Les acteurs du boom économique de la TV chinoise : le câble et la

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Les acteurs du boom économique de la TV chinoise : le câble et la
Business School
WORKING PAPER SERIES
Working Paper
2014-381
Les acteurs du boom économique de la
TV chinoise : le câble et la publicité
Charlotte-Xiaotao Wang
http://www.ipag.fr/fr/accueil/la-recherche/publications-WP.html
IPAG Business School
184, Boulevard Saint-Germain
75006 Paris
France
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Les acteurs du boom économique de la TV chinoise : le câble et la
publicité
Charlotte-Xiaotao Wang
Docteur en Sciences de l’Information et de la Communication
IPAG Business School, Paris et Nice
La télévision chinoise aujourd’hui, censure et propagande mises à part, ressemble
aux autres télévisions du monde développé ou émergent. Les technologies employées y
sont semblables. Les conceptions des programmes, tant qu’ils ne gênent pas le PCC,
obéissent aux mêmes modes, aux mêmes engouements et s’abandonnent aux mêmes
dérives qu’en Occident.
Ces nouvelles caractéristiques de la télévision chinoise ont été en réalité façonnées
lors de l’extraordinaire croissance qu’elle a connue de 1992 à 2004. Ce véritable boom, dû
pour l’essentiel à l’introduction du câble et de la publicité, a alors profondément marqué le
paysage audiovisuel chinois, et ce, sans doute pour encore de longues années.
Pour toutes ces raisons, la télévision de « l’Empire du milieu » semble être un bon
miroir de la société actuelle et de ses évolutions récentes. Elle illustre fort bien les
contradictions de ce pays capitaliste dirigé par un parti communiste dont le slogan parle de
lui-même : « Il est glorieux de s’enrichir ». Mais la télévision chinoise est aussi un outil :
un outil de modernisation et partant, d’occidentalisation, d’une société qui s’est ouverte il y
a peu à la mondialisation. Toutefois, il parait utile d’insister sur le fait que ce catalyseur de
l’ouverture des esprits n’ait pas pu pour autant jusqu’à aujourd’hui jouer un rôle important
en matière de changement de la politique politicienne sauf à continuer d’être un bon relais
de l’idéologie gouvernementale. Contrôlée à tous les niveaux, la télévision paraît de ce fait
devoir laisser à ce nouveau média qu’est l’Internet, le privilège de pouvoir aider à faire
surgir une prise de conscience démocratique au sein des quelque 1,4 milliards d’individus
qui constituent la population chinoise d’aujourd’hui.
L’essor de la télévision par câble et la promotion d’une industrie de haute
technologie
Malgré les événements de Tian’an Men du 4 juin 1989, la Chine n’avait pas en
réalité renoncé à l’ouverture et à la réforme économique. De 1990 à 1992, lorsque le
socialisme s’effondra dans l’ex-URSS en décembre 1991, le PCC connut à nouveau des
1
rivalités entre ses factions avant que le pouvoir ne passe vraiment des mains de Deng
Xiaoping dans celles d’une nouvelle génération de dirigeants. Cela se fit en octobre 1992
lors du XIVe Plénum du PCC pendant lequel Jiang Zemin fut élu Secrétaire général du
Parti et de l’Armée. En mars 1993, il allait obtenir le titre de Président de l’Etat chinois
lors du VIIIe Congrès national. Ce diplômé du département de mécanique à l’Université
Jiaotong de Shanghai appartenait à la caste des technocrates qui avaient décidé de faire
entrer la Chine dans la mondialisation et de faire des technologies les plus poussées le
moteur essentiel de l’économie nationale.
Grâce à la volonté réelle du régime de moderniser le secteur des
télécommunications, la télévision câblée fut la technologie qui fut choisie en 1992 pour
remplacer la télévision hertzienne dont la réception était souvent perturbée par les gratteciels qui poussaient ça et là dans la plupart des villes chinoises. La tâche de construire un
réseau câblé national fut alors confiée au MRTC (ministère de la Radio et de la Télévision
chinoise) qui avait installé la première station de télévision par câble à Pékin, en 1992. Une
société sino-américaine CATV Services Corp., se créa dans la capitale dès 1993. Elle était
le fruit d’une alliance entre une firme américaine qui fabriquait des câbles à Los Angeles,
Coast CATV Supply et plusieurs opérateurs chinois dont la CCTV. Par la suite, une
multitude de stations de télévision câblée allait se créer un peu partout en Chine : la
Shandong Taian Cable TV Station en mai 1993, la Wuzhou Cable TV Station en octobre
1993, la Xinjiang Cable TV Station en mars 1994, etc.). Ces créations furent accompagnées
d’une pénétration progressive d’investisseurs étrangers spécialisés dans le domaine des
télécommunications tels qu’American Scientific Atlanta, General Instrument, Magnavox,
Nexus et Echosphere qui avaient su, en multipliant leurs pressions de plus en plus
insistantes, s’attirer les faveurs des gouvernements locaux.
L’agence Xin Hua (Chine nouvelle) pouvait annoncer en 1993 l’existence de près
de 200 à 300 stations de télévision câblée dont certaines, qui avaient été créées avant 1992
par les entreprises d’Etat, étaient en train de connaître des difficultés financières, puisque
la publicité était interdite sur toutes les chaînes câblées par le règlement de février 1992. Le
pouvoir politique avait par ailleurs décidé, au niveau de chaque ville, d’intégrer dans le
réseau câblé municipal les petits circuits fermés de télévision par câble qui avaient été
créés par des entreprises d’Etat.
2
Afin de rentabiliser les investissements nécessaires à l’installation et au maintien du
réseau, on autorisa les opérateurs locaux à mettre en place un système d’abonnement à coût
relativement faible (par exemple, 72 yuans par an à Pékin en 1992). Destinées uniquement
à la rediffusion dans les premiers temps de leur création, ces chaînes programmèrent des
fictions qui avaient déjà obtenu une bonne audience, ce qui leur permit d’attirer de
nombreux téléspectateurs chinois dont on sait qu’ils étaient de gros consommateurs de
téléfilms, de feuilletons, de séries, etc. De plus, la présence sur le réseau câblé des
anciennes chaînes hertziennes déjà existantes et l’amélioration significative de leur
réception furent un atout supplémentaire pour inciter le public à s’abonner. Dans le sud du
pays, les téléspectateurs purent même recevoir sur le réseau câblé des chaînes étrangères
(en provenance de Hongkong) auparavant indisponibles sans l’installation d’une petite
parabole. En fait, ce système d’abonnement eut un tel succès que les chaînes câblées eurent
plus de 40 millions d’abonnés, soit à peu près 200 millions de téléspectateurs dans 30
provinces chinoises et ce, dès la fin de 1995. Deux ans après, le nombre d’abonnés
grimpait jusqu’à 70 millions pour plus de 700 stations de télévision par câble réparties dans
tout le pays. Ainsi, c’est le câble qui aida à la massification de la télévision en ville. En
1997, le taux de couverture était déjà près de 88% de la population totale et on pouvait
dénombrer 320 millions de postes de télévision pour près d’un milliard de téléspectateurs
potentiels.
