Revue d`études comparatives Est-Ouest L`État russe
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Revue d’études comparatives Est-Ouest http://www.necplus.eu/REC Additional services for Revue d’études comparatives Est- Ouest: Email alerts: Click here Subscriptions: Click here Commercial reprints: Click here Terms of use : Click here L’État russe Postsoviétique Face À la souffrance psychique de guerre conception et héritage Élisabeth Sieca-Kozlowski Revue d’études comparatives Est-Ouest / Volume 43 / Issue 04 / January 2013, pp 5 - 33 DOI: 10.4074/S0338059912004019, Published online: 07 January 2013 Link to this article: http://www.necplus.eu/abstract_S0338059912004019 How to cite this article: Élisabeth Sieca-Kozlowski (2013). L’État russe Postsoviétique Face À la souffrance psychique de guerre conception et héritage. Revue d’études comparatives Est-Ouest, 43, pp 5-33 doi:10.4074/ S0338059912004019 Request Permissions : Click here Downloaded from http://www.necplus.eu/REC, IP address: 78.47.27.170 on 10 Feb 2017 Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2012, vol. 43, n° 4, pp. 5-33 L’État russe postsoviétique face à la souffrance psychique de guerre Conception et héritage Élisabeth SIECA-KOZLOWSKI Chercheur associé au CERCEC ; fondatrice et rédactrice en chef de la revue électronique The Journal of Power Institutions in Post-Soviet Societies ; http://pipss.revues.org ([email protected]) Résumé : En 1996, une étude menée par un psychiatre militaire russe auprès de conscrits russes ayant participé à la première guerre de Tchétchénie montrait qu’il y avait eu proportionnellement plus de victimes de troubles psychiatriques en Tchétchénie qu’en Afghanistan. Depuis, une seconde campagne a suivi dont on estime qu’elle a conduit en tout 1 800 000 hommes sur le terrain. Malgré son expérience des conflits ces dernières décennies, le système de soin et de réhabilitation psychologique des vétérans reste parcellaire. Si la psychiatrie est implantée de longue date dans l’armée russe, elle a longtemps été orientée vers l’optimisation de la capacité des hommes plutôt que la prise en charge de la souffrance. La psychologie est apparue récemment et son efficacité est limitée. Au sein du ministère de l’Intérieur, qui a envoyé en nombre ses policiers sur le terrain tchétchène, la psychiatrie se développe peu et reste orientée également vers la sélection et la gestion du facteur humain (des effectifs) tandis que la psychologie, introduite tardivement, y est balbutiante. Plusieurs explications sont envisagées. Tout d’abord la non-reconnaissance de la guerre et, incidemment, de l’impact des combats sur les hommes. Ensuite, un système d’expertise psychologique profondément marqué par une vision de l’individu et de son état psychique où le traumatisme est lié à une faiblesse personnelle. Mots clés : Russie, armée, psychologie, souffrance psychique de guerre, guerre d’Afghanistan, guerres de Tchétchénie, anciens combattants. 6 Elisabeth Sieca-Kozlowski La Russie impériale et l’Union soviétique ont pris part à de nombreux conflits armés au cours de leur histoire et envoyé leurs hommes sur un grand nombre de champs de bataille. À son tour, la Russie postsoviétique s’est engagée, peu de temps après la constitution de son armée (en mai 1992), dans de nouveaux conflits. En l’espace de vingt ans, elle a mené deux campagnes en Tchétchénie, a combattu en Ossétie puis, plus récemment, en Géorgie. Un nombre important d’hommes a pris part à ces conflits. Les observateurs militaires occidentaux s’accordent avec les données officielles soviétiques qui évaluent à 620 000 le nombre d’hommes passés par l’Afghanistan1 (Babčenko, 2007) et à 39 000 celui des blessés. Pour la Tchétchénie, ces données officielles n’existent pas. Cependant, d’après les observateurs militaires russes et compte tenu des rotations, 1 800 000 hommes auraient été engagés en Tchétchénie sans compter les missions des unités spéciales et celles qui, pendant la seconde campagne, regroupaient des hommes de différents ministères2. La première campagne de Tchétchénie a été menée par des troupes régulières de l’armée fédérale, composées en majorité d’appelés, ainsi que par des troupes du ministère de l’Intérieur, simples policiers ou OMON (troupes spéciales)3, des troupes du ministères de la Justice habituellement chargées de mater les révoltes dans les prisons. Lors de la seconde guerre de Tchétchénie, l’on a affaire à des forces combinées encore plus diversifiées : aux troupes régulières de l’armée fédérale – toujours composées d’appelés (au début de la guerre tout au moins puis de conscrits volontaires) –, aux troupes d’élite et aux forces de police du ministère de l’Intérieur, s’ajoutent des éléments de la police de la route, les troupes du Service fédéral des frontières, celles des chemins de fer, les forces spéciales du ministère de la Justice, des troupes du ministère des Situations d’urgence (MČS), des membres de la réserve et des kontraktniki (militaires contractuels recrutés dans le cadre de la professionnalisation de l’armée russe). Comment ces hommes ont-ils traversé l’épreuve du feu ? Quelles difficultés psychiques rencontrent-ils de retour à la vie civile ? De quel 1. On estime à 15 400 le nombre de morts. 2. En Russie, il existe plusieurs ministères ou organes – en dehors du ministère de la Défense – qui possèdent des troupes parfaitement armées et entraînées ainsi que des unités spéciales chargées de tâches spécifiques. 3. Elles sont partie intégrante de la police de sécurité publique mais ont été créées tardivement (années 1980) pour contrer les manifestations politiques (type CRS) avant d’être abondamment utilisées dans les « points chauds ». VOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre type d’outils, d’expertise et de pratiques, la psychiatrie et la psychologie clinique russes disposent-elles pour les diagnostiquer et panser leurs blessures psychiques ? Enfin, quel système de prise en charge et de réhabilitation psychologique, ces hommes revenant du champ de bataille peuvent-ils s’attendre à trouver ? Le traumatisme psychique4 causé par les combats a fait l’objet de très peu de publications scientifiques spécifiques ou de publications à l’intention du grand public entre le début du XXe siècle (1917, date de la disparition de la revue Psikhiatričeskaja gazeta – Revue psychiatrique) et la fin de la première guerre de Tchétchénie. Il aura fallu attendre la seconde moitié des années 1990 pour voir paraître dans des revues de médecine militaire et des revues de psychologie, dont la diffusion est restreinte, des articles consacrés aux conséquences psychiques des guerres (et notamment d’Afghanistan et de Tchétchénie). Pourquoi des publications aussi tardives ? Quel rapport la Russie postsoviétique entretient-elle avec la souffrance et le traumatisme psychiques ? Et quelle place l’héritage russe et soviétique occupe-t-il dans ce rapport ? Ce sont les questions que nous nous proposons d’explorer dans cet article. Celui-ci est fondé sur une enquête de terrain réalisée à Moscou pendant l’été 20105. Une quinzaine d’entretiens ont été réalisés avec des vétérans des guerres de Tchétchénie (officiers, contractuels, conscrits), des journalistes militaires et un directeur de maison de réhabilitation pour invalides des guerres locales. Six mois de préparation ont été nécessaires pour activer des réseaux formels (associations de vétérans) et informels (amis et relations) et convaincre les vétérans de témoigner. Aucun accès au ministère de la Défense n’a pu être obtenu ; il a donc été impossible de rencontrer tant des psychologues ou psychiatres militaires que des représentants de l’administration militaire. Cet autre volet de la recherche reste à accomplir. 4. « Un événement est dit “traumatique” lorsqu’une personne est confrontée à la mort, à la peur de mourir ou lorsque son intégrité physique ou celle d’une autre personne a pu être menacée. Cet événement doit également provoquer une peur intense, un sentiment d’impuissance ou un sentiment d’horreur » (American Psychiatric Association, 1994). 5. Les entretiens ont été réalisés en juillet 2010 à Moscou grâce au financement du programme Émergence(s) de la Ville de Paris. 