L`enquête qualitative / Maison du fleuve Rhône

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L`enquête qualitative / Maison du fleuve Rhône
BASSIN RHÔNE-MÉDITERRANNÉE
Le risque inondation dans la vallée du Rhône :
postures riveraines du Haut-Rhône au delta.
Série d’entretiens qualitatifs, complémentaires à l’enquête réalisée
par l’agence BVA.
Février 2007
Chargée d’étude : Karin Tröger
Maison du fleuve Rhône
1 place de la Liberté – 69700 Givors
www.maisondufleuverhone.org
Sommaire
Introduction ------------------------------------------------------------------------------------ 4
La culture du risque au cœur de la démarche préventive ----------------------------------------- - 4
Méthodologie de l’enquête -------------------------------------------------------------------------- - 6
Partie 1 – Pas du tout, un peu, beaucoup… Des perceptions contrastées du risque-- 10
1 – Vous avez dit risque ? -------------------------------------------------------------------------- 11
1.1 Risque méconnu, risque raillé, risque dénié ------------------------------------------ 11
1.2 Le mythe du barrage protecteur------------------------------------------------------- 14
1.3 Chimie, tempête… des risques bien plus redoutés------------------------------------ 15
2 – Le risque, oui, mais… --------------------------------------------------------------------------- 19
2.1 La crue, un phénomène linéaire ? ----------------------------------------------------- 19
2.2 Se protéger, pourquoi faire ? ---------------------------------------------------------- 22
2.3 La fierté du Rhodanien ----------------------------------------------------------------- 27
3 – Le risque, je le mesure, je m’en protège ------------------------------------------------------ 30
3.1 L’événement révélateur ---------------------------------------------------------------- 31
3.2 L’action collective… à durée limitée ? ------------------------------------------------- 33
4 – Regard croisé : du sentiment de vulnérabilité à la réduction des impacts------------------- 36
4.1 Variations spatiales et temporelles du sentiment de vulnérabilité------------------- 36
4.2 De l’exposition à la protection ? ------------------------------------------------------- 37
Résumé de la partie 1 – Trois postures identifiées ------------------------------------------------ 39
Partie 2 – le territoire, point d’ancrage de la culture du risque------------------------- 40
1 – Culture du risque, culture locale ou culture du fleuve ? -------------------------------------- 41
1.1 Vivre en zone inondable, une aubaine… ou un piège--------------------------------- 41
1.2 L’espace social de concrétisation du risque ------------------------------------------- 44
2 – L’acceptabilité du risque en question ---------------------------------------------------------- 56
2.1 La Confédération des riverains du Rhône et de ses affluents ------------------------ 56
2.2 Besoins implicites, attentes explicites ------------------------------------------------- 62
2.3 L’acceptabilité du risque en portraits-------------------------------------------------- 68
Résumé de la partie 2 – Risque et territoire ------------------------------------------------------- 71
Partie 3 – Recommandations en faveur de dispositifs de communication opérants -- 72
1 – État des lieux de la « culture du risque » : rappel des enseignements significatifs --------- 73
1.1 Vulnérabilité et conscientisation du risque -------------------------------------------- 73
1.2 Acceptabilité du risque fortement territorialisée-------------------------------------- 74
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2 – Identifier les composantes homogènes au plan stratégique ---------------------------------- 75
2.1 Des sous-secteurs géographiques ----------------------------------------------------- 75
2.2 Des expériences territoriales structurantes ------------------------------------------- 77
2.3 Des situations vécues ------------------------------------------------------------------ 78
3 – Identifier les relais agissants ------------------------------------------------------------------- 79
3.1 Relais auprès de la population locale-------------------------------------------------- 79
3.2 Relais à destination des acteurs institutionnels et économiques -------------------- 81
Conclusion ------------------------------------------------------------------------------------ 83
Repères bibliographiques ------------------------------------------------------------------- 85
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Introduction
Dans la perspective d’un Plan Rhône décliné à l’échelle du bassin versant, l’enquête
qualitative commanditée par la DIREN de bassin – Mission Rhône s’inscrit dans une phase
d’état des lieux des représentations, connaissances, positionnement et attentes des riverains
implantés sur les zones inondables.
La « culture du risque » au cœur des démarches préventives
Le contexte du Plan Rhône
Le fleuve Rhône et sa vallée constituent une entité territoriale spécifique, dont les enjeux
dépassent le seul cadre régional. C’est par le partenariat constant depuis 2004 entre l’État, le
comité de bassin et les trois Régions concernées sur le bassin rhodanien (Rhône-Alpes,
Provence Alpes Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon), puis élargi en 2006 avec les Régions
Bourgogne et Franche-Comté, ainsi que la Compagnie Nationale du Rhône, que le projet
« Plan Rhône » a été élaboré.
Validé le 6 mars 2006 par le Comité interministériel à l’Aménagement et à la Compétitivité
des Territoires (CIACT), le Plan Rhône ambitionne la fédération des ressources, des acteurs
et des actions autour d’une politique globale de développement durable, reliant le fleuve, sa
vallée, ses habitants et les multiples composantes des territoires.
Parmi les programmes les plus avancés à ce jour, la problématique « inondations » figure au
premier chef des préoccupations partagées par les collectivités territoriales, tant les crues de
2002 et 2003 se sont révélées dommageables pour une part importante du sillon rhodanien.
Face à de tels ravages, la « stratégie globale de prévention des risques inondation sur le
fleuve et ses affluents » s’est rapidement imposée, demandant en pré-requis d’en définir les
principes avec les acteurs institutionnels, économiques et associatifs agissant sur les
territoires.
La mise en place en 2005 des Comités Territoriaux de Concertation (CTC) du Rhône amont,
du Rhône moyen et du Rhône aval s’inscrit directement dans la volonté d’impliquer les
acteurs locaux et les habitants dans la lutte contre les inondations. Le dispositif de
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concertation a été conçu pour permettre à chacun de devenir « acteur face au risque »
comme le préconise la « loi risques » de juillet 2003.
Un objectif stratégique : raviver la culture du risque rhodanienne
Au sein de la stratégie globale de prévention, le volet « information et culture du risque » se
préoccupe tout particulièrement des populations vivant en zone inondable : comment rendre
les riverains exposés aux aléas acteurs de la prévention et de la gestion du risque ?
Comment améliorer les outils de communication à destination du grand public et développer
une « culture du risque » opérante ?
En préalable à la conception de dispositifs de sensibilisation-communication, et face à
l’importance des enjeux, il s’agit de mieux connaître les profils des riverains, leur rapport au
risque et d’identifier, autant que possible, dans quelle mesure la notion de culture du risque
est bien relayée sur le terrain : état et transmission de la mémoire des inondations, savoirs
riverains, conscience de la vulnérabilité, pratiques de réduction des impacts.
Questionnaire quantitatif et entretiens qualitatifs : deux approche complémentaires
À la faveur de telles interrogations, la DIREN de bassin a engagé la réalisation d’une enquête
téléphonique conduite par l’agence BVA au cours du premier trimestre 2006. 3807 habitants
de communes soumises au risque inondation ont ainsi été questionnés, de la frontière suisse
à la Méditerranée.
D’un instantané de la « culture du risque » à l’échelle du bassin rhodanien, il ressort une
meilleure appréhension des profils socio-économiques, des degrés de conscientisation du
risque, des connaissances sur les outils de prévention, prévision et gestion du risque
inondation, ainsi que des mesures individuelles de protection de l’habitat.
Le travail confirme par ailleurs la pertinence d’une approche territorialisée (Haut-Rhône,
Rhône dans l’agglomération lyonnaise, Rhône moyen, Rhône aval) et le besoin d’information
des populations, en particulier concernant les systèmes de prévision-annonce des crues et
les politiques publiques menées sur le risque inondation.
Néanmoins, l’outil quantitatif, s’il a de nombreux atouts, révèle ses limites dès lors que l’on
tente d’approfondir certains thèmes (réseaux de sociabilité, contexte social et culturel,
expérience personnelle, moteurs de la prise de conscience du risque…) ou d’expliciter les
paradoxes apparents. Ainsi, parmi les réponses attachées aux stratégies de protection, 81 %
des riverains des zones inondables ont déclaré ne prendre aucune mesure à titre individuel,
48 % précisant ne pas se sentir concernés. Comment apprécier de tels résultats ? Sont-ils
révélateurs d’une déresponsabilisation citoyenne face au risque ?
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Pour se prémunir de toute interprétation hâtive, l’idée d’une approche complémentaire au
sondage a émergé, afin d’adjoindre une vision qualitative à l’état des lieux « culture du
risque ». La commande de la DIREN de bassin auprès de la Maison du fleuve Rhône visait
donc à mieux comprendre le rapport qu’entretiennent les populations des zones inondables
avec le risque inondation, et plus généralement le fleuve. Les situations vécues selon le
degré d’exposition à l’aléa doivent permettre d’affiner la question de la culture du risque.
Méthodologie de l’enquête
Vulnérabilité et acceptabilité du risque
Le travail méthodologique s’est organisé autour de deux notions fondamentales :
vulnérabilité et acceptabilité du risque, point de départ à l’élaboration de la grille d’entretiens
qualitatifs.
En premier lieu, a été émise l’hypothèse d’une prégnance du sentiment de vulnérabilité, au
fondement de la conscientisation du risque. De là, nous nous sommes interrogés sur le
passage de la prise de conscience à une véritable responsabilisation qui se traduirait par une
série de pratiques riveraines de réduction de la vulnérabilité (amélioration de la
connaissance, protection de l’habitat ou de la structure professionnelle).
Quelle réalité conférer à la culture du risque ? Quels savoirs et savoir-faire se déclinent au
long du linéaire fluvial ? Quels sont les moteurs de l’implication individuelle dans la
prévention-prévision du risque ? Quel rôle jouent les réseaux de sociabilité ? Quels manques
et quels besoins peuvent être identifiés ?
Autant de questionnements qui ont conduit à concevoir une grille d’entretiens souple,
adaptable aux multiples situations et personnalités rencontrées du Haut-Rhône au delta, des
riverains attentifs au risque jusqu’aux habitants dénués de toute connaissance sur la
problématique fluviale.
Au lieu de questions précises et cadrées, nous avons préféré construire un guide d’entretiens
semi-dirigés (d’une durée de 45 mn à 1h30, selon les cas et la disponibilité des enquêtés) et
orienté sur des thèmes larges, ajustés en fonction de la situation d’entretien.
Outre la question fluviale, il nous a semblé intéressant de cerner la perception des autres
risques naturels ou technologiques et le degré de vulnérabilité à cet égard ; le parallèle ainsi
établi devant permettre, en creux, de mieux mesurer la place réellement occupée par le
risque inondation sur un territoire donné.
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En pratique, la réalisation d’une pré-enquête auprès d’une dizaine de personnes sur le Rhône
moyen visait à tester la pertinence de la grille d’entretiens et de la compléter au regard des
premiers résultats. Par la suite, quand les interlocuteurs n’avaient aucune conscience de leur
exposition au risque inondation – en particulier sur l’agglomération lyonnaise –, la
présentation des cartes de l’aléa par secteur a offert l’opportunité de réactiver des entretiens
quelque peu « poussifs » jusqu’alors.
Thématiques traitées
>> Rapport au fleuve : perception de l’environnement fluvial (agrément, menace,
indifférence), usages personnels, motivation de l’installation sur ses rives.
>> Sentiment de vulnérabilité : connaissance de la localisation en zone inondable, expérience
des inondations, dommages sur le lieu de vie ou de travail, impacts économiques et
indemnisation.
>> Protection individuelle : aménagements extérieurs/intérieurs réalisés ou programmés,
indices et repères de crue, garantie d’assurances, modifications du comportement après
expérimentation des crues.
>> Connaissance, information, surveillance du fleuve : origine des crues, fonctionnement et
gestion du fleuve, législation et outils réglementaires/préventifs relatifs au risque inondation,
perception des mesures adoptées sur le territoire, accès à l’information.
>> Réseaux de sociabilité : relations engagées sur la commune, évocation du fleuve et des
crues, crédit accordé à certains types d’informateurs sur la question, participation aux
réunions publiques, engagement associatif ou dans la vie locale.
>> Autres thèmes : perception des autres risques, vision de l’avenir du territoire, notion de
solidarité autour du fleuve.
Choix de l’échantillon de population
De manière à distinguer ce qui relève de l’habitat et ce qui tient à l’activité économique et au
service public en zone inondable, le choix de la population-cible s’est basé sur deux critères :
d’une part les habitants, d’autre part les personnes en situation de responsabilité (activité
économique tertiaire, industrielle ou commerciale ; institutions accueillant du public).
Précisons que l’option retenue a été d’écarter les représentants des collectivités (élus ou
techniciens) pour mieux cibler la dimension civile du rapport au risque. Néanmoins, la sphère
publique a été approchée par deux occasions : soit par quelques entretiens téléphoniques
quand le contexte local demandait d’être éclairé en certains points (PPRI ou modes de
diffusion de l’information), soit lorsqu’un élu était responsable de l’institution enquêtée ou
interrogé en sa qualité d’habitant.
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>> Habitants : 41 entretiens
Résidents (dont agriculteurs, néo-riverains, membres de la Confédération des riverains du
Rhône…) déjà atteints ou non par des inondations.
>> Personnes à situation de responsabilité : 21 entretiens
Dirigeants et/ou responsables de la sécurité ou de l’administration de :
- Établissements accueillant du public (crèches, écoles, collèges, lycées, structures
muséales).
- PME-PMI.
- Structures commerciales et touristiques (campings, hôtels, restaurants, commerces).
Secteur
Haut-Rhône
Population
Agglo
Rhône
Rhône
Total/
Lyon
moyen
aval
population
9
18
Riverains inondés
4
1
4
Riverains non inondés
3
8
3
Agriculteurs inondés
4
1
3
Institutions inondées
2
Institutions non inondées
4
1
9
1
3
3
Entreprises inondées
1
Entreprises non inondées
2
3
1
16
17
14
Total / secteurs
14
7
4
5
6
15
62
Sectorisation de l’enquête
Plutôt que suivre précisément la délimitation
géographique du sondage BVA, une ré-orientation de la
sectorisation de l’enquête s’est opérée à partir des
premières interrogations. Afin de mieux mesurer le
rapport entre sentiment de vulnérabilité et acceptabilité
du risque, il est apparu plus judicieux d’élargir la vision
strictement amont-aval à celle de la prégnance des
inondations.
Ainsi, trois terrains d’enquête ont émergé :
>> Un secteur n’ayant pas connu d’inondation depuis
environ 50 ans : l’agglomération lyonnaise.
>> Un secteur ayant connu des inondations il y a au
moins 20 ans : le Haut-Rhône (crue de 1990).
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>> Un secteur ayant connu des inondations il y a moins de 5 ans : Rhône moyen et aval, de
Vienne au delta (crues de 1993, 1994, 2002, 2003).
De là, et suite à la pré-enquête démarrée sur le Rhône moyen (investigation élargie à
différents bourgs et villes), chaque secteur a fait l’objet d’une identification d’un nombre
restreint de communes, parmi les plus pertinentes sur la question ou les plus susceptibles de
favoriser la démarche d’enquête par le repérage de réseaux actifs.
Le principe de sectorisation de l’enquête par récurrence des inondations partait de
l’hypothèse d’un lien entre sentiment de vulnérabilité et distance dans le temps de
l’événement inondation.
Concernant l’agglomération lyonnaise, le choix s’est porté sur les communes et quartiers les
plus exposés au risque (Vaulx-en-Velin, Oullins/Pierre-Bénite, Gerland et Vaise en bord de
Saône), dans l’objectif de repérer de possibles distorsions du sentiment de vulnérabilité au
cœur d’une ville traversée par deux fleuves.
Note méthodologique
Soucieux de restituer le plus fidèlement possible le point de vue des habitants, les paroles
sont retranscrites telles qu’énoncées sur le mode oral, suivant les préceptes de l’enquête
ethnologique.
Au long rapport, l’expression « néo-riverain » vise à distinguer les habitants récemment
installés en zone inondable (novices dans l’expérimentation de la crue) de ceux qui ont déjà
subi le phénomène et/ou de longue date implantés sur le secteur d’enquête.
Concluant plus de trois mois de terrain et des rencontres enrichissantes avec des riverains
aux profils variés, le présent rapport égrène, au fil du Rhône et des multiples facettes de la
relation homme et fleuve, les représentations et les attitudes les plus éclairantes des formes
d’appropriation du risque inondation.
Une première partie dressera un panorama des différentes postures observées, interrogeant
les réalités conférées au sentiment de vulnérabilité et à l’appréhension de l’aléa.
En second lieu, prenant en considération la dimension territoriale au cœur du processus, les
questions de culture du risque et d’acceptabilité de celui-ci seront examinées, avant
d’identifier les attentes exprimées en matière d’information.
Enfin, partant des enseignements de l’enquête, il sera temps de décliner une série de
recommandations à visée opérationnelle, susceptibles de contribuer à mieux orienter la
stratégie de communication et de sensibilisation au plus près des préoccupations riveraines.
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Partie 1 – Pas du tout, un peu, beaucoup…
Des perceptions contrastées du risque
Quelles sont les différentes postures rencontrées dans le rapport des individus au risque
inondation ?
L’approche par les représentations sociales, qui recouvre modes de perception et attitudes,
transcende les approches plus classiques par zones géographiques ou catégories d’enquêté
(ici riverain, agriculteur, institution, entreprise). Si celles-ci participent largement des modes
de représentations, d’autres facteurs entrent en ligne de compte dans la relation entretenue
avec le risque inondation, tels que le degré d’expérimentation, l’ancienneté de l’habitat, la
spécificité du fleuve, les réseaux de sociabilité, etc. Une relation somme toute singulière,
chaque personne se forge sa propre perception en fonction de sa trajectoire personnelle.
Difficile, le temps d’un rapport, d’esquisser autant de monographies qu’il existe de
positionnements individuels sur la question du risque inondation. Aussi, avons-nous identifié
trois types de postures, parmi les plus représentatives. Une telle catégorisation peut paraître
caricaturale ou donner l’impression de figer des individus dans une attitude définitivement
acquise. Bien entendu, chaque catégorie appelle la nuance et, par ailleurs, correspond à des
situations auxquelles les riverains sont confrontés à l’instant T de l’enquête, leurs
représentations du risque pouvant évoluer au gré de leur parcours ou de leur
expérimentation des inondations.
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Partie 1 – Des perceptions contrastées du risque
1 - Vous avez dit risque ?
De la méconnaissance, voire de la totale ignorance, jusqu’au déni du risque inondation,
autant de perceptions qui se recoupent en une première catégorie. Si elle est le fait de
personnes faiblement exposées aux phénomènes de crue, généralement habitantes ou
représentantes d’institutions au cœur des agglomérations protégées de longue date (Lyon,
Vienne, Valence…), il arrive que des riverains situés sur des zones plus sensibles rejoignent
cette posture. Presque un tiers de la population interrogée rallie cette première attitude.
1.1
Risque méconnu, risque réfuté, risque raillé
Si la campagne d’entretiens a rarement été confrontée à un déni avoué, un certain nombre
de signaux laissent à penser que, implicitement, le refus d’envisager le risque inondation sur
un territoire donné existe bel et bien. À titre d’exemple, évoquons cette mairie de
l’agglomération lyonnaise (commune identifiée en tant que zone à risque), dont le service
concerné s’est révélé fort peu coopératif dans la démarche d’enquête, affirmant n’avoir pas
de temps à perdre avec la question du risque inondation, qui ne serait qu’une lubie des
services de l’Etat.
On sait également que les communes du Grand Lyon communiquent à ce jour très peu sur le
DICRIM et le PPRI∗ en attente d’approbation (et bien souvent les techniciens territoriaux
méconnaissent eux-mêmes la nature du risque), à l’exception de Vaulx-en-Velin qui a
organisé une réunion publique au printemps 2006. Cette rencontre a suscité des débats
houleux parmi les habitants des quartiers proches de la digue, en raison du gel des
constructions sur un périmètre restreint. Nous aurons plus tard l’occasion de revenir sur ce
point particulier.
Enfin, et nous détaillerons plus avant cette question (voir partie 2, p. 50), soulignons la très
faible implication – le plus souvent inexistante – des autorités de tutelle des institutions
rencontrées (crèches, établissements scolaires, structures muséales) quant aux procédures
de prévention du risque : Inspections académiques, Région, Préfecture, etc.
∗
DICRIM : Document d’information communal sur les risques majeurs.
PPRI : Plan de prévention du risque inondation.
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La découverte de l’inondabilité
Attachons-nous pour l’instant aux personnes (habitants, agriculteurs, représentants
d’institutions ou d’entreprises) qui méconnaissent le risque auquel ils peuvent être exposés.
Pour une grande part, il s’agit de riverains en milieu urbain dense n’ayant pas subi
d’inondation depuis plusieurs décennies, qui, parfois, apprennent au moment de l’enquête
leur localisation
en zone inondable. Certains se montrent sceptiques quant à la probabilité d’une inondation,
d’autres en prennent conscience au cours de l’entretien, mais tous avouent n’y avoir
jusqu’alors porté aucune attention.
« C’est vous qui m’avez dit que j’étais en zone inondable… À ma connaissance, on n’a jamais eu
d’inondation ici depuis 30 ans. Franchement pour nous ce n’est pas une inquiétude,
historiquement ce coin n’a jamais été inquiété par les inondations. (…) Franchement, moi je ne
me suis jamais posé la question des inondations, et je ne pense pas que ça arrivera un jour. »
(Directeur d’un hôtel, Valence)
« J’ai regardé mon bail du coup, après votre appel, mais je n’ai rien vu de noté, peut-être parce
que je ne suis qu’en location, mais c’est vrai qu’ici on ne peut pas occuper les caves justement
parce que c’est inondable. En venant ici, ça m’a effleuré l’esprit que ça pouvait inonder, mais
sans plus. Moi je n’imagine pas que ça puisse inonder ici, le quai est tellement en hauteur par
rapport à la Saône, peut-être un peu par infiltration au niveau des caves, mais jamais jusqu’au
RDC. Donc non, pour moi, ce n’est pas un risque, pas réellement. » (Mme K, Lyon Vaise)
« Ah non, pas du tout, je n’ai eu aucune information sur les inondations, mais je me demande
comment une mairie peut construire une crèche sur une zone exposée au risque, peut-être
qu’elle ne le savait pas à ce moment-là ? (…) Ca me semble assez improbable quand même, en
fait moi ça me fait rire, parce que même si sur une carte on est en zone inondable, avant que
l’eau vienne jusqu’au bâtiment, ou même jusqu’à la rue, il y a quand même beaucoup de
constructions avant nous. » (Directrice d’une crèche, Lyon)
Dans la même veine, le risque inondation fait clairement partie d’un passé révolu, celui d’un
Rhône non régulé par les barrages, dont les visites régulières relèvent aujourd’hui du folklore
– la barque en serait le symbole -, empreint d’une véritable culture du risque.
« Quand j’étais jeune, j’ai vu cette rue inondée avec des barques et des gens dedans, j’ai connu
ça, ça devait être autour des années 50, par là. C’était des grosses inondations, mais les gens
avaient l’habitude, ils le prenaient bien, une fois par an ils étaient inondés, ils le savaient. Mais
ici c’était inondable quand il n’y avait pas de barrage (…). Je pense qu’il faudrait une sacrée
inondation quand même pour qu’on ait de l’eau ici. » (Mme P, Vienne)
« Moi je suis ancienne vaudaise, il y a des cartes postales où on voit Vaulx-en-Velin inondé, on
voit les gens en barque, c’était dans les années 50 (…) On le savait, mais ça ne veut pas dire
qu’on pensait vraiment être dans une zone inondable en fait. » (Mme I, Vaulx-en-Velin)
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Un risque hautement improbable
Certains riverains de zones impactées plus récemment par les inondations, sans avoir été
personnellement touchés, se positionnent malgré tout dans un rapport de déni du risque.
« Si je parle d’un risque inondation au personnel, ils vont être hilare, ils vont me rire au nez !
En plus, si on parle de mesures de protection, alors que la probabilité est tellement faible, moi
en tant que responsable, je vais passer pour un emmerdeur. » (Responsable technique d’une
structure publique, Rhône moyen)
La réfutation du risque peut aller jusqu’à la raillerie (« ça me fait rire », « le personnel va
être hilare »…) tant il paraît improbable, à l’image d’un directeur de structure qui compare le
risque inondation – plus particulièrement dû à une rupture de digue - à la chute d’astéroïde.
