Le Dernier Jour d`un condamné - biblio
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Le Dernier Jour d’un condamné Victor Hugo Livret pédagogique correspondant au livre élève n° 31 établi par Marie-Henriette Bru, professeur certifié de Lettres classiques Sommaire – 2 SOMMAIRE A V A N T - P RO P O S ............................................................................................ 3 T A B L E DES CO R P U S ........................................................................................ 4 R ÉP O NSES A U X Q U EST I O NS ................................................................................ 5 Bilan de première lecture (p. 178)...................................................................................................................................................................5 Chapitres I et II (pp. 37 à 45)............................................................................................................................................................................6 ◆ Lecture analytique des chapitres (pp. 46-47) .............................................................................................................................6 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 48 à 54) ..................................................................................................................7 Chapitres VI et VII (pp. 58 à 60) .....................................................................................................................................................................10 ◆ Lecture analytique des chapitres (pp. 61-62) ...........................................................................................................................10 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 63 à 69) ................................................................................................................11 Chapitre XIII (pp. 76 à 84) ..............................................................................................................................................................................15 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 85-86) ...............................................................................................................................15 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 87 à 92) ................................................................................................................16 Chapitre XXIII (pp. 112 à 117) ........................................................................................................................................................................20 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 118-119) ...........................................................................................................................20 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 120 à 126)............................................................................................................20 Chapitres XXVI à XXIX (pp. 128 à 131) ...........................................................................................................................................................23 ◆ Lecture analytique des chapitres (pp. 132-133) .......................................................................................................................23 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 134 à 139)............................................................................................................24 Chapitre XLVIII (pp. 162 à 170) ......................................................................................................................................................................27 ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 171-172) ...........................................................................................................................27 ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 173 à 176)............................................................................................................29 C O M P L ÉM ENT S A U X L ECTU RES D ’ I M A GES ................................................................. 33 C O RP U S SU P P L ÉM EN TA I RE ................................................................................ 38 Une péroraison................................................................................................................................................................................................38 La représentation subjective des lieux ..........................................................................................................................................................39 B I B L I O GRA P H I E CO M P L ÉM ENT A I RE ....................................................................... 41 Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2005. 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15. www.hachette-education.com Le Dernier Jour d’un condamné – 3 AVANT-PROPOS Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Un roman comme Le Dernier Jour d’un condamné permettra d’étudier l’esthétique du roman à la 1re personne et un discours anticipant sur le monologue intérieur, l’un des traits dominants du roman au XXe siècle. Il permettra aussi, à travers six groupements de textes, de s’interroger sur les différents procédés propres à faire d’une œuvre engagée une œuvre militante. Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois : – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants : • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe, notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus. • En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend : – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion. Table des corpus – 4 TABLE DES CORPUS Corpus L’imaginaire du prisonnier (p. 48) Écrire un plaidoyer (p. 63) Le pittoresque social (p. 87) Misère et infamie (p. 120) Le statut de l’objet (p. 134) Retardements et anticipations dans le récit (p. 173) Composition du corpus Objet(s) d’étude et niveau Texte A : Chapitre I du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo (pp. 37-38). Texte B : « Le ciel est par-dessus le toit… », extrait de Sagesse de Paul Verlaine (pp. 48-49). Texte C : Extrait de la scène 7 de l’acte IV de L’Illusion comique de Pierre Corneille (pp.49-50). Texte D : Extrait de La Chartreuse de Parme de Stendhal (pp. 50-51). Document : Le Rêve du prisonnier de Moritz von Schwind (p. 52). Texte A : Chapitres VI et VII du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo (pp. 58-60). Texte B : Extrait de la préface de 1832 du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo (p. 26, l. 489, à p. 28, l. 523). Texte C : Extrait de Des colonies françaises : abolition immédiate de l’esclavage de Victor Schœlcher (pp. 63-65). Texte D : Extrait du discours à l’Assemblée nationale de Robert Badinter (pp. 65-67). Document : L’Abolition de l’esclavage. 27 avril 1848 de François-Auguste Biard (p. 67). Texte A : Extrait du chapitre XIII du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo (p. 82, l. 686, à p. 84, l. 755). Texte B : Lettre 615 de la Correspondance de Mme de Sévigné (pp. 87-88). Texte C : Extrait de Germinal d’Émile Zola (pp. 88-90). Document : Une corvée de bagnards (p. 90). Le biographique (Première) Texte A : Extrait du chapitre XXIII du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo (p. 113, l. 1337, à p. 115, l. 1403). Texte B : Extrait de Choses vues de Victor Hugo (pp. 120-121). Texte C : « La Grasse Matinée », poème extrait de Paroles de Jacques Prévert (pp. 122-124). Document : Lithographie n° 15 de la série Les Gens de justice d’Honoré Daumier (p. 124). Texte A : Chapitre XXVII du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo (pp. 129-130). Texte B : Extrait des Harmonies poétiques et religieuses d’Alphonse de Lamartine (pp. 134135). Texte C : « La Pipe », poème extrait des Fleurs du mal de Charles Baudelaire (pp. 135-136). Texte D : « La Valise », poème extrait de Pièces de Francis Ponge (p. 136). Document : Le Portrait de Magritte (p. 137). Texte A : Extrait du chapitre XLVIII du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo (p. 162, l. 2200, à p. 170, l. 2395). Texte B : Extrait du chapitre VII de Madame Bovary de Gustave Flaubert (pp. 173-174). Texte C : Extrait de L’Étranger d’Albert Camus (pp. 174-175). Le travail de l’écriture (Seconde) Les réécritures (Première) Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Question préliminaire De quels moyens use chacun des textes du corpus pour préciser le « moi » du héros ? Commentaire Vous direz ce que le poème révèle de la sensibilité du poète emprisonné. Démontrer, convaincre et persuader (Seconde) Question préliminaire À quels principes moraux se réfère l’argumentation dans les textes du corpus ? Commentaire Vous montrerez comment est contestée, dans cet extrait de la préface de 1832, la force dissuasive de la peine de mort. Le récit : genres et registres (Seconde) Question préliminaire Comment se manifeste l’imaginaire du narrateur dans les textes du corpus ? Commentaire Vous montrerez comment se justifient, dans la lettre, les mots de la fin « Voilà […] nos plus grandes aventures ». Question préliminaire À quelles situations sociales s’attachent les textes du corpus ? Commentaire Vous préciserez comment le poème s’associe à son titre en s’y opposant. La poésie : la singularité des textes (Première) Question préliminaire Comment sont mis en valeur les objets évoqués dans les textes du corpus ? Commentaire Vous détaillerez les différentes interprétations auxquelles invite ce poème. Le récit : fonctionnement d’un genre narratif (Seconde) Question préliminaire Quels sujets secondaires sont abordés grâce aux décalages temporels ? Commentaire Vous analyserez et préciserez la portée réaliste et critique de l’extrait. Le Dernier Jour d’un condamné – 5 RÉPONSES AUX QUESTIONS B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 1 7 8 ) Le texte a pour premier mot un en-tête (« Bicêtre ») qui précise le lieu où s’ancrent l’énoncé et l’énonciateur. L’ouverture du texte sur les mots « Condamné à mort » permet de trouver réponse à la question inaugurale de la lecture : « Qui parle ? » On apprend ainsi dans une immédiateté exceptionnelle la situation géographique et sociale du narrateur. " Le premier récit rétrospectif du narrateur se trouve dans le chapitre II. C’est le récit du dernier jour du procès en assises, « par une belle matinée d’août », où a été prononcé contre lui un verdict de peine capitale. # Le motif de sa condamnation est formulé, au chapitre II, par les mots « mon crime » et, au chapitre XI, avec ces faibles précisions : « moi, misérable, qui ai commis un véritable crime, qui ai versé du sang ». La suite du texte revient sur le crime rarement et de façon allusive, en n’en précisant aucune circonstance. $ Le dessin qui épouvante le condamné est mentionné au chapitre XI : « Je viens de voir crayonnée en blanc au coin du mur, une image épouvantable, la figure de cet échafaud qui, à l’heure qu’il est, se dresse peut-être pour moi. » % Le narrateur relie son séjour à l’infirmerie à une hallucination effrayante suscitée par « l’infernale cordialité » des bagnards fraîchement ferrés. Les ovations de ces « voix effrayantes », de ces têtes hideuses l’ont fait s’évanouir d’angoisse. & La chanson des rues, dont le chapitre XVI développe les couplets, révèle une histoire de crime de sang pour lequel le criminel demande en vain sa grâce. La douceur de la voix qui chante ces couplets charme le narrateur. Mais le texte argotique – ces « mots difformes » – crée en lui une blessure. ' Le premier indice du jour de son exécution est noté au chapitre XVIII, avec la mention des égards et des politesses du guichetier de garde. ( Le condamné est transféré à Paris, à la Conciergerie. Il y arrive quand « huit heures et demie sonnaient à l’horloge du Palais » (chap. XXII). ) Un « friauche » est un condamné à mort. Le narrateur rencontre le « friauche » qui doit être exécuté après lui, à la Conciergerie, dans « un petit cabinet attenant à celui du directeur » (chap. XXIII). *+ Cette rencontre est l’occasion pour le narrateur d’entendre le récit que lui fait de sa vie de paria le « friauche ». Ce récit constitue une page d’argot que Victor Hugo a annotée, afin d’indiquer au lecteur qu’après six semaines passées à Bicêtre le condamné comprenait désormais ce « langage hideux ». *, Le héros-narrateur donne au friauche sa redingote. Il s’estime toutefois volé, car ce don ne s’est fait qu’en évaluant les risques courus en cas de refus : « Si j’avais refusé, il m’aurait battu avec ses gros poings » (chap. XXIV). *- Le condamné est ensuite installé dans une cellule. Il est alors dix heures, soit six heures avant l’exécution. *. Dans cette cellule, on voit passer ou s’installer différentes personnes : deux gendarmes, un prêtre, un architecte, la fille du condamné et sa bonne. */ Entre une heure et quart et trois heures, le condamné médite sur sa douleur, reçoit un prêtre qui le laisse dormir, accueille sa fille, et, après son départ, se prépare à lui écrire son histoire. Il semble que la mention, sans suite, des mots « MON HISTOIRE » corresponde à un temps très proche de l’heure – trois heures – où l’on vient chercher le condamné pour les derniers préparatifs. *0 Le texte rattaché à ce court espace de temps est porteur de deux récits rétrospectifs : le rêve qu’il a fait pendant son court sommeil et la visite de sa fille. *1 Le chapitre XLVII, par sa structure lacunaire, maintient les énigmes qui entourent le condamné à propos de son identité et de son crime. *2 Les deux derniers chapitres sont écrits à l’Hôtel de Ville. *3 L’attente du condamné est celle d’une grâce de dernière minute. Attente vaine comme en témoignent les mots écrits en lettres capitales : « QUATRE HEURES », heure fatale de l’exécution, capitale elle aussi. ! Réponses aux questions – 6 C h a p i t r e s I e t I I ( p p . 3 7 à 4 5 ) ◆ Lecture analytique des chapitres (pp. 46-47) Les deux premiers chapitres précisent la situation d’énonciation à partir d’indices de lieu (Bicêtre, cachot) et d’indices de temps (« cinq semaines » après la « belle matinée d’août », jour de la condamnation) qui instaurent un commencement dans un cadre inquiétant et une temporalité tragique. Le discours à la 1re personne donne une exclusivité à la focalisation interne. " La situation du condamné est précisée par la répétition appuyée de l’expression « condamné à mort », formule d’ouverture, de clausule (l. 20) et de conclusion dans le chapitre I. # Le récit rétrospectif porté par le texte du chapitre II précise les informations données au chapitre I, mais laisse ignorer deux points essentiels dans l’attente du lecteur : l’identité du narrateur et les circonstances de son crime. $ La confidence que fait le condamné sur la vivacité de son esprit et de son imagination, dès le 3e paragraphe du chapitre I, rend crédible l’aisance de son style et la perspicacité de ses analyses. % Le lecteur, au terme du chapitre II, construit son attente à partir du très court épisode qui clôt ce chapitre et qui rapporte les propos d’une jeune fille égayée à la vue du condamné à mort : « Bon […] ce sera dans six semaines ! » & Les deux tons qui s’accordent aux tonalités d’un plaidoyer contre la peine de mort, dans ces deux premiers chapitres, s’associent en s’opposant. Le ton pathétique du chapitre I fait écho à l’émotion que cherche à susciter un plaidoyer attaché à humaniser le condamné à mort, voire à le « victimiser ». Le ton d’ironie satirique que prennent certains passages du récit du procès, au chapitre II, s’apparente, lui, au ton polémique d’un plaidoyer contre la peine de mort qui, à la façon de la préface de 1832, s’adresse à un public réticent ou indifférent, qu’il s’agit de gagner en ridiculisant la partie adverse. ' Les « fers », la « paille », « la dalle mouillée et suante » et la rusticité du vêtement (« trame grossière ») précisent et restituent une « horrible réalité » qui renvoie au cadre carcéral du XIXe siècle. ( Cet ancrage historique est prolongé et dans la présentation des deux sentences envisagées (les travaux forcés à perpétuité ou la mort), et dans l’évocation du cérémonial de la proclamation de la sentence (« la troupe porta les armes […] toute l’assemblée fut debout au même instant »). Les réactions du public cautionnent la justice et la dignité de la sentence que prescrivent les lois du droit criminel (1792-1810). Le récit du procès souligne la popularité de la peine de mort à l’époque où Hugo écrit Le Dernier Jour d’un condamné : le jugement est la première publicité faite à l’exécution publique qui doit avoir lieu six semaines après. ) Le personnage évoque, à travers les deux premiers chapitres, des effets de beauté nombreux et variés. La mémoire lui restaure une suite de « fantaisies » esthétiques qui peuvent toutes se rattacher à un idéal romantique : jeunes filles, beautés religieuses, beautés historiques, beautés du théâtre, beautés de la nature. Mais la « fête » du jeune homme libre semble pouvoir se prolonger jusque dans le cachot d’un palais de justice, avec un hommage au soleil, et même jusque dans le tribunal où, en une totale communion avec « une jolie plante jaune », « il [lui] fut impossible de penser à autre chose qu’à la liberté ». Cette communion avec des éléments naturels en des circonstances si difficiles confirme les traits romantiques du personnage. *+ Le personnage exprime une sensibilité au présent également très intense car visionnaire. L’« horrible réalité » le fait halluciner et percevoir sur tout ce qui la constitue les termes écrits de la sentence fatale. *, Le lecteur, en accédant à la sensibilité du narrateur, accède aussi à la combativité de son éloquence. Celui-ci ménage en effet les oppositions les plus propres à rendre son sort pathétique et à le poser, lui, en victime. C’est, au chapitre I, l’opposition entre un « autrefois » idéalisé et un « maintenant » avilissant. C’est aussi, dans ce même chapitre, l’image pathétique de l’esprit traqué opposant les dérobades de sa pensée à l’acharnement fantastique et monstrueux (« refrain horrible », « griffes hideuses ») d’une vérité incontournable. Dans le chapitre II, les effets de l’éloquence rédemptrice du condamné tiennent à la singularité dans laquelle il se peint. Son innocence et donc son image de victime se construisent à travers la distance qu’il prend avec les réalités et les enjeux de son procès. Il n’est jamais dans le rôle du condamné qui essaie de sauver sa tête. On oublie ainsi de voir en lui un justiciable devant rendre compte de sa violence criminelle. Il est l’acteur d’une scène odieuse qui sait ! Le Dernier Jour d’un condamné – 7 prendre de la hauteur pour saisir le beau, pourfendre le ridicule et conjurer le pire pour lui, à savoir l’indignité des travaux forcés à perpétuité. *- La présentation idéalisée de la vie du condamné avant sa condamnation rassemble une suite d’images poétiques qui révèlent une âme littéraire. Les « jeunes filles » et les « promenades la nuit sous les larges bras des marronniers » renvoient aux évocations de la poésie lyrique ; les « splendides chapes d’évêques » et les « batailles gagnées » associent la pensée aux grandeurs de l’épopée. Ces images placent les souvenirs du condamné sur « la route du vrai et du beau » que s’est fixé de suivre Hugo dans la préface de 1826 de ses Odes et Ballades. Quant au retour sur les « théâtres pleins de bruit et de lumières », il inscrit la jeunesse du condamné dans l’atmosphère homérique du drame romantique, combat inauguré en 1827 par Hugo avec la préface de Cromwell. *. Ces images qui participent à la « fête » de l’imagination au temps de la liberté semblent relayées, au moment du procès, par les réalités qui fascinent alors le condamné : le « ciel », « le soleil », le rire des « marchandes de fleurs » et « une jolie petite plante jaune ». Mais ces réalités ne prolongent le symbole de fête qu’avant la sentence de mort. Une fois le verdict connu, les réalités du jour qui avaient prophétisé la délivrance s’inversent symboliquement pour le condamné dans une image de « pâleur » : celle du « linceul ». ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 48 à 54) Examen des textes ! Le champ lexical de la prison et de la justice circule avec force dans les textes A et C, mais reste anodin dans le texte D et tout à fait absent du texte B. " Le registre correspond à la nature particulière de l’émotion que le texte vise à communiquer, indépendamment du « genre » dans lequel il s’inscrit. Les textes A et D, textes romanesques, ont chacun un registre très différent, voire opposé : registre lyrique et pathétique pour le texte A ; registre réaliste et ironique pour le texte D. Le registre du texte A, en revanche, se retrouve dans le poème de Verlaine (texte B) et dans le monologue de Clindor (texte C). Quant au tableau de Moritz von Schwind, il est traversé, peut-on dire, des différents registres qui caractérisent les textes du corpus : le pathétique et le réalisme de l’enfermement, le lyrisme de la solitude, l’ironie légère du rêve et de ses représentations. # Dans chacun des textes du corpus, le thème de l’enfermement s’enrichit de thèmes en opposition ou en complète harmonie. Les textes A et B construisent une opposition thématique à l’enfermement avec une « évasion » douloureuse vers le passé, la jeunesse. Le texte C confronte les angoisses de la prison, lieu de mort, à la pérennité de l’amour. Le texte D traite de façon légère le thème de l’enfermement en l’associant à celui de la beauté du paysage et en résumant cette dualité inattendue dans l’oxymore « les douceurs de la prison ». $ Le Rêve du prisonnier mêle l’image de la lumière et celle de gnomes acteurs des gestes de l’évasion (se mettre debout, grimper au mur et scier les barreaux de la fenêtre). % Dans les extraits C et D, le lecteur découvre deux personnages d’amoureux très différents mais capables de donner à leur cœur amoureux une force magique pour transformer le réel. Clindor peut échapper au désespoir des angoisses d’un condamné à mort en invoquant celle qu’il aime et en puisant dans ce dialogue imaginaire une vision qui restaure sinon sa liberté, du moins sa force d’âme face à l’adversité de son sort (« Garde mon souvenir, et je croirai revivre »). Fabrice fait de sa prison un éden amoureux. Le narrateur suggère la transfiguration qu’opère l’amour sur le statut de prisonnier de son héros en s’attachant à préciser ce vers quoi se portent ses « yeux ». La transfiguration du réel s’opère par la sélection du regard de Fabrice qui ne contemple et ne voit que ce qui est beau dans ce qui l’entoure. En fait, le narrateur lui fait regarder le paysage comme peut le contempler Clélia Conti. Fabrice, par « ce spectacle sublime », croit entrer en communion avec la jeune fille. La transcription en style semi-direct de sa réflexion sur « l’âme pensive et sérieuse » de la jeune fille « qui doit jouir de cette vue plus qu’une autre » rend évident que « l’horizon » qui « parlait à son âme » se confond avec Clélia. Réponses aux questions – 8 Travaux d’écriture Question préliminaire Le discours à la 1re personne, présent à des degrés différents dans chacun des textes du corpus, établit un processus d’identification de la singularité du héros assuré par le contexte narratif. Le « je » de Fabrice, dans l’extrait de La Chartreuse de Parme, s’exprime sur le mode semi-direct, puis sur le mode direct, et vient confirmer a posteriori (« C’est donc dans ce monde ravissant ») ou a priori (« […] Est-ce là ce que j’ai tant redouté ? […] notre héros se laissait charmer par les douceurs de la prison ») ce que met en place le récit du narrateur omniscient pour présenter l’originalité paradoxale d’un prisonnier heureux. Le « je » verlainien s’exprime dans une fiction narrative dont use souvent le monologue pour prendre l’apparence d’un dialogue. Ce dédoublement du « moi » et le ton du reproche qui s’y rattache singularisent le « moi » lyrique dans un état d’âme douloureux : celui du remords. Le monologue de Clindor, par un contexte dramatique rassurant, a pour fonction essentielle d’identifier l’amoureux en un temps où celle pour qui il a tué est sur le point de tout abandonner pour participer à sa délivrance. Pour le spectateur et le lecteur, ce monologue contribue à idéaliser le héros et la situation. Le condamné à mort de Victor Hugo, quant à lui, s’identifie dans un processus de discours à la 1re personne qui peut paraître étrange : un monologue intérieur où se déploie une pensée qui se fixe sur une « horrible réalité » mais aussi sur une échelle du temps qui parcourt un avant « rose » et un après « noir ». L’identification du héros se fait à partir de bribes de pensées, de tranches de retours en arrière et de particularités de langage. Le corpus met en évidence que le discours à la 1re personne ne rend pas forcément plus accessible l’identification du héros. Ce mode d’énonciation intensifie la présence du locuteur, mais ne lève pas son opacité, sinon grâce au relais d’un contexte connu ou d’un narrateur omniscient. Commentaire Introduction « Le ciel est par-dessus le toit… », poème inscrit dans le recueil Sagesse, suggère l’itinéraire intérieur de Verlaine pour avancer du drame de la prison à la réconciliation avec un quotidien de sérénité et de plénitude. Le poème met en lumière une contemplation qui, en s’articulant avec un retour sur soi douloureux, anticipe sur une conversion. 1. Une double contemplation A. La contemplation du monde extérieur : douce, musicale, originale • Diversité de la perception : lumière, mouvements, bruits. • Douceur de la perception : champ lexical et isotopie du calme. • Musicalité des leitmotive, des rejets, des allitérations en « s », des assonances en nasales (« un », « on », « in », « an ») ou en « oi ». • Localisation inattendue de l’objet de la perception : la rumeur de la ville. B. La contemplation du « moi » par l’intériorisation des perceptions • Un « moi » antithétique avec la perception des douceurs de la rumeur de la ville : « pleurant sans cesse ». • Un « moi » évoqué en discordance rythmique avec la musicalité précédente : allitérations en « qu », leitmotiv d’une apostrophe (« toi que voilà »). • Un « moi » mis à distance, rejeté à travers la fiction d’une interpellation réprobatrice où le « moi » devient « tu ». 2. Un douloureux retour sur soi A. La poétique de la souffrance : le mode élégiaque • Expression d’une peine associée à la nature omniprésente et idéalisée. • L’art de la suggestion : le flou élégiaque. Verlaine fait, dans Mes Prisons (1893), un compte rendu réaliste du spectacle et des rumeurs de Bruxelles auxquels il pouvait accéder « par-dessus le mur de devant [sa] fenêtre ». Le poème « Le ciel est par-dessus le toit… » embellit ce témoignage en prose et transcrit les « rumeurs de fête [de] la ville la plus bonhommement rieuse et rigoleuse [Bruxelles] » en « paisible rumeur [qui] vient de la ville ». Le Dernier Jour d’un condamné – 9 • Poème lié à un destinataire : le destinataire est ici le « tu », le poète coupable face au poète souffrant et repentant. B. La formulation du remords : solennité et vigueur • Une apostrophe de la conscience : anaphore de « toi que voilà ». • Une admonestation en symétrie avec cette apostrophe : anaphore de « qu’as-tu fait ». C. Le constat de l’échec • La nostalgie de l’innocence : mise en valeur de la « jeunesse », le mot de la fin. • L’association à la rime du présent (« pleurant sans cesse ») et du passé (« jeunesse ») induit un lien de cause à effet et soumet le présent à l’épreuve du temps. • Le caractère innommable de la localisation présente : rien n’indique qu’il s’agit d’une prison ou d’une cellule (« le toit », « toi que voilà »). 3. Une ébauche de conversion A. La double invocation de Dieu • Pour le constat de ce qui est apaisement. • Pour le constat d’une sorte de prodige : la « paisible rumeur […] vient de la ville ». B. Impressionnisme religieux du tableau suggéré par le poème • Un décor idyllique surgit des perceptions du poète. • De ce décor le poète « pécheur » ne se sent pas exclu : anaphore de « on voit » ; la « plainte » de l’oiseau fait écho à ses pleurs. • La douceur du décor et la vigueur de la protestation de la conscience laissent envisager sinon une reconquête du temps, du moins une recherche de cette vie « simple et tranquille » que donnent en modèle au poète ses perceptions et ses sensations. Conclusion Ce poème est révélateur des évolutions morales de Verlaine, mais aussi de la proximité de son inspiration avec les effets de flou et la légèreté de touche des peintres impressionnistes. Dissertation Introduction Il est important pour le destin littéraire d’un personnage de fiction que s’établisse très vite, pour le lecteur, le sentiment d’une proximité proche de l’intimité. C’est à cette fin qu’il convient de s’intéresser à ce qu’observe Vincent Jouve pour qui, « outre l’amour, deux thèmes renvoient plus que tout autre à l’intimité du personnage : l’enfance (en tant que genèse) et le rêve (qui ouvre sur l’inconscient) ». Il propose ainsi de s’interroger sur l’apport de ces thèmes quant à la transparence du héros et à considérer leur portée quant au statut de ce héros et à celui du lecteur. 1. Efficacité de ces thèmes pour la transparence du héros A. Valeur intimiste de l’amour (Fabrice, Clindor) B. Valeur explicative de l’enfance : on saisit un sujet dans sa durée (les fictions autobiographiques) C. Force communicative du rêve (le condamné à mort de Hugo, Clindor, Verlaine) 2. La transparence du héros portée par ces thèmes conditionne son statut A. Un personnage construit par la confidence : roman d’analyse, drame psychologique, poésie lyrique B. Un personnage enrichi des traits de l’enfance et de la jeunesse : roman d’éducation, roman d’analyse C. Un personnage de dimension historique, à découvrir dans la globalité de son existence : roman historique, drame historique, poésie épique 3. Cette transparence conditionne aussi le statut du lecteur A. Le lecteur instauré en ami ou confident B. Le lecteur instauré en frère ou parent C. Le lecteur instauré en admirateur Réponses aux questions – 10 Conclusion Les thèmes que privilégie Vincent Jouve non seulement aident le lecteur à avoir la clé du personnage, mais conditionnent aussi les ressorts de la sympathie en créant l’illusion d’un rapport authentique. Écriture d’invention Le thème des « douceurs de la prison » peut être la réécriture, inversée quant au fond, du chapitre I du Dernier Jour d’un condamné, à partir de « Maintenant je suis captif ». La pensée infernale devient pensée amoureuse. Le refrain horrible se transforme en musique douce (apport du paratexte présentant le texte D). Le cri final « Condamné à mort ! » peut être remplacé par « Prisonnier de Clélia ! » ou « Prisonnier de l’amour ! ». C h a p i t r e s V I e t V I I ( p p . 5 8 à 6 0 ) ◆ Lecture analytique des chapitres (pp. 61-62) Le champ lexical de l’écriture se déploie dans les aspects matériels, intellectuels et génériques de l’écrit. Aspects matériels : « écrire », « plume », « encrier », « feuilles ». Aspects intellectuels et génériques faisant allusion au contenu de l’écrit : « être écrit », « matière », « ce que j’écrirai », « le journal de mes souffrances », « cette histoire », « procès-verbal », « ces mémoires ». " La parole est au cœur de la réflexion que donnent les chapitres VI et VII sur l’écriture du condamné. Le double questionnement « est-ce que je puis avoir quelque chose à dire, moi […] ? » / « Et que trouverai-je dans ce cerveau flétri et vide qui vaille la peine d’être écrit ? » établit l’ambiguïté entre le dire et l’écrire. Cette ambiguïté se retrouve dans la suite (« me dire à moi-même tout ce que j’éprouve », « la matière est riche […] de quoi user cette plume et tarir cet encrier »). L’expression « ces mémoires, derniers confidents d’un misérable » évoque aussi, par le mot « confidents », une relation tant orale qu’écrite à travers l’acte d’écriture. # Le futur prend une importance particulière dans le chapitre VI. Il transcrit une projection dans l’avenir qu’ont suscitée l’autorisation et les moyens donnés au condamné d’écrire dans sa cellule. C’est ce passé proche (« Je me suis dit ») qui est le premier fondement des futurs où le condamné se projette pour évaluer la portée de ses écrits. Le chapitre VII restaure le présent de la situation d’énonciation et opère deux projections temporelles : l’une vers le passé récent qui a mis en place l’éventualité d’un avenir pour ses écrits ; l’autre vers un futur qui ne veut s’arrêter que sur son destin de condamné. $ L’expression « autopsie intellectuelle d’un condamné » pourrait servir de titre et indiquer par image la forme du journal intime (« autopsie intellectuelle ») et par le mot propre son sujet (« condamné »). % Du chapitre VI au chapitre VII on voit évoluer la figure du « moi ». Elle est encore, au chapitre VI, socialisée : le condamné s’entoure d’une réflexion qui, sans le mauvais hasard du vent, peut le rendre utile à l’humanité et faire de lui un promoteur de justice plus humaine. Le chapitre VII, en revanche, exprime une réflexion solipsiste où le « moi » se désolidarise des autres. & Gradation amplificatrice : « ce que j’écrirai », « journal de mes souffrances », « histoire […] inachevée », « procès-verbal de la pensée agonisante », « autopsie intellectuelle d’un condamné », « ces feuilles […] publiées », « ces mémoires ». ' La situation d’énonciation et le statut du texte évoluent au fil des deux chapitres parallèlement à des changements de destinataires. Au chapitre VI, le locuteur rapporte un discours qu’il s’est adressé à luimême : « Je me suis dit ». Au chapitre VII, le locuteur inscrit son propos dans un dialogue fictif où l’on peut distinguer deux destinataires successifs : un « vous » qui est le lecteur éventuel et « Dieu » (« ô Dieu »), destinataire invoqué en fin de propos. ( Le questionnement inscrit dans chacun de ces deux chapitres prend et garde une forme oratoire car il porte ses réponses. Cette forme est également conditionnée par la récurrence des démonstratifs (« cette heure », « cette plume », « cet encrier », « ce journal », « cette histoire », « ce procès-verbal », « cette progression », « cette espèce d’autopsie », « cette lecture », « cette lente succession de tortures », « cette idée poignante », « ces feuilles », « ces mémoires », « ces morceaux de papier ») qui actualisent le discours et lui apportent la vigueur et l’insistance de l’oral. La tournure oratoire des questions et les phrases ! Le Dernier Jour d’un condamné – 11 exclamatives constituent une suite de discours où s’exprime avec force la conviction d’un malheur personnel exemplaire. ) À l’intérieur du chapitre VI, le condamné développe l’idée que sa souffrance morale transcrite sur le papier peut, par son exemplarité d’horreur et de pitié, détromper les consciences et les faire avancer vers plus de justice et des lois meilleures pour punir les coupables. Dans ce rapport de cause à effet entre son journal intime et un progrès de la justice, le condamné ébauche une démarche abolitionniste. Mais il annule cette portée possible de ses écrits en envisageant, à la fin de ce chapitre VI, leur destruction fortuite, au gré du vent ou d’une vitre cassée. *+ Avec la force des questions oratoires et des phrases exclamatives du chapitre VII, le point de vue argumentatif du chapitre VI se trouve inversé, bien qu’il se présente là plus clairement comme un point de vue abolitionniste (« jeter bas l’échafaud, après que j’y aurai monté ! »). Le condamné exprime, dans ce chapitre, son désintérêt pour le progrès judiciaire après lui, et il appelle « folies » l’attention qu’il y a portée. C’est là un retour sur soi pour ne penser qu’à soi. *, Le lexique qui ancre le texte dans la situation d’énonciation se rapporte aux lieux de l’écriture : « ici », « cachot » (chap. VII). Ces lieux sont évoqués aussi au début du chapitre VI. On peut relever là un certain nombre de termes qui font allusion à l’univers de la prison : « quatre murailles de pierre nue », « judas », « préau », « guichetier ». La référence à la situation présente du locuteur s’exprime aussi dans des termes qui se rapportent à la cause de son incarcération : « seul à seul avec une idée, une idée de crime et de châtiment, de meurtre et de mort ». Deux aspects du texte mettent à distance les éléments de cette situation : une rêverie humanitaire et une rêverie protestataire. Au chapitre VI, on a un jeu de pensée par lequel le locuteur rêve à un futur post mortem où ses écrits pourraient apaiser l’implacabilité des jugements. Au chapitre VII, toujours par rapport à cet après de l’exécution, le jeu de pensée prend un tour protestataire pour exprimer la révolte devant une mort qui frustre des beautés de l’existence. *- Le texte de ces deux chapitres met en cause « ceux qui condamnent », « le juge prêt à juger », et prend position contre l’échafaud et la peine de mort. *. On retrouve dans ces chapitres le style polémique de ce qui pourrait être une préface contre la peine de mort. Le recours aux questions oratoires instaure la fiction d’un dialogue, procédé que retiennent de nombreuses préfaces. La vivacité du ton est soutenue par des procédés d’insistance, telles la répétition des mots clés du discours (« tête », « angoisses », « souffrances », « douleur », « intelligence ») et leur enflure hyperbolique (« terreurs », « tortures », « pensée agonisante », « horrible idée à se briser la tête au mur »). L’intensité de ce lexique force l’émotion du lecteur. On semble aussi retrouver la virulence d’une préface polémique avec les procédés d’ironie qui servent à évoquer en la contestant l’institution judiciaire. Ce sont des périphrases péjoratives qui suggèrent la pratique des tribunaux d’assises : « main […] légère », « jeter une tête […] dans ce qu’ils appellent la balance de la justice », « ils ne voient que la chute verticale d’un couteau triangulaire ». */ Ces chapitres engagent à prendre parti dans une vision simplificatrice et manichéenne des protagonistes. On se trouve en présence d’une victime (le condamné) et d’un tortionnaire au pluriel (« ceux qui condamnent »). *0 Le chapitre VII donne les mots de ce que pourrait être l’enjeu d’une préface abolitionniste : « jeter bas l’échafaud ». ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 63 à 69) Examen des textes ! Les textes A, B et D contestent et combattent la peine de mort. Le texte C conteste et combat l’esclavage des Noirs dans les colonies françaises. " Le ton des textes varie selon l’éloignement ou la virtualité du destinataire. C’est ainsi que le ton le plus serein, le plus assuré de sa force convaincante est celui du texte D : Robert Badinter sait qu’il a une majorité pour lui dans l’auditoire auquel il s’adresse, que son combat va être gagné car il est celui « de la raison et de l’humanité », références honorées dans le moment et le lieu où il parle. Le texte C garde aussi la force d’un ton serein, car la thèse de l’abolition de l’esclavage est soutenue avec des Réponses aux questions – 12 arguments économiques très propres à convaincre le destinataire, les gens de pouvoir qui ont pour premier critère d’action le profit. Le ton de Hugo dans la préface de 1832 (texte B) garde une combativité polémique, car le destinataire virtuel ne peut se concevoir que pareil à tous les tenants d’un ordre social préservé par une justice sévère et exemplaire. Ce ton est celui de l’orateur qui veut surprendre et déstabiliser pour convaincre, car il sait qu’il court le risque de prêcher dans le désert. Le ton entretenu dans la fiction du texte A joue sur le pathétique d’une souffrance morale atroce associée à un sentiment d’impuissance. Derrière ce vain et tragique propos que fait découvrir le texte, il faut bien sûr restituer l’intention abolitionniste de Hugo qui essaie d’émouvoir son lecteur, destinataire virtuel, en lui donnant à imaginer par compassion les angoisses de la décapitation. # L’effet oratoire dominant dans le texte A est le recours aux questions oratoires et aux tournures exclamatives. Cet effet s’adresse à la sensibilité du lecteur, au pathos. Le texte B use d’un effet oratoire ironique : la fausse supplique, avec le jeu insistant de deux anaphores (« Rendez-nous », « Voilà ») ouvrant deux séries de phrases indépendantes articulées par l’antiphrase « À la bonne heure ! ». Là encore le discours tend à éveiller des émotions. Le texte C privilégie des effets oratoires pour se concilier la bienveillance des destinataires (ethos). Ce sont d’abord des effets de style : énumérations éloquentes et rythme ternaire. Mais l’effet oratoire le plus fort et qui s’adresse à l’imagination des destinataires est la présentation de la société postesclavagiste, dans une prophétie au présent (« Les nègres sont heureux […] la grande œuvre prospère »). Le texte D privilégie surtout le logos, le souci de prouver la vérité de ce que l’on affirme. Mais la conclusion du discours restaure un pathos hugolien en jetant l’anathème contre la « justice d’élimination » et en avançant un « nous » qui, comme celui de la préface de Hugo, exprime le « moi » du locuteur. $ Victor Schœlcher avance des arguments économiques porteurs de paix sociale et de prospérité (« réhabiliter la terre », « la régénération des îles ») pour présenter les conséquences de l’abolition de l’esclavage comme un âge d’or pour les colonies françaises. Il montre que la situation présente, où l’on temporise pour instaurer l’émancipation des Noirs, favorise un attentisme qui crée un déplorable marasme économique et social. Abolir l’esclavage, c’est, selon Schœlcher, lever les incertitudes morales et matérielles qui paralysent l’activité agricole et économique des colonies. % Le tableau de François-Auguste Biard rassemble tous les acteurs de l’esclavagisme colonial et les fait se réjouir ensemble de l’abolition de l’esclavage. Comme le texte de Schœlcher, le tableau met en scène l’unanimité autour des Noirs libérés ; les Blancs abolitionnistes et les créoles, paisibles et sereins, participent à une sorte de fête de la fraternité, présidée par un officiel. La spécificité française de la scène est marquée par l’écharpe tricolore de ce personnage et par le drapeau français qui flotte derrière lui. Le tableau pourrait avoir pour légende cette phrase de Schœlcher : « Les nègres sont heureux, il ne leur reste aucun sujet valable de plainte, leurs maîtres sortent du provisoire, les voilà enfin fixés, ils peuvent bâtir sur un terrain solide. » Travaux d’écriture Question préliminaire Chacun des textes du corpus privilégie le type d’arguments le mieux adapté à la fonction oratoire qui y prévaut. Au pathos du texte A correspond une dominante d’arguments moraux : l’angoisse morale d’un condamné à la décapitation est atroce. La torture mentale du condamné argumente en faveur de la pitié et de la compassion qui devraient faire évoluer la conscience des juges, voire les lois. La force polémique et ironique du texte B développe pour commencer une réfutation de l’exemplarité de la peine capitale par un argument d’autorité (« Nous nions […] partant toute vertu »), puis par l’exemple (« 5 mars […] À Saint-Pol »). C’est la partie du texte où la fonction oratoire du raisonnement (logos) prévaut et s’attache à apporter une preuve récente et éloquente pour interpréter cette exemplarité comme une contrevérité politique et sociale : la peine de mort, selon Hugo, pervertit le peuple. La seconde partie de ce texte présente un entrecroisement d’arguments politiques et d’arguments moraux. Le faux appel aux pires violences du passé impose implicitement l’idée que la peine de mort est un anachronisme social et politique. Mais ce faux appel contribue aussi à instaurer et nourrir une pitié rétrospective susceptible d’agir dans le présent pour l’abolition de la peine de mort. Le pathos joue là sur l’efficacité de l’horreur pour susciter la pitié. Le texte C déploie une persuasion qui flatte l’idée qu’il défend et peut rassurer ses adversaires (ethos). Les arguments consistent en un énoncé de tous les avantages en matière de sécurité et de prospérité que peut apporter la résolution immédiate Le Dernier Jour d’un condamné – 13 d’abolir l’esclavage dans les colonies françaises. Cet inventaire s’apparente à un discours politique rassembleur. Le discours de Robert Badinter (texte D) souligne que la question de la peine de mort impose des choix ou politiques ou moraux. Les arguments suivent ce distinguo. On découvre d’abord l’argument de la raison politique (logos) : la peine de mort n’est pas dissuasive. C’est ensuite un choix moral qu’encadre le discours, en présentant l’adhésion au maintien de la peine de mort comme une régression morale, une volonté de retour à une loi primitive, la loi du talion. Pour soutenir le refus d’une telle loi, Robert Badinter recourt à l’évocation bienveillante (ethos) du « progrès historique de la justice » et de la société française, « grande et respectée entre toutes », arguments à la fois politiques et moraux. L’engagement plus direct et plus personnel (pathos) porté par le dernier paragraphe oppose deux arguments moraux : celui « de la passion et de la peur » et celui « de la raison et de l’humanité ». En soutenant le choix « de la raison et de l’humanité », Robert Badinter associe la loi de 1981 à la double finalité du combat abolitionniste : le progrès politique et le progrès moral. Commentaire Introduction L’extrait de la préface de 1832 où Victor Hugo réfute l’exemplarité de la peine de mort rend compte de son attachement politique et moral à la cause de l’abolition. La préface devient ici tribune parlementaire et s’enrichit d’une éloquence dont la stratégie et la vigueur peuvent se rapporter aux grands discours prononcés devant des assemblées parlementaires. L’énonciation crée une situation polémique ; l’organisation du discours affaiblit les positions combattues ; la virulence du propos sert l’argumentation. 1. Une énonciation de discours public et polémique • Le locuteur s’exprime à la 1re personne du pluriel. • Son adversaire est interpellé dans des interjections et des impératifs. • Discours en réponse à un autre discours : dialogisme. • Formules d’opposition au discours de l’adversaire. 2. Une structure de réfutation • Point de départ du raisonnement : les arguments de l’adversaire. • Réfutation point par point. • Contre-proposition : « soyez vraiment formidables ». 3. Une virulence assurée • Recours aux arguments d’autorité. • Un seul exemple pour preuve. • Ironie d’une feinte adhésion aux thèses de l’adversaire, pour le prendre au mot (« épouvanter ») et le ridiculiser. • Évocation sanguinaire des actes de justice dans un raccourci contemporain et historique saisissant : le présent (« 5 mars […] autour de l’échafaud encore fumant ») et le passé (« la variété des supplices »). Conclusion Cet extrait de la préface du Dernier Jour d’un condamné souligne la portée que peut donner un auteur à ce genre d’écrit. Victor Hugo se place là à la limite d’un outrage à magistrat. Il privilégie en effet dans ce passage moins ses arguments abolitionnistes que le portrait d’une justice en échec malgré ses mains sanglantes. La réfutation de l’exemplarité de la peine de mort se fait avant tout par le raccourci historique qui, en énumérant des châtiments horribles inscrits dans la nuit des temps, rend évident ce que dira en 1981 Robert Badinter : « L’évocation de la peine, qu’elle soit de mort ou qu’elle soit perpétuelle, ne trouve pas sa place chez l’homme qui tue. » Dissertation Introduction L’art engagé dans la défense des causes généreuses, appelées aussi « grandes causes », trouve le plus souvent ses références dans la fin du XIXe siècle et dans le XXe siècle. Il est cependant évident que l’engagement de l’artiste et de son œuvre dans des enjeux moraux ou politiques essentiels pour tous remonte à un passé beaucoup plus lointain. Depuis la Renaissance, avec l’humanisme, des liens étroits Réponses aux questions – 14 se sont tissés entre l’éthique et l’esthétique. Pour repérer les œuvres d’art les plus adaptées à rendre cette alliance efficace, il faut d’abord analyser les conditions qui ont placé certains artistes sur un piédestal de prophètes du Bien. Ces conditions impliquent une époque avec ses valeurs et ses drames, un artiste avec sa notoriété, et un art avec sa force médiatique et son pouvoir de vulgarisation. 1. Les temps de drame et de rupture mobilisent les artistes A. Aux grands désordres ou difficultés qu’a connus la France sont attachés des œuvres et des noms d’artistes qui ont pris en leur temps le parti des victimes • Les guerres de Religion : Ronsard, Agrippa d’Aubigné, Montaigne. • Les famines et la précarité des paysans ont fait réagir La Bruyère. • Les massacres de la Révolution ont fait éclore des œuvres protestataires : André Chénier dénonce les fureurs jacobines. • La guerre civile espagnole a suscité un large engagement des œuvres et des artistes : Picasso, Malraux. • L’effort pour libérer la France occupée en 1943-1944 a été accompagné par des œuvres poétiques particulièrement mobilisatrices : celles d’Aragon et d’Eluard, notamment. B. Dans les grands bouleversements liés à l’évolution des mœurs et des techniques, les artistes ont souvent accompagné les progrès attendus par ceux qu’opprimait le poids du passé • Les philosophes des Lumières ont été les prophètes des progrès de la liberté et des droits de l’homme. • L’esclavage va rester un thème mobilisateur des arts pendant plus de 100 ans, à partir de la dénonciation de Montesquieu. • L’abolition de la peine de mort demeure une revendication impérative des milieux littéraires jusqu’en 1981. 2. La notoriété des artistes renforce la portée combative et médiatique de leur engagement A. Les grandes et généreuses causes auxquelles s’intéressent les grands noms de l’art profitent de leur notoriété Zola et J’accuse, Picasso et Guernica, Camus et Réflexions sur la peine capitale… B. Hugo est plus célèbre en 1832 qu’en 1829. La préface donne une dynamique nouvelle au Dernier Jour d’un condamné pour défendre le combat contre la peine de mort • Avant 1832, on pastiche Le Dernier Jour d’un condamné. • Après 1832, Hugo est encouragé dans son combat et publie, en 1834, Claude Gueux. 3. La lisibilité des œuvres engagées vers le soutien des grandes causes est un autre facteur de soutien de l’art à l’éthique A. Les écrivains et les peintres ont un avantage de lisibilité par rapport aux autres artistes • La littérature et tout écrit qui se publie ont un indéniable avantage de vulgarisation. • La peinture et, en annexe, l’image photographique ou filmée peuvent de plus en plus jouer le rôle d’éveilleur de conscience et sortir du cercle étroit des galeries ou musées. • La toile de Biard, exposée à l’Élysée pour le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage, a eu, à cette occasion, sa plus prestigieuse diffusion d’œuvre engagée. • Les textes de chansons ont une lisibilité facilitée par le rythme musical. B. Les arts qui restent trop abstraits pour assumer le soutien des grandes causes les servent tout de même quand la notoriété des artistes fait entrer ceux-ci dans le cercle des élites que l’on consulte et questionne sur tous les grands sujets du moment. Schœlcher a bénéficié de ce statut pour être le promoteur de la loi d’abolition de l’esclavage. Conclusion L’efficacité du soutien des artistes à des causes généreuses dépend du contexte, de la notoriété de l’artiste mais aussi de son art. C’est le texte et l’image qui servent le mieux le militantisme de l’art et peuvent opérer une médiation heureuse pour des causes généreuses. Écriture d’invention Il s’agit d’entrecroiser des arguments en faveur de la peine de mort (A) avec ceux qui les réfutent (B). A. La peine de mort est une utile dissuasion pour faire obstacle au crime. B. La réalité des statistiques criminelles dit le contraire. La passion criminelle ne tient compte d’aucun interdit. Le Dernier Jour d’un condamné – 15 A. Par respect pour les victimes, il faut exécuter les criminels. La loi du talion l’avait compris. B. Dans les sociétés avancées, l’intérêt général prime sur l’intérêt particulier. A. La peine de mort a pour elle les traditions de justice les plus anciennes. L’on a beaucoup aménagé la loi du talion à la modernité des sociétés avancées : on exécute aujourd’hui « en douceur » les condamnés. B. La loi du talion a pour elle aussi un palmarès d’erreurs judiciaires scandaleuses. A. On a maintenant les techniques (ADN) qu’il faut pour éviter les erreurs judiciaires. B. On a aussi les techniques culturelles et médico-sociales qu’il faut pour faire reculer la criminalité. Elles font leur preuve dans tous les pays qui les appliquent et les développent. « Moins de crimes ! » est un slogan plus civilisé qu’« Un criminel en moins ! ». C h a p i t r e X I I I ( p p . 7 6 à 8 4 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 85-86) Le champ lexical du ferrage rassemble le lexique des pièces et outils et celui des procédés : « on leur essaya les colliers », « forgerons », « enclumes portatives », « rivèrent à froid, à grands coups de masses de fer », « coup de marteau assené sur l’enclume ». " Les métiers : « médecins », « geôliers », « forgerons » ; les outils : « enclumes portatives », « marteaux », désignés aussi par l’expression « masses de fer ». # L’extrait rapporte la phase finale du ferrage. Cette phase se décompose en deux moments distincts : l’essayage des colliers puis la fixation. L’essayage est moins décrit que la fixation à grands coups de « masses de fer ». $ Les forçats, tels que les observe le narrateur, ont, face à la violence qui leur est faite, si endurcis soient-ils, les réactions que l’on attend chez des êtres confrontés à une impensable terreur. Ils expriment une souffrance de victimes impuissantes, dominées, effarées, silencieuses, presque comme des enfants martyrisés (« sombres », « On n’entendait plus que le grelottement des chaînes », « par intervalles un cri », « Il y en eut qui pleurèrent », « les vieux frissonnaient et se mordaient les lèvres »). % Le ferrage, qualifié par le narrateur de « spectacle » en « trois actes », est immédiatement suivi d’un autre « spectacle étrange », la ronde des bagnards, « ronde immense autour de la branche et de la lanterne ». & La terreur du narrateur est nourrie par le regard qu’il porte sur « ces profils sinistres dans leurs cadres de fer ». Ce qu’il interprète comme « une image du sabbat », c’est l’atroce symphonie des bruits accompagnant la ronde des forçats. Le déchaînement d’hilarité, de fureur, de plaintes accompagnant leur « romance d’argot » est en effet accompagné par « les chaînes qui s’entrechoquaient en cadence ». Les yeux et les oreilles de ce témoin qu’est le narrateur sont ainsi soumis à la perception de l’horreur. ' Le bruit des chaînes, associé au chant des forçats, développe la métaphore de l’orchestre. La nature – « un rayon de soleil » – prend, elle, un rôle de chef d’orchestre. ( Tout un paragraphe décrit la fascination du narrateur devant les scènes du ferrage des bagnards : « curiosité […] avide, […] palpitante, […] attentive. Un profond sentiment de pitié […] leurs rires me faisaient pleurer ». Comme pour un spectateur de théâtre, sa fascination est faite de curiosité et d’émotion. ) et *+ L’oxymore « leurs rires me faisaient pleurer » insiste sur le pathétique de la scène et connote une image de victimes pour les forçats. *, L’arrêt soudain de « la ronde hurlante » s’éclaire avec un mot crié et répété : « Le condamné ! le condamné ! » *- Le connecteur temporel « Tout à coup » introduit brutalement la scène de transition porteuse du coup de théâtre et pour le narrateur et pour les forçats. Comme au théâtre, il y a l’association d’effets gestuels et d’effets verbaux. Ce coup de théâtre est d’autant plus scénique qu’il inverse les rôles. Le spectateur devient spectacle pour ceux qui, dans l’instant précédent, le fascinaient et l’apitoyaient. Le registre tragique de ce coup de théâtre tient aux « explosions de joie » des forçats à la découverte du condamné. Ces rires mettent en scène implicitement un enjeu tragique, la mort atroce qui attend le condamné et à laquelle les forçats, pour le moment, échappent. ! Réponses aux questions – 16 L’aphorisme « La Grève est sœur de Toulon » et l’oxymore « J’étais […] placé plus bas qu’eux : ils me faisaient honneur » présentent et résument ce coup de théâtre comme une solidarité de bagnards, se sentant aussi « graines d’échafaud ». */ Cette scène d’adieu des bagnards au condamné est rapportée comme une autre scène de sabbat par un champ lexical qui les diabolise : « se ruer vers moi », « paroles d’une infernale cordialité », « fracas de leurs chaînes, de leurs clameurs », « cette nuée de démons », « effrayantes voix », « têtes hideuses ». *0 La gradation « immobile, perclus, paralysé » met en évidence la montée de l’angoisse chez le condamné devenu spectacle pour les bagnards. Il passe très vite de l’étonnement à la surprise douloureuse puis à l’angoisse. *1 C’est l’angoisse de la ruée des bagnards qui amène le condamné à une suite d’actions vaines, mais perçues par lui comme des échecs tragiques car fatals. Ses cris et ses coups contre la porte sont sans effet. Ce sentiment d’impuissance tragique tient à la force de l’hallucination que crée en lui le chahut des forçats. Il oublie sa condition de prisonnier « protégé » par verrous et barreaux. Il se prend pour une autre victime que celle qu’il est vraiment. Ses gestes impuissants ont la démesure de son hallucination. *2 Le récit du ferrage des forçats et de ses suites « festives » introduit le thème du temps sur le mode tragique. La tragédie des bagnards, c’est la durée des supplices. Le jeune forçat « condamné aux galères perpétuelles » envie le condamné à mort : « Il est heureux ! il sera rogné ! » Mais ce personnage est aussi dans un rôle de Cassandre pour poser comme un futur incontournable l’exécution du condamné en prolongeant le « il sera rogné » dans un définitif « Adieu, camarade ! ». Ces mots redonnent place, dans le récit, à l’imminence tragique qui le fonde : l’exécution du condamné. *. ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 87 à 92) Examen des textes ! Texte A : « nuée de démons ». Texte B : « un véritable enfer », « ces démons ». Texte C : « ténèbres », « formes spectrales ». " L’effet majeur suscité par la perception de l’étrange est l’angoisse dans le texte A, la frayeur dans le texte B et une vision amplifiant l’étrangeté du réel dans le texte C. # Les extraits du corpus permettent d’observer certains écarts que fait le narrateur avec l’objet central de son récit, pour le commenter, le rendre plaisant ou lui donner une force poétique. – Le narrateur du texte A prend avec son récit du ferrage des bagnards des distances qu’autorise le journal intime. Il y a celles qui servent à commenter la sévérité des châtiments judiciaires. C’est ainsi que le retour au présent de l’énonciation précise la scène du ferrage en des remarques accablantes : « C’est un moment affreux, où les plus hardis pâlissent », « Chaque coup de marteau […] fait rebondir le menton du patient ; le moindre mouvement d’avant en arrière lui ferait sauter le crâne comme une coquille de noix », « Si je cherchais une image du sabbat, je ne la voudrais ni meilleure ni pire ». La distance prise avec le récit laisse place aussi à des remarques annexes, limitées et ponctuelles : la notation d’une difficulté d’écriture (« Je ne puis dire ce qui se passait en moi »), un aphorisme explicatif (« La Grève est sœur de Toulon »), un jeu de pensée sur un mot (« Oui, leur camarade ! Et quelques jours plus tard, j’aurais pu aussi, moi, être un spectacle pour eux »). Ces retours à la situation d’énonciation ont ici pour trait commun de maintenir l’illusion d’une écriture de diariste. – Le texte B développe un récit centré sur deux objets distincts et sans autre lien entre eux qu’un effet de frayeur pour la narratrice qui les rassemble dans l’expression hyperbolique et ironique « nos plus grandes aventures ». La prise de distance avec chacun de ces objets est prétexte à des mots d’esprit : humour d’un hommage à la force désarmante de la politesse (« cette vue pourrait effrayer des gens moins polis que nous ») et exagération précieuse d’une sensation forte (« nous en sommes encore effrayés »). Ces remarques expriment un évident souci de vivacité plaisante. – Le texte C ne laisse observer que des prises de distance poétiques avec son objet, le travail des mineurs au fond de la mine. Une vision fantastique du réel se substitue à la peinture des efforts des quatre haveurs. Le gros plan sur Maheu est remplacé par l’évocation de « ténèbres » inquiétantes où la matière devient magicienne d’étouffement (« air mort ») et de « nuit profonde », métamorphosant les mineurs en « formes spectrales » effrayantes. Le Dernier Jour d’un condamné – 17 Le personnage de Maheu (texte C) est décrit dans un état physique qui se rapproche de celui des forgerons évoqués par Mme de Sévigné (texte B). La notation des corps couverts de sueur est faite dans les deux textes avec le recours à des images fortes : « tout fondus de sueur » (texte B), « il était trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d’une chaude buée de lessive » (texte C). % L’image fait apparaître une cohorte de forçats au travail sous la surveillance d’un seul garde. Ce garde a la loi pour lui ; il incarne le pouvoir de l’État. La force virtuelle (celle du garde) prévaut sur la force réelle (celle des forçats). La docilité de ces hommes, forts et nombreux, devient ici une illustration de deux principes d’ordre : la puissance de la loi et la servitude volontaire. $ Travaux d’écriture Question préliminaire L’intensité de la force pittoresque inscrite dans chacun des textes du corpus est gérée différemment, selon que l’on a un récit en focalisation interne (textes A et B) ou un récit en focalisation zéro (texte C). Dans les textes A et B, les deux narrateurs sont impliqués dans l’action qu’ils racontent : le pittoresque qu’ils décrivent témoigne aussi de leur propre subjectivité. Le condamné de Hugo, par les analogies judiciaires qu’il y a entre lui et les forçats, s’investit au plus profond de lui-même dans le spectacle d’un pittoresque dont ses perceptions mais aussi son imaginaire de condamné à mort rendent compte. Le pittoresque effrayant que met en place son témoignage se révèle, par l’effet de la focalisation interne qui évolue sur deux plans temporels, comme un pittoresque « traumatisant ». Dans le présent de l’énoncé, ce traumatisme est dit puis redit : c’est d’abord « La Grève est sœur de Toulon » et, à la suite, « Oui, leur camarade ! ». Dans sa lettre, Mme de Sévigné engage, elle, une subjectivité sans angoisse, à la recherche d’effets plaisants. Le pittoresque décrit s’imprègne de cette subjectivité légère et trouve une force comique : on voit les forgerons, « démons » cyclopéens, neutralisés par « une pluie de pièces de quatre sous ». Le point de vue du narrateur omniscient adopté dans l’extrait de Germinal impose l’effacement du narrateur. Mais, par un jeu de modalisations, on voit les dures réalités du travail des haveurs se transformer en pittoresque inquiétant et fantastique. Ces modalisations (« Il semblait que ») sont à la fois amplificatrices (« ténèbres […] d’un noir inconnu ») et dépréciatives (« formes spectrales […] tête violente, barbouillée comme pour un crime »). Leurs références à l’imaginaire du narrateur omniscient rompent l’effacement où devrait le tenir la focalisation zéro. On voit dans ce corpus que la focalisation interne, par les forces imaginatives de la subjectivité, constitue une ressource pour le pittoresque, alors que la focalisation zéro doit recourir au jeu des modalisations pour faire accéder le lecteur à l’étrangeté des réalités à décrire. Commentaire Introduction Mme de Sévigné donne à la lettre qu’elle écrit à sa fille le 1er octobre 1677 un enjeu de communication divertissante. Son propos prend la forme d’un reportage centré sur deux « aventures » plaisantes bien que très différentes et qui valent surtout par leur registre satirique et par ce qu’elles révèlent de l’épistolière et de son écriture. 1. Le comique des deux aventures A. Deux scènes que tout oppose • Les lieux : d’un côté, à Cosne, « un véritable enfer […] au milieu de quatre fourneaux » ; de l’autre, « à Nevers, une course, la plus hardie qu’on puisse imaginer ». • Les acteurs : « huit ou dix cyclopes », « démons tout fondus de sueur, avec des visages pâles […] des cheveux longs et noirs » et « quatre belles dans un carrosse » avec un « téméraire cocher ». • L’effet produit : pas de réelle frayeur dans l’« enfer » (« cette vue pourrait effrayer des gens moins polis que nous ») ; frayeur prolongée (« nous en sommes encore effrayés ») pour le parcours acrobatique des « quatre belles ». B. Deux mises en scène au montage comique • La démesure : celle des lieux et des hommes, pour les forgerons ; celle de la vitesse et du mouvement, pour les « quatre belles ». Réponses aux questions – 18 • L’inattendu : d’un côté, l’on voit des « pièces de quatre sous » triompher des « cyclopes » ; de l’autre, des périls extrêmes faire crier « miséricorde » aux spectateurs et faire « pâmer de rire » les personnes mises en danger. 2. Le registre satirique A. Satire de la rusticité des forgerons • Hommage aux hommes « machines ». • Relevé sans pitié des traits de la fatigue (« visages pâles ») et de la saleté misérable (« moustaches brutes », « cheveux longs »). • Interprétation des signes de misère en signes de monstruosité primitive. • Fausse politesse : « ces messieurs-là dans leur enfer ». B. Satire de l’admiration provinciale pour la haute aristocratie parisienne • Curiosité sans réflexion. • Conduite risquée et obstinée. 3. Les traits de l’épistolière et de son écriture A. Le plaisir mondain de communiquer en étonnant • Mise à distance des aventures racontées : elles sont là, faute de mieux, pour étonner (« car de vous dire que tout est plein de vendanges et de vendangeurs, cette nouvelle ne vous étonnerait pas au mois de septembre »). • Plaisir de recourir aux procédés de grossissement. • Plaisir d’étonner en faisant peur. B. Le plaisir de tenir en haleine son correspondant • Chacune des « aventures » est rapportée dans un récit linéaire. • Certaines remarques constituent des effets de sous-entendus inquiétants : « Pour moi, je ne comprenais pas qu’on pût résister à nulle des volontés de ces messieurs-là dans leur enfer » suggère une menace que maintiennent les mots de la fin (« pour faciliter notre sortie »). • Certains tours confus ne parlent pas clairement à l’imagination mais réussissent à créer une évocation un peu inquiétante : « Ce téméraire cocher nous passa sous la moustache », « Elles […] coururent de cette sorte et par-dessus nous et devant nous ». Conclusion Mme de Sévigné, dans cette lettre divertissante pour sa correspondante, révèle une certaine morgue aristocratique pour ceux, humbles ou pas, qui ne sont pas de son monde et n’appartiennent pas à sa « bonne compagnie ». Mais son plaisir de raconter, avec les grâces de la conversation de salon, atténue les distances qu’elle met entre elle et le monde étrange à ses yeux des forgerons de Cosne et des « quatre belles » de Nevers. Dissertation Introduction L’univers de la littérature peut sembler l’univers de la fiction ou de la subjectivité, et par là ne pas avoir pour objet la vérité. Mais, en fait, tout texte littéraire, qu’il s’apparente ou non à la fiction, doit produire un effet de vérité. Pour la réussite de cet effet, Jorge Semprun souligne la nécessité d’« un peu d’invention ». Il convient donc de s’interroger sur la production de l’effet de vérité dans un texte littéraire, sur les apports de l’invention, et sur les différentes interactions propres à renforcer cet effet. 1. La production de l’effet de vérité A. La mimésis du réel, dans les textes littéraires, s’accomplit par des procédés de narration ou de discours propres à produire, par l’énoncé, l’illusion du réel • Les procédés les plus conventionnels pour cette mimésis : – précision de l’action dans l’espace et le temps ; – récits linéaires ; – descriptions éclairantes, hypotypose ; – portraits détaillés ; – dialogues rapportés au style direct. Le Dernier Jour d’un condamné – 19 • La scène du ferrage des forçats, dans le chapitre XIII du Dernier Jour d’un condamné, illustre ces conventions d’énoncé à la recherche d’effet de réel. B. L’énoncé qui veut « faire vrai » doit aussi porter une vérité « cachée » à interpréter, exprimer le message du texte ou justifier le titre • Fonction dramatique ou symbolique des lieux : la cour de Bicêtre devient, chez Hugo, une scène de théâtre tragique. La poésie et le théâtre exploitent aussi largement le symbolisme des lieux. • Fonction morale d’un portrait : le portrait en action de Maheu au travail dans la mine exprime la dénonciation par Zola de l’exploitation des mineurs en son temps. 2. Les apports de l’invention A. L’invention est un aménagement utile pour la narration • Sur le plan dramatique : l’invention du chahut des forçats à l’endroit du condamné à mort permet à Hugo, à la fin du chapitre XIII, de recentrer son récit sur ce personnage et de confirmer, en les amplifiant, les traits atroces donnés aux forçats dans le chapitre. Cette invention ménage enchaînement et conclusion. • Sur le plan descriptif : Mme de Sévigné, en diabolisant les forgerons de Cosne, introduit par l’exagération un sensationnel de pure invention. Elle donne ainsi de l’attrait à sa lettre. • Sur le plan symbolique : les élargissements métaphoriques du réel, inventions de la subjectivité du locuteur, dirigent les interprétations du lecteur. La dépréciation que donne la vision de Zola, dans le texte C, incite à une grande pitié pour les mineurs. Celle que propose Mme de Sévigné, avec les mots « cyclopes » et « démons » pour des forgerons, invite à une distance apeurée et méfiante. Hugo prête à la subjectivité de son condamné une métaphore d’halluciné (« nuée de démons ») qui souligne surtout la folle inhumanité d’un châtiment dégradant. L’albatros de Baudelaire devient « le prince des nuées » et la figure du poète. B. L’invention améliore la lisibilité du réel • La subjectivité qu’invente le romancier pour ses héros permet, par le jeu de la focalisation interne, d’en faire des témoins des événements mis dans le récit. Le condamné devient ainsi le reporter du ferrage des bagnards. Il en voit plus que ne peut en voir un témoin, tel Hugo en 1828 à Bicêtre. • L’invention stylistique qui consiste à faire d’un détail un fait majeur, omniprésent dans la description, sensibilise à des aspects du réel qui pourraient paraître anodins. La goutte qui s’acharne sur l’œil de Maheu, dans la mine, représente une invention de romancier propre à faire dépasser la simple idée de la pénibilité et de la dangerosité du travail des mineurs. Ce détail justifie le mot « supplice », employé par le narrateur, et y fait adhérer le lecteur. 3. Les interactions propres à renforcer l’effet de vérité A. Interaction entre paratexte et texte Le paratexte permet d’évaluer la documentation ou les expériences qui ont permis à un auteur de construire sa fiction (travaux préparatoires de Zola, Hugo et ses visites à Bicêtre). Le paratexte apporte sa caution à la crédibilité de la fiction réaliste. B. Interaction entre conventions des genres et texte • La biographie, le roman réaliste, le genre épistolaire imposent d’établir des pactes de lecture où la vérité est un enjeu essentiel. Il faut là s’engager à dire vrai ou du moins à rester fidèle au réel jusque dans l’invention. Le narrateur de Germinal ne peut raconter le travail des mineurs sans en donner les aspects techniques, sans bien connaître la géographie des puits de mine. C’est l’ancrage indispensable à sa vision fantastique et inquiétante de ces lieux de « supplice » pour les mineurs. • L’histoire, le journalisme, les journaux intimes, les correspondances – narratif non fictionnel – ont largement inspiré le narratif fictionnel en lui imposant des effets de vérité souvent très exigeants. Hugo a dû traiter pour son condamné à mort le délicat problème de ses moyens et de son temps d’écriture, pour respecter les aspects pratiques du journal intime. Zola ne pouvait, dans le contexte historique et journalistique où il se trouvait, donner d’autre image de la vie des mineurs qu’une image de vie rude et précaire. Conclusion Les effets de vérité et de réel dans les textes littéraires sont soutenus par la portée réaliste ou symboliste d’inventions opportunes. Mais ils sont renforcés ou encadrés par des éléments externes, tels que leurs paratextes ou leurs référents non fictionnels. Réponses aux questions – 20 Écriture d’invention Cette réécriture impose : – des références à la mythologie pour la description du travail des mineurs. Vulcain est une bonne référence ; – des portraits de mineurs diabolisés sans apitoiement implicite ; – des amplifications amusées du réel. C h a p i t r e X X I I I ( p p . 