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INNOVER RÉGIONALES 2015 Du boomerang pour explorer Mars à la lampe qui fonctionne à l’eau TOUR DU MONDE P. 14-15 salée. Deuxième étape de notre tour de France, les Pays de la Loire visent des coopérations renforcées. P. 22-23 DU VENDREDI 18 AU JEUDI 24 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - 3 € TAKE IT EASY « UBERISE » LA LIVRAISON DE REPAS… À VÉLO Après Bruxelles et Paris, cette startup disruptive vise Berlin, Madrid et Londres. P. 13 L 15174 - 142 - F: 3,00 € « LA TRIBUNE S’ENGAGE AVEC ECOFOLIO POUR LE RECYCLAGE DES PAPIERS. AVEC VOTRE GESTE DE TRI, VOTRE JOURNAL A PLUSIEURS VIES. » CLIMAT #COP21 LE PUBLIC-PRIVÉ EN TANDEM Une coopération ambitieuse se fait jour entre les champions français de l’environnement et les pouvoirs publics. P. 25 VISIONS QU’EST-CE QUI « CLOCHE » DANS LA FISCALITÉ ? Rencontre avec Arthur B. Laffer, chef de file de « l’école de l’offre ». P. 26 PORTRAIT CYRIL EBERSWEILER À 36 ans, il est le globe-trotteur du « hardware ». P. 30 Notre nouveau supplément consacre sa première édition au Maroc, porte d’entrée royale en Afrique. NANTES DANS DIX ANS ? « METTRE LE CAP À L’INTERNATIONAL EST ESSENTIEL » Johanna Rolland, la maire de Nantes, veut en faire « l’une des métropoles les plus dynamiques sur les questions de transition écologique et numérique ». Entretien et dossier, à l’occasion du Forum Smart City P. 18 à 21 Nantes, avec La Tribune. COMPTE À REBOURS Peut-il encore réussir ? > à inverser la courbe du chômage, > à rassembler la gauche, > à retrouver la confiance des Français, > à se faire réélire en 2017 ? NOTRE DOSSIER, PAGES 4 à 10, et l’éditorial, p. 3 CHÔMAGE NCE CROISSA COMPÉTITIVIT É CONFIANCE MONTAGE : © PHILIPPE WOJAZER / REUTERS - ISTOCK ENTREPRISES LA TRIBUNE AFRIQUE I 3 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR SIGNAUX FAIBLES ÉDITORIAL Mea culpa, mea maxima culpa PAR PHILIPPE CAHEN PROSPECTIVISTE DR @SignauxFaibles PRÉCISION - Contrairement à ce que nous affirmions dans l’entretien de Pierre Moscovici (commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires), publié dans notre édition de la semaine dernière, Total, BNP et Airbus ont bien accepté d’être auditionnés par la commission des budgets du Parlement européen, présidée par Alain Lamassoure. PAR PHILIPPE MABILLE DR @phmabille autocritique est un exercice si peu naturel pour un homme politique, surtout durant l’exercice de ses fonctions, que l’on se doit de saluer le mea culpa, certes tardif, du président de la République sur les erreurs de son début de quinquennat. Qu’il ait choisi pour le faire savoir la voie détournée d’un livre, celui de notre consœur du Monde Françoise Fressoz, ne retire rien à l’intérêt que l’on doit porter à cette coulpe battue. Dans Le Stage est fini, le chef de l’État reconnaît donc, à demi-mot, qu’il a manqué de cynisme en ne maintenant pas la TVA sociale qu’avait fait adopter son prédécesseur, ce qui lui aurait permis d’éviter de matraquer d’impôts les Français. Un chiffre, pour illustrer le propos, issu d’une passionnante étude de l’OCDE, mérite d’être relevé : si l’on classe les onze principales économies en fonction de leur effort de réduction du déficit budgétaire, la France apparaît au huitième rang. Nous sommes aussi le seul pays dont l’ajustement budgétaire a reposé en exclusivité sur l’impôt et en rien sur la baisse de la dépense publique (laquelle atteint désormais un record mondial, à 57 % du PIB). En clair, François Hollande n’a rien fait, ou si peu… et plutôt mal, comme il le reconnaît lui-même. Autre grave erreur, que le chef de l’État ne retient pas, mais qui lui a été souvent reprochée, la suppression trop rapide et brutale de la défiscalisation des heures supplémentaires, qui a frappé directement au portefeuille les catégories les plus modestes, et sans doute ses électeurs de 2012, qui avaient cru de bonne foi à son slogan « Le changement, c’est maintenant ». Le virage sur l’aile du président de la République sur le traité européen, certes inévitable vu le déficit de crédibilité budgétaire de la France, a lui aussi pris à revers ses engagements de campagne et l’a conduit à mener une politique qui n’avait plus rien à voir avec les intentions affichées par le candidat. Comme l’a dit Machiavel, « gouverner, c’est faire croire »… Encore faut-il que l’on vous accorde (encore) crédit. À voir la cote de popularité actuelle de François Hollande, on ne sait pas si « le stage est fini », mais le crédit, lui, est épuisé. Reconnaître ses erreurs, que l’on soit un dirigeant politique ou d’entreprise, est un exercice de communication délicat à manier. Voire dangereux, parce qu’il peut facilement se retourner contre son auteur. Les Français n’attendent pas du chef de l’État une séance d’autoflagellation, qui plus est sur un point finalement assez dérisoire et anecdotique de sa politique. Ce qu’ils veulent désormais, avec une impatience de moins en moins dissimulée, ce sont des résultats tangibles et concrets. Ceux-ci vont venir, assure-t-on du côté de l’exécutif où l’on souligne que 2015 sera l’année du retournement pour l’emploi et la croissance. On en décèle quelques prémices dans les chiffres de l’intérim, indicateur avancé d’une baisse prochaine du taux de chômage. Mais, contrairement à ce que pense François Hollande, l’inversion de la courbe du chômage, qui devra se confirmer l’an prochain, n’est qu’une condition nécessaire, et pas suffisante, pour qu’il puisse espérer être réélu pour un second mandat. Au vu de l’accélération des événements mondiaux qui, de la crise grecque à la crise des migrants, menacent la cohésion de l’Europe, 2017 est un horizon trop lointain pour qu’on y prête plus qu’une attention distraite. François Hollande a pour lui d’être à la tête de l’État à un moment que l’on peut qualifier sans emphase d’historique. Chacun le ressent bien, ces millions de personnes qui frappent à notre porte sont annonciatrices d’un monde nouveau. Les Français jugeront le moment venu si le président sortant aura su se montrer à la hauteur de ces défis. Mais là encore, même si François Hollande réussissait, ce n’est même pas sur son bilan que se jouera la présidentielle, mais plutôt sur une roulette électorale qui, pour la première fois sous la Ve République, opposera trois forces à peu près égales. De sorte que la seule stratégie gagnante en 2017 consistera pour le candidat de droite comme pour le candidat de gauche, quel qu’il soit, à faire en sorte de se qualifier pour le second tour face à Marine Le Pen… ■ BALISES 1,2 % 12 à 15 2 202 3,5 DU CHIFFRE D’AFFAIRES, C’EST LE NOUVEAU TAUX DE la taxe télécoms (+ 0,3 %), a annoncé la ministre de la Culture Fleur Pellerin. Cette taxe vise les groupes Bouygues Telecom, SFR, Orange et Free pour leur activité de fournisseurs d’accès à Internet. Stéphane Richard, PDG d’Orange, a dénoncé cette hausse, y voyant « une forme de mépris pour notre industrie ». CENTIMES PAR KILOMÈTRE, C’EST L’INDEMNITÉ VÉLO incitative que Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, songe à faire allouer aux salariés qui choisiraient d’aller travailler à bicyclette. Selon la ministre, l’expérience menée l’an dernier auprès de 8 000 salariés avait « très bien fonctionné », avec un triplement du nombre de salariés allant travailler à vélo. EUROS NETS, C’EST LE SALAIRE MENSUEL MOYEN des Français en 2013, en équivalent temps plein (EQTP) dans le secteur privé ou dans les entreprises publiques (soit 2 912 euros bruts, avant prélèvements). En euros constants, il baisse de 0,3 % par rapport à 2012, soit à peu près autant qu’entre 2011 et 2012, où il avait reculé de 0,4 %. MILLIARDS D’EUROS D’EXPORTATIONS DE VIN au premier semestre, en hausse de 7 %, c’est la belle performance que révèlent les statistiques de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS). Sans surprise, le Champagne joue toujours son rôle moteur dans le secteur, avec une progression de 9 % du chiffre d’affaires. L’HISTOIRE © MICHAEL SPOONEYBARGER / REUTERS Maîtriser l’alimentation, la ville et les déplacements, c’est maîtriser l’impact du climat, qu’il soit à + 6 ° C ou - 4 ° C. L’homme fera le choix de la faune et la flore qu’il veut conserver, ce qu’il fait d’une manière indirecte depuis cinquante ans. Depuis plus d’une dizaine d’années, on sait déplacer des nuages ou provoquer la pluie. Des travaux sont en cours pour protéger les mégapoles des aléas climatiques. Les maisons flottantes sont construites aux Pays-Bas, à défaut de digues jamais assez hautes. Les villes flottantes sont à l’étude. Atteindre ces objectifs est l’affaire du numérique. La semaine passée, nous avons évoqué la guerre des pétaflops d’Obama, dont les systèmes massifs communication sont des parties intégrantes. Le développement des robots de toutes tailles, du nanorobot qui circule dans le corps humain, le sol ou la flore, au robot industriel géant, est le grand sujet pour gagner en précision, qualité et rapidité, et pour emmagasiner les informations. Maîtriser la vie sur Terre en 2100, c’est un mouvement qui a débuté il y a deux siècles. Ce xxie siècle sera celui de son aboutissement. L ’ La COP21, déjà du passé Dans le fond, qu’il y ait un accord ou pas à la COP21, à « Paris 2015 » dans quelques jours, cela n’a aucune importance. Cet hiver, El Niño 2015/2016 devrait avoir un effet gigantesque sur le climat, le cours des matières premières – donc le niveau de vie des Terriens –, et la baisse d’activité des Brics va s’accentuer… Tout cela rendra « Paris 2015 » bien dérisoire. En tout état de cause, l’objectif de + 2 ° C maximum en 2100 est dépassé. Nous sommes en Anthropocène, depuis deux siècles, l’Homme domine la Terre. L’étape en marche est celle de la maîtrise de la Terre ou plutôt de la vie sur Terre en 2100. Maîtriser la vie – de l’Homme – sur Terre repose sur trois objectifs principaux : maîtriser l’alimentation, le logement et la ville, les déplacements de l’Homme. La maîtrise de l’alimentation passe par la précision et l’automatisation mises dans l’exploitation de la terre arable et par les fermes urbaines. C’est en marche. La maîtrise du logement et de la ville est un immense objectif, en test depuis plusieurs années. Les projets et les réalisations de villes maîtrisées et propres ne manquent pas dans le monde. Le plus délicat sera l’isolation des bâtiments construits avant 2000-2010. Enfin, les déplacements font l’objet d’investissements massifs dans les énergies propres, l’autonomie des systèmes (Toyota a décidé ce mois-ci d’investir 50 millions de dollars sur cinq ans) et la création de nouveaux moyens de transport. TENDANCES QUAND L’A320, LE BEST-SELLER D’AIRBUS, DEVIENT « MADE IN AMERICA » - Airbus inaugurait lundi 14 septembre la ligne d’assemblage final de Mobile, en Alabama (États-Unis), qui va permettre à Airbus d’atteindre une cadence de production de 50 avions par mois, d’ici à 2017. Trois ans après l’annonce de l’ouverture d’une ligne d’assemblage final (FAL) de la famille A320 aux États-Unis, son quatrième site d’assemblage d’avions moyen-courriers dans le monde après ceux de Hambourg, Toulouse et Tianjin en Chine, l’usine de Mobile, sur les bords du Golfe du Mexique, vient de commencer l’assemblage du premier appareil américain, qui sera livré à la compagnie américaine à bas coût Jetblue, début 2016. Ce lundi, Tom Enders et Fabrice Brégier, respectivement PDG d’Airbus Group (ex EADS) et d’Airbus, ont donc inauguré ce site qui s’étend sur 215 000 m2. « Aux États-Unis, il est important de montrer que les avions sont produits dans le pays. Cela nous fait gagner des points et dans certains cas cela peut faire la différence », a déclaré Fabrice Brégier à notre confrère Welt am Sonntag. Pour le patron d’Airbus, la stratégie d’implantation aux États-Unis s’avère déjà payante : « La part de marché d’Airbus dans la flotte américaine en service est de 20 %, mais s’élève à 40 % sur les appareils commandés par les compagnies américaines depuis l’annonce de la création de l’usine de Mobile, en 2012 », explique-t-il. 4 I L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR HORIZON 2017 François Hollande : pour qui sonne le glas ou… l’éternel retour ? Et si par un extraordinaire retournement de l’histoire, François Hollande se retrouvait dans une (bonne) situation pour se présenter et l’emporter en 2017 ? À première vue, ce scénario paraît bien improbable, tant le président suscite le rejet. Mais ce cas de figure pourrait devenir réalité… sous plusieurs conditions. PAR JEANCHRISTOPHE CHANUT Ci-dessus, François Hollande lors de sa conférence de presse du 7 septembre, à l’Élysée. Celui qui se voulait, au début de son quinquennat, le « président normal », adopte de plus en plus la posture présidentielle classique de ses prédécesseurs. © REUTERS/PHILIPPE WOJAZER I « l faut qu’il y ait une baisse du chômage tout au long de l’année 2016, une baisse crédible, longue et répétée ». Ainsi s’exprimait le président de la République en juillet devant l’Association de la presse présidentielle. En filigrane, François Hollande précisait là les conditions pour une nouvelle candidature à la présidentielle de 2017, lui qui a depuis près de trois ans ouvertement associé son destin présidentiel à l’inversion de la courbe du chômage. Un sacré pari, alors que l’on comptabilise en France près de 700 0 00 chômeurs de plus qu’en mai 2012, lors de l’arrivée de François Hollande à l’Élysée. Dans ces conditions, est-il raisonnable pour le président en place de croire en ses chances pour un nouveau mandat en 2017 ? À première vue, la réponse est incontestablement négative. Un sondage Ifop du 6 septembre pour Le Figaro et RTL le dit même perdant dès le premier tour avec 19 % des suffrages, loin derrière le candidat de la droite et du centre – qu’il s’agisse de Nicolas Sarkozy ou d’Alain Juppé – (25 %) et, surtout, de Marine Le Pen (27 %). Et pourtant, l’homme que l’on n’avait pas vu arriver avant les primaires socialistes de 2011 continue de croire en sa bonne étoile. En bon mitterrandien, il sait qu’en politique on n’est jamais mort. La dernière conférence de presse présidentielle du 7 septembre l’a montré : François Hollande ne renonce pas. Il continue d’affirmer sa volonté de réformer le pays alors que 2016 sera la dernière année budgétaire utile du quinquennat. Il lance de nouveaux chantiers, comme les réformes du droit du travail pour donner davantage de poids aux accords d’entreprise, ou celle de la dotation globale de fonctionnement aux collectivités locales. Il confirme que le pacte de responsabilité, avec ses 41 milliards d’euros d’allégements d’impôts et de cotisations sociales pour les entreprises, sera mené à son terme. Il annonce une nouvelle loi sur « les opportunités numériques ». Il se pose en gardien de la sécurité de la France en engageant davantage l’armée de l’air en Syrie. Mais lui reste-t-il vraiment une chance d’inverser les pronostics sur sa future non-réélection ? L’exercice paraît difficile mais pas complètement impossible. Pour se trouver en situation de l’emporter à nouveau, il devra réunir deux conditions. La première sera une amélioration significative de la conjoncture économique avec des résultats très concrets pour les Français, sur le front du chômage notamment. La seconde, tout aussi essentielle, sera de rassembler non seulement tout le parti socialiste derrière lui mais, au-delà, la famille de la gauche plus généralement. Et, quand on voit l’état de décrépitude actuelle des différentes composantes de cette gauche, ce n’est vraiment pas gagné. PREMIER IMPÉRATIF : UNE FORTE DÉCRUE DU CHÔMAGE François Hollande va-t-il pouvoir compter sur des vents économiques plus favorables ? Cette année, le PIB devrait progresser d’un petit 1 % . Pour 2016, le projet de loi de finances est bâti sur une hypothèse de 1,5 % de croissance. C’est un peu juste pour faire spontanément reculer le chômage du fait de l’augmentation « naturelle » de la population active qui dépasse les 100 000 personnes par an. Du coup, le budget 2016 du ministère du Travail devrait prévoir le financement d’environ 550 000 contrats aidés, soit un niveau équivalent à celui de 2015. Mais il existe des scénarios plus optimistes, peut-être même un peu trop, comme celui de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Pour cet organisme rattaché à Sciences Po Paris, 2016 sera la vraie année de la reprise avec une croissance de… 2,1 %, une hausse de l’investissement productif de 4 % et la création de près de 220 0 00 postes dans le secteur marchand permettant une nouvelle diminution du nombre des chômeurs, de 70 000. Le taux de chômage redescendrait à 9,5 % , contre 10 % à la fin du deuxième trimestre de 2015. Dans un tel contexte porteur, le déficit public baisserait significativement pour s’établir à 3,1 % en 2016. Soit très proche de l’objectif de 3 % que la France doit atteindre en 2017. Mais comment l’OFCE peut-il afficher un tel optimisme ? Selon ses économistes, tous les éléments sont là pour favoriser la croissance : la chute des prix du pétrole, la politique volontariste de la BCE via l’assouplissement quantitatif [Quantitative Easing, QE], le ralentissement de la consolidation budgétaire en France – qui a refusé de faire davantage d’économies budgétaires, contrairement à ce que souhaiterait la Commission européenne –, la montée en charge du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) et la mise en place du pacte de responsabilité. En bons keynésiens, les économistes de l’OFCE estiment que ces facteurs vont permettre de favoriser la demande et ainsi de relancer l’économie. Ils considèrent même que « les principaux freins qui ont pesé sur l’activité française ces quatre dernières années [austérité budgétaire surcalibrée, euro fort, prix du pétrole élevé, etc.] devraient être levés en 2015 et 2016, libérant ainsi une croissance jusque-là étouffée ». François Hollande croit lui aussi à ce retour au « bon alignement des planètes ». Certes, mais cette embellie paraît encore bien fragile. Ainsi, les prix du pétrole vontils continuer durablement à rester sous les 100 dollars ? Et on attend encore les bénéfices du QE pour l’économie réelle. Sans parler du ralentissement de l’économie chinoise et des prévisions à la baisse du FMI sur la croissance mondiale. Sur le plan économique, ce n’est donc pas gagné d’avance, même si le président affiche un certain volontarisme et qu’il croit dur comme fer dans la réussite de son pacte de responsabilité qui va prendre sa vitesse de croisière en 2016, avec le passage à 9 % du Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), un nouvel allégement sur les cotisations familiales des entreprises et la suppression de la contribution exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés acquittées par les entreprises réalisant plus de 250 millions de chiffres d’affaires. À cet égard, un ministre qui connaît très bien Fra nçois Holla nde, sa lue la démarche : « Avec cette diminution des pré- I 5 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR lèvements sur les entreprises, ajoutée à la baisse de l’impôt pesant sur les ménages qui va gommer l’impression du coup de massue fiscal du début du quinquennat et la réforme du Code du travail, François Hollande veut couper l’herbe sous le pied du futur candidat de l’opposition qui ne pourra pas exploiter ces thèmes. En plus il séduit une partie de l’électorat centriste ». DEUXIÈME IMPÉRATIF : SE TROUVER EN « SITUATION POLITIQUE » De fait, la situation politique qui prédominera à un an du scrutin constitue la seconde condition pour que François Hollande puisse avoir une chance de se représenter en 2017. Et là, il y a du travail, tant la gauche est dans un état d’émiettement total. François Hollande ne fait même plus l’unanimité au sein du Parti socialiste. Son aile gauche, menée notamment par Emmanuel Maurel et l’ancien ministre Benoît Hamon, revendique de plus en plus ouvertement l’organisation d’une primaire à gauche, comme le prévoient d’ailleurs les statuts du PS. Les « frondeurs », réunis derrière le député Christian Paul, bien que plus discrets depuis le congrès socialiste en juin, à P o it ie r s , o ù i l s av a ient por té la « motion B », ne décolèrent pas face au virage social-libéce serait le taux de chômage en 2016, au lieu de 10 % ral entrepris par au deuxième trimestre 2015, M a nuel Va l ls e t selon les estimations amplifié avec l’arride l’Observatoire français vée d’ E m m a nuel des conjonctures économiques. Macron au gouvernement. Et ce n’est pas le prochain projet de loi sur la réforme du Code du travail qui va calmer les esprits, même si le président de la République a décidé de ne pas toucher à la durée légale du travail de 35 heures, un « marqueur » de gauche. Après la publication du rapport Combrexelle tendant à valoriser les accords de branche et d’entreprise au détriment de la loi, les « frondeurs » ont immédiatement réagi dans un communiqué, estimant que « l’application du rapport Combrexelle restreindrait la législation à quelques grands principes “d’ordre public social”, et réduirait à néant la clause la plus favorable qui s’applique au salarié et l’universalité des droits. La situation du monde syndical, le rapport de forces entre salariés et patronat, ne permettront pas d’imposer, en particulier dans les entreprises les plus petites, les choix le s plu s favorable s au x salar ié s ». Ambiance ! Sans parler du trublion 9,5 % Arnaud Montebourg, qui n’a pas totalement renoncé à peser sur le débat et qui s’affiche en public avec l’ancien ministre grec de l’Économie, Yanis Varoufakis ! François Hollande n’a plus qu’à espérer que l’instinct de survie du PS le poussera à se réunir derrière lui à l’approche de l’échéance capitale de 2017. Mais un autre danger guette François Hollande, il a pour nom Cécile Duflot, l’ex-leader d’Europe-Écologie-Les Verts. Depuis qu’elle a claqué la porte du gouvernement, la députée de Paris n’a de cesse de dénoncer la ligne sociale-libérale de Manuel Valls. Elle a même tenté un flirt avec le Parti de gauche de JeanLuc Mélenchon… qui a tourné court. Il n’empêche, et la sortie récente de son dernier livre Le Grand virage (Éditions Les Petits Matins) – véritable programme – l’atteste, Cécile Duf lot se réserve la possibilité de se présenter à la présidentielle de 2017. De quoi grignoter quelques voix supplémentaires à François Hollande alors que le ticket pour le second tour va être très cher. Le président s’en inquiète. Il va tout faire pour marginaliser son ancienne ministre du Logement, afin qu’elle ne puisse se trouver en situation. Il surveille donc de très près les initiatives des deux dissidents écolos, Jean-Vincent Placé et François de Rugy, – ils viennent de créer une nouvelle formation politique, « Écologistes ! » –nettement plus ouverts à une collaboration avec les socialistes, voire même tout à fait disposés à intégrer le gouvernement. Mais, pour ce faire, ils devront sans doute attendre le lendemain des élections régionales des 6 et 13 décembre, quand François Hollande va procéder à un vaste remaniement pour préparer le dernier sprint. Objectif : ratisser large, non seulement au sein du PS, bien sûr, mais surtout au-delà… Et les écologistes volontaires seront les bienvenus. En attendant, ces élections régionales s’annoncent très périlleuses pour la gauche, qui détient actuellement 20 des 22 régions métropolitaines (en incluant la Corse). Sur les 13 nouvelles « super-régions », elle espère pouvoir en conserver trois ou quatre : Aquitaine-Limousin/Poitou-Charentes, Languedoc-Roussillon/Midi-Pyrénées Bretagne et surtout Île-deFrance. Mais c’est loin d’être fait. TROISIÈME IMPÉRATIF : QUE NICOLAS SARKOZY SOIT CANDIDAT Reste aussi pour François Hollande à connaître le nom de son principal opposant à droite. Il faudra pour cela attendre les Cote de confiance SOURCE: BAROMÈTRE TNS SOFRES / FIGARO-MAGAZINE 100 PAS CONFIANCE 80 60 40 CONFIANCE 20 0 juin 2012 2013 2014 2015 sept. 2015 résultats, à l’automne 2016, de la primaire du centre et de la droite. François Hollande rêve de rééditer le scénario de 2012 et de retrouver Nicolas Sarkozy face à lui. L’ancien président de la République est tellement « clivant » que l’actuel locataire de l’Élysée pense alors pouvoir l’emporter sur son rival en mobilisant l’électorat de gauche jusqu’ici tenté par l’abstention par dépit mais, in fine, effrayé par un éventuel retour de Nicolas Sarkozy. Surtout, il compte alors sur une candidature de François Bayrou (MoDem) pour priver l’ancien chef de l’État des suffrages nécessaires pour accéder au second tour. François Hollande se retrouverait alors face à Marine Le Pen (Front National)… le scénario rêvé pour lui. En revanche, si Alain Juppé sort grand vainqueur de la primaire de l’opposition, la situation va être nettement plus difficile pour François Hollande. L’ancien Premier ministre de Jacques Chirac séduit n on s e u le m e nt a u centre mais y compris cer tains électeurs de gauche. Il a su en grande partie gommer son image d’homme raide « droit dans ses bottes » et cultive volontiers un côté « vieux sage » modéré, notamment sur les sujets sociétaux. De plus, le maire de Bordeaux a eu l’habileté de déclarer très tôt qu’il n’effectuerait qu’un seul mandat de cinq ans, le temps de lancer les quelques grandes réformes qu’il estime nécessaires. Pour François Hollande, le scénario Juppé est certainement le plus noir. Il va donc tout faire d’ici la primaire de l’opposition, dans un an, pour que Nicolas Sarkozy apparaisse comme son meilleur ennemi. ■ La martingale rêvée de François Hollande pour 2017 : un destin à la mode « Chirac 2002 », lorsque l’ancien président s’est trouvé au second tour face au candidat du Front national, et a ainsi remporté l’élection avec 82,21 % des suffrages. © REGIS DUVIGNAU / REUTERS 6 I L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR DÉFIS François Hollande peut-il encore réussir… « Le changement c’est maintenant ! » Que reste-t-il de la promesse de 2012 ? Si le jugement des Français à l’égard de François Hollande reste sévère, à vingt mois de la prochaine élection présidentielle du printemps 2017, la cote du président de la République semble s’être stabilisée, à un étiage bas. Alors que la croissance redémarre timidement, François Hollande peut-il espérer capitaliser sur ses réformes dont il a tenu fermement le 1D cap, contre une partie de sa majorité ? Une course-poursuite est engagée, dont le juge de paix sera, le chef de l’État l’a lui-même énoncé, la baisse du chômage dans le courant de l’année 2016. Croissance, emploi, compétitivité, impôts, économie numérique, politique du logement, défense et Europe : sur tous ces sujets, François Hollande peutil encore réussir à convaincre que ses choix ont été les bons ? ... à relancer l’économie française ? epuis 2012, le chef de l’État attend désespérément le retour de la croissance. La reprise interviendra-t-elle avant la fin du quinquennat ? C’est son vœu le plus cher, car, sans croissance, toute baisse du nombre de demandeurs d’emploi est exclue. Sachant que la baisse du chômage conditionne son avenir politique – du moins en 2017 – François Hollande a le regard vissé sur les prévisions de croissance réalisées par l’Insee. Pour l’instant, ses espoirs ont été déçus. Très largement. Depuis son élection à la tête de l’État, l’économie française est en panne. Après avoir promis, comme la plupart de ses concurrents, que sa politique Évolution du PIB 2,5 2,0 1,5 1,0 0,5 0,0 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 économique rendrait automatique le retour de la croissance lors de la campagne électorale, le président de la République a dû se rendre à l’évidence : les effets de la crise de 2008-2009, qui fut la plus grave subie par la France depuis la fin de la seconde guerre mondiale, n’étaient pas effacés en 2012. Ils ne le sont toujours pas d’ailleurs, en témoigne le niveau toujours très élevé des défaillances d’entreprises. Selon la Banque de France, 63 200 entreprises étaient en difficulté fin juin et sur les douze derniers mois cumulés. C’est-à-dire qu’elles étaient soit en redressement judiciaire, soit en liquidation judiciaire, soit en procédure de sauvegarde. Si le rythme des défaillances se poursuit, le record observé en 2014 pourrait être battu. L’année dernière, la Banque de France avait recensé 63 400 défaillances d’entreprises. Cette erreur de diagnostic, qui a considérablement nui à la crédibilité de la stratégie économique de l’exécutif, les Français ne l’ont pas vraiment pardonnée. Ce n’est peutêtre pas le plus grave. Admise un an après son élection, cette évaluation erronée de l’état de santé de la France a conduit le gouvernement à faire des erreurs importantes de politique économique. La plus grave fut probablement d’avoir augmenté de plus de 31 milliards d’euros le montant des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises dès la première année du quinquennat. Les effets sur un tissu de PME exsangues après la crise ont été d’autant plus dévastateurs que les entreprises étaient alors confrontées à un ralentissement très net de la conjoncture nationale. La France ne comptant que 120 000 entreprises internationalisées, trois fois moins que l’Allemagne, il était exclu que l’exportation soit une planche de salut. AUCUNE PRISE SUR LES FACTEURS EXOGÈNES Résultat, après avoir stagné en 2012, le PIB n’a augmenté que de 0,7 % en 2013 puis de 0,2 % en 2014. À moins d’une mauvaise surprise, le 1 % de croissance visé par le gouvernement devrait être atteint, ce qui permet au gouvernement d’estimer qu’une reprise est en cours. En revanche, compte tenu des incertitudes pesant sur l’économie mondiale, les prévisions de croissance formulées pour 2016 et 2017 pourraient paraître optimistes. Certes, le ministère des Finances a révisé à la baisse ses objectifs et ne table plus que sur une hausse du PIB de 1,5 % en 2016 et en 2017, après avoir initialement visé des progressions de 1,7 % et de 1,9 % . Mais après la panne de croissance observée au deuxième trimestre, la reprise semble fragile car elle ne repose que sur des facteurs exogènes sur lesquels, par définition, le gouvernement n’a aucune prise. C’est d’ailleurs cette « dépendance » à ces éléments conjoncturels qui est probablement la plus grave. François Hollande et son gouvernement n’ont pas réussi à modifier le modèle de croissance tricolore. Essentiellement alimentée par la baisse des prix de l’énergie, entamée au début du second semestre 2014, la consommation des ménages est le seul moteur encore un peu vaillant de la croissance. Selon les calculs de ... à la rendre plus compétitive ? L e début du quinquennat fut chaotique. Confronté à la colère des chefs d’entreprise déclenchée par l’augmentation de la pression fiscale prévue par le projet de loi de finances 2013, symbolisée par le mouvement des « Pigeons », l’exécutif n’a eu de cesse de donner des gages aux chefs d’entreprise pour regagner leur confiance. Une confiance sans laquelle le retour de la croissance semble utopique. Comment ? En répondant à l’une de leurs principales revendications : abaisser un coût du travail jugé trop élevé pour lutter à armes égales face à la concurrence et permettre ainsi le redressement de la compétitivité-prix du made in France. Selon les données d’Eurostat compilées par COE-Rexecode, en 2000, le coût du travail horaire s’élevait à 24,42 euros en France dans l’industrie et les services marchands et à 26,34 euros en Allemagne. En 2004, il est passé à 28,67 euros en France et a reculé à 27,76 euros en Allemagne grâce aux efforts de modération salariale réclamés aux salariés allemands dès 2003. Depuis, le coût du travail horaire en France a toujours dépassé celui observé en Allemagne renforçant la compétitivité-prix des produits allemands, produits qui bénéficiaient déjà depuis longtemps d’une compétitivité hors prix redoutable. LE TAUX DE MARGE ENFIN REMONTÉ Les grandes manœuvres ont alors démarré. Dès novembre 2012, à la suite de la présentation du rapport Gallois, le « pacte de compétitivité » introduisait le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Il est entré en vigueur en 2014. Après des débuts chaotiques, il monte en puissance au point que Bercy estime à 900 millions d’euros le surcoût de cette dépense fiscale en 2015. Au total, 17,4 milliards d’euros devraient être versés au titre du CICE cette année, soit un niveau assez proche du montant prévu par le ministère des Finances en « rythme de croisière ». Ces mesures ont produit leurs effets. À la fin 2014, le coût du travail s’élevait à 37,10 euros en France dans l’industrie manufacturière, contre 38,43 euros outre-Rhin. Le taux de marge est enfin remonté. Après avoir touché un plancher inédit en 2014, à 29,7 % de la valeur ajoutée, il atteindrait en moyenne 31,2 % en 2015 selon les prévisions de l’Insee, grâce également aux allégements de cotisations familiales programmés par le Pacte de responsabilité, entrés en vigueur le 1er janvier 2015. À titre de comparaison, avant la crise de 2008-2009, le taux de marge des entreprises s’élevait en moyenne à 32,7 % entre 1988 et 2007. L’exécutif n’en est pas resté là. À ces mesures fiscales et sociales, le « pacte de responsabilité » prévoit également une suppression en 2016 de la contribution exceptionnelle à l’IS acquitté par les entreprises réalisant plus de 250 millions d’euros, dont le COE-Rexecode, la chute des cours du brut allégerait de 16 milliards d’euros la facture des importations énergétiques, ce qui représente 0,5 point d’inflation en moins pour les ménages et près de 8 milliards de marges pour les entreprises sur l’année 2015. Malgré un accès facile au crédit, que permet la politique monétaire volontariste de la Banque centrale européenne, et le dispositif de suramortissement lancé en avril, la reprise de l’investissement est très poussive. C’est notamment le cas dans l’industrie manufacturière, contrainte par la quasi-atonie de la demande. Quant au commerce extérieur, on l’a vu, la faiblesse des forces en présence empêche le made in France de décoller enfin. Le déficit commercial devrait se maintenir à des sommets et avoisiner les 60 milliards d’euros cette année en dépit de la dépréciation de l’euro face au dollar qui augmente la compétitivité-prix du made in France hors de la zone euro. Faut-il rappeler que la balance commerciale de la France n’a pas été excédentaire depuis… 2003 ? Dans ce contexte incertain, il ne faudrait pas que les prix des matières premières, et notamment du pétrole brut, remontent, que l’euro s’apprécie face au dollar ou que les taux d’intérêt décollent. Si tel était le cas, les espoirs d’une reprise seraient douchés. L’hypothèse de croissance du gouvernement fixée à 1,5 % serait alors menacée et le retournement de la courbe du chômage, prévu en 2016, resterait dans les limbes. Certains économistes ont d’ores et déjà remis en cause la prévision du gouvernement. Ainsi, chez Moody’s, c’est une progression de 1,2 % du PIB qui est attendue en 2016.