Une telle dérision traduit bien le sentiment généralisé de protection au sein des zones
urbaines, une protection absolue qu’il ne s’agirait pas de remettre en cause, dès lors que le
fleuve est un espace maîtrisé. La notion d’urbanité, dans son rapport à la nature, est de
première importance : la relation ville-fleuve ne saurait être qu’agréable, à des fins
d’agrément, quand le fleuve menaçant serait le « sauvage » aux portes de la cité :
« J’ai l’impression qu’on est protégé par la présence de la ville en fait. Pour moi, la Saône est en
ville, donc elle n’est pas sauvage. C’est bête en fait, je ne m’étais pas posé la question de
l’inondation parce qu’elle traversait une ville.» (Mme L, Lyon Vaise)
Enfin, le déni du risque se lit aussi comme une tentative de préserver ses acquis immobiliers,
en dépit des dires des experts sur la question :
« Pourquoi parler des inondations alors que personne n’est sûr que ça peut arriver ? C’est
comme les rumeurs, ça se propage vite et ça crée pas mal de problème. Heureusement que les
gens ne voient pas ces cartes de zone inondable, qu’ils ne s’en rendent pas compte, parce qu’il
n’y aurait plus de vente nulle part ! Si les gens s’affolaient avec ça, ça mettrait en l’air pas mal
de vente si ça se divulgue trop. » (M. O, Oullins)
« Après la digue, l’eau n’est plus jamais arrivée, avec la digue ce n’est plus inondable. Donc moi
j’en pense beaucoup de mal du projet PPRI, parce que j’aurai bien aimé vendre une parcelle qui
est touchée par ça, sur la bande de 100 m. où toute construction est interdite (…) Les
ingénieurs nous ont expliqué pourquoi, mais c’est leur avis, ils s’appuient sur des données
informatiques, on ne peut pas les contrer… Mais le fleuve il est bien maîtrisé maintenant. »
(Agriculteur E, Vaulx-en-Velin)
Ici, la crainte d’une dévalorisation des biens – voire d’un gel total des ventes de terrains - se
traduit par une incompréhension face aux pressions imposées par les documents
d’urbanisme. On juge la logique de survalorisation du risque, qui nierait de fait la protection
induite par les aménagements du fleuve. Que ce soit en matière de foncier, de
développement économique ou de préconisations techniques de réduction de la vulnérabilité,
le PPRI est dès lors mesuré sous le seul angle de la contrainte, et non dans sa dimension
préventive. Ainsi, citons ce dirigeant d’entreprise sur le Haut-Rhône :
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« Nous en étant à une cote centennale, on ne risque pas grand-chose parce que la cote date de
la crue de 1944, avant tous les aménagements, donc on ne devrait pas connaître une crue aussi
importante, et celle de 90 était inférieure à 44. (…) Le PPRI, oui ça nous gêne, parce que par
exemple, on a voulu fermer les quais de chargement pour que les salariés ne prennent pas la
pluie, et le PPRI nous a été refusé parce que le quai était en zone inondable, et ça a été une
bagarre incroyable juste pour arriver à barder le quai pour des raisons d’hygiène et de sécurité,
même pas pour construire quelque chose. Alors oui, le PPRI freine l’implantation de nouvelles
entreprises, c’est sûr. » (Directeur des services généraux d’une PMI).
1.2
Le mythe du barrage protecteur
Le fleuve domestiqué, le fleuve régulé, le fleuve maîtrisé… L’idée d’une protection presque
absolue par les aménagements fluviaux (auxquels il conviendrait d’ajouter les infrastructures
routières) semble bien le dénominateur commun des riverains inscrits dans cette première
catégorie. Pourtant, et loin s’en faut, elle ne leur est pas spécifique, puisque nous verrons
plus loin que la question des aménagements est également invoquée – bien que nuancée –
par ceux qui ont déjà vécu une inondation.
Pour beaucoup, le barrage s’impose au premier chef des moyens de lutte contre les
inondations : comment l’agglomération lyonnaise, jusqu’au Rhône moyen, pourrait connaître
des épisodes d’inondation alors qu’une série de barrages en amont protège le secteur ? Par
une crue exceptionnelle ? Mais, du point de vue de ces riverains, c’est bien justement le rôle
du barrage de réguler les crues, et ce quel que soit leur débit. L’argument phare s’attache à
un passé inondant (les années pré-aménagements) et un présent totalement affranchi du
risque. Surtout que les aménagements hydroélectriques se complètent de dispositifs jugés
efficaces, telles que les plaines d’expansion des crues et les autoroutes qui corsètent les
agglomérations.
« On a quand même des barrages avant de nous atteindre, j’imagine que les barrages en amont
de Valence servent aussi à réguler le débit du Rhône, on connaît ce fleuve, on sait comment il
réagit, et on a l’autoroute entre le fleuve et nous. » (Directeur d’un hôtel, Valence)
« On fait confiance aux aménagements du Rhône, le barrage, les lônes qu’on a séchées, donc
on a confiance (…) Avec les barrages, vous savez on est quand même bien à l’abri de ce risque,
si on est inondés, ça voudrait dire que le barrage de Pierre-Bénite a explosé… qu’il y a eu un
attentat par exemple. » (Directrice d’un établissement scolaire, Vienne)
« En 14 ans, c’est arrivé seulement que deux fois que le Rhône est monté un peu, et ça n’a
n’avait pas inondé en bordure. Et c’est parce qu’on a le barrage de Pierre-Bénite qui régule, qui
empêche les inondations à Lyon, et même par infiltration, ici on est protégé par l’autoroute,
donc l’eau elle ne viendra pas… Si des malins ont décidé que ça pouvait arriver, moi ça me fait
doucement rigoler. Ce serait vraiment un scénario catastrophe, ça veut dire que plus haut, dans
toute la plaine de l’Ain, tous les champs seraient inondés et que Lyon serait comme un grand
lac… non, ce serait vraiment, vraiment exceptionnel. » (M. O, Oullins).
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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En fin de compte si, malgré tout, un événement de grande ampleur devait se produire, il
relèverait d’un véritable cataclysme, du « jamais vu » dépassant tout entendement,
imputable soit à des conditions climatiques proprement exceptionnelles, soit à une rupture
de barrage due à la malveillance humaine.
Enfin, sur l’agglomération lyonnaise, l’une des interrogations initiales concernait la différence
de perception entre riverains du Rhône et riverains de la Saône. Nous pensions que les
habitants de Vaise seraient plus attentifs au risque de crue, dans la mesure où le caractère
inondant de la Saône se révèle plus fréquemment. Or, l’enquête démontre – sur un faible
échantillon toutefois – qu’une telle distinction reste somme toute relative.
Parmi les quatre personnes rencontrées sur le quartier de Vaise, deux d’entre elles n’ont pas
de réelle conscience du risque inondation, tandis que deux le mesurent, mais de façon
limitée (ordre de crue décennal au maximum) et uniquement parce qu’elles ont récemment
été confrontées à une crue. Une habitante reconnaît ne s’être jamais posé la question et se
sent protégée par les quais surélevés ; une directrice de crèche se souvenait, avant sa prise
de fonction, de routes inondées sur le secteur mais avoue avoir totalement mis de côté cette
donnée, d’autant que sa direction ne l’a jamais informée du caractère inondable de
l’établissement.
1.3
Chimie, tempête… des risques bien plus redoutés
Là encore, nous traitons un point non spécifiquement attaché aux riverains qui
méconnaissent le risque inondation. Le sentiment vis-à-vis des autres types de risque, qu’ils
soient naturels ou technologiques, est largement partagé par une majorité des personnes
rencontrées sur l’ensemble du bassin rhodanien, à l’exception des riverains les plus
fortement atteints par les inondations, en partie avale.
Cependant, la prégnance des autres risques est d’autant plus marquée que l’on n’a jamais
expérimenté le phénomène de crue, ou de manière très modérée. Ce thème s’est
notamment révélé, au cours des entretiens, quand il a été demandé à l’enquêté de situer le
risque inondation et les autres risques sur une échelle de 1 à 10, en termes de probabilité et
de dangerosité.
À titre d’illustration, citons ce représentant d’institution qui ne perçoit pas l’inondation
comme un risque en soi, dans la mesure où il le compare aux risques qui imprègnent plus
fortement son activité :
« Pour moi ce n’est pas un risque dans la mesure où s’il y avait une inondation aujourd’hui ce
serait vraiment exceptionnel, et même improbable. Pour la moi la notion de risque exceptionnel
et de risque quotidien c’est vraiment important, l’incendie c’est un risque quotidien, l’inondation
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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ou l’attentat, c’est un risque exceptionnel. C’est comme la chute d’astéroïde, c’est une chance
infime, même si ça peut arriver.» (Directeur d’une institution, Vaulx-en-Velin)
Loin d’être un cas unique, son point de vue rejoint celui de la plupart des institutions ou des
entreprises rencontrées, dont l’appréhension des risques dépend directement du degré
d’exposition, de l’expérimentation, de l’impact humain, et notamment des directives données
quant à la gestion interne des risques.
Technologique ou naturel ?
Attardons nous un instant sur le ressenti de quelques uns. Dans l’agglomération lyonnaise, le
risque chimique tient le haut du pavé, spontanément cité par nombre de personnes
interrogées (nous n’évoquerons pas ici le risque incendie, intégré dans la gestion de
l’ensemble des structures). Un administrateur de lycée situé en limite de périmètre SEVESO
révèle que, lors de sa prise de fonction, il a été immédiatement informé par sa hiérarchie du
risque encouru, tandis qu’il a appris de manière informelle la localisation de l’établissement
en zone inondable, à l’occasion de rencontres avec des techniciens de la Compagnie
Nationale du Rhône sur le terrain. Il précise d’ailleurs que la mise en œuvre du confinement
en cas d’alerte chimique pose de sérieuses difficultés techniques, « alors c’est pour vous dire
que l’inondation, ce n’est pas d’actualité ».
Un commerçant, quant à lui, s’inquiète bien plus de la proximité des usines chimiques que
celle du Rhône, au point d’avoir suivi les impératifs de réduction de la vulnérabilité relatifs à
ce risque bien spécifique :
« Disons qu’on pense beaucoup plus aux risques chimiques à Oullins, on est bien loti ici ! Par
exemple, c’est vrai qu’on a anticipé le risque chimique, par un aménagement léger comme les
disjoncteurs fins qui se coupent très facilement en cas d’alerte, mais pour l’inondation on n’a
rien fait encore, au début de l’activité on était pris par pleins de problèmes en même temps,
mais ça fait partie des questions sur lesquelles je vais me pencher. » (Gérant de restaurant,
Oullins)
Au plan des risques technologiques, évoquons également le risque nucléaire qui concerne
plutôt les riverains du Rhône moyen, et le transport de matières dangereuses redouté en
particulier par une directrice d’école primaire de Vienne.
Le point commun de ces risques technologiques réside bien entendu dans leur dangerosité,
mais aussi leur caractère « hermétique », en référence à une gestion confidentielle des sites
industriels. De plus, les structures qui accueillent du public, et notamment les établissements
scolaires, se trouvent toutes confrontées à l’appréhension en interne du confinement,
mesure imposée en situation d’alerte technologique. De fait, la gestion du risque inondation,
quand elle se pose, paraît bien plus facilement opérable.
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Concernant les risques naturels, la tempête apparaît au premier chef des craintes émises,
suivie de près par la chute de neige, cette dernière étant souvent placée au même niveau
que le risque inondation. La tempête peut générer des impacts humains (bris de vitre ou
chute d’arbre sur une personne), tandis que la neige ou l’inondation ne semblent occasionner
que des dégâts matériels ou des gênes passagères en matière de circulation des personnes.
Rappelons toutefois que nous intéressons là aux riverains peu sensibilisés au phénomène de
crue.
« C’est la tempête moi que je crains le plus, donc je mettrais le vent 4/10, le risque SEVESO
3/10 et l’inondation 1/10. SEVESO pas plus parce qu’en 14 ans que l’établissement existe, il n’y
a eu aucun problème, alors que la tempête… L’arbre qui tombe, une vitre qui se casse, qui
tombe du 5e étage, sur 27 000 m2, c’est difficile d’appréhender ce risque.» (Intendant d’un
établissement scolaire, Lyon Gerland)
« Sur 10, je mettrais la neige et l’inondation au même niveau, à 4/10 pour la probabilité, mais
le moins dangereux c’est l’inondation, parce qu’avec la neige le toit peut s’effondrer et on ne
pourra pas redémarrer la production, alors qu’avec l’inondation, on redémarre dès que l’eau se
retire. » (Dirigeant de PMI, Haut-Rhône)
La tempête, ou le « vent fort », suscite des peurs liées à son caractère soudain, violent, non
maîtrisable, et, très certainement, demeure active dans les mémoires (tempête de 1999) ou
est réactivée par les épisodes venteux des jours précédant les entretiens. Les inondations,
en revanche, sont jugées lentes, bien maîtrisées par les gestionnaires du fleuve, et, en fin de
compte, non dangereuses :
« Disons que l’eau va arriver en sous-sol, donc au pire il y a les voitures, il n’y aura pas
d’impact sur la personne, beaucoup moins que le feu ou le vent, il n’y a pas de réel danger. Par
contre, ça peut faire des dégâts matériels importants sur l’électricité, mais seulement si l’eau
monte haut dans le parking. » (Gestionnaire de site, Lyon Vaise)
Resituer le risque inondation : la sensibilisation par l’enquête
Pour conclure ce premier chapitre, il nous semble important de souligner l’effet
sensibilisateur de la démarche d’enquête, en particulier – mais pas seulement – auprès des
représentants d’institutions et d’entreprises de l’agglomération lyonnaise. Parfois parce qu’ils
apprennent ainsi leur localisation en zone inondable, d’autres fois parce qu’ils prennent la
mesure du risque, du simple fait qu’une étude soit menée à ce sujet ou à la faveur des cartes
d’aléa exposées au cours de l’entretien, ou encore parce qu’ils peuvent s’informer des
référents en matière de prévention du risque inondation.
À plusieurs reprises, l’entretien s’est conclu par « maintenant que vous êtes venue, je vais
faire attention » (ou « m’informer en mairie », « votre démarche ne restera pas sans effet »,
« je vais en parler en réunion », « sur quel site je peux regarder pour en savoir plus ? »,
etc.).
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Il s’agit, selon les cas, de gardiens de résidences d’un organisme de logement social qui
pensent alerter leur hiérarchie sur l’appréhension du risque ; d’un gestionnaire de site qui
découvre le nouveau site Internet Vigiecrue ; d’un responsable de structure muséale qui,
surpris de sa localisation en zone inondable, a bien l’intention d’en référer en mairie ; d’une
habitante de Vaise sensibilisée à la question par l’entretien ; d’un responsable qualité qui
demande des informations pour la mise en place d’un plan de gestion du risque inondation ;
de responsables de crèches qui, avant même le déroulement de l’entretien, ont sollicité leur
direction de tutelle afin de connaître les mesures prises à cet égard…
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Partie 1 – Des perceptions contrastées du risque
2 - Le risque, oui, mais…
La seconde posture repérée est bien celle de l’entre-deux, le degré intermédiaire entre la
méconnaissance et la réelle prise de conscience. Pour nombre de personnes interrogées, la
question du risque est loin d’être centrale, en dépit de leur habitat en zone sensible ou de
leur expérimentation des inondations. Il apparaît que, à l’échelle du bassin rhodanien (et
bien évidemment au regard de l’échantillon relativement restreint de l’enquête), cette
catégorie soit la plus représentée, correspondant à près de la moitié des enquêtés.
Certes, le risque existe, il est d’ailleurs généralement bien identifié, mais plus rarement
perçu comme un risque majeur. Et, quand bien même il le serait, cette représentation
n’engendre pas systématiquement de précautions particulières inscrites dans des stratégies
individuelles de prévention. On est ici dans une attitude plutôt passive face au risque,
tiraillée entre le probable et l’improbable, le fleuve maîtrisé et le fleuve « espace de jeu »
des gestionnaires, les effets gérables et le traumatisme au long cours.
2.1
La crue, un phénomène linéaire ?
Il est intéressant de constater l’absence de projection quant au phénomène de crue. Les
individus enquêtés se réfèrent immuablement aux inondations qu’ils ont connues ou dont ils
ont entendu parler. Autrement dit, ils n’envisagent pas – du moins spontanément – qu’un
événement de toute autre nature puisse se produire, générateur d’impacts plus importants
sur leur espace d’habitat ou de travail.
La référence demeure les inondations les plus récentes - moins souvent les grandes crues
historiques – et leurs effets. En fonction des secteurs, on s’appuie sur la dernière forte crue
(1990 sur le Haut-Rhône, 2002 ou 2003 sur le Rhône aval), celle-ci pouvant même être
d’ordre décennal (quartier de Vaise à Lyon). À l’évidence, de nouveaux évènements
devraient au maximum suivre un schéma quasiment identique : mêmes causes, mêmes
débits, mêmes hauteurs d’eau, mêmes éventuels dégâts…
… À moins qu’une intervention extérieure préventive (consolidation de digue, préservation de
plaine d’expansion, entretien du fleuve, voire « rappel à l’ordre » envers les gestionnaires de
la CNR) ou un bouleversement climatique (réchauffement ayant pour incidence la réduction
de la fonte des neiges au sortir de l’hiver, selon plusieurs personnes) ne vienne rétablir
l’ordre et assainir la situation à risque.
Faible projection
À défaut de modification sensible en matière de protection, la linéarité de l’événement
demeure la règle. Pour s’en convaincre, quelques exemples de paroles riveraines nous
montrent à quel point ce sentiment est partagé de l’amont à l’aval, quel que soit le degré de
familiarité avec les débordements du fleuve.
« On a évalué le risque inondation à la demande des assurances, on s’est basé sur la crue de
90, donc on sait que les bâtiments ne seront pas touchés, on peut avoir quelques problèmes
avec la route coupée, mais ce n’est pas handicapant. Donc une crue plus forte, ce n’est pas très
probable, vu l’ampleur de 90, et de toutes façons ça ne touchera jamais les bâtiments. »
(Responsable qualité, PMI, Haut Rhône)
« Dans notre esprit, on a connu le pire, on a nous a dit que ça arrivait tous les 10 ans, donc
voilà, pour nous, au pire, on sait jusqu’où l’eau va dans notre sous-sol, on ne pense pas qu’elle
peut aller plus loin. » (Mme L, Lyon Vaise)
« On est dans une zone inondable, mais par exemple lorsque le Rhône est monté jusqu’à la
route, le jardin n’était pas inondé derrière, alors qu’il aurait dû l’être selon les dires, mais il ne
l’était pas. Mes beaux-parents habitent à côté, ils ont vu les inondations avant le canal, donc les
vraies inondations, mais ils n’ont jamais été inondés dans leur maison… voilà, pour moi ça ne
peut pas arriver. » (Mme R, Sablons)
« Moi je n’y ai pas cru personnellement, ma mère aussi, à 86 ans, elle était tranquille sur son
balcon, elle a vu arriver l’eau et ça ne l’a pas paniqué. Moi j’avais déjà vu des inondations, ma
mère me parlait de celle de 1935, je me suis dit “Bon ça va faire 50 cm, on va en être pour
nettoyer, ça fera au pire 1 m., comme d’habitude“, voilà pourquoi je n’ai pas eu peur, que je ne
suis pas parti, même quand le maire a donné l’alerte, beaucoup de gens ne l’ont pas cru, je ne
suis pas le seul. Je ne pouvais pas imaginer 3 m. dans ma maison » (M. EF, Aramon)
Ce recours systématique à ce que l’on connaît peut s’avérer risqué, à l’image de ces
personnes qui, bien qu’alertées par avance d’un risque inondation élevé, n’ont pu se
résoudre à porter crédit aux informations données. Constatons que cet état d’esprit persiste
après l’événement, car, malgré leur étonnement premier, leur « système de projection »
n’évolue pas, une inondation future ne pouvant dépasser les hauteurs d’eaux attestées lors
de la dernière grande crue.
À titre d’illustration, citons cette agricultrice de Brangues, surprise par la crue de 1990 du
fait de la présence d’une digue, et aujourd’hui persuadée d’avoir connu le plus fort
événement possible :
« En 90, ça n’a pas été évident, quand on nous a dit que ce serait comme en 44, franchement
on ne l’a pas cru, on se disait que maintenant avec la digue, ça ne pourrait pas arriver. On ne
pensait pas que l’eau pourrait arriver si haut, parce qu’on en a connu des inondations, comme
en 77, mais pas aussi importantes que 90. On l’a su par la mairie, quand ils nous ont dit que
l’eau allait monter, et en plus celui qui nous l’a dit souvent il raconte des conneries, on s’est dit
“Bon, une de plus“, mais on a quand même surélevé les meubles, mais comme on ne pensait
pas que ça arriverait si haut, il y a des affaires qui ont baignées (…). On va aménager la pièce à
côté, oui en RDC, mais c’est pour mon fils handicapé, je ne peux pas tellement faire autrement.
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Et puis en 2002, il n’y a pas eu d’eau dans la maison et au pire, ce sera comme en 90, on
pourra surélever des choses. » (Agricultrice B, Brangues).
Particularisme des grandes crues, du Haut-Rhône au delta
Généralement, toute crue de type centennal est perçue comme un événement singulier, peu
susceptible de se reproduire du fait d’origines bien particulières, qui demanderaient d’être à
nouveau réunies. Sans compter l’idée qu’une crue centennale (ou « centenaire ») n’arrive
qu’une fois tous les cent ans.
Sur le Haut-Rhône, l’on rappelle, pour l’épisode de février 1990, la conjonction d’une origine
climatique spécifique et d’une erreur humaine – la circulation généralisée de cette opinion est
en soi révélatrice du mode d’accès à l’information sur ce secteur, comme nous le verrons
dans la seconde partie du rapport. Les raisons invoquées se rapportent à une fonte des
neiges rapide due à de fortes pluies, couplée à une mauvaise gestion des techniciens du
fleuve, les « Suisses » au banc des accusés, talonnés de près par la CNR et sa rétention
volontaire de stocks d’eau pour la production d’électricité. L’élargissement de la zone
inondable – en référence avec celle de 1944 – serait la preuve d’un volume contenu trop
longtemps :
« Moi honnêtement, ce que je crains le plus c’est les Suisses, parce qu’ils lâchent quand ils en
ont envie, ils gardent un maximum d’eau pour eux, pour leurs besoins et après ils lâchent et ils
n’en ont rien à faire de ceux qui sont en dessous ». (M. G, élu, Haut Rhône)
« Nous ici avant on était en limite de zone inondable, normalement, et la crue de 90 était plus
haute que la limite. On a entendu dire que c’était Génissiat qui n’avait pas géré son stock d’eau,
qui avait tenu le barrage trop haut pour produire un maximum d’électricité, et après c’est une
histoire climatique, la fonte des neiges. » (Agriculteur D, Yenne).
Sur le Rhône moyen en limite de la zone avale (Livron sur Drôme, La Voulte sur Rhône), se
transmet la rumeur de la « simulation » opérée par la CNR à des fins d’expérimentation,
puisque, là aussi, la crue de 1993 ne suit pas celle de 1856 : pourquoi, à débit égal, les
hauteurs d’eau et les zones d’expansion diffèrent-elles ? À ces suspicions, s’ajoute l’apport
des affluents tels que l’Eyrieux et l’Isère et les facteurs urbanistiques :
« Il s’est dit que la CNR avait volontairement provoqué une sur-inondation pour protéger la
centrale nucléaire et aurait laissé passer plus d’eau que d’habitude. On se pose des questions,
on se dit qu’il y a eu un test, moi je pense qu’ils ont voulu voir jusqu’où l’eau pouvait aller, les
dégâts que ça pouvait causer. Alors que moi je ne suis pas dans la zone inondable, mais là on a
l’impression qu’ils se sont plantés. » (M. W, Livron sur Drôme)
« Je pense que la CNR a simulé une grosse inondation en lâchant le barrage en amont pour voir
quelle capacité Printegarde pouvait emmagasiner ou laisser passer, on sait bien que en haut lieu
c’est la CNR qui commande les boutons, même si on parle toujours de crue cévenole et de
l’Eyrieux.(…) Et quand vous comparez avec la crue de 1856, vous comprenez bien que
maintenant on a des crues artificielles. » (Agriculteur I, Ile de Printegarde, membre actif de la
Confédération des riverains)
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En substance, ce qui ressort des entretiens menés sur le Rhône moyen – autant que sur le
Rhône aval – c’est l’incompréhension de l’événement, survenu après des décennies à l’abri
des débordements. Le bouc émissaire est d’autant plus aisément identifié qu’il aurait luimême assuré que, désormais, les aménagements protégeraient les zones habitées, opinion
largement relayée par le voisinage :
« On était clairement informé de la zone inondable, mais on n’y a pas accordé une grande
importance au moment de l’achat, parce que les voisins nous ont dit en synthèse “ maintenant
qu’il y a le canal, il n’y a plus d’inondation“, on les a cru, on ne connaissait rien à l’époque,
maintenant on a eu le temps de changer d’avis ! » (M. et Mme U, Sablons)
Plusieurs facteurs interviendraient quant aux origines des crues citées sur le Rhône aval :
gestion des barrages (surtout que les inondations auraient eu lieu des jours fériés sans
personne aux commandes… ), mauvais entretien du fleuve et des digues, imperméabilisation
des sols et conditions climatiques spécifiques. La CNR aurait reçu un rappel à l’ordre, au
regard des crues non impactantes ayant eu lieu depuis.
« Les 4 inondations, donc 93, 94, 2002, 2003, ça tombait un jour férié ou un dimanche, il n’y
avait personne qui bossait. Donc l’ouverture des vannes a été automatique et c’est là que ça a
tout arraché. » (Agriculteur J, Donzère)
« On ne l’explique pas, la nature reprend ses droits sur les endiguements, mais je pense que
c’est lié au fait qu’on ne drague plus suffisamment le cours d’eau et que ça réduit les débits, et
surtout les zones où on a construit et bétonné. » (Mme CD, Comps)
« Mon père était maire du village et la CNR avait dit qu’on serait protégé par le barrage, donc
on a fait construire notre maison sans s’inquiéter (…). La gestion des barrages c’est très
important, chaque fois qu’on annonce des gros orages, la CNR descend le Rhône quand même…
alors je ne sais pas qui a gueulé, mais ça a marché, maintenant ils font attention. » (M. et Mme
IJ, Aramon)
Désireux de démontrer l’impact de la gestion des barrages sur le débit des crues, un membre
actif de la Confédération des riverains prend l’exemple de la crue du printemps 2006. Il se
dit satisfait de constater que, cette fois-ci (contrairement aux années 1993-1994 où les
gestionnaires auraient été surpris de la force des débits), la CNR a su prendre en charge un
Rhône menaçant à hauteur de Lyon, au point de ne provoquer aucun débordement à l’aval…
preuve incontestable d’une régulation toujours possible du fleuve, quel qu’en soit ses
caprices.
2.2
Se protéger, pourquoi faire ?
