Bilan de la présence militaire européenne en Afrique
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Bilan de la présence militaire européenne en Afrique
Bilan de la présence militaire européenne en Afrique subsaharienne, 2000-2010 Par Martine Cuttier Examiner la présence militaire européenne en Afrique subsaharienne dans la première décennie du présent siècle invite au préalable à évoquer – brièvement – les épisodes qui ont précédé, et le processus d’intégration interne, initié dans les années 1950, qui voit émerger, à côté des politiques nationales, un embryon de politique étrangère et militaire commune dont l’Afrique est l’un des terrains d’application. On s’attachera par la suite à préciser les premières et les secondes, leurs rapports, formes et diverses modalités. Le legs des décennies précédentes La décolonisation de l’Afrique, étalée entre 1951 (Libye) et 1975 (Mozambique, Angola), n’y a pas mis fin à une présence militaire européenne remontant par endroits au 16e siècle.1 Dans le contexte d’affrontement bipolaire de la Guerre froide, l’Afrique fut, inégalement selon le moment, un enjeu stratégique entre les deux Grands, souvent traduit par une présence militaire très visible des deux camps, parfois par supplétifs interposés (Est-Allemands en Tanzanie, Cubains en Angola pour le compte des Soviétiques). Le cas de l’Afrique francophone montre une présence française très aboutie, à la fois militaire et humanitaire, sur le fondement des accords de coopération militaire signés dès les indépendances.2 Par l’implantation d’unités interarmes comme les régiments interarmes d’outre-mer (RIAOM) et des bataillons d’infanterie de marine (BIMa), la France a prépositionné des forces dans les capitales des pays alliés.3 Au titre de l’Assistance militaire technique (AMT), elle a formé et tenu à bout de bras, plusieurs décennies durant, les armées de ces pays qui limitaient ainsi leur budget militaire, mais aussi leur souveraineté. On parle d’ailleurs de ‘coopération de substitution’. À compter de 1977, dans un contexte de refroidissement des relations entre les blocs, elle intervient directement de manière répétée par des opérations à base de projection de forces venues de 1 Rappelons que la colonisation de l’Afrique a d’abord consisté en implantations côtières, au moment où les États-nations européens s’extravertissent, affirment des ambitions de puissance globale, et créent des outils militaires adaptés à l’expansion ultramarine (dans le cas de la France, l’infanterie de marine, créée en 1622, et l’artillerie de marine, qui la suit en 1692). Au 19e siècle, lors de la relance de l’aventure coloniale, la présence militaire prit la forme de colonnes expéditionnaires (pour la France, à base de ‘marsoins’ et d’unités de Légion) ou de milices privées (dans le cas britannique, la National African Company devenue, en 1886, la Royal Niger Company laissant la place pour finir, en 1900, à la West African Frontier Force, avant que les puissances coloniales répartissent des forces dans les territoires conquis afin de signifier leur souveraineté. 2 La coopération militaire repose sur trois piliers : les accords de défense, l’assistance militaire technique (AMT) et la force d’action rapide (FAR). 3 Aujourd’hui encore, ces dernières sont prêtes à intervenir en permanence. Prenons l’exemple de l’évacuation des ressortissants européens lors de la crise ivoirienne, en 2002 ou lors de l’offensive rebelle sur N’Djamena, en février 2008. Published/ publié in Res Militaris (http://resmilitaris.net ), vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 2 l’ancienne métropole,4 soit pour sauvegarder les régimes alliés menacés d’implosion (par exemple, le Zaïre lors la rébellion des ‘gendarmes katangais’ dans la province du Shaba – Kolwezi, mai 1978), soit pour maintenir l’intégrité des frontières des États issues de la colonisation, décrétées intangibles par les pères fondateurs de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) et objet de pressions extérieures (le plus souvent soviétiques), soit encore afin de contrecarrer les visées libyennes sur le Tchad (Opérations Tacaud, 1978 ; Manta, 1983 et Épervier, 1986) et sur la RCA (Barracuda, 1979). Entre 1977 et le début des années 1990, la France s’est donc montrée capable de mener des opérations sur plusieurs théâtres. Hormis la consolidation des équilibres, elle a défendu ses intérêts géopolitiques en assurant la stabilité du ‘pré carré’, et par là même ceux des pays occidentaux en sécurisant l’accès aux matières premières – politique bien comprise, entre autres, des États-Unis qui s’en sont remis à la France pour endiguer l’expansion du communisme. Elle s’est ainsi imposée comme puissance, capable de déployer les moyens nécessaires afin de s’occuper des affaires de cette partie du monde. Depuis la fin de la Guerre froide et la disparition de l’URSS, la présence militaire européenne, notamment la présence française, s’allège car est venu le temps de cueillir les ‘dividendes de la paix’ et de désarmer. L’Afrique subsaharienne connaît alors un déclassement stratégique : elle est reléguée au bas de la hiérarchie des priorités des États de l’Union Européenne, alors que se multiplient sur place les crises inter- et intra-étatiques. À quinze puis à vingt-cinq, l’UE limite la géographie de son champ d’intervention aux régions proches de sa périphérie, excluant de renouer avec les formes de politique hégémonique héritées des périodes coloniale et post-coloniale. Les étapes de l’élaboration d’une politique militaire européenne Dès l’origine, en 1951, l’un des buts de la construction européenne fut d’établir la paix sur le continent après des siècles de guerres interétatiques dont les deux dernières ont provoqué des destructions matérielles et humaines d’une ampleur inégalée dans l’histoire de l’Humanité. En éloignant le spectre de la guerre dans le contexte de la guerre froide, l’Europe en construction n’a cessé de refuser de devenir une puissance complète. Pourtant elle réagit à la menace soviétique dès 1948 par le Pacte de Bruxelles,5 qui esquisse face à elle une coopération économique, sociale, culturelle et de défense collective. L’idée germe d’une possible application à la défense du modèle de la CECA. L’épisode de la CED laissa penser un court instant que les Européens allaient prendre en main leur défense et leur sécurité, laissant aux Américains (qui s’ouvrent à eux de ce souhait dès 1951) les mains plus libres ailleurs. L’échec de la CED fut en partie compensé, en octobre 1954, par la création, à Paris, de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO), sur la base d’un traité de coopération militaire visant à durcir le pacte de Bruxelles. Ses réalisations se limitent à inclure l’Allemagne fédérale et l’Italie, et à offrir une structure aux États-membres en butte à des tensions (notamment entre Allemagne et France au sujet de la Sarre). Mais l’Europe 4 Le système d’alerte Guépard permet de projeter des forces opérationnelles depuis la France, en soutien aux forces prépositionnées. 5 Il est signé le 17 mars 1948 entre cinq pays : la France, le Royaume-Uni et les pays du Benelux. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 3 occidentale choisit d’être une organisation fondée sur les droits de l’Homme, respectueuse de la loi et de la légitimité des régimes : elle préféra être un espace économique et culturel et non une puissance militaire, s’en remettant ainsi au protectorat américain pour assurer sa sécurité à travers l’OTAN, bras armé de l’Alliance atlantique créée peu avant (1949). En 1957, le Traité de Rome réaffirma la volonté d’instaurer une Europe de la paix et de la prospérité par le libre-échange et la concurrence commerciale. L’UEO restera la coquille vide de la construction d’une défense européenne, et fonctionnera comme le pilier européen de l’OTAN. Seule la France, à l’initiative du général de Gaulle, remit en cause cet état de choses en 1966. Jusqu’en 1989, la question de la défense européenne n’est plus à l’ordre du jour : elle devient même tabou comme le montre, en 1970 et 1973, le lancement de la coopération politique européenne (CPE)6 qui laissera de côté les questions de sécurité et de défense. L’immobilisme des Européens fut quelque peu ébréché, en 1986, lorsque l’Acte Unique fait entrer la CPE dans les traités communautaires. Il y eut alors coopération en matière de politique étrangère européenne – sans volet militaire. Or, selon la règle d’or clausewitzienne, il ne saurait y avoir, sous peine de contresens majeur, d’action militaire ni d’engagement armé sans pouvoir politique affirmé : les armées n’en sont que l’instrument. L’histoire de la défense européenne ne peut être dissociée de la mise en place de l’étage politique à l’édifice commun. La question fut relancée en 1989 avec la chute du Mur de Berlin, qui mit un terme à l’existence des blocs. L’événement fait partie de ces ‘surprises stratégiques’ qui, une fois la stupeur passée, nécessitent de repenser les équilibres géopolitiques. L’OTAN procéda à un réexamen de ses orientations, et à cette occasion, sollicita l’UEO. Le dossier de la sécurité européenne revient alors sur le devant de la scène. Une fois le tracé de la frontière entre l’Allemagne réunifiée et la Pologne confirmé sur la ligne Oder-Neisse, un consensus se fait jour : il est a minima car la Grande-Bretagne prône un renforcement du pilier européen de l’Alliance tandis que la France et l’Allemagne veulent une défense européenne autonome. Le Traité sur l’Union Européenne, adopté à Maastricht en décembre 1991, lança la politique européenne de sécurité commune (PESC), ainsi substituée à la CPE. La nouvelle Union, toutefois, se montre incapable de participer au règlement des crises internationales, dont l’une se déroule, en Europe même, dans les Balkans. La PESC constitua pourtant un palier, d’autant qu’en juin 1992 les formes des éventuelles interventions furent précisées lors d’un conseil ministériel de l’UEO. Ces ‘missions de Petersberg’ comprennent un volet humanitaire et des missions de combat pour la gestion des crises.7 Réelle avancée qui n’échappa cependant ni à des querelles d’interprétation du contenu (minimaliste du Royaume-Uni, maximaliste de la France), ni à la concurrence voire à la rivalité entre 6 7 Le but est de rapprocher les politiques étrangères nationales des 6 puis des 9 pays-membres. Selon l’Article 43-1 du traité, ces missions recouvrent des missions humanitaires ou d’évacuation de ressortissants ; de maintien de la paix ; des missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris de rétablissement de la paix ; des actions conjointes de désarmement ; des missions de conseil et d’assistance militaire ; des missions de prévention des conflits et de stabilisation et la lutte contre le terrorisme. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 4 institutions européennes. Le premier pilier (relevant de la Commission8 et du Parlement pour les politiques de coopération) obéit au principe communautaire, tandis que le second (régi par le Conseil européen9), celui qui concerne la PESC, fonctionne en intergouvernemental. Le fait que le second pilier réponde au souci de préserver les souverainetés nationales des effets des décisions prises au titre du premier pilier entrave la cohérence de la politique commune. Il y a redondances multiples et manque de lisibilité. Si le pacte de stabilité est un succès, l’UE reste incapable de s’impliquer dans la crise rwandaise, en 1994, puis dans la crise yougoslave.10 En 1997, le Traité d’Amsterdam tenta de remédier à l’impuissance politique en faisant du secrétaire général du Conseil le Haut Représentant pour la PESC. Javier Solana essaiera à ce titre, dix ans durant, de porter la parole de l’UE et d’exercer une influence internationale. Le traité, qui intègre les missions de Petersberg (et anticipe l’absorption de l’UEO par l’UE lors du Traité de Nice), le permet. Toutefois, il ne pèsera pas réellement sur la résolution des crises, faute de détenir des moyens de coercition. Un premier correctif intervient en décembre 1998, à Saint-Malo, quand Tony Blair accepta de ne plus entraver l’émergence d’une capacité européenne autonome de gestion des crises. L’impulsion s’avéra vite insuffisante : en 1999, la crise du Kosovo fournit une nouvelle preuve de l’incapacité des Européens à intervenir. En conséquence, le Conseil européen de juin 1999 (sommet de Cologne) décida de doter l’UE des moyens nécessaires pour assumer ses responsabilités en instaurant la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), composante civilo-militaire et opérationnelle de la PESC. Dès lors, la PESC dispose pour gérer les crises de structures politico-militaires permanentes. Le Comité politique et de sécurité (COPS) est chargé de suivre la situation internationale et de suggérer des politiques au Conseil et au Haut Représentant ; organe central de la PESD, il relève du Conseil des affaires étrangères. Au plan opérationnel, il exerce le contrôle politique et la direction stratégique des opérations.11 Le comité militaire de l’UE (CMUE), composé des chefs d’état-major des armées et soutenu par un état-major (EMUE), appuie le COPS.12 Il restait à statuer sur l’UEO, parfois réactivée mais restée impuissante comme bras armé de l’Europe. Ce fut fait à Marseille, en novembre 2000, lorsque le Conseil de l’UEO transfère ses compétences à l’UE. Le mois suivant, au sommet de Nice, l’Union fit de la 8 Elle a en charge l’aide au développement et les actions politiques en faveur du maintien de la paix. Elle dispose de peu de spécialistes mais de larges moyens financiers. 9 Il a pour prérogative l’action civilo-militaire. Il dispose de la grande majorité des spécialistes en matière de défense et d’un faible budget. 10 Fin 1995, les accords de Dayton prouvent l’impuissance européenne à participer à la résolution d’une crise sur le continent laissée à l’ONU et aux États-Unis. Elle compense par une implication humanitaire et une aide à la reconstruction économique. 11 L’expertise lui est fournie par le Groupe politico-militaire (GPM), ce qui peut l’amener à proposer des options militaires, et dans ce cas le concept et le plan d’opérations. 12 Pour les aspects civils de la gestion des crises, le COPS s’appuie sur un comité, le CIVCOM. Il fournit des recommandations et des conseils, il développe de concepts et des moyens dans les domaines de la police, des libertés publiques, de l’administration et de la protection civiles. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 5 PESD13 son instrument de résolution des crises : elle ne semble plus être le nain politique qu’on a connu, et se proclame ‘opérationnelle’ en décembre 2001 (déclaration de Laeken). Pendant ce temps, les négociations entre l’OTAN et l’UE se poursuivent à propos des transferts de compétences de l’UEO à l’UE, pour aboutir en mars 2003 à deux arrangements. Le premier porte sur la nature des échanges ; le second permet l’accès de l’UE aux capacités de l’Alliance. Ce sont les arrangements de ‘Berlin plus’.14 La même année est créée l’Agence de défense européenne. Désormais, l’UE peut apparaître comme un acteur des relations internationales plus complet. Reste à vérifier sa réelle capacité d’action. La première mise à l’épreuve est occasionnée, en 2003, par la crise irakienne. L’échec est cuisant, puisque les Européens répondent en ordre dispersé, non sans rivalités d’influence : qui de la France de Jacques Chirac ou du Royaume-Uni de Tony Blair incarne le mieux l’Europe ? La PESD n’est-elle que la poursuite de la politique étrangère nationale par d’autres moyens ? La PESD est-elle mort-née ? L’intervention en Ituri, à l’été 2003, où l’enjeu est moindre qu’en Irak, montre le contraire. La PESD avance d’un petit pas. La dernière touche à l’affirmation de la PESC-PESD est mise par le Traité de Lisbonne en 2007.15 Il supprime les piliers et met fin, en apparence, aux entraves et à la concurrence inter-piliers déjà évoquée. En apparence, puisque la PESC demeure régie par la logique intergouvernementale. La PESD devient la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC, qui intègre les missions de Petersberg), dont la montée en puissance reste marquée par l’éternel débat sur la définition que souhaite l’Union comme acteur de la scène internationale : puissance civile, puissance militaire, superpuissance comme le furent jadis les puissances européennes, comme le sont les États-Unis et comme la Chine rêve de le devenir, ‘puissance normative’, ou relevant d’une forme de soft power ? Là est l’enjeu de la PSDC, et il est double. Il s’agit d’une part de savoir si les États européens sont prêts à s’associer pour se doter des instruments de la puissance, donc de ceux de la guerre ; de l’autre, comment une organisation intégrée à 27 qui n’est pas un État et est guettée sans cesse par des forces centrifuges peut parvenir à peser sur la résolution des affaires du monde dans le cadre des institutions fixées par le Traité de Lisbonne ? La politique tournée vers l’Afrique subsaharienne À ce jour, dans un monde en recomposition vers la multipolarité, l’UE façonne son outil pour intervenir dans la zone qui lui est la plus proche : l’Afrique, dont elle n’est séparée que par un détroit de 17 kilomètres. L’Afrique subsaharienne est sa cible. La géographie de l’intervention a une dimension régionale. Elle concerne respectivement, la 13 Elle n’est pas chargée d’assurer la défense du territoire de l’Union qui relève des défenses nationales de chaque pays-membre et de l’OTAN. 14 L’accord cadre résulte d’échanges épistolaires entre le Haut Représentant pour la PESC et le Secrétaire général de l’OTAN. Si les ambiguïtés sur la capacité européenne de gestion des crises n’est pas levée, ‘Berlin plus’ offre une base pour les opérations de l’UE menées en coopération avec l’OTAN. Cela concerne particulièrement les opérations Concordia, en Macédoine, et EUFOR-Althéa, en Bosnie-Herzégovine. 