Cap Skirring - Les Carnets de voyage de Mireille.
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Cap Skirring - Les Carnets de voyage de Mireille.
Cap Skirring novembre 2012 Mireille Le Van Jeudi 8 novembre 2012, 10 heures, plage de Cap Skirring U n moment de calme sur un transat sous les palmiers face à l'océan, après un long bain dans les vagues. Tout est propice à une page d'écriture pour vous faire partager l'atmosphère d'un « Club Méd. » C'est comme une oasis sans objectif autre que de se reposer et d'oublier tout souci. J'ignore si c'est efficace car il faut compter sur le soleil, la plage, la piscine, les palmiers pour vous alimenter en réflexion. Cela vous permet de creuser au fond de vous même pour trouver les ressorts à l'action ou simplement à la pensée. C'est rare, et c'est presque perturbant. -2- Dans ces moments je vois la force de Patrick qui sait s'émerveiller d'une foule de choses diverses comme classer les mots selon leur pouvoir évocateur ou encore apprendre à des objets à parler en programmant avec un langage ésotérique. En ce moment, il s'applique à mettre en forme notre avant dernier récit de voyage en Égypte et peaufine l'insertion de belles photos qu'il va encore retravailler. La plage est déserte, étoilée de parasols de paille et de duos de transat qui attendent. Les vacanciers ne semblent pas être tournés vers la plage. Ils s'acheminent plutôt vers le golf et son terrain verdoyant. Il y a des conversations à alimenter et des communautés à créer autour de sujets divers. 3- Des gardiens, vêtus de vert, veillent sans trop s'assoupir aux limites de la plage. Des jeunes, toujours attendrissants dans leur volonté d'avancer et de tenter, proposent des activités, concerts, danses, spectacles, aux vacanciers. Le contact est sous contrôle des gardiens, qui savent intervenir si la sollicitation devient trop lourde et trop agressive. Les jeunes savent jouer avec et cela émeut toujours Patrick. Les « gentils membres » de ce Club Med se partagent en deux catégories. Tout d'abord, les séniors férus de golf, habitués, ils embrassent le personnel, reconnaissent leurs amis et dès le matin, promènent leur encombrant équipement. Ensuite, quelques familles qui cherchent, en cette fin de vacances de Toussaint, un peu de repos et de soleil avant l'hiver. Elles semblent un peu égarées, avec des enfants un peu seuls et à l'arrêt. Nous sommes arrivés hier en début d'après-midi à Cap Skirring après un voyage sans encombre. Un taxi nous attendait ce matin à 3 heures 30 dans la rue de l'Abbé Groult. Le chauffeur nous a fait part de son expérience de recherche de vols pas chers. Il était un expert des compagnies vers le Magreb et nous a confirmé que Transavia, filiale low cost d'Air France, était une bonne compagnie. -4- Orly Sud se s'éveillait doucement. L'enregistrement s'est déroulé dans le calme, au milieu de compagnons de voyage, identifiables à leur équipement de golf. Nous avons compris que Cap Skirring était vraiment une destination de choix pour la pratique du golf et que ce Club Med attirait à cette date une population homogène : couples de séniors avec femmes pétulantes ; ou qui l'avaient été. Le vol vers Dakar est court, moins de 6 heures. Nous y avons fait une escale relativement rapide, pour approvisionner en carburant notre petit avion, et changer d'équipage. En effet, la piste d'atterrissage de Cap Skirring est très courte et il faut sans doute la dextérité d'un 5- pilote local pour garantir un atterrissage sans encombre. Dès la sortie de l'avion, on comprend que l'endroit a été créé par et pour le Club Med. L'aéroport est tout petit. Les bagages sont transportés à la main et, derrière leurs deux guichets, les douaniers sont familiaux. Les mini bus ronronnent sans piaffer devant un hall minuscule, attendant sagement que les touristes se jettent à l'assaut pour rejoindre au plus vite l'oasis de leurs vacances. Nous attendrons à l'ombre d'un des rares arbres et partiront avec l'un des derniers bus. Le village est situé juste à côté, un coin d'Europe en pleine Casamance. Nous ne verrons rien de celle ci avant de le rejoindre, passant très vite les deux portails qui délimitent l'enceinte. -6- Devant le hall, nous aurons droit au rituel d'accueil : tout le personnel présent, chantant au rythme d'un petit orchestre africain, sous la direction du chef de village, Jérémie. Un des GO nous accompagnera à notre chambre. C'est un ensemble assez anciens de petits bâtiments d'un étage. Des coursives extérieures, un peu compliqués à comprendre, mènent aux chambres. Sans doute la seule fantaisie que s'est autorisé l'architecte. Nous sommes logés au premier étage, une chambre mal agencée équipée d'un lit peu accessible, une terrasse donnant sur la palmeraie devant l'océan. Nous déjeunerons en appréciant l'excellente cuisine européenne. La perplexité des GE devant des monticules de bagages répandus sur la pelouse devant des panneaux indiquant le bâtiment de destination était intacte, tout comme le tas initial lorsque nous reviendrons de déjeuner. 7- Cela n'avait pas entamé leur sérénité et leur bonne humeur. Ils nous regarderons en souriant récupérer nos valises, heureux que nous les repérions et portions nous même ! L'après-midi nous permettra de nous reposer en découvrant l'océan avec une température agréable, la palmeraie et la piscine. -8- Jeudi 9 novembre 2012 C'est une journée calme, qui permet de se couler dans les lieux. P atrick, toujours à l'esprit marin, s'est essayé au catamaran. Comme un vieux chat, il a joué la prudence en prenant un cours. La monitrice bretonne a confirmé ses capacités à voguer seul, cela lui permettra de naviguer tranquillement demain en solitaire. Pendant ce temps, j'ai rejoint les cabanes de massage sur la plage, et une jeune femme sénégalaise me détendit avec douceur le dos et les bras. Je profitais aussi de cette journée sans contrainte pour planifier nos futures sorties. Un jeune GO me conseille deux excursions : « terre Diola » pour découvrir la brousse et les bras de mer, demain vendredi et « légende d'Afrique », une visite de l'intérieur du pays Kassa, mardi prochain. Pour compléter le programme, nous irons déguster une langouste dimanche soir dans un restaurant de fruits de mer, au bord de la plage. 