1 1 2 à 1 1 7 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 118-119) Les notes de Victor Hugo mettent en évidence la difficulté de communication instaurée par le texte. et # Le champ lexical dominant dans les mots annotés est celui de la répression judiciaire la plus lourde : celle attachée à la délinquance criminelle. L’argot apparaît ainsi comme une langue représentant le milieu des délinquants et servant à se démarquer de la langue de tous. L’argot s’impose comme un mode de rupture et une expression de clivage social. $ L’association des notes et du texte constituent un ensemble destiné à un lecteur très éloigné de l’univers des délinquants, des marginaux sociaux. % Tournures associant tour amphigourique et tour burlesque : « on faisait la grande soulasse sous le trimar », « mes fanandels se sont sauvés », « moi, le plus vieux, je suis resté sous la griffe de ces chats à chapeaux galonnés », « mon père a épousé la veuve, moi je me retire à l’abbaye de Monte-à-Regret ». & Le locuteur, par la tonalité burlesque de son langage, se trouve paré d’un panache sinon joyeux, du moins de bonne humeur. La vivacité de son propos ne laisse prise ni à la révolte, ni à l’accablement. ' Avec le présentatif « voilà » qui ouvre et conclut le propos, le friauche encadre un discours qui est un récit de vie, allant des origines et de l’enfance à ce qui est son dernier parcours, l’antichambre de la guillotine. ( Le locuteur interpelle son interlocuteur à la manière d’un complice (« Je te montrerai, si tu veux », « Voilà, camarade »). ) Le passé est restitué dans une linéarité souvent actualisée par des commentaires exclamatifs qui ironisent sur les infortunes. Le destinataire est ainsi mis à l’écoute d’un conteur qui raconte et commente. *+ Le friauche use de la langue que le condamné déteste (chap. V), et évoque sans état d’âme une vie de misère et de crime. Il est le portrait inversé du condamné qui l’écoute. *, L’itinéraire de vie du friauche est celui de la misère que la justice est plus prompte que la société à accueillir. Fils de condamné à mort, orphelin à six ans, voleur dès neuf ans, condamné à dix-sept ans à quinze ans de galères, exclu, sans travail une fois libéré, condamné à perpétuité pour le vol d’un pain, évadé, bandit de grands chemins, arrêté, condamné à mort. *- Le friauche semble admettre les fatalités sociales qui l’ont maintenu depuis l’enfance dans la délinquance. Fatalités de la naissance, de l’abandon, de l’exclusion ; fatalité d’une société brutale et conformiste. *. Les obstacles à son insertion sociale (passeport, pécule restreint, refus d’embauche) mettent en accusation le préjugé social qui exclut du monde du travail les « forçats libérés ». */ Son histoire établit un rapport de cause à effet entre l’indifférence sociale à la misère et la délinquance. La peine de mort semble là punir une victime sociale. ! " ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 120 à 126) Examen des textes ! Texte A : deux condamnés à mort. Texte B : « un pauvre » et « un gros marchand ». Texte C : « un vagabond » et un cafetier, « un homme très estimé dans son quartier ». Document : un juge et un prévenu pour vol. Le jeu des oppositions sociales préside à la constitution de ces couples. Le Dernier Jour d’un condamné – 21 La misère de l’affamé explique les actes de délinquance évoqués dans les textes A, B, C, et dans le dessin de Daumier. Dans le texte A, le friauche évoque par un effet d’asyndète la suite inéluctable de la faim et du vol. Le texte B illustre, par une double parabole, l’injustice faite au voleur qui a faim et montre qu’il est deux fois victime d’une société qui se donne le droit de châtier lourdement les petits voleurs et qui laisse les riches voler les pauvres. Le texte C établit une paronomase entre « café-crème » et « café-crime ». Le document explicite le message du dessin par une légende accablante pour la moralité du juge. # Les textes B et C se constituent en paraboles d’abord par le dépouillement des récits qu’ils présentent et qui donnent, en une narration sommaire, le descriptif d’une seule action : un vol (texte B) ; un crime (texte C). On reconnaît aussi dans chacun de ces textes la plausibilité de la parabole grâce à l’effet de réel du récit linéaire qui ne s’arrête pas à la matérialité de l’action, mais présente aussi, en les actualisant, ses suites judiciaires ou sociales. $ Les textes du corpus peuvent contribuer à l’élaboration d’une définition de la fracture sociale. Le texte A met en évidence ses aspects culturels, le texte B ses aspects économiques et judiciaires, le texte C ses aspects économiques, la gravure de Daumier ses aspects judiciaires. La fracture sociale apparaît ainsi comme le résultat d’une inégalité culturelle, économique et judiciaire. " Travaux d’écriture Question préliminaire Chacun des éléments du corpus met en évidence la gageure qu’est le droit chemin pour les plus pauvres, en raison des obstacles qu’ils rencontrent au quotidien. Le texte A présente trois réalités sociales qui contribuent à enfoncer les plus démunis dans la délinquance et à les livrer à une lourde répression judiciaire : l’abandon éducatif de l’enfance déshéritée, le refus d’embauche pour les anciens détenus, l’implacable pénalisation de la récidive – serait-elle due au chômage et à la faim. Le texte B fait retrouver le lien entre pauvreté et délinquance mais le met en parallèle avec un fait aggravant pour la société des « honnêtes gens » : la filouterie des commerçants prospères à l’égard de la clientèle des pauvres. Cette exploitation du pauvre par le riche est d’autant plus imparable que la justice la réprime peu. Le texte C invite à considérer la provocation qu’est la société d’abondance pour celui qui a faim. La gravure de Daumier, avec sa légende, établit, comme les textes du corpus, un lien étroit entre le vol et la faim et, comme eux aussi, met en avant une société et une justice sourdes devant cette fatalité de la délinquance. Les parcours de délinquance que présente ce corpus chargent moins les malfaiteurs que la société qui les juge. La justice de cette société est montrée comme une justice de classe, dure pour les pauvres, indulgente pour les riches. Commentaire Introduction Jacques Prévert exprime, dans de nombreux poèmes, sa révolte contre toutes les formes d’exploitations des plus faibles. Dans « La Grasse Matinée », à travers une suite de tableaux évoluant vers un fait divers tragique, il stigmatise une société d’abondance qui pousse au crime des laissés-pour-compte. 1. Une scénographie du malheur A. Trois séquences • La vitrine. • Le bistrot. • Le fait divers. B. Un malheur annoncé • Les prophéties des répétitions (reprise des vers du début à la fin du poème). • Le symbolisme des hallucinations. • La situation conflictuelle entre la faim du pauvre et la protection des magasins. 2. Le pathétique des antiphrases et des jeux de mots A. Un titre en antiphrase et en jeu de mots • Le poème décrit l’inverse de ce que peut être la tranquillité d’une grasse matinée. Réponses aux questions – 22 • L’adjectif « Grasse », pris au sens propre, redonne au titre un sens adapté au poème, aux obsessions de nourriture grasse de l’homme affamé. B. Les mots qui en appellent un autre • Ils soulignent la force et la désespérance des hallucinations (« tête », « protégées »). • Ils « appellent » le crime (« café-crème », « café-crime »). 3. Un poème protestataire A. La fausse fatalité du crime • La responsabilité de la société d’abondance, supplice de Tantale pour les pauvres affamés. • Responsabilité des politiques qui ne prennent pas en charge les plus démunis. B. Réhabilitation du criminel • Une misère qui rend fou. • Un commentaire du crime qui ridiculise le camp des « gens honnêtes », commentaire laissant croire que le vagabond a tué pour deux francs. Conclusion Prévert inscrit ici la tragédie dans le cadre de la ville riche et protégée. Il aborde un problème qui a gardé une certaine actualité et invite à réfléchir sur la criminalité des démunis et des exclus. Il en fait, par la force des subtilités de langue, un sujet de diatribe et de polémique qui garde une grande force pathétique. Dissertation Introduction C’est un débat toujours ouvert que celui des missions de la littérature. Son ampleur fait qu’on réduit souvent la problématique à une alternative simple : la littérature a-t-elle pour fonction de rendre plus présentes les réalités du monde ou d’en éloigner par les voies de l’enchantement et de l’illusion fantastique ou simplement poétique ? 1. La mission de connaissance ou de découverte du réel assumée par la littérature A. Antiquité de la littérature « instructive » qui ramène aux réalités en s’attachant à trois objectifs • Faire connaître les réalités passées (roman historique, épopée, chanson de geste, les « textes fondateurs »…). • Universaliser un réel fictif, local ou particulier (les fables, la comédie classique, la biographie). Le condamné de Hugo reste sans nom pour représenter la cause universelle des victimes de la peine de mort. • Élargir les horizons de culture et d’expérience des lecteurs (roman réaliste, roman social, roman d’analyse, drame psychologique). B. Les moyens littéraires d’authentifier le réel fictif • Les ancrages réalistes (lieux, dates, mœurs, costumes, langage). • Le conditionnement du lecteur à une empathie forte vis-à-vis des héros ou du discours (séduction des personnages de la scène ou du roman, force lyrique ou pathétique du discours poétique). Présence de « l’homme qui a faim » dans « La Grasse Matinée ». • La clarté des engagements exprimés dans une œuvre (Hugo dans Le Dernier Jour d’un condamné et dans Choses vues, Prévert dans « La Grasse Matinée » prennent sans détour le parti de ceux que la société condamne). Effets militants de cet engagement clair. 2. Diversité des fins poursuivies par les textes littéraires A. L’invention d’un langage • « Un langage qui attire l’attention sur lui » (Umberto Eco). La forme fait sens au même titre que le fond. L’écrivain valorise la forme en inventant des métaphores, en produisant des alliances de mots inusitées, en renouvelant les images, pour mieux découvrir le monde sous un autre jour, en empruntant un langage inattendu (recours à l’argot par Hugo). En conséquence, la fonction poétique demeure une fonction dominante dans le texte littéraire (poésie de la fatalité du sort misérable inscrite dans les automatismes des jeux de mots dans « La Grasse Matinée »). Le Dernier Jour d’un condamné – 23 • Un langage accapareur pour l’écrivain, car en conflit avec la sensation (Nathalie Sarraute : « lutte continuelle entre la force du langage qui entraîne et détruit la sensation et la sensation qui, elle aussi, détruit le langage »). Les affres du style pour Flaubert. • Un langage au service de l’art : « L’œuvre d’art ne doit servir à aucune doctrine sous peine de déchoir. » L’écrivain « doit vivre pour sa vocation, monter dans sa tour d’ivoire et, là, comme une bayadère dans ses parfums, rester seul dans ses rêves » (Gustave Flaubert). B. L’art littéraire est visionnaire • Par la fonction expressive du langage, l’écrivain peut être un visionnaire. Vision conflictuelle du monde des pauvres et de celui des riches chez Hugo : ils ne parlent pas la même langue. Zola approche le réel en visionnaire ; ses descriptions se font en deux temps : le réel détaillé de façon objective puis le réel transformé par une métaphore souvent filée. • Le symbolisme littéraire prévaut dans nombre d’œuvres soit comme exercice sur le langage, soit comme aventure intérieure. Il pare le réel des artifices de l’expression et explore avec les audaces de la voyance les profondeurs de la pensée ou de l’âme. Stéphane Mallarmé : « Point de reportage » ; Rimbaud dans Alchimie du verbe : « Toute l’âme résumée ». 3. Le difficile gommage des réalités A. « L’écrivain est en situation dans son époque, chaque parole a des retentissements, chaque silence aussi » (Jean-Paul Sartre) • Ancrage du texte littéraire dans son temps par la sensibilité. • Ancrage du texte littéraire dans son temps par l’esthétique. • Ancrage du texte littéraire dans son temps par l’idéologie ou l’idéal. B. La force impérative de l’idéal d’engagement • Un devoir de communication : « Le temps est venu où tous les poètes ont le droit et le devoir de soutenir qu’ils sont profondément enfoncés dans la vie des autres hommes, dans la vie commune » (Paul Eluard). • Un devoir d’information et de responsabilisation : « La fonction de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde, et que nul ne s’en puisse dire innocent » (Jean-Paul Sartre). Conclusion La littérature aide à capter les réalités du monde extérieur et sa complexité, même quand elle use d’un langage qui s’en éloigne. Les divers ancrages du texte littéraire sont directement ou indirectement des indices d’un réel qui peut être pour le lecteur un objet intéressant de découverte. Écriture d’invention L’histoire que rapporte le friauche s’apparente à une histoire des bas-fonds. Le narrateur omniscient peut « broder » sur les misères de l’enfance, la « mauvaise école » de la prison, l’impossible retour dans le droit chemin, la fatalité du bagne, la périlleuse évasion, le métier de criminel et l’inévitable mauvaise fin. La préface de 1832 est une référence utile pour ce sujet : à deux reprises Victor Hugo y construit des histoires malheureuses liées à la misère et à la répression judiciaire. C h a p i t r e s X X V I à X X I X ( p p . 1 2 8 à 1 3 1 ) ◆ Lecture analytique des chapitres (pp. 132-133) Le condamné se met à refuser la pensée de son exécution en songeant à son passé de jeune père avec son adorable petite fille et au jour où il a entrevu la guillotine et les préparatifs d’une exécution, en présence d’une foule de badauds. " La référence à sa fille et à son désintérêt pour le spectacle des exécutions met en évidence le décalage social qu’il y a entre son passé et sa situation présente de condamné à mort. On peut aussi voir dans cette double référence un décalage moral entre le passé, temps de l’innocence, et le présent, temps de toutes les infamies, même celle de cadavre pour leçons d’anatomie, avant le cimetière de Clamart. Le retour sur le passé fait également retrouver la jeunesse du condamné (un jeune père) et souligne ainsi comme une monstruosité le terrible décompte des six heures qu’il lui reste à vivre avant son exécution. ! Réponses aux questions – 24 Le présent rend au condamné sa mort impensable par la perception qu’il a des choses simples qui l’entourent et par la conscience physiologique de son « moi » vivant. $ et % Les termes qui se rapportent à la cause de l’exécution : « Misérable ! quel crime j’ai commis… ! » Les termes qui se rapportent à l’exécution : « Ils vont me tuer […] me tuer de sang-froid, en cérémonie. » Ces termes entretiennent le flou entre l’image du condamné coupable et celle du condamné victime. & La gradation : « Je veux bien des galères. Cinq ans de galères, et que tout soit dit, – ou vingt ans, – ou à perpétuité avec le fer rouge. Mais grâce de la vie ! » ' Les termes qui désignent la guillotine : « cela », « là-dessus », « la chose », « la combinaison de ces dix lettres », « ce mot hideux », « la machine », « monstrueuse charpente ». Ces approximations lexicales trouvent leur justification dans l’épouvante qui saisit le locuteur à la pensée de son exécution imminente. La guillotine prend ainsi le statut d’une monstruosité innommable. ( « Le médecin qui a inventé la chose avait un nom prédestiné » : le philanthrope qu’a été le docteur Guillotin devient ici une figure de mauvais conte, d’inventeur prédestiné au mal. ) L’étymologie du mot guillotine perd ici son statut de « surnom », de « sobriquet » donné par des journalistes parlementaires en opposition avec le docteur Guillotin. L’étymologie devient ici une approche phonétique et poétique du mot qui tend à le diaboliser. *+ « Ah ! mes cheveux blanchiront avant que ma tête ne tombe ! » Cette exclamation crée une association de pensée avec la reine Marie-Antoinette exécutée le 16 octobre 1793 et que l’on vit monter à l’échafaud les traits creusés et vieillis par les cheveux blancs. De là la rumeur, qui peu à peu est devenue fait historique, selon laquelle les cheveux de la reine auraient complètement blanchi en une nuit. *, Le condamné perd le contact avec le réel de son enfermement dans le dialogue imaginaire qu’il instaure avec sa fille et dans le récit rétrospectif de son passage, un jour d’exécution, sur la place de Grève. *- La peur du supplice est argumentée par une suite de visions : la pensée de la transformation du corps en « chose immonde », la pensée du « flot de peuple joyeux », la pensée de la position sous le couperet (« on vous couche sur le ventre »). Le ressentiment de la foule pour un criminel, l’acte illégitime qu’est le crime n’interviennent nullement pour inspirer quelque résignation au condamné. *. « Misérable » et « Malheureux » sont les deux qualificatifs que s’applique à lui-même le condamné, mais seul le second nourrit sa réflexion sur son sort présent. Cette réflexion se développe dans une sorte de délire où il donne comme allant de soi une réhabilitation immédiate : « Le roi ne m’en veut pas », « Qu’on aille chercher mon avocat ! vite l’avocat ! je veux bien des galères ». Il prend ses désirs pour des réalités. */ Le chapitre XXIX rend évident le point de vue inversé que le condamné a sur les galères, par rapport à ce qu’il en a dit lors de son procès. Ce châtiment n’est plus ici cauchemar mais don de vie. # ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 134 à 139) Examen des textes ! Le texte A diabolise la guillotine. Le texte C personnifie en muse la pipe du poète. Le texte D anime la valise en cheval. Le tableau de Magritte fait d’une assiette pleine un vis-à-vis conscient. Ces éléments du corpus répondent par l’affirmative à la problématique lamartinienne. " Les formes du discours mettent en place la personnification des choses dans les textes B, C et D. Texte B : le poète interpelle, comme en un dialogue, les « objets » dont l’âme le touche. Texte C : l’autoportrait que fait la pipe impose l’idée de sa personnification. Texte D : un premier jeu métaphorique (« m’accompagne », « je lui flatte le dos, l’encolure ») pour décrire la valise prépare la comparaison « comme un cheval » ; un second jeu métaphorique la confirme et rehausse une seconde comparaison « comme un reste de cheval ». Dans le tableau, la personnification tient à la présence de l’œil ouvert au milieu de l’assiette, présence insolite et provocatrice. # Texte A : le mot « guillotine », néologisme de 1793, s’apparente par le jeu de ses trois syllabes, dans l’esprit du condamné, à son signifié (« chaque syllabe [étant] comme une pièce de la machine »). Le Dernier Jour d’un condamné – 25 Texte B : le poète joue sur la partielle analogie entre le signifiant « valise » et le signifiant « cheval » pour établir entre eux un rapport de signifiant à signifié, fondé sur une identité syllabique, et faire de l’objet « valise » « comme un reste de cheval ». Document : Magritte établit la ressemblance entre le signifiant et le signifié par une interaction phonétique entre le tableau et le titre, le porc et l’œil (porc-trait) qui sont dans l’assiette pouvant devenir « portrait ». On peut appuyer cette remarque de ces mots de Magritte : « Le titre ne contredit pas le dessin ; il affirme autrement. » $ Le texte de « La Valise » joue sur deux comparaisons (livre et cheval). La première, celle du livre, décrit et poétise les fonctions de l’objet. La seconde, celle du cheval, anime et sublime l’objet en soi. Le texte s’attache à décrire par ce duo comparatif l’intérieur et l’extérieur de la valise. % Le tableau instaure un jeu de double référence humaine qui crée contraste et opposition. L’ensemble du tableau présente un type de couvert pour un mode de vie simple, régulier, sans fantaisie ni extravagance : c’est une métaphore de la routine et de la banalité humaines. Le contenu de l’assiette – œil humain sur tranche de jambon – invite à une lecture inquiétante et fantastique de ce réel banal et le charge de mystère. Ces deux champs métaphoriques proposent deux interprétations opposées du tableau : une caricature du simplisme quotidien et une suggestion inquiétante de sa perversité et de ses transgressions. Travaux d’écriture Question préliminaire Le discours narratif ou poétique qui donne aux choses une dimension particulière dans les textes du corpus souligne avec force le rapport entre un énoncé et le statut de l’objet qui peut y trouver place. Les textes B et D révèlent un lien affectif fort entre l’objet ou les objets et le locuteur. Ce lien s’exprime dans le texte B à travers une confidence qui s’énonce comme un dialogue avec les objets du souvenir célébré. Ces objets – une maison et la nature qui l’environne –, nommés et décrits de façon pittoresque, prennent un statut de compagnons de vie uniques et irremplaçables et que le cœur ne saurait oublier. Le texte D s’apparente aussi à une confidence à caractère autobiographique et psychologique où l’objet « valise » est évoqué comme un alter ego du poète (livre) et du voyageur (cheval) dans une accumulation de détails impliquant une réciprocité. Les textes A et C ont une approche inverse de l’objet que chacun d’eux évoque. L’allégorie portée par le discours de « la pipe d’un auteur » (texte C) enrichit cet objet de fonctions inattendues. Ce discours à la 1re personne introduit en effet la fiction d’un autoportrait et d’une confidence amoureuse et spirituelle qui forcent à regarder l’objet dans sa fonction réaliste de pipe, mais aussi dans celle tout affective, féminine et intellectuelle de consolatrice apaisante. Le texte A, pour diaboliser la guillotine et lui donner le statut d’objet de cauchemar, l’impose dans un discours qui l’éloigne et la dégrade par des évocations inattendues impliquant davantage le signifiant (le mot « guillotine ») que le signifié. La description des choses est, dans chacun des textes du corpus, un mode d’expression lyrique. Commentaire Introduction Au XIXe siècle, les objets prennent, dans la littérature, une place qui les élève à la dignité esthétique que la peinture a su donner aux objets représentés dans ses « natures mortes ». Les poètes, comme le fait ici Baudelaire, peuvent ainsi donner une force littéraire particulière à l’allégorie. Le poème « La Pipe », par le détour de cette figure, fait l’éloge humoristique d’un objet porteur de bonheur et d’inspiration pour le poète. 