memoiredesintimes - Swiss Moot Court

Transcription

memoiredesintimes - Swiss Moot Court
MEMOIRE DES INTIMES
adressé à la
Cour de cassation pénale du Tribunal fédéral suisse
par
Lea P. Rutz, Avenue du Populisme 63, Le Palatin, et Alfred Drach, rue de la Paix 63,
L'Aventin,
dont les conseils sont de simples étudiants,
en réponse
au pourvoi en nullité du Ministère public du Canton de […], à l'encontre de l'arrêt rendu le
[…] par la Cour de cassation pénale du Canton de […], lequel a acquitté les intimés Lea P.
Rutz et Alfred Drach.
*****
***
*
2
I.- Recevabilité
_______________________
Par arrêt rendu le […], la Cour de cassation pénale du Canton de […] a confirmé le jugement rendu
le […] par le Tribunal […].
Le pourvoi en nullité a été notifié par le Greffe du Tribunal fédéral le […] aux conseils soussignés,
qui ne l’a toutefois reçu, au plus tôt que le lendemain. La présente écriture est remise à la Poste
suisse, à l’adresse du Tribunal fédéral, ce jour, samedi 27 novembre 2004, soit en temps utile.
Etabli en deux exemplaires originaux, le présent mémoire est signé des conseils des intimés,
agissant au bénéfice d’une procuration produite en annexe.
Le présent mémoire est dès lors recevable à la forme.
_____________
II.- Conclusions
_________________________
Les intimés ont l’honneur de conclure, avec suite de frais et dépens, à ce qu’il plaise à la Cour de
cassation pénale du Tribunal fédéral suisse prononcer :
I.-
Le pourvoi en nullité est rejeté
II.-
L’arrêt rendu par la Cour de cassation pénale du Tribunal supérieur du Canton de
[…] le […] est déclaré définitif et exécutoire.
_____________
3
III.- Moyens
________________________
A. Escroquerie, art. 146 CP
1. a) Le Ministère public prétend en premier lieu que Lea P. Rutz, administratrice unique de
Catilina SA, ainsi qu'
Alfred Drach, directeur de cette même société, se sont rendus coupables
d'
escroquerie au sens de l'
art. 146 CP. Le Tribunal supérieur n’a pas retenu cette infraction, pour le
motif que l'
approbation par l'
assemblée générale de l'
affaire conclue par les intimés était inutile et
que, de la sorte, il ne pouvait y avoir tromperie, élément constitutif de l'
escroquerie.
b) Les intimés contestent avoir commis une escroquerie, pour le motif qu’aucun de ces trois
éléments constitutifs de l'
infraction que sont la tromperie (2), l’astuce (3) et l’atteinte aux intérêts
pécuniaires (actes préjudiciables et dommage) (4-5) n’est réuni, toute intention délictueuse étant au
surplus absente (6).
2. a) Pour qu’il y ait escroquerie au sens de l’art. 146 al. 1er CP, l’auteur doit avoir induit une
personne en erreur par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, ou l’avoir
confortée dans son erreur. Le texte légal exige ainsi, en premier lieu, une tromperie. Le Ministère
public estime que c’est le cas, en voyant une tromperie dans la dissimulation de faits vrais. Or l’art.
146 CP ne réprime qu’un comportement actif de l’escroc (Message du Conseil fédéral, FF 1991 II
933/984). Il faut donc admettre, avec une partie de la doctrine, que la dissimulation de faits vrais ne
peut consister en une pure omission. Il faut un positives Tun, un Unterlassen ne suffisant pas
(Stratenwerth/Jenny, BT I, §15 N 15) .
b) Confronté à cette difficulté, le Ministère public soutient que l’intimée Lea P. Rutz aurait eu
un comportement actif en créant, par ses dires, une fausse représentation de la réalité. Il ne peut être
suivi : c'
est le fait d’avoir tu des informations qui a mis Zenon Zwetschkenbaum dans l’ignorance
de la situation exacte et complète ; or le simple silence est un comportement passif, non un
positives Tun. Les intimés n’ont donc pas commis d’escroquerie pour la raison déjà qu’ils n’ont pas
commis une tromperie telle que le suppose l'
art. 146 CP.
3. a) Et même si tromperie il y avait eu, ce que les intimés contestent, encore aurait-il fallu
qu’elle fût astucieuse. La jurisprudence et la doctrine se sont abondamment penchées sur la
4
question. De manière générale, l'
astuce doit être d'
une certaine qualité, de sorte que la dupe ne
puisse y échapper facilement ; si la victime pouvait se rendre compte de la tromperie, elle n'
est pas
protégée. On ne peut certes exiger de la personne trompée des recherches excessives ; un minimum
d'
attention de sa part est néanmoins requis : "Eine blosse falsche Angabe, welche die Gegenpartei
ohne besondere Mühe auf ihre Richtigkeit hin überprüfen kann, gilt seit jeher nicht schon als
arglistig" (ATF 122 IV 197 c. 3d). Ce qui importe, c’est la possibilité pour la dupe, in concreto, de
se faire une idée exacte de la situation, sans pour autant que l’impossible lui soit demandé.
b) Qu'
en est-il en l'espèce? Le niveau d'
attention requis doit être examiné au regard de deux
situations distinctes, chronologiquement et fonctionnellement.