■ FABIEN PILIU taux était passé de 5 % à 10,7 % en 2013, mais aussi de la C3S en 2017. La loi pour la croissance et l’activité dite loi Macron I est également venue à la rescousse des chefs d’entreprise. Ils peuvent profiter depuis avril – et ce pendant un an - du suramortissement de l’investissement. Parallèlement aux mesures visant à restaurer la compétitivité-prix des produits français, le gouvernement s’est aussi attelé au redressement de la compétitivité hors prix en multipliant les mesures en faveur de l’innovation. En dépit des nombreuses critiques de la part du Parlement, le crédit impôt-recherche, qui fut jusqu’à la création du CICE la principale dépense fiscale de l’État, a été sanctuarisé par le pacte de compétitivité. Le statut de « jeune entreprise innovante » a été rétabli, le crédit d’impôt-innovation a été lancé et la phase 3 des pôles de compétitivité, qui vise à concentrer leur action vers les produits et services à industrialiser, a été engagée. Pour quels résultats ? Pour l’instant, la reprise, essentiellement portée par la baisse des cours du brut, est trop fragile pour conclure à l’efficacité des mesures gouvernementales. Malheureusement pour l’exécutif qui, d’un point de vue électoral, pourrait ne pas tirer profit F. P. de ses efforts. ■ 2 I 7 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR 3 F … à inverser la courbe du chômage ? rançois Hollande ne cesse de le marteler : si la courbe du chômage ne s’inverse pas durablement en 2016, il ne se représentera pas pour un second mandat en 2017. Des déclarations audacieuses, si l’on se réfère aux désolantes publications du ministère du Travail sur le nombre des demandeurs d’emploi. Inlassablement, depuis mai 2012, il augmente : il y a près de 700 000 chômeurs supplémentaires inscrits en catégorie « A » depuis l’arrivée de François Hollande à l’Élysée. Ils sont très exactement 3 551 600 dans ce cas à la fin juillet. Et, sur un total de trente-huit mois de mandat (en se plaçant en juillet dernier, dernières statistiques connues), il y a eu seulement cinq mois où le nombre des demandeurs d’emploi s’est stabilisé, voire a légèrement baissé. Pourtant, le président de la République semble faire preuve d’un certain optimisme pour l’année prochaine. À tort ou à raison ? À noter, d’abord, que la très sourcilleuse Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), affiche elle aussi un léger optimiste pour la France et ce dès la fin de 2015. Selon l’organisation internationale, le taux de chômage en France pourrait redescendre à 10 % à la fin de l’année après avoir atteint un pic de 10,2 % à la fin du premier semestre. L’Insee également, vient de noter que la France avait créé 23 800 postes dans le secteur marchand au deuxième trimestre – quasi essentiellement grâce à l’intérim –, alors qu’elle en avait encore perdu 7 100 au premier trimestre. Des données qui remontent le moral du gouvernement et qui lui permettent d’espérer pour les mois à venir un frémissement sur l’inversion de la courbe du chômage. Bien entendu, encore une fois, tout va dépendre de la croissance. Or, si l’année avait bien commencé avec une progression du PIB de 0,7 % au premier trimestre, la tendance s’est dégradée au deuxième avec une croissance nulle. Sur l’ensemble de 2015, le gouvernement table sur un petit 1 % de croissance… Un peu juste pour faire reculer le chômage. D’autant plus que le niveau de production industrielle en France reste encore inférieur à celui qui était le sien en 2008. Et, surtout, il reste des énormes réserves de productivité dans les entreprises. Concrètement, celles-ci n’auront pas besoin dans un premier temps d’embaucher pour faire face, si elle se confirme, à une reprise des carnets de commandes. L’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) estime qu’il y a un sureffectif dans les entreprises d’environ 150 000 salariés. En revanche, pour 2016, la prévision gouvernementale est basée sur une progression du PIB de 1,5 % . Suffisante pour parvenir à inverser la courbe du chômage, malgré un accroissement « naturel » de la population active d’environ 120 000 personnes. Mais encore faudra-t-il que cette prévision soit tenue et qu’aucun « accident » économique ou financier ne vienne gripper le redémarrage de la machine. Et pas de miracle en perspective : la décrue sera lente. En tout état de cause, lors de l’élection présidentielle du printemps 2017, le nombre des demandeurs d’emploi sera encore supérieur à ce qu’il était lors de l’arrivée de François Hollande à l’Élysée cinq ans plus tôt. « RASSURER » LES ENTREPRISES Le gouvernement se veut d’autant plus volontariste qu’il estime mettre le paquet sur les politiques de l’emploi. Ainsi, dans le budget 2016, seront comptés environ 500 000 contrats aidés, soit le même niveau qu’en 2015. Ensuite, le gouvernement n’en finit plus de vouloir redonner confiance aux entreprises. Ainsi, il a assuré aux organisations patronales que rien ne viendrait remettre en cause le pacte de responsabilité. Le taux du Crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) montera à 9 % (contre 6 % en 2015) l’année prochaine. Et François Hollande a confirmé que, dès 2017, ce CICE serait transformé en baisses pérennes de cotisations sociales patronales. Les dispositions de la loi Macron sur la croissance et celles de la loi Rebsamen sur le dialogue social sont aussi là pour « rassurer » les entreprises : les conséquences du passage des seuils sociaux sont allégées – par exemple les entreprises entre 50 et 300 salariés peuvent opter pour la « délégation unique du personnel » –, la signature d’accords de maintien de l’emploi est facilitée, la procédure prud’homale est sécurisée (même si l’on attend encore le nouveau dispositif de plafonnement des indemnités, le mécanisme initial ayant été censuré par le Conseil constitutionnel), etc. Sans oublier les suites du rapport Combrexelle, avec le dépôt d’un projet de loi sur la réforme de la négociation collective début 2016. Autant de « messages » adressés aux employeurs. Mais, in fine, ils ne pèsent pas grand-chose face aux réalités économiques. C’est le carnet de commandes des entreprises qui déterminera si le chômage peut baisser, ou JEAN-CHRISTOPHE CHANUT pas. ■ Demandeurs d’emploi inscrits en fin de mois à Pôle emploi (Catégories A et A, B, C (cvs-cjo en milliers) 6000 France, catégories A, B, C 5500 5000 4500 France métropolitaine, catégories A, B, C 4000 3500 France métropolitaine, catégorie A 3000 2500 juil. 15 janv. 15 juil. 14 janv. 14 juil. 13 janv. 13 juil. 12 janv. 12 juil. 11 2000 La « réforme Piketty », du nom de son concepteur, Thomas Piketty (photo), voulue par tant de socialistes, tient du mythe : sa fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, passant par une taxation des riches encore plus forte qu’aujourd’hui, est difficilement imaginable. © CHARLES PLATIAU / REUTERS … à réformer la fiscalité en la rendant plus juste ? F rançois Hollande a-t-il échoué dans le domaine fiscal ? Pour la plupart des commentateurs et des Français, la question ne se pose même pas. Le bilan Hollande tient du fiasco, avec un sentiment de « ras-le-bol fiscal » quasi unanime. Ironie du sort, même les électeurs de gauche favorables à un impôt sur le revenu très progressif – et aux hausses d’impôts sur les riches, qui ont été effectivement votées –, se montrent critiques : Hollande n’a pas eu le courage de mettre en œuvre la grande réforme de l’impôt, celle préconisée par Thomas Piketty, disent-ils. Bref, le jugement est sans appel, partagé y compris par ceux qui n’ont pas été touchés par les hausses d’impôt sur le revenu décidées depuis 2012. Il faut dire que l’idée a été popularisée d’une hausse massive de cet impôt décidée par le pouvoir socialiste et visant tous les contribuables. L’AFP écrit ainsi : « Vingt août 2013 : les Français rentrent à peine de vacances et trouvent dans leurs boîtes aux lettres les avis d’imposition concrétisant les très fortes augmentations annoncées un an plus tôt. » 4 UNE POTION AMÈRE ATTRIBUÉE À HOLLANDE La réalité est un peu moins… brutale. Ce qui a été décidé pour application en 2013, c’est l’instauration d’une nouvelle tranche d’impôt à 45 % – touchant une minorité de riches –, le plafonnement du quotient familial à 2 0 00 euros par demi-part au lieu de 2 360 euros, l’imposition au barème des revenus du patrimoine – sans que cela ne concerne le placement favori des Français, l’assurance-vie – et la taxation des heures supplémentaires, exonérées depuis 2008. Autant dire que tout le monde n’a pas été visé. Les mesures concernant les familles – plafonnement du quotient familial –, qui ont fait couler beaucoup d’encre, ont concerné 15 % des contribuables… Le problème, c’est que ces hausses se sont ajoutées à celles décidées sous l’autorité de Nicolas Sarkozy, dont l’application avait été pour partie décalée dans le temps, avec une entrée en vigueur post2012 : imposition majorée pour les veuves et veufs, désindexation du barème, diminution du crédit d’impôt pour travaux d’isolation, taxation plus lourde l’année du mariage ou du divorce… Bien évidemment, les contribuables n’ont pas fait le détail, et ont attribué cette potion amère au pouvoir socialiste. Pourtant, sur les 18 milliards d’euros de hausse d’impôt sur le revenu intervenue depuis 2011, près de la moitié est imputable à Nicolas Sarkozy… En outre, pour aggraver son cas, le gouvernement socialiste, qui avait pourtant décrété la pause fiscale à l’été 2013, a continué à augmenter l’impôt sur le revenu en 2014 (quotient familial, imposition des majorations de pensions et de la contribution des employeurs à la complémentaire santé). UN IMPÔT SUR LE REVENU RÉNOVÉ ET ÉLARGI Quel est l’effet global de ces mesures sur notre système fiscal ? Taxant les riches, diminuant l’imposition de la classe moyenne « inférieure », à travers deux baisses de l’impôt sur le revenu (dont celle qu’il vient d’annoncer pour 2016) – qui aboutissent à ramener à 46 % la proportion des foyers imposables –, François Hollande a encore accru la progressivité de notre fiscalité. Les salariés dans une moyenne basse, qui avaient subi la retaxation des heures supplémentaires, verront cette ponction effacée par les nouvelles mesures Hollande. Mais les foyers appartenant aux 10 % les plus aisés, au-delà de 80 0 00 euros de revenus par an, qui ont vu leur taxation accrue de 20 à 30 % selon le fiscaliste Michel Taly, n’auront, eux, droit à rien. Notre système est devenu le plus progressif d’Europe, après la Belgique et la Suède, si l’on prend en compte l’ensemble des prélèvements sur les salariés, selon les calculs de l’économiste Henri Sterdyniak (OFCE). Si la réforme Piketty, voulue par tant de socialistes, tient du mythe – sa fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG passe par une taxation des riches encore plus forte qu’aujourd’hui, difficilement imaginable –, François Hollande a remodelé l’impôt sur le revenu conformément aux préceptes traditionnels de la gauche, en alourdissant la charge des plus aisés. Il ne s’est pas livré en revanche à une opération de clarification fiscale : la logique économique voudrait que les cotisations sociales maladie et famille, qui financent des prestations universelles, soient à la charge de l’ensemble de la population, à travers un impôt sur le revenu rénové et élargi. À l’image de ce qui se fait dans les pays nordiques. Cette clarification attendra. ■ IVAN BEST 8 I L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR IMMOBILIER L’encadrement des loyers, une promesse tenue ? Entré en vigueur à Paris le premier août, l’encadrement des loyers pourrait permettre de redonner du pouvoir d’achat à certaines catégories de ménages. C ’ était dans l’engagement numéro 22 de François Hollande durant sa campagne : « Dans les zones où les prix sont excessifs, je proposerai d’encadrer par la loi les montants des loyers lors de la première location ou à la relocation. » Plus de trois ans après l’élection du candidat socialiste à la fonction suprême, l’encadrement des loyers est enfin entré en application le 1er août 2015, mais à Paris seulement. Concrètement, la loi Alur promulguée le 24 mars 2014 prévoit qu’à la signature d’un nouveau bail ou lors d’un renouvellement, le loyer d’un logement ne puisse dépasser de 20 % un loyer de référence fixé par arrêté préfectoral, ni lui être inférieur de 30 %. Pour déterminer le niveau des loyers de référence dans la capitale, les pouvoirs publics se sont appuyés sur les données représentatives produites par l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (Olap). Ces loyers de référence correspondent en fait à des loyers médians qui prennent en compte quatre éléments : le type de location (nue ou meublée), le nombre de pièces, l’époque de construction et le secteur géographique. Concernant Paris, l’Olap a divisé la capitale en 80 quar- tiers et 14 secteurs aux niveaux de loyers homogènes. S’il est encore trop tôt pour analyser les effets d’une telle mesure, il y a cependant fort à parier – au regard du niveau des différents plafonds disponibles sur le site de la préfecture d’Ile-de-France – qu’elle aura un effet significatif sur les locations de petites surfaces. Ce qui correspondrait du reste à l’objectif du gouvernement de redonner du pouvoir d’achat aux étudiants et aux jeunes actifs fraîchement diplômés. CHAMP D’APPLICATION LIMITÉ PAR DES INCERTITUDES Mais pour en être certain, il faudra juger à la lumière des faits, car certaines ambiguïtés introduites dans le dispositif pourraient faire changer la donne. Notamment la possibilité donnée aux propriétaires bailleurs d’appliquer un complément de loyer pour dépasser les plafonds. Celle-ci est très mal définie. La loi prévoit concrètement d’appliquer un complément de loyer aux logements présentant des qualités particulières (de localisation ou de confort) par rapport aux logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique. Mais sans La loi Alur promulguée le 24 mars 2014 prévoit qu’à la signature d’un nouveau bail ou lors d’un renouvellement, le loyer d’un logement ne puisse dépasser de 20 % un loyer de référence fixé par arrêté préfectoral, ni lui être inférieur de 30 %. © AFP plus de précisions. Ce qui pourrait ouvrir la porte à quelques abus. Du reste, chaque incertitude donnera des arguments supplémentaires aux professionnels de l’immobilier pour faire limiter le champ d’application de la réforme. Eux qui ont déjà obtenu de restreindre le périmètre de la loi à Paris intramuros dans un premier temps. Les professionnels du secteur voient dans cette loi une remise en cause des libertés des propriétaires bailleurs. Pour convaincre les dirigeants politiques, ils avancent le risque de réduction de l’offre de location de la part de propriétaires mécontents qui retireraient leurs biens du marché, et ne les entretiendraient plus. Ils définissent ainsi la loi sur l’encadrement des loyers comme un nonsens économique, révélatrice d’une absence de pragmatisme, et anéantissant la confiance sur un marché en crise. Dont acte. Pourtant, l’encadrement des loyers peut potentiellement avoir des effets très favorables sur l’économie française, si l’on part du principe qu’il réduira le coût pour se loger de certains ménages locataires. Car la forte croissance des prix de l’immobilier a souvent été désignée comme l’une des causes des maux de l’économie française, voire de sa perte de compétitivité. Que ce soit à cause de la pression sur les salaires nominaux qui en découle, de l’éloignement des salariés de leur lieu de travail, ou même de l’impossibilité pour les ménages de dégager des marges de manœuvre financières pour consommer ou épargner autre chose que de l’immobilier. Autant de leviers qui ne sont pas à négliger MATHIAS THEPOT en période de crise. ■ 5 POLITIQUE MILITAIRE François Hollande, chef de guerre inattendu Ces trois dernières années, le président a engagé l’armée française dans des opérations extérieures très exigeantes. Avec succès. Et cette réussite, il la doit en grande partie à un homme, Jean-Yves Le Drian. S i l’on devait retenir une seule image symbolisant la réussite de François Hollande dans le domaine de la défense, c’est bien son incroyable bain de foule dans les rues de Tombouctou, une des villes maliennes libérées par l’armée française en février 2013 face à des islamistes radicaux tout près de dicter leur loi à l’État malien alors en perdition. Car, incontestablement, François Hollande, depuis son arrivée à l’Élysée, s’est mué en chef de guerre implacable en lançant l’armée française, alors à bout de nerfs, dans des opérations extérieures très exigeantes. Avec succès, que ce soit au Mali (opérations Serval, puis Barkhane), en Centrafrique (Sangaris) ou en Irak (Chammal) et maintenant en Syrie, où il a annoncé de prochaines frappes contre Daesh. Cette réussite, il la doit en grande partie à un homme, Jean-Yves Le Drian, « le meilleur ministre de la Défense depuis très, très longtemps », résume un PDG d’une entreprise de défense. « C’est un ministre qui a des qualités humaines, d’écoute et d’empathie hors norme, explique le PDG de Thales, Patrice Caine. Du coup, ses interlocuteurs l’écoutent et surtout croient ce qu’il promet. » Grâce à ces qualités 6 « il a réussi à mobiliser de façon exceptionnelle “l’équipe de France de défense” sur le budget, la coopération industrielle et l’exportation », précise le PDG de MBDA, Antoine Bouvier. Bien sûr, tout n’a pas été parfait. Loin de là, notamment dans la préparation de la loi de programmation militaire 2014-2019. François Hollande a été tenté, sous la pression de la conjoncture, de faire des économies à bon compte sur le dos de la défense, sur les conseils de Bercy, parfois poussé par Matignon. Mais finalement, la ténacité de Jean-Yves Le Drian a eu raison de ces économies de court terme exigées par le ministère de l’Économie. À la veille du 14 juillet 2013, François Hollande a d’ailleurs tranché et rassuré l’armée, très inquiète sur les coupes budgétaires brutales qui lui étaient plus ou moins promises. Ce soir-là, dans la forteresse retranchée de JeanYves Le Drian, le président déclarait dans les jardins de l’hôtel de Brienne que « les crédits de la défense seront, à la différence de ceux de la plupart des ministères, préservés dans leur intégrité. C’est un effort que la nation fait, non pas pour les armées, mais pour sa propre sécurité ». Il mettait ainsi fin à une guerre en coulisse très brutale entre Bercy et Brienne. Cette déclaration de François Hollande allait s’avérer malheureusement très visionnaire. Quelques mois plus tard, l’attentat de Charlie-Hebdo et les menaces de plus en plus proches des Français réveillaient définitivement les consciences. Et la France se rappelait l’importance des armées pour sa sécurité… D’où la réactualisation de la loi de programmation militaire (LPM), augmentée en mai dernier de 3,8 milliards d’euros et débarrassée de ces encombrantes recettes exceptionnelles transformées en crédits budgétaires (5,2 milliards). « Jean-Yves le Drian a renforcé la communauté de défense, estime Antoine Bouvier. Il a une vraie compréhension des enjeux industriels. » « ILS MOUILLENT LEUR CHEMISE À L’EXPORTATION » Qu’ils soient de droite ou de gauche, les industriels ne tarissent pas d’éloges sur l’action et le bilan de Jean-Yves Le Drian. Et notamment dans un domaine bien particulier, l’exportation, où le tandem HollandeLe Drian a réussi à exporter déjà deux fois le Rafale (Égypte et Qatar)… en attendant les Émirats Arabes Unis et l’Inde. « Ils “font le job”, ils mouillent leur chemise à l’exportation. Ils nous aident beaucoup. Ce sont de vrais professionnels », souligne le PDG de Safran, Philippe Petitcolin. D’autant que « chacun reste à sa place », précise-t-il. « Je n’ai jamais vu le ministre négocier un prix », assure Patrice Caine. « Il a noué des liens personnels avec les principaux pays partenaires de la France », précise Antoine Bouvier. Et ça marche. « Après 4,7 milliards d’euros de prises de commande à l’exportation en 2012, puis 6,9 milliards en 2013 et enfin 8,2 milliards en 2014, nous pourrions dépasser les 15 milliards en 2015 », explique le ministère de la Défense. Ce qui devrait être un record très difficile, voire impossible, à battre à l’avenir. Enfin, Jean-Yves Le Drian a également influencé la consolidation de l’industrie de l’armement française. Il a toutefois à son palmarès le rapprochement entre Nexter et l’allemand Krauss-Maffei Wegmann dans l’armement terrestre, un vieux serpent de mer du secteur. Il soutient le projet Fincantieri-DCNS dans les bâtiments de surface. Mais il lui manque encore une opération d’envergure structurante, comme une fusion EADS-BAE Systems. Un objectif aujourd’hui compliqué… ■ MICHEL CABIROL I 9 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR SOUTIEN À L’INNOVATION Dans les prochains mois, pas moins de trois lois (Lemaire, Macron II, Valter) devront favoriser l’essor de l’économie numérique tout en protégeant les consommateurs, les salariés, et garantir les droits et libertés de chacun. Le président saura-t-il se montrer à la hauteur des enjeux ? Dans l’économie numérique, l’accélération, c’est maintenant ! « C ’ est une activité considérable, qui est encore mal organisée. On voit bien qu’il y a quelque chose à susciter. » Lors de son interview télévisée du 14 juillet, François Hollande a fait du numérique l’une des priorités de sa fin de mandat. Ce n’est pas trop tôt, serait-on tenté de dire. Car le dossier relatif au service UberPop (interdit par la loi Thévenoud) l’a rappelé avec force : faute d’anticiper, le personnel politique subit plus qu’il n’accompagne ce mouvement de transformation de l’économie et de la société. Alors que la transition numérique de la France s’accélère depuis 2012, le gouvernement a attendu le mois de juin dernier pour révéler les contours de sa « stratégie numérique », pilier des lois Lemaire et Macron II à venir. « Hollande a compris la nécessité de lever les freins à l’innovation et de développer cette nouvelle économie, se réjouit Olivier Mathiot, PDG de Price Minister et coprésident du groupe de réflexion et de pression France Digitale. Mais cela arrive trop tard et la vitesse d’exécution semble trop lente, inadaptée à l’ampleur des enjeux », regrette-til (lire aussi le point de vue de Jean-David Chamboredon en page 28). UNE MAUVAISE IMAGE MAIS UN BILAN NON NÉGLIGEABLE Cette opinion est largement partagée dans l’écosystème numérique français. Faute d’avoir défini une vision globale dès son élection, François Hollande donne l’impression de rater le train de la transformation numérique. La panique autour de la taxe à 75 %, la révolte des « Pigeons » et l’instabi- lité fiscale n’ont clairement pas aidé… Pourtant, le bilan de l’hôte de l’Élysée est loin d’être négligeable. En février 2013, le gouvernement a engagé 20 milliards d’euros dans le Plan France très haut débit (PFTHD), qui vise à généraliser la fibre optique sur tout le territoire d’ici à 2022. Après un bras de fer de plusieurs mois, l’exécutif a également obtenu des quatre opérateurs télécoms qu’ils couvrent en 2G et en 3G les 160 communes et les 2 200 bourgs où le mobile ne passe pas, d’ici à la mi-2017. Cet effort dans les réseaux s’accompagne de moyens inédits pour stimuler l’innovation. Même des ténors du Medef le reconnaissent : jamais la France n’a autant soutenu l’entrepreneuriat. D’ennemi de la finance, Hollande est devenu l’ami des startups… Le président a même effectué, début 2014, un pèlerinage dans la Silicon Valley pour inciter les Américains à investir dans les pépites françaises. La mission French Tech, créée en 2013 pour promouvoir les réussites bleu-blanc-rouge comme Blablacar, stimule l’entrepreneuriat dans les 17 villes qui bénéficient de son label. Côté financement, même si la France manque encore de business angels et de fonds d’investissement prêts à investir des gros tickets (au moins 10 millions d’euros), les organismes publics jouent leur rôle, notamment BPIFrance, créée en 2013, qui prévoit d’investir environ 8 milliards d’euros d’ici à la fin du quinquennat. Mais l’essentiel reste encore à faire pour François Hollande : mettre en place un cadre législatif adéquat pour permettre à l’innovation de créer de la valeur, tout en protégeant les citoyens. Pendant deux ans, Hollande n’a cessé de promettre « une grande loi-cadre » chargée de dépoussiérer la législation en vigueur. À l’origine destiné à Axelle Lemaire, ce mastodonte sera finalement scindé en trois lois distinctes. innovons EnsEmblE Deuxième volet : la loi Valter, du nom de la nouvelle secrétaire d’État chargée de la Réforme de l’État. Engagé sous procédure d’urgence pour transposer une directive européenne, ce texte sera présenté le 6 octobre à l’Assemblée nationale et établira le principe de la gratuité par défaut de la plupart des documents administratifs en vue de favoriser leur réutilisation par les citoyens et les entreprises. « L’UNE DES MEILLEURES LÉGISLATIONS AU MONDE » ? Première étape : redéfinir les « grands principes » d’Internet. Soumise à consultation publique pendant un mois dès le 21 septembre, la loi Lemaire devra réactualiser la loi Informatique et libertés de 1978 pour renforcer la protection des données personnelles à l’heure des mégadonnées. Elle se chargera aussi de développer l’ouverture des données publiques (open data) ou encore de garantir à tous l’accès au numérique, notamment en établissant un droit à la connexion minimale pour les personnes en difficultés. Cette loi arrivera devant le Parlement en janvier 2016. AVEC Le ministre de l’Économie Emmanuel Macron et la secrétaire d’État chargée du numérique, Clotilde Valter, sont les deux principaux acteurs de la politique de soutien à l’économie numérique. © AFP PHOTO / ALAIN JOCARD Enfin, le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, entrera dans le dur dès le premier semestre 2016 avec sa loi Macron II sur les « nouvelles opportunités économiques ». Sa philosophie ? Libéraliser de nouveaux secteurs (transports, santé, écologie, logement, culture…) pour adapter l’économie à l’« ubérisation ». Définition du statut des travailleurs de l’économ ie col labor at ive, respec t de la concurrence par les géants du Net, régulation des jeux d’argent en ligne sont, entre autres, au programme. Un véritable champ de mines en perspective alors que le chantier du code du travail est ouvert. « Si ces lois sont adoptées sans être vidées de leur substance, si le Plan très haut débit est développé et amplifié et si le plan numérique à l’école se concrétise [1 milliard d’euros sur trois ans pour moderniser l’école, ndlr], alors Hollande aura doté la France d’un des meilleurs arsenaux législatifs au monde », estime Benoît Thieulin, le président du Conseil national du numérique (CNNum). La balle est dans le camp du président et de son gouvernement. ■ SYLVAIN ROLLAND ET Ça sent bon l’innovation chez Nactis Flavours. La société de Bondoufle (Essonne) a été qualifiée « entreprise innovante » par Bpifrance. Ce qui rend la société spécialisée dans l’industrie des arômes, colorants et ingrédients aromatiques éligible aux investissements des FCPI (Fonds communs de placement pour l’innovation), et à l’article 26 de la Loi de Modernisation de l’Économie visant à favoriser l’accès des PME aux marchés publics de haute technologie, de R&D et d’études technologiques. « Bpifrance nous accompagne depuis longtemps, notamment avec un prêt d’innovation de 500 000 euros » rappelle Hervé Lecesne, pdg de Nactis Flavours. L’entreprise va ouvrir un nouveau centre de recherche d’excellence à Bondoufle et compte s’adresser à nouveau à Bpifrance pour l’aider dans ce projet d’un montant global de 8 millions d’euros. « Nous sommes un peu le centre de R&D de nos clients en matière d’aromatisation. Grâce à nos laboratoires et nos partenariats avec des organismes comme AgroParistech à Massy ou l’INRA, nous mettons au point pour l’agro-alimentaire et la pharmacie de nouveaux goûts, de nouvelles notes aromatiques et des nouvelles formules » précise le pdg de Nactis. Exemples : un arôme tagada pour la cible jeune, très prescriptrice, ou un arôme caviar à forte concentration. Nactis met en avant sa maîtrise des technologies comme l’encapsulation, la distillation moléculaire, le fractionnement aromatique qui permet la fabrication d’isolats naturels ou encore la pyrolyse du bois. Le nouveau centre de recherche va permettre à Nactis de « reconstituer la plupart des produits de nos clients afin de mieux comprendre leurs besoins et leur apporter des recommandations de dosage » détaille Hervé Lecesne. Grâce à ce programme d’investissement ambitieux, la société de 250 collaborateurs, qui possède six sites de production et cinq filiales étrangères, devrait augmenter encore sa capacité à innover avec l’embauche d’un « technologue », un ingénieur agro-alimentaire spécialisé dans une technologie. Entrepreneurs, Bpifrance vous soutient en prêt et capital, contactez Bpifrance de votre région : bpifrance.fr Hervé Lecesne, pdg de Nactis Flavours ©Nactis Flavours UN ARÔME D’INNOVATION CHEZ NACTIS FLAVOURS 10 I L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR RÉFORMES La dernière chance du bilan européen de François Hollande Le président de la République n’a pas été très heureux jusqu’ici dans ses ambitions et sa stratégie européennes. Son initiative pour une zone euro plus intégrée – la première de son quinquennat – pourrait cependant sauver son bilan. PAR ROMARIC GODIN @RomaricGodin J « e veux réorienter la construction européenne. » Dans ses 60 « engagements pour la France », le candidat François Hollande promettait de modifier le cours de l’UE. De fait, lorsque François Hollande arrive au pouvoir, le 6 mai 2012, la zone euro est dans une piètre situation. La politique d’austérité aveugle imposée aux pays périphériques a plongé l’ensemble de l’union monétaire dans la récession. La logique à l’œuvre menace d’emporter l’euro. Durant la campagne, le candidat socialiste estime qu’il faut « rééquilibrer » les politiques menées : il propose donc de renégocier le pacte budgétaire, négocié et signé par Nicolas Sarkozy à la fin de 2011, et d’imposer un « pacte de croissance », nécessaire pour obtenir la ratification du Parlement français. Mais dès les premières semaines du quinquennat, cette stratégie fait long feu. Angela Merkel ne veut pas entendre parler de vraie relance. François Hollande tente alors un semblant de confrontation. Il rencontre le 29 juin 2012 à l’Élysée, les dirigeants sociaux-démocrates allemands. L’idée est de bloquer la ratification du pacte budgétaire par le Bundestag, afin de faire pression sur la chancelière. Mais le SPD négocie de son côté et ne veut pas s’aliéner sa future alliée, après les élections de septembre 2013, pour une hypothétique alliance française qui n’est guère populaire outre-Rhin. Le 30 juin au matin, le Bundestag ratifie le pacte budgétaire et François Hollande se retrouve isolé. Il change alors entièrement de stratégie et décide de reprendre celle menée par Nicolas Sarkozy depuis l’entrevue de Deauville avec Angela Merkel, en octobre 2010 : tenter d’amadouer Berlin en étant un de ses plus proches alliés au niveau européen. Lors du sommet européen du 30 juin 2012, François Hollande accepte donc de faire ratifier tel quel le « pacte budgétaire ». Des pressions, au besoin, seront exercées sur les parlementaires de la majorité pour obtenir leur vote. Pour masquer l’abandon de cet engagement de campagne, on décide d’un fantomatique « pacte de croissance » qui sera rapidement oublié. Plus tard, Paris sera un allié sûr de Berlin lors de la crise chypriote de mars-avril 2013 et dans la plupart des grands événements de la vie européenne, jusqu’à la crise grecque de 2015. Lors de la négociation du cadre budgétaire européen de 2014-2020, François Hollande Tous les samedis à 13h30 La chancelière Angela Merkel et le président François Hollande à Berlin, en août 2015, lors de l’une de leurs nombreuses rencontres. © REUTERS/AXEL SCHMIDT renonce à un autre de ses 60 engagements et accepte la baisse de ce budget. Avec cette politique, François Hollande a raté une occasion de « réorienter la construction européenne ». Là encore, il faut revenir, pour s’en convaincre, au sommet de juin 2012. Attaquées sur les marchés, l’Espagne et l’Italie tentent d’imposer à la chancelière allemande l’idée d’un « bouclier anti-spread », autrement dit d’un mécanisme permettant de protéger leurs dettes. Berlin refuse dans un premier temps pour ne pas « distordre le marché » et créer un « aléa moral » qui conduirait ces pays à réduire le rythme de leur consolidation budgétaire. Sollicité, François Hollande refuse de soutenir cette initiative, par crainte d’irriter la chancelière et de voir la France passer sur les marchés, pour un pays en difficulté. Mais Mario Monti et Mariano Rajoy menacent de claquer la porte du sommet. Angela Merkel cède. Deux semaines plus tard, le président de la BCE Mario Draghi annonce qu’il fera « tout ce qu’il faut » pour sauver l’euro. En septembre, l’annonce du programme OMT apaisera la crise. Le rôle joué par la France dans ce mouvement déterminant a été négligeable. CONVAINCRE BERLIN QUE LA FRANCE VEUT SE RÉFORMER Le rendez-vous de l’innovation sur Arte En partenariat avec FutureMag est le rendez-vous hebdomadaire bi-média à suivre sur tous les écrans pour explorer les inventions qui, demain, vont transformer nos vies. Au programme samedi 19 septembre : > La ville, reine du vélo ? > Des cosmétiques sur mesure À retrouver dès 14 heures sur latribune.fr et arte.tv/futuremag Que cherche alors François Hollande avec cette politique ? Principalement une tolérance sur sa trajectoire budgétaire. Son ambition de revenir à un déficit public de 3 % du PIB dès 2013 étant vouée à l’échec d’emblée, le gouvernement français n’a cessé de réclamer de nouveaux délais. Délais dans les faits impossibles à obtenir sans l’aval allemand. Paris a obtenu ces délais, mais, à chaque fois, il faut se montrer plus « convaincant ». Outre cette « absence » de la France au niveau de la politique européenne, François Hollande doit réaliser début 2014 un « tournant » réformateur incarné par « le pacte de responsabilité » et l’arrivée à Matignon de Manuel Valls. Il s’agit de convaincre Berlin de la volonté française de se réformer. Fin août 2014, le président de la République enfonce le clou en excluant de son gouvernement les membres les plus critiques envers l’Allemagne de son gouvernement, à commencer par le ministre de l’Économie Arnaud Montebourg, remplacé par un Emmanuel Macron qui est apprécié à Berlin. L’autre ambition de cette stratégie est de « faire bouger l’Allemagne » en douceur. L’idée est de convaincre Berlin de montrer plus de solidarité dans la zone euro en lui prouvant que la France se réforme et « fait des efforts ». Cette stratégie n’a pas réellement porté ses fruits jusqu’ici et relève plutôt du vœu pieu. La raison en est simple : pour le gouvernement allemand, la France ne fait pas assez de réformes. Et de fait, pour le moment, la France s’est montrée incapable de peser sur le débat européen. À la fin de l’été 2014, par exemple, Mario Draghi avait proposé dans son célèbre discours de Jackson Hole un plan alliant rachats d’actifs, réformes structurelles et relance budgétaire. L’occasion pouvait sembler belle pour Paris de peser sur un gouvernement allemand que la BCE souhaitait faire bouger. D’autant que le remaniement ministériel français pour complaire à Berlin a eu lieu quelques jours plus tard. Mais François Hollande a été incapable de jouer un rôle actif. L’Allemagne a envoyé une fin de non-recevoir à Mario Draghi sans que Paris ne bouge. Et désormais, l’efficacité du QE (« quantitative easing ») européen est clairement mise en question. LE PARI FRANÇAIS D’UNE « UNION DE TRANSFERTS » La politique européenne de François Hollande est donc d’abord une politique de communication a posteriori. Le gouvernement a tenté de faire croire qu’il fallait le créditer de la baisse de l’euro. Durant la crise grecque, il a essayé de faire croire qu’il avait « sauvé » la Grèce en la maintenant dans la zone euro contre Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des Finances, qui voulait le « Grexit temporaire ». Mais en fait, Paris a laissé la stratégie allemande de pression sur Alexis Tsipras se développer et s’est contenté de se caler sur la position d’Angela Merkel. Reste que l’Elysée semble désormais déterminer à agir. Pour la première fois depuis le début du quinquennat, la France semble prendre l’initiative d’une réforme de la zone euro, pour l’intégrer davantage. Cette initiative est portée par Emmanuel Macron, fort apprécié outre-Rhin, qui n’hésite pas à parler d’une « union de transferts » avec une Allemagne qui ne veut pas en entendre parler. Cette offensive est la dernière vraie occasion de sauver le bilan du chef de l’État. C’est l’acmé de sa stratégie : mettre sur la table la question de la solidarité européenne. Reste à connaître le contenu de ces propositions. S’il ne s’agit que de nommer un « ministre des Finances de la zone euro » chargé d’une surveillance encore plus stricte des budgets nationaux et armé d’un budget symbolique, le pari sera raté. S’il s’agit de construire une vraie stratégie européenne d’investissement et d’emploi fondée sur l’acceptation des transferts, il est possible que le locataire de l’Élysée demeure finalement dans les livres d’histoire pour sa politique européenne. ■ À CARQUEFOU Tempo & le Parc de Flore Deux résidences innovantes et durables signées Bouygues Immobilier Une labellisation « PassivHaus » garantissant des logements autonomes en énergie pour leur chauffage VOTRE APPARTEMENT AU NORD DE NANTES… ET 8 HECTARES DE VERDURE AUTOUR ! ● Au sein du nouvel éco-quartier de Carquefou ● De petits îlots de trois étages habillés de métal et de bois ● Des exigences de constructions et de matériaux durables ● Des orientations étudiées pour valoriser les apports en lumière, garantir une ventilation saine et un confort de température optimal toute l’année. 