Texte CD Bach-French Final amg
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Johann Sebastian Bach: Concerti, Aria e Capriccio nel gusto italiano Notes par Luca Della Libera Toute sa vie durant Johann Sebastian Bach (Eisenach, 1685 - Leipzig, 1750) transforma, modifia et développa ses propres œuvres tout comme celles de ses contemporains ou de ses prédécesseurs. Le jeune Bach voyait dans l’arrangement et dans la transcription le moyen de se confronter avec les diverses traditions qu’il cherchait à assimiler et de les analyser. Le recours à la parodie – pratique qui consiste à réutiliser des compositions personnelles mais aussi celles d’autres auteurs, et à leur attribuer de nouveaux textes s’inscrivant dans de nouveaux contextes – caractérise, quant à lui, ses années de pleine maturité, passées à Leipzig (1723-50). Bien que ces deux procédés puissent être considérés dans le premier cas comme des arrangements et des transcriptions, et dans le second cas comme de nouvelles versions, tous deux relèvent d’une même inspiration : parvenir à un style créatif personnel nécessite un long processus d’assimilation préalable. Tout au long de son extraordinaire carrière de compositeur, Bach ne se lassa jamais de copier de sa main la musique des autres, et son éclectisme, qui le conduisit par exemple à copier Frescobaldi ou à parodier Pergolèse, était une façon d’atteindre une synthèse et une conception entièrement personnelles, où l’on décèle la spéculation abstraite, la poésie et l’ambition pédagogique. Le grand intérêt que Bach porta à la musique instrumentale italienne trouve ses origines dans des circonstances bien précises. Le prince Johann Ernst de Saxe-Weimar (1696-1715), à la cour duquel Bach œuvra de 1708 à 1717, contribua grandement à susciter l’intérêt du compositeur pour ce répertoire. En 1713 il fit un voyage d’étude en Hollande, durant lequel il rencontra et écouta l’organiste aveugle Jan Jakob de Graaf, qui avait l’habitude d’exécuter des transcriptions d’auteurs italiens pour orgue seul. Le prince fit l’acquisition pour l’orchestre de sa Cour de partitions en grande quantité – Amsterdam était, rappelonsle, le centre de l’imprimerie musicale européenne. Parmi les divers morceaux se trouvait certainement le recueil des douze concertos de l’op. 3 de Vivaldi, publié dans la cité hollandaise en 1711 et intitulé L’estro armonico (c’est-à-dire L’inspiration harmonique). Lorsque le prince revint à Weimar, son enthousiasme remarquable pour les concertos italiens entraîna l’éclosion du genre à la Cour. Compositeur amateur lui-même, il contribua au répertoire pour l’orchestre avec un certain nombre d’œuvres de sa main et il incombait à Bach, organiste de la Cour, de réaliser des transcriptions pour clavier de ces concertos. Cela correspond à ce que nous savons des divers domaines d’intérêt de Bach durant les années à Weimar, alors qu’il se concentrait surtout sur la musique pour clavier, et en particulier sur celle pour orgue. En d’autres termes l’assimilation du style italien prit appui sur une sorte de dialogue entre les genres musicaux. L’influence du style concertant italien continua à se faire sentir de multiples manières après que Bach eut terminé son service à Weimar, et il n’y a pas une seule partie de son répertoire qui n’ait été touchée par l’idée de base du concerto de style italien. Le premier biographe important de Bach, Johann Nikolaus Forkel, écrit en 1802, à propos de son rapport à Vivaldi : «L’ordre et la proportion doivent régner et, pour les obtenir, il faut un guide. Les concertos pour violon de Vivaldi, à peine publiés, servirent de guide ; il les a écoutés souvent, les tenant pour des compositions tellement admirables qu’il les arrangea toutes pour le clavier. Il étudia l’enchaînement des idées, les relations des unes avec les autres, la variation des modulations, et beaucoup d’autres détails. Les changements qu’il fallait faire dans les idées et les passages composés pour le violon mais qui n’étaient pas réalisables au clavier le conduisirent à penser musicalement ; ainsi, une fois son travail achevé, il n’eut plus besoin d’attendre que les idées naissent sous ses doigts : elles allaient jaillir de son imagination même». Cette citation fameuse est très importante et le renvoi au seul Vivaldi ne figure dans le texte que parce que ce compositeur fut celui qui marqua principalement