Continent aujourd`hui encore dominé et soumis par les puissances
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Continent aujourd`hui encore dominé et soumis par les puissances
LA CRISE MILITAIRE ET DE GOUVERNANCE DANS LA SOUS-REGION OUEST-AFRICAINE : QUELLES CONSEQUENCES, LEÇONS ET PERSPECTIVES POUR LES MASSES POPULAIRES ? Continent aujourd’hui encore dominé et soumis par les puissances occidentales qui l’ont conquit, dépecé et partagé au gré de leurs intérêts géo et sociopolitique, l’Afrique amorce de nos jours un tournant périlleux. Les crises sociopolitiques et militaires récurrentes vécues dans la sous-région ouestafricaine ces dernières années en sont une indication de taille, qui illustre la faillite de décennies de politiques néocoloniales imposées notamment par la France (ancienne puissance coloniale) au paquet d’Etats ouest-africains, longtemps qualifié de pré-carré français. Un pré qui n’est plus, ni si carré que cela, ni tout à fait exclusivement français. Comprendre la situation de crise actuelle (notamment en Côte d’Ivoire, au Mali et bien entendu chez nous, au Burkina Faso) et l’analyser avec justesse nécessite que nous situions le contexte actuel de ces soubresauts à répétition (I) ; que nous prenions la juste mesure des effets et conséquences de la crise (II), en vue de suggérer des pistes d’actions qui puissent contribuer à trouver des solutions salvatrices et pérennes pour les peuples d’Afrique et de notre sous-région en particulier (III). I. LE CONTEXTE ET SES CARACTERISTIQUES ESSENTIELLES. La crise militaire et de gouvernance qui secoue de nos jours la sous-région ouest-africaine à lieu dans un contexte global complexe et préoccupant. Ainsi, au plan international, le capitalisme vit l’une de ses crises les plus graves depuis celle de 1929 ! La crise économique et financière du système capitaliste-impérialiste s’est exacerbée et s’est installée durablement, notamment dans la zone Euro, plaçant de nombreux pays d’Europe dans la tourmente et l’incertitude. Aujourd’hui, ce sont les économies occidentales elles-mêmes qui sont soumises aux plans d’ajustement structurel (PAS). La crise est si aiguë qu’elle a fait voler en éclats les principes de la démocratie libérale. Ainsi, l’ancien premier ministre grec, Panpandreou, avait été littéralement révoqué par l’Union européenne, pour avoir proposé de consulter son peuple par référendum sur l’avalanche des mesures d’austérités qui lui étaient proposées pour sortir son pays de la crise. En Espagne et en Italie, la crise a conduit à des changements brusques de gouvernements. Autre fait marquant, la mondialisation, expression contemporaine du capitalisme, a engendré un processus de redéfinition des rapports géopolitiques et stratégiques, du fait de l’ouverture { outrance des marchés et de l’émergence de nouveaux acteurs, notamment en Asie. Des alliances se nouent et se dénouent. Les conflits d’intérêts s’exacerbent, avec leurs lots de conséquences dommageables pour les peuples du monde : iniquité des règles du commerce international, guerres d’invasion et de rapine, rebellions et guerres civiles commanditées, flux migratoires, dégradation de l’environnement, injustice sociale, vie chère et extrême pauvreté, etc. Dans ce jeu de rapports de forces, le fait de la position dominante à tout prix (« la raison du plus fort », comme dirait Jean de La Fontaine) semble être le credo du moment des puissances hégémoniques de l’heure. Dans leurs plans de sortie de crise, les puissances impérialiste-capitalistes ont résolument opté pour une double solution à savoir : - Exploiter davantage la classe ouvrière dans les pays développés ; - Rejeter le fardeau de la crise sur les peuples et la classe ouvrière des pays dominés et dépendants. En Afrique, continent plus que jamais en peine, la « démocratie électorale » imposée aux gouvernants africains dans les années 1990 à travers le discours de la Baule, est caractérisée de nos jours par un degré de perversion jamais égalé, faite de fraudes et de corruption de toutes dimensions. « Faute de choisir (en toute liberté et en toute conscience) des personnes ou des programmes, les électeurs ont souvent été capturés par des