c) D'une part, Zenon Zwetschkenbaum, s’il possède 70% du capital-actions, ne détient que
70 voix à l'
assemblée générale, Lea P. Rutz, par ses actions à droit de vote privilégié détenant 90
voix, donc la majorité. Il a en revanche le droit d’être représenté au conseil d'
administration, en
application de l'
art. 709 CO, lequel prévoit que, s'
il y a plusieurs catégories d'
actions en ce qui
concerne le droit de vote, les statuts assurent à chacune d'
entre elles un représentant au conseil
d'
administration.
d) Or, Zenon Zwetschkenbaum n'
a pas fait usage de ce droit et a renoncé à la possibilité de
suivre de près la gestion de la société qu’il lui offrait, s’en remettant ainsi à l’intimée Lea P. Rutz,
seule administratrice.
e) D'autre part, même sans faire partie du conseil d'
administration, tout actionnaire a le droit
de participer à l'
assemblée générale (art. 689 et 689a CO). Ce droit est indissociablement lié au
droit de vote de l'
art. 692 CO. La loi lui octroie un droit de renseignement et de consultation (art.
697 al. 1 CO), pour lui permettre d’exercer son droit de vote en toute connaissance de cause. Ce
droit, lorsqu’il en est fait usage, implique pour le conseil d'
administration un devoir d'
information
lors de l'
assemblée générale ; encore faut-il alors qu'
un actionnaire demande des renseignements
sur les affaires de la société : "Les renseignements doivent être fournis dans la mesure où ils sont
nécessaires à l'
exercice des droits de l'
actionnaire (…)" (art. 697 al. 2 CO).
f) Si Zenon Zwetschkenbaum, qui a participé à l'
assemblée générale, avait demandé des
renseignements supplémentaires sur cette affaire, qui figurait à l'
ordre du jour, comme il en aurait
eu le droit, le conseil d'
administration lui aurait répondu, cette information ne faisant pas partie de
celles qui peuvent être refusées selon l’art. 697 al. 2 in fine CO. En effet, tous les renseignements
exigés par l'
actionnaire pour l'
exercice de ses droits doivent être donnés, "insbesondere für die
Meinungsbildung im Hinblick auf das Stimmrecht" (Böckli, §12 N 152).
5
g) En conséquence, même s’il fallait admettre qu’un mensonge par omission puisse suffire à
constituer une escroquerie, contrairement au nouveau texte légal comme on l’a montré plus haut,
force serait d’admettre que les conditions posées par la jurisprudence rendue sur l’ancien article
148 CP ne seraient pas remplies : le mensonge par omission n’aurait pu être considéré comme
astucieux que si l’accusé avait pu prévoir, au vu des circonstances, qu’un contrôle n’interviendrait
pas, exploitant ainsi un lien de confiance (BJP 1986 No 39). Or, Zenon Zwetschkenbaum pouvait
lors de l’assemblée générale demander des renseignements sur les conditions de l’accord incriminé
et l’intimée Lea P. Rutz pouvait et devait s’attendre à une demande de ce type.
h) En réalité, Zenon Zwetschkenbaum a montré bien peu d’intérêt dans la gestion de la
société, tant en renonçant à entrer dans son conseil d’administration qu’en ne posant pas de
questions, lors de l’assemblée générale, sur les circonstances et les conditions du marché incriminé,
qui avait pourtant été porté à l’ordre du jour.
i) Il s’ensuit que l’astuce ne peut être retenue, ni a fortiori l’escroquerie.
4. a) Une escroquerie suppose aussi que la victime ait subi une atteinte à ses intérêts
pécuniaires, à savoir un acte préjudiciable à ces intérêts et un dommage.
b) L’acte préjudiciable, susceptible de causer un dommage, doit porter atteinte à un
patrimoine sur lequel la victime possède un droit de disposition. Le Ministère public estime qu'
un
tel pouvoir de disposition existe bel et bien en faveur de l'
assemblée générale et de tous ses
membres. Les intimés démontrent que ce raisonnement est erroné, pour le motif que le marché
conclu entre Catilina SA, Svevo SA et la filiale de celle-ci, et ses conditions, échappaient à la
compétence de l’assemblée générale, donc au pouvoir de disposer de celle-ci et de ses membres.
c) Le sujet ayant été porté à l’ordre du jour de l’assemblée générale, la question qui se pose ici
est en effet celle des compétences de celle-ci et plus spécifiquement celle de la délégation de la
gestion à l'assemblée générale.
d) L'
art. 716a CO énumère les attributions intransmissibles et inaliénables du conseil
d'
administration. Cette disposition, selon la Paritätstheorie, fonde une délimitation claire de la
responsabilité des différents organes et constitue en ce sens l'
une des clés de voûte du droit de la
société anonyme : "Die Ausarbeitung der Varianten und Vorlagen selber kann und soll durchaus
der Geschäftsleitung überantwortet werden ("decision shaping"), aber der Verwaltungsrat allein
entscheidet am Schluss und trägt die Verantwortung ("decision taking")" (Böckli, §13 N 303). Dans
6
cette logique, la délégation de la gestion courante ne peut être déléguée que "innerhalb der
Gesellschaft nur nach unten", par exemple à un directeur, mais jamais "nach oben, an die
Generalversammlung". Cela est dû au fait que, dans la mesure où une délégation est faite nach
unten, le conseil d'
administration, conformément à l’art. 754 al. 2 CO, ne se libère pas de sa
responsabilité et répond du dommage causé par le délégataire, à moins que les conditions
habituelles d'
exonération (3 curae, à savoir cura in contrahendo, instruendo, custodiendo) ne soient
réunies (Forstmoser/Meyer-Hayoz/Nobel, §30 N 71).