9- - 10 - Vendredi 9 Novembre 2012 C'est le jour de notre sortie en terre Diola N ous partons à 9 heures dans un minibus poussif ; une incursion de l'Afrique dans l'enclave du Club Med. Jean Baptiste, guide sénégalais fier de son parcours, fier de sa Casamance, va nous accompagner pour ce périple. Nous traversons rapidement Cap Skirring, bâtie de toute pièce autour du Club Med. Le village héberge un artisanat balbutiant ainsi que, comme toujours, des dépanneurs en tout - à l'inverse d'une société de consommation. Nous roulerons sur de petites routes relativement bien entretenues. La Guiné » n'est qu'a 6 kilomètres. Nous rejoignons ainsi la rive d'un bras de mer pour embarquer sur une pirogue rustique et colorée ; c'est le début de la gymnastique pour monter à bord. 11 - La Casamance n'est pas un fleuve mais une mangrove largement ouverte sur la mer. Elle est formée de bolongs qui serpentent autour de nombreuses iles. Les palétuviers consolident cette mangrove. Ils ont été replantés, comme les pins dans nos montagnes françaises. Leurs troncs accueillent des huitres qui se cramponnent à ces morceaux de bois. C'est peut être ici que la culture des huitres de bouchot a été inventée... Elles ne sont pas comestibles car l'eau, bien que salée, est saumâtre. Les casamançais ne consomment que des huitres cuites sur un feu de bois ; la chaleur ouvre automatiquement les coquilles. L'évocation des couteaux à huitres fait sourire Jean Baptiste. La mangrove, avec ses bois secs, constitue une réserve de combustible destiné aux feux de cuisson des familles. Les hommes viennent ainsi s'approvisionner à l'aide de petite pirogues traditionnelles creusées dans une seule pièce de bois. - 12 - Le bois mort de la mangrove fait le délice des termites qui, heureusement, ne s'attaquent jamais à la végétation vivante. Nous longeons l'île sacrée, une île où les morts ne peuvent vivre en paix, tourmentés par les esprits malins. Aussi, les deux familles de l'île transportent leurs morts dans un île voisine plus hospitalière. On sent que l'on est toujours sous la l'influence des esprits et des légendes. Nous abordons ensuite dans un village de pêcheurs où règne une odeur extraordinairement puissante de poissons séchés. La découverte est à la hauteur de cet accueil pestiférant : sur le sable, à même le sol, des monticules d'énormes raies, à moitié éventrées. Elles sont le fruit d'une pêche miraculeuse : les filets sont tombées sur un banc. Les pêcheurs, malgré le soleil qui frappe fort sur ces quantités de poissons en attente, ne se pressent 13 - pas. Ils vont a un rythme sans doute habituel. Aucune frénésie face au travail à accomplir ou même au gain potentiel à venir. Les monceaux de raies côtoient divers détritus. Ceux ci, papiers, bouteilles, vieux tissus, témoignent peut être d'un certain modernisme. Je les soupçonne même d'être respectés pour l'impression qu'il dégagent d'une d'évolution vers une société de consommation. Mais, ce n'est peut être que le manque d'énergie ambiant qui leur vaut cette errance sur la plage. Les raies sont destinées à être séchées puis transportées en ballots sur des semi-remorques qui - 14 - s'apprêtent à ingurgiter des milliers de kilomètres de route mal entretenues. Un chargement encore gouteux en odeur était terminé et les deux rudes camionneurs s'approvisionnaient pour le voyage. On retrouve partout, au sein de cette communauté de routiers qui tissent les ponts entre les pays et les cultures, cette impression de courage et d'aventures. Ils font peur, font rêver et suscitent le respect et me rappellent mon père, « le salaire de la peur » et « duel », toute une époque. Les camions d'ici, solides, rustiques, vous ramènent vers le passé. Nous traverserons à pied le village où se succèdent petits restaurants et commerces divers peu achalandés. Les réparateurs sont rares. C'est un village de pêcheurs et de petits commerçants. Nous terminerons notre visite par une pause dans un café - celui du frère de notre guide sous une tonnelle, au bord du bolong. Une bière fraiche, la Gazelle, nous désaltèrera pour 1,50 euros et ses 1,2 litres que nous ne pourrons terminer. Jean-Baptiste en profitera 15 - pour nous parler de sa grande famille, de ses huit frères et sœurs, de leur difficulté à financer les études, et de l'entraide familiale qui sauve tout. Cela sous le regard de son père, un vieil homme se balançant dans un hamac. Qu'il est doux de pouvoir compter sur ses enfants ! La pirogue reprendra ensuite son périple vers une presqu'île plus verdoyante, plus civilisée, rassurante après la sauvagerie et l'odeur des empilement de raies. Auparavant, nous longerons l'Ile aux Oiseaux et ses nuées de spatules qui nichent au sommet des palétuviers. Le débarquement fut encore plus sportif puisque je serai portée vers la terre ferme, comme les autres, par un des accompagnateurs, la pirogue ne pouvant accoster. - 16 - L'école du village nous a été présentée par l'instituteur d'une des trois classes. Il avait préparé notre venue et était rodé à ce genre de prestation. Les visites des touristes permettent de financer l'école. Celle ci est relativement bien aménagée avec une bibliothèque achalandée et des fournitures scolaires disponibles. Les élèves écoutaient sagement leur maitre, certains concentrés à rattraper des devoirs non terminés, d'autres à s'évader en dessinant ou, au contraire, à écouter avec curiosité le discours qu'ils doivent pourtant connaître ; en espérant un intérêt ou de l'imprévu … Les enfants sont accueillis à partir de 6 ans, en fonction des places disponibles. Le taux de scolarisation s'est beaucoup améliorée au Sénégal ces dernières années. Ils étudient alors le français, langue que personne ne pratique en général dans leur famille. Le rôle du maître est essentiel pour faciliter une transmission des savoirs dans un langage qu'ils découvrent et ne pratiqueront qu'à l'école. 