l’expérience de création de Bach, qui étudia et qui transcrivit aussi la musique d’autres auteurs italiens, parmi lesquels Alessandro et Benedetto Marcello, Arcangelo Corelli et Giuseppe Torelli. Les relations entre Bach et Vivaldi sont aujourd’hui encore complètement obscures du point de vue biographique et professionnel. Rien n’indique que les deux hommes se soient personnellement connus, mais le grand compositeur italien était déjà célèbre en Allemagne vers 1706, époque à laquelle circulaient de nombreuses partitions manuscrites de sa musique. Pour certaines de ses transcriptions Bach eut certainement recours à l’édition déjà citée d’Amsterdam (1711), même si, on le sait, des copies manuscrites de ce recueil se trouvaient dans des bibliothèques allemandes de cette époque. En revanche on connaît très bien le rapport entre Vivaldi et Dresde puisque le compositeur écrivit quelques morceaux instrumentaux pour Johann Georg Pisendel (1687-1755), actif à la Cour de Dresde. Considéré comme le violoniste allemand le plus important de sa génération, Pisendel avait connu Bach en 1709 à Weimar ; il étudia aussi avec Vivaldi et, après un séjour d’un an à Venise, entre 1716 et 1717, il repartit en emportant avec lui de nombreux manuscrits du maître vénitien et devint le principal artisan du culte porté à Vivaldi en Allemagne. Le Concerto en fa majeur BWV 978 est le n. 3 de l’op. III, RV 310; le Concerto en sol majeur BWV 973 est issu de l’op. VII, livre II, n. 2, RV 464, publié à Amsterdam vers 1716-1717. Le Concerto en ré mineur BWV 974 est tiré du Concerto en ré mineur pour hautbois et orchestre d’Alessandro Marcello, qui fait partie du recueil des Concertos à cinq de différents auteurs, publié à Amsterdam en 1717, tandis que le Concerto en do mineur BWV 981 provient du second des Concertos à cinq op. I de Benedetto Marcello pour deux hautbois (ou flûtes), deux violons, alto, contrebasse, basson et clavecin publié à Venise en 1708. Dans la citation de Forkel la référence au «penser musicalement» est primordiale, même si l’objectif de l’auteur était de montrer que l’intérêt que Bach porta à Vivaldi fut directement bénéfique pour son travail de compositeur pour clavier. D’un côté cette expression signifie penser à une idée musicale indépendamment de sa réalisation instrumentale, comme à quelque chose qui aurait une valeur musicale «pure», qui puisse être reproduite ou modifiée par l’un ou l’autre des instruments. De l’autre elle ne renvoie pas tant à l’«ars inveniendi», c’est-à-dire à l’étude des techniques de composition, à l’harmonie et au contrepoint, ou à la mélodie et au rythme, mais plutôt au fait d’assimiler des procédés d’écriture et aux moyens grâce auxquels on peut les élaborer. Cette approche fonctionnelle est un concept nouveau dans l’histoire de la composition. Elle s’insère dans la pratique de composition de Bach, en l’enrichissant notablement. Ses transcriptions constituent donc une approche analytique, qui réduit le terrain complexe d’une partition orchestrale à un lieu plus générique du point de vue instrumental, mais parfaitement efficace au regard d’une telle analyse. La technique musicale des concertos de Vivaldi, qui est à la base du concept plus général de «concerto», repose sur des systèmes antithétiques, et ce à plusieurs niveaux : du point de vue des timbres (solo/tutti), sur le plan tonal (stabilité harmonique/modulations), du point de vue du mouvement (lent/rapide), au niveau des combinaisons et des enrichissements divers du style (accord/contrepoint). La stratégie de composition du concerto italien, déjà établie et codifiée par Arcangelo Corelli (un compositeur que Bach connaissait, comme l’atteste sa Fuga BWV 589), avait constitué une solution capitale aux problèmes liés à l’organisation musicale de la musique instrumentale, privée de tout support sémantique, et à son affranchissement définitif du répertoire vocal. En termes de composition, le développement de ces antithèses et l’utilisation des outils de base de l’harmonie tonale permirent que les concertos vivaldiens fussent dignes d’estime et expliquent pourquoi la rencontre de Bach avec ces œuvres modifia profondément sa façon de penser la musique. En 1839 Carl Czerny fit connaître le Capriccio sopra la lontananza de il suo fratello dilettissimo BWV 992 («Caprice sur le départ de son frère bien-aimé»). Il s’agit d’un morceau «programmatique», puisque chacun de ses six mouvements est accompagné de commentaires précis : 1. Arioso : adagio. Ist eine Schmeichelung der Freunde, um denselben vor seiner Reise abzuhalten («Ses amis le supplient de renoncer à son voyage») ; 2. Ist eine Vorstellung unterschiedlicher Casuum, die ihm in der Fremde könnten vorfallen («Ils lui présentent les diverses mésaventures qui pourraient lui arriver en terre étrangère») ; 3. Adagiosissimo. Ist ein allgemeines Lamento der Freunde («Ses amis se lamentent») ; 4. Allhier kommen die Freunde (weil sie doch sehen, dass es anders nicht sein kann) und nehmen Abschied («Ses amis se rassemblent [car ils voient bien qu’il ne peut en être autrement] et ils prennent congé») ; 5. Air de Postillon ; 6. Fugue à l’imitation du cornet de postillon. Bien qu’il soit fractionné en plusieurs épisodes, le morceau peut être divisé en deux parties très semblables : l’une contient les trois premières sections, l’autre les trois dernières. Chacune des parties se termine par une section relativement longue : la première par un hommage au topos italien du lamento – soit une mélodie descendante sur un intervalle de quarte, ici enrichie de passages chromatiques –, et la seconde, avec la fugue à l’imitation du cornet de postillon, pleine de fantaisie. On a coutume de rapprocher le Capriccio d’un événement familial : le départ du frère du compositeur, Johann Jacob, nommé hautboïste dans la garde d’honneur du roi Charles XII de Suède. On situe sa composition vers 1704, une hypothèse fondée sur le remplacement inauthentique, dans le titre du manuscrit, du terme «fratro» par celui, plus habituel, de «fratello» («frère»). Selon Christoph Wolff, un expert de l’œuvre de Bach, le terme n’indique pas nécessairement un lien de parenté, mais plutôt un rapport fraternel d’un autre ordre, comme celui que le compositeur eut avec Georg Erdmann, un vieux et cher camarade d’école de l’époque de Lunebourg. Cette hypothèse repose sur le fait que l’on rencontre précisément le nom commun italien «fratello» dans les documents de Bach qui se rapportent à Erdmann, que le Capriccio est dépourvu de certaines références martiales, qui apparaissent en revanche dans des morceaux analogues (comme «à la bataille»), et enfin que le départ pittoresque d’une recrue en voiture de poste, tel que le décrit le dernier mouvement, est effectivement par trop fantaisiste. C’est pourquoi Wolff a supposé que ce morceau a été écrit pour «une sorte de fête de fin d’études entre amis» et que l’année de sa composition est antérieure à 1704. Avec le projet de la Clavier-Übung («Exercices de clavier»), publiée en quatre volumes entre 1731 et 1741, Bach décida de se consacrer de nouveau au métier dans lequel il avait grandi, celui de virtuose du clavier, et de rendre publiques ses compositions pour ce répertoire. Il avait pensé le projet de façon systématique à deux niveaux : en premier lieu l’utilisation de divers instruments à clavier, tels que le clavecin à un ou deux claviers et le grand orgue, y compris sans pédales; en second lieu, le recours à une grande gamme de styles, de genres et de formes musicales. Après la première partie, constituée des six Partitas BWV 825-830 et publiée à Leipzig en 1731, la seconde partie, publiée à Nuremberg en 1735, comprend le Concerto dans le goût italien BWV 971, ainsi que l’Ouverture dans le style français BWV 831. La troisième, publiée à Leipzig en 1739, comprend divers Préludes pour orgue, tandis que l’Air avec variations, connu comme Variations Goldberg, forme la quatrième partie, publiée à Nuremberg en 1741. La deuxième partie de la Clavier-Übung peut être considérée comme un diptyque qui, par le biais de divers gestes stylistiques, confronte deux grandes cultures musicales: l’italienne, avec l’organisation en trois mouvements et la composition selon les modalités que nous avons déjà décrites pour les transcriptions ; la française, dont les caractéristiques les plus saillantes se trouvent dans les rythmes de danse et les raffinements de l’ornementation. On peut considérer le Concerto comme la synthèse la plus aboutie de l’aventure commencée avec les Concertos pour clavecin seul de l’époque de Weimar : l’étape finale d’un processus d’osmose stylistique désormais parfaitement accomplie. Traduction : Anne-Madeleine Goulet, Paris
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