Cette catégorie de riverains se caractérise par une faible prise en charge individuelle du
risque, bien que celui-ci soit repéré. Si quelques-uns pourvoient à des aménagements
succincts tenant compte du risque, la plupart ne modifient que très légèrement leurs
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habitudes de vie – du moins au plan matériel, les effets des inondations se mesurant aussi
au plan psychologique.
Au mieux et selon les cas, cela peut aller des moellons à disposition dans le garage, du
remplacement de la chaudière à fuel par un appareil à gaz, du placement des meubles les
plus précieux au premier étage, de nouvelles garanties d’assurance, jusqu’au sac contenant
des vêtements de rechange toujours à portée de main en cas d’évacuation.
Notons que ces modifications comportementales s’attachent bien souvent à un projet
domestique personnel, comme l’extension de l’espace habitable. Elles relèvent directement
de l’expérimentation de l’inondation, de l’après-coup. Il n’est pourtant pas rare de rencontrer
des personnes « inondées » n’ayant non seulement pris aucune mesure de protection, mais,
plus encore, allant à l’encontre des préconisations d’aménagement, à l’image de cette
agricultrice de Brangues, qui reconnaît rénover une pièce de plain-pied pour son fils - quand
bien même la maison a déjà été touchée par une inondation –, seul espace disponible.
Comment expliquer une telle passivité, alors même que certains ont pu expérimenter de
façon dramatique un épisode de crue ? Dénoncer un désengagement serait aller un peu vite
en besogne, quand les entretiens mettent au jour, pour chaque personne, un ou plusieurs
facteurs rationnels expliquant leur attitude.
Difficile de hiérarchiser ces facteurs en fonction de leur importance, aussi nous les
énoncerons selon leur occurrence dans les paroles riveraines.
La lente montée des eaux
Le facteur temps est le plus souvent cité, notamment par les riverains du Haut-Rhône, de
l’agglomération lyonnaise et du Rhône moyen (la limite étant le secteur de Printegarde, aux
caractéristiques proches du Rhône aval).
« Le Rhône n’est pas un torrent de montagne » : une expression récurrente qui, à elle seule,
résume la pensée de nombre de Rhodaniens. Les délais de prévision, d’une demi-journée au
minimum sur le Haut-Rhône, jusqu’à 24h sur une partie du Rhône moyen, justifient l’absence
de mesures préventives. Les délais d’alerte laisseront toujours le temps de se rendre compte
par soi-même de la venue du fleuve (sur la digue, la station de pompage, auprès des élus…),
de monter les meubles à l’étage, d’évacuer le bétail, bref, de s’organiser pour limiter au
mieux les dégâts.
Aucune notion de danger
L’expression « De toutes façons ce ne sont que des pertes matérielles, ce n’est pas très
grave » revient souvent, à l’exception de l’agglomération lyonnaise et des communes avales
les plus touchées, tels Comps et Aramon, qui évoquent bien un danger humain.
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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On peut être surpris par la corrélation établie entre le secteur lyonnais et les villages du
Gard, mais il semble bien y avoir similitude entre le citadin inexpérimenté, qui parvenant à
imaginer la probabilité d’une inondation au cœur de son agglomération en retient le
caractère catastrophique, et le Gardois qui découvrant en 2002 les ravages d’une crue
provoquée par une rupture de digue en mesure le réel impact humain.
L’absence de danger et l’indemnisation par les assurances permet de rester relativement
serein face aux dégâts provoqués par l’intrusion de l’eau dans les bâtiments, bien que
certains agriculteurs déplorent le temps de déblayage des terrains, non indemnisé « parce
qu’il n’y avait pas de dégâts, que du nettoyage ».
Cette sérénité peut rejoindre le ravissement, tel ce couple de Brangues qui conserve un
souvenir presque ému des dernières inondations qui ont isolé leur habitation trois jours
durant : monsieur a pu se mettre en indisponibilité à son travail et ainsi profiter de sa
famille, le voisin s’est montré solidaire, les enfants ont trouvé l’expérience « rigolote » et ont
adoré se rendre à l’école en barque ou en tracteur lors de la décrue.
La notion de convivialité de la crue a largement été traitée par différentes études conduites
sur la mémoire des inondations, aussi ne reviendrons-nous pas sur ce point – bien qu’il
traverse l’ensemble des entretiens.
Evoquons simplement, à ce propos, le point de vue d’une ancienne habitante de Comps, qui
ne s’est décidée à déménager que suite à la seconde inondation du village (plus de trois
mètres d’eau en 2003), la première survenant à peine quinze mois plus tôt. Elle est la seule
(par excès de franchise ou réflexion approfondie sur la question ?) à soulever l’hypothèse
d’une addiction à la situation de crise :
« Très personnellement, l’inondation de 2002 m’a plus dynamisée qu’affligée, j’en ai même de
bons souvenirs, c’était quelque chose de magique, on a été très bien pris en charge, un élan
énorme de solidarité, c’était sympa, j’ai rencontré pleins de gens… et puis on relativise
l’évènement, il n’y a pas eu mort d’homme (…). C’est 2003 qui m’a convaincue de partir, qui
m’a montré qu’il y avait un danger, en 2002 je ne l’avais pas perçu car j’avais bien vécu
l’événement… Je me demande s’il n’y a pas une sorte de jeu avec le danger, une montée
d’adrénaline, une émotion de se retrouver tous ensemble dans une même crise, il peut presque
s’installer une dépendance à ça, je pense. » (Mme DE, ex Comps)
À quoi bon ?
Dans les cas extrêmes où l’eau atteint des hauteurs telles que rien ne lui échappe à moins de
deux mètres du sol, les riverains se demandent légitimement comment s’en protéger.
Surtout lorsque l’idée d’une protection individuelle apparaît subitement, alors que l’on n’avait
jamais été inquiété auparavant du risque de crue, confiants dans les dispositifs préventifs
existants. Nous pensons ici aux habitants et représentants des institutions et entreprises du
Rhône aval, plus particulièrement d’Aramon, Comps et Saint-Gilles.
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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Le responsable sécurité-environnement d’une entreprise classée SEVESO confirme que, si le
matériel informatique peut être protégé des inondations modérées par un rehaussement
d’une vingtaine de centimètres, il est en revanche impossible de placer en hauteur les
matériaux servant à la production, « sinon on ne peut plus continuer à exploiter en toute
sécurité, le but il est quand même économique. Voilà, en cas de rupture de digue,
économiquement et techniquement il n’y a pas grand-chose à faire, concrètement on appuie
sur l’arrêt d’urgence. »
Comment ré-aménager l’espace afin de réduire sa vulnérabilité, quand toute mesure
implique de repenser totalement l’équipement et l’agencement de son intérieur ? Et quand,
en fin de compte, le traumatisme se préoccupe moins d’une perte matérielle que des
souvenirs évanouis et des effets à long terme de la crise :
« Ce n’est pas toujours possible, si on a une surface aménagée, c’est qu’on ne peut pas faire
autrement. Parce que si on monte tout à l’étage, on perd de la place et des surfaces en bas
seront inoccupées pour rien. Donc moi personnellement je n’ai rien changé du tout, sauf le
mode de chauffage, je suis passée au gaz de ville pour éviter le problème d’imprégnation
comme j’ai eu. Et sinon, j’ai toujours un sac dans ma chambre, avec du linge, il est fait depuis
2003, je le garde toujours au cas où, pour pouvoir évacuer rapidement (…). Les biens matériels,
bon, les assurances nous remboursent, mais ce qu’on perd ce sont les photos, les vidéos, je n’ai
même plus de photo de mes parents décédés. Quand j’ai vu ma maison dévastée j’ai fait une
crise, pas pour le côté financier, mais parce que mon cocon avait été tout détruit. Maintenant
quand il pleut longtemps je suis incapable de dormir seule, je suis complètement stressée, les
vies humaines, tout ça me fait peur. » (Mme CD, Comps)
Au « que peut-on faire ? », s’ajoute la lassitude des alertes répétées et des ordres
d’évacuation successifs : le village de Comps a dû être évacué quatre fois entre septembre
2002 et décembre 2003 (pour deux épisodes inondant le village), on comprend dès lors que
la dernière alerte n’ait pas été suivie d’effort réel pour protéger les biens les plus précieux.
« Après en 2003, l’inondation s’est passée pareil, comme en 2002. Sauf qu’entre temps on a eu
d’autres alertes, à chaque fois on mettait ce qu’on pouvait en hauteur, il fallait évacuer, mais
moi à force je ne l’ai plus pris au sérieux, je n’ai mis que des petites choses à l’abri, je me suis
dit que c’était encore une fausse alerte. Donc il a fallu tout refaire après 2003 (…) Maintenant le
problème c’est que la mairie nous alerte pour rien, à la moindre alerte orange la préfecture dit à
la mairie de faire évacuer les écoles, c’est comme l’histoire du loup, au bout d’un moment, à
force, les gens n’y croiront plus et c’est là que ça peut devenir dangereux. » (Gérant d’un caférestaurant, Comps)
Une gestion spontanée
Au sein des entreprises et des institutions notamment, la réduction de la vulnérabilité passe
moins par une anticipation - via un plan de gestion de crise spécifiquement établi pour le
risque inondation -, qu’une vision instinctive de la problématique sécuritaire.
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Nous l’avons évoqué, les établissements scolaires ont déjà maille à partir avec la prise en
compte du risque technologique et du risque incendie, qui réclament des mesures
strictement encadrées. Les entreprises, et plus encore les industries, invoquent la nécessaire
mise en sécurité des personnes liées à un départ de feu ou une fuite de produit chimique,
reléguant la question de l’inondation aux confins de leurs priorités. Outre le défaut de
directives conférées par les autorités de tutelle à ce sujet, circule l’opinion générale que l’eau
est « gérable » spontanément, dès lors que l’on se fie au simple bon sens. L’exemple de
cette entreprise du Rhône aval, confrontée le même jour à un double risque (incendie et
inondation due à une rupture de digue) nous paraît particulièrement éclairant :
« L’eau est montée d’environ un mètre, mais le gros souci, c’est que ce jour là on a eu un
incendie, il a fallu qu’on gère ça en urgence, vu que les pompiers étaient mobilisés pour les
inondations à l’extérieur. Donc on a utilisé le POI, le plan d’opération interne, et je vais être
honnête avec vous, on l’a utilisé pour le feu, pas pour l’inondation… C’est vrai que dans le POI, il
n’est pas envisagé une gestion de crise en cas d’inondation, c’est sûr. Donc au début de
l’inondation, avant que l’incendie arrive, les gars étaient là pour mettre en sécurité, mais une
fois que l’incendie s’est déclaré, on a mis l’inondation de côté et on s’y ait remis après (…) On a
parlé ensuite de formaliser un peu les choses et d’inclure le risque inondation dans le POI, mais
en fait, pourquoi on ne l’a pas encore mis en place, bon, c’est parce qu’on a estimé qu’il y avait
eu de très bonnes réactions de la part du personnel par rapport à l’inondation. Voilà on s’est
rendu compte qu’il n’y avait pas un besoin énorme de mettre la gestion de l’inondation sur
papier, parce que les opérateurs ont très bien réagi, ils ont su quoi faire intuitivement. Donc
peut-être qu’on va mettre le risque inondation dans le POI, mais juste pour formaliser un peu,
ou améliorer, mais c’est tout.» (Responsable de la sécurité, PMI)
En somme, du Haut-Rhône au delta, chacun rationalise son comportement en fonction de la
configuration géographique, des événements de crue connus, des impacts générés sur les
biens et les personnes et de l’efficacité des mesures à disposition de la société civile.
D’autant que la perception des autres risques, technologiques ou naturels, s’inscrit dans un
mode de relativisation de l’inondation, au caractère « doux » au regard de la violence des
rafales de vent ou des ravages humains de l’accident nucléaire ou chimique.
Enfin, la transmission des ordres de crue historiques (bi-cinquantennal, centennal, millénal)
prête à confusion : parmi les riverains les moins familiers du fonctionnement fluvial,
quelques uns se demandent, spontanément, pourquoi s’en faire « si ça arrive une fois tous
les 100 ans » ? Nous avons là une illustration de l’écart entre l’approche statistique
(centennal) et son interprétation par les non spécialistes (centenaire, autrement dit une fois
par siècle).
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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2.3
La fierté du Rhodanien
Paradoxalement, la relativisation des impacts de l’inondation rejoint la notion de culture du
risque en certains aspects. Au cours de l’enquête, une constante est apparue dans quelques
secteurs bien ciblés, généralement des communes rurales ou péri-urbaines soumises de
longue date aux caprices du fleuve. La référence à la familiarité de la crue – en particulier de
la part des « anciens » – reste la norme dans plusieurs entretiens, expliquant une certaine
quiétude dans le rapport au risque.
Cependant, au-delà de l’habitude, une part de fierté liée à l’appartenance à une communauté
de Rhodaniens, que les remous du Rhône divertirait plutôt qu’elle n’effraierait, a été plus
particulièrement repérée sur le Haut-Rhône (secteur Brangues/Le Bouchage/Les Avenières)
et le Rhône moyen (Sablons). Si elle émane des « anciens du Rhône », elle a tendance à se
diffuser auprès de l’ensemble de la population résidente, pour peu que l’on soit intégré à la
vie de la commune.
Ainsi, une néo-riveraine de Brangues s’est informée auprès des anciens sur le risque encouru
et a tenu compte de leurs conseils en cas de crise. Elle s’étonne toutefois de l’apparente
sérénité du voisinage en période d’alerte (« Ils sont très philosophes, ça ne les choque pas
plus que ça », Mme E).
Sa voisine, agricultrice, confirme :
« Pourquoi s’inquiéter, ma foi, on a l’habitude, quand on était gamines avec ma sœur, on
attendait presque les inondations, parce que tout le quartier allait voir où l’eau montait, c’était
sympa, ça nous amusait, et ma fille en 90, l’inondation, le défilé des gens à la station de
pompage, elle trouvait ça super ! Par contre, mon gendre, lui il ne connaît pas, il n’a pas connu
90 non plus, alors la dernière petite inondation, en 2002, lui il s’est affolé quand il a vu l’eau
arriver, alors qu’elle n’est même pas rentrée dans la maison. Il disait à ma fille “ Mais ils ne s’en
font pas tes parents ? ils sont fous ! “, il ne comprenait pas pourquoi on ne montait pas tous les
meubles au premier. (…) Les voisins, là à côté, ce sont des jeunes de Lyon, ils sont arrivés
après 1990, on leur a expliqué comment ça c’était passé, et ce qu’il fallait faire, par contre, j’y
pense, j’ai oublié de leur dire de mettre leurs prises en hauteur. » (Agricultrice B, Brangues)
Sur ce secteur, on parle du Rhône comme d’un « grand copain, parce qu’on a vécu sa
jeunesse avec lui, et le Rhône c’est aussi la vie» (M. C, Les Avenières), en témoigne ce
couple de Brangues (installé en 2002, qui a connu deux inondations modérées) :
« Le Rhône ici, ça fait partie de la vie des gens, nous on a pris nos habitudes, quand il y a des
précipitations importantes, on parle du Rhône, on va voir le Rhône, on aime tous se balader sur
le Rhône, c’est magique, les paysages sont magnifiques… Et notre fille, quand le Rhône s’est
retiré, elle a pleuré, el aurait voulu que ça dure, elle disait “C’est injuste“… elle trouvait ça
super les inondations ! » (M.et Mme D)
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Plus encore que les mots, le ton employé pour décrire la relation au Rhône et à ses
débordements révèle une forme de fierté, le sentiment de vivre dans un milieu presque
privilégié, où se côtoient beauté et force de la nature, destinées à une poignée d’élus
capables de l’apprécier à sa juste valeur, d’accepter ses frasques et de ne pas s’en inquiéter
outre mesure.
Du côté de Sablons, aux dires des habitants interrogés, l’attachement au fleuve serait une
valeur partagée par tous, un « point de rattachement » qui « fait partie de notre vie au
quotidien ». Le temps de l’inondation réactive la mémoire des anciens – que l’on croit ou que
l’on juge faussement alarmistes – et apporte un souffle d’animation au cœur du village.
Parce que la crue fait partie intégrante de la structuration sociale de la commune, parce que
l’on est familier du risque, mais aussi parce que l’on n’a pas été atteint directement dans son
espace de vie, l’épisode de crue est perçu sous l’angle festif, rappelant à tous leur
appartenance rhodanienne (« mes racines ») :
« Moi je suis Sablonnaise, mes parents vivent à 300 m. de chez moi, pour nous le fleuve, je
dirais que c’est la vie du village, c’est quelque chose d’important. (…) Étant Sablonnaise,
l’inondation c’est une animation, et ça fait partie quelque part de mes racines. Et par exemple,
ma maman qui n’est pas originaire de Sablons, elle n’aime pas dès que le Rhône monte, alors
que moi, si, je trouve ça marrant en fait. Mais c’est vrai que ça n’a jamais touché mon lieu de
vie. « (Mme T)
Pour une autre habitante, récemment installée mais dont l’époux est natif de Sablons, la
« fierté de la crue » s’est naturellement transmise par son entourage familial, jusqu’à
expliquer l’absence de mesures de protection :
« Le jour de l’inondation, il y a une effervescence quand le Rhône monte, je ne sais pas
comment dire, les gens ils se moussent, comme s’ils étaient fiers…Les anciens se montent très
vite la tête, “ ça va déborder“, mais plus parce que ça leur permet de se mettre en valeur que
parce qu’ils ont peur, vous voyez. Moi c’et vrai qu’au début je me suis inquiétée, mais mon mari
pas du tout, alors du coup je n’ai rien mis en hauteur, j’ai pas touché au sous-sol et mon mari
m’a dit de ne pas m’inquiéter, que ça ne servait à rien, et comme mes beaux-parents à côté
n’ont jamais été inondés dans la maison. Donc c’était réglé et je n’ai touché à rien, même
quand les pompiers sont passés. (…) Depuis, non, rien du tout, je n’ai rien fait chez moi, pas de
mesure spéciale pour ça. Je n’ai aucune inquiétude, et la vie au bord du fleuve c’est quelque
chose de très particulier. » (Mme R).
À l’évidence, les impacts nuls ou modérés de la crue sur l’habitat génèrent plus aisément ce
type d’attitude, souvent justifiée par la certitude que le lieu de vie sera épargné.
Retenons enfin que l’inondation serait avant tout une affaire d’hommes : alors que les
femmes montrent quelques signes d’inquiétude, ou tandis que les épouses et les enfants
évacuent les lieux, l’homme rassure et reste à demeure, seul face au déferlement des eaux :
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« Je ne pensais pas que ça monterait si haut, je n’avais aucun affolement, rien du tout, on a
même des photos avec mon beau-frère, on buvait un coup dans la cuisine et on avait déjà les
pieds dans l’eau ! Mais quand on a vu que l’eau ne s’arrêtait pas, on rigolait moins (…). Ma
femme et mes enfants sont allés dormir chez le maire et moi je suis revenu là pour repasser la
nuit pour essayer de sauver encore quelque chose. » (M. F, Brangues)
« Quand on a eu la crue de 93, “madame“ était dans une ambiance de panique totale et moi
dans une ambiance d’indifférence qui m’a été lourdement reprochée... Moi je n’ai pas peur de
l’eau et le fait d’avoir de l’eau dans ma maison, ça ne conduit pas à un traumatisme. » (M et
Mme U, Sablons)
La « Rhodanité » exprimée ici renvoie une forme de socialisation par le fleuve, et nous place
face aux vestiges de la transmission du risque, telle que très certainement pratiquée aux
temps anciens où les inondations étaient intégrées dans les usages riverains.
À la lumière de l’ensemble des éléments, il semble bien que les populations apparentées à
cette seconde posture développent une conscientisation du risque, sous des formes éparses
ou plus concentrées. Le risque retient l’attention en cas de temps menaçant, moment où se
réactivent – et se transmettent localement – les savoirs et savoir-faire des anciens du
Rhône.
Aussi, plutôt qu’une déresponsabilisation, le faible degré de protection individuelle
procéderait davantage d’une relativisation des impacts du phénomène de crue. En outre, le
désir de ne pas envisager le pire (« on ne peut pas s’inquiéter tout le temps, on ne s’en
sortirait pas ») et la certitude de pouvoir faire face à l’intrusion de l’eau emporte les derniers
doutes. Sans oublier les cas extrêmes de désarroi face aux effets dévastateurs de la
catastrophe…
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Partie 1 – Des perceptions contrastées du risque
3 – Le risque, je le mesure, je m’en protège
La dernière attitude identifiée, et la moins répandue parmi la population enquêtée (une
petite quinzaine de personnes), correspond à une intégration du risque dans les pratiques
institutionnelles, d’habitat ou d’implication locale. Les personnes concernées estiment
mesurer avec justesse le risque encouru, et, sans s’en inquiéter en permanence, mettre en
place une série de mesures de protection jugées efficaces.
Selon les cas, il s’agit de responsables de structures ou d’entreprises conscients du danger,
d’élus locaux fortement mobilisés sur la question, de riverains soucieux d’aménager leur
intérieur en fonction des inondations passées, et/ou de personnes engagées dans les
mouvements associatifs (défense des intérêts des sinistrés, appui aux stratégies
préventives).
3.1
L’évènement révélateur
L’enquête fait ressortir la nécessaire expérimentation de l’inondation (ou tout au moins
l’installation sur un secteur récemment soumis aux crues), préalable aux mesures
individuelles de réduction de la vulnérabilité ou à l’accélération des outils réglementaires.
Au plan institutionnel, l’exemple d’un maire d’une commune du Rhône aval, fortement
sinistrée, est particulièrement intéressant. Contacté par téléphone, mais également
largement cité par des habitants de sa commune, il s’imposerait désormais comme un
« professionnel du PPRI ». Pris à parti par ses administrés lors de l’événement inondant en
raison du retard constaté dans l’alerte de la population, il aurait aujourd’hui à cœur la
protection de la commune et l’information des habitants. Digue consolidée, réunions
publiques de présentation du PPRI, interventions médiatiques, conseils avertis sur la mise en
œuvre des Plans particuliers de mise en sûreté (PPMS) auprès des responsables
d’établissements scolaires (école, collège ou lycée)… autant d’engagements pour certifier sa
conscience aigue du risque inondation.
L’intégration du risque dans les plans de gestion internes
Certaines structures prennent en compte le risque dans leur gestion interne et
l’aménagement des locaux. Dans le cadre de l’enquête, un seul cas de PPMS appliqué aux
inondations et traduit par un exercice de simulation a été repéré sur le Rhône aval. La
directrice d’une école maternelle rapporte bien la crue à un risque majeur - le plus
spécifiquement attaché à l’établissement –, attesté par la rénovation entière de
l’établissement suite à la forte crue de 2002. Dorénavant, les locaux disposent d’une
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évacuation de secours par une terrasse en hauteur et, chaque année, deux exercices en
présence des enseignants et des élèves permettent de vérifier les consignes du PPMS. De
plus, une réunion de rentrée permet de présenter l’outil aux parents d’élèves.
Elle souligne cependant la volonté et le travail que réclame la définition d’un tel plan, tant les
responsables peuvent se trouver désarmés :
« Ca m’a posé problème, parce qu’il n’y a pas d’indications précises pour le mettre en place et
ça a suscité pas mal de réactions négatives dans les écoles, donc moi j’ai décidé de m’y pencher
sérieusement, j’ai contacté les sapeurs-pompiers, la mairie, et on a débroussaillé les choses
ensembles… L’Académie ne nous a donné aucune indication pour le risque inondation, on est
assez seuls pour élaborer le PPMS, moi j’ai passé beaucoup de temps à faire des recherches sur
Internet. »
Du côté des entreprises, si l’expérience de la crue génère parfois une appropriation technique
du risque (pas toujours cependant, à l’image de cette entreprise du Rhône aval, classée
SEVESO, qui fait confiance à une gestion instinctive de l’inondation – voir p. 26),
l’anticipation du risque encouru se révèle plus rare.
Une firme industrielle de l’agglomération lyonnaise, également classée SEVESO, a ainsi fait
établir une première expertise du risque inondation (ordre de crue impactant et hauteurs
estimées sur le site) dans l’objectif d’élaborer, à moyen terme, un plan de gestion de crise.
Le responsable contacté reconnaît la prise en compte tardive de ce type de risque (depuis
deux ans seulement), en raison du « système de hiérarchisation des risques, en fonction de
leur fréquence et de leur gravité » qui ne positionne pas le risque inondation « comme un
risque critique, même s’il fait partie des risques majeurs ». Bien qu’aujourd’hui les
procédures intégrant en interne l’inondation restent à l’étude, une nouvelle sensibilité a
émergé, suscitant quelques interrogations en termes d’impact d’une crue sur la production,
l’activité économique et, plus largement, sur l’environnement (voir partie 2, p. 63).
Enfin, les entretiens avec les responsables d’entreprises peuvent révéler certains paradoxes.
Dans certains cas, ils estiment avoir réalisé le nécessaire pour protéger le bâtiment ou le
personnel, et se rendre compte, au cours de la discussion, de l’inadéquation des mesures
prises. Citons ce gestionnaire de site lyonnais (quartier de Vaise, établissement situé en zone
rouge) :
« Quand j’ai su qu’on était en zone inondable, moi j’ai cherché à savoir comment on était
protégé au niveau technique, on m’a dit qu’on avait des sacs pour ralentir l’arrivée de l’eau et
nous permettre de nous organiser au niveau des parkings. Sinon, non, on n’a rien prévu
d’autre, mais avec les sacs, on a déjà bien pris en compte l’inondation .(…) Si on a vraiment
une grosse crue, il ne faut pas que ça touche toute la partie électricité, la partie moteur, la
partie clim’, on a du 20 000 volts dans le parking c’est énorme… si l’eau monte jusqu’en haut du
parking, c’est sûr qu’on va avoir du dégât. »
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Pratiques riveraines de réduction de la vulnérabilité
Du point de vue des particuliers, la conscience du risque se traduit de différentes manières.