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Avec Anaplan, Frédéric Laluyaux se rêve en « Excel killer » S on combat est celui de David contre Goliath. Et il s’en amuse. À 45 ans, Frédéric Laluyaux aff iche l’énergie d’un jeune startuppeur certain d’avoir déniché une idée propre à tout chambouler. L’homme, au franc-parler et au débit mitraillette, est l’un des Frenchies les plus en vue de la Silicon Valley. Il faut dire qu’Anaplan, la société californienne qu’il dirige, spécialisée dans la planification stratégique des entreprises, affiche une croissance à en faire pâlir plus d’un. « On est en pleine explosion, on est passé de 20 à 500 employés en trois ans. La prochaine étape, c’est 5 000 », bombarde le « CEO », installé à San Francisco. Côté ventes, Anaplan, qui a levé 150 millions de dollars en trois ans, assure avoir le vent en poupe. Mais se refuse à dévoiler le moindre chiffre. Comme beaucoup de sociétés high-tech en croissance, Anaplan ne dégage pas de bénéfices. Frédéric Laluyaux évoque le géant Amazon, longtemps champion de la croissance sans rentabilité. Mais pour lui, pas question de faire de même. « On sait où on va », jure-t-il. Avant de brandir son « côté européen », qui le rendrait plus sensible que ses homologues américains à trouver sans (trop) traîner son équilibre financier. Son objectif ? Tailler des croupières à Excel. Ni plus ni moins. Dans un article récent, Business Insider a d’ailleurs qualifié Anaplan d’« Excel killer ». Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, pour mettre en place leurs plans stratégiques ou @pmaniere opérationnels (concernant, pêle-mêle, l’optimisation des ressources ou de la chaîne de production, la gestion des ressources humaines ou l’allocation des ressources financières), la grande majorité des grands groupes utilisent le célèbre tableur, en amont de logiciels spécialisés. Les plus connus émanent des mastodontes IBM, Oracle ou SAP, les principaux concurrents d’Anaplan. « Toute la planification des entreprises repose sur un outil de productivité personnel qui a été inventé il y a quarante ans [Excel a vu millions de dollars, c’est la somme le jour au début des qu’a levée Anaplan en trois ans. années 1980, ndlr]… C’est barbare ! » ironise Frédéric Laluyaux. Pour mettre à bas ce système, Anaplan a développé une solution maison. Comment fonctionne-t-elle ? « Vous prenez toutes les données transactionnelles, vous Frédéric Laluyaux les mettez dans un gros cube qui est dans le revendique cloud, illustre Frédéric Laluyaux. Et ce un côté alternatif cube, c’est en fait un moteur de calcul qui va et frondeur dont permettre à une entreprise de créer des il a fait son modèles pour optimiser les plans stratécarburant. giques qu’elle développe. » Ainsi, à tous les © MEGAN BAYLEY/ ORANGE PHOTOGRAPHY étages de l’entreprise, les données PAR PIERRE MANIÈRE 150 concernant les ventes, les ressources ou la production ne sont rentrées qu’une fois pour toutes dans une même base. Là où, auparavant, les collaborateurs faisaient remonter les informations au terme de longs et laborieux échanges de tableaux Excel. Résultat, ces mêmes données sont immédiatement utilisables par les décideurs pour leurs plans stratégiques. GAGNER EN AGILITÉ POUR BOOSTER LA COMPÉTITIVITÉ Pour le patron d’Anaplan, la solution permet ainsi de gagner en « agilité », véritable marotte des grands groupes ces dernières années pour booster leur compétitivité. Frédéric Laluyaux cite ainsi le géant américain Hewlett-Packard, qui utilise son produit pour optimiser le déploiement de « ses 30 0 00 commerciaux » à travers le monde. « Auparavant, tous les six mois, il leur fallait deux mois pour définir leurs quotas, leurs territoires de vente, leurs produits et leurs commissions, affirme-t-il. Pendant tout ce temps, les commerciaux ne savaient donc pas bien quelle était leur mission… Aujourd’hui, depuis qu’ils ont mis en place notre système, tout ce processus ne leur prend que quelques jours. » Ce qui permet, en clair, de gagner « des semaines de productivité », poursuit-il. Frédéric Laluyaux prend aussi l’exemple de grandes banques américaines intéressées par sa solution. « Elles ont un problème : une grande part de leurs revenus sont distribués sous forme de bonus à leurs collaborateurs. Mais ces bonus, il faut les définir, les calculer, les expliquer et les allouer… C’est un problème intéressant, car une fois que le pot d’or est rempli, son partage va perturber le fonctionnement des banques pendant des semaines. » D’après lui, il y a une influence forte sur le travail de nombreux collaborateurs, ainsi focalisés sur le montant qu’ils vont empocher… Ces prêches trouvent pour l’instant un écho favorable, puisqu’Anaplan a converti 325 clients à sa solution aux États-Unis et à l’international. Des gros industriels aux assureurs, en passant par les acteurs des télécoms, de la distribution ou certains géants du Net (dont la société ne souhaite pas dévoiler les noms)… A naplan cible tous les secteurs de l’économie. À son tableau de chasse, on retrouve des sociétés comme le spécialiste de la cybersécurité McAffee, l’assureur Axa, le commerçant en ligne Groupon, l’équipementier automobile Faurecia, le spécialiste de l’alimentation animale Sanders, le constructeur de voitures électriques Tesla Motors, ou encore le fabricant de produits d’hygiène et de soins KimberlyClark. En résumé, « nos clients sont à la fois ceux qui dérangent et ceux qui sont dérangés, les disrupteurs et les disruptés », sourit Frédéric Laluyaux. Pourquoi ? « Parce qu’aujourd’hui, tous ont le même besoin d’agilité. Les grosses boîtes, très lourdes et très rigides, ont besoin de fluidifier et de gagner en rapidité sur leurs dispositifs. Quant aux plus petites, elles ont besoin de solutions pour gérer leur hypercroissance. » LA CRAINTE DE SE FAIRE « UBERISER » Du côté des anciennes entreprises, il y a, juge le patron, « une combinaison magique de douleur et de crainte » très profitable à Anaplan. « La douleur, c’est le vieux problème lié à l’utilisation d’Excel. Mais cela ne suffit pas à susciter le changement. La preuve : cette douleur existe depuis vingt ans… Mais si vous ajoutez la crainte, alors le déclic se fait. » Cette « crainte » est à ses yeux évidente : « Celle de se faire uberiser. » Laquelle, dit-il, revient dans la bouche de nombreux grands patrons. Ainsi, Frédéric Laluyaux a fait de la disruption sa marque de fabrique, lui qui a monté sa première startup en 2003. Dans l’actuel bouillonnement numérique, il revendique finalement un côté alternatif et frondeur, dont il a fait son carburant. La manière dont il a rejoint Anaplan, en 2012, en témoigne. Promis à une belle carrière dans les logiciels, il a tout lâché, il y a trois ans, pour rejoindre « un ingénieur fou ». Son nom ? Michael Gould, un spécialiste des logiciels de planification, qui a claqué la porte d’IBM pour fonder Anaplan. UN NOM DANS LA SILICON VALLEY Peu connue dans l’Hexagone, la société s’est en revanche fait un nom dans la Silicon Valley. Dans cette pépinière riche en « perturbateurs » en tout genre (Airbnb ou Uber, pour ne citer qu’eux), Anaplan semble dans son bain. « J’ai passé pas mal de temps à observer les Mark Zuckerberg, Elon Musk [à la tête, entre autres, de SpaceX, et qui veut coloniser Mars, ndlr] et autres, dit-il, visiblement séduit. Ils inventent, ils ont des rêves étonnants. Ce sont des ingénieurs qui ne s’arrêtent jamais. » Et de sacrés exemples à suivre, dans un écosystème numérique aussi innovant que concurrentiel. n I 13 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR ENTRETIEN ADRIEN ROOSE, cofondateur de Take Eat Easy Take Eat Easy, un « Uber » de la livraison à vélo Take Eat Easy, entreprise bruxelloise spécialisée dans la distribution de repas à vélo, lève 10 millions d’euros peu après une première levée de 6 millions d’euros. Adrien Roose détaille ses plans pour imposer ses vélos gourmands dans les métropoles européennes. PROPOS RECUEILLIS PAR MARINA TORRE @Marina_To LA TRIBUNE – Quels arguments avez-vous présenté aux investisseurs ? ADRIEN ROOSE — Notre façon de faire est novatrice. Nous avons mis en place des algorithmes et des mécanismes d’automatisation des expéditions grâce aux smartphones et à la géolocalisation qui nous permettent d’augmenter les volumes. La livraison est une activité qui génère très peu de marges, il faut donc faire de très gros volumes pour être rentable. À cela s’ajoute notre positionnement marketing caractérisé par le choix de restaurants un peu à la mode qui se distinguent parce qu’ils font le « buzz ». Il se trouve que beaucoup d’entre eux se focalisent sur un seul produit, comme le « fish and chips », ou les burgers par exemple. Vous n’avez ni stock ni flotte en propre, ni même d’employés fixes. Sur quoi repose votre valeur ajoutée ? Nous avons tout de même des employés : nous sommes 70… et bientôt une centaine. Mais il est vrai que nous travaillons comme une interface, nous faisons de l’intermédiation technique entre les clients, les restaurateurs et les coursiers. Il faut reconnaître que nous sommes un peu un « Uber » de la livraison à domicile. C’est si flatteur d’être comparé à Uber ? Bien sûr, cela nous flatte. Uber n’a pas toujours été l’entreprise la plus droite dans ses bottes, mais il faut reconnaître qu’ils ont révolutionné la mobilité en ville. « La livraison génère peu de marges, il faut de gros volumes pour être rentable » Pourquoi avoir choisi le transport à vélo plutôt qu’un autre moyen de transport ? Pour des raisons opérationnelles et marketing. Au départ, nous avions fait appel à des sociétés de coursiers, qui travaillaient en voiture. Mais nous avions beaucoup de retards dans les livraisons à cause des embouteillages. Nous avons alors opté pour des amis qui ont créé une société de coursiers à vélo, et cela fonctionnait bien mieux. Comment s’opère la sélection ? Tout le monde peut s’inscrire en ligne et assister à une réunion pendant laquelle nous expliquons le principe. Après une formation, nous procédons à deux ou trois essais. Si c’est concluant, le coursier peut faire partie de l’équipe. Il gère son planning. Ses compétences sont évaluées par le client ou le restaurateur qui lui attribuent une note. En matière de sécurité, la formation inclut-elle des cours pour apprendre à rouler en ville ? Non. Les coursiers sont indépendants, le respect du code de la route relève de leur responsabilité. Mais nous leur rappelons les principes de base. Nous leur imposons de porter un casque, d’avoir des phares, des freins ; certains se présentant parfois sans freins ! Qui fournit ces équipements ? Ils sont à leur charge. Nous leur fournissons seulement des sacs à dos adaptés pour y placer les paniers de commandes. Nous fournissons également des porte-bagages avec des boîtes thermiques. [des prototypes de sacs adaptables à tous les vélos sont en cours de réalisation, ndlr] Qu’avez-vous prévu si l’un d’eux se retourne contre vous en cas d’accident ? Nous avons étudié cette question avec nos conseillers juridiques. Normalement, les coursiers ne pourraient pas se retourner contre nous, l’assurance est à leur charge et nous vérifions qu’ils en ont une. [l’entreprise prépare en outre une formule avec des assurances pour proposer des contrats aux coursiers, ndlr] Puisque vos coursiers vont être équipés de porte-bagages, comptez-vous étendre le service à d’autres livraisons ? Pas pour l’instant. Plus on se diversifie, plus il est difficile d’être le meilleur dans un domaine. Nous voulons être les meilleurs dans la livraison de repas préparés par des restaurateurs. Outre Bruxelles et Paris, nous voulons nous lancer à Berlin, Madrid et Londres. Comment être certain que vous y trouverez suffisamment de cyclistes susceptibles de devenir coursiers ? C’était l’une des questions que nous nous sommes posées. Avant de nous lancer, nous ne savions pas forcément qui pourrait être intéressé par le job. Il n’y a pas que des étudiants, on trouve aussi des gens au chômage ou des actifs, même des ingénieurs. À Paris, nos effectifs ont rapidement dépassé ceux des entreprises de coursiers plus classiques. Maintenant, nous rencontrons des problèmes de riches : nous avons parfois trop de coursiers. À Paris, il existe déjà des services de livraison à vélo ou en rollers dont le modèle repose aussi sur la géolocalisation et l’utilisation d’algorithmes. Qu’offrez-vous de plus par rapport à eux ? Des entreprises comme Tok Tok Tok n’ont pas du tout le même modèle économique. Dans leur cas, le coursier réalise l’achat à votre place, il doit faire la queue dans les restaurants. Cette startup a communiqué autour des rollers, mais ils font aussi appel à des scooters. Or, cela introduit une compétition entre les coursiers, puisque ceux qui sont à vélo ou en rollers ne se battent pas à armes égales sur les Les fondateurs de Take Eat Easy. De gauche à droite : Adrien Roose, Karim Slaoui, Chloé Roose, Jean-Christophe Libbrecht. © TIM DIRVEN longues distances. Les frais pour les clients sont assez élevés, tandis que nous faisons payer 3,50 euros pour chaque livraison. [Chaque coursier est rémunéré 7,50 euros par course, ndlr] Des restaurateurs refusent les sollicitations de plus en plus nombreuses des services de livraison tels que les vôtres, car ils disent ne pas pouvoir absorber les flux de demandes sans altérer la qualité de leur offre. Que leur répondez-vous ? Nous sélectionnons dès le départ des restaurants qui fonctionnent bien. Beaucoup d’entre eux nous tiennent ce discours. Il faut les rassurer. Des paramètres de notre plateforme permettent de configurer à quelle fréquence ils souhaitent faire livrer des plats, car il y a parfois beaucoup de commandes au même moment, justement quand les restaurants sont pleins. ■ LES TABLES D’HÔTES DANS LE COLLIMATEUR DES RESTAURATEURS A près les logements chez l’habitant, rendus populaires par des sites tels qu’Airbnb, c’est au tour des tables d’hôtes, à l’exemple de VizEat, plateforme comptant un millier d’hôtes et plus de 10 000 invités, d’être accusées de violer les règles de la concurrence. Le Synhorcat, syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs, est monté au créneau contre ce marché en essor, à l’issue d’une rencontre avec la nouvelle secrétaire d’État chargée du Commerce et de la Consommation, Martine Pinville. Selon le syndicat, ces « restaurants clandestins », qui proposent aux voyageurs de se faire « inviter » à déjeuner ou dîner chez un habitant local, seraient désormais plus de 3 000 en France. Mais ils pourraient atteindre 20 000 « dans trois à cinq ans » si ce modèle suit le développement d’Airbnb et si ses pratiques ne sont pas encadrées, souligne le président du Synhorcat, Didier Chenet. Ces initiatives sont déloyales aux yeux des restaurateurs. « Nous vivons dans un monde où les acteurs de l’économie traditionnelle de l’hôtellerie et de la restauration se voient imposer toujours plus de réglementations au nom de l’intérêt et de la protection du consommateur, alors que, pendant ce temps, les plateformes de l’économie collaborative nous concurrencent en s’affranchissant de la loi », dénonce le Synhorcat. « Pour un repas comprenant une entrée, un plat, un dessert, des alcools servis sur fond de musique, on trouve des offres à 80 euros sur des plateformes numériques. Nous ne sommes plus là dans un modèle de participation aux frais, mais bien dans un commerce qui s’affranchit des questions de santé publique et de toute fiscalité et réglementation », souligne Didier Chenet. Sur ce fondement, le syndicat demande à Martine Pinville un meilleur encadrement de ces offres afin d’aboutir à une réglementation équitable. Le syndicat réclame notamment « une déclaration systématique et obligatoire à l’administration ainsi qu’aux services fiscaux » de ces activités, ainsi que le « respect des règles existantes, notamment l’obligation de disposer d’une licence pour pouvoir vendre de l’alcool ». ■ M. T. 14 I LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR LE TOUR DU MONDE DE Du boomerang pour explorer Mars à la lampe qui fonctionne à l’eau salée 5 Chaque semaine, La Tribune vous propose de partir à la découverte des petites et grandes innovations qui annoncent l’avenir. 1 PRAGUE – République tchèque Un stylo qui dessine en 3D, soude, découpe et pyrograve Utile. Les architectes et designers en rêvaient, la startup tchèque 3Dsimo l’a fait. L’entreprise a conçu un stylo capable de dessiner dans l’espace des formes en plastique, de souder des composants électroniques ou de la joaillerie, de découper du plastique ou de la mousse et de pyrograver du bois. Alimenté par micro-USB ou par une batterie optionnelle, l’objet peut se connecter à un smartphone par Bluetooth pour régler précisément la température de la tête et la vitesse d’exécution. Grâce à une campagne Kickstarter réussie, ce stylo révolutionnaire est disponible en précommande pour 71 euros, pour une livraison prévue en mars 2016. WASHINGTON – États-Unis Un boomerang high-tech pour explorer Mars dans cinq ans 2 © NASA Espace. L’agence spatiale américaine travaille actuellement sur un petit drone en forme de boomerang, qui pourrait devenir le premier objet construit par l’homme à survoler la planète Mars. Baptisé Prandtl, ce « boomerang high-tech » mesure à peine 60 centimètres, pèse environ 2 kg et se compose de fibres de verre et de carbone. Les chercheurs estiment qu’il sera prêt dans cinq ans. Sa mission sera de récupérer des données sur la planète rouge au cours d’un périple de 32 kilomètres, avant de se poser pour continuer à enregistrer. Mais avant cela, il effectuera dès la fin de l’année plusieurs simulations dans l’espace afin de tester ses capacités. 3 5 BARQUISIMETO – Venezuela Cecosesola, la plus grande entreprise publique autogérée Société. Mille trois cents salariés, pas de patron, aucune hiérarchie, et une ville entière qui dépend de ses services. Bienvenue à Cecosesola, un groupement de coopératives qui gère, dans la ville de Barquisimeto (1 million d’habitants), des supermarchés, un hôpital, des productions agricoles, ou encore des services d’épargne. L’entreprise fonctionne en totale autogestion. Chaque activité (service funéraire, cantine, magasin…) organise une grande réunion le lundi après-midi, qui sert à fixer des principes et discuter de ce qui fonctionne et ce qui doit être amélioré. Grâce à ces critères, n’importe quelle décision prise au jour le jour par un travailleur est consensuelle, car en accord avec les principes décidés par tous. Responsabilisés, les salariés s’impliquent d’autant plus qu’ils sont en perpétuelle formation, car ils changent de poste tous les dix-huit mois, ce qui fait que chacun peut occuper tous les postes dans son domaine. Un des rares exemples au monde de modèle autogestionnaire qui fonctionne. 3 1 4 Un vaccin contre l’allergie aux acariens Santé. Invisibles à l’œil nu mais vivant pendant six mois dans nos matelas, les acariens gâchent la vie de plusieurs millions de personnes dans le monde. À Antony, une équipe de chercheurs travaille sur un vaccin innovant capable de détruire complètement la réaction allergène. Dans des armoires climatisées, les scientifiques « élèvent » eux-mêmes des millions d’acariens et les nourrissent avec des germes de blé, des levures et des vitamines. Au bout de trois mois, ils les réduisent en poudre et en extraient les allergènes qu’ils incorporent à leur vaccin. Ce traitement est ensuite administré sous forme de comprimé. Un mode de traitement plus agréable pour le patient qu’une désensibilisation, mais aussi plus efficace, car les cellules immunes présentes dans la bouche réorientent directement le système immunitaire. Le traitement dure trois ans et se solde par une désensibilisation totale. La mise sur le marché est prévue pour 2016 ou 2017. 2 ÉDIMBOURG – Royaume-Uni PLUS D'ACTUALITÉS ET D'INFOGRAPHIES SUR LATRIBUNE.fr © PSDESIGN1 - FOTOLIA Empêcher la glace de fondre trop vite, c’est possible ! Sciences. Les glaces à la vanille de demain résisterontelles à un soleil de plomb tout en étant meilleures pour la santé ? C’est la promesse d’une équipe de scientifiques des universités d’Édimbourg et de Dundee. Les chercheurs ont découvert que l’utilisation d’une protéine naturelle, Bs1A, permet non seulement de résister plus longtemps à la fusion (le passage de l’état solide à l’état liquide), mais elle peut aussi remplacer certaines molécules de graisse, actuellement utilisées pour stabiliser les mélanges servant à fabriquer la glace. L’équipe a développé une méthode pour produire cette fameuse protéine, laquelle sera au point d’ici trois à cinq ans. ANTONY – France 4 I 15 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR L’INNOVATION 6 DÉSERT – Namibie Découverte d’une nappe phréatique géante sous le désert 5 MANILLE – Philippines Une lampe qui carbure à l’eau salée COCHIN – Inde Le premier aéroport alimenté par l’énergie solaire Système D. Alors qu’un milliard de personnes dans le monde n’a toujours pas accès à l’électricité, une ingénieure philippine, Lipa Aisa Mijena, a inventé une lampe révolutionnaire. SALt (pour Sustainable Alternative Lighting) n’a besoin que d’un verre d’eau et de deux cuillerées de sel, ou tout simplement d’un verre d’eau de mer, pour éclairer pendant huit heures d’affilée. Équipée d’un port USB, elle peut même recharger des smartphones et des objets connectés. Elle fonctionne avec une pile galvanique qui carbure à l’eau et au sel, et deux électrodes. Lorsque les électrodes entrent en contact avec la pile « nourrie » d’eau salée, l’énergie générée met en marche une lumière LED. Selon la créatrice, la batterie fonctionne six mois. Toujours en développement, SALt devrait être commercialisé en 2016. Énergie. Et si les aéroports, grands consommateurs d’énergie, devenaient écolo-compatibles ? La ville de Cochin, située dans l’État du Kerala, accueille désormais le premier aéroport international fonctionnant totalement à l’énergie solaire. L’entreprise a installé 46 150 panneaux solaires sur 45 hectares. De quoi économiser 300 000 tonnes de CO2 lors des vingt-cinq prochaines années, ce qui revient à planter 3 millions d’arbres. Le surplus énergétique produit par les panneaux solaires sera vendu à la compagnie locale d’électricité. © SALT © MARZIAFRA - FOTOLIA Ressources. En Namibie, pays le plus aride d’Afrique subsaharienne (seulement 370 mm de pluie par an !), l’accès à l’eau est un problème quotidien. Moins d’1 % des terres sont arables et la majeure partie des minces réserves d’eau est utilisée pour l’agriculture. Mais des scientifiques ont récemment découvert que, sous l’immense étendue de désert du nord du pays, e cache… une nappe phréatique. Enfouie à 300 m sous terre, elle aurait 10 000 ans. De nouvelles recherches ont révélé cet été que son eau est non seulement potable, mais de très bonne qualité et qu’elle pourrait subvenir aux besoins de 800 000 personnes pendant plusieurs siècles ! Le gouvernement a affirmé qu’il souhaitait exploiter l’eau d’Ohangwena (le nom de la nappe) dans un futur proche. 8 9 10 10 7 8 TOKYO – Japon Des chaussures qui épousent parfaitement la forme des pieds Habillement. Marre des ampoules et des douleurs liées à des souliers pas parfaitement ajustés ? Le designer japonais Masaya Hashimoto a créé pour la marque italienne Vibram les premières chaussures qui épousent parfaitement la forme du pied. Baptisées Furoshiki Shoes, elles s’enfilent à la manière d’un gant, enveloppant chaque orteil comme une seconde peau. Une performance possible grâce à une technique d’emballage japonaise ancestrale, le furoshiki. Composées à 72 % de polyamide et à 28 % d’élasthanne, ces chaussures modulables s’attachent sans lacets mais avec une bande de Velcro, et s’achètent sur la boutique en ligne de Vibram Japan pour 140 dollars. 9 7 © DR 6 TEL AVIV – Israël Flux, l’objet connecté des amateurs d’hydroponie SÉLECTION RÉALISÉE PAR SYLVAIN ROLLAND © FLUX Agriculture. L’hydroponie, c’est-à-dire la culture bio des plantes hors du sol, dans des bacs remplis d’eau et d’engrais naturels, est une pratique de plus en plus populaire chez les particuliers. Mais peu connaissent les besoins précis de leurs cultures. La startup Flux a donc mis au point un appareil qui se place dans l’eau, l’analyse et transmet les données à l’utilisateur avec des conseils précis sur ce qu’il doit ajuster ou contrôler pour répondre aux besoins de la plante. Les informations portent notamment sur les nutriments, le calcul du pH, l’intensité de la lumière. L’objet permettrait d’augmenter les ressources de 30 %. @SylvRolland 16 I MÉTROPOLES LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR ENTRETIEN JEAN-LUC MOUDENC, maire de Toulouse et président de l’Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) « Sur le climat, je suis optimiste car la prise de conscience est générale » PROPOS RECUEILLIS PAR SOPHIE ARUTUNIAN © DR À quelques semaines de la COP21, l’Association des maires des grandes villes de France organise, le 23 septembre, une journée de conférences sur le thème de la transition énergétique. Pour le maire de Toulouse, la mise en place des politiques de lutte contre le réchauffement climatique se heurte à des impératifs économiques. LA TRIBUNE — L’AMGVF que vous présidez organise la 15e édition de la Conférence des villes, sur le thème de la transition énergétique. Quelles annonces prévoyez-vous ? Selon un sondage Odoxa pour iTélé, à la question de savoir s’ils « se sentent concernés par la COP21 », 52 % des sondés disent ignorer de quoi il s’agit. Qu’est-ce que cela vous inspire ? JEAN-LUC MOUDENC – Il n’y aura pas d’annonce. Cette journée est une journée de réflexion et d’échanges avec des experts, des élus, des représentants du gouvernement et des entrepreneurs. Cela ne m’étonne pas du tout. Le nom de COP21 est un mauvais nom, que seuls les experts et les spécialistes comprennent. C’est une erreur de communication et ce n’est pas pédagogique. C’est tout le problème avec les questions d’environnement : il ne faut pas en faire des problématiques technocratiques. Quels sont les risques du réchauffement climatique pour les habitants des villes ? Ce sont principalement des risques pour la santé, avec la multiplication des maladies cardiovasculaires, de l’asthme, des allergies. Ce sont les plus fragiles, les enfants notamment, qui sont les plus exposés à cela, même si nous n’avons pas de chiffres précis. Vous avez à Toulouse un plan de réduction des gaz à effet de serre qui court de 2005 à 2020. Quel est le bilan en 2015 ? La loi sur la transition énergétique prévoit qu’en 2020 les constructions devront toutes être à énergie positive. Est-ce un défi réaliste ? Il y a trois défis à relever pour les maires et présidents de métropoles. Le premier est de travailler sur le patrimoine ancien (1,5 million m2 à Toulouse) pour le réorienter, énergétiquement parlant, vers quelque chose de plus économe et écologique. C’est, me semblet-il, le défi le plus difficile à relever. Il va falloir mettre en place des plans volontaristes sur le long terme. Ensuite, il y a le bâti neuf : construire des bâtiments à énergie positive ne me semble pas être le plus difficile. Enfin, il y a un effort à faire en direction des ménages, pour qu’ils rénovent leurs logements, installent des compteurs électriques intelligents. « La COP21 va nous obliger à améliorer nos façons de faire » Comment les maires vont-ils financer ces actions ? Tout cela est évidemment soumis à des aléas financiers. Les budgets sont difficiles à trouver et devront faire l’objet d’arbitrages. À Toulouse par exemple, quels arbitrages allez-vous faire ? Je souhaite imprimer une volonté. On ne pourra pas tout faire en un coup de baguette magique. Je pense néanmoins que le plus facile à mettre en place sera la construction de bâtiments à énergie positive. En ce qui concerne l’ancien, la ligne « entretien » du budget annuel pourrait servir à transformer le modèle énergétique de notre patrimoine. Oui, si le gouvernement a des crédits à débloquer pour cela… Quel est le budget de Toulouse consacré à la lutte contre le réchauffement climatique ? Nous avons à Toulouse un budget de 1,5 milliard d’euros d’investissements jusqu’en 2020. Deux cent cinquante millions sont fléchés développement durable (transports et habitat, principalement). La future troisième ligne de métro, si elle se fait, pourra rentrer dans ce budget, car les 200 000 utilisateurs potentiels laisseront leur voiture pour l’utiliser. Le métro est le transport en commun le plus performant. Les transports en commun sont-ils toujours prioritaires ? Depuis quinze ans, les transports en commun dans les agglomérations ont clairement bénéficié d’une priorisation des crédits. Trois quarts des investissements en matière de mobilité vont aux transports en commun et aux modes doux. Mais la démographie continue d’augmenter et les besoins en déplacements croissent. Il y a encore une nécessité de développer les infrastructures, et les moyens dont nous avons disposé depuis trente ans s’épuisent. Comment vous déplacez-vous ? Quand je suis en voiture, je propose à mes collègues de faire du covoiturage pour ne pas être seul dans le véhicule. Je suis un grand adepte du métro et parfois du bus. Tout dépend du temps dont je dispose. Avec la loi NOTRe, les Régions seront chargées de la planification des actions climat et les intercommunalités devront les mettre en œuvre. Comment cela va-t-il s’articuler concrètement ? La loi NOTRe, en date du 7 août, indique en effet que les intercommunalités seront les seules responsables pour mettre en place le « plan énergie territorial ». Il va falloir préciser l’articulation des deux démarches et voir comment les objectifs régionaux seront traduits par les intercommunalités. Nous devrons dialoguer et je suis assez optimiste car la prise de conscience est générale. La COP21 va nous obliger à progresser et à améliorer nos façons de faire. La COP21 peut-elle être un échec ? À chaque fois qu’il y a un grand événement avec autant d’attente, il y a la crainte d’un échec, ce qui est normal au regard de l’échec du sommet de Copenhague en 2009. Néanmoins, je pense que la prise de conscience sur la préservation de l’environnement progresse dans tous les pays, même ceux qui étaient hermétiques à ce genre de préoccupations auparavant. Il y a de l’espoir. Êtes-vous favorable à la gratuité des transports pendant la COP21 (comme l’a demandé Anne Hidalgo), financée par le gouvernement ? Je n’ai pas de bilan chiffré. Mais je relève que ce plan est consensuel et propose une vision à long terme. Aucune alternance politique n’a enrayé la machine et c’est bien d’avoir pu se mettre d’accord, au-delà des divergences politiques, sur les objectifs : - 20 % de gaz à effet de serre, + 20 % d’efficacité énergétique et porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale. Paris, Strasbourg, Bordeaux et Lyon ainsi que des villes européennes (Rome, Bruxelles, Athènes, Madrid, Lisbonne) vont lancer des appels d’offres en commun pour l’achat de fournitures à faible teneur en carbone. Toulouse pourrait y participer ? J’y serais très favorable. Nous le faisons déjà avec Tisséo [syndicat mixte des transports en commun de Toulouse, ndlr] lors d’appels d’offres pour des bus ou des rames de métro. Nous nous associons avec des villes qui ont le même système de type « val » que nous [totalement automatique, ndlr] : Lille ou Rennes. Cela nous permet de faire des économies et il serait intéressant de le mettre en place dans d’autres domaines. Pour acheter de l’électricité verte par exemple ? Il faut voir si cela est possible techniquement. Qu’est ce qui est le plus efficace pour lutter contre le réchauffement climatique : les pouvoirs publics ou les initiatives citoyennes et alternatives (covoiturage, circuits courts…) ? Les deux sont indispensables. Les pouvoirs publics doivent donner l’exemple et provoquer un effet d’entraînement. Il est très sain qu’un mouvement citoyen s’approprie ces enjeux-là. ■ MÉTAMORPHOSES URBAINES 23 septem bre 2015 Hôtel de v de Parisille Les villes à l’heure post-carbone 8 heures - Accueil des participants, 9 heures - Ouverture de la 15e Conférence des villes Anne Hidalgo, maire de Paris Jean-Luc Moudenc, président de l’Association des Maires de grandes villes de France, maire de Toulouse, président de Toulouse Métropole, Jean-Paul Delevoye, président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) Introduction par Gilles Berhault, président du Comité 21, « Vous avez dit métamorphoses ? » 9 h 45 10 h 25 Lutter contre le dérèglement climatique : des compétences à revisiter ? André Rossinot, secrétaire général de l’AMGVF, président de la CU du Grand Nancy Sylvain Boucher, délégué France de Veolia Francis Chouat, maire d’Évry, président de la CA Évry Centre-Essonne Olivier Dussopt, député-maire d’Annonay, rapporteur du texte NOTRe Laurence Lemouzy, directrice scientifique de la Gouvernance territoriale et de la Décentralisation Philippe Rapeneau, président de la CU d’Arras Un président de région 11 h 10 11 h 50 Mobilité : quels modes alternatifs à la voiture solo ? Santé : rendre les villes (plus) respirables ? Le partage au cœur de la ville de demain ? Élisabeth Borne, présidente-directrice générale de la RATP Jean-Claude Boulard, sénateur-maire du Mans, président de Le Mans Métropole Dominique Gros, maire de Metz Christophe de Maistre, président de Siemens France Claude Risac, directeur des relations extérieures du Groupe Casino Delphine Smagghe, vice-présidente de McDonald’s France, chargée du développement durable et des relations extérieures José Cambou, secrétaire nationale de France Nature Environnement Corinne Lepage, ancienne ministre Eric Piolle, maire de Grenoble Philippe Wahl, président du Groupe La Poste Emmanuel Rivière, directeur adjoint ATMO Alsace, membre d’ATMO France Patrice Bessac, maire de Montreuil Jean-Louis Chaussade, directeur général de Suez Environnement Jean-Louis Fousseret, vice-président de l’AMGVF, maire de Besançon, président de la CA du Grand Besançon Sandra Lagumina, directrice générale de GrDF Philippe Monloubou, président d’ErDF Jean Rottner, maire de Mulhouse Un acteur de l’économie du partage 12 h 30 - Intervention de François Baroin, président de l’AMF, sénateur-maire de Troyes 14 h 00 15 h 45 En route pour de nouveaux modèles énergétiques ? Réchauffement climatique : demain, des millions de réfugiés ? Efficacité énergétique : de la rénovation aux éco-quartiers ? « Si on ne concluait pas, si aucune mesure substantielle n’était prise, ce ne serait pas des centaines de milliers de réfugiés dans les vingt-trente prochaines années que nous aurions à traiter mais des millions », a prévenu le président de la République en cas d’échec de la Conférence de Paris sur le climat. À la lumière des travaux déjà nombreux sur ce risque réel et des premières leçons du drame des réfugiés, des chercheurs, des spécialistes et des maires s’interrogent sur l’ampleur des moyens nécessaires pour faire face à un afflux sans équivalent. Ils lancent un vibrant appel pour que la COP21 traite des mesures à adopter pour atténuer les dégâts des catastrophes sociales Marc Abadie, directeur du réseau et des territoires au sein de la Caisse des Dépôts Pierre-André de Chalendar, présidentdirecteur général de Saint-Gobain Emmanuel Couet, président de Rennes Métropole Laurent Hénart, maire de Nancy Bruno Léchevin, président de l’Ademe Pascal Minault, directeur général de Bouygues Entreprises France Europe Luc Rémont, président de Schneider Electric France Intervention d’Alain Juppé, maire de Bordeaux Vers des micro-unités de production locale ? Olivier Biancarelli, directeur projet métier « Solutions décentralisées pour villes et territoires » d’Engie Pascal Durand, député européen Jean-Noel Guillot, directeur de la direction des projets territoriaux d’EDF Chantal Jouanno, sénatrice de Paris Jean-Patrick Masson, président du Cercle national de recyclage (CNR), délégué à l’écologie urbaine de la mairie de Dijon, vice-président du Grand Dijon chargé de l’environnement Jean-Louis Fousseret, 1er vice-président de l’AMGVF, maire de Besançon, président du Grand Besançon François Gemenne, chercheur en sciences politiques, spécialiste des migrations Dominique Gros, maire de Metz Bassma Kodmani, politologue, spécialiste de la Syrie Jean-Luc Moudenc, président de l’AMGVF, maire de Toulouse, président de Toulouse Métropole Gaël Perdriau, maire de Saint-Étienne 16 h 25 Retour sur séquences avec Gilles Berhault, président du Comité 21, qui tirera les conclusions des débats qui se sont déroulés tout au long de la journée 16 h 30 En partenariat avec actuelles et futures, limiter la vulnérabilité des populations de plus en plus exposées, résultat de déséquilibres économiques et écologiques. Clôture de la 15e Conférence des Villes 18 I MÉTROPOLES LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR VERS LA « VILLE FACILE » Dopée par son écosystème numérique, la ville intelligente à la nantaise se met en marche et dessine une autre façon d’appréhender la métropole, par et pour ses habitants. Nantes passe en mode numérique L « a smart city, PAR c’est un chan- FRÉDÉRIC g e m e n t d e THUAL À NANTES paradigme @FrdericThual qu’il faut s’approprier, être prêt à accepter, et qui implique des réflexes un peu différents… », explique Franck Trichet, adjoint à l’innovation et au numérique à la ville de Nantes et à la Métropole nantaise. Si, à l’exception de l’écosystème numérique, la notion de smart city reste encore un peu abstraite ou méconnue des Nantais, le