Chiffres clés concernant la TV en 1976, 1983 et 1997
1976
1983
1997
Postes de télévision
6 millions
30 millions
320 millions
Abonnés à la TV câblée
0
De 200 à 900
70 millions
milles
Réseaux d’ondes hertziennes
300 km
2 000 km
72 000 km
Transponders satellitaires
0
0
22
Stations de TV pour la
600
2 000
60 000
retransmission sans fil
Source : tableau réalisé par l’auteur à partir de données fournies par « China TV Rating Yearbook », 2007
Cependant, la cœxistence de réseaux de câble coaxial et de fibre optique posait un
problème d’homogénéisation technique à l’échelle nationale, du fait de l’expansion trop
rapide de la télévision câblée au niveau régional. C’est pourquoi le ministère de la Radio,
de la Télévision et du Cinéma (le MRTC) promulgua en 1995 « La planification d’un
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réseau audiovisuel national par câble » et « le projet général » dans lequel il était spécifié
que construire des canaux de fibre optique (trunk lines) pour relier les réseaux existants au
sein des localités, était la première tâche du MRTC dans le cadre du « Neuvième plan
Quinquennal ». Jusqu’en 1997, on construisit cinq réseaux en cercle et cinq autres en ligne
qui reliaient les provinces entre elles.
Nom du
réseau
Le cercle
Huabei
Le cercle du
nord
Le cercle du
sud
Réseaux circulaires
Nombre de
Nombre de
points de
stations de
relais
retransmission
2260 km
6
21
3580 km
4
37
5191 km
8
49
4601 km
6
50
4266 km
5
42
Longueur
en Km
Station de transmission générale
(STG Pékin)-Tianjin-Jinan-XuzhouZhengzhou-Shijiazhuang-STG Pékin
STG Pékin- Tianjing-Jinan-XuzhouHefei-Wuhan-ZhengzhouShijiazhuang-STG Pékin
Wuhan-Guangzhou-FuzhouHangzhou-Shanghai-Nanjing-HefeiWuhan
Le cercle de
Zhengzhou-Xi’an-Chengdu-
l’ouest
Chongqing-Wuhan-Zhengzhou
Le cercle du
Chengdu-Kunming-Nanning-
sud-ouest
Guiyang-Chongqing-Chengdu
Source : tableau réalisé par l’auteur à partir de données fournies par « China TV Rating Yearbook », 2007
Nom du
réseau
Ligne Pékin
Ligne ZheGan-Xiang
Ligne Nord-est
Réseaux en ligne
Longueur
en Km
Nombre
Nombre de
de points
stations de
en relais
retransmission
STG Pékin-Pékin
30 km
2
Hangzhou-Nanchang-Changsha
1383 km
3
12
1635 km
4
16
STG Pékin-Shenyang-ChangchunHarbin
Ligne Yue-Gui
Guangzhou-Nanning
1018 km
2
11
Ligne Shi-Tai
Shijiazhuang-Taiyuan
275 km
2
2
Source : tableau réalisé par l’auteur à partir de données fournies par « China TV Rating Yearbook », 2007
L’explosion de la télévision par câble en Chine fut également liée au
développement du satellite. La mise en service de l’Asiasat 2 en 1995 et la numérisation
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des signaux retransmis par satellite en 1996 avaient enfin offert les conditions techniques
nécessaires au développement massif d’une télévision par satellite.
Dans un premier temps, la CCTV fut l’unique chaîne nationale à tenter l’expérience
d’avant-garde de la télévision par satellite. En novembre 1995, elle montait quatre chaînes
satellitaires (dont seulement deux sur quatre étaient recevables sur le réseau câblé) dont
trois étaient des chaînes thématiques codées (CCTV5-sport, CCTV6-cinéma, CCTV8divertissement) et une chaîne généraliste gratuite (CCTV7). Cette dernière regroupait les
programmes qui avaient pour thèmes la jeunesse, le monde militaire, les sciences et
l’agriculture, etc.
En 1997, soit deux ans après leur création, ces quatre chaînes affichaient 18
millions d’abonnés dans le pays. Il faut toutefois noter que l’interactivité n’existait pas
encore entre les abonnés et les opérateurs du fait de contraintes techniques. La circulation
des données ne pouvait donc se faire qu’à sens unique. En même temps, la décision de
diffuser ou non une chaîne satellitaire payante restait entre les mains des opérateurs locaux.
C’est ainsi qu’en 1997, un Chinois abonné au câble dans un bourg ou un district recevait
en moyenne 8 chaînes alors qu’un citadin avait au moins 15 chaînes à sa disposition. Dans
la deuxième moitié des années 1990, le renouvellement technique et la massification de la
télévision par satellite entraînèrent une augmentation significative du coût d’abonnement
au câble. En 2000, les frais d’installation du câble chez un particulier variaient de 200 à
300 yuans selon les régions, sans compter le coût de l’abonnement mensuel qui lui, allait
de 12 à 27 yuans.
L’économie de marché appliquée à la télévision et la prise en compte de son
importance économique
Après le voyage symbolique de Deng Xiaoping dans le sud de la Chine, le PCC se
donna l’objectif d’« Etablir en Chine l’économie socialiste de marché » lors du XIVe
Congrès national en 1992. La croissance économique chinoise fut d’environ 12,8% cette
même année puis allait dépasser 14% en 1993. Dans le domaine médiatique, la « Décision
d’accélérer le développement du secteur tertiaire » publiée le 16 juin 1992 par le comité
central du Bureau politique et le Bureau des Affaires gouvernementales, constitua le
document stratégique sur lequel devait désormais s’appuyer le développement économique
5
chinois. La presse écrite, la radio, le cinéma et la télévision étaient considérés comme
figurant parmi « les unités de travail d’intérêt public, les services du bien-être et les
instances publiques » qui était classés dans le secteur tertiaire. Ils « durent spontanément
emprunter le système de gestion aux entreprises afin de pouvoir s’autofinancer ». En
d’autres termes, en restant officiellement organisme d’Etat, les médias furent obligés de se
plier aux règles de l’économie de marché. Mais ils continuèrent de posséder l’exclusivité
du droit d’exploitation dans le domaine de la communication, puisque l’Etat protégeait leur
marché contre tout capital étranger – et même contre les capitaux chinois en provenance
d’autres secteurs. A l’inverse, ces mêmes médias furent autorisés à investir dans d’autres
domaines.