7 8 Elisabeth Sieca-Kozlowski 1. La lente mais éphémère reconnaissance des effets psychologiques de la guerre Dans leur conception et leur pratique, les psychiatries russe et occidentale ont pris des chemins différents après la Révolution. En Occident comme en Russie, psychiatrie et psychologie clinique (dont la première définition a été donnée après la Seconde Guerre mondiale et se base sur la notion de sujet singulier et de puissance thérapeutique de la parole) se sont nourries des guerres pour forger de nouvelles pratiques et trouver de nouveaux objets d’étude. Toutefois, malgré les nombreuses guerres traversées par les uns et les autres, la notion de souffrance psychique de guerre est apparue tardivement et les traitements ont suivi des voies distinctes. En Russie, avant le XVIIIe siècle, les personnes manifestant des troubles psychiques étaient intégrées dans des communautés religieuses. Sous Pierre le Grand, l’État commence à encadrer la vie des personnes souffrant de handicaps physiques et mentaux, notamment en liaison avec le service militaire. Sous Catherine II, la construction d’asiles pour les fous débute mais les familles préfèrent s’occuper elles-mêmes de leurs proches. La structure de soutien que constitue la communauté est cependant érodée au XIXe siècle par l’installation dans les villes. C’est dans ce contexte que la psychiatrie émerge aux XVIIIe et XIXe siècles. La légitimité de la psychiatrie russe s’est progressivement construite en lien étroit avec le service de l’État tandis qu’aux États-Unis, la psychiatrie est orientée vers le patient en tant qu’individu et a du mal à s’adapter aux conditions de la guerre. Une étude comparative de Paul Wanke (2007) montre que les avancées de la psychiatrie américaine résultent de demandes de personnes désireuses de trouver des traitements plus humains pour leurs proches tandis qu’en Russie, c’est l’armée qui inspire les recherches. En 1776, par exemple, dans la province de Vyborg, une clinique militaire est ouverte pour les soldats mentalement épuisés. La même année, un hôpital militaire est construit à Moscou servant à la formation des futurs médecins militaires. En 1789, une Académie médicale et chirurgicale est fondée à Saint-Pétersbourg. En 1857, un décret impérial y institue un département pour les maladies mentales et nerveuses. L’efficacité de la psychiatrie russe est alors évaluée en fonction de son habileté à prévenir les accidents neuropsychiatriques ou à renvoyer les militaires au service actif aussi vite que possible, en particulier dans le contexte de la Guerre de Crimée et de la guerre russo-turque. VOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre 1.1. De la faiblesse personnelle à la souffrance psychique En Russie tsariste, le traitement des traumatismes évolue dans le même sens qu’en Europe et aux États-Unis comme l’a bien montré Catherine Merridale (2000). Alors que les premières études sur le stress sont menées aux États-Unis au moment de la Guerre de Sécession de 18611865, en Russie, la première expérience du « shell-shock » (commotions) a lieu lors de la guerre russo-turque de 1877-1878. Mais ce sont la guerre russo-japonaise de 1904-1905 puis la Première Guerre mondiale qui incitent les spécialistes à s’intéresser à la question. Le traumatisme de guerre recevra différentes qualifications selon l’époque et les conflits : « obusite » en français, « shell-shock » en anglais, « kontuzija » en russe. Rapidement, ces symptômes sont associés à ceux de l’hystérie et les victimes soupçonnées de lâcheté. En Russie comme en Occident du reste, ces traumatismes de la bataille sont perçus comme une faiblesse personnelle ou, selon l’expression anglaise, comme une « moral turpitude » (manquement à la morale). Dans les analyses des psychiatres, la guerre moderne est présentée comme un « test de virilité » (Merridale, 2000, p. 40). Or « le choc traumatique remet directement en cause le stéréotype de la virilité » (Capdavila, Rouquet, Virgili & Voldman, 2010, p. 268). D’ailleurs certains psychiatres n’hésitent pas à formuler l’idée que les hommes souffrant de cette « rupture psychique » à l’occasion de combats sont « féminins » (Bourke, 1999, p. 240). Au sein de l’institution psychiatrique militaire, l’idée que l’« obusite » cache un désir inconscient d’échapper à la guerre reste sous-jacente. Quelques psychiatres éclairés explorent néanmoins d’autres directions et c’est en France et en Allemagne que l’on trouve les écrits les plus innovants qui postulent que cette nouvelle névrose est certes liée à des problèmes psychiques mais aussi à des dégâts mécaniques du cerveau et du système nerveux. Ce mode d’explication (organičeskie narušenija golovnogo mozga) se propage en Russie également ; les psychiatres soviétiques localisent les traumatismes mentaux relatifs à la guerre dans le corps du patient, donnant ainsi une base physiologique aux problèmes psychologiques (Phillips, 2009). Au début de la Première Guerre mondiale, le shell-shock reste perçu comme la conséquence de blessures physiques infligées aux nerfs. Peu de spécialistes croient que les causes puissent être purement psychologiques et indépendantes des atteintes physiques. Ce n’est que progressivement que l’exposition à un bombardement prolongé ou d’autres traumatismes physiques sont admis comme une source plausible de choc nerveux et une cause suffisant à provoquer 9 10 Elisabeth Sieca-Kozlowski une dépression (Bourke, 1999, pp. 230-255). L’idée que l’on ne s’habitue pas aux combats fait son chemin. Des psychiatres influencés par la psychanalyse rapportent l’acte de tuer à celui d’un effondrement émotionnel (emotional collapse). Des échanges entre psychiatres russes et occidentaux conduisent en 1916 à un appel des premiers à ouvrir des hôpitaux pour les patients traumatisés. La révolution de février 1917 interrompra la publication de la revue psychiatrique russe (Psikhiatričeskaja gazeta) et, par là-même, le débat sur la question. Les psychiatres les plus attentifs à ce débat (Probražanskij, Livanov & Fumkin), restés à leurs postes, demandent des hôpitaux spécialisés en 1923. Entre-temps, un Comité panrusse pour le soutien des vétérans blessés à la guerre (VSEROKOMPOM6) voit le jour mais ses ressources sont limitées et rien d’autre n’est prévu. Ces patients sont placés dans des hôpitaux ordinaires au grand dam des autorités médicales locales qui les trouvent difficiles à gérer. Beaucoup d’entre eux finiront dans des camps cachés du public ou en exil. En 1923, une institution expérimentale est mise en place. Baptisée « Étoile rouge », elle est « sans doute l’expérience la plus avancée en terme de thérapeutique dans le monde » selon C. Merridale (2000). Visant à apporter un environnement relaxant pour les patients à long terme, l’établissement situé à Yalta en Crimée cherche à traiter la schizophrénie, l’hystérie et les commotions. L’absence de ressources (nourriture, vêtements) tout comme l’absence d’intérêt et de compréhension pour le projet en entraînent la fermeture trois ans plus tard. 1.2. De l’individu au collectif En dehors du cadre strict de la psychiatrie, le rayonnement de la pensée de Freud touche la Russie avant 1914 et s’y diffuse pendant la première décennie qui suit la Révolution. Cependant, dès 1928, tout change (Etkind, 1993 ; Zarubina, 2008). La psychanalyse, considérée comme une doctrine « idéaliste », est rejetée. La place qu’occupent la libido et l’instinct sexuel dans cette doctrine dérange. Elle est également sévèrement critiquée en raison de la lenteur et du coût de ses traitements. 6. Vserossijskij Komitet Pomošči Bol’nym i Ranenym Krasnoarmejcam i Invalidam Vojny pri Vserossijskom Ispolnitel’nom Komitete Sovetov (Comité panrusse d’aide aux soldats de l’Armée rouge malades ou blessés et aux invalides de guerre, sous le Comité panrusse des soviets). VOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre Tandis que Freud influence les États-Unis en arguant que le caractère, le passé et l’environnement sont déterminants pour la santé mentale, en Russie, l’école matérialiste selon laquelle la vie psychique peut être expliquée par l’étude du cerveau et du système nerveux prédomine, thèse validée par les travaux de Pavlov7. Ce n’est que dans les années 1950 que la nécessité de comprendre la formation de la personnalité dans une optique biographique « profonde » émergera de nouveau8. Pour les psychiatres soviétiques de l’entre-deux-guerres, toute personne peut être sujette à un trouble mental mais une bonne nutrition, une bonne santé peuvent préserver celle de son système nerveux. L’hérédité et les expériences antérieures ne jouent qu’un rôle faible voire inexistant dans le développement des troubles neuropsychiatriques, les traumatismes physiques étant considérés comme déterminants. Dans ce contexte, l’État s’oriente vers la rééducation comme moyen de traitement. La cure par l’hypnose est privilégiée car rapide et peu coûteuse. De plus, l’état de passivité du patient