e) La délégation de compétences du conseil d’administration à l’assemblée générale est ou
serait en revanche une délégation nach oben. Si elle était admise, cela signifierait que les membres
du conseil d'
administration devraient être libérés de leur responsabilité. La conséquence en serait
l'
insécurité juridique pour les créanciers. Aussi la doctrine nettement majoritaire s’oppose-t-elle
fondamentalement à une telle délégation. Böckli et Forstmoser/Meyer-Hayoz/Nobel n’admettent la
soumission à l'
assemblée générale d'
une décision relevant de la gestion de l'
entreprise, donc du
conseil d’administration, qu’à titre consultatif uniquement, le conseil d'
administration n'
étant alors
jamais lié par un tel vote, et ses membres jamais déchargés de leur responsabilité (Böckli, §13 N
455; Forstmoser/Meyer-Hayoz/Nobel, §30 N 72). Dans le même sens, Homburger parle de
"Vorlegung zur Stellungnahme", par opposition à "zum Entscheid" (ZK-Homburger, N 526 ad art.
716a).
f) La question se pose alors, dans le contexte ainsi rappelé, de savoir ce qui fait exactement
partie des attributions intransmissibles et inaliénables du conseil d'
administration. L'
article 716a
al. 1 CO mentionne notamment l'
exercice de la haute direction (Oberleitung) de la société et
l'
établissement des instructions nécessaires (chiffre 1) et la haute surveillance (Oberaufsicht) sur les
personnes chargées de la gestion (chiffre 5). La haute direction englobe tous les actes qui sont
nécessaires à la réalisation de la stratégie de la société, ainsi qu'
à l'
équilibre financier.
g) La conclusion de contrats de fourniture ou la disposition de biens sont des actes de gestion
qui s’inscrivent dans la stratégie de la société. Ces actes relèvent de toute évidence des
compétences intransmissibles et inaliénables du conseil d'
administration. En effet, comment ce
dernier pourrait-il définir une stratégie et s'
y tenir, exercer la haute direction sur la société et
exercer la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion si l’organe indépendant et
supérieur qu’est l’assemblée générale se prononce sur ces aspects pratiques? Il devrait à tout
moment contrebalancer les actes de l'
assemblée générale pour parvenir à remplir sa fonction
première, qui est d’assurer une gestion saine et sur le long terme de l'
entreprise. De plus, les
actionnaires n'
ont aucun devoir légal de fidélité envers la société (Von Büren, u.a., p. 161 N 779) et
pourraient ainsi agir au service de leur profit personnel contrairement aux intérêts de la société elle-
7
même et du conseil d'
administration, dont la responsabilité en matière de haute direction et de
haute surveillance se verrait néanmoins engagée.
h) En l'espèce, Alfred Drach a considéré que la conclusion du contrat incriminé relevait de
l'
art. 716a CO et l’a proposée au conseil d'
administration, afin que ce dernier conclue l'
affaire s’il
l’agréait. Le contrat entre Svevo SA et Catilina SA portait sur la fourniture de pièces électroniques,
c'
est-à-dire la fourniture d'
actifs destinés à la réalisation de l'
activité principale de la société. Il
relève de l’activité opérationnelle. Seules la direction et l’administration (Lea P. Rutz) de la société
sont à même de définir quels sont les besoins pratiques à un moment donné, selon la stratégie
établie, de négocier et de prendre les décisions que cela implique. D’un point de vue purement
pratique, on imagine d’ailleurs mal l'
assemblée générale, qui ne se réunit qu'
occasionnellement et
dont, encore une fois ce n’est pas la compétence, connaître tous les détails de production en temps
réel et, par conséquent, se prononcer sur l'
acquisition des moyens de production.
i) Ainsi, il faut admettre, avec Homburger cité plus haut, que le vote de l'
assemblée générale
ne pouvait revêtir qu'
une valeur consultative, la conclusion du contrat relevant de la seule
compétence et de la seule responsabilité du conseil d'
administration. Il s’ensuit que le pouvoir de
disposition appartenait au seul conseil d'administration. Ce pouvoir de disposition faisant
défaut à Zenon Zwetschkenbaum, celui-ci ne peut avoir été victime d’un acte préjudiciable à ses
intérêts pécuniaires au sens de l’art. 146 CP. L’escroquerie n’est donc pas réalisée pour cette raison
supplémentaire.
j) Subsidiairement, même si la Cour devait néanmoins reconnaître un pouvoir de disposition
à l'
assemblée générale, comme le prétend le Ministère public, cela ne suffirait pas à admettre
l’existence d’un pouvoir de disposition propre à Zenon Zwetschkenbaum en sa qualité
d'
actionnaire. On rappelle que Lea P. Rutz détient la majorité des voix, étant détentrice d'
actions à
droit de vote privilégié selon l'
art. 693 CO. Le Ministère public prétend toutefois qu'
il n'
est pas
suffisant de détenir la majorité des voix pour être maître du pouvoir de décision, et parle même "de
conclusion hâtive". Il convient donc d’examiner de quels pouvoirs disposait, aurait disposé ou
dispose Zenon Zwetschkenbaum.
k) Minoritaire à l’assemblée générale, Zenon Zwetschkenbaum n’aurait pu faire basculer le
résultat du scrutin s’il avait voté différemment (en admettant pour les besoins de la démonstration
que ce scrutin aurait pu avoir une valeur autre qu’indicative). Aurait-il alors pu (ce qu’il n’a
d’ailleurs pas fait) attaquer en justice la décision de l’assemblée générale, en soutenant que son
vote était entaché d’un vice de la volonté?