chantier avance. Urbanisme, La mutation est en cours. Partie visible de éclairage public, l’iceberg, la version pilote de l’application assainissement, mobile multiservice « Nantes dans ma voiries, poche », lancée en mai dernier, préfigure ressources humaines… tous ce que pourra être la ville intelligente « à les services la nantaise ». sont mis à Une ville d’expérimentation, attractive, connectée, facile à vivre, solidaire, parta- contribution pour introduire gée… comme le détaille la feuille de route de l’innovation et élaborée par Nantes Métropole. L’organidu numérique sation d’ateliers prospectifs sur l’innovadans leur tion, ouverts aux équipes municipales et fonctionnement. aux usagers, a permis de mettre sur les © SERGIYN rails les 24 communes de l’agglomération. Certaines commencent à embarquer dans l’aventure de l’application « Nantes dans ma poche » en faisant remonter les données des cantines scolaires, les horaires de piscine, etc. « La méthode collaborative est une vraie spécificité nantaise qui suscite un grand intérêt aux yeux des autres villes engagées dans des démarches de smart city », remarque Alain Le Coz, directeur des grands projets régionaux en Bretagne et Pays de la Loire d’Orange, qui pilote agents de la structure la création de l’appli métropolitaine sont engagés nantaise téléchargée dans le processus de digitalisation près de 15 000 fois. La version 1 devrait être lancée pour la fin de l’année. Avec, cette fois, davantage de microservices en partie concoctés par des startups ligériennes. Pour accélérer le processus de numérisation de la cité nantaise, la présidente de 8 000 Nantes Métropole s’est d’emblée entourée d’un adjoint à l’innovation et au numérique et a créé une direction à part entière dont la mission est de mobiliser les 20 politiques publiques au service de l’innovation. Cette partie immergée de l’iceberg touche les 8 000 agents de la structure métropolitaine et concerne un territoire de 600 000 habitants. «On est vraiment dans une approche transversale, en discussion permanente sur les politiques publiques de la métropole », explique Franck Trichet. ACQUÉRIR UNE CULTURE COMMUNE Urbanisme, éclairage public, assainissement, voiries, ressources humaines… tous les services sont mis à contribution pour introduire de l’innovation et du numérique dans leur fonctionnement. «Nous sommes au début d’une histoire qui va révolutionner la façon de construire la ville. Pour cela, nous avons aussi besoin d’acquérir une culture commune », ajoute Nathalie Hopp, directrice générale chargée du projet métropolitain, aujourd’hui à l’interface des différentes directions. En interne, cela pourrait se traduire par le déploiement d’un plan de formation des agents sur le terrain, des cadres, des chefs de projets, etc. Une acculturation nécessaire qui susciterait plus d’envie que de freins, assure-t-on. « Cela permet de sortir d’un cadre imposé depuis des années et de s’épanouir, pour ceux qui le souhaitent, sur des sujets transverses. Ces nouveaux enjeux et cette notion de mieux travailler ensemble, c’est plus une mesure d’émancipation. Avec un rythme qui est forcément celui d’une collectivité de 8 000 personnes et non d’une startup de trois personnes. Mais, le pivot est en train de se faire dans l’administration », se réjouit Franck Trichet. S’ORIENTER VERS DAVANTAGE DE PÉDAGOGIE « NANTES DIGITAL WEEK » : DIX JOURS POUR SE FORGER UNE CULTURE NUMÉRIQUE P our tout savoir sur l’écosystème numérique nantais, les villes intelligentes, le traitement des mégadonnées, les données ouvertes, la numérisation du patrimoine… ou décrypter le vocabulaire de l’économie numérique, c’est l’événement à suivre de la rentrée nantaise. Pour la deuxième édition, organisée du 17 au 27 septembre à travers la ville et la région, la « Nantes Digital Week » propose une centaine de conférences et débats pour s’initier, se perfectionner et s’imprégner des évolutions et des défis soulevés par la transition numérique. Organisé sur 30 lieux dans les quartiers et sur les communes de la Métropole nantaise, à Saint-Nazaire et Angers, ce rendez-vous du numérique aborde six grandes thématiques : art et patrimoine ; économie et emploi ; éducation et jeunesse ; égalité et accessibilité ; culture scientifique et technique ; joueurs et concepteurs de jeux vidéo, à travers un programme riche et original. Ainsi, la Maison de l’avocat met en scène un spectacle en forme de procès où comparaît Monsieur Mégadonnées pour tentative d’homicide sur Madame Vie privée. ■ F. T. D’ici à décembre encore, dans le sillage du grand débat sur la Loire mené au printemps et qui avait jeté les bases d’une refondation du dialogue citoyen, la métropole nantaise va accoucher d’une plateforme citoyenne de quartiers, accessible sur Internet, pour donner la parole aux habitants qui, pour une raison ou pour une autre, sont jusque-là absents du débat public. Pionnière dans le domaine des données ouvertes, après avoir favorisé l’alliance des collectivités dans ce secteur et l’émergence de nombreux lots de données, la ville veut désormais s’orienter vers davantage de pédagogie. « C’est une chose de livrer les données brutes du conseil municipal, cela en est une autre de donner les clés pour comprendre », indique Johanna Rolland. Dans le registre de la ville facile, la collectivité cherche à simplifier les démarches administratives et réduire le nombre de factures papier en multipliant les démarches en ligne. Progressivement, un compte unique avec un seul identifiant, un seul mot de passe devrait être mis en place pour accéder aux diverses institutions. L’idée d’un coffre-fort numérique destiné aux plus démunis pour stocker l’ensemble de leurs papiers d’identité avance. Pour devenir une cité facile, solidaire, attractive, connectée…, favoriser les transitions numérique, énergétique et écologique, le plan d’action de la ville intelligente compte une centaine d’interventions afin de déployer le haut débit pour tous à l’horizon 2020, le wi-fi gratuit là où les flux sont les plus importants. Mais aussi favoriser des tiers lieux d’innovation, accroître la mobilité, la multiplication des pratiques collaboratives, le renforcement de l’écosystème numérique, la mise en œuvre de l’hôpital et de l’usine du futur, l’expérimentation de nouveaux modèles urbains sur l’île de Nantes, la création d’un observatoire des pratiques numériques, etc. « Et favoriser l’innovation ouverte pour aider les Nantais et les Nantaises à s’approprier la culture numérique dont ils ont besoin au quotidien. L’idée, c’est de mobiliser tous les acteurs touchant de près ou de loin au numérique, les grandes écoles, les lycées, les associations comme Mediagraph ou Stereolux pour bâtir des parcours de formations accessibles à tout âge et éviter les ruptures », explique Franck Trichet, qui vise l’émergence d’une école numérique dans la logique des écoles de la seconde chance. TOUS LES ACTEURS AUTOUR DE LA TABLE En croissance régulière depuis 2009, l’écosystème numérique a permis l’éclosion de près de 1 500 entreprises et plus de 20 0000 emplois. Faute de pouvoir se faire seule, l’embryon de ville intelligente cherche aujourd’hui à accélérer les processus créatif et collaboratif entre le secteur public, les citoyens, les filières et les entreprises. D’où une volonté farouche, dans un contexte de restriction budgétaire, d’inciter les partenariats entre le public et le privé, les rapprochements entre grands groupes, PME et startups. À l’instar de la startup nantaise EP (Énergie Perspective) particulièrement impliquée dans la réflexion sur la création d’une plateforme locale de rénovation énergétique. «La collectivité locale est un magnifique tiers de confiance. Mais elle n’est pas forcément légitime pour faire du conseil en rénovation auprès des habitants. En revanche, elle dispose d’actifs, et notamment dans la communication, pour faire de la pédagogie à travers l’affichage, les magazines… et mettre autour de la table un acteur comme nous pour le conseil de manière indépendante, les artisans et les vendeurs de matériaux pour faire les travaux, les énergéticiens… Il ne s’agit pas qu’un seul gagne la partie. Ce n’est pas un jeu individuel mais collectif. L’histoire du “jeu à la nantaise” est intéressante, mais Nantes réussira son pari quand elle fera jouer ensemble les grands et les petits acteurs du territoire. Et c’est ce qui est en train de se produire… », estime Yann Person, cofondateur de la startup nantaise. n I 19 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR ÉNERGIE Le nantais QOS Energy s’installe à San Francisco Fondée en 2010, QOS Energy a développé une solution de monitoring destinée à surveiller les productions et les consommations d’énergie dans les bâtiments ou sur les territoires. I l aura fallu deux ans à Franck Le Breton et Jean-Yves Bellet, fondateurs de Qos Energy, pour développer et mettre au point la plateforme Web destinée à la supervision en temps réel d’installations énergétiques. En cinq ans, la solution a pris pied sur 3 000 sites français et étrangers. Principalement sur les marchés de la production d’énergie (photovoltaïque, éolien, gaz, hydrolien…), la gestion des bâtiments industriels et des territoires. Ces trois dernières années, le chiffre d’affaires a doublé chaque année pour atteindre 1,5 million d’euros en 2014. « Pas de mystère, pour fiabiliser nos données, nous allons devoir exploser à l’exportation », affirme JeanYves Bellet, vice-président de Qos Energy. Présente en Allemagne et en Grande-Bretagne, la jeune startup nantaise ouvrira en novembre prochain un troisième bureau à San Francisco. Ces implantations viennent s’ajouter aux partenariats noués avec le Japon et le Brésil. « Comme beaucoup, face à la concurrence internationale, on ne peut pas se permettre de rester en France. L’objectif est d’avoir un maximum de partenaires pour construire une base de données structurée qui puisse fournir les tendances du mar- ché », résume Jean-Yves Bellet, vice-président de QOS Energy. Car, à défaut de stocker l’énergie, on va chercher à déplacer les consommations dans le temps. 1 % DE LA PRODUCTION NATIONALE D’ÉNERGIE SOLAIRE « Le photovoltaïque est loin d’avoir fait son temps. Il y a eu beaucoup de casse, certes, mais il reste aujourd’hui une concentration d’acteurs ultraspécialisés », ajoute le dirigeant de QOS Energy, qui intervient sur 1 % de la production nationale. Les énergies renouvelables représentent 70 % à 80 % de son chiffre d’affaires. L’autre partie étant réalisée par la mesure des consommations dans les bâtiments industriels. « La multiplication des données nous permet d’élaborer des modèles de consommation de plus en plus pointus pour bâtir des offres adaptées à la demande », précise-t-il. Des modèles exploitables pour la gestion des consommations d’une usine de production ou le développement de villes et de réseaux électriques intelligents dans lesquels F. T. est engagé QOS Energy. n La plus grande partie du chiffre d’affaires de QOS Energy est réalisée par la mesure en temps réel des consommations dans les bâtiments industriels. © GUI YONG NIAN FOTOLIA MOBILITÉ Transway mise sur les récompenses pour faire évoluer les mobilités Avec son application Gotoo et ses points Soleillos, Transway parie sur la rétribution pour impliquer l’utilisateur, changer les comportements et limiter les émissions de CO2. P « Notre objectif est de proposer un outil d’aide au changement de comportement », explique Nicolas Tronchon, cofondateur de Transway. © GOTOO our faire évoluer les mobilités et les mentalités, Transway mise sur les récompenses. « Pour convaincre un usager d’emprunter un bus, récompenser seule la fidélité ne sert à rien, mais si vous l’associez au sentiment d’appartenance à une communauté et à une information réactive et partagée, là, vous obtenez quelque chose qui fonctionne. L’enjeu est donc d’intervenir sur ces trois leviers à la fois », explique Nicolas Tronchon, cofondateur de Transway, une startup créée à Nantes en 2009 autour des questions de « mobilité intelligente ». « Notre objectif est de proposer un outil d’aide au changement de comportement », ajoute-t-il. Le développement et la mise au point du dispositif aura duré plus de trois ans et demi et nécessité un million et demi d’euros d’investissement, dont 50 % d’aides publiques. « Gotoo fonctionne à partir d’un algorithme capable de détecter le mode de transport utilisé en fonction de la vitesse, la vélocité, l’inertie, etc. », indique Nicolas Tronchon. Des informations, rendues anonymes, qui peuvent être validées par des questions posées à l’utilisateur. LES POINTS ACQUIS TRANSFORMÉS EN CADEAUX En temps réel, l’application détermine si vous vous déplacez en bus, en vélo, en covoiturage… Chacun d’eux offrant un certain nombre de points – des Soleillos –, en fonction de l’émission de carbone estimée pour un déplacement. Cet outil de collecte d’informations et de services (informations en temps réel) est associé à une place de marché où les points acquis peuvent être transformés en cadeaux (gratuité ou réductions) offerts par des enseignes nationales, régionales, des commerçants de proximité qui mettent en ligne leur offre ou des sociétés privées. Ces dernières peuvent ainsi récompenser leurs salariés les plus vertueux en offrant des compensations allant au-delà des taux imposés par la loi sur la transition énergétique. « Les autorités organisatrices de transport (AOT) peuvent ainsi récolter de nombreuses données pour améliorer leurs services et offrir, par exemple, des abonnements gratuits », précise Nicolas Trochon. « Aujourd’hui, les autorités organisatrices de transport ont peu de marge de manœuvre sur l’offre. En revanche, elles peuvent intervenir sur les horaires décalés. Un bouchon est occasionné par 5 % à 6 % du trafic. En travaillant sur cette marge, on peut corriger un problème et décongestionner un réseau », dit-il. En cours de déploiement au Canada, Gotoo, qui devrait être prochainement installé à Bordeaux et à Périgueux, intéresse aussi certaines villes d’Asie du Sud-Est. n F. T. 20 I MÉTROPOLES LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR ENTRETIEN JOHANNA ROLLAND, maire de Nantes et présidente de Nantes Métropole « Mettre le cap vers l’international est essentiel » Que sera Nantes dans dix ans ? Pour sa maire, elle sera « une des métropoles françaises les plus dynamiques sur les questions de transition écologique et numérique » et « une métropole européenne qui rayonne ». Autant dire que « la smart city à la nantaise » assume fièrement ses ambitions et s’organise pour réussir. © PATRICK GARÇON - NANTES MÉTROPOLE LA TRIBUNE – Vous parlez d’une smart city à la nantaise, comment la définiriez-vous ? JOHANNA ROLLAND – À Nantes, on aime mieux parler de « la ville des intelligences », au pluriel. C’est la complémentarité des approches, des regards, des capacités d’investissement qui font ce territoire. Donc, la smart city à la nantaise, c’est une ville, une métropole qui va de l’avant, qui a envie d’inventer, de contribuer à imaginer le monde de demain. C’est à la fois des valeurs – la question de l’égalité dans le rapport au numérique qui est un enjeu important – et une méthode. Elle se traduit aujourd’hui par une organisation et surtout un partage du mode opératoire à travers les acteurs concernés. Nous avons, à Nantes, une volonté collaborative extrêmement forte. Quels sont les grands projets de la smart city nantaise que vous voulez accélérer ? La première chose, c’est le passage du cap de l’international. C’est absolument essentiel, l’un de nos objectifs est de faire de Nantes une métropole européenne. La présidence d’Eurocities par Nantes nous aide à avoir un regard européen et international. Pour moi, il n’y a pas un modèle de smart city. Chacun doit s’adapter à l’identité de sa ville. Mais aller s’inspirer de villes comme Amsterdam ou Barcelone donne du souffle et un certain nombre d’idées. À l’inverse, je ne crois pas, par exemple, au tout-technologique. Sur le champ économique, c’est bien la capacité d’accompagner les acteurs économiques, et notamment dans l’alliance entre les grandes industries traditionnelles et les petites startups. Le vrai sujet, c’est celui de la numérisation commune, de favoriser le croisement et la capacité à aller à l’international avec cette idée de dire : « Jouons, gagnants-gagnants. » À quelles économies peut-on s’attendre ? En a-t-on réalisé ? Le calcul économique est extrêmement complexe. Aujourd’hui, ce serait trop approximatif de donner un chiffre sur des économies réalisées. Mais nous sommes en cours d’évaluation. L’harmonisation de la démarche smart city à l’ensemble des communes de la métropole s’avère-t-elle complexe ? Pourquoi pensez-vous que la construction d’une ville intelligente était l’un des enjeux de votre mandat ? La smart city, ce n’est pas une fin en soi. C’est une manière de s’adapter aux mutations de la société. Nous sommes dans un monde qui bouge de plus en plus vite. Un des enjeux de ce mandat, c’est d’inventer et de construire le Nantes de demain. D’un point de vue économique, social, ressources humaines et écologiques. Autour des grandes questions de transitions, la smart city a un rôle à jouer. Et c’est aussi l’occasion d’amener dans l’aventure de nouveaux acteurs. Dans la smart city à la nantaise, on travaille avec des acteurs historiques, traditionnels, qui font Nantes depuis de nombreuses années, des acteurs qui ont émergé depuis moins longtemps et ceux qui nous rejoignent. De jeunes startuppeurs parisiens venus s’installer à Nantes me disaient qu’ici, l’échelle et l’interpénétration d’un écosystème qui bouge et qui se connaît faisaient gagner du temps. Donc, sur les enjeux d’une smart city, les questions de la rapidité et de l’adaptabilité sont vraiment essentielles. mission de permettre la mobilisation de toutes nos politiques publiques au service de l’innovation. Vous imaginez bien que dans cette grande maison de 8 000 agents, cet énoncé de la modernisation de l’action publique, fidèle à ses valeurs, mais qui doit être le service public de 2015, cela nécessite… de la conviction. Quels sont les effets sociaux et économiques de la numérisation amorcée sur la métropole ? D’abord, l’obtention du label Nantes Tech a servi d’accélérateur. Ce n’est pas une fin en soi, mais il a favorisé la mise en synergie des acteurs. Ici, la démarche est portée par les politiques, les startups, la CCI, l’université, les chercheurs, et c’est ce qui fait la force de la démarche. Maintenant, on est à l’étape suivante. Avec la mise en place d’une équipe dédiée parce qu’il faut construire, il faut un plan d’actions, une efficacité, accompagner l’élaboration de modèles économiques. Nous sommes aujourd’hui dans cette phase d’opérationnalité, avec notamment le rapprochement de startups et grands comptes. Il y a ce que la métropole peut faire seule et ce qu’elle peut provoquer… en mettant les uns et les autres autour de la table. Ça participe au processus d’accélération Comment les nouvelles technologies peuvent-elles améliorer la vie des Nantais ? Elles le peuvent si elles sont à destination de chacune et de chacun. La transition numérique peut être soit un risque d’ac- croître les inégalités avec les conséquences économiques que cela a, soit un outil qui contribue à la lutte contre les inégalités. C’est pourquoi j’insiste sur l’éducation au numérique dans notre projet de smart city à la nantaise. Les nouvelles technologies facilitent la vie, si elles sont les plus simples et les plus transparentes possibles. L’application « Nantes dans ma poche » est très simple, très sobre, sans ostentation… Par contre dans la vie au quotidien, dans le changement des usages et le fait de s’adapter aux évolutions de modes de vie et comportement des habitants, elle est très intéressante. À quels obstacles devez-vous faire face ? Au début, à une méconnaissance des enjeux pour un territoire dans certains milieux et des sphères très différentes. Cela bouscule les habitudes dans certains grands groupes, dans les grandes administrations publiques. J’ai fait le choix en début de mandat de nommer un adjoint chargé de l’innovation et du numérique et restructurer l’administration de la métropole en créant une direction à part entière, qui est responsable de ses questions à l’innovation. Elle a pour Plutôt que de le faire de façon théorique, j’ai souhaité l’aborder de façon pragmatique. L’application « Nantes dans ma poche » a été l’occasion de le faire, avec la mise en place d’ateliers prospectifs sur l’innovation au début du mandat. La question était : « À Nantes, la smart city qu’est ce que c’est, que veut-on faire ? », etc. Cela nous a permis d’avancer sur la conception collective. C’est une vraie question. parce que nous sommes la sixième métropole française. Et, l’avenir de ce pays s’invente dans les territoires et en l’occurrence dans les métropoles. Elles ont un rôle important à jouer. Pas seulement celui de locomotive pour leur territoire, mais elles ont aussi une capacité d’entraînement. Soixante-dix pour cent de l’investissement public dans le pays a lieu dans les métropoles, où une partie déterminante du PIB du pays est produit. Cette capacité de réseau est donc essentielle. Notre volonté est d’avancer sur ces sujets au sein des métropoles de l’Ouest, avec Rennes, Angers, Brest, Saint-Nazaire… Cela fait partie de mes préoccupations. « La “smart city”, c’est une manière de s’adapter aux mutations de la société » Comment imaginez-vous la métropole nantaise dans dix ans ? Nantes dans dix ans, ce doit être une métropole européenne qui rayonne à l’international, qui a gardé ses valeurs, qui s’est organisée pour refuser la standardisation des grandes métropoles mondiales et c’est l’endroit où tous les créatifs, tous ceux qui ont une idée, une envie d’entreprendre, d’investir, se diront : « À Nantes, c’est possible de le faire. » Dans dix ans, on doit être une des métropoles françaises les plus dynamiques de ce pays sur les questions de transition écologique et numérique, et on ne doit pas avoir oublié que le fil de nos valeurs, c’est l’égalité. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR FRÉDÉRIC THUAL I 21 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR L’ÉVÉNEMENT LA TRIBUNE Le Forum Smart City Nantes, une expérience créative La Tribune et le forum international Live in a Living City ont choisi Nantes pour y tenir une nouvelle édition du Forum Smart City, le 17 septembre. L’ambition de ce colloque, voué à un rayonnement international : échanger et partager les bonnes pratiques pour construire ensemble une ville de demain plus humaine, citoyenne, solidaire, connectée et ouverte. S i toutes les grandes métropoles du monde doivent aujourd’hui faire face à des problématiques communes, il n’en demeure pas moins vrai – et je ne cesse de le réaffirmer sur la scène internationale – que chaque ville est unique, porteuse d’une identité, d’une culture, d’une mémoire qui s’incarnent dans ses infrastructures comme dans sa population. Il est essentiel pour toutes les villes de réussir leur transition urbaine, c’est-à-dire de relever les défis à la fois écologiques, sociaux, culturels, économiques et de résilience auxquels nous devons faire face au xxie siècle pour devenir des smart cities humaines, qui placent le citoyen au centre de leur organisation. Mais chaque ville doit parcourir un chemin qui lui est propre pour y parvenir, et c’est ce qui rend la problématique du devenir urbain mondial si passionnante. PUISSANCE DE L’OCÉAN, DOUCEUR DU FLEUVE Nantes est une ville à la personnalité forte, qui s’affirme de plus en plus ces dernières années du fait des choix stratégiques assumés par sa gouvernance. Elle se situe au carrefour de deux influences : celle de sa façade atlantique, qui lui confère son identité de ville portuaire – ville ouverte sur le monde, ville d’échanges commerciaux, ville de marins et d’amoureux de la mer. Avec un trafic extérieur annuel d’environ 27 millions de tonnes, Nantes SaintNazaire est ainsi le premier port de la façade atlantique française et le quatrième grand port maritime français. Mais Nantes est aussi une ville du fleuve, des terres intérieures façonnées par les méandres ou boires, ces bras morts qui sont aujourd’hui des réserves naturelles particulièrement riches en biodiversité. Plus long fleuve de France, la Loire est encore considérée comme une entité écologique exceptionnelle : c’est le dernier grand fleuve relativement « sauvage » de France. Puissance de l’océan, douceur du fleuve, Nantes porte donc en elle ces deux tempéraments contraires. Ses liens avec la mer et le fleuve en font une ville fondamentalement ouverte vers l’extérieur : Nantes, c’est la ville du voyage. Voyages extraordinaires de Jules Verne, voyages imaginaires de la compagnie Royal De Luxe, voyages mécaniques des formidables machines de l’île de Nantes… Cette aspiration à la découverte et à l’altérité, qui fait sans aucun doute partie de sa culture depuis des décennies, a façonné la ville que nous connaissons aujourd’hui, bluffante d’originalité, de vitalité, de créativité. Elle a réussi là une belle reconver- sion à la suite de la fermeture, en 1987, des chantiers de l’Atlantique qui mit fin à la grande tradition industrielle de la ville. Création du Lieu unique, réhabilitation des Halles Alstom, initiation de la Folle journée, réhabilitation du château des ducs de Bretagne… le déploiement de la stratégie de reconversion orchestrée par la municipalité s’est rapidement traduit par de belles réussites. Nantes avait donc de belles prédispositions, semble-t-il, pour réussir également sa transition urbaine. Elle mène en ce sens une politique extrêmement proactive, emmenée par sa maire et une équipe dynamique bien décidées à ne pas se laisser enfermer dans les clichés, les mantras ou les dogmes. Sur le plan écologique, la ville s’est engagée très tôt dans des actions de fond. Elle a d’ailleurs accueilli en juin dernier le sommet mondial du vélo urbain Velocity et s’est reconvertie à cette occasion en capitale mondiale du vélo, avec de nombreux événements promus par la municipalité. Le sommet mondial de la ville durable Ecocity s’est également tenu à Nantes en septembre 2013. Sur le plan de la mobilité également, la municipalité a mis en œuvre des mesures plus adaptées aux besoins des habitants avec, notamment, des horaires aménagés. Enfin, l’équipe municipale travaille au quotidien à faire émerger les « villes invisibles » d’Italo Calvino, celles de la misère, de l’exclusion, la discrimination. Le projet de réaménagement de l’île de Nantes est lui aussi tout à fait exemplaire, que ce soit en termes d’habitat social, de mixité des usages ou de construction durable. Rappelons que 51 hectares d’espaces publics ont déjà été créés ou retraités, 4 400 nouveaux logements réalisés, dont 23 % de logements sociaux, plus de 230 000 m 2 de bureaux et 100 000 m 2 d’équipements construits. D’ici à 2030, d’autres aménagements de taille sont prévus. Le projet prévoit en outre d’unifier, de connecter les différents quartiers de l’île par une trame paysagère qui abritera des pistes cyclables, des espaces de jeux, de larges cheminements piétonniers… J’ai pour ma part été tout à fait impressionné par la dimension et l’ambition de ce projet, qui devrait certainement inspirer nombre de villes dans le monde. UN LABORATOIRE À CIEL OUVERT L’école de design de la ville de Nantes promeut quant à elle énergiquement, à l’échelle du territoire, le design des services, qui place l’usager au centre de son approche, révolutionnant nos vieilles manières de fabriquer, bâtir et concevoir. Belle manifestation de cette dynamique créative, la French Tech nantaise est l’une des plus actives de France. Elle fait circuler des idées originales dans la région, comme la création d’un billet SNCF gratuit pour les entrepreneurs de la French Tech, au même titre que les billets militaires autrefois. Citons également l’école de la deuxième chance, l’Institut de recherche technologique Jules-Verne, le créatif et original lieu d’échange, d’expérience et de vie AIR38, le compostage urbain et collaboratif au cœur des cités… autant d’initiatives qui font de Nantes un formidable laboratoire à ciel ouvert et une expérience créative à part entière. Il faut sans doute rappeler que des défis demeurent néanmoins, en priorité la lutte contre les inégalités économiques, sociales, culturelles, numériques. La ville doit aussi, à mon avis, devenir plus visible sur la scène internationale, pour y mettre en avant ses bonnes pratiques et aller vers des projets plus poussés en coopération. Le 17 septembre prochain, aux côtés d’autres experts de la ville vivante de demain, nous poursuivrons donc la réflexion « humaniste » entamée autour de la ville intelligente, qui a permis de recentrer le débat sur l’essentiel – les citoyens – et qui a changé la donne sur le sujet grâce à l’implication de tous les acteurs concernés. L’enjeu majeur de notre approche est en effet la capacité à créer des usages et des services qui contribuent à l’amélioration de la qualité de vie et qui apportent des réponses aux besoins des habitants. C’est la raison pour laquelle je parle sur la scène nationale et internationale de smart city humaine ou de ville vivante. Nantes en est un magnifique exemple. n CARLOS MORENO Professeur, entrepreneur, conseiller scientifique expert de la ville intelligente Ville de marins et d’amoureux de la mer, Nantes accueillait cet été l’historique trois-mâts Belem, devenu navire école. © FOTOLIA 22 I LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR RÉGIONALES 2015 NOUVELLE DONNE Les Pays de la Loire optent pour des coopérations renforcées Après le « Grand Est » où nous avons fait étape dans notre précédente édition, La Tribune poursuit son tour de France des Régionales… Repoussée de la 5e à la 8e place au gré de la réforme territoriale, la région des Pays de la Loire veut multiplier les partenariats pour raisonner à l’échelle du Grand Ouest. @FrdericThual E lle a tout d’une grande… mais ses contours, dessinés arbitrairement dans les années 1950, autour de la Loire-Atlantique (Nantes), le Maine-etLoire (Angers), la Vendée (La Roche-sur-Yon), la Sarthe (Le Mans) et la Mayenne (Laval), resteront inchangés encore pour quelque temps. Qu’à cela ne tienne, la région des Pays de la Loire, qui a évité le démantèlement d’un projet de France à 12 régions et buté sur un rapprochement avec sa voisine la Bretagne, laquelle lorgnait la seule Loire-Atlantique, se réjouit plutôt de rester à l’écart du chamboulement territorial. Elle y verrait même quelque avantage. Du moins à court terme. Même si, pour cela, elle doit glisser de la cinquième (sur 22) à la septième ou huitième place (sur 13). Un changement au classement qui n’émeut guère Christophe Clergeau (PS), premier vice-président de la région et candidat à la succession du président actuel Jacques Auxiette, en décembre prochain. « Nous n’allons pas perdre de temps, d’argent ni d’énergie dans ce redécoupage. Le débat a même montré une certaine solidarité entre les acteurs des Pays de la Loire. Une “plus petite région”, c’est plus d’efficacité, d’agilité et de réactivité », prône-il, admettant quand même qu’il faudra bien avoir recours au marketing territorial pour réécrire son Le redécoupage territorial s’accompagne d’un élargissement des missions des régions dans les transports, la formation et l’économie. Avec ce transfert de compétences, le budget ligérien devrait passer de 1,4 milliard à 1,8 milliard d’euros. Ici, la place du Ralliement, à Angers. © LECLERCQ OLIVIER / HEMIS.FR « profil ». Cinquième pour son PIB, sa superficie, et une population en progression de 27 500 habitants par an, seconde région agricole française et troisième région industrielle, les Pays de la Loire cultivent de nombreux atouts. Un cadre de vie et un dynamisme économique, d’abord. En raison de son attractivité géographique, patrimoniale et économique, la région devrait voir sa démographie augmenter de 25 % au cours des trente prochaines années. Une population qu’il faudra accueillir, former et employer. D’où la nécessité de développer l’économie, de favoriser l’innovation, l’émergence de filières, l’investissement, de renfoncer le tissu très diversifié des PME, d’inciter la venue d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) pour donner plus de valeur aux emplois proposés et attirer des talents. En net progrès, la recherche reste insuffisamment présente dans la région. Tout comme l’internationalisation des © PHOTOS : DR PAR FRÉDÉRIC THUAL À NANTES UNE FUSION AVORTÉE Passée à côté du redécoupage territorial, la région des Pays de la Loire a envisagé toutes les hypothèses. Elle préfère aujourd’hui miser sur les coopérations. Q « uand je vois les cernes sous les yeux de mes homologues d’Aquitaine, Poitou-Charentes, Limousin, et les difficultés auxquelles ils ont à faire face en gérant concomitamment le désengagement des départements, la préparation des élections régionales, la fusion avec une ou deux autres régions imposée en un an, nous avons au moins l’avantage de ne pas être soumis au rouleau compresseur organisationnel des fusions », estime Lionel Delbos, directeur général délégué à l’économie et à l’innovation dans la région des Pays de la Loire. Soulevée en début d’année 2014, la question d’une fusion avec la Bretagne a agité le landerneau ligérien. Tous les scénarios ont été examinés, jusqu’à un rapprochement avec les régions Poitou-Charentes et Centre. Des hypothèses sans véritables fondements. « Pour l’Ouest, l’intérêt des populations est la fusion Pays de la Loire-Bretagne autour des métropoles Nantes et Rennes », twittait, à l’époque, Jean-Marc Ayrault, l’ex-maire de Nantes. Si les Ligériens se sentaient favorables à la fusion, les Bretons, emmenés par Jean-Yves Le Drian, soutenu par l’UDB (Union démocratique bretonne), revendiquant une Bretagne à cinq départements — Loire-Atlantique incluse —, n’en ont pas voulu. La précipitation de la réforme a-t-elle été préjudiciable à une région de l’Ouest à neuf départements ? « On est passé à côté d’une réforme qui aurait pu être majeure pour la France, en allant vers un État fédéral comme en Allemagne, dont l’organisation me semble plus adaptée aux enjeux actuels. En Pays de la Loire, on a eu la chance d’échapper à un redécoupage dicté de Paris, prônant que la solution, c’étaient les grandes régions. En fait, on voit que ces regroupements sont très compliqués en termes d’enjeux. La réforme n’a pas pris en compte la dynamique des territoires et va peut-être poser plus de problèmes qu’elle ne va en résoudre », estime Sophie Bringuy, vice-présidente du conseil régional des Pays de la Loire chargée de l’environnement, candidate EELV à la présidence. Selon entreprises. « Plus qu’à un mariage artificiel avec la Bretagne, ce qui est déterminant pour moi c’est le projet collectif porté sur un territoire, et de faire travailler ensemble des gens confrontés aux mêmes enjeux. Au niveau européen, la Bretagne et les Pays de la Loire sont périphériques. Nous avons chacune une dimension agricole, maritime, une histoire, un modèle social relativement proche, des entreprises et universités largement en réseau, et tout cela constitue un seul et même espace cohérent, de Saint-Malo à la Roche-sur-Yon et de Vannes à Angers. C’était une opportunité d’adapter les frontières administratives à une réalité qui existe déjà », argumente encore Christophe Clergeau qui, à défaut de rapprochement avec la Bretagne, préfère multiplier les coopérations et les partenariats avec les régions voisines (Bretagne, Poitou-Charentes, Centre). « Pour peser au nom du Grand Ouest dans les débats nationaux ou européens », précise-t-il. Sophie Bringuy, vice-présidente du Conseil régional des Pays de la Loire chargée de l’environnement et Christophe Clergeau, vice-président du Conseil régional. © DR BRETAGNE ET PAYS DE LA LOIRE : UN DESTIN COMMUN Christophe Clergeau, vice-président du conseil régional, « on pouvait concilier la reconnaissance d’une réalité, d’une histoire et d’une culture partagées et, sur un territoire plus large, construire l’avenir… ». Sentiment d’être passé à côté de quelque chose. « Mais sans doute fallait-il prendre le temps d’un vrai débat. Il existe aujourd’hui une continuité d’aménagement, de transport, d’échange entre ces deux régions. Faire des choix collectifs sur un espace où l’on a envie de vivre, c’est le même débat que pour l’intercommunalité : il faut se choisir. Il y avait des réticences en Bretagne, c’est pourquoi je me bats aujourd’hui plutôt pour multiplier les projets communs et les coopérations renforcées », indique Christophe Clergeau. ■F. T. Que ce soit à travers les pôles de compétitivité (EMC2, Atlanpole Biotherapies, Images & Réseaux, etc.) ou le développement de filières traditionnelles comme l’agroalimentaire et les industries maritimes ou, plus récentes, comme les Énergies marines renouvelables (EMR), les deux régions se reconnaissent un destin commun. « Le temps que les autres utilisent pour leur fusion, nous devons l’utiliser pour renforcer nos coopérations. Sur les EMR, par exemple, même si l’on est concurrent, on mène le combat ensemble. » Votée en juillet dernier pour accompagner le redécoupage territorial, la loi NOTRe va élargir les missions de la Région dans les domaines des transports, de la formation et de l’économie. Grâce à ce transfert de compétences, le budget ligérien devrait pas- I 23 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR Le Mans Laval Nantes Population PIB Taux de chômage Exportations 3 666 millions d’habitants 2013 2014 2013 105,8 milliards 9 % 18,2 milliards € (+1,2% vs 2012) 5e région française pour son produit intérieur brut. 2e région agricole française (7 % de l’emploi contre 4 % en France). 