Ainsi placée dans un environnement politique et économique devenu favorable à
partir de 1992 à l’essor du secteur tertiaire, la télévision chinoise allait entamer un
processus de modernisation et de privatisation.
La modernisation du secteur de la télévision se manifesta d’abord par la
vulgarisation des postes de télévision en couleur et dotés de télécommandes, en même
temps que les chaînes de télévision étaient mises en situation de pouvoir renouveler leurs
équipements techniques. Mais ce sont surtout les changements en matière de gestion du
système audiovisuel qui marquèrent profondément l’histoire de la télévision chinoise
pendant cette période.
Taux de possession (%) par la population chinoise
des trois types de téléviseurs en 1992, 1997 et 2002
120,0
96,4
100,0
73,7
80,0
60,0
58,2
57,3 57,1
41,8
Téléviseurs couleurs
35,7
40,0
Téléviseurs N&B
Téléviseurs avec une
télécommande
29,6
12,6
20,0
0,0
1992
1997
2002
Source: tableau établi par l'auteur à partir des données fournies par «The evolution of TV
programmes within the course of TV and radio industrialization», 2007
6
La CCTV créa en premier lieu le « Département d’exploitation des affaires », en
septembre 1992, puis appliqua peu après le « contrat forfaitaire » au Département de la
production des feuilletions, à celui de la publicité et à celui des programmes économiques.
Ils obtinrent tous le droit de conserver leurs bénéfices spécifiques à condition de laisser une
somme forfaitaire à la disposition du financement général de la chaîne. Ces réformes
eurent un succès immédiat, et suffisamment important pour que l’année même de
l’application du contrat forfaitaire (1991), le chiffre d’affaires de la CCTV atteigne 570
millions de yuans, ce qui était largement supérieur aux 108 millions de yuans de l’année
précédente.
L’augmentation sensible des revenus de la CCTV poussa le MRTC à modifier sa
gestion financière. Selon le plan financier étatique du MRTC fixé depuis 1991, la CCTV
avait droit à une subvention annuelle de 4.5 millions de yuans pendant trois ans (de 1991 à
1993) avec l’obligation de remettre chaque année 100 millions de yuans au MRTC, somme
équivalente à ses revenus de 1990. Dès 1993, l’Etat avait augmenté la somme due à 750
millions de yuans en réduisant, en revanche, la subvention annuelle à 3.4 millions de yuans
pour les trois ans à venir (de 1994 à 1996).
Au niveau régional, la rapidité de la privatisation du système télévisuel chinois
différa d’un endroit à un autre selon le degré local d’ouverture économique et politique.
Par rapport aux chaînes provinciales, les chaînes municipales furent généralement plus vite
privatisées du fait que les cités étaient économiquement plus prospères et que les
gouvernements municipaux avaient souvent plus d’autonomie politique que ceux du niveau
provincial. D’ailleurs, les chaînes câblées et les nouvelles chaînes créées pour promouvoir
les informations économiques après la mise en place de la politique de 1992 possédèrent
dès leur naissance un système de fonctionnement à caractère commercial. A ce niveau, les
exemples de Shanghai et de Canton furent particulièrement révélateurs.
A Shanghai, Le BRTS (Bureau de la Radio et de la Télévision de Shanghai), sous la
direction du gouvernement municipal, créa en 1992 la première entreprise audiovisuelle
cotée en bourse, la Shanghai Oriental Pearl Corp. Ltd., qui réussit à collecter 574 millions
de yuans sur le marché boursier. Neuf succursales furent ensuite créées pour investir dans
de multiples domaines en particulier dans la construction de la plus haute tour de
7
communication audiovisuelle « Perle Orientale » (450m) (qui fut concrètement installée en
1994) et dans l’établissement en 1993 de la Télévision Orientale, qui était la seconde
station de télévision municipale. La création de cette chaîne introduisit la concurrence dans
le marché télévisuel local. Du recrutement des personnels à la gestion financière en
passant par la production des programmes, la Télévision Orientale fut en effet une copie
conforme des télévisions commerciales occidentales. Avec une programmation plus
adaptée au goût du public, elle attira une audience comparable à celle de la Shanghai TV,
soit plusieurs dizaines de millions de téléspectateurs. L’année même de sa naissance, elle
réussit à réaliser un chiffre d’affaires de 123 millions de yuans. En 1994, ses revenus
annuels dépassèrent les 200 millions de yuans.
En comparaison avec Shanghai, Canton fut tout de même plus novatrice. La
création du Canton Cable TV le 1er juin 1994 ne bénéficia d’aucune subvention
gouvernementale. Elle adopta dès sa naissance un système privé de gestion commerciale et
récupéra tous les droits que pouvait lui procurer la « Loi sur les entreprises ». Le 22
décembre 1994 était créée la Canton Economic TV qui n’avait pas de rang administratif.
Son mode de fonctionnement était entièrement similaire à une entreprise commerciale,
sous la seule contrainte de respecter les règlementations concernant les médias. En d’autres
mots, l’Etat, tout en conservant son droit de censure, n’intervenait que dans les domaines
qui relevaient du politique.
De fait, la politique d’accélération du développement du secteur tertiaire fut une
réussite immédiate, y compris dans le domaine médiatique. L’année même de la mise en
place (1992) de cette politique, les médias purent procurer à l’Etat des revenus annuels qui
étaient équivalents à au moins 85% des subventions qu’ils avaient reçues l’année
précédente. Dès 1994, la contribution financière des médias à destination du Trésor chinois
dépassa largement le montant des subventions étatiques qu’ils continuaient de recevoir. En
2001, l’aide financière de l’Etat put être complètement supprimée.
Le rôle fondamental de la publicité
Depuis le passage du secteur médiatique à la concurrence en 1992, les différents
médias chinois n’avaient pas évolué de la même manière. Mais pour chacun d’entre eux, la
8
publicité joua un rôle d’autant plus fondamental qu’elle allait constituer la source
essentielle de leurs revenus.