15 Adopté par le conseil européen, le 19 octobre 2007 et signé par les chefs d’État, le 13 décembre pour une entrée en vigueur le 1er décembre 2009. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 6 Côte d’Ivoire, la République démocratique du Congo (RDC), le Tchad et la République centrafricaine (RCA), à quoi s’ajoute le golfe d’Aden qui constitue une partie de l’arc de crise16 s’étendant de l’Atlantique à l’océan Indien. La question peut revenir à se demander pourquoi après plusieurs décennies d’indépendance l’UE s’implique dans la promotion d’un ordre régional de sécurité en Afrique subsaharienne. Pourquoi continue-t-elle à porter ce ‘fardeau’ alors que l’Union Africaine (UA) tente de s’imposer dans la gestion des crises qui ébranlent le continent ? Pourquoi là les forces de l’ordre, ici les armées, sont-elles inopérantes ? La succession des générations, l’accès au pouvoir d’élites politiques plus éduquées et ouvertes sur l’international ou de dirigeants ayant connu un long exil en Europe,17 donc vu fonctionner l’État de droit, ne pouvaient-ils pas laisser espérer des évolutions notoires ? Les objectifs Pour le saisir, il convient de situer globalement les raisons et les buts de la présence européenne. Elles ne diffèrent guère des ressorts de la présence française durant la Guerre froide. Elles ont un point commun : la volonté de renforcer les États par des politiques de sortie de crise qui s’inspirent de celles expérimentées ailleurs, là où l’État défaille. L’UE cherche à endiguer la fragmentation des États et la faiblesse des structures gouvernementales impliquées dans des conflits intra-étatiques souvent liés à l’ethnicité. La cause véritable est à rechercher dans des cultures traditionnelles qui s’accommodent mal de l’État de droit. Il reste à l’UE à promouvoir une politique de prévention des conflits, de maintien, de consolidation ou de rétablissement de la paix définie par les missions ‘de Petersberg’. Une telle approche relève de l’aide au développement et des actions politiques : c’est la Commission qui en est chargée. Après la mise en place de l’opération Licorne par la France, à l’automne 2002, elle appuie le pouvoir légal du Président Laurent Gbagbo face à la tentative de partition des Forces Nouvelles du nord. L’intervention en Ituri, au nord-est de la RDC, durant l’été 2003, vise à contenir la déstabilisation régionale liée à l’effondrement de l’État congolais, au dépeçage de son territoire, et au pillage de ses ressources naturelles par les voisins ougandais et rwandais (attisant par là un conflit ethnique entre Hemas et Lendus conduits par des seigneurs de la guerre, détenteurs du pouvoir local). Ces déstabilisations gênent les intérêts stratégiques européens. C’est pourquoi l’UE s’est, à nouveau, impliquée en RDC en 2006 afin de restaurer la paix sociale et la stabilité nécessaires à l’investissement à long terme et à l’accès aux ressources naturelles : enjeu économique majeur pour des Européens de plus en plus concurrencés par les Chinois, les Indiens, les Brésiliens et les Sud-Africains. Les Africains, engagés dans le nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), ne peuvent théoriquement s‘accommoder d’une zone de non-droit où les ressources sont exploitées sans contrôle 16 L’arc de crise se définit comme un ensemble non-homogène de pays allant de l’océan Atlantique à l’océan Indien en passant par l’Afghanistan et présentant une connexion d’intérêts. 17 C’est le cas de Pascal Lissouba au Congo ; d’Ange Félix Patassé en RCA ; de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, par exemple. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 7 étatique. C’est particulièrement le cas des nouvelles sociétés sud-africaines qui regardent le Katanga comme une zone d’investissement à venir. De plus, avec ses 60 millions d’habitants,18 la RDC constitue, à terme, un marché potentiel. Or, la pauvreté et les conflits génèrent des flux migratoires massifs que l’UE veut contenir, et des trafics illicites qu’elle cherche à freiner, sans compter l’effet de déstabilisation des pays limitrophes avec son cortège de réfugiés. Intervenir revient à garantir la stabilité de la RDC afin de préserver celle de toute l’Afrique centrale et de la région des Grands lacs, à sauvegarder des intérêts et à promouvoir des valeurs. Ainsi donc, les enjeux géostratégiques de développement, de proximité et d’immigration font de l’Afrique, et ici de la RDC, un champ privilégié pour une UE disposant désormais du cadre de la PESD. À propos de la crise du Darfour, l’UE affirme sa volonté de consolider les équilibres. Car à l’instar du Tchad, le Soudan occupe une position charnière à la jonction des mondes arabes et africains, chrétiens et musulmans. À partir de février 2003, le conflit au Darfour s’ajoute à la guerre civile qui secoue le sud du Soudan, où depuis vingt ans le gouvernement central affronte le mouvement sécessionniste de John Garang. L’antagonisme entre le gouvernement arabe de Khartoum et les deux mouvements de rébellion, issus d’ethnies noires musulmanes,19 a débouché sur une violence extrême : on assiste, presque en direct à la télévision, au bombardement par l’armée soudanaise des villages du Darfour, et les milices pro-gouvernementales20 terrifient les populations réduites à fuir. Face à l’arrivée massive des réfugiés, à l’est du territoire tchadien, le Président Idriss Déby Itno ne peut rester indifférent : il obtient des protagonistes un cessezle-feu, le 8 avril 2004. Aux côtés de l’UA, l’UE participe à la commission d’observateurs21 envoyée sur place. Au nom de la stabilité, la France soutient politiquement le Président Déby,22 et (répondant aux souhaits d’une communauté internationale soucieuse d’éviter la dégradation de la situation au Darfour) déclenche l’opération Dorca.23 Elle aide à faire avancer la solution politique et transporte des rebelles à Abuja, lieu de la négociation, tandis que l’UE (paralysée par un rapport de la Commission qui ne conclut pas à un 18 La population atteindra environ 125 millions d’habitants, en 2025. 19 Il s’agit de l’Armée de libération du Soudan (ALS) et du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE). 20 Elles se composent de janjawids et de repris de justice de diverses origines ethniques libérés, de déserteurs de l’armée régulière, de Jallouls, membres de petites tribus chamelières du nord du Darfour et de Gimr, petite ethnie négro-africaine. 21 Elle comprend deux officiers français. 22 En mai 2004, il subit une tentative de coup d’État puis, en avril 2006, une offensive rebelle sur N’Djamena durant laquelle le Président Jacques Chirac fait donner un coup de semonce par un Mirage qui stoppe les colonnes. 23 Elle s’appuie sur le dispositif Épervier déployé en 1986 contre les prétentions et incursions libyennes, dont il reste les Éléments français au Tchad (EFT). Ils constituent le pivot de la présence militaire française en Afrique, surtout depuis la fermeture des bases de la République centrafricaine, et permettent l’appui aux autres bases de Dakar, Libreville, Abidjan et Djibouti. En 2004, ils mettent en place une chaîne logistique par la route, puis par un pont aérien au début de la saison des pluies, jusqu’à Abéché et les camps de réfugiés. Le soutien humanitaire se double de missions de reconnaissance aérienne des camps et des axes routiers. En quelque 100 rotations, la France achemine 750 tonnes de fret et de nourriture aux réfugiés en s’appuyant sur les ONG. Des patrouilles mixtes, françaises et tchadiennes sécurisent la zone des camps par leur présence dissuasive. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 8 génocide) hésite à lancer une opération militaire.24 L’UE est de toute façon réduite à l’impuissance : le Soudan refuse toute action sur son territoire d’une troupe étrangère, de surcroît occidentale, fût-elle mandatée par l’ONU.25 Sous la pression, il finira par consentir à la venue de contingents africains au sein d’une Mission de l’Union Africaine au Soudan (MUAS)26 qui dispose d’un mandat très restrictif. D’autre part, l’UA veut absolument gérer cette crise elle-même, quitte à accepter les conseils des Européens (lesquels financent la MUAS27). Enfin, malgré le précédent de l’Ituri, l’UE est alors incapable de décider et de monter une opération si une nation, en l’occurrence la France, n’y pousse pas. En 2006, l’UE ne veut que ce que la France ou la Grande-Bretagne, ou encore la Belgique, souhaitent ou peuvent proposer. L’enjeu de l’implication française est aussi la stabilité du Tchad. Le conflit affaiblit le pouvoir politique qui a subi une tentative de coup d’État (mai 2004), puis une offensive rebelle sur N’Djamena (avril 2006). Le Président Déby se trouve dans une position difficile car, d’une part, les rebelles appartiennent à son ethnie, les Zaghawas, et d’autre part, la dégradation de la situation au Darfour peut avoir des conséquences graves au Tchad. Un autre motif à la présence militaire européenne – où la France a acquis une réelle expertise – réside dans l’évacuation de ressortissants européens et étrangers menacés soit par le pouvoir légal (relayé par des fractions de l’opinion : Côte d’Ivoire, 2003), soit par une nouvelle offensive rebelle (Côte d’Ivoire, février 2008), soit encore pris en otage (comme au large du golfe d’Aden et des côtes somaliennes28). Il faut encore mentionner, et la dernière évocation de lieu y conduit directement, des périls nouveaux sur mer : ceux qui affectent le nord-ouest de l’océan Indien, où transitent chaque jour 20 000 navires marchands et 30% des tankers transportant 2,2 millions de barils de pétrole vers l’Europe. La piraterie, phénomène ancien qu’on croyait oublié, resurgit en effet dans les années 1990, signalant s’il en était besoin que la mondialisation fait des mers et des détroits des enjeux majeurs de l’économie, auxquels l’UE ne saurait rester indifférente. Un dernier objectif, plus général, est de responsabiliser les partenaires africains pour leur faire acquérir leur autonomie. Les responsabiliser signifie leur demander de fixer 24 Le gouvernement américain, en pleine campagne électorale, pousse à conclure à un génocide en espérant rallier l’électorat afro-américain. 25 Par la résolution n°1706 du 31 août 2006, l’ONU a décidé le déploiement d’une force d’interposition : elle est restée lettre morte. 26 La MUAS se compose de contingents venant d’une dizaine de pays africains dont le Rwanda et le Nigéria. Faute d’effectifs et de moyens suffisants, elle s’est révélée inefficace. 27 Les États-Unis y ont légèrement contribué. La Grande-Bretagne a attribué 22 millions d’euros supplémentaires tout en sachant ne rien attendre de cette force. 28 Dans cette région, la piraterie a plusieurs causes. Elle trouve d’abord son origine dans l’effondrement de l’État somalien, en 1992, dans le contexte de fin de Guerre froide, où la tentative de reconstruction par l’ONU sur fond de famine par les opérations américaine Restore Hope et française Oryx, en 1993, a échoué. Elle n’empêche pas la scission entre Puntland et Somaliland en 1998. L’existence d’un gouvernement fédéral provisoire ne restaure nullement une entité étatique solide. S’y ajoutent la pauvreté, les effets du tsunami de 2005 et ceux de la surpêche étrangère, y compris aux limites des eaux territoriales somaliennes. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 9 leurs priorités. S’il s’agit de stabiliser les États, l’UE peut contribuer à aider ses partenaires à mieux contrôler leur espace territorial – par exemple (à l’instar de ce que fait la France), soutenir le processus d’intégration régionale par une aide à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), qui dispose d’un dispositif de sécurité collective. Les politiques nationales Si l’UE est militairement de plus en plus présente en Afrique subsaharienne, cela n’exclut pas les politiques nationales des pays-membres. Nombre d’États européens ayant des liens anciens avec le continent y maintiennent en effet chacun une présence et un effort de coopération. La nouveauté, toutefois, est que la France y intervient moins souvent seule, et cherche à associer ses partenaires européens à son action. En 1998, le ministère de la Coopération est dissous, et ses attributions reprises par les Affaires Étrangères (MAE).29 Le tournant se confirme, après l’élection du Président Nicolas Sarkozy,30 par un processus de révision des accords de défense et de coopération devenus ‘accords de partenariat en matière de défense’.31 La coopération est scindée en deux. Son volet opérationnel, axé sur des exercices conjoints, est à la charge du ministère de la Défense dans le cadre d’une européanisation souhaitée du dispositif. La coopération structurelle revient à la Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), nouvellement créée en mars 2009 au sein du Quai d’Orsay.32 Le MAE coordonne les politiques bilatérales et multilatérales. Il a aussi en charge les questions de sécurité intérieure et de sécurité civile avec des activités de police et de gendarmerie dans la mesure où “dans les opérations de maintien de la paix, la défense et la sécurité sont de plus en plus complémentaires” (Général E. Beth, cité in Fouineau, 2010, p.53). Comme l’indiquent le budget et l’emploi des personnels,33 l’essentiel de l’effort porte sur l’Afrique. 29 L’année 1998 constitue un tournant dans l’évolution de la coopération. Au-delà de la réforme structurelle de la coopération internationale, elle met fin aux notions de ‘champ’ et de ‘pré-carré’, ainsi qu’à la coopération de substitution, deux piliers de la Guerre froide. 30 Ce dernier a énoncé la nouvelle politique française dans son discours du Cap, le 28 février 2008. Le Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale de juin 2008 en précise le contenu. 31 Depuis les indépendances et après une révision entre 1973 et 1977, la France est liée par des accords bilatéraux de défense à huit pays: Gabon (août 1960), République Centrafricaine (novembre 1960), République de Côte d’Ivoire (avril 1961), Togo (juillet 1963), Cameroun (février 1974), Sénégal (mars 1974), République de Djibouti (juin 1977) et Comores (novembre 1978). En 2008, trois pays ont signé les nouveaux accords : le Cameroun, la RCA et le Togo. Un traité a été signé avec le Gabon. Avec les Comores, un accord de défense ‘rénové’ est signé le 27 septembre 2010. Avec la République de Djibouti et le Sénégal, les négociations sont alors en cours et l’on attend le résultat des élections présidentielles, en Côte d’Ivoire, pour le finaliser. Le premier tour a lieu le 31 octobre et le second est fixé au 28 novembre 2010. 