diffusion de 1* information sur l`Amérique latine

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Hebdomadaire - n°1934 - 8 décembre 1994 - 5 F
, -------------D 1934 BR É S IL: VIOLENCES ACCRUES EN RURAL -------------------------—
DANS L’ÉTAT DU PARA
Depuis longtemps la région de Rio Maria, dans le sud de l’État du Parâ, est le
théâtre de violences souvent sanglantes liées au problème de la terre entre petits paysans
spoliés ou paysans sans terre et grands propriétaires terriens (cf. DIAL D 1556, 1564 et
1573). Depuis quelques mois on assiste à un durcissement des conflits.
Le document ci-dessous est extrait d’un rapport circonstancié de la Commission
pastorale de la terre du diocèse de Conceiçâo do Araguaia. Daté du 5 novembre 1994, il
fait état des derniers assassinats ou tentatives d’assassinats par des tueurs à gages au
service de grandes exploitations rurales. Quand il arrive - par miracle - que la justice
condamne un de ces assassins, il ne faut pas attendre longtemps pour le voir s’échapper
de prison. Tel est le cas du tueur à gages Ubiratan condamné à la réclusion criminelle le 28
avril 1994 (cf. DIAL D 1880 qui a, par erreur,écrit 30 avril): il s’évadait le 24 octobre dernier
de la prison centrale de Belém...
Le Père Ricardo Rezende, curé de Rio Maria, est aujourd’hui sérieusement
menacé de mort par des propriétaires terriens; d’autres prêtres de la région le sont aussi (cf.
DIAL D 1912). C’est le lieu de signaler la sortie en France, ces jours-ci, du “journal” du
P. Ricardo sous le titre TERRES VIOLENTES DU BRÉSIL - Chronique de Rio
Maria, (Paris, Karthala, 1994,164 pages).
...... ....................................... .................. ................
Note DIAL -------- ---------------------
RAPPORT DE LA COMMISSION PASTORALE DE LA TERRE
DE CONCEIÇÂO DO ARAGUAIA
1. La violence à Xinguara et à Rio Maria d’avril à novembre 1994
Depuis avril 1994 un groupe d’extermination engagé et organisé par de grands
propriétaires terriens par le biais de leur syndicat rural1, est en action dans la
commune de Xinguara. Des dizaines de personnes sont inscrites sur une liste des gens “à
abattre”, sous prétexte d’un lien quelconque avec de récentes occupations de terres.
Parmi les personnes ainsi menacées se trouvent le Père Ricardo Rezende Figueira, curé
de Rio Maria et membre de la Commission pastorale de la terre (CPT), le Père Benedito
Rodriguez Costa, curé de Xinguara, le Frère Henri des Roziers, avocat de la CPT, et deux
conseillers municipaux.
De cette liste, cinq personnes ont déjà été assassinées, qui sont des petits ou
moyens commerçants; deux autres ont été blessées, une a été séquestrée, et quatre
familles au moins ont dû s’enfuir de Xinguara à cause des menaces de mort au cas où
elles ne partiraient pas.
1 Le Syndicat des exploitants agricoles qui ne doit pas être confondu avec le Syndicat des travailleurs ruraux qui est
celui des petits paysans et des paysans sans terre (NdT).
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Les crimes actuels revêtent des caractéristiques nouvelles par rapport aux crimes
précédents pour la possession de la terre. Depuis fin 1993, un certain nombre de petits
et moyens commerçants financent des groupes de gens pauvres en les poussant à
occuper des parcelles de grandes propriétés improductives. Les com m erçants
fournissent aux occupants des armes, du ravitaillement et de l’argent pour qu’ils
puissent résister aux opérations des tueurs à gages et de la police. En contrepartie, ces
commerçants auraient la propriété des parcelles au cas où celles-ci feraient l’objet
d’une décision d’expropriation.
La CPT n’a jamais apporté son soutien à ce genre d’occupation de terres, étant
donné que les bénéficiaires ne seraient aucunement les paysans sans terre, vrais
destinataires de la réforme agraire.
Mais face à l’escalade de la violence liée au crime organisé qui
Xinguara, la CPT ne peut rester passive et absente. Conjointement avec
mouvements populaires et la communauté paroissiale de Xinguara, elle
de fait aux autorités de l’Etat et de la Fédération et elle leur demande de
urgence les mesures nécessaires pour mettre fin à une telle situation.
s’est abattue sur
les syndicats, les
dénonce cet état
prendre de toute
Les victimes
En avril 1994, le marchand de tissu Newton Coutinho Mendes était assassiné devant
chez lui.
Le 4 juin 1994 le petit propriétaire terrien Juscelino Rosa da Silva et sa femme Ana
Beatriz étaient victimes d’un attentat à 1 H de l’après-midi, alors qu’ils se rendaient en
moto de Xinguara à Rio Maria. Lui a été gravement blessé mais tous deux ont réussi à
s’échapper. La voiture utilisée par les tueurs était une Golf blanche plaque
minéralogique QBD 3179.Goiânia, aperçue à plusieurs reprises devant le bureau de José
Luiz de Freitas, le président du Syndicat des exploitants agricoles qui fait commerce
d’achat et de vente de bétail dans la région.