La presse écrite continua d’être le support publicitaire majeur. Par ailleurs, on
assista à une explosion des tabloïds régionaux du fait de la limitation des espaces
publicitaires dans les grands journaux nationaux. Les magazines et journaux allaient
également se développer grâce à l’introduction de la publicité.
Mais, contrairement à la presse écrite, le cinéma eut beaucoup de difficultés à
intégrer l’économie du marché puisque sa faible audience n’attirait pas assez les
annonceurs publicitaires. L’économie du secteur cinématographique ne s’améliora en fait
qu’à partir de 1996 avec l’introduction des péplums hollywoodiens. Parallèlement à
l’augmentation des revenus des salles de cinéma, les producteurs de cinéma chinois
essayèrent de trouver de nouveaux investisseurs publicitaires par le biais d’insertions dans
leurs films de publicités implicites plus ou moins visibles. Mais le cinéma restait un média
d’élite et peu important en matière économique.
La radio, elle, fut gênée dans son essor par la concurrence tyrannique de la
télévision. Une sorte de complémentarité d’audiences entre ces deux médias s’établit
seulement à partir de la deuxième moitié des années 1990. Mais la part de marché
publicitaire de la radio est restée encore aujourd’hui minoritaire.
La télévision, quant à elle, allait connaître après 1992 un essor immédiat et fort de
la publicité sur ses écrans avant que le taux de croissance de cette dernière ne ralentisse à
partir de 2001. Dès 1992, les recettes publicitaires de la télévision dépassèrent celles de la
presse écrite en atteignant le chiffre de quelque 2.05 milliards de yuans. En 1996, la
télévision devenait le premier support publicitaire en Chine. Elle est demeurée aujourd’hui
le média roi dans ce pays.
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Evolution de la publicité à la télévision, à la radio et dans la presse écrite,
de 1991 à 1998 (en millions de Yuans)
15000
TV
PRESSE
RADIO
10000
5000
0
1991
1992
1993
1994
1995
1996
1997
1001
2055
2944
4476
6498
9079
11441 13563
PRESSE 1062
1791
3955
5449
6850
8330
10209 11148
133
140
199
349
496
738
TV
RADIO
873
1998
1057
Source : schéma établi par l’auteur à partir des données fournies dans Annuaire de la Radio et de la Télévision, 1999
L’évolution différente des médias chinois a été dépendante en effet dans une grande
mesure du choix des annonceurs publicitaires. Faute d’agences spécialisées dans ce
domaine, la sélection des supports publicitaires se fit souvent en fonction de la taille du
média jusqu’au milieu des années 1990. C’est pourquoi la télévision et la presse écrite s’en
sortirent mieux que le cinéma et la radio. Dans la même logique, la CCTV possédait une
position très avantageuse au sein du marché publicitaire télévisé. Malgré les contraintes
auxquelles elle devait obéir et qui limitaient le temps consacré à la publicité, son chiffre
d’affaires publicitaire alla jusqu’à représenter entre un quart et un tiers de son chiffre
d’affaires global, toutes chaînes chinoises confondues. En effet, la CCTV avait commencé
à vendre aux enchères ses espaces publicitaires à partir de 1994, tant ils étaient convoités
par les annonceurs. Une seule minute de publicité, placée entre « le Journal de 19h » et la
météo se vendait déjà 360 millions de yuans en 1994. Cette minute magique représentait à
elle seule un tiers des revenus publicitaires annuels de la Chaîne. En 1995, la CCTV vendit
même cette minute d’or à 1.06 milliard de yuans, soit la moitié de ses revenus publicitaires.
Derrière la CCTV, la Shanghai TV occupa la deuxième place dès 1993 avec 180 millions
de yuans de chiffre d’affaires publicitaires.
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Evolution du Chiffre d'Affaires publicitaire de la CCTV
1992-1997 (en millions de yuans)
4500
4173.64
4000
3510.08
3500
3000
2500
2000
2000
1500
1000
500
969.04
490.45
646.93
0
1992
1993
1994
1995
1996
1997
Source : schéma établi par l’auteur à partir des sources dans l’Annuaire de l’Association de Publicité en Chine, 2002
Si la CCTV, en tant qu’unique chaîne nationale, eut pratiquement le monopole du
marché publicitaire télévisé à l’échelle du pays, ce marché publicitaire pouvait être réparti
également à l’échelle des provinces du fait de l’existence d’un véritable protectionnisme
régional. Les annonceurs dont la production provenait de provinces limitrophes se voyaient
souvent refuser la diffusion de publicités dans les médias locaux. En bref, la concurrence
publicitaire n’existait pas vraiment entre les chaînes provinciales (comme entre les chaînes
municipales) à l’échelle d’une localité. Toutefois, dans les campagnes, le faible pouvoir
d’achat des habitants ne pouvait laisser poindre qu’un début de concurrence entre la chaîne
provinciale et les chaînes municipales de chaque province. Il est vrai que les télévisions
régionales faisaient tout pour convaincre les annonceurs de ne pas s’adresser à la CCTV.
Concernant le temps de diffusion des publicités à la télévision, le quota de 10%
maximum du temps d’émission fut rarement respecté. La CCTV, par exemple, consacrait
18% de son temps de programmation à la publicité en 1992 alors que la chaîne
économique à Wuhan Jianghai TV dépassait plus encore le quota avec 4h30 de diffusion
publicitaire quotidienne. Le plus souvent, c’étaient les nouvelles chaînes d’informations
économiques et les chaînes câblées qui respectaient le moins les quotas en matière de
temps alloué à la publicité.
En plus d’une diffusion trop importante de publicités explicites, l’arrivée de la
publicité implicite dans les émissions fut un phénomène assez courant, plus
11
particulièrement dans les chaînes qui avaient officiellement reçu pour mission de
« développer l’information économique pour les entreprises et les consommateurs ». On
appelait « informations payantes » ces annonces intégrées dans les programmes informatifs
sans mention explicite de leur nature publicitaire. Le mélange des informations payantes et
des informations gratuites encouragea la corruption des journalistes qui pouvaient
facilement faire passer une annonce publicitaire comme une information gratuite. Ce fut la
raison pour laquelle le ministère de la Propagande et le Bureau d’Administration de la
Presse promulguèrent, le 31 juillet 1993, la « Circulaire d’interdiction des ‘informations
payantes’ afin de renforcer la construction de la morale professionnelle des journalistes»,
selon laquelle les journalistes et les éditeurs furent interdits d’activités publicitaires. Mais il
fallut attendre la mise en application de la « Loi sur la publicité » , le 1er février 1995, pour
que soit réellement codifiée la production de la publicité à la télévision, du moins sur le
plan du droit. Le MRTC déclara formellement le 11 mai l’illégalité des informations
payantes.