32 Le premier directeur fut le général Emmanuel Beth. Le général Bruno Clément-Bollée vient alors de lui succéder. 33 Sur un budget de 92,5 millions d’euros en 2009, 80% sont destinés à l’Afrique. Sur 277 militaires, 49 policiers et 50 gendarmes détachés à l’étranger, les deux tiers le sont en Afrique. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 10 La France demeure physiquement représentée en Afrique par un dispositif composé des forces de présence,34 toujours pré-positionnées – ce qui reste une originalité car aucun ancien pays colonisateur n’a conservé autant de forces militaires permanentes dans ses anciennes possessions africaines. Sur un total de 4 870 militaires, 1 150 stationnent au Cap Vert et au Sénégal (où le dispositif a été très récemment remanié35) ; les armées ne conservent qu’un pôle opérationnel de coopération d’environ trois cents militaires afin d’appuyer la Brigade africaine en attente (BAA) de la CEDEAO. S’y ajoutent 2 860 militaires à Djibouti, plate-forme très stratégique face à l’océan Indien, et 860 à Libreville, au Gabon. L’idée est de ne garder qu’une base sur chaque façade maritime africaine. La France est impliquée sur deux théâtres d’opérations : l’un en Côte d’Ivoire avec le 43e BIMa de Port Boüet, servant de base logistique à Licorne (en voie de dissolution), l’autre au Tchad, où les éléments français du Tchad (EFT) restent positionnés à N’Djamena et à Abéché au titre de l’opération Épervier tant que l’intégrité territoriale du Tchad n’est pas assurée. Le Portugal a un programme de soutien des missions de paix en Afrique (PAMPA). L’Allemagne peut être un allié si elle est invitée à parrainer certains pays en mettant à leur disposition soit des moyens matériels, soit (depuis 1998, année où le Bundestag lève le principe de non-intervention en dehors des frontières, jusque-là inscrit dans la Loi fondamentale de 1949), des moyens militaires : rupture majeure par rapport à la période écoulée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le Danemark et la Belgique ont des attitudes opposées vis-à-vis d’une politique d’intervention sauf si elle résulte de mandats de l’ONU. Au Royaume-Uni, le retour au pouvoir du parti travailliste, en 1997, sous la forme du New Labour conduit par Tony Blair, a correspondu à un tournant de la politique étrangère britannique envers l’Afrique. Plusieurs raisons expliquent ce regain d’intérêt. L’une d’elles est liée au contenu du programme travailliste qui accorde plus d’importance qu’auparavant à la démocratie et aux droits de l’Homme (“Britain is a force for Good in the world”). Il en découle une conception des relations extérieures tournée vers l’aide à la résolution des conflits, la promotion de la bonne gouvernance et du développement. Cette nouvelle diplomatie s’est accompagnée de mesures concrètes telles la création, dès 1997, du Department of International Development dont la moitié du budget est affecté au continent africain, ce département veillant entre autres à la coordination entre les Affaires Étrangères, les Finances, l’industrie et la Défense. Cette création fut suivie, en 2000, de l’intervention militaire en Sierra Leone, du soutien au NEPAD l’année suivante, et de la mise en place de programmes d’assistance. Le Royaume-Uni maintient quatre officiers généraux à Prétoria, Addis Abeba, Nairobi et Abuja, ainsi que des points d’ancrage avec des forces de souveraineté de la Couronne au sein de l’Africa Conflict Prevention Pool (ACPP). Il est le mieux à même de soutenir la France, mais sa stratégie est moins définie : son approche dépend de ses relations bilatérales avec certains pays d’Afrique ainsi que de 34 Ces forces de présence se distinguent des forces de souveraineté et de sécurité dispersées entre la métropole et les départements et territoires d’outre-mer. 35 Lors d’une cérémonie au camp Bel Air, à Dakar, le 9 juin 2010, la France a symboliquement restitué les emprises françaises à l’armée sénégalaise. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 11 sa volonté à contribuer ou non à la stabilité. Les relations entre la France et le RoyaumeUni sont pourtant primordiales sur le continent. Mises à part quelques rémanences du complexe de Fachoda au niveau de certaines ambassades, les intérêts français et britanniques se rejoignent. Les deux pays ont nombre de positions communes ou proches au COPS et au CMUE, telle l’initiative sur les ‘Battle Groups’.36 Les dissensions proviennent en fait des divergences de vue au niveau de la PESC en général, mais non d’une différence fondamentale d’appréhension des problèmes de l’Afrique. La principale pomme de discorde est l’importance à accorder dans les choix au processus liant l’UE et l’OTAN à travers ‘Berlin plus’, et donc la question du quartier général européen.37 Une autre divergence provient des relations avec les États-Unis, dont la politique africaine vise à limiter l’autonomie de l’UE en matière de défense.38 Les précautions juridiques et la recherche de la légitimité internationale Rejetant l’interventionnisme unilatéral de l’époque coloniale et de la période de la Guerre froide, les pays de l’UE prennent la précaution de fixer le cadre juridique et de rechercher la caution internationale lors de leurs opérations. S’ils disposent, au niveau européen, du cadre des ‘missions de Petersberg’, ils ne peuvent se dispenser de l’aval des 36 Ces groupements tactiques de forces interarmes (GTI) créés à l’issue de l’opération Artémis comptent 1 500 hommes, déployables en quinze jours pour une durée de 30 à 120 jours et une mission spécifique en un lieu déterminé. Leur intervention peut aussi constituer la première phase d’une opération plus importante. 37 Operation Headquarters (OHQ). Cinq quartiers généraux sont créés, dont un au Mont-Valérien, près de Paris, et un à Postdam. 38 Les Américains exercent par l’intermédiaire des Britanniques une pression importante pour faire de ‘Berlin plus’ le principe prioritaire des opérations européennes. D’autre part, ils développent des initiatives concurrentes de celles proposées par l’UE. L’exemple du sommet du G8 de Sea Island (juin 2004) est parlant : à propos des capacités mondiales de maintien de la paix, fut annoncée la formation d’une force de 50 000 soldats affectée au maintien de la paix en Afrique et dans le reste du monde. Même si cette initiative avait peu de chances d’aboutir à court terme, elle visait à entretenir une certaine division parmi les membres de l’UE, d’autant que les modes d’action sont similaires à celles initiées par la France. L’Italie a d’ailleurs, sur ce point, appuyé la position américaine, poussant la France à signer la proposition. Si depuis la présidence de Bill Clinton, dans les années 1990, les États-Unis sont de plus en plus présents en Afrique saharienne et subsaharienne, particulièrement dans la zone du golfe de Guinée, c’est au titre de la lutte contre le terrorisme, et parce qu’ils cherchent à rééquilibrer l’origine géographique de leurs approvisionnements miniers et surtout pétroliers afin d’éviter une trop grande dépendance vis-à-vis des pays du Golfe arabo-persique : leur objectif est d’augmenter la part de l’Amérique du sud, de l’Asie et de l’Afrique, à hauteur de 25% pour les importations en provenance du continent, à l’horizon de 2015. À ce jour, le brut africain compte pour environ 15% dans l’apport total,38 avec une place de choix pour le Nigéria. Leur politique militaire fondée sur la promotion d’un ordre régional de sécurité montre d’ailleurs nombre de similitudes avec celle de la France du point de vue de la dimension régionale. Les États-Unis ont lancé, en 1996, les programmes African Crisis Response Initiative (ACCRI) auxquels les Français ont répliqué par RECAMP (cf. Bagayoko-Penone, 2003). Depuis 2003, le Pentagone accentue sa présence selon deux directions. Tout d’abord, comme la France, il pré-positionne des forces et des moyens sur des bases relais comme à Djibouti où 1 500 soldats occupent le camp Lemonnier, une ancienne base de la Légion étrangère. Puis il participe à la formation d’éléments professionnels au sein des forces armées afin de renforcer leur capacité à contrer les menaces, au niveau bilatéral, régional et continental avec l’Union Africaine. Pour cela, un Africa Command (Africom) a été créé en 2007 alors qu’auparavant l’Afrique dépendait de l’European Command (Eucom), l’un des six états-majors régionaux répartis dans le monde. Pendant plusieurs années, les Américains ont vainement cherché à implanter ce nouvel état-major dans une capitale africaine. Finalement, Africom restera à Stuttgart sous le commandement du général afro-américain William Ward. Il comprend actuellement 1 300 personnels militaires et civils (dont nombre de contractors des sociétés militaires privées comme pour le programme Olympic Chase qui consiste à former un bataillon de 500 hommes en RDC). Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 12 instances européennes concernées, qu’ils font, s’ils le peuvent, confirmer par la légitimité que confèrent des instances internationales plus larges, notamment et au premier chef l’ONU. C’est ce que montre l’exemple des interventions en Côte d’Ivoire, en RDC, au Tchad et au large de la Somalie dans la décennie considérée ici. En Côte d’Ivoire, à partir de 2002, dans la continuité des conventions de Yaoundé, de Lomé IV et de l’accord de Cotonou de 2000, la Commission détient des compétences politiques pour accompagner les processus électoraux et promouvoir la ‘bonne gouvernance’. En mai 2001, au titre de la PESC, l’Europe a défini une position commune relative à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits sur le continent. C’est pourquoi l’Afrique subsaharienne se tourne plus facilement vers la Commission que vers le Haut Représentant à la PESC. Par ailleurs, en vertu de la résolution 1464 votée le 14 février 2003 par le Conseil de sécurité de l’ONU, l’action de l’UE et de la France dépasse le dispositif bilatéral élargi et s’intègre dans une concertation internationale plus large, dont la CEDEAO est partie prenante. La résolution 1479 définit les moyens militaires : la Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire (MINUCI),39 les soldats de la Micéci40 sont intégrés dans l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) déployée à partir du 4 juillet 2003. La résolution 1528 du 27 février 2004 applicable à compter du 4 avril 2004 renforce l’internationalisation de la résolution de la crise et assure la mission “d’observer et de surveiller l’application du cessez le feu”, “d’enquêter sur les violations” et de “prévenir toute action hostile surtout dans la zone de confiance”. En RDC, il y a deux interventions. La première, Artémis, durant l’été 2003, concerne l’Ituri. C’est une initiative française, qui fait suite à une demande de Kofi Annan, alors Secrétaire général des Nations Unies, de mise sur pied d’une force de relais à la Mission des Nations Unies au Congo (MONUC).41 Dans ce cas d’espèce, un État-membre très concerné, la France, déclenche une opération reprise par les quinze membres de l’UE. Grâce à l’aval de l’ONU, l’accord est scellé sur la base de l’urgence humanitaire et du caractère intérimaire de l’opération en soutien à la MONUC. Cet accord implique en amont de nombreuses consultations bilatérales de la France avec Londres, Berlin et Bruxelles puisqu’il s’agit d’une opération hors et loin (6 000 kms) de l’Europe. Elle est menée selon les conceptions développées lors des travaux de la PESD en coopération très étroite entre le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) de l’État-major français, à Paris, et l’EMUE. Il s’agit de la première opération PESD en Afrique, décidée le 5 juin 2003 par l’UE dans le cadre de la PESC, sans recours aux moyens de OTAN,42 avec la 39 Elle est créée en mai 2003 afin de mettre en œuvre les accords de paix de Marcoussis, conclus en janvier de la même année. 40 Créée en février 2003, cette force de paix est la force armée de la CEDEAO dont la mission est de faciliter l’application des accords de Marcoussis en coordination avec les pays contributeurs (la Belgique, le Royaume-Uni et les États-Unis). Elle se compose de contingents du Bénin, du Ghana, du Niger, du Sénégal et du Togo. 41 Elle fut créée en novembre 1999 afin de maintenir la liaison avec les cinq États ayant signé l’accord de cessez-le-feu de Lusaka, en juillet 1999. 42 Hors contexte ‘Berlin plus’. Il convient de noter que l’OTAN n’a pas d’expertise pour l’Afrique puisque le sous-continent n’est pas dans sa zone de compétence. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 13 caution de l’ONU en vertu du chapitre VII de la Charte et de la résolution 1484 du Conseil de sécurité sur “le déploiement jusqu’au 1er septembre 2003 d’une force multinationale à Bunia en étroite coopération avec la MONUC ”. La mission est totalement ‘autonome’, au sens de la déclaration franco-britannique de Saint-Malo du 4 décembre 1998, point de départ de la PESD et de la définition du Conseil européen de Cologne de juin 1999 selon laquelle “[l’]’Union doit disposer d’une capacité d’action autonome, soutenue par des forces militaires crédibles”. L’opération militaire est menée conjointement à une action politique engagée dans le cadre du dialogue inter-congolais, des accords de Lusaka prolongés par l’accord de gouvernement conclu à Pretoria, en décembre 2002. Forte du succès de l’opération Artémis et de sa forte implication, depuis 1999, afin de préparer les conditions politiques du non-recours à la force pour accéder au pouvoir, en un mot, pour installer la démocratie, elle n’a pu laisser à nouveau la violence dicter sa loi. La méthode initiée lors d’Artémis est étendue à l’échelon national afin d’accompagner le processus électoral. Et comme en Côte d’Ivoire, en s’appuyant sur les conventions de Yaoundé, de Lomé IV et sur l’accord de Cotonou de 2000, la Commission utilise ses compétences politiques pour accompagner le processus électoral lors du scrutin présidentiel doublé de celui des législatives et promouvoir la ‘bonne gouvernance’. Comme précédemment, au titre de la PESC, deuxième pilier institué et régi par le Chapitre V du Traité sur l’UE, grâce à la position commune relative à la prévention, à la gestion et au règlement des conflits afin de parvenir à la consolidation ou au rétablissement de la paix sur le continent, telle que définie par les ‘missions de Petersberg’, s’ajoute la composante ‘prévention des conflits’ de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) ; l’ensemble constitue une politique commune réaffirmée, le 16 décembre 2005, avec la nouvelle stratégie pour l’Afrique (NSA). Dès le 23 mars 2006, le Parlement européen adopte une résolution définissant les critères applicables aux opérations d’imposition de la paix de l’UE en RDC en vertu du ‘devoir de protection’ consacré par le document final du Sommet mondial des Nations Unies, à New York, le 16 septembre 2005. Peu après, en décembre, malgré la présence des 17 000 soldats de la MONUC, les Nations Unies demandent assistance à l’UE pour la période des élections. L’UE donnant la priorité aux Balkans et à son voisinage immédiat, le Parlement demande au Conseil de l’UE, à la Commission et au Secrétaire général des Nations Unies, que l’opération militaire soit assortie d’un mandat clair, limité dans sa durée comme dans sa géographie : assurer la sécurité des élections, sur requête officielle du gouvernement intérimaire. Après plusieurs semaines d’âpres discussions, le Conseil lance la planification en vue d’une opération de sécurisation par l’UE du processus électoral, en soutien de la MONUC. La France pousse alors l’Allemagne à prendre une part majeure dans l’opération : la chancelière Angela Merkel se laisse convaincre car elle y voit une occasion pour son pays réunifié de retrouver son rang sur la scène internationale. C’est un tournant pour ce pays qui n’avait plus de rôle militaire de premier plan en Afrique noire depuis 1919 (bien que les Allemands aient pratiqué la coopération dans quelques pays, comme par exemple au Rwanda avant 1994). Immédiatement, des voix se sont élevées parmi les alliés politiques de la