entreprises de mobilisations ethno-régionales, s’appuyant au départ sur des mécanismes clientélistes et se renforçant grâce à l’instrumentalisation des identités locales et claniques par des politiciens de la petite semaine. Les tensions de campagnes électorales ainsi que les contestations de verdicts des urnes ont débouché dans de nombreux cas sur des violences… »1. Ce fut le cas en Côte d’Ivoire { l’issue des élections présidentielles de décembre 2010 qui ont été l’élément déclencheur d’une guerre civile qui continue d’avoir cours dans ce pays. Au-delà de ces dérèglements polico-institutionnels, l’on assiste à une véritable reconquête coloniale du continent sous le couvert de « défense » de principes dits humanitaires. L’impérialisme français qui, hier encore, soutenait { bout de bras des dictateurs comme les Eyadéma, Ben Ali et consorts, s’est transformé en « sauveur » de démocraties, intervenant militairement en Côte d’Ivoire, fomentant une guerre d’agression en Libye (avec l’appui de l’OTAN, véritable bloc d’agression) et incitant { une intervention militaire armée au Mali, en instrumentalisant UA, CEDEAO et autres prétendus médiateurs dans la crise malienne. Fait marquant et encourageant toutefois, ce que l’on a appelé le « printemps arabe » marque des tendances et produit aujourd’hui des effets en Afrique, balayant certains 1 Patrick QUANTIN, Centre d’Etude d’Afrique Noire / I.E.P. de Bordeaux Les élections en Afrique : entre rejet et institutionnalisation Décembre 2012 2 dictateurs, fragilisant d'autres, renforçant surtout l'aspiration légitime des peuples à prendre en main leur destin. Voilà un fait majeur important de la donne politique actuelle au plan international et africain en particulier. La détermination des peuples en lutte a en effet sérieusement mis { mal les velléités et capacités d’influence des puissances impérialistes qui soutenaient { bout de bras les régimes dictatoriaux, gestionnaires de leurs intérêts dans les diverses parties du monde. A l’évidence donc, la classe ouvrière et les peuples des pays occidentaux et d’Afrique refusent de subir les effets de la crise et restent constamment et mènent des luttes multiples et multiformes, imprimant ainsi un essor révolutionnaire { l’ensemble du mouvement mondial. II. LES TRAITS MARQUANTS DE LA CRISE SOUS-REGIONALE OUEST-AFRICAINE, SES CAUSES ET SES CONSEQUENCES De ce qui précède, il est assez aisé de se rendre { l’évidence que les traits marquants de la crise sociopolitique et militaire que vit notre sous-région, apparaissent et se définissent pour l’essentiel, en termes de facteurs et de causes fondamentales. Cette crise entraine des conséquences majeures sur la quiétude des populations, ainsi que sur la stabilité de l’ensemble des Etats du continent 2.1. Traits marquants et causes Qu’est-ce qui pourrait donc expliquer la situation de crise militaire et de gouvernance actuelle dans la sous-région ? Sans vouloir apporter des réponses définitives et immuables à une telle interrogation, voici pour l’essentiel, quelques éléments d’indications suggérés sous forme de propositions, qu’il nous semble important de soumettre { la réflexion. 1. L’espace sahélo-saharien : une zone grise. L’un des éléments explicatifs de base de la situation nous semble être la configuration géographique et l’histoire de la zone objet de perturbation, { savoir l’espace sahélosaharien. Une étude publiée dans le n°8 de la Revue Tribune Libre et intitulée : Les enjeux sécuritaires dans le sahel africain : grille d’analyse souligne en effet que, « historiquement, la zone sahélienne a toujours été une zone grise, c'est-à-dire un « puzzle » de bandes d'espace indécises oscillant, entre différents centres politiques stables et sédentarisés. Aujourd'hui, à travers l'étatisation introduite par la colonisation, l'impératif des frontières affaiblit et neutralise même parfois les modes traditionnels d'exercice du pouvoir sur ces Décembre 2012 3 espaces charnières. Ce qui se traduit pour les riverains, par des revendications de droit de passage et d'usufruit, autant de risques de conflits. Cet état de fait s'avère profitable à la pénétration et à l'évolution de groupes criminels. Il s’agit en clair, d’une zone offrant des espaces de trafics mafieux en tout genre, ainsi que des prétextes d’intrusion et d’intervention de forces étrangères. 