, le modèle de Panzar et Rosse s’attache à mesurer les différentes élasticités de la recette (dans notre cas le produit bancaire) par rapport aux différents coûts des facteurs. Ces dernières mesurent la variation du produit bancaire suite à une variation du coût d’un des facteurs de production de la firme bancaire. L’intuition géniale de Panzar et Rosse réside dans l’utilisation de ces différentes élasticités pour mesurer les conséquences d’un changement du prix des facteurs de production sur le produit bancaire de la firme en situation d’équilibre. Pour ce faire, ils dérivent des différentes élasticités revenus par rapport au coût des facteurs et obtiennent une variable H, somme de l’ensemble de ces élasticités. Celle-ci traduit l’impact sur le produit bancaire d’une augmentation d’un pourcent de l’ensemble des coûts de production bancaire. L’interprétation de la grandeur H peut se faire en suivant le raisonnement classique de l’économie de la concurrence (Prasad et Ghosh, 2005). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 185 La variable statistique H prend des valeurs comprises entre −∞ et 1. H est inférieure à 0 si le marché considéré est en situation de monopole. Elle prend des valeurs comprises entre 0 et l’unité pour d’autres structures de concurrence telles que l’oligopole et H prend une valeur égale à l’unité en situation de concurrence parfaite. Si H est égale à 1 (concurrence pure et parfaite), ceci signifie qu’une hausse d’un pourcent de l’ensemble du coût des facteurs de production entraîne une hausse équivalente de la recette de l’entreprise, suite à une augmentation des prix mise en œuvre pour faire face à l’augmentation du coût des intrants. Dans cette structure de marché concurrentielle, une augmentation du coût des facteurs entraîne sur longue période une augmentation de même ampleur de la recette totale quelque soit la firme considérée. H égale à l’unité peut aussi correspondre à un monopole naturel évoluant dans un marché parfaitement contestable. Le tableau 22, récapitule les différentes valeurs prises par la variable H et le type de structure de marché correspondant. Valeurs prises par H H≤0 0<H<1 H=1 Structure de marché Monopole, différentes variations Oligopole Concurrence monopolistique Concurrence pure et parfaite. Monopole naturel dans un marché parfaitement contestable Tableau 22: Les différentes valeurs prises par la variable H et le type de structure de marché correspondant §2-LES SYSTEMES BANCAIRES D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE : ENTRE FORTE CONCENTRATION ET FAIBLE CONCURRENCE A-Des systèmes fortement concentrés Le graphique n°43 recense les ratios de concentration des actifs des trois premières banques dans différents pays développés et en développement. Les pays d’Afrique subsaharienne s’inscrivent largement dans une tendance de forte concentration des acteurs bancaires avec un ratio de concentration des trois premières banques souvent largement supérieur à 50%. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 186 Figure 43: Concentration des actifs des trois premières banques (moyenne 2003-2005). Source : Banque Mondiale (2006) Les systèmes financiers subsahariens et leur compartiment bancaire sont le plus souvent dominés par des structures de marché oligopolistiques. Au sein des plus petits d’entre eux, l’oligopole est souvent homogène (oligopole concentré autour de quelques acteurs majeurs ayant la même surface). Sur de tels marchés, l’homogénéité des acteurs fait des guerres tarifaires une des seules possibilités de concurrence à court terme et accorde une place déterminante aux établissements ayant les coûts les plus faibles. Par ailleurs, la vitesse de diffusion de la technologie au sein du marché constitue une puissante barrière à l’entrée. D’autres marchés accueillent des oligopoles avec frange qui se caractérisent par la cohabitation d’un centre oligopolistique avec une frange concurrentielle. Au sein de celle-ci, la présence de petites firmes s’explique par la forte segmentation du marché avec une grande spécificité de la demande et l’existence de niches. Les grandes firmes ne cherchent pas à occuper ces segments du fait de leur stratégie de minimisation des coûts et préviennent tout risque de cartellisation des petites firmes en utilisant leur pouvoir de marché afin de définir ceux susceptibles de leur assurer des parts de marché confortables. Cette situation correspond à la structure de marché dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne francophone. Dans ceux-ci, deux ou trois grandes banques se partagent parfois plus de la moitié du marché tandis que quelques banques plus petites se partagent les restes. Les pays de la CEMAC obéissent généralement à ce mouvement oligopolistique soit sous sa forme homogène (cas du Tchad et de la Guinée équatoriale) ou à frange (Cameroun notamment). Fin 2005, la CEMAC comptait 33 banques de dépôts en opération, soit pratiquement autant que le Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 187 Kenya. Le système bancaire de cette sous-région s’inscrit sous le double sceau de la concentration. Concentration géographique tout d’abord, car il est dominé par les établissements des deux puissances économiques régionales : le Gabon et le Cameroun. Ces deux pays représentent près de 75% des prêts et des dépôts. Concentration au sein des acteurs nationaux ensuite : la majorité des actifs est détenue par quelques filiales de grands groupes internationaux. L’indice Herfindahl-Hirchman Index (HHI) fournit de précieuses précisions sur la distribution de la concentration des acteurs du marché et atteste de la forte concentration bancaire au sein de la zone CEMAC (à titre de rappel, ces valeurs s’échelonnent de 10 000 -une seule banque détient le marché- à 1 -absence totale de concentration et banques de tailles équivalente, tandis que des valeurs comprises entre 1000 et 2000 témoignent d’un degré de concentration faible). Le tableau n°23 reprend les niveaux de concentration observés au sein de la CEMAC en 2002 et 2005. Seuls deux pays se situent en dessous du seuil des 2000, synonyme de faible concentration : le Cameroun, quelque soit l’année d’étude et le Tchad en 2005 (1933). Les autres pays affichent des valeurs témoignant d’un niveau élevé de concentration même si celui-ci semble s’inscrire à la baisse. Pays Indice HH (2002) Indice HH (2005) Cameroun 1621 1416 République Centrafricaine 3673 3421 Congo 3098 2689 Gabon 2716 2734 Guinée Equatoriale 4346 3832 Tchad 2154 1933 Tableau 23: Indice de concentration Hirschmann-Herfindhal pour différents pays de la CEMAC en 2002 et 2005. Source : Saab et Vacher (2007) Au-delà de la concentration qui n’est que le reflet d’une structure de marché, le comportement non concurrentiel des acteurs peut constituer la véritable entrave à la création de systèmes financiers efficaces et à même de fournir des services à des prix abordables pour les populations et entreprises locales. En effet, des marchés financiers peu concurrentiels peuvent constituer des freins puissants à l’innovation, à l’extension de l’offre de crédit mais aussi à la baisse des prix. B-Des systèmes financiers caractérisés par une concurrence limitée La détermination du degré de concurrence au sein de la sphère bancaire est un exercice difficile car les indicateurs de structure (indices de concentration, par exemple) apportent une idée Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 188 de la concentration des acteurs et de leur distribution sans toutefois apprécier le niveau de concurrence réelle. Le tableau n°24 reprend les tests de Panzar et Rosse réalisés pour différents pays africains et européens. Bien que devant être considérés avec précautions, ils sont instructifs à plus d’un titre. Premièrement, bien que les valeurs de la statistique H situent les systèmes bancaires subsahariens dans le vaste champ de la concurrence monopolistique, le niveau de concurrence au sein de l’arc subsaharien est loin d’être homogène. Certains pays et zones se caractérisent par des niveaux de concurrence très faibles, s’approchant de processus oligopolistique ou de monopole (CEMAC, Ouganda) tandis que d’autres enregistrent des valeurs de H les faisant flirter avec des niveaux de concurrence élevés (Afrique du Sud). Deuxièmement, après comparaison avec les pays de l’Union Européenne, les pays de l’arc subsaharien n’ont pas finalement « à rougir » des niveaux de concurrence révélés par la statistique H. Ainsi, la valeur affichée pour la CEMAC est assez proche de celle de l’Espagne. L’Afrique du Sud approche les performances finlandaises. Pays Période Statistique H Nombre de banques CEMAC 1993-2004 0,27 32 Ouganda 1999-2002 0,3 15 Ouganda 2002-2004 0,49 15 Ghana 1998-2003 0,56 13 Kenya 1994-2001 0,58 34 Nigeria 1994-2001 0,67 42 Afrique du Sud 1994-2001 0,85 45 Espagne 1986-2005 0,34 438 Royaume-Uni 1993-2003 0,33 703 France 1993-2003 0,20 1047 Belgique 1993-2003 0,71 261 Finlande 1993-2003 0,94 53 Tableau 24: Valeurs de la statistiques H dans différents espaces géographiques africains. Source : Buchs et Mathisen (2005),Casu et Girardone (2005), Saab et Vacher (2007) Troisièmement, le niveau de concurrence au sein des sphères bancaires africaines évolue rapidement : à titre d’exemple, en Ouganda, la statistique H est passée de 0,3 (période 1999-2002) à 0,49 (période 2002-2004), bien que le nombre d’établissements bancaires soit demeuré constant. Le processus de consolidation/restructuration du système bancaire nigérian et l’entrée de nouveaux acteurs au sein des secteurs bancaires de la CEMAC et de l’UEMOA devraient entraîner Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 189 d’importantes variations dans la valeur de la statistique H et plus largement dans la nature des processus concurrentiels. Figure 44 : Evolution du nombre de banques dans les pays de l’UEMOA entre 2002 et 2007. Source : Jeune Afrique (2007) Cette entrée de nouveaux acteurs perturbent des équilibres concurrentiels longtemps figés par l’existence de jeux répétés sur plusieurs périodes et espaces géographiques54. En situation de jeux répétés, les établissements bancaires connaissent les actions antérieures de leurs rivaux et les actions de la période courante sont conditionnées par celles des périodes antérieures. Les banques maximisent alors leurs profits sur un ensemble de périodes et adoptent des stratégies différentes de celles traditionnellement mises en œuvre à court terme. En effet, dans le cadre d’un jeu mono période intégrant un dilemme du prisonnier, chaque banque considère pour donnée la stratégie de ses rivales et suppose n’avoir aucune influence sur celle-ci. Sur longue période, un tel raisonnement n’est plus de mise et les établissements financiers gagnent à s’entendre et à contourner le dilemme du prisonnier. Les lois de protection de la concurrence interdisant toute forme de communication directe, ces contournements ou ententes peuvent se faire indirectement par l’adoption d’une stratégie révélatrice de leurs intentions (signalisation/représailles). 54 D’après l’étude PricewaterhouseCoopers (2007), les dirigeants de banques ivoiriennes et sénégalaises interrogés considèrent désormais la concurrence comme appartenant aux facteurs exerçant une pression forte sur leurs activités. Ils considèrent, par ailleurs, leurs marchés respectifs comme étant saturés. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 190 Les banques peuvent signaler leur stratégie à leurs concurrents par une baisse du niveau de production. Cette action indique une volonté de coopérer durant les périodes à venir. Une réaction identique des autres acteurs du marché annonce leur volonté de coopérer. Sinon, ils s’exposent à une hausse en guise de rétorsion. Les jeux répétés ne génèrent pas forcément la coopération. Celle-ci est fonction des moyens dont disposent les joueurs pour sanctionner les comportements non coopératifs et de la stratégie qui maximise la valeur actualisée de leur profit. Les principales variables exerçant une influence sur le profit actualisé étant le taux d’intérêt (ou taux d’actualisation), la durée du jeu et la crédibilité de la menace, différents facteurs présents dans la sphère financière africaine favorisent la mise en place d’équilibres coopératifs. Pour le banquier, un taux d’actualisation élevé augmente la préférence pour le présent et limite la valeur de la chronique des profits futurs. Pour que la crainte de sanctions soit une menace suffisante pour susciter la coopération, les taux d’intérêt doivent être faibles. Or, les pays de l’arc subsaharien ayant enregistré sur longue période des niveaux de taux d’intérêt réels négatifs ou assez faibles, leurs secteurs bancaires ont longtemps satisfait une des conditions favorables au développement de stratégie de coopération. Ils réunissent souvent deux autres conditions nécessaires au développement de phénomènes de coopération : la longueur des jeux (plus un jeu est long et se répète, plus les entreprises sont incitées à adopter une stratégie de coopération afin de ne pas cumuler les sanctions) et la crédibilité de la menace de représailles55. Les jeux dans de nombreux pays africains sont anciens et remontent parfois à la période coloniale. Les grandes banques sont souvent les héritières des banques coloniales ou alors des monopoles publics de la période des indépendances. Austin et Ugochukwu Uche (2007) décrivent parfaitement ce processus de répartition des parts de marchés bancaires par zones géographiques et clientèles en Afrique de l’Ouest anglophone et francophone, avant et après les indépendances. De tels mécanismes de coopération sont d’autant plus monnaie courante que le secteur financier a longtemps été un club restreint en Afrique avec des acteurs se connaissant tous et évoluant dans le cadre d’une véritable économie des clubs. La stabilité d’un équilibre coopératif étant d’autant plus élevée que le nombre d’établissements est faible, le nombre relativement restreint d’établissements bancaires opérant dans les pays subsahariens au cours des deux dernières décennies a renforcé la naissance de comportements coopératifs. 55 La stratégie de menace n’est crédible que si les entreprises s’y tiennent quelque soit le sous-jeu considéré, c’est-à-dire un nouveau jeu qui débute à une période t quelconque et dure jusqu’à la dernière période. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 191 Le facteur géographique amplifie la dimension temporelle car les réseaux des grandes banques étrangères cohabitent souvent dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. Le déclenchement d’une guerre des prix par un acteur dans un pays aurait sans aucun doute des répercussions pour ses filiales implantées dans d’autres pays en raison des représailles mises en œuvre par ses concurrents disposant de réseaux panafricains. Ce véritable « équilibre de la terreur » dissuade fortement les révisions tarifaires susceptibles de bénéficier aux entrepreneurs et ménages. Les barrières à l’entrée, en limitant la portée de la contestabilité ont très souvent amplifié ces phénomènes56. Figure 45: Matrice de contestabilité des différents sous marchés bancaires sud-africains. Source : Task Group Report for the National Treasury and the South African Reserve Bank (2004), Au-delà d’une présentation qualitative des barrières, il existe malheureusement peu d’analyse quantitative du degré de constestabilité des marchés bancaires subsahariens. Celles-ci sont d’autant plus rares que la mesure du degré de contestabilité et son effectivité doivent normalement 56 On peut citer l’image de marque des banques établies de longue date, la réputation des banques étrangères, les coûts élevés pour introduire différentes innovations technologiques, les textes réglementaires favorisant les banques déjà actives, les réseaux de connaissance et liens plus ou moins formels avec les régulateurs. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 192 être effectuées par marché et sous marché. L’Afrique du Sud est le seul pays africain pour lequel un tel travail a été réalisé à l’aide d’une matrice de constestabilité bancaire détaillée57. Au sein de cette matrice, un sous marché est défini par le type de consommateurs et de produits. Les nombres dans chaque cellule indiquent la plus ou moins grande facilité d’entrée dans le sous marché (de 0, faible contestabilité à 10, forte contestabilité). En raison du degré de maturité financière du marché sud africain, les résultats de ce pays constituent à l’échelle subsaharienne un benchmark pour les autres pays subsahariens. Ils caractérisent une contestabilité à géométrie variable, fonction du type de marché considéré. Celle-ci est beaucoup plus importante pour les ménages à hauts revenus et les grandes entreprises quelque soit le type de produits financiers. Pour ces deux types de clientèles, une analyse par type de produit révèle des niveaux de contestabilité plus forts pour les services, les dépôts et les crédits par rapport aux moyens de paiements. Pour les trois premiers produits, le niveau de contestabilité est élevé en raison de la facilité des grandes entreprises et ménages à hauts revenus à accéder aux marchés internationaux pour trouver des substituts ou des concurrents aux acteurs financiers sud-africains. En matière de moyens de paiement, cette mise en concurrence internationale est plus difficile en raison de leur utilisation dans un cadre national. L’étude de PricewaterhouseCoopers, s’appuyant sur les réponses de dirigeants de différentes institutions financières africaines, caractérise les marchés de la banque de détail et de la banque commerciale comme étant les plus soumis aux pressions concurrentielles en Côte d’Ivoire, au Sénégal et au Kenya. Toutefois, si les banques kenyanes affirment avoir procédé à de profonds changements stratégiques sur ces deux segments de marché, les banques ivoiriennes et sénégalaises ne se sont livrées qu’à de légères modifications. A contrario, les marchés du crédit immobilier, de la banque d’affaires et d’investissement affichent une concurrence limitée (PricewaterhouseCoopers, 2007). Au final, que ce soit en termes de structure (concentration) ou de comportements, les marchés bancaires africains semblent définitivement caractérisés sur longue période par des niveaux de concurrence faibles. Au-delà des risques micro et macro ou de la qualité des infrastructures, ces niveaux réduits de concurrence sont de plus en plus envisagés comme étant une des explications du faible niveau d’efficience des acteurs bancaires (§3). §3-FAIBLE CONCURRENCE ET FAIBLE EFFICACITE BANCAIRE : LE LIEN PAR LES INEFFICIENCES X 57 L’étude réalisée par le cabinet PricewaterhouseCoopers, Initial Perspectives on Strategic and Emerging Banking Issues in Key African Markets, apporte quelques informations sur la nature de la concurrence et de la contestabilité au Kenya, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 193 La concurrence comme aiguillon de l’efficacité des établissements bancaires n’a pas toujours été un thème à la mode dans l’espace subsaharien. Comprendre le rôle de la concurrence sur la gouvernance et l’efficience des banques africaines (B) requiert, par conséquent, un détour par la théorie de l’organisation de la firme et une introduction à la notion d’excédent organisationnel (A). A-Le « slack » comme mesure du degré d’inefficience des processus de la firme Loin de la vision néoclassique faisant de l’entreprise une boîte noire soumise à des comportements de maximisation du profit et de minimisation des coûts, elle est le lieu de coalitions entre groupes (salariés, dirigeants, actionnaires) possédant chacun des fonctions d’objectifs divergeant de celle des propriétaires, en l’occurrence la maximisation du profit. Cette présentation plus fine de l’entreprise a été présentée par Cyert et March (1960) afin de définir la notion de "slack" (le « mou » dans une traduction littérale française) ou excédent organisationnel. L’excédent organisationnel correspond aux paiements faits aux différents membres des coalitions pour les inciter à demeurer au sein de l’organisation. Il correspond à l’écart entre la situation optimale décrite par l’économie néoclassique et la réalité des comportements humains (Michard, 2000). Ces paiements, selon Cyert et March, permettent d’assurer la cohésion de la structure et sa viabilité mais entraînent une déperdition de ressources qui affectent le résultat comptable de l’entreprise. Le "slack" représente l’ensemble des paiements effectués aux différents membres des coalitions qui sont excédentaires par rapport à ce qui est nécessaire à l’activité et à la survie de l’organisation (Cyert et March, 1959). Intuitivement, on peut penser que cette dérive des objectifs de l’organisation est d’autant plus vive que le processus concurrentiel est faible. Cette intuition qui veut que la concurrence soit une condition à la réalisation de l’efficience opérationnelle est assez ancienne58. En dépit de celle-ci, la majorité des recueils académiques considéraient jusqu’aux années 1960 comme acquis une vérité théorique: les entreprises combinaient de manière efficiente les facteurs de production, minimisaient leurs coûts de production et de distribution pour chaque niveau de production. Ce postulat dérive du comportement de maximisation du profit sous-tendant la théorie de la firme que l’on soit en oligopole, monopole ou concurrence. Cette vision idéaliste a été profondément remise en cause par Harvey Lebenstein (1966). 58 Bien avant Lebenstein et son analyse de l’efficience X, Chadwick écrivait en 1859: “…where a single tradesman is permitted to have the entire and unconditional possession of a field of service, as in remote rural districts, he generally becomes indolent, slow, unaccommodating, and too often insolent, reckless of public inconvenience, and unprogressive. To check these evils, competition of a second is no doubt requisite.” Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 194 Pour Lebenstein, sur des marchés caractérisés par une concurrence imparfaite, les coûts de production ont tendance à être supérieurs au niveau minimum requis pour une production efficiente. Cette divergence du coût efficient résulte des comportements des managers et des employés qui substituent, partiellement ou totalement, leurs propres intérêts à la maximisation du profit, objectif numéro un des actionnaires. Le slack qui résulte de ces comportements divergents peut être mesuré de trois manières. La première méthode se fonde sur l’analyse comptable des surévaluations budgétaires, des dépenses discrétionnaires des dirigeants mais aussi des coûts de non qualité. La deuxième approche est fondée sur la comparaison avec les meilleures entreprises du secteur. Elle repose sur le benchmarking ou alors la construction de frontières d’efficience. La dernière technique est celle proposée par Lebenstein dans ses travaux. Depuis ceux-ci, il est de coutume d’appeler inefficience X l’écart entre le coût de production minimum et le coût réel. Or, pour Lebenstein, il existe une relation entre degré de pouvoir de marché et inefficience X. B- La concurrence comme facteur de bonne gouvernance des entreprises bancaires Crew, Rowley et Jones-Lee (1971), s’inspirant des travaux de Lebenstein, ont développé la X Theory de l’entreprise afin d’expliquer la coexistence d’inefficiences X et de l’objectif de maximisation du profit sur des marchés concurrentiels. Pour Crew et al., la maximisation du profit est l’objectif central de la firme - dans notre cas de l’entreprise bancaire. Toutefois, la séparation entre propriété et gestion effective de l’entreprise génère des écarts entre les fonctions d’utilité des gestionnaires et du personnel et celles des actionnaires avec de potentielles divergences de l’objectif de maximisation du profit. La concurrence et la crainte d’une menace de faillite exercent un effet de discipline aussi bien sur les gestionnaires et les employés en alignant leurs objectifs personnels avec celui de maximisation du profit. Or, la baisse du degré de concurrence crée un terreau favorable à une démotivation du personnel et crée un terreau favorable à l’émergence d’inefficiences X. Plusieurs solutions ont été envisagées pour remédier aux inefficiences X : la discipline par le marché, la menace d’acquisition, les stock-options, la rémunération à l’objectif. Malheureusement, la majorité de ces mesures ont un coût pour l’entreprise et ponctionnent des ressources qui doivent être intégrées dans la fonction de coûts, rehaussant d’autant celle-ci. On peut en déduire que les fonctions de coûts de banques opérant sur des marchés non concurrentiels sont, ceteris paribus, plus élevées qu’en situation de concurrence. Il est possible de percevoir les effets des inefficiences X sur offre de crédit et le taux demandé dans le cadre du modèle d’arbitrage de Williamson. Dans cette version adaptée à la sphère bancaire (figure 45), les coûts du monopoleur sont réduits par la présence d’économies d’échelle mais rehaussées par le surcoût associé aux inefficiences X. Elle permet, par ailleurs, de mettre en évidence l’arbitrage entre les inconvénients liés à une structure de marché non concurrentielle (inefficiences X, niveau de Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 195 production plus faible et prix plus élevé) et les avantages de la grande taille (économies d’échelles et possibilités de répercuter celles-ci vers les clients à travers des baisses des prix). La figure 45 présente deux cas de figure : dans le premier scénario, les économies d’échelles l’emportent sur l’élévation des coûts liés aux inefficiences X tandis que dans le second scénario, les coûts résultant des inefficiences X sont supérieurs aux gains nés des économies d’échelles. En situation de concurrence, la courbe de coût moyen de l’ensemble des établissements bancaires est confondue avec la courbe de coût marginal (Cm). L’industrie offre un volume de crédits OQ1 au taux d’intérêt OP2. Lorsque l’intégralité de la production de la branche est réalisée par un établissement bancaire monopoleur, celui-ci profite des économies d’échelles réalisées (sa courbe de coût marginal Cm2 est plus basse que Cm) mais il doit subir la hausse des coûts résultant de l’augmentation du slack organisationnel. Le monopole est une structure plus efficiente que la concurrence si les économies d’échelles dégagées l’emportent sur les inefficiences X. Si l’inefficience X n’absorbe pas toutes les économies d’échelles, la courbe de coût de l’entreprise est (Cm2<Cm). La banque en situation de monopole propose un volume de crédit OQ2 au prix OP2. Graphiquement, l’arbitrage s’effectue entre les gains associés aux économies d’échelles (l’aire P1BDC2) et la perte liée au slack (triangle de Harberger ABC). A l’inverse, lorsque l’inefficience X et les mesures de discipline absorbent les économies d’échelles, le monopoleur bancaire a une courbe de coût Cm3>Cm avec un niveau de crédits offerts OQ3 au taux d’intérêt OP3. Il n’y a pas d’arbitrage dans la mesure où le coût additionnel doit être ajouté au triangle de Harberger pour calculer la perte imputable au monopole. Les études menées sur l’efficience X au sein des banques attestent de l’existence de nombreuses inefficiences en matière de coûts [Cf. les travaux de (Northcott, 2004) pour une revue de la littérature). Bien que fondées principalement sur des études américaines, ces travaux font état de près de 20 pourcent d’inefficiences. En dépit d’une volonté d’identifier leurs origines (taille des banques, organisation de la banque, caractéristiques des marchés, âge de la banque, ratio prêt/actif), les résultats sont mitigés. Toutefois, ces études s’accordent sur l’existence de gains potentiels en matière d’efficience. Autre conclusion intéressante de ces études : le lien entre structure concurrentielle et plus grande efficience semble être établi empiriquement. Angelini et Cetorelli (2000) affirment que l’industrie bancaire italienne est devenue plus compétitive après les réformes réglementaires introduites en 1993. Schure et Wagenvoort (1999) mettent en exergue une amélioration de l’efficience X dans le secteur bancaire italien après 1993. Evanoff et Ors (2002) concluent qu’une amélioration de la concurrence (mesurée comme une augmentation de l’entrée ou alors la création de concurrents viables) est associée à l’efficience X dans le secteur bancaire américain. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 196 Taux d’intérêt Les implications en termes de bien être des inefficiences X F P3 A P2 Cm3 B C P1 C2 E D O Q3 Q2 Cm Cm2 Q1 Volume de crédits Figure 46: Les implications en termes de bien être des inefficiences X. Source : adaptation à la sphère bancaire par l’auteur d’après Rowley, C. et Rathbone, A. (2004) Il n’existe malheureusement pas d’études sur les inefficiences X portant sur l’ensemble des pays de l’arc subsaharien en raison de la qualité, de la rareté, de la non homogénéité des données et de la difficulté à y accéder59. En reprenant toutefois le cas sud africain, Okeahalam (2006), se basant sur l’étude de 61 filiales de banques établies dans l’ensemble du pays, estime que celles-ci pourraient réduire leurs coûts de 17% en améliorant leur degré d’efficience. L’amélioration de la concurrence pourrait donc avoir des effets non négligeables sur le degré d’efficacité des banques subsahariennes. Face à cette conclusion à même de satisfaire les utilisateurs des systèmes financiers subsahariens, la crainte des institutions bancaires de perdre une partie de leurs revenus substantiels liés au faible degré de concurrence traduit l’existence d’un délicat arbitrage entre les deux éléments contribuant à la rentabilité : le PNB et la gestion des coûts. 59 Obtenir des données (notamment microéconomiques) sur l’ensemble du système financier apparaît difficile. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 197 L’incertitude associée aux effets de la concurrence pourrait expliquer que dans de nombreux pays africains l’arbitrage ait accordé une moindre attention aux effets de la concurrence sur l’efficacité, inhibant les effets potentiels dans ce domaine. SECTION III – LE PARI DES PAYS SUBSAHARIENS : LIMITER LA CONCURRENCE POUR FAVORISER LA STABILITE AU DETRIMENT DE L’EFFICACITE ET DE LA DIVERSITE ? Suite aux crises financières qui ont affecté les économies subsahariennes à partir du milieu de la décennie 80 (Cf. partie III pour une présentation détaillée), les plans d’assainissement/restructuration des intermédiaires financiers (notamment les banques) ont eu à cœur de jeter les bases de systèmes financiers dont les structures seraient à même de promouvoir la stabilité des intermédiaires financiers tout en mettant en œuvre des politiques de libéralisation financière. Or, l’observation des trajectoires de libéralisation financière au sein de la sphère subsaharienne et des pays de l’OCDE révèle une divergence de taille dans leur conduite. En effet, au sein de ce deuxième groupe de pays, le processus de libéralisation économique et financière est allé de pair avec la mise en place de politiques de la concurrence fortes (principe de libre détermination des prix, proscription des ententes et création d’autorités dotés de moyens d’investigations et de sanction conséquents). A contrario, dans les pays subsahariens, la libéralisation n’a pas été accompagnée par la mise en œuvre d’institutions capables de garantir la concurrence. Celles-ci ont souvent été créées tardivement et leur effectivité est souvent plus que limitée en raison d’un manque de moyens. En l’absence de politique de la concurrence, la libéralisation financière s’est traduite par une réforme des structures sans une réelle modification des processus. Or, le succès des politiques de libéralisation financière repose sur une hypothèse forte (McKinnon, Shaw, 1973) : l’existence de marchés concurrentiels. Au-delà de la rhétorique, ce faible intérêt pour l’existence d’un équilibre concurrentiel peut être interprété de deux manières. Premièrement, on peut penser que pour les praticiens du processus de libéralisation, la concurrence devait naître naturellement de la réforme des structures et devait produire de manière mécanique ses effets théoriques. Pour les concepteurs de ces programmes, les entreprises privatisées, notamment dans le secteur bancaire, opéreraient automatiquement en situation de concurrence ou alors créeraient la concurrence. Ce faisant, une attention limitée a été accordée aux défaillances de marchés ou aux processus pouvant limiter la réalisation du processus de concurrence. Les bailleurs de fonds et les Etats subsahariens ont souvent compté sur la capacité de mesures macroéconomiques à promouvoir la concurrence et stimuler la productivité des entreprises Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 198 nationales. Malheureusement, autant la libéralisation du commerce international n’a pas suscité une concurrence plus vive au sein des entreprises de la sphère réelle, autant on peut penser que l’ouverture du compte de capital et la désintermédiation n’ont pas réussi à générer une plus grande concurrence au sein des sphères financières africaines et augmenter l’offre de produits et de services. Les acteurs en charge de la mise en œuvre et du suivi des programmes de réformes des systèmes financiers subsahariens ont accordé peu de place à la vérification de la réalité ou de la réalisation de cette hypothèse. Ainsi, les conditionnalités des prêts des bailleurs de fonds internationaux aux pays africains n’intégraient généralement aucun critère précis sur les politiques nationales de la concurrence (Gray et Davis, 1993). Cette absence d’intérêt pour la concurrence et ses effets dans les pays africains se manifeste par le peu d’études existant en la matière. La littérature théorique sur la politique de la concurrence est essentiellement fondée sur des expériences américaines et européennes avec peu de modèles spécifiques aux pays en voie de développement. Contrairement à la macroéconomie avec l’apport d’Agenor et Montiel (1996), il n’existe pas de travaux d’envergure visant à adapter au contexte des pays en voie de développement et africains les modèles de concurrence généraux ou spécifiques à la sphère financière *à l’exception des travaux de Rey (1997)]. La combinaison de ces manquements explique que seuls une douzaine de pays en voie de développement disposaient de dispositifs de la concurrence se rapprochant du corpus des pays de l’OCDE à la fin des années 80 (Gray et Davis, 1993). Près de vingt ans plus tard, peu de pays d’Afrique subsaharienne disposent d’un corpus en matière de concurrence appliquée ou applicable au sein de la sphère financière. Le contrôle du degré de concurrence ne faisant pas partie de manière explicite des prérogatives des autorités bancaires, cette absence crée un vide. Face à l’adoption de textes législatifs ou réglementaires régissant la concurrence dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, on peut toutefois s’interroger quant à leur application ou applicabilité. Les institutions internationales commencent à prendre conscience de la présence de cette lacune dans leur agenda de développement. La Banque Mondiale (1993) conclut que de nombreux pays en voie de développement ont mis en œuvre des processus de privatisation inefficaces qui ont créé des monopoles privés protégés de toute forme de concurrence. Elle fait, par ailleurs, de la création d’agences de régulation efficientes la solution à ces dérives. A cette première ligne d’explication mettant en avant le désintérêt ou l’absence de moyens de supervision pour contrôler l’état de la concurrence dans les systèmes financiers, s’ajoute une deuxième hypothèse fondée sur une décision rationnelle des autorités en charge de la régulation/réglementation du secteur bancaire de privilégier, dans un contexte post-crise, le renforcement de la santé des acteurs bancaires au détriment de leur efficacité. Cet arbitrage repose sur l’opposition entre une partie de la littérature faisant de la concurrence au sein de la sphère financière un facteur de régression pour le secteur bancaire (§2) et différents travaux postulant que Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 199 seule la concurrence est à même d’améliorer le volume, la qualité et la diversité des services offerts par les intermédiaires financiers (§1). §1-LE LIEN POSITIF ENTRE CONCURRENCE ET DEVELOPPEMENT FINANCIER Les systèmes bancaires de l’arc subsaharien ont été caractérisés supra comme étant faiblement concurrentiels aussi bien en termes de structures que de comportements de marché. L’application à la sphère bancaire des modèles d’analyse traditionnels de l’économie industrielle laissent supposer que plus de concurrence au sein des systèmes bancaires africains contribuerait à apporter une solution à la problématique du sous-développement financier notamment à travers une hausse du volume de financement, de meilleurs taux d’intérêts pour le consommateur et un effet sur l’innovation financière. A-La concurrence comme facteur d’amélioration de l’offre bancaire à travers son influence sur les prix et les quantités Les développements suivants s’appuient sur Rowley et Rathbone (2004) pour analyser l’impact des structures du marché bancaire en fonction de leurs conséquences sur la maximisation du bien être et l’efficience économique. Elle part d’un constat : si une structure de marché se révèle supérieure à celle en place, ce différentiel d’efficience économique justifie une politique économique visant à y remédier. Les économistes se situant dans cette veine théorique et empirique utilisent le test de compensation potentiel de Kaldor-Hicks-Scitovski pour déterminer si un changement de structure de marché améliore le bien être. Ce test repose sur un certain nombre de conventions et sur une fonction de bien être social reposant elle aussi sur un certain nombre de postulats émis par Harberger (Harberger, 1971) et de forme : Max W= TR + S – (TC-R) Avec W: le profit économique net TR : la recette totale S : surplus du consommateur TC : coût total net R : la rente infra marginale Le profit économique net, résultat de la confrontation sur le marché, est égal à la somme du gain réalisé par le producteur (la recette totale), celui du consommateur (le surplus du consommateur) minoré par le coût de production et la rente que s’octroie le producteur en fonction de son pouvoir de marché. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 200 Sur la base de la fonction de bien être social, Harberger (1954) identifie le coût social du monopole et l’associe à la perte sèche du consommateur. Cette dernière, jusque là connue sous le nom de triangle de perte sèche de Marshall est aujourd’hui communément appelée triangle de Harberger. La figure 46 constitue une application de cette analyse en équilibre partiel à la sphère bancaire. Elle permet de déterminer les effets de différentes structures bancaires sur le bien être économique. Nous avons : Cm: représente la fonction de coût marginal de l’industrie bancaire. Elle est identique quelque soit le type de structure bancaire caractérisant l’industrie (monopole ou concurrence). DD’ : est la demande adressée à l’industrie qui peut être un monopoleur ou alors une multitude d’acteurs en situation de concurrence. La production d’équilibre du monopoleur est celle lui permettant de maximiser son profit en égalant son coût marginal et sa recette marginale (OQm). La production d’équilibre de la branche en situation de concurrence pure et parfaite correspond au niveau de production pour lequel le coût marginal des entreprises bancaires est égal aux prix (OQc). Ce dernier pouvant être soit un taux d’intérêt ou alors une commission. Pm et Pc s sont respectivement les prix de monopole et de concurrence. La perte de surplus du consommateur attribuable au monopole est mesurée par la surface PmACPc. Celle-ci doit être comparée avec le surplus du producteur mesuré approximativement par la surface ABPcPm. La différence entre la perte de surplus du consommateur et le surplus du producteur est à l’origine d’une perte nette qui est équivalente au triangle ABC dit de Harberger. On en déduit que le monopole bancaire mais aussi les différentes structures de marché intermédiaires sont source de crédits octroyés à l’économie moins importants à des taux d’intérêts plus élevés. Cette analyse est validée par différents modèles d’économie industrielle bancaire s’inspirant du modèle de Monti-Klein. Ils trouvent leur inspiration dans la théorie de l’oligopole et dans la dérivation proposée par Waterson et Cowling (1976). Pour ces modèles, dans un marché caractérisé par la concurrence pure et parfaite, les banques maximisent leurs profits en considérant les prix comme donnés. Les coûts et les prix sont donc minimisés. Dans cette situation, une plus grande quantité de crédit sera allouée avec des taux d’intérêts plus faibles. A l’inverse, les banques jouissent d’un pouvoir de marché lorsqu’elles peuvent fixer des taux supérieurs à leur coût marginal avec pour conséquences la réduction de la quantité de crédit octroyée et des taux d’intérêts plus élevés. En présence d’opportunités de différenciation, Besanko et Thakor (1992) concluent que le taux d’intérêt demandé pour les crédits décroît et le taux d’intérêt proposé aux déposants augmente avec le nombre de banques pénétrant sur le marché. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 201 Taux d’intérêt La perte de surplus de consommateur attribuable au D Perte sèche attribuable A au ou charge monopole Economies d’échelles monopole et arbitrage en matière de bien bancaire Pm être C Pc Cm B D’ O Qm Qc Volume de crédits Figure 47: la perte de surplus de consommateur attribuable au consommateur. Source : adaptation à la sphère bancaire par l’auteur d’après Rowley, C. et Rathbone, A. (2004) Au-delà de ces approches en équilibre partiel, plusieurs modèles en équilibre général attribuent des vertus bénéfiques à un degré de concurrence bancaire plus élevé sur le sentier de croissance de l’économie. Pagano (1993) a démontré que le pouvoir de marché et ses effets sur les taux d’intérêts (taux d’intérêts sur les crédits plus élevé et rémunération des dépôts plus faible) réduit le volume de fonds disponibles pour financer l’investissement. Ce faisant, le pouvoir de marché exerce un effet dépressif sur le taux de croissance économique. Guzman (2000) a confirmé cet effet négatif du pouvoir de marché dans le cadre d’un modèle d’équilibre général en comparant deux économies se différenciant uniquement par la nature de la concurrence au sein de leur système bancaire (branche bancaire dominé par un monopole ou alors en situation de concurrence parfaite). Le niveau d’accumulation du capital au sein de l’économie desservie par la banque monopolistique. Deux raisons semblent pouvoir expliquer ce phénomène: les coûts plus élevés de monitoring et l’amplification des conséquences du rationnement du crédit en situation monopole. En effet, lorsque sont réunies les conditions nécessaires au rationnement du crédit, les deux formes extrêmes de comportement concurrentiel (monopole et concurrence parfaite) demandent tous deux le même niveau de rémunération pour les crédits. Toutefois, le monopole propose des taux de rémunération plus faibles aux épargnants. En l’absence de rationnement de crédit, la banque en situation de monopole demande un niveau de rémunération plus élevée pour ses prêts. Black et Strahan (2000) se sont penchés sur la capacité d’une structure de marché donnée à promouvoir l’activité entrepreneuriale. Sur la base de données américaines et portant sur différentes Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 202 industries, ils concluent que le nombre de créations d’entreprises était plus faible dans les Etats où la concentration bancaire était la plus forte. Jayaratne et Strahan (1996) ont essayé de mesurer les effets de la levée des restrictions portant sur l’implantation de banques dans différents Etats, ces mesures étant supposées avoir un effet positif sur la concurrence. D’après leur étude, la production industrielle et le revenu des Etats ont crû après la mise en œuvre de ces modifications réglementaires. Cette première approche permet de souligner les effets positifs de la concurrence sur deux dimensions du développement financier : la profondeur, à travers son action sur la quantité de services financiers proposés, mais aussi sur l’efficacité et l’accessibilité en raison de la réduction du coût des services financiers. La diversité peut aussi bénéficier des processus vertueux suscités par la concurrence, notamment en raison de son influence sur l’innovation. B- L’action de la concurrence sur une des sources de la diversité des systèmes bancaires : l’innovation Sans revenir sur une littérature abondante, de nombreux rapports et études expliquent le succès de la micro finance dans les pays africains par l’inadéquation entre les besoins du public et les produits ou services bancaires proposés par les banques locales. La majorité des produits et services sont parfois datés, relèvent d’un cadre réglementaire ancien ou sont importés et peu en phase avec les besoins domestiques. Ce constat est aussi celui de l’incapacité des institutions bancaires locales, incapables d’innover et de proposer des produits qui puissent répondre aux besoins de leur clientèle. Face à ce constat, il n’est pas inutile de s’interroger sur le rôle des structures de marché dans le maintien du statu quo et l’inhibition de l’innovation financière. A titre de rappel, l’invention peut être définie comme le processus par lequel des facteurs de production et des connaissances sont combinés pour produire des connaissances techniques. L’innovation est le processus au cours duquel l’invention est utilisée commercialement pour la première fois. Le débat autour de la structure de marché la plus à même de promouvoir l’invention et l’innovation est ancien et dépasse largement le cadre de la sphère bancaire. Cette question a suscité, en particulier, une vive controverse entre les tenants de l’école néoclassique représentés par les travaux de Kenneth Arrow (1962) et Harold Demsetz (1969). Arrow recourt à la notion de profit potentiel afin d’examiner la motivation d’inventer et d’innover en régime de concurrence et de monopole. Pour ce faire, il centre son analyse sur une des propriétés de l’information : son indivisibilité lors de son utilisation. Deux options extrêmes et deux types de mécanismes peuvent survenir et être mis en jeu. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 203 Considérons la situation en équilibre concurrentiel. L’invention est diffusée mais l’inventeur détermine le niveau de royalties pour utiliser celle-ci. Dans le cas d’un marché dominé par un monopole, seul le monopoleur innove et des barrières à l’entrée empêchent l’entrée d’imitateurs potentiels. Concentrant son analyse sur les innovations entraînant une réduction des coûts, Arrow conclut que des marchés concurrentiels fournissent une incitation à innover faible mais plus élevée que celle enregistrée en situation de monopole. Son analyse peut être résumée à l’aide de la figure 48. Les coûts unitaires sont de c avant l’invention et de c’après cette dernière avec c’<c. Le prix concurrentiel avant invention est aussi c. L’inventeur fixe à r le niveau de royalties par unité produite afin de maximiser la taille du rectangle c’puvb qui représente le niveau de royalties qu’il peut recevoir (P’ est l’aire de cette surface). L’inventeur potentiel investira d’autant plus que P’ sera grand et que le coût de l’invention est inférieur à P’. S’il le fait, le prix de marché en concurrence passe de c à p. Le monopoleur avant l’invention fixera son prix à w afin d’obtenir le niveau de production pour lequel c, le coût marginal est égal à la recette marginale. Le profit est donné par la taille du rectangle cwxy dont l’aire est P. Après invention, le coût unitaire passera de c à c’ et le nouveau prix maximisant le profit passera à p, générant un nouveau rectangle P’. En se fondant sur cette analyse, Arrow conclut que l’incitation à innover est plus faible en monopole qu’en situation de concurrence car l’inventeur vendant à une industrie concurrentielle souhaite inventer si son coût est inférieur à P’ tandis que le monopoleur désirera inventer seulement si son coût est inférieur à P’-P. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 204 Taux d’intérêt Modèle d’Arrow sur l’incitation à inventer x w P y c p u P’ v c’ D MR O Q3 Q2 Q1 Volume de crédits Figure 48: Modèle d’Arrow sur l’incitation à inventer. Source : adaptation à la sphère bancaire par l’auteur d’après Rowley, C. et Rathbone, A. (2004) Malgré ce résultat assez favorable à la concurrence, Arrow affirme que le processus concurrentiel n’est pas à lui seul capable de maximiser le niveau d’inventions et il affirme qu’il s’agit d’un domaine dans lequel l’intervention de l’Etat serait nécessaire. Cette analyse est validée empiriquement dans de nombreux pays africains où de nombreux acteurs bancaires n’osent pas lancer les investissements nécessaires à la mise en œuvre des innovations et se contentent de perpétuer les modes traditionnels d’intermédiation. A contrario, Demsetz présente un modèle plaidant en faveur de l’action du monopole en matière d’innovation. Pour Demsetz, une des limitations du modèle d’Arrow réside dans la non prise en compte de la restriction de production en situation de monopole. Une fois cet effet pris en compte, il semble que le monopole n’impose aucune restriction à l’innovation et l’invention. Dm et MRm représentent la courbe de demande et de recette marginale du monopole tandis que Dc (MRm) est la courbe de demande à laquelle fait face l’industrie en situation concurrentielle ajustée afin de prendre en compte l’effet normal du monopole sur le niveau de production. Pour le Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 205 niveau de coût c, l’industrie concurrentielle produit le niveau cu, pour lequel le niveau de coût marginal est égal au prix. Le monopoleur produit la même quantité cu. Graphiquement, on peut constater que l’effet négatif du monopole sur le niveau de production est éliminé. Taux d’intérêt Modèle de Demsetz sur l’incitation à inventer t P P u c p’ y v P’’ P’ w x c’ Dm MRm=Dc MRc O Q3 Q2 Q1 Volume de crédits Figure 49: Modèle de Demsetz sur l’incitation à inventer, adaptation à la sphère bancaire par l’auteur d’après Rowley, C. et Rathbone, A. (2004) Sur la figure 49, P’’-P est clairement supérieur à P, ce qui laisse suggérer que le monopoleur possède une plus forte incitation à innover une fois que la restriction de production normale est levée. Au coût c, le monopoleur reçoit avant innovation le profit P= cptu. Après innovation, le profit de monopole est égal à P’’= c’p’yx. L’incitation à innover est, par conséquent, égale à P’’-P. Si l’inventeur souhaite maximiser ses royalties en cédant son brevet à l’industrie caractérisée par une situation de concurrence, il peut alors exiger de ses concurrents un niveau de royalties p’-c’. Un tel niveau de prix forcera la branche à produire p’v et maximisera le niveau des royalties. La question est de savoir si l’incitation à innover procurée par la branche concurrentielle c’p’vw (P’) est supérieure ou égale à P’’-P. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 206 Demsetz considère que l’examen des structures de marché et les recommandations en matière de politique de la concurrence devraient être faites avec un soin particulier afin de prendre en compte non seulement le niveau de production mais aussi le différentiel dans l’incitation à innover. La confrontation à la réalité de la zone subsaharienne de ces deux lignées théoriques plaide en faveur de l’argumentaire développé par Arrow. Dans la zone Franc, en particulier, le développement de la monétique n’a pu se faire sans l’investissement massif des autorités de tutelle. On peut penser que la création de GIE bancaires, à l’instar du modèle adopté en France pourrait permettre une mutualisation des dépenses et assurer le développement de nouveaux services. L’examen des contributions théoriques présentées dans cette section semble valider l’intuition populaire qui fait de la concurrence un mécanisme susceptible d’améliorer l’efficience économique et le bien être des consommateurs. Ainsi, l’application à la sphère bancaire de travaux issus de l’économie industrielle laisse augurer que des systèmes bancaires africains animés par un degré de concurrence plus élevé seraient à même d’offrir des volumes de crédits plus importants, une meilleure rémunération des dépôts et une incitation à épargner plus forte. La concurrence pourrait, par ailleurs, contribuer à stimuler l’innovation bancaire et permettre aux consommateurs de disposer de produits adaptés à leurs besoins. L’agrégation de ces différents effets positifs fait de la concurrence un outil fondamental d’amélioration de la qualité de l’intermédiation financière dans les pays africains. Toutefois, l’enthousiasme ne doit point se muer en euphorie car ces analyses reposent principalement sur une application de principes généraux de l’économie industrielle. La prise en compte de modèles plus spécifiques à l’activité bancaire (prise en compte des effets de la concurrence sur la qualité de la relation client, la capacité de la banque à mieux financer certaines catégories de clientèle ou la stabilité financière des banques) donne naissance à un arbitrage entre certains gains de la concurrence et des effets potentiellement négatifs (§2). §2- LA VISION DE LA CONCURRENCE COMME ELEMENT DESTABILISATEUR NE RESISTE PAS A UN EXAMEN MINUTIEUX Sans prétendre à l’exhaustivité, l’aspirant économiste peut identifier quatre canaux à travers lesquels un degré de concurrence plus vif est susceptible d’affecter l’efficience du secteur bancaire. Afin de rendre l’analyse plus intelligible, il est possible d’adopter une analyse reliant l’instrument (la concurrence) à plusieurs objectifs intermédiaires (qualité du monitoring, qualité de la structure bancaire, qualité de la relation client, valorisation de la banque) qui eux mêmes déterminent la réalisation d’objectifs finaux correspondant aux attentes des consommateurs et des autorités réglementaires (offre de crédits dans ses différentes dimensions, stabilité financière). Cette approche Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 207 a le mérite d’identifier la nature et l’enjeu de l’arbitrage autour de la concurrence : stabilité financière contre avantage du consommateur. Elle permet, par ailleurs, de présenter intuitivement différents travaux théoriques et de les organiser par canaux. Le premier canal (A) relie la concurrence entre acteurs bancaires, à travers son influence sur la qualité de la relation client, aux différentes dimensions de l’offre de crédit (volume, prix et qualité). Au-delà de cette première relation, nous verrons que la concurrence peut avoir un impact sur les différentes dimensions de l’offre de crédit à travers son influence sur l’efficacité du monitoring d’une part (B) et la structure financière, d’autre part (C). Au final, un quatrième canal présentera des études portant sur le lien entre concurrence au sein de la sphère bancaire et stabilité financière (D). Toutefois, de l’examen de ces différents canaux, il ressort qu’une concurrence reposant sur des mécanismes d’appui solides, ne constitue pas en soi une cause de perturbation des relations et équilibres bancaires. A- Le lien entre concurrence, qualité de la relation client et les différentes dimensions de l’offre de crédit (volume, prix et qualité) Afin de prendre toute la mesure de ce lien entre concurrence, qualité de la relation client et offre de crédit, un examen des spécificités de la relation de clientèle et des raisons faisant des produits et services bancaires des instruments aux propriétés souvent inégalées constitue un détour obligé (#1). Il permettra de comprendre les raisons qui ont amené un certain nombre d’économistes à considérer que la concurrence pourrait avoir des effets néfastes sur la relation client et de là, sur l’offre de crédit bien que quelques études soulignent qu’il n’en est rien (#2). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 208 Influence du degré de concurrence sur certains objectifs du système bancaire Objectifs Instrument Objectifs finaux intermédiaires Qualité du monitoring Qualité de la Concurrence Offre de crédit - Volume - Tarification relation client - Qualité Structure financière Charter Value Stabilité (valorisation bancaire) financière Monitoring Un meilleur monitoring permet de proposer plus de crédits à des prix plus avantageux et garantit l’orientation des crédits vers les meilleurs projets (Action sur l’offre) Un meilleur monitoring permet d’améliorer la qualité du portefeuille de crédits et limite l’aléa moral et anti sélection (Action sur la stabilité financière) Relation client Une meilleure relation client permet d’augmenter le volume de crédit, de baisser les taux de rémunération des crédits et d’orienter les crédits vers les meilleurs projets (Action sur l’offre) Une relation client de qualité permet d’améliorer la qualité du portefeuille de crédits et limite l’aléa moral et anti sélection (Action sur la stabilité financière) Structure financière Une structure financière plus forte autorise des volumes de prêts plus conséquents (Action sur l’offre) Une structure financière plus forte permet, par ailleurs, une meilleure résistance aux chocs (Action sur la stabilité financière) Charter Value FigureLes50: Canaux reliant lasemblent concurrence à l’offre de crédit et à larisques/hauts stabilité financière banques ayantd’action une forte valorisation moins enclines à des comportements hauts rendements (Action sur la stabilité financière) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 209 #1-Les raisons faisant de la relation client un processus financier particulier et indispensable Les banques possèdent un avantage en matière de traitement et de conservation de l’information propriétaire. Les clients détenteurs de projet ou d’informations confidentielles révèlent plus facilement un certain nombre d’informations sensibles à leur banque qui leur permet d’obtenir un financement sans avoir à diffuser des informations confidentielles. A contrario, en sollicitant un emprunt obligataire sur le marché, ces entreprises seraient contraintes de communiquer leurs intentions au vu et au su de leurs concurrents (Bhattacharya et Chiesa, 1995). Les banques peuvent adopter deux modèles de relations avec leurs clients : une approche relationnelle ou alors transactionnelle. L’approche transactionnelle se fonde sur l’établissement d’une relation de moyen long terme entre la banque et son client. Elle implique le développement d’une expertise sectorielle. Les banques sont incitées à investir dans le recueil de l’information dans le cadre de leur mission de créancier principal de long terme car, bien qu’il s’agisse d’une politique onéreuse, elle autorise une possibilité de réutilisation de l’information client sur le long terme. L’octroi de crédit est basé sur la rentabilité de long terme de l’entreprise cliente et non pas sur un unique projet. Cette approche est différente de l’approche transactionnelle, relation fondée sur des informations observables et accessibles et qui a pour finalité l’octroi de crédit ou de services financiers sur une base ponctuelle. La relation client possède, par ailleurs, un aspect discrétionnaire qui autorise une plus grande flexibilité des décisions contrairement au marché dont le fonctionnement est fondé sur des règles (introduction en bourse, publication d’information…). Dans certaines conditions, le prêt bancaire est souvent considéré comme un contrat implicite de long terme fondé sur le respect et la confiance. Le respect de ces contrats requiert un flux optimal d’information pour garantir leur applicabilité. La banque relationnelle permet, en outre, un lissage inter temporel des conditions contractuelles. Ce mécanisme autorise la banque à accepter des pertes au début de la relation avec son client dans l’espoir de les recouvrir ultérieurement. Petersen et Rajan (1995) démontrent que les banques peuvent se permettre d’octroyer des crédits subventionnés (c’est-à-dire à des conditions dérogeant à la tarification normale) à des PME, ou de jeunes entreprises. Sur ce type de clientèle, les établissements bancaires subissent des pertes au début de la relation qu’elles espèrent combler ultérieurement. Un tel mécanisme permet aux banques de résoudre les problèmes d’aléa moral et d’anti sélection. Il exerce aussi un double effet positif à la fois qualitatif (sélection des meilleurs projets et des entreprises les plus innovantes) et quantitatif (niveau de crédit plus élevé) sur le sentier de croissance de l’économie. La renégociabilité des contrats bancaires constitue une autre caractéristique intéressante de l’approche relationnelle. Les prêts bancaires sont plus simples à renégocier que les obligations ou titres de dette et cette possibilité de renégociation contenue dans les contrats offre plus de Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 210 flexibilité. Elle peut toutefois avoir des effets pervers dans la mesure où l’intensité de la relation peut entraîner des phénomènes de capture. Dans un tel cas de figure, la banque ne joue pas son rôle d’avertisseur. Néanmoins, certains travaux affirment que lorsque la banque occupe une position de créancier de premier rang, elle peut intervenir de manière opportune. Au final, il existe une réelle complémentarité entre titres de marché et prêts bancaires. L’octroi de la qualité de créancier de premier rang par les détenteurs d’obligations peut permettre à ceux-ci d’économiser sur leurs frais de gestion (Diamond, 1991) car les décisions bancaires ont un effet de signalisation pour les autres créanciers (Hoshi et al., 1993). Diamond (1991) insiste sur l’importance de ce mécanisme de complémentarité en démontrant que les emprunteurs souhaitent dans un premier temps emprunter auprès d’une banque afin d’établir leur crédibilité avant de lever des fonds sur le marché. Ces différentes spécificités et avantages de la relation de clientèle sont susceptibles d’être affectés par la nature et la dynamique de l’équilibre concurrentiel. #2-L’impact de la concurrence sur la relation client et l’offre de crédit La démonstration du lien entre degré de concurrence et intensité de la relation de clientèle part d’une intuition. Ceteris paribus, on peut penser qu’en présence d’une concurrence plus vive, les emprunteurs seraient tentés de changer plus fréquemment de banque afin de bénéficier d’éventuelles promotions. Une telle volatilité de la relation client entraînerait les banques à anticiper une réduction de la durée moyenne de la relation de clientèle. Ce raccourcissement réduirait la valeur de l’information acquise et sa réutilisabilité (Chan, Greenbaum et Thakor, 1986), freinerait la volonté des banques de s’engager dans toute relation bancaire de long terme et les contraindrait à offrir des conditionnalités moins favorables à leurs clients. Une telle décision aura des conséquences néfastes sur le processus de lissage inter temporel des conditions de banques. En situation de vive concurrence, les banques peuvent être incitées à mettre fin à leur mécanisme de subvention inter temporelle. L’anticipation d’une concurrence bancaire plus vive ex-post est à même de décourager les prêts bancaires ex-ante. Petersen et Rajan affirment qu’une banque disposant d’un certain degré de pouvoir de marché sera plus encline à s’engager dans une relation de long terme avec des effets positifs dans deux domaines : (i) une hausse du volume de crédits disponibles pour les jeunes entreprises et (ii) une baisse du coût de financement. A contrario, dans un système bancaire concurrentiel, la banque effectue une première opération avec son client mais sans certitude que ce dernier se tournera vers elle pour ses prochaines opérations. Les banques gèrent ce risque en exigeant des taux d’intérêts plus élevés Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 211 sachant qu’elles sont de toute façon susceptibles de se voir préférer une autre banque. Une telle politique génère, en outre des comportements d’anti sélection. Pour une banque disposant de pouvoir de marché, il est possible de proposer des taux d’intérêts moins élevés en première période car, lors de futures opérations de prêts, elle pourra profiter de l’amélioration de la rentabilité de l’entreprise. Il lui sera, par conséquent, possible de bénéficier du flux de prêts, de taux d’intérêts et de commissions diverses sur une période plus longue. Des banques disposant de pouvoir de marché peuvent donc favoriser l’accès au crédit et être source de croissance économique plus forte. Si l’approche dominante semble postuler une relation conflictuelle entre concurrence et établissement d’une approche relationnelle, certains travaux remettent en cause cette analyse (Boot et Thakor, 2000). B- Le lien entre concurrence, structure financière et les différentes dimensions de l’offre de crédit (volume, prix et qualité) La concurrence est souvent citée au nombre des causes susceptibles de dégrader la richesse nette des banques et leur structure financière. Ce faisant, elle participerait des facteurs à même d’exercer un rôle dépressif sur l’offre de crédit. Toutefois, l’examen des statistiques, laisse supposer que le sacrifice de la concurrence sur l’autel de la structure financière bancaire n’a pas produit les effets escomptés. Le volume de crédit accordé par une banque n’est pas uniquement fonction de la structure concurrentielle du marché dans lequel elle opère mais dépend aussi de facteurs internes tels que sa richesse ou valeur nette sur lesquels la structure de marché exerce une influence. Les approches bancaires en termes d’accélérateur financier soutiennent cette hypothèse à travers des modèles dans lesquels des chocs sur la valeur nette de la banque ont des répercussions sévères sur son offre de crédit avec des conséquences néfastes pour la croissance (Bernanke, Gertler et Gilchrist, 1996). Le ratio de solvabilité impose, en outre, aux banques d’avoir un niveau de fonds propres équivalents à une fraction de leurs actifs pondérés par leurs risques. Si la banque ne satisfait pas ce ratio, elle a plusieurs possibilités : (i) soit augmenter ses fonds propres, (ii) réduire la redistribution de ses dividendes (iii) ou alors diminuer ses actifs, et par conséquent réduire son offre de crédit. Une banque craignant d’atteindre le niveau de fonds propre minimal ou alors ayant choisi de maintenir ce niveau pour des raisons stratégiques (volonté de se constituer un coussin lui permettant Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 212 d’absorber de futurs chocs ou alors volonté de démontrer sa santé financière) peut décider de ne pas prêter ou alors de financer uniquement des projets peu risqués. Dans la mesure où les chocs affectant les fonds propres de l’entreprise bancaire sont à même de contraindre ses décisions de prêts, il peut donc être préférable d’avoir des banques de grandes tailles, plus rentables (donc capables de se constituer de réserves) et d’avoir la capacité de mener une politique de prêts ambitieuse. Un système bancaire plus concentré, voire moins concurrentiel peut permettre d’atteindre cet objectif. Suite aux crises bancaires africaines des années 90, cette solution a été prônée dans de nombreux pays africains, notamment au Cameroun. On peut toutefois se demander si cette stratégie de créations de "grands champions nationaux" bancaires a été couronnée de succès. En effet, les chapitres précédents ont montré que si les banques africaines ont connu une forte amélioration de leur rentabilité et affichent une excellente santé financière, leur volume de financement n’a pas suivi la même progression. C- Concurrence, efficacité du monitoring et les différentes dimensions de l’offre de crédit (volume, prix et qualité) La motivation des banques à s’engager dans le screening ne varie pas avec le nombre de banques mais, en présence d’une technologie de screening imparfaite, un nombre plus élevé de banques est susceptible de conduire à une détérioration de la qualité du portefeuille de prêts bancaires. Toutefois, cette relation n’est pas aussi robuste que l’on pourrait le penser car plusieurs mécanismes peuvent atténuer cet effet. La relation entre nombre de banques et qualité décroissante du screening repose sur une intuition: en situation de concurrence, les emprunteurs les moins risqués se voient accorder un prêt par la première banque qu’il sollicite. Néanmoins, les banques se livrant à une concurrence acharnée pour être les premières à offrir du crédit, les mauvais emprunteurs peuvent aussi accéder au financement bancaire. Cet effet, nommé la malédiction du gagnant (« winner curse ») est amplifié lorsque les emprunteurs rejetés par une banque peuvent faire une nouvelle demande auprès d’autres banques. Schaffer (1998) décrit ainsi un marché sur lequel les banques prêtent uniquement aux emprunteurs qui ont été retenus par la technologie de screening comme étant de bonne qualité, bien que cette technologie soit imparfaite. Dans son modèle, les emprunteurs rejetés par une banque peuvent solliciter une nouvelle banque sans que celle-ci ne sache qu’ils ont déjà été rejetés. Le nombre de prêts augmente avec le nombre de banques. Plus le nombre de banques est important, plus faible est la probabilité qu’un emprunteur ne puisse obtenir de crédit. Malheureusement, les créances douteuses sont une fonction croissante du nombre de banques. On Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 213 peut donc penser qu’il existe un lien entre la concurrence et la qualité du screening effectué par les banques. La création de registre de crédits pourrait briser ce cercle vicieux en signalant aux banques un éventuel rejet antérieur d’un demandeur par un autre établissement bancaire. La réglementation peut aussi jouer un rôle majeur pour contrebalancer cette causalité. En accord avec les travaux précédents, Cordella et Yeyati (2002) démontrent que la concurrence entraîne un moindre effort de monitoring de la part des banques mais cet effet peut être nuancé par une obligation de diffusion de l’information sur le risque de portefeuille des banques car elle exerce une discipline sur les banques et accroît leur motivation à superviser les créances. Au final, en présence de mécanismes complétant l’activité bancaire et d’institutions de régulations fortes, la concurrence peut produire tous ses effets positifs sans nuire à la qualité du screening. D- Le lien entre concurrence, structure bancaire et le risque de contagion Le peu d’intérêt accordé à la promotion de la concurrence dans la période post-crise provient, peut être, du lien négatif établi par différentes études entre concurrence et stabilité au sein de la sphère bancaire. Elles s’appuient toutes sur différentes caractéristiques de la firme bancaire qui en font un acteur susceptible de déclencher et d’amplifier les chocs micro ou macroéconomiques (#1). Elles divergent dans leur présentation des canaux par lesquels une augmentation du niveau de concurrence peut affecter la santé des établissements financiers. Une première catégorie de travaux présente la concurrence comme un facteur à même de réduire la valorisation des banques et d’inciter leurs dirigeants à se livrer à des opérations à forte rentabilité mais présentant des risques élevés (#2). Une deuxième catégorie d’études relie le degré de concurrence au phénomène de contagion bancaire (#3). A chaque fois, différents arguments minimisent le rôle négatif de la concurrence. #1 - Instabilité bancaire et instabilité économique De nombreux travaux empiriques et théoriques démontrent que toute instabilité dans la sphère bancaire était susceptible d’avoir des conséquences beaucoup plus graves que dans d’autres industries en raison du rôle des banques dans la sphère économique mais aussi de la composition de leurs bilans. Les banques, en raison des prêts qu’elles accordent et les dépôts qu’elles reçoivent, peuvent générer ou amplifier des chocs macroéconomiques de grande ampleur. Ainsi, Kiyotaki et Moore (1995), présentent un modèle dans lequel face à un choc de productivité, des banques confrontées à des asymétries d’information réduisent leur crédit suite à la baisse de valeur du capital productif et du collatéral. Il s’ensuit un cercle vicieux dépressif pouvant Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 214 conduire les entreprises à la liquidation. Azariadis et Smith (1998), considérant une économie avec asymétrie d’information et contrats incitatifs, affirment que pour certaines valeurs du stock de capital, les contrats de prêts incitatifs conduiront à l’équilibre de premier rang tandis que d’autres valeurs entraîneront un rationnement du crédit ou alors des fluctuations et de la production et du stock de capital. Pour ces auteurs, l’obtention de l’équilibre first best n’est possible que pour des niveaux d’épargne et de rémunération des dépôts bancaires suffisamment élevés. Ces différentes tensions sont liées au décalage entre la maturité des actifs au sein du bilan des banques (moyen, long terme) et l’exigibilité des passifs constitués le plus souvent de dépôts à moyen terme. Ce décalage est source d’instabilité et peut provoquer des paniques bancaires à la Diamond et Dybvig (1998), en l’absence de mécanismes d’assurance des dépôts. Par ailleurs, les problèmes d’agence, classiques dans l’analyse de toute entreprise, prennent une dimension encore plus forte dans la bancaire. Il est, en effet, difficile pour la multitude de déposants (créanciers) d’effectuer un contrôle efficient des décisions prises par les gestionnaires de la banque créant une situation propice au développement d’opérations hauts risques/hauts rendements. Ces faiblesses spécifiques à la firme bancaire peuvent se transformer en problèmes systémiques par plusieurs canaux. Elles peuvent avoir un retentissement sur l’investissement des entreprises. Les banques peuvent affecter le niveau de consommation par le canal du crédit à la consommation mais aussi leur influence sur la richesse, la liquidité et les décisions intertemporelles des consommateurs. Elles exercent, en outre, une influence profonde sur l’économie à travers la gestion des moyens de paiements. Cet ensemble de canaux et leurs conséquences pour l’ensemble de la sphère économique expliquent que la stabilité du système bancaire soit au cœur des priorités des organes de régulation de la sphère bancaire. Or, le débat en la matière est loin d’être tranché entre économistes. Au-delà de l’impact que peut avoir la concurrence sur la qualité du screening et du monitoring et, par conséquent, sur la qualité du portefeuille de crédits des établissements bancaires, nous considérerons le rôle de la concurrence sur les processus de contagion bancaire (#2) mais aussi la valorisation des banques et leur prise de risque (#3). #2 - Effet de la concurrence sur la valorisation des banques et les comportements hauts risques hauts rendements Keeley (1990) affirme que l’augmentation des faillites bancaires aux Etats-Unis pendant la décennie 1980 est liée à la hausse de la concurrence au sein de l’industrie bancaire. Son argumentaire repose sur le lien entre charter value (la valorisation de la banque) et les comportements de prise de risque. La charter value correspond aux profits auxquels peuvent s’attendre les propriétaires d’une banque dans le cadre de ses futures opérations. Elle représente, Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 215 par ailleurs, le coût d’opportunité d’une faillite. Par conséquent, avant de se lancer dans une opération, toute banque effectuera un arbitrage entre les gains attendus d’une prise de risque supplémentaire et le risque de perte de sa valeur actualisée en cas de faillite. Or, pour Keeley, des banques détenant des pouvoirs de marché possèdent des rentes plus élevées et, par conséquent, des charters values plus fortes. Il en résulte un mécanisme d’autodiscipline car le risque de faillite limite les comportements de prise de risque trop importants. Une augmentation de la concurrence peut entraîner une baisse de la charter value à travers l’anticipation de profits futurs moindres et provoquer une hausse des comportements de prise de risque. Toutefois, le lien entre concurrence, valorisation des banques et comportements risqués n’est pas aussi intense qu’on pourrait le penser dans la mesure où d’autres acteurs déterminent la charter value et semblent exercer une influence plus déterminante sur celle-ci. Besanko et Thakor (1992) ont essayé de préciser les différents facteurs déterminant la valorisation de la banque. Pour ces auteurs, elle tire son origine des informations propriétaires obtenues dans le cadre de la relation client. Chez Perotti et Suarez (2002), la charter value augmente lorsque les régulateurs adoptent une politique encourageant les banques saines à prendre des participations au sein des banques en faillite. Ces politiques génèrent des rentes plus élevées pour les rescapées. Les exigences en matière de capitalisation des banques peuvent aussi exercer un rôle plus important que la concurrence dans le déclenchement de stratégies hauts risques/ hauts rendements préjudiciables aux opérateurs bancaires. Hellman, Murdock et Stiglitz (2000) ont analysé la charter value dans un environnement caractérisé par l’existence de réglementations sur le capital des banques. Ces exigences sont sources de pressions conflictuelles pour les opérations pouvant générer un risque excessif. En effet, des exigences en capital plus élevées réduisent les incitations à prendre des risques en augmentant les risques de perte en capital pour les actionnaires (capital-at-risk effect). Toutefois, ces exigences ont un effet négatif sur la charter value, ce qui augmente la probabilité de comportements de prise de risques (charter value effect). En présence de taux sur les dépôts librement déterminés, les banques opérant sur un marché concurrentiel ont intérêt à augmenter le taux proposé sur les dépôts afin d’augmenter leur part de marché. Ceci érode leurs profits, diminue leur charter value et encourage la prise de risque. Repullo (2003) modélise la concurrence sur le marché des dépôts. Les banques peuvent réaliser un investissement prudent ou alors risqué. Repullo démontre que sans exigences en capital, seul existerait un équilibre avec investissement dans les actifs risqués sur les marchés concurrentiels et monopolistiques. Pour un marché médian (oligopolistique), il peut exister soit un équilibre avec investissements risqués ou prudents : la structure concurrentielle exerce donc une influence. Toutefois, dans un environnement avec exigences en fonds propres, l’équilibre prudent domine. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 216 Les travaux empiriques menés sur ce thème ne semblent pas accréditer l’existence d’un lien étroit entre concurrence et prise de risque excessive. Keeley (1990), s’inscrivant dans une série d’études empiriques reliant la concurrence à l’instabilité bancaire, affirme que les faillites bancaires qui se sont produites aux Etats-Unis dans les années 1980 étaient partiellement liées à l’augmentation de la concurrence qui a érodé les rentes de monopole. La valorisation des banques a été fortement réduite ce qui a entraîné les banques à prendre des risques plus élevés. Keeley démontre que la charter value des banques est relié de manière positive aux fonds propres des banques et négativement au risque bancaire reflété par la prime de risque dont les banques doivent s’acquitter. Demsetz, Saidenberg et Strahan (1996) abondent eux aussi dans ce sens et démontrent que des charter values plus élevées sont associées avec des fonds propres plus importants et un niveau de risque plus faible. Une autre série d’études présentent soit des résultats mitigés ou alors contredisant les travaux de Keeley. De Nicolo (2000), par exemple, examine la relation entre charter value et taille de la banque. Pour ce dernier, il devrait exister une corrélation entre charter value et taille si la relation entre concurrence et charter value était fondée. De Nicolo, au contraire, souligne qu’une augmentation de la taille est associée à une moindre charter value et à un risque d’insolvabilité plus grand. En fait, bien qu’une plus grande charter value soit une motivation pour adopter des comportements plus prudents et générer un moindre risque d’insolvabilité, la taille et le pouvoir de marché ne sont pas des éléments déterminants dans ce processus d’auto discipline. En fait, la rentabilité d’une banque recevant un choc dépend en premier lieu de son comportement en matière de prise de risque. La littérature financière revient longuement sur la forte probabilité d’entreprises fortement endettées de s’engager dans des comportements risqués. Ce problème d’agence est particulièrement exacerbé dans le cas de l’industrie bancaire car l’effet de levier y est très fort. Les dépôts sont de petite taille, nombreux, appartiennent à une population de déposants dispersée, éparse et mal informée des activités de leurs banques. L’existence de système d’assurance des dépôts n’incite, par ailleurs, pas les déposants à surveiller les prises de risque de la banque. Une meilleure gouvernance d’entreprise constitue donc le véritable enjeu car celle-ci est à même de permettre à la concurrence d’exercer pleinement ses effets. La concurrence ne devrait donc pas constituer un danger pour les systèmes bancaires africains. A contrario, elle pourrait limiter les risques de contagion liés aux crises systémiques. #3 - Effets de la concurrence sur la contagion bancaire La contagion se définit comme le risque qu’un choc lié à la liquidité ou au crédit sur un des participants du système financier soit à l’origine d’une série de chocs pour les autres membres du Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 217 système financier. Un tel scénario peut intervenir à travers la mise en œuvre de mécanismes directs ou indirects. Les mécanismes directs mettent en œuvre les relations que les banques nouent entre elles notamment à travers le marché interbancaire (compartiment à long terme et court terme) ou le système des paiements et les produits dérivés. Allen et gale dans une étude publiée en 2000 examinent les modalités de la contagion dans un système bancaire dont les banques régionales sont connectées par les dépôts interbancaires. Des problèmes de liquidité dans une région peuvent se propager à d’autres régions et l’amplitude de la crise est fonction de la structure des relations interbancaires. Une structure de marché complète est définie par une relation symétrique entre une banque et toutes les autres. Une structure de marché incomplète correspond à une situation dans laquelle chaque banque n’a de lien qu’avec des banques dans les régions limitrophes. Un autre facteur d’importance est la connectivité de l’économie. La connectivité correspond aux liens existant entre secteurs ou régions de l’économie. Allen et Gale démontrent que dans un marché complet, les effets d’un choc se propagent au sein de l’ensemble des banques, diminuant le coût du choc au sein de chaque région. La probabilité de contagion est moindre que dans un environnement caractérisé par le caractère incomplet de la relation bancaire. Par ailleurs, plus le nombre de banques (régions) augmente, plus l’impact d’un choc au sein d’une banque diminue, ce qui a pour conséquence la réduction du risque de contagion. Dans un marché incomplet, le risque de contagion est porté par quelques banques. La probabilité que les banques ne soient pas à même d’absorber le choc est plus forte et a pour conséquence une propagation du choc. L’augmentation du nombre de banques et de régions amplifie le phénomène. Ces résultats contrastés soulignent à quel point la nature de la relation entre structure concurrentielle et relations interbancaires est peu claire. Un grand nombre de banques peut diminuer le risque de contagion mais uniquement lorsque les liens entres acteurs sont complets. Or, un système plus concentré est susceptible de mieux contribuer à la préservation de ces liens. Beck, Demirgüc-Kunt et Levine (2003) ont utilisé des données de panel portant sur 79 pays sur la période 1980-1997 afin d’examiner la relation entre structure concurrentielle et contagion. Le principal résultat de leurs études réside dans une moindre probabilité de crises bancaires dans des systèmes plus concentrés, plus concurrentiels (définis comme ceux ayant des règles régissant l’entrée et l’exercice de la profession bancaire) et dans des pays ayant des systèmes judicaires mieux développés. Ce qui signifie que la concentration et la concurrence sont sources de stabilité. CONCLUSION Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 218 Ce chapitre a permis de caractériser la nature des équilibres concurrentiels au sein des sphères bancaires subsahariennes. Sur longue période et parfois depuis la période coloniale, celles-ci sont régies par des équilibres oligopolistiques et des niveaux de concurrence relativement faibles. Au-delà de nombreux autres facteurs structurels, cette réalité explique une grande partie de la rentabilité des établissements bancaires subsahariens mais aussi leur efficacité toute relative. Face aux gains potentiels de marchés bancaires plus concurrentiels (amélioration de l’offre de crédit et de ses conditions), une propension au statut quo semble régner dans l’arc subsaharien. Elle est probablement intimement liée à l’existence d’un arbitrage entre les avantages et les inconvénients de la concurrence dans la sphère bancaire. En effet, la structure de marché au sein de l’industrie bancaire exerce des effets multiples et souvent contradictoires sur l’ensemble de l’économie. Le pouvoir de marché a un effet quantitatif lorsqu’il permet par exemple aux banques de se constituer des rentes et de s’éloigner d’un équilibre apportant aux agents économiques un volume de crédit plus important à des taux moins élevés. Le pouvoir de marché exerce aussi un effet qualitatif car il peut permettre aux banques d’exercer une sélection plus efficiente des différents entrepreneurs et modifier positivement le sentier de croissance optimale de l’économie. Ce n’est qu’en combinant ces deux effets et en évaluant les conséquences réelles d’un degré de concurrence plus important qu’il sera possible de statuer sur l’introduction de mesures à même de modifier les structures de marché actuelles. Cette approche requiert une meilleure intelligence de la concurrence dans les différents marchés et sous-marchés bancaires africains, d’où un important effort de recherche. L’équilibre actuel, caractérisé par un niveau de concurrence faible, va de pair avec une relation client relativement médiocre et une bonne solidité financière. L’excellente rentabilité des banques et le faible niveau de crédit accordé aux agents économiques laissent augurer que l’introduction de plus de concurrence se traduirait pour l’ensemble de ces économies par un gain net positif. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 219 CONCLUSION La première partie a mis en lumière les mécanismes faisant de systèmes financiers développés un des éléments nécessaires au processus de changement structurel des économies subsahariennes. La deuxième partie, en détaillant le concept de développement financier et en soulignant son niveau particulièrement bas au sein de l’arc subsaharien, a identifié les raisons expliquant la contribution réduite des systèmes financiers à la croissance et à la réduction de la pauvreté. Ainsi, face à la difficulté de mesurer le degré de développement des systèmes financiers subsahariens, le chapitre 4, en précisant le concept de développement financier, a permis de construire un indicateur de développement financier reposant sur différentes variables qualitatives. Cet indicateur participe de la volonté de mieux appréhender la contribution au développement socio-économique des systèmes financiers à travers sept dimensions : la profondeur, l’accessibilité, la diversité, la rentabilité/stabilité, l’efficacité, l’ouverture et les institutions d’appui. Les résultats de l’analyse quantitative soulignent la faiblesse des performances subsahariennes dans des dimensions telles que la profondeur et l’accessibilité. L’analyse qualitative réalisée en reprenant les différentes dimensions confirme ces résultats tout en pointant certains paradoxes des systèmes financiers subsahariens. En les comparant avec leurs homologues de différentes régions en développement, le chapitre 5 revient longuement sur la faible profondeur et la surliquidité caractérisant de nombreux systèmes financiers subsahariens. Si ces phénomènes s’expliquent par l’existence de nombreuses asymétries d’information et autres incertitudes macroéconomiques et politiques, il n’en demeure pas moins que la faible profondeur des systèmes financiers subsahariens constitue un frein pour le développement de l’activité économique et l’intégration réussie des économies africaines dans le marché mondial. Au-delà de ce phénomène, le chapitre 5 pointe aussi la faible diversité des systèmes financiers subsahariens. Ces derniers sont marqués par le niveau extrêmement réduit des financements à long terme qui représente une hypothèque pour le taux de croissance de longue période. Plus largement, les intermédiaires financiers subsahariens peinent à remplir leurs cinq fonctions microéconomiques de base et ce d’autant plus que la gamme des instruments et des institutions est réduite. En fait, la faible diversité financière semble répondre à la faible maturité et profondeur des économies subsahariennes. Le développement du régionalisme pourrait apporter une solution à cette problématique dans certaines régions (cas de l’espace UEMOA notamment) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 220 grâce à la constitution de marchés plus larges sur lesquels les IFI pourraient bénéficier d’économies d’échelles. Ces dernières pourraient notamment leur permettre d’apporter des solutions à la faible accessibilité aux services financiers dans l’arc subsaharien (chapitre 6). Ainsi, la faible couverture géographique des institutions financières, la concentration des agences et guichets bancaires dans les grands centres urbains pénalisent le financement des activités du monde rural et de l’agriculture dans des pays où la majeure partie de la population habite encore dans les campagnes. A ce déséquilibre géographique s’ajoute une marginalisation/exclusion des clientèles les plus fragiles (PME/majorité des ménages). Celle-ci est d’autant plus forte que peu de ménages ou de petites entreprises peuvent se permettre d’utiliser des services dont les coûts correspondent souvent à quelques semaines ou mois de revenu annuel par habitant. En contraignant le développement et la diversification des activités des ménages et des PME, ces processus limitent la capacité d’absorption des cohortes de jeunes actifs dans le secteur formel. Au final, la faiblesse du facteur financier et son incapacité à financer les secteurs les plus innovants de l’économie doivent être pris en considération dans la compréhension des phénomènes migratoires. En effet, l’absence de solutions de financement pour développer des activités dans le monde rural pourrait expliquer le premier saut migratoire vers les centres urbains tandis que les faibles opportunités de succès dans ces espaces alimentent une migration non plus interne mais internationale. Face à ces carences des systèmes financiers, le chapitre 7 alimente le débat sur la contribution au développement socio-économique des systèmes financiers subsahariens en revenant sur leur excellente rentabilité. En effet, malgré leur incapacité à satisfaire les besoins de la majorité des acteurs économiques, les institutions financières subsahariennes affichent des niveaux de rentabilité à faire pâlir d’envie un gestionnaire de hedge fund. Si les éléments de cette rentabilité doivent être nuancés par pays, par le niveau de risque pris, par le type de services offerts, l’existence de ces résultats suscite un certain nombre d’interrogations quant à leurs déterminants. Malgré l’entrée récente de nouvelles banques, ceux-ci semblent largement tributaire du faible degré de concurrence dans la sphère financière en raison d’une organisation longtemps oligopolistique de la branche bancaire et l’existence de jeux répétés sur longue période entre intermédiaires financiers. Ces niveaux de rentabilité rendent possible une modification de leur fonction d’objectifs. Dans un environnement marqué par une nette amélioration de la santé des institutions financières, la régulation de la sphère financière pourrait prendre en compte la nécessité de favoriser le développement de dimensions aussi primordiales que la profondeur, la diversité ou l’accessibilité afin de favoriser le développement. Cette réorientation des priorités du système financier suppose l’existence d’un centre de coordination/concertation des institutions au sein de la sphère financière avec pour finalité l’adéquation entre les besoins exprimés par les DEMANDEURS de services financiers et l’OFFRE de Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 221 services financiers. La troisième partie s’inscrit dans le prolongement du développement financier en introduisant le concept de politique de développement financier. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 222 PARTIE III DES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT FINANCIER DESEQUILIBREES Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 223 INTRODUCTION Les idées audacieuses sont comme les pions qui avancent aux échecs ; ils peuvent être pris mais ils peuvent aussi démarrer une partie gagnante. Goethe La première et la deuxième partie de ce travail ont fait état de l’écart existant au sein de l’arc subsaharien entre les bénéfices potentiels et réels du développement financier. Cette situation est largement tributaire de l’incapacité des systèmes financiers subsahariens actuels à apporter des solutions à des problématiques aussi essentielles que la faible profondeur, la diversité des clients, des institutions et instruments ainsi qu’une mauvaise accessibilité aux institutions financières et à leurs services. De nombreux pays subsahariens sont plongés depuis près de deux décennies dans cette situation que l’on peut assimiler à un équilibre de développement financier bas, voire à un piège à pauvreté lié au facteur financier (Berthélémy et Varoudakis, 1996). Le chapitre 8, en mettant en exergue la présence de phénomènes et de mécanismes 60 susceptibles de contribuer à la perpétuation du faible niveau de développement financier au sein de l’arc subsaharien appelle la mise en œuvre par la puissance publique d’actions à même d’apporter des solutions à ces faiblesses. Cette intervention de la puissance publique est impérieuse car les ressources nécessaires pour sortir de ce piège à pauvreté et passer vers un équilibre de développement financier plus élevé dépassent largement les capacités de coordination et d’intervention des acteurs privés. Afin de maximiser l’impact de ces actions, le chapitre 8, soulignera la nécessité de les envisager dans le cadre d’une politique de développement financier, c’est-à-dire l’ensemble des actions mises en œuvre par la puissance publique ou ses émanations afin de satisfaire les besoins 60 Asymétries d’information, rationalité limitée, divergence entre les objectifs individuels des intermédiaires financiers et ceux de la communauté… Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 224 financiers des différentes catégories d’agents économiques dans un pays donné et contribuer au développement financier. Ce concept permet de présenter une grille d’analyse des différents objectifs intermédiaires et finaux d’une politique de développement financier et de la palette d’instruments pour les réaliser. Quant à la légitimité de cette politique, elle repose sur les imperfections rencontrées dans la production et la distribution du développement financier (notamment en raison de sa catégorisation dans le champ des biens publics) mais aussi sur sa capacité à inscrire dans un cadre juridique les aspirations en termes de développement financier de l’ensemble des acteurs économiques (politique de développement financier de jure). Le chapitre 9, en retraçant la trajectoire de développement financier empruntée par une partie des pays de l’arc subsaharien depuis les indépendances (Meisel et Mvogo, 2007)61, met en évidence l’existence d’une politique de développement financier de facto oscillant entre un fort interventionnisme de l’Etat (décennies 60-80) et un primat accordé au laissez-faire suite à la libéralisation financière amorcée dès le milieu des années 80 afin d’assainir les systèmes financiers subsahariens. Le chapitre 9 tire de cette revue historique des enseignements divergents quelque peu de la littérature classique sur les systèmes financiers subsahariens. Premièrement, ce n’est pas le degré d’intervention de l’Etat qui détermine le développement financier mais la qualité de celle-ci. Cette conclusion nuance les conclusions des études prônant les vertus de la libéralisation financière dans le cas subsaharien. Deuxièmement, libéraliser les systèmes financiers subsahariens a certes contribué à leur assainissement et à la résorption de distorsions affectant leur développement mais n’a pas apporté de solutions aux causes profondes du blocage de l’intermédiation. D’où les effets limités des politiques de libéralisation financière. Le chapitre 10, en offrant une taxinomie des politiques de développement financier et de leurs résultats prolonge cette réflexion et propose quelques pistes pour une politique de développement financier renouvelée. Loin du dogmatisme et de l’opposition idéologique entre des politiques de développement financier reposant sur une intervention forte de l’Etat et celles s’appuyant sur la prédominance de mécanismes de marché, cette grille de lecture semble inciter les pays africains au pragmatisme et à la cohabitation entre des dispositifs d’interventions publiques forts dans la sphère financière et une place non négligeable accordée aux acteurs privés. Cette posture semble être une des clés de l’essor des systèmes financiers de l’OCDE, encore largement marqués par la présence d’institutions et de dispositifs financiers publics. Un retour sur les trajectoires de développement financier empruntées par les pays subsahariens souligne l’importance d’encourager des politiques de développement financier 61 Il s’agit des pays de la Zone Franc mais l’analyse peut être étendue à quelques nuances près à l’ensemble de l’arc subsaharien. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 225 agissant sur les acteurs de la DEMANDE de services financiers (ménages, entreprises) et moins sur ceux à l’origine de l’OFFRE de services financiers (intermédiaires financiers). En effet, seules des politiques de développement financier agissant sur les facteurs de la DEMANDE de services financiers (sécurisation des débouchés des PME, amélioration de leur rentabilité, de la qualité du reporting, progression de la protection contre les chocs impossibles à diversifier de manière optimale au niveau individuel,…) sont à même d’augmenter durablement la DEMANDE de services financiers et susciter des interactions vertueuses avec l’OFFRE de services financiers (augmentation de son volume et de sa qualité). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 226 CHAPITRE 8 LA NOTION DE POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT FINANCIER N’allez pas où le chemin vous mène, allez au contraire là où il n’ ya pas de chemin et laissez une piste. Emerson Il ne faut jamais prendre les voies autorisées Cocteau Tout écrivain, pour écrire nettement doit se mettre à la place de ses lecteurs La Bruyère INTRODUCTION Ces trois citations traduisent l’essence de ce chapitre : sa volonté de sortir des sentiers battus pour proposer un essai de conceptualisation du développement financier et des politiques ad hoc mises en œuvre ou non par les pouvoirs publics pour le susciter. Plus largement, pour des gouvernements africains aux marges de manœuvre limitées par l’ajustement structurel, son objectif sera de structurer la compréhension et l’utilisation des meilleures pratiques dans ce domaine. Pour ce faire et bien au-delà du panorama des systèmes financiers dressé dans la partie II, ce chapitre s’appuie sur une analyse historique des systèmes financiers africains pour présenter deux grandes conclusions: Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 227 Premièrement :les différentes imperfections affectant la production du développement financier justifient une intervention publique. La première partie de ce travail (chapitre 1, 2 et 3) a souligné le rôle éminent du développement financier dans la promotion de la croissance et la lutte contre la pauvreté. Ce chapitre entend aller plus loin dans la réflexion sur le rôle du développement financier en présentant les arguments sous-tendant l’intégration de cette notion dans le champ des biens publics mais aussi différentes imperfections associées à sa production. Ces éléments plaident en faveur de la mise en place de politiques publiques intitulées politiques de développement financier (section I). Deuxièmement : la politique de développement financier peut être intégrée au rang des politiques structurelles. La section II reviendra de manière détaillée sur ce concept en insistant non seulement sur la nécessaire coordination des initiatives qui en relèvent mais en présentant aussi, par analogie avec la politique monétaire, ses objectifs finaux et intermédiaires ainsi que ses canaux. De cette analyse apparaîtra une réalité forte, la politique de développement financier est tributaire des autres grandes politiques structurelles et de stabilisation. Ces différents développements étant le fruit d’un essai de conceptualisation, ils sont proposés avec beaucoup d’humilité et gagneront de tout apport critique constructif d’où l’appel à la clémence symbolisée par la référence à La Bruyère. SECTION I- LE DEVELOPPEMENT FINANCIER COMME BIEN PUBLIC ET LES IMPERFECTIONS ASSOCIEES A SA PRODUCTION Légitimer l’apport de politiques publiques destinées à susciter et améliorer le niveau de développement financier dans l’arc subsaharien ne peut se faire sans ancrer profondément ces dernières dans le champ de la politique économique avec une référence à Musgrave (1989) et sa présentation des trois fonctions que la politique économique se doit de remplir : (i) (ii) (iii) la stabilisation macroéconomique ; la redistribution entre agents ou régions ; et l’allocation des ressources (c’est-à-dire leur allocation entre différents usages possibles). C’est dans cette dernière catégorie que s’inscrit notre analyse car y figurent les interventions visant à affecter la quantité ou la qualité des facteurs de production disponibles dans l’économie ou alors à modifier leur répartition sectorielle ou régionale. Parmi ces facteurs, on retrouve certes des variables et paramètres traditionnels des modèles de croissance (investissement, progrès technique, éducation, santé…) …mais aussi le développement financier (Cf. partie I et revue de la littérature). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 228 Dès lors, l’intervention de l’Etat dans ce domaine se fonde sur le premier théorème de l’économie du bien être qui enseigne que tout équilibre concurrentiel est un optimum au sens de Pareto. Autrement dit, un équilibre de marché est tel qu’il n’est pas possible d’améliorer le bien être d’un agent économique sans réduire celui d’un autre agent. Ce résultat est à la fois puissant et limité pour le développement financier. Il est puissant car il rend caduc et inutile toute intervention publique pour susciter le développement financier qui ne peut que provoquer plus de mal que de bien. Il est limité en raison des hypothèses particulièrement strictes sous-tendant les conditions de validité de ce résultat. Arrow et Debreu, en énonçant rigoureusement les théorèmes de l’économie du bien être, ont ainsi rendu nécessaire à la réalisation de l’équilibre concurrentiel la réunion des hypothèses suivantes : (i) (ii) (iii) la présence d’un ensemble de marchés complets permettant d’effectuer des transactions sur tous les biens et sur toutes les périodes ; l’existence d’une information parfaite et le fonctionnement parfaitement concurrentiel de l’économie. Ces différentes conditions sont loin d’être réunies au sein des sphères financières de pays de l’OCDE et encore moins dans leurs consœurs de l’arc subsaharien. Les remettre en cause c’est donner une justification à la mise en œuvre de politique publique à condition de justifier celle-ci par des arguments précis. Le développement financier rentrant dans le champ de la fonction d’allocation des ressources, les motifs d’interventions sont généralement liés à différents dysfonctionnements microéconomiques. Sa dimension de bien public (§1) mais aussi la présence d’externalités, d’asymétries d’information, le caractère incomplet de certains marchés ou alors l’horizon temporel trop court de certaines catégories d’agents (§2) seront présentés de manière détaillée comme justification de l’intervention publique. §1 - LE DEVELOPPEMENT FINANCIER COMME BIEN PUBLIC Ce chapitre repose sur une affirmation forte : le processus de développement financier dans son ensemble et les dimensions qui le sous-tendent peuvent être considérés comme des biens publics. Cette prise de position constitue une innovation car traditionnellement seule la stabilité du système financier est assimilée à un bien public, justifiant ainsi différentes formes d’interventions de l’Etat (réglementation/surveillance, voire prêteur en dernier ressort en cas de crise financière). Certains éléments et instruments du développement financier possèdent aussi la qualité de bien public (la monnaie, par exemple). Toutefois, le chemin est long entre le statut de biens publics de certaines composantes du développement financier et ériger celui-ci dans son ensemble au rang de bien public. Bien que Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 229 surprenante, cette posture se justifie doublement car le développement financier respecte la définition canonique de cette catégorie de biens (A) tout en s’inscrivant dans une logique de réflexion et d’extension de cette notion (B). A- Le développement financier satisfait à la définition canonique du bien public Statuer sur l’appartenance du développement financier à la catégorie des biens publics ne peut se faire sans considérer les travaux de deux contributeurs majeurs à la réflexion autour de cette notion : David Hume et Paul Anthony Samuelson. Le premier a posé un constat déterminant : la société peut trouver des avantages à produire des biens qui s’avèrent dénués de tout intérêt lorsqu’ils sont élaborés par un seul individu. Quand au second, il a proposé une définition de la notion de bien public autour de laquelle une grande partie de la communauté scientifique s’accorde (Samuelson, 1954). Pour appartenir à cette catégorie, un bien doit posséder deux propriétés. La première est appelée non rivalité : elle tient à ce que la consommation par un individu du bien n’en exclut pas un autre. Le développement financier dans son ensemble est un bien qui bénéficie à l’ensemble des habitants d’une zone ou d’un pays et dont la consommation par un groupe de personnes ne diminue pas les quantités disponibles pour d’autres personnes. En effet, l’ensemble des agents économiques des pays d’ASS tirent parti des effets d’une amélioration structurelle des systèmes financiers à travers cinq conséquences positives : 1-L’amélioration de l’efficience microéconomique des agents. En effet, les acteurs économiques peuvent tirer partie des cinq fonctions remplies par tout système financier et accroître l’efficacité de leurs opérations ; 2-La contribution à la croissance économique et au plein emploi. L’impact de la sphère financière sur l’activité des différents secteurs ainsi que sur la croissance économique exerce des effets positifs directs et indirects en matière d’emploi, d’intégration au commerce international et permet le financement endogène des priorités du développement ; 3-La lutte contre la pauvreté. En matière de lutte contre la pauvreté, un système financier plus efficient et plus inclusif devrait contribuer à une croissance favorable aux plus démunis à travers une hausse des revenus. Un système financier plus inclusif devrait permettre aux plus pauvres de pouvoir briser partiellement leur contrainte financière et réaliser des projets d’investissement susceptibles d’améliorer leur condition ; 4-Une répartition géographique équitable de la croissance. Le développement financier contribue à la politique d’aménagement du territoire. Un système financier ayant une large couverture géographique peut permettre de réaliser des opportunités de développement dans des Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 230 zones jusque là marginalisées et éviter des déséquilibres régionaux sources de tensions sociales et politiques. 5-La préservation du lien et de l’ordre social. A travers son action en matière de pauvreté, le développement financier participe à la préservation du lien social en évitant les phénomènes d’exclusion financière et en accordant une plus grande égalité des chances. Par ailleurs, la stabilité du système financier constitue un élément nécessaire afin d’éviter des épisodes d’agitation comme ceux qu’ont connus l’Indonésie ou l’Amérique Latine suite aux faillites bancaires des années 90. La seconde propriété a trait à la non excluabilité et caractérise la difficulté, voire l’impossibilité d’exclure d’un bien un usager qui refuserait de payer. Or, le développement financier possède aussi cette dernière caractéristique. La non exclusion constitue un obstacle majeur pour la production privée d’un bien car elle remet en cause l’équilibre nécessaire aux producteurs privés. En effet, l’impossibilité d’exclure les consommateurs moyennant le paiement d’un prix les prive de recette et crée pour eux une situation de perte. Toutefois, une précision s’impose: c’est le processus de développement financier et non le système financier et ses compartiments pris de manière individuelle qui relèvent de la catégorisation en tant que bien public. Au-delà du respect des conditions canoniques définissant un bien public, le développement financier s’inscrit dans une longue évolution de la réflexion autour du périmètre des biens collectifs. (B) B-Le développement financier comme exemple de l’extension du périmètre des biens collectifs Intégrer le développement financier dans le champ des biens publics s’inscrit dans une réflexion autour de l’évolution de la définition de cette catégorie de biens (Kaul, 2006). Près d’un demi-siècle après l’article séminal de Samuelson, un bien public est désormais considéré non comme un objet naturel, une situation de fait dont il faudrait prendre acte mais plutôt comme un construit social relevant de choix. Ceci ne veut pas dire que tout bien privé a potentiellement vocation à devenir public selon le bon vouloir de la communauté, mais plutôt que certains biens peuvent être rangés alternativement d’un côté ou de l’autre de la frontière. A titre d’exemple, la préservation de la couche d’ozone, longtemps considérée comme une priorité de rang inférieur, a acquis avec l’expérience et l’avancée des savoirs, une dimension de biens publics. Il en est un peu de même du développement financier dans l’arc subsaharien. L’avancée de la connaissance, et l’analyse des trajectoires des systèmes Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 231 financiers subsahariens, plaident en faveur de l’intégration du développement des biens publics dans la catégorie des biens publics. L’importance de la contribution de systèmes financiers efficients à la croissance et à la réduction contre la pauvreté a été largement documentée au sein de la première partie. En poussant cette analyse et en s’appuyant sur la notion de convergence conditionnelle (Cf. Encadré n°8), il est possible de faire du développement financier un des éléments du mix institutionnel à même d’assurer le passage des économies africaines d’équilibres de développement bas vers des niveaux de développement plus élevés. Encadré n°8. La notion de convergence La deuxième moitié du XXème siècle a été caractérisée par plusieurs épisodes de convergences vers le PIB par tête des Etats-Unis. Après l’Europe de l’Ouest, puis le Japon, les Nouveaux Pays Industrialisés (Hong Kong, Singapour, Corée du Sud et Taïwan) sont entrés dans ce processus. Forts de ces exemples historiques, les travaux sur la théorie de la croissance ont longtemps formulé la prédiction optimiste d’une convergence absolue. Avec l’échec des expériences de développement dans différents pays de développement, la convergence est devenue conditionnelle. L’étude de la β-convergence (tendance des pays moins développés à croitre plus vite) démontre qu’il n’ya pas convergence au niveau mondial (en moyenne les pays pauvres n’ont pas crû plus vite sur la période 1960-2000) mais plutôt que la convergence s’effectue au sein de clubs de pays comparables, à l’instar de celui constitué par les membres de l’OCDE. Différentes études ont essayé de préciser les conditions de transition d’un club vers un autre en estimant le rôle de différents facteurs grâce à des équations de type : 1 𝑛𝑖𝑇𝑖1 = ∝ − 𝛽𝑙𝑛𝑌1 + 𝛾𝑍𝑖𝑡 + 𝜖𝑖𝑇 𝑇−1 Avec Y1le niveau initial du PIB par tête du pays i son niveau final, Z est un vecteur de variables explicatives et un terme d’erreur. Dans cette équation, le premier terme du membre de droite représente le progrès technique, le second la β-convergence, le troisième d’autres déterminants de la croissance du pays i et le dernier les chocs. Les premières études empiriques sur les clubs de convergence ont démontré que différentes variables contenues dans le vecteur pouvaient exercer un effet significatif sur le niveau de long terme du PIB par tête : il s’agit du taux d’épargne et de croissance de la population, de la qualité du capital humain, du niveau d’éducation, de l’espérance de vie, du bon fonctionnement des marchés (mesuré à l’aune du degré de concurrence, des distorsions introduites par l’intervention de l’Etat, et de la corruption), de la stabilité macroéconomique (taux d’inflation notamment) et politique. On parle alors de convergence conditionnelle : celle-ci se produit entre deux pays si les variables Z y ont les mêmes valeurs. Source : Bénassy-Quéré et al. (2004) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 232 Ce pas supplémentaire peut être envisagé dans le cadre des travaux sur la théorie des clubs de convergence popularisés par Durlauf et Johnson (1992), Barro (1996). Ces travaux stipulent que des pays ayant des dynamiques de croissance différentes peuvent être regroupés à un moment donné dans des clubs de convergence correspondant à des niveaux homogènes de développement. Pour chaque pays, ces niveaux de développement constituent différents équilibres stables sur un sentier de développement économique caractérisé par la présence d’équilibres multiples et de pièges à pauvreté, notions popularisées par les travaux d’économistes tels que Rosenstein-Rodan (1943) ou Nurkse (1953). La transition d’un équilibre bas vers un équilibre haut requiert une combinaison particulière des facteurs déterminant le processus de développement. Sans cette combinaison spéciale de facteurs, l’économie se maintient à un niveau de développement identique ou alors progresse vers un équilibre instable. Cette instabilité s’explique par la présence de processus cumulatifs négatifs qui conduisent l’économie vers un nouvel équilibre bas. Ces processus résultent d’un niveau ou d’une qualité de facteurs insuffisants pour assurer la transition. Berthélémy et Varoudakis (1996) ont mis en évidence le rôle du facteur financier dans ces processus de transition. Les travaux de ces auteurs, loin de renforcer l’afro pessimisme, constituent une source d’espoir pour les pays africains car ils soulignent la possibilité pour ces derniers de sortir de cette situation en améliorant aussi bien qualitativement que quantitativement la combinaison des différents facteurs déterminant le processus de développement. Or, en raison de nombreuses imperfections, les marchés et institutions à l’origine des facteurs peuvent ne pas être à même de susciter spontanément cette combinaison. Pour les tenants de la théorie des clubs de convergence, le piège à pauvreté dans lequel se trouvent enfoncés de nombreux pays subsahariens est lié à l’absence de politiques volontaristes à même de palier aux carences des marchés et susceptibles de réunir la combinaison optimale pouvant permettre la transition vers un équilibre plus élevé. Un pays ayant un faible niveau de développement peut sortir de cette situation par le biais d’une politique volontariste lui permettant d’améliorer sa dotation initiale. Cette politique volontariste peut prendre deux formes : (i) (ii) un « big push » ou alors une politique de réformes structurelles. La première idée a été formulée par Sachs dans le cadre de son travail pour le Millenium Project et par Collier (2004) dans ses propositions à la Commission Blair pour l’Afrique. La création d’une International Finance Facility participe de cette philosophie : elle aurait pour objectif l’octroi de volumes d’aide largement supérieurs à ceux actuellement accordés aux pays africains sur une durée limitée. Cette forte hausse de l’aide (« surge ») sur une période de temps limitée aurait un effet de Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 233 masse à même de donner le coup de pouce nécessaire à la sortie des pays africains de la trappe à pauvreté. Développement économique Equilibre haut Réformes au sein de la sphère réelle Zone d’instabilité Equilibre bas Réformes et appui au sein de la sphère financière Développement financier Figure 51: Les équilibres de développement multiples et l’action du développement financier dans la transition. Source : Berthélémy et Varoudakis (1996) et auteur Une deuxième stratégie complémentaire vise à promouvoir des réformes structurelles afin d’améliorer le niveau de développement. Ces réformes structurelles doivent porter sur des variables influençant le développement (démographie, capital physique, progrès technique, capital humain, gouvernance ou la qualité des institutions). Quelque soit la stratégie choisie, elle implique la mise en œuvre de politique publique destinée à garantir la réunion du mix de variables nécessaires à la transition, y compris des politiques de développement financier. §2-LES PHENOMENES DE PASSAGER CLANDESTIN ET LES IMPERFECTIONS LIEES A LA CREATION DE BIENS COLLECTIFS JUSTIFIENT L’INTERVENTION DES POUVOIRS PUBLICS La catégorisation du développement financier en tant que bien public possède de fortes implications quant à l’existence d’un ensemble de marchés complets susceptibles de garantir des transactions efficientes pour toutes ses dimensions. En sus de cette problématique, des actions de la puissance publique sont légitimées par toute une série d’imperfections affectant les marchés où se Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 234 produisent et s’échangent différents éléments sous-tendant la notion de développement financier. Ainsi, la production de services financiers au sein de l’arc subsaharien est minée par l’incomplétude des marchés, notamment dans leur dimension temporelle, une rationalité « atypique », des niveaux de risques plus élevés et des logiques de rentabilité nuisant au développement financier. #1 - Contraintes multiples et rationalité atypique de l’agent La logique économique de l’agent au sein de l’arc subsaharien est suffisamment éloignée de la base conceptuelle des manuels d’économie qu’il semble pertinent de s’arrêter un instant sur les déterminants du comportement financier et du comportement d’investissement de l’agent économique type au sein de cet espace. Loin d’être irrationnelle, elle est rationnelle eu égard aux différentes contraintes auxquelles ce dernier est soumis (Meisel et Mvogo, 2007). Si elle constitue la meilleure réponse face à celles-ci, il n’en demeure pas moins qu’elle a des conséquences sousoptimales pour l’agent, la sphère réelle dans son ensemble mais aussi pour les intermédiaires financiers. Les causes et les solutions du sous-développement financier au sein de l’arc subsaharien doivent en fait être recherchées dans les comportements microéconomiques. L’environnement de l’agent économique se caractérise par un niveau de risque extrêmement élevé, qu’il s’agisse du risque institutionnel (racket, corruption, incertitude juridique…), du risque politique (émeutes, affrontements armés…), du risque socio-économique (baisse des prix agricoles réels, hausse des prix de l’énergie, non-paiement des salaires et pensions,…), climatique (sécheresse, inondation,…), biologique (attaque acridienne, maladie des plantes, des hommes,…). En règle générale, ces risques sont généralement diversifiés à un niveau social très sous-optimal, correspondant au groupe d’appartenance immédiate (famille, quartier, village …). Le niveau de risque auquel doit donc faire face l’agent économique reste très élevé ainsi que le coût de sa prise en charge, puisqu’il est insuffisamment et mal diversifié. A ce niveau de risque individuel, toute prise de risque supplémentaire (notamment financier) de la part de l’agent constituerait une menace directe pour lui et les membres de sa famille. Il distord fortement les raisonnements et les comportements individuels par rapport au modèle de l’individu dit « rationnel » dans les manuels d’économie néoclassique, d’où une impression fréquemment répandue de la part des observateurs des pays riches que les comportements des acteurs sont court-termistes et manquent de rationalité. #2 - Logiques court-termistes et incomplétude des marchés Premièrement, il est rationnel d’être court-termiste puisque c’est bien à court terme que se concentre l’essentiel des risques à « gérer » lorsqu’on évolue à des niveaux de revenus proches du seuil de survie. Plus le niveau de risque perçu s’élève, plus l’adoption d’horizons longs pour guider les décisions relève, à l’échelle individuelle, d’un impossible. La réduction de l’horizon de prise de décision limite le développement d’institutions financières qui ont pour vocation de transformer des Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 235 dépôts à court terme en crédit de maturité plus longue mais aussi de convertir des actifs illiquides en dépôts à terme. En fait, plus les perspectives de rendement d’un investissement sont éloignées et incertaines, plus son coût d’opportunité augmente, plus il devient « rationnel » d’y renoncer. L’incertitude macroéconomique et microéconomique se situe au cœur de cette divergence d’intérêts préjudiciables au développement financier : les offreurs de services financiers considèrent leurs opérations dans une optique court-termiste. Face aux aléas de la conjoncture, les gestionnaires des institutions financières privilégient des produits financiers leur procurant une rentabilité certaine et quasi immédiate. Ce faisant, ils optent pour une fonction de maximisation du profit de court/moyen terme qui ignore toute possibilité d’augmentation de la rentabilité associée à des opérations sur des maturités plus longues ou vers des clientèles non traditionnelles. La politique de gestion des ressources humaines dans les grands groupes bancaires internationaux présents en Afrique accentue le conservatisme et explique la faible innovation financière. Les grandes banques internationales (notamment françaises) ont longtemps placé à la tête de leurs filiales africaines des cadres étrangers évoluant tout au long de leur carrière au sein du réseau hors France métropolitaine. Or, différentes affaires de corruption et d’octroi frauduleux de crédits ont contraint les grandes banques françaises à renforcer le contrôle des équipes dirigeantes au sein de leurs filiales africaines durement frappées par l’accumulation de créances douteuses lors des crises financières qui ont affecté les économies africaines dans les années 80. Premièrement, leur durée de séjour a été limitée à quelques années afin de les prémunir contre les phénomènes de capture et de corruption constatés en cas de séjour prolongé62, Deuxièmement, le contrôle des engagements et des initiatives a été renforcé. Ces règles, transposition des dispositifs de contrôle interne des maisons-mères, avaient pour objectif de renforcer la gouvernance des banques mais ont inhibé l’innovation. En effet, les gestionnaires bancaires, conscients de la durée limitée de leur mandat sont réticents à s’engager dans le développement de nouveaux produits financiers. D’autant plus que cette activité est consommatrice de ressources, tributaire d’une rentabilité incertaine et d’autant plus difficile à juger que les responsables bancaires disposent de peu de temps pour prendre conscience des potentialités économiques du pays : à peine l’ont-ils fait, qu’ils sont déjà à mi-mandat. Le succès du micro-crédit, démontre l’intérêt de certaines activités financières et leur rentabilité à condition de ne pas privilégier des niveaux élevés de rentabilité. Face aux poids de ces contraintes, seule l’intervention de la puissance publique peut les circonvenir. C’est tout le rôle des institutions publiques que de prendre en charge ce risque, d’investir elles-mêmes dans l’avenir, permettant ainsi aux individus d’allonger leurs horizons en éclairant et en sécurisant leurs anticipations (par exemple, en leur apportant suffisamment de confiance et de visibilité sur l’avenir pour qu’il devienne « rationnel », « rentable », d’investir dans 62 Plusieurs affaires de corruption touchant les directeurs de grandes banques françaises dans les années 90 ont défrayé la chronique. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 236 l’éducation de leurs enfants, en les envoyant à l’école plutôt que de les garder avec soi pour les tâches quotidiennes ; « rationnel », « rentable » de placer son argent auprès d’intermédiaires financiers aptes à leur apporter une meilleure rémunération qu’un investissement dans des actifs physiques qui ne présentent pas tous les gages de sécurité et de rentabilité ). #3 - Une gestion du risque encore plus sous contrainte dans l’arc subsaharien La rationalité de référence de l’observateur de l’arc subsaharien est implicitement celle d’un individu évoluant dans un pays suffisamment riche pour voir toute une série de risques majeurs pris en charge par la collectivité, à un niveau systémique, sous la forme d’un ensemble complexe d’institutions formelles et informelles. Cette prise en charge collective des risques est tellement efficace que l’individu finit par agir comme s’il n’existait pas et peut, avec raison, parier sur des retours sur investissement beaucoup plus éloignés dans le temps. Tandis que s’éloigne le seuil de survie, il peut s’engager dans des investissements à la fois plus risqués et générateurs de rendements supérieurs. Le coût des institutions créatrices de confiance est supporté par la collectivité (généralement nationale) dans des pays où le niveau de productivité globale génère de confortables recettes fiscales, suffisantes pour entretenir une infrastructure institutionnelle de qualité dans laquelle l’agent a globalement confiance, qu’il en ait conscience ou non. Dans les pays à faible niveau de productivité et de développement institutionnel, ce cercle vertueux est par définition absent de fait du coût prohibitif de mise en place et d’entretien de telles institutions. Au contraire, le coût du risque est presque entièrement supporté au niveau individuel (puisqu’il n’est pas correctement pris en charge par la collectivité), et vient directement amputer les marges individuelles souvent déjà bien maigres. La faiblesse des marges n’autorise que des investissements limités, générant des rendements faibles, contribuant à leur tour au faible niveau de marge. Lorsque les mécanismes assurantiels existent, la faible marge financière des agents ne leur permet pas de souscrire une police d’assurance, en raison de leurs coûts prohibitifs. A titre d’exemple, de nombreux agents ne peuvent bénéficier de l’assurance liquidité fournie par le compte de dépôt bancaire dans de nombreux PAZF en raison du niveau élevé de la prime explicite associée à celui-ci, les frais de gestion. Face à ces contraintes, les agents économiques préfèrent assumer, avec une certaine dose de fatalisme, le risque de réalisation du sinistre. Pour faire face aux risques mentionnés plus haut, l’agent (individu, ménage, entrepreneur,…) doit lui-même diversifier son portefeuille d’actifs et d’activités, là encore à des niveaux « sousoptimaux » au regard de la rationalité microéconomique classique. Plus le niveau de risque est élevé, plus ses activités sont diversifiées, dans la mesure du possible. Ce faisant, l’agent perd les bénéfices liés à la spécialisation. La diversification réduit le niveau de risque immédiatement perceptible pour l’agent mais limite la concentration des investissements et des moyens de production. L’absence ou la faiblesse des économies d’échelles limite à son tour les gains de productivité. En guise d’assurance, Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 237 et du fait de la difficulté d’accéder aussi bien au crédit qu’à des produits d’épargne ou d’assurance formels, l’agent « épargne » sous la forme d’actifs le plus liquide possible (« réalisables » pour employer un terme financier). Ainsi le lissage de la consommation en milieu rural passe-t-il fréquemment par la décapitalisation (typiquement la vente d’une tête de bétail). Au final, l’agent et l’ensemble de la sphère économique est plongé dans un piège à pauvreté durable : le faible développement financier (absence ou carence des institutions de réduction du risque), génère un faible développement économique qui, à son tour, pénalise l’essor des institutions financières (clientèle potentielle réduite ou peu solvable). Un niveau de risque élevé permanent nourrit également des logiques sociales endogènes qui privilégient « logiquement » l’élévation du niveau de protection collective. Ce faisant, ces mêmes logiques sociales refrènent l’incitation à accumuler individuellement. Au final, la logique microéconomique primordiale de l’agent « rationnel » n’est donc pas la maximisation du profit sous contrainte (hypothèse néo-classique de base) mais la minimisation du risque via la diversification de ses actifs et de ses activités. « La stagnation peut être vue comme une forme de réponse au risque » (Collier et Gunning, 1999). #4 - Des logiques de rentabilité qui accentuent le blocage de l’intermédiation Au niveau bancaire, les implications du fonctionnement quotidien d’une institution dans un tel environnement sont claires : les coûts d’information (asymétries considérables), les risques de contrepartie (vulnérabilité micro- et macroéconomique des opérateurs formels et informels), et l’incertitude sur le respect des contrats (environnement juridique et judiciaire imprévisible) sont trop élevés pour qu’il soit « rationnel » de s’engager sur certaines clientèles. L’aversion au risque des banques fait écho à celle de la population. Seuls les opérateurs informels traditionnels parviennent à suffisamment réduire ces trois risques par la proximité et la connaissance du client, des taux d’intérêt élevés, et la force contraignante des rapports sociaux, pour qu’il soit rentable de s’engager dans une relation de crédit. A ces facteurs classiques, s’ajoutent des considérations purement financières. Ces dernières découlent de l’adoption par les banquiers des PAZF des meilleures pratiques internationales en matière de pilotage de la rentabilité de leurs établissements. S’il faut se réjouir de cette amélioration des règles de gestion, on peut toutefois considérer avec appréhension leurs conséquences sur l’offre de services bancaires à certaines clientèles suite à des arbitrages stratégiques. Ceux-ci résultent de la définition de la banque comme un ensemble de centre de coûts/recettes dont l’objectif est de maximiser son profit. Or, pour un niveau de rentabilité identique, certaines opérations bancaires sont plus onéreuses que d’autres, notamment en raison de leur consommation en capital réglementaire. En pondérant plus fortement le risque des opérations de crédit sur les PME et les particuliers, les règles prudentielles, renforcées par Bâle II, améliorent la stabilité du système financier des PAZF mais contribuent à l’exclusion des clientèles les plus faibles. La plupart des acteurs bancaires formels préfèreront donc instruire un dossier de crédit sur une opération de financement Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 238 avec une grande société installée de longue date qu’instruire une multitude de dossiers émanant de PME à l’avenir incertain. Le raisonnement de la banque est rationnel puisqu’elle réalisera le même chiffre d’affaires avec des coûts moindres sur la grande opération. Par ailleurs, le capital réglementaire consommé sera moins important. Un seul chargé d’affaires pourra instruire le dossier contre plusieurs requis pour servir les PME. Les acteurs bancaires laissent aujourd’hui les institutions de microfinance prendre en charge les coûts de prospection et de bancarisation de nouvelles clientèles dont elles pourront évaluer l’intérêt le moment venu, une fois réduite l’incertitude sur leur volonté et leur capacité de remboursement. Ces différentes logiques peuvent parfois, voire souvent, aller à l’encontre de l’intérêt public et nécessite de ce fait l’intervention de la puissance publique pour favoriser le développement financier à travers la mise en œuvre de politiques ad hoc, dites politiques de développement financier. SECTION II- FAIRE DE LA POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT FINANCIER UN NOUVEL OUTIL DES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT Après avoir présenté une nouvelle méthode d’analyse des systèmes financiers africains se fondant sur la notion de développement financier, notre étude entend marquer un progrès supplémentaire dans la compréhension et la structuration des systèmes financiers mais cette fois-ci dans le champ des politiques publiques. Le postulat est simple : seules des politiques publiques ad hoc, élaborées de manière consciente et coordonnée, sont à même de répondre aux imperfections constatées dans le processus de développement financier de l’arc subsaharien. Nous appelons politiques de développement financier l’ensemble des actions mises en œuvre par la puissance publique ou ses émanations afin de satisfaire les besoins financiers des différentes catégories d’agents économiques dans un pays donné et contribuer au développement financier. Loin de constituer une pure création intellectuelle, le concept de politique de développement financier constitue un cadre d’analyse nouveau pour la compréhension des effets du comportement des acteurs privés et publics au sein des systèmes financiers subsahariens. Pour en mesurer toute l’importance, cette section apportera un soin particulier à en préciser deux aspects fondamentaux : l’élément intentionnel (§1) et d’autre part les objectifs, le contenu et les instruments de la politique de développement financier (§2). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 239 §1-POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT FINANCIER DE FACTO ET DEVELOPPEMENT FINANCIER DE JURE Contrairement au développement financier, la notion de politique de développement financier est un concept relativement «nouveau » et à développer, en tout cas dans la littérature économique francophone63. Elle tire sa légitimité du constat établi supra : le développement financier contribuant au développement, les imperfections associées à la production de ce bien public requièrent une intervention de la puissance publique. Toutefois, un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, de nombreux Etats (et plus particulièrement, ceux de l’arc subsaharien dans notre cas d’espèce) ont mené et mènent des politiques ayant des effets sur le développement financier sans être pleinement conscients de mener une politique de développement financier. Or, la réussite des politiques de développement financier telles que nous les avons définies suppose un élément intentionnel, une finalité commune, une capacité à coordonner les initiatives. Ces points distinguent une politique de développement financier de facto d’une politique de développement financier stratégique ou de jure. On peut parler de l’existence d’une politique de développement financier de facto à partir du moment où un Etat (ou ses émanations) intervient en faveur d’une des dimensions du développement financier. Ces interventions peuvent porter sur une ou plusieurs dimensions, viser une dimension mais avoir un impact sur une autre dimension. A titre d’exemple, les Etats subsahariens ont pris depuis leurs indépendances des mesures pour renforcer la réglementation prudentielle (action sur la dimension stabilité mais aussi sur d’autres dimensions64) ou adopté de nouvelles normes en matière de contrôle des capitaux (effet sur la dimension ouverture). Ces actions, qui viennent modifier les incitations et résorber certaines imperfections, ne font généralement pas partie d’un plan coordonné visant à faire du facteur financier une variable supplémentaire dans la politique de développement national. Souvent considérées au cas par cas ou alors envisagées de manières non coordonnées, elles participent pourtant à une finalité globale : la création de systèmes financiers plus efficients et plus accessibles. Or, tant que les décideurs subsahariens n’envisageront pas leurs actions dans ce domaine comme faisant partie d’une nouvelle catégorie de politique publique à part entière, elles seront 63 Une recherche Google sur l’expression « développement financier » renvoie 8 450 pages contre 328 000 pages pour l’équivalent anglais «financial development ». La différence est encore plus forte en ce qui concerne le concept de «politique de développement financier » : un seul résultat est disponible contre près de 12 900 pour l’expression anglaise « financial development policy » (recherche réalisée le 3 août 2008). L’expression « politique de développement financier, lorsqu’elle est employée dans la littérature francophone fait souvent référence aux mesures mises en œuvre pour favoriser la stabilité. 64 L’amélioration de la stabilité peut entraîner un regain de confiance envers les institutions financières et un accroissement de la profondeur mais aussi un effet positif sur la rentabilité. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 240 inefficientes car non coordonnées et parfois contradictoires. Différents Financial Stability Assessment Program65 menés par le FMI ont ainsi souligné la mauvaise séquence des réformes financières dans les pays subsahariens66. Ces erreurs soulignent la nécessité pour les Etats subsahariens de passer d’une politique de développement financier de facto à la concrétisation de celle-ci de jure dans leurs programmes d’action stratégique (DRSP notamment), voire à travers des chartes de développement du secteur financier67. Cette transition vers une formalisation des politiques de développement financier requiert non seulement une meilleure prise de conscience de leur potentiel mais aussi une définition plus précise de leur portée et contenu, éléments qui seront l’objet du paragraphe (§2). §2- OBJECTIFS FINAUX, INTERMEDIAIRES ET CANAUX DE LA POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT FINANCIER Au-delà de sa formalisation, l’implémentation d’une politique de développement financier efficiente requiert tout d’abord une excellente délimitation de son périmètre. En la matière deux visions peuvent s’opposer : une définition étroite (les politiques de développement financier sont restreintes aux initiatives portant sur les dimensions sous-tendant le développement financier) ou plus large (les politiques de développement financier intègrent aussi les actions sur des variables extérieures à la sphère financière mais qui en conditionnent l’essor). C’est vers cette définition que l’on tendra (A) avec des conséquences évidentes sur la définition des moyens et outils de la politique de développement financier : celle-ci est en même temps moyen et utilisateur d’autres politiques publiques (B). En tissant un parallèle avec la politique monétaire, cette démarche nous permettra de distinguer : (i) (ii) (iii) 65 Les l’objectif final de la politique de développement financier (un système financier à même de financer la croissance et de lutter contre la pauvreté) ; des objectifs intermédiaires qui sont les sept dimensions et l’environnement financier ; et au final des canaux pour les atteindre (politiques et instruments). différents rapports FSAP sont accessibles sur le site du FMI à l’adresse suivante : http://www.imf.org/external/np/fsap/fsap.asp, page consultée le 3 juin 2008 66 A titre d’exemple : la volonté de promouvoir des marchés financiers sans avoir mené au préalable une réforme de la fiscalité ou alors d’encourager l’accessibilité sans promulgation au préalable d’une réglementation du secteur de la micro finance. 