1. Le procédé allégorique A. Le discours à la 1re personne ; son sens littéral • Un autoportrait double. • Un portrait du poète. B. Sa portée emblématique • Une psychologie. • Un art de vivre. Réponses aux questions – 26 2. La mise à distance humoristique des souffrances du poète A. Dans les images développées • Des comparaisons réalistes. • Une vision très conventionnelle de la femme : au foyer pour la cuisine et la consolation. B. Dans l’assurance du ton • Montée en puissance des pouvoirs de la pipe dans les tercets. • Jeu phonétique et rythmique dans le dernier tercet. Vigueur, force et ampleur : allitérations en « r », assonances en « i » et « a », enjambements. 3. Le jeu autour de l’interprétation du poème A. Diversité des thèmes et interrogations • Les plaisirs du fumeur : quel produit ? • Les souffrances du poète ou de l’homme ? B. Ambiguïté du locuteur • Exotisme et banalité. • Soumission et envoûtement. Conclusion Ce poème ne peut être apparenté à un simple éloge du tabac. Il est une allusion légère et subtile au haschisch, que Baudelaire qualifiera d’« inutile et dangereux » dans Les Paradis artificiels (1860). Dissertation Introduction L’histoire de l’art et ses évolutions n’ont cessé de confirmer puis, dans les temps les plus récents, d’élargir la place faite à l’objet. La vocation et la fonction esthétiques de l’objet ont aujourd’hui largement dépassé l’univers des peintres et de la « nature morte », tout comme celui des mondes enchantés de la littérature. L’objet devient un acteur important sur la scène de l’art où on le retrouve recréé, métamorphosé ou transcendé. 1. Le pouvoir de représentation de l’art valorise et singularise l’objet A. La valorisation de l’objet • Au théâtre, l’objet peut prendre une importance dramatique et psychologique primordiale : la cassette d’Harpagon (Molière, L’Avare), le grès et la lettre d’Agnès (Molière, L’École des femmes), le bouquet de Ruy Blas à la Reine (Hugo, Ruy Blas). • Par son titre, une œuvre peut lier son sens à un objet : La Peau de chagrin de Balzac, Les Chaises de Ionesco. • Les effets de personnification des objets apportent à ceux-ci une force poétique et rhétorique : « Le Pot de terre et le Pot de fer » de La Fontaine, « La Pipe » de Baudelaire, « La Valise » de Francis Ponge. B. De nouvelles perceptions de l’objet • Le cubisme, au début du XXe siècle, reprend le motif des « natures mortes » mais représente l’objet sous ses mille facettes, en usant d’une multiplication des plans qui rompt avec la vision traditionnelle, monoculaire de la perspective classique. • Le groupe surréaliste, sous la direction de Breton, s’intéresse particulièrement aux objets : un objet surréaliste est un objet « dépaysé », c’est-à-dire sorti de son cadre habituel et employé à des usages autres que ceux auxquels il était d’abord destiné, tels les « ready-made » de Marcel Duchamp. Dans Nadja de Breton, le « demi-cylindre » témoigne de cet intérêt nouveau pour les objets qui échappent à la raison et à l’utilité. 2. Le pouvoir de détournement de l’art s’exerce dans la métamorphose des objets A. L’objet insolite pour remettre en question les limites de l’art • L’insolite créé dans la rencontre d’un objet et d’un titre ou légende : Duchamp appelle Fontaine un urinoir et associe à une pelle à neige l’inscription « En prévision d’un bras cassé ». Magritte, sur un tableau représentant une pipe, inscrit « Ceci n’est pas une pipe ». Autre titre insolite de Magritte : Le Portrait, associé à une scène sans autre référence au visage qu’un œil traité en objet alimentaire. Le Dernier Jour d’un condamné – 27 • La poésie visuelle d’Apollinaire dans Calligrammes met l’objet dans le champ artistique sous les formes de l’intrusion et de l’anticonformisme. B. Les associations d’objets pour étonner • Lautréamont, modèle d’écriture révolutionnaire pour les surréalistes, manipule la rhétorique pour des effets provocateurs et ludiques : dans Les Chants de Maldoror, l’objet sert à des métamorphoses ou des comparaisons incongrues (« Il est beau […] comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie », VI, 1). • L’objet surréaliste est souvent le fruit du collage d’objets les plus inattendus (la Joconde à moustaches de Duchamp). L’effet recherché est toujours la surprise, l’étonnement, le dépaysement, comme celui provoqué par l’irruption du rêve dans la réalité. L’art de Magritte est très représentatif de cette démarche. 3. Le pouvoir de contestation de l’art par l’objet A. L’objet se substitue à l’œuvre d’art pour n’exprimer rien • Le nihilisme dadaïste utilise la dérision et la provocation de l’objet institué « œuvre d’art » afin d’exprimer son dégoût de l’art. Aragon résume en ces termes le nihilisme du dadaïsme : « Plus de peintres, plus de littérateurs, plus de musiciens, plus de sculpteurs, plus de religion, plus de républicains, plus de royalistes, plus d’impérialistes, plus d’anarchistes, plus de socialistes, plus de police, plus de patries, [...] enfin assez de toutes ces imbécillités, plus rien, plus rien, RIEN, RIEN, RIEN. » • L’objet s’impose seul dans l’espace du musée. Dans les années 1980, Bertrand Lavier présente ses « frigidaires » et ses meubles de bureau peints. B. La recherche d’une culture populaire contestant tous les académismes • L’art brut vise à valoriser une création spontanée, autodidacte, anticonformiste. Jean Dubuffet (1901-1985), à partir de « graphismes déchaînés », construit des sculptures monumentales en polystyrène expansé. • Un retour au réel de la culture du quotidien : publicité, bande dessinée, cinéma, média. Le pop art (né dans les années 1950-1960) se veut à la portée de tous. Les boîtes de soupe et les posters inspirent Andy Warhol ; l’œuvre de Claes Oldenburg se penche sur les hamburgers et les bâtons de rouge à lèvres. Le sculpteur César présente des carcasses d’automobiles compressées. La nature morte fait retrouver les objets du quotidien contemporain. Conclusion Ce qui réunit les différentes déclinaisons de l’objet par les artistes demeure la charge symbolique que leur donnent les aspirations d’une esthétique ou d’une sensibilité. Mais les évolutions des sociétés modernes, techniciennes et populistes ont rendu l’objet de plus en plus présent, non plus pour servir l’art mais pour l’exprimer. Écriture d’invention Le travail est ici une sorte de réécriture du poème de Baudelaire. Mais il peut s’inspirer de celui de Francis Ponge dans « La Valise ». Le premier texte apporte un modèle d’énonciation. Le second suggère une complexité de fond, l’autoportrait pouvant être affirmation (« Je trompe les apparences ») ou recherche (« Qui suis-je ? ») de dualité de personnalité. À ces poèmes peut s’ajouter la lecture de la fable de La Fontaine « Le Chêne et le Roseau » (autoportrait du Chêne). Le chapitre XXVII du Dernier Jour d’un condamné peut être exploité pour un jeu entre le signifiant et le signifié dans l’autoportrait de l’objet. La valise de Ponge et la guillotine de Hugo peuvent être des objets retenus pour cette composition. C h a p i t r e X L V I I I ( p p . 1 6 2 à 1 7 0 ) ◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 171-172) Indices de lieu et de temps permettent de dégager dans cet extrait quatre étapes de récit avec pour formule introductive le présentatif « Voici » : – « Trois heures sonnaient […]. Ils m’ont poussé entre deux guichets du rez-de-chaussée, salle sombre, étroite, voûtée […]. Ce qu’il y avait à faire là était fait » ; ! Réponses aux questions – 28 – « Alors le prêtre s’est approché […] j’ai fait trois pas et j’ai paru sur le seuil du guichet […]. C’était une charrette ordinaire […]. On a franchi la grille » ; – « Au moment où la charrette a tourné vers le Pont-au-Change […]. Le quai aux Fleurs embaumait […]. En entrant sur le Pont-au-Change […]. Vers le milieu de ce Pont-au-Change […]. Nous avons pris le fatal quai » ; – « Tout à coup […] à l’angle d’une place […] la charrette s’est arrêtée ». " Ces étapes se constituent en scènes par la part de dialogue que chacune d’elles contient et par l’action spécifique qui s’y inscrit : – la toilette du condamné : dialogue entre le jeune homme et le guichetier, entre le condamné et le bourreau ; – la sortie de la Conciergerie et le départ vers la place de Grève : dialogue entre le prêtre et le condamné ; les mots et interpellations de la foule en direction du condamné, du bourreau et de son valet ; – le trajet vers la place de Grève : paroles de marchands ; échanges de paroles entre le prêtre, le condamné et le bourreau ; – la place de Grève : un mot du prêtre, murmuré (« Courage ! »). # Ces quatre phases correspondent à la trame d’une unité narrative qui est la résolution de la crise, quatrième étape du schéma quinaire. $ Chaque scène met en valeur une action et un rôle : – toilette du condamné : le bourreau respectueux et prévenant ; – sortie du condamné : la foule et ses commentaires ; – trajet du condamné : le condamné observateur passant des « bravades de l’intelligence » à la supplication chrétienne ; – place de Grève : le condamné et son dernier recours. % Chacune de ces scènes mêle les tons à la manière d’un drame romantique. Les trois premières scènes associent des éléments comiques à la tragédie dominante : la politesse du bourreau, les commentaires humoristiques du condamné sur les commentaires de la foule. La dernière scène se joue sur un double registre : le pathétique et le dramatique ; à la situation fatale du condamné sont juxtaposées des actions qui suspendent l’accomplissement tragique. & La part de l’inattendu dans cet extrait est constituée, paradoxalement, de faits prévisibles, car inscrits dans les usages codifiés des exécutions capitales à Paris. Mais la narration qui en est faite les présente comme des coups de théâtre par l’impact émotionnel qu’ils ont sur la sensibilité du condamné pour qui ils représentent des anticipations suggestives de la décapitation : – la tonsure du condamné (« tout à coup j’ai senti un froid d’acier dans mes cheveux, et les ciseaux ont grincé à mes oreilles ») ; – la réponse du guichetier au jeune homme, « la toilette du condamné » (« J’ai compris que cela serait demain dans le journal ») ; – les ciseaux sur le cou du condamné (« au saisissement de l’acier qui touchait mon cou, mes coudes ont tressailli, et j’ai laissé échapper un rugissement étouffé. La main de l’exécuteur a tremblé ») ; – la foule (« Du fond du sombre guichet, j’ai vu brusquement tout à la fois, à travers la pluie, les mille têtes hurlantes du peuple entassées pêle-mêle sur la rampe du grand escalier du Palais », « tableau hideux ») ; – le regard du condamné jeté par hasard sur une « tour noire isolée », surmontée de « deux monstres de pierre » (« Je ne sais pourquoi j’ai demandé au prêtre ce que c’était que cette tour. – Saint-Jacques-la-Boucherie, a répondu le bourreau », « Chacun de ces détails m’apportait sa torture. Les mots manquent aux émotions »). Le dernier coup de théâtre s’attache au surgissement de la guillotine. Il se déploie sur tout un paragraphe et a pour préalable des notations très variées, avant d’être formulé dans les approximations de l’horreur indicible : « Entre les deux lanternes du quai j’avais vu une chose sinistre. Oh ! c’était la réalité ! » ' La force amplificatrice des émotions (« J’étais ivre, stupide, insensé ») sur l’imaginaire est nettement marquée dans l’assimilation de la foule à « une mer de têtes », puis à un immense édifice qui se démolit et se refait (« À chaque pas qu’elle faisait, la foule se démolissait derrière elle et […] s’allait reformer plus loin sur d’autres points de mon passage »). C’est encore la torture de la foule qui suscite la vision hallucinée de la « route pavée et murée de visages humains ». Toutes les perceptions du condamné sont soumises à la force amplificatrice de ses émotions morbides. Le bruit est évoqué comme l’onde de force d’un « tremblement de terre », les loueurs de bonnes places sont désignés par les mots « marchands de sang humain », la pluie fine devient l’image repoussante d’« un réseau de fils d’araignée ». Le Dernier Jour d’un condamné – 29 Les sensations qui accompagnent la perception de la foule par le condamné évoluent en plusieurs stades : laideur et immobilité (« tableau hideux »), immensité et immobilité (« mer immense »), éclat et onde sonores (« à faire un tremblement de terre »), métamorphose et mouvement (« la foule se démolissait […] s’allait reformer »), invasion vivante et chosifiée (« Toutes ces voix, toutes ces têtes […] ces spectateurs avides et cruels […] cette route pavée et murée de visages humains »). Cette animation de plus en plus inquiétante et fantastique de la masse des badauds s’achève dans une évocation de « tumulte », mêlant d’abord toutes sortes de cris puis ne laissant dominer qu’une voix « vaste », « glapissante » et « joyeuse ». La progression du fantastique, attaché à la peinture de la foule, trouve son terme quand la guillotine apparaît au condamné. ) La guillotine prend ce relais du fantastique par un effet inverse de celui qui a diabolisé la foule : l’effet de l’allusion, du flou et du non-dit. C’est une horreur pour laquelle les mots manquent. *+ Le récit distingue deux camps : celui des défenseurs de la guillotine, professionnels ou spectateurs, et celui des apitoyés où l’on ne compte que le prêtre et quelques voix dans la foule. C’est ainsi que l’on constate que la force actantielle des opposants dispose du bras armé de la Justice, bourreaux et gendarmes, et de la caution déchaînée et joyeuse de la foule. La force actantielle des adjuvants se réduit à des mots de compassion et au symbolisme d’un crucifix. *, Le rôle d’opposant du bourreau s’édulcore dans le protocole de la toilette du condamné conçu comme un rituel humiliant mais sans violence. *- Les ciseaux qui coupent les cheveux et le col du condamné sont, par leur fonction et leur « froid d’acier », associables symboliquement au tranchant de la guillotine et donc à des opposants. Tout ce sur quoi sont installés les badauds, avides du spectacle, y compris la tour de Notre-Dame, « celle où est le drapeau », semble apporter leur aide à la fête de l’exécution. *. et */ La déclaration que veut faire le condamné déclenche virtuellement un nouveau mouvement dramatique où pourraient s’installer des forces agissantes favorables au condamné. Ce qu’initie cette déclaration a pour objet immédiat un sursis de vie et pour objet probable une grâce. C’est au roi seul que pourrait être adressée cette déclaration. Cette illusoire voie de salut à laquelle recourt le condamné a une double portée argumentative pour le lecteur : elle met en évidence l’impossible résignation à une mort sous l’échafaud et l’arbitraire du pouvoir de grâce. ( ◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 173 à 176) Examen des textes ! Les « anachronies » dans les textes du corpus sont déclenchées par divers effets : – effet événementiel du texte A : la déclaration que veut faire le condamné lui laisse le temps de faire le récit rétrospectif de son trajet de la Conciergerie à la place de Grève ; – effet narratif du texte B : la mention du nom du marquis d’Andervilliers est prétexte à une analepse pour le présenter, expliquer ses liens avec Charles et Emma Bovary et justifier leur invitation au château de la Vaubyessard ; – effet méditatif du texte C : l’interrogation obsessionnelle de Meursault sur son exécution lui fait prendre conscience d’un manque d’informations qu’il associe à un passé où il a été sans curiosité sur le sujet des exécutions capitales. L’analepse se prolonge dans un irréel du passé. " « Quelque chose d’extraordinaire tomba dans sa vie : elle fut invitée à la Vaubyessard, chez le marquis d’Andervilliers. » # L’expression « je le verrai bien assez tôt » est une formule qui anticipe sur les usages religieux attachés aux exécutions capitales. $ Texte A : « Le trajet exécrable », titre que propose le début du chapitre XLVIII. Texte B : « Politesses condescendantes ». Texte C : « Rendez-vous manqué avec le rêve d’évasion ». Travaux d’écriture Question préliminaire Les décalages temporels introduits par les « anachronies » dans les textes du corpus se précisent comme des ouvertures sur des champs de lecture particuliers. Le texte A présente un récit rétrospectif où le champ de Réponses aux questions – 30 lecture va s’élargissant, offrant d’abord une suite de faits et de sensations inscrits dans l’espace clos de la toilette du condamné, puis une succession de perceptions auditives et visuelles associées à un espace extérieur vaste et surpeuplé, celui où s’inscrit le trajet du condamné vers la place de Grève et la guillotine. Le texte B offre une analepse à fonction explicative qui contribue à diversifier le champ de lecture en présentant l’enchaînement des faits qui ont précédé l’invitation des Bovary au château de la Vaubyessard. Le texte C met en place une analepse correspondant à un cheminement de pensée qui se tourne vers le passé et en développe avec regret une irréalité. La brève prolepse inscrite dans ce même texte se précise comme une projection angoissée vers un avenir incontournable. Commentaire Introduction Gustave Flaubert s’attache à peindre, dans Madame Bovary, la confrontation entre le réel et le rêve. Le bal au château de la Vaubyessard est pour Emma Bovary une rencontre trompeuse avec les rêves qui hantent ses pensées de jeune femme sentimentale, nourrie de lectures idéalistes. L’épisode de l’invitation, tel qu’il est raconté dans son commencement, met en place, à travers le portrait d’un aristocrate, les « petits mensonges » qui anticipent sur les grandes illusions et désillusions à venir pour Emma. 1. Le portrait d’un aristocrate A. Un notable démagogue • Régression politique. • Opportunisme électoral. B. La « morgue des Grands » • Délégation de l’intendance. • Politesse du « bon plaisir ». • Esprit de « classe ». 