2. Enjeux géostratégiques et conflits d’intérêts exacerbés. L’arc sahélien est riche en ressources variées. Sel, or, fer, phosphate, cuivre, étain, uranium, pétrole, gaz, autant de richesses nourrissent les convoitises de puissances des puissances occidentales et aiguisent leurs rivalités pour en assurer le contrôle. Au cours d’une Conférence sur le processus de militarisation dans l’espace sahélo-saharien et la crise au Mali, organisée à Paris le 11 décembre 2012 et à laquelle le MBDHP a pris part, Jacques Fath, Membre du Comité exécutif national et Responsable des relations internationales du PCF, évoque ces enjeux en ces termes (je le cite) : « L'intérêt de groupes capitalistes étrangers et en particulier français pour les potentialités minières et énergétiques du Sahel n'est pas nouveau. Ce qui l'est davantage c'est la montée d'une rivalité stratégique avec l'affirmation d'une présence américaine et chinoise en particulier, et cela dans un contexte de crise structurelle profonde, de vulnérabilité institutionnelle et politique, de grande précarité économique et sociale (...) La sécurisation des approvisionnements en matières premières et ressources minérales, la maîtrise de l'enjeu énergétique sont au centre de grands intérêts occidentaux et autres. Pour le cas du Mali par exemple, Monsieur Fath rapporte que l'exploitation de l'or qui a fait un bond quantitatif spectaculaire à partir du début des années 2000, est aujourd'hui le fait de grandes multinationales du Canada, de Grande-Bretagne, d'Allemagne, d'Afrique du Sud. Une exploitation qui hélas, rapporte peu à l'économie du Mali et au peuple malien. Ainsi, conclut-il, « le discours sécuritaire occidental sur la thématique du terrorisme et de la criminalité organisée s'appuie sur les réalités du sous-développement pour accompagner le développement de stratégies d'exploitation et de prédation économiques très néo-impériales. Ce sont bien des intérêts, des zones d'influence qui sont en jeu ».2 D'où l'installation d'une présence et d'une activité militaire des États-Unis dans l'ensemble des pays de la zone sahélienne y compris au Mali et en Libye, en particulier depuis le début des années 2000. 2 Jacques Fath. Intervention à la Conférence sur les processus de militarisation dans l'espace Sahélo-Saharien et la crise au Mali, Paris, 11 décembre 2012 Décembre 2012 4 Au total, la situation de crise surmédiatisée par les puissances occidentales à travers leurs organes de propagande devrait « être analysée avec prudence et remise en perspective par rapport aux stratégies des puissances étrangères ».3 3. L’absence de souveraineté et de démocratie véritable. Troisième élément explicatif de la situation de crise militaire et de gouvernance aujourd’hui vécue, c’est L’absence de souveraineté et de démocratie véritables en Afrique en général et dans les pays de la sous-région en particulier. a) De manière générale Au constat, il est aujourd’hui indéniable que plus de cinquante ans après leurs indépendances formelles, les Etats africains postcoloniaux demeurent dans l’incapacité d’affirmer véritablement leur autorité sur leurs différents territoires. Au fond, les crises qui sévissent dans notre région ouest-africaine sont des crises de l’État néocolonial et la faillite des classes et couches sociales au pouvoir. Dans la plupart de ces Etats en effet, les causes de conflits internes proviennent de la contradiction fondamentale entre d'une part, des réalités sociales faisant fi des attentes populaires et, d'autre part, des politiques mises en œuvre par des Etats soumis, agissant sous les injonctions des institutions financières internationales (FMI) et dirigés par des présidents et des forces politiques et sociales qui les soutiennent. En effet, juchés au pouvoir pour la plupart depuis des décennies et incapables de trouver des solutions idoines et pérennes aux multiples problèmes qui assaillent au quotidien les populations de leurs pays respectifs (santé, alimentation, éducation, logement, etc.), bien de nos chefs