3e région industrielle (17,1 % de l’emploi contre 11 % en France). 6e région étudiante. 15e région en recherche et développement. (10% au national) (9 % au 1er trimestre 2015) Le taux de chômage a atteint en fin d’année un niveau élevé (9 %). Cependant, les Pays de la Loire demeurent parmi les régions les moins touchées. En 2013, la région comptait 1 508 000 emplois, soit 5,7 % de l’effectif national soit 4,3 % du total France (428 milliards €) (8e région française) Avec 40 % à 50 % de leur activité, les fabricants de matériels de transport, l’industrie électronique et des composants électriques arrivent en tête parmi les secteurs les plus exportateurs. (+27 500 personnes par an) Selon l’INSEE, les Pays de la Loire compteront près de 4,4 millions d’habitants en 2040, soit, au regard du taux de fécondité et du solde migratoire, 910 000 habitants supplémentaires. Vingt-cinq pour cent ont moins de vingt ans La Rochesur-Yon Angers Sources : INSE - ORES ser de 1,4 milliard à 1,8 milliard d’euros. En prenant la main sur des secteurs jusque-là incombant aux départements, la Région va couvrir des spectres plus larges et, surtout, pouvoir déterminer un schéma d’aménagement sur son territoire en ayant un œil sur toute la chaîne de la formation des jeunes, les aides aux entreprises et l’ensemble des transports (hors agglomération). « Confier les transports scolaires aux régions, c’est pour moi une absurdité. Les départements le font très bien, les régions ne feront pas mieux », estime le sénateur (Les Républicains) Bruno Retailleau, président du conseil départemental de Vendée et candidat à la présidence de la région des Pays de la Loire. « Ce n’est pas le rôle des nouvelles régions. Il manque à ce texte une dimension de décentralisation. Nous avons proposé au Sénat une régionalisation des politiques de l’emploi, sinon à quoi bon élargir les compétences économiques des régions, et avons obtenu une expérimentation très contrainte, très timide pour territorialiser une politique régionale de l’emploi. Maintenant, le texte est voté, faisons avec, mais je crois que les collectivités doivent se concentrer sur l’investissement et élaborer des stratégies pour l’avenir et non intervenir un peu partout », dit-il. Jacques Auxiette a d’ailleurs fait savoir, cet été, au gouvernement qu’il était prêt à mener cette expérimentation en Pays de la Loire. Si l’enjeu des prochaines échéances électorales portera bien évidemment autour des questions d’emploi dans une région où le taux de chômage atteint 9 %, la collectivité devra faire face à la pression démographique et aux enjeux de transition énergétique et écologique. Car, pour satisfaire ses besoins en logements et la croissance des entreprises, les Pays de la Loire seraient l’un des territoires français qui consomment le plus d’espaces naturels pour son développement. « C’est une opportunité de ne pas être dans le premier wagon de grandes fusions. Ce recul permettra d’être innovant. Nous sommes à une période charnière. La région a vraiment un rôle à jouer dans cette transition. Tout le monde répond numérique, mais je pense que le vrai enjeu sera de travailler sur l’humain et l’équité territoriale », estime Sophie Bringuy, la candidate d’EELV. n ENTRETIEN LIONEL DELBOS, directeur général délégué à l’économie et à l’innovation « Comment maintenir l’équité des dispositifs du nord au sud ? » Quel aurait été, selon vous, le bénéfice d’un rapprochement entre la Bretagne et les Pays de la Loire ? Lionel Delbos : « Pour l’instant, on fait un état des lieux. » © DR Il aurait été en adéquation avec un certain nombre de dynamiques engagées par les acteurs économiques. Notamment les pôles de compétitivité qui sont partagés entre ces deux régions. Tous les pôles des Pays de la Loire ont des antennes en Bretagne et réciproquement. Dans des secteurs comme l’agroalimentaire, les énergies marines renouvelables, avec des entreprises comme STX, DCNS… un seul interlocuteur leur aurait simplifié la vie. Mais les acteurs économiques n’ont pas attendu pour s’engager dans des processus de rapprochement et de fusion. Cela aurait aussi pu apporter une simplification et une lisibilité aux acteurs universitaires. Même si ce sera le cas, au 1er janvier prochain, lorsque la communauté d’universités et d’établissements Bretagne-Loire se mettra en place. Quels travaux prospectifs avez-vous engagé sur ce sujet ? Lorsque, en début d’année 2014, la question du découpage des régions s’est posée, nous avons confié une étude au Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) qui, en lien avec les Ceser de Bretagne, Val-de-Loire et Centre, a réalisé une cartographie de toutes les coopérations et accords de partenariats interrégionaux existants. Très vite, il est apparu que le nombre de partenariats avec la Bretagne était le plus important. Au nombre de 246 contre 61 pour la région Centre, par exemple. Au quotidien, on accompagne les logiques portées par les acteurs économiques, comme les pôles de compétitivité EMC2, Atlanpole Biotherapies… Les échanges sont récurrents avec la région Bretagne. Quand l’un identifie de vrais potentiels, souhaite intégrer telle entreprise ou constituer un consortium, si les élus sont partants, on soutient ces initiatives. Votée en juillet pour accompagner le redécoupage territorial, la Loi NOTRe, octroie de nouvelles compétences économiques aux régions. Comment appréhendez-vous ce sujet avec les départements ? La plupart des départements se sont dotés de comités d’expansion ou d’agences de développement économique départementales qui ne pourront plus financer les entreprises à compter du 1er janvier 2017. On a commencé à échanger avec les départements mais les situations sont extrêmement diverses. La Loire-Atlantique avait déjà entrepris un désengagement fort et fonctionnait avec une équipe réduite. La Vendée, la Sarthe ou le Maine-et-Loire ont encore des comités d’expansion importants avec 80 ou 90 personnes. Pour l’instant, on fait un état des lieux. La vraie question est de savoir si l’on doit laisser subsister des structures de soutien économique à l’échelle du département. Quelle est la bonne échelle pour accompagner les entreprises ? Est-ce la commune, l’intercommunalité, le département, la région ? Comment la région va-t-elle pouvoir maintenir l’équilibre et l’équité des dispositifs du nord au sud du territoire ? Même si, comparé aux 12 autres régions, les Pays de la Loire deviennent une petite région, de La Faute-sur-Mer à Laval, tout ne peut pas et ne doit pas être géré depuis Nantes. Le développement économique ne se fait pas que dans les métropoles. Le quadrimestre qui nous sépare de l’échéance électorale va nous permettre d’établir une cartographie. Cet état des lieux permettra au prochain exécutif de la Région de proposer une réorganisation pour 2017, en cohérence avec les départements. Que peuvent en attendre les chefs d’entreprise ? La disparition d’échelons va simplifier le paysage. Il ne faut cependant pas perdre la plusvalue et l’expertise qu’apportaient les comités d’expansion. Le guichet unique est un mythe. La France a empilé des logiques et des organisations compliquées, qui rendent la vie difficile aux entreprises. Plutôt que de sabrer dans le mille-feuille, on essaie de mettre en réseau les personnes en contact avec les entreprises. C’est ce qu’on a engagé depuis un an et demi avec le portail PME-Pays de la Loire et le réseau de développeurs économiques qui associe 600 à 800 personnes issues des intercommunalités, des comités d’expansion, de la Région, des chambres consulaires. On est dans une logique de mise en contact. Aujourd’hui, on a un regard complet sur les aides diverses dans les Pays de la Loire. Plus il y a d’aides, plus on a de chances qu’elles correspondent à la diversité des entreprises. Mais encore faut-il qu’elles sachent à qui s’adresser. D’où notre logique de mise en réseau des aides. L’accélération des aides, le nombre de dispositifs n’est pas le problème, la question, c’est de les articuler et de les rendre le plus visible possible. ■ PROPOS RECUEILLIS PAR F. T. Retrouvez notre série « Régionales 2015 » dans LE GRAND SOIR/3 présenté par Patricia Loison chaque jeudi vers 22h30 24 I LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR INNOVER EN RÉGION BRETAGNE Quand le financement participatif permet de repérer les startuppeurs La Bretagne a lancé cet été une première expérimentation s’appuyant sur les platesformes bretonnes de financement participatif, Kengo.bzh et Gwenneg, afin de repérer les projets innovants des jeunes du territoire. Quatre projets financés à 70 % par la collecte vont bientôt bénéficier d’une aide régionale couvrant les 30 % restants. PAR PASCALE PAOLILEBAILLY @pplmedia35 E n novembre, la prochaine commission permanente de la région Bretagne validera une aide financière accordée à quatre projets d’entreprise portés par des jeunes de 15 à 29 ans. Limité à 4 000 euros par projet, ce coup de pouce devrait permettre à la jeune société Financée à 30 % par la Région, la jeune société d’édition rennaise d’ebooks pour enfants, Héméra, doit trouver les 70 % restants grâce aux plateformes de financement participatif, Kengo et Gwnenneg. © DR d’édition rennaise Héméra de publier des ebooks pour enfants, et à la startup Penn Ar Box de déployer dès novembre ses boîtescadeaux de produits bretons. Comme pour les deux autres projets FoaliNet (application sur la santé des poulains et constitution d’une base de données épidémiologiques de la filière équine) et Le Croissant Turbulent (boulangerie-pâtisserie bio), l’aide régionale ne couvrira que 30 % des besoins financiers nécessaires à ces jeunes pousses pour démarrer. C’est la règle du jeu de l’appel à projets innovants et contribuant à l'attractivité du territoire, lancé en juillet par la Région à destination des jeunes. Soixante-dix pour cent des sommes à lever doivent être collectées en amont sous forme de dons via les deux plateformes bretonnes de financement participatif, Kengo et Gwnenneg. Depuis deux mois, une dizaine de projets tentent l’aventure, et Penn Ar Box a même largement dépassé son objectif de 7 500 euros en réunissant 8 525 euros à ce jour. Pour ceux qui n’ont pas atteint leurs objectifs, la collecte se poursuit jusqu’à la fin de l’opération, mi-octobre. De nouvelles initiatives, dont la création d'une gamme de lunettes de soleil en bois, sont mises en ligne régulièrement. ADAPTER LES DISPOSITIFS AUX PRATIQUES DES JEUNES « L’intervention de la Région aura un effet accélérateur dans la réalisation des projets » assure le Conseil régional, qui consacre une enveloppe de 50 000 euros à l’opération. Même si, au final, la somme n’est pas dépensée intégralement, ce repérage de projets via le Web permet à la Région de cibler autrement ses aides en adaptant « les dispositifs de soutien institutionnels aux nouvelles pratiques des jeunes », Visant des projets portés à titre individuel ou collectif, mais sans préjugés sur les domaines d’activité (économie, initiative culturelle, humanitaire…), l’appel a finalement attiré beaucoup de projets de création d’entreprises. Pour le Conseil régional, l’absence de projets collectifs ou culturels, trop atypiques pour prétendre à des aides très sélectives, est presque une surprise. « En période de crise, la création d’entreprise est aussi un moyen de créer son propre emploi. Pour ces jeunes entrepreneurs, une collecte soumise à la communauté des internautes permet de tester leur marché potentiel. Ils bénéficient, en outre, d’un accompagnement par les plateformes », souligne une collaboratrice d’Anne Patault, vice-présidente du Conseil régional chargée de la jeunesse. COOPTÉS PAR LE PUBLIC ET SUIVIS PAR LA COLLECTIVITÉ « Un certain nombre de jeunes en phase de création d’entreprise sont très attentifs aux outils actuels, maîtrisent l’usage des réseaux sociaux et savent s’y prendre pour que cela marche. Comme Penn Ar Box, ils ont le bon projet et la bonne façon de le vendre au-delà du cercle familial et amical. Il est plus facile ensuite de démarcher un financeur avec un marché et un début de clientèle », ajoute Serge Appriou, directeur de Kengo, qui a notamment apporté un soutien en communication. Après l’obtention de l’aide de la Région, les entreprises seront suivies de façon attentive et devront rendre compte du développement de leur activité. Cette première expérimentation ouvre une brèche au sein du Conseil régional. Flécher des subventions vers des projets cooptés par le public est une piste pour l’avenir. Demain, le financement participatif pourrait aussi contribuer à l’obtention de prêts aux entreprises. Calendrier oblige, cette réflexion ne se poursuivra qu’au-delà des élections de décembre prochain. ■ LANGUEDOC-ROUSSILLON Biotope met le cap sur l’Afrique Installé à Mèze (Hérault), le leader français de l’ingénierie écologique accentue son déploiement à l’international. Après la Chine ouverte en 2014, l’entreprise vise l’Afrique en 2016. A voir un train d’avance. Parier sur un marché à défricher pour être les premiers quand la prise de conscience et l’activité surviendront. Telle est la stratégie visionnaire impulsée par Frédéric Melki, le fondateur et dirigeant de Biotope, spécialiste français de l’ingénierie écologique basé à Mèze (34). Biotope, 240 salariés dans le monde (dont 75 à Mèze, parmi lesquels 15 en R&D), réalise des évaluations environnementales pour accompagner de gros projets d’aménagement dans la réduction de leur impact sur la nature. L’entreprise accompagne également les collectivités locales dans la mise en œuvre de plans de gestion des aires naturelles protégées afin de concilier activités humaines et conservation de la nature et de ses écosystèmes. Précurseur en France, où le marché se révèle en ce moment plutôt atone, Frédéric Melki poursuit sa stratégie de développement sur des territoires de la planète où ces thématiques ne sont pas encore forcément très considérées, anticipant ainsi leur inéluctable et prochaine prise en compte. LA VOLONTÉ DE RENFORCER L’EXPORTATION À ce jour, l’entreprise a ouvert trois filiales à l’étranger : Madagascar, Casablanca et, en mars 2014, la Chine. « Cette année, nous avons accentué l’effort à l’export, confirme Nicolas Roques, coordinateur de l’activité internationale de la société et responsable des filiales chinoises et marocaines. En 2015, la part de l’export devrait passer de 5 à 15 % du chiffre d’affaires [17 millions d’euros]. On insiste donc sur une importante montée en capacité des équipes sur l’export. Nous sommes persuadés que ce sont des métiers d’avenir, et pour tous les continents… Nous avions un peu laissé en stand- by la filière créée en 2012 au Maroc, pour mieux nous concentrer sur la Chine, poursuit Nicolas Roques. Nous avons recruté un VIE [Volontaire international en entreprise, ndlr] en mars dernier pour notre agence de Casablanca, et nous cherchons maintenant à recruter un salarié sur place. Pas mal d’opportunités se dégagent. » Selon Nicolas Roques, l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest se révèlent également intéressantes pour Biotope. « Nous ne sommes pas implantés sur place pour le moment mais nous visons une implantation en 2016. Aujourd’hui, nous avons des projets en Côte d’Ivoire, ou encore au Gabon pour l’Agence nationale des parcs nationaux. Nous nous positionnons également au Sénégal, où nous avons obtenu du gouvernement, il y a deux mois, l’agrément pour faire des études environnementales ». Par ailleurs, Biotope sera maître d’œuvre du projet sur la compensation aux écosystèmes et à la biodiversité, financé par le FFEM (Fond français pour l’environnement mondial) et qui sera mis en œuvre, en partenariat avec de grandes ONG, dans quatre pays africains : la Guinée, Madagascar, le Mozambique et l’Ouganda. « Ce projet s’étalera sur quatre ans, précise Nicolas Roques. Nous espérons qu’il nous per- mettra de nous développer localement. L’Afrique est un continent au potentiel gigantesque pour les décennies à venir. » Biotope pourrait également s’intéresser à l’Amérique latine dans les mois à venir. En attendant, l’entreprise se réjouit de travailler désormais pour la Commission européenne. Des marchés décrochés il y a quelques mois (notamment sur la thématique de l’économie de la biodiversité) et qui devraient stimuler l’activité 2015 de Biotope. « L’atout de ces contrats réside dans la reconnaissance de notre expertise et de notre savoirfaire par cette institution internationale », se félicite Nicolas Roques. CÉCILE CHAIGNEAU À Panjin, dans le nord-est de la Chine, Biotope réhabilite la plus grande roselière du monde. © BIOTOPE I 25 CLIMAT #COP21 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR + UN ENJEU MONDIAL Le chiffre À qui profite la COP21 ? 250 millions La COP21, c’est parti ! Dans moins de deux mois et demi, la conférence de Paris sur le climat va s’ouvrir sur le site du Bourget. Pour l’instant, les enjeux de cette conférence ne passionnent guère les Français, inquiets de l’arrivée massive de migrants. Écologistes, villes, entreprises, chacun tente de faire entendre sa voix. Le 10 septembre, l’Élysée a déroulé un tapis vert et invité pas moins de 400 représentants d’associations, responsables d’ONG, scientifiques, sportifs, artistes et chefs d’entreprise pour proclamer que « la France s’engage pour le climat ». PAR DOMINIQUE PIALOT S i l’on ne parvient pas à limiter à 2 ° C la hausse de la température moyenne d’ici la fin du siècle, il y va de la survie de l’humanité. « Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement la qualité de la vie, c’est la vie des populations, des territoires, des biosystèmes », a récemment rappelé François Hollande. Avant d’ajouter : « C’est tard, c’est peut-être trop tard. » Mais, à court terme, quelle que soit l’issue de l’accord onusien conclu à Paris en décembre, la 21e Conférence des parties (dite COP21) ne sera pas perdue pour tout le monde. Les écologistes, les villes et surtout, les entreprises… chacun profite de l’occasion pour faire entendre sa petite musique. Côté chiffres, à moins de trois mois de l’échéance, on est encore loin du compte. À peine 60 pays sur 195 (représentant environ 60 % des émissions mondiales) ont soumis leurs engagements de réduction de leurs émissions. On attend encore les contributions de grands émergents comme l’Inde (« accro » au charbon et troisième pollueur mondial derrière la Chine et les États-Unis) ou le Brésil. Mais pour l’heure, les projections réalisées sur la base des engagements reçus nous amèneraient plutôt aux alentours des + 3 ° C ou 4 ° C, synonymes de point de non-retour et de désastres en chaîne. PAS QUESTION DE LÉSINER SUR LES MOYENS L’absence d’accord sur le climat « serait une catastrophe » avait déjà averti François Hollande lors d’un déplacement le 20 août dernier, avant d’évoquer, lors de sa conférence de presse de rentrée le 7 septembre, « des risques d’échec ». Un échec qui, en le privant d’une occasion de faire de son quinquennat celui de © REUTERS/ CHARLES PLATIAU l’inversion de la courbe des émissions de gaz à effet de serre, à défaut de celle du chômage, l’atteindrait directement. Le 10 septembre, l’Élysée avait donc déroulé un tapis vert du plus bel effet télévisuel et invité pas moins de 400 représentants d’associations, responsables d’ONG, scientifiques, sportifs, artistes et chefs d’entreprise. Pas question de lésiner sur les moyens pour proclamer haut et fort que « la France s’engage pour le climat ». Et François Hollande de rappeler le vote de la loi de transition énergétique en juillet, de se poser en héraut d’une taxe européenne sur les transactions financières partiellement destinée au climat, et, surtout, de confirmer par la voix de son Premier ministre la suppression des aides à l’exportation pour les centrales à charbon. Annoncée il y a plusieurs mois, elle avait ensuite été repoussée sine die. C’est une première victoire pour les ONG qui, rappelant le gouvernement à son devoir d’exemplarité en tant que pays hôte, pointent du doigt d’autres contradictions : son statut d’actionnaire de EDF ou Engie, qui opèrent des centrales à charbon à l’étranger, le retard français dans les énergies renouvelables ou encore un manque d’ambition en matière de fiscalité écologique. Pas simple pour le gouvernement de jongler entre sa politique intérieure et son rôle sur la scène internationale. Il est plus facile pour Anne Hidalgo de tirer parti de son statut de ville hôte de la COP21. La maire de Paris se pose ainsi en porte-parole des villes du monde entier, acteurs de terrain incontournables dans l’avènement d’une société à bas carbone. Après avoir regroupé au printemps une trentaine de maires de capitales et grandes villes européennes pour passer des appels d’offres communs, elle organise en marge de la COP21 un « sommet des gouvernements locaux pour le climat ». Plus de mille élus locaux y sont attendus pour rédiger une déclaration commune et la présenter aux chefs d’État réunis au Bourget. Mais la vraie nouveauté de cette COP, c’est l’implication des entreprises, qui n’avaient encore jamais été aussi présentes en marge d’une conférence onusienne. Cela répond aux attentes de la présidence française des négociations, et au calendrier positif prôné par Laurent Fabius. Les organisateurs ne manquent pas une occasion de souligner que ce qui se joue en marge de l’accord est aussi important que ce qui se décidera dans l’enceinte onusienne. RAPPROCHEMENT DU PUBLIC ET DU PRIVÉ Le « calendrier des solutions » regroupe donc l’ensemble des initiatives de la société civile en faveur du climat. Pour les entreprises, le Business and Climate Summit a donné le coup d’envoi en mai à l’Unesco. Une structure de dialogue entre les gouvernements et les entreprises baptisée « Business Dialogue » a été lancée à cette occasion, pour inscrire dans la durée ce rapprochement des puissances publiques et privées autour des enjeux climatiques. À court terme déjà, plusieurs événements permettant aux entreprises de mettre en avant leurs solutions vont se succéder d’ici à décembre : le salon World Efficiency, porte de Versailles du 13 au 15 octobre, Solutions COP21, au Grand Palais et au Bourget pendant les négociations, sans oublier les 10 000 m2 réservés à la « Galerie de l’innovation » sur le lieu des négociations. Ce serait en effet dommage que la France, qui compte de nombreux champions internationaux dans l’énergie, les services à l’environnement ou l’efficacité énergétique, laisse passer une si belle occasion de le rappeler au monde entier… n DOMINIQUE PIALOT C’est le nombre de personnes qui pourraient être déplacées d’ici à 2050 en raison de phénomènes climatiques. Elles étaient déjà plus de 22 millions en 2013. C’est ce qu’ont rappelé les représentants d’ONG humanitaires françaises et internationales la semaine dernière, dans une lettre ouverte remise à Laurent Fabius et appelant les dirigeants à un accord climatique ambitieux à Paris en décembre. Soulignant que 87 % des catastrophes naturelles recensées en 2014 étaient liées au climat, elles ont également mis en avant l’effet du changement climatique sur les rendements agricoles, les crises alimentaires et la pression sur la ressource en eau. Soixante millions de personnes supplémentaires pourraient ainsi être exposées à la faim d’ici à 2080 et 40 % de la population mondiale aux pénuries d’eau d’ici à 2050. Autant de causes de conflits locaux ou régionaux et d’émigration. L’initiative Expérimenter la transition verte Un château, des outils de fabrication numérique, une centaine de personnes pour aider 12 équipes d’inventeurs à mettre au point en cinq semaines leurs solutions post-carbone et zéro déchet. Mais aussi des toilettes sèches, du mobilier de récupération, un système de recyclage afin d’expérimenter l’engagement écologique au quotidien. POC 21 (Proof of Concept) organisé par l’association OuiShare et la fondation Open State depuis le 15 août en région parisienne, anticipe la COP21 en démontrant comment, concrètement, la transition écologique peut être accélérée. Les projets sélectionnés vont d’une douche « infinie » qui recycle l’eau usée en temps réel, à une éolienne « do-ityourself » à 30 euros. Les prototypes seront présentés le 18 septembre et seront en code source ouvert. La surprise Un char écolo à la Techno Parade Les centaines de milliers de personnes attendues ce samedi à Paris pour la Techno Parade risquent de tomber sur un Ovni. L’un des chars qui défileront sera écologique et citoyen. Recouvert d’un mur végétal et de tissus recyclés, le Trans-Porteur rappelera le lien inextricable entre musiques électroniques, nouvelles technologies et aspirations écologiques. Il contribuera ainsi à mobiliser le public autour des enjeux climatiques, en vue de la COP21. Imaginé par un jeune technophile engagé, Raphaël BoschJoubert, le Trans-Porteur, qui pèse 38 tonnes, tourne au biogaz et est autonome en énergie grâce aux panneaux solaires dont il est muni. Il sera escorté « d’arbres en roulettes » : les membres de l’association Planet Roller, militants d’une mobilité propre. 26 I VISIONS LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR RENCONTRE ARTHUR BETZ LAFFER, économiste, chef de file de « l’école de l’offre » © DR « Avec la redistribution, on crée de la pauvreté ! » © DR I IVAN BEST RÉDACTEUR EN CHEF ADJOINT @Iv_Best l confirme la légende : c’est bien dans un restaurant, sur une nappe en papier, que l’économiste Arthur B. Laffer a dessiné la première fois sa fameuse courbe en cloche, montrant que les recettes fiscales augmentent au fur et à mesure que l’on augmente les taux de taxation, avant de diminuer si les impôts deviennent trop élevés – d’où la forme d’une cloche. De passage à Paris, à l’invitation de la revue Politique internationale, l’économiste persiste et signe : beaucoup de nos maux viennent d’une taxation trop lourde, d’une redistribution toujours contre-productive. Il raconte ainsi l’histoire de « sa courbe » : « J’étais avec Donald Rumsfeld [alors secrétaire général de la Maison Blanche, ndlr] et le président Ford, qui s’interrogeait sur l’opportunité d’une surtaxe de 5 %. Je lui ai dit : avec cette taxe, vous n’obtiendrez aucune recette supplémentaire, c’est peine perdue ! Si l’on taxe le travail à 100 %, plus personne ne tra- vaille. Et si les gens ne travaillent plus, il n’y a simplement plus personne pour s’acquitter des taxes ! J’ai alors dessiné cette courbe en cloche. » UN SYSTÈME FISCAL QUI ENRICHIT… LES RICHES Arthur Laffer a notamment inspiré les baisses d’impôts décidées sous Reagan, en 1981 et 1986. Le taux maximum de l’impôt sur le revenu a alors été ramené à 28 %, le taux minimum à 15 %… l’objectif étant de se rapprocher de la flat tax, l’impôt à taux unique que Laffer juge toujours le plus favorable, à l’inverse de l’impôt progressif, nuisible pour l’économie. « Ce qui ne va pas dans la fiscalité – ce qui cloche, pourrait-on dire – c’est à la fois le haut niveau des taux de taxation et la multiplicité des niches fiscales. Il faudrait une base large, la plus large possible, sans échappatoire – par suppression de toutes les niches –, et des taux faibles, de 12 ou 15 %. » ix e pr 5 d e is 01 rem mbre 2 e d te ée Soir i 29 sep d Mar Avec plus de 35 000 recrutements, 12 000 créations nettes d’emplois en 2014, le numérique est un secteur dynamique qui regorge de talents, et pourtant, trop méconnu des jeunes et des femmes. Femmes du Numérique et Pasc@line organisent la deuxième édition du Trophée excellencia pour promouvoir ce secteur auprès des femmes. Venez découvrir les lauréates mardi 29 septembre dès 18h30, en présence d’Axelle Lemaire, Secrétaire d’Etat chargée du numérique. Plus d’information sur excellencia.org Commission Syntec Numérique @Excellencia2015 #TropheeExcellencia Et de dénoncer un Warren Buffet, « qui ne paie que 0,06 % d’impôt », grâce à l’utilisation astucieuse du système. « Le système de taxation actuel est conçu pour le bonheur des fiscalistes et de ceux qui peuvent se les payer. Pas pour la majorité des gens. » La fiscalité ne permet-elle pas de redistribuer un peu de revenu, alors que 1 % des Américains, les plus riches bien sûr, se sont arrogé la quasi-totalité de revenus supplémentaires de 2009 à 2013 ? « S’ils s’enrichissent, c’est justement grâce à ce système fiscal aberrant ». Ce n’est pas une question de redistribution, laquelle est condamnable, estime Laffer : « Si l’on taxe les riches et que l’on donne aux pauvres, il y aura de plus en plus de pauvres. Il y a 50 États aux États-Unis. Il existe neuf États sans impôt sur le revenu, et neuf États avec un taux élevé. Si l’on compare ces 18 entités, on voit qu’en termes de revenu, d’emploi, de croissance, et même de progression des recettes fiscales, ce sont les États sans impôt sur le revenu qui s’en tirent le mieux. Il faut bien comprendre que L’État ne crée pas de richesse, il redistribue les richesses existantes. C’est intéressant de voir à quel point tout le monde est perdant avec l’imposition du revenu. On taxe les excès de vitesse pour les diminuer, on taxe le tabac pour en réduire la consommation, et on pense taxer le revenu sans le diminuer ? Cela fonctionne pourtant à l’identique. Imaginons que l’on prélève sur tous ceux dont le revenu dépasse la moyenne, pour le redistribuer à ceux qui sont en dessous. On aboutirait à une égalité parfaite, mais avec un revenu zéro ! » « PLUS ON REDISTRIBUE, MOINS IL Y A DE REVENU » Interrogé avec insistance sur la montée des inégalités aux États-Unis, Arthur Laffer renchérit : « Quand quelqu’un devient plus riche, cela ne me pose pas de problème. Il faut que tout le monde s’élève. La redistribution aboutit à l’inverse. Tout argent redistribué réduit le revenu total. Quand on prend à quelqu’un, quand on le taxe, il va moins produire. Tandis que celui qui recevra une allocation prélevée sur le riche sera moins incité à travailler. Les deux produiront moins ! » Bref, « plus on redistribue, moins il y a de revenu ». Du reste, « il y a trop de redistribution aux ÉtatsUnis, des allocations chômage trop généreuses, qui diminuent l’incitation à travailler, à produire ». Et Arthur B. Laffer d’insister : « On crée de la pauvreté avec la redistribution, c’est mathématique. » Mais il faut bien que les États aient les moyens d’assurer certains services publics, lui objecte-t-on… « Bien sûr, mais il ne faut surtout pas un impôt progressif, il faut privilégier les impôts sur les Recettes fiscales Pour l’économiste inventeur de la célèbre formule « Trop d’impôt tue l’impôt » et de la fameuse courbe en cloche qui porte son nom, le système fiscal actuel nuit à la croissance. L’idée d’une « flat tax », limitée à 15 %, est pour lui plus que jamais d’actualité. Rencontre… 0 Taux optimal d’imposition Taux d’imposition (%) propriétés immobilières [les « property taxes » anglo-saxonnes, ndlr] et sur la consommation », assure Arthur B. Laffer. En revanche, il ne veut pas entendre parler des droits de succession. HOLLANDE A-T-IL RAISON DE BAISSER L’IMPÔT ? S’agissant de l’impôt sur le revenu, faudrait-il taxer de manière identique les salaires et les gains en capital – plusvalues boursières, dividendes… – ? lui est-il demandé. « À condition d’avoir un système optimal avec une faible taxation, je ne vois pas de raison de prévoir une taxation différenciée », répond-il. Sur la situation française, l’économiste hésite à se prononcer, alors qu’il est invité à Paris. « Je ne veux pas être grossier… » dit-il. Mais, la France ne seraitelle pas une bonne illustration de la courbe de Laffer, insiste un intervenant ? « On peut dire que c’est un exemple », déclare Laffer dans un sourire. « François Hollande a-t-il raison de baisser l’impôt ? » lui demande-t-on encore. « Oui, bien sûr », admet l’économiste, qui semble douter de l’ampleur des réformes à venir en France, et qui, plus généralement, se montre critique à l’égard des responsables politiques. « Tout de même, n’existe-t-il pas des pays où coexistent un niveau élevé d’impôts et une forte croissance économique, à l’exemple de l’Allemagne ou de la Suède ? », ose encore demander quelqu’un… La réponse fuse : « L’Allemagne n’a pas tant réussi ! Quant à la Suède, elle a la chance de ne pas être dans l’euro, et elle s’est beaucoup réformée, elle a beaucoup allégé son système fiscal. » De fait, l’impôt sur le revenu représente en Suède 15 % du PIB, selon Eurostat. Il est le plus élevé d’Europe, après celui du Danemark. La France, elle, se situe au 11e rang européen pour le poids de l’impôt sur le revenu (CSG comprise). n 100 La fameuse courbe en cloche de Laffer vise à démonter qu’au-delà d’un certain seuil d’impôt, les recettes fiscales tendent à décroître. Alors qu’est-ce qui « cloche » dans la fiscalité ? « C’est à la fois le haut niveau des taux de taxation et la multiplicité des niches fiscales », se plaît à souligner Arthur B. Laffer. © REUTERS/ STÉPHANE MAHE I 27 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR MARCHÉS FINANCIERS Cette « drôle de guerre » de l’économie mondiale… La période actuelle, avec ses réponses politiques, et notamment l’injection massive de liquidités, en Chine, aux États-Unis ou en Europe pour soutenir des Bourses en difficultés, rappelle l’inertie des débuts de la Seconde Guerre mondiale. Les conséquences économiques pourraient être terribles pour la France. PAR SÉBASTIEN LAYE ENTREPRENEUR ET FINANCIER, LAYE HOLDINGS LLC. L a « drôle de guerre » désigne cette curieuse période entre le 3 septembre 1939, date de la déclaration de guerre de la France et du Royaume-Uni à l’Allemagne, et le 10 mai 1940, qui marqua le début réel des hostilités avec l’invasion de la Belgique et des Pays-Bas par l’Allemagne. Comme lors de cette longue période d’inertie et d’apathie, alors même que s’accumulaient les menaces, nous pensons que la période actuelle est une « drôle de guerre » économique portant en germe de nombreux dangers pour l’économie française. Et, comme en 1939-1940, l’aveuglement est là, mais aujourd’hui il s’agit de celui des dirigeants des principales économies et des investisseurs financiers, qui s’illusionnent avec la bonne tenue des Bourses après l’avertissement chinois récent. Entre le 17 et le 25 août, l’indice de la Bourse de Shanghaï perd un quart de sa valeur. Ce krach boursier chinois, qui entraîne dans son sillage tous les indices mondiaux, est interprété comme un reflet d’un soudain ralentissement chinois. En réalité, l’économie chinoise est dans une phase complexe de son cycle de croissance depuis au moins cinq ans. Après une période d’une quinzaine d’années reposant sur le développement de ses infrastructures, le rattrapage industriel, l’exode rural et un modèle fondé sur l’exportation – piloté de manière pharaonique et avec un certain succès par le pouvoir central –, cette première étape a commencé à s’enrayer dès 2009 avec les difficultés des clients occidentaux de la Chine lors de la crise. DE L’INUTILITÉ DES RÉPONSES POLITIQUES Les immenses injections de liquidités du pouvoir central ont certes jugulé la possibilité d’une lourde récession à l’époque, mais le pouvoir central chinois est démuni, car la deuxième étape nécessaire pour l’économie chinoise, celle du développement de la consommation intérieure et du réinvestissement de l’épargne populaire dans des projets cohérents, ne dépend pas de lui : un gouvernement peut imposer des constructions et des conditions de crédit expansionniste, mais il ne peut décider de la consommation des individus. Ce constat, associé à des années de mal-investissement avec la possibilité d’une crise du crédit chinois (les économistes qualifient de « Moment Minski » cette épineuse étape du cycle de crédit), est connu depuis plusieurs années ; en réalité, ce qui a déclenché la crise boursière chinoise est le constat du manque d’efficacité et de l’inutilité des réponses de politique économique du pouvoir central, notamment la dévaluation du yuan. UNE INTERPRÉTATION ERRONÉE DE LA