2. Le romanesque des « petits mensonges » A. Romanesque provincial • La nature règle les rapports sociaux, crée les contacts. • Raccourci du corps social : le château, le bourg, la campagne. • La figure privilégiée du médecin. B. Romanesque réaliste • Inégalité sociale. • La force du prétexte galant. 3. L’ironie de Flaubert A. Le décor et l’envers du décor • Le double sens des phrases. • Les mots fatals. B. Les obstacles matériels pour être à la hauteur de l’événement • Le « boc » d’un déménagement. • La mauvaise heure. Conclusion Cet extrait illustre la capacité de Flaubert à associer une peinture objective du réel à des représentations mentales qui sont à la fois celles de ses héros et les siennes propres. Cette alliance d’objectivité et de subjectivité permet ici de s’imaginer la complexité sociale dans laquelle va se perdre Emma. Dissertation Introduction On imagine aisément un lecteur parcourant un récit sans s’arrêter aux descriptions et autres ruptures textuelles. Philippe Sollers excuse d’avance une telle lecture quand il reproche à la rupture textuelle « de compromettre la lisibilité d’un récit et le plaisir de la lecture ». Le Dernier Jour d’un condamné – 31 Si l’on considère les facilités des récits linéaires, ce reproche peut sembler fondé. Mais, en approfondissant les justifications et les réussites des ruptures textuelles, on découvre qu’une juste évaluation de ce procédé narratif ne peut se faire sans s’arrêter à ses fonctions et leurs atouts pour les genres romanesque et théâtral. 1. Les facilités du récit linéaire A. Un récit sommaire dont les séquences correspondent à une progression dramatique où les actions s’enchaînent conséquemment jusqu’au dénouement • Les faits retenus sont indispensables à l’intrigue ; il n’y a pas d’action secondaire : les contes pour enfants, les fables (« La Cigale et la Fourmi », « Le Corbeau et le Renard » de La Fontaine). • La médiation du narrateur n’est dans ce cas guère perceptible : le récit y gagne en vivacité. • Le lecteur est fixé dans une attente faite d’espoir ou de crainte : ce qu’il attend se résume à toutes les éventualités que porte l’intrigue. B. Un récit linéaire où domine la focalisation externe accentue l’effet de réel • Le narrateur-témoin en sait moins que les personnages qu’il évoque : nouvelles et contes de Maupassant. • Le plaisir de lecture tient là à la stimulation de la curiosité pour éclairer les opacités psychologique et dramatique du récit ; les personnages se construisent par leurs actes (Rachel dans Mademoiselle Fifi de Maupassant). 2. Fonction des ruptures textuelles A. Fonction esthétique, dilatoire et dramatique de la description • La description pour créer un décor : la pension Vauquer dans Le Père Goriot de Balzac. • La description pour tenir en haleine le lecteur ou écrire une belle page riche en symboles, en harmonie ou en opposition avec le récit : l’Hôtel de Ville d u Dernier Jour d’un condamné (chap. XXXVII). • La description pour articuler les séquences du récit (Le Dernier Jour d’un condamné, chap. XXVIII). B. Fonction explicative des analepses biographiques • Des portraits précisés et complétés (Le Dernier Jour d’un condamné, chap. XXXIII). • Des situations éclairées (texte B). 3. L’opportunité du procédé selon les genres A. Le roman y a trouvé sa profondeur et ses innovations • Les conventions du roman réaliste ont largement puisé dans les procédés narratifs propres à perturber l’ordre temporel linéaire. • Les romans se voulant « critiques de l’illusion romanesque » ont établi leur transgression narrative sur des pauses et des retardements de récit (Jacques le Fataliste de Diderot). • Le « Nouveau Roman » a fait des ruptures temporelles un procédé essentiel de l’apparente incohérence de la conscience avec ses opacités (Moderato Cantabile de Marguerite Duras). B. Le théâtre, par le jeu du « théâtre dans le théâtre », introduit sur la scène une double chronologie particulièrement opératoire • Le temps de la feinte et du mensonge en alternance avec le temps de la réalité pour des effets de parodie (La Farce de Maître Pathelin, Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux). • Le temps de l’illusion magique et celui du présent pour argumenter en faveur du théâtre (L’Illusion comique de Corneille). • Le faux temps de la gloire associé au vrai temps de la servitude pour briser les frontières génériques (Ruy Blas de Victor Hugo). Conclusion Le plaisir de la lecture, s’il se conçoit comme une facilité pour l’esprit, va s’associer aux présentations narratives les plus sommaires. S’il s’attache à la découverte de jeux d’écriture subtils et suggestifs, il ne peut qu’apprécier la rencontre avec des œuvres littéraires qui savent user des libertés qu’offrent les genres narratif ou théâtral pour cheminer dans le temps. Réponses aux questions – 32 Écriture d’invention L’article qu’il s’agit de présenter doit avoir pour sujet essentiel « la toilette du condamné », mais doit s’intéresser aussi à la foule qui est à l’extérieur de la Conciergerie. Le journaliste peut en effet commencer son article en évoquant brièvement son arrivée à la prison. De plus, il est à la fenêtre et voit donc le public qui attend la sortie du condamné : – arrivée à la Conciergerie : foule des fêtes et retour sur les exécutions précédentes (analepse) ; – installation du journaliste à la fenêtre de la pièce où doit passer le condamné ; – arrivée du condamné : portrait du « criminel » et retour (analepse) sur son dossier criminel ; – la toilette du condamné : ses phases, les précautions courtoises du bourreau et de ses valets, le « rugissement étouffé » du condamné ; – sortie du condamné : son portrait, le prêtre, la marche difficile. L’article peut se concevoir comme celui d’un esprit en pleine conversion abolitionniste : conclusion (« tableau hideux ») et prolepse pour des engagements futurs. Mais ce peut être aussi un texte en contrepoint avec le registre du texte de Hugo : la forme journalistique de l’opinion publique. Le Dernier Jour d’un condamné – 33 COMPLÉMENTS A U X L E C T U R E S D ’IMAGES ◆ Moritz von Schwind, Le Rêve du prisonnier (p. 52) Le romantisme en peinture Le romantisme, notamment en peinture, affirme son unicité à travers les thèmes dont il s’inspire : communion avec la nature dans ce qu’elle a de sauvage et de mystérieux, plongée dans l’inconscient, refus de toute visée moralisante, goût pour l’irrationnel, intérêt porté à l’époque médiévale. Alors que l’art classique ou néoclassique privilégie la clarté de l’expression et la retenue des émotions, l’art romantique cherche de façon caractéristique à exprimer, par la suggestion, des sentiments intenses, mystiques ou fugitifs. En France, sous l’Empire, Géricault exprime sa vision romantique de la guerre et théâtralise le champ de bataille aux couleurs d’une réalité atroce (Cuirassier blessé quittant le champ de bataille). En 1819, dans Le Radeau de la Méduse, il représente le paroxysme de la souffrance humaine et l’inexorabilité de la destinée, thèmes qui vont trouver écho chez Eugène Delacroix avec Les Massacres de Scio. En Allemagne, la peinture romantique puise ses sources dans l’idée d’une nature issue d’une manifestation divine. Elle donne naissance à une école de peinture de paysages symboliques, où domine une inspiration mystique ou féerique. Moritz von Schwind emprunte ses thèmes à la mythologie et aux contes de fées germaniques. En Angleterre, le plus radical de tous les peintres romantiques est William Turner (1775-1851), mêlant nuages, brume, neige et mer en un tourbillon dans lequel tous les éléments se dissolvent. Turner voyage et s’inspire des paysages les plus romantiques, tout particulièrement ceux d’Écosse et du pays de Galles. Il fut à l’avant-garde de la peinture moderne, poussant sa manière de peindre et sa compréhension des couleurs dans des voies qui inquiétèrent et effrayèrent la critique. Il influença magistralement la peinture impressionniste. Freud et Le Rêve du prisonnier L’iconographie romantique privilégie les images de la mélancolie tantôt dominée par l’angoisse, tantôt exprimée dans des attitudes contemplatives. Freud a commenté le tableau Le Rêve du prisonnier. Ce tableau illustre en effet la conception freudienne du rêve, comme accomplissement du désir. C’est ainsi que l’on peut lire l’analyse suivante dans un chapitre de son Introduction à la psychanalyse : « C’est Le Rêve du prisonnier qui ne peut naturellement pas avoir d’autre contenu que l’évasion. Ce qui est très bien saisi, c’est que l’évasion doit s’effectuer par la fenêtre, car c’est par la fenêtre qu’a pénétré l’excitation lumineuse qui met fin au sommeil du prisonnier. Les gnomes juchés les uns sur les autres représentent les poses successives que le prisonnier aurait à prendre pour se hausser jusqu’à la fenêtre et, à moins que je me trompe et que j’attribue au peintre des intentions qu’il n’avait pas, il me semble que le gnome qui forme le sommet de la pyramide et qui scie les barreaux de la grille, faisant ainsi ce que le prisonnier lui-même serait heureux de pouvoir faire, présente une ressemblance frappante avec ce dernier. » Travaux proposés – Relevez dans le tableau les éléments qui prennent une valeur de symboles positifs. Quelle métaphore composent-ils ? – Quelle action représente une synecdoque de l’évasion ? – Quel détail du tableau met le prisonnier en relation avec les gnomes ? – Réalisez une planche de B.D. où, dans un décor carcéral plus contemporain, vous développerez et amplifierez l’ironie contenue dans ce tableau. ◆ François-Auguste Biard, L’Abolition de l’esclavage. 27 avril 1848 (p. 67) L’auteur Peintre officiel sous Louis-Philippe, Biard est un artiste populaire en France pendant la période romantique. Sa production picturale porte sur les sujets les plus divers, mais surtout sur les mœurs et paysages peints à partir des nombreux voyages réalisés depuis le début du XIXe siècle en Syrie, en Compléments aux lectures d’images – 34 Égypte, à Spitzberg, en Laponie, en Norvège, au Brésil et en Amérique du Nord. La liaison amoureuse de son épouse, Léonie d’Aunet, avec Victor Hugo a entouré d’un scandale mondain et judiciaire, à partir de 1845, la renommée du peintre ; la notoriété de l’amant de sa femme lui a en quelque sorte fait de l’ombre. Le sujet du tableau La Proclamation de la liberté des Noirs dans les colonies françaises est une œuvre emblématique de l’engagement du peintre aux côtés des partisans de la libération des esclaves. Mais elle inscrit cet engagement dans l’imagerie coloniale la plus officielle. Structure du tableau Le premier plan est constitué par trois groupes : au milieu, deux esclaves à genoux, avec, à gauche, des esclaves aux pieds des mousses de la Marine et, à droite, debout, les maîtres colons. En second plan, au centre du tableau, mis en valeur par le geste et par un effet de position dominante, deux esclaves brandissant leurs chaînes rompues. À gauche, sur une estrade, le député, représentant de la République, avec son écharpe tricolore, tient le texte libérateur en main ; la ligne de fuite qu’indique son bras levé s’évanouit dans les plis du drapeau français. Entre les esclaves debout et le député, des esclaves agenouillés mais enthousiastes. À droite, dos tourné aux deux esclaves du centre, un homme habillé de clair semble jeter un regard sinon étonné, du moins curieux sur le rassemblement. À l’arrière-plan, dans le flou d’un ciel tropical, le décor exotique des îles antillaises avec les cocotiers, les plaines de culture et les montagnes. La rhétorique de l’éloge Le tableau traite le sujet de l’abolition en termes d’éloge adressé à la République libératrice et à la société des colons : – panégyrique porté par la partie gauche du tableau : éloge historique associant la nation, l’armée et la République ; – hommage suggéré par les esclaves agenouillés ; hommage appuyé par le jeu de l’opposition de couleurs entre le noir et le blanc ou de couleurs claires ; – propagande assurée par l’image d’une parfaite harmonie entre deux communautés très différentes et très inégales dans leur statut économique. Travaux proposés – Quels sont les critères d’un art officiel d’après la facture du tableau de François-Auguste Biard ? – Quels clivages sont suggérés dans ce tableau comme de futurs obstacles à la société postcoloniale ? – Recherchez les œuvres littéraires francophones les plus récentes qui ont été inspirées par le souvenir de l’esclavage. ◆ La Grande Fatigue (p. 90) Le sens du titre À partir du XVIII e siècle, les progrès de la navigation écartent les bagnards du sort des galériens. Le 27 septembre 1748, une ordonnance royale prévoit de nouvelles conditions de détention. L’article 11 de cette ordonnance mentionne que les condamnés seront logés « à terre, dans des bagnes, salles de force et autres lieux qui seront destinés à les enfermer ». L’article 25 précise qu’ils « seront employés, à tour de rôle, aux travaux de fatigue des arsenaux, suivant les ouvrages auxquels ils pourront être destinés ». C’est de cette réglementation qu’est née l’expression « la grande fatigue », pour désigner la peine de travaux forcés de trois ans au moins que devaient effectuer les forçats. C’était un temps où, toujours enchaînés, les condamnés étaient employés au transport du bois, des pierres, aux travaux de terrassement, à toutes les tâches les plus pénibles de la construction et de l’entretien. Par la suite, si un condamné faisait preuve de bonne conduite, il pouvait prétendre à « la petite fatigue » et devenir employé de bureau, comptable, cuisinier, cantinier, jardinier, peintre, tailleur, balayeur, etc. Les forçats recevaient pour leurs travaux un faible salaire qui ne pouvait dépasser le sixième de celui d’un ouvrier libre. Le Dernier Jour d’un condamné – 35 Travaux proposés – Recherchez une documentation sur ce que l’on appelle aujourd’hui « les travaux d’intérêt général ». Quelles garanties sociales et financières s’y rattachent pour ceux qui y sont condamnés ? – Retrouvez dans la documentation sur les camps de concentration de la Seconde Guerre mondiale les grands travaux auxquels ont été soumis nombre de déportés. – Quelle forme aurait dû avoir le roman Le Dernier Jour d’un condamné pour que le lecteur puisse y trouver la description d’un type de scène semblable à celle du tableau La Grande Fatigue. ◆ Honoré Daumier, Les Gens de justice (p. 124) L’auteur En 1820, Honoré Daumier – il a à peine douze ans – est employé comme saute-ruisseau chez un huissier, puis, l’année suivante, comme commis chez Delaunay, libraire et éditeur au Palais-Royal. Ainsi il découvre très tôt le microcosme parisien : le monde de la justice, la foule pittoresque et interlope, le petit peuple des rues, des quais et des boutiques. La réputation du caricaturiste va se jouer entre les deux mouvements populaires de 1830 et de 1848. Les « Trois Glorieuses », auxquelles il participe avec conviction, et l’effervescence politique et sociale qui caractérise ensuite le règne du « roi bourgeois » vont stimuler son prodigieux talent pour la satire et la caricature. Le premier document dont on dispose pour se faire une idée de cette notoriété naissante est une note du journal La Caricature du 30 août 1832 : « Au moment où nous écrivions ces lignes, on arrêtait, sous les yeux de son père et de sa mère, dont il était le seul soutien, M. Daumier, condamné à six mois de prison pour la caricature de Gargantua. » Le parti républicain adopte cet ennemi talentueux des conservateurs qui ridiculise le roi en Gargantua. On ne peut rendre compte de l’époque de Louis-Philippe sans consulter Daumier. Attaché à trois publications importantes – La Caricature, Le Charivari et l’Association mensuelle lithographique –, Daumier y fustige l’autoritarisme, le conformisme bourgeois, la morgue répressive, mais aussi les idées à la mode ; il ridiculise notamment bien des aspects du féminisme naissant. La vigueur de sa compréhension de l’exploitation des humbles, telle que l’expriment ses caricatures, transparaît aussi dans son œuvre de peintre. On peut en fait distinguer trois Daumier : le lithographe-caricaturiste qui, à l’exception des années 1860-1863 où il est momentanément licencié par Le Charivari , ne cesse de travailler jusqu’au lendemain de la Commune ; le peintre dont la thématique picturale rejoint celle de son œuvre lithographique ; le sculpteur, enfin, auquel nous devons un bas-relief, intitulé Les Émigrants, d’une admirable puissance expressive et que l’on peut interpréter comme une allusion masquée aux déportations de républicains survenues après juin 1848. L’œuvre Dans les Curiosités esthétiques, Baudelaire rend hommage à Daumier et propose une analyse de son œuvre de caricaturiste en ces termes : « Feuilletez son œuvre, et vous verrez défiler devant vos yeux, dans sa réalité fantastique et saisissante, tout ce qu’une grande ville contient de vivantes monstruosités. Tout ce qu’elle renferme de trésors effrayants, grotesques, sinistres et bouffons, Daumier le connaît. Le cadavre vivant et affamé, le cadavre gras et repu, les misères ridicules du ménage, toutes les sottises, tous les orgueils, tous les enthousiasmes, tous les désespoirs du bourgeois, rien n’y manque. Nul comme celui-là n’a connu et aimé (à la manière des artistes) le bourgeois, ce dernier vestige du Moyen Âge, cette ruine gothique qui a la vie si dure, ce type à la fois si banal et si excentrique. Daumier a vécu intimement avec lui, il l’a épié le jour et la nuit, il a appris les mystères de son alcôve, il s’est lié avec sa femme et ses enfants, il sait la forme de son nez et la construction de sa tête, il sait quel esprit fait vivre la maison du haut en bas. » On peut, à partir de ce regard en profondeur de Baudelaire sur ce que montre le dessin de Daumier, approfondir l’image du juge présentée dans le document de la page 124. Le dos en arrière, la nuque appuyée au fauteuil, la tête un peu inclinée sur le côté, les mains sur l’estomac, tout dans ce personnage exprime une position de sieste digestive alors même qu’il a à décider du sort d’un malheureux voleur. Cette position du corps met en place l’idée du confort de vie de cet individu et celle d’une prise de distance spontanée avec les implications morales de sa profession de juge. Le bien-être du corps transmet l’idée que le juge fait abstraction des difficultés de l’accusé, alors même qu’il a à les évaluer. Le mouchoir étalé sur le bureau confirme un laisser-aller que seuls la robe et le mortier du juge masquent. La légende confirme les effets de l’image. Elle formule en effet un discours d’individu qui ramène tout à soi et qui a le cynisme d’établir une analogie entre ses « petits creux » d’estomac et le ventre creux du malheureux affamé qu’il a devant Compléments aux lectures d’images – 36 lui. Daumier individualise aussi avec force les deux autres personnages. Le voleur, bouche ouverte, semble être ébahi par ce juge qui « se raconte ». Son regard exprime aussi avec force la peur que peut inspirer une monstruosité incontrôlable. Il donne par ce regard sur le juge une relecture de ce que l’on en a vu plus haut. Le gendarme dont le corps paraît collé à celui du voleur marque la pression de la vigilance policière. Mais son regard dirigé vers le juge semble sévère et son visage traduit les effets de la consternation d’un subalterne qui ne peut rien dire mais n’en pense pas moins. Travaux proposés – Présentez, comme pourrait le faire un narrateur omniscient, la pensée intérieure du voleur que Daumier place devant le juge. – Quelle argumentation sous-entend le propos attribué au juge dans la légende du tableau ? Quelle en est la faiblesse ? – Quels objets dans le tableau rappellent que le métier d’un juge est d’appliquer des textes de loi et non de se prendre en exemple ? ◆ René Magritte, Le Portrait (p. 137) Le sujet du tableau Le génie de Magritte s’exprime dans de nombreuses « réécritures ». Sur la toile Le Portrait, on peut observer un décor presque analogue à celui du tableau Le Magicien, mais sans autre élément humain qu’un œil dans une assiette. Pour Magritte, « la relation entre le titre et le tableau est poétique ». Il demande donc à son public d’être suffisamment inspiré pour établir seul une correspondance entre ce qui est peint sur la toile et le titre du tableau. S’il y a souvent un chaînon manquant entre le titre et la toile, c’est généralement un trait d’humour qui refait l’unité. Devant Le Portrait, le lien entre ce qui est peint et le titre peut s’établir avec divers chaînons logiques : un jeu de mots (porc-trait), un jeu d’analogies (visage rond comme une assiette), un jeu de miroir (l’œil cyclopéen de l’affamé qui passe à table), un jeu métaphorique (le charme de l’assiette pleine et de la table accueillante), un jeu d’allusion autobiographique (Magritte n’eut jamais d’atelier et peignit en quasi-permanence sur la table de sa cuisine, espace pour l’œil du peintre et pour sa subsistance). Ces diverses interprétations humanisent ou déshumanisent le titre. On est bien dans la liberté poétique recherchée par Magritte. Les composantes du tableau Une scène à dominante réaliste par les objets rassemblés. Une scène fantastique par « l’œil du jambon ». Une scène naïve par l’aspect sommaire du trait, des couleurs et des contrastes. L’économie des moyens semble confirmer ces mots provocateurs de Magritte : « C’est délicat, la peinture, c’est insoluble. C’est emmerdant en soi, c’est emmerdant à faire, c’est emmerdant à mettre sur le marché. » Travaux proposés – Relevez, dans Le Portrait, les indices d’un art minimaliste. – Quels messages publicitaires pourraient être associés à ce tableau ? – À quels aspects du fantastique se rattache l’œil dans l’assiette ? ◆ Les caricatures de Victor Hugo (pp. 44, 69) Le XIXe siècle, Victor Hugo et la caricature Le XIXe siècle est l’âge d’or de la caricature, et comme tous les « grands hommes » de son temps, Hugo retient l’attention des journaux satiriques illustrés. Il ne cesse d’être l’objet de multiples charges, signées des plus grands, tels Daumier, Doré ou Nadar. Mais il pratiqua lui-même cet art avec bonheur : il entretenait d’ailleurs des relations d’estime avec de nombreux caricaturistes et collectionnait les œuvres qui le moquaient. Dans les dessins présentés aux pages 44 et 69, caricature et légende sont associées (comme chez Daumier, p. 124). Travail proposé – Par quels traits s’établit le relais symbolique entre l’image et le texte dans les caricatures de Hugo (pp. 44, 69) et dans celle de Daumier (p. 124) ? Le Dernier Jour d’un condamné – 37 ◆ Les autres documents reproduits (pp. 27, 92, 131, 163, 168, 191) Gravures et dessins d’histoire Ce que l’on appelle aujourd’hui « dessin ou gravure d’histoire » est pour le public de l’époque un document d’actualité. Au XIXe siècle, des périodiques comme L’Illustration ou Le Magasin pittoresque font un travail d’information populaire, avec l’idée que l’image est un outil de connaissance et que le dessin est plus accessible que le texte. Les œuvres des plus grands auteurs, romanciers et poètes, sont également illustrées. C’est une époque où l’on élargit l’accession au savoir par le dessin et la gravure, « le crayon et le burin ». Les documents cités ici témoignent de ce souci d’instruction et de moralisation. Travaux proposés – Précisez, pour chacun des documents, les idées vulgarisées. – Formulez une légende abolitionniste et une légende d’ordre moral pour chacune des illustrations des pages 163 et 168. Corpus supplémentaire – 38 CORPUS SUPPLÉMENTAIRE U n e p é r o r a i s o n (lecture analytique des chapitres XXXIV à XXXIX, pp. 149 à 152) Dans la préface de 1832, Victor Hugo présente Le Dernier Jour d’un condamné comme un plaidoyer. Par ce terme, il associe ce récit fictif à l’art oratoire et à ses principes rhétoriques. Il n’est donc pas étonnant de trouver dans les chapitres qui correspondent aux dernières heures de vie du locuteur un discours qui est à rapprocher de la péroraison des discours oratoires. On observe en effet dans ces chapitres un propos qui contribue à résumer la situation antérieure du condamné et à y associer des éléments propres à accentuer le pathos de sa situation présente. À la manière de l’orateur, le condamné sollicite une pitié qui fasse prévaloir l’image du supplicié sur celle du criminel. La clausule de la péroraison – le dernier mot du chapitre XXXIX – se prépare dans une alternance d’appels à la pitié et de protestations. Le pathos de ce passage se constitue dans la confrontation des époques, des lieux et des actes. Cette confrontation parvient à valoriser le personnage du condamné. Elle développe aussi une progression dramatique qui transforme la résignation précédente en révolte. La confrontation des époques, des lieux et des actes Précisez l’échelle du temps qui sert de référence à la méditation du condamné. " Relevez les termes qui construisent une opposition quantitative et qualitative entre son vécu de condamné et sa vie précédente. # Quels lieux sont évoqués dans cette suite de chapitres ? Lesquels sont présentés comme complices de l’exécution du condamné ? $ Par quelles images ces lieux prennent-ils cette fonction de complicité ? % À quels actes de la vie est associée l’idée du bonheur passé pour le condamné ? De quelles activités et de quel style de vie se sent-il exclu ? & Quels champs lexicaux soulignent la passivité présente et forcée du condamné ? ! La valorisation du personnage ' ( ) *+ *, Quelle histoire du personnage se trouve résumée dans ces chapitres ? Comment cette histoire s’inscrit-elle dans une intention autobiographique ? Quels procédés de style contribuent à voiler le statut de criminel du condamné ? Quels champs lexicaux mettent en place un autoportrait de victime ? Quel trait ajoute à cet autoportrait l’humour de certaines remarques ? Les effets du mouvement dramatique Quelle attente constitue la progression dramatique attachée aux chapitres XXXIV à XXXIX ? *. Par quels détails est précisée cette attente ? */ Comment les clausules de chacun de ces six chapitres établissent-elles une progression et une aggravation du ton du discours ? *0 Quels sentiments du condamné sont explicités par la dernière clausule ? *- Le Dernier Jour d’un condamné – 39 L a r e p r é s e n t a t i o n s u b j e c t i v e d e s l i e u x (lectures croisées et travaux d’écriture) Une fiction romanesque s’inscrit dans des lieux que déterminent des choix soit de réalisme, soit de symbolisme, soit aussi de fantastique. C’est dire que les lieux de l’imaginaire littéraire se rattachent à une création privilégiant ou l’objectivité, ou la subjectivité. Les liens qu’établit Le Dernier Jour d’un condamné entre certains sites parisiens et le narrateur se tissent à partir de l’isotopie judiciaire de la peine capitale. La hantise du narrateur fictif recrée la réalité des lieux qui constituent son itinéraire d’exécution. Les créations littéraires qui s’attachent à montrer des décors réels soumis à la subjectivité du narrateur ou des personnages permettent de découvrir ou de revisiter des espaces transformés par des figures d’analogie ou d’opposition qui les associent à des thèmes variés, voire inattendus. Aucun des grands genres littéraires n’exclut ce type de description. La poésie et le théâtre se servent, tout comme le roman, de l’espace réel pour y investir des représentations subjectives. Texte A : Chapitres XXXVI et XXXVII du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo (p. 00) Texte B : Joachim Du Bellay, Les Antiquités de Rome Joachim Du Bellay (1522-1560) a débuté dans la carrière littéraire en rédigeant un manifeste exprimant une nouvelle doctrine littéraire : Défense et Illustration de la langue française (1549). Cette publication a été suivie de la résolution des poètes rassemblés autour des principes énoncés par Du Bellay de se présenter sous le nom de Brigade puis de Pléiade. En dépit de son rôle primordial dans ce groupe novateur, Du Bellay a connu bien des difficultés dans sa carrière de poète. Son installation à Rome (1553), qui devait combler ses enthousiasmes pour l’humanisme gréco-latin, a ouvert une période de grandes difficultés matérielles et déceptions intellectuelles. Ce furent en fait quatre années d’exil auxquelles son retour en France n’apporta guère de compensations. C’est néanmoins cet exil romain qui lui a inspiré deux de ses plus grandes œuvres poétiques, Les Antiquités de Rome et Les Regrets, parues après son retour en France en 1558. Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome Et rien de Rome en Rome n’aperçois, Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois, Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme. Vois quel orgueil, quelle ruine : et comme Celle qui mit le monde sous ses lois, Pour dompter tout, se dompta quelquefois, Et devint proie au temps, qui tout consomme. Rome de Rome est le seul monument, Et Rome Rome a vaincu seulement. Le Tibre seul, qui vers la mer s’enfuit, Reste de Rome. Ô mondaine inconstance ! Ce qui est ferme, est par le temps détruit, Et ce qui fuit, au temps fait résistance. Joachim Du Bellay, Les Antiquités de Rome, 1558. Texte C : Alfred de Musset, Lorenzaccio Alfred de Musset (1810-1857) a été reconnu dès son adolescence comme une figure éminente du romantisme littéraire. Il a révélé très tôt, en les associant étroitement dans le temps, son génie de poète et son inspiration de dramaturge. Un an après la publication de son drame Lorenzaccio (1834), il compose une œuvre poétique majeure, les Nuits (1835-1837). Chacune de ces œuvres fait retrouver des traits propres à Musset et établit un lien avec La Confession d’un enfant du siècle (1836), œuvre semi-autobiographique qui analyse le scepticisme de la génération romantique. Lorenzaccio met en scène ce scepticisme à travers le personnage de Lorenzo. Jouant un jeu double avec la corruption de Florence et de son prince, ce personnage se prépare à assassiner le tyran, dont il s’est fait le complice, tout en doutant de la capacité des Florentins à apprécier leur libération. L’enthousiasme naïf du jeune peintre Tebaldeo l’incite à des provocations qui lui permettent de jouer sur les deux tableaux de son action : celui du corrupteur et celui du justicier. LORENZO. Est-ce un paysage ou un portrait ? De quel côté faut-il le regarder, en long ou en large ? TEBALDEO. Votre Seigneurie se rit de moi. C’est la vue du Campo-Santo1. LORENZO. Combien y a-t-il d’ici à l’immortalité ? VALORI. Il est mal à vous de plaisanter cet enfant. Voyez comme ses grands yeux s’attristent à chacune de vos paroles. TEBALDEO. L’immortalité, c’est la foi. Ceux à qui Dieu a donné des ailes y arrivent en souriant. VALORI. Tu parles comme un élève de Raphaël2. TEBALDEO. Seigneur, c’était mon maître. Ce que j’ai appris vient de lui. LORENZO. Viens chez moi ; je te ferai peindre la Mazzafirra toute nue. Corpus supplémentaire – 40 TEBALDEO. Je ne respecte point mon pinceau, mais je respecte mon art ; je ne puis faire le portrait d’une courtisane3. LORENZO. Ton Dieu s’est bien donné la peine de la faire ; tu peux bien te donner celle de la peindre. Veux-tu me faire une vue de Florence ? TEBALDEO. Oui, monseigneur. LORENZO. Comment t’y prendrais-tu ? TEBALDEO. Je me placerais à l’orient, sur la rive gauche de l’Arno. C’est de cet endroit que la perspective est la plus large et la plus agréable. LORENZO. Tu peindrais Florence, les places, les maisons et les rues ? TEBALDEO. Oui, monseigneur. LORENZO. Pourquoi donc ne peux-tu peindre une courtisane, si tu peux peindre un mauvais lieu ? TEBALDEO. On ne m’a point encore appris à parler ainsi de ma mère. LORENZO. Qu’appelles-tu « ta mère » ? TEBALDEO. Florence, seigneur. LORENZO. Alors, tu n’es qu’un bâtard, car ta mère n’est qu’une catin4. TEBALDEO. Une blessure sanglante peut engendrer la corruption dans le corps le plus sain. Mais des gouttes précieuses du sang de ma mère sort une plante odorante qui guérit tous les maux. L’art, cette fleur divine, a quelquefois besoin du fumier pour engraisser le sol qui la porte. LORENZO. Comment entends-tu ceci ? TEBALDEO. Les nations paisibles et heureuses ont quelquefois brillé d’une clarté pure, mais faible. Il y a plusieurs cordes à la harpe des anges ; le zéphyr peut murmurer sur les plus faibles, et tirer de leur accord une harmonie suave et délicieuse ; mais la corde d’argent ne s’ébranle qu’au passage du vent du Nord. C’est la plus belle et la plus noble ; et cependant le toucher d’une rude main lui est favorable. L’enthousiasme est frère de la souffrance. LORENZO. C’est-à-dire qu’un peuple malheureux fait les grands artistes. Je me ferais volontiers l’alchimiste de ton alambic 5 ; les larmes des peuples y retombent en perles. Par la mort du Diable, tu me plais. Les familles peuvent se désoler, les nations mourir de misère, cela échauffe la cervelle de monsieur. Admirable poète ! comment arranges-tu tout cela avec ta piété6 ? TEBALDEO. Je ne ris point du malheur des familles : je dis que la poésie est la plus douce des souffrances, et qu’elle aime ses sœurs. Je plains les peuples malheureux, mais je crois en effet qu’ils font les grands artistes ; les champs de bataille font pousser les moissons, les terres corrompues engendrent le blé céleste. Alfred de Musset, Lorenzaccio, extrait de la scène 2 de l’acte II,1834. 1. Campo-Santo : cimetière de Florence. 2. Raphaël Sanzio (1483-1520), peintre de grande renommée qui a participé, à partir de 1504, à de prestigieux travaux de décoration à Florence et à Rome. Ses madones et ses anges sont toujours représentés souriants. 3. courtisane : prostituée. 4. catin : prostituée. 5. l’alchimiste de ton alambic : métaphore ironique pour dire « l’artisan de la transformation de la souffrance en beauté », alchimie qu’opère l’enthousiasme de Tebaldeo. 6. piété : sentiment de dévotion et de respect pour Dieu. Corpus Texte A : Chapitres XXXVI et XXXVII du Dernier Jour d’un condamné de Victor Hugo. Texte B : Extrait des Antiquités de Rome de Joachim Du Bellay. Texte C : Extrait de la scène 2 de l’acte II de Lorenzaccio d’Alfred de Musset. Examen des textes Quels sentiments sont associés aux lieux évoqués dans chacun des textes du corpus ? " Précisez les procédés qui explicitent ces sentiments. # Relevez la métaphore du texte B et celle du texte C. Quelle autre figure de style instaurent-elles pour l’évocation des lieux ? $ Précisez le mode de discours commun aux textes B et C. Comment s’en rapproche le texte A ? ! Travaux d’écriture Question préliminaire Quels sont les divers indices de la subjectivité dans l’évocation des lieux présentés dans les textes du corpus ? Commentaire Vous ferez le commentaire du poème extrait des Antiquités de Rome de Joachim Du Bellay (texte B). Dissertation Les lieux peuvent-ils prendre un rôle d’acteurs à partir des évocations qu’en donnent les textes littéraires ? Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures personnelles. Écriture d’invention Écrivez un dialogue entre le personnage du condamné à mort et un peintre ému par la beauté de l’Hôtel de Ville de Paris. Le Dernier Jour d’un condamné – 41 BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE ◆ Éditions et préfaces – Le Dernier Jour d’un condamné, présentation par Jean Massin, Le Club français du livre, 1967. – Le Dernier Jour d’un condamné, notice et notes de Jacques Seebacher, Robert Laffont, 1985. – Le Dernier Jour d’un condamné, préface de Robert Badinter et notes de Guy Rosa, « Le Livre de Poche », L.G.F., 1989. – Le Dernier jour d’un condamné, postface de Jacques Le Mérinel, « L’École des lettres », éd. du Seuil, 1992. ◆ Sur Victor Hugo – Mahmoud Aref, La Pensée sociale et humaine de Victor Hugo dans son œuvre romanesque, Champion, 1979. – Henri Meschonnic, Écrire Hugo, Gallimard, 1977. – Pierre Laforgue, Hugo, Romantisme et Révolution, Les Belles Lettres, 2001. – Philippe Van Tieghem, Victor Hugo, un génie sans frontières (Dictionnaire de sa vie et de son œuvre), Larousse, 1985. ◆ Sur Le Dernier Jour d’un condamné – Victor Brombert, La Prison romantique. Essai sur l’imaginaire, José Corti, 1975. – Gustave Charlier, « Comment fut écrit Le Dernier Jour d’un condamné », Revue d’histoire littéraire de la France n° 22, juillet-décembre 1915, pp. 321-360. – Jacques Migozzi, « L’engagement d’une écriture », G comme Hugo, « Travaux de l’université de Saint-Étienne », CIEREC, 1987. – Jean Rousset, « Le Dernier Jour d’un condamné ou l’invention d’un genre littéraire », Le Lecteur intérieur de Balzac au journal, José Corti, 1986. – Paul Savey-Casard, Le Crime et la Peine dans l’œuvre de Victor Hugo, Presses universitaires de France, 1956. ◆ Sur l’abolition de la peine de mort – Albert Camus, L’Étranger, Gallimard, 1942. – Victor Hugo, Choses vues, souvenirs, journaux, cahiers (1830-1885), coll. « Quarto », Gallimard, 2002. – Victor Hugo, Claude Gueux suivi de La Chute, coll. « Folio Plus », Gallimard, 2004. – Victor Hugo et Victor Schœlcher, Lettres, par Jean et Sheila Gaudon, Flohic Éditions, 1998. – Victor Hugo, Écrits politiques, par Franck Laurent, « Le Livre de Poche », L.G.F., 2001. – Jérôme Picon et Isabelle Violante, Victor Hugo contre la peine de mort, préface de Robert Badinter, éd. Textuel, 2001. – Victor Hugo, Combats politiques et humanitaires, Pocket, 2002. ◆ Sur l’écriture du « moi » – Dorrit Cohn, La Transparence intérieure, éd. du Seuil, 1981. – Vincent Jouve, L’Effet-Personnage dans le roman, PUF, 1992. – Philippe Lejeune, L’Autobiographie en France, Armand Colin, 1998. – Philippe Lejeune et Catherine Bogaert, Un journal à soi. Histoire d’une pratique, éd. Textuel, 2003. – Claude Mauriac, « Victor Hugo et le monologue intérieur », Le Figaro littéraire, 26 janvier 1974. – Valérie Raoul, Le Journal fictif dans le roman français, PUF, 1999. ◆ Sites « Victor Hugo » – Groupe Hugo : groupugo.div.jussieu.fr – Maison de Victor Hugo : www.paris.fr/musees/Maison_de_Victor_Hugo