d’Etat africains se sont définitivement résolus { jouer les gardiens des intérêts de puissances dominatrices occidentales, qui leur assurent compréhension et protection. Par un jeu de complicité à la fois active et passive de nos chefs d’Etat, les Etats africains demeurent dominés quant au fond, et incapables de ce fait d’assurer le plein exercice de leur souveraineté. b) Sur les cas particuliers du Mali et de la Côte-d’Ivoire (pays illustrant les faits actuels de crise). La situation dans la sous-région ouest africaine aura été particulièrement caractérisée ces dernières années par la crise politico militaire sans précédent qui a secoué et continue de 3 Mehdi Taje, Les enjeux sécuritaires dans le sahel africain : grille d’analyse, in Tribune Libre N°8, Revue du Centre Français de Recherche sur le Renseignement. Décembre 2012 5 secouer ces deux pays il n’ ya pas si longtemps décrits comme étant des modèles de stabilité et des vitrines de la démocratie en Afrique. C’est qu’en réalité, les bases d’appréciation savamment dosées { dessein étaient faussées. Les réalités étaient plutôt les suivantes. En Côte D’Ivoire 6 Les facteurs crisogènes apparaissent avec la crise des matières premières (dont le cacao), dont les cours commencent à baisser déjà à partir des années 1980. Cette crise se répercutera sur les conditions de vie de la jeunesse, des masses paysannes, de la classe ouvrières et des couches moyennes urbaines, ce qui entrainera le développement d’un mouvement populaire inédit en 1990, suite { l’application du PAS. Ce mouvement va saper les bases du régime et se poursuivra jusqu’{ la disparition en décembre 1993 de Félix Houphouët-Boigny qui, 33 années durant a régné par la ruse, la corruption, mais aussi et quand il le fallait, par le fer et le feu. Ces facteurs se sont exacerbés depuis, notamment ces dernières années, du fait notamment : - - - - - Des luttes féroces pour la succession de feu Houphouët-Boigny et le contrôle de l’appareil d’Etat, sur fond de chauvinisme et de xénophobie, théorisés à travers le fameux concept d’"ivoirité" (que même le socialiste Laurent Gbagbo a porté et défendu !) ; ces luttent ont conduit à une guerre civile réactionnaire qui a duré 10 an s et qui a ravagé la Côte D’Ivoire ; De l’échec de la démocratie électorale consacré par les crises et affrontements meurtriers consécutives aux élections présidentielles d’octobre 2000 et de décembre 2010 ; De la désagrégation des forces armées nationales de Côte d’Ivoire dont Feu Houphouët-Boigny n’a jamais eu besoin en réalité, confiant plutôt la protection de son régime aux forces françaises basées en Côte d’Ivoire ; Des effets induits de l’éviction forcée par la France de Laurent Gbagbo et qui se traduisent par une guerre civile larvée, faite d’incursions et d’attaques sporadiques des forces régulières fidèles à Alassane Ouattara, par des groupes armées ; Des conséquences de la situation de guerre civile larvée, marquées par le chômage du fait des fermetures d’entreprises et d’usines, la vie chère, l’insécurité généralisée, etc. Au Mali Le nord du pays était fragilisé depuis des années déjà par plusieurs facteurs, notamment le désengagement de fait de l'État malien entrainant des carences de développement qui ont nourri bien des frustrations chez les populations de la zone. L’on a également longtemps assisté (comme aujourd’hui encore) au développement de trafics en tous genre (drogues, traite des migrants transnationaux, armes, véhicules, cigarettes, etc.). Décembre 2012 Puis intervint la présence d'Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), transformant certaines zones de la région en sanctuaires, réceptacles d’otages. « Les déterminants de la crise étaient là depuis longtemps : corruption impliquant toutes les sphères, au plus haut niveau, jusqu’au palais présidentiel de Koulouba, une économie largement informelle (…), des trafics en tout genre…Une démocratie de façade où l’on choisit les présidents par cooptation ». Ces propos peu diplomatiques du diplomate français Laurent Bigot résument si bien les éléments de carence de gouvernance politique qui contribuèrent à pourrir davantage une situation déj{ chaotiques. Ces éléments