Grandes entreprises et start-up
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Grandes entreprises et start-up
COMPTE RENDU SÉMINAIRE Grandes entreprises et start-up : quelles conditions pour des relations bénéfiques ? Sous la présidence d’ALAIN BUGAT, Président de l’ACADÉMIE DES TECHNOLOGIES Avec les interventions de Vincent MARCATTE David MONTEAU Vice-président Open Innovation, ORANGE Directeur de la mission FRENCH TECH Cécile BROSSET Guillaume DUPONT Directrice du Hub, BPIFRANCE Associé cofondateur, CAPHORN INVEST Mercredi 11 mai 2016 Association Nationale de la Recherche et de la Technologie 41 boulevard des Capucines – 75002 Paris 01 55 35 25 50 / [email protected] 1 SOMMAIRE Avant-propos ......................................................................................................................... 3 Introduction .......................................................................................................................... 4 Comment financer le développement des start-up ? ............................................. 6 Le point de vue de l’investisseur privé Quel avenir possible pour les start-up ? ..................................................................... 8 Le point de vue du représentant des pouvoirs publics L’interaction des start-up avec les entreprises ........................................................ 9 Le point de vue de l’investisseur public Le retour d’expérience d’Orange ................................................................................. 11 Le point de vue de la grande entreprise Débat entre les orateurs ................................................................................................. 13 FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 2 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Avant-propos Ce document présente une synthèse des échanges qui ont eu lieu, le 11 mai 2016, lors d’un séminaire organisé par FutuRIS, sur « les relations entre les grands groupes et les start-up ». Sous la présidence d’Alain BUGAT, président de l’ACADÉMIE DES TECHNOLOGIES, quatre points de vue ont été successivement présentés à la tribune : - l’investisseur privé (Guillaume DUPONT, CAPHORN INVEST), - le représentant des pouvoirs publics (David MONTEAU, FRENCH TECH), - l’investisseur public (Cécile BROSSET, BPIFRANCE), - la grande entreprise (Vincent MARCATTE, ORANGE). Malgré la diversité de leurs fonctions, les points de vue des quatre orateurs convergent remarquablement. Trois constats principaux ont été mis en exergue : l’écosystème français s’est structuré ces dernières années (incubation, amorçage, business angels, fonds d’investissement,…), et la dynamique est forte ; les relations entre les grands groupes et les start-up, importantes pour l’avenir des deux, se développent, mais pas assez vite ; le rôle des personnes est fondamental, et là-dessus on peut progresser. Comme il faut se comprendre et décider vite, il est utile qu'il y ait de chaque côté des personnes ayant l’expérience de l'autre milieu. La direction générale du groupe doit s'engager personnellement ; les directions finances et achats doivent accepter de prendre des risques. Le débat qui a suivi a éclairé le rôle des dispositifs (publics et privés) et l’action des personnes. Cela a aussi été l’occasion de mettre en lumière les problèmes, les résistances, les points sensibles, et quelques pistes d’amélioration. Pour aller plus loin, il faudrait entrer davantage dans les réalités propres aux différents secteurs : TIC, énergie, santé, hardware. Cet objectif pourrait orienter le travail qui suivra. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 3 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Introduction ALAIN BUGAT, président de l’ACADÉMIE DES TECHNOLOGIES Ce séminaire FutuRIS se donne pour objectif de dégager les questions qui mériteraient d'être instruites dans le cadre d'un futur groupe de travail. Le thème retenu : « grandes entreprises et start-up, quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » n’est pas nouveau. Jean-Pierre Chevènement, ministre de la Recherche et de l'Industrie, avait déjà abordé le sujet à partir de 1983, et nommé à son cabinet un conseiller chargé des relations entre grandes entreprises et PME. Les progrès accomplis jusqu’à récemment semblent minces. Les start-up françaises sont en plein boom Jamais la France n’a fait preuve d’autant de dynamisme en matière de création de start-up. Bien qu’il n’existe pas « de source statistique très précise sur les jeunes entreprises innovantes en France »1, on en recense, à ce jour 22 0002, tous secteurs confondus. Et parmi celles-ci, « 3 300 réunissent les critères pour bénéficier du dispositif Jeune entreprise innovante (JEI) »3. Cette éclosion des start-up a notamment été favorisée par d’importantes mesures prises par les pouvoirs publics depuis les années 2000, aussi bien au niveau de la fiscalité, que de la mise en place des pôles de compétitivité et des dispositifs d’accompagnement. Pourtant, la France compte peu de « licornes »4 Le problème français actuel n’est plus celui de la création, ni des toutes premières années d’une startup, même si l’on peut toujours progresser, mais celui du développement jusqu’à un niveau significatif pour l’économie française et l’emploi5. Et si la start-up réussit, une autre question se pose : celle du rachat par une entreprise étrangère, avec le risque de la délocalisation et du départ des talents que cela comporte6. L’écosystème du financement de start-up est déséquilibré en France et en Europe Sans équivalent du NASDAQ, le marché boursier ne joue pas le rôle qu’il a aux États-Unis, pays de référence. Cela a pour conséquence de déséquilibrer tout le dispositif de financement. En effet, faute de perspective suffisante de sortie boursière, le capital-risque n’atteint pas des seuils de rentabilité attractifs, donc l’investissement privé reste insuffisant. De ce point de vue, est-ce qu’un investissement public peut le remplacer, au moins le temps de lancer le mouvement ? C’est, en tout cas, le sens de la création de Bpifrance, dont l’enjeu est de manier judicieusement l’investissement public dans un marché fondamentalement ouvert et mondial. 