permet aux psychothérapeutes soviétiques de « véhiculer des injonctions […] qui relèvent de […] la morale » (Koupernik, 1962, p. 669). L’ingénierie humaine se dessine avec la recherche de techniques pour influencer les masses (Merridale, 2000, p. 44). Toutes les sphères sont touchées : dans le domaine de la psychologie et de la psychiatrie infantile notamment, alors que l’Occident s’oriente vers une pédagogie d’épanouissement individuel, l’URSS s’appuie sur le collectif conformément aux théories d’Anton Makarenko9. L’idéologie bolchevique va affecter toute la société soviétique, y compris la psychiatrie militaire qui se met à utiliser son jargon. Les propos du psychiatre Osipov en 1934 sont ainsi rapportés par Wanke : « Par-dessus tout, les facultés psychiques du soldat de l’Armée rouge, sa conscience politique de classe durable lui permettront de triompher des réactions psychotiques » (Wanke, 2007, p. 87). Les purges de Staline limitent le développement organisationnel du système psychiatrique en Russie, même si des départements psychiatriques apparaissent dans les hôpitaux en 1941. Catherine Merridale identifie l’origine de l’accent sur le collectif dans les idées de propagandistes comme Jaroslavskij et Gorki, relayées par le mouvement Proletkult, mais aussi dans le respect des principes de l’esprit 7. Ivan Petrovič Pavlov (1849-1936) est célèbre pour sa théorie des réflexes conditionnés. 8. Cela est patent dans l’ouvrage de Vladimir Nikolaevič Mjasiščev (1960), cité par Koupernik (Koupernik, 1962, p. 670). 9. Makarenko est l’auteur de théories pédagogiques directement liées au travail. Le groupe y joue un rôle d’intégration très fort. 11 12 Elisabeth Sieca-Kozlowski de parti (partijnost’), cette forme de « dévouement » à des buts politiques qui place le parti au-dessus de l’individu et que tous les communistes doivent partager. Les nouvelles idées sur le comportement des foules qui naissent dans les années 1920 pourraient également avoir eu un certain impact10. C’est dans ces conditions que le thème du traumatisme individuel est éliminé du débat public en Union soviétique. Bien que les années 1930 soient celles de la famine, des répressions, suivies par la Grande Guerre patriotique, durant laquelle ceux que l’on accuse de semer la panique (qualifiés en russes de panikers) sont fusillés ; la douleur, les émotions ne sont plus admises dans ce nouveau modèle de société ; le retour de la guerre ne laisse place qu’à l’héroïsme des récits de guerre, aux chants patriotiques (Edele, 2008), seules manifestations autorisées. La faiblesse personnelle y est bannie – aucune possibilité de s’apitoyer sur les souffrances individuelles, aucune victimisation possible. Le terme de « névrose militaire » émerge cependant en 1941 grâce à A. Kardiner, psychanalyste ayant fait son analyse avec Freud et s’intéressant à la névrose traumatique11. Néanmoins, l’on relève peu de publications sur les commotions pendant la guerre et les troubles psychiques (psikhičeskoe narušenie) observés sont appelés « voennaja ustalost’ » (fatigue militaire), « boevoe istoščenie » (épuisement dû au combat) (Maklakov, Šermjanin & Šustov, 1998). Les soldats victimes de traumatisme sont renvoyés sur le front avec des tranquillisants. La relégation des blessés psychiatriques dans des institutions « aliment[e] ainsi le mythe que les Russes ne se laissent pas envahir par la souffrance » (Merridale, 2000). Une autre preuve de la suppression du « trauma » dans l’imaginaire collectif soviétique est apportée par Catherine Merridale et concerne les enfants victimes de mines. Les travaux scientifiques de l’époque ne proposent aucune réflexion sur le trauma psychologique. En revanche, dans la littérature contemporaine de ces études, certaines fictions montrent qu’ils sont stigmatisés et ostracisés car ils ne sont pas en mesure de remplir leurs obligations militaires. Lors des entretiens qu’elle a menés 10. Quant au succès du collectivisme, C. Merridale l’explique par trois raisons historiques : la croyance orthodoxe (sobornost’ – la Trinité et non trois entités distinctes), la culture paysanne avec une préférence pour le collectif qui a d’ailleurs rendu difficiles les réformes de Stolypine, les appartements collectifs où les émotions privées n’ont pas de place car tout est partagé puisque public (Merridale, 2000). 11. Cité par Khmel’nickaja (2006). VOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre 13 avec des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, Catherine Merridale a été frappée d’entendre de manière récurrente cette phrase dans la bouche de ses interlocuteurs féminins ou masculins : « Nous ne pleurions jamais », antiphrase qu’elle interprète à juste titre comme un signe de l’intériorisation du mythe de l’endurance et du stoïcisme qui n’autorise pas l’expression de la souffrance. Notons qu’à cette époque, les troubles psychiques liés à la guerre ne sont généralement pas plus reconnus en Russie qu’aux États-Unis : les auteurs de l’ouvrage « Sexes, genre et guerre » rappellent que peu de temps après que les psychiatres américains eurent, en 1943, diagnostiqué « l’épuisement » (exhaustion) comme une manifestation psychique, le général Patton gifla deux soldats évacués pour des raisons psychiatriques. Il leur présentera toutefois des excuses (Capdavila, Rouquet, Virgili & Voldman, 2010, p. 270). Alors qu’aux États-Unis et en Europe, une idée fait son chemin : celle que chaque soldat peut connaître des défaillances et que « l’infaillibilité n’est plus attendue de lui » (Capdavila, Rouquet, Virgili & Voldman, 2010), en Union soviétique, la littérature, la presse et le cinéma relaient l’image glorifiée des hommes blessés psychiquement ou physiquement ayant réussi à dépasser le trauma de la guerre12 (Phillips, 2009). Ceux qui n’y parviennent pas en sont seuls responsables et non l’État. 1.3. La guerre d’Afghanistan ou la résurgence du « self » Sous Brejnev, le mythe de l’endurance est mis à mal avec le retour des vétérans d’Afghanistan13, physiquement et psychiquement détruits. Cette guerre va faire ressurgir une forme du traumatisme psychique qui par sa similarité avec les symptômes de la guerre du Vietnam prend le nom de syndrome de stress post-traumatique (aux États-Unis, Post-Traumatic Stress Disorder – PTSD et, en Russie, Post-Travmatičeskoe Stressoe Rasstrojstvo – PTSR). Cette notion avancée par les Américains entre ainsi dans le vocabulaire psychiatrique soviétique14. 12. On pense notamment au roman de Nikolaj Ostrovskij paru en Russie en 1936, Kak Zakaljalas’ stal’ (Et l’acier fut trempé). 13. La décision d’intervenir en Afghanistan est prise en décembre 1979 par Léonid Brejnev. 14. Elle sera introduite dans la Classification internationale des maladies (CIM10) en 1995. 14 Elisabeth Sieca-Kozlowski Économiquement incapable de prendre individuellement en charge les vétérans de la guerre d’Afghanistan, l’État soviétique décide d’accorder des avantages fiscaux à leurs associations : les trois principales bénéficient d’exemptions d’impôt pour l’importation de biens et de produits alimentaires, de facilités pour des opérations bancaires, financières et différentes formes d’activités entrepreneuriales. Ces organisations tombent très vite dans la criminalité. S’agissant de la prise en charge psychologique des vétérans (mais également médicale – appareillage pour les invalides et médicaments), l’État se défausse sur les réseaux sociaux : l’épouse, la famille, les amis, l’épouse servant souvent à la fois de soutien psychologique et financier. Une petite part de la prise en charge médicale et psychologique des vétérans est laissée à des initiatives étrangères : des réseaux américains d’anciens combattants organisent des échanges et une expérience française de soutien psychologique est également menée (Sironi, 2007). Du côté soviétique, la prise en charge de la souffrance psychique et physique de guerre est absente des médias. Et pour cause, à en juger des témoignages recueillis par l’auteur pendant l’été 2010 auprès d’officiers ayant combattu en Afghanistan, celle-ci fut très limitée : aucun des officiers rencontrés (certains n’étaient que conscrits à l’époque) n’a fait mention de l’existence d’une aide psychologique en lien avec la guerre d’Afghanistan. Les quelques éléments rapportés dans la presse de l’époque sont l’ouverture de chambres de relaxation dans les hôpitaux des régions regroupant une forte population de vétérans (par exemple Ekaterinbourg). Le personnel médical constate les conséquences psychologiques du stress au combat et doit improviser des techniques de soin. La