Le 5 juin 1994 le petit propriétaire terrien Moacir Rosa de Andrade était assassiné
à Xinguara à la porte d’un bar.
Le 12 juin 1994 le chauffeur-mécanicien Valdemir Soares Pereira était enlevé et
séquestré aussitôt après avoir été déposé en voiture par le Père Benedito devant le
presbytère de Xinguara à 11 H du soir, au retour d’une célébration religieuse à Rio
Maria. Il a été frappé et interrogé par des tueurs à gages qui voulaient savoir quels
étaient ses rapports avec le curé et avec la Commission pastorale de la terre.
Le 27 juin 1994 le boucher José Martins dos Santos et son fils Gilvan étaient
assassinés à Xinguara; la mère de José devait décéder d'un infarctus en apprenant la
nouvelle.
Les plaintes en justice
Par peur et par méfiance envers les autorités locales (police militaire, police
civile, ministère public, juge du tribunal et maire de la commune), les parents des
victimes refusaient de déposer plainte.
Le 30 juin 1994, Valdemir Soares Pereira, le chauffeur-mécanicien qui avait été
séquestré, a secrètement déposé devant le procureur général de la République en
présence de son avocat, le Frère Henri des Roziers, et du procureur fédéral des droits du
citoyen, Alvaro Augusto Ribeiro Costa.
Le 14 juillet 1994, le journal C orreio B rasilien se publiait un grand article sur la
situation à Xinguara sous le titre Xinguara horrifiée assiste à l’exécution de gens “à
abattre”. L’article faisait état de la demande du procureur général de la République au
ministre de la justice d’ouverture d’enquêtes par la police fédérale.
Les 8 et 9 septembre 1994, Xinguara reçoit la visite de Pax Christi International,
une organisation de défense des droits de l’homme venant de Bruxelles, en Belgique, et
accréditée auprès de la Commission des droits de l’homme de l’ONU à Genève. Cette
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organisation a entendu plusieurs victimes de la violence; elle a rencontré des
représentants de divers groupes de la société civile locale, ainsi que les autorités
communales.
Le 13 septembre 1994, l’archevêque de Belém, capitale de l’État du Pará, a remis au
gouverneur de l’État une pétition portant 3.800 signatures pour dénoncer le climat de
terreur, la liste des gens “à abattre”, les victimes, les omissions des autorités locales, et
pour demander que des mesures soient prises.
Le même jour cette pétition de 3.800 signatures était remise à Brasilia par Pax
Christi international au procureur général de la République et au ministère de la
justice, et cela en présence de la presse.
Le 22 septembre 1994, Divino Vieira Ferro, commissaire de police de Paraúna dans
l’Etat de Goiàs, a fait savoir par téléphone au Père Ricardo Rezende que le tueur à gages
Getúlio Batista da Silva était en détention au commissariat de cette ville, sous
l’accusation de tentative d’assassinat de Zacharias Pereira Diniz, lequel avait été grave­
ment blessé. Le tueur avait avoué dans sa déposition du 21 septembre 1994 qu’il avait été
engagé par le président du Syndicat des exploitants agricoles de Xinguara, José Luiz de
Freitas, pour assassiner Zacharias et ensuite le Père Ricardo, curé de Rio Maria.
Le 29 septembre 1994, le P. Ricardo Rezende, accompagné de syndicalistes de
Xinguara, fait de nouvelles dénonciations au secrétaire d’Etat à la sécurité publique,
Alfredo Santalice, à propos des crimes du groupe d’extermination et suite à la déposition
du tueur à gages Getúlio Batista da Silva. Ces dénonciations ont une grande répercussion
dans l’Etat du Pará et dans tout le Brésil. A la même époque le Comité Rio Maria lance
une campagne au plan national et international pour exiger l’ouverture d’une enquête.
A partir du 10 octobre 1994 des agents de la police fédérale et un commissaire de
police commencent à arriver de Belém pour enquêter sur ces crimes.
Le 20 octobre 1994, Juscelino Rosa da Silva, victime de l’attentat manqué du 4 juin,
fait secrètement sa déposition devant le commissaire spécial de la police civile de Belém.
Il y a donné des informations sur les tueurs à gages, sur la voiture Golf et sur les
commanditaires des crimes.
Le 21 octobre 1994, le témoin Cicero Coelho da Silva, blessé et caché, est localisé par
l’Eglise à Xinguara. Il a été victime d’un attentat commis par des tueurs du domaine
Nazaré le 3 septembre. A sa demande, il a été mis secrètement en contact avec le
commissaire spécial qui a recueilli sa déposition. Cicero a raconté qu’il avait été
engagé en mars 1994 comme chauffeur du domaine Nazaré, celui de Jerónimo Alves do
Amorim, où il est resté jusqu’en avril 1994. Ce témoin a raconté toute l’organisation des
nombreux tueurs à gages se trouvant dans ce domaine, et l’existence de la liste des gens
“à abattre”, avec leurs photos respectives; il a donné les noms de plusieurs tueurs. Il a
affirmé avoir entendu une conversation téléphonique entre le régisseur Vanderlei et
le propriétaire terrien Jerónimo, lequel se disait préoccupé de ce que, à l’époque,
aucune personne n’avait encore été assassinée.