1 OCDE (2014), Examens de l’OCDE des politiques d’innovation : France 2014, chapitre 7 « L’entrepreneuriat innovant en France », Éditions OCDE, p. 239. 2 Si l’on se réfère à l’annuaire des start-up proposé par le média en ligne Alloweb.org, http://www.alloweb.org/annuaire-startups/ 3 Bpifrance (2015), « PME 2015. Rapport annuel sur l’évolution des PME », p. 139. 4 On appelle licorne une entreprise qui a été créée il a moins de 10 ans, n’est pas cotée en bourse et, qui vaut plus d’1 Md€. 5 Par exemple, en 2015, la France ne compte qu’une seule licorne. Il s’agit de la société Blablacar. Pour information, il existe 147 licornes dans le monde. On en dénombre cinq au Royaume-Uni et quatre en Allemagne. 6 Sur la question du rachat des start-up par les grandes entreprises, FutuRIS a publié une étude en 2012. Cf. Violette Nemessany, « Le devenir des jeunes pousses après acquisition par un groupe industriel », in Jacques Lesourne, Denis Randet (sous dir.), La recherche et l’innovation en France, Chapitre 9, Odile Jacob, Paris, 2012. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 4 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Les relations avec les grandes entreprises contribuent à la croissance des start-up Les start-up, comme les entreprises établies, tireraient avantage à nouer et à renforcer leurs relations communes. De plus, si elles sont menées à bien, les synergies peuvent être fortes, profitables à tous et bénéfiques pour le pays. Et cela, les entreprises françaises actives en RD semblent l’avoir bien compris. La plupart d’entre elles ont désormais une politique start-up. Mais ces politiques sont récentes. Elles doivent trouver leur voie au milieu de conditions qui peuvent être liées au secteur, à l’organisation de l’entreprise, au dynamisme des start-up, à l’action des pouvoirs publics et de leurs opérateurs. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 5 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Comment financer le développement des start-up ? Le point de vue de l’investisseur privé Guillaume DUPONT, associé cofondateur, CAPHORN INVEST CapHorn Invest est une société de capital-risque créée avec quatre associés en 2011. Elle regroupe 150 dirigeants d’entreprise et membres de familles industrielles, qui ont investi, à titre personnel, dans un premier fonds de 50 M€, dédié aux jeunes pousses en phase d’accélération commerciale. En 2015, un second fonds, consacré aux start-up de la transition digitale, a été lancé avec pour objectif de lever 125 M€. La particularité de CapHorn Invest est d’investir dans des jeunes pousses en leur apportant notamment un complément de compétences et de contacts commerciaux par l’intermédiaire des dirigeants d’entreprise et des investisseurs, qui forment un réseau. Ils sont chargés d’aider CapHorn Invest à la sélection des dossiers et mettent ensuite leur carnet d’adresses et leur expérience au service des jeunes pousses retenues. Typiquement, sur les 1 000 dossiers reçus chaque année, cinq start-up sont sélectionnées, puis financées et accompagnées dans le but de les faire grandir. En règle générale, les participations sont revendues au bout de cinq ans en moyenne. En bref, CapHorn Invest se situe à l’interface entre l’univers des start-up et celui des grandes entreprises traditionnelles. Cette société de capital-risque s’inscrit, en quelque sorte, dans la continuité du modèle américain de financement des start-up, qui se caractérise tant par son dynamisme que par la qualité des relations qui unissent les jeunes pousses et les grandes entreprises. Un écosystème entrepreneurial français prospère Aujourd’hui, en France, il existe un intéressant vivier de start-up, aussi bien en termes de quantité que de qualité. Elles sont pluridisciplinaires et possèdent enfin un « business plan » qui prévoit d’emblée un déploiement au niveau national et international. Autre fait nouveau : les start-up sont désormais capables d’attirer, tout au long de leur développement, des talents expérimentés (âgés de 35 à 45 ans, et plus). Certaines n’hésitent plus à débaucher les « meilleurs » exerçant dans des grands groupes ou à aller chercher des salariés partis tenter l’aventure à l’étranger. Du point de vue des futurs collaborateurs, l’attrait du travail au sein des start-up provient autant de la possibilité de s’impliquer dans un projet motivant que de l’épanouissement personnel qui est offert au quotidien dans des activités laissant une large place à l’autonomie et la polyvalence. Des progrès restent encore à faire Cet écosystème français peut encore faire mieux : Nous devons encore faire grandir beaucoup plus vite les start-up pour qu’elles deviennent des acteurs de taille significative sur ces marchés mondiaux. À défaut, c’est leur pérennité qui est en jeu. Les interactions commerciales concrètes entre grands groupes et start-up sont encore trop faibles. La chaîne de financement a encore besoin d’être complétée notamment car il existe peu de sociétés dotées de moyens financiers suffisants pour mettre sur la table des tickets de l’ordre de 8 à 20 M€. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 6 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Les objectifs de la collaboration Pour les grandes entreprises, la start-up apporte un avantage compétitif fort (nouvelle technologie, propriété intellectuelle, nouveaux marchés, compétences et savoir-faire, élargissements de la clientèle, transformation culturelle en interne). Pour les start-up, les relations avec un grand groupe vont leur donner accès à des financements, des moyens techniques et humains supplémentaires, un réseau de commercialisation et des partenariats, mais aussi et surtout, l’image de marque de la société, reconnue nationalement et internationalement. Les obstacles rencontrés CapHorn Invest joue le rôle d’intermédiaire entre les start-up et les grandes entreprises. La difficulté est, dans ce contexte, de faire travailler main dans la main deux univers que tout oppose. En cause, plusieurs raisons : - Tout d’abord, ils ne parlent pas le même