8
l) Pour répondre à cette question, l’analogie peut être faite avec le cas où un actionnaire est
privé à tort de son droit de participation à l'
assemblée générale, et par conséquent de la faculté
d’exercer son droit de vote, de sorte que son avis n'
est pas pris en considération dans le processus
de décision. Quels sont alors les moyens qui lui sont octroyés par la loi? L'
art. 691 al. 3 CO donne à
l'
actionnaire le droit d'
attaquer les décisions de l'
assemblée générale auxquelles une personne sans
droit a pris part. Il est généralement admis, tant par la jurisprudence que par la doctrine, que cette
solution s'
applique par analogie au cas où un actionnaire se voit refuser à tort le droit de vote.
Cependant, l'
art. 691 al. 3 CO subordonne le droit de l’actionnaire d’attaquer la décision à la
condition négative que la preuve ne soit pas faite que la coopération de la personne non autorisée n'
exercé aucune influence décisive sur la décision prise. L’application analogique de cette disposition
au cas d’espèce implique que l’action en justice ne serait ouverte, que si la preuve était apportée
que le vote de l’actionnaire écarté à tort aurait eu une influence sur la décision prise en son
absence. En d’autres termes, il ne suffit pas à l'
actionnaire d’avoir été privé à tort de son droit de
vote pour attaquer la décision prise sans lui ; encore faut-il que les voix qu'
il avait à sa disposition
eussent pu changer cette décision.
m) Le même raisonnement s’impose en l'espèce, sans quoi l'
actionnaire qui exerce son droit
de vote sans connaître tous les détails de l'
affaire, même en étant victime d’un vice de la volonté, se
trouverait dans une situation plus favorable que l'
actionnaire qui a été privé à tort de l'
exercice de
son droit de vote. Il faut donc que le nombre de voix dont il dispose soit en mesure d'
influencer
l'
issue du vote. S’il a la possibilité de faire annuler son vote, conformément aux règles sur les vices
du consentement, seules ses voix seront annulées. A moins qu'
une telle annulation ne fasse changer
la majorité, la décision de l'
assemblée générale sera maintenue (Böckli, §16 N 121). Il en découle
que, Zenon Zwetschkenbaum ne disposant pas d’un nombre de voix suffisant pour contrer l’unique
autre actionnaire, il ne pourrait, même dans ce cas de figure, faire annuler la décision de
l'
assemblée générale.
n) Le Ministère public prétend en outre que si Zenon Zwetschkenbaum n'
avait pas donné son
approbation lors du vote, il aurait eu la possibilité d'
intenter une action en annulation de la décision
de l'
assemblée générale fondée sur l'
art. 706 CO, en invoquant une "grave violation du devoir de
fidélité". En préambule, il convient de rappeler que les intimés soutiennent que la décision de
l’assemblée générale était purement indicative et de relèver que l'
actionnaire qui a adhéré à une
décision perd le droit de l'
attaquer (Böckli, §16 N 107). Ces deux réserves étant faites, il faut
examiner les conditions auxquelles une décision de l'
assemblée générale peut être annulée.
9
o) L’article 706 CO pose comme condition que la décision de l’assemblée générale viole la
loi ou les statuts. Pour le Ministère public, cette condition serait remplie par une prétendue
violation du devoir de fidélité qu’impose l’art. 717 CO.
p) L’art. 717 CO concerne le conseil d’administration et les tiers qui s’occupent de la gestion,
l’art. 706 CO l’assemblée générale. L’action prévue par cette seconde disposition n’est ouverte que
si l’assemblée générale, par sa décision, a violé la loi ou les statuts. Le comportement du conseil
d’administration et des tiers s’occupant de la gestion n’entre pas en ligne de compte – à moins que
ce comportement ait conduit à une décision illégale, et alors seulement pour juger de leur
responsabilité. La décision incriminée n’est pas illégale. Elle ne viole pas les statuts. L’argument
du Ministère public doit être d'
ores et déjà écarté pour cette raison.
q) Quoi qu’il en soit, les intimés contestent avoir violé leur devoir de fidélité. La loi définit la
notion de devoir de fidélité de manière large (veiller fidèlement aux intérêts de la société), de sorte
qu’il n’est guère possible d'
en déduire concrètement le comportement attendu des personnes qui y
sont tenues. Il est admis que cette disposition a un double aspect, qui se compose d'
un
comportement actif et d'
un devoir d'
abstention dans l'
intérêt de la société (Böckli, §13 N 597 ff).
