le_monde_2005/pages 10/06/09

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Mercredi 10 juin 2009
Le laboratoire
du futur universel
Lettre de la City
Marc Roche
D
ès l’entrée de l’enceinte de la Henley Business School (HBS), située à
une soixantaine de kilomètres de
Londres, le visiteur éprouve une impression de force tranquille. L’architecture
classique des lieux s’harmonise avec la
Tamise, qui baigne ce riche comté avec la
majesté du God Save the Queen. Surtout,
cet énorme concentré de matière grise est
un incroyable miroir de la nouvelle économie en train de surgir du capharnaüm de
la tourmente financière.
« La société doit revoir ses attentes à la
baisse tout en les faisant fructifier » : Christopher Bones, le directeur de cet établissement fondé en 1946, dont la mission était
de participer à la reconstruction du pays
exsangue, est tout sourire. La crise économique a permis à cette école supérieure
de commerce d’accéder à la première place du podium. Les postulants se pressent
au portillon de cette business school, qui,
en maîtrise, compte 220 étudiants (âge
moyen : 32 ans) venus de 80 pays. Une
candidature sur cinq est retenue.
Aujourd’hui, la responsabilité sociale a
la cote. Or, c’est justement cet aspect-là
qui a fait la réputation de la HBS. Tout au
long de son histoire, ce vivier d’entrepreneurs est resté fidèle à la devise du vicomte Hambleden, fondateur des kiosques
WH Smith au XVIIIe siècle, dont le manoir
abrite le siège social : « Le caractère et l’intégrité sont aussi importants que le talent. »
Cette formule rappelle que les affaires, ce
n’est pas seulement être le premier partout, c’est aussi une éthique. Et c’est peutêtre cela, la véritable libre-entreprise.
Ainsi, aux yeux du doyen, les primes
de fin d’année versées aux banquiers ne
doivent pas être réglementées ou réduites
unilatéralement mais simplement lourdement taxées. L’objectif de la firme citoyenne doit être de créer de la valeur à long terme au lieu de s’enrichir rapidement sur le
dos des autres. Pas étonnant dans ces
conditions que la HBS ait connu une longue traversée du désert lors des années
Thatcher-Blair. A l’époque, seules les écuries universitaires défendant le libéralisme à tous crins avaient le vent en poupe
et le soutien des mécènes.
Mike Smith, patron du ICMA Centre, la
salle des marchés de l’école, réplique parfaite de celles que l’on peut trouver dans
la City, est chargé d’inculquer le concept
de responsabilité sociale aux futurs traders. Si ses étudiants dépassent les limites
de risques lors des simulations de transactions, leur note finale de maîtrise peut
être amputée de 10 %. « Le négoce d’actions n’est pas un jeu. Nos étudiants doivent prendre conscience de la conséquence
de leurs actes tout en se fiant à leur intuition et au flair », explique le tuteur, qui a
travaillé pendant huit ans comme spécialiste des options dans une banque japonaise de la place de Londres.
Le responsable du programme d’études bancaire, Brian Scott-Quinn, incarne
ce courant de pensée économique aujourd’hui en vogue. S’il veut sacrifier la croissance de l’industrie au profit des services,
ce sosie du professeur Tournesol n’en est
pas thatchérien-libéral pour autant. C’est
en effet au nom du développement durable que notre interlocuteur mène son
action : « La finance est l’industrie de
demain car elle n’utilise pas de ressources
naturelles de manière intensive. Elle crée
des emplois et stabilise l’économie mondiale en luttant contre la volatilité des prix. »
L’éden anglais d’Henley est un prodigieux laboratoire du futur universel, un
merveilleux Lego destiné aux générations postérieures. A commencer par la
génération « Y », une expression qui
recouvre les jeunes nés depuis le début
des années 1980. Ce groupe succède à la
génération « X », inventée par l’écrivain
Siles étudiants de la Henley
Business School dépassent
les limites de risques
lors des simulations
de transactions, leur note
finalepeut être amputée
de 10 %
Douglas Coupeland dans son best-seller
du même nom, tiré du succès de la chaîne
musicale américaine MTV.
« Les jeunes de la génération “Y” ne
croient plus aux institutions, aux partis
politiques ou aux multinationales. Ils font
uniquement confiance aux individus au
sens large, la collectivité proche, les
copains, la famille », explique David
James, professeur de marketing. Cette classe d’âge entend se singulariser en partageant ses expériences sur les pages personnelles du Web. Aux yeux de ce sociologue, qui nage comme un poisson dans les
eaux mouvementées de la jeunesse, les
grandes entreprises sont condamnées
dans leur forme actuelle. Les « Y » rêvent
de devenir des micro-entrepreneurs,
inventeurs de marques ciblées diffusées
sur le Web et les sites de sociabilité. Dans
le jargon, ce phénomène s’appelle trend
spreading (« la diffusion de la tendance »)
par opposition au trend setting consistant
à imposer un label par le truchement du
matraquage publicitaire. C’est pourquoi
le bon vieux système de vente à domicile
et par démonstration mis au point par les
cosmétiques Avon ou les boîtes Tupperware est à nouveau à l’ordre du jour.
La Henley Business School a survécu
aux crises et aux années fric. De la même
façon que les aristocratiques régates
d’Henley ont bravé toutes les modes. De
la fenêtre du réfectoire, on peut voir les
embarcations effilées fendre les eaux vertes de la Tamise. Les équipages à l’entraînement tirent en cadence sur les avirons.