67 Par exemple, la Financial Charter sud africaine dont les dispositions sont consultables sur le site http://www.fscharter.co.za/page.php?p_id=1, page consultée le 3 juin 2008 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 241 A-Les dimensions et l’environnement financier comme objectifs intermédiaires de la politique de développement financier La définition de la politique de développement financier présentée en introduction possède un mérite : sa simplicité68. Elle porte en elle son objectif final : la réalisation d’un système financier à même de financer la croissance des pays de l’arc subsaharien mais aussi de soutenir les efforts en matière de réduction de la pauvreté. Elle permet aussi de préciser les cibles et vecteurs de transmission. Le public cible est aisément identifiable car il s’agit de l’ensemble des personnes physiques et morales, couches sociales, classes socioprofessionnelles en faveur desquelles les pouvoirs publics agissent afin d’améliorer l’accès, le volume et la qualité des services financiers appropriés. Quant aux vecteurs de transmission, ce sont des institutions publiques ou privées ou des corps sociaux sur lesquels l’Etat peut agir directement ou indirectement afin de susciter le développement financier. Cette dernière distinction est importante car la politique de développement financier peut passer par une action sur les offreurs de services financiers (OFFRE de services financiers) mais aussi sur les demandeurs de services financiers (DEMANDE de services financiers). Le chapitre 10 démontre qu’un développement financier pérenne ne saurait se faire sans une interaction forte entre ces deux éléments. En réalité, la véritable difficulté réside dans la délimitation du périmètre de la politique de développement financier. Et celui-ci varie en fonction de l’interprétation que l’on fait de la définition du développement financier et de la politique éponyme. Dans une acception étroite, la politique de développement financier aurait pour objectif de contribuer à l’essor des différentes dimensions sous-tendant le développement financier. Il existe aussi une définition plus large reposant sur une analyse plus fine partant de la définition d’un système financier. A titre de rappel, celui-ci a été présenté comme un ensemble intégrant les intermédiaires financiers certes, mais aussi les instruments proposés par ceux-ci, leurs clients, les différents marchés sur lesquels ils opèrent et les institutions légales et réglementaires qui en assurent le bon fonctionnement. A ces éléments, il faut ajouter un certain nombre de fondamentaux sans lesquels un système financier ne saurait fonctionner de manière efficiente. En effet, les différentes dimensions sous-tendant le développement financier ne peuvent connaître un essor durable en l’absence de facteurs indispensables à la création et à la maturation des relations économiques et financières. il s’agit de : 68 Il s’agit de l’ensemble des actions mises en œuvre par la puissance publique ou ses émanations afin de satisfaire les besoins financiers des différentes catégories d’agents économiques dans un pays donné et contribuer au développement financier. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 242 (i) (ii) (iii) (iv) la primauté du droit ; de l’existence d’infrastructures physiques et sociales ; du macro environnement intérieur (gouvernance économique et politique) ; mais aussi du macro environnement mondial. Les travaux sur la compréhension des effets marginaux du développement financier en Afrique par rapport à d’autres régions du monde soulignent l’impact global de ces facteurs externes sur la sphère financière et la contribution de celle-ci à la croissance. Pris individuellement, chacun de ces facteurs, constitue un socle sur lequel s’appuient, tels des piliers, les sept dimensions du développement financier. Ces fondations, ne sont pas spécifiques au système financier mais conditionnent le développement de l’ensemble du secteur privé et constituent ce que l’on pourrait appeler l’environnement financier. Le graphique n°51 file la métaphore architecturale tout en permettant de mieux comprendre l’étroite relation entre l’environnement financier et les dimensions du développement financier. Il souligne aussi la nécessité d’adopter une définition plus large du concept de politique de développement financier. Figure 52: Relation dimensions du développement financier/environnement financier. Source : PNUD et auteur. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 243 Cette dernière place dans le champ des politiques de développement financier des actions dans des domaines n’appartenant pas directement à la sphère financier : les réformes du système judiciaire, les interventions en faveur de la stabilisation macroéconomique, les politiques macroéconomiques, méso économique et microéconomique, les grands travaux en matière d’infrastructure mais aussi certaines politiques sociales. Ces actions appartiennent certes à d’autres politiques structurelles ou conjoncturelles mais participent des politiques de développement financier à des degrés divers. Notamment, lorsqu’elles sont pensées comme des actions à même de susciter le développement financier. Ces phénomènes de congruence ne constituent pas en soi un inconvénient dans la mesure où ils sont communs aux différentes politiques économiques. B-Les canaux de transmission de la politique de développement financier De la réflexion précédente, émerge un périmètre de la politique de développement financier intégrant l’ensemble des politiques destinées à favoriser directement l’essor des différentes dimensions mais aussi à renforcer l’environnement du système financier. Figure 53: Les politiques au service de la politique de développement financier. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 244 Les canaux de transmission de la politique de développement financier se confondent avec les politiques agissant sur les piliers ou fondamentaux (§1) et celles agissant sur les dimensions (§2). De leur examen, découle un constat : une politique de développement financier efficiente mobilise des éléments des politiques de stabilisation (politique monétaire, politique budgétaire, politique fiscale), des aspects des politiques sectorielles (politique industrielle, agricole, commerciale) et ne peut se faire sans un apport des politiques d’infrastructures (infrastructure sociale ou physique). Leur présentation se fera de pair avec celle de quelques uns de leurs instruments. En raison des interactions existant entre les composantes du développement financier, certains de ces instruments peuvent être utilisés par différentes politiques et présentent des similitudes dans leur mode d’action permettant de les regrouper en trois grandes catégories : (i) (ii) (iii) les instruments fondés sur la réglementation, ceux reposant sur des transferts de ressources vers des intermédiaires privés et finalement la production par la puissance publique de services financiers (Greffe, 1997). La réglementation constitue le premier mode d’offre de politique de développement financier. Elle a pour objet d’encadrer les décisions privées d’allocation dans les domaines liés au développement financier et s’avère nécessaire dès lors que le fonctionnement naturel des systèmes financiers ne permet pas de résoudre certains problèmes structurels les affectant (existence de monopoles naturels, concurrence excessive, contrôle des rentes ou des profits excessifs, compensation des effets externes, absence, insuffisance ou mauvaise qualité de l’information). L’offre de politique de développement financier par le droit est plus ou moins développée selon les pays et s’échelonne du recours à des solutions de type monopoles publics à la simple promulgation de règles (Greffe, 1997). Celles-ci affectent l’ensemble des dimensions sous-tendant le développement financier. Ainsi, la procédure de droit au compte représente un des exemples de réglementation prise par les pouvoirs publics pour améliorer l’accessibilité. La promulgation de dispositions destinées à encadrer les activités du secteur de la micro finance s’inscrivent dans une logique similaire tout en ayant un retentissement sur des dimensions telles que la profondeur ou la diversité institutionnelle. La conception et le suivi de la réglementation doivent faire l’objet d’une attention toute particulière pour ne pas susciter d’effets négatifs ou contraires à l’objectif recherché (sur ou sous régulation) ou alors des interactions avec d’autres objectifs ou dimensions. Ainsi la mise en place de dispositions limitant la liberté d’établissement pour garantir la rentabilité des institutions financières Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 245 et renforcer la stabilité des institutions financières peut avoir des conséquences sur le degré de concurrence et leur efficacité69. L’offre de politique publique peut emprunter un deuxième chemin utilisant des incitations pour modifier l’allocation des ressources au sein de la sphère financière et influer sur le développement financier. Pour ce faire, différents transferts monétaires ou en nature peuvent être mis en œuvre afin d’influencer le comportement des acteurs. Une distinction peut être établie au sein de ces transferts en fonction de leurs effets positifs (subvention, exonérations fiscales) ou négatifs (prélèvements, majorations) sur le budget des acteurs. Les différents dispositifs fiscaux sont connus (majoration, exonération, exemption, dégrèvement, crédit d’impôts), raison pour laquelle un accent particulier sera apporté aux subventions. Il peut s’agir de subventions en nature avec, par exemple, la mise à disposition de matériels ou de locaux. Ceux-ci peuvent être proposés à des institutions financières contre réalisation par ces dernières de certaines prestations financières en faveur de clientèles ou de zones géographiques marginalisées. Les subventions en nature peuvent aussi prendre la forme d’une assistance technique avec la mise à disposition de personnels spécialisés dans le traitement de certaines problématiques (populations marginalisées, PME, réglementation financière). La subvention peut aussi adopter une forme plus traditionnelle et monétaire. En l’accordant à une institution financière, l’Etat ou un bailleur augmente son revenu. L’efficacité de cette forme d’incitation repose dans la capacité de la puissance publique à conditionner son versement à la réalisation d’objectifs de développement financier précis mais aussi à vérifier qu’une part substantielle de la subvention n’a pas été affectée au financement d’autres activités. La décision de l’institution financière de modifier ou non le volume ou la qualité de son offre de service est moins fonction du volume de la subvention que de sa capacité à agir marginalement sur la décision de produire. L’Etat ou les bailleurs peuvent, par ailleurs, subventionner la production d’un service financier en supportant une partie de son coût (subvention par baisse des coûts). Dans ce cas, l’institution financière ne supporte qu’une partie du coût effectif. Les lignes de crédit concessionnelles proposées par les bailleurs reposent sur ce mécanisme. Si la subvention constitue un moyen efficace d’incitation du secteur privé à la production de nouveaux services financiers, elles font notamment l’objet de critiques en raison des effets d’aubaines qui leur sont associées et des hypothèses qui sous-tendent leur efficacité. Les subventions reposent en fait sur un pari : l’octroi sur une période limitée d’une subvention à un intermédiaire financier est à même de l’inciter à modifier plus durablement son offre de services 69 En guise d’illustration de ces phénomènes, l’introduction du McFadden Act en 1927 a restreint les possibilités de créations de filiales dans les différents Etats américains. Tout en permettant de garantir la stabilité des banques régionales, elle est à l’origine d’une longue controverse sur les effets de la restriction « du branching » sur l’efficience. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 246 financiers. Le calcul économique motivant la subvention se fait en deux périodes. Dans un premier temps, la subvention, en abaissant les coûts d‘exploitation de l’opérateur financier, l’incite à explorer ce dernier et à y développer ses activités. La subvention joue ainsi le rôle de révélateur de marchés solvables et permet aux intermédiaires financiers de constituer une courbe d’expérience mais aussi de mettre en œuvre des solutions techniques pour faire face aux risques de ces marchés. A l’arrêt de la subvention, les intermédiaires financiers disposent non seulement d’une connaissance opératoire du marché et d’une courbe d’expérience qui leur donne la possibilité d’y poursuivre leurs opérations tout en étant rentables. La politique de développement financier peut, au final, emprunter une dernière forme : celle de la production publique de services financiers à travers la création d’institutions publiques locales, nationales (Banque centrale ou banque postale) ou sous-régionales (BEAC, BCEAO) mais aussi par la mise en place de partenariat avec les acteurs privés (Partenariats Publics Privés). La présentation des politiques agissant sur les fondamentaux de l’environnement financier (§1) et les dimensions (§2) permettra de poursuivre la découverte de la nature polymorphe des formes de l’offre de politique de développement financier. §3 - LES POLITIQUES AGISSANT SUR LES FONDAMENTAUX Agir sur les piliers du développement financier constitue un des axes majeurs de la politique de développement financier tant les externalités exercées sont importantes. La politique de développement financier possède donc des congruences avec d’autres politiques visant à créer des infrastructures physiques et sociales mais aussi à renforcer la gouvernance économique et politique ainsi que le cadre juridique et l’information. A- L’amélioration de la gouvernance économique et politique La stabilité politique et macroéconomique constitue une des conditions essentielles du développement du système financier. En matière de stabilité politique, la corruption et la criminalité économique constituent des sources d’augmentation de l’incertitude des agents économiques qu’ils soient financiers ou non financiers. Ayyagari, Demirguc-Kunt et Maksimovic (2005) ont ainsi démontré que l’instabilité politique et le crime constituaient des freins majeurs à la croissance des entreprises. Detriagache, Gupta et Tressel (2005) abondent dans ce sens en soulignant que dans les pays à faible revenu, l’instabilité politique et la corruption sont défavorables au développement financier. Haber (2004), en s’intéressant au lien entre forces politiques et stratégies de développement financier affirme que des systèmes politiques clos sont susceptibles d’empêcher le Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 247 développement d’acteurs financiers efficients et concurrentiels car ceux-ci pourraient remettre en cause les rentes de situation. Sans pêcher par excès, on peut affirmer que les actions visant à améliorer la gouvernance politique participent de la politique de développement financier. Par ailleurs, dans un environnement politique stable, la discipline budgétaire et des politiques macroéconomiques responsables sont autant de facteurs contribuant à l’émergence d’acteurs financiers dynamiques. La relation est aussi valable dans l’autre sens car des systèmes financiers efficients et diversifiés sont le gage d’un meilleur pilotage de la politique budgétaire. Ainsi, l’essor des marchés monétaires et obligataires peut limiter le seigneuriage au profit d’un financement de la dette publique par les marchés. L’intermédiation directe constitue, par ailleurs, un progrès dans la supervision de la gestion publique grâce à la discipline imposée par le marché. La multiplication des emprunts obligataires publics sur la BRVM et la capacité des Etats à rembourser ceux-ci par anticipation a contribué à asseoir la réputation de la gestion publique au sein de l’UEMOA. Elle alimente, par ailleurs, la dynamique de la bourse en raison de l’activité plus forte enregistrée sur le marché des titres publics. Les politiques de stabilisation macroéconomique, souvent critiquées pour leur coût sur l’économie réelle, ont permis d’asseoir les fondements du développement financier en contribuant à la réduction de l’inflation. En effet, les pays enregistrant des taux d’inflation stables présentent des degrés de développement des systèmes financiers plus élevés [Boyd, Levine et Smith, 2001]. Rousseau et Wachetl (2002), en considérant un échantillon de 84 pays (dont 22 Etats africains 70) sur la période 1960-1995, mettent en évidence l’existence d’un seuil d’inflation (compris entre 13 et 25 pourcent) au-delà duquel, la relation entre finance et croissance n’est plus significative. Cette étude confirme les travaux menés par Bruno et Easterly (1998): la profondeur financière varie inversement à l’inflation. A contrario, les épisodes de désinflation sont accompagnés par un approfondissement du système financier et un impact positif de ce dernier sur la croissance. Les effets de l’inflation s’expliquent par la difficulté de réaliser l’intermédiation financière en présence d’un niveau général des prix élevé et erratique. Dans un environnement inflationniste, les flux d’information portant sur les projets d’investissements et leur rentabilité deviennent incertains. Des niveaux élevés d’inflation découragent la réalisation de contrats sur le long terme et limitent la volonté des intermédiaires de fournir des financements longs. L’inflation peut, par ailleurs fausser les ratios qui sont utilisés pour mesurer le développement financier. Des niveaux d’inflation élevés sont à même d’augmenter le coût d’opportunité associé à la détention de monnaie, entraîner les agents à réduire leur détention d’actifs monétaires et provoquer une baisse des ratios M1/PIB ou M2/PIB. A travers ces différents canaux, le secteur financier constitue un des canaux privilégiés empruntés par l’inflation pour miner la croissance. L’inflation étant à même de remettre en cause le fonctionnement efficient des 70 Algérie, Argentine, Cameroun, République Centrafricaine, Côte d’Ivoire, Egypte, Gambie, Ghana, Kenya, Lesotho, Malawi, Maurice, Maroc, Niger, Nigeria, Rwanda, Sénégal, Sierra Leone, Afrique du Sud, Soudan, Togo, Zimbabwe. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 248 systèmes financiers nationaux, elle limite, par ailleurs, l’intégration de ces pays avec le reste du monde (action sur le taux de change et augmentation du coût des instruments de couverture). La baisse des taux d’inflation des pays subsahariens représente un des effets durables des politiques d’ajustement structurel menées sous la houlette des bailleurs de fonds. En ce sens, elle légitime pleinement l’intégration de la politique monétaire dans le champ de la politique de développement financier. Au-delà de son action sur le niveau des prix, la prise en compte des interactions entre développement financier et politique monétaire est d’autant plus importante que cette dernière exerce un impact profond sur le développement financier à travers ses trois canaux (taux d’intérêt, crédit et actifs financiers). A titre d‘exemple, les modifications des taux d’intérêts ou de la parité monétaire, au-delà d’une recomposition du portefeuille des agents, peuvent avoir un impact non négligeable sur la profondeur des systèmes financiers, exposer les institutions financières au risque de change ou de taux et entraîner une dégradation de la qualité de leur bilan. La politique monétaire menée par la BEAC et la BCEAO au cours des quarante dernières années constitue une illustration de ces différentes interactions. Tout au long des années 1960, les deux instituts d’émission ont mené une politique monétaire d’inspiration keynésienne associant encadrement du crédit, taux de réescompte préférentiels pour les secteurs prioritaires et taux d’intérêts bas afin de favoriser l’investissement et la croissance. Ainsi, sur la période 1962-1973, le taux d’escompte est resté fixe à 3,5% au sein de l’UMOA générant des taux d’intérêts réels négatifs. A partir des années 1970, le différentiel des taux réels entre la France et la Zone Franc a alimenté un important processus de fuite des capitaux vers la France. Le dispositif institutionnel de la Zone Franc a donc pu contribuer à limiter la constitution d’une base d’épargne nationale. Au final, alors que les taux d’épargne ont fortement augmenté dans la plupart des pays en développement pendant les décennies 60-70, tel n’a pas été le cas de l’UEMOA dont le taux d’épargne brute est resté inférieur à 10% du PIB tandis qu’en CEMAC, ils ont surtout suivi les variations des prix pétroliers (Meisel et Mvogo, 1997). Dans les années 1980, suite au déclenchement de la crise de la dette, au relèvement brutal des taux du trésor américain et à ses répercussions mondiales, la BCEAO et de la BEAC ont également dû augmenter leurs taux pour s’aligner sur la politique du Franc fort. Ainsi, les deux instituts d’émission, au lieu de mener une politique contra-cyclique ont, au contraire par leur posture restrictive, contribué à détériorer la situation financière des entreprises des PAZF déjà mal en point. Les difficultés de trésorerie des entreprises ont affecté la liquidité et la solvabilité des banques et constituent l’une des causes du déclenchement des crises bancaires à la fin des années 1980. Rompant avec leur rôle de prêteur en dernier ressort, les banques centrales ont encore durci leurs conditions du refinancement en limitant l’accès à la liquidité des banques commerciales. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 249 Figure 54: Evolution des taux d’épargne (1965-2004). Source : Banque Mondiale (2006). Les pays anglophones comprennent le Ghana, le Kenya et le Nigeria. Quant au décrochage monétaire de 1994, il a profondément affecté l’intermédiation financière en augmentant la charge de la dette des acteurs endettés en devises et la dégradation du bilan des intermédiaires financiers. Les effets de la politique d’ancrage monétaire peuvent donc s’analyser à deux niveaux : dans la sphère financière et dans la sphère réelle. Concernant la sphère réelle, la politique monétaire menée par les instituts apparaît pro-cyclique tout au long de la période. En termes de développement financier, la politique monétaire a certes entraîné une amélioration des ratios de profondeur financière en facilitant la distribution de crédits à l’économie. Mais, en alimentant une importante fuite de capitaux, elle n’a pas pour autant permis la constitution d’une base d’épargne domestique stable et, au contraire, a ouvert la voie à des comportements opportunistes de la part des détenteurs de capitaux. A contrario, un faible niveau de développement financier peut fortement réduire les effets de la politique monétaire. A titre d’exemple, les asymétries d’information en générant des processus de rationnement du crédit peuvent créer une surliquidité des systèmes financiers susceptible d’inhiber la portée des mesures de politiques monétaires (détente des taux, baisse des niveaux de réserves obligatoires) passant par le canal des taux ou du crédit. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 250 B- Le renforcement du cadre juridique Le développement d’un cadre juridique adapté constitue une condition nécessaire à l’essor des systèmes financiers. L’interaction entre cadre juridique et développement financier en Afrique recouvre en fait deux problématiques bien distinctes : celle de l’insécurité juridique et celle de l’insécurité judiciaire. L’insécurité juridique désigne l’incapacité de la règle de droit dans sa forme actuelle à répondre aux besoins de ses utilisateurs. A titre d’exemple, le droit des affaires en Afrique francophone a longtemps été régi par un corpus juridique hétérogène, différant selon le pays et remontant parfois au Code Napoléon. La signature du traité de Port-Louis instituant l’OHADA en 1993 par 14 pays francophones a permis de moderniser le droit des affaires en Afrique en adoptant des normes uniformes et répondant aux besoins des opérateurs économiques.71 Si les différents actes uniformes correspondent à un immense progrès, plusieurs chantiers doivent être poursuivis. Tout d’abord, celui de l’hétérogénéité. Dans des espaces intégrés ou qui ont vocation à s’intégrer, l’hétérogénéité juridique demeure et constitue un frein pour le développement de relations financières interafricaines. Figure 55: Nombre de jours pour faire sanctionner un contrat (2007). Source: Banque Mondiale (2008) 71 Huit Actes uniformes ont été adoptés et régissent désormais les relations juridiques dans les domaines suivants : droit commercial, sociétés commerciales et le GIE, procédures collectives, comptabilité des entreprises, transport par routes, droit de l'arbitrage, procédures simplifiées de recouvrement et les voies d'exécution et sûretés. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 251 L’OHADA est un système juridique regroupant uniquement des pays francophones. Quant à la CEDEAO72, sa volonté d’intégration économique ne s’accompagne pas (ou peu) d’une intégration juridique. Le deuxième chantier est celui de la complexité des normes juridiques. Le nombre de procédures pour créer une entreprise, obtenir une licence, déposer ses comptes annuels constitue autant d’entraves. Au final, certains pans du dispositif normatif méritent une attention toute particulière. Une attention toute particulière pourrait être apportée à la réglementation financière qui accuse un retard dans certains pays. Les codes régissant les assurances datent parfois des indépendances et certains pays ne disposent pas de normes pour encadrer certaines activités financières ou alors pour garantir le respect de la concurrence. Le deuxième aspect de la question juridique a trait à l’insécurité judiciaire. Cette dernière dimension est particulièrement importante pour le respect et la sanction des contrats financiers. Or, les intermédiaires souffrent comme les autres acteurs financiers d’une réelle difficulté à faire sanctionner leur contrat. La lenteur de la justice et la qualité de la sanction représentent deux obstacles au développement de l’intermédiation. Pour les intermédiaires financiers, la corruption et les pressions de divers ordres exercées sur les juges constituent autant de raisons de limiter le volume de prêts ou l’offre de services financiers. Cumulés, ces deux aspects de l’insécurité du cadre juridique constituent un puissant facteur d’explication du sous-développement financier ainsi que l’attestent différentes études. Djankov, McLiesh et Shleifer (2005) concluent, par exemple, sur le rôle essentiel de la protection des droits de propriété et des mécanismes de sanction des contrats. Beck, Demirguc-Kunt et Maksimovic (2004) confirment le rôle fondamental du système judiciaire en établissant que les entreprises sont mieux à même d’accéder à des financements externes dans des pays où les tribunaux assurent une bonne applicabilité des contrats. L’efficience des tribunaux garantit, en outre, des taux d’intérêts et des différentiels de taux plus faibles (Laeven et Majnoni, 2005). Le rapport Doing Busines 2007 revient sur ces différentes notions en établissant une relation entre le ratio crédit au secteur privé/PIB et la qualité du système judiciaire (mesuré à travers un indice de respect des droits des créanciers et emprunteurs). Plus cet indice est élevé, plus la part du crédit privé dans le PIB est importante (Banque Mondiale, 2007e). C-La mise en œuvre d’infrastructures physiques et sociales Le développement d’institutions de formation de qualité est un autre préalable à l’essor des relations financières. En effet, bien que la micro finance ait démontré la possibilité d’intégrer au sein des systèmes financiers des personnes dépourvues de toute instruction, la capacité à prendre connaissance des termes et conditions d’un service financier représente un atout essentiel pour améliorer l’accessibilité mais aussi développer la contestabilité des marchés et réaliser les conditions d’une concurrence effective. 72 Ensemble regroupant aussi bien les pays anglophones et francophones ouest africains. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 252 Pour comprendre le rôle de la scolarisation et de l’alphabétisation dans la réalisation d’un meilleur degré de concurrence, il est nécessaire de revenir sur la distinction entre concurrence et concurrence effective. L’opposition entre ces deux notions n’est pas purement formelle mais reflète une réalité qui pourrait expliquer le sous-développement de certains systèmes bancaires africains. Les réformes entreprises dans le cadre de la libéralisation des années 80 et 90 ont posé le cadre de la concurrence dans les différents compartiments des systèmes financiers. La structure du système bancaire a profondément évolué avec une augmentation du nombre d’acteurs et une baisse de la concentration et la contestabilité de jure est plus grande. Cependant, de facto, concurrence n’y est pas effective. La concurrence est effective si trois critères sont réunis si : (i) (ii) (iii) les conditions traditionnelles de la concurrence sont présentes, le consommateur est capable d’effectuer un choix rationnel, et si le consommateur a la possibilité d’effectuer ce choix avec des coûts de transaction faibles. Le deuxième critère est largement lié à la politique éducative et explique la réalisation de choix non rationnels par les agents économiques non financiers et notamment les ménages. En effet, si de nombreux pays développés ont adopté des dispositions portant sur la transparence de l’information financière et la protection du consommateur bancaire, leur applicabilité dans certains pays africains peut être plus réduite en raison d’un niveau d’analphabétisme, certes en recul, mais encore assez important. La complexité des produits, des taux et commissions mais aussi une tarification parfois obscure peuvent limiter la comparabilité et limiter le jugement des consommateurs73. Un calcul des taux d’intérêts requiert un minimum de connaissances. Les consommateurs ne disposant pas de celles-ci ne sont pas à même de bénéficier de taux ou de commissions moins élevées en changeant de banques. En l’absence d’informations suffisantes pour effectuer leur choix ou alors comparer les différentes offres bancaires, la concurrence entre les différents établissements bancaires ne peut être effective. Dans cet environnement, les consommateurs accordent leur confiance aux banques disposant d’une réputation solide liée soit à l’histoire (longue implantation dans la communauté) ou à la marque (banque réputée, par exemple). Ces phénomènes de conservatisme bancaire peuvent nuire à l’émergence d’acteurs plus dynamiques et proposant de meilleures conditions de marché. §4-LES POLITIQUES AGISSANT SUR LES DIMENSIONS 73 Cf. pour le cas sud africain, l’excellente analyse contenue dans: Task Group Report for the National Treasury and the South African Reserve Bank, (2004) Competition in South African Banking, Competition Commission South Africa Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 253 Sans avoir la prétention d’être exhaustif, le tableau n°25 reprend différentes initiatives susceptibles d’exercer un impact direct ou indirect sur le développement d’une ou plusieurs dimensions. Bien que faisant l’objet d’une présentation par dimension, ces instruments exercent souvent un impact sur d’autres dimensions à travers un jeu d’interactions complexes. A- Promotion de la diversité et de la profondeur Le développement de ces deux dimensions est avant tout tributaire de la dynamique économique mais aussi de la diversification au sein de la sphère réelle. Vouloir agir sur elles implique, par conséquent, la mobilisation de politiques structurelles. Des politiques agricoles ou industrielles appropriées (interventions directes de l’Etat ou alors par la mise en œuvre d’incitations) sont susceptibles d’augmenter le volume des dépôts mais aussi la diversification de l’économie et ce faisant, les possibilités de division des risques pour les intermédiaires financiers. Un tel processus peut aussi susciter la création de nouveaux intermédiaires financiers en raison de la multiplication des besoins (immobilier, assurance, leasing, factoring…) mais aussi de leur augmentation (marchés boursiers pour faire face à la demande de capitaux). L’attractivité de nouveaux marchés et la solvabilité de leurs acteurs peuvent être renforcées par leur sécurisation via des engagements des pouvoirs publics sur la durée des incitations ou alors l’octroi d’un droit exclusif d’exercer temporaire. Des politiques commerciales bien pensées sont à même d’améliorer la compétitivité de certaines filières et constituent une garantie de rentabilité pour les banques. Par ailleurs, une amélioration des processus redistributifs, en élevant le revenu moyen par habitant, peut constituer un des éléments de la bancarisation des personnes physiques dans un espace caractérisé par un niveau de pauvreté élevé. Face à une épargne thésaurisée ou drainée en dehors de l’espace subsaharien (le volume de la fuite des capitaux est estimé à près de 10 milliards de dollars par an), le deuxième axe prioritaire de renforcement de la profondeur des systèmes financiers subsahariens réside dans la création de la confiance. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que les épargnants gardent en mémoire les déconvenues associées aux crises financières de la fin des années 80. Si l’amélioration de la stabilité politique et macroéconomique constitue des prérequis, d’autres solutions sont à explorer. Ainsi, redonner de la confiance aux déposants passe aussi par la mise en place d’un mécanisme d’assurance des dépôts ou alors de solidarité de place couplée à un durcissement de la supervision pour éviter des comportements hauts risques/hauts rendements. Au-delà de la surveillance des comportements de gestion, la supervision pourrait s’attacher au respect du secret bancaire et à la confidentialité des données financières car dans des pays où tout le monde se connait, l’accès à ces informations et la crainte d’une diffusion de celles-ci constituent deux motivations de la fuite des capitaux. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 254 Le blocage de l’intermédiation s’expliquant aussi par la peur du risque défaut, la mise en œuvre de mécanismes à même de renforcer la qualité de l’information financière fournie ou disponible sur les emprunteurs constituerait un plus. Un tel objectif pourrait être rempli par la mise en place de programmes de certification des comptes des entreprises. Ce processus de réduction de l’incertitude peut être décliné au niveau des personnes physiques avec l’établissement de passerelles entre les autorités en charge de la supervision bancaire et celles ayant pour mandat l’identification des résidents lors des recensements électoraux. La création de partenariat entre ces deux types d’institutions réduirait la réticence des institutions financières à opérer vers ce type de clientèle en raison des difficultés à établir la résidence et l’identité des individus. Du côté de l’offre de services financiers, l’approfondissement et la diversification du système financier transitent par des mécanismes au sein desquels peuvent participer des acteurs publics (bailleurs de fonds, autorités nationales ou régionales) mais aussi le secteur privé. Dans un environnement largement caractérisé par la surliquidité des systèmes bancaires, le recours à un deuxième instrument, la garantie, serait susceptible de renforcer l’accès au crédit des clientèles les plus fragilisées tout en drainant l’excès de mobilité. Toutefois, l’analyse des mécanismes de garantie à l’échelle internationale révèle une réalité : la réussite de ces programmes ne peut se faire sans réunir certaines conditions, notamment en matière de gouvernance. En effet, si les garanties constituent un pan essentiel de la politique de développement financier dans tout pays qu’il soit développé ou en développement, leurs résultats sont mitigés d’après l’étude menée par Grahams, Bannock et Partners (1997). Sur la base d’un échantillon de 85 pays, elle révèle en particulier que l’accès aux garanties est discriminatoire et que ces dernières ne sont pas toujours utilisées par les entreprises et clientèles en ayant le plus besoin. Ce phénomène existe aussi pour les lignes de crédit bonifiées qui bénéficient le plus souvent aux entreprises entretenant une relation de clientèle ancienne avec leur banque. L’utilisation efficiente de ces instruments passe par une attention plus forte accordée à leur accessibilité par les populations cibles. Pour les bailleurs de fonds, une utilisation plus efficiente de leurs instruments nécessite donc une meilleure vulgarisation de l’existence de ces instruments auprès des clientèles avec notamment des liens avec les associations professionnelles (confédération patronale, par exemple). La mise en œuvre de mécanismes à même de drainer une partie de l’épargne thésaurisée ou alors sortant de l’arc subsaharien pour l’allouer à des fins productives représente un vecteur d’interactions positives au sein de la sphère financière. Le développement d’initiatives dans le financement de l’immobilier et la création de bourses participent de cet effort et requièrent une Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 255 intervention partielle de la puissance publique en raison de la lourdeur des investissements mais aussi des nombreuses incitations et processus de coordination à mettre en œuvre74. Toutefois, la mise en œuvre de ces mécanismes doit se faire en prenant en compte les économies d’échelles et les investissements massifs qu’ils supposent. La régionalisation apparaît à cet égard une excellente solution pour mutualiser des institutions financières non viables à l’échelle nationale. Les bailleurs de fonds et les investisseurs privés extérieurs peuvent contribuer à la réussite du marché boursier directement à travers l’utilisation de l’endettement en monnaie locale pour financer leurs opérations au sein de l’espace subsaharien (ce faisant, ils préservent leurs contreparties du risque de change, augmentent la profondeur des marchés financiers et les structurent). De manière indirecte, la création de fonds souverains ou privés ayant pour finalité l’achat de titres côtés sur les marchés de l’arc subsaharien ou alors de produits s’inscrit dans cette logique (Geiss et Mvogo, 2008). Au final, face à l’ampleur des phénomènes de fuite des capitaux (estimé au minimum à 10 milliards de dollars américains par an), le renforcement du secret bancaire, voire des mesures d’amnisties fiscales, pourraient permettre de réintégrer dans le secteur bancaire des sommes jusque là dissimulées. La création d’un ou plusieurs paradis fiscaux africains, mesures certes provocantes, peut aussi représenter une alternative aux placements effectués hors du continent. Le développement de fonds implantés dans ces pays dotés d’une fiscalité avantageuse assurerait, par ailleurs, la transformation des sommes collectées. Des critères d’investissements stricts (allocation vers des projets productifs d’un volume pré-déterminé de l’épargne mobilisée) offriraient des opportunités de diversification plus intéressantes que le traditionnel investissement immobilier à l’origine du boom de la construction dans de nombreuses villes nouvelles africaines (ACI 2000 à Bamako, Ouaga 2000 à Ouagadougou…). Des mécanismes de redistribution des gains entre pays africains participant à ce dispositif viendraient couronner l’ensemble. B- Institutions d’appui et ouverture internationale De nombreuses études placent la qualité et l’accessibilité à l’information au rang des facteurs décisifs dans la constitution d’un secteur financier développé. Pour Jappelli et Pagano (2002), le volume de crédit bancaire est plus élevé dans les pays disposant de systèmes d’échanges d’information. De plus, les entreprises font état de moindres contraintes de financement lorsque les 74 A titre d’exemple, la mise sur pied d’un mécanisme de financement du secteur immobilier requiert: (i) la création de mécanisme de mobilisation et de transformation de l’épargne à long terme (obligations, livrets, comptes à termes), (ii) la gouvernance des institutions en charge de la gestion et de l’allocation des ressources collectées, (iii) l’instauration de solutions de titrisation, (iv) la mise en œuvre d’institutions chargées de la gestion des prêts immobiliers, (v) le financement des filières chargées de la construction Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 256 intermédiaires financiers disposent d’une meilleure information sur le crédit (Love et Mylenko, 2004). L’amélioration de la profondeur des systèmes financiers semble être conditionnée à un meilleur accès à l’information et à une sanction/application judiciaire des contrats plus rapides (Detriagache, Gupta, Tressel, 2005). Djankov et al. (2005) précisent cette dernière relation en affirmant que dans les pays à faible revenu, l’existence de systèmes d’information sur les prêts contribue plus fortement au développement de l’activité économique que l’existence d’un système judiciaire efficient. Or, huit ans après la publication de l’ouvrage d’Anne Joseph (2000), Le rationnement du crédit dans les pays en développement, mettant en lumière le rôle des asymétries d’information dans le sous-développement financier de différentes économies de la Zone Franc, il est frappant de constater que la création d’institutions à même de renforcer la confiance des créanciers n’a pas été au cœur des politiques publiques. Ce constat peut être étendu à pratiquement la totalité des pays de l’arc subsaharien car les centrales des risques existant dans ces pays permettent aux banques de connaître l’encours des prêts et engagements contractés par les gros emprunteurs mais ignorent les comportements d’emprunts des PME et de la majorité des personnes physiques. Le développement de quelques agences de notation pour faire face à la naissance des marchés boursiers ne palie pas le manque de centrales des bilans ou d’agences de rating spécialisées dans l’analyse du marché des PME. Ces lacunes limitent le développement du crédit à la consommation mais aussi l’essor du crédit aux PME. Pourtant des solutions techniques simples existent (de type Infogreffe ou Kompass) mais aucun acteur ne semble prêt à prendre le risque de s’impliquer dans une telle activité d’où un recours à la puissance publique ou l’adoption d’un modèle de type GIE. Ces infrastructures présentant en général des coûts assez élevés, les bailleurs de fonds pourraient envisager la création de Groupement d’Intérêt Economique regroupant de manière paritaire les opérateurs bancaires et les autorités de régulation afin de promouvoir l’utilisation de normes compatibles ou alors l’implantation de nouveaux DAB/GAB par la mutualisation des coûts. Le renforcement et l’extension de la supervision constitue une autre nécessité dans des environnements financiers marqués par l’entrée de nouveaux acteurs. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 257 Figure 56: Pourcentage de la population recensée dans les registres de crédit (2006). Banque Mondiale (2007e) Une ouverture financière réussie ne peut avoir lieu sans (i) (ii) (iii) l’amélioration des droits et de la protection des investisseurs, notamment internationaux ; la protection des droits des actionnaires, notamment en matière de communication de l’information mais aussi d’exercice de leurs droits sociaux ; et la protection des intérêts commerciaux par la justice. Ces trois types de protection sont complémentaires et se renforcent mutuellement. Lorsqu’elles font défaut, l’ouverture financière est susceptible de ne pas produire pleinement tous ces effets. En effet, en l’absence de protection des droits des investisseurs, les investisseurs internationaux seront réticents à financer des investissements dans le pays ou alors exigeront une rémunération plus élevée. C- Les politiques de développement de l’accessibilité A titre de rappel, la problématique de l’accessibilité aux services financiers est intimement liée à trois contraintes : (i) la capacité des agents à accéder physiquement aux institutions financières (accessibilité géographique) ; Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 258 (ii) (iii) mais aussi la soutenabilité des coûts pour utiliser les services financiers ; et les formalités à remplir. Si la microfinance est souvent présentée par les médias comme étant une des solutions à la problématique de l’accessibilité en Afrique subsaharienne, d’autres dispositifs présentent des avantages non négligeables. Contrairement à la microfinance qui œuvre en faveur d’une meilleure accessibilité par la création d’institutions spécialisées, certains mécanismes font largement appel à l’existant, c’est-à-dire les établissements financiers. La gamme des solutions s’échelonne de la revitalisation des caisses agricoles ou alors les banques postales à la mise en place d’Incitations fiscales pour les banques s’engageant dans des régions reculées ou alors sur des populations marginalisées. L’utilisation des NTIC pourrait, à cet égard, accorder quelques marges de manœuvre aux établissements financiers de proposer des services financiers sans développer un réseau d’agences. Au-delà de solutions assez onéreuses (distributeurs et automates bancaires), l’extension des réseaux de téléphonie mobile dans les pays de l’arc subsaharien offre de nouvelles opportunités. Suite à l’explosion du nombre d’utilisateurs de téléphones mobiles dans les pays subsahariens, différents réseaux bancaires offrent désormais la possibilité à leurs clients de pouvoir consulter leur solde bancaire sur leur téléphone. Le recours à de nouvelles solutions technologiques (E-Banking, mobile banking, guichets bancaires itinérants, DAB/GAB) est à même de réduire les coûts opérationnels associés à la géographie ou alors à l’offre de services financiers sur des clientèles non traditionnelles. Dans ce domaine, l’initiative prise par Google pour apporter des solutions techniques en matière de scoring ou de logiciels d’analyse des données des entreprises va dans le bon sens (Google, 2008b). Le chantier de l’accessibilité peut aussi être abordé sous l’angle juridique avec l’introduction d’un système de droit au compte (cas de l’UEMOA depuis 200275). Cet objectif peut aussi être atteint par la mise en œuvre d’une Charte financière imposant aux banques d’associer à la réalisation de leurs objectifs traditionnels des objectifs sociauxéconomiques. Ce mécanisme a été utilisé dès les années 1970 aux Etats-Unis avec la promulgation du Community Reinvestment Act76. Cette loi a été promulguée afin de limiter les phénomènes de ségrégation financière sur des bases géographiques ou sociales. Elle impose aux institutions bancaires américaines collectant des fonds dans une zone géographique d’y apporter un certain nombre de services financiers aux personnes morales et physiques (dont le financement de projets). Avec l’adoption de la Financial Charter en 2004, l’Afrique du Sud s’est inspirée de ce mécanisme afin 75 Ce droit a été institué en 2002 au sein de l’UEMOA par le règlement n° 15/2002/CM/UEMOA relatif aux systèmes de paiement dans les Etats membres de l'Union Economique et Monétaire Ouest Africain .Toutefois, la portée du droit au compte est encore limitée car il s’agit d’un droit et non d’une obligation. Par ailleurs, les conditions requises (justifier d’un revenu régulier, 50 000 FCFA au minimum) limitent l’accès à une frange importante de la population. 