psychiatrie, quant à elle, est amenée à faire des études sur les soldats envoyés en Afghanistan dont les résultats sont néanmoins tenus secrets. Leur publication récente montre qu’à cette époque, la psychiatrie était plus soucieuse de mettre au point des outils pour prévoir l’apparition de troubles psychiatriques chez les combattants que de les soigner. De fait, elle se range encore plus du côté du pouvoir en devenant un instrument de répression : les dissidents sont envoyés dans des hôpitaux psychiatriques. De sorte que la prévention se transforme en contrôle social. Il est donc peu surprenant que la psychiatrie n’ait pas diffusé les résultats de ses recherches mais ait tenté de contrôler et contenir les dysfonctionnements plutôt que de les révéler. Ce qui précède appelle deux remarques : d’une part, l’Union soviétique des années 1980 n’offre toujours pas de place à l’individuel. D’autre VOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre 15 part, en attribuant aux associations de vétérans des avantages concernant exclusivement la sphère du travail, l’État soviétique s’inscrit directement dans la lignée de la fin des années 1940 où les mesures de réadaptation des invalides toutes catégories confondues sont axées autour de la production, du fantasme de réhabilitation « morale » et de soin par la mise au travail. Les vertus curatives du travail, idée déjà en vogue dans les années 1930, refont surface pendant la guerre avec la création, en 1942, d’internats-hôpitaux15 qui visent à stimuler la capacité de travail des pensionnaires puis avec l’élaboration, en 1948, d’un classement de l’invalidité par catégorie en fonction de la perte d’aptitude au travail et non pas de l’assistance dont les invalides peuvent avoir besoin (Fieseler, 2008). Cette approche fonctionnelle et pragmatique du handicap physique et psychiatrique met ainsi en évidence un objectif économique qui prime sur l’intérêt individuel. 2. La guerre de Tchétchénie comme facteur de développement de la psychologie clinique et de la psychiatrie dans les ministères de la Défense et de l’Intérieur Nous l’avons vu, la guerre permet aux sciences médicales et psychologiques de se développer : elles y trouvent un terrain d’observation et un laboratoire. Or la psychiatrie reste cantonnée dans un rôle fonctionnel (renvoyer les soldats à la guerre) et non réparateur. Sa capacité à penser « autrement » la guerre pour la prévenir ou pour soulager les dégâts qu’elle provoque est atrophiée. La disparition de l’Union soviétique autorise un certain allègement de la censure. L’armée devient un thème de débats. Il faudra cependant attendre la fin de la première campagne en Tchétchénie pour que soient publiés des articles de psychiatres et de psychologues militaires ou de cliniciens issus d’autres ministères dits « de force » sur la question du trauma de guerre. Plus que la pertinence des expériences relatées dans ces articles, c’est la comparaison des résultats d’études consacrées aux combattants lors de la guerre d’Afghanistan, des combats en Tchétchénie, ainsi que le discours des auteurs-praticiens et cliniciens sur le trauma et la guerre qui 15. Création de quatre types d’internats pour vétérans invalides dans les années 1920 qui continuent d’exister après la Seconde Guerre mondiale : 1) pour les personnes âgées et les invalides, 2) pour les personnes avec invalidités seulement, 3) pour les vétérans du travail, 4) pour les personnes atteintes de problèmes psycho-neurologiques. 16 Elisabeth Sieca-Kozlowski éveillent tout notre intérêt dans quatre articles scientifiques publiés par des psychiatres et psychologues militaires rattachés au ministère de la Défense à partir de 1996 et dans sept autres articles publiés par des médecins et psychologues du ministère de l’Intérieur à partir de 2007. 2.1. La production et la publication d’études sur la guerre de Tchétchénie De 1996 à 1998, une série d’articles rédigés par des psychiatres et des psychologues du ministère de la Défense (MO) paraît dans des revues spécialisées civiles ou militaires ainsi que dans le supplément militaire de Nezavisimaja Gazeta, l’hebdomadaire Nezavisimoe Voennoe Obozrenie (NVO). Ils témoignent d’un certain nombre d’avancées et quelques-uns d’entre eux revendiquent la nécessité de prêter une attention spéciale à la prévention du stress et à la réhabilitation des soldats souffrant de traumatismes psychologiques. Le premier article publié, en avril 1996, dans une revue de médecine militaire est celui de V.S. Novikov, psychiatre militaire (Novikov, 1996). Il relate les résultats d’une étude portant sur le stress en situation de combat conduite auprès de 1 312 soldats pendant la première guerre de Tchétchénie. Le temps passé dans la zone de combat y est présenté comme un facteur de stress. 32 % des soldats ont fait l’expérience d’un stress extrême pendant leur préparation au combat. L’auteur recense un nombre supérieur de cas de syndrome de stress post-traumatique en Tchétchénie qu’en Afghanistan. Les affrontements en milieu urbain sont qualifiés de plus traumatisants et plus violents qu’en terrain naturel de type afghan. Des thérapies et des traitements médicamenteux sont proposés pour lutter contre le stress et l’insomnie. L’auteur formule quelques recommandations à l’attention de l’institution militaire : des évaluations avant, pendant et après le combat ; la formation d’un groupe de spécialistes (deux psychosomaticiens, un pharmacologue, un psychiatre, un psychologue) dans chaque type d’armée de même qu’une assistance aux unités non combattantes « qui soutiennent les activités de combat ». On doit le deuxième article à P. Korčemnyj, professeur à la chaire de psychologie de l’Université militaire. Son étude, publiée au début de l’année 1997 dans l’hebdomadaire NVO, est intitulée « Ce n’est pas simple de quitter le champ de bataille »16. L’auteur y soutient l’idée que les symptômes de stress présentés par les combattants sont temporaires 16. Voir à ce sujet Korčemnyj (1997, p. 8), cité par Thomas & O’Hara (2000). VOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre 17 car l’homme est adaptable de nature et son « énergie interne » l’aide à guérir. Il préconise néanmoins une assistance immédiate pendant le combat et pendant les pauses. Annonce est d’ailleurs faite de l’implantation de postes de réhabilitation (punkt reabilitacii), de centres de consultation psychologiques et de pièces de repos et ce à trois niveaux : dans les unités militaires, dans les sanatoriums et maisons de repos militaires et dans les établissements de réhabilitation régionaux d’État. La troisième publication intitulée « La vie après le service militaire » (Kučer, 1997, p. 8) paraît également dans l’hebdomadaire NVO vers la fin de l’année 1997. Elle est signée Aleksandr Kučer, psychologue militaire, chef du groupe d’aide psychologique et de réhabilitation des militaires de la Direction principale de la formation du ministère de la Défense. Elle pose des questions simples qui n’avaient jamais été énoncées publiquement et qui restent à ce jour sans réponse : « Combien y a-t-il de vétérans ? Combien ont besoin de notre soutien et de notre compréhension ? ». Pour la première fois également, sont décrites au grand public les différentes composantes du syndrome de stress post-traumatique et mentionné le fait que celui-ci peut se déclarer des années après l’épisode traumatique. L’auteur appelle l’État à instaurer enfin un système de réhabilitation et la société à apporter un soutien à ces hommes : il y est question de l’attitude du public vis-à-vis des conflits et de son impact direct sur l’état des vétérans. Le quatrième article (Maklakov, Šermianin & Šustov, 1998) est paru dans une revue de psychologie non militaire. L’un de ses auteurs, A. Maklakov, est docteur en psychologie, collaborateur en chef de l’Académie russe de médecine militaire. Il expose les résultats d’une étude comparative Afghanistan-Tchétchénie17 qui se penche, à des fins de pronostic, sur les mécanismes d’apparition des troubles psychiques chez les vétérans. Sans juger de la pertinence scientifique d’une telle étude, il est intéressant de noter qu’elle introduit des notions radicalement nouvelles relatives à l’impact de l’attitude de la société et de l’État sur le psychisme des vétérans, idées déjà esquissées dans l’article précédent : « Dans l’apparition de troubles dus au stress post-traumatique chez les soldats impliqués dans des conflits armés, un rôle non négligeable revient à leurs relations avec l’État et la société. Il est admis que la possibilité 17. Elle a été réalisée pendant la guerre en Afghanistan auprès de 36 pilotes y participant (lieu et date non spécifiés) et, pendant la première campagne de Tchétchénie, auprès de militaires prenant part aux combats (échantillon, lieu et date non spécifiés). 