L’art. 717 CO sert les intérêts des actionnaires, au premier plan, mais aussi ceux des collaborateurs
de la société (Forstmoser/Meyer-Hayoz/Nobel, §28 N 26).
r) Les intimés contestent comme il suit avoir violé leur devoir de fidélité dans l'
exercice de
leurs fonctions.
s) L’intimé Drach, en tant que directeur, a négocié activement un contrat avantageux pour
Catilina SA, puisqu'
il a obtenu un rabais de 5% sur les produits. Non seulement l'
affaire était
avantageuse pour la SA, mais encore le directeur est parvenu à obtenir, à force de persévérance, le
financement d'
un luxueux week-end de détente à Loèche-les-Bains pour ses employés. L’intimé
Drach, enfin, a soumis l’affaire au conseil d’administration. On ne voit pas, dans ces circonstances,
en quoi le devoir de fidélité aurait été violé. Bien au contraire : aussi bien les intérêts des
actionnaires que ceux des employés ont été pris en considération lors des négociations, et servis.
Les avantages obtenus pour la société (et aussi pour ses collaborateurs) l’emportent nettement sur
l’obtention d’une commission par le directeur et l’administratrice. Il faut en effet rappeler que la
violation du devoir de gestion comprend le fait de faire passer ses propres intérêts avant ceux de la
société. En l’occurrence, ce n’est pas le cas. Une violation du devoir de fidélité est par conséquent à
exclure.
10
5. a) Les intimés considèrent avoir dûment établi que l’atteinte aux intérêts pécuniaires,
élément constitutif de l’escroquerie, n’est pas réalisée, faute d’acte préjudiciable. Il reste à
examiner la question du dommage. La Cour a motivé l’acquittement de Lea P. Rutz et Alfred
Drach notamment par l’absence d’un dommage qu’aurait subi Catilina SA. Le Ministère public le
conteste, à tort selon les intimés, en voyant un dommage dans un gain qui aurait été manqué.
b) La théorie générale de la différence implique que la diminution d'
un patrimoine consiste en
la différence entre le patrimoine actuel du lésé et celui qu'
il aurait été sans l'
événement
préjudiciable. Le dommage peut certes aussi consister en une non-augmentation des actifs, c'
est-àdire en un gain manqué ; mais sa preuve est alors difficile à apporter, en raison de son caractère
éventuel : "Um berücksichtigt werden zu können, muss das lucrum cessans allerdings einen
üblichen Gewinn entsprechen oder sonstwie konkret in Aussicht gestanden sein" (BK-Brehm, art.
41 N 70 sur la base de l'
ATF 82 II 397)
c) En l'espèce, l'
affaire conclue a amélioré la situation patrimoniale de Catilina SA, puisque
les coûts de fourniture en pièces électroniques ont été réduits de 5%. Partir d'
un gain réel effectif
pour fonder, comme le soutient le Ministère public, un gain manqué, résulte d'
une habile manœuvre
qui ne doit pas occulter la réalité.
d) La réalité, c’est que la société a réalisé une bonne affaire. Peut-on raisonnablement parler
de gain manqué sous prétexte qu'
une affaire eût pu être meilleure? Le gain manqué n'
aurait-il en
effet pas plutôt résulté de la non-conclusion d'
une telle affaire? Dans sa jurisprudence, le Tribunal
fédéral exige, pour fonder un dommage sous la forme d’un gain manqué, une quasi-certitude quant
à l'
obtention d'
un avantage patrimonial. Ainsi, un gain manqué a été admis dans le cas où la
vraisemblance du gain confinait à la certitude en considération de la situation du marché (ATF 87
IV 9 c. 1). Le Ministère public tente d'
établir ici une telle vraisemblance en affirmant que le contrat
aurait pu être plus avantageux pour la société, car il aurait permis une minimisation plus grande
encore des frais. Les intimés le conteste et les faits établis en première et seconde instances ne
permettent pas de retenir, ni même de considérer comme suffisamment vraisemblable, que le
pourcentage accordé aux intimés aurait sinon été déduit du prix des produits acquis par Catilina
SA. Que Svevo SA, par l'
intermédiaire de Cosini, ait fait un geste en faveur des intimés ne permet
pas de déduire qu'
elle aurait agi de la même manière en faveur de Catilina SA. Il ne s’agit que
d’une hypothèse formulée par le Ministère public que les faits de la cause ne corroborent pas.
e) Par voie de conséquence, aucun des trois éléments constitutifs de l’escroquerie que sont la
tromperie, l’astuce et l’atteinte aux intérêts pécuniaires (actes préjudiciables et dommage) n’est
réalisé.
11
6. a) L’eussent-ils été que, pour être punissable, l’escroquerie aurait dû être commise
intentionnellement. L'
intention doit porter sur tous les éléments constitutifs de l'
infraction. De
plus, le dessein d'
enrichissement illégitime est exigé (Corboz, Vol. I, art. 146 N 39 ss).
b) Le Ministère public soutient qu'
il y a eu de la part des intimés une volonté de tromperie
lors de l'
assemblée générale. Les intimés le contestent. Ils rappellent au surplus que l'
avis demandé
à l'
assemblée générale était d’ailleurs purement consultatif. Et même si cet avis – ou cette décision
– devait être considéré comme étant constitutif, ils font remarquer que le conseil d'
administration
n'
avait aucun devoir de soumettre l'
affaire à l’approbation de l’assemblée générale, en vertu de la
clause de compétence subsidiaire selon l'
art. 716 CO. Si vraiment les intimés avaient eu une
quelconque intention de tromper, ce qu’ils contestent fermement, Lea P. Rutz n'
aurait tout
simplement pas soumis cette affaire à l’assemblée générale, comme la loi le lui autorise, mais
aurait suivi l’avis de l’avocat de l’entreprise.
c) Le Ministère public, en outre, tend à faire croire que l'
affaire a été présentée à l'
assemblée
générale dans le but de faire perdre aux actionnaires leur droit d'
intenter une action. Cet argument
ne repose sur aucun fait. Il suppose, de la part de l’intimée Lea P. Rutz, un machiavélisme que
celle-ci conteste avec la plus grande vigueur. Encore une fois, si elle avait eu l’intention de tromper
l’actionnaire Zenon Zwetschkenbaum, elle aurait simplement passé l’affaire sous silence.
d) Pour être complet, on rappelle que l'
intention doit également porter sur le dommage. Or non
seulement il n’y pas eu de dommage, mais les faits établissent au contraire l’intention des intimés
de procurer un avantage à la société.