étant pour l’essentiel : - Une négation des principes démocratiques de base, traduite par un apprivoisement de différentes fractions de la classe politique ; La corruption généralisée à grande échelle ; La vie chère et une paupérisation de larges couches de la population ; Une justice aux ordres, commise à la protection des dignitaires du régime ; Au total, la crise politico-militaire au Mali, tire sa principale cause de la gestion calamiteuse du régime d’ATT, pourtant longtemps adulé par les puissances occidentales et ses pairs de la sous-région et d’Afrique. La part du Burkina Dans ce climat d’ensemble perturbé, le Burkina Faso n’est pas épargné. La crise qu’a vécu notre pays en 2011 a connu une dimension particulière avec l’entrée en lutte massive des populations, toutes catégories confondues, contre l’impunité érigée en système de gouvernement, contre la vie chère, contre l’exploitation des paysans cotonculteurs, contre l’incapacité du pouvoir de la IV° République { répondre aux préoccupations des populations, pour la justice et pour les libertés démocratiques. Ce vaste et profond mouvement qui traduit { la fois l’ampleur et l’approfondissement de la crise, a eu un retentissement jusqu’au sein des forces de défense et de sécurité avec des mutineries { répétitions suivies de la révocation des principaux responsables de l’armée et jusqu’au sommet de l’Etat avec la révocation du gouvernement de Monsieur Tertius ZONGO. Au-del{ de ses éléments déclencheurs que furent le meurtre de l’élève Justin Zongo au mois de février 2011 et la condamnation de cinq militaires le 22 mars 2011 pour une affaire de mœurs, la crise s’est plutôt caractérisée par sa dimension structurelle. Diverses causes expliquent la situation vécue au cours de cette année 2011, au nombre desquelles on retiendra pour l’essentiel, les effets induits d’une trop forte concentration Décembre 2012 7 des pouvoirs, avec un Président du Faso, Président du Conseil des ministres, Président du Conseil supérieur de la Magistrature, Chef suprême des Armées et Ministre de la défense ! Le deuxième élément explicatif majeur de la crise burkinabè de 2011, c’est le peu d’égards fait aux attentes et aspirations des populations à vivre dignement leur statut d’être humain. Populations poussés à une misère indicible et à la paupérisation par la vie chère, ainsi qu’{ l’incertitude du lendemain, en particulier pour la jeunesse. Troisième cause majeure, c’est l’approfondissement de la crise au sein de l’un des piliers du régime { savoir l’armée. 2011 a en effet porté au grand jour le malaise profond et latent qui couvait depuis quelques années déjà au sein des forces de défense et de sécurité. A la lecture des griefs avancés par la troupe pour soutenir les raisons de leur colère, l’on a pu aisément percevoir une totale rupture de lien et de confiance entre la Haute hiérarchie militaire et les hommes du rang au sein de nos forces de défense et de sécurité. Courant 2011, notre pays aura ainsi été rattrapé par sa négative et tenace réputation d’Etat mercenaire, impliqué dans bien de conflits de la sous-région et au-delà et jouant en particulier les pyromane-pompier en Côte D’Ivoire et au Mali. L’on sait du reste que lors d’un colloque de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) à Paris, le 2 juillet 2012, Mr Laurent Bigot, sous-directeur pour l’Afrique de l’Ouest au ministère des Affaires étrangères depuis 2008 a dit ceci concernant notre pays (je le cite) : « Le Burkina, "élément perturbateur dans la médiation qui a aggravé la crise au Mali" …, pourrait être le prochain { s’effondrer. Ce n’est pas passé loin il y a un an (lors de la mutinerie militaire), ça peut tout à fait se reproduire. Il n’y a pas d’armée, pas de classe politique, une société civile plus ou moins organisée et surtout une économie en coupe réglée par le clan présidentiel, une corruption qui dépasse l’entendement, une implication dans les trafics de la sous-région jusqu’au proche entourage du président ». Après donc l’absence de souveraineté et de démocratie ainsi illustré, une autre cause fondamentale de la situation de crise militaire et de gouvernance dans la sous-région, c’est celle qui tient justement à la nature même de nos armées africaines en général et des Etats ouest-africains en particulier. 