18 Elisabeth Sieca-Kozlowski de préserver ou de restaurer rapidement un ordre des valeurs et un équilibre psychique est l’une des conditions fondamentales à la prévention de l’apparition de symptômes de PTSR chez ceux qui ont pris part à des opérations militaires. L’attitude de l’entourage et la politique officielle de l’État en sont les facteurs déterminants. » L’auteur introduit ainsi l’idée que le manque de reconnaissance est une cause de l’apparition de problèmes psycho-pathologiques et poursuit par une remarque plus politique que clinique : « Malheureusement, si l’on compare la situation dans laquelle se sont trouvés les vétérans des événements d’Afghanistan et de Tchétchénie, l’on constate que les combattants du Nord-Caucase sont bien plus mal lotis. Si les vétérans d’Afghanistan ont pu, pendant un certain temps, se sentir nimbés de l’auréole des héros, ce qui jouait en faveur de l’amélioration de leur santé psychique au début du travail de réadaptation, si grâce à certains avantages sociaux et économiques, ils pouvaient se sentir plus assurés, les vétérans de Tchétchénie, eux, se sont heurtés après la fin des combats aux mêmes problèmes que le reste de la population au moment de la crise socio-économique. » L’article s’achève sur un commentaire cette fois militant : « Qui plus est, leur statut, notamment social et juridique, n’est toujours pas déterminé. Nous en sommes encore à attendre aujourd’hui une position officielle expliquant pourquoi il était nécessaire de mener ces opérations militaires sur le territoire du Nord-Caucase ; mais le plus important est que l’État n’a défini aucune politique relative aux personnes qui ont été appelées à prendre part à ce conflit armé. » Quant aux publications du ministère de l’Intérieur (MVD) consacrées au trauma psychique de guerre, elles sont beaucoup plus tardives18. Dans un numéro de l’année 2007, la revue Professional annonce simultanément la création de nouveaux centres de prise en charge médicale et psychologique du personnel du MVD (Morozov, 2008), lance une réflexion sur la réhabilitation professionnelle (Amel’šakov, 2008) et dénonce de manière virulente le système de sélection des psychologues au sein du ministère (Adaev, 2008). Pour la première fois, au début de l’année 2008, le caractère « militaire » et potentiellement traumatique des missions des forces de l’Intérieur en Tchétchénie est reconnu : l’expression « specifičeskie 18. Soulignons que même si les troupes du ministère de l’Intérieur ont été impliquées dans le conflit tchétchène dès la première campagne (1994-1996), elles l’ont été plus systématiquement et plus massivement pendant la seconde (1999-2006). L’introduction de services de psychologie, quant à elle, n’a eu lieu qu’au début des années 2000. VOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre 19 služebno-boevye zadači » (missions de combat spécifiques liées au service) forgée par V. Zlenenkij – elle sera employée la même année dans la revue médicale du MVD, Medicinskij vestnik MVD, par le psychologue D. Morozov (Morozov, Kaliaev & Šutko, 2008) – fait son apparition ainsi que la notion de stress post-traumatique (Zlenen’kij, 2008). Rappelons que jusqu’en 2006, le professeur Vlakhov, chef du Département des problèmes psychiques au ministère de l’Intérieur, refusait de parler de syndrome tchétchène : « Il n’y a pas de syndrome tchétchène. Tous ceux qui ont connu des situations extrêmes souffrent du même syndrome : les anciens de Tchétchénie comme ceux qui ont vécu le tremblement de terre d’Arménie ou la catastrophe de Tchernobyl » (Soulé, 1997). De surcroît, alors que l’arsenal thérapeutique proposé antérieurement par les revues spécialisées du MVD ne comportait que des techniques de relaxation diverses et variées (Kaljaev, 2007) à l’instar de celle utilisée par les cosmonautes pour évacuer le stress (Aliev, 2007), l’introduction cette même année de la parole comme mode de thérapie va constituer une avancée au sein du MVD (Sokolov, 2007 ; Kaljaev, 2007). 2.2. L’émergence d’une nouvelle pensée sur l’impact des guerres L’ensemble des articles produits par les psychologues et psychiatres des MO et MVD a le mérite de présenter diverses notions inconnues du grand public russe et introduit plusieurs idées fortes. Ainsi, bien que constatées de longue date (dès la Première Guerre mondiale ; Chmielinski, 1948) par les Américains et les Occidentaux, des notions telles que la possibilité d’apparition de chocs nerveux non seulement au combat mais lors de l’entraînement, à l’arrière, ou même plusieurs années après, sont inédites en Russie. Le temps passé dans la zone de combat comme possible facteur de stress en constitue un autre exemple. On reconnaît de plus en plus la nécessité de prendre en charge le traumatisme de guerre et l’institution psychiatrique s’ouvre aux techniques et à l’expérience étrangères : en 1998 par exemple, le président de la Commission militaire médicale centrale, le général Kulikov, informait le quotidien Izvestija que les nouvelles mesures concernant la sélection des conscrits (durcissement des critères d’évaluation) et leur suivi (fondation d’unités de réhabilitation psychologique dans les hôpitaux militaires de chaque région) étaient inspirées par l’expérience de l’armée israélienne où un nombre élevé de conscrits sont victimes de dépression (Batenyova, 1998). Deux registres d’intervention de la psychiatrie semblent donc se 20 Elisabeth Sieca-Kozlowski développer parallèlement : la gestion du facteur humain (sélection, optimisation du personnel, etc.) et le soin. L’on observe également dans ces publications l’acceptation de ce que la psychologue Françoise Sironi décrit comme « la causalité entre le développement des problèmes psychopathologiques de nature traumatique ou dépressive et le manque de reconnaissance sociale en tant qu’anciens combattants » (Sironi, 2007, p. 126). La non-reconnaissance des vétérans, leur non-prise en charge peuvent avoir des incidences psychiques sérieuses que cette psychologue a mises en évidence à propos des vétérans d’Afghanistan (Ibid.)19. Ces textes reflètent également une prise de conscience du poids de ce que Bruno Cabanes (2000) nomme « l’économie morale de démobilisation » sur la santé mentale des vétérans et donc sur l’aggravation du traumatisme de guerre. Cette notion, qu’il définit dans le contexte de la démobilisation d’après la Première Guerre mondiale, regroupe l’ensemble des procédures de reconnaissance et de réparation en œuvre lors du retour des hommes. Maklakov dénonce la non-reconnaissance de la guerre de Tchétchénie et reprend ainsi l’idée développée par Sironi qu’on ne peut reconnaître des vétérans si l’on n›a pas reconnu la guerre. L’absence de marqueurs manifestant la gratitude de la nation aux soldats renforce le traumatisme. L’approche clinique montre que les troubles psychologiques ne résultent pas uniquement des guerres. Dans le cas des guerres perdues ou non reconnues, « l’impact du passage non pensé et non organisé de la vie combattante à la vie civile » est à prendre en considération car il entraîne une souffrance spécifique (Sironi, 2000). De même, l’impact du non-dit, des guerres honteuses qui ne disent pas leur nom (comme celle de Tchétchénie)20 ou dont on ne comprend pas bien le but, peut provoquer des séquelles psychiques : « L’isolement, la pseudo-dépression est une résistance singulière contre l’histoire officielle » (Sironi, 2007, p. 127). Plusieurs de ces publications dénoncent enfin la fiction selon laquelle l’État et la société assureraient une prise en charge totale (psychologique, sociale, professionnelle) des vétérans (Maklakov & Kučer). 