Le 22 octobre 1994, Cicero a été conduit à Marabá pour une procédure de preuve au
pénal.
Le 25 octobre 1994, il s’est rendu à Brasilia où il a fait sa déclaration en présence
de Alvaro Augusto Ribeiro Costa, procureur fédéral des droits du citoyen.
Les mesures prises
Le 21 septembre 1994, le juge de Paraúna, dans l’Etat de Goiàs, a ordonné la mise en
détention provisoire de José Luiz de Freitas, président du syndicat rural (des exploitants
agricoles) de Xinguara. Le commissaire de police de Paraúna a demandé à son collègue
de Xinguara d’exécuter le mandat d’amener: ce qui n’a pas été fait. Un peu plus tard, un
mandat d’arrêt était lancé contre José Luiz de Freitas, mais celui-ci s’est échappé.
Le 24 octobre 1994, le juge de Xinguara, Joâo Batista do Nascimento, a ordonné la
mise en détention provisoire de Jerónimo Alves de Amorim, propriétaire du domaine
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Nazaré; des régisseurs Vanderlei Borges de Mendonça et “Vieux” Luiz; des tueurs à gages
Ademir Rodrigues da Fonseca, dit “Jabirú”, et Geraldo Mendes, dit “Le-Laitier”. Ces
mandats d’arrêt ont été publiés dans plusieurs journaux, ce qui a permis aux accusés de
prendre facilement la fuite. (...)
5. Le travail esclavagiste?
Pour 1994 les patrimoines fonciers de la région pratiquant le travail esclavagiste
ont été les suivants:
- Domaine Maipù, commune de Cumarú do Norte: 42 travailleurs (28/3/94)
- Domaine Morada do Sol, commune de Sâo Félix do Xingù: plus de 200 travailleurs
(4/5/94)
- Domaine Rio Negro, commune de Sâo Félix do Xingù: des centaines de travailleurs
(16/6/94)
- Domaine Bannach, commune de Ourilândia do Norte: au moins 150 travailleurs
(29/6/94)
- Domaine Estrela de Maceiô, commune de Santana do Araguaia: environ 1000
travailleurs (1 5 /8 /9 4 )
- Domaine Santa Maria, ou Cabeça de Égua, commune de Sâo Félix do Xingù: 90
travailleurs (9 /9 /9 4 )
- Domaine Pau Preto e Acapú, commune de Xinguara: 49 travailleurs (29/9/94)
Tous ces cas ont été dénoncés aux autorités sur la base de déclarations écrites de
travailleurs revenant ou, parfois, s’enfuyant de ces domaines. Il y a eu contrôle des
inspecteurs du ministère du travail qui ont nié l’existence de travail esclavagiste; ils
ont seulement constaté des irrégularités par rapport au code du travail (par exemple
inexistence de carte professionnelle).
Cependant,
1) les rapports des inspecteurs du travail font à plusieurs reprises état des indices de
travail forcé tels qu’ils sont définis par les normes du ministère du travail; mais leur
conclusion est qu’il n’y a pas de travail esclavagiste;
2) les opérations de contrôle ont été menées sans aucun secret, ce qui fait que les
rabatteurs et les propriétaires terriens l’ont su avant; c’est le cas du domaine Bannach;
3) on note la mauvaise volonté et la partialité au niveau des inspecteurs du travail (ex:
la Bannach) et au niveau de la police fédérale.
Conclusions du séminaire sur “ Plus jamais le travail esclavagiste” des 2325 août 1994, organisé à la Chambre des députés de Brasilia par le Forum
contre la violence en rural
-
Augmentation du nombre des dénonciations enregistrées.
Indifférence et omission de l’État.
Impunité.
Manque de préparation et absence d’engagement des organismes et agents d’Etat.
Non respect, par l’Etat brésilien, des conventions et traités internationaux:
1) article 1-a de la convention supplémentaire des Nations unies sur l’abolition de
l’esclavage, le trafic d’esclaves, et les institutions ou pratiques semblables à l’esclavage
(1956);
2) article 5-1 de la convention n° 29 de l’Organisation internationale du travail
(1930) qui traite du travail forcé ou obligatoire.
Le Brésil ayant ratifié ces conventions, celles-ci ont par conséquent force de loi
dans le pays.
(Traduction DIAL - En cas de reproduction, indiquer la source DIAL)
Abonnement annuel: France 395 F - Étranger 440 F - Avion Amérique latine 500 F - USA-Canada-Afrique 490F
Directeur: Charles ANTOINE - Imprimerie DIAL - Commission paritaire de presse 56249 - ISSN 0399-6441
2 Pour 1etravail esclavagiste dans l’ensemble du Brésil, cf. DIAL D 1878 (NdT).
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