chancelière comme au sein de son opposition pour émettre Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 14 de grandes réserves sur la préparation de la force et les risques encourus par les soldats de la Bundeswehr dans un pays inconnu d’eux. Les partis se font l’écho de l’opinion publique, opposée à 59% à une intervention militaire. Comme la participation de la Bundeswehr à toute opération extérieure requiert l’accord du Bundestag, le ministre de la Défense a pris soin de faire rapidement définir la durée et la géographie de la mission ainsi que le volume de la force projetée. Ayant finalement surmonté les réticences du Parlement43 et du commandement, le gouvernement accepte de contribuer à l’EUFOR en tant que ‘nationcadre’, ainsi que l’indique, le 25 avril 2006, la résolution 1671 du Conseil de sécurité (adoptée à l’unanimité en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies). Elle autorise l’opération de l’UE pour la période électorale44 après accord des autorités de la RDC.45 Puis, le 27 avril, le Conseil de l’UE définit l’opération EUFOR RD Congo à laquelle seul le Danemark refuse de participer tant pour l’élaboration que pour la mise en œuvre (article 12).46 Dans la continuité du référendum constitutionnel du 18 décembre 2005, le processus électoral de la RDC est totalement pris en main par l’ONU pour ce qui est des décisions d’engagement et (partiellement) par l’UE pour la mise en œuvre. L’Union Africaine n’a joué aucun rôle dans cette opération de sortie de crise, et les deux institutions n’ont quasiment pas communiqué tout au long de l’opération. La situation au Tchad et en RCA, deux pays confrontés aux conséquences du conflit interne au Soudan à propos du Darfour, ne suscite pas la même détermination européenne. On a déjà évoqué les hésitations de l’UE à intervenir militairement. Contrairement aux États-Unis, le rapport de la Commission d’information ne conclut pas à une situation de génocide. En revanche, elle accepte de soutenir le processus politique. L’UE menace les autorités soudanaises de sanctions si la sécurité des populations civiles du Darfour ne s’améliorait pas dans un délai de deux mois ; elle veut leur imposer le désarmement des milices, l’instruction de procès pour crimes de guerre, et l’aide au retour des réfugiés. Rappelons aussi que l’absence d’intervention extérieure s’explique par le refus du Soudan de la présence de troupes autres qu’africaines sur son territoire, fussentelles mandatées par l’ONU. Le gouvernement soudanais finira tout de même par y consentir. Le 25 septembre 2007, le Conseil de sécurité de l’ONU vote à l’unanimité la résolution 1778 autorisant le déploiement d’une présence multinationale et multidimensionnelle dans l’Est du Tchad et le Nord-Est de la République Centrafricaine, pour une durée d’un an. La France a bataillé pour vaincre les réticences des Européens et a fini par arracher le vote de l’ONU. 43 Des députés sont venus s’assurer sur place de l’exécution de la mission et vérifier jusque dans le détail les conditions de vie des personnels. Une pratique que les officiers français ont regardée comme de l’entrisme. 44 Résolution 1671 adoptée par le Conseil de sécurité à sa 5421e séance, le 25 avril 2006. S/RES/1671/2006. 45 Lettre du 30 mars 2006 du Représentant permanent de la RDC au Président du Conseil de sécurité (S/2006/203). 46 Action commune 2006/319/PESC du Conseil relative à l’opération militaire de l’Union Européenne d’appui à la mission de l’Organisation des Nations Unies en République Démocratique du Congo (MONUC) pendant le processus électoral. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 15 La présence extérieure prend la forme d’une Mission des Nations Unies en RCA et au Tchad (MINURCAT), comprenant des policiers, des officiers de liaison et des civils dont le mandat doit contribuer à la protection des réfugiés et déplacés regroupés dans les camps, la formation des policiers tchadiens sélectionnés pour la protection humanitaire (PTPH) et la promotion des droits de l’Homme et d’une présence militaire de l’UE en soutien de l’action de l’ONU : l’EUFOR. Cette force déployée sous mandat de l’ONU à l’Est du Tchad et au Nord-Est de la RCA, au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, est autorisée à faire usage de la force. La lutte contre la piraterie en haute mer, au large de la Somalie, s’appuie sur la convention internationale de Genève de 1958. Elle définit l’espace maritime en trois sousespaces : les eaux territoriales et la zone contiguë, le plateau continental et la haute-mer. La codification du concept de piraterie dans la convention des Nations Unies de Montego Bay du 10 décembre 1982 sur le droit de la mer, réaffirmé à Johannesburg en 2002, la complète. Dans son article 100, la convention définit la piraterie et énonce l’obligation pour les États de coopérer “dans la mesure du possible à la répression de la piraterie en haute mer et en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État”. Elle permet d’utiliser la force au titre du droit de poursuite. Dès 2005, l’organisation maritime internationale (OMI), institution spécialisée de l’ONU, attira l’attention du Conseil de sécurité sur la recrudescence des actes de piraterie dans la région. Malgré les réticences des États-Unis considérant qu’il revient aux compagnies maritimes de protéger leurs bateaux face à des formes nouvelles de violence, le Conseil répondit en 2008, en se référant au chapitre VII de la charte, par six résolutions : 1814,47 1816 et 1846,48 1838,49 185150 et 1858.51 Une autre base légale est fournie à l’UE par le Traité de l’UE (TUE), modifié par le Traité de Lisbonne. Son article 28 précise que “lorsqu’une situation internationale exige une action opérationnelle de l’Union, le Conseil adopte les décisions nécessaires”. Son article 38, à propos du COPS, énonce que le Conseil peut l’autoriser “aux fins d’une opération de gestion de crise et pour la durée de celle-ci…à prendre les décisions 47 Assurer la protection des convois du Programme alimentaire mondial (PAM). 48 Elles autorisent les États coopérant avec le gouvernement somalien de transition à entrer dans ses eaux territoriales pour une période de six mois puis de douze mois afin de réprimer les actes de piraterie, de manière conforme au droit international, en utilisant tous les moyens nécessaires. 49 Elle est prise le 7 octobre 2008, à l’initiative de la France et avec l’appui de dix-neuf États, afin de donner les moyens à la communauté internationale pour réagir face à la piraterie en déployant des navires de guerre et des aéronefs militaires. 50 Elle invite les États et les organisations internationales à conclure des accords avec les pays disposés à prendre en charge les pirates pour jugement. 51 Rétablir l’État somalien. Depuis 2005, l’UE a accordé 87 millions d’euros au titre de l’aide humanitaire et prévoit d’en octroyer 215 millions au titre de l’aide au développement pour la période 2008-2013. Depuis 2006, une force de l’UA, la Mission de l’ONU pour le maintien de la paix en Somalie (Amisom) composée de contingents burundais et ougandais d’environ 5 100 hommes (sur les 8 000 prévus) tente se soutenir le fragile gouvernement d’union nationale (GUN) mis en place en janvier. L’UE lui accorde alors un soutien de 30 millions de dollars (24 millions d’euros) pour mettre sur pied des forces nationales de sécurité de 6 000 hommes et une force de police de 10 000 hommes, devant être équipées, organisées et entraînées par l’Amisom. Celle-ci a reçu 35 millions d’euros au titre de l’aide à la sécurité et 13 millions en soutien à la restauration de l’État de droit. En 2009, elle devait recevoir 103 millions pour l’année 2010 dont une partie en équipements militaires. Cf. Stroobants & Rémy, 2009. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 16 appropriées concernant le contrôle politique et la direction stratégique de l’opération”. Si l’article 41 se rapporte aux dépenses administratives et opérationnelles, l’article 42 sur la PSDC assure à l’Union une capacité opérationnelle s’appuyant sur des moyens civils et militaires fournis par les États-membres. Forte de ce large cadre juridique, l’UE saisit l’opportunité d’affirmer sa capacité à être un acteur sur la scène internationale et, après bien des difficultés, lance une opération anti-pirate. Le cadre juridique fixé aux niveaux international, européen et national, les rapports bilatéraux dépassés et la caution internationale obtenue, l’UE peut passer à l’opérationnel et engager une politique sécuritaire. Les formes militaires revêtent plusieurs aspects, les unes sont des opérations extérieures tandis que les autres relèvent, à divers degrés, du soutien aux armées africaines. L’européanisation est aussi une africanisation. Les opérations militaires européennes Si le cas de la Côte d’Ivoire mérite d’être retenu, c’est parce qu’il constitue une première étape vers une implication militaire européenne. Lors de cette crise, la France supporte seule le poids de l’action militaire, car il est urgent de contrer la tentative de fragmentation d’un pays qui incarnait la stabilité politique et la réussite économique : ne parlait-on pas de ‘miracle ivoirien’ ? Après le coup d’État de 1999 – plutôt bien accueilli par l’opinion – que conduit le général Robert Guei contre le successeur du Président Félix Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, la Côte d’Ivoire connaît une première de déstabilisation sur fond de politique d’‘ivoirité’ : de discrimination entre Ivoiriens de souche et immigrés récents ou anciens, venus de pays voisins moins prospères. L’élection de Laurent Gbagbo, adversaire de toujours du père de l’indépendance, est contestée par une nouvelle tentative de coup d’État plus grave que la précédente car elle risque de faire basculer le pays dans la guerre civile. Dans un premier temps, à la demande du gouvernement légal et en vertu de deux principes guidant sa politique africaine, la France pare au plus pressé en intervenant, à l’automne 2002, avec l’opération Licorne. Les rebelles des Forces Nouvelles ne cherchent pas à remettre en cause l’intégrité du territoire : elles se sont soulevées pour réclamer une citoyenneté pleine et entière limitée par la notion d’ivoirité. Elles contestent aussi l’autorité de l’État et les modalités de la redistribution économique. C’est pourquoi, dans un deuxième temps, la France cherche à promouvoir une solution politique afin de sauvegarder le pouvoir légal en obligeant les adversaires à se rencontrer. Elle associe l’UE52 comme observateur et lui fait partager son action diplomatique. Romano Prodi et Javier Solana entérinent les accords de Marcoussis53 en janvier 2003. L’engagement militaire de l’UE se limite au financement de la Micéci qui relaie les forces françaises de Licorne. C’est, pour la France, une façon d’appliquer le troisième principe de sa politique africaine en mobilisant la communauté européenne et internationale afin d’appuyer les médiations africaines. La Micéci, commandée par le 52 53 Cf. Scarbonchi, 2003. Ils débouchent sur la séparation des belligérants de part et d’autre d’une ligne de confiance, et le début du processus DDR (désarmement, démobilisation, réintégration). Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 17 général sénégalais Fall, utilise le matériel et l’armement des dépôts RECAMP.54 La Belgique et la Grande-Bretagne contribuent à cet équipement au profit des Béninois et des Ghanéens. Sans entrer dans le détail de la mission, à compter du début de l’année 2004 et après coordination, l’UE55 finance une force armée interafricaine assistée et soutenue au plan opérationnel par la force Licorne. Par cette implication financière, les Européens permettent la stabilisation de la situation militaire. Ce dispositif n’a pas empêché la Côte d’Ivoire de s’enliser dans un imbroglio politique qui aboutit, à l’automne 2010, à un processus électoral accepté par toutes les parties, mais qui donnera lieu au dénouement tragique qu’on sait en 2011. L’opération Artémis Dans le même temps, au cours de l’été 2003, l’UE intervient en Ituri, en RDC, dans le cadre de l’opération Artémis. Cette opération inaugure et initie la première intervention militaire directe de l’Europe en Afrique conduite sous la haute surveillance des instances européennes concernées. La France, la plus engagée, prend la fonction de ‘nation-cadre’ car les forces et les états-majors sont dispersés sur plusieurs sites. À Paris, au Mont-Valérien, un état-major multinational (OHQ) en liaison permanente avec le Secrétaire général de l’UE, placé sous les ordres du général de division Bruno Neveux, commande l’opération. Une base avancée est installée en Ouganda, sur l’aéroport d’Entebbe. Elle assure l’accueil de l’état-major de force et celui de la base de soutien commandée par le colonel Koehl. L’ensemble interarmes se compose de moyens de commandement, d’un groupe de transmission, d’avions de chasse et de transport, d’hélicoptères de transport, d’éléments du train parachutiste, de soutien et d’un hôpital de campagne. Les forces de l’UE s’élèvent à environ 2 000 hommes dont 1 400 sont déployés en Ituri, à Bunia, où se trouve la position avancée à partir de laquelle le général de brigade Jean-Paul Thonier les commande tactiquement. Elles comprennent un groupement des forces spéciales françaises,56 renforcé par des forces spéciales suédoises et un groupement tactique interarmes (GTI).57 Les aéroports de N’Djamena et de Libreville servent de base aux avions de chasse et de transport français. Dans cette opération, les pays ayant participé à des titres divers ou ayant envoyé des forces sont l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, Chypre, l’Espagne, la Grèce, la Hollande, la Hongrie, l’Irlande, l’Italie, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède (qui, en projetant des forces de combat, a quelque peu rompu avec sa culture de neutralité). Des pays non européens se sont associés, tels l’Afrique du Sud, le Brésil et le Canada. 54 55 56 57 Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix. L’UE obtient la contribution du Royaume-Uni et des États-Unis. Elles proviennent du 1er RPIMa, des commandos de marine, des commandos de l’air et du 6e BIMa. Ce sont des personnels de l’Infanterie de marine et du BIMa ; des hussards parachutistes ; de l’artillerie et de l’artillerie parachutiste ; du génie, du génie parachutiste et du génie de l’air ; des hélicoptères et une antenne chirurgicale aéroportée. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 18 Bien que cette opération soit menée par un effectif réduit (environ 2 000 hommes) pour une opération qualifiée de basse intensité comme le furent toutes les interventions françaises durant la Guerre froide, elle permet à l’UE d’acquérir des avantages au plan tactique car c’est un test en grandeur réelle et en totale autonomie de la capacité de projection d’une force européenne. Sur le plan de la ‘génération de forces’, elle débouche sur la création de ‘groupements tactiques’ (ou battle groups, comportant infanterie, appuis et soutiens), véritables forces de projection européennes58 créées au nombre d’une dizaine en vue d’une capacité autonome de réaction rapide.59 Au plan politique, les nouveaux instruments de la PESC/PESD ont été confrontés aux réalités de l’Afrique même si, pour certains États-membres, la vocation de la PESD ne se situait pas en Afrique. En quelques mois, des réticences et des verrous ont sauté et le principe d’une opération PESD en Afrique n’est plus un tabou. L’opération Artémis est la meilleure illustration de la nouvelle politique d’intervention militaire de l’UE, la plus aboutie au plan opérationnel et montée en coopération avec l’ONU. Elle constitue un précédent et un modèle mettant en valeur la plus-value indispensable d’une ‘nation-cadre’. L’importance de l’opération Artémis est capitale dans le cadre de la gestion future des crises africaines. Pour l’UE, elle est un gage de crédibilité et de maturité de la PESD, autant qu’une expérience fondamentale. Pour l’Afrique, elle est une preuve de la capacité de cohérence et d’action de l’Union à son profit. L’opération EUFOR RDC La seconde intervention directe en RDC n’a de sens que par rapport à l’opération Artémis et dans la continuité d’une implication de l’UE en vue de la stabilisation de l’État de droit. L’action militaire de l’UE complète des actions communes menées dans le cadre de la PESD et liées à la période électorale, en vue de la reconstruction de l’État de droit. Depuis 2004, l’UE aide les forces de police à travers EUPOL Kinshasa : une mission destinée à créer et à conseiller une unité de police intégrée 60 placée sous la direction d’Adiloi Custodio, et comptant vingt-deux Français. Il s’agit que les policiers se conforment aux standards démocratiques internationaux. Un défi par rapport à une force publique mal ou pas payée et qui avait l’habitude, sous Mobutu déjà, d’utiliser son uniforme et ses armes pour racketter la population. Depuis juin 2005, l’UE mène une action de conseil et d’assistance technique en matière de réforme du secteur de la sécurité avec l’EUSEC RD Congo61 sous le commandement du général Pierre Joana. Il s’agit d’un appui technique et logistique pour moderniser le système de gestion des personnels et des finances des forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) afin de veiller à l’amélioration de la chaîne de paiement du ministère de la défense donc au 58 Cf. note 37. 