76 Cf. l’excellente présentation qui en est faite dans l’ouvrage suivant : La bancarisation des nouveaux marchés urbains : expériences américaines (Crédit Municipal de Paris, 2004) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 259 de promouvoir l’accès aux services financiers en faveur de la population noire largement exclue du secteur financier pendant l’Apartheid. Cette initiative constitue la déclinaison au niveau financier du Broad-based Black Economic Empowerment [BBBEE] Act promulgué en 2003 qui a pour objectif général de créer les conditions d’une plus grande égalité entre les différentes populations composant le pays. Sur la base d’objectifs quantitatifs et qualitatifs clairement définis, les différents acteurs du secteur financier sud africain (gouvernement, syndicats, institutions financières77, collectivités locales) s’engagent à garantir un meilleur accès aux services financiers à la majorité noire, à améliorer la répartition raciale de leur personnel mais aussi à investir dans un certain nombre de secteurs considérés comme prioritaires. Une réforme des lois régissant les opérations financières dans les pays subsahariens pourrait permettre aux établissements financiers de cet espace d’envisager de nouvelles modalités de distribution des services financiers. Celles-ci passent, par exemple, par l’exploration de synergies opérationnelles avec différents agents économiques non financiers (pharmacie, boutiques, grands opérateurs de téléphonie mobile, station services, guichets des loteries nationales …) dans le cadre de programme de « correspondance banking ». Les partenariats ainsi noués permettraient l’externalisation de certaines opérations financières de base (ouverture de compte, transferts d’argent, versements) et de fortement réduire l’investissement initial et des coûts d’exploitation (Kumar et al, 2006). Dans le cadre de ces accords, les établissements financiers pourraient bénéficier de la chaîne logistique de leurs partenaires et de leur capacité à gérer des flux de trésorerie importants. Ces modèles de « correspondance banking » présentent des avantages et des inconvénients, notamment lorsque les agents économiques retenus comme partenaires sont de petite taille ou alors trop proche des usagers. Cette proximité pose la question de la gestion des informations clients et du secret des transactions financières dans des petites communautés où tous les membres se connaissent. Un autre inconvénient associé au correspondance banking réside dans la double casquette de l’agent économique qui est opérateur économique pour son propre compte et prestataire de services financiers. Cette double casquette peut le pousser à interférer dans les opérations financières de ses clients afin de préserver ses intérêts. Certains commerçants pourraient ainsi refuser d’effectuer des opérations financières pour le compte de clients tant que ceux-ci ne se seraient pas acquittés de leurs dettes commerciales. 77 Notamment les assureurs et réassureurs, organismes de placement collectifs, les sociétés d’investissement et de gestion de fonds, les fonds de pension, les agents de change et les banques. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 260 CONCLUSION L’irruption de la politique de développement financier dans le champ des politiques de développement constitue la principale conclusion de ce chapitre. Une irruption largement motivée par l’ampleur des imperfections affectant la demande, la production et la distribution de services financiers au sein de l’arc subsaharien. Qu’il s’agisse de la nature de bien public du développement financier, de la rationalité limitée des agents économiques, de l’incomplétude des marchés ou des logiques de rentabilité propres aux intermédiaires financiers, ces différents facteurs pris ensemble ou séparément sont à l’origine du blocage de l’intermédiation dans les systèmes financiers subsahariens. Face à la force et à la multiplicité de ces contraintes et dans des environnements encore marqués par la rigueur de la contrainte budgétaire, la politique de développement financier se doit d’avoir l’efficience comme leitmotiv. Raison pour laquelle, la définition de ses objectifs potentiels, cibles et instruments a fait l’objet d’une attention toute particulière. De cette tentative de conceptualisation menée en ayant à l’esprit la politique monétaire, découle une réalité forte : une politique de développement financier ne peut se faire sans la participation de deux types de politiques : des politiques structurelles et de stabilisation agissant sur les fondamentaux de la sphère réelle et des politiques agissant directement sur les dimensions du développement financier. Réaliser le développement financier suppose l’intégration d’une variable essentielle : le facteur humain et les choix effectués par les hommes en charge de la conduite de la politique de développement financier. Ceux-ci conditionnent la philosophie de la politique de développement financier, délimitent le degré d’intervention de l’Etat dans la sphère financière, la priorité accordée à une ou à quelques dimensions ou le recours à un instrument plutôt qu’a un autre. Intégrer l’élément humain présente donc des implications fortes et explique que l’on ne puisse parler de politique de développement financier mais plutôt des politiques de développement financier. Le chapitre 10, en soulignant le caractère pluriel des politiques de développement financier essaiera d’en proposer une taxinomie. Dans une perspective axiomatique, il essaiera, par ailleurs, de définir le type de politique de développement financier adaptée à la situation des pays de l’arc subsaharien. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 261 Niveau/Dimensions Interventions Profondeur Utilisation de la surliquidité locale par recours à un système de garanties Promotion de l’endettement en monnaie locale Soutien aux agences accordant des crédits à l’exportation (Afreximbank, par exemple) Appui aux banques de développement Financement des PPP par recours à l’épargne locale Réformes fiscales pour accentuer le recours aux intermédiaires financiers formels Amélioration du secret bancaire voire création de paradis fiscaux Accessibilité Développement de la finance en milieu rural Extension de la micro finance Réformes des services financiers de la Poste Lignes de crédits concessionnels accordés contre une baisse des frais sur certaines populations Assouplissement des conditions d’ouverture de comptes Adaptation des règles de Bâle II pour prendre en compte spécificités des pays d’ASS (sinon risque d’exclusion de certaines clientèles) Droit au compte Renforcement des autorités de la concurrence et de supervision bancaires Réformes du système judiciaire Création d’agences de notation et centrale des bilans Réflexion sur la compétitivité des entreprises nationales Institutions d’appui Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 262 Niveau/Dimensions Interventions • • • • • • • • • Rentabilité/Stabilité Efficacité Complétude • • • • • Ouverture Tableau Renforcement de la supervision bancaire Adoption des normes comptables locales et internationales Mise en valeur de nouveaux marchés rentables pour les acteurs financiers Formation des employés au traitement des populations à risque Promotion de la concurrence Réforme fiscale pour limiter la fuite des capitaux Promotion de l’accès de certaines clientèles aux banques (PME, pauvres) Appui aux banques de développement Amélioration des systèmes de paiement (chambres de compensation, développement de la monétique, création de GIE bancaire) Développement d’alternatives aux solutions de transfert d’argent actuelles Renforcement des capacités des banques en matière de traitement du risque de certaines clientèles (PME, populations pauvres) Développement du crédit hypothécaire, du leasing, del’assurance Garanties sur les émissions boursières 25: Types d’actions Programmes pour améliorer l’utilisation des transferts de migrants à des fins productives • Renforcement des capacités des autorités réglementaires • Renforcement de la structuration des marchés financiers locaux pouvant être envisagées pour améliorer les dimensions. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 263 CHAPITRE 9 LES LEÇONS D’UN SIECLE DE DEVELOPPEMENT FINANCIER DANS L’ARC SUBSAHARIEN INTRODUCTION La lecture de différents ouvrages consacrés au développement financier dans l’arc subsaharien laisse songeur : en près de cinquante ans, les problématiques affectant l’intermédiation financière ne semblent pas avoir trouvé de solutions. Et pourtant, ces systèmes ont connu de profondes évolutions. En élargissant à l’ensemble de la sphère subsaharienne une analyse effectuée dans le cadre d’un article intitulé Quelles politiques de développement financier en Zone Franc (Meise et Mvogo, 2007), ce chapitre dresse un constat : l’action de la puissance publique depuis les indépendances des Etats subsahariens a évolué entre deux extrêmes: interventionnisme et laissez-faire. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 264 D’inspiration keynésienne et prebischienne des années 1960 à 80, elle a permis d’améliorer la profondeur, la diversité et l’accessibilité des systèmes financiers tout en créant les conditions de leur instabilité (section I). Libérale des années 80 à nos jours, elle a restauré la stabilité et la rentabilité des institutions financières au détriment de leur accessibilité, de leur diversité et de leur profondeur (section II). Au-delà d’une étude historique des trajectoires de développement financier, l’ambition de ce chapitre est aussi de mettre en lumière deux contre-vérités plombant la réussite des politiques de développement financier dans l’arc subsaharien: Contre-vérité n°1 : utiliser la faillite de l’action de l’Etat dans la sphère financière à la fin des années 80 pour remettre en cause le principe d’une intervention de la puissance publique. Cette contre- vérité ne résiste pas à une analyse fine du développement financier sur les décennies 60-80. En effet, la multiplication des crises systémiques, longtemps perçue par beaucoup comme le symbole de la faillite de l’intervention de l’Etat, semble imputable non aux mécanismes et finalités soustendant celle-ci mais plutôt à leur gouvernance. Contre-vérité n°2: refuser une intervention plus forte de l’Etat en régime libéralisé. La section II, en jetant un regard plus attentif sur les effets de la libéralisation financière mettra certes en avant l’assainissement des systèmes financiers subsahariens mais une incapacité à apporter des solutions aux causes profondes du blocage de l’intermédiation financière dans l’espace subsaharien : asymétries d’informations, risques, rationalité limitée, concurrence relative ou inexistante…En mettant le retrait de l’Etat de la sphère financière au cœur de son agenda, la déclinaison de la libéralisation financière au sein de l’arc subsaharien semble priver les systèmes financiers de cet espace d’un acteur à même de contribuer à la résorption de ces différentes imperfections et défauts structurels. S’inspirant des intuitions et contrevérités présentées dans ce chapitre, le chapitres 10 essaiera de conceptualiser l’action de la puissance publique au sein des systèmes financiers subsahariens en introduisant une taxinomie de ces interventions. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 265 SECTION I - DES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT FINANCIER VOLONTARISTES, FINALEMENT VICTIMES DE LA GENERALISATION DE PRATIQUES DE GOUVERNANCE DEFAILLANTES (1960-1980) S’inspirant des politiques lancées pour reconstruire la France de l’après guerre, les PAZF78 mettent en chantier dès les indépendances une série de grands travaux, des programmes d’industrialisation et nationalisent une partie des moyens de production. L’objectif affiché est de créer de nouvelles structures économiques, de mettre en œuvre les conditions d’un développement plus harmonieux et mieux partagé. Cette période est marquée par une intervention massive des Etats et de leurs différentes émanations dans les sphères financières des PAZF. Ces interventions comportent une dimension pragmatique (mobiliser des ressources pour financer les investissements) mais aussi une dimension symbolique : le désir de rompre avec un système financier colonial réservé à une minorité. Les décennies 60-70 se caractérisent par le recours à une planification plus ou moins bien exécutée par les Etats, avec comme finalité la mise en adéquation des ressources financières avec les besoins de la sphère réelle. §1-DES INSTITUTIONS FINANCIERES AU SERVICE DE LA MOBILISATION DE L’EPARGNE ET DU FINANCEMENT DE L’INVESTISSEMENT Aux indépendances, les nouveaux régimes structurent le paysage financier autour de trois piliers principaux : les banques commerciales au service des populations, les banques de développement et les institutions spécialisées au service des ambitions de développement du secteur productif. Si les banques continuent de représenter la pièce maîtresse du système financier, les banques de développement et les institutions spécialisées renouvellent la donne de l’offre financière (Julienne, 1988 ; Eze-Eze, 2001). Au niveau bancaire, l’ordre nouveau se traduit par de profondes modifications car les anciennes banques héritées de la colonisation subissent de nombreux bouleversements (organisation institutionnelle, géographie du capital et mode de fonctionnement). En matière d’organisation institutionnelle, la réforme des institutions d’émissions en 1972-1973 entraîne un aggiornamento des réglementations bancaires dans les deux zones. Les nouvelles normes abolissent la séparation entre banques d’affaire, commerciales ou de développement et permettent à toutes les banques de participer sans restriction à la mobilisation de l’épargne et au financement du 78 Bien que centrée sur les Pays Africains de la Zone Franc, cette analyse peut être étendue à de nombreuses anciennes colonies d’Afrique subsaharienne. Le degré d’intervention de l’Etat y a été fonction de l’idéologie des régimes postcoloniaux : très forte dans les régimes marxistes et forte dans les Etats qui ont adopté une économie de marché. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 266 développement. La géographie du capital des banques enregistre elle aussi de profondes évolutions. Les succursales et filiales de banques étrangères sont transformées en banques de droit local qui reprennent les passifs et les actifs des anciennes maisons mères. Les nouvelles modalités de répartition du capital associent aux Etats des personnes physiques ou morales, les anciennes maisons mères et des groupes étrangers. Toutefois, malgré ces mesures et l’africanisation du personnel, les banques de la métropole continuent d’exercer une tutelle étroite de fait sur les activités et la gestion de nombreuses banques de la zone (Gérardin, 1994). La traduction véritable de la volonté de rupture des Etats passe dans la sphère financière par la mobilisation des banques de développement et des institutions spécialisées au service de grands projets de développement, via l’allocation de ressources concessionnelles. Les banques de développement sont souvent les héritières des banques de développement créées au sortir de la deuxième Guerre Mondiale, avec généralement une forte participation de la Caisse de la France d’Outre-mer, ancêtre de l’AFD. Elles doivent matérialiser les promesses de la conférence de Brazzaville et permettent de fait, jusqu’aux indépendances, de compenser les effets du refus des banques commerciales de financer certains secteurs. Après avoir nationalisé tout ou partie de ces institutions selon les pays, les PAZF reprennent à leur compte leurs mécanismes d’intervention. Leurs ressources proviennent des dépôts effectués par les organismes publics et parapublics, les institutions mutualistes, les caisses de retraite et de prévoyance, les émissions de bons, les emprunts bonifiés à long terme à l’étranger. La composition et la maturité de leur passif leur permettent donc d’immobiliser des fonds dans des projets porteurs de développement économique à long terme. Au cours des deux décennies qui suivent les indépendances, les banques de développement réaliseront des opérations pour leur compte propre ou pour celui de l’Etat, mettant en œuvre des études de faisabilité, assurant la formation du personnel et bien sûr le financement de projets sous forme de prêts plus ou moins bonifiés et de prises de participation. Enfin, une série d’institutions financières nouvellement créées vient compléter le paysage financier postcolonial : les trésors publics, les postes et les caisses d’épargne nationales. Ces institutions vont jouer un rôle clé de relais dans la mobilisation des ressources nationales pour les mettre à disposition des politiques publiques. Dans ce domaine, l’action des Trésors nationaux s’avère déterminante en raison du volume d’épargne qu’ils drainent et de leur influence sur l’ensemble du système financier. Ils ont, en effet, sous leur gestion les comptes d’institutions financières spécialisées ne disposant pas de l’autonomie financière de leurs dépôts au sein des banques commerciales et centrales. La force d’intervention des Trésors est d’autant plus considérable qu’ils peuvent souscrire des avances auprès de la Banque centrale, émettre des bons d’équipement (dont la souscription est souvent obligatoire) ou octroyer des crédits à court terme sous forme d’obligations cautionnées (Eze-Eze, 2001). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 267 Les banques publiques, quant à elles, bénéficient d’une rente captive en raison de l’obligation faite aux collectivités locales et institutions publiques de déposer leurs liquidités dans leurs comptes mais aussi de leur monopole sur certaines opérations. Les deux banques centrales, BEAC et BCEAO participent également à la mobilisation des ressources à travers une politique de taux d’intérêts administrés ou sectoriels favorables à la croissance et à l’investissement dans les secteurs jugés prioritaires. Au sein des deux instituts d’émission, le Taux d’Escompte Préférentiel (TEP) permet d’accorder des financements à des taux bonifiés aux gouvernements et à certains secteurs économiques (agriculture, PME, développement des infrastructures). Ce taux préférentiel sera aboli dans le cadre des réformes de libéralisation financière au début des années 90. §2-UNE PERIODE DE DEVELOPPEMENT FINANCIER REEL … Les décennies 1960-1970 correspondent pour les pays de la Zone Franc à une période de développement financier. Des progrès marqués sont réalisés dans trois dimensions : la profondeur, l’accessibilité et la diversité. Les indicateurs de profondeur attestent pour la Zone Franc d’une progression nette dans la collecte des dépôts qui passent en moyenne de 6 à 17% du PIB (Graphique 57) et dans l’octroi de crédits à l’économie qui, entre le milieu des années 60 et la fin des années 70, progressent de 11 à 27% du PIB en UEMOA et de 15 à plus de 20% en CEMAC (Graphique 58). Au-delà de l’approfondissement du système financier, l’agenda des nouveaux Etats accorde également une part importante à l’amélioration de l’accessibilité des systèmes financiers aux populations. Ce positionnement est d’autant plus important pour les Etats qu’il marque une rupture avec le système financier colonial, considéré comme extérieur à la société africaine et source d’exclusion. L’amélioration de l’accessibilité doit permettre de préserver les grands équilibres nationaux, de s’inscrire dans la volonté de modifier l’ordre économique colonial tout en favorisant une croissance économique géographiquement équilibrée. Dans cette optique, les politiques d’intervention dans le système financier vont favoriser l’accès au système financier (création d’agences dans les zones les plus reculées, développement des postes et caisses nationales et facilitation des conditions d’accès au compte pour la nouvelle classe moyenne). Au Cameroun, cette politique permet de multiplier par six le nombre de comptes en l’espace de dix ans (1973-1983) et par 2 le nombre de guichets entre 1973 et 1979 (Graphique 59). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 268 Figure 57: Evolution des dépôts en % du PIB (1964-2005). Source : Banque Mondiale (2006). Pays anglophones : Ghana, Kenya, Nigeria et Afrique du Sud Figure 58: Evolution du crédit au secteur privé en % du PIB (1964-2005). Source : Banque Mondiale (2006). Pays anglophones : Ghana, Kenya, Nigeria et Afrique du Sud Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 269 700000 200 184 606 323 180 600000 160 500000 140 120 400000 100 300000 200000 100000 80 65 60 40 20 122 289 0 0 19 73 19 74 19 75 19 76 19 77 19 78 19 79 19 80 19 81 19 82 19 83 19 84 19 85 19 86 19 87 19 88 19 89 19 90 19 91 19 92 Nbre de comptes/Nbre de guichets Evolution de la bancarisation au Cameroun 1973-1992 Nbre de comptes Nbre d'agences Figure 59: Evolution de la bancarisation au Cameroun (1973-1992). Source : Eze-Eze (2001). Evolution des crédits par maturité au sein de la BEAC (1971-1986) % des crédits à l'économie 90 80 70 60 CT MT LT 50 40 30 20 10 7,3 5 3,3 1,4 0,9 0,5 0 1971 1976 1981 1986 1991 1992 Figure 60: Evolution des crédits par maturités en CEMAC (1971-1986). Source : Gérardin (1994) Les politiques publiques étoffent les systèmes financiers et contribuent à leur diversité : diversité institutionnelle avec la création de nouveaux acteurs financiers et diversification de la Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 270 gamme des instruments. On assiste par exemple, au sein de la BEAC, à une diminution de la part des crédits à court terme au profit des crédits à moyen terme79 (Graphique 60). Les crises économiques et financières qui frappent les pays de la Zone Franc à partir des années 80 vont sonner le glas du processus de développement financier. Toutes les tendances à l’approfondissement financier connaissent une brutale inflexion avec les premiers signes du retournement économique. §3-… INTERROMPUE PAR L’EXTENSION DE PRATIQUES DE GOUVERNANCE PUBLIQUE ET PRIVEE DOMMAGEABLES Au-delà du tour de vis monétaire et de son caractère pro-cyclique déjà signalé, les crises financières qui affectent les PAZF s’expliquent par une crise des politiques de développement financier, elle-même due à un renversement des priorités des gouvernants (A) combiné à un dérapage de la gouvernance des institutions financières (B). A-L’inversion des priorités des gouvernants quant à la finalité des institutions financières Le conflit, longtemps invisible, entre objectifs de long terme et préoccupations de court terme, entre le service de l’intérêt national et celui d’intérêts particuliers tourne à l’avantage du court terme et des intérêts particuliers. S’il éclate au grand jour avec l’approfondissement de la crise économique au début des années 80, il aura couvé pendant une vingtaine d’années. Les germes de dérive peuvent être trouvés dans la difficulté historique de certains Etats nouvellement indépendants à faire face à leurs dépenses sur la base de leurs seules recettes. Plusieurs Etats, brutalement privés des mécanismes de redistribution entre colonies décidés par la métropole, doivent faire face à des difficultés financières nouvelles. En Afrique de l’Ouest par exemple, le Mali, le Dahomey (futur Bénin), le Niger et la Mauritanie présentent d’importants besoins de financement tandis que la Côte d’Ivoire et le Sénégal disposent de recettes et d’excédents de liquidité qu’ils placent auprès des banques commerciales, voire dans le cas de la Côte d’Ivoire directement auprès de la Caisse des Dépôts et Consignations française (Julienne, 1988). Suite au refus de la BCEAO de leur accorder des aides budgétaires ou de leur laisser la possibilité d’émettre des emprunts, ces Etats vont progressivement mobiliser les ressources des banques publiques, des institutions spécialisées et des banques de développement afin de financer leurs déficits budgétaires. Si de telles ponctions s’opèrent dans les pays de l’OCDE et les autres pays 79 La baisse de la part des crédits à long terme s’explique par une modification de leur comptabilisation : à partir de 1973, une part de ces crédits est comptabilisée dans les crédits à moyen terme. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 271 en développement grâce aux arrangements que permet la comptabilité publique, elles sont généralement accompagnées d’un plan de remboursement par le Trésor afin de ne pas fragiliser la santé des institutions mises à contribution. Or, de nombreux PAZF se sont tout bonnement affranchis de l’obligation de remboursement. Ces dérives, d’abord cantonnées aux pays disposant d’une faible base fiscale, se sont progressivement étendues aux pays les plus prospères de la zone avec le durcissement de la crise économique au début de la décennie 80 (qui a vu se combiner les effets du retournement du cycle des matières premières avec ceux de l’explosion de la charge de la dette). Les ambitieuses stratégies de développement financier des années 1960 se sont donc de plus en plus systématiquement heurtées à cette modification progressive et implicite (mais néanmoins objective) des priorités des Etats, qui les a vu reléguer au second plan de leurs objectifs de développement à long terme (financement des projets d’investissement) au profit d’une réponse à leurs besoins immédiats (financement du déficit budgétaire). Ce faisant, les Etats ont littéralement transféré leurs déficits aux institutions financières publiques (CCF, caisses nationales d’épargne ou de retraite) et vidé de leurs sens les mécanismes qui constituaient la clé de voûte des politiques de développement financier (Servant, 1991). Le détournement progressif des institutions financières de leur vocation première (financer des projets et des secteurs prioritaires à rentabilité différée mais élevée) au profit du financement du déficit budgétaire sans rentabilité future a mis à mal l’équilibre financier du système initialement conçu pour appuyer les stratégies de développement nationales à long terme. B- La propagation de pratiques de gouvernance défaillantes La dérive des mécanismes de gouvernance publique dans la sphère financière est perceptible à travers trois avatars: (i) (ii) (iii) le poids de la dette publique dans des institutions financières ; la défaillance de l’Etat actionnaire ; et la faillite de la supervision financière. Le poids de la dette publique constitue assurément la première cause de faillite des politiques de développement financier. Les Etats ont accumulé une importante dette publique auprès des établissements de crédit et il devient manifeste dans les années 80 qu’ils seront incapables de l’honorer. En effet, suite au retournement conjoncturel du début de la décennie 80, les cours des matières premières s’effondrent et plombent la capacité des PAZF à faire face aux services de leurs dettes. La politique monétaire menée par la Federal Reserve (hausse des taux d’intérêts), conjuguée à la hausse des primes de risque suite au déclenchement de la crise de la dette, renforce la Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 272 détresse financière des PAZF. Les Etats ont entraîné avec eux dans leur fuite en avant vers l’insolvabilité leurs fournisseurs et de nombreux organismes bancaires. Quant à la défaillance de l’Etat actionnaire, elle se manifeste d’abord dans l’incompétence des administrateurs nommés par les Etats pour siéger aux conseils d’administration des institutions financières publiques ou des banques privées au sein desquelles l’Etat détenait des participations. Ces gestionnaires publics ont souvent poussé à une politique hasardeuse d’allocation préférentielle du crédit vers des projets non viables sur la base de considérations autres que financières. Au sein des banques de développement, cette altération des objectifs a conduit au financement de secteurs à rentabilité immédiate, nulle ou négative, au détriment de ceux les plus à même de promouvoir le développement. «Les banques de développement sont en situation de cessation de paiement car les Etats se sont servis d’elles comme d’annexe du Trésor et, souvent, par clientélisme ethnique ou politique, ont contraint ces organismes à consentir des prêts à des emprunteurs dont on pouvait douter de la capacité à rembourser » (Servet, 1990). Tandis que l’accumulation des créances douteuses publiques et la faillite de la gouvernance des institutions financières publiques minaient les mécanismes d’intervention directe des Etats dans les systèmes financiers des PAZF, aucun système d’incitations-sanctions n’est venu jouer le rôle de garde-fou. Logiquement, l’accès aux financements publics concessionnels aurait dû rester conditionné à l’atteinte d’objectifs précis d’intérêt général (objectifs de production, d’exportation, de gains de productivité…). Au contraire, l’impunité s’est généralisée dans une situation d’aléa moral croissant. De nombreux commerçants, personnes morales et physiques ont ainsi contracté des prêts importants sans contrainte de remboursement du fait de leurs appuis politiques. Pour les mêmes raisons, les dirigeants de banques « protégés », en dépit de l’accumulation des créances douteuses et des dérives de leur gestion, n’étaient pas sanctionnés. De leur côté, les banquiers ont aussi pu tout simplement juger qu’il existait une garantie implicite de l’Etat sur la plupart des « grands comptes », qu’il s’agisse de grandes entreprises ou de membres de l’élite nationale. Les Banques Centrales portent également une part de responsabilité dans les crises. Premièrement elles ont laissé croître le nombre de banques sans prêter suffisamment attention à la taille du secteur. Elles auraient pu par exemple jouer un rôle modérateur via le contrôle des procédures d’agrément. Dans le contexte de boom économique des années 1970, les réseaux bancaires ont connu une forte croissance due à l’arrivée de banques étrangères et à l’extension des réseaux des institutions financières publiques. Ce phénomène a abouti à une concentration des banques sur les mêmes clientèles urbaines avec comme corollaire la sous bancarisation persistante du monde rural (Zerah, 1990). Au niveau des comptes d’exploitation bancaires, ces évolutions ont provoqué une hausse des charges liées à la gestion des réseaux mais aussi une érosion de la rentabilité en raison de la concurrence pour les dépôts et les crédits. L’excès d’offre bancaire (eu égard aux capacités d’absorption réelles de la clientèle ciblée) a créé les conditions d’une fragilisation du système bancaire que va révéler l’effondrement des dépôts publics. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 273 Les banques centrales ont aussi fermé les yeux sur certains prêts en raison des garanties octroyées par les Etats et laissé les créances douteuses s’accumuler dans les systèmes bancaires nationaux. Les commissions bancaires nationales en charge du contrôle des banques n’ont pas sanctionné les banques sous-capitalisées. Le laxisme des instances de supervision bancaire de l’UEMOA est parfaitement résumé par Joseph (2002) dans l’encadré 9. Encadré n°9. Régulation sans application n’est que ruine nationale « Avant les réformes, l'accumulation des risques pris par les banques en UEMOA semble plus liée à l'inapplication de la réglementation prudentielle qu'à un défaut de la loi elle-même. Ainsi, dés 1965, la loi bancaire n° 65-252 limitait la prise de risques. Les banques devaient constituer un fonds de réserves, et, à partir de 1966, elles étaient contraintes de respecter un montant minimum de capital (comprenant les réserves et les provisions non affectées) égal à trois cent millions de FCFA (un milliard à partir de 1982). Une centrale des risques bancaires, créée en 1962, répertoriait tous les crédits d'un montant supérieur à dix millions de FCFA. De plus, à partir de 1975, les autorités pouvaient contrôler la qualité des crédits via le mécanisme de l'autorisation préalable pour tout client sur lequel les engagements de la banque étaient supérieurs à 100 millions de FCFA. Cependant, comme la surveillance et la sanction des banques dépendaient du Ministère des Finances de chaque Etat, et que ce dernier avait des intérêts dans la plupart des banques, elles étaient peu appliquées ». Source : Joseph (2002). SECTION II - LES REFORMES DE LIBERALISATION FINANCIERE N’ONT PAS REMIS LE MALADE SUR PIED Dès le milieu des années 80, l’irruption des crises financières révèle les dysfonctionnements des mécanismes d’intervention des Etat dans les systèmes financiers nationaux. La thérapie prônée (restructuration et libéralisation financière) a certes permis d’assurer un retour à la stabilité et la rentabilité mais au détriment des autres dimensions du développement financier. §1 - LA CRISE FINANCIERE AFFECTE DUREMENT LES MECANISMES DU DEVELOPPEMENT FINANCIER La chute des cours des matières premières et la perte de pouvoir d’achat qui en résulte pour les Etats et les particuliers sont les déclencheurs de la crise financière : en limitant la capacité de remboursement des acteurs et en réduisant le volume de leurs dépôts, elles contribuent à révéler les faiblesses structurelles des institutions financières et leur mauvaise gouvernance. Le tableau 26 illustre l’ampleur du choc dans différents pays africains et notamment dans la Zone Franc. Les coûts de résolution atteignent près de 25% du PIB en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 274 Dans de nombreux pays, des pans entiers du système financier s’effondrent. Au Bénin, c’est tout le système bancaire qui s’écroule. En 1988, un tiers des banques de l’UEMOA sont en difficulté (le passif est supérieur aux actifs sains dans 22 banques sur 68) et le quart des crédits accordés est considéré comme douteux. La situation au sein de la CEMAC est encore plus grave : la moitié des banques de la zone (20 sur 39) sont en liquidation ou en faillite technique en 1990, et le tiers de leur portefeuille est irrécouvrable. Les banques étrangères adoptent une stratégie de repli qui prend deux formes : désengagement total (c’est le cas des banques américaines arrivées avec la manne pétrolière dans les années 70) ou fermetures d’agences et séparation de filiales (cas de la BIAO pour la BNP). Si les faillites bancaires et les coûts de restructuration constituent les coûts immédiats de la crise financière, la chute des ratios Dépôts/PIB, Crédit/PIB ainsi que la multiplication des fermetures de guichets à partir du milieu des années 80 (graphiques 57, 58 et 59) traduisent une crise de confiance généralisée et une dégradation profonde de la relation de clientèle entre le système bancaire, les épargnants, les entreprises et l’Etat. Au-delà du marasme bancaire, un aspect important de la crise réside dans l’effondrement des institutions spécialisées et des banques de développement : fermeture de 14 banques de développement dans la zone UEMOA mais aussi de nombreuses institutions spécialisées dans le financement de certains secteurs (agricole notamment), catégories d’entreprises (TPE et PME) et maturités (long terme). Les institutions financières non bancaires (assurances, caisses de retraite et de prévoyance) voient elles aussi leur santé financière dégradée. L’affaiblissement de ces institutions s’accompagne d’un recul de l’accessibilité du système financier aux populations avec pour corollaire, l’accélération des processus d’informalisation financière. Au final, la crise a trois conséquences majeures : (i) (ii) (iii) une importante réduction de la profondeur financière ; une réduction de l’accessibilité au système financier formel et partant une recrudescence des mécanismes informels ; une réduction de la diversité institutionnelle. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 275 Pays Bénin Période 1988-90 Ampleur du choc Pertes estimées Faillite des trois banques. Près de 17% du PIB 78% des prêts bancaires étaient constitués de créances douteuses fin 1988. Côte d’Ivoire 1988-1993 Ghana 1982-1989 Les 4 plus grandes banques représentant 90% des prêts du système bancaire sont touchées par la crise ; leurs créances douteuses représentent la moitié du total des prêts octroyés. 7 des 11 banques auditées sont insolvables. Cameroun 1987-1993 25% du PIB (coûts supportés par le gouvernement) Coûts de restructuration équivalents à 6% du PIB 60 à 70% du portefeuille bancaire est constitué de créances douteuses Guinée 1985 6 banques représentant 99% des Coût pour l’Etat de dépôts bancaires sont insolvables. l’assurance des Les créances douteuses dépôts : 3% du PIB constituent 80% du portefeuille des crédits Kenya 1985-1989 4 banques et 24 IFNB totalisant 15% des avoirs du système financier ont des problèmes de solvabilité/liquidité Nigeria 1991-1995 Fin 1992, près de 42% des prêts sont douteux Sénégal 1988-1991 La moitié du portefeuille de 17% du PIB créances est constituée de créances douteuses Tanzanie 1987Fin 1994, 60 à 80% de l’ensemble Pertes équivalentes à décennie des prêts sont des créances 10% du PIB 90 douteuses Tableau 26: Ampleur et coût des crises bancaires en Afrique. Source : Daumont et al. (2004) ; Caprio et Klingebiel (2002). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 276 §2-LE BILAN CONTRASTE DES REFORMES DE LIBERALISATION Les réformes de libéralisation financière se donnent classiquement pour objectif de mettre fin aux effets de la « répression financière ». L’analyse des réformateurs est inspirée par les thèses de McKinnon (1973) et de Shaw (1973) selon lesquelles la faiblesse des taux d’épargne est due au contrôle public du crédit et aux taux réels négatifs. La réduction de l’inflation et l’abolition des régimes de financement spéciaux constituent donc les deux priorités des politiques de libéralisation financière. Le contrôle direct de la politique monétaire par l’encadrement du crédit et l’administration des taux d’intérêt ont effectivement été abolis dans les PAZF à partir de 1989 : les taux d’intérêt sont déréglementés dans l’UEMOA entre 1989 et 1993 et entre 1990 et 1993 en CEMAC. Subsistent comme outils de pilotage national les plafonds de refinancement et le taux de réserves obligatoires des banques. Aux mécanismes de conduite politique de la politique monétaire se substitue un recours accru aux mécanismes de marché, avec notamment la mise en place d’un marché monétaire en 1994 et d’un marché interbancaire. Le tableau 27 oppose les principes régissant des économies caractérisées par l’administration par l’Etat du système financier et celles dans lesquelles la prépondérance des mécanismes de marché a été rétablie par la libéralisation financière. REGLEMENTATION EXTREME LIBERALISATION Variables financières Spécialisation des réseaux Non spécialisation Dissociation entre collecte de l’épargne Intégration et redistribution des crédits Produits financiers standardisés Existence de produits financiers Banques universelles spécialisés Décentralisation Existence d’institutions financières Favorise l’économie de marché spécialisées Centralisation des ressources Primat de l’économie d’endettement Organisation financière Laxisme monétaire pour favoriser la croissance Taux d’intérêts administrés Rôle centrale du Trésor Contrôle des changes Tendance à la dévaluation Politiques monétaires restrictives pour stabiliser les prix et susciter des taux d’intérêts réels positifs Détermination par le marché des taux d’intérêts Désengagement du Trésor Liberté de mouvements des capitaux Politique de monnaie forte Efficience allocative Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 277 REGLEMENTATION EXTREME LIBERALISATION Favorable à l’investissement Favorable à l’épargne Politique sectorielle de crédit (taux Allocation des ressources par le marché d’intérêts bonifiés) Sélection des investissements par les taux Intervention des pouvoirs publics Tableau 27: Comparaison entre un système financier libéralisé et soumis à une réglementation extrême. Source : adapté de D. Germidis, D. Kessler et R. Meghir (1991) Après la période des liquidations et restructurations, les réformes des lois bancaires ont contribué à l’amélioration de la réglementation et de la supervision. L’instauration de l’agrément unique par la commission bancaire a permis d’améliorer les règles d’entrée dans la profession bancaire et de faciliter l’implantation de nouvelles banques dans la Zone. Enfin, le cadre juridique mis au point en UEMOA et en CEMAC afin de réglementer les activités de microfinance constitue l’un des grands apports des réformes institutionnelles. Il a permis d’intégrer au circuit formel une part importante de la population historiquement non bancarisée. Malgré ces efforts, les standards et les pratiques en matière de régulation et supervision du système financier restent globalement éloignés des normes internationales. D’après ses promoteurs, la libéralisation financière devait permettre une meilleure mobilisation et allocation de l’épargne. Quinze ans après son début, la progression des encours et du réseau des institutions de microfinance constitue certes une réussite mais les autres bénéfices escomptés tardent à se manifester : Premièrement, les niveaux du crédit à l’économie et de dépôts sont loin d’atteindre ceux de la fin des années 70 (voir graphiques 57 et 58). Si l’on peut comprendre qu’au lendemain des restructurations bancaires et de la dévaluation de 1994, les volumes de crédits alloués aient été réduits afin que les établissements financiers retrouvent leur solvabilité et se mettent en conformité avec les nouvelles normes prudentielles, la perpétuation d’une interaction faible entre les systèmes financiers et l’activité économique met en cause la portée des bénéfices de la libéralisation ; La base de clientèles potentielles solvables du secteur bancaire demeure extrêmement réduite en raison de la faiblesse de l’activité réelle en secteur formel,. Le portefeuille (et donc le risque) des banques se retrouve concentré sur un petit nombre de signatures. Aucun système financier ne peut être totalement immunisé contre les vulnérabilités d’une base économique étroite et volatile. La transparence et la connaissance de l’activité bancaire souffrent de la faiblesse combinée des normes règlementaires et des organes de supervision. La cure d’amaigrissement des années 90 a donc abouti à ce que le moteur bancaire des systèmes financiers dans la région se préserve en tournant à bas régime ; il n’est pas devenu robuste pour autant ; Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 278 Témoins des inefficiences du système bancaire, les spreads de taux bancaires demeurent anormalement élevés (Graphique 15). La libéralisation financière n’a pas permis d’améliorer la relation à la clientèle pourtant cruciale au bon fonctionnement de l’intermédiation bancaire. L’amélioration de la relation de clientèle aurait un coût que les établissements n’ont pas intérêt à prendre en charge dès lors qu’une clientèle quasi-captive de grands groupes locaux ou étrangers assure l’essentiel de leur rentabilité et du Produit net bancaire ; Evolution des spreads de taux d'intérêts (1978-2005) 18 Différentiel de taux 16 14 12 10 8 6 4 2 Zone BEAC 2005 2004 2003 2002 2001 2000 1999 1998 1997 1996 1995 1994 1993 1992 1991 1990 1989 1988 1987 1986 1985 1984 1983 1982 1981 1980 1979 1978 0 Afrique anglophone Figure 61: Evolution des spreads de taux d’intérêts bancaires (1978-2005). Source : Banque Mondiale (2006). Pays anglophones : Ghana, Kenya, Nigeria, Afrique du Sud En termes d’adéquation entre l’offre et la demande, les différentes catégories de clientèles se plaignent des services dont elles bénéficient et surtout dont elles ne bénéficient pas. L’offre financière reste à la fois segmentée (manque d’intégration des marchés existants) et fragmentée (des pans entiers de la demande ne sont pas satisfaits) : les marchés du microcrédit et du crédit classique ne se rencontrent pas ; l’accès au crédit des PME et des opérateurs du secteur informel est toujours aussi limité. CONCLUSION Au terme de ce chapitre, l’utilisation de la notion de développement financier permet une réinterprétation des trajectoires de développement financiers empruntés par les pays africains depuis les indépendances. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 279 L’analyse classique accorde généresalement une place importante aux crises financières qu’ont traversées les pays de l’arc subsaharien à partir du milieu des années 80 et dont les conséquences se sont durement fait ressentir jusqu’au milieu de la décennie suivante. L’ampleur et les coûts de celles-ci ont largement été utilisés par les institutions internationales pour remettre en cause l’intervention de l’Etat dans la sphère financière. Cette faillite de l’Etat actionnaire, de l’Etat stratège et de l’Etat régulateur a été le point de départ d’un assainissement de la sphère financière, d’une privatisation ou d’un démantèlement des institutions étatiques. Pour les Etats africains, « la preuve par le feu » et l’adoption de l’agenda de la libéralisation financière, a sonné le glas de toute intervention dans la sphère financière ou alors l’adoption d’une position minimaliste. Or, l’examen du développement financier subsaharien sur la période 60-70 révèle, certes une tendance vers la déstabilisation des systèmes financiers, mais aussi une forte amélioration de certaines dimensions du développement financier. Il en va ainsi de l’accessibilité qui va connaître un bond au sortir d’une période coloniale caractérisée par une concentration/centralisation des services financiers dans les grands centres urbains ou auprès d’une infime partie de la population. La profondeur des systèmes financiers et la diversité institutionnelle enregistrent aussi des progrès spectaculaires qu’il faut néanmoins relativiser au vu de la situation initiale des pays subsahariens. Une deuxième réalité se fait jour après l’étude de l’intervention publique dans les sphères financières : ce n’est pas tant son principe que sa gouvernance qui est à l’origine des crises financières. L’échec de la gouvernance est attribuable à une dégradation de la qualité de la fonction d’objectifs publics, un défaut de la supervision et la multiplication de pratiques contreproductives et condamnables mais aussi au manque de chance (retournement conjoncturel du début des années 80). Contrairement aux réformes de libéralisation entreprises en France ou dans les pays de l’OCDE, la libéralisation financière n’a pas eu tous les effets escomptés. Près de vingt ans après son démarrage, la diversité institutionnelle se fait encore attendre et par rapport à d’autres régions en développement, le volume de financement accordé par le secteur privé n’a pas connu de progression spectaculaire. L’efficacité n’est pas au rendez-vous et les utilisateurs de services financiers affichent des taux de satisfaction assez faibles. Les raisons de ce demi-échec doivent être recherchées dans l’absence de réformes susceptibles de modifier certaines imperfections existant dans la sphère productive mais aussi de modifier la nature des interactions entre les intermédiaires financiers et les acteurs publics. En matière institutionnelle, les réformes n’ont pas porté sur la résorption des asymétries d’information et de leurs conséquences : anti-sélection des clientèles et aléa moral (les clientèles ne sont pas incitées à rembourser). La libéralisation financière, telle qu’elle a été menée, a été un processus essentiellement financier et peu a été fait pour remédier aux facteurs de blocage de l’intermédiation financière entre la sphère réelle et la sphère financière. En ne débouchant pas sur une transformation des structures productives, la libéralisation n’a pas touché au cœur des mécanismes de production de confiance. Au Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 280 contraire, la déstabilisation des jeunes institutions financières leur a fait perdre le crédit qu’elles avaient gagné auprès de la population, aux sens propre et figuré ! Aussi la pure logique de rentabilité des institutions bancaires formelles se superpose-t-elle aujourd’hui à la logique de diversification d’une sphère informelle qui s’est plutôt renforcée qu’elle n’a reculé depuis le début des années 1990. L’arbitrage rationnel effectué par les agents économiques des PAZF plaide le plus souvent pour un maintien dans l’informel (la formalisation entraîne des coûts d’inscription, de tenue d’une comptabilité, l’imposition des bénéfices, la couverture sociale des employés…). Les gains macroéconomiques liés à la financiarisation des agents, à leur sortie de l’informel et à leur entrée dans une logique d’accumulation productive formelle ne se sont pas réalisés. Le développement financier dans les PAZF ne fera pas l’économie de réformes de la fiscalité et plus généralement d’une réflexion sur les processus guidant le choix de l’informalité. La libéralisation financière a ignoré ces aspects et ce n’est que très récemment que l’effort a porté sur la création d’institutions d’intermédiation efficaces (registres de crédit, centrales des bilans, amélioration des institutions judiciaires) tandis que la réflexion sur les mécanismes de sortie de l’informel en est encore à ses débuts. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 281 CHAPITRE 10 DE LA POLITIQUE DE DEVELOPPEMENT FINANCIER AUX POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT FINANCIER Au lieu de vous plaindre, imitez-nous Akio Morita Peu importe qu'un chat soit blanc ou noir, s'il attrape la souris, c'est un bon chat. Deng Xiaoping INTRODUCTION Après avoir défini la notion de politique de développement financier, ses objectifs et ses instruments, émerge une question fondamentale et axiomatique, une question dont la réponse est généralement attendue avec impatience par les décideurs politiques : quelle politique de développement financier mettre en œuvre ? Derrière sa simplicité, cette interrogation comprend en filigrane deux autres questionnements auxquels les deux prochaines sections essaieront d’apporter une réponse pour l’espace subsaharien: (i) (ii) L’Etat doit-il intervenir ? l’Etat intervient-il de manière efficace ? Ces deux questions marquent le passage de la politique de développement financier appréhendé comme politique économique aux politiques de développement financier comme lieux de choix politiques mais aussi reflets de l’efficacité de l’action publique. Elaborant sur les résultats empiriques du chapitre précédent, cette section entend proposer un début de plan d’action de la politique de développement financier en fonction de ses finalités. Loin de tout dogmatisme et en s’appuyant sur les trajectoires de développement financier des pays de l’OCDE, une approche en termes de régulation présentera l’intérêt de considérer la production du développement financier comme le lieu d’une économie mixte devant associer intimement intérêts publics et privés. Elle permettra de proposer quelques principes à même de guider une gouvernance renouvelée des politiques de développement financier : subsidiarité, transparence et contrôle, approche séquentielle, concentration des moyens et l’association des différentes parties prenantes du développement financier à son pilotage (Section 1). L’observation des effets et des priorités des politiques de développement financier apportera un deuxième canevas avec l’introduction de la notion de développement financier équilibré. Celle-ci permettra de déterminer si les actions mises en œuvre par les pouvoirs publics entraînent un essor de l’ensemble des dimensions (équilibre) ou alors de quelques dimensions (déséquilibre). Face à des politiques de développement financier qui appuient largement l’OFFRE de services financiers au détriment de la DEMANDE, la notion de politique de développement déséquilibrée permettra de comprendre un autre facteur expliquant l’échec des politiques de développement financier au sein de l’arc subsaharien : leur incapacité à susciter la création de projets bancables et plus largement la solvabilité de la clientèle des institutions financières (Section 2). Dans cette revue des politiques de développement financier les plus à même de sortir l’Afrique subsaharienne du sous-développement financier, les deux citations liminaires soulignent une double nécessité : premièrement, celle de s’inspirer des meilleures pratiques internationales mais aussi le recours au pragmatisme. SECTION 1- LE DEVELOPPEMENT FINANCIER EN AFRIQUE SUBSAHARIENNE REQUIERT DES POLITIQUES PRAGMATIQUES ET NON DES SOLUTIONS DOGMATIQUES Le chapitre 9 a mis en exergue deux déclinaisons extrêmes du rôle de la puissance publique au sein des systèmes financiers à travers (i) un interventionnisme massif et un contrôle de l’ensemble des processus de production du développement financier ; Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 283 (ii) contre des politiques de développement financier libéralisées, reposant fortement sur la régulation par des processus de marché. La première posture prône l’intervention directe de l’Etat (financements sectoriels, création d’institutions ad hoc…), tandis que les secondes prêchent en faveur d’interventions plus indirectes (mise en œuvre du cadre réglementaire et prudentiel, créations d’incitations…) voire un primat accordé à la régulation par les seules mécanismes de marché. Plus important encore, le chapitre 9 a permis d’établir historiquement les avantages et les inconvénients des politiques de développement financier interventionnistes et libéralisées sur longue période. Choisir entre interventionnisme et libéralisation financière revient à opter pour des politiques ayant eu des conséquences diamétralement opposées au sein des pays subsabariens. D’une part, on a des politiques publiques volontaristes mises en œuvre pendant les décennies 60 et 70 et qui ont contribué à une amélioration de la profondeur, de la diversité institutionnelle et de l’accessibilité au sein des systèmes financiers subsahariens. Le retournement conjoncturel du début des années 80, conjugué à la mauvaise gouvernance de certains des mécanismes sous-tendant ces politiques, a déstabilisé profondément les systèmes financiers de l’arc subsaharien. D’un autre côté, la politique de libéralisation financière mise en œuvre à partir des années 80 a facilité le retour vers la stabilité et la rentabilité des systèmes financiers subsahariens tout en les maintenant dans une situation de blocage durable de l’intermédiation. En réalité, opposer ces deux déclinaisons de la politique de développement financier est caricatural, notamment lorsque l’on observe les trajectoires de développement financier au sein des pays de l’OCDE. Encadré n°10. Comparaison historique des problématiques financières au sein des pays africains et de l’OCDE La compréhension du développement financier en Afrique et des politiques visant à le promouvoir peut se faire à l’aune des trajectoires de développement financier empruntées par les pays de l’OCDE. En effet, les politiques de développement financier ont parfois été empruntées aux anciennes métropoles et à quelques décennies d’intervalle, certaines problématiques du développement financier en Afrique ne sont pas si éloignées de situations qu’ont pu connaître les pays de l’OCDE. A titre de rappel, le développement des grands réseaux d’agences bancaires au sein des pays développés est une réalité somme toute assez récente. En effet, si l’on considère l’exemple français, le maillage géographique des grands réseaux bancaires n’a pris toute son ampleur qu’à partir des années 60-70. Dans la première moitié ème du XX siècle, exception faite des réseaux d’épargne populaire ou ouvrière, l’intermédiation financière est une réalité peu connue de la majorité des Français. A titre d’exemple, la paie des ouvriers est versée en liquide et thésaurisée à domicile. A cette époque, les banques visent principalement une clientèle de cadres moyens, la bourgeoisie et les grandes entreprises dans le cadre de la grande banque d’affaires à la française. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 284 Les banques participent peu au financement de l’économie. Meisel (2004) fait remarquer que les grandes banques françaises créées au cours des décennies 1850-1870 se sont rapidement désengagées du financement de l’industrie suite aux faillites liées à la crise des années 1870. Lévy-Leboyer et Bourguignon (1985) soulignent le niveau faible de financement bancaire octroyé aux entreprises par les banques françaises. Teneul (1960) estime pour sa part que le crédit à long terme n’a pas fourni plus d’un pourcent du financement total des entreprises. Pour Meisel, les banques françaises ont acquis un immense savoir-faire sans pour autant participer au développement des entreprises privées à la différence des banques allemandes, très impliquées dans l’industrie en tant qu’apporteur de capitaux à long terme. Le processus d’industrialisation s’est donc largement fait par recours à l’auto financement, mécanisme qui constitue la principale source de financement de la croissance de nombreuses entreprises africaines. Loin d’une application canonique des modèles et théories du développement, l’observation des choix effectués par les pays de l’OCDE dans ce domaine peut s’avérer riche en enseignements (§1). Ceux-ci, bien que possédant les marchés financiers les plus développés disposent de puissants mécanismes d’intervention de l’Etat dans la sphère financière pour palier aux défaillances des acteurs privés (et ce pas uniquement pour préserver la stabilité financière à l’image des interventions massives dans la crise des subprimes de la Fed, de la Bank of England et de la Banque centrale Européenne). Dépassant un choix dogmatique entre Charybde (politique de développement financier volontariste) et Scylla (politique de développement financier libéralisée), le degré d’intervention de l’Etat au sein de la sphère financière devrait se faire en fonction des objectifs assignés à la politique de développement financier. Une fois ceux-ci définis et assumés par la puissance publique et la communauté, une politique de développement financier efficiente devra s’appliquer à les atteindre en utilisant les instruments choisis selon un critère d’efficacité et non idéologique. Une telle démarche requiert de reconsidérer les politiques de développement sous l’angle du pragmatisme et d’envisager toute une gamme de situations intermédiaires ou coexistent à différents degrés mécanismes interventionnistes et logiques de marché (§2). §1 - L’EXEMPLE DES PAYS DE L’OCDE : COEXISTENCE DE MECANISMES D’INTERVENTION DIRECTE ET REGULATION PAR LES MARCHES Intervention directe de l’Etat ou primauté du marché sont souvent mis en opposition et semblent constituer deux extrêmes des modes de régulation des politiques de développement financier. Pourtant, il n’en est rien ainsi que l’atteste leur cohabitation harmonieuse dans de nombreux pays de l’OCDE et ce que l’on soit dans des pays qui ont poussé au maximum les vertus des marchés et de la libéralisation (Etats-Unis, par exemple) ou alors d’Etats qui ont longtemps connu une forte intervention publique directe dans la sphère financière (France, par exemple). Cette coexistence sera illustrée non seulement en matière de financement des PME (A) mais aussi dans toute une série de secteurs jugés prioritaires (B). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 285 A-Le financement des besoins des PME Au sein des pays de l’OCDE, la règle de base pour le financement des PME est celle de l’intermédiation par des institutions financières privées80. Néanmoins, face aux difficultés d’accès aux financements rencontrées par cette catégorie d’entreprises, ces pays ont mis en œuvre, de longue date, des institutions susceptibles de leur apporter directement des financements mais aussi de proposer toute une gamme d’incitations aux institutions financières privées travaillant sur ce segment de clientèle. L’histoire de la Small Business Administration et d’Oseo illustrent la richesse de ces interactions public-privé aux Etats-Unis (A) et en France (B). Et, par contraste, la faiblesse de celles-ci dans l’arc subsaharien (Cf. chapitre 6). #1 - La Small Business Administration (SBA) Créée en juillet 1953, la Small Business Administration (SBA) puise sa philosophie et ses mécanismes d’intervention en faveur des PME dans une longue tradition historique qui remonte à la Grande Dépression (SBA, 2008). Son ancêtre, la Reconstruction Finance Corporation (RFC) a été fondée en 1932 par le Président Hoover afin d’aider les entreprises américaines à faire face aux conséquences de la crise de 1929. Elle s’est spécialisée dans l’octroi des prêts à toute entreprise présentant des difficultés pour mobiliser les ressources nécessaires à son fonctionnement et ce quelque soit sa taille. Ce n’est qu’avec la Seconde Guerre Mondiale et la création du Smaller War Plants Corporation (SWPC) en 1942 que l’idée de programmes spécialement dédiés à l’assistance technique et au financement de PME va voir le jour. Cette agence fédérale a été portée sur les fonds baptismaux afin d’aider les PME à prendre toute leur place dans l’effort de guerre en favorisant leur participation aux appels d’offre gouvernementaux, souvent remportés par les grands conglomérats. Pour ce faire, la SWPC accorde directement aux PME des prêts, encourage les grandes institutions financières à leur octroyer des facilités de financement et facilite l’intermédiation avec les agences gouvernementales pourvoyeuses de contrats. A la fin de la guerre, les pouvoirs de la SWPC seront transférés à la RFC tout comme ceux de l’Office of Small Business (OSB). Cette division du Department of Commerce s’était spécialisée dans la production des documents et de brochures de vulgarisation et la réalisation de missions de conseil pour aider les PME dans leur gestion au quotidien. 80 Le respect des règles de la concurrence au sein et entre pays de l’OCDE limite les aides d’Etat (notamment les financements directs) considérés comme des distorsions à la concurrence. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 286 En 1953, la RFC est remplacée par la Small Business Administration dont les missions sont d’aider, conseiller, assister et protéger autant qu’il est possible les intérêts des PME et favoriser leur accès aux appels d’offre publics. S’inspirant largement des mécanismes d’intervention de ses prédécesseurs, la SBA effectue des prêts directs et accorde des garanties en faveur des PME, facilite leur accès aux appels d’offres gouvernementaux et assiste les entrepreneurs dans leur management. Suite à une étude soulignant les difficultés des PME pour financer l’innovation, la SBA étend ses activités au capital-risque en 1958 avec la signature de l’Investment Company Act. Ce programme lui permet d’apporter une garantie publique à des sociétés de capital risque octroyant des financements sous forme de dette ou de fonds propres à des PME présentant un niveau de risque élevé. En 1964, la SBA lance un nouveau programme destiné à faciliter l’accès aux financements pour des entrepreneurs en dessous du seuil de pauvreté mais porteurs de projets viables. Ces initiatives visant à renforcer l’accessibilité de couches marginalisées au financement seront étendus aux femmes et aux minorités ethniques (indiens, latinos, noirs). En combinant ces différentes activités (financement direct, garanties, assistance dans les appels d’offre fédéraux, aide en matière de gestion, promotion des PME à l’export), la SBA a aidé depuis sa création près de 20 millions de PME. Elle possède un portefeuille de près de 219 000 prêts représentant environ 45 milliards de dollars US et constitue la plus grande institution d’appui aux PME au niveau mondial, loin devant Oseo. #2 Oseo L’histoire des politiques publiques française de renforcement de l’accessibilité des PME aux financements remonte au début du XXIème. En effet, dès 1923, l’Etat français crée la Caisse Centrale de Crédit Hôtelier, Commercial et Industriel (CCCHCI), habilitée dès 1938 à prêter à moyen et long terme aux PME quelque soit leur secteur d’activité grâce à des ressources d’origine publique ou des emprunts garantis par l’Etat. Afin d’améliorer et faciliter la participation des PME aux appels d’offre publics, ce dispositif est complété en 1931 par la création de la Caisse Nationale des Marchés de l’Etat des collectivités et Etablissements publics. Elle facilite le financement des investissements des PME par un système de garantie mais participe aussi à la mobilisation des créances à court terme sur les maîtres d’ouvrage publics. En 1980, ces deux institutions et le Groupement Interprofessionnel des PME (GIPME) sont fusionnées pour donner naissance au Crédit d’Equipement des PME (CEPME). En 1982, la Sofaris vient compléter le dispositif : elle permet le partage du risque de crédits bancaires des PME ainsi que certaines interventions en fonds propres grâce à différents fonds de garanties abondés par les pouvoirs publics. En 1997, la Banque de Développement des PME regroupe l’ensemble de ces dispositifs avant de devenir Oseo. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 287 Placée sous la double tutelle du ministère de l’Economie, des Finances et de l'Emploi et du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Oseo continue de perpétuer cette longue tradition en assurant une mission d'intérêt général (financer et accompagner les PME). Oseo intervient ainsi dans les phases cruciales d'évolution des entreprises (création/reprise, innovation, croissance, développement international). Si les financements mobilisés par Oseo apparaissent bien faibles au regard de ceux déployés par son homologue américain, il n’en reste pas moins importants. En 2007, près de deux milliards d‘euros ont été dépensés au titre des financements spécifiques et du cofinancement avec les partenaires bancaires (prêt à la création d'entreprise, prêt participatif de développement dans les zones sensibles, prêts à moyen ou long terme ; crédit-bail mobilier et immobilier). Le financement du court terme (mobilisation des créances professionnelles et mobilisation de la créance relative au crédit d'impôt recherche) a mobilisé 5 milliards d’euros. Quant aux garanties, elles ont mobilisé 2,5 milliards d’euros (Oseo, 2007) dans les différents programmes (risques pris par les établissements financiers, risques portés par des investissements liés à l'exportation et à l'implantation à l'étranger et risques du financement en fonds propres des PME engagés par les investisseurs institutionnels). Que ce soit à travers le nombre d’entreprises aidées ou alors leurs encours sous gestion, Oseo et le Small Business Act, traduisent la place prééminente qu’occupe l’Etat en tant que producteur de services financiers en France et aux Etats-Unis. A des degrés divers, cet interventionnisme se retrouve dans d’autres secteurs plus ou moins emblématiques. B- Cohabitation harmonieuse entre Intervention directe et laissez-faire dans d’autres secteurs Au sein de l’OCDE, les Etats interviennent de manière indirecte (exonération fiscale par exemple) ou directe dans de nombreux secteurs aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe. #1- Le cas des Etats-Unis : imbrication subtile de mécanismes financiers publics et privés Ainsi, malgré des circuits financiers parmi les plus innovants et les plus libres au monde, l’administration fédérale des Etats-Unis intervient directement dans le système financier pour améliorer l’accès de différents types de populations au système financier. Le Farm Bill, la loi régissant le fonctionnement du secteur agricole américain, intègre différentes dispositions contribuant de différentes manières au financement des agriculteurs. Au-delà des mécanismes de subventions à la production, à l’exportation ou des aides qui ont permis à l’agriculture américaine d’asseoir sa compétitivité et aux agriculteurs de résister aux chocs climatiques ou macroéconomiques, la loi agricole américaine accorde à l’autorité fédérale en charge de la supervision du secteur agricole [le Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 288 US Department of Agriculture (USDA)], des moyens conséquents pour favoriser l’accès au financement. Le Farm Bill 2002 autorise ainsi le USDA a mobilisé annuellement sur la période 20032007 près de 3,8 milliards de dollars dans le cadre de prêts et de garanties accordées aux agriculteurs américains. Les garanties de prêts représentent 3 milliards de dollars américains tandis que les différents prêts (financement de l’accès à la propriété et du cycle d’exploitation) s’élèvent à près de 800 millions de dollars américains (United States Department of Agriculture, 2002). Ces niveaux de financement paraissent astronomiques au vu de la difficulté des secteurs financiers africains à mobiliser ne serait que quelques millions de dollars pour assurer leur montée en puissance. Au-delà des crédits disponibles pour le Farm Bill, c’est aussi toute la politique de promotion de l’accessibilité au crédit et aux différentes formes de financement qu’il faut considérer. Le Community Reinvestment Act et l’Equal Credit Opportunity Act, adoptées respectivement en 1977 et 1974, obligent les institutions financières à délivrer une série de prestations financières ayant un caractère de service public dans toutes les zones au sein desquelles elles offrent des services de gestion des comptes. Ces mesures ont été prises par le législateur américain afin de lutter contre certaines pratiques bancaires limitant l’accessibilité (refus de servir certaines catégories de population ou alors d’octroyer du crédit dans des zones économiquement défavorisées). Ces deux lois ont octroyé des pouvoirs de contrôle/sanction étendus à la Federal Reserve pour vérifier le respect par les institutions bancaires des mesures visant à renforcer l’accessibilité aux services financiers. Différentes exemptions fiscales sur les obligations des collectivités locales (municipal bonds) rendent attractives cette catégoriesde titres et permettent aux Etats fédérés, collectivités locales et établissements publics de pourvoir à leurs besoins de financement. L’Etat intervient enfin pour promouvoir la diversité des marchés financiers, par exemple, le marché du financement de l’immobilier via différentes agences (Fanny Mae, Freddy Mac…81) dont l’encours de prêts s’élevait fin mai 2008 à près de 5 200 milliards de dollars américains (L’Expansion, 2008), soit un tiers du PIB des Etats-Unis. L’effondrement récent du marché immobilier américain, loin de remettre en cause la pertinence des mécanismes publics qui ont permis son développement (Cf. Encadré 11) et l’accès au logement à des millions de familles américaines, met plutôt en lumière l’impéritie des banques privées. Désireuses d’assurer leur rentabilité et certaines de pouvoir titriser leurs prêts immobiliers avec le soutien d’agences bénéficiant de la garantie publique, les banques privées se sont lancées dans une politique hasardeuse d’octroi de crédits immobiliers sans vérifier la soutenabilité de l’endettement de leurs clients mais aussi en mettant en œuvre des conditions de prêts crisogènes 81 The Government National Mortgage Association (Ginnie Mae), Federal National Mortgage Association (Fannie Mae), Federal Home Loan Mortgage Corporation (Freddie Mac) accordent des crédits en faveur de l’immobilier résidentiel tandis que la Federal Agricultural Mortgage Corporation (Farmer Mac) est responsable des crédits au secteur agricole. La Student Loan Marketing Association (Sallie Mae) fournit quant à elle des fonds pour soutenir le secteur éducatif. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 289 (crédits à long terme assortis de taux variables). Cette course à la distribution du crédit a entraîné la faillite de nombreuses banques (Indy Mac, notamment82), réhausseurs de crédit et explique les difficultés actuelles de Fanny Mae et Freddie Mac. Dans un entretien au quotidien les Echos, Pascal Petit83 et Peter Morici84 précisent les responsabilités (Morici et Petit, 2008) : « Les valeurs des maisons se sont effondrées aux Etats-Unis et les défauts de paiement ne cessent d'augmenter. Or, Fannie Mae et Freddie Mac, qui ont racheté leurs crédits immobiliers aux banques et qui les ont revendus à des investisseurs sous forme d'obligations garanties, vont devoir utiliser leurs fonds propres pour faire face à ces défauts de paiement. Le problème c'est qu'on les met dans le même sac que les banques de Wall Street. Celles-ci ont été mal gérées en investissant de façon inconsidérée dans des produits structurés liés à des crédits hypothécaires de mauvaise qualité, ce qui a conduit à une grave crise financière quand l'immobilier s'est écroulé. La crise de confiance dans les banques de Wall Street touche par ricochet Fanny Mae et Freddie Mac, qui sont de bonnes maisons. Leur activité est saine et elles vont être capables de lever de l'argent. Fanny Mae et Freddie Mac sont des victimes innocentes. Leurs actionnaires risquent de perdre beaucoup. Mais les détenteurs de leurs obligations ne craignent rien. » Loin de ces dérives, il ne faut pas oublier qu’en 2001, la combinaison des différents mécanismes publics-privés autour de l’immobilier permettait à 67,8% des foyers américains d’être propriétaires de leurs logements (55% en France à la même date). En mettant en œuvre une gouvernance impitoyable, les pays subsahariens pourraient donc s’appuyer sur ces mécanismes afin de réaliser un des critères sous-tendant la Déclaration du Millénaire. Encadré n°11. Les mécanismes publics de soutien au marché immobilier aux Etats-Unis Suite à la crise du logement des années 30, l’administration Roosevelt (1932-1945) a instauré toute une série d’incitations fiscales et financières pour encourager les banques à répondre à la demande en crédits immobiliers mais aussi élaborer de nouveaux produits aptes à satisfaire cette demande. Le développement du marché immobilier américain n’aurait pu se faire sans la contribution d’institutions spéciales : les « agencies » ou Government Sponsored Enterprizes (GSE) : la Federal Mortgage Assurance Corporation (Freddie Mac) et la Federal National Mortgage Agency (Fannie Mae). 82 Suite à la faillite d’Indy Mac, l’institution en charge de l’assurance des dépôts américains (FDIC) va devoir débourser entre 4 et 8 milliards de dollars pour rembourser les détenteurs de comptes dont le solde est inférieur à 100 000 dollars américains. 83 Associé au cabinet de conseil KURT SALMON ASSOCIATES 84 Professeur d’économie à l’université du Maryland Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 290 85 Ces institutions financières privées offrent aux banques accordant des prêts immobiliers la possibilité de titriser ceux-ci sous la forme d’obligations MBS (Mortgage Backed Securities). Ces dernières bénéficient de la garantie implicite du Trésor américain et sont prisées des investisseurs qui les échangent sur un marché secondaire très liquide. Ce mécanisme de titrisation favorise la dynamique du marché immobilier en permettant aux banques de renouveler leurs capacités de prêts. #2- Le cas européen : une longue tradition d’intervention publique dans différents secteurs La France possède elle aussi une longue tradition d’intervention de l’Etat pour structurer et appuyer le développement financier. Sans se livrer à un panorama qui dépasse largement le cadre de notre étude, on rappellera la survivance d’institutions comme la Caisse des Dépôts et Consignations qui administrent des encours élevés, dont ceux provenant des différents livrets (Livret A, Livret Développement Durable, ex Codevi, Livret Epargne Populaire et Livret Bleu), soit près de 195 milliards d’euros au total à la fin de l’exercice 2007 (Caisse des Dépôts et Consignations, 2007). Ces ressources ont historiquement été utilisées pour financer des secteurs jugés essentiels pour la croissance ou la réalisation d’équilibres sociaux. Ainsi, les ressources du Livret A sont destinées (en partie) au financement du logement social tandis que celles du Compte pour le Développement Industriel (Codevi transformé depuis janvier 2007 en Livret Développement Durable) participent à l’effort industriel. La COFACE (La Compagnie Française d’Assurance pour le Commerce Extérieur), tout en étant un groupe entièrement privé (filiale de Natixis depuis 1994), continue à jouer un rôle de garantie du commerce extérieur pour le compte de l’Etat86. La majorité des pays de la Zone Euro possède des mécanismes similaires ainsi que l’atteste la survivance voire l’essor des banques publiques. Elles réalisent des activités soumises à la concurrence mais aussi des missions de service public liées au financement de certaines activités économiques. En 2007, en Allemagne, la Kreditanstalt für Wiederbaufbau (KfW) possédait un total bilan de 354 milliards d’euros, largement obtenus grâce aux financements mobilisés sur les marchés 85 Elles ont longtemps étaient publiques. 86 Cf. le site de la COFACE pour une explication des différentes procédures gérées par cette société pour le compte de l’Etat: « Depuis 1946, Coface gère, pour le compte de l’État, une large gamme de garanties destinées à favoriser et soutenir les exportations françaises dans le cadre des dispositions des articles L 432-1 à L 432-4 du Code des Assurances. Il s’agit d’assurer des risques, non assurables par le marché privé, au bénéfice des entreprises qui prospectent les marchés à l’exportation et commercialisent des produits et services. Coface gère également les accords conclus dans le cadre du Club de Paris pour consolider les dettes publiques contractées par les pays débiteurs. » in COFACE (2008), Procédures gérées par la COFACE pour le compte de l’Etat, http://www.coface.fr/dmt/ruba_gen/indexa.htm, page consultée le 13 juin 2008 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 291 financiers (KfW, 2008). Par sa politique de prêts, elle soutient le secteur immobilier, la croissance des PME mais aussi des activités de financement à l’international (aide au développement ou crédits à l’exportation). En Italie, la Cassa dei Depositi e Prestiti (CDPP) dispose d’une surface financière inférieure (180 milliards d’euros en 2006), issue de la collecte des livrets d’épargne postale et des bons postaux. Ces ressources lui permettent de réaliser des prêts aux collectivités publiques et à l’Etat mais aussi de participer au financement de certaines infrastructures (CDPP, 2006). Afin de favoriser une concurrence plus saine entre les entreprises, différentes normes édictées par l’OCDE, l’OMC ou l’Union Européenne sont venues encadrer certaines des activités proposées par les institutions publiques mais pas leur raison d’être : résorber un certain nombre d’imperfections liées au financement de secteurs d’activités essentiels. De l’analyse des trajectoires historiques de développement financier dans les pays de l’OCDE se dégage une conclusion : la politique de développement financier n’est pas une affaire de dogmes mais de pragmatisme. Face aux imperfections de marché, les pouvoirs publics des pays de l’OCDE n’ont pas hésité à intervenir à chaque fois que cela à été nécessaire pour favoriser l’accès au financement des personnes morales ou physiques. Pour ce faire, ils ont employé et emploient des mécanismes d’intervention directe forts (financements sur ressources publiques) ou alors ont eu recours à des mécanismes susceptibles de modifier les incitations des institutions financières privées (garanties, fiscalité, réglementation). Les Etats africains se doivent de dépasser la posture immobiliste dans laquelle ils se cantonnent depuis les années 80. Face aux imperfections affectant leurs sphères financières, ils devraient s’inspirer de l’exemple des pays de l’OCDE et adopter une politique de développement financier pragmatique. §2- PRAGMATISME ET GOUVERNANCE AMELIOREE : LES CLES DU SUCCES DES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT FINANCIER SUBSAHARIENNES Ainsi que l’atteste le chapitre 9, le développement financier dans l’arc subsaharien a longtemps été considéré sous le prisme unique d’un affrontement entre partisans de la libéralisation financière et du désengagement de l’Etat d’une part et ceux prônant les vertus de l’intervention de la puissance publique, d’autre part. Cette opposition franche a suscité une production littéraire abondante sans pour autant poser les bases d’un développement financier réel et durable au sein de l’arc subsaharien. Les politiques de développement financier ne devraient donc pas être le lieu d’expressions idéologiques mais devraient plutôt avoir pour finalité l’efficacité, voire l’efficience et adopter une approche pragmatique (A). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 292 L’esprit de leurs concepteurs devrait aussi être mobilisé par la recherche des réponses à plusieurs questions ayant toutes pour dénominateur commun la gouvernance des politiques de développement financier. L’amélioration de cette dernière, pilier de politiques de développement financier renouvelée, suppose une détermination précise des objectifs, des compétences, des moyens de contrôle et de sanction qui doivent être formalisés de manière contractuelle (B). A-Des politiques de développement financier pragmatiques fondées sur la conciliation de la production publique et privée Le fort parti pris idéologique régissant les politiques de développement financier actuelles (diktat des seuls mécanismes de marché et intervention millimétrée de la puissance publique dans la sphère financière) sont à l’origine d’un piège d’économie politique (#1). Pour s’en sortir, les concepteurs des politiques de développement financier doivent accepter de faire du développement financier le lieu d’une économie mixte (#2), tout en s’appuyant sur le principe de subsidiarité pour délimiter les compétentes des acteurs publics et privés (#3). #1-Sortir du piège d’économie politique du développement financier subsaharien De nombreux pays de l’arc subsaharien se retrouvent prisonniers d’un piège d’économie politique : d’une part, les acteurs privés refusent de porter certains risques dans la sphère financière (financement des PME, financement de long terme, financement de certains secteurs) et d’autre part, les Etats, du fait de leurs contraintes politiques, ne pallient pas ces faiblesses. Il en résulte un régime de financement des économies très sous- optimal qui bloque leurs transformations structurelles. Suite aux crises financières des années 80 et à la mise en accusation de l’Etat et de ses avatars (Etat-actionnaire, Etat-stratège et Etat-producteur), les sphères financières subsahariennes ont enregistré un retrait brutal de l’intervention publique que ce soit dans sa dimension institutionnelle (privatisation) mais aussi dans le volume de financement passant par des mécanismes publics. Au-delà des mécanismes d’intervention directe, la libéralisation conjuguée aux conséquences de l’ajustement structurel (réduction drastique des marges de manœuvre de l’Etat) a réduit à leur portion congrue les systèmes d’intervention indirecte. Considérée comme budgétivores, certaines instances de supervision, ont vu leur budget baisser tandis que certaines dimensions de la réglementation (concurrence) ne bénéficiaient toujours pas d’agences dotées de moyens de contrôle réels. Par ailleurs, la discipline budgétaire imposée aux Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 293 Etats Africains a compromis la mise en œuvre d’incitations87 susceptibles de soutenir les institutions financières privées intervenant sur des segments de marché sensibles mais considérés comme prioritaires pour le développement financier. Au final et de manière contre-intuitive, les pays de l’arc subsaharien adoptent des politiques de développement financier diamétralement opposées à celles de leurs homologues de l’OCDE. D’où la nécessité pour les concepteurs et gestionnaires des politiques de développement financier d’opter pour une nouvelle approche des politiques publiques dans la sphère financière. Cette approche pose un principe (la production du développement financier est le lieu d’une économie mixte) et propose des pistes pour définir la répartition des compétences dans sa production (notamment, à l’aide du principe de subsidiarité). #2-La production du développement financier comme lieu d’une économie mixte Loin de visions théoriques opposant production privée et publique, Musgrave et Musgrave (1989) soulignent l’imbrication des sphères publiques et privées dans la production d’un bien public en mettant en exergue les deux facettes du processus de production d’un bien public : (i) la politique sous-tendant cette production et (ii) les formes prises par les entités réalisant cette production. Le développement financier, en tant que bien public, obéit à cette analyse dichotomique. Ce faisant, il s’inscrit dans l’analyse des processus de production des biens publics qui laisse apparaître une grande pluralité d’arrangements institutionnels potentiels largement tributaires: (i) (ii) (iii) des propriétés fondamentales du bien ; de son implication sociale et des conditions dans lesquelles il peut être fourni (Kaul, 2006). En fait, peu de biens publics sont exclusivement dispensés par l’Etat et dans leur grande majorité, ils sont le fruit d’une coordination complexe entre différentes catégories d’acteurs (Etat, secteur privé et associatif). Le développement financier s’inscrit dans cette logique. Sa production est de nature hybride et implique des entreprises et des processus de marché d’une part, l’Etat, des institutions internationales mais aussi des structures du secteur associatif. En adoptant une typologie élaborée par le Credoc (1986), il est possible d’analyser la pluralité des sources de production/distribution du développement financier en se fondant sur trois critères : (i) (ii) 87 le statut juridique du producteur ou du distributeur (public, privé mais aussi une association) ; la forme de consommation des services (collective ou individuelle) ; Il peut s’agir de subventions ou d’exonérations fiscales, par exemple. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 294 (iii) et le mode de financement de la production (prestation acquittée par la puissance publique ou alors les usagers). Production Consommation Publique Individuelle Collective Privée Individuelle Collective Associative Individuelle Autoproduc tion Collective Individuelle Financement Public (Prélèvements obligatoires) Livret (abondement de l’Etat) Usagers Compte postal Compte livret sur Trésor Banque centrale Organismes de supervisions Réglementa tion prudentielle Information de marché Institutions financières spécialisées (immobilier, banque de développement , fonds de garantie) Compte bancaire Police d’assurance Information de marché Banque universelle Sociétés de bourses Compagnies d’assurance Micro finance Tontine Mécanisme de solidarité de place Thésaurisa tion Tableau 28 : Analyse des modes de production/consommation de différentes composantes du développement financier. Source : Credoc (1985-1986), adaptation par l’auteur. Au-delà des institutions, l’analyse générale du processus de coproduction d’un bien public (Kaul, 2006) fait apparaître trois types de composantes intervenant dans la coproduction du développement financier: (i) Des effets externes d’actions privées réalisées par des acteurs privés centrés sur leur seul intérêt (par exemple, les opérations courantes des institutions financières vers leur clientèle classique), y compris leur intérêt à la compassion (programmes de micro finance développés par les grandes banques88) ; (ii) Des composantes d’actions collectives (CAC) mises en place soit par des acteurs publics ou un groupe d’acteurs privés pour influencer les décisions des institutions financières privées (une fiscalité allégée pour les institutions réalisant certaines opérations, par exemple) et créer ou développer directement des services financiers (banque de développement créée par les pouvoirs publics) ; 88 Il faut néanmoins nuancer l’aspect compassionnel car si les premiers programmes de refinancement/assistance à la microfinance s’intégraient dans la politique RSE des grands groupes bancaires, leurs interventions sont désormais plus mues par un objectif de rentabilité. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 295 (iii) Des effets externes d’actions privées concertées qui sont le fruit d’une cohérence entre les intérêts privés et sociaux favorisés par les CAC. En soi, la coproduction/distribution du bien public développement financier par le secteur public et le secteur privé ne constitue donc pas une nouveauté. Exception faite des pays qui ont connu des régimes marxistes, cette activité a toujours été le fruit d’une association de facto entre l’Etat et des émanations du secteur privé. La véritable révolution au sein de l’arc subsaharien réside dans le passage d’un régime de régulation au sein duquel l’Etat produisait lui-même une grande part du développement financier (années 60-70), avec parfois des objectifs précis et affichés, à un système ou le secteur privé produit la part la plus importante de cet effort en l’absence de toute orientation politique (période actuelle). Le peu de réussite à court-moyen terme de ces deux politiques met l’accent sur la nécessaire coordination des efforts de ces différents acteurs afin de parvenir à un état de développement financier optimal ou tout du moins à celui à même de répondre aux besoins de la communauté. La détermination de critères permettant de déterminer quel type de production peut être exercée par le secteur public et le secteur privé apparaît aussi essentielle. #3- La subsidiarité comme principe déterminant les compétences de chacun des acteurs Les réformes de libéralisation financière n’ont pas suffi à débloquer les processus de développement financier dans les PAZF. Le bilan qu’on peut tirer de ces réformes plaide pour une réélaboration prudente de politiques de développement financier volontaristes sous impulsion publique, les seules logiques de marché s’avérant insuffisantes face à l’ampleur du défi. Et ce d’autant plus que dans l’arc subsaharien tout comme sous d’autres latitudes, production publique et privée du développement financier ne sont pas protégées des risques d’inefficience. Dans une économie sans imperfections et en situation concurrentielle, les acteurs privés motivés par leurs perspectives de rentabilité seraient les plus à même d’offrir l’ensemble des services financiers. L’intérêt d’une imbrication entre les actions des institutions financières privées et la puissance publique réside dans la capacité de concilier les forces des acteurs publics et privés avec une finalité commune et précise. Dans cette répartition de rôles, l’intervention de l’Etat ne se substitue pas au marché mais lui permet d’être plus efficace en mettant en œuvre des mécanismes permettant de superviser, compléter et développer les actions des acteurs privés. La recomposition de la légitimité du secteur public Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 296 L’intervention publique se justifie par l’ampleur des risques à couvrir. La mutualisation des risques permis par le financement public de projets bénéfiques à la croissance de long terme a constitué un déterminant important de la croissance forte enregistrée au sein de l’arc subsaharien dans les années 1960 et 1970. Le fait que beaucoup d’investissements se soient avérés non rentables, voire de purs gaspillages, ne retire rien à la légitimité du principe de l’intervention publique en pareil cas mais pointe, comme on l’a vu, des mécanismes de gouvernance totalement défaillants. La force de l’Etat réside avant tout dans sa puissance d’intervention et de contrôle. Au-delà de l’arme réglementaire, l’Etat est capable, par sa garantie absolue, de susciter la création d’une épargne longue. Contrairement aux banques privées dont la capacité de transformation est limitée par les règles prudentielles et la surveillance du risque de taux, cette garantie permet à l’Etat de mobiliser des ressources à court terme pour les affecter à des usages à long terme. L’Etat pouvant se départir de l’obligation de rentabilité immédiate, il est à même d’intervenir sur des segments de marché risqués et d’accompagner l’essor d’activités ignorées par les banques privées en raison d’un TRI faible. Ce faisant, la puissance publique joue le rôle de développeur de nouveaux marchés financiers. En cela, elle présente une forte complémentarité avec les acteurs privés qui investissent ces marchés une fois qu’ils sont devenus viables et moins risqués. Au final, son action est essentielle en matière d’aménagement du territoire et de répartition des institutions financières sur l’ensemble du territoire. En effet, en s’implantant dans des zones délaissées par les banques privées, les institutions financières publiques réduisent l’impact des distorsions régionales et permettent d’assurer une croissance plus équitablement répartie par la mise en valeur de nouveaux projets. Les différentes agences de contrôle de l’Etat sont à même de garantir la stabilité du système financier mais aussi une gouvernance réussie des politiques de développement financier. Cette fonction, particulièrement importante, a été affaiblie au cours des dernières années par l’effondrement des Etats subsahariens. Sa revitalisation est d’autant plus importante qu’elle participe de la défense de l’intérêt général par l’Etat et ses émanations, un des aspects essentiels de la légitimation de son intervention dans la production du développement financier. Bien que l’intérêt public ne soit plus monopolisé par l’Etat (sous sa forme administration centrale) mais s’exprime à travers différentes entités publiques (régions, villes, …) réseaux associatifs (fédérations de PME ou de patrons, regroupements d’institutions financières), l’approche essentialiste prescrit que l’intérêt public s’écrit au singulier. Ceci est d’autant plus vrai, qu’en dernier ressort, ce sont les expressions de l’Etat qui sont responsables devant les citoyens et la communauté internationale du niveau de développement financier et de la politique éponyme. La subsidiarité au cœur du partage des compétences entre production publique et privée Déterminer quelle forme structurelle doit être chargée de la production d’une des composantes du développement financier constitue l’un des éléments importants d’une Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 297 gouvernance rénovée. Avec le refus des postures théoriques, la répartition des compétences pourrait s’appuyer sur le principe de subsidiarité. Ce principe est souvent usité en sciences politiques afin de délimiter les compétences et attributions entre une autorité inférieure et une autorité supérieure89. Le principe de subsidiarité postule que les compétences de l’autorité supérieure sont délimitées par celles de l’autorité inférieure. Par conséquent, une autorité supérieure ne peut entreprendre d’actions dans un domaine donné que pour pallier ou suppléer90 l’insuffisance d’une autorité plus petite (Million-Delsol, 1992). Le principe de subsidiarité est donc une règle de détermination des compétences mais aussi une règle d’efficience. En effet, il sous-entend, dans un monde sans imperfections, que toute action entreprise par l’autorité supérieure dans le domaine de compétences de l’autorité inférieure ne saurait être efficiente. A l’aune du principe de subsidiarité, la répartition de compétences entre production privée et publique peut se faire en faisant de la première la norme tandis que la production publique se justifierait par les manquements de la production privée ou les capacités de la production publique. Cette distinction repose sur la reconnaissance des forces et faiblesses des deux modes de production mais aussi une pratique renouvelée de la gouvernance des politiques de développement financier. B-Les principes d’une gouvernance renouvelée La réussite d’une politique de développement financier renouvelée passe incontestablement par une refondation des règles encadrant la gouvernance et ses composantes. Ce sont les carences autour de la gouvernance qui ont entraîné l’essor de comportements malsains dans les sphères financières subsahariennes à partir du début des années 80 tandis que l’absence de réflexion sur les objectifs du développement financier a suscité des réformes qui n’ont pas forcément fait des systèmes financiers subsahariens des éléments de réduction de la pauvreté. Plusieurs auteurs ont consacré de longs développements à ces questions de gouvernance au sein des systèmes financiers subsahariens [Cf. notamment Monga (1997)]. Notre analyse des trajectoires de développement financier des pays subsahariens précise ces contributions en révélant différents facteurs faisant d’une réflexion renouvelée sur la gouvernance des politiques de développement financier une nécessité. Premièrement, le développement financier n’est pas uniquement un processus financier ou économique mais possède une forte dimension sociale (impact sur la réduction de la pauvreté, influence sur l’aménagement du territoire). La gouvernance doit prendre en compte cette dimension. 