17 - La venue des touristes français est, d'après l'instituteur, très valorisante. Elle leur permet de comprendre que cette langue difficile, inutile en Casamance, leur ouvrira d'autres échanges sur d'autres continents. Cela doit convaincre les aventuriers … L'école intègre un enseignement religieux trois fois par semaine. La Casamance est, comme le Sénégal, majoritairement musulmane. C'est le moyen que l'État a choisi pour s'associer, en douceur, à l'importance pour les communautés de dispenser à leurs enfants leurs engagements religieux. Cela évite que celles-ci ne se tournent en particulier vers les écoles coraniques, avec les excès que certaines d'entre elles sont tentées commettre Les jeunes filles, jusqu'à leur puberté, ont un accès égalitaire à l'école. Ensuite, d'après notre sincère instituteur, c'est malheureusement plus difficile. En cause des maternités précoces et multiples. J'ai l'impression que les choses vont changer rapidement. L'envie d'offrir ce qu'ils considèrent être le meilleur pour leurs enfants, c'est à dire une éducation permettant d'accéder aux avantages d'une société dite développée, amènent dès aujourd'hui les jeunes sénégalais à limiter la taille de leurs - 18 - familles, passant d'une dizaine d'enfants par maman auparavant, à seulement trois ou quatre.; comme en témoigne de notre guide Jean Baptiste qui, avec huit frères et sœurs, n'envisageait que trois enfants. Les élèves nous ont fait l'honneur d'entonner les deux hymnes nationaux, sénégalais et français. Cette « Marseillaise », chantée gaiement par ces enfants - dont les grands parents avaient du vivre la colonisation et l'indépendance - avec ses phrases guerrières et rustres, m'a mise mal à l'aise. Une petite fille m'a fait le plaisir de prendre ma main pour m'accompagner au restaurant, au milieu d'une bande d'enfants qui quémandaient gentiment des stylos et des bonbons. Le restaurant « Chez Bocuse » était authentique : des tables avec des nappes de plastique disposées à l'ombre d'une tonnelle dans une cour. Le repas, simple, du poisson avec du riz, nous a permis de faire la connaissance de 19 - l'autre guide, moins commercial, plus cultivé et passionné. Je l'appellerai Omar. Omar a tout de suite sympathisé avec Patrick. Nous avons ainsi échangé sur l'histoire du Sénégal, la géographie, la culture. Il souhaitait nous faire comprendre que la Casamance est une région particulière, que c'est autre chose que le Sénégal. Plus jeune, il s'était rendu à Dakar, pour passer un examen. Le vent chaud et sec qui y soufflait et qu'il n'avait jamais connu témoignait de la proximité du Sahel, bien loin de sa Casamance, verdoyante, choyée par les pluies. Il aime son pays, et le défend, assurant de la solidarité et de la sérénité de ses habitants. Il est vrai que l'on ne resent pas d'insécurité malgré les frontières toutes proches de la Gambie et de la Guinée Bissau. J'achèterai un sac de bonbons et je serai vite dépassé par une nuée virevoltants d'enfants autour de moi, les mains levées, me pressant de leur distribuer ces bonbons. Heureusement, Patrick me donnera un bon conseil : laisser le maître d'école gérer avec autorité et justice la situation ! - 20 - Avant de rejoindre les vans, nous assisterons à une représentation de danse traditionnelle accompagnée de percussionnistes, et surtout à une exhibition de lutte sénégalaise. La lutte tient une place importante dans les communautés. Jeunes et adultes y apprennent à se connaître, à se mesurer. Nous avons poursuivi par la découverte de la l'élaboration de l'alcool de palme. Dans une forêt, au milieu de la savane, autour de quelques arbres, est installé le campement du fétichiste, fabricant d'huile de palme, une cabane sommaire, et des bancs rustiques. Une jeune femme change les couches de ses deux bébés sur un semblant de couverture déployée sur le sol. Nos collègues d'excursion s'émerveillent devant ces langes en tissus, comme si ce retour vers le passé était une prouesse. La hutte est dans un dénuement total, quelques planches garnies de broussailles font office de lit, une moustiquaire montre que la sensibilisation aux risques de paludisme est efficace ; celui ci a beaucoup reculé ces dernières années au Sénégal. Jean-Baptiste nous montrera la pioche traditionnelle en bois taillé armé d'un fer à cheval. 21 - Puis, le fétichiste grimpera sur un palmier, en s'enlaçant autour du tronc, afin de pratiquer une entaille pour récupérer l'alcool de palme. Il prendra ensuite un air inspiré pour nous le faire gouter, à tour de rôle, demandant à chacun d'en verser une lichette par terre avant de boire. Le goût est âpre, sucré, fort, sans aucune fioriture. Là, on ne cherche pas l'odeur des fruits des bois, des palmiers ou autres. C'est direct, brut. - 22 - Nous prendrons ensuite le chemin du retour en empruntant des routes de brousse, traversant des villages, saluant des enfants qui crient et agitent leurs mains en riant au bord de la piste. L'entrée dans Cap Skirring nous ramène dans une agitation brouillonne. Tout s'active, les bus; les véhicules divers, les gens. C'est une drôle de ville, éphémère, artificielle, qui n'a été crée que par et pour le club de vacance. Elle s'éteint d'ailleurs pendant la fermeture de celui ci, pendant la saison des pluies. 