59 Depuis 2007 et jusqu’en 2012, le rythme des alertes est planifié. Ainsi de juillet à décembre 2010, elles sont assurées par la France et l’Italie et de janvier à juin 2011, les Pays-Bas et le Suède prendront la relève. 60 Action commune 2004/847/PESC du 9 décembre 2004, J.O. L 367 du 14.12.2004, p.30 modifiée par l’action commune 2005/822/PESC, J.O. L 305 du 24.11.2005, p.44. 61 Action commune 2005/355/PESC du 2 mai 2005, J.O. L 112 du 3.5.2005, p.20 modifiée par l’action commune 2005/868/PESC, J.O. L 318 du 6.12.2005, p.29. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 19 versement des soldes des militaires pour qu’ils se consacrent à leur mission et non plus à couper les routes et à piller les populations. Le général Joana dispose d’une équipe de dix ‘experts’ conduite par un chef de projet et affectée auprès des états-majors des brigades intégrées de l’armée congolaise. Là encore, dans quelle mesure une telle mission a-t-elle des chances d’aboutir à moyen et long terme pour qui connaît les pratiques coutumières des Africains où celui qui détient le pouvoir et l’accès aux finances, soumis à la pression de sa famille, sa tribu et son ethnie, se doit de redistribuer ? Il peut en découler des règlements de compte sur fond de croyances irrationnelles. Dans l’ensemble cependant, durant la période électorale, la police et les unités de maintien de l’ordre ont tenu leur place et agi sans excès. Ces deux missions coopèrent étroitement avec les forces congolaises. Bien que la mission de l’EUFOR soit strictement militaire, il existe toutefois, une coordination à tous les niveaux (échange d’officiers de liaison, participation à des groupes de travail, actions coordonnées sur le terrain. L’EUFOR garde son indépendance et sa liberté de mouvement et d’action ce qui n’exclut pas des actions coordonnées mais non conjointes, chacun gardant sa spécificité. Le coût de la mission est tout d’abord assumé par six États-membres62 à hauteur de 900 000 euros, mais à partir de février 2006, les contributions s’élargissent au budget communautaire et à des États tiers volontaires. L’intervention de l’EUFOR est temporaire : elle est limitée à quatre mois à partir de la date du premier tour des élections présidentielles. Dès le 21 juillet, les moyens militaires de l’EUFOR furent présentés aux autorités politiques et militaires locales, aux représentants des organisations internationales, aux médias et donc aux Congolais, de façon à montrer la capacité des Européens à accomplir la mission de sécurisation. Cette démonstration vise aussi à dissuader de toute surenchère ceux des leaders politiques qui seraient tentés d’y recourir. Au total, dix-neuf pays63 composent la force, dont la France et l’Allemagne constituent l’ossature.64 Après l’opération en Côte d’Ivoire et Artémis, la France a trouvé là une nouvelle occasion de partage des responsabilités avec la communauté internationale, notamment avec l’UE, au nom d’intérêts communs. Cherchant à rompre avec les accusations de néo-colonialisme et ne pouvant assumer seule, en personnels et en moyens matériels et financiers, le poids de telles opérations, elle met son expertise au service de la 62 Belgique, France, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède. 63 Allemagne (750), Autriche (2), Belgique (60), Chypre (1), Espagne (130), France (1090), Finlande (10), Grèce (3), Irlande (2), Italie (50), Luxembourg (1), Pays-Bas (40), Pologne (130), Portugal (50), RoyaumeUni (2), Slovaquie (1), Slovénie, Suède (50) et la Turquie (15). 64 La participation allemande mérite une remarque. Alors qu’à Artémis, elle s’était limitée à l’installation de l’antenne chirurgicale sur l’aéroport d’Entebbe, cette fois, l’Allemagne, ‘nation-cadre’, agit comme un membre à part entière – jusqu’à exercer une fonction opérationnelle majeure avec le commandement de l’opération depuis Potsdam. Quant à la France, elle assure le commandement de la force sur place et fournit le plus fort contingent avec 1090 personnels tandis que l’Allemagne vient en second avec un effectif de 750 personnels. Certains se demandent alors si la France ne perd pas son influence en Afrique en poussant l’Allemagne à prendre le commandement de l’opération pour ne pas apparaître en première ligne. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 20 communauté européenne. L’heure est de toute façon venue des coalitions et des politiques multilatérales qui renforcent l’UE. Comme lors d’Artémis, des États tiers sont invités à prendre part à l’opération. Non membres de l’UE, ni même candidats à l’adhésion comme la Turquie, ils ont les mêmes droits et obligations que les États-membres de l’UE pour la gestion courante sans pouvoir, d’aucune façon, influer sur l’autonomie décisionnelle. Le financement de l’opération est assuré par l’UE sur le fonds attribué aux opérations militaires, à hauteur de vingt à vingt-trois millions de dollars ce qui est assez peu par rapport au 500 millions investis au total par l’UE en RDC. L’organisation politico-administrative du commandement Le commandement de l’opération est confié à un général aviateur allemand, le lieutenant-général Karlheinz Viereck, à partir de l’état-major stratégique, à Potsdam.65 Il comprend 132 militaires originaires des dix-neuf pays et de Turquie mais l’essentiel des personnels est allemand. Il a autorité sur l’état-major opératif (Force Headquarters : FHQ), mis sur pied par l'état-major interarmées de force et d’entraînement (EMIA-FE).66 Installé à Kinshasa, le commandement opérationnel de la force revient au général de division Christian Damay, qui pour lever toute ambiguïté déclare en arrivant à Kinshasa, le 13 juillet : “Je suis un général européen”. Les deux officiers appartiennent à la génération née après la Seconde Guerre mondiale, dont la formation initiale et les débuts de la carrière se sont déroulés durant la Guerre froide. Ils sont parvenus au généralat au début des années 2000 dans un contexte de forte tension internationale et d’accroissement des interventions extérieures européennes. Ils sont complémentaires, car l’Allemand représente la dimension aérienne seule capable de projeter la force et le Français, la dimension terrestre de l’opération. Le premier est rompu à l’international car sa carrière l’a conduit aux ÉtatsUnis et au Danemark tandis que le second a acquis une expérience opérationnelle en commandant, dès le niveau de chef de section, des unités parachutistes, fer de lance des forces de projection. La direction militaire dépend du comité militaire de l’UE (CMUE) qui suit l’exécution de l’opération. Mais l’ensemble du commandement militaire est placé sous le contrôle du pouvoir politique en vertu du principe de la subordination la force armée. Le contrôle politique et la direction stratégique (plan d’opération, chaîne de commandement et règles d’engagement) sont assurés par le comité politique et de sécurité (COPS), à 65 Cet OHQ, situé à l’état-major d’opérations de la Bundeswehr, est l’un des cinq quartiers généraux créés au titre de la PESD. 66 Sa création sur la base aérienne (BA) 110 de Creil, le 1er septembre 2002, pour succéder à l'état-major interarmées de planification opérationnelle (EMIA PO), s'inscrit dans le cadre de la réorganisation de la chaîne des opérations. Elle contribue à doter la France d'une capacité de commandement susceptible d'être mise en œuvre au profit de l'UE. Il relève directement du Chef d'état-major des armées (CEMA) par l'intermédiaire du sous-chef ‘Opérations’ de l'État-major des armées (EMA). Le personnel interarmées de l’état-major opératif (FHQ) provenant des pays participant à l’opération y a reçu un entraînement avant sa projection à travers une série de stages visant à mettre à jour les connaissances, les particularismes du théâtre et la découverte du système d’information de commandement des armées. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 21 Bruxelles, sous la responsabilité du Conseil qui détient le pouvoir de décision concernant les objectifs. Le COPS sert d’intermédiaire entre le Conseil et les commandants militaires. Les états-majors de l’UE sont aussi en relation avec les Nations Unies : Secrétaire général, Département des opérations de maintien de la paix (DOMP), MONUC, chefs de missions EUPOL et EUSEC, autorités politiques et militaires de la RDC. L’organisation des forces Conçus comme des groupements tactiques interarmes dont les effectifs ne dépassent pas 2 000 hommes, les éléments de la force sont articulés en trois échelons et composés de troupes professionnelles, renforcées par quelques réservistes et quelques civils mis sous l’uniforme pour l’occasion (financiers, juristes). L’élément avancé de l’EUFOR, soit 1 200 personnels, est déployé dans la capitale Kinshasa, au Nord-Ouest dans la région de l’Équateur67 et au Sud, au Kasaï car la MONUC a émis le souhait de concentrer ses moyens sur l’Est et le Nord-Est de la RDC (provinces du Kivu et de l’Ituri) où elle est bien implantée. Cela aboutit à un partage du territoire entre les deux organisations qui ne sont pas complémentaires mais ont l’exclusivité sur leur zone respective. L’essentiel de la force, état-major opératif de 166 personnels de 19 nationalités compris, est installé sur l’aéroport militaire de Ndolo, dans les faubourgs de la ville. Le reste des troupes stationne sur l’aéroport international de N’Djili : objectif stratégique majeur, situé à une vingtaine de kilomètres de la capitale. Cette force de dissuasion se compose d’une palette diversifiée de moyens. De troupes de combat – une unité espagnole de réaction rapide, équipée de Hummers (Jeeps blindées), et capable d’intervenir sur court préavis sur Kinshasa ; d’éléments de soutien, nécessaires à la vie courante de la force, dont une unité médicale de soins et d’évacuation ; de détachements de renseignement et de transmissions. Une compagnie de police militaire polonaise est chargée de la sécurité des installations. Les Belges disposent d’une unité de drones envoyés à l’avant des patrouilles à pied pour les renseigner, et les Allemands fournissent des moyens Air avec trois hélicoptères de transport CH53. Des éléments constituant une force en attente et en alerte (On-call forces), soit environ 1 300 militaires, sont tenus en réserve en dehors de la RDC. Ces éléments dits ‘audelà de l’horizon’ sont cantonnés au Gabon, à Libreville et à Port-Gentil, où la France dispose des deux bases du 6e BIMa. Autour du PC arrière de la force, à vocation essentiellement logistique, sont stationnés des éléments68 projetables rapidement grâce à une composante aérienne de transport tactique multinational. Au troisième rang se trouve une réserve stratégique de 1 500 hommes restée en France. Cet ensemble complète les forces de la MONUC, commandées par le général sénégalais Babacar Gaye, lequel dispose d’un peu plus de 17 000 Casques bleus. 67 Cette région est le fief de Jean-Pierre Bamaba, vice-président de la RDC et candidat à la présidence. Un bataillon français à 2 compagnies issu du 8e régiment parachutiste d’infanterie de marine (8 e RPIMa) ; une task force allemande avec une compagnie sur véhicules protégés, un élément multinational de forces spéciales de 250 hommes (Français, Suédois et Portugais) doté de ses propres moyens de projection; un élément de soutien comprenant un détachement Air ; des moyens de transmission ; de la logistique et une unité médicale. 68 Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 22 L’accomplissement de la mission La mission tient dans les cinq points de l’article 8 de la résolution 1671 : apporter son soutien à la MONUC, contribuer à la protection des civils exposés à la menace imminente de violences physiques, contribuer à la protection de l’aéroport à Kinshasa, assurer la sécurité et la liberté de mouvement du personnel et la protection des installations de l’EUFOR et effectuer des opérations de caractère limité afin d’extraire des individus en danger. Pour cela, la force a la capacité de mener des actions sur différents points du territoire sauf dans les provinces de l’Est du ressort des seules forces de la MONUC. Lors de la mission, il faut distinguer deux aspects : tout d’abord, la place et la fonction du dispositif militaire pendant le processus électoral puis son rôle pendant et après le dépouillement. Déployée dès le 13 juillet, la force a permis aux citoyens de la RDC de voter le 30 juillet, lors du premier tour, sans obstruction majeure. Comme les troupes de la MONUC, celles de l’EUFOR ont été mises en état d’alerte maximale lors de l’annonce provisoire des résultats le 21 août. Immédiatement, les forces des deux candidats restés en lice pour le second tour – la garde présidentielle du Président Joseph Kabila (environ 12 000 hommes) et la milice du Vice-Président Jean-Pierre Bemba (environ un millier d’hommes) – ont échangé des tirs. Ce fut le cas, par exemple, lors d’une réunion du comité international d’accompagnement de la transition (CIAT) au domicile de Bemba, arrivé en seconde position, où des chars de la garde présidentielle ont encerclé et tiré sur sa résidence. À la demande des Nations Unies, l’EUFOR a déployé la compagnie d’intervention rapide espagnole renforcée d’éléments polonais et français (150 hommes), appuyés d’une dizaine de blindés légers, en soutien à une compagnie de la MONUC pour faire cesser les tirs, sécuriser la zone et extraire les quatorze ambassadeurs venus négocier. La manœuvre a été menée conjointement par les généraux Damay et Gaye. L’EUFOR a sécurisé l’itinéraire du Boulevard du 30 juin, la principale artère de Kinshasa ; les renforts se sont interposés entre les belligérants, et les Casques bleus ont exfiltré les diplomates. Dans différents quartiers de la capitale, les affrontements violents à la mitrailleuse lourde et à la Kalachnikov ont duré trois jours, allumé des incendies et fait des victimes. Dans le même temps, l’EUFOR transférait des renforts du Gabon (une cinquantaine de Français, Portugais et Suédois des forces spéciales et 180 soldats allemands et néerlandais appuyés par trois hélicoptères). Force à vocation dissuasive, l’EUFOR n’a pas eu besoin d’ouvrir le feu, ce qu’elle était autorisée à faire.69 Cette fois, la stricte discipline de feu des soldats espagnols et l’arrivée des blindés ont suffi à faire cesser les combats et évité l’échec du processus électoral. Sous la pression armée de l’ONU et de l’UE, de l’action diplomatique et des appels de la communauté internationale, les protagonistes ont choisi la voie de la raison politique ; ils ont signé un accord, ordonné à leurs troupes de rentrer dans leurs cantonnements alors que les troubles menaçaient de gagner les communes populaires de la capitale. 69 Les Rules of Engagement (RoE) définissent précisément comment et dans quelles circonstances, les soldats peuvent faire usage de leurs armes. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 23 Dès lors, suite à l’accord signé le 23 septembre, des patrouilles composées d’éléments de la police nationale, de la police militaire des FARDC, d’une unité le maintien de l’ordre de la MONUC, de la brigade de la MONUC et d’éléments de l’EUPOL ont patrouillé en ville pour empêcher tout risque d’affrontements armés, interdire toute circulation irrégulière d’hommes armés et contrôler tout individu se déplaçant avec une arme. L’EUFOR était en mesure d’intervenir à leur profit. Le second tour s’est déroulé le 29 octobre dans des conditions acceptables malgré des irrégularités. Dès la proclamation provisoire des résultats, le 11 novembre, dans la région de l’Équateur, des heurts ont éclaté entre partisans des deux candidats, provoquant la fuite de civils au Congo-Brazzaville voisin. À Kinshasa, les partisans de Bemba ont organisé une manifestation qui a dégénéré en attaque de la Cour suprême de justice, dégagée par des blindés de la MONUC avec le soutien de l’EUFOR. Le 28 novembre, Bemba, objet de pressions, a fini par reconnaître la victoire officielle de Kabila. Ses interlocuteurs lui ont montré l’avantage de faire désormais figure de chef de l’opposition. Sa milice a évacué les abords de sa résidence, laissant la place à des Casques bleus. Une autre partie a commencé à se retirer de Kinshasa vers Maluku, à 80 km car le président élu avait donné un ultimatum de deux jours à la MONUC pour en débarrasser la ville. Kabila voulait que la MONUC procède au désarmement des miliciens de Bemba ce qui ne figure pas dans son mandat. Par ailleurs, il est difficile de savoir si les miliciens ont véritablement quitté la ville car il est toujours possible qu’ils se diluent dans la population, en tenue civile. Le dispositif de l’EUFOR a été peu à peu démonté puisque la fin du mandat était prévue pour le 30 novembre. Cependant, quelque 300 soldats sont restés à Kinshasa jusqu’aux environs du 15 décembre et d’autres jusqu’en janvier 2007. Dans l’ensemble, le calendrier de la mission a été tenu. En revanche, dans l’attente des résultats du premier tour prévus fin août, la force autorisée à se déployer dans la zone de responsabilité de l’EUFOR, a conduit, durant dix jours, l’Opération 21 : un exercice à Kananga (Kasaï occidental) et mené des reconnaissances à Mbandaka (Équateur), Lubumbashi (Katanga), Boma (Bas Congo) afin de vérifier l’état des infrastructures locales, en cas d’intervention aéroportée, et de rencontrer les notables et la population. Cela a aussi permis de confirmer les procédures opérationnelles dans le domaine tactique, et des télécommunications Durant toute l’opération, la mission militaire de l’EUFOR s’est accompagnée d’un volet d’actions de type civilo-militaire de soutien à la population. Ces actions étaient soit nationales (pour le financement) mais s’appuyant sur des moyens EUFOR (transport, manutention…), soit purement européennes financées par la Commission européenne et réalisées avec le label EUFOR. Ce furent, par exemple, des réfections d’écoles (remise en peinture, réparation de toits et murs, livraisons de bancs, pupitres, matériels scolaires), de routes, construction d’un abri de 100 m à la gare centrale, consultations gratuites des médecins dans les dispensaires, livraison de médicaments, de lits d’hôpital, de vêtements, de jouets... Ces actions extramilitaires extrêmement utiles, en externe, pour faire accepter Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 24 les soldats de la force par la population, le furent aussi, en interne, pour impliquer les soldats dans des actions sociales valorisantes, leur apprendre à connaître les populations voire recueillir du renseignement et combler les temps morts. Les forces stationnées au Gabon, habilitées à intervenir dans toute la zone d’action d’EUFOR, ont effectué des rotations régulières de quinze jours entre Libreville et Kinshasa par demi compagnie, de façon à permettre à tous les éléments de s’accoutumer à la zone du théâtre, avec mission, dans le cas des Français, d’assurer la sécurité de l’aéroport de N’Djili, de patrouiller en ville et dans les quartiers populaires. Le reste du temps, elles s’entraînaient à intervenir en RDC en réalisant des exercices entre bataillons parachutistes, forces spéciales et composante aérienne. À Port-Gentil, elles ont profité des structures de l’école de jungle. Une fois achevée, il fut immédiatement possible de tirer quelques conclusions de la deuxième opération militaire autonome de l’UE menée en Afrique. Du point de vue de la méthode, le processus décisionnel est rodé. Les Nations Unies demandent assistance à l’UE pour une mission limitée dans sa géographie et temporaire afin d’éviter tout engluement et surcoût. Une ‘nation-cadre’ conduit l’opération ouverte à d’autres pays. Le processus capacitaire s’est affirmé, l’UE a amélioré sa logistique de projection et son organisation opérationnelle. À remarquer aussi la mixité de la mission où, le fusil posé, le soldat européen devient bâtisseur au profit des populations locales alors que la présence des soldats nationaux est synonyme pour elles de calamités. Par rapport à Artémis, même si l’on peut à nouveau noter l’absence des Britanniques, le nombre de pays participants s’est accru car, en 2004, dix nouveaux membres sont entrés dans l’UE. La Belgique, ex-puissance coloniale, a faiblement contribué, sans perte d’influence car elle reste très présente diplomatiquement. La réticence allemande s’est amoindrie, et l’Allemagne s’impose comme acteur militaire à part entière. Au niveau institutionnel, la concurrence ‘inter-piliers’ entre le Conseil et la Commission ne semble pas avoir joué. Cette opération a conforté le multilatéralisme de l’UE comme fondement de sa stratégie de sécurité et la mise en œuvre de groupements tactiques interarmées. Un intérêt collectif a émergé, la coopération opérationnelle UE-ONU s’est affirmée. Bien que limitée à un soutien des Nations Unies, cette opération de grande urgence constitue une étape importante dans le développement de la synergie entre les deux organisations. Autant de façons de diminuer les faiblesses diplomatiques de l’UE malgré le blocage constitutionnel suite au vote négatif des Français et Hollandais de 2005. Le succès militaire de l’opération ne signifie toutefois pas la fin des difficultés de la RDC : le pouvoir légitime reste confronté à une déstabilisation dans l’Est, que tente de contenir l’armée régulière épaulée par la MONUC. L’opération EUFOR Tchad-RCA L’opération qui se déploie à l’Est du Tchad et au Nord-Est de la Centrafrique est la cinquième menée par l’UE. L’organisation testée lors des opérations précédentes est rééditée à la suite du Conseil du 15 octobre 2007. À sa demande, la France active son étatmajor stratégique, au Mont Valérien, à partir duquel le général de corps d’armée irlandais Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 25 Patrick Nash, lui aussi nommé par le Conseil, planifie et commande toute l’opération. Il prend ses fonctions dès le 15 octobre, entouré de 130 personnels provenant de dix huit pays européens. Le Conseil nomme ensuite le général français Jean-Philippe Ganascia afin de le seconder et de commander la force, sur place, à partir de son état-major opératif. Leur nomination entérinée, les deux généraux rencontrent, dès le 21 octobre, à N’Djamena, les hautes autorités tchadiennes, dont le Chef d’état-major particulier du Président Idriss Deby Itno et son conseiller diplomatique. Après avoir rappelé la nature spécifique d’un mandat qui exclut toute intervention dans les affaires intérieures des États concernés,70 ils effectuent une mission de reconnaissance dans l’est du Tchad, avant de rallier le Nord-Est de la Centrafrique et Bangui où ils s’entretiennent avec les autorités politiques. Quant à la composition du contingent, prévue à hauteur de 4 000 à 4 300 hommes, elle est arrêtée à l’issue de la conférence de génération de force où les pays participant à l’opération, dont la France, déterminent leur contribution en quantité et qualité. Il est prévu que les premiers éléments arrivent très vite pour un mandat d’une durée d’un an à compter de novembre 2007. Il s’agit pour eux de dissuader, “en harmonie avec les pays hôtes”, tout débordement pour “aider les populations déplacées à retrouver un sentiment de sécurité et regagner leurs villages”.71 Le général Nash souligne qu’il ne revient pas à l'EUFOR de contrôler la frontière du Tchad et de la RCA avec le Soudan. Cette restriction explique, en partie, l’audacieuse offensive du début février 2008 sur N’Djamena, en provenance du Soudan, qui suit celle de 2006. Cette fois, les forces rebelles, commandées par Timan Erdimi et Mahamat Nouri, deux figures de la rébellion, sont fortes de 3 à 4 000 hommes transportés par environ 300 pick-ups. Cette nouvelle offensive est arrêtée in extremis par le dernier carré des fidèles du Président Déby qui a 70 Cette précision renvoie au contexte particulier qui entoure préparation du déploiement. Ce contexte est marqué par l’affaire de l’Arche de Zoé, association qui s’est donné pour but d’emmener en France, dans des familles d’accueil, en vue ou non d’une adoption, des enfants du Darfour considérés comme orphelins. La controverse née autour de cette ‘opération humanitaire’ menée sans réelle transparence embarrasse les militaires français qui ont soutenu, sur place, les responsables de l’association, sans avoir bien vérifié quels étaient les buts et les méthodes de leur entreprise. Très habilement, le Président Idriss Déby Itno, contesté dans son pays, se montre réservé et utilise l’affaire politiquement en faisant monter les enchères car son accord et son soutien sont indispensables à la mise en œuvre de l’opération de sécurisation et d’acheminement de l’aide humanitaire aux populations déstabilisées. Le Président Sarkozy et son ministre des Affaires Étrangères, Bernard Kouchner, se mobilisent pour faire accepter au président tchadien le nécessaire déploiement militaire européen. Le succès de l’opération constitue un enjeu majeur pour l’armée française présente dans ce pays jugé stratégique. Un peu plus d’un millier de militaires y séjournent en permanence depuis 1986 entre la base de N’Djamena, dite “Sergent-chef Adji Kosseï”, le camp Croci d’Abéché et celui de Faya-Largeau. Pour l’état-major, N’Djamena offre une position centrale bien mieux adaptée aux opérations militaires dans la région subsaharienne que les bases de Djibouti et du Gabon. Les six avions de chasse, les trois avions de transport et le ravitailleur, parqués dans la capitale tchadienne, sont toujours prêts à décoller pour des missions aussi discrètes que variées : surveillance de la frontière SoudanTchad, envois de commandos lors des récentes attaques de rebelles en République Centrafricaine, appuis aux forces africaines et onusiennes dépêchées en République démocratique du Congo. En novembre 2007, le général Abrial, Chef d’état-major de l’armée de l’Air, confie à quelques parlementaires que cette base permet d’offrir à la France une “capacité inégalable de rayonnement” dans la région. Finalement, le Président Déby assure que l’affaire de l'Arche de Zoé ne remet pas en cause le déploiement de l'EUFOR. 71 À cette occasion, le ministre des Affaires Étrangères, B. Kouchner, rappelle que la mission de l'EUFOR est, dans sa conception même, à l'opposé de celle, clandestine, de l'Arche de Zoé. À ce moment, six membres de l’association sont retenus à la prison de N’Djamena. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 26 refusé l’offre d’exfiltration française, préférant mourir en combattant plutôt qu’en exil. La communauté internationale, que ce soit le Conseil de sécurité ou l’UA, le soutient et tente de réagir quand la France ne peut rester dans l’expectative. Dans un premier temps, le Président Sarkozy (qui, depuis ses déclarations de 2007, ne veut plus que la France apparaisse comme le ‘gendarme de l’Afrique’) choisit de s’en tenir à l’application stricte de l’accord de coopération bilatérale de 1976 et au cadre tracé en 2006. Toutefois, il ne peut pas non plus lâcher un régime ami,72 et cherche à obtenir une caution internationale à l’ONU pour légitimer une intervention armée. Le 4 février, le Conseil de sécurité, à l’unanimité, donne le feu vert à une éventuelle intervention. La déclaration constitue une base juridique suffisante, mais quelques ambiguïtés poussent la France à impliquer la Libye.73 Le niveau de l’aide apporté par la France ne doit pas entacher la neutralité de l’EUFOR dont elle dirige le déploiement. Avec retard, à partir de mars 2008, la force européenne finit par être disposée sur une zone d’opérations qui s’étend sur environ 400 000 km2 aux marges frontalières, là où sont regroupés, selon l’ONU, environ 400 000 personnes, soit quelque 236 000 réfugiés de la région soudanaise du Darfour et 173 000 déplacés tchadiens, échoués dans des camps de fortune. Le Sud tchadien accueille en outre quelque 45 000 réfugiés centrafricains. La force compte finalement 3 700 soldats, appartenant tous à des troupes professionnelles bien entraînées provenant d'une vingtaine de pays. Parmi les plus gros pays contributeurs figurent la France, l’Irlande et la Pologne. Les effectifs sont répartis entre plusieurs bases (au Tchad, Iriba au nord, Forchana et Goz Beida au centre et, en RCA, Birao au sud). À l’ouest du dispositif, Abéché héberge l’état-major de l’EUFOR, au camp des Étoiles, construit pour la circonstance. À l’arrière, N’Djamena héberge la base logistique soutenue par le dispositif Épervier. Une réserve stratégique est mobilisée en Europe. La mission doit relever deux autres défis, d’une part celui lié aux difficultés logistiques dans les régions très étendues de l'Est du Tchad et du Nord-Est de la RCA, d’autre part le budget, estimé à hauteur de 100 millions d'euros mais dont le général Nash précise, dès le début, que les chiffres définitifs seront réévalués, faisant de l'EUFOR Tchad-RCA “une mission coûteuse”. Parallèlement à l’EUFOR s’est constituée, au titre de la résolution 1778 du 25 septembre 2007, la mission des Nations Unies pour la République centrafricaine et le Tchad (MINURCAT), mission internationale dirigée par une entité civile politique. Cette force hybride se compose d’abord de deux piliers. Le premier est humanitaire et comprend des éléments du Haut Commissariat aux Réfugiés (UNHCR) et du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) ; le second (Détachement intégré de 72 À ce titre, la France fournit des munitions achetées à l’extérieur et non prélevées sur ses propres stocks. Elle apporte un soutien tactique par les conseils de deux officiers de la coopération militaire. La seule intervention directe est celle des militaires d’Épervier, le 2 février, pour empêcher les assaillants de s’emparer de l’aéroport et le sanctuariser afin de commencer, entre autres, l’évacuation des ressortissants étrangers. Les forces françaises ont évacué sur Libreville 1 439 personnes de 76 nationalités et 958 de 37 nationalités directement sur Paris. 73 M. Kadhafi souhaite contrecarrer les ambitions régionales soudanaises ; il fournit des munitions entre autres pour les chars. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 27 sécurité : DIS) est policier, et est chargé de former des policiers tchadiens afin d’assurer la sécurité dans les camps de réfugiés et de déplacés. Hormis la protection des populations civiles, la mission doit contribuer à la promotion des droits de l’Homme, de l’État de droit et de la paix régionale. Par la résolution 1861 du 14 janvier 2009, l’ONU prend le relais des troupes européennes à la fin de leur mandat et, à partir de mars 2009, la MINURCAT hérite d’un troisième pilier, militaire celui-là, voué au maintien d’un ‘parapluie sécuritaire’. Cette force multinationale de 2 800 Casques bleus comprend des contingents norvégiens, ghanéens et togolais. L’ensemble est placé sous les ordres du général de division sénégalais Mouhamadou Kandji. La phase de transition de l’EUFOR vers la MINURCAT fut planifiée, dès le mois de janvier 2009, par le colonel Besnard et le transfert d’autorité s’est effectué comme prévu le 15 mars 2009, pour un mandat d’un an. Afin de soutenir cette force, un contingent de 800 militaires de l’EUFOR est maintenu sur place, troquant temporairement le béret européen pour le béret bleu de l’ONU. Parmi eux, des Polonais, des Irlandais restés dans les deux bases d’Iriba et de Goz Beida, et 300 Français. Dès le début de la mission de l’EUFOR, les Français ont assuré la logistique avec un bataillon logistique (Batlog) de 450 hommes devenu, au sein de la MINURCAT, détachement logistique (Detlog) avec un effectif réduit à 250, assuré par des relèves. Dans les deux cas, la mission logistique a consisté à fournir le soutien et l’appui aux trois bases avancées, ravitaillées par voie terrestre, à entretenir leurs terrains restés sommaires mais aussi à fabriquer du pain et à livrer de l’eau. Le général Kandji peut toujours compter sur le soutien de la base de N’Djamena.74 La MINURCAT, critiquée pour son mandat jugé trop restrictif faute d’avoir reçu un rôle dans le processus de paix régional, a commencé son retrait comme prévu dès le 15 mars 2010. La résolution 1923 du 25 mai 2010 révisera son mandat, lui enjoignant de coopérer avec le gouvernement tchadien, de consolider les progrès réalisés en vue de la stabilité après son départ, prévu le 31 décembre 2010.75 Si un premier bilan de l’action de l’EUFOR et de la MINURCAT est jugé très mitigé, d’autres tel que celui que dresse Fabienne Hara, directrice adjointe d’International Crisis Group, ONG anglo-saxonne, le pensent plutôt positif : ces deux opérations ont protégé le gouvernement tchadien des velléités déstabilisatrices soudanaises. La réconciliation scellée et la défense tchadienne réorganisée, le Président Déby s’affranchit d’un soutien international que Paris juge encore nécessaire.76 Atalante et la lutte contre la piraterie somalienne La série d’opérations terrestres directement conduites par l’UE se diversifie lorsqu’au large de la Somalie et du golfe d’Aden pointe une nouvelle menace : la piraterie. 74 Armées d’aujourd’hui, n° 344, octobre 2009 et n° 347, février 2010. Le mandat aurait pu être renouvelé pour une nouvelle année : les actes de banditisme n’ont cessé de se multiplier dans l’Est ; ils sont souvent le fait de soldats tchadiens identifiables à leur uniforme. Mais, le Tchad et le Soudan ayant signé un accord, le 19 janvier 2010, le Président Déby en a refusé le principe. 76 Cf. Bernard & Rémy, 2010. 75 Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 28 Les contre-mesures européennes lancées au large de la Somalie visent, dans le respect des textes et pour une durée limitée à un an, à dissuader, prévenir, réprimer les attaques, protéger les navires marchands, escorter ceux du PAM, en un mot, à surveiller cette zone maritime stratégique de l’océan Indien. Elle se déroule en deux étapes. La France et l’Espagne émettent d’entrée l’idée d’une opération qui ne remporte pas l’adhésion unanime des 27 et particulièrement de la Grande-Bretagne et de l’Italie, favorables à une action de l’OTAN. Dès lors, l’UE et l’OTAN préparent, chacune de leur côté, une opération pendant que s’élaborent les résolutions du Conseil de sécurité. En mai 2008, le Conseil des ministres des Affaires Étrangères et de la Défense de l’UE s’accorde sur le principe d’une opération qui bute sur une question de procédures d’arrestation et de transfert des pirates. En août, alors que la décision est adoptée, le conflit géorgien relègue la question au second plan des préoccupations européennes. Finalement, le 15 septembre, les objectifs sont reconsidérés. La décision est prise de limiter l’action à la création d’une cellule de coordination : l’UENAVCO, basée à Bruxelles, afin de soutenir les actions, menées à partir de Djibouti, de surveillance et de protection des navires vulnérables. Dans un second temps, face à la multiplication des actes de piraterie77 et sous la pression des armateurs britanniques, italiens et allemands,78 d’assureurs (Lloyd’s), mais encore du gouvernement égyptien,79 la France (qui assure la présidence tournante de l’UE depuis juillet 2008) lance l’idée d’une opération qui, après accord des 27 ministres de la Défense, prend le relais de l’UENAVCO. La décision est entérinée, à Bruxelles, le 10 novembre. Atalante, la première opération navale de l’UE, peut commencer dès décembre 2008. La résolution 1897, relevant l’extension du champ d’action des pirates, permet de proroger l’opération pour une période d’un an jusqu’en décembre 2009. Atalante dispose d’une force aéronavale, l’EUROMARFOR,80 comprenant des éléments de la Marine, des avions et des hélicoptères de l’aéronavale, sans compter les commandos de marine et le commando Hubert dépendant du centre des opérations spéciales (COS). Cette task force préfigure une police des mers. La France, l’Espagne et le Danemark sont rejoints par l’Allemagne, la Belgique, Chypre, la Grande-Bretagne, la Grèce, l’Italie, la Lituanie, le Portugal et la Suède. Le commandement est assuré par le vice-amiral britannique, Peter Hudson, à partir d’un quartier général (OHQ) situé à Northwood, en Grande-Bretagne, 77 Après les voiliers le Ponant, le Carré d’AS et le Tanit, ce sont des bateaux de pêche (thoniers), des cargos, des remorqueurs, des porte-conteneurs, des vraquiers, des chimiquiers et des pétroliers de tous pavillons. 78 Certains transporteurs, comme le danois Maersk, commencent à dérouter leurs navires vers le cap de Bonne Espérance, ce qui accroît la durée et le coût du trajet. 79 Ce pays voit sa souveraineté et sa zone d’influence naturelle dans la mer Rouge menacées. De plus, les recettes des droits de passage du canal de Suez représentent la troisième source de devises de son économie. De 2007 à février 2008, elles ont chuté de 408 millions de dollars à 302 millions car le trafic est passé de 1 700 navires à 1 300. L’Égypte, qui dispose d’une dizaine de frégates, tente de s’associer aux efforts internationaux et de collaborer avec Atalante. Cf. Marmié, 2009. 80 Cette force navale non permanente mais pré-structurée fut créée en 1995 avec des navires espagnols, français, italiens et portugais. Elle a accompli une première mission opérationnelle de surveillance, Coherent Behaviour, en octobre 2002, en Méditerranée orientale. Puis, de février 2003 à décembre 2004, elle a participé à Resolute Behaviour, dans le cadre de l’opération Enduring Freedom de lutte contre la déstabilisation en Somalie. Cf. Terpan, 2010, p.111. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 29 Djibouti servant de base arrière et d’implantation à l’état-major de force (HFQ) sur le théâtre, aux ordres du commodore hollandais Pieter Bindt. Selon les sources, les chiffres des effectifs mobilisés oscillent entre 1 200 et 1 800 militaires et entre treize et vingt bâtiments finissent pas être déployés sur la zone du golfe d’Aden entre les côtes somaliennes et yéménites jusqu’aux eaux territoriales des Seychelles. Ils escortent les bateaux constitués en convois dans un corridor et protègent ceux du PAM. Remarquons qu’Atalante dépasse le cadre des ‘missions de Petersberg’ de la PESD. Par là, l’UE passe à un stade proche de la stratégie européenne de sécurité visant à lutter contre diverses menaces (décembre 2003) et de celle qui traite de sécurité internationale (décembre 2008). Par ses contre-mesures, elle mène une politique de puissance. Elle n’est plus seule présente car l’OTAN, depuis la réunion de Budapest d’octobre 2008, évoque une opération de génération de forces devenue l’opération Ocean Shield avec quatre bâtiments. La Chine qui tient de plus en plus à participer aux opérations de maintien de la paix et à la sécurité maritime envoie des navires protéger ses bateaux. L’Inde, la Russie, le Japon et l’Arabie saoudite s’impliquent à partir du moment où leur pavillon est menacé. Mais toute la communauté internationale a conscience que la seule solution est de restaurer l’État somalien, ce à quoi s’emploie l’UE. Le bilan est significatif. Les attaques ont baissé et leur taux de réussite est passé de 40% en 2008 à 19%, en 2009. Des bateaux et des otages sont toujours retenus, ce qui alimente les pirates en rançons avec lesquelles ils peuvent, à défaut d’obtenir un revenu, acheter des armes81 et trafiquer la drogue. Leur succès incombe au fait que nombre de bateaux s’affranchissent des règles de circulation préconisées par les forces navales européennes, ou n’appliquent pas les recommandations des armateurs. Reste une difficulté majeure pour Atalante. Elle provient de la gestion judiciaire et pénitentiaire des pirates arrêtés. Des accords sont conclus avec le Kenya, les Seychelles et le Puntland ; un projet d’accord est espéré avec la Tanzanie afin de leur déléguer cette mission. Les structures de soutien aux armées africaines EURO-RECAMP et Amani Africa En décembre 2007, le sommet Afrique-UE de Lisbonne a défini une stratégie commune afin d’approfondir le partenariat euro-africain en matière de paix et de sécurité. Il pose les bases d’une nouvelle initiative stratégique entre les deux continents tant au plan de la coopération que du partenariat politique dans le cadre de la construction de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA ou AAPS). La mise en œuvre a commencé dès 2008 à partir d’une européanisation du système français de rétablissement des capacités africaines de maintien de la paix (RECAMP). Après bien des discussions à Paris, Berlin, Londres, Copenhague et Bruxelles, au sein du 81 Or, les trafiquants d’armes pullulent dans la région de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique, comme l’avait prouvé la prise, en octobre 2008, d’un bateau ukrainien chargé de matériel militaire de l’époque soviétique faisant route vers Mombassa, au Kenya, mais dont la cargaison était, semble-t-il, destinée au Sud-Soudan. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 30 Conseil des ministres et de la Commission, le soutien de l’UE à l’UA, instrument de la PSDC, a pris le nom Amani Africa (paix en Afrique). Grâce à cet outil, l’UA va pouvoir constituer, à l’horizon de la fin de l’année 2010, la Force africaine en attente (FAA), composante opérationnelle de l’APSA. Dans chaque sous-région, la FAA sera composée de troupes du niveau de la brigade soit au total cinq brigades sous-régionales d’environ 5 000 hommes y compris la composante policière et civile. Il lui est dévolu la mission de gérer et de résoudre les conflits sur le continent, en autonomie. La FAA hérite du cycle RECAMP qui devient par extension EURO-RECAMP par le biais d’Amani Africa. La France, compte tenu de son expérience dans ce domaine, se voit confier le rôle de ‘nation-cadre’. Elle y trouve une façon d’appliquer le troisième principe de sa politique africaine consistant à mobiliser la communauté internationale et à appuyer les médiations africaines. Cet instrument fixe le cadre de la politique de coopération européenne. Si le partenariat Afrique-UE n’exclut pas les relations bilatérales comme continuent à les pratiquer la France et certains de ses voisins (la coopération bilatérale, qui n’est plus une coopération de substitution, reste le fondement de la politique française par respect des engagements), il permet de dépasser le cadre bilatéral pour donner aux Africains les moyens de prendre en charge leur sécurité et d’assumer leurs responsabilités selon les principes du multilatéralisme au niveau de l’UA et de leurs organisations sous-régionales comme la CEDEAO, la CEEAC (Communauté économique des États d’Afrique de l’Est) et la South African Development Community (SADC). Le partenariat stratégique couvre huit domaines, principalement civils, mais où figurent en bonne place la paix et la sécurité. Il s’agit d’élaborer un système de sécurité collective. L’apport de l’UE a débuté en octobre 2008, à Addis-Abeba, par le premier cycle d’EURO-RECAMP et pour deux ans. Il revêt trois volets. Le premier (renforcement du dialogue politique UE-Afrique) est politique, les deux autres sont militaires et comportent, d’une part, le soutien à l’APSA et, par là, à la FAA (car les armées africaines manquent d’effectifs qualifiés et de matériel), et d’autre part, le financement des opérations de maintien de la paix. L’UE a prévu de consacrer un milliard d’euros sur trois ans pour le programme EURO-RECAMP.82 La genèse de RECAMP remonte à 1997 lorsque les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ont jugé nécessaire de coordonner leurs programmes de coopération militaire en Afrique. L’année suivante, au sommet franco-africain du Louvre, la France présente le 82 S’y ajoutent le financement des opérations militaires en cours, soit huit millions d’Euros pour Atalante et cinq millions pour la Somalie (cf. Interview du général Pierre-Michel Joana, conseiller spécial ‘Paix et sécurité en Afrique’ au Conseil de l’UE, Armées d’aujourd’hui, n°352, juillet-août 2010, p.51). Suite à l’opération française de formation d’un contingent de 500 soldats du Gouvernement fédéral de transition (GFT), à Djibouti, en 2009, dans le cadre de la PSDC, une mission européenne de formation des forces somaliennes du gouvernement fédéral de transition, European Union Trainng Mission Somalia (EUTM) tente depuis mai 2010 de former un contingent de 2 000 soldats somaliens des forces de sécurité pour le compte du GFT. Il aura pour tâche de protéger Mogadiscio. L’instruction se déroule en Ouganda, en collaboration avec l’armée ougandaise afin qu’elle puisse à son tour former les Somaliens. Les instructeurs sont au nombre de 140, ils viennent de 14 pays de l’UE mais la France fournit l’essentiel de l’effort avec 26 instructeurs prélevés sur les forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj). La formation doit se dérouler en deux mandats de six mois. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 31 concept RECAMP. C’est une forme d’évolution des grandes manœuvres franco-africaines de la période de la guerre froide vers des opérations de maintien de la paix. Il s’appuie sur la base de cycle de deux ans et comporte trois volets : la coopération, l’entraînement et l’engagement par le soutien à la formation des hommes et la fourniture de matériels et d’équipements, en un mot, former, entraîner et équiper.83 RECAMP a rapidement montré son efficacité en RCA, en mettant sur pied, en équipant et en soutenant la mission de surveillance des accords de Bangui (MISAB),84 remplacée l’année suivante par la mission des Nations Unies pour la RCA (MINURCA) suite à la résolution 1159 du Conseil de sécurité. En 1999, ce fut la mise sur pied en Guinée-Bissau et le soutien logistique d’un bataillon multinational (des contingents du Bénin, de la Gambie, du Niger et du Togo). En 2000-2001, RECAMP a contribué au soutien de la MONUC en formant et en équipant les contingents sénégalais et marocain. En Côte d’Ivoire, les troupes de la Micéci du général Fall, furent en partie équipées avec le matériel et l’armement des dépôts RECAMP installés dans les bases pré-positionnées à Libreville, Dakar et Djibouti. Les États africains en ont vite saisi l’intérêt, à tel point que les exercices de RECAMP III Tanzanite se sont effectués en Afrique de l’Est avec des pays placés hors du champ de la coopération traditionnelle française. Une efficacité qui a fini par être reconnue par le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) de l’ONU, associé au cycle. L’UA a été invitée en 2004 et l’UE s’est jointe à la conférence des contributeurs où figurent l’OTAN et l’ONU. En européanisant RECAMP, la France rompt avec l’image de gendarme de l’Afrique et de néo-colonialisme. Elle partage les coûts car la Commission possède de nombreuses lignes budgétaires (par exemple, le Rapid Reaction Mechanism, les lignes de réhabilitation et le Fonds Européen de Développement) qui peuvent servir à financer le 83 Les premiers exercices sont RECAMP I Guidimaka, en 1996-1998, avec la CEDEAO soit quatre pays africains et quatre non africains ; RECAMP II Gabon 2000, en 1998-2000 avec la CEEAC soit huit pays africains et huit non africains ; RECAMP III Tanzanite 2002, en 2000-2002, avec la SADC soit seize pays africains et douze non africains et enfin RECAMP IV Ghana-Bénin, en 2002-2004 à nouveau centré sur la CEDEAO et avec douze pays africains, treize non africains et huit observateurs. Chaque exercice se déroule selon le rythme de deux ans, au sein d’une organisation sous-régionale, avec les forces pré-positionnées, selon un thème relatif à la gestion d’une crise. Il comprend trois axes, à commencer par un exercice majeur qui se décline en quatre phases : un séminaire politico-militaire ; une conférence stratégique ; un exercice d’état-major (CPX) couplé d’un exercice sur le terrain avec déploiement des troupes en vue d’un entraînement à la conduite opérative tactique ; enfin, une conférence de retour d’expérience (Retex). Le second axe du cycle s’organise à partir de cycles intermédiaires dans les autres sous-régions où sont prépositionnées des forces françaises afin de maintenir un lien permanent avec ces organisations sousrégionales. Le troisième axe revêt la forme d’exercices hors cycle en réponse à la demande de pays africains ou non africains de bénéficier du soutien de RECAMP afin de renforcer les capacités africaines. Les matériels terrestres pré-positionnés sont stockés dans des bâtiments spécifiques, la maintenance et le support logistique étant assurés par la France. 