langage. De fait, il importe de comprendre les intérêts et les problèmes des uns afin de les traduire dans la langue des autres, et cela, de façon à ne pas perdre du temps. - Les contraintes de temps sont différentes. Les délais de paiement et les cycles budgétaires des grands groupes ne sont pas compatibles avec les besoins en trésorerie des jeunes pousses. À cela s’ajoutent les circuits de prise de décision internes aux grands groupes jugés trop longs et complexes et les difficultés à recruter rapidement les talents. Dans un contexte concurrentiel mondial, il faut encourager les grandes entreprises à se débarrasser de leurs vieux réflexes et à prendre des risques. - L’absence d’acquéreurs français pour prendre le relais des sociétés de capital-risque. Lorsque la start-up s’est développée mais pas assez pour se transformer en leader international, la société de capital-risque va négocier sa sortie. Sur la question du rachat, il est regrettable de voir avaler les pépites tricolores par des géants étrangers parce qu’il n’y a pas, en France, d’acquéreurs ayant la capacité de payer le prix. Les recettes du succès Parmi les leviers à actionner pour que le partenariat entre une start-up et un grand compte soit gagnantgagnant, il est fondamental : - d’avoir accès aux décideurs au sein des organisations ; - de créer une relation opérationnelle entre le marketing, la logistique et le commercial (processus d’achat) ; - de réussir l’intégration des équipes. L’enjeu central est, en effet, l’acculturation des hommes et des femmes (en particulier dans le domaine du numérique). Il convient alors d’éviter tout risque de domination, de concurrence ou de démotivation. Pour ce faire, il faut, d’une part infuser les cultures, en organisant, par exemple, une mobilité croisée du personnel entre la jeune pousse et le groupe partenaire ; et d’autre part, veiller à ne pas brider la liberté des startuppers, et leur donner les moyens dont ils ont besoin pour innover. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 7 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Quel avenir possible pour les start-up ? Le point de vue du représentant des pouvoirs publics David MONTEAU, directeur, MISSION FRENCH TECH En France, il existe, depuis quelques années, une véritable dynamique autour de l’entrepreneuriat. On assiste, en effet, à un développement rapide de start-up, de fonds d’investissement, de business angels et de structures d’accompagnement des jeunes pousses. Partant de ce constat, les pouvoirs publics ont lancé l’initiative French Tech, qui a pour mission d’amplifier et de soutenir cette mobilisation, de donner une visibilité aux investisseurs et de contribuer à l’accélération de cet écosystème. La French Tech désigne tous les acteurs de l’écosystème des start-up françaises (entrepreneurs, investisseurs, designers, développeurs, incubateurs, accélérateurs…). C’est une marque collective, dont l’unique objectif est la croissance des start-up. L’indicatif de mesure de l’impact de la French Tech sera l’émergence de nouvelles grandes entreprises internationales, leaders sur leur marché. La croissance des start-up représente un enjeu stratégique Alors que la moyenne d’âge des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) est de 22 ans, celle du CAC 40 est de 102 ans. L’enjeu pour ces entreprises, si elles veulent conserver durablement leur avantage concurrentiel, est de se renouveler. Reste que cela n’est pas facile pour des groupes qui peinent déjà à organiser leur transition digitale. Afin de s’adapter à ces changements, certains ont fait le choix de se rapprocher des start-up et de leur « capital innovation ». L’enjeu est aussi stratégique pour les pouvoirs publics qui aimeraient compter davantage de start-up devenues des ETI ou des grandes entreprises. De fait, il est nécessaire d’aider les jeunes pousses à percer le plafond de verre qui limite leur croissance. Dans cette perspective, la French Tech a mis en place deux actions principales : - la première consiste à mobiliser et à structurer l’écosystème des start-up françaises en prenant appui sur un certain nombre d’outils (labellisation, création d’un réseau, fonds d’investissements régi par Bpifrance) ; - la seconde vise à renforcer l’attractivité du pays, en boostant l’implantation de start-up et de fonds d’investissement étrangers en France (procédure accélérée pour l’obtention d’un titre de séjour, financements, hébergement gratuit dans un incubateur). Être capable de prendre des risques Les grands groupes doivent comprendre que les relations avec les start-up sont stratégiques. Mais s’y engager représente un pari qui ne peut être relevé qu’à la condition de prendre le risque de travailler avec les jeunes pousses, par exemple en mettant en place des retours rapides sur des prototypes, en investissant, ou encore en rachetant la start-up. Dans le cas des sorties industrielles, nombreux sont ceux qui déplorent les rachats. Pourtant, leurs effets sur l’économie peuvent être bénéfiques. Pour preuve, ils donnent les moyens aux fondateurs des start-up de réinvestir dans l’écosystème, instaurant ainsi un cycle vertueux. Le cas de Google est remarquable : le groupe américain a acheté plus de start-up dans les dix dernières années que tout le CAC 40 réuni ; le but affiché est d’acquérir des talents. La sortie en bourse est également un atout pour les start-up, mais elle doit être complétée par la prise de relais des investisseurs classiques. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 8 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » L’interaction des start-up avec les entreprises Le point de vue de l’investisseur public Cécile BROSSET, directrice du Hub, BPIFRANCE Bpifrance finance 35 000 entreprises innovantes (start-up en hyper-croissance, PME et ETI). Elle poursuit un objectif d’intérêt général : celui de créer de la croissance. Bpifrance a souhaité mettre sa connaissance de l’écosystème des start-up français (entrepreneurs, grandes entreprises et investisseurs privés, dont les Venture Capital) au service de la mission French Tech. Dans cette perspective, elle a créé le « Hub ». Il s’agit d’une plateforme qui rassemble une trentaine de grands groupes issus de différents secteurs (allant de l’hôtellerie à l’automobile, en passant par l’industrie lourde), des start-up figurant dans le portefeuille de Bpifrance et des investisseurs privés. La banque publique a organisé son Hub comme une offre de services payants pour les entreprises : des chargés d’affaires détectent les jeunes pousses prometteuses et en proposent une dizaine aux représentants des grands groupes (offre de sourcing). Dès lors, les parties prenantes se rencontrent dans les locaux du Hub (offre de network). L’idée est de favoriser le dialogue entre les acteurs afin de nouer des partenariats techniques ou commerciaux et d’encourager les groupes à prendre une participation dans le capital des start-up. Une autre activité du Hub contribue également à cet objectif : l’accélérateur de start-up qui accueille une dizaine de jeunes pousses, de tous domaines, et leur propose un suivi personnalisé pour une durée de 6 à 18 mois (offre d’accompagnement). Mais à la différence de nombreux accélérateurs qui ont fleuri dans le paysage, ce Hub possède une spécificité : il s’intéresse à des start-up matures, ayant déjà réalisé un chiffre d’affaires. À ce jour, une quarantaine de sociétés ont été sélectionnées dans divers domaines (MedTech, Big Data, Drone, Marketplace, ….). Un cercle vertueux La France n’a pas à rougir de son écosystème qui s’est structuré en peu de temps. On constate, en effet, le développement d’un côté des start-up et de l’autre, du Venture Capital qui commence à être présent sur toutes les phases de développement, y compris le « late stage ». De plus, certains grands groupes ont compris qu’ils ont tout intérêt à donner un coup de pouce aux start-up (via notamment l’achat de prestations et de services, l’acquisition des jeunes pousses). Toute cette dynamique est le moteur d’un cercle vertueux : elle permet aux entrepreneurs de se relancer dans des nouveaux business, se rapprochant ainsi du modèle américain des « serial entrepreneurs ». De cette manière, du fait de la somme d'expériences accumulées, ils créent de la valeur. Organiser le dialogue au plus haut niveau de direction des entreprises L’objectif prioritaire du Hub est le passage de la start-up en « scale-up ». Mais il est clair que les startup ont encore du chemin à faire pour se transformer en licornes. Dans les faits, trois start-up sur quatre, dans le monde, financées par du Venture Capital aboutissent à un échec7 et leurs faillites surviennent en moyenne vingt mois après la dernière levée de fonds. Il importe, par conséquent, d’aider les start-up à se développer commercialement. Et pour ce faire, elles ont besoin des grands groupes qui vont les aider à chercher des partenaires, à s’internationaliser, etc. De ce point de vue, le rôle du Hub est fondamental pour accompagner, soutenir et orienter ces start-up qui ont déjà levé des fonds (entre 1 et 20 M€) et qui possèdent un chiffre d’affaires dépassant les 2 M€. Pour garantir l’efficacité de cette interaction, il faut veiller à organiser le dialogue au plus haut niveau de direction. 7 Cf. les travaux de Shikhar Ghosh in Harvard Business School, www.hbs.ed FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 9 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Faire communiquer différentes cultures Culture, mode de fonctionnement, langage, moyens… tout semble opposer les start-up et les grands groupes. Pourtant, l’« open innovation » est aujourd’hui devenue une évidence pour l’ensemble des acteurs. Elle se traduit par différentes formes de collaboration entre les entreprises. Mais la tâche n’est pas aisée. La plupart du temps, des résistances apparaissent de part et d’autre. Un important travail d’acculturation est nécessaire pour les amenuiser. Dans ce contexte, le Hub de Bpifrance se trouve, de par sa position de « tiers de confiance », dans une situation privilégiée d’interface entre les jeunes pousses et les grandes entreprises. Quelques recommandations Pour pallier les difficultés culturelles auxquelles les grandes entreprises et les start-up se trouvent confrontées, le Hub a dégagé une série de recommandations : - Le grand groupe doit s’appuyer sur une vision stratégique claire et bien définie, avec des objectifs transparents de partenariats, tant en termes de business que d’innovation ; - La direction générale du grand groupe doit être déterminée à agir vite, et à relayer l’impulsion au niveau opérationnel. Pour cela, il est nécessaire d’associer un décisionnaire (comité exécutif, directeur) à un opérationnel dans les prises de décision ; - Le grand groupe doit disposer de ressources financières mobilisables rapidement. Un budget dédié aux start-up doit être prévu ; - La relation doit reposer sur la confiance et la durée. Lorsque le grand groupe a identifié son partenaire, il doit l’accompagner tout au long de son développement. Il est important de tisser des liens qui vont plus loin que de simples interactions. - La grande entreprise ne doit pas imposer sa propre culture à son partenaire. Afin d’identifier, prévoir et dépasser d’éventuels points de blocage culturels, elle doit faire un effort d’adaptation, d’explication et de mise en relation des équipes. Les personnes doivent apprendre à travailler ensemble pour mieux se connaître et parvenir à établir une relation basée sur le respect mutuel. Cet apprentissage est lent et difficile. Ceci explique pourquoi l’action du Hub est fondamentale : sa fonction consiste, en effet, à faire le lien entre les personnes et à coordonner les projets. - Au moment du rachat de la start-up, il est souhaitable que le grand groupe accorde à la société achetée une grande part d’autonomie, tout en lui fournissant des ressources commerciales, humaines et financières. Mais avant, pour que l’intégration se passe bien et que la valeur de la jeune pousse se développe dans la nouvelle entité, il importe de mettre en place, dès le lancement de la start-up, des partenariats et d’organiser une mobilité croisée entre les deux parties. Mieux encore, un représentant du groupe peut être nommé au sein du board de la startup. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 10 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Le retour d’expérience d’Orange Le point de vue de la grande entreprise Vincent MARCATTÉ, vice-président Open Innovation, ORANGE Orange, tout comme les autres grands groupes, l'a bien compris : son avenir passe par le rapprochement avec les start-up, en particulier dans un monde où la transformation numérique balaie tous les business models. À cet égard, au fil des ans et sous l’impulsion de son PDG, Stéphane Richard, Orange a amplifié ses relations avec les jeunes pousses. Les objectifs à collaborer avec les start-up Pour un grand groupe, une collaboration avec une start-up répond à plusieurs objectifs : 1) identifier les ruptures technologiques, d’usage ou de business models pour prendre de l’avance sur les concurrents ; 2) développer son business pour se distinguer sur son marché ; 3) acquérir de nouveaux actifs en cas de rachat (technologies, propriété intellectuelle, savoirfaire, clients) ; 4) faire évoluer sa culture et ses structures en insufflant l’esprit start-up en interne. En effet, les jeunes pousses redynamisent les entreprises traditionnelles, en apportant de l’agilité, de la rapidité, et de la remise en question. L’humain au cœur de la relation La qualité des relations développées avec les start-up repose avant tout sur l’humain. Ceci soulève plusieurs questions : quelles sont les personnes clés au sein des deux structures avec lesquelles interagir ? Est-ce que les grands groupes sont capables d’être respectueux, empathiques, souples, réactifs ? Si d’aucuns manifestent cette ambition, il est clair que le passage à l’acte est une tout autre affaire. Les collaborations ne se constituent pas naturellement. Elles demandent de la part de chacun des efforts pour créer une véritable dynamique. Cela signifie, par exemple, pour un groupe tel qu’Orange de désigner en interne les bons interlocuteurs (un petit nombre de personnes), chargés d’instaurer rapidement le dialogue avec les jeunes pousses, tout en préservant les intérêts des deux parties et en faisant preuve d’ouverture (comme par exemple, en s’adaptant aux contraintes temporelles de la start-up). S’organiser pour faire mieux Dans sa relation avec les start-up, Orange apprend pas à pas. Le groupe est conscient qu’il peut faire mieux, en particulier en ce qui concerne la prise de décision rapide. Afin d’éviter l’inertie et la perte de vitesse, Orange a mis en place une palette d’outils et d’actions de plus en plus ouverte vers l’extérieur. Par exemple, depuis de nombreuses années, Orange est engagé dans diverses initiatives dans le but de repérer des start-up et de stimuler l’écosystème : - Les cantines numériques : ce sont des lieux d’échanges et de collaboration. Créées en 2008, ces cantines proposent des espaces de travail partagé (coworking) où de jeunes entrepreneurs peuvent bénéficier, pour une somme modique, d’un ensemble de services. Orange a essentiellement travaillé avec les cantines numériques de Nantes, Rennes et de Paris de par la proximité avec ses propres équipes de RD. Cette dernière est devenue, en 2014, « NUMA ». Les cantines numériques ont souvent permis d’aider à la naissance des métropoles French Tech. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 11 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » - La French Tech : Orange est présent dans l’ensemble des French Tech en France. L’objectif est de faire en sorte que les start-up françaises et internationales grandissent. Ce développement offre au groupe l’opportunité d’identifier de nouvelles ruptures ainsi que des business. - Les pôles de compétitivité : Orange est impliqué dans l’activité de dix pôles de compétitivité. Le groupe est actif dans la gouvernance de cinq d’entre eux. Il accède ainsi à 3 000 start-up et PME innovantes. Cette action présente un double intérêt pour le groupe : d’une part, elle permet de mieux connaître les jeunes pousses et d’autre part, de les accompagner dans le cadre de projets collaboratifs. Certains de ces projets sont courts car ils s’inscrivent dans le cadre de la mission des pôles de compétitivité, devenus des « usines à produits d'avenir », qui consiste à favoriser la mise sur le marché des produits ou services. - Les instituts de recherche technologique : Orange collabore, dans le cadre de projets d’innovation, avec des start-up membres des instituts de recherche technologique, comme par exemple « b<>com ». Ces projets vont permettre à la start-up de développer son offre, au niveau de la technologie, du business model et des usages, afin d’accélérer la mise sur le marché. Par ailleurs, Orange a développé des outils internes, lui permettant d’être actif dans sa relation avec les start-up : - Orange Partner et Orange Developer : leur objectif est d’initialiser le business. Par leur intermédiaire, les start-up peuvent, d’un côté, signaler leur intérêt à travailler avec la grande entreprise, et de l’autre, avoir accès à des interfaces de programmation (API) pour développer rapidement et de manière efficiente leurs services innovants. - Orange Fab : est un accélérateur de start-up, présent dans dix pays en Europe, Asie, Afrique et États-Unis. Il s’agit d’un programme de trois mois qui, à ce jour, a permis l’accompagnement, de 170 jeunes pousses. 