23 - Samedi 10 Novembre 2012 Sur la plage, sur un transat face à l'océan aux vagues tumultueuses, avec l'orage qui gronde de plus en plus méchamment en s'approchant de nous … L a journée a démarré avec une matinée de catamaran en solo pour Patrick qui se débrouille comme une vieux loup de mer, avec un vent pourtant faible et changeant. J'ai assisté ce midi à une leçon de management : une séance de questions réponses sur les opportunités de carrière à destination des GO et GE, s'appuyant des témoignages de managers ; tout cela en public et devant les résidents. Les jeunes sénégalais locaux rêvent : avec de l'énergie et de la ténacité, tout peut être possible. - 24 - Les rapports entre vacanciers et employés sont ambigus, entre complicité, amitié même, mais toujours avec un soupçon de condescendance. C'est ce dernier qui, j'en suis sûre, remotive les ambitieux quand ils doutent. Notre après-midi s'est déroulée comme si les habitudes se prenaient vite, massage pour moi, catamaran pour monsieur. Patrick a réussi une prouesse pour sa première expérience de tir à l'arc. Pendant que je terminai ma séance de massage, il est allé s'essayer au tir à l'arc, avec, à mon avis, l'idée de pratiquer un jour dans nos bois de Bouteillac. Après quelques essais rapides, le moniteur lui a demandé de participer au concours de la semaine qui allait justement commencer. Et là, comme lorsqu'il était un jeune 25 - appelé au service militaire, il a remporté haut la main cette compétition, à l'étonnement des autres participants. Je suis persuadée qu'il a une grande capacité de concentration et une belle dextérité. Cela lui a valu de recevoir une médaille, remise en public, sous les applaudissements - tout ce qu'il aime ! C'était un soir animé, avec une sorte de petit marché artisanal, le Village accueillant des artisans locaux afin qu'ils puissent proposer leurs créations aux vacanciers. Je me suis vite faite aborder et accrocher par une vendeuse sénégalaise qui m'a fait le cadeau d'un porte clé de sa fabrication, et qui a tenté de me posséder avec un sournois « je t'ai choisi pour me faire vivre ». Cela se conclura par l'achat d'un collier de pierre orangé. - 26 - Dimanche 11 Novembre 2012, 9 heures Pluie et ciel gris sur Cap Skirring L es balais pour chasser l'eau s'activent avec l'énergie des personnes de service, et les débroussailleuses vrombrissent. L'énergie de ces travailleurs détonne avec la torpeur ambiante. Tout est devenu gris comme le ciel, et la nostalgie tropicale vous touche, amenant une envie de passer du temps à le regarder passer, sans le déranger. Cela va être l'occasion de remettre à niveau ce récit et de vous parler de l'ambiance Club Med. C'est tout d'abord un monde fermé, à plusieurs titres. Topologiquement, un village est une enclave européenne dont on passe rarement les frontières. On y vit à la française. La cuisine, excellente et française, en témoigne. Les belges, les suisses, bien sur francophones, sont nombreux. C'est aussi une communauté close, la plupart des participants sont des habitués ; habitués du Club - ils arborent 27 - ostensiblement des tee shirts de tous les villages -, Les habitués de Cap Skirring sont très nombeux. Ils y viennent depuis des années, et pour certains plusieurs fois par an. Ils se connaissent, se reconnaissent, se jaugent pour n'échanger au final que des banalités. C'est un monde d'apparences où chacun veut faire la démonstration de ce qu'il est en se montrant au autre : les hommes mettent en avant leurs femmes en général un peu plus jeunes qu'eux, les femmes exposent leurs nombreuses tenues, leurs chevelures peroxydés, essayant de retrouver l'allure pimpante de leur jeunesse. Les femmes d'âge mur regardent les adolescentes comme des concurrentes, et les mères se placent de façon malsaine sur le même plan que leurs filles. - 28 - Patrick saurait mieux que moi imaginer au travers d'histoires pathétiques combien ces séjours ont d'importance dans la vie de ces Gentils Membres et combien ils doivent être prêts à économiser pour être là, pour exister « au club ». Beaucoup ne sont pas jeunes. Les séniors sont nombreux, ce qui donne, en cette fin de période scolaire de la Toussaint, un petit air de Zardoz, avec toutes ces têtes grises ou platines. Le savoir vivre n'est pas la qualité première, on vient ici pour profiter d'un service permanent, on vérifie que c'est toujours le cas, et on montre que l'on sait se faire respecter, en sachant même passer devant tout le monde. Derrière les sourires, les tutoiements et les embrassades entre GO et GE, il y a beaucoup de condescendance. 29 - Une des fiertés affichées du Club est de faire travailler 200 sénégalais et d'en faire vivre plus de 2000. C'est une position ambiguë et reconnue. Un animateur sénégalais saluait hier, au micro, le départ des vacanciers par une phrase bien claire « retournez travailler, gagnez beaucoup d'argent et revenez vite le dépenser ici ! ». Mais, ce côtoiement n'est pas si simple, et je sens quelquefois le questionnement des employés qui dépensent une énergie folle pour créer des évènements, comme dresser des tables au bord de la piscine ou organiser une garden party sur la plage, préoccupations sans doute bien éloignées de la vie quotidienne de leurs familles. Le fait touristes et GO partage les mêmes table lors des repas est sans doute une bonne initiative pour créer des ponts. Mais certaines discussions me font penser que cela permet aussi de mesurer la profondeur du fossé. Hier, une initiative présentée comme favorisant les artisans locaux nous a interpellés. Le Club les a invités ceux-ci à venir tenir des stands de vente . Ils ont ainsi présenté leurs création toute la journée, mais sans beaucoup de succès dans ce lieu où la quasi totalité des touristes sont des habitués de longue date. Vers le soir, après avoir essuyé une forte pluie, et sans avoir vendu - 30 - grand chose, on sentait monter chez eux une certaine désespérance. Je leur ai acheté un collier et j'ai compris à cette occasion que leurs prix, élevés, s'adaptaient au lieu et à la clientèle. Patrick allait m'en apprendre plus après sa discussion avec un des vendeurs tandis que je marchandais l'achat de deux nouveaux petits éléphants. Le Club Med demande à chacun 10 euros pour pouvoir exposer et