7. a) En conclusion, les intimés Lea P. Rutz et Alfred Drach, en l’absence de tromperie,
d’astuce, d’atteinte aux intérêts pécuniaires, d’intention délictueuse et de dessein d’enrichissement,
n’ont commis aucune escroquerie.
B. Faux renseignements sur des entreprises commerciales, art. 152 CP
8. a) Le Ministère public soutient à titre subsidiaire que les intimés se sont rendus coupables
de faux renseignements sur des entreprises commerciales, au sens de l'art. 152 CP. Délit de mise
en danger abstraite, cette infraction fait partie de ce que la doctrine appelle les betrugsähnliche
Straftaten (Stratenwerth/Jenny, BT I, §16 N 1 ss).
12
9. a) Les conditions de cette infraction sont les suivantes : l'
auteur doit être exploitant ou
organe d'
une entreprise commerciale, il doit fournir une communication au public ou aux
participants à l'
entreprise, ce renseignement doit être faux ou incomplet, et d'
une importance
considérable, et il doit être susceptible de déterminer autrui à disposer de son patrimoine de
manière préjudiciable à ses intérêts pécuniaires. L'
intention est nécessaire.
10. a) Il n’est pas contesté que les deux intimés répondent aux conditions personnelles de
l’art. 152 CP. Il n’est pas contesté non plus que l’intimée Lea P. Rutz a fourni des renseignements à
l’assemblée générale. Dans la mesure où la commission n’a pas été mentionnée, ces
renseignements peuvent être tenus pour incomplets.
11. a) L’art. 152 suppose que le renseignement soit d'
une importance considérable. Les
intimés contestent que tel ait été le cas. On ne peut pas considérer que l'
omission de la mention de
la commission réalise cette condition ; d’autant moins que, comme cela a été expliqué plus haut,
l’affaire relevait en réalité de la compétence de la direction et du conseil d’administration et qu’elle
n’était soumise à une décision constitutive de l’assemblée des actionnaires.
12. a) Les intimés contestent aussi que le renseignement incriminé ait été « susceptible de
déterminer autrui à disposer de son patrimoine de manière préjudiciable à ses intérêts
pécuniaires ». Pour qu'
un acte soit susceptible de déterminer autrui à disposer de son patrimoine, il
faut que la victime ait un pouvoir de disposition. Or on a montré plus haut, à propos de la prétendue
escroquerie, qu’en l’espèce ni Catilina SA ni Zenon Zwetschkenbaum ne possédaient un tel
pouvoir. Il n’y avait donc matière ni à disposition de patrimoine, ni à préjudice, que ce soit
concrètement ou même abstraitement.
13. a) En conclusion, les éléments constitutifs que sont d’une part l’importance considérable
du renseignement et, d’autre part, l’aptitude de celui-ci à déterminer autrui à disposer de son
patrimoine de manière préjudiciable à ses intérêts pécuniaires n’étant pas réalisé, le délit de l’article
152 CP ne l’est pas non plus.
C. Gestion déloyale, art. 158 CP
14. a) Le Ministère public invoque, aussi à titre subsidiaire, la gestion déloyale (art. 158 CP).
Le Tribunal supérieur n’a pas retenu ce délit, en considérant que Lea P. Rutz et Alfred Drach
n'
avaient pas agi de façon déloyale, puisqu'
il en était finalement résulté un gain pour Catilina SA.
Les intimés contestent s’être rendus coupables de gestion déloyale.
13
15. a) Les membres d'
un conseil d'
administration et les directeurs ont la qualité de gérant au
sens de l’art. 158 CP (Corboz, Vol. I, art. 158 N 3 s) et sont donc susceptibles de commettre ce
délit. La qualité de gérant d'
Alfred Drach et de Lea P. Rutz, respectivement directeur et
administratrice unique de Catilina SA, n’est dès lors pas contestée.