Dans ce contexte déontologique et de réglementation de la publicité, le marché
publicitaire se structura en réalité peu à peu avec la multiplication et la spécialisation des
agences. Grâce au dynamisme économique des joint-ventures en Chine, qui confièrent
souvent la promotion publicitaire de leurs produits aux agences de communication
étrangères ou mixtes, ces dernières se développèrent rapidement et améliorèrent
globalement le niveau de professionnalisation du métier. L’introduction de l’audimat en
1997 par l’agence publicitaire mixte SOFRES-CCTV fut de facto une révolution de type
scientifique en matière d’analyse des audiences télévisuelles. Aujourd’hui, le marché
publicitaire en Chine compte un grand nombre d’agences de communication chinoises et
étrangères qui continuent d’emprunter le savoir-faire de l’Occident.
La transformation des programmes
La publicité étant devenue la principale ressource financière de la télévision,
l’augmentation et la modification de l’audience qui s’en suivit provoqua parallèlement une
modification du langage télévisé qui avait été profondément marqué jusqu’alors par la
seule idéologie. Les téléspectateurs chinois, anciens récepteurs passifs de masse se
dotèrent désormais d’une nouvelle identité en qualité de consommateurs publicitaires.
Leurs choix en matière de programmes jouèrent un rôle prépondérant dans les nouvelles
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programmations décidées par les chaînes de télévision. Motiver les journalistes à construire
des programmes commerciaux aptes à satisfaire le goût du public devint alors l’enjeu
principal pour la survie d’une chaîne dont l’organisation interne séparait souvent la
diffusion, la production et la gestion. Mettre en commun la production et les services (la
diffusion et la gestion) parut bon sinon nécessaire pour initier la réforme du management
du système de production. Un exemple typique de cette réforme fut l’application du
« contrat forfaitaire » de sorte de pouvoir créer le premier journal télévisé matinal en Chine
« Une émission bien de chez nous » (« Dongfang Shikong »). Ce programme apparut en
1993 à l’issue d’un contrat signé par la CCTV et un employé M. Sun Yusheng, En effet,
soigneusement choisi par le directeur général de la CCTV, le producteur d’« Une émission
bien de chez nous », avait été lui-même fonctionnaire cadre de la CCTV. Selon ce contrat,
le producteur de l’émission recevait en début d’année un budget forfaitaire avec obligation
de rendre à la chaîne en fin d’année une somme fixe de ses bénéfices, le reste lui restant de
droit. M. Sun Yusheng avait également en théorie liberté totale dans la gestion de la
production. Sauf cas exceptionnel ou à l’occasion de grands évènements politiques et
sociaux, le programme n’avait pas besoin d’être examiné avant l’émission par des
personnes autres que le producteur lui-même. En revanche, il était le seul responsable du
contenu de son programme et devait s’autocensurer pour éviter tout sujet sensible. Bref,
l’information restait sous contrôle du PCC malgré la décentralisation du processus de
censure.
Grâce au contrat forfaitaire, « Une émission bien de chez nous » attira rapidement
de nombreux annonceurs publicitaires attirés par l’audience considérable de ce
programme, et ce malgré sa diffusion le matin en heure creuse. Avec quatre sous-rubriques
(« Interviews de personnes célèbres », « Investigation à la une », « l’histoires de nos vies »
« Focus »), ce programme fut émis dans un style tout à fait inhabituel. Les voix in, les
interviews sur place, les commentaires des journalistes étaient des moyens rarement
utilisés au sein des autres programmes d’information marqués, eux, le plus souvent par la
langue de bois et le ton détaché du présentateur. Les thèmes couverts par l’émission
traitaient des problèmes sociaux à travers la vie de personnes sans grande importance. Cela
attira plus les téléspectateurs que les reportages des visites officielles et les comptes-rendus
des réunions politique. La meilleure sous-rubrique de cette émission « Focus » dont la
diffusion passa au prime-time en 1994 fut peu à peu une émission aussi importante que le
« Journal de 19h » de la CCTV. Cette émission fut en réalité une telle réussite que les
13
chaînes régionales se dépêchèrent de créer des magazines d’information semblables qui
recouraient le plus souvent à l’émotivité et aux effets sensationnels.
« Focus » montre, s’il en était besoin, la volonté du gouvernement chinois de
promouvoir le rôle des médias dans la vie politique et sociale des Chinois. De hauts
dirigeants, tels Li Peng (ancien Premier ministre), Zhu Rongji (ancien Premier ministre),
Wei Jianxing, Ding Guangen, avouaient en public leur attirance pour ce programme et
l’intérêt qu’ils manifestaient pour les problèmes qu’il avait révélés. Certains d’entre eux
avaient pu être réglés grâce à cette médiatisation. La CCTV, entièrement au service du
gouvernement central, put court-circuiter, grâce à cette émission, les pouvoirs locaux qui
étaient en bas de l’échelle politique. Néanmoins, la télévision chinoise dans son ensemble
continua d’être politiquement aux ordres malgré les possibilités d’investigation qu’elle
avait su s’approprier.
Plus encore, l’application du contrat forfaitaire à plus grande échelle entraîna un
renouvellement massif des programmes qui changèrent de nom et de forme. Les
programmes éducatifs résistèrent mal à l’arrivée d’une multitude d’émission de variétés
qui n’étaient que ludiques et peu porteuses de valeur éducative ou culturelle. Le public se
mit à beaucoup apprécier également différentes formes de jeux, qui faisaient appel au
sensationnel ou à l’humour. Ils étaient par ailleurs peu chers à produire.
Concernant la fiction, qui occupait la plus grande place à la télévision chinoise, on
nota à la fois la réduction progressive des séries télévisées étrangères dans les grandes
chaînes nationales et régionales et le maintien de l’abondance des films piratés dans les
petites chaînes de district. Lorsque les programmes étrangers se banalisèrent au fur et à
mesure que le pays s’ouvrait, la production chinoise en la matière put augmenter
sensiblement. Il est vrai que l’entrée de la télévision dans l’économie de marché avait fait
naître de petites entreprises privées de production audiovisuelle – malgré leur statut
officiellement illégal1. Ces sociétés, qui avaient été créées dans la plupart des cas par des
employés de chaînes ou de studios cinématographiques, parce qu’ils réalisaient des
coproductions pour un organisme officiel, obtenaient de ce fait plus facilement le Certificat
provisoire de Production des Oeuvres Audiovisuelles. Ces organismes, en tant que
coproducteurs, leur avaient fourni des minutes publicitaires en échange du droit de
diffusion. Cette habitude datait de l’époque d’ouverture de 1978, lorsque survinrent les
premières publicités d’origine étrangère. Avec le développement rapide de la publicité
1
Selon la loi chinoise de l’époque, seules les entreprises d’Etat avaient le droit de produire pour l’audiovisuel.