BOURSE Lorsque les marchés financiers chinois ont paru au bord de l’abîme, les marchés européens ont enregistré quelques secousses avant de se ressaisir, et les gouvernants européens n’ont eu de cesse de rappeler à l’unisson à leurs opinions publiques que nos économies, si ce n’était pour certaines industries exportant vers l’Asie, étaient largement indépendantes de l’économie chinoise. Et de citer amplement pour étayer leur thèse la bonne tenue in fine des marchés financiers européens à l’aune de cette crise (le CAC40 par exemple n’aura effacé qu’un peu moins de 10 % de sa valeur). Bergson, dans L’Énergie spirituelle, a introduit sans son explication des rêves le concept de paréidolie (de « para », à côté de, et « eidos », forme) : comme dans le test de Rorschach, la paréidolie est une illusion optique qui conduit notre cerveau à donner un sens clair et identifiable à un stimulus informe et ambigu. Cette période de « drôle de guerre » écono- Formule mique dans laquelle nous entrons est fondée sur le même type d’interprétation erronée de la Bourse : ce qu’a démontré le krach chinois, ce n’est pas tant l’état où se trouvait l’économie chinoise – bien connu de tous et normal à l’aune de son développement –, mais plutôt l’inefficacité des politiques économiques chinoises dites non conventionnelles (assouplissement quantitatif ou achats de titres financiers par les banques centrales). UN ALIGNEMENT POSITIF DES PLANÈTES À l’heure où l’Amérique tourne la page de ces mesures exceptionnelles avec un bilan mitigé (des années de taux d’intérêt très bas ayant eu pour seul effet clair une reflation de certaines bulles financières et immobilières, alors que d’autres facteurs expliquent l’essentiel de la reprise économique), l’Europe, qui a prévu de les amplifier pour sortir de l’ornière où elle se trouve, a peu de chances de réussir là où la Chine a manifestement échoué. L’économie française bénéficie d’un alignement positif des planètes sans précédent en théorie : taux d’intérêt bas, euro à un faible niveau, prix du pétrole très bas, politique monétaire inTégrALe Avec l’édition abonnés La Tribune, prenez les bonnes décisions européenne accommodante. Ce contexte exceptionnel a peu de résultats tangibles actuellement, du fait des effets d’hystérésis bien connus en économie (persistance d’un phénomène économique alors que sa cause principale a disparu), mais aussi car l’absence d’ambitieuses réformes structurelles (coût et structure du marché du travail, fiscalité) ne nous permet pas d’en profiter pleinement et jugule notre croissance potentielle. Mais il y a beaucoup plus grave pour l’économie française : les efforts de la BCE, comme l’ont compris ceux des financiers qui ont massivement vendu des titres quand le roi chinois s’est avéré bien nu, sont probablement voués à l’échec ; quant à l’économie américaine, en expansion depuis six ans, elle a une forte probabilité statistique de traverser une récession au cours des deux prochaines années. La France n’a donc pas encore profité de la reprise économique mondiale qu’elle court le risque de faire face à des défis incommensurables. Ses dirigeants doivent se garder d’interprétations simplistes et prêter attention au cycle du crédit mondial. Car, quand les agents économiques auront sonné le glas de cette drôle de guerre, il faudra naviguer à travers une nouvelle récession. ■ Entre le 17 et le 25 août, l’indice de la Bourse de Shanghaï perd un quart de sa valeur. Ce krach boursier chinois, qui entraîne dans son sillage tous les indices mondiaux, est interprété comme le reflet d’un soudain ralentissement chinois. © REUTERS Abonnement 21 € /mois seuLemenT Vite, j’en profite ! pendAnT 1 An abonnement.latribune.fr 28 I VISIONS LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR MOBILISATION L’association France Digitale a organisé son « FDDay #3 » le 15 septembre au Carreau du Temple. Cet événement, intitulé « Battle for greatness », a été l’occasion pour l’écosystème numérique français d’appeler tous ses membres à une participation ambitieuse à la « bataille » du xxie siècle. La France dans le G7 ou le tiersmonde du siècle numérique ? © DR L a France figurera-telle fièrement dans le G7 du siècle numérique qu’est le xxie siècle ou souffrira-t-elle durablement dans le ventre mou d’un monde économique où toutes les cartes auront été rebattues ? C’est la question qui est posée : les acteurs de la French Tech en sont hyper-conscients quand politiques, médias, grandes entreprises et la population commencent seulement à appréhender l’importance cruciale de cette « bataille »… Alors que les marchés boursiers PAR sont chahutés, alors que certains JEAN-DAVID annoncent déjà la fin du cycle éconoCHAMBOREDON mique fantastique que connaît l’inPRÉSIDENT-EXÉCUTIF dustrie de la « tech » depuis cinq ans, D’ISAI, VICE-PRÉSIDENT alors que, par ailleurs, d’autres crient DE FRANCE DIGITALE. au loup contre une potentielle « ubérisation » de la société, nous avons la conviction que l’opportunité présente est « séculaire » et que la capacité que Vendre aux nous aurons à embrasser ou non cette « Minitellistes » un projet positif révolution inéluctable et irréversible qui offre aussi sera décisive pour le destin de notre une véritable cher pays. Alors que la croissance du perspective PIB français au second trimestre 2015 aux « natifs est nulle, alors que le chômage continumériques » nue à progresser, alors que, pourtant, serait une depuis un an environ, la ligne éconosolution au chaos mique du président de la République prévisible. © ISTOCK et de son gouvernement se veut « pro-business » et n’est plus entachée par des « couacs anti-business » (ravageurs en termes de confiance), nous avons la conviction qu’il nous faut vraiment changer de braquet et prendre la mesure des changements lourds qui sont absolument nécessaires. LA QUERELLE DES ANCIENS ET DES MODERNES « Battle for greatness » est un très beau slogan. « Battle for growth », « Battle for real change », « Battle for the new generation », « Battle for the future »… représentent aussi la même et unique bannière derrière laquelle nous sommes mobilisés ! Une association comme France Digitale n’a pas pour rôle de « faire de la politique ». Elle pourrait se contenter d’être un groupe de pression, ardent défenseur des intérêts bien compris de ses membres. Elle est, ceci dit, le représentant d’une communauté micro-économique qui se trouve à l’épicentre d’une transformation (voire révolution) socio-économique et elle se doit, pour cette raison, à la fois de témoigner et d’être force de proposition. L’affrontement idéologique droitegauche qui régit la vie politique française est une réalité totalement dépassée : l’échiquier politique voit, en réalité, aujourd’hui, une nouvelle forme de clivage entre les centres et les extrêmes (qu’ils soient de gauche ou de droite). De même, l’appréhension du monde d’aujourd’hui par nos concitoyens révèle deux grands camps : en caricaturant, d’un côté, des baby-boomers nostalgiques des « trente glorieuses » ayant baigné depuis leur naissance dans une (in-) culture économique moraliste, collectivo-colbertiste et souvent malthusienne, de l’autre, la « génération Erasmus » ouverte sur l’Europe et le monde, n’ayant connu que crise et chômage et, par conséquent, faiblement idéologisée et ultra-pragmatique, qu’elle se sente actrice ou victime des changements économiques majeurs connus par la planète durant ces dernières décennies. FAILLITE OU CHANGEMENT POLITIQUE BRUTAL Cette fracture générationnelle peut paraître inquiétante et paralysante : elle l’a été jusqu’alors, car notre personnel politique ne s’est, en fait, adressé qu’à cette « génération Concorde » (largement majoritaire au sein du corps électoral) lui promettant en toute démagogie que tout allait aller « redevenir comme avant »… La « génération Internet » paiera la retraite, la fin de vie et les dettes publiques laissées par la génération précédente et tout ira bien ! Cette fuite en avant s’achèvera, en réalité, à la plus proche des deux dates (peut-être simultanées) : la faillite de l’État français (ou de ses systèmes de protection sociale) ou un changement politique brutal dont la forme reste inconnue mais dont l’échéance se rapproche au vu de l’évolution démographique du corps électoral… TROUVER UN PROJET ÉCONOMIQUE INNOVANT Anticiper ce chaos est parfaitement possible. Il suffirait pour cela de vendre à nos « Minitellistes » un projet convaincant et positif qui offre une véritable perspective aux « natifs numériques » que sont leurs enfants et petits-enfants ! Le projet se doit d’être avant tout économique. La France doit changer son modèle économique, effectuer un « pivot », mobiliser du capital, innover, itérer, « exécuter » pour s’affirmer comme une puissance du xxie siècle. La France doit passer du statut de « belle endormie » à celui d’« entreprise à succès » ! Cela passera par de multiples changements à mettre en œuvre dans un cadre qui se doit d’être à la fois européen et national. Les questions posées (liste non exhaustive) : quel marché européen (consommation, travail, financement…) pour nos entreprises et nos concitoyens permettant à l’Europe de rivaliser avec les autres grandes puissances ? Quelle refonte (incluant une baisse sensible des prélèvements obligatoires) mettre en œuvre pour rendre notre modèle de « transferts sociaux » à nouveau solvable ? Quelle fiscalité sur le capital, le patrimoine, le travail, les entreprises pour changer radicalement notre image de pays « surfiscalisé » et « inattractif » ? Quid, par exemple, d’une véritable mobilisation « productive » de l’importante épargne individuelle que notre pays a la chance de receler ? Comment développer véritablement le marché du travail en combinant harmonieusement « salariat moderne » et une montée en puissance inéluctable de « l’entrepreneuriat individuel » ? Comment finalement faire adhérer tout un chacun à une vision « ascendante » où l’acteur micro-économique (entrepreneur, investisseur, salarié, consommateur…) devient un véhicule « auto-propulsé » au lieu d’être l’un des wagonnets d’un train devenu trop lourd pour ne pas dérailler ? Le chantier est immense, les enjeux sont décisifs et nous pouvons tous contribuer à la construction de cette France 4.0. Le débat ne fait que démarrer. Il nous semble que l’opinion publique y est dorénavant prête… ■ I 29 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR VU DE BRUXELLES AU CŒUR DE L’INNOVATION Verre à moitié vide et à moitié plein FLORENCE AUTRET CORRESPONDANTE À BRUXELLES RETROUVEZ SUR LATRIBUNE.FR SON BLOG « VU DE BRUXELLES » http://www.latribune.fr La Tribune 2, rue de Châteaudun, 75009 Paris Téléphone : 01 76 21 73 00 Pour joindre directement votre correspondant, composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffres mentionnés entre parenthèses. SOCIÉTÉ ÉDITRICE LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S. au capital de 4 850 000 euros. Établissement principal : 2, rue de Châteaudun - 75009 Paris Siège social : 10, rue des Arts, 31000 Toulouse. SIREN : 749 814 1304 Président, directeur de la publication Jean-Christophe Tortora. Vice-président métropoles et régions Jean-Claude Gallo. de Manhattan, avec des papiers en règle. L’alternative à cette politique n’est-elle pas pire encore ? Actuellement, le flot de migrants qui a finalement poussé l’Allemagne à rétablir les contrôles à sa frontière sud est justement le fruit de l’incapacité à assurer une gestion ordonnée de l’immigration. Les Syriens fuient leur patrie à cause de Daech. Arrivés au Liban, en Jordanie, en Égypte, en Turquie, ils fuient à nouveau des camps de réfugiés surpeuplés où les rations alimentaires et les programmes scolaires ont été coupés faute de moyens. Les camps du HCR dans les pays frontaliers de la Syrie étaient financés seulement à 42 % de leurs besoins fin 2014, en Turquie à seulement 21 % selon son représentant à Bruxelles, Vincent Cochetel. Quand ils arrivent en Grèce, ils n’ont souvent d’autre choix que de dormir dans des parcs, sur les plages. Cette catastrophe humanitaire qui dure depuis des années n’est-elle pas plus grave encore que les déclarations à l’emporte-pièce de Viktor Orban ? En 2013, la Cour de Luxembourg a donné raison à un demandeur d’asile que l’Allemagne voulait renvoyer en Grèce contre son gré (mais en accord avec le droit européen), parce qu’il risquait d’y connaître un « traitement inhumain ». En d’autres termes, dans la situation actuelle, ni la libre circulation, ni les droits de base des réfugiés ne sont garantis. Face à la crise des migrants, la Commission européenne a axé sa communication sur les « quotas » pour signifier qu’elle entendait faire prévaloir ces principes dans tous les pays de l’Union. Elle a voulu faire ce pour quoi elle considère qu’elle est là : imposer l’application du devoir d’accueil des demandeurs d’asile dans tous les pays européens et inventer une règle de répartition des migrants, un peu comme elle en a créé une pour les quotas d’émission de CO2. Elle s’est heurtée à un mur, car elle a réveillé des identités nationales à fleur de peau. Paris et Berlin ont raison de faire de la politique de contrôle aux frontières une priorité. L’étape suivante devrait être de définir une politique d’immigration commune sur des critères économiques. Si les Européens arrivaient à faire cela, la question des quotas ne se poserait plus et les effets sur les susceptibilités nationales, qui nourrissent les populistes partout en Europe et menacent la libre circulation, seraient neutralisés.■ RÉDACTION Directeur de la rédaction Philippe Mabille. Directeur adjoint de la rédaction Robert Jules Économie - Rédacteur en chef adjoint : Romaric Godin. Jean-Christophe Chanut, Fabien Piliu. ( Entreprise - Rédacteur en chef : Michel Cabirol. Rédacteur en chef adjoint : Fabrice Gliszczynski. Pierre Manière, Sylvain Rolland, Marina Torre. ( E DR DR B ien sûr, on peut voir le verre à moitié vide. Vingt-huit ministres de l’Intérieur qui s’écharpent pendant des heures pour n’avoir finalement à offrir en pâture aux opinions inquiètes que le chiffre de « 40 000 ». 40 000 réfugiés qu’ils se disent prêts à se partager. C’est peu comparé aux 4 millions de Syriens qui désespèrent, sur la rive sud et est de la Méditerranée, de jamais retourner chez eux et attendent de trouver un endroit où vivre plutôt que survivre, envoyer leurs enfants à l’école, travailler, oublier l’épreuve de l’exil. Et même si l’on y ajoutait les 120 000 supplémentaires proposés par la Commission européenne, cela semblerait encore dérisoire par rapport aux 800 000 attendus en Allemagne cette année. Mais on peut aussi le voir à moitié plein. Face à la crispation des pays d’Europe centrale, à l’indigence des autorités grecques débordées, aux ambiguïtés des Italiens, les ministres allemand et français ont ramené un peu de réalité dans un débat européen qui surfe dangereusement sur la vague de l’émotion. Bernard Cazeneuve a prononcé les mots « enregistrement » et « rétention ». Son homologue allemand, Thomas de Maizière, témoignage vivant de la vague d’immigration huguenotte qui a transformé la sociologie de Berlin au xviiie siècle, a eu celui d’« ordentlich » pour demander une gestion ordonnée du flux de migrants. De concert, ils ont rappelé cette évidence : avant de se mettre d’accord sur un système pérenne de répartition des migrants, l’urgence est d’avoir un contrôle aux frontières « efficace et puissant », a dit Bernard Cazeneuve. Et un mot nouveau a fait son apparition dans la novlangue européenne : hotspot. En clair, des centres de tri des migrants, où l’on peut distinguer entre ceux qui pourront entrer et les autres. Trier des hommes, des femmes, des enfants, qui subissent déjà l’épreuve de l’exil, bien sûr, c’est déplaisant. Mais c’est aussi ce qu’ont fait les États-Unis, ce grand pays d’immigration. À Ellis Island, lieu mythique de l’exil s’il en est, entre 1892 et 1954, sur 12 millions d’immigrés, essentiellement Européens, qui se sont présentés, huit ont finalement débarqué à Battery Park, à la pointe sud « New deal » pour l’Europe spatiale DIDIER SCHMITT ANCIEN MEMBRE DU BUREAU DES CONSEILLERS DE POLITIQUE EUROPÉENNE À LA COMMISSION EUROPÉENNE ET MEMBRE DU SERVICE EUROPÉEN POUR L’ACTION EXTÉRIEURE Les opinions exprimées dans le présent article sont uniquement celles de l’auteur. ( Finance - Rédacteur en chef adjoint : Ivan Best. Christine Lejoux, Mathias Thépot. ( Correspondants Florence Autret (Bruxelles), Jean-Pierre Gonguet (Grand Paris). ( Conseiller éditorial François Roche. ( La Tribune Hebdo Rédacteur en chef : Alfred Mignot. Chef de studio : Mathieu Momiron. Secrétaires de rédaction et révision : Éric Bruckner, Maya Roux. n 2030, il n’y aura aucun État européen dans les 15 premiers pays les plus peuplés du monde, ni dans les sept pays les plus développés. Dans un tel contexte, nous aurons du mal à rester compétitifs dans les domaines de pointe si nous ne sommes pas également novateurs dans l’évolution du fonctionnement de nos institutions à l’échelle européenne. Nous le voyons déjà, ce ne sont plus les grandes infrastructures étatiques, comme les TGV, qui sont génératrices d’innovation. Ce sont les initiatives de services privés qui ont le vent en poupe, comme les futures connexions Internet haut débit par constellations de satellites, car elles ne s’encombrent pas de complexités décisionnelles, organisationnelles ou politiques. Les acteurs émergents supplantent leurs concurrents par la rapidité de mise en œuvre de leurs idées, en captant d’emblée un besoin global. Les États-Unis ont déjà une longueur d’avance, en incitant constamment des opérateurs privés, comme Elon Musk, à fournir des services étatiques dans tous les secteurs du spatial. Les bases de nos grands programmes spatiaux européens comme Galileo – le GPS européen – et Copernicus – pour l’observation de la Terre – ont été élaborées il y a quinze ans déjà. Une initiative inédite dont la mise en orbite ne fut pas toujours facile. L’un des principes en est que l’UE est propriétaire des infrastructures spatiales dont la maîtrise d’œuvre est déléguée à l’Agence spatiale européenne, intergouvernementale, qui sous-traite le développement à l’industrie, en s’appuyant sur les règles communautaires pour le financement tout en incluant les États membres pour la définition et le suivi de ces activités. Dans le domaine spatial, le temps de latence est tel qu’à peine les premiers satellites lancés, on doit déjà penser à la génération suivante, en l’occurrence pour 2025. Au vu des bouleversements prévisibles de l’échiquier international d’ici là, la façon actuelle de procéder sera-t-elle encore pertinente ? Surtout en considérant que la phase COMITÉ DE DIRECTION Max Armanet, directeur éditorial Live Media. Cécile Chambaudrie, directrice Hub Media. Robert Jules, directeur adjoint de la rédaction Thomas Loignon, directeur des projets numériques et du marketing marque. Philippe Mabille, directeur de la rédaction. Aziliz de Veyrinas, directrice stratégie et Développement Live Media. d’exploitation s’étalera au-delà de 2035. Il faut dorénavant devancer l’avenir. Cela demande une prospective intégrée, car les besoins sociétaux et les innovations technologiques convergent de toutes parts. Le secteur spatial est le champion de la coopération renforcée entre pays volontaristes en ayant créé l’Agence spatiale européenne il y a quarante ans ans déjà. Du fait de leur aspect très dual (civil et militaire), les outils de surveillance de l’espace – orbitographie des satellites et des débris – ne sont dans les mains que de quelques pays. Leur mutualisation devrait prochainement amener l’UE à financer un service fondé sur ces capacités nationales afin de garantir la sécurité de ses propres satellites. De même, des réflexions sont en cours pour mettre en commun des capacités nationales ou commerciales de télécommunications sécurisées pour des utilisations gouvernementales, comme le transport aérien. D’ailleurs l’Agence européenne de défense a déjà mis en place une initiative dans ce sens pour des besoins d’opérations militaires. Il est aussi question que l’imagerie de très haute résolution de certains pays européens soit accessible sous forme de service payant pour les besoins de l’UE. Ce principe, par lequel l’UE se fonde sur des capacités nationales ou commerciales en ne finançant que les services qui en découlent, peut en fait être étendu à beaucoup de secteurs, y compris des domaines touchant la sécurité et la défense. Mis à part la simplicité et l’efficacité de la mise en œuvre, une conséquence de premier plan serait que les entités ou pays contributeurs devront penser européen ; en définissant leurs propres programmes, afin que ceux-ci puissent recevoir des financements pour leur partie communautaire. Aussi faudra-t-il instaurer un système transparent de coordination pour la mise en commun équitable des ressources y contribuant. Les acteurs industriels, nationaux et même intergouvernementaux devront d’office penser plus grand que le niveau national ou européen, avec comme valeur ajoutée des services à dimension au moins européenne. ■ CONTACTS Directeur commercial Hub Média : Luc Lapeyre (73 28) Responsable Abonnements : Martin Rivière (73 13) Abonnements et ventes au numéro : Aurélie Cresson (73 17). ACTIONNAIRES Groupe Hima, Laurent Alexandre, JCG Medias, SARL Communication Alain Ribet, SARL RH Éditions/Denis Lafay. Imprimerie Riccobono 79, route de Roissy 93290 Tremblay-en-France Cette édition comprend un supplément gratuit La Tribune Afrique : « Le Maroc, une porte d’entrée royale sur le continent ». No de commission paritaire : 0519 C 851307. ISSN : 1277-2380. 30 I GÉNÉRATION LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR CYRIL EBERSWEILER Globe-trotteur du « hardware » À 36 ans, ce Français, qui navigue de la Chine aux États-Unis, est un personnage dans l’écosystème mondial des startups. Il trace sa route à toute vitesse, tout comme son programme « Hax Accelerator ». PAR MAXIME HANSSEN L es cris de ses deux chérubins détournent un instant son regard. Ses enfants se préparent dans l’agitation pour leur première journée d’école à Barclays, dans la banlieue de San Francisco. Cyril Ebersweiler, multi-entrepreneur et investisseur, fera, lui aussi, sa rentrée dans quelques jours. Il ouvrira une nouvelle entité en Californie, « le premier accélérateur d’accélérateur », s’amuse-t-il. Ce deuxième opus est la suite de Hax Accelerator, une structure qu’il a créée en 2011 à Shenzhen, en Chine. Elle est désormais l’un des plus incroyables programmes de startup du monde pour les spécialistes du matériel informatique (objets connectés, imprimante 3D). Même si son allure quotidienne suggère le contraire – tee-shirt et short –, il n’a plus grand-chose de l’étudiant. À seulement 36 ans, ce grand gaillard à la tignasse blond vénitien est déjà un théoricien. Un casseur de codes. « Chaque matin, je me réveille en me disant que j’ai l’obligation de mettre au point un système pour assurer la survie des startups. Elles ont tellement à apporter au marché et au monde », affirme cet infatigable voyageur, qui a déménagé 13 fois en quatorze ans. Hax, lancé grâce à son fonds SOSventures, « IL FAUT CRÉER TRÈS VITE DE LA VALEUR » répond à son obsession : en quatre ans d’existence, plus de 80 startups ont été accélérées ; seulement deux ont rendu les armes. La ligne de conduite est claire : construire, lancer et expédier les produits des startups à une vitesse éclair. C’est que le secteur du matériel informatique « qui est en train de coloniser tous les pans de l’économie, notamment la santé », n’a pas le temps de prendre son temps. « Chaque mois qui passe, pour une startup, c’est 3 000 à 40 000 dollars qui sont dépensés, car le hardware nécessite des coûts de production, même s’ils sont en baisse. Il faut donc créer très vite de la valeur. » Il faut être dans les starting-blocks. « Si vous êtes le premier à commercialiser, vous avez une plus grande chance de dominer votre propre marché », estime-t-il. Ainsi, en trois mois et demi, les startups sont mises sur orbite grâce à un programme bien ficelé. D’abord, ces jeunes pousses – multinationales à 40 % « B to B » et 60 % « B to C » –, sont sélectionnées sur leur maturité : un prototype, un marché. Elles bénéficient des critiques constructives des mentors, eux-mêmes anciens « accélérés ». « Un enseignement qui rappelle celui de l’école mutuelle du xixe siècle en France », souligne celui qui a quitté l’Hexagone fâché avec le modèle universitaire. Puis, les startups sont propulsées sur la plateforme de financement participatif Kickstarter, « une première approche concrète du potentiel du produit sur le marché ». L’opération est soutenue par un investissement de Hax pouvant aller jusqu’à 300 000 dollars, contre une prise de participation dans le capital. Si le programme de formation est essentiel, le terrain de jeux pour l’appliquer ne l’est pas moins. Shenzhen représente l’écosys- VOUS AVEZ ENTRE 16 ET 40 ANS ? CANDIDATEZ SUR PLTJE.LATRIBUNE.FR JUSQU’AU 30 SEPTEMBRE 2015 #1000SUp © HAO @HanssenMaxime Zone d’influence : #Startups #Hardware #Shenzhen #SanFrancisco #Education tème parfait. Cet ancien petit port de pêche chinois devient l’épicentre de la high-tech mondiale, vivier des futures licornes planétaires. « Du laboratoire aux usines, grandes et petites, elle permet une réactivité inégalée dans la réalisation de prototypage. Le point fort de la ville, c’est cette gestion de la chaîne logistique », explique, en cherchant ses mots en français, ce polyglotte fasciné par le dynamisme de l’empire du Milieu. Son attrait pour l’Asie, il l’a développé aux débuts d’Internet, à l’heure des modems et du débit 56 k. « J’ai rencontré sur la Toile une dizaine d’inconnus qui m’ont permis de partager leur quotidien. » Ainsi, lors d’un stage d’étude à l’IAE de Nantes en 2001, après un Master en droit des affaires à l’université de Poitiers, il choisit la Chine. C’est dans cet environnement peu connu, parfois hostile, qu’il forge son appétence pour la difficulté, voire pour la souffrance, convaincu « qu’il ne faut pas refuser les obstacles et saisir chaque opportunité ». Il y travaille pour Carrefour, où il crée le premier site d’e-commerce chinois. Il déménage à Shanghaï, Pékin, Canton, au gré des opportunités (Adidas, Air France), dirigeant des équipes de 100 personnes, avant de s’envoler pour le Japon, au siège de Nissan. Puis il s’engage dans une agence de communication, travaille en Corée du Sud. Ces expériences aiguisent son appétit d’innovation. Mais l’environnement n’est pas propice : « J’ai souvent insisté pour intégrer des startups. La résistance était féroce », déplore ce féru de technologie. Son futur partenaire, Sean O’Sullivan, repère sa frustration. Après moult discussions, il bascule définitivement dans l’entrepreneuriat et l’investissement. Ironie du sort, auparavant il « trouvait ses camarades de l’IAE, qui souhaitaient se lancer sur ce créneau, totalement fous ». C’est désormais lui le « cinglé », passionné, souriant, convivial, acharné de travail. Après un petit détour par Boston, où il est mentor pour Techstars, Cyril Ebersweiler revient en Chine en 2010 et fonde le premier accélérateur chinois, Chinaccelerator, spécialisé dans le logiciel, à Shanghaï. La structure cartonne. Mais dans sa quête, il a besoin d’un autre défi. Il crée Hax. Sa nouvelle antenne californienne, qu’il ouvrira le 1er octobre, est la pièce manquante de Hax « Distribuer le produit, c’est encore plus dur que de le créer. En quarante-deux jours, nos startups vont apprendre les codes pour imposer leur innovation. » La pièce du puzzle achevé, il a déjà anticipé de nouveaux défis, notamment dans la santé. Son rêve : voir la startup Babybe, incubée en 2013, aller au bout de son projet : la commercialisation d’un matelas bionique pour bébés prématurés afin de réduire les séquelles. Parce que, pour étudier et entreprendre, il faut d’abord vivre. Il le sait mieux que quiconque, lui, l’enfant né avant terme. Son songe ultime ? « Participer à la révolution éducative mondiale, et notamment en France. Ça me démange. » Un dernier regard vers ses enfants ; les voilà déjà partis, cartable sur le dos. ■ TIME LINE Cyril Ebersweiler 1979 Naissance. 1998 – 2001 Master de droit des affaires, université de Poitiers. 2002 Diplômé de l’IAE de Nantes, première expérience en Chine. Création du premier site d’e-commerce chinois pour Carrefour. 2004 – 2010 Nombreuses expériences à travers l’Asie : Adidas, Air France, Tequila, etc. 2010 Associé au fonds d’investissement SOSV. 2011 Fonde Hax Accelerator. MODE D’EMPLOI • Où le rencontrer ? À Shenzhen ou à San Francisco. Pas en France. « J’y suis une fois tous les cinq ans. » Sinon, sur la toile : « Par email, jamais par téléphone. » • Comment l’aborder ? Autour d’un café ou d’une bière, en fonction de l’heure. « La rencontre peut durer deux minutes comme trois heures. J’aime créer des connexions à long terme. » • À éviter ! « Les projets trop conventionnels, trop cadrés. Sinon rien de spécial, je suis plutôt cool et ouvert ! » 1er octobre 2015 Lance la première promotion de Hax Boost afin de permettre aux startups d’optimiser la distribution de leur produit. 2018 Année « sabbatique ». Étude d’un programme d’éducation intitulé « Semester at Sea ». 07.09.2015 12:03 (QUADRI-tx vecto) flux: PDF-1.3-Q-300dpi-v-X1a2001-isocoated-v2-300 1 croissance re de l’emploi numérique en France * Nantes, métropole French Tech au service de l’innovation www.nantestech.com * période 2009 - 2014, hors Paris DU VENDREDI 18 AU JEUDI 24 SEPTEMBRE 2015 NO 142 AFRIQUE SOMMAIRE Comment l’écosystème industriel P. 3-4 se diversifie et se renforce. Pourquoi le Maroc mise sur l’Afrique, avec une politique du « spectre complet ». P. 5 Ces « locomotives » marocaines P. 6 qui se projettent sur le continent. Les secteurs clés de l’essor marocain. P. 7 CFC, un hub financier régional à « Casa ». P. 7 Ces entrepreneurs marocains partis P. 8-9 à la conquête de l’Afrique. Comment le Maroc met ses agences P. 10 publiques en ordre de bataille. Ambitions convergentes et partenariat P. 10 stratégique du couple France-Maroc. Un navire chargé de conteneurs à l’approche du terminal Renault de Ksar Sghir, sur le port de Tanger-Med. Inauguré en 2007, celui-ci bat toutes les prévisions de trafic et se classe déjà au 5e rang en Méditerranée. Dans le même temps, la zone franche industrielle qui le jouxte connaît un grand succès, notamment grâce à la jeune industrie automobile qu’elle abrite, et qui est devenue en trois ans le premier secteur exportateur du royaume chérifien. LE MAROC Une porte d’entrée royale sur le continent JEAN-CHRISTOPHE TORTORA PRÉSIDENT, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION @jc_Tortora Avec cette première édition de notre nouveau supplément LA TRIBUNE AFRIQUE, c’est à un nouveau rendezvous à la découverte de l’immense « continent noir » que nous convions et inviterons régulièrement nos fidèles lecteurs. L’Afrique, à laquelle nous avons déjà consacré un dossier (« 2020/2050 - Trente glorieuses pour l’Afrique ? », dans La Tribune n° 129 du 24 avril 2015) s’affirme en effet comme le continent d’avenir : naguère encore « mal partie » et affublée de toutes les tares, la voici devenue en quelques années celle sur laquelle la planète entière compte pour assurer le relais d’une croissance qui s’étiole, tant en Asie que dans les Brics. Le choix de la destination Maroc, auquel nous consacrons cette première édition africaine, va au-delà de l’argument d’actualité convenu — la seconde visite officielle du président François Hollande dans le royaume, les 19 et 20 septembre. C’est à un pays entreprenant, à la fois stable et réformateur, un pays sans pétrole mais non dépourvu d’ambition et de talents, que nous avons souhaité intéresser nos lecteurs. Un pays, en fait, qui préfigure peut-être ce que pourrait être l’Afrique de demain, entreprenante et prospère. Un pays, en tout cas, qui se positionne aujourd’hui à juste titre comme la plate-forme royale d’entrée sur ce continent où se joue — et se lève, espérons-le — une bonne partie de l’avenir de l’Europe. Et de la France. © AFP PHOTO/FADEL SENNA © MARIE-AMÉLIE JOURNEL QUAND L’AVENIR SE LÈVE AU SUD La MDJS reverse l’intégralité de ses bénééces au Fonds National de Développement du Sport pour soutenir les programmes des fédérations sportives et développer la pratique du sport par les petits et les grands. La Tribune Afrique I 3 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR ÉMERGENCE Comment l’écosystème industriel se diversifie et se renforce LES FAITS – Confronté au ralentissement de son partenaire européen et à la crise mondiale, le Maroc recherche depuis quelques années des relais de croissance en Afrique de l’Ouest et subsaharienne, et a opté pour le positionnement stratégique de plateforme d’entrée vers l’Afrique (lire pages 6-7 et 10). LES ENJEUX - Le royaume alaouite dispose-t-il pour autant d’un écosystème suffisamment opérationnel et puissant pour lui permettre d’assumer cette ambition ? Tour d’horizon de ses atouts… et points faibles. Aerospace, LPS Aero… –, elle génère aujourd’hui quelque 10 000 emplois et 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. L’acte fondateur de cette jeune industrie se situe en l’an 2000, avec la création d’une première coentreprise entre Safran et Royal Air Maroc. Quinze années auront donc suffi pour en faire un secteur d’activités dont la performance, pour l’entretien et la sous-traitance, est reconnue par les professionnels meilleure que celle de l’Europe de l’Est. Pour ce secteur, également en pleine croissance, Moulay Hafid Elalamy nourrit aussi une ambition forte : attirer 100 nouveaux opérateurs d’ici à 2020, porter le taux d’intégration à 35 % au lieu de 18 % actuellement, créer quelque 23 000 nouveaux emplois et augmenter les exportations à 1,5 milliard d’euros. Le tout grâce au déploiement des « écosystèmes productifs », clé de voûte de sa stratégie d’accélération industrielle. L’usine Renault, la plus importante d’Afrique, a été implantée en 2012 dans la zone franche de Tanger-Med, sur 350 hectares. 