19. Clinicienne et chercheuse en psychologie, Françoise Sironi a travaillé auprès des vétérans de nombreux conflits, des appelés d’Algérie aux enfants soldats des guerres récentes en Afrique, et a mené dans les années 1990 un projet auprès de vétérans russes du conflit afghan dans la région de Perm. 20. La première campagne vise à « restaurer l’ordre constitutionnel » et la seconde est conduite au nom de la « lutte contre le terrorisme ». VOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre 21 2.3. Les avancées sur le terrain et dans les ministères Certaines des mesures annoncées ou demandées dans ces articles ont été effectivement prises au sein des structures du MVD et du MO. Si, comme nous l’avons vu, la psychiatrie fait partie intégrante de l’institution militaire depuis le XVIIIe siècle, la psychologie et la profession de psychologue ne se sont véritablement développées dans l’armée qu’à partir de l’an 2000. Dès 1992, l’enseignement de la psychologie s’est progressivement implanté dans les institutions militaires grâce à la transformation de la Chaire de pédagogie et psychologie militaire (Korčemnyj, 2005) de l’Académie politico-militaire Lénine (aujourd’hui Université militaire) en chaire de psychologie, acquérant une place à part entière dans l’institution. Les guerres de Tchétchénie ont manifestement contribué à l’introduction du poste de chef des services psychologiques dans les Directions de la formation des différentes armées et à l’introduction de la fonction de psychologue de section dans les unités. La psychologie est aujourd’hui un élément constituant de la formation militaire. En 2005, l’on comptait 44 centres d’aide et de réhabilitation psychologique (Centr psikhologičeskoj pomošči i reabilitacii – CPPiR), 155 postes d’aide et de réhabilitation (PPPiR) mis en place sous l’égide de la Direction de la formation. En 2006, ces centres auraient reçu plus de 58 000 militaires et membres de leur famille dont plus de 9 000 contractuels. Selon la presse spécialisée, 75 % d’entre eux auraient ainsi bénéficié d’un suivi. Si en 2001, seuls 45 % des psychologues des forces armées disposaient d’une formation de base en psychologie, 4-5 ans plus tard, le niveau de professionnalisation s’était amélioré, le nombre de psychologues militaires diplômés ayant augmenté de 30 % (Koršemnyj, 2005). La première promotion d’officiers diplômés en psychologie est sortie en 2003 de la faculté de psychologie militaire de l’Université militaire de Moscou. Les facultés civiles de psychologie forment, quant à elles, des psychologues militaires de réserve mais fournissent parcimonieusement des psychologues civils à l’armée. Les sections ont pour priorité d’apporter de l’aide aux blessés et d’assurer la réhabilitation psychologique des blessés et des invalides. L’objectif tel qu’il est défini par les psychologues du Département de la formation est le maintien de la stabilité psychologique (podderžanie psykhologičeskoj ustojčivosti) des troupes et la préparation du personnel militaire à remplir ses missions dans les conditions requises, prévenir les suicides parmi les conscrits et offrir une aide psychologique aux militaires dans les centres et points de prise en charge décrits précédemment. Cependant, l’idée de 22 Elisabeth Sieca-Kozlowski « traiter par psychothérapie les militaires manifestant des signes de stress post-traumatique » ne figure qu’au milieu d’une liste d’une quinzaine de priorités pour l’avenir. De son côté, le ministère de l’Intérieur (MVD) s’est également ouvert à la psychologie. Il possède aujourd’hui trois sections qui œuvrent à la réhabilitation médicale et psychologique des vétérans (Novikova , 2007). Au milieu des années 1990, sont créés les Centres de psycho-diagnostic (diagnostic psychologique). Leur fonction est de réaliser le bilan psychologique des membres du MVD pour les envoyer si nécessaire en réhabilitation. Enfin, des services psychologiques ont été instaurés par l’arrêté n° 690 du 26 juin 200021. Ils ont pour vocation d’« évaluer les candidats aux postes du MVD et de décider des possibilités de transfert », de « garantir un climat adéquat dans les collectifs », « soutenir le personnel du MVD, faire un travail de réhabilitation, contribuer à rétablir la capacité de travail des collaborateurs du MVD » et « œuvrer à leur adaptation à l’emploi ». Un nouvel arrêté (n° 770) adopté le 29 septembre 200622 renforce les critères de sélection des psychologues : alors que n’importe quel membre du MVD pouvait prétendre à un poste de psychologue sans aucune qualification dans ce domaine, ce décret impose une spécialisation en psychologie, validée par un diplôme. Il organise également l’activité des psychologues au sein du ministère et introduit la notion de confidentialité. 3. Registres d’intervention et réflexes soviétiques : les limites de l’expérience postsoviétique Malgré les progrès constatés, un certain nombre de faits révèlent les limites du développement de la psychiatrie et de la psychologie clinique dans les ministères de force et de leur aptitude à prendre en charge la souffrance psychique : le statut ambigu des praticiens au sein des institu21. Il s’agit de l’arrêté n° 690 « Sur l’approbation du règlement sur les modalités d’organisation de l’aide psychologique aux employés du Ministère de l’intérieur de la Fédération de Russie » (Ob utverždenii položenija o porjadke oragnizacii psikhologičeskogo obespečenija sotrudnikov organov vnutrennikh del rossijskoj federacii) qui émane du Ministère de l’intérieur. 22. Plus détaillé que le précédent le n° 690, l’arrêté n° 770 porte précisément sur les modalités d’organisation. Voir arrêté n° 770 « Sur l’approbation du règlement sur les fondements de l’organisation de l’aide psychologique au personnel du Ministère de l’intérieur » (Ob utverždenii položenija ob osnovakh organizacii psikhologičeskogo bespečenija raboty s ličnym sostavom oragnov vnutrennikh del). VOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre 23 tions mais aussi la volonté de privilégier la gestion et l’optimisation du facteur humain aux dépens des soins sont autant de freins. À cela s’ajoute le poids de l’histoire soviétique marquée par la confiscation de la parole individuelle sur la souffrance psychique. L’intériorisation de cet interdit, de ce déni affecte aujourd’hui la capacité des vétérans à se tourner vers ces praticiens et à envisager la psychothérapie comme une voie possible de prise en charge de leur trauma. 3.1. Le statut des praticiens et le biais des diagnostics La volonté, face à l’urgence de la guerre, de développer au plus vite les services de psychologie au sein des ministères de la Défense et de l’Intérieur a conduit ces institutions fermées et hostiles à toute intrusion à puiser dans leur personnel pour pourvoir les postes de psychologues nouvellement créés. Ainsi au ministère de la Défense, les psychologues portent une double casquette puisqu’ils sont à la fois psychologues et officiers (Koršemnyj, 2005). L’intégration de psychologues civils reste marginale. Si en 2005, se dessine une amélioration du niveau professionnel des psychologues (Ibid.), il reste qu’une majorité d’entre eux n’a, aujourd’hui encore, aucune formation dans cette spécialité. Ce problème est similaire au sein du ministère de l’Intérieur. Les entretiens réalisés par Asmik Novikova dans le cadre de l’étude sur les policiers vétérans de Tchétchénie (Novikova, 2007, p. 43) mentionnée précédemment apportent un éclairage inédit et instructif. Les psychologues occupent une position ambiguë au sein de l’institution : d’une part, ils sont soumis au même système de grade et de carrière que leurs collègues, ne peuvent dépasser le grade de lieutenant et sont censés participer à des patrouilles si le poste de police est en état d’alerte ; de l’autre, ils dépendent de la direction du personnel et, à ce titre, sont chargés de sélectionner les personnes susceptibles de travailler dans la police ou d’être licenciées – les policiers hésitent donc à se confier à eux, n’y voyant qu’un rouage de plus de l’institution policière. En outre, l’intégration de ces praticiens dans la hiérarchie militaire et policière rend impossible toute distance critique. Leurs diagnostics ont souvent des répercussions économiques (attribution ou non de pensions) ou administratives (transfert ou mutation). La question de la neutralité n’est toutefois pas propre à la Russie et les psychiatres travaillant pour l’armée y ont souvent été confrontés. Joanna Bourke rapporte dans son ouvrage An Intimate History of Killing le témoignage du psychiatre et psychanalyste W. Needles qui se souvient d’avoir été troublé par les pressions exercées sur lui pendant la Seconde Guerre mondiale pour diagnostiquer chez certains soldats une « psycho- 24 Elisabeth Sieca-Kozlowski pathie constitutionnelle » plutôt qu’une « névrose de guerre » qui aurait permis à ces hommes de toucher une pension à vie – la « psychose constitutionnelle » excluait toute forme de compensation (Bourke, 1999). 