Le gouvernement chinois n’autorisa qu’en 2001 l’investissement privé (chinois) en la matière.
14
télévisuelle, le prix du temps publicitaire s’envola, ce qui offrit aux producteurs la
possibilité de faire d’énormes bénéfices. Mais, en tant que seuls investisseurs, ils devaient
néanmoins prendre tous les risques financiers. Enfin, pour que le produit puisse passer à la
télévision, il fallait subir la double censure du PCC qui examinait d’abord le scénario avant
le tournage puis la version finale avant la distribution. Afin d’éviter tout genre de risques,
les producteurs pratiquèrent volontairement une autocensure assez sévère. Etre
politiquement correct et correspondre aux goûts du public furent les premières
préoccupations des producteurs qui, il faut le dire, étaient bien moins intéressés par la
qualité artistique et la valeur culturelle des oeuvres. La superficialité caractérisa alors
globalement la production chinoise. Si, donc, la télévision avait été l’intermédiaire obligé
pour l’ouverture du pays au monde de 1978 à 1992, sa fonction culturelle s’était réduite au
cours du processus de privatisation du système de production.
Dans le nouveau contexte privé de la production télévisuelle, l’Etat transforma sa
stratégie communicationnelle, en ayant davantage recours aux techniques de persuasion
douce. Un Pékinois à New York fut en effet un bon exemple démonstratif de la softpropagande. Coproduit par la CCTV, la BTV (Beijing Television) et le Centre d’Art de
Productions Télévisuelles de Pékin, ce feuilleton fut la plus importante production de
l’époque, avec un budget de $1.5 millions de dollars obtenu grâce à l’emprunt bancaire.
Diffusé depuis novembre 1993, il aurait pu être censuré du fait de son thème d’autant plus
sensible qu’il traitait de la vie des intellectuels chinois à l’étranger. La réalité était que le
PCC, qui savait le désir de la plupart des Chinois de sortir du pays, avait à cœur de briser la
fascination qu’exerçait l’Occident sur les esprits en montrant les désillusions de ceux qui
s’étaient laissés aller à trop idéaliser l’Amérique.
En un mot, les nouvelles structures des programmes de la télévision chinoise, au
moment où elle intégrait l’économie de marché, laissaient coexister deux modèles
télévisuels contradictoires : une paléo-télévision qui maintenait la volonté de participer à la
formation de la société chinoise à travers des programmes contrôlés et une néo-télévision
qui fonctionnait selon la seule logique marchande.
Enfin, depuis le début des années 1990, la modification du langage télévisé en
Chine s’est accompagnée d’un processus de multiplication des chaînes et des heures de
programmes diffusés, ce qui a d’ailleurs incité les Chinois à regarder plus la télévision.
Ainsi, le petit écran a consolidé sa place vespérale dans la vie nocturne du peuple, qui s’est
laissé de plus en plus séduire par cette nouvelle culture du consumérisme, véhiculée par les
médias.
15
Nombre de chaînes de 1992 à 2003
2500
2194
2124
2001
2002
2262
2000
1500
1000
644
848
755
983
1032
1065
1108
932
1995
1996
1997
1998
1999
1206
500
0
1992
1993
1994
2000
2003
Source: tableau établi par l'auteur à partir des données fournies par «The evolution of TV programmes within the course of
TV and radio industrialization», 2007
Nombre d’heures de programmes diffusées par an, de 1996 à 2003
(en millions)
12
10,95
10,01
9,56
10
8
6
4
2,89
3,11
3,48
1996
1997
1998
3,98
4,34
1999
2000
2
0
2001
2002
2003
Source: tableau établi par l'auteur à partir des données fournies par «The evolution of TV programmes within the course of
TV and radio industrialization», 2007
La naissance puis le renforcement de grands groupes audiovisuels
Une multitude d’entreprises audiovisuelles ont été créées au cours du long
processus d’entrée de la télévision dans l’économie de marché. Ce phénomène s’était
accéléré dès la mise en place de la politique de la télévision à quatre niveaux en 1983.
Toutes ces entreprises et ces organismes, qui ont été officiellement rattachés aux bureaux
de l’audiovisuel de leur région, ont bénéficié en réalité d’une gestion assez libre et où les
impératifs commerciaux étaient respectés. L’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001 a fait
craindre au gouvernement chinois de perdre le contrôle des médias si l’approfondissement
de l’économie de marché s’accentuait trop dans ce secteur. Il est vrai que les capitaux
étrangers avaient depuis longtemps cherché à le pénétrer. C’est pourquoi le gouvernement
crut bon, à l’appui de mesures politiques de toute sorte, de regrouper les organismes et les
entreprises audiovisuelles par région en les mettant sous la tutelle d’un seul groupe dont les
dirigeants les plus élevés seraient des membres militants du PCC.
16
En 1998, le gouvernement central choisit Wuxi, une ville moyenne de la province
du Jiangsu pour tester la valeur du regroupement des organismes audiovisuels par région.
Le Bureau de la Radiodiffusion de Wuxi fusionna d’abord avec la Télévision de Wuxi et la
Radio de Wuxi pour constituer le Groupe audiovisuel de Wuxi. Les anciennes chaînes
câblées et hertziennes qui se concurrençaient entre elles à cause de la similitude de leurs
programmes se rassemblèrent puis se regroupèrent selon une nouvelle thématique des
programmes. Ainsi se constituèrent 6 nouvelles chaînes de télévision et 4 nouvelles
chaînes de radio thématiques. Ces dernières partagèrent un service commun pour tout ce
qui concernait la gestion administrative, financière, technique et la programmation. Ainsi,
huit nouveaux centres furent créés sous la tutelle du Groupe Audiovisuel de Wuxi qui était
par nature un organisme d’Etat. En revanche, le groupe put bénéficier également d’un
fonctionnement à caractère commercial car il dirigeait aussi huit entreprises dont l’activité
allait de la publicité à la production de films en passant par l’exploitation des réseaux et
des équipements de télécommunication. C’est pourquoi le Groupe Audiovisuel de Wuxi
connut 32% d’augmentation de son chiffre d’affaires, dont le montant s’éleva exactement à
185.8 millions de yuans lors de la première année de sa constitution en 1999.