1,1 milliard d’euros ont été investis et 7 000 employés y travaillent à ce jour. I l y a quinze ans à peine, personne, à l’exception de la Chine, ne s’intéressait à l’Afrique. Mais, en quelques années, tout a changé. Aujourd’hui (lire notre dossier « 2020/2050 - Trente glorieuses pour l’Afrique ? » dans La Tribune n° 129 du 24 avril 2015), l’afro-optimisme PAR ALFRED tient le haut du pavé, le continent africain MIGNOT paraissant à beaucoup d’opérateurs économiques le seul capable de porter la relève de @AlfredMignot la croissance mondiale. Un potentiel que la Chine a perçu la première, depuis une quinzaine d’années, avant que bien d’autres pays, comme la France avec la création de la Fondation AfricaFrance en 2013 (cf. La Tribune n° 129), ne le (re)découvrent à leur tour. Le Maroc participe de ce mouvement géoéconomique mondial. Après avoir pendant trente ans regardé essentiellement du côté européen, il développe depuis quelques années une stratégie et une d’euros, c’est le montant diplomatie éconodes exportations de l’industrie miques offensives automobile marocaine en 2014, (lire page 5), visant à créée ex nihilo en 2013, se positionner en plaavec l’implantation de Renault. teforme d’entrée vers 1,81 milliard © AFP PHOTO /FADEL SENNA l’Afrique, particulièrement de l’Ouest et centrale. Mais le royaume alaouite a-t-il les moyens de son ambition, alors même que ses échanges avec le continent noir, il est vrai en forte hausse (+13 % en 2014), ne représentent tout de même que 6,4 % du total de son commerce international ? De nombreux indicateurs tendent à faire penser qu’il pourrait réussir son pari… UNE DOUBLE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE EN MARCHE La montée en puissance économique du royaume alaouite est en effet attestée par ses performances économiques, ses grands projets structurants achevés ou en cours, ainsi que par l’amélioration de ses classements internationaux et la bonne tendance d’ensemble des indicateurs conjoncturels. Certains secteurs – l’automobile, l’aéronautique, les transports, l’offshoring, les télécoms, la bancassurance… – enregistrent des performances remarquables, alors que certaines activités étaient naguère encore inexistantes. C’est le cas de l’industrie automobile. Amorcée début 2012 avec l’implantation sur la zone franche de Tanger-Med de l’usine Renault – la plus importante d’Afrique, sur 350 hectares, avec 1,1 milliard d’euros investis et 7 000 employés à ce jour –, l’industrie automobile est devenue en trois ans le premier poste d’exportation du Maroc, détrônant les traditionnels phosphates. « Avec des exportations qui ont atteint 1,81 milliard d’euros en 2014, soit une augmentation de 52,7 % par rapport à 2013, le Maroc s’est hissé au 1er rang des pays exportateurs de produits automobiles dans la région Afrique du Nord et Moyen-Orient », relevait récemment Moulay Hafid Elalamy, le ministre de l’Industrie (27,3 % du PIB). C’est aussi un secteur pour lequel le ministre nourrit de grandes ambitions : porter le taux d’intégration locale de 45 % actuellement à 65 % et créer 90 000 emplois nets d’ici à 2020, essentiellement par le déploiement des « écosystèmes productifs » (câblage, habitacles, batteries, emboutissage…), ainsi qu’il l’a annoncé en avril 2014, avec son plan d’accélération industrielle. L’industrie aéronautique, installée surtout autour de Casablanca, n’est pas en reste. Avec une centaine d’opérateurs, dont les plus grands du secteur – Airbus, Bombardier, Safran, Thales, Boeing, Nexans, EADS, Creuzet, Snecma, Daher, Matis, Zodiac UN SECTEUR TERTIAIRE EN EXPANSION Le secteur tertiaire (58 % du PIB), tant par le tourisme que par l’offshoring, apporte aussi une contribution capitale à l’économie marocaine, ainsi que les transferts financiers des Marocains résidant à l’étranger (MRE), dont la contribution en 2014 a crû de 5 % à 29,1 milliards de dirhams (2,71 Mds d’euros). CasaNearShore est le pôle majeur de l’offshoring marocain (55 000 emplois) et de l’Afrique du Nord, ce qui a valu au Maroc d’être élu en 2012 « meilleure destination » par les donneurs d’ordres de l’Association européenne de l’offshoring (EOA). Le tourisme, malgré un contexte sécuritaire régional parfois altéré, a réussi à progresser encore en 2014 : 10,3 millions de voyageurs ont visité le royaume, soit + 2,4 % par rapport à 2013, tandis que les recettes se sont élevées à 5,45 milliards d’euros (+ 2,9 %), indique l’Office national marocain du tourisme (ONMT). Et la marge de progression est encore importante, au regard des grands projets en cours – notamment le terminal de croisière du futur Wessal Casablanca Port, dont les travaux ont commencé en mars, et qui pourra accueillir jusqu’à 450 000 croisiéristes par an – et du fait que le Maroc dispose d’un riche patrimoine culturel à valoriser, étant le pays africain qui abrite le plus de sites classés par l’Unesco. La Royal Air Maroc (la RAM, qui est d’ailleurs la marque la plus connue du continent africain par les journalistes de la presse économique mondiale, selon un récent sondage de l’agence parisienne Rumeur publique) a contribué à l’envol du tourisme : elle ouvre régulièrement de nouvelles lignes, et a encore battu cet été son record de trafic durant le week-end du 1er août, avec un peu plus de 55 000 pas- 4 I La Tribune Afrique LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR sagers transportés sur 418 vols. Avec ses dessertes en hausse de 16 % sur 2013, la compagnie est devenue l’un des leaders des liaisons euroafricaines. LA MONTÉE EN GAMME DES INFRASTRUCTURES Le Maroc est 1er en Afrique du Nord et 3e à l’échelle du continent pour l’équipement en infrastructures, selon un récent cassement FMI. Concernant les transports, et en attendant le premier TGV d’Afrique qui reliera Casablanca-Rabat à Tanger en 2018 (près de 700 millions d’euros, dont 364 M€ pour le TGV sont investis en 2015 pour les chemins de fer marocains, classés premier réseau d’Afrique), tous les regards se tournent vers l’exceptionnel succès du nouveau port Tanger Med. Jouxtant la zone franche industrielle (650 entreprises, 50 000 empois) où s’épanouit l’industrie automobile, il ne cesse de dépasser ses objectifs depuis son inauguration en 2007, enregistrant encore à fin juin 2015 un trafic en croissance de 4 % par rapport au premier semestre 2014, selon l’autorité portuaire (TMPA). Tanger Med vient d’être classé cinquième port de Méditerranée (et 49e mondial), renforçant ainsi concrètement le positionnement du Maroc comme un carrefour dans le commerce maritime. Et ce n’est pas fini : alors que l’extension Tanger Med II est financée et déjà en chantier, c’est maintenant sur la côte atlantique, à Kénitra (47 km au nord de la capitale Rabat) qu’une deuxième zone franche portuaire est projetée. Kénitra Atlantique, qui sera reliée à la LGV Casablanca-Rabat-Tanger, est le site choisi par PSA-Peugeot Citroën pour y implanter une usine (un investissement de quelque 557 millions d’euros, à Ameur Seflia) d’une capacité de 200 000 véhicules par an, à partir de 2020. Outre le portuaire avec Tanger Med, Tanger Med II et Kénitra Atlantique, et le ferroviaire avec le TGV, le royaume renforce aussi ses infrastructures aéroportuaires. Ainsi, l’Office national des aéroports (ONDA) a-t-il projeté 360 millions d’euros d’investissements en 2015. La sûreté et la sécurité des aérodromes se sont vues allouer la plus grande part des ressources, tandis que près de la moitié est affectée à la modernisation de l’aéroport de Casablanca, qui cumule la moitié du trafic marocain. Côté services financiers, il faut noter la montée en puissance de Casablanca Finance City (CFC), qui participe au « Cluster Finance » AfricaFrance-Paris Europlace, et affirme la vocation de la capitale économique du Maroc à devenir la porte d’entrée financière privilégiée de toute l’Afrique de l’Ouest et subsaharienne (lire page 7). UN PAYS QUI INSPIRE CONFIANCE Côté conjoncture, de nombreux indicateurs sont au vert : la banque centrale marocaine Bank al-Maghrib (BAM) prévoit une croissance de l’économie de 5 % en 2015, le double de l’an dernier, et le FMI en prévoit autant pour 2016. Au cours du premier semestre 2015, les flux d’IDE ont bondi de 19,6 % à 1,212 milliard d’euros, le déficit commercial s’est allégé, le chômage enregistre une baisse au second trimestre 2015, passant à 8,7 % contre de 9,3 % au T2 2014 (étant certes entendu que ce chiffre ne renvoie qu’à la partie formelle de l’économie), et le taux d’investissement est très élevé, à 32 % du PIB (estimation de la Banque africaine de développement). De même, les réserves du Maroc en devises s’élevaient à 18,24 Mds euros au 24 juillet, en hausse de 15 % sur un an, tandis que le déficit budgétaire a été ramené à 4,9 points de PIB en 2014 (contre 5,4 % en 2013), en ligne avec l’objectif gouvernemental de le ramener à 3,5 % du PIB d’ici à 2016. Par ail- leurs, la dette publique marocaine s’est stabilisée fin 2014 à 66,4 %, la dette extérieure représentant quant à elle 30,4 % du PIB. Malgré des difficultés réelles (voir l’encadré ci-dessous), tous ces éléments contribuent à positiver l’image du Maroc, qui ne cesse d’ailleurs d’engranger les satisfecit de la part des institutions financières internationales, comme le FMI, la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale (BM) et la Banque européenne d’investissement (BEI). « Globalement, les résultats économiques enregistrés par le Maroc ont été solides », notait fin juillet Min Zhu, directeur général adjoint du FMI, rappelant aussi que la Ligne de précaution et de liquidité (LPL), accordée au Maroc en août 2012, a été renouvelée en juillet 2014 pour une durée de deux ans et pour un montant de 5 milliards de dollars. Fin juillet également, lors de l’annonce d’un prêt de 114,5 millions de dollars accordé au Maroc pour le financement de son programme d’appui à la compétitivité de l’économie (PACEM), Donald Kaberuka, le président sortant de la BAD (1,96 Md € d’engagements au Maroc), tenait des propos allant dans le même sens : « Le gouvernement marocain a mis en place des mécanismes très appropriés (…) nous sommes sur le bon chemin. » Tout va bien aussi du côté de la Banque mondiale : dans la foulée de prêts de 1,18 milliard de dollars pour l’année fiscale 2014, et 1,06 milliard en 2015, la BM prévoit pour l’année fiscale 2016 ( juillet 2015-juin 2016) cinq prêts d’un montant cumulé de 850 millions de dollars, destinés au financement d’infrastructures, à l’amélioration de la gouvernance et de l’irrigation. On notera enfin que sur la période 2007-2014, le Maroc aura été le premier récipiendaire des prêts alloués par la BEI-FEMIP (la Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat, instrument de la BEI en Méditerranée), avec 29,34 % des crédits, devant la Tunisie (23,51 %) et l’Égypte (19,28 %). UNE AVALANCHE DE SATISFECIT Parmi les autres marqueurs qui témoignent de l’attractivité grandissante du Maroc, il faut relever aussi l’augmentation constante des investissements directs étrangers (+ 9 % en 2014) attirés par le pays : avec près de 3,6 milliards de dollars d’IDE col- La Royal Air Maroc a contribué à l’envol du tourisme : elle a encore battu cet été son record de trafic durant le week-end du 1er août, avec un peu plus de 55 000 passagers transportés sur 418 vols. Parallèlement, l’industrie aéronautique marocaine connaît un essor remarquable, avec une centaine d’opérateurs, quelque 10 000 emplois et de grandes ambitions de développement. © ROYAL AIR MAROC lectés en 2014 (contre 3,3 en 2013 et 2,7 en 2012) sur un total continental de 32,5 Mds $, le Royaume alaouite a capté 11 % des IDE africains. « Le Maroc se positionne de plus en plus comme une passerelle vers un continent africain en forte croissance, particulièrement pour les investisseurs américains et européens », notent cette fois les auteurs du rapport sur l’attractivité du continent publié cet été par Ernst & Young. Certes, le royaume doit pourtant faire encore bien des efforts en de nombreux domaines (voir l'encadré ci-dessous). Mais, ces réserves étant émises, force est de constater qu’en cette année 2015, le Maroc ne cesse de se voir décerner des satisfecit venant de tous côtés. Le rapport Doing Business 2015, édité fin 2014 par le groupe Banque mondiale, attribue un grand satisfecit au Maroc : après un bond de huit places l’année précédente, le royaume réalise une nouvelle performance en avançant encore de 16 places, devenant le 6e pays africain le mieux placé pour l’environnement des affaires (et le 71e mondial, contre 84e auparavant). Début juin, le rapport biennal 2014-2015 consacré à la compétitivité de l’Afrique, publié conjointement par le Forum économique mondial (WEF, Davos) et la Banque africaine de développement (BAD), la Banque mondiale et l’OCDE a confirmé, pour la troisième année consécutive, la quatrième place du Maroc sur le continent, derrière le Rwanda, l’Afrique du Sud et l’Île Maurice. Le Maroc figure aussi parmi les pays du classement publié par Bloomberg en février 2015, qui le situe en 21e position sur les 25 pays émergents ou pré-émergents les plus prometteurs dans le monde. Avec un score de 43,4, il devance la Russie et l’Inde, et se place deuxième en Afrique, derrière l’Afrique du Sud – tandis que le Maroc est aussi le second pays pourvoyeur d’IDE intra-africains. Côté risque pays, on remarquera que, depuis mars 2014, Standard & Poor’s maintient ses notations sur la dette à court et long terme (« BBB »), permettant au Maroc de rester dans la catégorie « Investment Grade », et a amélioré ses perspectives, de « négatives » à « stables ». En fait, malgré la crise économique mondiale, le Maroc n’a cessé ces dernières années de consolider ses équilibres macroéconomiques. Et, pour parachever ce tableau d’un pays qui inspire confiance, force est de constater que les élections régionales et communales du 4 septembre dernier, en confirmant globalement les rapports de force issus des élections législatives de 2011, confortent le ressenti d’un pays stable, avec un système de représentation démocratique et de gouvernance en voie de maturation. ■ LE DÉFI DE L’ACCÉLÉRATION DES RÉFORMES L es multiples raisons de se réjouir de l’avancée du Maroc ne doivent pas faire oublier que des points noirs perdurent dans l’économie du royaume, par exemple le fait que quelque 20 % des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur sont au chômage. Ce constat est d’autant plus inquiétant que même si la croissance atteint 5 % cette année, elle reste trop faible au regard de l’objectif de 6 %, seuil en deçà duquel la réduction du chômage est impossible ; et encore plus insuffisante au regard de l’autre seuil — 10 % —, indispensable au Maroc pour accéder au club des pays émergents. Certains dirigeants marocains du plus haut niveau évoquent sans détour cette réalité préoccupante, comme le fait Abdellatif Jouahri, gouverneur de la BAM. Présentant début juillet son rapport annuel à Mohammed VI, il a mis en exergue l’impérieuse nécessité d’accélérer les réformes, en particulier d’un marché du travail considéré trop « rigide », les retraites dont les caisses sont déficitaires, les distorsions fiscales sectorielles, la régionalisation et la problématique du renouvellement des élites, la réforme aussi de la justice, jugée « primordiale pour l’amélioration de l’environnement des affaires ». Des observateurs étrangers considèrent eux aussi que le royaume pourrait encore mieux faire. C’est le cas de la BAD qui, dans un rapport de 250 pages réalisé à la demande du gouvernement marocain, publié en février dernier et intitulé « Diagnostic de croissance du Maroc : analyse des contraintes à une croissance large et inclusive », relève plusieurs points insatisfaisants : une croissance faible au regard d’un taux d’investissement parmi l’un des plus élevés au monde ; la toujours faible industrialisation (27,3 % du PIB) de l’économie ; le faible dynamisme des PME ; une trop faible compétitivité internationale (illustrée par un déficit commercial à environ 15 % du PIB) ; l’insuffisance du capital humain et du management intermédiaire ; la lenteur du système juridique ; les « distorsions » du système fiscal ; l’accès difficile au foncier, régi par trois régimes différents ; un code du travail contraignant par rapport aux pays d’un niveau de développement comparable… Bref, selon un consensus qui se fait jour, urbi et orbi, le Maroc peut — et doit — encore mieux faire. ■ A. M. Le gouverneur de la Banque centrale du Maroc, Abdellatif Jouahri, insiste notamment sur la nécessité de réformer la justice, « primordiale pour l’amélioration de l’environnement des affaires ». © REUTERS/Stringer La Tribune Afrique I 5 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR GÉOÉCONOMIE Pourquoi le Maroc mise sur l’Afrique, avec une politique du « spectre complet » Politique, commercial, culturel, et spirituel, l’ancrage du Maroc en Afrique revêt aujourd’hui un aspect économique, social et humain de plus en plus prééminent. C'est là le résultat d'une stratégie globale à l'adresse du continent, engagée depuis une décennie, et qui renoue les fils d'un rayonnement multiséculaire. L © DR ’ PAR ABDELMALEK ALAOUI PDG DE GUEPARD GROUP EXPERT EN GÉOÉCONOMIE enracinement du tissu entrepreneurial marocain en terre africaine est aujourd'hui substantiel et continue de monter en puissance : 42 % des flux d’investissements directs étrangers (IDE) marocains sont destinés à l’Afrique ; les opérateurs marocains dans les secteurs de la banque et de l’assurance sont présents dans 25 pays du continent ; et l’investissement des entreprises marocaines en terre africaine est plurisectoriel. Ce dernier, bien que majoritairement tourné vers les services, concerne autant les secteurs de la finance et de l’industrie que les domaines structurants pour le développement des territoires africains que sont l’énergie, l’eau, le transport, le logement social, la santé et l’éducation. Or, au cours des dix dernières années, beaucoup de choses ont été dites sur la progression spectaculaire de la politique économique marocaine en Afrique. Le royaume a ainsi été qualifié tour à tour de « champion des services financiers » grâce à l’implantation et la progression de ses institutions bancaires, de « garant de la sécurité alimentaire » à travers les partenariats continentaux de l’Office chérifien des phosphates (OCP), de « bâtisseur en chef » grâce à ses grands groupes immobiliers, ou encore de « pionnier » des télécoms, avec l’aventure africaine de Maroc Telecom. Beaucoup de choses ont également été dites sur la stratégie poursuivie par Mohammed VI, qui serait un mélange de partenariat Sud-Sud et de pragmatisme économique. Les médias ont ainsi régulièrement qualifié cette stratégie de « soft power », de « projection de puissance », ou encore de « diplomatie économique ». Enfin, certains ont voulu voir dans cette offensive marocaine sur le continent la continuation d’une politique d’influence visant à isoler les adversaires politiques du Maroc sur le dossier du Sahara en préemptant l’économie, domaine plus pérenne que les alliances circonstancielles. « LÀ OÙ LA PLUPART VOYAIENT UN RISQUE, LE MAROC A VU UNE OPPORTUNITÉ EN AFRIQUE » UN ACTE CONCEPTUALISÉ ET PROJETÉ SUR LE LONG TERME Derrière les mots et les raccourcis, l’ensemble de ces éléments participe probablement à dessiner la politique africaine contemporaine du Maroc, mais il ne renseigne cependant pas sur le dessein africain du royaume et ses motivations profondes. Avant d'autres pays, le Maroc a discerné une opportunité en Afrique, là où la plupart ne voyaient qu’un risque. En effet, dans un monde global mais inégal, où le court-termisme s’est érigé en règle, investir en Afrique et s’investir pour le Implantations de Maroc Telecom Sources : Institut Amadeus, « le Maroc en Afrique », août 2015, et rapport annuel Maroc Telecom. développement du continent est d’abord un acte de leadership sur les temps longs. C’est un acte conceptualisé, dessiné, voulu et exécuté par le chef de l’État, qui a été au cours des années récentes à la fois l’ouvreur de piste et le porte-étendard de cette politique qui consiste à redonner de « l’avenir au présent ». L’un des actes fondateurs de ce retour du Maroc sur la scène continentale est un méga-investissement national, consenti par le pays au début des années 2000 : le port géant de Tanger-Méditerranée. De nombreux experts avaient alors tenté de décourager le pays de se lancer dans une telle aventure, mettant en avant le coût, doutant de l’opportunité et de la pertinence. Dix ans plus tard, le pari est gagné, avec l’arrivée d’acteurs majeurs tel que Renault Nissan, qui a implanté dans la zone un site industriel d’envergure, faisant de Tanger Med le premier port africain à vocation globale. À la fois ouverture vers la Méditerranée et point d’entrée vers l’Afrique, le site est devenu incontournable sur le plan géoéconomique, encourageant un second constructeur automobile, Peugeot, à installer sa future usine non loin de là, à Kénitra. La vision du Maroc en Afrique se nourrit également d’une frustration, celle que le découpage de la région en zone Mena et Afrique subsaharienne – décidé hâtivement par quelques diplomates américains au début des années 2000 – constitue une absurdité pour tous ceux qui connaissent les liens historiques, économiques, commerciaux, culturels et cultuels qui lient le Maroc au reste du continent. PARLER AFFAIRES, MAIS AUSSI AU CŒUR ET À L’ÂME Dans ce cadre, les images d’Épinal largement ressassées des caravanes marocaines qui reliaient Dakar, Tombouctou, et d’autres cités africaines à la pointe nordouest du continent, ne sont donc pas de simples postures ou des rappels d’une histoire entremêlée. Elles constituent l’alpha et l’oméga de la stratégie poursuivie par le Maroc en Afrique, qui est ellemême intimement liée à la structure du pouvoir dans le royaume. Car, pour miser sur l’Afrique, surtout en des temps où l’on assiste à la résurgence de conflits et de menaces sur la paix et la stabilité, le Maroc ne pouvait se permettre de compter uniquement sur ses entreprises. Quoique nécessaire, leur action était forcément limitée. Il fallait donc investir d’autres domaines, qui ne parlent pas uniquement au portefeuille, mais également au cœur et à l’âme. C’est là l’essence même de l’action substantielle en faveur de la formation à grande échelle des imams. Rabat accueille ainsi depuis peu le premier centre de formation d’Afrique, qui a nécessité un investissement de plusieurs dizaines de millions d’euros. Ce dernier vise à promouvoir l’« Islam du milieu » auprès des imams du monde entier – dont 500 Maliens – afin de participer activement à la lutte contre toutes les formes d’obscurantisme, terreau des extrémismes et du terrorisme islamiste. En agissant aux racines du mal, Rabat souhaite ainsi se positionner en amont de la production de pensée et participer à l’éradication de l’obscurantisme. Pays pourtant dépourvu d’hydrocarbures, le Maroc n’hésite pas à solliciter ses moyens financiers limités lorsqu’il s’agit d’exprimer une nécessaire solidarité continentale en déployant par exemple des hôpitaux de campagne dans les zones de conflit, ou en adressant des avions chargés de denrées alimentaires à la suite d’une catastrophe naturelle ou humanitaire. Là aussi, d’aucuns pourraient voir dans ce déploiement un « investissement » qui servirait d’autres intérêts, notamment économiques et commerciaux. En réalité, cela participe à la définition d’une politique étrangère africaine qui ambitionne de couvrir un « spectre complet » : sociétal, politique, économique, spirituel, diplomatique et culturel. UN ACTEUR MODÉRATEUR ET DE CONVERGENCE GLOBALE Pour le Maroc, il s’agit vraisemblablement d’une rupture par rapport à la stratégie mise en place depuis l’indépendance et jusqu’à la fin des années 1990, qui se construisait d’abord sur un « bilatéralisme actif », et n’appréhendait que sommairement la dimension globale de l’investissement sur le continent. Dans le prolongement de cette politique, le Maroc souhaite également jouer un rôle d’agent de convergence à travers sa place financière panafricaine, Casablanca Finance City, et sa compagnie aérienne, Royal Air Maroc, qui ambitionne de faire de la capitale économique un véritable carrefour continental. Les enjeux de l’intégration sont en effet énormes car l’Afrique de l’Ouest souffre encore de fragmentation chronique. En créant des institutions qui permettent de toucher l’ensemble de l’Afrique à partir de Casablanca, Rabat parie sur le fait que les multinationales seront plus enclines à installer la base de leurs opérations à partir d’un pays qui jouit de la sécurité de ses institutions, de la stabilité et d’un taux de croissance attractif. Jusque-là, tout indique que ce positionnement est porteur d’avenir, même si une intensification des investissements doit être mise en place afin d’atteindre la taille critique. Le prochain chantier pour le Maroc sera donc celui de la massification et de la systématisation du réflexe Afrique. ■ 6 I La Tribune Afrique LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR ENTREPRISES Ces « locomotives » marocaines qui se projettent sur le continent Qu’elles soient dans l’immobilier, la banque ou les fertilisants, le Maroc compte sur ces entreprises « locomotives » pour tirer sa stratégie africaine et la mettre en phase avec son plan d’accélération industriel, dévoilé au printemps 2014. Zoom sur quelques-uns de ces « champions nationaux » du royaume chérifien. IMMOBILIER « Génération cash » ou la nouvelle vie africaine d’Addoha A u printemps dernier, sur fond de crise globale des opérateurs immobiliers marocains, l’une des plus importantes capitalisations boursières de la place de Casablanca, le groupe Addoha, prend à contre-pied les observateurs du marché en annonçant la mise en place du plan « Génération cash », qui vise à redonner au groupe des marges de manœuvre financières pour continuer son développement. Pour certains analystes, il s’agit d’un plan de restructuration qui ne dit pas son nom. Pour le management d’Addoha, le groupe présidé par Anas Sefrioui – 25e dans la liste Forbes des milliardaires africains, avec 1,1 milliard de dollars – veut au contraire se recentrer sur ses fondamentaux et mieux « canaliser » sa course effrénée vers la croissance, qui a caractérisé sa dynamique durant la décennie des années 2000. Amélioration de la gouvernance, communication plus régulière avec les marchés, agressivité commerciale, « Génération cash » se veut la riposte à la crise que traverse le sec- teur, et le garant de la pérennité de l’entreprise. Fortement engagé en Afrique avec des projets dans une dizaine de pays – dont le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la Guinée Conakry, le Tchad, la Guinée-Bissau, le Cameroun, le Ghana, le Gabon et le Congo –, Addoha déroule depuis dix ans une stratégie continentale bicéphale qui vise non seulement à développer des programmes immobiliers, mais également à construire un maillage de cimenteries dans toutes les zones où il opère. DES RÉSULTATS SIGNIFICATIFS ATTENDUS EN 2017 À travers ses cimenteries, Addoha souhaite maîtriser sa chaîne de production en amont et devenir moins dépendant d’acteurs extérieurs, grâce à sa filiale Ciments de l’Afrique (CIMAF). Cette dernière constitue le bras armé de l’écosystème d’Addoha qui combine force de frappe régionale en matière de production de ciment et savoir-faire dans l’ingé- BANQUE La Banque centrale populaire confirme son « envie d'Afrique » D ernière arrivée sur le marché africain après les pionnières Attijariwafa bank et BMCE Bank of Africa, la « vieille dame » des banques marocaines affirme de plus en plus sa volonté de poursuivre une stratégie d’expansion continentale. Cette dernière s’inscrit dans un processus global de transformation de ce mastodonte – plus de 1 000 agences, rien qu'au Maroc – entamé en 2008. Pour cela la Banque centrale populaire a d’abord réorganisé son tour de table avec la sortie de l’État et l’arrivée de nouveaux actionnaires institutionnels, tels BPCE ou la Société financière internationale (SFI), puis a mis en place une nouvelle architecture capitalistique avec ses filiales régionales afin de renforcer la vocation mutualiste du groupe. Parallèlement, le groupe a renforcé ses fonds propres et est devenu plus agressif sur les activités corporate et les marchés, à travers notamment sa filiale Upline. Mais il faut attendre juin 2012 pour que la Banque cen- trale populaire concrétise son « envie d’Afrique » avec le rachat de Banque Atlantique, qui lui permet de s’implanter directement dans sept pays d’Afrique de l’Ouest. Officieusement sur le marché depuis plusieurs années, le dossier Banque Atlantique avait été examiné par plusieurs repreneurs potentiels, dont le français BPCE, sans succès. Récemment, en août 2015, la Banque centrale populaire a réalisé une seconde opération de croissance externe sur le continent en rachetant au gouvernement du Niger la Banque internationale pour l’Afrique (BIA), deuxième banque du pays. Ces acquisitions se sont traduites sur les résultats 2014 de la banque de manière substantielle, puisqu’en zone UEMOA, les dépôts se sont accrus de 29 % et les crédits de 21 %. Enfin, à l’instar de l’OCP, la banque centrale populaire s’est engagée dans un processus de rating international, qui lui permet à la fois d’accroître sa visibilité sur les marchés et d’être plus attractive en matière de financements internationaux. ■ Une vue de Dakar, capitale du Sénégal, l'un des dix pays africains où officie le groupe Addoha. © DEREJE nierie et la réalisation de projets immobiliers. Six mois après son lancement, le pari de « Génération cash » semble en partie gagné. Le groupe Addoha a réussi à alléger sa dette de près d’un milliard de dirhams (100 millions d’euros) et a amélioré son ratio dettes nettes/fond propres (« gearing ») de huit points, pour le porter à 72 %. Pour le management du groupe, le groupe serait donc « en avance sur ses objectifs », et pourrait envisager avec sérénité l’expansion de ses activités africaines, relais de croissance des activités du groupe dans un contexte de stagnation du marché marocain. Toutefois, Addoha n’envisage une contribution significative de ses opérations africaines à ses résultats qu’à l’horizon 2017, le temps que les projets mis en place dans ses premiers pays d’implantation – Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée – soient commercialisés. De manière globale, l’objectif poursuivi par l’opérateur est de devenir un « Dancing Elephant », à savoir développer son agilité stratégique et sa résilience aux chocs conjoncturels que connaît le secteur immobilier. Le développement africain constitue à ce titre un axe majeur de la stratégie du groupe, puisque plusieurs projets mis en place à la fin des années 2000 devraient arriver à maturité sous peu, ce qui donnerait à Addoha un avantage de primo-entrant qui devrait, selon le management du groupe, se refléter positivement sur la marche en avant de l’entreprise. ■ AGROALIMENTAIRE L'OCP mise sur l'Afrique pour « nourrir la planète » Q uiconque a fréquenté les allées de l’Office chérifien des phosphates (OCP) au début des années 2000 risquerait de ne plus reconnaître cette vénérable entreprise, premier producteur mondial de phosphates et fer de lance d’une stratégie économique marocaine tournée vers la promotion de la sécurité alimentaire. Si son siège, à la périphérie de Casablanca, reste inchangé, tout ou presque a évolué au sein de l’ex-office. En moins de dix ans, l’OCP est devenue une SA à capitaux publics, a rénové profondément sa gouvernance, et a multiplié par six son chiffre d’affaires pour le porter à près de 5 milliards de dollars en 2014. L’entreprise ambitionne désormais de se positionner sur l’ensemble de la chaîne de transformation du phosphate, en investissant les segments très concurrentiels des fertilisants et de la transformation de la roche. Mais pas uniquement. Le plan stratégique développé sous la férule de son diri- geant, le « docteur » Mostafa Terrab, ne prévoit rien de moins que de changer la mission de l’OCP pour qu’elle devienne « Nourrir la planète », en se positionnant avec force sur le continent africain. Pour cela, le management de l’OCP s’appuie sur des tendances inéluctables : les terres arables dans le monde développé s’épuisent à grande vitesse et le réservoir mondial se situe sur le continent. C’est pourquoi l’OCP multiplie depuis plusieurs années les offensives en direction de l’Afrique, tel le méga partenariat avec le Gabon, qui prévoit la construction de deux usines pour un montant d’investissement de plus de 2 milliards de dollars. Au sein de ces unités de production, les ressources des deux pays – le phosphate et le gaz – seront combinés afin de permettre une production optimale de fertilisants. Au-delà du partenariat industriel, l’OCP investit également dans le « soft power » et est engagé dans plusieurs projets pilotes visant à établir une cartographie de la fertilité des sols, en Guinée notamment. ■ La Tribune Afrique I 7 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR SECTEURS Banques, TIC, énergie, immobilier… les secteurs-clés de l’essor marocain 184 Pour déterminer les leviers de l'économie marocaine, il convient de suivre les entreprises qui s'implantent en Afrique. Des IDE qui se concentrent sur des secteurs à haute valeur ajoutée : banques et finances, assurances, nouvelles technologies, mines et énergie, immobilier. L a banque est un pivot de la stratégie de croissance marocaine et les opérations de concentration et de croissance externe de la dernière décennie permettent d'en dessiner un tableau stable. Trois banques marocaines figurent aujourd'hui dans le top 10 africain : Attijariwafa bank et BMCE Bank of Africa ont pris une avance importante que la Banque centrale populaire (BCP) rattrape à grandes enjambées. La BCP vient de porter à 75 % sa participation dans le groupe Banque Atlantique. Côté assurances, c'est le groupe Saham qui est leader avec 19 implantations à l'étranger, quasiment toutes en Afrique, de l'Algérie à l'Angola, du Sénégal à Madagascar. Avec le rachat de Colina, et l'entrée dans son capital de la Société financière Internationale (SFI) et du groupe Wendel, il se positionne en géant continental. Une posture adoubée par le groupe Finance.com, pourtant acteur des assurances avec RMA Watanya, qui a signé en 2015 un accord de coopération avec Saham dans le secteur de la bancassurance. Le holding Saham affiche un CA consolidé de 1,2 milliard de dollars. Présence et prospection d’AttijariWafa bank en Afrique Tunisie Algérie Libye Mauritanie Mali Niger Sénégal Guinée Burkina Faso Bénin Ghana Côte d’Ivoire Ethiopie Nigéria Togo Centrafrique Cameroun Guinée Equatoriale Gabon Congo Kenya Rwanda RDC Pays en prospection Angola Pays de présence DES CHAMPIONS TRÈS ACTIFS DANS PLUSIEURS SECTEURS Le royaume peut compter sur des champions nationaux à fort appétit dans le secteur des TIC et des télécoms. Le leader national de la téléphonie Maroc Telecom s'impose comme le concurrent naturel d'Orange et MTN dans l'espace ouest-africain, avec neuf implantations, à la suite d’acquisition des filiales de sa maison mère émiratie, Etisalat. Soudan Tchad Gambie Guinée Bissau Egypte 0 Sources : Institut Amadeus, « le Maroc en Afrique », août 2015, et rapport annuel Maroc Telecom. Avec HPS et M2M, la monétique marocaine s'exporte avec succès. Les deux groupes marocains sont en compétition pour la première place continentale, et leurs clients comptent parmi les plus grandes banques 0 1000 mi 1000 km du continent. HPS opère en Afrique du Sud pour le compte de First National Bank, mais aussi pour les groupes Attijariwafa bank et Banque Atlantique, qui agissent dans une douzaine de pays africains. L'Afrique est un continent riche par son sous-sol et les entreprises minières ne sont pas en reste. Filiale du holding SNI, Managem s'active, au stade de l'exploration voire de l'exploitation, dans sept pays, notamment en Afrique centrale et orientale : Soudan (or), RDC (cuivre et cobalt), Gabon (or), Congo (or). D'autres projets sont en phase d'exploration en Éthiopie, en Guinée et au Burkina Faso. Sans parler des visées de l’OCP, le géant marocain du phosphate, qui porte un projet en coentreprise avec ses partenaires au Gabon pour inonder le continent en engrais. Niveau de l'investissement : 2 milliards d'euros. Dans l'immobilier, les opérateurs marocains mettent en avant une expertise recherchée en Afrique, concernant le logement social. C'est ainsi que le groupe Addoha, via sa société de promotion immobilière et sa filiale Ciments d'Afrique, étend sa toile dans seize pays du continent. Les projets de logements à bas coût qui y sont projetés doivent obligatoirement concourir au plan « Génération cash », annoncé début 2015, qui vise à augmenter le cash-flow et à réduire l'endettement de l'entreprise. Ses concurrents Alliances et Ynna Holding (Chaâbi Lil Iskane) connaissent des sorts variés. Si le magnat Miloud Chaâbi dit avoir « levé le pied en Afrique », il y a bâti sa fortune dans des projets de construction en Afrique du nord et de l'ouest, dès les années 1970. Quant à Alliances, dernier né, il voit dans ses activités africaines un relais de croissance. Lourdement endetté, le groupe dirigé par Alami Lazrak entrevoit un « avenir prometteur sur les marchés de la construction » dans les pays où il développe des projets : Sénégal, Cameroun, Congo et Côte d'Ivoire. ■ CASABLANCA FINANCE CITY CFC, un hub financier régional à Casa Le Maroc veut s’affirmer comme la porte d'entrée financière naturelle vers l'Afrique. T out comme la City de Londres ne se résume pas à la Bourse des valeurs mobilières, Casablanca Finance City (CFC) s’entend comme une plateforme globale de services et d’acteurs tirant leur activité principale des marchés financiers. C’est pourquoi les managers de CFC s’agacent parfois d’être interrogés sur les performances de la Bourse de Casablanca. Lancée en 2010 avec l’objectif affiché de devenir la place de choix aux côtés de l'Afrique du Sud, CFC ne se limite ni aux frontières du Maroc, ni à celles de l’Afrique francophone. En mars dernier, CFC s'est classée 42e place financière mondiale selon le Global Financial Centres Index, gagnant 20 places en un an et prenant la seconde place continentale, derrière Johannesburg… et devant Maurice. Elle a pour vocation d’offrir notamment ses services aux multinationales dont les direc- tions sont éclatées en zones régionales dignes d’un puzzle. Premiers ciblés : les secteurs financiers au sens large, banques d’affaires, sociétés de gestions d’actifs, fonds d’investissement ou de capital investissement, etc. Viennent ensuite les sièges régionaux de multinationales, puis toutes les entreprises de conseil et de services professionnels, dont les avocats, les fiscalistes, les experts-comptables, les cabinets de recrutements et de formation, etc. Depuis que Saïd Ibrahimi, un centralien qui fut le Trésorier général du royaume, a été nommé en 2010 directeur général de CFC, l'effort de promotion de la « destination Casablanca » a porté ses fruits. Environ 80 acteurs ont déjà obtenu le label de Casa Finance City, parmi lesquels les banques françaises Société générale et BNP, le groupe Wendel, déjà actionnaire de Saham ; l'assureur américain AIG ou le géant chinois des technologies mobiles Huawei. D'autres entreprises leaders ont décidé de rejoindre CFC, dont les français AccorHotels et Essilor, le néerlandais Shell et sa filiale Vivo