Déjà, les paroles riveraines rappellent plus souvent la notion de danger, écartée des deux
postures précédentes. De plus, la longue annonce de crue rapportée sur le Rhône amont et
moyen, se transforme en un temps court, voire une submersion brusque en cas de rupture
de digue. Notons qu’un tel changement d’optique qui, au long du linéaire fluvial glisse du
« Rhône monte lentement » à « ça peut aller très vite », se remarque peu avant la limite
établie entre Rhône moyen et aval, le secteur La Voulte-sur-Rhône/Livron-sur-Drôme (par
ailleurs noyau dur de la Confédération des riverains) en serait le point de rupture.
Dès lors, peut apparaître une forme particulière de culture du risque, apparentée à une
autonomie grandissante vis-à-vis de l’alerte et la protection des personnes : plutôt que se
fier aux responsables locaux, certains préfèrent se référer à leurs propres repères et
développer leurs mesures sécuritaires.
« Quand on pense que ça va peut-être inonder, on va voir le Rhône tous les jours en ville, il y a
une échelle au bord, on voit si ça monte ou pas, et quand il s’approche de la digue, là on
commence à mettre les camions et les tracteurs sur une plateforme, on essaie de tout enlever
mais il y a des choses qu’on ne peut pas enlever, comme les moteurs. Et au dernier moment la
sirène de la CNR nous avertit, juste avant que ça déborde, enfin normalement, parce qu’en 93
la sirène nous a averti à 3h du matin et on avait déjà de l’eau dans le garage. » (Agriculteur H,
La Voulte sur Rhône)
Une riveraine expose son « plan de gestion familial » :
« On a mis en place un système qui fait que quand l’eau monte, on héberge les enfants tout de
suite chez des amis dans un village à côté, on ne les amène pas à l’école si on a un doute, donc
on n’attend pas que la sirène nous indique quoi que soit. Quant à l’aménagement, il est très
sommaire, démontable, et puis bon, on n’y attache pas du tout d’importance. » (Mme GH,
Aramon)
Pour autant, et comme évoqué précédemment (voir p. 20), les modifications apportées à
l’habitat dépendent directement de l’ordre de crue connu et de ses effets. Ainsi une habitante
de Pierrelatte qui, tenant compte du facteur risque pour le réaménagement des pièces du
RDC, se base sur les hauteurs d’eau des crues de 2002 et 2003 :
« En 2002 il y a eu 70 cm dans la maison et en 2003, 75 cm, pareil ou presque, il est donc
probable qu’elle ne monte jamais plus haut, je n’en ai pas la certitude non plus, mais je pense.
Donc après, j’ai vu avec l’électricien pour placer les prises à 75 cm. Et mes beaux meubles en
bois, ils sont tous à l’étage, mais ça je l’avais fait d’office en m’installant, parce que c’était en
zone inondable… Après je sais qu’il faut que je mette des rails de part et d’autre de la porte
fenêtre, avoir des planches et ma bombe de mousse en polyuréthane pour tout étanchéifier en
cas de besoin, et ça je vais le faire très vite avant de reprendre mon activité professionnelle. »
(Mme Z)
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3.2
L’action collective… à durée limitée ?
Outre la réduction de la vulnérabilité par la réorganisation du lieu de vie, la conscience
accrue du risque mène parfois à la mobilisation active en faveur d’une meilleure prévention à
l’échelle du territoire concerné. Nous pensons bien entendu à la Confédération des riverains
du Rhône, et, à travers elle, au chapelet d’associations locales de défense des sinistrés. Dans
la seconde partie du rapport, nous aurons l’occasion de détailler le positionnement des
membres les plus actifs du réseau.
En attendant, si la question du risque inondation est au cœur de l’action, et si le sentiment
de vulnérabilité en est la motivation initiale, la persistante de l’engagement associatif fait
appel à d’autres facteurs. Les quelques « confédérés » rencontrés appartiennent autant à la
seconde catégorie de riverains (conscience du risque mais relativisation de ses impacts) qu’à
la dernière (prise en charge individuelle du risque) : ils ne s’inquiètent que rarement d’un
éventuel impact humain et sont également sensibles à d’autres risques naturels ou
technologiques. Le ressort du militantisme – voire la « soif d’en découdre » ? – et la volonté
de peser fortement sur les stratégies élaborées en haut lieu seraient bien plus déterminants
que la seule vulnérabilité.
Mouvement collectif post-crise
Dans les secteurs les plus atteints par les inondations, les associations de défense locales
rallient un nombre considérable d’adhérents aux lendemains de crise. Au-delà des pertes
matérielles, les effets psychologiques et le désir de comprendre comment un tel événement
a pu se produire pousse une grande part de la population sinistrée vers l’action collective.
Pourtant, les observateurs soulignent la fragilité de cet engagement, qui ne dure, au mieux,
que le temps de la confortation d’une digue ou de la mise en œuvre d’une mesure spécifique,
et s’essouffle dès lors que les esprits se relèvent peu à peu du traumatisme :
« Le commissaire enquêteur a noté qu’il y avait 450 signatures, il a été surpris de la forte
mobilisation, exceptionnelle pour un village. Maintenant, c’est autre chose, les gens oublient
vite, et la digue est refaite, donc on se sent protégé, ça rassure… On a toujours beaucoup
d’adhérents, mais on voit ça de loin maintenant, les gens ne viennent plus beaucoup à la
réunion festive, chaque année. » (M. AB, Comps)
« Notre association ne vit plus, elle a fonctionné pendant un an et demi et après… bon
maintenant tout le monde s’en fout, je suis le seul à essayer de… je suis tout seul quoi. Et vous
voyez, je tiens à disposition des documents pour les membres du bureau, pour expliquer les
CTC et ce qu’il s’y dit, personne ne les lit, même pas les anciens membres… » (M. EF, Aramon)
Seule une poignée de militants de la première heure s’engagerait durablement, dépassant le
besoin immédiat de protection localisée pour s’ouvrir à une vision élargie et investie d’une
mission de vigilance quant à l’intervention de l’Etat et des collectivités territoriales. Pour le
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reste, « l’oubli » fréquemment cité deviendrait la norme… Un oubli aux contours néanmoins
mouvants, la mémoire tapie remontant en surface à la première menace :
« C’est sûr, l’émotionnel est encore là, même si c’est plus en profondeur maintenant, qu’on n’en
parle plus, aucun parent n’est jamais venu me voir pour me dire “ attention mon enfant a été
traumatisé par les inondations“… Donc ils ont peut-être du mal à se projeter, à en parler, mais
quand il pleut beaucoup pendant plusieurs jours, le “rappel émotionnel des inondations“ revient,
et c’est peut-être inconscient, ou instinctif. Et je vois bien que les enfants ont effectivement
tendance à être plus sensibles à l’orage.» (Directrice d’un établissement scolaire, Aramon)
À situation mouvante, perception changeante
Nous souhaiterions démontrer le passage possible d’une posture à une autre, au gré des
expériences des épisodes de crue ou des aménagements préventifs réalisés.
Des habitants de Comps – village épargné par les inondations durant de longues décennies,
avant de connaître coup sur coup deux événements traumatiques – ont ainsi traversé, en
l’espace de quelques années, les trois postures repérées, pour, parfois, revenir à la seconde
une fois la digue rehaussée et consolidée. Une commerçante expose son parcours, passant
de l’incrédulité à la conscience du risque (2002), puis à de moindres précautions du fait de
fausses alertes successives (2003), avant de se sentir à nouveau à l’abri à la faveur de la
nouvelle digue :
« Les inondations avant, personne n’en parlait, même mes parents qui sont d’ici n’en avaient
jamais vu. En septembre 2002, il y a eu de l’eau partout… On n’avait rien protégé, on nous
avait prévenu mais on ne pensait pas que l’eau arriverait jusqu’au plafond quand même. On
était très mal assuré, on a été indemnisé que pour le mobilier, mais la deuxième année on a pu
recevoir l’assurance pour “perte d’exploitation“ parce qu’on avait changé d’assurance. Et la 2e
fois, on avait pris quelques précautions, mais pas on n’a pas tout fait non plus, parce qu’on
avait eu deux alertes depuis 2002, alors à chaque fois on montait tout, la photocopieuse, la
caisse, tout… et au final il ne se passait rien. Donc en 2003 on en eu marre, parce que c’est du
boulot de tout monter, surtout quand on fait ça la nuit et que le lendemain à 6h il faut tout
redescendre pour l’ouverture du magasin. Donc on a essayé de sauver ce qu’on pouvait, mais
juste les petits trucs et on a laissé le reste (…). Maintenant, non, je n’y pense pas… à cause de
la digue, qui est plus haute. Oui, on se sent rassuré. Pas totalement, quand on a été inondé
deux fois, on a forcément quelques doutes, mais franchement avec la digue, je ne pense pas
que ça arrivera comme ça, encore. »
Dans la même lignée bien que plus modestement, une habitante de Lyon (quartier de Vaise)
découvre avec stupeur, en 2001, que la Saône est « vivante », au point de s’inviter jusque
dans son logement. L’inondation révélant sa vulnérabilité, cette riveraine se préoccupe
désormais du risque, intégré dans le réaménagement du sous-sol dans une optique
d’extension de l’espace habitable… même si elle demeure persuadée que la crue décennale
puisse être le maximum atteint :
« On ne s’était pas soucié de savoir si la Saône débordait, mais on a connu les joies de
l’inondation en 2001, on a eu 20 cm dans le sous-sol (….). Depuis on compte réaménager
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encore plus en bas, pour faire une salle de jeu pour les enfants, mais maintenant on sait que la
Saône peut déborder, donc en bas on a vu avec un architecte comment faire par rapport à ça…
On va mettre des cloisons en béton qui sont plus résistantes, les prises plus haut, et la
chaudière hauteur contre le mur, et tous les meubles facilement démontables (…) Et maintenant
la Saône on la surveille, pas en permanence non plus, mais on sait que si le quai en face est
inondé, ça peut arriver chez nous, on a pris conscience qu’on vivait à côté d’un fleuve, qu’il est
vivant… Et on sait jusqu’où l’eau monte, que ça arrive à peu près tous les 10 ans. » (Mme L)
Autant des riverains oscillent entre une attitude passive et une attitude plus active, autant
certains (et parmi eux des membres de la Confédération des riverains du Rhône) pensent
sincèrement se préoccuper des inondations, mais, néanmoins, s’inscrivent en marge de la
seconde et troisième posture en raison de perceptions ambivalentes du risque. Par exemple,
aménager son habitat mais estimer qu’un barrage bien géré devrait résoudre tout problème
(riverain de Pierrelatte) ; se croire à l’abri et se rendre compte que les matériaux de
protection seraient insuffisants pour protéger le circuit électrique (entreprise de Vaise)…
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Partie 1 – Des perceptions contrastées du risque
4 – Regard croisé : du sentiment de vulnérabilité à la réduction des
impacts
En droite ligne de notre première hypothèse de travail (le sentiment de vulnérabilité au
fondement de la conscientisation du risque), il est temps à présent de s’interroger sur la
relation entre les perceptions riveraines et le processus d’intégration du risque au sein des
pratiques.
4.1
Variations spatiales et temporelles du sentiment de vulnérabilité
De la campagne d’entretiens, il ressort en premier lieu un sentiment de vulnérabilité assez
modéré, à quelques exceptions près. Il est néanmoins particulièrement mouvant, évoluant
en fonction du lieu d’implantation, de l’occurrence des crues, des moyens de protection mis
en place, des changements climatiques attendus, mais aussi de l’accès à l’information et de
la comparaison avec les situations des « voisins », ou des « habitants du sud ».
Effectivement, l'examen global des entretiens relève un effet de déplacement de la
vulnérabilité sur l’autre. La figure du démuni permet, en miroir, de relativiser les atteintes de
l’événement inondant et, au final, d’apprécier à sa juste valeur son cadre de vie, tant il paraît
malaisé pour l’habitant de déconsidérer l’espace dans lequel il s’inscrit. Ainsi, sur le HautRhône, les riverains de Brangues pointent-ils leur aubaine au regard des habitants de la
commune voisine, Le Bouchage, plus fortement impactée. Quand, au Bouchage, on souligne
la dure réalité des Camarguais, si violemment soumis aux colères du Rhône. Du côté de
Donzère et de Pierrelatte, les dégâts constatés sont généralement moindres que ceux des
secteurs voisins. Sur le Rhône aval, certains habitants d’Aramon, malgré des décès causés
par les inondations, évoquent les deux crues consécutives, à 15 mois d’intervalle, qui ont
submergé le village de Comps.
De même, les riverains établissent spontanément un rapport direct entre leur vulnérabilité et
les bouleversements climatiques médiatisés. Ils peuvent en être rassurés (baisse de la
régularité et la violence des crues du fait de chutes de neiges affaiblies) ou, au contraire,
inquiétés tant les changements annoncés laissent entrevoir une ère livrée à l’inconnu (« on
n’a pas encore tout vu »). Parfois, les désordres du climat offrent l’opportunité – ou la
confirmation – de transférer la crainte des inondations sur d’autres risques naturels (tels que
les vents violents, jugés plus fréquents à l’avenir).
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Profitons de cette incursion dans les « autres risques » pour revenir sur l’enquête réalisée en
1999 par l’IFEN1 sur la perception des Français des risques naturels. Dans les régions du
Centre-Est, séisme et tempête sont les premiers risques cités (respectivement 27 % et 16
%), quand l’inondation apparaît en troisième position (14 %). En revanche en région
Méditerranée, le risque inondation est le premier invoqué (41 %), suivi de l’incendie de forêt
(27 %). Les résultats de l’enquête établissent une corrélation entre exposition au risque et
inquiétude : à risque égal, le degré de vulnérabilité s’élève chez les individus identifiés
comme « inquiets » en comparaison des individus « tranquilles ». Il apparaît pourtant que le
rôle joué par le caractère de l’individu dépend du type de risque : l’écart constaté entre
« inquiets » et « tranquilles » concernant la tempête (respectivement 45 % et 34 %), se
réduit légèrement pour l’inondation (43 % et 39 %).
Au-delà de la personnalité de chacun, le rôle de la transmission s’avère largement
déterminant. Tel qu’esquissé précédemment, la familiarité du risque, et par là l’absence de
réelle inquiétude quand survient l’événement, est non seulement partagée par les anciens du
Rhône, mais se diffuse progressivement, dans certains cas, auprès des populations nouvelles
(voir partie 2, p.47). Ces dernières s’approprient, à leur manière, le rapport au risque qui
prévaut sur un territoire donné et se créent une vision propre, fondée sur une sélection de la
mémoire collective.
À l’évidence, les contours du sentiment de vulnérabilité s’adaptent aux configurations
géographiques, représentations sociales, contextes et actualité. Ce sentiment est tout à la
fois territorialement, temporellement et culturellement défini.
4.2
De l’exposition à la protection ?
Pour qu’il y ait réelle anticipation, l’expérimentation (personnelle ou transmise localement)
est, nous l’avons vu, un passage quasiment obligé. Encore faut-il être conscient de la
reproduction possible de l’aléa, bien souvent perçu au travers de sa singularité, tel un
événement exceptionnel dépendant de facteurs naturels et techniques trop particuliers pour
être généralisés.
La société contemporaine, avec ses effets d’écartement progressif du risque de la scène
quotidienne, induit ce jugement a-normal du phénomène de l’inondation. Ce qui, jadis,
relevait d’une pratique locale (les entretiens s’attachant à l’habitude des anciens riverains le
montrent bien) rejoint aujourd’hui la sphère de l’extraordinaire. Comme l’indique C.
DOURLENS2, « la crue comme problème » apparaît à mesure que les pouvoirs publics
1
IFEN. L’Opinion des Français sur l’environnement et leur perception des risques naturels. Études et travaux, Juin 2000
2
C. DOURLENS. La société catastrophée, dans La Question des inondations au prisme des sciences sociales.
« 2001 plus », n°63, CPVS, juillet 2004.
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s’emparent du risque à l’aide de dispositifs techniques et organisationnels. De fait, tout
événement impactant les populations signifie, selon nombre de riverains, qu’à l’origine
naturelle se surajoute le facteur humain (le gestionnaire qui ne parvient pas à réguler les
barrages, le défaut d’entretien du lit ou de la digue, etc.), seul fautif de l’ampleur inhabituelle
de l’inondation.
Par ailleurs et suivant l’interrogation de H.P. JEUDY3, une difficulté majeure de
l’appréhension du risque réside dans son caractère presque « fictionnel » : comment se
projeter – et par là anticiper l’événement – dans la mesure où la prévision du risque n’a pas
de temporalité propre (non mesurable par définition) et s’apparente plus à une « imagerie de
la catastrophe » qu’une gestion raisonné du risque ?
Aussi la prise en charge individuelle de la protection réclame-t-elle un certain volontarisme,
capable de s’affranchir d’une vision singulière du risque et d’une maîtrise supposée absolue
par les ingénieurs et les gestionnaires ; susceptible également de se projeter dans une
reproductibilité aléatoire. Si le sentiment de vulnérabilité s’inscrit en préalable, il demande
d’être renforcé par la conviction de sa permanence – et ce quels que soient les dispositifs de
protection existant à l’échelle du territoire – afin de, le cas échéant, produire des stratégies
individuelles de réduction des impacts.
De l’exposition au risque à la réduction de sa vulnérabilité, le chemin peut s’avérer long et
sinueux, jalonné d’incertitudes, parfois ponctué d’inquiétudes temporaires, et empreint
d’opinions socialement construites qui peuvent distordre les causes de l’inondation et en
minimiser les effets.
3
H.P. JEUDY. Le Désir de catastrophe. Ed. Aubier, 1990
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Résumé de la partie 1 - Trois principales postures identifiées
>> Déni ou méconnaissance de l’exposition au risque : particulièrement repérée chez les
résidents et responsables de structures au sein des agglomérations exemptées, de longue
date, des atteintes des crues, mais aussi, parfois, parmi des riverains ayant connu des crues
mineures sans dommage matériel. L’improbabilité du risque se mesure à l’aune de la
confiance accordée aux aménagements fluviaux et autoroutiers et de l’imagerie folklorique
d’un passé inondant à jamais révolu.
>> Risque identifié mais minoré dans ses effets, l’inondation n’étant pas considérée comme
un risque majeur. Cette attitude s’observe plus fréquemment dans les secteurs
régulièrement soumis à de faibles crues, ou lors d’un seul épisode de grande ampleur, dont
la singularité est perçue comme un obstacle à sa reproductibilité.
Pas d’effet de projection, d’où l’idée généralisée que le plus fort évènement connu (quel que
soit son ordre, de décennal à centennal) est le maximum possible sur un territoire donné.
Ainsi, familiarité du risque – voire fierté toute rhodanienne de côtoyer un fleuve fougueux –,
atteintes faibles, absence de danger humain, prévision à moyen-terme et effets de sousévaluation (en comparaison avec d’autres risques naturels ou technologiques) conduisent à
une prise en charge modérée : aménagements domestiques légers et centrés sur le temps
de la crise.
>> Risque mesuré et appréhendé : posture la moins représentée sur l’ensemble du territoire,
correspondant à une connaissance plus affinée des effets des crues de moyenne et grande
ampleur et une autonomie grandissante dans leur appropriation. Pour l’essentiel, elle est le
fait de personnes fortement touchées par les récents évènements (Rhône aval notamment),
décidées à pallier les dommages matériels et humains en organisant leur propre « plan de
gestion de crise » : surveillance du fleuve, aménagement de l’habitat ou des établissements
adapté… jusqu’à la mobilisation associative motivée par la défense des intérêts locaux
(rehaussement et/ou consolidation de digues, meilleure gestion des aménagements
fluviaux…). Un tel comportement atteste de la force de l’événement révélateur, mais,
néanmoins, s’inscrit également dans une quasi certitude d’avoir connu « le pire », expliquant
la référence aux dernières hauteurs de crue pour les modifications de l’habitat ou de la
structure.
>> Les postures relèvent du sentiment de vulnérabilité et, par là, de la prise en charge du
risque. Pourtant l’équation est plus complexe qu’il n’y parait, tant les perceptions riveraines
témoignent de la mouvance (spatiale et temporelle) du rapport au risque. Celui-ci se
subordonne au cadre de vie, à la diffusion locale d’une confiance ou d’une suspicion de la
gestion fluviale, à l’avènement d’un épisode de crue là où l’on se croyait protégé ou, au
contraire, au retour d’une relative quiétude là où de nouvelles protections s’érigent.
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Partie 2 – Le territoire, point d’ancrage de la culture du risque
Point névralgique de l’enquête, d’où découle l’ensemble des thèmes conducteurs des
entretiens, la question de la culture du risque n’est pas aisément identifiable, ni même
facilement abordable dans les échanges avec les riverains. Plutôt que de s’inviter
spontanément à la table de la discussion, elle demande d’être progressivement amenée au
détour de questionnements ciblés. Au final, elle émerge d’un savant croisement entre la
connaissance du fleuve, la perception du risque et de son acceptabilité, les modes d’accès à
l’information et l’inscription dans les réseaux de sociabilité… En somme, la culture du risque
correspondrait au positionnement global d’un habitant sur un territoire, le risque n’étant
qu’une donnée parmi d’autres, s’insérant dans la « boîte à outils » du riverain attentif à son
cadre de vie.
Nous verrons, au long de cette seconde partie, comment culture du risque, objet
environnemental et territoire s’entremêlent au point de tisser des liens indéfectibles et de
troubler l’observateur dans sa quête du fait risque et du fait territorial.
Plus globalement, à la lumière des informations émanant du terrain, il s’agira de mieux
comprendre les processus menant à l’appréhension raisonnée du risque et à ses multiples
formes d’acceptabilité, avant de répondre au postulat de départ.
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Partie 2 – Le territoire, point d’ancrage de la culture du risque
1 – Culture du risque, culture locale ou culture du fleuve ?
Avant tout, précisons que l’expression « culture de risque » n’évoque généralement rien aux
personnes rencontrées, à l’exception des plus familières des tribunes institutionnelles, preuve
s’il en est du caractère éminemment stratégique d’une telle formule.
Pour autant, si l’aphorisme circule essentiellement dans les milieux technocratiques, il
s’appuie sans conteste sur une réalité riveraine, bien qu’elle ne soit pas toujours identifiée
comme telle par les habitants. Il convient néanmoins de nuancer cette affirmation en
fonction des différents contextes, mais aussi de s’interroger sur le cadre conféré à la culture
du risque, au travers de ses fondements : de quelle forme de culture parle-t-on ?
Un détour par les représentations liées à l’habitat en zone inondable nous permettra en
second lieu de mieux mesurer la question de la culture du risque, à l’évidence étroitement
connectée au cadre de vie.
1.1
Vivre en zone inondable, une aubaine… ou un piège
Du fleuve agrément au fleuve menace, de la fierté de côtoyer un cours d’eau en perpétuel
mouvement à la dévalorisation des lieux, l’habitat en zone inondable n’est jamais anodin.
Fleuve nature, fleuve fédérateur
Si le fleuve s’impose rarement en déclencheur de l’implantation sur ses rives, il participe,
pour beaucoup, de l’esthétisme du cadre de vie ou de l’intrusion de la nature dans un
environnement urbain. Que l’on soit familier de la vie au bord du fleuve, ou qu’on la
découvre, nombre de riverains signalent leur relation singulière à l’objet, parfois jusqu’à
l’exaltation : beauté du site, mouvement des eaux, observation de la faune, voire partage
d’une communauté de « gens du fleuve »… Ses colères ne seraient, somme toute, qu’un
témoignage de son caractère vivant. Sans compter que la localisation en zone inondable est
souvent gage d’un foncier au coût modéré et d’un vis-à-vis préservé.
« J’ai toujours vu le Rhône, qui monte, qui descend, qui a ses moments de calme… On sent que
c’est un grand copain, parce qu’on a vécu sa jeunesse avec, on a appris à nager dedans, à
pêcher et à chasser avec mon père, le Rhône c’est aussi la vie, ça apporte des alluvions, ça
donne au terrain une valeur importante, de la fertilité. » (M. C, Les Avenières)
« Notre situation géographique, on la donne toujours par rapport au fleuve, c’est un axe nordsud et au bout il y a la mer, on est vraiment dans un coin privilégié, le fait d’être près du
Rhône, on a vraiment l’impression de faire partie de quelque chose, qu’il y a un tenant, un
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aboutissant. Disons que moi je me sens liée au Rhône, mon père m’a souvent emmenée faire
de la barque, j’adore aller dans les vignes au-dessus pour la vue sur le fleuve…Je crois que
j’aurai beaucoup de mal à vivre excentrée du fleuve. » (Mme T, Sablons)
« Moi je suis stéphanoise d’origine, je ne savais pas ce que c’était de vivre près du fleuve. Le
matin quand on ouvre les volets, on regarde la Saône, soit il y a de la brume dessous, soit…
enfin c’est changeant, c’est un tableau qui change tous les jours, c’est merveilleux. Je vais me
promener à pied le long, je flâne, je la regarde, si elle descend ou elle monte, si l’eau est
propre… Je prends plaisir à regarder les péniches, les canards, les oiseaux. (…) On a une qualité
de vie extraordinaire, alors même si on a une inondation de temps en temps dans le sous-sol, la
Saône nous apporte tellement de choses agréables, ça veut dire qu’elle est vivante. » (Mme L,
Lyon Vaise)
Fleuve contraignant, fleuve menaçant
Le glissement de l’agrément à la menace se lit déjà au travers des paroles des agriculteurs,
loin de s’accorder sur le rapport entre crue et fertilité. Si certains saluent les bienfaits des
débordements fluviaux, d’autres relativisent le phénomène, jusqu’à dénier tout bénéfice de
l’agriculture en bordure du Rhône :
« L’inondation amène des alluvions, avant quand on avait souvent des petites crues, on n’avait
pas besoin de mettre de l’engrais, c’était plutôt bénéfique pour les arbres, vu qu’on n’a que des
arbres qui résistent à l’eau, des poiriers, des pommiers… Au contraire, on aime bien les
inondations, parce que ça nous élimine tous les rats, on est envahi par les campagnols qui
bouffent les racines, alors quand ça déborde ça fait des rats en moins ! » (Agriculteur G,
Chavanay)
« Ca dépendait des inondations, si elles restaient longtemps ou pas, si ça restait pas trop, ça ne
détruisait pas les récoltes, et dans le temps l’eau apportait des éléments qui fertilisait le sol.