98 % d’entre elles existent toujours. Et la moitié a signé des contrats commerciaux avec Orange. Il convient de noter qu’un des critères de sélection principaux pour qu’une start-up entre dans le programme d’accélération du groupe est la capacité à faire du business ensemble. C’est dans cette optique que s’inscrivent également les partenariats noués avec d’autres opérateurs à l’international (programme Go Ignite avec Deutsche Telekom, Telefonica et SingTel). Dans ce cadre, Orange mutualise son portefeuille de start-up via ses accélérateurs pour identifier de nouvelles opportunités de business. Les jeunes pousses participant à ce programme bénéficient d’un contrat avec le groupe, de son expertise et de son image de marque. - Orange Digital Ventures : lancé en 2015, ce fonds interne de 100 M€ d’investissement injecte, dans le capital des start-up prometteuses, des tickets allant de 500 000 à 3 M€. Au total, ce sont neuf investissements qu’Orange Digital Ventures peut revendiquer en moins d’un an d’existence. De plus, Orange est partenaire de Publicis dans le cadre du fonds Orange Publicis Ventures. Ensemble, ils ont aussi créé Iris Next, un fonds d’investissement dans les start-up européennes. - Le programme start-up Digitale pour les salariés : Il vise à aider l’essaimage et à mettre si besoin à disposition des salariés entrepreneurs des inventions orphelines. Si le chemin pour y parvenir est encore long, on constate toutefois que les mentalités évoluent petit à petit. En effet, il n’est plus rare de voir des salariés manifester leur désir d’entreprendre. Dès lors, Orange les accompagne en mettant en place des programmes de « Digital start-up schools ». Puis, lorsque la spin-off est créée, le salarié-entrepreneur peut partir avec un portefeuille de propriété intellectuelle en échange par exemple d’une prise de participation (IP for Equity). Enfin, il va de soi que le groupe ne s’interdit pas le rachat des start-up, à partir du moment où le rachat fait sens dans le business de l’entreprise. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 12 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Débat entre les orateurs 1. L’ORGANISATION ENTRE LES GRANDES ENTREPRISES ET LES START-UP Comment les grandes entreprises s’organisent-elles pour prendre rapidement des décisions d’investissement dans les start-up ? Comment faire pour ne pas étouffer les start-up sous la structure, les lourdeurs et les contraintes de la grande entreprise ? Quels sont les choix stratégiques et les précautions à mettre en œuvre du côté de la start-up dans ses relations avec les grandes entreprises ? Alain BUGAT, ACADÉMIE DES TECHNOLOGIES Il est possible de distinguer quatre types de relations entre les start-up et les grandes entreprises : - relations techniques et humaines (mise à disposition des moyens techniques et des ressources humaines) ; - relations financières (investissements directs ou indirects à travers un fonds d’investissement) ; - relations commerciales (collaborations et prestations) ; - relations de parrainage (conseils et mise en relation) Au niveau de la direction des achats Vincent MARCATTÉ, ORANGE Orange organise régulièrement des réunions avec son service des achats. Elles permettent de veiller en permanence sur le portefeuille des start-up innovantes avec lesquelles le groupe travaille. Il convient de noter également qu’Orange a signé la charte des PME innovantes avec le gouvernement et assure un flux de commandes vers les start-up dans la limite d’un seuil fixé en interne. Ce mode de fonctionnement avec les jeunes pousses a conduit à une véritable transformation culturelle au sein du service des achats, qui pouvait avoir tendance à travailler principalement avec de très gros fournisseurs. Au niveau de la direction financière Guillaume DUPONT, CAPHORN INVEST CapHorn Invest collabore avec les directions financières des grandes entreprises afin de les rassurer sur la qualité et la valeur des start-up. L’exercice est délicat : la plupart du temps, il s’agit de les convaincre de la fiabilité d’une société de vingt personnes qui perd autant d’argent que son chiffre d’affaires. Les sociétés de capital-risque sont souvent perçues comme des garants. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 13 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Une transformation culturelle Cécile BROSSET, BPIFRANCE Les relations entre les start-up et les grandes entreprises passent nécessairement par une transformation culturelle profonde. Bien que des efforts aient été faits pour rapprocher ces deux mondes, il existe encore des difficultés et des incompréhensions liées à l’absence de liens de proximité entre les équipes, la pression temporelle, l’exigence de résultats, etc. Ces dernières sont source de tensions, voire une cause d’échec. Pour susciter de l’espérance et de la confiance, une solution consisterait à intensifier la communication sur les réussites (chiffres à l’appui). Guillaume DUPONT, CAPHORN INVEST Les start-up françaises ayant réussi sont organisées sur le modèle « B to C » (comme par exemple, PriceMinister). Elles sont allées chercher leur croissance à l’international. Pascal BARTHELEMY, directeur général adjoint RD, IFP ÉNERGIES NOUVELLES La clé du succès pour les start-up est, en effet, le « B to C », c’est là que les licornes se développent. De plus, on ne rappelle jamais assez que pour grandir, les start-up doivent être en mesure de changer de business model. Par ailleurs, pour rapprocher les cultures, il est important, me semble-t-il, d’attirer des talents expérimentés dans les start-up. Cela offrirait l’avantage d’éviter un certain « jeunisme » et aussi, ils pourraient partager leurs expériences, savoir-faire et savoir-être. Du côté des grands groupes, le problème se situe-t-il seulement au niveau culturel ? N’est-il pas aussi inhérent aux nombreuses procédures qui y sont mises en place ? Qu’en est-il aux États-Unis ? Enfin, pourquoi n’y-a-t-il pas d’acquéreurs en France capables de payer le prix ? Est-ce là aussi un problème d’ordre culturel ? Guillaume DUPONT, CAPHORN INVEST Les contraintes structurelles des grandes entreprises (procédures lourdes et compliquées, rythmes longs, structure hiérarchique, etc.) constituent un premier frein dans la mise en place de coopérations avec les start-up. Le second, mais non le moindre, est d’ordre culturel. La grande différence entre la culture américaine et française porte sur le droit à avoir une chance ou, pour le dire autrement, le droit d’essayer. Aux États-Unis, on vous écoute et on teste les produits. Si cela fonctionne, on le développe. Cette culture du risque est encore loin d'être une réalité en France. Autre élément : les grandes entreprises américaines sont souvent d’anciennes start-up. Les relations entre les grands et les petits sont, du coup, beaucoup plus simples. Le rôle du président-directeur général (PDG) et des équipes Vincent MARCATTÉ, ORANGE La conviction du PDG, quant à l’importance stratégique des relations entre les start-up et les grandes entreprises, est primordiale pour mettre en mouvement l’ensemble de la chaîne décisionnelle. Il doit être en mesure de motiver les équipes, de répondre rapidement à leurs attentes et de gérer les résistances. Sa capacité à créer les conditions de confiance et de stabilité au sein de la relation est essentielle. Un mauvais management peut nuire à la collaboration. L’un des risques est de faire perdre du temps aux start-up, qui n'en ont pas. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 14 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Guillaume DUPONT, CAPHORN INVEST CapHorn Invest tient à ce que l’ensemble des équipes opérationnelles des start-up possède au moins 25 % du capital8. CapHorn Invest attend aussi de la part d’un manager de grand groupe qu’il soit capable de recruter des talents susceptibles de naviguer entre le groupe et les start-up. Il doit aussi se doter de structures de décision adaptées, permettant d’assurer le suivi des start-up dans le temps. La société de capital-risque doit pouvoir lui faire confiance. Pour que tout se passe bien au moment de la sortie du capital, les règles du jeu doivent être clairement fixées et acceptées tant par le PDG que par l’investisseur. 2. LES BESOINS DES START-UP POUR CROÎTRE Comment permettre aux start-up de grandir ? À intérêt et potentiel comparable, quels sont les avantages et les inconvénients à investir dans une start-up française plutôt que dans une start-up étrangère ? David MONTEAU, MISSION FRENCH TECH Les start-up françaises ont encore du mal à s’internationaliser. Elles doivent créer rapidement des bureaux à l’étranger, y embaucher du personnel et attirer en France des talents qui y importeront leurs expériences et savoir-faire. Autre difficulté à surmonter : l’assouplissement du code du travail français. Pour se développer, les jeunes pousses ont besoin de souplesse et de flexibilité en termes de recrutement. Cécile BROSSET, BPIFRANCE Le recrutement de talents constitue, en effet, une condition pour que les start-up grandissent. Mais surtout, ce qu’il leur faut, ce sont des contrats et de l’argent. Guillaume DUPONT, CAPHORN INVEST De ce point de vue, les grands groupes ont un rôle à jouer. Ils développent avec les start-up des relations commerciales. Jean-Claude LEHMANN, TECHNOLOGIES membre et président honoraire, ACADÉMIE DES En ce sens, Saint-Gobain a mis en place une structure spécialisée et internationale, dénommée « NOVA ». Elle est entièrement dévolue à l’identification des partenariats possibles avec les start-up. Sur dix ans, 3 000 dossiers ont été examinés dans le monde entier et 70 accords de partenariats (technologiques, d’accès au marché, de licensing, etc.) ont été établis avec les jeunes pousses. Ainsi, on constate que cette forme d’innovation ouverte commence à faire son chemin dans l’immense majorité des grandes entreprises, qui partent de très loin. Bien sûr, de nombreux progrès restent à faire. Mais il en va de même du côté des start-up. À titre d’exemple, NOVA a lancé, depuis deux ans, un concours mondial de start-up. En 2015, elle a reçu 370 candidatures. Sur les dix finalistes, un seul était français, ce qui est inquiétant. Les gagnants sont essentiellement américains. 8 Ce seuil évolue en fonction du niveau de maturité de l’entreprise. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 15 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Vincent MARCATTÉ, ORANGE Du point de vue d’Orange, les start-up françaises présentent un meilleur rapport qualité/prix. Pour investir à l’international, et notamment aux États-Unis, les tickets d’entrée sont beaucoup plus élevés. Il importe alors de repérer les sociétés intéressantes très en amont et de se positionner tôt. Guillaume DUPONT, CAPHORN INVEST Sur ce plan, dans l’univers du logiciel, le rapport de coût de développement entre une start-up française et une start-up de la Silicon Valley est de 1 à 4. 3. UN ÉCOSYSTÈME AU SERVICE DES START-UP ? Dans l'environnement réglementaire, fiscal, social, financier et culturel des start-up françaises, existet-il des conditions qui pourraient être modifiées dans un sens favorable ? Certains secteurs de l’industrie traditionnelle sont délaissés par les financeurs : comment répondre à cet état de fait ? Les acteurs du financement David MONTEAU, MISSION FRENCH TECH Les conditions d’investissement dans les start-up françaises se sont récemment améliorées grâce à une prise de conscience politique. Aujourd’hui, on observe, d’un côté, un environnement fiscal favorable aux start-up et de l’autre, une véritable dynamique du capital-risque en France. Ces deux dernières années, les montants investis et le nombre d’opérations se sont fortement accélérés. Les sociétés de capital-risque ont gagné en maturité : l’expérience de ces professionnels ainsi que leur savoir-faire sont capitalisés sur un nombre significatif d’aventures entrepreneuriales. Autre atout : on voit apparaître une nouvelle génération d’investisseurs qui stimule l’écosystème. Tout cela s’avère être extrêmement positif. Le pays se situe dans le top 3 au niveau européen, avec une dynamique de progression intéressante. Cécile BROSSET, BPIFRANCE Reste que certains domaines, comme par exemple le hardware, ne sont pas bien financés, du fait de la frilosité des investisseurs. Vincent MARCATTÉ, ORANGE C’est aussi le cas des start-up opérant dans le domaine de la réalité augmentée ou virtuelle. Elles rencontrent des difficultés à trouver des financements en France, du fait d’une mauvaise connaissance de ces secteurs. Les investisseurs ont tendance à ne pas prendre de risques. Une telle situation a pour conséquence de faire passer les grandes entreprises et le pays à côté de nouveaux marchés et des technologies. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 16 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Guillaume DUPONT, CAPHORN INVEST À l’inverse, les domaines, qui nécessitent des innovations liées à la transformation digitale (tels que l’aéronautique, l’agriculture, la chimie), sont très bien financés par le capital-risque. Pascal BARTHELEMY, IFP ÉNERGIES NOUVELLES Pourquoi est-il si difficile de mettre de l’argent sur la table en ce qui concerne les tickets les plus élevés ? Il me semble, pourtant, que l’argent, ne manque pas au niveau européen. Le plan Juncker, par exemple, s’élève à 300 Md€. Il bénéficie du soutien de la Banque européenne d'investissement (BEI). La France n’a pas à rougir non plus, notamment par rapport aux États-Unis. Cécile BROSSET, BPIFRANCE Il convient de préciser que le capital-risque en France est en retard de 35 ans par rapport aux ÉtatsUnis. Le marché amont est en cours d’évolution : les fonds d’amorçage sont peu à peu remplacés par des accélérateurs de start-up et des serial-entrepreneurs, qui deviennent business angels. Il faut laisser le temps à ce marché de se structurer. De plus, l’alternative au réseau bancaire traditionnel n’existe pas en France, contrairement aux États-Unis : la Silicon Valley Bank est dotée de fonds privés et met des fonds à disposition grâce à son outil, le venture loan, qui vient combler le gap entre la première et la deuxième levée de fonds. Ce système de venture loan arrive seulement en France et en Europe. Mais, il propose des taux élevés (12 % à 15 %). De son côté, Bpifrance accorde aux entreprises des prêts d’amorçage pour des montants compris entre 300 000 à 500 000 euros. Guillaume DUPONT, CAPHORN INVEST Là où le bât blesse, c’est au niveau du capital-développement. On constate, en effet, une perte de compétence de la part des investisseurs, notamment dans le domaine de l’électronique, parce qu’il leur est difficile d’investir dans des projets nécessitant entre 50 à 100 M€, et cela, sans même qu’ils aient pu apprécier, au préalable, le sérieux de l’entreprise. Pour que ces opérations aient un sens, du point de vue de l’investisseur, il faudrait qu’il puisse financer une dizaine de projets de cette envergure. Or, aujourd’hui, cette catégorie d’acteurs n’existe pas en France. Seul le niveau européen peut répondre à ces enjeux. Toutefois, l’Angleterre constitue un cas intéressant. Ce pays possède des équipes qui ont la capacité de lever d’importantes sommes d’argent. Vincent MARCATTÉ, ORANGE Il est clair que dans l’écosystème français, le capital-développement manque à l’appel. Les tickets d’un montant de 8 à 10 M€ trouvent difficilement preneurs. Pourtant, c’est à ce stade que les start-up parviennent à se développer à l’international. Résultat, elles se font racheter par des entreprises étrangères et la France passe à côté d’opportunités de créer des « licornes ». Cécile BROSSET, BPIFRANCE Pour autant, rien n’est perdu : on voit apparaître, en France, des fonds d’investissement qui commencent à se structurer sur les gros montants. Certaines start-up, comme Parrot, ont réussi à lever des fonds de plus de 100 M€. FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 17 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? » Les pôles de compétitivité Vincent MARCATTÉ, ORANGE Le rôle des pôles de compétitivité est d’aider les start-up à identifier les bons incubateurs, financeurs et aider à la mise en relation avec les services achat. Par exemple, le pôle « Images & Réseaux » est l’opérateur du programme « Pass French Tech »9 en Bretagne et Pays de la Loire. Il s’agit d’une offre sur-mesure de service à une sélection de jeunes entreprises en forte croissance10. L’action du pôle consiste à identifier les start-up, puis à les accompagner en vue de l’obtention du « Pass French Tech », qui leur ouvrira les portes du service premium de Bpifrance et de Business France. Les start-up obtiennent ainsi une excellente visibilité, notamment à l’international, vis-à-vis des investisseurs. Malgré des critères exigeants pour présenter sa candidature au « Pass French Tech », notamment en termes de croissance sur la durée, de plus en plus de dossiers sont présentés, ce qui montre la vitalité du tissu des start-up. Laure REINHART, directrice des partenariats à la direction innovation, BPIFRANCE Bpifrance a lancé en 2014 le programme « Pass French Tech » qui concerne les entreprises start-up dans le secteur du digital qui sont en forte croissance (chiffre d’affaires, effectifs, etc.). L’objectif est de permette à l’entrepreneur de gagner du temps. Avec le « Pass French Tech », l’entrepreneur est placé au centre d’un dispositif au sein duquel les opérateurs sont là pour lui apporter des solutions aussi bien sur le plan financier qu’en matière d’accompagnement ou de développement international, etc. Bpifrance commence à sélectionner quelques entreprises également dans les domaines des biotechs et des clean techs. Quels résultats en termes de business ? Laure REINHART, BPIFRANCE Est-ce que le travail et les moyens financiers mobilisés sur les programmes collaboratifs entre les petites et les grandes entreprises, sur les phases RD, parviennent au final à se transformer en véritable business ? Guillaume BAXTER, europe investment manager, SOLVAY VENTURES Chez Solvay, plusieurs start-up, mises en relations avec le groupe Solvay par le biais de l'activité « capital-risque », ont permis de développer des projets d'innovation collaborative débouchant à moyen terme sur du chiffre d’affaires. Pour mesurer les progrès réalisés sur cette dynamique, le groupe a créé un indicateur spécifique permettant d’identifier leurs contributions. Vincent MARCATTÉ, ORANGE Dans le cadre de projets collaboratifs entre des groupes et des start-up, les pôles de compétitivité sont de plus en plus attentifs à identifier les possibilités de sortie pour les start-up, sous la forme de produits ou de services. On remarque aujourd’hui une accélération très concrète permettant de passer de l’usine à projets à l’usine à produits. Nombreux sont les projets RD débouchant soit sur du business, soit sur des créations de start-up. 9 Ce programme a été mis en place par la French Tech, Bpifrance, Ubifrance, la Coface et l’INPI. C’est-à-dire présentant une croissance de 100 % de leur chiffre d’affaires pendant trois ans. 10 FutuRIS – Séminaire 11 mai 2016 18 « Grandes entreprises et start-up : Quelles conditions pour des relations bénéfiques ? »