89 A titre d’exemple au sein de l’Union Européenne pour déterminer les attributions des institutions communautaires et celles des Etats membres. 90 Au sens d’ajouter de compléter et non au sens de remplacer. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 298 Deuxièmement, la transition vers des systèmes financiers plus efficients implique une alchimie particulière associant des interactions profondes entre les différentes catégories d’acteurs (pouvoirs publics, ménages, entreprises, institutions financières). Plus que jamais, la gouvernance dans l’arc subsaharien doit s’atteler à l’élaboration de mécanismes de coordination efficients. Finalement, le développement financier étant un processus dynamique, la gouvernance de la politique éponyme se doit d’être évolutive. Ces différents facteurs placent au centre d’une gouvernance renouvelée la prise en compte d’éléments aussi importants que le juridique régissant la politique de développement financier, l’existence d’une réflexion stratégique autour de celle-ci mais aussi de mécanismes de contrôle et de pilotage efficients. #1-L’élément contractuel au cœur de la gouvernance La faillite des politiques de développement financier des années 60-70 s’explique largement par l’absence de précisions sur ces différentes composantes de la gouvernance ou l’effritement de la fonction de contrôle. Depuis une dizaine d’années, les politiques de développement financier pâtissent de leur focalisation sur quelques dimensions. Améliorer la gouvernance des politiques de développement financier dans l’espace subsaharien requiert en premier lieu l’instauration d’un pacte fondamental - qui peut être implicite mais de préférence explicite- établissant les règles du jeu. Celles-ci comprennent, entre autres, la définition des objectifs communs du développement financier, l’identification des acteurs, de leurs responsabilités respectives, des indicateurs de performance et des mécanismes de contrôle/sanction et ce pour l’ensemble des dimensions du développement financier. Le pacte ainsi formé doit être doté d’une valeur juridique claire et peut intégrer des éléments de hard law (normes législatives, réglementaires) ou de soft law. Ce faisant, la gouvernance peut aussi reposer sur des standards souples et des codes (fruits de négociations entre les différentes parties) et la confiance en l’autodiscipline via une conscience claire des intérêts communs (MoreauDesfarges, 2003). Dans sa logique et dans sa formalisation, ce pacte pourrait être conçu comme une extension à la sphère financière et à l’ensemble des dimensions du développement financier de la notion de Partenariat Public-Privé. D’après Google (2008a), « un partenariat public-privé (PPP) est un mode de financement par lequel une autorité publique fait appel à des prestataires privés pour financer et gérer un équipement ou un service assurant ou contribuant au service public. Le partenaire privé reçoit en contrepartie un paiement du partenaire public et/ou des usagers du service qu'il gère ». Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 299 De facto, cette logique de PPP est déjà à l’œuvre dans la sphère financière ainsi que l’illustre la procédure d’agrément bancaire. En échange de son engagement à respecter les codes et règlements de la profession bancaire, la banque obtient de la puissance publique le droit de bénéficier d’une partie du monopole de collecte des dépôts à vue, d’octroi de crédits et de mise en circulation de moyens de paiements. L’Etat s’engage, par ailleurs, à mettre à la disposition de la banque tout un ensemble de services contribuant au bon déroulement de ses activités (supervision, fonction de prêteur en dernier ressort, différentes bases de données électroniques dont le fichier des incidents de paiements en France, GIE bancaire dans différents domaines). L’établissement bancaire obtient, par ailleurs, une rémunération sous forme de commissions et d’intérêts versés par ses clients. En généralisant cette logique d’échange de prestations, la faible participation des institutions financières privées au sein de l’arc subsaharien s’explique par la dimension asymétrique des obligations revenant à la puissance publique et aux institutions privées. Les chapitres précédents ont établi que les acteurs financiers privés bénéficiaient d’une rentabilité/stabilité plus que satisfaisante, résultant de l’action des pouvoirs publics91 sans pour autant développer une gamme de services à même de satisfaire les besoins financiers de la majorité des acteurs économiques. Suite à la mise en place d’un pacte encadrant le développement financier, les institutions financières pourraient s’engager à œuvrer en faveur de l’essor des dimensions sous-tendant le développement financier en mettant en œuvre un certain nombre d’actions dans leurs filières respectives (respect de critères d’octroi de services financiers sur la base de considérations sociales, participation à des GIE). Au final, ce processus de contractualisation contribuerait à l’amélioration de la gouvernance au sein de la sphère financière et de ses différents compartiments à travers une répartition précise des rôles. A l’Etat et aux acteurs publics reviennent la responsabilité de sécuriser les transactions et de réaliser les réformes susceptibles d’améliorer l’environnement du système financier. Les bailleurs de fonds peuvent prendre en charge le financement d’études portant sur la faisabilité et la viabilité de nouveaux produits financiers. Forts de ces incitations, les partenaires privés sont plus à même de mobiliser leurs ressources et compétences internes pour développer leurs activités dans des segments de marché existant ou en devenir. Cette adhésion des différentes parties prenantes à la politique de développement financier repose sur leur participation à celle-ci par l’intermédiaire de processus de gouvernance inclusifs. #2-L’inclusivité du processus de pilotage/négociation comme facteur de réconciliation des fonctions d’objectifs 91 Réformes du cadre macroéconomique, politique d’infrastructures et sociales ayant un impact sur la demande des clients des institutions financières. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 300 La définition du mécano institutionnel devant présider aux destinées de la politique de développement financier dans chaque pays est largement tributaire de l’environnement sociojuridique et dépasse de loin le cadre de cette thèse92, raison pour laquelle nous insisterons uniquement sur un principe devant régir leur organisation/fonctionnement : l’association des différents acteurs du développement financier. Les politiques de développement financier, qu’elles soient de jure ou de facto, sont souvent conçues sans une forte consultation et implication décisionnelle des acteurs de la sphère privée. Ces derniers regroupent pourtant les producteurs de services financiers mais aussi leurs utilisateurs finaux, c’est-à-dire les deux groupes ressentant le plus fortement les contraintes entourant le développement financier93. Pourtant, recueillir l’opinion des utilisateurs et producteurs de services financiers peut s’avérer utile à plus d’un titre. Ce processus de consultation peut permettre d’identifier un besoin particulier, de révéler l’existence d’arbitrage entre deux groupes ou priorités, de mettre le doigt sur les effets néfastes d’une norme ou d’une incitation et au final de mieux calibrer et ajuster les politiques. Le processus de négociation étant un lieu d’échange des meilleures pratiques et solutions innovantes, les bénéfices escomptés sont ceux de la mutualisation des énergies et des ressources car les différents acteurs de la politique de développement financier tireront parti de la force de l’intelligence collective. Associer les différents acteurs du développement financier à sa gouvernance peut aussi influer positivement sur sa qualité et éviter la répétition des erreurs de gestion des années 70-80. Tout en conservant le rôle premier de l’Etat en sa qualité d’expression de l’intérêt général, la présence dans les organes de pilotage de la politique de développement financier de représentants des bailleurs de fonds, des institutions financières privées, des associations d’usagers pourrait améliorer la qualité du processus décisionnel, avec notamment la mise en place de mécanismes de décision plus riches et la création de contrepouvoirs. En cristallisant la norme au carrefour de la contrainte et du consentement, ces mécanismes peuvent aussi favoriser l’appropriation par les acteurs des finalités et objectifs du développement financier et favoriser la conciliation des fonctions d’objectifs des différents acteurs. Cet exercice ne s’apparente pas à une sinécure tant ceux-ci divergent. Schématiquement, l’Etat cherche à promouvoir le développement financier dans son ensemble avec deux contraintes 92 De plus, les institutions en charge de la gouvernance peuvent adopter de schémas multiples associant des administrations, des autorités indépendantes, un contrôle parlementaire, des groupes paritaires… 93 Les institutions financières ressentent les contraintes de l’offre (coût des facteurs, réglementation, qualité et volume de la demande) tandis que les clients perçoivent les contraintes de la demande (coût élevé des services financiers, volume faible et qualité médiocre) Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 301 fortes : la nécessité de respecter ses équilibres budgétaires présents et futurs (avec notamment les limitations imposées par les comptes de réserves pour les générations futures) et une position d’intervention limitée dictée par l’échec des années 80. Tandis que la première contrainte lui dicte une utilisation prudente de la manne pétrolière et des fonds PPTE94, la deuxième contrainte place la stabilité, dans toutes les acceptions que peut prendre ce terme, au cœur de l’agenda des politiques de développement financier. Les institutions financières ne sont pas réfractaires au développement financier tant que celui-ci n’obère pas leur rentabilité. En l’absence d’incitations fortes et de perspectives de gains futurs sur des marchés inexploités, elles sont généralement rétives à engager des dépenses pour créer des mécanismes de place ou alors accorder des financements à des clientèles atypiques. La société civile est désireuse de bénéficier des effets positifs du développement financier, notamment la capacité d’un système financier à financer de manière efficiente l’économie. Toutefois, elle manifeste une forte préférence pour la stabilité financière et sa participation nette à la promotion du développement financier ne doit pas affecter son revenu. Quant aux institutions internationales, le développement financier est un moyen de leurs politiques de développement. Elles privilégient notamment la stabilité pour pouvoir obtenir un remboursement de leur ligne de crédit. La mise en musique de ces différentes contributions suppose l’existence d’une partition de qualité mais aussi une excellente aptitude du chef d’orchestre à mobiliser ses musiciens, c’est-àdire l’existence d’une stratégie permettant de concentrer les moyens. #3-Des stratégies et mécanismes permettant de concentrer efficacement les moyens et d’ordonner les priorités Les politiques de développement financier mises en œuvre au cours des quinze dernières années se sont souvent caractérisées par une dispersion des moyens et une déperdition des énergies. Ces phénomènes s’expliquent par l’absence de priorités nationales clairement identifiées et une mauvaise coordination des interventions des différents acteurs du développement financier. L’absence de mécanismes de coordination des interventions des bailleurs95 entraîne soit un niveau de financement proposé dépassant la capacité d’absorption d’un pays ou alors des interventions sous-dimensionnées et incapables d’atteindre la masse critique pour induire un effet 95 Pendant longtemps, les interventions des bailleurs dans le domaine financier ont pâti d’un manque de coordination. La Banque Mondiale, à travers l’initiative Making Finance Work for Africa, essaie de combler ce vide. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 302 réel sur la dimension ou la filière financière ciblée. La mise en œuvre de mécanismes de concertation permettrait la coordination des interventions pour chaque dimension et une répartition des tâches entre les partenaires. Dans une dimension ou un segment de marché donné, les bailleurs disposant de subventions pourraient se concentrer sur l’assistance technique, tandis que ceux intervenant avec des lignes de crédit ou des garanties prendraient en charge le financement des intermédiaires financiers. L’Etat de son côté mobiliserait ses ressources pour sécuriser la dimension ou le segment financier. Une telle approche suppose l’existence d’un lieu de coordination des énergies. Or, les Etats de l’arc subsaharien ont perdu leur rôle de coordinateur et de penseur de leurs politiques de développement et attendent bien souvent les nouveaux paradigmes en provenance des institutions internationales, considérées comme de quasi deus ex machina. Or, les instances en charge de la gouvernance de la politique de développement financier, et l’Etat en premier lieu, se doivent d’avoir une composante stratégique pour planifier le développement financier sur longue période en mettant en adéquation ces objectifs avec les moyens dévolus à leur réalisation. L’intégration dans les DSRP de développements plus conséquents sur les stratégies financières ou alors la concrétisation de celles-ci dans le cadre d’une charte régissant le développement financier iraient dans ce sens (à l’instar de la Financial Charter sud africaine, Cf. encadré n°12). Encadré n°12. La Financial Charter sud-africaine « La charte du secteur financier s’applique à toutes les structures qui y opèrent (toutes banques confondues, compagnies d’assurances, autres prestataires de services financiers) pour la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2014. Une revue à mi-parcours aura lieu au 31 décembre 2008 sous la supervision du Charter Council, structure indépendante établie spécifiquement pour suivre la mise en œuvre de cette charte. Compte tenu du rôle prédominant du domaine concerné dans l’économie sud-africaine, mais également du caractère volontariste du document, la charte du secteur financier aura un impact structurant majeur. Elle va d’ailleurs audelà de la politique gouvernementale d’ensemble en matière de BEE, avec l’ajout aux critères fixés par le broad-based BEE Act de deux nouveaux indicateurs spécifiques d’empowerment indirect : l’amélioration de l’accès aux services financiers et le financement d’entreprises promues par les PHD ou d’investissements au profit de ces mêmes populations (empowerment financing). Ces deux critères représentent à eux seuls 40 % des points de la charte du secteur financier. Rappelons ici que 17 des 21 millions d’adultes (dont 98 % de PHD) que compte l’Afrique du Sud seraient toujours privés de l’accès aux services financiers. Les banques ont donc décidé de rompre avec un archaïsme socioéconomique qui prédomine encore sur le continent africain, en proposant des services financiers plus abordables, des programmes d’épargne, des crédits pour les petites entreprises et les ménages pauvres. Les objectifs de la charte financière pour 2008 sont ainsi de mettre les services de proximité (infrastructures physiques et électroniques) à disposition de 80 % de la population pauvre. Pour l’empowerment financing, la principale caractéristique de la charte du secteur financier est de vouloir orienter une partie de ses ressources vers des financements à destination des PHD, à savoir les transferts de fonds propres (BEE transactions) et les "investissements ciblés" (targeted investments). Plus précisément, ceux-ci correspondent à quatre piliers du développement : infrastructures, projets agricoles, accès au logement pour les populations à faibles revenus (low income housing) et PME en faveur de la PHD (Black SME). Les engagements financiers pour mettre en œuvre ce processus ont été fixés par les banques sud-africaines à 75 milliards de rands (9,15 milliards d’euros). Chaque institution financière devait préciser, avant le 30 juin 2004, le montant Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 303 de ses futurs financements au titre du BEE, la répartition de ce montant entre les transactions et les targeted investments, les éléments relatifs à la mesure et au partage du risque ainsi que la période sur laquelle ces financements seraient opérés. Par cet "engagement moral" envers les pouvoirs publics, le secteur bancaire voit également le moyen d’élargir sa base commerciale. Pour mener à bien cette stratégie, les banques sont intéressées par le développement de partenariat avec les institutions financières de développement. La charte du secteur financier représente ainsi un cadre d’intervention intéressant pour les bailleurs de fonds internationaux. » Voici, financier : en pourcentages détaillés, le détail de la scorecard de la charte du secteur Empowerment direct dont : 22 - Participation au capital 14 - Positionnements hiérarchiques (% administrateurs et cadres supérieurs) 8 Développement des ressources humaines dont : 20 - Equité du recrutement 15 - Développement des compétences 5 Empowerment indirect dont : 55 - Politique d’achat en faveur de la promotion des fournisseurs PHD 15 - Critères spécifiques au secteur bancaire : 40 dont amélioration de l’accès aux services financiers (18) et financement d’entreprises promues par les PHD ou d’investissements au profit de ces mêmes populations (empowerment financing) (22) Investissements sociaux 3 TOTAL 100 Source : Habchi (2004) Cette composante stratégique est indissociable d’une approche séquentielle. Vouloir réformer en même temps l’ensemble des secteurs de l’économie serait contreproductif et ne constituerait pas une approche efficace pour les Etats africains. Malgré des marges de manœuvre budgétaires retrouvées, une telle volonté se heurterait à l’ampleur de la tâche et aboutirait à un saupoudrage peu efficace. Loin de se plonger dans des réformes d’ensemble du système financier, coûteuses, longues et diluant les moyens, une approche par filière, séquentielle, serait préférable. Elle est fondée sur une analyse des goulots d’étranglement entravant l’essor de l’intermédiation et une étude des instruments, services et institutions financières considérés comme prioritaires par les acteurs économiques. Loin de la connaissance parcellaire des systèmes financiers subsahariens96, cette approche séquentielle ne peut donc faire l’économie d’un effort de recherche intense ayant pour finalité la compréhension des besoins des utilisateurs et l’origination de nouveaux produits. Elle nécessite aussi la définition d’un classement des besoins et la définition d’un ordre des priorités. 96 Il n’existe pas d’études portant sur les fonctions de coûts dans les systèmes financiers subsahariens, Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 304 Une fois ces besoins prioritaires ciblés, les différentes parties prenantes du développement financier pourraient concentrer leurs efforts de manière séquentielle afin de développer les filières par ordre de priorité. #4-Développer des mécanismes de contrôle/sanction impitoyables Afin d’éviter la répétition des heurts et malheurs qu’ont connu les systèmes financiers des pays subsahariens, des politiques de développement financier rénovées se doivent d’intégrer des mécanismes de contrôle réactifs et impitoyables. Au-delà de la supervision d’un compartiment du système financier ou de l’attention toujours forte accordée à la stabilité, cette fonction de contrôle doit porter sur l’ensemble des processus et politiques conduisant au développement financier. Deux éléments particulièrement importants affectent la qualité du processus de contrôle/sanction : l’attention portée à la contractualisation et à la transparence. Le processus de contractualisation et sa qualité sont à l’origine d’une définition plus ou moins précise des objectifs de chacune des parties prenantes du développement financier m ais aussi des indicateurs qualitatifs ou quantitatifs utilisés pour évaluer leur réalisation. En présence d’indicateurs mal définis, la fonction de contrôle et de sanction se trouvera diminuée, raison pour laquelle la Financial Charter sud africaine intègre un scorecard précisant de manière détaillée les différents critères de performances et indicateurs surveillés par les autorités en charge de la régulation. La création d’une obligation de publier dans le rapport annuel des institutions financières leurs performances en matière de contribution au développement financier (création d’un indicateur ad hoc de contribution au développement financier) s’inscrit dans cette veine. Elle augmenterait la qualité du contrôle à travers la vérification/certification de ces informations par les commissaires aux comptes. Elle favoriserait aussi une comparabilité des institutions financières sur la base de leur contribution au développement financier et une mise en concurrence sur cette base. L’instauration d’un mécanisme de contrôle parlementaire participerait aussi à la transparence tout en contribuant à l’appropriation citoyenne de la politique de développement financier. C’est la solution retenue aux Etats-Unis pour le Community Reinvestment Act. Chaque année, la Fed est tenue de présenter au Congrès un rapport sur la mise en œuvre de cette loi. L’élaboration de ce rapport associe largement les institutions financières, les collectivités locales et les associations représentant les usagers qui sont auditionnées. Ce processus pourrait servir de modèle pour l’élaboration de systèmes de contrôle à posteriori des politiques de développement financier. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 305 Encadré n°13. Le contrôle à posteriori de la politique de développement financier La fonction de contrôle se doit d’intégrer non seulement des mécanismes de contrôle a priori et à posteriori. A posteriori, le contrôle des politiques de développement financier repose sur l’identification des dysfonctionnements et la correction des écarts entre les objectifs prévus et réalisés. L’adaptation des travaux de Nioche (1982) sur le contrôle des politiques publiques à la gouvernance de la politique de développement financier permet de distinguer cinq niveaux d’évaluation des dysfonctionnements : 1-L’existence de contradictions entre les objectifs et les moyens A ce niveau, le contrôle a pour mission de rapprocher les moyens mis en œuvre et les objectifs. L’adéquation entre les moyens et les objectifs constitue une des sources les plus communes d’échec des politiques de développement financier. Toutefois, dans le cas des politiques de développement financier des années 60 à 80, cette cause ne peut être avancée en raison de la débauche de moyens mis en œuvre par la puissance publique. 3-La possibilité de divergence entre les objectifs et les réalisations Malgré la mise à disposition de moyens conséquents, une politique de développement financier peut ne pas atteindre ses objectifs. Cette conclusion doit amener les instances en charge de la gouvernance de la politique de développement financier à prendre des mesures pour corriger les dysfonctionnements et réduire les dépenses inutiles. 3- Divergence entre Impact escompté et Impact constaté Au-delà des réalisations (création d’une institution financière, augmentation du nombre de crédits accordés), ce troisième niveau d’évaluation considère l’impact des politiques de développement financier. Il s’agit donc de mesurer les effets sur les différents groupes car une politique de développement financier peut avoir atteint un certain objectif quantitatif (augmentation du volume de crédit) sans que celui-ci ne bénéficie aux groupes en ayant le plus besoin. Dans ce cas, le contrôle conclut à l’inadéquation des mécanismes mis en œuvre pour répondre à une situation donnée et doit recherchr de nouvelles solutions plus adaptées. 4-Les moyens utilisés ont pu sécréter des effets pervers d’où la nécessité de rapprocher impact et moyen. 5- Un cinquième niveau rapproche l’impact des besoins exprimés par les populations. La mise en place d’un cadre stratégique, de mécanismes de répartition des compétences et le renforcement du contrôle serait à l’origine d’un cadre renouvelé des politiques de développement financier permettant d’associer de manière étroite et efficiente acteurs privés et publics dans la production du développement financier. Cette amélioration de la gouvernance des politiques de développement financier créerait, par ailleurs, les conditions du rééquilibre des politiques de développement financier. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 306 SECTION II - DES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT FINANCIER DESEQUILIBREES L’étude des trajectoires de développement financier des pays subsahariens a mis en exergue la nature profondément déséquilibrée de leurs résultats et explique la création d’un autre concept, celui de politique de développement financier équilibré ou non. Ce dernier conclut notre effort de réinterprétation/relecture des trajectoires de développement financier au sein de l’arc subsaharien. Il découle d’un postulat: une politique de développement financier doit avoir pour objectif final le développement harmonieux de l’ensemble des dimensions. Ce qui est loin d’être le cas dans l’arc subsaharien. Ce concept s’inscrit aussi dans une constatation empirique : pour qu’un processus de développement financier durable émerge, il est nécessaire que l’OFFRE, proposée par les IFI, et la DEMANDE de services financiers, émanant des acteurs de la sphère réelle, se renforcent mutuellement. Autre vérité qui est loin d’être largement vérifiée au sein des pays subsahariens. Partant de ces deux réalités, il est possible de définir une politique de développement financier asymétrique ou déséquilibrée comme un ensemble d’actions menées par les pouvoirs publics en faveur de la structuration des systèmes financiers mais se concentrant, sur longue période, sur une dimension du développement financier, un type de clientèle, une catégorie d’institutions, d’instruments ou sur l’offre plutôt que la demande de services financiers. Cette définition permet, à contrario, de définir des politiques de développement financier symétrique. Au-delà du déséquilibre portant sur les dimensions largement documenté dans les chapitres 4 à 7 et le chapitre 9, une analyse plus fine des politiques de développement asymétriques portera sur l’existence de politiques de développement financier déséquilibrées privilégiant des interventions sur les facteurs de l’OFFRE de services financiers (institutions, produits, services) au détriment d’interventions sur les fondamentaux de la DEMANDE de services financiers (structure économique, groupes d’entreprises, de ménages). De telles politiques ne peuvent susciter un développement financier durable tant les acteurs financiers ne trouvent pas en face de leurs ressources des projets bancables. Le renforcement de cette dernière représente sans aucun doute l’avenir des politiques de développement financier. §1- DES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT FINANCIER NOTOIREMENT CENTREES SUR L’OFFRE OU LA DEMANDE DE SERVICES FINANCIERS L’effort de conceptualisation des mécanismes de la politique de développement financier a permis de préciser ses deux publics cibles (Cf. chapitre 8) : d’une part, les agents économiques Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 307 mettant en œuvre l’OFFRE de services financiers (les institutions financières) et, d’autre part, ceux à l’origine de la DEMANDE de services financiers (Etat, ménages, entreprises). Se pose alors une question essentielle pour l’action publique : la concentration des moyens de la puissance publique sur un de ces publics est-elle à même de susciter un développement financier plus fort ? Répondre à cette question est difficile car le développement financier est le fruit de leurs interactions complexes. Le processus d’intermédiation est le fruit d’une interaction complexe mettant en relation un emploi (notamment des projets dans la sphère réelle) et des ressources appartenant aux institutions financières ou aux agents détenteurs d’épargne. La mise en œuvre d’un processus vertueux de développement financier suppose d’une part une amélioration des conditions d’offre de la ressource (diversité, rentabilité, efficacité, profondeur…des institutions pourvoyeuses) mais aussi d’autre part une amélioration de l’offre d’emplois. Ceux-ci doivent être rentables pour répondre aux exigences de rémunération des détenteurs de capitaux. Ils doivent aussi satisfaire les règles de division des risques (projets suffisamment nombreux et répartis dans un grand nombre de secteurs). Ces exigences du côté de l’offre comme de la demande de services financiers déterminent deux types de politiques de développement financier : des politiques de renforcement de l’offre et des politiques de renforcement de la demande de services financiers. L’arbitrage entre ces deux types de politiques ramène à des problématiques essentielles liées aux interactions entre la sphère réelle et la sphère financière. Les différentes études présentées dans la première partie de cette thèse ont permis d’établir qu’un plus grand développement de la sphère financière générait une croissance économique plus importante en agissant au niveau microéconomique, mésoéconomique et macroéconomique sur différents composantes ou déterminants de la croissance. Ces conclusions, souvent fondées sur des corrélations, ne permettent pas d’établir le lien de causalité entre les deux sphères. Pour les décideurs politiques, le plus important n’est pas la corrélation existant entre ces deux dimensions mais plutôt le sens de la causalité et l’existence d’éléments permettant de déterminer le type de politique de développement financier à mettre en œuvre. S’il est difficile d’apporter une réponse à cette question, les arguments présentés dans le cadre du débat théorique sur la causalité entre sphère financière et sphère réelle constitueront un premier élément de réponse. Différents tests de causalité mettent en avant l’existence de causalité dans les deux sens et plaident pour des politiques de développement financier mieux calibrées (A). La mise en relation des structures économiques et financières au sein des pays subsahariens souligne leur permanence et les manquements d’une politique de développement financier qui sur longue période n’a pas su utiliser certains de ses instruments pour modifier les conditions de la DEMANDE. Plus grave, dans un environnement financier caractérisé par l’amélioration de la rentabilité des institutions financières, les politiques de développement financier sont toujours profondément déséquilibrées vers l’OFFRE de services financiers. Le renforcement de la DEMANDE de services financiers constitue dès lors une dimension essentielle et prometteuse des politiques de développement financier (B). Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 308 A-La controverse théorique autour de la causalité entre l’OFFRE et la DEMANDE de services financiers Cette controverse peut être résumée de manière lapidaire en formulant une question : le système financier est-il la source ou une des sources de la croissance économique ou alors accompagne-t-il la croissance générée par le secteur réel ? Cette question a fait l’objet d’un vif débat académique entre d’une part les disciples de Schumpeter et ceux s’inscrivant dans la lignée néoclassique. Les premiers, se fondant sur Schumpeter, affirment que le développement financier est nécessaire à l’innovation et, par conséquent, à la croissance. La causalité va du secteur financier vers le PIB. Le développement financier est aussi supposé précéder la croissance économique et créer les conditions de celle-ci. Pour les seconds, le développement financier ne fait que suivre la croissance. En effet, la croissance génère de nouveaux revenus, de nouveaux besoins financiers et donc une épargne potentielle plus élevée entraînant une demande de services financiers plus forte. Au-delà de cet affrontement théorique, certains travaux essaient de réconcilier les deux approches et soulignent l’existence d’une causalité bidirectionnelle. Berthélemy et Varoudakis (1996) affirment qu’une croissance très faible peut ralentir le développement financier qui à son tour va ralentir le rythme de croissance. Ce cercle vicieux est à l’origine de pièges à pauvreté expliquant une causalité biunivoque entre ces deux dimensions. Pour Patrick (1966), le processus de développement financier est caractérisé par deux étapes. Au cours de la première (dite supply leading), le développement financier précède la croissance et permet, par exemple, d’effectuer l’allocation des ressources des secteurs excédentaires en capitaux vers ceux en croissance. Dans un deuxième temps, c’est la demande de services financiers qui permet le développement financier (étape dite demandfollowing). B-Un début de réponse économétrique : les tests de causalité de Granger Il est possible d’apporter une solution économétrique à ce débat à l’aide d’un test de causalité de Granger. Ce test repose sur la construction d’un modèle VAR à deux équations dans lequel on régresse une première variable en fonction de ses valeurs passées et des valeurs passées d’une autre variable. D’autre part, on régresse cette seconde variable par rapport à ses valeurs passées et aux valeurs passées de la première (Chouchane-Verdier, 2001). Le test consiste au final à estimer deux équations à retards distribués : xt= Σαi xt-i + Σβi yt-i + ε1t Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 309 yt= Σλi xt-i + Σδi yt-i + ε2t Encadré n°14. Quelques considérations sur le test de causalité de Granger Si les coefficients βi Sont significativement différents de 0, alors l’introduction de la variable y t permet d’enrichir le pouvoir explicatif du terme autoregressif. Si la variable Y permet de prévoir le comportement futur de la variable X, alors on peut dire qu’Y induit X au sens de Granger. Et inversement pour les coefficients λi. Dire qu’Y induit X au sens de Granger ne veut pas dire qu’Y agit directement sur X. Le développement financier est un facilitateur de la croissance bien plus que sa réelle cause. Les fondements de la croissance doivent être recherchés dans le secteur réel (notamment dans les innovations aux sens schumpetérien). Un système financier performant permet à l’économie d’utiliser au mieux ses nouvelles potentialités. On peut considérer un test de causalité au sens de Granger comme un test qu’un système financier de qualité se doit de réussir. L’absence de causalité au sens de Granger peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Le premier étant le détournement des fonds vers des activités non productives en raison d’inefficiences bancaires microéconomiques. A titre d’exemple, l’incapacité des banques à faire face aux problèmes informationnels est susceptible de les conduire à ne pas financer des projets à long terme ou alors à octroyer des prêts à des projets présentant de faibles perspectives. Une telle situation peut aussi s’expliquer par des interférences politiques au sein de la sphère bancaire (clientélisme, népotisme, financement d’éléphants blancs ou alors achats d’armes). La présence d’une causalité inverse peut être révélatrice de problèmes macroéconomiques plus graves, tels un climat d’incertitude politique ou économique élevé, l’existence d’un taux d’inflation élevé. Dans un tel contexte, l’épargne financière ne sera pas investie dans la mesure où les firmes locales et étrangères sont peu enclines à s’engager dans un avenir incertain. Les données utilisées pour réaliser ces tests s’étendent sur la période 1970-1996 et concernent 18 pays africains97. Loin de toute généralisation, les résultats établissent une causalité spécifique au pays. Elle peut aussi être bidirectionnelle. Au-delà des liens allant du secteur financier vers la sphère réelle observés dans trois pays (Côte d’Ivoire, Cameroun, Mali, Burundi), ou du secteur réel vers la finance (Rwanda, Ethiopie, Burkina Faso, Nigeria), on constate l’existence d’un double lien de causalité entre les deux sphères au Sénégal, en Afrique du Sud et au Togo. Pays Sens de la causalité Secteur financier vers Secteur réel Secteur réel vers Secteur financier Afrique du Sud Gambie Oui Oui Ghana Kenya 97 Afrique du Sud, Gambie, Ghana, Kenya, Nigeria, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Cameroun, Congo, Gabon, Niger, Sénégal, Ethiopie, Rwanda, Togo. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 310 Pays Nigeria Sens de la causalité Oui Bénin Burkina Faso Burundi Cameroun Oui Oui Oui Congo Gabon Niger Sénégal Ethiopie Oui Rwanda Togo Mali Oui Oui Oui Oui Oui Oui Côte d’Ivoire Oui Tableau 29: Les résultats de tests de causalité au sens de Granger pour l’Afrique. Source : d’après Chouchane-Verdier, A. (2001), et Venet, B. et Raffinot, M. (1998) Ces conclusions rendent nécessaires un meilleur calibrage des politiques de développement financier. Afin de réaliser ce premier objectif, les autorités en charge du développement financier subsaharien devraient s’engager dans une recherche statistique plus fine98 afin de mesurer la nature de l’interaction entre les deux sphères au sein de leur économie et déterminer le type de politique de développement financier à réaliser (sur l’OFFRE ou la DEMANDE de services financiers). Dans les pays où la croissance précède le développement financier, la création d’institutions à même de soutenir la croissance et les acteurs de la DEMANDE de services financiers est nécessaire pour faire prospérer la sphère financière sous peine de créer les conditions d’un piège à pauvreté lié au développement financier. Dans les pays où le secteur financier impulse la croissance, les réformes doivent viser l’amélioration de l’efficacité de ce dernier. 98 Il serait nécessaire de refaire les tests de causalité de Granger afin d’y intégrer des statistiques plus récentes. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 311 Ces recommandations semblent bien lointaines des politiques de développement financier mises en œuvre dans de nombreux pays africains. Des années après le début des réformes financières, ces dernières loin de renforcer les facteurs de la DEMANDE de services financiers semblent accorder une large priorité à l’OFFRE. Ce faisant, elles ne font que perpétuer certaines causes du sous-développement financier (§2). §2- AXER LES POLITIQUES DE DEVELOPPEMENT FINANCIER SUR LE RENFORCEMENT DE LA DEMANDE DE SERVICES FINANCIERS De l’examen théorique et empirique des trajectoires empruntées par les systèmes financiers sur longue période semble s’imposer d’elle-même une conclusion: au-delà des asymétries d’information et des questions de concurrence évoquées précédemment, le sous-développement financier subsaharien trouve avant tout son origine dans l’incapacité de la sphère réelle à susciter une DEMANDE de services plus importante et plus diversifiée. En effet, seule une hausse durable de la DEMANDE de services financiers semble à même de susciter un processus durable et auto entretenu de développement financier. Cette hausse durable de la demande de services financiers peut se décliner sous la forme (i) (ii) (iii) (iv) d’une hausse du nombre d’utilisateurs ; d’une augmentation de leur fréquence d’utilisation des services financiers ; d’une élévation du niveau moyen des opérations financières ; d’une augmentation de la propension à utiliser une gamme de services financiers diversifiée. Ces différents facteurs dépendent largement des conditions socio-économiques. Or, près d’un demi-siècle après les indépendances, celles-ci ne semblent pas avoir fortement évolué. Cette perpétuation des structures socio-économiques explique la perpétuation des structures financières (A). Ce constat, souligne tout le paradoxe des politiques de développement financier subsaharienne : loin de mettre en œuvre certains de leurs instruments à même de renforcer la DEMANDE de services financiers, elles demeurent encore largement orientées vers le renforcement de l’OFFRE (B). A - Un legs colonial toujours inscrit dans les structures économiques et financières Près de 40 après la décolonisation, l’observation des systèmes financiers des pays d’Afrique subsaharienne laisse perplexe à plus d’un titre : les grandes institutions qui dominent les systèmes financiers existaient déjà pendant la colonisation, parfois avec le même actionnaire de référence ; les problématiques financières n’ont pas changé (faible approfondissement financier, accès d’une Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 312 minorité de la population au secteur financier formel, exclusion du circuit du financement de certains secteurs pourtant essentiels au développement). Ces deux grandes permanences peuvent être imputées à un troisième facteur : le maintien pour l’essentiel des structures économiques héritées de la période coloniale. C’est donc à ce troisième facteur qu’il nous semble important de s’attaquer pour insuffler une réelle dynamique de développement financier pérenne. #1-Perpétuation de la spécialisation économique coloniale La création d’un embryon de système financier au sein des pays de la Zone Franc pendant la période coloniale avait pour finalité première de répondre aux besoins de financement des sociétés d’import-export et d’exploitation des produits primaires agricoles (Bénin, Mali, Côte d’Ivoire, Burkina-Faso), miniers (Togo, Niger, Centrafrique, Sénégal) et pétroliers (dans les pays de la future CEMAC). Ces organisations n’avaient pas pour objectif premier de répondre aux besoins financiers des populations locales. Le maintien, après les indépendances, des schémas d’organisation spatiale et sectorielle de l’activité économique (spécialisation sur le commerce et l’exportation de matières premières brutes) ainsi que l’échec des politiques de diversification industrielle expliquent la perpétuation des structures économiques héritées de la colonisation et des caractéristiques financières qui en découlent. Outre l’APD et les revenus des migrants, de nombreux pays africains tirent aujourd’hui encore leurs revenus de l’exportation de matières premières agricoles ou minérales brutes vers les marchés internationaux. Caractérisées par une volatilité forte et un déclin tendanciel, les variations de prix de ces matières premières ont des répercussions macro et microéconomiques importantes sur la sphère réelle dans ces pays et un impact non négligeable sur leurs systèmes bancaires. Dans les PAZF sahéliens, (Burkina Faso, Mali ou Sénégal), la rentabilité du système bancaire était et demeure fortement cyclique et tributaire des résultats de la campagne de commercialisation du coton ou de l’arachide. Les économies de la zone Franc, avec 57% de leurs populations vivant en milieu rural en 2004, conservent comme caractéristique fondamentale la part importante d’un circuit économique reposant sur l’auto consommation de la production au sein de la cellule sociale sans règlement monétaire. Les crises alimentaires dans de nombreux PAZF ont mis à jour le faible niveau de financement accordé aux productions agricoles destinées à satisfaire la demande locale. Le développement des cultures de rente a certes permis d’améliorer le revenu des agriculteurs mais les injections de liquidité, correspondant au rythme des campagnes de commercialisation, restent modestes, largement cycliques et aléatoires. Ces flux saisonniers conditionnent fortement dans de nombreux PAZF les évolutions de la masse monétaire. La faible diversification économique entraîne aujourd’hui comme hier une concentration des crédits bancaires sur quelques secteurs tandis que le dynamisme des échanges et de l’économie informelle (par exemple les corporations de femmes commerçantes en Afrique de l’Ouest, le Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 313 commerce informel entre le Nigeria et ses voisins de la Zone Franc), déjà présent pendant la période coloniale, s’est maintenu et continue d’alimenter l’essor des circuits de financement informel. A contrario, les grands projets d’infrastructures réalisés dans de nombreux pays subsahariens présentant une excellente viabilité et rentabilité, ne font pas toujours, voire rarement, appel aux établissements bancaires, notamment aux filiales des grands groupes bancaires internationaux. Lorsque celles-ci y sont associées, les mécanismes d’optimisation du résultat au niveau des grands groupes financiers internationaux peuvent entraîner une remontée de la marge d’intérêt vers la maison-mère qui a noué le prêt alors que le crédit a été accordé grâce aux ressources de la filiale locale. De telles pratiques affaiblissent la santé financière des banques locales pourtant en quête de projets bancables mais aussi d’opportunités de diversification. Enfin, les balances commerciales hors pétrole restent déficitaires pour des raisons de fond : (i) l’absence de montée en gamme vers des productions à plus forte valeur ajoutée, (ii) des structures agricoles peu efficientes, et (iii) leur orientation vers des cultures qui n’ont pas permis d’atteindre l’autosuffisance alimentaire. Au-delà de facteurs traditionnellement avancés, différents travaux permettent de considérer sous un jour nouveau la relation entre la piètre intégration des pays africains dans l’économie mondiale et leur faible niveau de développement financier. Comme le démontre Beck (2001), un système financier efficient peut exercer un impact positif sur le niveau de compétitivité d’une économie, la structure et le niveau de sa balance commerciale. En effet, dans un pays doté d’un système financier développé, les secteurs exportateurs peuvent plus facilement accéder aux financements, exploiter de potentielles économies d’échelle, améliorer leur compétitivité internationale et accroître leurs volumes d’exportations. #2-Perpétuation des comportements et des institutions L’étude de la composition du capital des banques dans les PAZF, notamment en Afrique de l’Ouest, témoigne de la stabilité du paysage financier au cours du dernier demi siècle et ce malgré les transformations opérées pendant les années 1960-70. En 1956, la zone couverte par l’Institut d’émission AOF-Togo (l’ancêtre de la BCEAO) comptait cinq réseaux bancaires : deux banques présentes depuis le début du XXème siècle (la Banque de l’Afrique Occidentale et la Banque Commerciale Africaine) ainsi que les filiales locales de trois banques métropolitaines : la Banque Nationale pour le Commerce et l’Industrie (future BNP), la Société Générale et le Crédit Lyonnais. Ces trois banques vont développer leurs réseaux africains à partir de 1940. Soixante ans après leur installation sur le sol africain, ces trois banques dominent encore largement le paysage bancaire ouest africain et, au-delà, de l’ensemble de la Zone Franc, où elles détiennent à elles trois plus de la moitié des parts du marché bancaire. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 314 Cette prééminence historique a été à l’origine de la forte concentration oligopolistique des systèmes financiers de la PAZF. Toutefois, cette structure de marché évolue progressivement avec la création d’établissements bancaires détenus par des intérêts africains et l’entrée de banques issues d’autres continents. Ces facteurs sont à l’origine de la baisse du degré de concentration bancaire au sein des PAZF, sans pour autant être synonymes d’un accroissement significatif de la concurrence (Saab et Vacher, 2007). La permanence des institutions allant de pair avec celle des problématiques, on retrouve à une époque déjà ancienne la question de l’accessibilité des systèmes financiers pour les ménages et les entreprises locales. La période coloniale se caractérisait en effet par une concentration du réseau des guichets bancaires sur les grandes villes. En 1956, au sein de la zone géographique couverte par l’institut d’émission de l’AOF-Togo, cinq villes (Abidjan, Dakar, Conakry, Bamako et Cotonou) concentraient ainsi 36% des agences. Ce biais urbain des institutions bancaires explique pour une large part la tendance à thésauriser ou à confier son épargne à des institutions informelles en zone rurale. De même, en matière d’allocation des crédits, les banques coloniales comme leurs héritières ont été frileuses et tournées vers des clientèles bien ciblées. Les banques coloniales limitaient leurs prêts à une clientèle assez comparable à la clientèle actuelle des grandes institutions bancaires : grandes entreprises, PME détenues par des étrangers et quelques commerçants et exploitants agricoles locaux. La problématique du financement agricole est toujours aussi prégnante que pendant la période coloniale. D’après une enquête de l’Institut d’émission d’AOF-Togo réalisée dans la région du Sine Saloum au Sénégal pendant la campagne 1952-1953, près de 93% des producteurs d’arachides étaient endettés en raison des crédits d’hivernage et dépendaient des négociants pour la commercialisation de leur production. Les banques coloniales et celles qui les ont suivies n’ont pour la plupart d’entre elles pas su adapter leurs opérations à la structure des économies africaines : « le système financier s’est développé culturellement, économiquement et socialement en rupture avec la société civile, dont les agents sont largement exclus du système » (Hugon, 1999). B - Des politiques de renforcement de la DEMANDE de services financiers encore hésitantes Les développements consacrés à la présentation des outils de la politique de développement financier a fait des politiques publiques sectorielles, commerciales et d’infrastructures autant d’adjuvants au développement financier. Ce rôle s’explique par leur capacité à modifier différents facteurs agissant sur la DEMANDE de services financiers. A titre d’exemple, la création de nouvelles filières ou la sécurisation des filières existantes est l’une des conditions de l’augmentation de l’offre de financement mais aussi de la diversification de l’intermédiation. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 315 Or, suite à l’échec des politiques d’intervention de l’Etat dans le secteur réel, l’Etat a renoncé à utiliser de nombreuses politiques publiques pourtant favorables au développement financier et au développement tout cours. Ce faisant, la puissance publique a renoncé à modifier de manière volontariste les conditions de la DEMANDE de services financiers ou à utiliser des incitations susceptibles d’amener le secteur privé à participer à ce processus. Cette renonciation s’explique par la réduction des marges de manœuvre imposée par l’ajustement structurel mais aussi par la peur de répéter les erreurs du passé. Pourtant, à l’instar des mécanismes publics de financement de l’économie, l’échec des politiques de diversification de la sphère réelle s’explique moins par leur finalité et principe que par leur gouvernance. Au-delà des pratiques de mauvaise gouvernance stricto sensu (corruption, détournement, népotisme), ces politiques ont pâti d’une mauvaise vision stratégique et exécution tactique. Ainsi, les politiques d’industrialisation par substitution ont été confrontées à des marchés intérieurs trop faibles en l’absence d’une régionalisation des économies. Les industries ainsi créées n’ont jamais pu bénéficier des économies d’échelles et faire face à des producteurs extérieurs bénéficiant d’une longue courbe d’expérience. Les unités de production créées n’ont pas toujours pu ou su bénéficier d’une protection commerciale mal organisée. La viabilité des projets de première ou deuxième transformation locale, souvent bénéficiaires de prêts en devises, s’est quant à elle, heurtée à une hausse du service de la dette suite à la crise financière internationale du début des années 80. Les politiques agricoles de production de produits de base destinés à la consommation locale ont failli en raison de l’absence de chaîne logistique pour les acheminer vers les centres de consommation urbains. Ce n’est donc pas tant l’intervention de l’Etat en tant que producteur de services financiers qui est en cause mais l’absence de cadre permettant de viabiliser certains secteurs et de sécuriser aussi bien physiquement qu’économiquement de potentiels investisseurs. S’inscrivant dans une approche très libérale, les politiques de développement financier actuelles susceptibles d’agir sur la DEMANDE de services financiers limitent les interventions publiques directes et se cantonnent au cadre des affaires (réformes juridique, judiciaire, des mécanismes de création de sociétés, de la réglementation des importations et exportations). On ne peut que s’interroger sur l’efficacité99 de ces réformes structurelles menées avec des moyens limités, dispersés à l’échelle du pays ou des différentes filières économiques au lieu de privilégier une approche séquentielle et thématique pour bénéficier des effets de la concentration des moyens. Quant à la politique de redistribution, une des alternatives pour modifier les conditions de la DEMANDE, peine à prendre son envol dans de nombreux pays bénéficiant de rentes d’exportation. 99 Mais aussi la capacité à exercer un effet d’entraînement sur l’ensemble des économies. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 316 Au contraire, les inégalités semblent se creuser au cours des dernières années malgré la baisse des indicateurs de pauvreté absolue100. Or, une politique de redistribution optimale pourrait, à travers une élévation du revenu par habitant, contribuer à la solvabilisation de la DEMANDE de services financiers. Au final, malgré une forte croissance économique et l’extension de leurs marges de manœuvres budgétaires, les Etats subsahariens peinent à utiliser ceux-ci pour mettre en œuvre les conditions de leur diversification économique. Plus grave, ils préfèrent parfois placer ces ressources à des conditions défiant tout entendement (Cf. encadré n°15). Encadré n°15. La CEMAC- une gestion peu dynamique des excédents publics La problématique financière des Etats de la CEMAC est radicalement différente puisqu’ils affichent depuis 2002 une capacité de financement structurellement excédentaire. A nouveau, ces chiffres agrègent des situations très contrastées, la situation de la République centrafricaine par exemple ne s’accorde pas avec les tendances régionales. Entre 2004 et 2005, les dépôts nets des Etats auprès de la BEAC ont pratiquement doublé, passant de 1 232 à 2 625 milliards de Francs CFA soit près de 4 milliards d’euros. Cette hausse est due aux excédents pétroliers et budgétaires accumulés par les Etats de la CEMAC. Des mécanismes conformes aux meilleures pratiques actuelles des pays producteurs de matières premières ont été mis sur pied afin de gérer au mieux ces excédents. Les Etats de la CEMAC peuvent ainsi constituer des dépôts au sein de la BEAC dans le cadre d’un compte de réserve pour les générations futures. Si l’initiative est louable dans son esprit, sa mise en œuvre concrète se révèle malheureusement critiquable. En effet, contrairement aux fonds de réserves de la Norvège ou de l’Alaska utilisés pour financer des investissements locaux à forte rentabilité différée ou constituer des portefeuilles d’actifs offrant les meilleures perspectives de rendement possibles, la gestion des dépôts des Etats au sein de la BEAC est très peu dynamique : les taux de rémunération obtenus sont inférieurs à l’inflation de la sous-région. Entre juin 2006 et juin 2007, le taux des dépôts au titre des fonds de réserves est passé de 2,15% à 3,15% tandis que le taux des dépôts à la BEAC au titre du mécanisme de stabilisation des recettes budgétaires a augmenté de 1,95% à 2.95%. Le taux des dépôts spéciaux des Etats a été fixé à 2.65% contre 1.65%.Avec une inflation de 3,1% en 2005 et de 5,2% en 2006, la rentabilité réelle des placements effectués par les Etats est donc négative et entraîne une destruction de valeur pour les générations futures ! Au final, le mécanisme de placement des excédents publics (excédents budgétaires et recettes pétrolières) auprès de la Banque Centrale, aussi vertueux soit-il dans son principe, ne préserve donc pas les intérêts des générations futures. En acceptant des taux de rémunération aussi bas, les Etats de la zone vont franchement à l’encontre des normes internationales en matière de gestion d’actifs. Ces ressources pourraient être affectées à des actifs ou à des projets générant une rentabilité bien plus élevée, conformément aux stratégies d’allocation dynamiques des actifs développées par d’autres fonds de réserve dans le monde, confrontés à des problématiques similaires (le 100 En 1990, 46,8% de la population subsaharienne vivait avec moins d’un dollar par jour. Ce chiffre est descendu à 45,9% en 1999 pour atteindre 41,1% en 2004. Source : ONU (2007), Africa and the Millenium Goals – 2007 Update, New York, http://www.un.org/millenniumgoals/docs/MDGafrica07.pdf, page consultée le 13 juin 2008 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 317 Fonds pétrolier norvégien, le fonds de l’université de Yale aux Etats-Unis ou encore le Fonds de Réserve pour les Retraites français). A contrario, l’essentiel de l’action des pouvoirs publics s’est concentré sur l’OFFRE de services publics à travers l’action des bailleurs de fonds pour l’apport de lignes de crédits aux institutions financières et de l’Etat pour la réglementation. Ces politiques de soutien peuvent être réalisées à l’aide de lignes de financement octroyées aux institutions financières pour renforcer leur stabilité, accorder des prêts à des clientèles marginalisées (PME, ménages), sur des maturités précises (long ou moyen terme) ou alors développer de nouveaux produits. Les lignes de crédits ainsi accordées par les bailleurs de fonds internationaux ou les Etats bénéficient le plus souvent de taux concessionnels. Malheureusement, le déséquilibre vers l’OFFRE des politiques de développement financier peine à porter des fruits et rencontre une limite forte : la capacité d’absorption de la sphère réelle. Ainsi, les lignes de crédit concessionnelles proposées par les bailleurs aux établissements financiers ne sont pas pleinement voire faiblement utilisées. Il n’est pas inutile de rappeler que les bailleurs de fonds ont adopté cet instrument afin de résorber certaines carences des systèmes financiers : faible octroi de crédit à certaines clientèles (PME, notamment) ou alors absence de crédit pour des projets d’investissement à long terme. Pour les banques, l’élément concessionnel représente une incitation à opérer sur des clientèles marginalisées ou sur des maturités plus longues, car il augmente les perspectives de rentabilité de ces opérations. Grâce au différentiel entre le taux de marché et le taux concessionnel, la concessionnalité permet aux institutions financières de se rémunérer pour le risque supplémentaire associé à des prêts sur des clientèles /maturités ou produits plus risqués. Toutefois, des éléments conjoncturels et structurels spécifiques aux PAZF expliquent une utilisation de plus en plus faible de ces lignes par les banques: (i) Les lignes de crédit concessionnelles ne résolvent pas la question fondamentale de la solvabilité des clientèles bancaires et de leur capacité à pouvoir rembourser leurs créances à moyen-long terme. A ce titre, l’exemple des PME camerounaises est particulièrement représentatif. Au sein de la CEMAC, le Cameroun est le pays disposant du tissu de PME le plus dense et le plus diversifié. Certaines PME camerounaises se sont en particulier illustrées par leur aptitude à développer leurs exportations de produits agricoles et manufacturés dans leur sous région mais aussi dans d’autres pays africains voire à l’international. Ce dynamisme est néanmoins remis en cause depuis quelques années par la concurrence des produits nigérians et chinois bénéficiant d’une meilleure compétitivité en raison de l’appréciation du Franc CFA mais aussi en raison de la contrainte énergétique. Face à ces perspectives économiques peu radieuses et à des capacités de remboursement des PME fortement compromises, les banques, même en présence de crédits concessionnels, peuvent être tentées de ne pas mobiliser ceux-ci afin d’octroyer du crédit aux PME. Seule la levée des incertitudes pesant sur la rentabilité et Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 318 la (ii) solvabilité des clientèles est à même de modifier cette donne. A moyen-court terme, les lignes de crédit concessionnelles ne sont pas suffisamment compétitives en raison de ressources locales peu chères (dépôts) et de la situation de surliquidité de différents systèmes financiers des PAZF. Ces éléments plaident en faveur d’une réorientation des politiques de développement financier vers des actions à même de générer une DEMANDE de services financiers forte. Celles-ci nécessitent l’utilisation de politiques structurelles (politique industrielle, agricole, grands travaux) présentées dans le chapitre 8. Seules ces politiques sont à même de susciter un choc de demande à même d’exercer un impact durable sur l’intermédiation financière dans les pays subsahariens. CONCLUSION Longtemps, le débat autour de la politique de développement financier au sein de l’arc subsaharien s’est focalisé sur la légitimité de l’intervention de l’Etat au sein des systèmes financiers ou le recours à des politiques de libéralisation financière redonnant aux seuls marchés la responsabilité de la production du développement financier. L’échec des deux stratégies souligne la nécessité d’une approche plus pragmatique. La mise en perspective des trajectoires de développement financier au sein de l’OCDE et des pays de l’espace subsaharien offre à maints égards d’intéressantes perspectives. En effet, bien que certains d’entre eux aient poussé la libéralisation financière à son paroxysme, il n’en demeure pas moins que l’Etat y occupe toujours une place prépondérante dans le système financier, notamment lorsqu’il s’agit de développer des segments délaissés par les acteurs privés mais utiles à l’ensemble de la communauté. Dans l’arc subsaharien, la politique de développement financier suit une trajectoire différente avec un désengagement quasi-total de la puissance publique. Ce dernier est à l’origine d’un piège d’économie politique au sein duquel acteurs privés et publics ne prennent pas en charge des aspects pourtant fondamentaux du développement financier, inhibant de facto la croissance et la réduction de la pauvreté. La publication de différents rapports mettant l’accent sur le rôle de l’Etat dans ce domaine laisse espérer un aggiornamento des politiques publiques subsahariennes (Cf. notamment le rapport Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 319 de la Cnuced Le Développement économique en Afrique, Retrouver une marge d’action- La mobilisation des ressources intérieures et l’Etat développementiste). Afin d’éviter les dérives du passé, celles-ci doivent s’appuyer sur une gouvernance irréprochable dont les piliers sont la subsidiarité, la contractualisation des droits et devoirs des acteurs du développement financier, la concentration des moyens mis en œuvre pour impulser le développement et la coordination des acteurs mais surtout l’instauration de mécanismes de sanction et de contrôle efficaces et impitoyables. Ceux-ci sont d’autant plus importants qu’ils seraient à même de détecter certains déséquilibres associés à la conduite des politiques de développement financier. Il peut s’agir de déséquilibre dimensionnel (la politique de développement financier entraîne l’essor d’une dimension par rapport aux autres) mais aussi dans les mécanismes et instruments mis en œuvre pour susciter le développement financier. Dans ce domaine, on ne peut que remarquer le fort déséquilibre des interventions des pouvoirs publics et bailleurs de fonds en faveur des acteurs de l’OFFRE de services financiers. Or, l’analyse du blocage de l’intermédiation au sein des systèmes financiers subsahariens a révélé que ses causes profondes devaient être recherchées dans la sphère réelle ou dans les modes d’interactions entre sphère réelle et intermédiaires financiers. Les politiques de développement financiers devraient, par conséquent, se recentrer vers l’amélioration des conditions de la DEMANDE. De telles politiques, plus ambitieuses, supposent de faire d’autres politiques économiques (politique commerciale, des grands travaux, de redistribution, agricole ou industrielle) des moyens de la politique de développement financier. Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 320 CONCLUSION En concluant cette étude des systèmes financiers subsahariens et des politiques mises en œuvre pour susciter leur essor, il apparaît fondamental de revenir sur la portée et l’utilisation du cadre conceptuel proposé. Les chapitres 1, 2 et 3 et 10 ont fait du développement financier un des éléments du faisceau de variables institutionnelles susceptibles de favoriser la transition des économies subsahariennes d’équilibres de développement socio-économiques bas vers des équilibres plus élevés. Or, les systèmes financiers subsahariens apparaissent à bien des égards sous-développés et peu à même de contribuer pleinement à ce processus ainsi que l’atteste la méthodologie d’analyse du développement financier présentée dans le cadre des chapitres 4, 5, 6 et 7. En désagrégeant le niveau de développement financier de chaque pays en sept dimensions (profondeur, accessibilité, institutions d’appui, rentabilité et la stabilité, efficacité, diversité, ouverture du système financier), cette méthodologie, bien qu’imparfaite, marque un progrès significatif dans l’analyse de la contribution et du niveau de structuration de systèmes financiers subsahariens. Elle permet notamment d’établir une singularité : le hiatus existant entre des intermédiaires financiers peu efficaces mais fortement rentables d’une part et le faible degré de profondeur, d’accessibilité et de diversité des systèmes financiers subsahariens, d’autre part. Plus important encore, l’approche par dimension autorise une réinterprétation des trajectoires de développement financier empruntées par les systèmes financiers subsahariens. Si la période 60-80 est marquée par un important approfondissement du système financier, une amélioration de l’accessibilité et une forte diversité des intermédiaires financiers, depuis 1999, la priorité semble accordée à la restauration de la rentabilité/stabilité du système financier suite aux crises financières du milieu des années 80. Et ce au détriment des dimensions contribuant à la croissance et à la réduction de la pauvreté (accessibilité/diversité/profondeur/efficacité). Cette situation est loin d’être une fatalité et des solutions éprouvées existent : les Etats subsahariens peuvent s’inspirer de différents mécanismes publics à l’œuvre dans les pays de l’OCDE (chapitre 10). Leur succès implique une redéfinition des actions mises en œuvre par la puissance publique et un aggiornamento dans la réflexion/conception de celles-ci. Ce processus passe premièrement par une prise de conscience : seul l’Etat est à même d’intervenir pour faire face aux niveaux de risques et à l’étendue des imperfections affectant la production du développement financier dans l’arc subsaharien. Deuxièmement, loin d’une approche dogmatique faisant des mécanismes de marché les vecteurs uniques d’une production efficiente du développement financier, ce processus doit être envisagé comme étant le lieu d’une économie mixte. En effet, seule la puissance publique est à même de porter et de mutualiser certains risques limitant l’essor des intermédiaires financiers privés. Au final, seul l’Etat et ses démembrements sont à même de mobiliser des leviers d’actions à même de modifier la structure de l’économie afin d’offrir de nouvelles opportunités de diversification aux intermédiaires financiers et rendre solvables certaines clientèles traditionnellement marginalisées. Un tel programme d’action est ambitieux mais s’avère aussi sources de dérives. D’où la nécessité d’encadrer fortement la gouvernance des politiques de développement financier. Ce cadre renouvelé de la gouvernance de la politique de développement financier se doit d’intégrer les différentes parties prenantes du développement financier (producteurs et utilisateurs) aussi bien dans la réflexion que dans la conduite de cette politique. Cette dimension inclusive doit reposer sur un processus contractuel précisant les engagements et responsabilités de chacun mais surtout les indicateurs et mécanisme permettant de les vérifier et de les sanctionner. Ces critères d’une gouvernance renouvelée permettront d’éviter les travers des politiques de développement actuelles qui privilégient largement des interventions sur l’OFFRE de services financiers ou sur certaines dimensions. L’analyse des trajectoires des politiques de développement financier au sein de l’arc subsaharien révèle aussi l’existence de déséquilibres dans leurs résultats par dimension (chapitre 9). A l’instar du carré magique de Kaldor, il semble que les politiques de développement financier ne puissent atteindre simultanément les sept dimensions du développement financier. Cette impossibilité pourrait s’expliquer par la nature des mécanismes nécessaires pour atteindre certaines dimensions et leurs effets négatifs sur d’autres dimensions. A titre d’exemple, les investissements nécessaires pour réaliser une meilleure accessibilité et la dynamique des opérations avec des clientèles atypiques (les pauvres, par exemple) ne sont pas compatibles avec des niveaux de rentabilité élevés, du moins dans un premier temps. La faible rentabilité des institutions de microfinance par rapport à celle dégagée par les établissements bancaires dans l’UEMOA confirme cette intuition (Cf. chapitre 7). En outre, la préservation de la stabilité implique la mise en place de politiques souvent comparées à un « monétarisme financier » tant elles limitent de nombreuses initiatives. Face à cette impossibilité d’atteindre simultanément toutes les dimensions, les Etats subsahariens peuvent opter pour deux approches. La première, la plus radicale, consiste à choisir résolument de développer dans un premier temps des dimensions que l’on peut juger prioritaires pour la croissance et la réduction de la pauvreté (accessibilité, profondeur, diversité). Une fois ces dimensions atteintes, la politique de développement financier pourrait mobiliser ses moyens pour réaliser les autres dimensions. Choisir cette trajectoire revient à transformer radicalement la fonction d’objectifs des intermédiaires financiers avec des conséquences non négligeables (passage d’une rentabilité forte liée à la concentration des activités sur quelques clients vers une rentabilité « normale » reposant sur un volume d’opérations et des coûts plus importants en raison d’interactions avec des clientèles plus difficiles). Une deuxième approche consiste à développer Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 322 parallèlement les différentes dimensions en affectant les moyens de l’Etat à l’essor des dimensions ignorées par le secteur privé. 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Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 340 ANNEXES LISTE DES ILLUSTRATIONS Figure 1: Quelques grandeurs socio-économiques caractérisant l’espace subsaharien ...................... 19 Figure 2: Différents flux financiers vers et en provenance d'Afrique subsaharienne ........................... 20 Figure 3: Les organisations régionales africaines .................................................................................. 26 Figure 4: Travail des enfants dans différentes régions en développement .......................................... 40 Figure 5: Les canaux d’interaction entre système financier et variable réelle ..................................... 50 Figure 6: Ratio d’autofinancement moyen par région .......................................................................... 53 Figure 7: Taux de croissance moyen par region du PIB......................................................................... 53 Figure 8: Financing gap de quelques pays africain ................................................................................ 54 Figure 9: Financing gap de quelques pays africains .............................................................................. 54 Figure 10: Part de l’Afrique dans le commerce mondial ....................................................................... 58 Figure 11: Politiques de développement financier et liens avec la lutte contre la pauvreté ............... 68 Figure 12: Les sept dimensions du développement financier. .............................................................. 80 Figure 13: Ratios d’intermédiation financière de différentes zones géographiques .......................... 110 Figure 14: Moyenne du ratio crédit accordé par les banques de dépôts au secteur privé/PIB entre 2003 et 2005........................................................................................................................................ 111 Figure 15: Moyenne du ratio dépôts bancaires/PIB entre 2003 et 2005 ............................................ 111 Figure 16: Des avoirs extérieurs nets en forte croissance au sein de la BEAC .................................... 113 Figure 17: Nombre de distributeurs automatiques pour 100 000 personnes .................................... 116 Figure 18: Evolution du taux d’épargne domestique .......................................................................... 118 Figure 19: Répartition sectorielle des crédits...................................................................................... 120 Figure 20: Répartition sectorielle du PIB ............................................................................................. 120 Figure 21: Répartition des actifs des banques par région ................................................................... 121 Figure 22: Répartition par maturité des crédits à l’économie déclarés à la centrale des risques dans la CEMAC entre 2003 et 2005 ................................................................................................................. 122 Figure 23: Ratio primes d’assurance/PIB ............................................................................................ 126 Figure 24: Comparaison des réseaux micro finance et bancaire au sein de l’UEMOA en 2005 ......... 132 Figure 25: Emissions actions et obligations privées sur la BRVM ....................................................... 137 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 342 Figure 26: Capitalisation boursière/PIB dans différentes PED en 2005 .............................................. 138 Figure 27: Comparaison des flux de transferts avec d'autres sources de fonds ................................. 140 Figure 28: Evolution de la population subsaharienne entre 2005 et 2050 ......................................... 146 Figure 29: Nombre de guichets bancaires pour 100 000 habitants en 2005 ...................................... 149 Figure 30: Montant minimal pour ouvrir un compte à vue en pour cent du PIB/tête ....................... 152 Figure 31: Coût d’un transfert international d’argent ........................................................................ 152 Figure 32: Frais de gestion d’un compte à vue ................................................................................... 153 Figure 33: Part de chaque contrainte dans la contrainte globale des entreprises ............................ 160 Figure 34: Pourcentage d’entreprises faisant de l’accès ou du coût du financement une contrainte majeure dans différents secteurs........................................................................................................ 161 Figure 35: Pourcentage d’entreprises ayant une ligne de crédit en fonction de leur degré d’extraversion...................................................................................................................................... 162 Figure 36: Pourcentage de firmes identifiant le coût ou l’accès au financement comme une contrainte majeure en fonction de leur taille ....................................................................................................... 163 Figure 37: Pourcentage d’entreprises ayant recours à différents instruments ou services financiers en fonction de leur taille .......................................................................................................................... 163 Figure 38: ROE bancaire moyen par région géographique ................................................................. 169 Figure 39:Comparaison du ROE et du ROA de banques en fonction de leur implantation/appartenance sur la période 2000-2004....................................................................... 172 Figure 40: Frais de gestion bancaire/total des actifs (moyenne 2003-2005) ..................................... 173 Figure 41: Spreads moyens sur la période 2002-2004 de différents pays .......................................... 174 Figure 42: Evolution de la marge d’intérêt bancaire depuis 1996 dans différentes régions .............. 175 Figure 43: Concentration des actifs des trois premières banques (moyenne 2003-2005) ................. 187 Figure 44 : Evolution du nombre de banques dans les pays de l’UEMOA entre 2002 et 2007 .......... 190 Figure 45: Matrice de contestabilité des différents sous marchés bancaires sud-africains ............... 192 Figure 46: Les implications en termes de bien être des inefficiences X .............................................. 197 Figure 47: la perte de surplus de consommateur attribuable au consommateur .............................. 202 Figure 48: Modèle d’Arrow sur l’incitation à inventer ........................................................................ 205 Figure 49: Modèle de Demsetz sur l’incitation à inventer ................................................................. 206 Figure 50: Canaux d’action reliant la concurrence à l’offre de crédit et à la stabilité financière ....... 209 Figure 51: Les équilibres de développement multiples et l’action du développement financier dans la transition ............................................................................................................................................. 234 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 343 Figure 52: Relation entre les dimensions du développement financier et l’environnement financier. ............................................................................................................................................................. 243 Figure 53: Les politiques au service de la politique de développement financier. ............................. 244 Figure 54: Evolution des taux d’épargne (1965-2004) ........................................................................ 250 Figure 55: Nombre de jours pour faire sanctionner un contrat (2007). ............................................. 251 Figure 56: Pourcentage de la population recensée dans les registres de crédit (2006) ..................... 258 Figure 57: Evolution des dépôts en % du PIB (1964-2005) ................................................................. 269 Figure 58: Evolution du crédit au secteur privé en % du PIB (1964-2005).......................................... 269 Figure 59: Evolution de la bancarisation au Cameroun (1973-1992). ................................................. 270 Figure 60: Evolution des crédits par maturités en CEMAC (1971-1986) ............................................. 270 Figure 61: Evolution des spreads de taux d’intérêts bancaires (1978-2005) ...................................... 279 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 344 LISTE DES TABLEAUX Tableau 1: L’Afrique subsaharienne et ses subdivisions géographiques .............................................. 25 Tableau 2: Pourcentage de chefs d’entreprises citant la contrainte comme étant un obstacle majeur au développement de leur entreprise .................................................................................................. 35 Tableau 3: Différentes contributions théoriques au débat sur le lien entre système financier et croissance. ............................................................................................................................................. 51 Tableau 4: Instruments de mesure de la complétude instrumentale et institutionnelle. .................... 83 Tableau 5: Instruments de mesure de la complétude temporelle........................................................ 84 Tableau 6: Instruments de mesure de la complétude fonctionnelle. ................................................... 85 Tableau 7: Instruments de mesure de la rentabilité et de la stabilité .................................................. 87 Tableau 8: Instruments de mesure de l’efficacité ................................................................................. 88 Tableau 9: L’accessibilité, ses sous-dimensions et ses indicateurs ....................................................... 91 Tableau 10: Les six dimensions d'analyse des systèmes financiers ...................................................... 96 Tableau 11: Matrice des notes pays par dimension............................................................................ 100 Tableau 12: Répartition des actifs financiers dans quelques pays africains en 2004 ......................... 103 Tableau 13: Caractéristiques des 75 premières banques subsahariennes ......................................... 109 Tableau 14: Répartition sectorielle des crédits dans la zone UEMOA, déclaration à la centrale des risques ................................................................................................................................................. 121 Tableau 15: Avantages et limites des différents types de transferts .................................................. 141 Tableau 16: Utilisation et perception des services d’assurance au Kenya.......................................... 151 Tableau 17: Sources de financement de l’investissement des entreprises ........................................ 156 Tableau 18: Analyse des garanties exigées pour l’octroi de prêts ...................................................... 158 Tableau 19: Analyse statistique portant sur le capital, les actifs, le Capital Adequacy Ratio, les bénéfices, le ROE et le ROA des 75 premières banques d’Afrique subsaharienne ............................. 168 Tableau 20: Coefficient de rentabilité des principaux groupes bancaires .......................................... 168 Tableau 21: ROE par catégories d’institutions financières dans l’UEMOA ......................................... 170 Tableau 22: Les différentes valeurs prises par la variable H et le type de structure de marché correspondant ..................................................................................................................................... 186 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 345 Tableau 23: Indice de concentration Hirschmann-Herfindhal pour différents pays de la CEMAC en 2002 et 2005........................................................................................................................................ 188 Tableau 24: Valeurs de la statistiques H dans différents espaces géographiques africains. .............. 189 Tableau 25: Types d’actions pouvant être envisagées pour améliorer les dimensions. ..................... 263 Tableau 26: Ampleur et coût des crises bancaires en Afrique. ........................................................... 276 Tableau 27: Comparaison entre un système financier libéralisé et soumis à une réglementation extrême ............................................................................................................................................... 278 Tableau 29 : Analyse des modes de production/consommation de différentes composantes du développement financier. ................................................................................................................... 295 Tableau 30: Les résultats de tests de causalité au sens de Granger pour l’Afrique............................ 311 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 346 LISTE DES ENCADRES Encadré n°1. Synthèse de quelques uns des canaux d’actions entre facteurs financiers et croissance .................................................................................................................... 58 Encadré n°2. Quelques étapes dans l’histoire des typologies des systèmes financiers ................. 94 Encadré n°3. Construction des indicateurs ..................................................................................... 97 Encadré n°4. Le secteur de la micro finance au Cameroun .......................................................... 133 Encadré n°5. Présentation des opérations de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières ........ 134 Encadré n°6. Le développement des produits d’assurance au Kenya .......................................... 150 Encadré n°7. Les performances des banques d’Afrique subsaharienne : rentabilité réelle ou artificielle ................................................................................................................... 171 Encadré n°8. La notion de convergence ....................................................................................... 232 Encadré n°9. Régulation sans application n’est que ruine nationale ........................................... 274 Encadré n°10. Comparaison historique des problématiques financières au sein des pays africains et de l’OCDE .................................................................................................................. 284 Encadré n°11. Les mécanismes publics de soutien au marché immobilier aux Etats-Unis ............ 290 Encadré n°12. La Financial Charter sud-africaine ........................................................................... 303 Encadré n°13. Le contrôle à posteriori de la politique de développement financier ..................... 306 Encadré n°14. Quelques considérations sur le test de causalité de Granger ................................. 310 Encadré n°15. La CEMAC : une gestion peu dynamique des excédents publics ............................ 317 Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 347 Vu : le Président Vu : les suffragants - Vu et permis d’imprimer : le Vice-président du Conseil scientifique Chargé de la Recherche de l’Université Paris Dauphine Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Page 348 Titre de la thèse : Les politiques de développement financier en Afrique subsaharienne Définition- Enjeux- Réalités et propositions Résumé : En 50 ans, l’Afrique a enregistré peu de progrès en matière de développement. Ce travail analyse un facteur à même d’expliquer cette trajectoire singulière: la structuration des systèmes financiers. L’approfondissement du concept de développement financier ainsi qu’une meilleure intelligence du lien entre sphères réelle et financière ont permis de dériver un indicateur de développement financier qui souligne la faible structuration des systèmes financiers africains et leur apport limité au développement. Ce travail souligne aussi l’existence d’équilibres durables de sousdéveloppement liés au facteur financier. Face à la force des facteurs expliquant ces sous équilibres, la mise en œuvre de politiques publiques, les politiques de développement financier, doit être au cœur des stratégies de développement à venir. Leur implémentation en Afrique est d’autant plus légitime qu’elles ont prouvé leur efficacité sous d’autres cieux. Cette thèse définit ces politiques et leur gouvernance. Mots-clés : - Institutions financières -- Afrique -- Thèses et écrits académiques - Banques – Afrique - Thèses et écrits académiques - Politique économique - Pays en voie de développement - Thèses et écrits académiques - Développement économique – Afrique - Thèses et écrits académiques Title of the PhD’s dissertation: Financial development policies in sub-Saharan Africa – Definition – Stakes – Current situation and proposals Abstract: In 50 years, Africa has seen little progress in development. Our work analyzes a factor able to explain this singular path: the structure of financial systems. After deepening the concept of financial development and providing a better understanding of the relationship between the real and financial spheres, it proposes an indicator of financial development which emphasizes the weak structure of African financial systems and their limited contribution to development. This work also highlights the existence of equilibriums of underdevelopment related to the financial factor over the long run. Given the strength of the factors explaining these equilibriums, the implementation of public policies, financial development policies, must be at the heart of development strategies to come. Their implementation in Africa is all the more legitimate that they have proven their effectiveness in other areas. This thesis defines these policies and their governance. Keywords : - Financial institutions - Africa - Thesis - Banks and banking - Africa - Thesis - Economic policy - Developing countries - Thesis - Economic development – Africa -- Thesis