Mais maintenant, non, ça ne sert plus à rien, parce qu’avant l’agriculture c’était à petite échelle,
mais maintenant ça n’a plus lieu d’être, maintenant l’agriculture c’est du débit, du rendement,
on a besoin d’engrais. » (Agriculteur F, Vaulx-en-Velin)
« Le limon du Rhône, franchement ça n’amène rien, il est complètement pourri avec RhônePoulenc au-dessus, en 2003 l’eau a brûlé les troncs comme si on les avait passé au chalumeau.
La fertilité due au fleuve, c’est de la connerie ça, c’est de l’utopie, le sol est sableux, limoneux,
pauvre en matière organique, on est obligé de mettre de l’engrais. » (Agriculteur J, Donzère).
Ainsi, des riverains considèrent l’implantation en zone inondable comme une véritable
contrainte et une atteinte à la valeur des biens. La crainte de ne pouvoir effectuer des
transactions immobilières, les emprunts courants freinant le départ, le sacrifice ressenti en
zone rurale en faveur d’une protection des populations urbaines, ou les nouvelles
prescriptions du PPRI, esquissent les contours de territoires désormais écartés de la scène du
développement.
« J’ai appris que ma maison était en plein dans la ligne des 100 m. inconstructibles par le PPRI
(…). Alors si je veux vendre, ça va être difficile, surtout qu’on se demande pourquoi c’est
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inconstructible vu la topographie du terrain, il y a des endroits où les maisons sont en hauteur,
sur un monticule. » (M. J, Vaulx-en-Velin)
« J’ai bien pensé à partir après la 2e inondation, mais déjà les travaux de la digue, ça m’a
rassurée. Et puis je venais d’acheter en 2002 et l’inondation est arrivée 6 mois après. Donc je
n’ai pas eu le choix, j’étais coincée, je ne pouvais pas brader ma maison… Oui, je me suis sentie
piégée et je pense que si j’avais eu très peu d’années restant à rembourser le crédit, je l’aurais
vendue. » (Mme CD, Comps)
« Le problème c’est que si je veux partir, ça ne m’arrange pas. Parce que quand je me suis
installé je n’étais pas en zone inondable et ce n’est plus le cas depuis 93. Ca ne bloquera pas
totalement la vente, mais je pourrai pas vendre autant que je l’estime, à moins que ce soit des
Suisses ou des Anglais qui achètent et qui ne savent pas… » (M. W, Livron sur Drôme)
« La zone dépotoir maintenant c’est classé, on ne peut rien y faire, sauf si la CNR gère mieux
ses barrages. Nous on connaît des gens à Lyon, en 90 ils n’ont pas eu d’eau, ça veut bien dire
qu’on est pris comme une zone dépotoir pour protéger Lyon, on a demandé à la CNR d’essayer
de moins nous inonder, mais ils ne veulent rien savoir. » (Agriculteur C, Le Bouchage)
Face à l’injustice ressentie, certains – des agriculteurs et/ou membres de la Confédération
des riverains du Rhône – réclament des mesures compensatoires, qui en réparation du
nettoyage des terres agricoles non indemnisé par les assurances, qui en dédommagement du
sacrifice opéré par les habitants des zones dévolues à l’expansion des crues.
« Les plus gros dégâts de 90, c’était dans les terres, on n’en parle jamais de ceux-là, tout ce qui
flottait et s’est arrêté dans les haies, et on a passé 2 mois à nettoyer les saletés dans les
champs à ras des haies, et personne ne nous a aidé pour ce nettoyage là. Pour nous ce n’est
pas gênant d’être dans un bassin de rétention, à condition qu’ils tiennent les inondations au
niveau du tracé, pas comme en 90, ça avait dépassé la zone inondable. On devrait avoir une
indemnité, ponctuelle, pour tout le travail de nettoyage, par exemple en 90 on a du acheter un
chargeur pour nettoyer les terres alors que les saletés ne venaient pas de nous, c’est tout ce qui
était charrié. » (Agriculteur D, Yenne)
« On est sacrifié, mais le problème c’est qu’il n’y a aucune reconnaissance de l’inondé, alors
qu’indirectement, ici, on protège les bâtiments industriels et les citadins, on comprend qu’il vaut
mieux inonder les zones agricoles qu’un centre-ville, mais on voudrait quand même un
minimum de reconnaissance et de compensation. Faire reconnaître que la valeur d’une maison
inondée tous les 2 ou 3 ans perd de 50 à 70 %, et ça c’est l’inspecteur des impôts qui me l’a
dit, donc pour ça aussi, il nous faut une reconnaissance. » (Agriculteur I, membre actif de la
Confédération des riverains)
En revanche, la plupart des interlocuteurs des communes du Gard fortement impactées,
dorénavant protégées par des digues consolidées, constatent un renouvellement des
populations, malgré l’alignement (ou légèrement en-dessous) des prix de l’immobilier aux
normes du marché.
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Ambivalence du piège et de l’attachement
Rappelons l’importance du sentiment d’appartenance, à même de retenir l’habitant sur la
zone inondable, qui, au-delà d’un secteur soumis aux crues, s’impose avant tout en lieu de
vie imprégné de relations sociales. Ainsi, le fait territorial nuance le propos d’une riveraine
de Comps – qui exposait précédemment les raisons financières bloquant un éventuel départ
–, tandis qu’une autre, après son déménagement, se remémore la difficulté de quitter un
village et un voisinage si apprécié.
« Ce n’est pas clair, on reste aussi parce qu’on a un attachement sentimental à la maison, mes
amis, la famille, c’est vrai que je n’ai pas le choix, je ne pouvais pas m’endetter en partant,
mais je ne vais pas faire mon Caliméro, j’aime ma maison, je suis à 5 mn de mon travail, je
suis attachée à mon village, c’est un peu comme une grande famille, c’est convivial en fait. »
(Mme CD, Comps)
« Ca a été difficile de partir, parce que j’étais très attachée à ce village, les enfants ont grandi
là-bas. C’est marrant, parce que même après les inondations de 2002, ma réaction très
contradictoire a été de me dire “jamais je ne pourrai quitter ce village“, c’était trop fort,
l’impression d’avoir une appartenance avec ces gens, un vécu commun par l’inondation… et
d’autres personnes ont eu la même réaction que moi, on en parlé… mais après la 2e inondation,
c’était trop, je ne pouvais plus faire courir un danger à mes enfants » (Mme DE, ex Comps)
Référencé au territoire, le sentiment d’appartenance s’élargit quelquefois à celui d’une
« communauté rhodanienne » familière du fleuve et de ses dangers, unie par la fierté de
vivre en quasi symbiose avec l’élément (voir première partie, p. 27).
1.2
L’espace social de concrétisation du risque
La question territoriale joue un rôle tout à fait central dans le rapport cognitif au risque et au
fleuve, imprégnant les différentes formes de connaissance repérées au long des entretiens.
Qu’elles s’attachent au Rhône, au phénomène inondation ou aux mesures de prévention,
elles se révèlent particulièrement diversifiées de l’amont à l’aval. La synthèse est malaisée,
tant certains possèdent des bribes d’information sur tel ou tel sujet particulier, tant d’autres
disposent d’un regard aiguisé sur l’ensemble des thématiques abordées, dépassant le seul
contexte local.
Variabilité des savoirs : approche par catégories d’enquêtés
Déjà, les données diffèrent selon les catégories, autrement dit habitant expérimenté ou non,
agriculteur, responsable d’institution ou d’entreprise. À ce propos, soulignons la non
pertinence d’une distinction entre les catégories socioprofessionnelles, telles que définies par
l’INSEE, dans le mode de connaissance. Tout au plus les individus des catégories supérieures
et intellectuelles ont-ils tendance à relativiser l’opinion générale circulant à propos des
causes des inondations, ou à avoir accès plus facilement à une documentation fiable via
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Internet ou autres supports médias… à condition toutefois d’avoir été préalablement
sensibilisés à la question.
En revanche, la profession peut s’imposer comme un facteur déterminant quand elle permet
une information « de première main » par des interlocuteurs jugés référents. Ainsi, citons ce
médecin du Rhône moyen qui, à l’occasion de ses consultations, a des échanges avec un
éclusier lui expliquant le fonctionnement des barrages ; cette secrétaire de mairie sur le
Rhône aval qui tire ses connaissances d’une visite de terrain sur le fleuve avec un élu ; cet
ancien ingénieur du domaine fluvial, aujourd’hui dirigeant d’entreprise sur le Haut-Rhône, qui
entretient une relation de proximité avec les gestionnaires des aménagements.
>> Les agriculteurs
Ils développent une approche spécifique du fleuve (« outil de travail » quand il participe à
l’irrigation) et du risque qui en découle. Leurs savoirs reposent sur la transmission familiale,
l’expérience du terrain et le transfert d’information lors de rencontres interprofessionnelles,
occasion parfois d’échanger avec des spécialistes du domaine fluvial.
De fait, si les exploitants agricoles sont généralement porteurs d’une mémoire de la crue à la
faveur d’une ancienneté d’habitat de père en fils, ils ne s’avèrent pas nécessairement les plus
attentifs à la question du risque, ne cherchant pas particulièrement à s’en informer. Soit
parce que le risque est intégré de longue date (l’on rejoint là la familiarité induisant la
relativisation), soit parce que, comme beaucoup de riverains des secteurs concernés, ils s’en
croient – ou se sont crus – dorénavant protégés.
« Vous savez les anciens comme mon père, ils avaient le don de savoir, et ça continue
aujourd’hui parce qu’il m’a parlé des crues, donc avant on vivait avec les inondations, il y avait
une vigilance, il y a des gens que je connais bien qui avaient toujours des barques. (…) Après,
avec la rocade, on nous a dit qu’elle faisait digue, donc on est devenu moins vigilant, elle fait un
système de protection, on n’a jamais été inondé depuis. » (Agriculteur F, Vaulx-en-Velin)
Ainsi, la fonction « d’héritier de la mémoire » (mémoire parfois imprécise quant aux dates
réelles des événements évoqués) n’est pas synonyme d’une vision éclairée sur les tenants et
aboutissants du phénomène inondation.
« Ma mère m’a dit qu’en 1947 l’eau est montée au même niveau que 90, on ne sait pas trop ce
qu’il s’est passé en 90, il paraît que les barrages étaient trop pleins, et que le barrage en bas
était fermé. Faudrait qu’ils gèrent mieux leurs barrages quand même, mais la CNR ne veut rien
savoir, on les a rencontrés quand ils ont fait la digue. C’était une réunion avec les agriculteurs,
les maires, les conseillers… » (Agriculteur C, Le Bouchage)
Toutefois, l’adaptabilité des cultures agricoles et la mise en place de repères signifient en soi
une appropriation personnelle du risque, se traduisant en une pratique de surveillance du
fleuve :
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« Aujourd’hui on a toujours des inondations de temps en temps, mais des petites, les ruisseaux
qui débordent une fois tous les 2 ou 3 ans. Si on avait des arbres à noyaux ça poserait
problème, mais ici on a des arbres à pépins sur tout le secteur, à cause des inondations, ils
résistent bien à l’eau. » (Agriculteur G, Chavanay)
« Nos repères c’est l’île sur le Rhône, quand on voit l’eau qui la recouvre… ou la porte de la
station de pompage quand elle est fermée. Et l’échelle sur le Rhône aussi, on fait confiance, dès
qu’on voit qu’il pleut, on sait si ça va inonder avant que la mairie nous prévienne. » (Agricultrice
B, Brangues)
Au croisement du pragmatique et du technique, leurs savoirs et savoir-faire liés au fleuve
concernent son régime, les effets des crues et les moyens de s’en prémunir.
L’expérimentation et sa transmission demeurent dans une relation de proximité et d’usage
avec l’environnement, au fondement d’une connaissance étroitement localisée. Ceux qui
développent une vision élargie aux mesures préventives mises en oeuvre sur le territoire et
au fonctionnement fluvial dans sa globalité s’inscrivent dans d’autres sphères que leur stricte
pratique agricole (membre du conseil municipal, membre de la Confédération des riverains
du Rhône…).
>> Les habitants non inondés
Parmi les riverains « non inondés », il s’agit de distinguer ceux qui vivent dans un secteur à
l’abri des inondations depuis plus de 20 ans, de ceux qui habitent sur des communes plus
récemment atteintes.
Dans le premier cas, si la connaissance du fleuve dépend de la sensibilisation de tout un
chacun à cet objet singulier, celle liée au risque inondation se rapporte à l’imagerie des crues
de jadis ou à la médiatisation des catastrophes du sud de la France. Et, quand le désir d’en
savoir plus se fait jour, il peut se heurter à un défaut d’information pertinente mise à
disposition :
« C’est arrivé qu’on discute des inondations avec des vieux lyonnais, c’est arrivé à l’occasion, on
en parle comme on parle du brouillard lyonnais. Mais justement, ça nous intéresse quand
même, donc on est allé dernièrement à une réunion qui avait lieu sur la fameuse crue de 1856,
à la mairie du 7e. Nous on y allait pour faire un parallèle entre 1856 et aujourd’hui, connaître le
risque qu’on peut avoir aujourd’hui, on pensait avoir des informations. Mais finalement on n’a
parlé que du père Chevrier, comment il a agi dans le quartier, mais on n’a pas eu de détails
techniques sur les crues du Rhône… On était déçu. » (M et Mme M, Lyon Gerland)
Le second cas, plus complexe, demande d’examiner plus en profondeur les situations
rencontrées. Localisée dans un secteur régulièrement – ou au moins récemment – soumis
aux crues, cette catégorie de riverains peut développer un savoir particulier, relevant
directement d’une transmission orale par l’entourage ou à l’occasion de rencontres
informelles avec des élus et/ou des techniciens territoriaux.
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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Deux facteurs entrent en ligne de compte : d’une part la configuration de la commune (faible
densité ; caractère rural, petite ville ou quartier animé plutôt que « cité-dortoir »), d’autre
part la propension du nouvel habitant à s’insérer au sein des réseaux locaux (école, travail,
monde associatif). Il semblerait que la combinaison de ces deux facteurs soit nécessaire pour
enclencher une transmission fonctionnelle et localisée. Le savoir ainsi généré s’attache au
rappel des grandes crues passées, à la surveillance du fleuve et aux mesures de sécurité,
plus rarement au fonctionnement fluvial.
« Notre voisin, c’est le père de l’élu qui s’occupe de la CNR, enfin qui y participe très
activement, donc on sait pas mal de choses par lui, ou par l’ancien maire... et aussi le
technicien qu’on voit à la station de pompage. (…) Nous on participe à la vie de la commune, on
avait créé un comité de soutien pour un élu et chez nous c’était le QG, donc on s’implique
quand il y a un besoin exceptionnel. Après tout ce qu’il se passe, on le sait, déjà la commune
est petite, on se croise facilement… Et on lit le petit bulletin qui donne des infos. Et quand notre
fille allait à l’école du village, c’était facile aussi de savoir des choses, on faisait partie du Sou
des écoles. » (M et Mme D, Brangues)
L’élan qui réunit, en période de menace, « nouveaux » et « anciens » observateurs du cours
d’eau sur la digue, à la station de pompage ou au bord du quai ne s’érigerait-il pas en
symbole d’une transmission réussie ?
« Il y avait l’adjoint au maire qui passait sur le quai le soir, je l’ai rencontré plusieurs fois parce
qu’on allait sur la place des Mariniers pour voir, on a pu discuter… Ca rapproche un peu les gens
quand le Rhône monte, tout le monde se retrouve sur le quai. » (Mme R, Sablons)
« Les nouveaux se renseignent, ils posent des questions avant d’acheter déjà et après
forcément ils entendent souvent parler des inondations, pendant 2 ans au moins, on en parlait
chaque fois qu’on faisait un repas entre copains… Eux ils n’ont pas le même réflexe que nous
quand il pleut, mais certains viennent voir sur la digue aussi. Ils me posent pas mal de
questions, moi je fais partie des meubles du village, je leur explique comment ça marche… ça se
transmet, à ceux qui s’intéressent au village quand même, qui ne font pas que dormir ici. » (M.
EF, Aramon)
Plus généralement, quel que soit le secteur d’implantation des « non inondés », le défaut de
connaissance affinée sur les problématiques fluviales s’apparente au sentiment de protection.
Que l’on ait connu ou non des inondations, la certitude que son espace d’habitat ne sera
jamais impacté suffit pour se croire exempté du risque, puisque, spontanément, aucune
personne interrogée n’évoque les accès coupés, potentiels obstacles aux déplacements
quotidiens. En outre, pour peu que les établissements scolaires soient localisés hors des
zones inondables, les parents sont assurés de la sécurité de leurs enfants.
>> Les habitants « inondés »
Une seule expérience des inondations suffit pour changer la donne en matière de culture du
risque. L’effet révélateur de la crue joue non seulement dans la prise de conscience, mais
aussi dans la production de nouveaux savoirs et savoir-faire : vigilance accrue, création de
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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ses propres repères, meilleure appréhension du phénomène (origines, effets) et mesures
préventives individuelles, que l’on identifie à défaut de toujours les appliquer.
« Aujourd’hui j’ai l’impression que les signes avant-coureur je les connais un peu, s’il pleut
pendant plusieurs jours, je fais attention. Par exemple en 2003 j’avais vu que les champs en
face étaient inondés, que l’eau stagnait, mais je suis partie au boulot sans me poser de
questions, alors que maintenant, je sais, si je vois 20 cm dans les champs, c’est clair que je vais
monter des meubles au premier avant que les pompiers me préviennent. C’est de l’expérience
quoi. » (Mme Z, Pierrelatte)
« Maintenant on sait, on a subi 90, avant on ne savait pas ce que ça donnait, que ça pouvait
monter si haut, maintenant on sait que si l’eau monte, on se renseigne, on dit “ tiens le débit en
Chautagne“ il est de tant, et on sait que si le débit augmente on peut anticiper la crue ici (…).
Moi maintenant je sais que la prochaine inondation, je vais me protéger, je vais tout évacuer…
Les gens doivent se prendre en main aussi, il faut vivre avec la crue, il faut modifier son
électricité, mettre tout en hauteur… Non, moi je ne l’ai pas fait parce que tout est encastré dans
les murs, alors bonjour, on pourrait le faire, mais ça nécessiterait des frais importants. » (M. F,
Brangues)
Ces nouveaux savoirs, mis en évidence par l’expérience, se confortent de la transmission
opérée par les « anciens » et s’enrichissent d’une connaissance plus technique – débits du
fleuve, politiques préventives, etc. – si l’on s’intéresse plus en profondeur à la question, ou,
tout simplement, que l’on s’implique dans la vie municipale.
« Par mon activité professionnelle, j’étais déjà sensibilisée au problème inondation, j’ai une
formation en aménagement du territoire et j’ai travaillé à Vaison la Romaine. Quand je suis
venue habiter à Comps, j’allais sur la digue avec les anciens, j’ai beaucoup discuté avec eux, ils
m’ont appris à lire la rivière, les enfants connaissaient d’ailleurs très bien le comportement du
Gardon après les inondations. Et puis bon, après j’ai été conseillère municipale, on a travaillé
sur le projet de digue, j’étais quand même au cœur de l’information. » (Mme DE, ex Comps)
La transmission de la familiarité du fleuve ne se contente pas de terrains naturellement
favorables, telles que les zones de faible densité urbaine. Un quartier au cœur d’une grande
agglomération peut également devenir opérationnel, du moment où l’habitant s’inscrit dans
le relationnel, à l’image de cette Lyonnaise de Vaise, renseignée par ses voisins au sujet de
la dernière crue.
Ainsi, comme pour les agriculteurs, la culture pragmatique s’étoffe dès que l’on croise les
canaux d’information : rencontres informelles avec des élus ou techniciens, lecture du
bulletin municipal, participation à des réunions publiques, engagement associatif, et plus
rarement recherche de documentation scientifique. La motivation initiale n’est pas toujours
liée au fleuve ou aux inondations, elle s’inscrit bien souvent dans l’intérêt global que l’on
porte à son territoire, ses projets, ses aménagements, le Rhône représentant une dimension
parmi d’autres… du moins hors des périodes de crise, aux lendemains de la crue.
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Précisons toutefois que l’information n’empêche nullement les perceptions erronées, à
l’image des « rumeurs » qui circulent et s’amplifient quant aux origines des crues, ainsi que
le souligne cet élu de Yenne :
« On entend ça sans arrêt, “les Suisses nous envoient leurs merdes, ils vident tous leurs
barrages“, et la CNR c’est le vilain petit canard, les gens sont persuadés qu’ils gardent l’eau
dans les barrages au lieu d’ouvrir les vannes, juste pour produire plus d’électricité après. On
entend dire ça dans les radios locales, ce sont les potins de bistrots les jours d’inondation. »
Les formes de connaissance acquises, à quelque degré que ce soit, demeurent
essentiellement locales, directement reliées au territoire de vie et à un besoin fonctionnel :
mieux comprendre l’événement, savoir comment s’organiser en période critique, traduire les
données techniques – tels que les débits enregistrés à telle section – pour mieux se
préparer... Quand le regard s’élargit, quand le fonctionnel se transforme en quête
scientifique, le savoir pratique rejoint la sphère de l’expertise, jusqu’à mobiliser les acteurs
associatifs (Confédération des riverains du Rhône notamment) autour du rôle grandissant
des « citoyens experts».
Enfin, un questionnement émane de la campagne d’entretien : l’idéal d’une culture du risque,
parfaitement relayée par les riverains spécialistes, n’omettrait-il pas les pannes de la
transmission observées ça et là ?
La perte de repères des anciens, due aux transformations du fleuve, aux types de données
techniques diffusées, ou à l’oubli du risque pendant une longue absence d’événement
inondant, transforme la relation entre « expérimentés » et « profanes », ces derniers
accordant un moindre crédit à la parole des anciens. Deux cas significatifs ont été repérés
sur le Rhône moyen – secteurs canalisés – et aval.
Sablons illustre les bouleversements consécutifs aux aménagements fluviaux…
« Les anciens connaissent le Rhône par cœur en tant qu’être vivant, mais ils ont complètement
perdu leurs repères en temps d’inondation, donc ils ne peuvent pas nous informer. Ils nous
disaient qu’avant, avant la construction du canal, ils appelaient à Lyon pour avoir les hauteurs
d’eau à la Guillotière, ils savaient qu’ici il y aurait tant d’eau, mais maintenant ça n’existe
plus. » (M. et Mme U, Sablons)
« Avant les barrages, on recevait les cotes de crues à la Mulatière, sachant qu’il fallait enlever
3,50 m. si par exemple le Rhône avait 8,50 m à la Mulatière et à quelques cm près c’était juste,
et sachant que ça mettait 8h pour descendre chez nous, eh bien on savait que le Rhône allait
commencer à inonder la place des Mariniers à 5,20 m. si mes souvenirs sont exacts… On savait
vraiment à quoi s’en tenir. Mais maintenant avec tous les barrages on est très mal informé, ils
nous disent le débit du Rhône, mais ce n’est pas précis, au lieu de nous donner les hauteurs
comme avant. » (M. S, Sablons)
… Tandis qu’Aramon démontre la perte de familiarité des crues, après plusieurs décennies à
l’abri de digues, sans compter le caractère singulier du dernier événement.
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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« Par rapport aux anciens, on a plus un œil protecteur, on ne va pas aller leur demander leur
avis sur la montée de l’eau ou pas, parce que ceux qui sont dans le village n’ont jamais eu d’eau
depuis… je ne sais plus, mais c’est très vieux, et eux ils ne s’en souviennent pas, ils ne peuvent
pas nous aider. Et en plus avant c’était plus des crues du Rhône, et pas une conjonction avec le
Gardon comme en 2002, c’était exceptionnel. Donc pour ceux qui ont connu les anciennes
inondations, c’était différent, parce que le Rhône montait lentement, ça n’a jamais cassé la
digue. » (Mme GH, Aramon)
En outre, la Confédération des riverains, sur le secteur de l’Ile de Printegarde, expose un
point de vue quelque peu divergent, bien que les effets soient similaires : le changement de
repères serait certes consécutif à l’implantation d’ouvrages au fil du Rhône, mais tiendrait,
pour l’essentiel, à la « simulation » des crues opérée par les gestionnaires.
« Avant oui, on avait des repères quand le Rhône venait naturellement, quand j’étas gamin on
plantait une branche, on posait des cailloux sur un chemin en pente, on voyait l’évolution. Mais
là, maintenant, rien, le Rhône maintenant avec son histoire de jeu de vannes, on ne peut plus
prévoir, on doit juste attendre l’alerte de la CNR. On ne peut pas avoir de repères avec les crues
artificielles provoquées par la CNR. Même les zones inondables ont changé, maintenant la zone
qui était prévue par la CNR au départ, on la dépasse avec des crues moyennes. » (Agriculteur I)
>> Les responsables d’institutions et d’entreprises
Nombreux sont ceux qui ont appris de manière fortuite la localisation de leur établissement
en zone inondable (voire la découvrent à la faveur de la démarche d’enquête, dans le cas de
l’agglomération lyonnaise). Le plus souvent, le caractère inondable se révèle au travers
d’échanges informels avec le personnel – et non la direction – dans les mois qui suivent la
prise de fonction, soit parce que le site a expérimenté une inondation, soit au regard des
contraintes à respecter pour la rénovation ou l’agrandissement des locaux.