vendre une journée. Entre le prix du taxi brousse pour venir, et ce droit d'entrée, il est difficile pour eux de rentabiliser leur journée. Cette façon de procéder n'est pas très responsable... Dimanche 11 Novembre 2012, bientôt 16 heures Sous les palmiers, face à l'océan, un peu de soleil, une petite brise … P atrick vogue en solitaire sur un catamaran. Il est resté jeune et sportif. Il cultive sa force et la maitrise de soi, de son corps. Pendant que je me faisais masser vigoureusement dos et épaule ce matin pour retrouver un peu de souplesse et de bien-être, il est parti courir sur la plage vers la frontière guinéenne toute proche. Il a traversé ainsi deux anses, rencontré pêcheurs, vaches de plage, poissons morts et maisons abandonnées. Je commençais à me demander quel secours j'allais 31 - appeler vu l'heure qui passait, lorsque j'ai vu apparaître au loin un petit homme au corps juvénile et la tête bien ronde, qui n'a pas changé depuis des années ! Hier, il s'est essayé au tir à l'arc, avec l'idée de chasser un jour à Bouteillac avec cette arme respectueuse de ses proies. Pour un coup d'essai, ce fut un coup de maitre car à la stupéfaction générale des autres participants, il a gagné le tournoi ! Il sait se concentrer et conduire ses gestes. Bravo l'artiste ! Il s'est ainsi vu remettre hier soir une médaille. Pendant sa sortie maritime, j'observe ce village qui vogue sans repère. Les rites lui permettent de ne jamais se poser de questions. Les GO se demandent - 32 - simplement quel est le jour de la semaine pour en déduire les évènements à organiser. Aujourd'hui dimanche, c'est le départ d'une partie des vacanciers, remplacée par une fournée d'autres, accueillis avec le même rituel. J'ai aperçu tout à l'heure Jérémy, le directeur, qui jouait le même sketch que mercredi dernier lors de notre arrivée. C'est un bon comédien, il arrive à donner le change, de la spontanéité dans les yeux, de la bonne humeur dans l'attitude. Dans ces moments là, il sait gommer la lassitude et le questionnement sur cette drôle d'existence. Il s'en était ouvert à nous l'autre jour lorsque nous avons échangé sur son pays, le Gard, sur les champignons ardéchois, sur ses études à Montpellier. Drôle de métier, entre manager et animateur avec une relation clients permanente et un dépaysement culturel ! Drôle de vie avec des déménagements perpétuels dans de multiples pays pour recréer la même atmosphère ! En étant toujours au services de vacanciers qui, pendant le temps d'un séjour privilégié, veulent être le centre du monde ! Dur, dur … 33 - Lundi 12 Novembre 2012, bientôt 19 heures Je reviens un peu énervée d'une sortie dans le village. J 'avais décidé d'aller faire quelques courses en cet avant dernier jour de vacances. A peine arrivée à la porte du club, j'ai été prise en charge par Alpha, un jeune sénégalais, posté comme d'autres collègues juste avant le portail. Il a proposé de me faire découvrir le village et de m'aider dans mes achats, tout cela avec l'assentiment du gardien. Je n'ai pas su échapper à sa sollicitude intéressée. Il m'a expliqué que le Club Med, avec l'aide du Ministère du Tourisme - qui organisait paraît il une formation promotionnait des jeunes comme lui, pour aider au développement économique de ce pays dont les étrangers exploitaient les richesses. Aussi étaient-ils admis dans l'enceinte du Club Med et soutenus dans les prestations diverses qu'il proposaient aux touristes Alpha n'est pas de Cap Skirring, il vit d'activités agricoles dans la capitale régionale et vient comme - 34 - de nombreux autres collègues s'établirs six mois ici pour profiter de la manne touristique. La grande majorité des habitants du village font de même. Cap Skirring se transforme en village fantôme pendant la fermeture du Club durant la saison des pluies, de mai à octobre. Alpha m'a entrainé en dehors de la grande rue, tout d'abord le long d'un terrain de foot, immense, poussiéreux, où s'entrainaient consciencieusement des équipes. La place du foot dans le rêve d'évasion et de futur glorieux est étonnante chez les jeunes. J'ai l'impression que beaucoup d'entre eux, avant de trouver et d'accepter une autre voie, ont besoin de tenter une carrière de footballeurs même s'ils savent que les élus sont rares. C'était le cas d'Aziz, qui n'avait choisi son métier de masseur qu'après une longue période d'essai dans le football professionnel. Après ce terrain de foot, nous sommes entrés dans un dédale de ruelles étroites boueuses, où hommes et animaux vivent devant des taudis de torchis coiffés d'un toit de tôle ondulée. Je ne savais pas où Alpha voulait m'emmener et je regrettai la grand rue avec ses magasins qui me parurent à ce moment bien organisés, et accueillant. Dans ce quartier, tout autour de moi était ocre et poussiéreux, les odeurs, entre moisissure et décomposition, après la pluie et les chaleurs, envahissaient l'espace. J'étais seule à le voir et le sentir. Les femmes souriaient, les 35 - enfants rampaient gaiement au milieu des chèvres, des poules et des chiens qui déambulaient. J'ai insisté auprès d'Alpha pour savoir où nous allions. Il me conduisait chez un ami à lui, un vrai sculpteur sur bois, qui me proposerait de beaux objets à des prix bien sûr très intéressants. Nous avons fini par arriver dans une cour qui se la jouait jardin. Quelques arbres amenaient des touches vertes et me réchauffaient le cœur, quelques dalles de brique traçaient un chemin, vous évitant de patauger dans la boue. Ce chemin menait vers un appentis de tôle ondulée abritant une exposition bien sommaire d'objets en bois bien banals. L'ami de Alpha était plus un vendeur qu'un artisan. Pour m'en sortir élégamment, je demandais ce qui n'était pas là : des personnages peints de Tintins, des « colons » comme les africains les nomment. Je n'étais pas au bout de mon aventure car l'ami d'Alpha est parti en courant en chercher, soit disant dans sa réserve-atelier ; plus vraisemblablement chez un collègue commerçant - à l'asiatique ! Il est revenu quelques minutes plus tard en brandissant un Tintin et un Capitaine Haddock, tout deux d'une saleté repoussante. Voyant ma tête ardéchoise de mauvaise humeur, il a entrepris de les lustrer mettant malencontreusement en valeur toutes les souffrances de ces rescapés, nez cassé, main sans doigts, etc … Cela m'a permis de justifier mon refus,. Je me suis tourné alors vers un couple de chats noirs, - 36 - sympathiques. Ils me rappelaient nos copains chats du restaurant du club., ceux qui avaient pris leurs habitudes auprès de Patrick. Celui-ci savait leur sélectionner et leur proposer avec doigté les meilleurs morceaux. Il a fallu encore négocier, et j'ai fait encore mine de partir bien que je sois incapable de m'orienter dans ce labyrinthe de ruelles. Alpha a calmé le jeu, sentant mon exaspération proche, et nous nous sommes relativement vite entendus sur un montant de 20 euros après avoir démarré très haut. J'ai clairement expliqué à Alpha que je souhaitais rejoindre la grand rue et ses commerces classiques. En bougonnant un peu, il a accepté. Je lui ai alors indiqué que je désirais simplement acheter deux choses : un drapeau camerounais et des lunettes de soleil pour Patrick. L'achat du drapeau a encore été épique. Pour une raison que je ne connais pas, Alpha m'a indiqué 37 - qu'il ne fallait pas approcher moimême de la boutique qui proposait le drapeau que je convoitais, prétextant que c'était compliqué. Je crois tout simplement qu'il voulait encore faire vivre un intermédiaire, ami à lui, qui est allé me négocier un grand drapeau pour 15 euros et qu'il a du sans doute payer encore moins cher. Les lunettes achetées et sentant qu'il ne pourrait sans doute plus tirer grand chose de plus sa proie, mon guide voulu que nous prenions le chemin du club. J'ai insisté pour aller visiter avec ou sans lui le marché artisanal. A ma stupéfaction, j'ai découvert de belles boutiques, des vendeurs à la sérénité sénégalaise, pas du tout agressifs et heureux de me montrer leur production. Je n'ai rien acheté, épuisée par mes précédentes négociations. Je les ai salués, ils m'ont remerciée en souriant. C'est sans doute ce décalage qui a créé chez moi un certain énervement, je regrettai cette visite managée par Alpha et les occasions perdues. - 38 - Soyons positive ; je vais vous rapporter notre sortie d'hier soir... Nous sommes partis vers 20 heures dans un minibus cahotant pour un diner « langouste » dans un restaurant dont le nom, « la paillote », inquiétait un peu Patrick. Surprise, nous avons retrouvé dans ce van, un compère du Club Med, que je prénommerai Marc par souci de discrétion. Nous avions fait la connaissance de Marc lors d'un repas sur la plage, vendredi. Il était alors mal en point, seul, avec une gastro. Très belge, on le sentait en recherche d'amitié. Il était alors soutenu psychologiquement par un des GO qui lui remontait le moral en plaisantant. Le GO, en service commandé - réputation de convivialité du Club Méd oblige -, déjeuna ce vendredi avec lui ; et avec nous par le même occasion. Mais, hier, c'était différent. Resplendissant, il était accompagné par une jeune et belle sénégalaise qui riait, prise sous le charme de sa conversation. Féministe, j'étais un peu choquée mais Patrick m'a interpellée en me faisant remarquer que ce n'était peut être pas lui qui menait le jeu et que les choses n'étaient pas aussi simples que dans notre vieille Europe. La Paillote nous a conquis. Une belle allée vous conduit dans un jardin de verdure et de palmiers. La salle du restaurant se prolonge par une belle terrasse qui surplombe l'océan. Le maitre des lieux, 39 - un français attentionné, établi là depuis plus de quinze ans, vous installe et vous présente le menu, simplifiant votre choix de ses conseils. Nous avons ainsi savouré un festival de la mer : crabe « déshabillé » en entrée, succulent et facile à déguster, suivi de trois demi langoustes cuites à la perfection. Cette soirée m'a réconciliée avec le tourisme en Casamance. Il y a d'autres hébergements possibles que le Club Med ; comme cette Paillote qui respecte votre intimité et sait créer autour de vous un charme tropical. - 40 - Aujourd'hui, lundi, était un jour de repos et de calme avant notre sortie du lendemain. Le matin, nous avons marché sur la plage. Patrick souhaitait prendre des photos au soleil levant. A peine sortis du domaine du Club Med, nous avons été abordés par Abdoulaye, un jeune qui essayait de survivre et d'aider sa famille en vendant pendant la saisons des objets qu'il fabriquait à des touristes. Abdoulaye était émouvant. Il émanait de lui sincérité et naïveté. Il était surnommé « escargot » en souvenir de tous les escargots que son père ramassait pendant que sa mère récoltait encore le riz juste avant son accouchement. Comme un escargot, nous a-t-il dit, il colle mais ne pique pas. Il réalise des colliers avec du bois de noix de coco et des oiseaux avec du matériel de récupération, comme les cannettes. La saison terminée, il rejoint sa famille à Dakar. Nous lui avons acheté deux colliers. Il nous a raccompagné au Club Med. Pendant que Patrick allait chercher à la chambre de quoi le régler, nous avons du marcher le long de la plage afin que les gardiens ne le chassent pas. Drôle d'impression, comme si j'aidais un voyou, alors qu'il ne s'agit que d'un jeune, volontaire ! L'après-midi, ce fut une dernière sortie en catamaran pour Patrick, avec du vent cette fois. Il est revenu heureux, ayant encore appris. 