84 Elle s’est mise en place alors que le Président Ange Patassé était en butte à des mutineries. Au sommet franco-africain de décembre 1996, il fut décidé de donner un mandat à quatre présidents pour négocier une trêve entre les forces loyalistes et les mutins. Cette force constituée, en janvier 1997 et regroupant 800 hommes venant de six pays (Burkina-Faso, Gabon, Mali, Sénégal, Tchad et Togo), a reçu la mission d’appuyer la médiation dès son déploiement, en février, jusqu’à l’expiration de son mandat en avril 1998. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 32 développement institutionnel multilatéral. De surcroît, en impliquant l’UE, elle la pousse à une politique de puissance puisque EURO-RECAMP fut l’instrument de la PESD et est celui de la PSDC au service de l’Afrique. La France peut compter sur des partenaires stables comme l’Allemagne et la Belgique. Elle peut s’appuyer sur le Danemark qui, par le biais de son ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération (DANIDA), dispose des ressources pour participer à EURO-RECAMP. Dès 2005, le cycle RECAMP s’ouvre pour la première fois au partenariat entre l’UE et l’UA, de sa conception à sa conduite. Là où RECAMP IV était centré sur la CEDEAO, RECAMP V poursuit la rotation initiale et se déroule, à nouveau, dans la région de la CEEAC. Le scénario Sawa 2006 est élaboré au niveau de l’UA qui intervient avec la sous-région et ses États-membres pour la planification de la crise, la constitution et le commandement de la force, avec déploiement militaire et appui policier pour sécuriser la zone. Les États contributeurs extérieurs au continent, la France au premier chef, prodiguent conseils et assurent le soutien logistique et financier. L’opération est coordonnée avec des organisations internationales (FMI, Banque mondiale) et humanitaires (agences de l’ONU : UNHCR, UNICEF, PNUD, PAM, etc., ainsi que des ONG). Ce cycle est novateur car il dépasse le cadre d’une simple opération militaire et oblige les forces armées africaines à se préparer à une planification multidimensionnelle, et à coopérer avec les civils. Il se déroule en six étapes. La conférence d’initialisation à l’UA ouvre le cycle, à Addis Abeba, en juin 2005, suivie de la conférence des contributeurs, à Paris, en septembre. En mai 2006, l’UE conduit le séminaire politico-militaire, à Brazzaville, complété par la conférence stratégique, à Libreville. À l’automne a lieu, au Cameroun, l’exercice d’état-major précédé par trois conférences de planification, en novembre 2005 et en juin et septembre 2006. Le cycle s’achève au début 2007, à Addis Abeba, par la conférence de retour d’expérience. Addis Abeba, siège de l’UA, devient un maillon important dans la chaîne du partenariat de l’UE à l’APSA. Depuis novembre 2008, pour deux ans, un cycle reprend. Il porte sur la FAA, les centres de formation et le système de veille et d’alerte continental. Ce dernier est constitué d’un maillage entre les régions et le centre d’Addis Abeba (lequel souffre d’un manque d’équipements et d’analystes qualifiés). Il continue sa montée en puissance et produit des synthèses quotidiennes sur chacune des crises. Pour renforcer le soutien de l’UE à ce système, la France et le Royaume Uni ont lancé, lors de la présidence française de l’UE, l’initiative du mécanisme interactif de veille et d’anticipation en commun (MIVAC) en s’appuyant sur les centres de situation (sitcen) ou centres de crise de l’UE. Cette initiative est maintenant un projet européen. Les échanges se poursuivent dans le cadre informel du Club de Budapest (Commission UE, Sitcen85 et centre de crise des états-majors intéressés) avec les partenaires africains. La définition de la coopération avec l’UA reste alors à préciser. L’organisation, en octobre 2010, d’un exercice d’état-major initialement prévu pour certifier la FAA, devait marquer l’aboutissement du cycle avec déploiement de la force et 85 Ce centre de situation conjoint de l’UE, créé en 2001, est l’agence de renseignement du service diplomatique européen, désormais placé sous l’autorité de la Haute Représentante de la politique étrangère de l’UE, Catherine Ashton. Le Français Patrice Bergamini le dirige depuis juillet 2010. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 33 étude de cas. L’objectif – évaluer les niveaux opératif et stratégique – a dû être revu à la baisse. Ce glissement s’explique par le retard pris dans la validation opérationnelle des brigades en attente. Comme l’a montré la force de l’UA déployée au Darfour, le point faible réside toujours dans les capacités logistiques. Les Écoles nationales à vocation régionale Le soutien aux armées africaines en cours à travers EURO-RECAMP passe par un système complémentaire de formation des personnels qui est celui des écoles nationales à vocation régionale (ENVR). Les ENVR sont une nouvelle approche lancée, à la fin des années 1990, par la Direction de la Coopération militaire et de la Défense (DCMD, devenue DCSD) afin de donner une réponse technique et administrative à un manque de places dans les écoles de formation initiale et d’application des cadres en France. Ce ne sont pas des écoles françaises de deuxième catégorie, proposant des formations au rabais. Elles veulent être des écoles de formation des cadres africains par les Africains avec le soutien de la France. C’est une façon de pousser les Africains à prendre en charge la formation de leurs personnels en relation avec RECAMP. Bien qu’elles s’adressent à tous les niveaux de la hiérarchie, du soldat à l’officier supérieur, le but est de former des cadres et des experts militaires africains pour concevoir, préparer et participer, au niveau tactique à des opérations de maintien de la paix au niveau du bataillon sous l’égide d’une organisation internationale ou de l’ONU. Les ENVR sont au nombre de dix-sept, réparties entre l’Afrique de l’Ouest et de l’Est, et ouvertes aux pays francophones, anglophones et lusophones. Elles se spécialisent dans trois domaines relatifs aux opérations de maintien de la paix. Huit de ces écoles86 ont pour vocation le premier, ‘planification et conduite d’une opération’ ; quatre autres87 centrent leurs formations sur le second, ‘contrôle du territoire et sécurité des populations’ ; le troisième, ‘évolution en milieu dégradé’, s’enseigne dans cinq écoles.88 Elles ont déjà accueilli 1 500 stagiaires.89 Pour certains types de formation, il existe des partenariats avec des ONG. C’est le cas de l’École du maintien de la paix au Mali, qui coopère avec la Croix-Rouge (CICR), Save the Children et Handicap International. 86 Deux au Sénégal, le Cours d’application des officiers de Gendarmerie de Ouakam et l’École d’application de l’Infanterie de Thiès ; une au Cameroun, le Collège supérieur interarmées de Défense de Yaoundé; une au Burkina-Faso, l’École technique de Ouagadougou, une au Gabon, l’École d’état-major de Libreville, enfin trois au Mali, l’École militaire d’administration, l’École d’état-major de Koulikoro et l’École de maintien de la paix de Bamako. Au départ, prévue en Côte d’Ivoire, cette dernière fut transférée au Mali, en 2003, suite à la crise de 2002. 87 Une au Bénin, le Centre de perfectionnement de la Police Judiciaire de Porto-Novo et trois au Cameroun, le Centre de perfectionnement aux techniques de maintien de l’ordre et l’École internationale des forces de sécurité à Awaé et le Pôle aéronautique national à vocation régionale, à Garoua. 88 Au Bénin, le Centre de perfectionnement aux actions post-conflictuelles, de déminage et de dépollution de Ouidah ; au Congo, l’École du Génie-travaux de Brazzaville ; au Gabon, l’École d’application Santé de Menen ; au Niger, l’École du personnel paramédical des Armées nigériennes de Niamey, et au Togo, l’École du Service de santé des Armées de Lomé. 89 Dans le même temps, 2 400 militaires étrangers étaient formés en France. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 34 L’européanisation s’applique aux centres de formation africains soutenus par l’UE. Le système montre des faiblesses d’autant plus préoccupantes qu’il s’agit d’un programme destiné à être mise en œuvre conjointement. On constate que l’UA a des difficultés à s’approprier le dispositif, qu’il existe des lacunes régionales relatives à l’absence de prise en compte des besoins de formation au profit des brigades de la FAA, et qu’il est nécessaire de mettre les centres de formation en réseau au niveau régional pour mieux exploiter leur potentiel. Conclusion La politique européenne sur le continent africain indique assez que les Étatsmembres de l’UE n’ont toujours pas la même vision du monde et du rôle de l’Europe dans le monde : certains accordent à l’Afrique, par tradition ou pour des raisons de proximité géographique, une importance relative inconnue des autres. Les deux élargissements intervenus dans la décennie 2000 ont certainement contribué à éloigner quelque peu le continent africain des préoccupations dominantes. Toutefois, les premiers, pour l’essentiel d’anciennes tutelles coloniales, y maintiennent des politiques nationales qui, même si les intérêts qui les gouvernent sont souvent complémentaires, peuvent demeurer discordantes. Le coût des interventions militaires ou humanitaires, mais aussi des considérations de légitimité extérieure, les incitent à y associer d’autres partenaires, tant parmi les acteurs autorisés, mondiaux (ONU) ou locaux (UA), de la communauté internationale que parmi les autres États-membres de l’UE. Cette dernière, en mal d’affirmation, a fait de l’Afrique subsaharienne dans la décennie considérée ici un espace d’expérimentation et d’application des politiques européennes de prévention, de gestion des conflits et de sortie de crise pour la PSDC comme elle fut, après les décolonisations, un lieu de conflits de basse intensité où l’armée française maintenait une présence et menait des actions militaires. Si l’on tente de dresser un bilan global de la première décennie du siècle d’un point de vue européen, force est de constater que des progrès ont été accomplis au regard des intentions affirmées : des habitudes prises, des partenariats noués, des procédures rodées – même si beaucoup reste à faire. D’un point de vue africain, le bilan est satisfaisant dans un premier temps : le cas du Tchad et de la RCA le montre, où la présence de forces de l’UE, de l’ONU ou de l’UA stabilise la situation. La Côte d’Ivoire de 2010 semble s’acheminer vers un dénouement de la longue crise qu’elle connaît. Ce n’est pas le cas dans l’Est de la RDC où l’effet d’Artémis n’a pas duré : au moment où s’achève la décennie étudiée, l’État ne contrôle toujours pas cette région qui reste en proie aux exactions de bandes malgré la présence onusienne. Des actions terrestres menées directement par des forces multinationales dans le cadre des EUROFOR ou EUFOR émerge un processus éprouvé, sous-tendu par une architecture à quatre niveaux. Le premier, dont l’état-major de l’UE (EMUE) assume la conception et l’ordonnancement, est politico-militaire. Le second est stratégique. Il relève d’un commandement opérationnel qui fixe les objectifs et déploie les ressources allouées pour les atteindre. Un état-major stratégique, OHQ, planifie et conduit les opérations. Le troisième niveau est opératif et concerne le niveau régional. Un état-major opératif, FHQ, Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 35 commande les forces. Le quatrième et dernier niveau est tactique. Sur le terrain, la force de l’EUFOR exécute l’opération. Après les actions terrestres, l’UE a expérimenté l’action navale au large des côtes est-africaines en 2003-2005 avec l’EUROMARFOR. L’architecture est tout aussi rodée pour les actions terrestres menées indirectement par le truchement des cycles RECAMP, devenus EURO-RECAMP, et des ENVR – même si pour ces dernières, encore trop récentes, il est difficile de porter un jugement quant à leur réussite. De telles actions ont pour objet d’impliquer les Africains dans la résolution de leurs conflits internes, pour laquelle ils n’ont guère encore prouvé leur efficacité en autonomie. Les efforts européens – ceux de l’UE et de ses États-membres qui s’y impliquent – n’ont de sens que par rapport à la volonté de contribuer à l’instauration de l’État de droit, à la promotion des valeurs démocratiques, bref à la ‘bonne gouvernance’ sur le continent. L’implication de contingents africains dans les cycles EURO-RECAMP et la formation des cadres militaires dans les ENVR sont censées encourager les forces armées nationales à s’affranchir des pratiques prétoriennes courantes depuis les indépendances et jusqu’à aujourd’hui. Si les Européens apprennent en Afrique à agir ensemble, l’exemple qu’ils donnent d’une attention scrupuleuse portée aux considérations et normes de la légitimité internationale, de coopération bilatérale et multilatérale entre États et organisations internationales publiques ou privées, d’ouverture à de nouvelles contributions volontaires, de partage dans la prise de décision, de rapports fonctionnels et sociopolitiques efficaces et apaisés entre civils et militaires, a une évidente utilité (finalité ?) éducative à cet égard – sous réserve, bien sûr, que la complexité des pratiques, les contradictions qui se donnent parfois à observer, la minceur ou le caractère éphémère des résultats obtenus, ne brouillent pas le message… Les efforts déployés par les Européens, ensemble, séparément, ou en “coalitions of the willing”, soulèvent des questions plus générales pour l’avenir. L’Afrique n’est-elle que le terrain d’action propice à l’oubli de leurs autres intérêts stratégiques communs ailleurs, c’est-à-dire au déni de la puissance potentielle et d’un rôle plus affirmé de l’Union dans les affaires du monde ? Sauf à considérer qu’ils n’y œuvrent à la stabilisation et au développement que pour prévenir le terrorisme importé ou des mouvements massifs de populations vers le Nord, cette présence active et cette pédagogie démocratique peuventelles se proposer à terme, sans tomber dans un “impérialisme libéral” qu’ils récusent,90 d’autre objectif que la pleine souveraineté du continent, donc la fin du rôle qu’ils y jouent ? Il est vrai, au vu du bilan détaillé esquissé plus haut – et des développements (Côte d’Ivoire, Libye, Mali, attaques d’AQMI, et d’autres) qui ont suivi la décennie étudiée ici –, qu’il reste beaucoup à faire, et que la dernière question n’est guère d’une actualité brûlante. Vue de 2010, la présence militaire européenne en Afrique subsaharienne a encore de beaux jours devant elle. 90 Rieff, 1999 ; Cooper, 2002 ; Chandler, 2006. Res Militaris, vol.2, n°2, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2012 36 Bibliographie ANONYME, Fiches de la Direction des Affaires Stratégiques (DAS) du ministère de la Défense, 2009. ANONYME, Fiches de la Direction de la Communication de la Défense (DiCOD) du ministère de la Défense, 2009. BAGAYOKO-PENONE, Niagalé, Afrique, les stratégies française et américaine, Paris, L’Harmattan, 2003. BERNARD, Philippe & Jean-Philippe RÉMY, “Le maintien de la Mission de l’ONU est contesté par N’Djamena”, Le Monde, 10 février 2010, p.5. CHANDLER, David, Empire in Denial : The Politics of State-Building, Londres, Pluto Press, 2006. COOPER, Robert, “The New Liberal Imperialism”, The Observer, 7 avril 2002. 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