La connaissance du fonctionnement fluvial dépend directement de la personnalité et des
intérêts du dirigeant ou du gestionnaire rencontré, plus encore que l’expérimentation du
risque inondation. Quand un dirigeant affirme être le seul compétent sur ces problématiques,
apte à gérer le risque par lui-même, se pose la question de la continuité d’une telle gestion,
donc de sa transmission au personnel concerné.
« L’alerte, c’est moi, j’ai l’habitude du Rhône, quand je vois qu’il va monter, je passe un coup de
fil préventif à Génissiat, s’ils me disent qu’il est à 800 m3/s, on ne bouge pas, si c’est plus, on
s’organise, je préviens le chef de service qui prévient ses gars. Et moi je suis toujours là, sur
place, la dernière fois c’est moi qui ai géré la crise, pour dire aux gars qui s’affolaient qu’on
n’allait pas évacuer, qu’il fallait rester calme… Ils se sont un peu affolés, bon, les femmes
surtout. » (Directeur d’une PMI, Haut-Rhône)
Les industries s’organisent en interne en fonction des risques les plus prégnants, et en
particulier l’incendie. La mise en place des plans de gestion écarte dans un premier temps les
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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risques jugés secondaires, dont l’inondation, d’autant que l’autorité de tutelle (DRIRE) ne se
positionne pas clairement sur ce point :
« C’est la DRIRE qui m’informe, qui nous envoie par exemple des convocations à des réunions
entre industriels, mais je n’ai pas vu passer des réunions sur le sujet inondation. Mais bon, on
en a quand même déjà parlé avec mon DRIRE qui m’a bien rappelé qu’on était dans une zone à
risque inondation, mais en fait lui ce qui l’inquiète surtout, c’est vraiment l’aspect orage, parce
qu’en 2003, l’accident majeur qu’on a eu ce n’était pas l’inondation mais l’orage qui a provoqué
l’incendie. » (Responsable -sécurité d’une PMI classée SEVESO, Rhône aval)
Au sujet des dommages potentiels dus aux inondations, les acteurs économiques ont
tendance à sous-évaluer le risque, écartant l’atteinte aux personnes et, spontanément, les
effets sur l’arrêt momentané de l’activité, puisqu’une crue ne saurait dépasser des hauteurs
modérées. Pourtant, au cours de l’entretien, certains réalisent les conséquences
économiques en cas de voies d’accès inondées.
« Admettons, s’il y a 50 cm d’eau à l’intérieur, l’électricité ça ira puisque les prises sont à 50 cm
du sol, les bacs réfrigérés je pourrais les déplacer… Si l’avenue est inondée ? Ah oui, bien sûr, il
n’y aura de livraison possible, sur 2 jours ça reste gérable, mais au-delà, non c’est sûr. »
(Gérant de restaurant, Oullins)
« Moi aujourd’hui ce n’est pas quelque chose qui me pose souci, vu qu’on n’aura pas d’eau dans
le bâtiment. Si les accès sont coupés, le problème c’est qu’on est obligé de fermer l’usine, si on
ne peut plus charger, les salariés ne peuvent plus venir, si on ne peut plus accéder, c’est vite
vu, ça peut signifier l’arrêt de l’activité, avec les marges qu’on a aujourd’hui ; 2 ou 3 jours
d’arrêt de production auront de gros impacts économiques. » (Dirigeant d’une PMI, Haut-Rhône)
Du côté des institutions, la gestion de la sécurité interne est soumise aux procédures établies
en haut lieu. Or justement, les structures muséales, les établissements scolaires et d’accueil
de jeunes enfants soulignent le défaut de directives à ce sujet.
En milieu scolaire, le développement des plans particuliers de mise en sûreté (PPMS) ne
s’accompagne pas d’informations précises par les Académies, autrement que pour le risque
nucléaire ou chimique. À ce propos, les responsables avancent deux facteurs explicatifs :
d’une part la gestion supposée spontanée du risque inondation, d’autre part son
particularisme, contrairement à d’autres types de risque auxquels de nombreux
établissements seraient exposés.
« Quand je l’ai su qu’on avait ce risque inondation, j’ai essayé d’en savoir plus, j’ai pu en parler
à l’Inspecteur académique que j’ai rencontré en faisant un stage de direction sur les risques…
c’était sur le risque nucléaire essentiellement, mais je lui ai posé la question des inondations, on
en a discuté tous les deux à la fin du stage… Il m’a affirmé que les écoles ne craignaient pas
vraiment les inondations. Mais il m’a quand même donné des consignes à appliquer… oui, de
manière informelle .» (Directrice d’une école primaire, Le Bouchage)
« L’Académie nous fournit des indications sur le risque technologique, et c’est normal on est
plus sensibilisé à ça étant en zone SEVESO. Après si on a des consignes de l’Académie, c’est sur
des problèmes qui touchent vraiment tous les établissements comme la grippe aviaire ou le plan
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Vigipirate, parce que l’inondation c’est trop spécifique. » (Intendant d’un établissement scolaire,
Lyon Gerland)
« Pour comparer avec les inondations, je vais vous donner un exemple. L’an dernier on a eu à
gérer de très grosses chutes de neige et je pense que c’est une crise qui peut être comparable à
la question de l’inondation, et on a très bien su gérer cette histoire, le transport des élèves qui
posait problème, on n’avait pas de directive précise de l’Inspection académique et ça s’est très
bien passé avec toute notre équipe. » (Responsable, établissement scolaire Saint-Romain-enGal)
Pour les autres types de structures, les directives émanant des autorités de tutelle (Région,
collectivités locales…) ne semblent appréhender que le risque incendie au travers de mesures
strictes, ou s’attacher aux procédures réglementaires nationales (Vigipirate). Là encore, le
risque inondation relève d’une gestion spécifiquement interne à l’établissement, non
formalisée et faisant appel à l’instinctif.
De même, la diffusion des informations – quand elles existent sur ce sujet – se limite
souvent à son strict minimum, comme nous l’explique cet élu du Haut-Rhône, responsable
d’un camping intercommunal, régulièrement inondé :
« Il faut que le gestionnaire du camping soit un minimum informé, mais pas trop, ce n’est pas à
lui de gérer l’inondation, parce qu’il faut un minimum de sang-froid, si vous évacuez le camping
et que le Rhône ne vient pas sur le terrain, vous aurez tous les commerçants sur le dos parce
que vous foutez leur saison en l’air, donc c’est à nous et aux secours de s’occuper de ça. »
Quid des autres risques ?
Entreprises et institutions partagent une vision qui sépare le technologique et le naturel
(inondation, chute de neige, vents violents, séisme), excluant du procédural les
manifestations de la nature. Il est par ailleurs intéressant de constater l’absence de
demandes issues, selon les cas, du personnel, des parents d’élèves ou du public. L’ensemble
des responsables enquêtés rappelle que l’incendie, le chimique et le nucléaire concentrent les
préoccupations, tandis que la question des inondations n’est jamais abordée lors des
réunions avec le personnel technique ou le conseil des parents d’élèves, y compris dans les
établissements déjà impactés par une crue.
« Le personnel n’a jamais parlé du risque inondation, même ceux qui sont assez pointilleux des
questions de sécurité, alors qu’ils peuvent être vraiment pénibles sur l’incendie, la sécurité. Bon
c’est vrai qu’on a eu juste une fois un peu d’eau dans le parking, ce n’était pas bien méchant. »
(Gestionnaire de site, Lyon Vaise)
« Les risques on en parle beaucoup à l’école, parce que je fais partie du Conseil des parents
d’élèves, on a œuvré pour le PPMS lié au risque chimique, on remet ça sur le tapis à chaque
réunion avec l’école… Mais les inondations, non, on n’en a jamais parlé ». (Gérant de
restaurant, Oullins)
Si la connaissance des autres risques naturels n’est pas évoquée par les riverains, il semble
en revanche que les risques technologiques mobilisent plus activement les personnes
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sensibilisées que la question des inondations. Le mode d’accès à l’information demeure
cependant similaire, autrement dit via le bouche-à-oreille, l’engagement associatif, la
participation à la vie scolaire, les réunions publiques…
« Six mois avant les inondations, j’avais interpellé la mairie pour savoir s’il y avait un système
d’alarme, vu qu’il y avait eu l’accident AZF à Toulouse un peu avant, donc je leur avais
demandé à cause de Sanofi à côté, je voulais savoir comment on serait alerté d’un danger
chimique ou d’une explosion. Je pensais à une explosion, je n’ai pas du tout demandé pour les
inondations, parce qu’ici elles étaient très lentes. » (Mme GH, Aramon)
… En dépit d’une différence de taille : l’absence de relais mémoriel, aucun « ancien » ne
pouvant livrer son expérience en la matière. Aussi les perceptions des risques chimiques et
nucléaires reposent-elle sur un potentiel (ça peut arriver mais personne ne l’a vécu) et une
imagerie cataclysmique, motivant la recherche pro-active d’information, d’autant que
certains soupçonnent les gestionnaires de sites industriels d’une forte capacité de rétention.
« Niveau danger le risque chimique est majeur ici… j’ai assisté à une réunion en tant que
professionnel mais bon, ils n’ont pas dit grand-chose, ce n’était pas très convaincant. Et j’ai
aussi participé exprès à une visite du site de Rhône-Poulenc, pour en savoir un peu plus, j’étais
invité en tant que médecin, en étant un relais d’information sur la commune. Ils ont bien vendu
leur truc, tout était bien, on ne risquait rien, etc. Bref, je n’ai pas pu savoir ce qu’il en était
réellement, tout ça est un peu opaque. » (M et Mme U, Sablons)
Malgré tout, plutôt qu’un élan général, la mobilisation ne serait le fait que de quelques-uns :
« Nous on édite une lettre envers les riverains, tous les 6 mois, et on travaille avec le SPIRAL4
qui fait une campagne d’information tous les 5 ans sur les risques majeurs avec des réunions
publiques. Mais il faut savoir que ces campagnes n’ont pas non plus un grand succès, j’ai
participé à une réunion récemment, il y avait 30 personnes dont 15 anciens de l’usine. »
(Responsable sécurité d’une industrie SEVESO, agglomération lyonnaise)
Au cours de l’enquête, les personnes engagées sur les risques technologiques se sont
également avérées parmi les plus impliquées territorialement, attestant du rapport risque et
localité. Une relation largement développée par V. NOVEMBER5 qui souligne l’interaction
territoire et risque : le premier n’est pas le seul support du second, celui ci se produisant
bien « avec » le territoire, composante à part entière du risque et de ses représentations
collectives.
Du territoire à la culture du fleuve
De l’approche par catégories d’enquêtés, ressort la fragmentation des connaissances. Si la
palette est large, la prégnance du local met en évidence la « relation pragmatique au
4
SPIRAL : Secrétariat Permanent pour la Prévention des Pollutions Industrielles et des Risques dans l’Agglomération
Lyonnaise.
5
V. NOVEMBER. Les Territoires du risque. Ed. Peter Lang, Bern, 2002
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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danger »6, qui enclenche la sélection du stock d’informations disponibles en fonction de ses
besoins majeurs. Une équipe suisse de recherche en géographie humaine se réfère à la
notion de « prise » : « Face à un univers risqué, différents dispositifs peuvent être créés,
mais ceux qui vont l’être réellement le seront toujours au prix d’un travail de tri, de sélection
de traits pertinents, de points d’appui, en d’autres termes ils le seront en fonction des prises
qui émergent. »7 La mémoire collective et individuelle du risque fonctionne comme une
« prise », que chacun peut activer au moment opportun afin d’accroître son appréhension du
risque et de son environnement.
Loin de reposer sur un savoir citoyen uniforme et circonscrit, la culture du risque revêt un
caractère multiforme, à la fois propre à un individu (assimilation de l’information pertinente)
et commune à un groupe qui s’identifie à un territoire donné. Au-delà, le rapport singulier de
l’habitant à son cadre de vie, les déterminants culturels, sociaux et psychologiques, les
réseaux de sociabilité locaux et le degré d’exposition au risque renforce la variabilité des
connaissances.
Les savoirs riverains déclinent la dimension territoriale de multiples façons, qui s’insinue
jusqu’au moindre recoin du rapport cognitif au phénomène inondation.
Le risque n’est-il pas facteur d’intégration territoriale (assimiler la « fierté » que les anciens
tirent de leur relation de proximité avec l’objet à risque ; se rejoindre dans l’observation du
fleuve en crue…) ? À l’inverse, l’implication locale n’est-elle pas le meilleur prescripteur d’une
compétence en matière de risque ? Les entreprises et institutions n’ont-elles pas à gérer
seule ce qui relève spécifiquement du local ? Au-delà, la sensibilité à l’objet fleuve dans ses
différents aspects n’est-elle pas gage d’une perception aiguisée ?
Comment, dès lors, démêler culture du risque, culture du fleuve et culture locale ? Poser la
question revient à s’interroger sur le rapport d’un individu au risque d’une part, au support
du risque (le fleuve en l’occurrence) d’autre part, et enfin à son lieu de vie et/ou de travail,
et donc à générer une seconde question : la culture du risque est-elle exportable ? Si l’un
des paramètres devait être modifié – le support du risque ou le territoire –, savoirs et savoirfaire riverains s’en verraient-ils bouleversés ?
De l’enquête et du travail conduit par la Maison du fleuve Rhône depuis plusieurs années sur
les relations hommes, fleuve et territoires, nous pouvons avancer des éléments d’analyse. La
culture du risque s’inscrit dans une dimension plus large, celle de la culture du fleuve.
6
C. DOURLENS. La société catastrophée, in La Question des inondations au prisme des sciences sociales. « 2001
plus », n°63, CPVS, juillet 2004 (p. 42).
7
V. NOVEMBER, E. REYNARD (sous la dir.). Vulnérabilité des infrastructures urbaines et gestion de crise. Impacts et
enseignements de cas d’inondation en Suisse – Rapport de recherche, Universités de Genève, Lausanne, Fribourg,
Zurich. Novembre 2006 (p. 12-13).
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Observer, connaître - même très partiellement et localement – les phénomènes de crue
ouvre l’individu à une sensibilité fluviale, susceptible de le conduire, progressivement, à une
culture globale de l’objet environnemental, soit d’une culture du fleuve. Et, si culture du
risque et culture du fleuve s’interpénètrent, c’est bien parce que le territoire en dessine le
cadre, point d’ancrage de l’attention portée à l’univers fluvial. Le local est l’élément
déclencheur, mais l’autonomie dans la relation au fleuve peut s’établir d’elle-même, du
moment où elle imprègne profondément la mémoire de l’individu.
Il est important de distinguer ce qui relève de la demande institutionnelle (culture du risque),
des pratiques vernaculaires (culture locale) et de leurs transpositions possibles dans un
contexte environnemental élargi (culture du fleuve).
Aussi peut-on arguer que la culture du fleuve est transposable sur d’autres territoires, bien
qu’elle demande un ajustement des savoirs à la nouvelle configuration des lieux, son
histoire, ses transformations. En revanche, il paraît peu probable que la seule culture du
risque, extraite de son encadrement « fleuve », puisse aisément s’adapter à un autre objet
environnemental (ou technologique), supposant de fait d’engager une relation totalement
inédite avec le cadre de vie et le support du risque (montagne par exemple).
Dans le cadre d’une politique publique de prévention des inondations, l’hypothèse de
transposition de la culture du risque à la culture du fleuve permet de s’extraire du
strictement local pour mieux jouer sur les différents niveaux d’information aux populations
des zones inondables.
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Partie 2 – Le territoire, point d’ancrage de la culture du risque
2 – L’acceptabilité du risque en question
Grande est la tentation d’opérer un glissement direct de la culture du fleuve et du risque à
son acceptation.
Pour se préserver de raccourcis rapides, nous distinguerons ici acceptation et acceptabilité du
risque. De notre point de vue, cette dernière correspond à un processus constitué de
différents paliers, l’acceptation se traduirait par la responsabilisation du riverain face aux
impacts des crues, désormais autonome dans son rapport au risque. De fait, connaître le
milieu et le risque auquel on s’expose – dont l’expérimentation est un facteur essentiel –
n’enclenche pas une acceptation systématique, tant les modes d’appropriation et les degrés
de connaissance diffèrent selon les individus.
Accepter suppose à la fois compréhension du phénomène et sentiment d’équité, quand
justement l’un et l’autre paraissent faire défaut pour nombre de riverains. Comment, se
demandent certains, accepter l’intrusion des eaux quand les barrages devraient réguler le
Rhône ? Pourquoi subir, sans réparation aucune, la récurrence des crues quand les citadins
en sont invariablement protégés ? Pourquoi se prémunir du risque inondation alors que la
crue maximale jamais connue n’a jamais atteint le lieu d’habitation ?
En somme, le processus d’acceptabilité passe en premier lieu par une vision plus globalisante
de la manifestation des crues – et plus largement du fonctionnement fluvial –, seule
permettant d'émousser les certitudes forgées par l’habitude ou le bouche-à-oreille.
Cette partie sera donc consacrée dans un premier temps au positionnement de la
Confédération des riverains du Rhône, fer de lance de la lutte associative contre les
inondations, avant de dresser un panorama des besoins émergents de l’ensemble de la
population enquêtée en matière d’information. Enfin, nous pourrons esquisser les différentes
formes d’acceptabilité du risque rencontrées au cours de l’enquête.
2.1
La Confédération des riverains du Rhône et de ses affluents
À l’origine, une poignée d’habitants de l’Ile de Printegarde (située entre Livron-sur-Drôme et
La Voulte-sur-Rhône) fonde une association riveraine au lendemain de la crue de 1983,
souhaitant peser auprès de la CNR au sujet de la problématique d’évacuation des eaux
stagnant dans la plaine d’expansion. Dix ans plus tard, la mobilisation locale se confirme
avec la crue de 1993 : à débits inférieurs à ceux de 1856, les riverains ne comprennent pas
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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le dépassement des limites de zones inondables et les hauteurs d’eau supérieures, qui
attesteraient de la « simulation » opérée par les aménageurs.
Bientôt, à mesure que les inondations impactent les communes tout au long du Rhône dans
la décennie suivante, une trentaine d’associations locales de défense des sinistrés ou de
sauvegarde de l’environnement rejoint le mouvement, au rythme de « l’union fait la force ».
Particulièrement représentée sur le Rhône aval – qui, selon les membres de Printegarde,
aurait récupéré le mouvement –, la Confédération cherche aujourd’hui à élargir son champ
d’investigation (ainsi que son domaine de compétence, comme nous le verrons plus loin), via
des contacts sur le département du Rhône et de la Savoie, mais aussi avec les riverains de la
Somme, du Rhin ou de la Loire.
Moteurs de l’action et perception des scènes publiques
Les motivations initiales reposaient sur un dialogue ouvert avec la CNR. Mais, longtemps
jugée murée dans sa tour d’ivoire (« aujourd’hui ça va mieux, depuis le changement de
directeur, il a une approche beaucoup plus soucieuse des riverains, plus proche » souligne un
agriculteur de Printegarde), elle serait à l’origine de la mutation d’une volonté d’échanges en
revendication active, au moment où la certitude de crues artificialisées s’impose dans les
esprits (« c’est la CNR qui manœuvre les boutons »). Devenue interlocuteur principal via les
Comités Territoriaux de Concertation (CTC), c’est dorénavant la DIREN de bassin qui
concentre les préoccupations, capable d’inviter riverains sinistrés, aménageurs et
collectivités territoriales sur une même scène.
L’ardent souhait de se faire entendre, de faire remonter en haut lieu le vécu de chacun,
jusqu’à la volonté collective de peser sur les décisions conduit au durcissement progressif
des positions, dès lors qu’émerge le sentiment d’être floué. L’écoute accordée aux riverains
ne serait que le « pain donné aux pauvres », la transparence de l’action étatique qu’un
leurre, quand la lutte contre les inondations préserverait les seuls intérêts de quelques uns.
Ainsi les CTC (ainsi que les Etats Généraux du Rhône organisés par les Régions) apparaissent
comme des « grandes messes » vaines, fondées sur l’illusion d’une participation citoyenne,
alors que les débats s’enlisent et que nulle avancée n’est constatée.
« Les Etats Généraux, c’est nous qui en sommes à l’origine quand même, j’y participe à chaque
fois et aussi aux CTC. Ce que je peux vous dire, c’est que dans les CTC nous ne sommes pas
écoutés. La dernière fois je n’ai même pas pris la parole tellement j’étais dégoûté, tout était
bien préparé, les experts ont fait leur truc, mais il n’y avait pas de place pour la contradiction.
Tout ce qu’on voit c’est une flopée de technocrates qui n’ont pas nos préoccupations.
Heureusement qu’on a pu discuter un peu après avec le préfet. » (M. Y, Pierrelatte)
« On a vraiment l’impression d’avoir été mouillé dans la semoule, je veux dire, ça n’avance pas,
vous vous rendez compte, on commence tout juste à voir des résultats en 2006 au niveau de
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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l’entretien du Rhône, mais ce n’est pas grand-chose comparé à tout ce qu’il faudrait faire. »
(Agriculteur J, Donzère)
« Il y a deux approches qui se heurtent systématiquement, l’approche scientifique et l’approche
historique, celle du vécu des riverains, on a la mémoire du risque qui est portée par 80 % des
gens du Rhône et qui ont eu à subir les fougues du Rhône et on a les scientifiques, qui n’ont pas
les mêmes critères. (…) Aujourd’hui les champs d’expansion ne fonctionnent plus de manière
solidaire, la rive gauche est devenue relativement préservée, il y a un déversoir qui écrête à
partir d’un certain volume pour protéger Beaucaire, alors que la rive droite a 1 m. d’eau en
plus. Pour le village de Vallabrègues, le frère jumeau de Comps, la protection de la CNR
marche, mais à notre détriment. (…) Les CTC ce sont des grandes messes, un jour à Arles j’ai
du pousser une gueulante parce que ça s’éternisait, dire à un intervenant qui était trop long,
qu’il fallait arrêter la leçon et passer au débat. Voilà, grande messe et pas beaucoup de place
pour notre expression. On n’a pas l’écoute que l’on voudrait, il nous faut de meilleurs rapports,
notamment avec la DIREN, il a fallu 1 an 1/2 avant qu’on commence à me répondre sur l’étude
d’impact que je demande sur le barrage de Vallabrègues. » (M. AB, Comps)
Les membres les plus récents – ou futurs membres – s’interrogent quant à eux sur le mode
opératoire de la participation aux instances publiques. La revendication affichée, l’agressivité
de ton et les demandes jugées irréalistes limitent l’adhésion au mouvement, considéré bien
trop partial.
« Ce qui m’agace dans ces réunions c’est le comportement des riverains, ce n’est jamais
constructif et on n’avance pas. On n’avance pas en râlant en permanence et en doutant de tout
ce qui est fait. Moi j’ai assisté à une réunion à Saint-Jean-de-Muzols, c’était des experts qui ont
pris la parole et il y a des riverains dans la salle qui n’ont fait que dégommer les propos, alors
que moi je pars du principe que chacun connaît son métier, et que si un expert nous dit quelque
chose, il faut que je le prenne pour argent comptant, sinon ce n’est pas la peine que j’aille
écouter. Et ces riverains qui disent que les professionnels nous inondent exprès, bon faut pas
exagérer, ça me gonfle, je me sens un peu seule contre tous… Donc moi, cet esprit revendicatif,
je ne veux pas le partager, franchement je ne pense pas que je vais rester. » (Mme Z,
Pierrelatte)
« Notre association ne vit plus, alors je me suis dit que ce serait intéressant de faire partie de la
Confédération, pour se maintenir, pour avoir plus de force. Mais je vais vous dire, la
Confédération, c’est exactement ce qu’on a vécu hier au CTC, il faut être revendicatif pour
participer. Et moi ce que j’ai constaté c’est que cette revendication elle n’est pas constructive,
elle n’est pas réfléchie, c’est complètement irréaliste des fois… Donc je vais devoir y venir à la
Confédération, mais je n’apprécie pas toujours sa façon de faire. » (M. EF, Aramon)
Individuellement, l’entrée en « mobilisation riveraine » s’ancre dans un besoin de protection
locale contre les crues (entretien du fleuve, meilleure gestion des barrages, rehaussement et
consolidation de digues). Quand vient la protection attendue (exemple des digues de Comps
et d’Aramon), ou que le spectre de nouvelles crues s’éloigne, l’adhésion massive s’essouffle.
Seuls les plus mobilisés perdurent dans l’action, visant la reconnaissance du statut de
l’inondé et la transparence du mode de gestion du fleuve. Au-delà, le maintien de
l’engagement dépend de motivations personnelles, liées à un « passé de syndicaliste », au
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souhait de finaliser d’une manière ou d’une autre le mouvement associatif local, ou encore,
plus prosaïquement, d’occuper les longues heures de la retraite professionnelle.
Du local au global, un défi de taille
Le passage d’une mobilisation locale à un positionnement global à l’échelle du bassin
rhodanien, voire au-delà, ne se fait pas sans heurt. Comment, en effet, réunir autant de
besoins strictement attachés à un territoire donné autour du partage d’une vision générale ?
L’oscillation permanente entre local et global transparaît dans l’ensemble des entretiens
réalisés auprès des membres de la Confédération, bien que la plupart s’en défende.
Solidarité des territoires serait le maître mot. S’il s’invite dans les propos des « confédérés »
comme une visée déjà en ordre de marche, il serait plus difficilement relayé sur le terrain.
Certes, de l’union naît la force ; certes, la représentation massive d’associations locales pèse
dans les plus hautes sphères de la prévention des inondations ; mais jusqu’à quel point
chacun se reconnaît dans l’action collective ?