16. a) Une violation du devoir de gestion est une condition sine qua non de la gestion
déloyale (Corboz, Vol. I, art. 158 N 7 ss). "Le comportement réprimé réside dans la violation des
obligations qui incombent à l'
auteur du fait de sa position particulière" (Message du Conseil
fédéral, FF 1991 II 1018). Il faut donc examiner quelles sont les obligations des administrateurs et
directeurs dans le cadre de la société anonyme. Ces derniers ont une large possibilité d'
action, qui
est limitée d'
une part par le but social, d'
autre part par le devoir de fidélité tel que prévu à l’art. 717
CO.
b) Le Ministère public reproche à Alfred Drach et à Lea P. Rutz d'
avoir fait dépendre la
conclusion du contrat avec Svevo SA de la satisfaction de leurs propres intérêts. Une telle
interprétation des faits est vivement contestée.
c) L’analyse chronologique des faits montre qu'
Alfred Drach était convaincu de réaliser une
bonne affaire pour la société, avant qu'
il soit question d'
une commission. Ce n’est que dans un
deuxième temps qu’il a eu l'
idée de demander une commission. Certes, il a alors fait savoir à Italo
Cosini qu'
il ne conclurait pas le marché sans y trouver son compte. L’intimé soutient qu’il
s’agissait d’un moyen de négociation, mais qu’il était prêt à conclure le contrat si sa demande de
commission avait échoué, et qu’il n’a donc pas enfreint son devoir de fidélité.
d) Il convient aussi de faire la part des choses entre ce qui relève du droit privé et ce qui
relève du droit pénal. Une violation du devoir de diligence de l’art. 717 CO, si elle devait
néanmoins être retenue par la Cour, n'
impliquerait pas ipso iure une sanction pénale. Une simple
violation du devoir de fidélité ne constitue en effet pas une infraction pénale. Seule une violation
grave (in krassen Fällen) est susceptible de le faire (Böckli, §13 N 610). Le droit pénal n'
a en effet
pas pour fonction de réprimer toutes les imprécisions de la vie commerciale. Le mécanisme
instauré par le code des obligations, qui permet, sur la base de l'
art. 754 CO, d'
actionner le conseil
d'
administration et toutes les personnes qui s'
occupent de la gestion, suffit à régler de simples
mésententes pécuniaires. Et la protection pénale ne doit pas être envisagée uniquement du point de
vue des actionnaires et des créanciers, mais aussi – et avant tout - de celui de la société
(Forstmoser/Meyer-Hayoz/Nobel; §28 N 30; ATF 97 IV 10 c. 4).
14
17. a) Dès lors, même si une violation du devoir de fidélité imposé par l'
art. 717 CO à Lea P.
Rutz et Alfred Drach devait être retenue, cela ne suffirait pas à établir le délit de gestion déloyale.
b) Il faudrait alors en effet admettre à tout le moins que cette violation, que les intimés
contestent, n’est pas d’une gravité telle qu’elle puisse entraîner l’application de l’art. 158 CP. On
rappelle que l'
affaire conclue était très avantageuse pour la société, donc in fine pour ses deux
actionnaires. Des avantages ont été aussi obtenus pour les collaborateurs de l’entreprise. La
commission finalement obtenue ne remet pas en cause ces acquis.
18. a) L'
art. 158 CP suppose en outre une atteinte aux intérêts pécuniaires. Cette notion est
identique au dommage dans le cadre de l'
escroquerie (ATF 123 IV 17 c. 3d). On renvoie dès lors
aux explications données plus haut à propos de l’escroquerie (c.f. 5.), qui montrent l’absence de
tout préjudice patrimonial.
b) Le Ministère public se prévaut certes d’un arrêt récent (ATF 129 IV 124 c. 4.1) dans lequel
le Tribunal fédéral a admis que le versement d'
un pot-de-vin pouvait réaliser l'
infraction de gestion
déloyale.
c) Le Tribunal fédéral l’a effectivement admis, mais en précisant que c’est le cas
uniquement si la prestation a conduit le gérant à adopter un comportement contraire aux intérêts
économiques de l'
employeur et porte préjudice à celui-ci, en ajoutant que la simple violation de
l’obligation de restituer, prévue en l’espèce dans le contrat de travail, n’est pas punissable.
d) Dans cette affaire, le pot-de-vin était initialement prévu comme contre-prestation pour la
société elle-même. L’auteur avait donc, pratiquement, détourné à son profit un avantage financier
dont aurait dû bénéficier son employeur. Rien de tel dans la cause qui nous occupe. Il n'
a jamais été
question que la commission touchée par Alfred Drach et Lea P. Rutz revienne d'
une manière ou
d'
une autre à Catilina SA. Celle-ci n’a donc subi aucun dommage.
e) Par voie de conséquence, l’arrêt qu’invoque le recourant ne modifie en rien le bien fondé de
l’argumentation des intimés contestant une soi-disant gestion déloyale.
19. a) L'
intention portant sur tous les éléments objectifs est également requise pour
l'
application de l'
art. 158 CP. Un dol éventuel ne suffit pas. Au contraire, comme l’exige le
Tribunal fédéral, le dol doit être "strictement caractérisé" (ATF 120 IV 190 c. 2b i.f.).
15
b) Les intimés ont expliqué dans leur argumentation sur l’escroquerie (c.f. 6.) l’inexistence de
toute volonté de tromper. Ici, les faits montrent clairement que leur intention n'
était nullement la
violation de leurs obligations de gérants, ni par conséquent la création d’un quelconque dommage
pour la société. Le contrat visait avant toute chose à procurer un avantage à cette dernière, et il l’a
fait. Toute intention dommageable fait donc défaut.
20. a) Le Ministère public est de surcroît convaincu qu'
il y a lieu d'
appliquer la gestion
déloyale qualifiée au sens de l'
art. 158 ch. 1 al. 3. CP, qui traite de l’hypothèse où l’auteur a agi
dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime. Les éléments
objectifs de la gestion déloyale n’étant pas réunis et, en particulier, toute intention dommageable
faisant défaut, le crime de gestion déloyale qualifiée ne peut être retenu.