Energy Africa, ou encore l'allemand Continental. Dans la troisième catégorie d'opérateurs estampillés CFC, on peut d'ores et déjà dénombrer les grands noms du conseil aux entreprises : Baker & McKenzie, Boston Consulting Group, Clifford Chance, PriceWaterhouseCoopers, Roland Berger. LA PLATEFORME DU GRAND OUEST AFRO-ATLANTIQUE Une telle concentration d'acteurs vise à faire de Casablanca la plateforme du grand ouest africain. Cet espace tourné vers l'Atlantique s'étendrait de Tanger à Libreville, en passant par Abidjan et Lagos. Il ne s'agit donc pas seulement de l'aire francophone mais aussi des pays anglophones, bref partout où les affaires se disent business. Avec un secteur financier arrivé à maturité, CFC promet à ses clients de tirer profit des gisements de croissance en Afrique, et offre en même temps aux opérateurs publics et privés du continent une plateforme pour financer tous les opérations classiques : fusions-acquisitions, restructurations, infrastructures. Pour ce faire, le Maroc met en avant les réformes économiques lancées depuis les années 1990 : libéralisation des échanges, privatisations, diversification du secteur bancaire. Jouissant d'une position géostratégique privilégiée, le Maroc est reconnu comme un pays stable, doté d'infrastructures de transports modernes, et notamment d'une compagnie aérienne, Royal Air Maroc, idéalement placée entre l'Afrique et l'Europe et investissant dans la quantité et la qualité de ses dessertes. Si on y ajoute les accords de libre-échange signés par le royaume, qui touchent plus de 50 pays, les opportunités d'affaires à Casablanca deviennent illimitées… ■ 8 I La Tribune Afrique LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR Ces Marocains partis à TÊTES D’AFFICHE Les mousquetaires du roi Mostafa Terrab Apôtre de l’économie verte Moulay Hafid Elalamy Gentleman-ministre 2008, l’OCP s’est transformé en société anonyme, ce qui l’autorise à se financer sur les marchés de capitaux. Grâce à la hausse des cours, les ressources affluent. C’est le moment que choisi Mostafa Terrab pour se fixer une nouvelle ambition : lancer et accompagner la « révolution verte » en Afrique, en se plaçant sur l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’extraction de matières premières à la production et à la distribution d’engrais, jusqu’au consommateur final. Ce projet se concrétise aujourd’hui sous la forme d’un partenariat entre le Maroc et le Gabon. Objectif : produire 2 millions de tonnes d’engrais à l’horizon 2018, l’équivalent de la consommation actuelle en Afrique. Avant sa nomination au gouvernement en octobre 2013, Moulay Hafid Elalamy était déjà l’une des figures montantes du monde marocain des affaires. Depuis deux ans, il cumule les portefeuilles de l’Industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Économie numérique. Côté public, il a déjà imprimé sa marque sur l’administration. Après quatre ans à la tête du patronat marocain (2005-2009), il est entré au gouvernement avec une nouvelle stratégie industrielle, des accords avec des opérateurs mondiaux dans les secteurs de l’automobile (PSA) et de l’aéronautique (Bombardier, Alcoa). Côté privé, le patron-ministre (55 ans) a organisé l’intérim dans son holding Said Ibrahimi Le self-made man Abdeslam Ahizoune Monsieur télécoms Diplômé de l’École centrale (option économique, 1981), il a effectué toute sa carrière dans la banque et la haute fonction publique. Cadre à la BNP à Paris, puis à la filiale marocaine BMCI, il a été directeur général de la Banque marocaine pour l’Afrique et l’Orient (BMAO) puis de la Caisse nationale de crédit agricole (CNCA). En 2003, il est nommé trésorier général du royaume. À la tête de CFC, ce fils de fonctionnaire et deux fois président de l’association des Anciens centraliens du Maroc, entend capitaliser sur les investissements réalisés par le royaume ces deux dernières décennies, tant dans le domaine des infrastructures que dans celui des réglementations. © HASSAN OUAZZANI À 59 ans, il est le directeur général de Casablanca Finance City Authority (CFCA). Plus qu’une Bourse des valeurs, CFCA est une place financière à vocation panafricaine qui vise à participer à la convergence financière de l’Afrique de l’Ouest. Ce projet intégré de place financière émergente a été lançé par le roi Mohammed VI en avril 2010. Une place financière qui accueille déjà près de 80 multinationales et dont la composante immobilière prendra forme sur les sites de l’ancien aéroport d’Anfa. De bon augure ? En tout cas, Said Ibrahimi peut croire en sa bonne étoile. Les champions des partenariats Ils tissent leur réseau pour trouver des alliés potentiels. Badr Kanouni Al Omrane s’ouvre vers l’Afrique © TARIK FETTAH Saham (« flèche » en arabe), regroupant ses activités dans les secteurs des assurances, de l’offshoring, de la santé et de l’immobilier. Il a ainsi recruté Saâd Bendidi, un ancien PDG de l’ONA. Formé au Canada (Sherbrooke, 1985), lui-même ancien secrétaire général de l’ONA sous Hassan II, Elalamy a pris son envol sous le règne de Mohammed VI, en devenant un chef de file dans l’offshoring et les assurances. Aujourd’hui, la marque Saham est présente dans 15 pays d’Afrique. Nommé en novembre 2010 président du groupe Al Omrane, bras armé de l’État en matière d’habitat, Badr Kanouni s’inscrit dans la tradition marocaine des « technos » placés à la tête de grandes institutions publiques marocaines lorsqu’elles doivent être restructurées. S’appuyant sur son expérience d’ancien patron de la filiale d’une multinationale, Setavex, Badr Kanouni va donc d’abord se concentrer sur la transformation de l’entreprise, et met en place rapidement une démarche de modernisation et de consolidation du groupe. Les yeux rivés sur les tableaux de bord financiers – c’est un ancien DAF –, Kanouni va mener de front trois combats : apurer le passif, réformer le mode de management et tenir la barre au cordeau malgré la crise immobilière. Sur le front africain, depuis 2012, il instaure de nombreux partenariats et tisse patiemment son réseau afin de se rapprocher de partenaires potentiels. En ouvrant Al Omrane sur l’Afrique, Kanouni fait d’une pierre deux coups : il participe à l’effort du Maroc sur le continent et fait la pédagogie de son action de transformation à la tête d’Al Omrane. Constant depuis quarante ans, Abdeslam Ahizoune n’a jamais quitté son secteur. Diplômé de Télécoms Paris (1977), il a effectué une première carrière dans le secteur public, d’abord à l’Office national des postes et des télécommunications (ONPT), dont il deviendra le directeur général, puis comme ministre des Postes et des Télécommunications par deux fois, dans les années 1990. Il supervise la libéralisation des télécoms avant de prendre les rênes de Maroc Télécom, en 1999. Avec l’entrée au capital de Vivendi, puis la cession à Etisalat, Abdeslam Ahizoune, 60 ans, reste aux commandes : il est toujours président du directoire. Indéboulonnable, il a même consolidé la vocation africaine de Maroc Télécom, l’entité marocaine reprenant les participations d’Etisalat dans six pays d’Afrique francophone, dont cinq où Maroc Télécom n’était pas présent (Bénin, Centrafrique, Côte d’Ivoire, Niger, Togo). En plus de ses quatre filiales (Burkina, Gabon, Mali, Mauritanie), et si l’on retranche le Gabon où l’opération crée un doublon, cela fait neuf pays pour un empire en cours de consolidation. Reste à redresser ces sociétés qui sont presque toutes en situation de challengers. Younès El Mechrafi Le pari réussi partenariats Sud-Sud Cet informaticien de formation a été nommé à la tête de la Marocaine des jeux et des sports (MDJS) en novembre 2009 au terme d’un parcours atypique alliant entreprenariat, service public et secteur privé. Sous sa houlette, l’opérateur de paris sportifs marocain a connu une transformation en profondeur et une forte croissance de son activité. La MDJS s’est par ailleurs fortement investie à l’international, notamment dans les partenariats Sud-Sud. Son terrain de jeu ? La bonne gouvernance sectorielle en termes de « jeu responsable », et de lutte contre les fraudes dans les paris sportifs. Grâce à sa marque de fabrique, un activisme institutionnel tous azimuts, Younès El Mechrafi occupe des positions stratégiques dans toutes les instances internationales de la profession. En 2014, il est élu secrétaire général de l’Association des loteries d’Afrique (ALA), puis membre des comités exécutifs de la World Lottery Association (WLA) et de la Global Lottery Monitoring System (GLMS), le nouvel observatoire mondial des paris sportifs. Parallèlement, Younès El Mechrafi déploie des transferts de savoir-faire avec les loteries nationales du Sénégal, du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire. À travers ce maillage, la MDJS accompagne les opérateurs du Sud dans les démarches de mise en place de jeu responsable et les assiste dans l’obtention des certifications internationales. © HOC © DR © MARCO RICCI À 60 ans, Mostafa Terrab a vu du pays. Diplômé des Ponts et Chaussées (1979) et du Massachussets Institute of Technology (MIT, 1990), il a été chargé de mission au cabinet de Hassan II puis directeur général de l’Agence nationale de réglementation des télécommunications. Après un passage par la Banque mondiale, il a été nommé, en 2006, directeur général de l’Office chérifien des phosphates (OCP). L’OCP traverse alors une crise de gouvernance. En moins de deux ans, les directions sont remises à plat, la caisse des retraites retrouve l’équilibre, et la restructuration financière est bien entamée. En © THOMAS RAFFOUX Au gouvernement, à la tête d’entreprises publiques ou semi-publiques, ils s’investissent en Afrique pour porter le projet de Mohammed VI. La Tribune Afrique I 9 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR la conquête de l’Afrique Les « intercontinentaux » Youssef Chraïbi La relève un quart en France. Chraïbi a démarré sa carrière d’entrepreneur en France, à l’âge de 24 ans. Il cède sa première startup, Marketo.com, à Vivendi et retourne au pays. C’est dans l’autre sens qu’il se déploie depuis 2010. Outsourcia a reçu, en 2012, le prix de la Marque marocaine se développant à l’international, décerné par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle. © MARCO RICCI Patron fondateur d’Outsourcia, une grosse PME consacrée à la relation client, Youssef Chraïbi représente cette nouvelle génération d’hommes d’affaires marocains qui n’ont pas froid aux yeux. À 39 ans, ce diplômé d’HEC Paris renverse tous les schémas sur les gagnants et les perdants de la mondialisation. Au moment où l’exministre Arnaud Montebourg dénonçait la délocalisation des centres d’appels de la RATP au Maroc, Youssef Chraïbi préparait sa deuxième implantation en France. Avec trois sites au Maroc (Casablanca), deux en France et une récente acquisition à Madagascar, son parcours est un démenti des thèses protectionnistes. Avec un chiffre d’affaires prévisionnel de 14 millions d’euros en 2015, Outsourcia emploie près de 1 000 personnes, dont Othman Benjelloun Le « vieux lion » À 84 ans, le PDG de Finance Com est le « vieux lion » du monde des affaires marocain. Première fortune privée du pays selon Forbes, il a été un précurseur de la stratégie de développement sur le continent africain, dès la fin des années 1990. Associés à tous les grands contrats des vingt dernières années, il a montré qu’il ne craignait pas les « jeunes loups », comme lorsqu’il annonce récemment un partenariat inédit dans la bancassurance avec Moulay Hafid Elalamy. Après avoir pris le contrôle de la Royale marocaine d’assurances (1988), Othman Benjelloun rachète, au milieu des années 1990, la Banque marocaine pour le commerce extérieur (BMCE). Une date clé. Suivront le rachat d’une deuxième compagnie d’assurances, Al Wataniya, puis la diversification dans les télécoms au moment de la libéralisation. Ce sera Meditel, opérateur créé avec Telefonica et Portugal Telecom. Son appétit pour l’Afrique est précoce, à travers l’acquisition de la Banque de développement du Mali (BDM), et surtout de Bank of Africa, qui lui ouvre les portes de l’Afrique de l’Ouest et donne aujourd’hui son nom à son vaisseau amiral : BMCE Bank of Africa. © DR © DR Ils déploient leurs entreprises dans le Sud, mais également en Europe. Mohamed Benchaâboun Il a transformé la Banque centrale populaire Depuis 2008, Mohamed Benchaâboun préside aux destinées du plus gros réseau national de banque de détail. Un établissement public qu’il a transformé en groupe moderne et « agressif ». À 53 ans, il a fait taire depuis des années les critiques sur son âge, car Benchaâboun (Télécoms Paris, 1984) a déjà une carrière bien remplie derrière lui. À 41 ans, il était déjà à la tête de l’Agence nationale de régulation des télécommunications (ANRT), au moment où la guerre faisait rage entre l’opérateur historique Maroc Telecom, le challenger Méditel et le nouvel entrant Wana. En 2008, Mohammed VI le nomme à la direction générale du groupe Banque centrale populaire. Pas réellement une surprise puisqu’il en avait été le numéro deux. La marque au cheval est alors en pleine mutation, capitalisant sur ses clientèles locales et parmi les résidents marocains à l’étranger. Arrivé plus tard que ses concurrents AWB et BMCE sur le continent, il y a frappé fort en se portant acquéreur de la Banque atlantique en 2012, aujourd’hui filiale à 75 % de BCP et active dans sept pays d’Afrique de l’Ouest. Des Africains qui ont choisi le Maroc Abdou Diop De l’allée des Princesses à la CGEM Claude Wilfrid Etoka Sur les traces de Dangote ? Premier non-Marocain à devenir président d’une commission – celle vouée à l’Afrique – au sein de la puissante Confédération générale des entreprises marocaines (CGEM), Abdou Diop est directeur associé au sein du bureau de Casablanca du cabinet de conseil Mazars. Cet énergique quadragénaire sénégalais était en quelque sorte prédestiné à participer à l’aventure africaine du Maroc, lorsque, fils d’ambassadeur, il posa ses valises à 16 ans à Rabat. C’est pourquoi une fois son bac en poche, Diop intègre l’Iscae, école de commerce publique considérée comme le fleuron des écoles de commerce du royaume. Devenu expert-comptable, Il rejoint ensuite Mazars, au sein duquel il franchit tous les échelons jusqu’à en devenir au milieu des années 2000 l’un des directeurs associés. Il prend en parallèle la tête de la très influente association des étudiants sénégalais au Maroc. Mesurant peu à peu tout le potentiel d’affaires que l’Afrique représente pour son activité, il se spécialise dans l’accompagnement des entreprises marocaines désireuses d’aller à la conquête du continent. Né au Congo, Claude Wilfried Etoka a accompli l’essentiel de sa carrière d’entrepreneur à la fin des années 1980 en France et en Suisse, en commençant par le commerce des pneus usagés vers son pays d’origine, puis en se concentrant sur les activités pétrolières et les services maritimes. En 2006, ce colosse à la voix douce pose ses valises au Maroc et y installe le siège et le centre marketing de la Société africaine de raffinage et de distribution (SARPD-OIL), devenue en moins de dix ans la cinquième société de négoce pétrolier d’Afrique. Dans l’intervalle, Claude Wilfried Etoka a également entamé une diversification à marche forcée de ses activités, en investissant notamment 350 millions de dollars avec des partenaires malaisiens dans une gigantesque filière d’huile de palme, pour laquelle il a créé une filiale de son groupe, Eco-Oil Energy. Dans ce cadre, il a inauguré, en août 2015, la plus grande usine de margarine du Congo-Brazzaville, qui tire ses matières premières des exploitations © HOC Depuis, ce domaine est devenu son activité principale au sein de Mazars, en synergie avec les autres bureaux de ce réseau de conseil mondial. © HOC Pour ces deux Subsahariens, le royaume est le lieu idéal pour mener leurs affaires. gérées par Eco Oil Energy. Pour lui, le Maroc est « devenu rapidement un choix d’évidence ». Et de préciser : « J’y ai trouvé un cadre incitatif à travers la convention d’investissement, un système financier en évolution rapide, des infrastructures robustes, et surtout, des compétences humaines en marketing à un prix beaucoup plus compétitif qu’à Genève. » 10 I La Tribune Afrique LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR PROMOTION Chargées de promouvoir le Maroc à l’étranger sur les plans des investissements, des exportations et du tourisme, trois agences publiques, plutôt que de fusionner, ont décidé d’apprendre à travailler ensemble. Comment le Maroc met ses agences publiques en ordre de bataille E 3I LA SMIT, LE TOURISME AU SERVICE DES TERRITOIRES lles s’appellent AMDI (Agence marocaine de développement des investissements), Maroc Export (Centre marocain de promotion des exportations), ou encore SMIT (Société marocaine d’ingénierie touristique). Ces agences publiques aux prérogatives étendues sont chargées d’exécuter la stratégie marocaine de promotion, qui entre dans le cadre des plans sectoriels qui se sont succédé au Maroc depuis 2006 – « Émergence », puis le « Plan d’accélération industriel » (PAI) de 2014. Ce dernier prévoit la mise en place d’une concertation plus fluide et permanente entre ces instruments de l’État qui participent tous à porter l’offre économique marocaine à l’international. Alors que le bruit a un temps couru qu’elles pourraient toutes fusionner afin de créer une super-agence de promotion, elles ont finalement gardé leurs identités respectives, tout en apprenant à travailler ensemble. 1I L’AMDI-INVEST IN MOROCCO ACCOMPLIT SA MUE Créée en 2009 par le roi Mohammed VI pour succéder à la direction des investissements, l’Agence marocaine de développement des investissements (AMDI-Invest In Morocco) a d’abord été confiée à l’actuel secrétaire général de L’Union pour la Méditerranée (UpM), un diplomate chevronné, Fathallah Sijilmassi. Sous sa houlette, l’AMDI s’est forgé une identité et s’est positionnée comme l’interlocuteur incontournable de ceux qui veulent investir au Maroc. Depuis 2014, c’est un spécialiste de l’investissement, Hamid Ben Elafdil, qui préside aux destinées de cette agence placée sous l’autorité du ministre de l’Industrie et du Commerce. Avec Ben Elafdil, l’AMDI entame un processus de transformation afin de la rendre plus orientée vers la conclusion de marchés, et qui s’inscrit dans l’un des piliers du Plan d’accélération industriel du ministre de tutelle, Moulay Hafid Elalamy. Autre obsession récurrente de Ben Elafdil : mesurer les réalisations de son agence en termes de création d’emplois et pas uniquement en volume d’investissements. Réorganisée comme une entreprise, avec des domaines d’activité stratégique dont la productivité comme le taux de conclusion d’affaires sont désormais mesurés, Invest In Morocco agit à la fois comme structure opérationnelle de prospection des investisseurs, http://www.latribune.fr La Tribune 2, rue de Châteaudun, 75009 Paris Téléphone : 01 76 21 73 00 Pour joindre directement votre correspondant, composer le 01 76 21 suivi des 4 chiffres mentionnés entre parenthèses. Zahra Maafiri, seule femme dirigeant une agence nationale, Maroc Export, se rêve en super-VRP du Maroc en direction de l’Afrique. © DR SOCIÉTÉ ÉDITRICE LA TRIBUNE NOUVELLE. S.A.S. au capital de 4 850 000 euros. Établissement principal : 2, rue de Châteaudun - 75009 Paris Siège social : 10, rue des Arts, 31000 Toulouse. SIREN : 749 814 1304 Président, directeur de la publication Jean-Christophe Tortora. Vice-président métropoles et régions Jean-Claude Gallo. mais est également chargée de les accompagner une fois leur décision d’investir au Maroc prise. Cette dimension d’accompagnement occupe une place centrale dans l’activité de l’agence, l’administration marocaine connaissant parfois des lenteurs qui sanctionnent le pays dans les classements internationaux de la gestion des affaires. Outre cette fonction d’« accélérateur » et de « guichet unique », le volet africain est de plus en plus présent dans l’orientation stratégique de l’agence. Cette dernière cherche en effet à valoriser la position de plaque tournante du Maroc et pousse les investisseurs étrangers à ne plus penser « pays », mais « région ». Invest In Morocco se focalise ainsi sur les Métiers mondiaux du Maroc (MMM), tels l’aéronautique, l’automobile, l’électronique ou l’offshoring, avec quelques belles implantations récentes à son actif en 2015, tels le japonais Furukawa, le français Saint-Gobain ou l’allemand Continental. L’objectif : positionner le royaume comme un jalon incontournable dans la chaîne de production mondiale de ces métiers, et offrir aux investisseurs internationaux une porte d’entrée vers les marchés africains. 2I MAROC EXPORT, FER DE LANCE DE L’OFFRE EXPORTATRICE Seule agence nationale dirigée par une femme, la spécialiste du commerce et exdiplomate Zahra Maafiri, l’ancien Centre marocain de promotion des exportations RÉDACTION Directeur de la rédaction Philippe Mabille. Directeur adjoint de la rédaction Robert Jules ( La Tribune Hebdo Rédacteur en chef Alfred Mignot. Chef de studio : Mathieu Momiron. Secrétaire de rédaction et révision : Éric Bruckner, Maya Roux. (CMPE), devenu Maroc Export, se rêve désormais en super-VRP du Maroc en direction de l’Afrique. Régulièrement, Maroc Export organise des caravanes africaines en faveur des industriels marocains exportateurs, et sillonne le continent au rythme de quatre à cinq déplacements par an, qui rassemblent plusieurs centaines de grosses PME. Maroc Export est également le fer de lance de la stratégie de présence du Maroc dans les salons internationaux, afin de participer à la construction d’une « marque Maroc » plus efficace et rénovée. Comme ses consœurs l’AMDI et la SMIT, Maroc Export a connu un lifting managérial sous la houlette de Zahra Maafiri, afin de recentrer l’agence sur ses missions essentielles : promouvoir l’offre exportable, diversifier les marchés du Maroc et favoriser l’internationalisation de ses entreprises. Pour cela, Maroc Export veut également devenir un producteur de connaissances, afin d’aider les entreprises marocaines à mieux cerner le potentiel des marchés qu’elles visent. À travers notamment l’organisation et le déploiement d’une vaste base de données commerciale et un système d’information « B to B », Maroc Export veut ainsi donner aux entreprises marocaines l’accès à l’information stratégique qui peut nourrir leur prise de décision. Depuis 2014, Maroc Export coorganise avec Attijariwafabank, à Casablanca, le forum International Afrique développement, qui a vu en début d’année la participation de près de 1 700 opérateurs économiques et institutionnels du continent. COMITÉ DE DIRECTION Max Armanet, directeur éditorial Live Media. Cécile Chambaudrie, directrice Hub Media. Robert Jules, directeur adjoint de la rédaction Thomas Loignon, directeur des projets numériques et du marketing marque. Philippe Mabille, directeur de la rédaction. Aziliz de Veyrinas, directrice stratégie et Développement Live Media. C’est en 2007 que l’État marocain fonde la Société marocaine d’ingénierie touristique (SMIT), société anonyme à capitaux publics, afin de dynamiser l’investissement dans le tourisme et offrir une instance de suivi et d’opérationnalisation des projets sur le territoire. Jusque-là, c’est le ministère du Tourisme qui était chargé de remplir ces missions, mais les spécificités de l’investissement touristique et sa forte porosité aux mouvements conjoncturels nécessitaient la création d’une agence ad hoc, plus agile, qui pourrait à la fois définir les projets, aller chercher les détenteurs du capital, puis les aider à matérialiser leurs investissements sur le terrain. Au même titre que l’AMDI, la SMIT joue donc un rôle de concepteur, de facilitateur et de coordinateur pour les investisseurs étrangers voulant investir dans ce secteur en forte croissance. Depuis janvier 2011, la SMIT est dirigée par Imad Barrakad, un spécialiste de l’énergie, qui a passé une bonne partie de sa carrière entre le ministère de l’Intérieur et l’Office national de l’eau et de l’électricité (ONEE), où il était notamment chargé des projets d’électrification rurale, puis de la coopération avec les régies locales, avant de se consacrer à la direction commerciale. Or, c’est précisément pour sa connaissance des acteurs locaux et des subtilités régionales que Imad Barrakad a été choisi pour diriger la SMIT, laquelle doit faire le lien entre les territoires et les grands investisseurs mondiaux dans le tourisme, afin de s’assurer de la fluidité de leurs opérations. L’objectif affiché de la SMIT : diversifier les investisseurs dans le tourisme en allant à la conquête du grand capital américain et moyen-oriental, qui connaît mal le Maroc, et permettre au royaume d’intégrer le top 20 des destinations touristiques mondiales d’ici à 2020. En parallèle, l’institution a la lourde tâche d’intervenir auprès des différents acteurs de l’État pour « déminer » les sujets sensibles pour les investisseurs tels que l’accompagnement administratif ou la mise à disposition du foncier, deux sujets particulièrement stratégiques pour l’attractivité de l’offre Maroc. Sur le front africain, la SMIT est également à la manœuvre avec la montée en puissance rapide du tourisme intercontinental, considéré comme un réservoir de croissance important. C’est particulièrement vrai pour le grand Casablanca, où le tourisme d’affaires africain devrait occuper une place prépondérante dans les années à venir, nécessitant des investissements massifs en matière de parc hôtelier et de loisirs. ■ CONTACTS Directeur commercial Hub Média : Luc Lapeyre (73 28) Responsable Abonnements : Martin Rivière (73 13) Abonnements et ventes au numéro : Aurélie Cresson (73 17). Imprimerie Riccobono 79, route de Roissy 93290 Tremblay-en-France ACTIONNAIRES No de commission paritaire : Groupe Hima, Laurent Alexandre, JCG Medias, SARL Communication Alain Ribet, 0519 C 851307. SARL RH Éditions/Denis Lafay. ISSN : 1277-2380. La Tribune Afrique I 11 LA TRIBUNE - VENDREDI 18 SEPTEMBRE 2015 - NO 142 - WWW.LATRIBUNE.FR LE « COUPLE » FRANCE-MAROC Ambitions convergentes et partenariat stratégique Tandis que la France veut se relancer en Afrique, où ses parts de marché s’érodent depuis quinze ans, le Maroc y déploie une diplomatie économique volontariste. D’où l’idée d’un « partenariat stratégique » entre les deux pays. PAR ALFRED MIGNOT E @AlfredMignot RETROUVEZ SON BLOG EUROMED-AFRIQUE SUR LATRIBUNE.FR n 2012, la part de l’Afrique dans les exportations françaises s’élevait à 6,5 % et celle des importations à 5,6 %. Le solde positif, 1,5 milliard d’euros, n’avait pourtant rien de superlatif, comparé aux 2,9 milliards d’euros de 2010 et aux 3,2 Mds € de 2009. En fait, la part de marché de la France en Afrique s’est effondrée quasiment de moitié en douze ans, passant de 10,1 % en 2000 à 5,8 % en 2012. Pendant ce temps, la part de la Chine passait de 10,5 milliards de dollars en 2000 à plus de 200 milliards en 2013, ce qui fait de l’empire du Milieu le premier partenaire commercial du continent noir, avec 13,5 % des échanges commerciaux africains. Ainsi, malgré les critiques anciennes et récurrentes de la classe politique de gauche à l’encontre de la « Françafrique », l’année 2013 aura été marquée par la prise de conscience au plus haut niveau de l’importance de relancer les relations économiques avec l’Afrique. C’est l’objet même de la Fondation AfricaFrance (cf. La Tribune n° 129 du 24 avril 2015), voulue par François Hollande, créée en 2014 et présidée par Lionel Zinsou, ancien président de PAI Partners, devenu en juin dernier Premier ministre du Bénin. Dans ce contexte, en quoi le Maroc fait-il figure de partenaire potentiel privilégié pour la relance économique de la France en Afrique ? La réponse est dans la réalité des chiffres, mais pas seulement… En effet, sur les 71,4 milliards de dollars d’échanges commerciaux réalisés par la France avec l’Afrique en 2014, près de la moitié l’a été avec le Maghreb central : 14 milliards de dollars avec l’Algérie, 9,8 Mds $ avec la Tunisie, 9,8 Mds $ avec le Maroc. Au-delà des simples chiffres, c’est pourtant bien le Maroc qui apparaît comme le partenaire idéal : son économie est incomparablement plus diversifiée que celle de l’Algérie, dont 98 % des recettes d’exportation sont issues des seuls hydrocarbures ; la capacité de FRANCE-MAROC-AFRIQUE 21,4 % la part de la France dans les les exportations marocaines en 2014, ce qui en fait le 1er client, devant l’Espagne (18,9 %). 13,3 % les parts de marché de la France au Maroc en 2014, de peu au 2e rang derrière l’Espagne (13,4 %). 8,67 milliards d’euros, les échanges commerciaux franco-marocains en 2014. Excédent français de 159 M€. 71,4 milliards d’euros, les échanges commerciaux franco-africains en 2014. Excédent français de 1,2 milliard d’euros. ■ projection internationale de ses entreprises de premier plan (lire page 6) dépasse largement celle de l’Algérie comme de la Tunisie ; le pays est celui des trois qui inspire le plus confiance, notamment aux institutions et investisseurs internationaux (lire pages 4 et 5) Les relations entre la France et le Maroc se sont d’ailleurs établies depuis une vingtaine d’années à un niveau que l’on peut estimer irréversible. Ainsi la France est demeurée en 2014 le deuxième partenaire commercial du Maroc, juste derrière l’Espagne, et la relation entre les deux pays tend à s’équilibrer, le solde commercial en faveur de la France ne s’établissant plus qu’à 159 millions d’euros, en 2014. Cependant, la présence des grandes entreprises françaises au Maroc est inégalée : presque tout le CAC 40 est sur place ; la France y est, de loin, le premier investisseur avec 37 % du stock d’IDE ; quelque 750 filiales d’entreprises françaises y emploient 80 000 personnes et la Chambre française de commerce et d’industrie du Maroc, à Casablanca, est de très loin la première chambre étrangère du royaume, avec plus de 3 000 entreprises adhérentes. D’autre part, certaines implantations françaises, c’est un fait reconnu, ont contribué d’une manière décisive à la double révolution industrielle à l’œuvre dans le royaume : Safran en l’an 2000 pour l’industrie aéronautique, et Renault pour l’industrie automobile, depuis 2012 (lire pages 3 et 4). Au reste, il ne se passe guère de temps sans que des implantations nouvelles ou des renforcements de présence françaises ne soient déployées au Maroc. LES ENTREPRISES FRANÇAISES AFFLUENT AU MAROC… Exemple récent, celui d’Orange. Fin juillet, le groupe a acquis 9 % supplémentaires du capital de Médi Télécoms (31 % du marché marocain), détenant désormais 49 % du capital et le contrôle du conseil d’administration. Une opération dans la droite ligne du plan stratégique Essentiels2020, annoncé an mars dernier par le président du groupe, Stéphane Richard, qui a pour ambition de faire d’Orange un opérateur téléphonique « paneuropéen et panafricain ». Au-delà de ces quelques exemples, en quoi le Maroc, qui affiche une grande volonté d’ouverture internationale et un fort tropisme stratégique africain (lire page 5), est-il intéressé par un « partenariat stratégique » avec la France ? C’est que, si l’on regarde la réalité des chiffres, le commerce marocain est, aujourd’hui encore, surtout tourné vers l’Europe. Celle-ci est toujours le premier client du royaume chérifien, et son poids semble même repartir à la hausse, avec des exportations marocaines passant de 61,7 % en 2012, à 67,6 % en 2014. L’Europe est aussi le premier fournisseur du Maroc, avec 61,3 % des importations marocaines en 2014, 57,0 % en 2010. Or la France n’est pas seulement le premier (ou le second, au coude-à-coude avec l’Espagne) partenaire commercial européen du Maroc : nombre de ses entreprises sont (encore) des poids lourds à l’œuvre sur le Manuel Valls et Abdelilah Benkirane, Premiers ministres français et marocain, à l'Hôtel Matignon lors de la rencontre de haut niveau du 28 mai dernier, qui a scellé la volonté partagée d'un partenariat entrepreneurial stratégique entre les deux pays, particulièrement à destination de l'Afrique. © AFP PHOTO/CHARLY TRIBALLEAU continent africain. Cette double qualité épouse donc idéalement la stratégie économique du Maroc sur le continent, avec l’idée que le royaume peut s’affirmer comme la plateforme africaine idéale pour les multinationales, à commencer par les Européennes. Cette convergence d’intérêts paraît d’autant plus prometteuse que la France ne manque pas d’atouts pour se relancer sur le continent. … ET CERTAINES SONT ENCORE TRÈS PUISSANTES EN AFRIQUE D’une part, son stock d’IDE en Afrique subsaharienne a été multiplié par quatre, passant de 6,4 milliards d’euros en 2005 à 23,4 Mds € en 2011 ; d’autre part, elle demeure un acteur économique majeur en Afrique de l’Ouest : au sein des 14 pays utilisant le franc CFA, les entreprises françaises résistent plutôt bien à l’avancée chinoise, avec une part de marché encore à 17,2 % en 2014, contre 17,7 % en 2011 ; enfin, les entreprises françaises implantées sur le continent y restent chefs de file dans plusieurs domaines : Total est l’une des plus grandes compagnies d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures du continent ; Alstom a installé 80 % du parc des turbines des centrales de l’électricien national sud-africain Eskom ; Schneider Electric compte 2 500 collaborateurs répartis dans une quinzaine de pays ; Sanofi y réalise 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires ; le groupe Bolloré a lancé, le 9 septembre, les travaux de réhabilitation de la voie ferrée de 1 260 km reliant la capitale ivoirienne Abidjan à Ouagadougou (Burkina Faso), avec un investissement de 400 millions d'euros sur cinq ans ; avec Nareva Holding, Engie (ex-Gdf Suez) a développé en 2014 dans le sud du Maroc le parc éolien de Tarfaya (301 MW, le plus grand d’Afrique, 450 m € d’investissement) et les deux entreprises seront aussi partenaires, toujours à 50-50, sur un projet électrique majeur, la future centrale à charbon de Safi au sud de Casablanca – un projet à 2,3 milliards de dollars pour 1 386 MW de capacité… Et sans prétendre à l’exhaustivité, tant s’en faut, citons enfin le cas de la Société générale : présente sur le continent depuis plus de cent ans, cette banque française qui compte déjà plus de 1 000 agences dans 18 pays, a annoncé au printemps un plan pour accélérer son développement en Afrique, tant par la création d’agences (50 à 70 par an) et l’ouverture de nouvelles filiales, que par des acquisitions ciblées – un plan auquel la banque va allouer près de 4 milliards d’euros de ressources supplémentaires (RWA). Tel est le contexte – le terreau, pourrait-on dire – dans lequel se développe depuis au moins dix ans l’idée d’un « partenariat d’exception » francomarocain – une vision promue dès 2005 par le Groupement d’impulsion économique franco-marocain (GIEFM) coprésidé à l’époque par Jean-René Fourtou et Mustapha Bakkoury. Aujourd’hui, dépassant la relation bilatérale, ce partenariat devient « stratégique » et se fixe un nouvel horizon, l’Afrique. Un point de vue largement partagé lors de la rencontre de haut niveau du 28 mai dernier à Paris, à laquelle ont participé des ministres – dont les deux Premiers – mais aussi quelque 300 « grands » entrepreneurs rassemblés par le Medef et la CGEM, son alter ego marocain. LE CHEMINEMENT VERS UN PARTENARIAT STRATÉGIQUE Côté français, c’est le groupe AccorHotels, présent avec toutes ses marques et 37 hôtels au Maroc, qui témoigne avoir « naturellement » choisi Casablanca pour y établir son siège Afrique en 2014, déclare Jean-Jacques Dessors, le DG Afrique ; c’est aussi le cas du groupe Nexans, leader mondial du câblage, présent au Maroc depuis cinquante ans, qui entend s’appuyer sur les compétences développées au Maroc – « c’est en Afrique le pays le plus compétent dans le développement des réseaux », affirme Frédéric Vincent, le PDG – pour rayonner sur le reste de ce continent où 600 millions d’habitants n’ont pas encore accès à l’électricité ; c’est encore le cas de Thierry de Margerie, vice-président Afrique d’Alstom – l’entreprise a remporté en 2014 le plus gros contrat de son histoire, soit 600 trains de banlieue à fournir en dix ans à l’Afrique du Sud – qui propose aux Marocains de « construire ensemble une industrie que nous exporterons ensuite vers l’Afrique »… Autant de messages reçus positivement par les Marocains, et que Mohamed El Kettani, PDG de Attijariwafa Bank (1e banque du Maghreb) et coprésident du Club des chefs d’entreprise France-Maroc (successeur du GIEFM) a résumé en relevant « l’opportunité historique de projection du couple francomarocain en Afrique (…) Un partenariat stratégique d’exception qui s’inscrit dans la durée et qu’il faut élargir aux PME et TPE, tout en consolidant la coopération entre les grands groupes », a-t-il conclu. ■