Selon les points de vue, les CTC témoignent de la division des intérêts, ou, bien au contraire,
d’une coordination territoriale éprouvée.
« En dehors du titre, la Confédération n’a aucune cohésion, il n’y a pas d’objectif commun quoi,
à part draguer le Rhône, mais il y a ceux de la Barthelasse qui veulent des digues, etc., aux CTC
chacun prêche pour sa paroisse, alors que c’est évident qu’il faut une solidarité sur l’ensemble
du Rhône. Mais c’est difficile, déjà avec nos voisins d’en face, là, à Boulbon, on n’a pas le même
objectif, si l’eau ne vient pas chez eux, elle vient chez nous... » (M. EF, Aramon)
« C’est le travail de la Confédération de mettre en place la solidarité, nous on a les mêmes
problématiques que ceux qui sont au sud de Lyon, vers Vienne. Par contre chez les riverains de
Camargue c’est différent, ils ont des problèmes avec les digues, donc dans les réunions il vaut
mieux séparer le sud du reste. » (M W, Livron-sur-Drôme)
«On est tous des enfants du Rhône, on a une entraide entre nous, c’est spontané, moi j’ai des
représentants pour le CTC du Haut-Rhône, je n’y vais pas mais je sais ce qu’il se dit, c’est vrai
que l’action n’est pas tout à fait la même selon les coins, mais notre action elle se fait sur le
plan amont-aval, on a tous cette vision. » (M. Y, Pierrelatte).
Certains constatent néanmoins la fragilité de l’édifice solidaire, à l’image du Haut-Rhône
représenté à ce jour par un seul membre, par ailleurs localisé hors de la zone inondable. S’il
a rejoint la Confédération, c’est, outre l’élan solidaire proclamé, une manière de relancer sa
propre action associative, engagée contre le projet de remise en navigabilité du Haut-Rhône
– aux coûts jugés faramineux comparé aux besoins du Rhône aval. Le déficit de
représentants sur le Rhône amont et la « récupération » de la lutte contre les inondations
pose question, de même que la pertinence d’un rapprochement amont-aval, quand les
affluents auraient somme toute des similitudes plus marquées avec la situation du Rhône
moyen et aval.
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« C’est moi qui ai parlé du projet de remise en navigabilité à la Confédération, quand ils ont
appris ça ils se sont dit qu’on se fichait d’eux, eux ils n’ont pas d’argent pour faire des digues et
pour creuser le vieux lit du Rhône, alors qu’on va faire des trucs farfelus au nord ! Donc suite à
mes échanges avec eux, ils sont venus à Seyssel aux Etats Généraux, pour qu’ils puissent
intervenir sur le projet de remise en navigabilité (...) C’est vraiment par solidarité que j’assiste
aux assemblées de la Confédération, ça me fait loin quand même, mais je vais continuer à
m’engager avec eux, même si la question des inondations ne se pose pas vraiment ici, c’est
pour ça que je suis le seul à faire partie de la Confédération, même dans mon association, il n’y
a que moi qui suit le travail de la Confédération. » (M. A, Seyssel)
« L’élément majeur c’est la nécessité de peser sur les décisions importantes à l’échelle
interrégionale, et d’ailleurs ça va plus haut puisqu’on a des liens avec la Saône, la Somme, le
Doubs. Pour nous il ne peut pas y avoir de solution locale parce que le problème est national.
Tous les riverains de la Saône ou du Rhône, on a les mêmes préoccupations, on est tous
solidaires (...) Quand il faut exprimer la solidarité amont-aval, ça se fait au niveau de la
Confédération avec des représentants sur chaque portion du Rhône... Si vous me dites qu’il y a
un seul membre là-haut, je ne sais pas comment peut jouer cette solidarité, non, je ne sais pas,
je sors mon joker... C’est évident qu’une seule personne ne peut pas jouer l’homme-orchestre,
si c’est ça c’est une faiblesse de la Confédération. » (M. AB, Comps)
« Le Rhône amont, ce n’est pas du tout pareil, leur souci c’est plus le tourisme, ils ont beaucoup
moins de problèmes d’inondation. Entre la Suisse et Lyon, ils n’ont pas la même vision des
choses, alors que par contre ceux de la Saône sont plus proches de nous, ils sont dans la même
configuration. » (Agriculteur I, Printegarde)
Aussi les revendications passent-elles du particulier au général, partagées entre la réponse
aux besoins fragmentés et la nécessité d’une intervention élargie. Du général, retenons la
requalification des zones inondables (contreparties financières, maintien du régime
d’indemnisation des assurances en matière de catastrophe naturelle...) ; une gestion
transparente des aménagements fluviaux, voire une révision de leur conception ; un meilleur
entretien du Rhône (dragage du lit mineur, restauration des lônes, meilleur transit
sédimentaire...) ; l’élargissement des zones de confluences ; l’amélioration de l’information
aux publics, etc.
Quel devenir ?
Le devenir de la Confédération suscite nombre d’interrogations parmi ses membres les plus
actifs. Ils reconnaissent une action en fin de course, troublée par les dissensions internes, les
visées politiques et un nécessaire changement d’orientation.
« Il y a beaucoup de sensibilités différentes au sein de la Confédération et un jour ça posera
problème. Alors comment elle va évoluer... La prégnance politique du moment déstabilise un
peu la Confédération dès lors qu’il y a en son sein des gens qui ont des ambitions politiques.
Mais aujourd’hui la Confédération vivote, elle fait plus de la gestion que de l’action, elle essaie
de voir comment on peut plus se défendre pour les indemnités, les actions judiciaires, bon ça ce
n’est pas mon truc. La pression est retombée, mais vous verrez que si le Rhône monte à 12 000
m3/s un jour, l’action reprendra ses droits. » (M. AB, Comps)
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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« La Confédération, on n’a pas encore démissionné, mais pour nous ça ne peut plus fonctionner.
Disons qu’on a senti une espère de manipulation, une orientation qui n’était pas du tout ce
qu’on souhaitait, il y a des personnes qui se sont greffées à la Confédération qui ne voient plus
l’intérêt des riverains, disons que ça devient trop politisé… Et puis l’idée d’aller chercher des
gens de la Garonne, du Tarn ou de la Somme, ça rime à quoi ? Déjà le Rhône et ses affluents
c’est un travail énorme, je pense que la Confédération va perdre sa crédibilité. » (Agriculteur I,
Printegarde).
Entre gestion et militantisme, bénévolat et professionnalisation, concentration de l’action sur
le Rhône ou élargissement à d’autres bassins fluviaux, les avis sont partagés.
« Actuellement il y a une certaine vie dans la Confédération, donc moi comme je ne suis pas
impliqué dans les problème locaux, je fais un peu office d’arbitre. Il y a une tendance qui est de
rendre la Confédération professionnelle, avec un rôle d’animation et d’information, de l’autre, il
y a en qui disent qu’il faut rester bénévoles et continuer à défendre les sinistrés. Donc deux
tendances qui s’opposent un peu, c’est une grosse évolution et c’est normal que les esprits se
braquent un peu. Et puis l’élargissement aux autres fleuves, je pense que plus on se disperse,
moins on est efficace. » (M. A, Seyssel)
« Alors en ce moment il y a des pourparlers, parce que certains aimeraient bien que la
Confédération fasse du commerce, ou si vous préférez qu’on se professionnalise sur la prévision
des risques, mais là je ne suis pas d’accord. On est des bénévoles et il faut le rester. Parce
qu’après il va y avoir des histoires de finances, on va dévier, c’est sûr, donc il faut rester au
maximum dans le bénévolat. » (M. Y, Pierrelatte)
De l’assistance aux sinistrés et de la défense des intérêts locaux, l’action, à la faveur d’un
groupement interrégional, s’est résolument déplacée sur la prévention des inondations,
affichant clairement le rôle politique jouée par la compétence citoyenne.
C. BAYET8 rappelle en effet que les riverains, au cours du XXe siècle, ont lentement été
dépossédés des « affaires du fleuve », désormais placées aux mains des pouvoirs publics. Le
besoin de ré-intégrer la scène du risque deviendrait légitime dès lors que la confiance
accordée à l’administration aurait été trompée, la protection riveraine n’étant plus assurée.
L’expertise citoyenne, dotée de nouvelles connaissances techniques visant à renforcer sa
crédibilité, marquerait à la fois la ré-appropriation du risque et l’assurance d’une meilleure
prise en compte par les autorités publiques.
8
C.BAYET. Riverains inondables et défenseurs de l’environnement. Mobilisations et contestations associatives dans le
domaine de la prévention des inondations. CEVIPOF
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2.2
Besoins implicites, attentes explicites
Des entretiens menés avec l’ensemble des riverains, l’implicite nous livre de plus
conséquentes indications que la seule énonciation des attentes. En effet, les points de vue
sur les origines des crues et les modes d’accès à l’information mettent au jour les réels
besoins en matière de communication, tant concernant les contenus que les relais et les
supports. Les attentes formulées, quant à elles, complètent le tableau ainsi dressé.
Contenus : de l’expertise particulière au fonctionnement fluvial
La non (ou faible) expérimentation des crues, ajoutée à la confiance accordée aux
aménagements fluviaux, limite assurément la réactivité en matière d’information. Habitants
ou responsables de structures peu familiers du risque n’éprouvent pas spontanément de
besoins spécifiques, puisque bien souvent c’est la démarche d’enquête elle-même qui révèle
leur vulnérabilité. De là, se penchant sur la question, certains pointent plus expressément
des attentes éventuelles… bien qu’ils demeurent quelque peu dubitatifs quant à leur
exposition au risque.
Or, le sentiment de protection doit être relativisé, de manière à ce que chacun puisse mieux
mesurer la distinction entre risque perçu et risque réel. Les interrogations émanant de cette
catégorie de riverains s’attachent en premier lieu aux effets d’une crue de grande ampleur
sur de micro-espaces – à l’échelle d’un quartier, voire d’un établissement : quelles hauteurs
d’eau pour quel ordre de crue ? Combien de temps dispose-t-on pour se préparer ? Comment
et par qui sera donnée l’alerte ? Comment distinguer l’alerte inondation de l’alerte incendie ?
Le danger pour les personnes existe-t-il ?
« Est-ce que c’est prévisible ? Je veux dire, je ne sais pas si on peut prévoir une inondation, si
on a le temps de réagir, 2 ou 3 jours au moins avant, de savoir comment ça se passe. Je ne
sais pas comment on sera alerté, j’imagine que la mairie informerait tous les riverains qui
courent un risque, comment, je ne sais pas, en nous appelant par téléphone ou en passant dans
la rue. » (Mme K, Lyon Vaise)
L’évaluation du risque s’impose comme un préalable nécessaire à toute démarche de
communication sur les mesures préventives ou consignes à appliquer, en bref, tant que les
certitudes de protection absolue ne sont pas ébranlées, nul espoir d’atteindre cette cible
riveraine.
Ainsi, l’expertise par site retient plus particulièrement l’attention des responsables
institutionnels et économiques. Le seul fait d’évoquer le risque inondation une heure durant
génère parfois de nouvelles exigences en matière de prévention et de gestion en interne,
réclamant en outre un traitement spécifique à la structure (son domaine d’activité) et à sa
localisation (selon les contraintes du site).
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« Il me faut quelque chose d’adapté à ici, sur le quartier et pour mon établissement, parce que
je n’ai pas les mêmes besoins qu’un particulier, j’ai un autre niveau de responsabilité en
accueillant les enfants. Donc mesurer le risque concrètement, l’accès à la structure, comment
j’évacue les enfants… et si on connaît les crues antérieures, on pourra mieux adapter les
mesures à prendre. » (Directrice d’une crèche, Lyon Vaise)
« En tant que chef d’établissement qui accueille du public, c’est sûr qu’il faut que je sache
comment on peut évaluer les risques naturels, que faire en termes d’évacuation, comment on
peut prévenir l’inondation, protéger le matériel par exemple…. Quelle hauteur d’eau on risque
d’avoir dans l’établissement, ou est-ce que c’est uniquement les accès qui risquent d’être
touchés ? Et déjà au niveau de l’alerte ça me paraît essentiel, savoir comment on peut être
alerté. » (Directeur d’une structure muséale, Vaulx-en-Velin)
Les questions liées à l’alerte sont partagées par la plupart des institutions et des entreprises,
quelle que soit par ailleurs l’expérience des inondations. Le souci de l’annonce distingue
d’une part le médium de transmission, d’autre part le type de données enregistrées. Certains
responsables émettent le souhait de disposer d’une alerte en direct (par téléphone ou
courrier électronique) telle que pratiquée pour la pollution atmosphérique, tandis que
d’autres reconnaissent ne pas avoir de connaissance suffisante pour interpréter les cotes de
crue publiées sur les sites Internet de vigilance.
« Il y a quelques années, on était directement relié à un serveur qui prévenait les
établissements, directement, quand il y avait une alerte à la pollution, donc je pensais à ce
principe là pour les inondations, savoir à quel niveau de cote d’alerte l’eau est arrivée, s’il faut
qu’on anticipe ou non. » (Directrice d’une crèche, Lyon Gerland)
« Ce qui serait bien pour les entreprises c’est qu’on ait en direct les bulletins d’alerte Météo
France ou de Génissiat, quand on voit qu’on fait ça pour les campings, on devrait être capable
de le faire pour les entreprises, au moins celles qui emploient beaucoup de monde. Parce que
passer par les communes… Le problème c’est qu’elles centralisent l’info, mais elles ne sont pas
toujours en phase avec nos temps de réaction, nos besoins en tant qu’entreprises, quand vous
appelez la mairie et qu’elle ferme un jour par semaine, bon, vous voyez. » (Dirigeant d’une PMI
Haut-Rhône)
« Notre priorité c’est l’alerte, parce qu’on a 185 véhicules dans les parkings, après des
informations sur les crues, pourquoi pas, mais d’abord l’alerte. Pour nous, l’alerte c’est plutôt
visuel, on voit bien si la Saône elle monte… En fait ce serait bien d’avoir un serveur sur lequel
s’inscrire, pour avoir une alerte directement par e-mail, parce que le site Internet je n’y vais pas
tous les jours… Mais il est dans mes favoris !… Non ce n’est pas moi qui l’ai mis, ça doit être
mon prédécesseur, j’ai déjà regardé, la situation de la station de Couzon au Mont d’Or, on a les
débits, mais je ne sais pas à quoi ça correspond vraiment. » (Gestionnaire de site, Lyon Vaise)
En outre, la prévision du risque revêt un sens tout particulier pour les sites industriels, dans
la mesure où une inondation peut engendrer des répercussions nocives sur l’environnement,
comme l’expose ce responsable d’une usine classée SEVESO dans l’agglomération lyonnaise :
« Pour l’instant, de notre point de vue, l’alerte ne marchera pas. Si je regarde le schéma
d’alerte, c’est une stagiaire qui l’a identifié à partir des infos de la DIREN… donc là on est assez
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inquiet, franchement quand je vois tous ces intermédiaires entre la DIREN, la Préfecture, la
mairie, et enfin nous, je ne sais pas si on aura assez de temps. Parce que notre besoin se
compte en jours. Si on a une alerte 12h avant, si ça tombe un week-end ou une nuit, les
équipes 24/24h pourront juste se limiter à faire des arrêts d’urgence, qui ne seront pas propres.
On va dégazer les installations dans l’atmosphère et notre principale production est classée gaz
à effet de serre. Et après se pose aussi le problème de savoir où les produits sont le plus en
sûreté, dans les ateliers les pieds dans l’eau ou sur la route dans les camions ? Parce que si les
voies de communication sont noyées, ça peut poser problème pour évacuer les produits. Et au
niveau des rejets dans le fleuve, il n’y aura pas de pollution majeure, je suis confiant sur les
gros stockages. Mais la question se pose sur les petites quantités, les bidons qui sont posés à
droite à gauche, qui sont souvent sur des petites cuvettes de rétention qui risquent d’être
noyées par l’inondation… Donc tout dépendra du délai qu’on disposera, si on peut faire le
ménage sur le site, tout placer à plus de 80 cm du sol… Voilà, il nous faut au moins 24 h pour
faire le ménage et 3 jours pour un arrêt propre.»
Mesures internes et consignes à appliquer en cas de crise apparaissent moins déterminantes
que l’appréciation du risque et de ses moyens prévisionnels, d’autant que – nous l’avons déjà
évoqué – la gestion de l’événement est souvent rapportée aux procédures internes
existantes (risque incendie par exemple), voire au bon sens…
… À moins que, suite à l’enquête, émerge la perspective de mettre en place un plan de
sécurité spécifiquement adapté au risque inondation. Deux crèches lyonnaises, des agents de
résidences d’organisme de logement social, ou des entreprises du Haut-Rhône et Rhône aval
se sont effectivement déclarés en faveur d’une telle opération. Dans ce cas, outre le besoin
d’évaluation du risque, les demandes s’attacheraient à un accompagnement pour la diffusion
de l’information en interne : consignes simples diffusées par affichage, mesures préventives
à destination des dirigeants.
« Je me dis que ce serait pas mal d’avoir des petites plaquettes qu’on pourrait afficher pour le
personnel, “ que faire en cas d’inondation“, qui on doit appeler, par où évacuer, quand
déclencher. Je sais plus ou moins ce que j’ai à faire, bon ce serait bien quand même d’avoir tous
les atouts de mon côté. Et ça pourrait déclencher des questions au niveau du personnel, ce
serait pas mal. » (Responsable d’une entreprise, Saint-Gilles)
Du côté des riverains expérimentés, la mise en place de mesures leur paraît plutôt superflue,
tant ils demeurent persuadés de bien connaître le risque et de gérer de manière adéquate les
effets des crues. Les entretiens exposent cependant le défaut de connaissance du
fonctionnement fluvial, le mythe du barrage salvateur entretenant de lui-même la diffusion
d’une vision générale hissant les aménageurs au rang de boucs émissaires. Plus rarement,
des riverains formulent une attente explicite à ce propos, qui, au-delà d’une explication
technique, soulève la question de l’opacité supposée de la gestion du fleuve.
« Je ne sais pas comment fonctionne le fleuve, sur le plan technique, je ne sais pas pourquoi
une crue va faire qu’il y a pression dans un barrage beaucoup trop importante pour qu’on lâche
de l’eau précipitamment. Je ne sais pas pourquoi on ne peut pas anticiper. Est-ce que le barrage
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peut lâcher, je ne sais pas, 5 cm par 5 cm par exemple pour qu’il n’y ait pas de risque ? » (Mme
Z, Pierrelatte)
« Qui tire les ficelles au niveau des barrages ? Qui s’en occupe, et où ? Est-ce qu’il y a un lieu
central où tout se décide ? Voilà, moi je voudrais savoir ça, parce qu’on ne comprend pas
comment les décisions sont prises, pourquoi la dernière crue ça n’a pas débordé de la même
façon. Tout ça on ne peut pas le demander à la CNR, c’est tellement important, ils ne vont pas
répondre là-dessus. » (M et Mme IJ, Aramon)
Par ailleurs, face à la perte de repères constatés chez les anciens du Rhône (voir p. 40), il
semblerait que la publication de données couplant débits et hauteurs d’eau permettrait une
ré-appropriation de la connaissance par ces derniers, prêts à jouer, à nouveau, un rôle
majeur dans la transmission de la culture du risque.
Pour tous, riverains expérimentés ou non, prioritairement ou non, une nécessaire information
sur le fonctionnement fluvial dans toutes ses dimensions apparaît nettement – même si elle
n’est pas clairement identifiée par les personnes interrogées. À travers l’évocation du régime
du fleuve et des phénomènes de crue, la gestion des barrages et leurs capacités de
régulation des crues rejoignent les principales préoccupations des habitants des zones
inondables. S’ils s’attachent à mieux comprendre le fonctionnement fluvial dans sa globalité,
il s’agit néanmoins de le rapporter au secteur de vie, de manière à répondre aux
interrogations localisées.
Notons toutefois que le thème du fleuve, et des inondations en particulier, s’inscrit dans un
rapport plus large, celui de l’environnement et du cadre de vie. Les domaines liés à la
défense de l’environnement, la ressource en eau – qualité et/ou déficit hydrique – ou, tout
simplement, la vie communale, semblent fédérer plus massivement les esprits. L’intérêt pour
les phénomènes de crue serait, en fin de compte, limité dans le temps (période post-crise
immédiate), tandis que celui manifesté pour son environnement, notamment au regard des
changements climatiques annoncés, perdurerait au long cours. La demande sociale
exclusivement rattachée au fleuve ne concerne que les populations les plus exposées au
risque.
Des relais d’information à différents échelons
Nous l’avons vu, l’échelon communal s’impose au premier chef de l’accès à l’information, que
ce soit au travers d’une transmission de la culture du risque par les anciens, les élus ou des
techniciens à l’occasion d’échanges spontanés, la lecture des bulletins municipaux, la
participation aux réunions organisées par les mairies.
De fait, les attentes énoncées aspirent au maintien d’un tel mode organisationnel,
doublement basé sur le relationnel et le politique, profondément ancré territorialement.
« Pour moi le mieux c’est par la commune. Il y a une élue qui fait beaucoup pour les gens du
village et quand on se croise, on papote, sur tous les projets du village, c’est vrai que les élus
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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sont disponibles ici. Donc que la mairie nous informe, oui, c’est d’abord à eux de le faire, ça fait
partie de la vie d’un village, on s’intéresse à ça en premier. » (Mme BC, Comps)
Seuls les plus mobilisés sur la question, au plan associatif (Confédération des riverains) ou
au plan professionnel (agriculteurs notamment) révèlent d’autres exigences, souhaitant en
effet qu’une entité globale supervise la communication – Chambres consulaires ou
Préfectures pour certains, DIREN pour d’autres... à condition que celle-ci fasse preuve de
« l’ouverture » attendue.
« Il faut qu’on ait plus de relations avec les organismes. Justement ce que je reproche à la
DIREN c’est son manque d’ouverture, j’ai fini par avoir, à la longue, un bon contact avec Alexis,
mais il est parti… et au début j’étais face à un mur. Donc nous on aimerait plus participer avec
la DIREN, être informé autrement que par les CTC, qui ne nous apprennent pas beaucoup de
choses, nous on avait demandé d’être admis au Comité directeur. » (M. Y, membre actif de la
Confédération)
De la même façon, la prépondérance du local s’élargit à l’échelon supérieur (départemental,
régional ou national), concernant les institutions et les entreprises, dont les responsables
mixent aisément relais locaux et extra-locaux. L’inscription territoriale de l’établissement et
ses compétences concilient donc des besoins reliés à la commune mais aussi au zonage
établi par les autorités de tutelle, ces dernières étant le référent en matière d’information.
« Pour l’instant on est au début du traitement du risque inondation, on en est à la phase
d’identification des conséquences. Après, pour la mise en place de mesures concrètes, je pense
qu’on se tournera naturellement vers la DRIRE, qui a des compétences industrielles alors que la
DIREN a plus des compétences environnementales. » (Responsable sécurité-environnement,
PMI agglomération lyonnaise)
« On voit les élus du 7e arrondissement, surtout sur les travaux dans le quartier. Et puis, bon, le
département, l’Académie et la Région, la Région c’est permanent, c’est notre collectivité de
rattachement. Alors pour le risque inondation, je ne sais pas, il faudrait réunir tout le monde, y
compris les parents d’élèves. Je pense que ça doit venir de la commune, qui doit initier ce type
de réunion.» (Intendant d’un établissement scolaire, Lyon)
La municipalité peut cependant être prise à parti, dans la relation avec les entreprises
implantées sur la commune :
« Les travaux sur la digue, moi personnellement, je les ai appris par des bruits de couloir, en
discutant avec des gens, mais l’entreprise n’a jamais été informée officiellement, sur cet aspectlà on n’a aucune communication avec la mairie. Nous c’est la DRIRE qui nous informe, ou la
Préfecture si elle organise des réunions sur certains sujets, mais voilà, sur ce qu’il se passe dans
la commune on n’a rien, alors que la digue, par exemple, ça nous concerne directement. »
(Responsable sécurité-environnement d’une entreprise classée SEVESO, Rhône aval)
Enfin, la nécessaire intervention d’experts détachés de l’autorité compétente est également
soulignée par certains :
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« Des informations j’en ai, mais elles sont souvent contradictoires, et même dans les réunions,
même au conseil municipal, donc moi j’aimerais avoir les bonnes informations par les bonnes
personnes. Par des experts, des scientifiques, mais je ne sais pas comment être en contact avec
eux. » (Directeur d’une école primaire, Yenne)
Supports : Internet, réunions, rencontres informelles
Entre ceux qui privilégient l’écrit, ceux qui érigent la transmission orale en vecteur premier
de l’information, difficile de centrer les attentes sur un mode particulier. Tentons néanmoins
d’éclaircir la question.
Le support écrit est mis en avant par les riverains attentifs à la fiabilité de l’information et
soucieux d’en conserver des traces (« le papier ça reste, et souvent ça marque plus l’ esprit
qu’un discours »). De leur point de vue, l’écriture, parce qu’elle émane des élus de
références ou d’experts, serait un gage de sérieux.
Aussi se disent-ils plus à même de recevoir des bulletins municipaux ou de se connecter à
Internet, dès lors qu’un site renvoie à l’ensemble des questions qu’ils peuvent se poser sur le
risque inondation. Internet s’impose comme l’ultime médium, qui, loin de supplanter les
autres modes d’accès à l’information, offre l’occasion d’élargir le propos strictement local,
voire une plus forte réactivité par le biais de forums participatifs.