Cette délicieuse partie de campagne
paraît un tantinet incongrue aux abords
de cette usine à idées où s’inventent les
vingt prochaines années. Rêves et cauchemars confondus… p
Courriel : [email protected]
Billet Robert Solé
George Washington - Tome 6
Barack Obama - Tome 22
Vinasse
Le livre du jour
Le Cèdre entamé
LE LIBAN sera-t-il plus stable après
les élections du 7 juin ? Il est permis d’en douter compte tenu des
obstacles qui se conjuguent pour
rendre ce pays proprement ingouvernable. Ceux que les limites évidentes de cette démocratie théoriquement « consensuelle », le
poids du communautarisme et le
jeu pervers des influences extérieures désorientent liront avec
profit La Dégénérescence du Liban.
Dans ce petit ouvrage exigeant et
magistral, l’universitaire Ahmad
Beydoun passe en revue plus d’un
demi-siècle d’histoire libanaise
pour en mettre à nu les évolutions
et surtout les impasses : l’échec
d’un projet national bâti sur un
double renoncement, celui des
musulmans au rêve de l’unité arabe et celui des chrétiens à la protection de l’Occident. En sciences politiques, l’addition de négations ne
produit pas de résultats positifs.
Le combat entre la consolidation
citoyenne et les cristallisations
communautaires a commencé
bien avant la guerre civile, mais celle-ci l’a accentué à partir de 1989,
avant d’être entretenu par le parrain syrien. Ahmad Beydoun ne
nie pas les acquis dont peuvent se
prévaloir les Libanais depuis la fin
de la guerre civile, la reconstruction (par le sunnite Rafic Hariri), la
libération du Liban sud de l’occupation israélienne (par le Hezbollah chiite) et le « desserrement de
la poigne » syrienne (sous l’effet
d’une pression sunnite, chrétienne et druze), mais c’est aussitôt
pour démontrer que chacun « porte bien en évidence un stigmate
communautaire ». Rien, donc, ne
parvient à alimenter les ferments
d’un Etat. Au contraire, « chaque
acquis peut ajouter une lézarde à
celles qui fissurent » le Liban.
Cette faiblesse peut-être consubstantielle, et en tout cas entretenue
par les pôles communautaires, per-
- Crédit photo : Corbis - Remerciements à la FICIB
LE FAUX ROSÉ a été balayé par la vague verte. Sur le point de commettre un sacrilège, la Commission européenne est revenue sur sa décision : elle n’autorisera pas la fabrication d’un vin centriste, par
mélange de rouge et de blanc. Non au métissage ! « Coupé n’est pas
rosé », proclamaient les producteurs traditionnels, dont la mobilisation a porté ses fruits.
Le rosé est sauvé, d’accord, mais le rose ? Un petit homme vert,
Dany le Rouge, n’a pas fini d’en faire voir de toutes les couleurs au PS.
Les bobos socialos seraient-ils devenus écolos ? Après avoir bu la tasse, Martine Aubry doit faire vinaigre, car de tous côtés on s’impatiente. « La coupe est pleine », dit Aurélie Filippetti, candidate malheureuse, qui presse la première vigneronne de « changer ». Gérard Collomb, maire (PS) de Lyon, compare le Parti socialiste aux « écuries
d’Augias » : selon lui, Martine Aubry devrait « faire passer un grand
fleuve qui purifie tout ça ».
Un grand fleuve de quoi ? De rouge, de blanc ou de rosé ? Et, dans
cette troisième hypothèse, que M. Collomb s’exprime clairement :
serait-ce encore un rosé d’assemblage, mi-figue mi-raisin ? p
Essentiel, universel et actuel
LE TOME 22
La Dégénérescence du Liban
ou la réforme orpheline
Ahmad Beydoun
Actes Sud, 172 p., 18 ¤.
met et rend toujours plus central
le jeu des influences étrangères.
Toutes les factions libanaises le
déplorent, mais toutes font en sorte que la seule digue qui pourrait
être dressée pour leur faire obstacle, l’Etat et l’intérêt national, soit
consciencieusement rognée et arasée. Toutes font en sorte de maintenir un Etat faible, pour qu’il n’empiète pas sur leurs territoires, économique, symbolique ou militaire, et pour continuer de le piller à
loisir. Au terme de ce sombre
constat, Ahmad Beydoun propose
ses pistes : élaboration d’une nouvelle loi sur la nationalité, nouvelle division administrative du pays,
nouvelle loi électorale, déconfessionnalisation des postes stratégiques. Il prône le dynamitage d’un
confessionnalisme qui a fait la
preuve de son impuissance. Mais,
s’interroge-t-il, trouvera-t-on des
réformistes pour les porter ? p
Gilles Paris
pTirage du Monde daté mardi 9 juin 2009 : 460 841 exemplaires.
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Pays du monde
Les volumes 22 et 23 des Essentiels d’Universalis réunissent les
portraits de leaders du monde contemporain et ceux des
principaux acteurs de l’actualité politique nationale. Sont ainsi
présentées une quarantaine de personnalités marquantes, de
Mahmoud Abbas à Barack Obama, en passant par Vladimir
Poutine pour les affaires mondiales, et de Martine Aubry à JeanClaude Trichet pour les personnalités françaises. C’est là aussi
que l’on pourra lire un compte rendu détaillé de l’actualité
internationale de l’année écoulée. Enfin, et surtout, ces deux
volumes insistent sur les 194 Etats souverains de la planète. Pour
chacun d’eux, une fiche d’identité illustrée rappelle les faits
politiques de base, et une carte renseigne avec précision sur les
grandes données territoriales. Ce regard rétrospectif sur notre
passé proche marque le point final, mais non conclusif, d’une
entreprise encyclopédique étendue sur près de 20 000 pages et
qui veut s’ouvrir sur l’avenir.
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