41 - Mardi 13 Novembre 2012 C'est notre dernière journée en Casamance avant notre retour demain. L a journée nous a permis de mieux appréhender cette région du Sénégal. Nous avons ainsi sillonné l'arrière pays à l'occasion d'une excursion intitulée « Légendes d'Afrique ». Notre guide Jean Baptiste nous accueille et monte avec nous à l'arrière d'un pickup. Nous prenons la route de Ziguinchor en bifurquant juste devant notre Paillote, le restaurant où nous avons dégusté crabes et langoustines mémorables. La route, relativement bonne, traverse des rizières où des femmes récoltent le riz. Elles se penchent à l'unisson, avec quelquefois un bébé sanglé dans le dos. Cela rappelle « La semeuse », avec la même sérénité. Nos collègues de pickup s'offusquent devant les efforts physiques demandés à ces femmes. Je m'étonne toujours de notre manque de mémoire, il n'y a pas si longtemps, à peine plus de 60 ans, la France était agricole et les paysannes françaises s'activaient de la même façon. Ce n'est - 42 - pas la préhistoire. Jean-Baptiste expliquera, en riant comme toujours, le rôle joué par les hommes : ils préparent les sillons avant le piquage en utilisant la fameuse lance pelle que nous avions découvert lors de notre visite au « fétichiste. » Au bord d'un bolong qui débouche sur l'océan en Guinée, des marins guinéens attendent la marée basse pour passer sous un pont et rejoindre le port de pêche d'Elinkine. Nous nous arrêtons pour cueillir une branche de coton sauvage. Elle est parfaite pour illustrer un cours de sciences ; un bouton puis une fleur épanouie et enfin un cocon tissé et moelleux. Ce dernier contient les graines de l'arbre. Jean Baptiste nous expliquera que des graines ont du être disséminées par des camions lors de la construction de la route. Il nous montrera aussi l'efficacité exceptionnelle des termite : un spécimen, tenu entre ses doigts, coupera net avec ses deux pinces la brindille qu'il lui présentait. 43 - On comprend mieux la peur que cet insecte suscite lorsqu'il attaque les charpentes. Les oiseaux se sentent chez eux, dans cette campagne verte, humide, accueillante. Nous traversons un village Diakène Diola avant de faire une halte à Oussouye, sous préfecture qui paraît assez peu animée malgré le marché. Celui-ci est essentiellement alimentaire avec de petits étals où les produits présentés sont tous locaux. Parmi les légumes, nous découvrons des aubergines amères déguisées en petites tomates vertes fripées. Le coin des bouchers et pêcheurs nous fera fuir avec son odeur prenante. Des jeunes femmes élégantes ont complété leurs tenues de sortie avec des perruques qui cachent - 44 - leurs chevelures crépues. s'européaniser interpelle. Cette volonté de Nous découvrirons ensuite un village soutenu par une association qui essaie de développer la poterie, activité génératrice de petits revenus, comme l'on dit dans le monde humanitaire, et qui garantit l'autonomie des femmes. C'est l'une d'entre elle, Evelyne, qui nous a accueillis. Nous nous installons à l'ombre des arbres derrière sa maison de torchis ocre. Elle déploie un morceau de carton sur lequel elle s'assoie, entourée de ses outils. Son kit de présentation est rodé. Elle met en évidence la rusticité des outils et le caractère ancestral de son mode de fabrication. Elle ne peut pas s'empêcher malgré tout de nous indiquer qu'elle est aussi formatrice. C'est une de ces femmes leader sur 45 - lesquelles l'action des O.N.G. s'appuie pour approcher la communauté. Evelyne nous explique la recherche d'argile dans la mangrove, sa marche pénible dans une boue rendue coupante par les coquilles d'huitre. Elle a d'ailleurs du mal à se lever et à marcher, comme si elle soufrait d'arthrose. Elle fabrique devant nous un petit pot avec beaucoup d'habileté. Il ne restera plus qu'à le faire cuire sur un feu de bois de mangrove. La petite exposition dans la pénombre de sa maison est émouvante : peu d'objets. Ils expriment chacun qu'ils sont vraiment unique et qu'ils ont chacun monopolisé l'attention de leurs créateurs. Nous achetons un petit pot pour seulement 5000 Francs CFA. Nous irons ensuite découvrir pourquoi la noix de cajou est aussi onéreuse. Au bout d'une piste chaotique, nous parviendrons dans un verger d'anacardiers, l'arbre à noix de cajou. La noix de cajou se développe à l'extrémité d'une pomme de cajou, celle ci comestible peut se transformer après fermentation en vin de cajou. La - 46 - récolte a lieu lorsque les fruits sont tombés à terre. Les noix sont détachées de la pomme et mises à sécher. Les coques sont ensuite ramollies dans un bain de vapeur à 100°C, puis grillées dans un four, avant d'être ouvertes, afin de récupérer manuellement chaque amande. Les amandes seront enfin cuites dans un four, puis ensachées. Tout est récupérable, la pomme pour le vin, l'amande pour elle même, et les coques pour le feu. J'ai été, là encore, étonnée par le petit dépliant rédigé par une O.N.G., expliquant tout cela. Alors qu'il devait être destiné aux locaux, souvent analphabètes, et très peu francophones, il est utilisé 47 - pour les touristes, rendant cet artisanat plus intellectuel, cette réflexion enlevant toute trace de culture ancestrale ! Nous sommes ensuite repartis vers une bourgade. La mission KOUKANGOUMÉ nous attendait pour le déjeuner. Un accueil inoubliable de Soeur Juliette, une religieuse à la personnalité bien affirmée. Ce lieu est une oasis au milieu de la pauvreté et de la prolifération d'effluves incertaines. Le plus étonnant est l'absence d'odeur, qui vous donne l'impression d'une propreté absolue. La poussière est ici un ennemi pourchassé ; les balais en attente en témoignent. Sœur Juliette appartient à la congrégation ardéchoise de La Louvesc. Ce nom évoque tout de - 48 - suite pour moi les tantes Jeannette et Ginette qui faisaient toujours référence à ce lieu de prières et de retraites. Elle est en poste au Sénégal depuis des années. Elle aime ce pays dont elle connait bien la culture et son impact sur la situation des filles. La Mission accueille beaucoup de filles mères et essaie de les former pour les rendre autonomes. Nous les verrons ainsi au travail devant leurs machines à coudre Singer, leurs jeunes enfants à leurs côtés. Soeur Juliette est optimiste par construction, même si elle sait