4. Des armées de parades, davantage formées pour réprimer les populations à l’intérieur, que pour préserver les frontières d’agressions ennemies extérieures. Là-dessus, dans Jeune Afrique du 17 décembre 2012, Laurent Touchard nous édifie à travers un article intitulé : « Armées africaines : pourquoi sont-elles si nulles ? » Il y rapporte que, le 3 décembre 2012, prié de s’exprimer lors d’un briefing sur les chances de réussite d’une opération militaire au Nord-Mali, le général Carter F. Ham (le patron d’Africom - le Décembre 2012 8 commandement militaire américain pour l’Afrique) s’est dit très sceptique sur les capacités d’une force conjointe africaine { mener seule une telle action. Depuis des années, explique le général, les rares armées opérationnelles du continent ont été entraînées et équipées pour participer à des opérations de maintien de la paix, mais elles sont incapables de mener une guerre offensive. « Le diagnostic (souligne le journaliste) est cruel, mais il est juste ». « Et ce qui vaut pour l’armée malienne en déroute (indique t-il), chassée de Kidal, Gao et Tombouctou en moins de trois mois après avoir abandonné armes, bagages et munitions aux mains des insurgés, vaut aussi pour une bonne partie de l’Afrique francophone : cinquante ans après les indépendances, aucune armée ou presque n’est en mesure de défendre son propre territoire national ». S’agissant de la situation en Côte d’Ivoire, l’auteur de l’article en question rappelle que « les Forces de défense et de sécurité de Laurent Gbagbo ne sont jamais parvenues à reprendre le contrôle de la moitié nord du pays et la nouvelle armée de son successeur Alassane Ouattara n’a de républicaine que le nom, tant sa composition et son comportement sur le terrain paraissent unilatéraux. « L’on pourrait (poursuit Laurent Touchard) multiplier les exemples de ces armées de parade, aussi remarquables les jours de défilé qu’inaptes sous le feu, aussi redoutables dès qu’il s’agit de taxer les véhicules qui s’aventurent aux abords de leurs barrages qu’incapables de tenir leurs positions sous la mitraille». De l’analyse faite par Raphaël Granvaud dans une publication de l’Association SURVIE intitulée « De l’armée coloniale à l’armée néocoloniale (1830 - 1990) », cette faiblesse militaire des armées africaines découle du fait que, dans la mesure où la France entend continuer à gérer les questions de défense au sein de son « pré carré » après 1960, elle ne forme pas de véritables armées, susceptibles de conduire des opérations militaires de manière autonome. Ces forces armées ont officiellement comme mission première la défense de la nation, et accessoirement le maintien de l’ordre intérieur. Dans la pratique toutefois, cette hiérarchie est inversée. Elles « ont été rapidement orientées par les chefs d’Etat, vers des missions répressives { l’encontre des forces politiques et sociales supposées ou dites d’opposition ». Gabriel Périès4, qui a étudié les mémoires des stagiaires africains reçus à l'Ecole supérieur de guerre française au début des années soixante, rapporte en effet que l'enseignement 4 Gabriel Périès (Enseignant-chercheur à l’Université de Paris I), Du corps au cancer : la construction métaphorique de l’ennemi intérieur dans le discours militaire pendant la guerre froide, in "Cultures et Conflits", N° 43, 2001 Décembre 2012 9 militaire dispensé est fortement marqué par la crainte permanente de la menace communiste et de toutes les formes de « subversion ». Sont à ce titre considérés comme des ennemis potentiels des catégories aussi diverses que les ethnies minoritaires, le prolétariat urbain ou rural, les syndicalistes, les élites traditionnelles, la jeunesse intellectuelle, les mouvements « extrémistes » de gauche, les partis d'opposition généralement clandestins, et bien entendu tout ce qui s'oppose au maintien des intérêts français ou qui, dans le cadre de la guerre froide, est étiqueté, à tort ou à raison, « communiste ». On comprend dès lors, que pour la plupart d’entre elles ces armées ne puissent pas tenir 72 heures de combat face à des groupuscules armées déterminés ! 