17
Le Groupe Audiovisuel
de la ville de Wuxi
Centre de la
Radio
Centre de la
gestion financière
Centre télévisuel
de programmes
d’art et de sport
Entreprise de la
publicité
audiovisuelle
Centre de la
Programmation
Huit
centres
Centre du Service
technique
Centre télévisuel
de programmes
d’éducation
Centre du réseau
informatique
Centre des
programmes
d’information
télévisuelle
Entreprise de
production des
équipements
audiovisuels
Entreprise du
développement
audiovisuel
Entreprise de
l’exploitation
technique
audiovisuelle
Entreprise du
service logistique
de l’audiovisuel
Huit
Entreprise du
réseau audiovisuel
entreprises
Entreprise de
construction des
projets
audiovisuels
Entreprise de la
production des
œuvres
audiovisuelles
18
Cette première expérience de regroupement à Wuxi fut une telle réussite que le
gouvernement central décida d’imposer ce type de réforme dans toutes les régions. Le 17
septembre 1999, le Bureau des Affaires d’Etat, le ministère industriel des Informations et le
Bureau Général de la Radio, de la Télévision et du Cinéma signèrent ensemble une circulaire
dans laquelle l’idée de constituer des groupes audiovisuels régionaux était officiellement
inscrite. Par la suite, le document N°82, promulgué par le Bureau des Affaires d’Etat, devait
préciser les trois réformes essentielles à entreprendre par les organismes audiovisuels
régionaux. D’abord, cesser toute nouvelle construction de stations de télévision. Ensuite, pour
ce qui concerne les chaînes, ne plus se mêler de l’exploitation des réseaux de transmission
télévisuelle. De même, contenu et contenant devaient être séparés. Enfin, fusionner les
chaînes de radio, les chaînes de télévision hertziennes et celles qui étaient câblées au nom du
principe de l’unité provinciale.
Le document N°82 démontra que la constitution de ces grands groupes médiatiques
régionaux n’était pas une opération commerciale spontanée mais une décision politique en
vue de planifier le développement audiovisuel. Le Groupe Audiovisuel du Hunan en fut un
très bon exemple. On y notait la forte concentration des pouvoirs au sein du groupe dans la
mesure où les chefs du bureau de la direction générale étaient en même temps des dirigeants
du gouvernement local. Leur intervention directe dans les activités commerciales des
entreprises succursales du groupe, empêcha la libre concurrence entre les différents opérateurs
des médias locaux. C’est pourquoi les opérateurs de l’Internet du Hunan qui offraient la
télévision à bas prix sur l’Internet se trouvèrent obligés de cesser soudainement cette activité
sous la pression du Groupe Audiovisuel de la province. Ce dernier envisagea en effet d’y
étendre davantage le réseau de la télévision câblée. Le conflit qui en résulta, généra une lutte
très violente entre les deux camps. Tout cela finit par une répression armée. Et le
gouvernement local fut obligé faire une déclaration officielle en faveur du monopole des
opérateurs de câble dans le domaine de la télévision. De même, pour tout ce qui concernait
l’Internet, les opérateurs de ce secteur allaient, sur décision gouvernementale, être privilégiés
par rapport aux opérateurs de la télévision câblée.
Malgré les inconvénients économiques de ce monopole provincial, la télévision
provinciale du Hunan réussit toutefois à s’élargir au niveau national avec l’appui financier du
Groupe Audiovisuel du Hunan. Grâce au financement facilement alloué par le groupe, la
Télévision satellitaire du Hunan arriva à fabriquer des programmes et des feuilletons
populaires appréciés par un public très large, en particulier, les jeunes. « Le quartier général
des joies », « Rendez-vous en rose » firent la bonne réputation de la chaîne en matière de
19
divertissement, et cela dans le pays tout entier. Par la suite, le feuilleton « Princesse
Huanzhu » dont le scénariste était Mme Qiong Yao, écrivain taiwanais connue en Chine
continentale et dans la diaspora chinoise du monde entier, battit tous les records d’audience en
2000. Ce feuilleton fut rediffusé à de très nombreuses reprises par beaucoup d’autres chaînes
dans les années qui suivirent. Ainsi l’audience à l’échelle nationale des programmes produits
par la télévision par satellite du Hunan lui avait permis de sortir du cadre provincial. La
chaîne devint ainsi un concurrent direct de la CCTV, y compris dans le domaine de la
publicité.
20
Groupe Audiovisuel du Hunan
Station générale de la télévision du Hunan
La télévision du Hunan
La télévision économique du Hunan
La télévision par câble du Hunan
La radio populaire du Hunan
Entreprise du réseau Internet
Entreprise de production des feuilletons
Centre d’exploitation de la radio et de la
télévision du Hunan
Audiovisuel Medias Corp. Ltd.
Entreprise de l’édition musicale
Entreprise des équipements audiovisuels
Centre de formation de la radiodiffusion
Agence des comédiens
Le site Internet de la radio et de la
télévision du Hunan
Le studio cinématographique du Hunan
Le journal de la radio et de la télévision du
Hunan
Source : « A New Century of China Media Markets », Huang Shengmin (dir.), 2003
21
Par comparaison avec cette expérience menée dans la province du Hunan, la
constitution du Groupe audiovisuel à Shanghai (SMG : Shanghai Media Group) présente des
caractéristiques assez différentes, car il s’agit plus d’une réorganisation structurelle que d’une
réelle fusion économique. Le groupe fournissait un service commun à ses entreprises pour ce
qui concernait le droit des médias, la déontologie, la censure et les affaires sociales, etc. En
revanche, étant donné l’état de développement avancé de l’audiovisuel à Shanghai, le groupe
n’avait pas besoin d’entreprendre de gros projets de construction. La stratégie de la direction
générale du groupe s’inscrivait ainsi dans une logique qui était de favoriser la synergie entre
les différents acteurs et d’empêcher la baisse des prix qu’aurait pu provoqué la libre
concurrence dans ce secteur. Ceci dit, le monopole du secteur audiovisuel fut renforcé à
Shanghai comme dans le Hunan malgré un environnement régional différent. En effet, peu
après la constitution du Shanghai Media Group (SMG), on constata une augmentation de près
de 25% des tarifs publicitaires dans les chaînes de télévision de Shanghai. La réaction des
agences de publicité fut immédiate. Loin de montrer leur mécontentement, elles se
dépêchèrent de modifier leurs propres tarifs à la hausse. En revanche, les annonceurs
n’hésitèrent pas à montrer leur inquiétude devant la menace d’une éventuelle baisse de leurs
profits, la publicité devenant réellement trop chère. Pour ce qui concerne les entreprises de
production audiovisuelle, elles furent placées dans une situation encore pire puisque le groupe
leur achetait des programmes en contrepartie de temps de publicité. Or les prix qu’elles
étaient obligées de pratiquer avec les annonceurs les mettaient en situation de ne plus pouvoir
en trouver. Dans le même temps, les agences publicitaires du groupe pouvaient ainsi se rendre
totalement maîtres du marché publicitaire shanghaien. De manière contradictoire, dans cette
ouverture à l’économie de marché, le renforcement de ce groupe étatique amoindrissait en
définitive les chances de survie des entreprises privées. Aujourd’hui, SMG emploie 17 000
personnes et son capital fixe atteint pratiquement les 15 milliards de yuans.