3.2. Une approche fonctionnelle aux dépens d’une approche clinique : soigner l’institution plutôt que l’individu Le registre d’intervention traditionnel de la psychiatrie de guerre est la prise en charge de la souffrance : soigner, réparer, effacer les traces laissées par la guerre, « répondre à la souffrance des patients, les remettre en ordre de marche, faire progresser la connaissance sur la nature de leurs troubles » (Rasmussen, 2010, p. 28). Mais elle peut, tout comme la psychologie clinique, être « mobilisée » par des impératifs étatiques comme la défense de la Nation ou des impératifs institutionnels qui dès lors la transforment en un outil au service de la Nation. Ces disciplines (psychiatrie et psychologie clinique) sont alors déviées vers un autre registre d’intervention aux dépens de leur vocation première. Cet autre registre que nous qualifions de gestion du « facteur humain » ou gestion de l’individu au profit du collectif se focalise sur l’optimisation des capacités des hommes, sur leur sélection en fonction de leurs aptitudes psychologiques et physiques, et devient une forme d’assistance au combat ; ici, les notions d’adaptation et de sélection priment. Le recours à des tests d’aptitude pendant la Première Guerre mondiale s’est effectué dans ce contexte. Remettre les hommes en « état de marche » et les renvoyer à leur poste restent des soucis permanents. Dans le cas du ministère de l’Intérieur russe, les consignes sont explicites. L’arrêté n° 770 organisant le travail des psychologues au sein de l’institution spécifie leurs quatre domaines d’intervention : 1) les services psychologiques doivent évaluer les candidats aux postes du MVD et décider des possibilités de transfert, 2) ils doivent favoriser un bon état d’esprit dans les équipes, 3) ils doivent soutenir les personnels du MVD, faire un travail de réhabilitation, contribuer à rétablir la capacité de travail des collaborateurs du MVD et enfin 4) œuvrer à leur adaptation à l’emploi. Les témoignages recueillis par Novikova auprès de membres de la police montrent que les psychologues sont perçus comme chargés avant tout d’améliorer l’efficacité de celle-ci et non d’aider les hommes. Officiellement, ils doivent se consacrer à « former un potentiel de résistance au stress et à la désadaptation après la mission » (Novikova, 2007, p. 62). Dans la pratique, il leur revient de détecter les éléments potentielVOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre 25 lement défaillants avant qu’ils ne partent sur le terrain des opérations, ce qui signifie que toute manifestation ultérieure de syndrome de stress post-traumatique est en soi une preuve de leur incompétence professionnelle aux yeux de la hiérarchie. Il est donc peu surprenant qu’un nombre infime de syndromes de stress post-traumatique soient décelés par les psychologues du ministère de l’Intérieur chaque année. Cette volonté de détecter la défaillance des hommes pour renforcer l’efficacité des troupes est très présente dans l’activité des psychologues du ministère de la Défense : bien qu’il tienne des propos très novateurs sur le rôle de l’État dans la prise en charge des vétérans, le psychologue Maklakov consacre intégralement son étude parue en 1998 (Maklakov, Šermjanin & Čustov, 1998) à l’élaboration d’indicateurs permettant de prévoir le nombre d’hommes qui seront touchés par le syndrome de stress post-traumatique lors des combats afin d’effectuer une sélection au départ. Cette orientation de la psychiatrie militaire se renforce notamment avec une étude de Fokin, responsable de la Chaire de psychiatrie de l’Académie militaire médicale de Saint-Pétersbourg, intitulée « Sur les possibilités de pronostiquer le développement du stress post-traumatique chez les vétérans des guerres locales » (Fokin, Lytkin & Snedkov, 2001) et réalisée auprès de 161 participants aux combats en Afghanistan et en Tchétchénie (première campagne). Cette approche fonctionnelle de la psychiatrie est corroborée par certains propos des articles mentionnés qui confirment la volonté non de soigner en priorité mais de remettre au plus vite au travail les hommes frappés par des traumas de guerre. L’article de Korchemnyj (1997) parle de faire « retrouver [leur] capacité de travail » aux soldats et non, comme on pourrait s’y attendre de la part d’un psychologue clinicien, à recouvrer par exemple un équilibre psychique satisfaisant. À la date de la publication de l’article, Korčemnyj indique d’ailleurs que « 20 000 soldats [auraient été] aidés à retourner au travail ». L’article de Maklakov, Šermjanin et Šustov paru en 1998, très innovant et introduisant des concepts méconnus du public russe, débute par ces mots : « Depuis quelque temps, de nombreux chercheurs s›intéressent à la façon dont les personnes qui ont vécu des situations extrêmes peuvent préserver leur santé et leur capacité de travail ». Une approche plus idéologique que clinique qui peut surprendre les praticiens et cliniciens occidentaux. Soulignons enfin que la seule maison de réhabilitation des invalides de guerres locales en Russie, Dom Češira (la Maison Cheshire)23, ne dispose pas de psychologue et n’en propose pas à ses pensionnaires. Interrogé à ce sujet, le directeur de la Maison, Jurij Nauman24, ancien général de l’armée soviétique, offre cette réponse très pragmatique : « Il y a un médecin et nous faisons appel à des [ortho-]prothésistes allemands pour les remettre sur pied, pour qu’ils puissent trouver un travail et fonder une famille ». 3.3. Les vétérans et le rapport au trauma et à la parole : le poids de l’histoire Comment les vétérans des guerres postsoviétiques vivent-ils la relative « libération » de la parole dans l’espace public et l’ouverture des ministères de force à la psychologie ? Quel rapport à la parole, à la psychologie clinique entretiennent-ils, comment l’héritage soviétique pèse-t-il sur cette relation ? Il n’est pas facile de rencontrer les vétérans de la guerre de Tchétchénie et, en particulier, les appelés. Cela témoigne de leur difficulté à évoquer leur expérience de guerre et les éventuels traumas. Peu intégrés dans les associations de vétérans, marginalisés, les anciens appelés des guerres de Tchétchénie contactés par l’intermédiaire d’un réseau de connaissance, soit ont eux-mêmes décliné l’invitation à participer à l’enquête, soit ce sont leurs épouses qui ont fait barrage et argué du danger de voir ressurgir les souvenirs douloureux de cette époque. C’est donc avec l’aide de l’association de vétérans d’Afghanistan, Boevoe bratstvo (Fraternité combattante), dirigée par Boris Gromov, gouverneur de l’oblast’ (région) de Moscou, et celle du Directeur de la seule maison de réhabilitation des invalides des guerres locales, Jurij Nauman, que des contacts sont pris et des entretiens organisés avec treize vétérans des guerres de Tchétchénie. Certains de mes interlocuteurs (en particulier ceux rencontrés par le biais de Boevoe Bratstvo) me confieront qu’ils ont répondu avant tout à la demande de l’association, se sentant redevables de l’aide qu’elle leur a apportée dans les moments difficiles. Trois d’entre eux se diront très intéressés de parler avec un sociologue. Huit avoueront ne jamais avoir 23. Dom Češira est l’unique maison de réhabilitation des soldats de guerres locales en Russie. Elle a été financée par Lord Cheshire, ancien pilote de la Royal Air Force, héros de la Seconde Guerre mondiale. Elle survit aujourd’hui exclusivement grâce aux dons et aux soutiens philanthropiques. 24. Entretien avec le directeur de la Dom Češira, Jurij Nauman, Moscou, 13 juillet 2010. L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre 27 eu l’occasion de relater leur expérience de la guerre dans le cadre d’une interview mais être curieux de pouvoir finalement le faire. Au cours des entretiens, l’idée selon laquelle l’homme soviétique est habitué à se débrouiller seul avec ses problèmes, sa souffrance est revenue fréquemment. Le témoignage de Sergej est un bon exemple de cette intériorisation de l’impossibilité de communiquer sur le traumatisme. Appelé sous les drapeaux pendant la première guerre de Tchétchénie, Sergej a été grièvement blessé pendant l’assaut de Grozny en octobre 1994. Il a subi une série d’opérations au cours desquelles il a failli mourir plusieurs fois. Il s’est mis à boire sans interruption pendant un an après sa sortie de l’hôpital dans lequel il avait séjourné un an et demi. Pendant dix ans, il a eu des difficultés à s’endormir et a fait des cauchemars sur la guerre. « Vous savez, un psychologue, la psychologie, c’est mon point de vue, est quelque chose de particulièrement individuel. Mais que peut apporter un psychologue ? Vous qui avez vécu plus démocratiquement, […] vous savez que cette institution peut vous aider effectivement, vous soulager. Nous avons vécu en Union soviétique, chacun s’est toujours débrouillé seul avec ses problèmes. Nous ne connaissons rien de cette institution […] Nous sommes loin des psychologues ».25 Dimitri, 40 ans, sniper pendant les deux campagnes de Tchétchénie, y est resté trois ans au total entre 1995 et 2001. Il refuse, au cours de notre entretien, de parler de la nature de ses missions. Il a été victime de 7 commotions et son corps a reçu 63 impacts de balles. Il a passé huit mois à l’hôpital. À la question « Avez-vous ressenti le besoin de consulter un psychologue ? Avez-vous eu cette possibilité ? », il répond : « Oui, je sais que c’est possible mais je n’en ai pas besoin. Nous avons un psychologue [dans l’armée], mais personne ne va le voir, il est planté là, les bras croisés à ne rien faire (on bez raboty sidit)26. Au dire des psychologues militaires, le scepticisme vis-à-vis de la parole, de la thérapie est plus répandu chez les militaires que chez les civils. L’expérience du Centre de réhabilitation 625 de la région militaire du Caucase du Nord en atteste : les psychologues de ce premier centre d’aide et de réhabilitation psychologique (CPPIR) à avoir ouvert ses portes indiquent que 30 % des militaires envoyés dans des points chauds 25. Entretien avec Sergej, 35 ans, conscrit volontaire pendant la seconde campagne de Tchétchénie, Moscou, 14 juillet 2010. 