2.2. Conséquences De l’ensemble de ces causes et manifestations actuelles de la crise, quelles conséquences se dégagent-il ? Celles-ci se situent essentiellement à deux niveaux. a) Au plan social et humanitaire Le conflit armé dans le nord du Mali a entraîné des violations massives et multiformes de droits humains (massacres et exécutions sommaires, enlèvements et tortures, viols, destructions de biens, etc.), ainsi que des déplacements massifs de populations à la fois à l'intérieur du pays et vers les pays limitrophes (Algérie, Burkina Faso, Mauritanie et Niger). « Début mai 2012, on comptait quelques 130 000 personnes déplacées à l'intérieur du Mali et environ 190 000 réfugiés dans les pays voisins. Cette situation a aggravé la crise humanitaire à laquelle sont confrontés plusieurs pays de la région, suite à la pénurie alimentaire qui affecte quinze millions de personnes dans le Sahel ». La crise a également occasionné un retour au pays de plusieurs Ivoiriens, burkinabé, nigériens ou autres qui y travaillaient. Selon le constat de certains observateurs, il y a toute une masse de "bras valides" qui sont rentrés dans leurs pays respectifs vu la situation, et qui se retrouvent sans occupation. b) Au plan politique, géostratégique et sécuritaire La crise politico-militaire au Mali a des conséquences graves pour les pays voisins (notamment la Côte d’Ivoire, l’Algérie, le Niger, le Burkina Faso, la Mauritanie) et l’ensemble des pays de la sous-région ouest africaine. L’on pourrait en effet craindre des conséquences directes sur la stabilité des pays voisins par un effet domino qui frapperait notamment le Niger, l'Algérie, la Mauritanie, le Burkina Faso, le Sénégal et même la Libye. Décembre 2012 10 Selon des observateurs avisés, "le pays qui semble le plus fragile aujourd'hui est évidemment le Niger, dont le territoire est entouré de trois foyers de tensions : NordMali, Sud-Libye, Nord-Nigeria avec Boko Haram. La sécurité intérieure des Etats voisins du Mali pourrait également être affectée par l'installation dans la durée d'un Nord-Mali "incontrôlé " par les autorités maliennes. On pourrait tout particulièrement craindre une prolifération d’armes de toutes natures du fait de la porosité des frontières et de l’état de délabrement politique et sécuritaire de nos Etats. Aux plans politique, géostratégique et sécuritaire toujours, le pire à craindre en termes de conséquence, c’est une réédition d’une intervention de l’armée française dans la sousrégion, après celle effectuée en Côte D’Ivoire en 2010, pour installer Alassane Ouattara { la présidence. Cela marquerait la confirmation d’un processus insidieux de recolonisation dont les principes fondateurs restent vivaces. C’est hélas une possibilité à envisager et à conjurer par des actions hardies d’alerte et de dénonciation ! A ce propos en effet, voici ce que rapporte Raphaël Granvaud dans la publication de l’association SURVIE cité plus haut. Je le cite : « Forte de ses bases et de ses accords militaires, la France est passée sans transition des interventions militaires coloniales aux interventions militaires néocoloniales. A ce jour, en dépit de promesses récurrentes, celles-ci n’ont jamais cessé. Elles sont menées sous des prétextes assez peu variés : le respect des accords de défense. L’alibi juridique est généralement assorti d’une rhétorique sur la « stabilité » à préserver et le « chaos » à éviter. En réalité, souligne-t-il, L'armée française est l'un des principaux instruments au service d’une politique qui vise au maintien de l’ordre néocolonial mis en place { partir des années 1960. Elle assure la défense et la protection des pays et des dirigeants vassalisés de la France, et réprime symétriquement les mouvements ou déstabilise les régimes qui s'opposent aux intérêts de l’ex-métropole. Ces intérêts, hérités de la période coloniale, sont d’abord économiques à commencer par ceux qui assurent l'indépendance énergétique de la France (uranium, pétrole ou gaz obtenus à bas prix). C’est sans commentaire ! III. QUELLES LEÇONS ET QUELLES PERSPECTIVES POUR LES POPULATIONS ? Face { cette grave crise qui secoue l’ensemble de