qu'elle mène une tâche sans fin, un éternel recommencement avec de nouvelles jeunes filles dont le parcours ne l'étonnent plus. C'est sa mission sur terre et elle la réalise avec le sourire à défaut d'émotion. Le déjeuner, cuisine casamançaise simple, fut excellent, servi par les jeunes filles sous l'autorité bienveillante de Soeur Juliette. J'achèterai une robe pour moi et une chemise pour Patrick afin contribuer à cet atelier de couture bien organisé et actif. Nous terminerons notre excursion par la visite d'une maison à étages, en terre argileuse, construite par un tirailleur sénégalais. Ses descendants vivent toujours dans cette habitation fragile, dans un dénuement certain, et dans 49 - l'attente de la participation de touristes comme nous à cette vie à l'arrêt, dans une inaction totale. Pour agrémenter cette dernière étape, un musée dans une case ronde a été aménagée à proximité avec quelques objets éclairant la vie et la culture agricole des habitants, avec beaucoup de fétiches. La piste, sur le chemin du retour, nous a fait traverser de nombreux villages dans lesquels beaucoup d'écoles ont été construites par des O.N.G. espagnoles. La Casamance a peut être une vieille complicité avec l'Espagne qu'il nous faudra découvrir. - 50 - Nous avons pris notre dernier repas du soir sur la terrasse, en amoureux, après s'être battu pour une disposer d'un table isolée. Il serait pourtant simple pour le Club Med d'anticiper cette demande d'un peu d'intimité réclamée par certains couples ! Mercredi 14 Novembre 2012, 10 heures le matin Cela sent le départ, l'énervement et l'errance des touristes déjà en tenue de voyage le prouvent. Je vais revenir sur le lieu que je n'ai pas eu le temps de vous décrire. T out d'abord, les infrastructures. Les longues tire longues de logements dans des bâtiments d'un étage où les escaliers s'entremêlent vous rappellent le Corbusier. Les décors sont des années 80, la même époque, celle de la jeunesse des vacanciers qui nous entourent. Si le hall et les restaurants sont bien entretenus, il n'en est pas de même des chambres où le maintien dans un état correct semble être un combat permanent. La télévision est neigeuse, avec un fonctionnement bien erratique. L'internet est encore plus aléatoire, il ne fonctionne que de temps en temps à l'accueil. Il est si peu sécurisé que Patrick s'est déclaré sans aucune 51 - difficulté administrateur du réseau, ce qui n'a même pas fait frémir le directeur à qui nous l'avons signalé. Le service, avec des serveurs pourtant souriants, vous délivre des bières tièdes sur la plage. En ce qui concerne le pressing, son organisation est laissé à votre entière initiative, c'est à vous de solliciter et de négocier avec la femme de chambre, bien sympathique heureusement. Le principal atout réside dans la qualité des buffets et l'excellence de la nourriture, délicieuse, légère et variée. La soirée fruits de mer restera mémorable. Ce Club Med est aussi le royaume de beaucoup d'animaux, des crabes rouges et noirs qui concurrencent les taupes sur la plage, de lézards monstrueux qui se dorent au soleil dans les escaliers, des grosses grenouilles qu'il vous faut éviter à la nuit tombée, et surtout des vautours qui - 52 - tournent dans une ronde menaçante au dessus de la plage, vous incitant à ne pas faire apparaître la moindre faiblesse. Les chats adoucissent cette atmosphère, sachant se rendre encore plus attachants et complices du lieu. 53 - Mercredi 14 Novembre 2012, 16 heures, heure de France Nous rentrons en France par un petit avion aux couleurs vertes de Transavia. L 'aéroport de Cap Skirring nous a paru plus confortable qu'à l'arrivée, salle d'embarquement sommaire mais climatisée, enregistrement effectué dans l'ordre, et bagages retrouvés sans problème. Nous venons de retrouver Marc, le belge. Il a la mine triste car il est tombé amoureux de sa belle et jeune sénégalaise. Celle-ci lui a joué le grand jeu hier soir en le quittant, lui demandant de revenir vivre avec elle et son jeune enfant, à Cap Skirring. Même s'il a fait appel à la raison pour lui expliquer la différence d'âge qui les sépare, on sent bien qu'il est hanté par le doute, qu'il est déjà marabouté, qu'il commence à se projeter pour venir vivre six mois par an en Casamance. Il envisageait déjà un retour proche, pour la retrouver. Cet état d'amour juvénile l'avait fait rajeunir... - 54 - Un embarquement sans stress conclue ces vacances reposantes à défaut d'être attachantes. En effet, c'est la première fois que nous quittons sans aucun pincement au cœur un de nos lieux de villégiature. Nous saurons ce qu'est un Club Med et surtout que ce mode d'accueil n'est pas fait pour nous. Sans être téméraires, nous aimons une certaine liberté, autonomie, avec la possibilité de comprendre un pays en créant avec celui ci des moments de complicité. A Cap Skirring, chaque fois que nous sommes sortis de l'enceinte du Club, lors d'excursions bien encadrées, à l'occasion de quelques amplettes dans le village, ou lors notre repas à La Paillotte, j'ai eu l'impression de revivre, comme si nous nous 55 - évadions d'un centre de détention certes confortable mais étouffant, un peu comme le village fermé du vieux feuilleton anglais « Le Prisonnier ». Tout est codifié, surjoué, avec une 'impression de « bisounours » permanente que dégagent les rapports toujours enthousiastes de GO vis à vis de GM pénibles et exigeants. Ajoutez à cela un profilage tel qu'il ne laisse place à aucune diversité que ce soit chez les vacanciers, tous les mêmes, ou chez les GO, avec une attitude uniforme. Ce sera sans aucun doute notre seule incursion dans l'univers « Clubs Med ». En attendant des projets plus exotiques pour nos prochaines vacances (je viens de rêver avec une publicité pour une longue croisière sur le Mékong …), le retour se passe tranquillement, nous venons de faire une escale à Dakar et nous survolons maintenant l'océan. - 56 -