26. Entretien avec Dimitri, 40 ans, sniper pendant les première et deuxième campagnes de Tchétchénie, Siège de l’association Boevoe Bratstvo, Moscou, 6 juillet 2010. 28 Elisabeth Sieca-Kozlowski présentent des symptômes de stress post-traumatique mais qu’un dixième d’entre eux seulement est prêt à s’entretenir avec un psychologue militaire (Selznev, 2003). Ce scepticisme est d’ailleurs alimenté par des expériences avec des psychologues que les vétérans ont vécues en personne ou qui leur ont été rapportées. Valentin, 27 ans, engagé volontaire pendant la seconde guerre de Tchétchénie27, a été blessé au pied par une mine en traversant – sur ordre de son commandant (particulièrement éméché à l’occasion du jour de la fête des forces armées) – un champ miné par les Russes eux-mêmes, pour poursuivre des « bandits tchétchènes ». Opéré à plusieurs reprises, victime d’infections multiples, il sort de l’hôpital après un an et demi de soins et perd l’usage de son œil gauche une semaine après. L’hôpital militaire refusera de le reprendre en charge, prétextant que ce problème n’est pas lié à son service en Tchétchénie. Par la suite, il a perdu 60 % de sa vision à l’œil droit. Lors de son séjour à l’hôpital, il reçoit la visite d’une jeune psychologue qui lui pose des questions et l’enregistre pendant deux heures : « Elle m’a épuisé, tourmenté » se souvient-il. « Elle est partie, puis deux jours plus tard elle est revenue et a dit : “vous êtes tous malades, il faut vous soigner”. Elle n’est jamais réapparue. »28 Le rôle du psychologue tel qu’il est décrit par plusieurs de ces vétérans rencontrés en juillet 2010 est celui d’un praticien qui se borne à administrer des tests, qui n’a ni le temps de discuter avec ses patients ni même de les aider à apaiser le trouble, la souffrance remués par les entretiens et les tests. Le rapport à la psychologie est abordé de façon sensiblement différente par les officiers qui éludent la question en s’instituant eux-mêmes « psychologues ». Tous les officiers interrogés considèrent en effet qu’ils n’en ont nul besoin puisqu’ils ont appris à gérer un collectif et que ce savoir-faire requiert une certaine connaissance de la psychologie. C’est le cas de Mikhajl, 32 ans, commandant de section qui a servi pendant la seconde guerre de Tchétchénie : « Je suis moi-même psychologue. On nous a formés pendant cinq ans, c’est pourquoi je sais me contrôler »29. 27. À partir de la deuxième campagne de Tchétchénie (1999), les conscrits ne sont envoyés sur le terrain qu’avec leur consentement. 28. Entretien avec Valentin, 27 ans, conscrit volontaire pendant la seconde campagne de Tchétchénie, Moscou 13 juillet 2010. 29. Entretien avec Mikhajl, 32 ans, commandant de section, siège de l’Association Boevoe Bratstvo, Moscou, 8 juillet 2010. VOLUME 43, DÉCEMBRE 2012 L’État russe postsoviétique face à la violence psychique de guerre 29 Tel est également le cas d’Andrej, 44 ans, ancien lieutenant-colonel dans l’infanterie : « Votre célèbre héros de la littérature, d’Artagnan, disait que chaque Gascon est académicien depuis l’enfance. Dans le roman, quand d’Artagnan arrive de sa province à Paris, il se rend chez le commandant du régiment et demande à être intégré dans la Garde royale. Le commandant lui répond : “il faut d’abord que vous rentriez à l’Académie et après vous pourrez intégrer le régiment d’élite” – “Pas besoin d’Académie, dès l’enfance, tous les Gascons sont académiciens”. Un officier qui est passé par une école puis une académie militaire, qui a servi au Tadjikistan, en Russie, cinq ans en Mongolie, il s’y connaît un peu en psychologie, en philosophie et en personnalité. Je dirais qu’un psychologue ne sait pas toujours ce qu’un homme qui a eu un tel parcours peut savoir. Que peut faire un psychologue ? Il n’est jamais allé où je suis allé. Bien sûr, il a été spécialement formé mais, après vingt ans de carrière, les officiers eux-mêmes sont des psychologues, capables de donner des conseils psychologiques à eux-mêmes et aux autres […]. Dans le cadre du service, il est peu probable qu’un officier ait besoin des conseils d’un psychologue ».30 Si plusieurs vétérans se disent aptes à contrôler leurs émotions (en particulier les officiers), ils n’entendent pas pour autant cacher leur souffrance ou leur expérience traumatique. La plupart estiment d’ailleurs avoir vécu la guerre de Tchétchénie comme une expérience traumatique qui a affecté leur vie et se sentent libres d’en parler à des proches, des compagnons d’armes ou parfois même à leur femme. Aucun d’eux ne considère le trauma comme le signe de leur propre défaillance. En cela, les vétérans se distinguent de leurs institutions (et en particulier du ministère de l’Intérieur) qui restent figées comme nous l’avons expliqué dans une conception stalinienne de la souffrance psychique et du trauma. Force est de constater le retour de ces notions qui ont commencé à se forger dans le sillage de la glasnost’ et de la perestroïka et qui ont resurgi dans l’espace public à l’occasion des campagnes de Tchétchénie ont permis aux esprits de s’émanciper. En témoignent, ces vétérans qui, sans toutefois pouvoir franchir le pas vers la thérapie, acceptent leur souffrance sans en avoir honte. Les vétérans ont intériorisé le fait que le trauma ne se divulgue pas, ne s’expose pas (d’où le contrôle de soi) mais pour autant celui-ci n’est plus perçu comme une faiblesse. Pris dans une institution à laquelle il doit allégeance, le praticien bride son esprit clinique, néglige le soin individuel au profit des objectifs ins30. Entretien avec Andrej, 44 ans, ancien officier dans l’armée russe, siège de l’association Boevoe Bratstvo, Moscou, 6 juillet 2010. 30 Elisabeth Sieca-Kozlowski titutionnels. Soigner les patients devient alors secondaire. Son rôle se limite à administrer des tests dans une optique d’optimisation du facteur humain. Il cherche prioritairement à déceler et éliminer les signes de faiblesse potentielle des personnels militaires. L’incapacité de l’État à instaurer un système de prise en charge et de réhabilitation psychologique adéquat, performant et non marqué idéologiquement, susceptible de fonctionner au moment du retour à la vie civile, place les vétérans dans une situation difficile. Revenus profondément ébranlés de leur expérience sur le champ de bataille, porteurs d’une organisation psychique bouleversée par la situation traumatique qu’ils ont traversée, ces derniers ne se voient offrir que peu de moyens pour l’apaiser. Le déni et la déresponsabilisation de l’État à l’égard de cette question de la souffrance psychique constituent une violence symbolique à l’encontre d’hommes qui, à sa demande, ont pris le risque de sacrifier leur vie ou d’être blessés. Se pose enfin la question des risques de transposition de la violence du champ de bataille à la vie civile que l’État semble ignorer. La circulation des violences, la porosité entre le terrain de la guerre et la société restent pourtant au cœur des problématiques d’une situation postconflictuelle. Références bibliographiques Adaev A. (2008), « Problemy organizacii psikhologičeskogo obespečenija dejatel’nosti organov vnutrennikh del » (Les problèmes de l’organisation du soutien psychologique dans l’activité des services des affaires intérieures), Professional, n° 1, pp. 42-44. 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