22
Shanghai Media Group (SMG)
6 chaînes
Shanghai TV
Oriental TV
Shanghai Sat TV
Shanghai Cable TV
Shanghai Popular Radio
Oriental Radio
4 centres
Centre technique
Centre de gestion financière
Centre de programmation
Centre logistique
8 entreprises directement attachées
au Shanghai Media Group
5 Groupes
Shanghai TV & Movie
Yongle TV & Movie
Shanghai Radio TV & Film
developing Corp. Ltd
Oriental Pearls Corp. Ltd
Shanghai Catoon Pictures Compagny
Studio de doublage des films
étrangers
Shanghai Radio Orchestra
Shanghai Movie City
Shanghai TV News Exchange Center
TV & Radio Journal hebdomadaire
Bureau d’organisation des
évènements culturels avec l’étranger
Shanghai Opera
Shanghai International Meeting
Center
Source : « A New Century of China Media Markets », Huang Shengmin (dir.), 2003
Jusqu’à la fin de l’année 2003, on assista à la formation de 19 groupes audiovisuels. Un
seul se situait au niveau administratif central, 12 au niveau provincial, 7 au niveau municipal.
Par ailleurs, on créa 6 groupes cinématographiques qui reçurent le droit de produire des
programmes de télévision.
23
Date d’autorisation de
constitution du groupe
Niveaux
administratifs
Nom du groupe
Niveau central
China Radio, Television &
Movie Group
Hunan Radio, Television &
Le 7 novembre 2000
Movie Group
Beijing Radio, Television &
Le 8 janvier 2001
Movie Group
Shandong Radio, Television &
Le 15 janvier 2001
Movie Group
Shanghai Media Group
Le 22 février 2001
Jiangsu Radio, Television &
Le 12 avril 2001
Movie Group
Sichuan Radio, Television &
Le 23 août 2001
Movie Group
Zhejiang Radio, Television &
Le 8 novembre 2001
Movie Group
Chongqing Radio, Television &
Le 10 février 2002
Movie Group
Fujian Radio, Television &
Le 30 octobre 2002
Movie Group
Tianjin Radio, Television &
Le 27 mai 2002
Movie Group
Guangdong South Radio,
Le 28 novembre 2002
Television & Movie Media
Group
La station générale de la radio et
Le 24 mars 2004
de la television de Shanxi
Hangzhou Radio & Television
Le 24 septembre 2002
Group
Nanjing Radio & Television
Le 24 septembre 2002
Group
Changsha Radio & Television
Le 4 novembre 2002
Group
Ningbo Radio & Television
Le 28 janvier 2003
Group
Shenzhen Radio & Television
Le 9 décembre 2003
Group
Xiamen Radio & Television
Le 24 novembre 2003
Group
Wuxi Radio & Television Group 1998
Les six groupes de studios cinématographiques
Groupe cinématographique de
Chine
Groupe cinématographique de
Shanghai
Groupe cinématographique de
Changchun
Groupe cinématographique
Le 31 mai 2002
Xiaoxiang
Groupe cinématographique de
Le 15 mai 2002
l’Ouest
Groupe cinématographique Emei Le 23 mai 2003
Niveau
provincial
Niveau
municipal
Date d’inscription du
groupe au bureau
d’Industrie et de
Commerce
Le décembre 2001
Le 27 décembre 2000
Le 28 mai 2001
Le 19 janvier 2001
Le 19 avril 2001
Le 28 septembre 2001
Le 26 décembre 2003
Le 26 décembre 2001
Le 8 février 2004
Le 28 octobre 2002
Le 18 janvier 2004
Le 16 octobre 2002
Le 17 décembre 2002
Le 25 janvier 2003
Le 28 mars 2003
Le 4 février 1999
Août 2001
Décembre 1998
Le 9 juin 2003
Le 11 novembre 2003
Source: Annuaire de la radio et de la télévision, 2004
24
Ainsi, l’année 2004 peut à juste titre être considérée comme celle qui a marqué
l’achèvement sinon la maturité de la télévision chinoise. Cette maturité a été obtenue grâce
d’abord à l’introduction d’une technologie nouvelle, celle du câble, à laquelle est venue
s’ajouter celle plus révolutionnaire de l’autorisation de la publicité. La formation qui s’en est
suivie de grands groupes audiovisuels comparables en tous points à ceux qu’ont peut trouver
dans les pays capitalistes libéraux, illustre parfaitement bien la réussite de l’économie
socialiste de marché en matière audiovisuelle. Dans ce domaine comme dans d’autres, elle a
généré des taux de croissance tout compte fait assez hallucinants.
En 2004, la télévision chinoise était donc une réussite économique réelle. Mais il reste
que politiquement parlant, cette même télévision est encore de nos jours totalement contrôlée
par le PCC. Cela a eu pour conséquence que jusqu’à aujourd’hui, elle n’a pas pu jouer un rôle
véritable dans le processus de démocratisation du pays. En effet, les classes moyennes qui
sont en train de se créer ou de se reconstituer en Chine semblent avoir abandonné l’espoir de
voir la télévision se libéraliser d’autant que les élites du pays la regardent souvent très peu.
Dans l’avenir, le seul média susceptible d’aider à créer une opinion publique capable de
critiquer les autorités et de s’opposer valablement à la politique gouvernementale est sans
contredit l’Internet. L’importance des moyens mis en oeuvre par le PCC pour contrer ce
nouvel ennemi potentiel permet d’en mesurer le degré de dangerosité aux yeux des dirigeants
actuels de la Chine.
25