21. a) En conclusion, les intimés Lea P. Rutz et Alfred Drach, en l’absence de violation du
devoir de gestion – à tout le moins d’une violation suffisamment grave pour justifier l’application
de la norme pénale –, d’atteinte portée aux intérêts pécuniaires de la société et d’intention
délictueuse, ne se sont pas rendus coupables de gestion déloyale, et encore moins de gestion
déloyale qualifiée.
D. Blanchiment d'argent (art. 305bis CP)
22. a) Le Ministère public soutient en dernier lieu que les intimés se sont rendus coupable de
blanchiment d’argent au sens de l’art. 305bis CP et fait valoir que cette infraction n'
avait pu être
retenue par les instances cantonales en raison de son caractère accessoire. Les intimés, s’il ne
contestent pas l'
entrée en matière de l'
analyse sur l'
application du blanchiment d'
argent faite par le
recourant, contestent en revanche s’être rendus coupables de ce même délit.
23. a) La première condition objective posée par l’article 305bis CP est l'
existence d'
une valeur
patrimoniale provenant d'un crime.
b) Les seuls – si l’on ose s’exprimer ainsi – crimes que le Ministère public attribue aux
intimés sont l’escroquerie et la gestion déloyale qualifiée (les faux renseignements sur des
entreprises commerciales selon l'
art. 152 CP et la gestion déloyale au sens de l’art. 158 ch. 1 al. 1
CP sont des délits au sens de l'
art. 9 CP). Les intimés croient avoir démontré qu’ils ne les ont pas
commis. Ce premier élément constitutif de l’infraction réprimée par l’art. 305bis CP n’est donc pas
réalisé.
16
24. a) Le blanchiment d’argent suppose ensuite un acte d'
entrave à l'
établissement du lien
entre la valeur patrimoniale et le crime. La question centrale est ici celle de l’auteur. La doctrine
majoritaire critique avec véhémence l'
arrêt cité par le Ministère public, considérant que seule une
personne autre que l'
auteur du crime peut réaliser cette condition, principalement pour le motif que,
comme pour le recel et l’entrave à l’action pénale, l’autofavorisation ne doit pas être punissable
(Dénéréaz, in: JT 1997 IV 177 ss; Schmid, Kom.-Ackermann, art. 305bis N 117 ss; Cassani,
Commentaire, art. 305bis N 46 ss). Cette argumentation doit être suivie. Même si les intimés avaient
commis un crime, ce qu’ils contestent, on imagine mal qu’ils puissent être punis non seulement
pour ce crime, mais en outre pour ne pas l’avoir annoncé.
25. a) L’élément subjectif de l’infraction, qui doit porter sur l’intention de la commettre et
sur la connaissance de la provenance criminelle (Corboz, Vol. II, art. 305bis N 38 ss) fait à
l’évidence défaut, en l’absence d’intention délictueuse tant dans le soi-disant crime d’escroquerie
que dans celui de gestion déloyale qualifiée.
26. a) En conclusion, aucun crime n’ayant été commis et, subsidiairement, les auteurs étant
identiques, le délit de blanchiment d’argent n’est pas réalisé et les intimés en sont innocents,
comme ils le sont des autres infractions que le Ministère public a tenté de leur attribuer.
En résumé
27. a) Le Ministère public invoque en premier lieu l'
application de l'
art. 146 CP (A), ce que les
intimés rejettent. En effet, ces derniers n'
ont pas commis de tromperie. De plus, aucune astuce ne
ressort des faits. En outre, l'
acte préjudiciable requis par l'
art. 146 CP nécessite un pouvoir de
disposition, lequel n'
appartient pas à l'
assemblée générale. Même si tel devait être le cas, celui-ci
n'
appartiendrait pas à Zenon Zwetschkenbaum, actionnaire minoritaire. Le dommage n'
est pas
établi, les faits ne fondant aucun gain manqué. De surcroît, l'
intention nécessaire à l'
application de
l'
art. 146 CP est absente.
b) L'
art. 152 CP est invoqué à titre subsidiaire (B). Le caractère incomplet de l'
information ne
revêt pas l'
importance considérable exigée. De plus, il n'
est pas susceptible de déterminer Zenon
Zwetsckenbaum à disposer de son patrimoine de manière préjudiciable à ses intérêts pécuniaires.
Pour ces raisons, l'
application de l'
art. 152 CP est également exclue.
c) Les intimés se seraient aussi rendus coupables de gestion déloyale, selon l'
art. 158 CP (C).
Aucune violation du devoir de gestion ne ressort des faits. Même si la Cour devait l'
admettre, cette
violation ne serait pas d'
une gravité telle qu'
elle puisse entraîner l'
application de l'
art. 158 CP. La
17
notion de dommage est identique à celle requise par l'
escroquerie. Par conséquent celui-ci ne peut
être retenu. L'
intention n'
est pas non plus établie. L'
art. 158 CP ne doit donc pas être appliqué.
d) Enfin, le Ministère public invoque le blanchiment d'
argent de l'
art. 305bis CP (D). Cette
infraction ne peut pas être retenue, les intimés n'
ayant pas la qualité d'
auteur. De plus, cette
disposition doit se greffer sur un crime préalable, ce qui n'
est pas le cas. Toute intention est
également absente.
28. a) Pour ces motifs, les intimés tendent au rejet du pourvoi et à la confirmation du jugement
cantonal.