la sous-région et dont les conséquences n’ont pas fini de se révéler dans leur entièreté, quelles leçons tirer et quelles perspectives envisager en termes d’actions ? Décembre 2012 11 Il apparait malheureusement évident que, agissant sous les injonctions parfois ouvertes des puissances occidentales, les régimes africains d’hier comme d’aujourd’hui ne peuvent se réformer d’eux-mêmes et garantir des lendemains meilleurs à leurs populations. De ce fait Une forte implication des forces démocratiques du Sud comme du Nord est requise pour mener des actions d’information et de sensibilisation pour une juste appréciation et une lecture objective et avisée de la situation, en vue notamment de : Dénoncer les régimes africains faillis, leurs politiques aventuristes et mafieuses et œuvrer { l’avènement d’Etats de droit démocratiques véritables ; S’opposer résolument aux plans d’invasion insidieux des puissances étrangères qui écument la sous-région sous divers prétextes aussi sains dans les principes qui viciés en réalité ; Dénoncer la politique aventuriste du pouvoir de la 4ème République et du clan mafieux de Blaise Compaoré et exiger le départ des troupes étrangères du Burkina Faso ; Condamner les plans d’invasion de la CEDEAO, de l’UA et leurs appels pressants aux puissances occidentales pour l’envoi de troupes dans la sous-région ; Soutenir les exigences des forces patriotiques et démocratiques maliennes qui s’opposent { toute intervention étrangère sur leur sol et demander que les problèmes du Mali soient réglés en toute souveraineté par le peuple malien lui-même sans ingérence étrangère ; Condamner la proclamation de l’indépendance de l’Etat de l’AZAWAD par le MNLA comme la manifestation d’un complot ourdi par l’impérialisme français contre les peuples du Mali afin de les diviser pour mieux les asservir et les exploiter ; Appeler les forces démocratiques maliennes à veiller à la mise en œuvre d’une juste solution de la question nationale permettant à chaque Malien (quelles que soient sa nationalité, sa race, sa religion, ses origines) de se sentir { l’aise dans un Mali indépendant et unifié ; Dénoncer et condamner les crimes perpétrés contre les peuples du Nord-Mali par le groupe terroriste AQMI, le MNLA et les groupes djihadistes Ansar Dine, MUJAO ; Soutenir la résistance courageuse des populations maliennes, notamment des jeunes, contre l’oppression et les politiques moyenâgeuses de ces groupes obscurantistes ; Décembre 2012 12 Lutter contre le chauvinisme, l’ethnicisme et le régionalisme, utilisés par l’impérialisme et leurs alliés pour mieux diviser les peuples et mieux les exploiter et les opprimer ; Soutenir les populations déplacées ou réfugiées et exiger des pouvoirs en place la prise de mesures concrètes pour leur venir en aide et les protéger ; Œuvrer au plan national { la naissance d’un vaste mouvement populaire (CCVC, CODMPP, Manifeste des Intellectuels, etc.), contre l’intervention militaire des puissances impérialistes dans la sous-région ; Organiser la solidarité avec la classe ouvrière et les peuples de la sous-région, particulièrement en Côte D’Ivoire et au Mali et soutenir leurs luttes pour leurs droits économiques, sociaux et culturels ; Organiser la solidarité au plan international avec les peuples de la sous-région contre toute intervention de forces étrangère dans la sous-région ; Contribuer { la naissance d’un vaste mouvement au niveau sous-régional contre les interventions étrangères, la présence de troupes étrangères, afin que les peuples règlent leurs problèmes en toute souveraineté. La lutte { mener par les peuples d’Afrique aujourd’hui devrait se situer au-delà de celles pour de meilleures conditions de vie. La véritable lutte { mener et qui vaille aujourd’hui par sa dimension salvatrice, c’est celle pour un changement qualitatif, profond et pérenne en leur faveur, pour matérialiser les prescriptions de l’article 35 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui disent ceci (je cite) : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs». Persévérons dans la lutte, pour une libération effective de l’Afrique et des africains. Je vous remercie pour votre attention Décembre 2012 13