« Internet pourrait être une réponse, pour me permettre de me faire une opinion moi-même,
par des informations scientifiques. C’est vrai que je n’ai jamais fait la démarche, mais parce que
je ne peux pas perdre de temps en recherchant, mais si par exemple, on nous diffusait une
plaquette dans les boîtes, avec l’adresse d’un site complet, sur les crues, les barrages, etc., oui,
là je pourrais m’y consacrer. » (Mme Z, Pierrelatte)
« Les réunions je ne pense pas que ça draine beaucoup de personnes, alors qu’une lettre
d’information municipale oui, ça toucherait plus de monde, mais uniquement ceux qui sont dans
la zone inondable. Internet ce serait bien, par des forums surtout, mais ça doit se passer au
niveau régional, parce qu’au niveau de la commune c’est trop limité. » (M. V, Le Teil)
Par ailleurs, ce type de documentation devient un palliatif aux pannes de transmission
locales, là où la mémoire se délite, là où les réseaux de sociabilité se dispersent.
Quant aux tenants de l’informel et de l’oralité, ils érigent réunions publiques et échanges
entre habitants au cœur de la dynamique de communication. Précisons pourtant que les
réunions relatives au risque inondation s’avèrent somme toute assez rares, y compris dans
les communes impactées, à l’exception des plus engagées sur les politiques de prévention. Si
chacun est bien conscient de la faible capacité des rencontres d’information à rallier
majoritairement les riverains concernés en dehors des périodes de crise (selon un élu du
Haut-Rhône, au-delà de quelques mois après une inondation, l’attention de la population se
relâcherait nettement), beaucoup estiment que c’est la meilleure façon de se rendre compte
des avancées des projets locaux et du positionnement des élus, à travers « un lien direct ».
Le risque inondation : postures riveraines - février 2007
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2.3
L’acceptabilité du risque en portraits
Quelques figures simplifiées nous aideront à mieux cerner le processus d’acceptabilité du
risque inondation dans sa traduction riveraine, non dénuée d’ambivalence, à la fois
subordonnée au sentiment de vulnérabilité et à l’appartenance territoriale.
Le confiant… ou l’absence d’impact
Barrages régulateurs, plaines d’expansion, infrastructures routières faisant office de digue…
La figure du confiant se retrouve généralement parmi les riverains des zones urbaines
déconnectées du risque inondation. La fiabilité de la gestion du fleuve, la prégnance des
aménagements, ainsi que la confiance placée dans l’autorité publique en matière
d’organisation des secours assurent au citadin une protection maximale.
Néanmoins, les villageois du Rhône aval pouvaient certainement s’imaginer dans une telle
relation de confiance au fleuve avant les récents évènements. Depuis, les digues ont révélé
les failles de la protection, au point d’asseoir durablement la vulnérabilité de certains
riverains, quelles que soient les mesures préventives opérées.
« Moi je suis ici depuis toujours, mais jamais ni moi ni mes parents n’avions connu d’inondation,
d’ailleurs quand on acheté la maison en 2002, sur l’acte notarié c’était noté “très faible risque
d’inondation“. Mais jamais ça nous a effleuré l’esprit qu’il pouvait y avoir un risque, même en
voyant l’acte de vente, puisque ça n’était jamais arrivé ici. (…) Je ne sais pas si on est protégé
maintenant, c’est sûr maintenant la digue c’est une protection en plus, vu qu’elle a été
surélevée, mais je ne me sens pas totalement protégée. Maintenant en fait je me dis qu’on est
à l’abri de rien.» (Mme BC, Comps)
Le Rhodanien… ou un impact limité
Laisser le fleuve visiter les lieux en toute quiétude, ne pas obstruer son passage, respecter
ses colères... La personnification du Rhône constatée à plusieurs reprises dénote une forme
d’acceptation bienveillante d’un élément familier, dont les accès de fougue ne sauraient
entacher la relation privilégiée engagée avec l’habitant.
« Ici on a le sentiment qu’il y a une culture du fleuve très forte parmi les habitants, on fait
partie d’une population particulière quand on habite au bord du Rhône, on en est imprégné (…).
Le Rhône on a un grand respect pour lui, on sait que si le Rhône vient, il faudra lui ouvrir le
portail, lui laisser la porte ouverte ! On le respecte. » (M. et Mme U, Sablons)
Une telle figure se repère là où le risque s’élève au rang de fierté locale et là où, finalement,
les atteintes sur les habitations et les terres agricoles s’avèrent relativement limitées, ou du
moins suffisamment rares pour ne pas être perturbantes au long cours. Le « Rhodanien »
calque ses pratiques de protection sur l’héritage des anciens, vigilant plutôt qu’inquiet, peu
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préventif dans son aménagement intérieur et raillant les désirs de « surprotection » des
profanes alarmés aux moindres remous.
Victime ou revendicatif… deux réponses opposées à un fort impact
La posture de victime ou celle d’une mobilisation active, en dépit de leur apparente
contradiction, correspondent aux figures repérées face au déferlement des eaux dans son
lieu d’habitation ou de travail.
Ne pas disposer de moyens nécessaires pour agir de manière autonome, subir les alertes et
les évacuations répétées, se sentir piégé dans une zone inondable, se résigner au sacrifice
des espaces ruraux en faveur des agglomérations … ou, au contraire, se sentir investi d’une
mission de lutte citoyenne contre les inondations, de hisser la parole des sinistrés jusqu’aux
plus hautes sphères politiques, on a bien là deux visions divergentes, mais résolument
ancrées dans le traumatisme de la crue.
Parfois, les figures « victime » et « revendicatif » s’incarnent en une même personne,
tiraillée entre le sentiment de ne pouvoir avoir de prise sur l’événement et le désir de réagir.
Constater la recrudescence des crues supposées simulées par la CNR ou l’expansion des
zones inondables, se sentir dénié, et, en même temps, s’inscrire dans un mouvement
associatif tout en déplorant la faible place accordée à l’expression de l’habitant. Le statut de
victime permet d’accéder à la scène publique et, par là, d’asseoir un mouvement
revendicatif.
Le messager
Reconnu parmi les « Rhodaniens » ou les « Revendicatifs », mais pas seulement, le
messager s'attribue un rôle de diffusion de l’information auprès de la population locale.
Disponible, ouvert aux néo-résidents et dispendieux de conseils éclairés, il porte la mémoire
du fleuve acquise par filiation. Si certains restent figés sur le Rhône d’antan – d’où le constat
de pertes de repères –, d’autres se tiennent à jour, soucieux de délivrer une parole au
croisement du savoir-faire et du technique.
« Ce que je sais, c’est une évidence. Je suis chasseur, pêcheur, grand promeneur dans les
lônes, j’avais une barque quand j’étais petit, j’allais en barque avec mon père dans les lônes (…)
Chaque fois que je me pose une question, je lis tout ce qui se passe, beaucoup sur Internet, et
comme je participe aux CTC (….) Ils me posent pas mal de questions, moi je fais partie des
meubles du village, je leur explique comment ça marche. » (M. EF, Aramon)
De l’acceptabilité du risque, retenons des paliers successifs, qui loin de s’accorder à une
progression linéaire – qui irait schématiquement de la prise de conscience à une complète
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appropriation du risque –, correspondent à des situations vécues, ponctuées d’allers-retours
au gré de l’avènement du risque ou de son éloignement.
L’écart entre la dépendance aux autorités publiques (information, alerte, secours) et
l’indépendance (surveillance, protection individuelle) se mesure à l’aune de l’acceptation du
risque : plus on accepte l’idée que le fleuve représente une menace potentielle, plus on
devient autonome dans l’appréhension du risque. Mais, pour ce faire, encore faut-il admettre
sa propre vulnérabilité… autrement dit être suffisamment éclairé quant au réel pouvoir
régulateur des aménagements fluviaux, et à l’exposition des grandes agglomérations à un
risque souvent estimé écarté de toute contingence urbaine.
Les moteurs de la conscientisation du risque : réponse au postulat de
départ
Il est temps à présent d’apporter des éléments de réponses quant à l’hypothèse de travail,
pour mémoire :
> le sentiment de vulnérabilité est au fondement du processus de conscientisation du risque,
> la conscience du risque est un nécessaire préalable à l’implication individuelle dans le
dispositif de protection-prévention, via le processus d’acceptabilité.
À la lumière des entretiens réalisés du Haut-Rhône au delta, une légère distorsion se fait
jour. Certes, le sentiment de vulnérabilité joue un rôle essentiel dans le rapport au risque,
mais le sentiment d’appartenance se révèle fondamental.
N’est-ce pas, bien souvent, l’appartenance à une communauté ou un territoire (une
commune, un quartier) qui dévoile la vulnérabilité de l’habitant ? N’est-ce pas, malgré
l’exposition au risque, l’attachement à un cadre de vie qui permet de le relativiser ou de
freiner le départ d’une zone inondable ? N’est-ce pas l’inscription territoriale qui déclenche
des formes de conscientisation du risque (rappel des inondations passées par les anciens,
renseignement des nouveaux habitants par l’entourage, invite à la surveillance du fleuve en
période d’alerte…) ?
L’initiation à la vie locale et l’intégration dans ses réseaux de sociabilité s’avèrent largement
déterminants pour appréhender un risque sur un territoire donné, pratiquement au même
titre que l’expérimentation personnelle. À l’évidence, l’habitat dans une commune impactée
depuis moins de 20 ans est le facteur premier d’une transmission opérationnelle.
De la même manière, les moteurs de l’acceptabilité du risque rejoignent la dimension
territoriale : l’intérêt pour la vie communale, l’engagement associatif, la défense des intérêts
locaux, l’attachement au cadre de vie s’imposent comme autant de facteurs mobilisateurs,
favorables à la circulation de l’information et à son appropriation.
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Résumé de la partie 2 – Risque et territoire
>> Deux pôles opposés semblent caractériser l’habitat en zone inondable : d’un côté le
bienfait de la proximité du fleuve (vis-à-vis préservé, singularité d’une communauté
rhodanienne, incursion de la nature en milieu urbain…), de l’autre la déqualification du cadre
de vie (transactions immobilières ralenties, espace de jeu des gestionnaires fluviaux,
sacrifice des zones rurales au profit de l’urbain…). Cependant, le sentiment d’appartenance
au territoire nuance le propos, jusqu’à réconcilier, en partie, les ténors du fleuve agrément et
les tenants du fleuve menace.
>> La dimension territoriale recouvre tous les niveaux de la relation au risque, que ce soit du
point de vue des résidents que des acteurs économiques et institutionnels. Les savoirs et
savoir-faire se transmettent localement, des anciens aux nouveaux riverains, dès lors que la
configuration des lieux s’y prête (réseaux de sociabilité resserrés dans la commune ou le
quartier concerné) … à condition que les transformations du fleuve ne viennent troubler les
savoirs anciens. Les entreprises et les institutions souffrent néanmoins d’un défaut de
directives appliquées à la question du risque inondation (contrairement à d’autres types de
risque) : il est parfois jugé trop localisé pour faire l’objet d’une appréhension globale par les
instances décisionnelles, bien souvent gérable de manière instinctive.
>> Culture du risque, culture locale ou culture du fleuve, la question est d’importance. La
culture du risque, produite par la transmission ou l’avènement d’un épisode de grande
ampleur, et accentuée par l’implication sur ce thème, s’ancre dans un rapport fondamental à
un territoire donné. Mais, parce qu’elle s’attache à un objet particulier, elle ouvre la voie à
une connaissance élargie à la culture du fleuve, transposable à d’autres territoires pour peu
que l’on se soucie de réajuster les savoirs acquis précédemment.
>> Bien que différents degrés de conscientisation du risque et de connaissance se repèrent, il
apparaît néanmoins que la culture du risque, loin de correspondre à une donnée unique et
indifférenciée, se révèle aussi protéiforme qu’il existe de situations et de configurations
géographiques. Telle une « boîte à outil » mémorielle et technique à disposition de tous (du
moins au sein des secteurs les plus appropriés) dans laquelle chacun puise et sélectionne les
connaissances dont il a besoin, dans une relation fonctionnelle au risque. Quand la culture du
risque, additionnée de savoirs d’ordre scientifique, se hisse au rang de l’expertise citoyenne
–portée par la Confédération des riverains du Rhône – elle rejoint la volonté de peser sur les
stratégies de prévention, quitte à distordre les réalités de la gestion fluviale.
>> Une meilleure connaissance du fonctionnement global du fleuve (gestion des barrages et
capacités de régulation des crues) est bien justement le besoin le plus fréquemment repéré,
à l’exception des structures économiques ou de service dont les exigences relèvent d’une
évaluation du risque par site.
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Partie 3 – Recommandations en faveur de dispositifs de
communication opérants
L’heure est venue de s’extraire du descriptif et du seul contenu des entretiens pour
s'adjoindre une dimension stratégique.
Comment, à partir des enseignements émanant du terrain, orienter les politiques de
communication et de sensibilisation au risque inondation au plus près des perceptions
riveraines ? Comment s’assurer de l’adaptabilité des messages destinés aux populations des
zones inondables, de leur bonne réception, en fonction des multiples positionnements
repérés au long du linéaire fluvial ?
Loin de s’attacher à un mode d’emploi à l’efficience immédiate, qui demanderait une
investigation plus approfondie auprès de différentes « cibles-test » (par catégories de
population, situations vécues ou secteurs géographiques), il s’agit plutôt de lancer des pistes
d’action prenant appui sur les perceptions riveraines. De telles perspectives exigent, dans un
second temps, un travail de définition et de précision en préalable à toute déclinaison
opérationnelle.
L’état des lieux établi à la faveur de l’enquête offre l’opportunité de proposer deux entrées
méthodologiques, qui, de notre point de vue, constituent des points de départ opérants à la
mise en place de dispositifs de communication.
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Partie 3 – Recommandations en faveur de dispositifs de communication opérants
1 – État des lieux de la « culture du risque » : rappel des
enseignements significatifs
Un rapide retour sur les résultats de l’enquête donnera un aperçu synthétique des éléments
à partir desquels opérer une série de propositions stratégiques.
1.1
Vulnérabilité et conscientisation du risque
>> Globalement, le sentiment de vulnérabilité n’apparaît pas réellement prégnant sur les
espaces du Rhône amont au Rhône moyen, et ce quelle que soit l’expérimentation du risque.
Des crues de faible ampleur ou un dernier épisode remontant à plus de 15 ans, un espace
d’habitat peu atteint, des longs délais d’annonce de crue, la certitude d’un danger humain
écarté de la scène du risque, le refus de vivre dans l’inquiétude, l’appropriation d’une
relativisation du risque lors du processus d’intégration locale, voire la confiance absolue dans
les aménagements fluviaux… deviennent autant de facteurs explicatifs, qui, en partie,
rejoignent également certaines perceptions émises sur le Rhône aval.
Ici, pourtant, la notion de danger émerge d’autant plus aisément que les inondations ont
causé des décès, que le déferlement des eaux s’avère soudain dans les zones de confluences
ou que les digues ont montré leur impuissance à freiner la fougue du fleuve.
>> La minimisation générale des impacts des crues (dégâts matériels indemnisés) conduit de
fait à un faible degré de protection individuelle, plutôt passive et limitée au temps de la crise
(déplacer les meubles). Seuls les plus sensibilisés adoptent une stratégie active et durable,
même si les modifications de l’habitat peuvent être déclenchées par des projets personnels
d’amélioration de la vie quotidienne (extension de l’espace habitable par exemple).
>> Néanmoins, en dépit d’une vulnérabilité relative, des formes de conscientisation du risque
se manifestent sur l’ensemble du territoire, à l’exception peut-être des communes des
grandes agglomérations longtemps exemptées des atteintes des crues : surveillance du
fleuve, transmission de la culture des anciens, attention à l’information délivrée.
>> Institutions et entreprises souffrent généralement d’un défaut de directives émises par
leurs autorités compétentes, d’où la quasi absence de plans de gestion de crise élaborés en
interne sur la question des inondations. Sans compter le rôle joué par le dirigeant, sa propre
expérience des crues et, souvent, sa conviction que les risques naturels peuvent se contenter
d’une appréhension instinctive.
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1.2
Acceptabilité du risque fortement territorialisée
>> L’importance de l’ancrage territorial se révèle à tous les niveaux de l’appropriation des
différentes facettes du risque inondation. Pour l’essentiel, l’information se diffuse localement,
à l’échelle d’une commune ou d’un quartier, dans un aller-retour entre institutions locales
(politiques et associatives) et entourage (voisinage, amical et familial).
>> Pour les responsables d’institutions et d’entreprises, l’évaluation du risque et de ses
impacts potentiels semble un préalable nécessaire à son acceptation et à tout autre
information sur les phénomènes de crue. La demande est à la fois localisée (par site) et
contextualisée (par domaine d’activité et type de public accueilli).
>> Les besoins des particuliers s’attachent à une meilleure connaissance des origines et des
effets locaux des crues, même si l’intérêt peut s’élargir au fonctionnement fluvial dans sa
globalité. Par ailleurs, l’attention aux questions environnementales est une piste à explorer.
>> Des anciens aux nouveaux, la culture du risque demande, pour une transmission réussie,
l’inscription territoriale de résidents soucieux de développer des réseaux de sociabilité ou, à
tout le moins, mus par un réflexe de renseignement auprès des figures référentes. Un tel
mécanisme qui peut, cependant, s’avérer biaisé là où se repèrent des pannes de la
transmission (perte de repères des anciens).
>> La culture du risque dépend directement du contexte local et de son appartenance, mais,
intégrée plus globalement dans une culture du fleuve, elle peut s’élargir à d’autres cadres
territoriaux, tant que le support du risque (le fleuve) reste identique.
>> Les phénomènes d’appartenance à une communauté rhodanienne ou à un territoire font
partie intégrante du processus d’acceptabilité du risque. Vivre en zone inondable quelles
qu’en soient les conséquences, s’engager dans un mouvement associatif pour la défense des
intérêts locaux ou s’approprier la vision des « anciens » relève de l’attachement à un cadre
de vie, dans lequel le risque est intégré comme une de ses composantes.
>> Le parallèle entre culture du fleuve et dépendance témoigne d’écarts importants entre :
l’habitant « profane » soumis aux institutions concernant l’annonce et les secours (néoriverain ou résident de secteurs n’ayant pas été impactés depuis une vingtaine d’années) ; le
riverain éclairé des effets des crues et des moyens de s’en prémunir, sans posséder de vision
globale sur les tenants et aboutissants de la gestion fluviale (expérimenté et/ou informé
localement) ; le porteur d’une mémoire du fleuve qui, bien qu’autonome, doit néanmoins
ajuster ses compétences à l’évolution de la configuration des lieux.
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Partie 3 – Recommandations en faveur de dispositifs de communication opérants
2 - Identifier des composantes homogènes au plan stratégique
Trois entrées, ou grilles de lecture, paraissent particulièrement pertinentes pour appréhender
la problématique d’une communication différenciée, capable de prendre en compte les
distinctions aussi bien géographiques que sociologiques à l’œuvre dans les formes
d’appropriation du risque. Embrasser en un même mouvement de telles différenciations
relève de l’utopie, aussi nous attachons-nous à repérer des similitudes (ou situations
proches) qui permettront de décliner des approches à la fois globales et contextualisées.
2.1
Des sous-secteurs géographiques
Si l’enquête, et avant elle le sondage réalisé par l’agence BVA, s’est déroulée sur l’ensemble
du linéaire fluvial, c’est bien à la faveur d’une intuition – confirmée par les résultats du
sondage – basée sur une perception supposée différenciée du risque selon les secteurs
d’implantation. Haut-Rhône, agglomération lyonnaise, Rhône moyen et Rhône aval ont
effectivement dévoilé des modes d’appréhension distincts, fonction de la régularité et de
l’ampleur des crues autant que de la configuration géographique.
Certes, l’approche par secteur se révèle judicieuse, mais nécessite néanmoins d’être affinée,
au regard de l’hétérogénéité géographique et hydrologique au sein d’une même zone.
>> Le Haut-Rhône tire sa particularité de l’implantation de communes de petite taille
éloignées des bords du fleuve, la plupart n’offrant aux rives que des terres agricoles, des
habitations isolées ou quelques zones d’activités.
L’enquête s’est centrée sur les secteurs les plus atteints par l’inondation de 1990, à savoir :
Yenne (une des rares communes implantées au bord du Vieux Rhône) ; la ZAC de Serrièresen-Chautagne ; les villages de Brangues-Le Bouchage-Les Avenières à dominante agricole,
partageant une exposition au risque voisine. Ainsi n’avons-nous pas eu l’occasion d’investir
d’autres configurations, tels que les secteurs transformés par la canalisation du Rhône, à
l’image de Belley dont le centre-ville est situé à quelques kilomètres du fleuve.
Déjà, les trois secteurs examinés révèlent des dissemblances, tant du point de vue de
l’opposition urbain/rural que de celle particuliers/entreprises, générant des usages du fleuve
et des besoins différents en matière de prévention du risque inondation.
>> L’agglomération lyonnaise, quant à elle, dévoile en son sein des situations variant d’une
commune – voire d’un quartier – à l’autre. Oullins, situé en zone de confluence, est plus
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familier des crues de l’Yzeron. Vaulx-en-Velin, sous la menace d’une rupture de digue en cas
de crue cinq-centennale, véhicule un passé inondant encore présent dans les mémoires. Le
quartier de Gerland, écarté de toute mémoire du risque, est sujet aux remontées de nappe
ou par débordement direct au-delà de la crue centennale. Enfin, Vaise en bord de Saône
décline différentes représentations de part et d’autres du pont Mazaryk (point de rupture
quant aux atteintes des crues) et s’attache à un régime fluvial différent.
De fait, l’information doit bien évidemment rendre compte de telles situations, entraînant des
perceptions distinctes quant à l’exposition au risque, les délais d’annonce de crue ou le
fonctionnement fluvial.
>> Le Rhône moyen présente une grande diversité de secteurs. Ils sont néanmoins reliés par
une dominante urbaine et périurbaine (ponctuée de « poches » agricoles et paysagères),
déconnectée des rives par les infrastructures routières (Vienne, Valence), bouleversée dans
son rapport au fleuve par une série d’aménagements fluviaux (Sablons, La Voulte/Livron…)
et, enfin, résolument orientée sur la problématique chimique et nucléaire. Les
transformations des paysages fluviaux se répercutent sur les usages riverains, modifiant par
exemple les repères établis par les anciens du Rhône.
>> Il en va de même pour le Rhône aval, où une partie des représentations s’inscrivent dans
la continuité de celles du Rhône moyen au sud de Valence. Donzère et Pierrelatte exposent
ainsi des perceptions similaires liées à un fleuve canalisé, tandis que les riverains du Gard
s’attardent plutôt sur les problématiques de confluence (Aramon, Comps) et d’endiguement
(Aramon et Comps ainsi que Saint-Gilles, par ailleurs concerné par la spécificité deltaïque).
Du Haut-Rhône au delta, l’on voit bien l’intérêt de travailler à des échelles territoriales
resserrées à des sections homogènes : tronçons d’aménagement ou zones voisines
partageant une problématique commune.
Il convient par ailleurs, dans une démarche de communication, de s’affranchir des limites
établies. En effet, nous avons vu que le rapport au risque se joue des frontières
administratives ou communément admises (amont, moyen et aval) : les perceptions
riveraines basculent dès le sud de Valence pour rejoindre celle de l’aval – des crues lentes
aux crues rapides –, sans oublier l’importance des relations rive à rive (La Voulte/Livron,
Sablons/Serrières, Pierrelatte/Bourg Saint Andéol…).
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2.2
Des expériences territoriales structurantes
Outre une approche par zones voisines au plan géographique, une entrée complémentaire
établit des rapprochements à l’échelle du bassin rhodanien, par composantes, en droite ligne
des résultats de l’enquête. Comme constaté au long du rapport, un certain nombre de
paramètres communs d’ordre social, culturel ou institutionnel transcendent la distinction
régionale, au point de limiter la pertinence d’un seul travail par zonage.
Si cette approche complémentaire demeure circonscrite à la question territoriale – dont nous
sommes avisés du rôle majeur dans l’appréhension du risque –, elle vise à créer des
passerelles entre des territoires confrontés à des expériences proches, au-delà de la
traditionnelle séparation amont-moyen-aval.
Les propositions ci-dessous, non exhaustives, offrent une vision parallèle rapprochant des
secteurs souvent éloignés géographiquement.
>> L’incrédulité face au risque – agglomérations et villes moyennes (Lyon, Vienne,
Valence…)
De la faible prise de conscience au déni du risque (passant par l’imagerie des inondations
appartenant à un passé révolu et le sentiment de protection assurée par les aménagements),
les citadins du Rhône moyen partagent une même représentation, celle de l’improbabilité de
l’événement, à moins d’un cataclysme ravageur.
Il s’agit donc de faire prendre conscience des enjeux économiques et de la vulnérabilité
persistantes des zones urbaines.
>> Une culture du fleuve vivante – bourgs ou villages (Brangues/Le Bouchage,
Sablons/Serrières, La Voulte/Livron, Le Teil, Aramon…)
De l’amont à l’aval, le maintien et la diffusion d’une culture du fleuve se retrouve là où les
crues se révèlent fréquentes mais de faible impact, ou de grande ampleur mais plus rares, et
là où la proximité favorise le relationnel de l’habitant à l’élu, du néo-résident à l’ancien.
Par ailleurs, il s’agirait d’examiner plus attentivement les situations où la perte de repères
enraye le processus de transmission (segments fluviaux canalisés, communes longtemps
protégées du risque).
>> Le poids des affluents – zones de confluence
Dans les secteurs plus fortement soumis aux crues générées par les affluents, et ce quelles
qu’en soient leurs atteintes, les riverains développent une perception autre du Rhône, soit
parce qu’ils l’écartent de leurs représentations du risque, voire de leur environnement, soit
parce qu’ils relativisent ses effets au regard des ravages provoqués par les rivières – crues
soudaines, fort courant.
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2.3
Des situations vécues
Pour parachever l’identification de composantes homogènes, il convient à présent de resituer
la pratique individuelle au coeur de la stratégie de communication. Non seulement en
s’intéressant aux catégories de population enquêtée (agriculteurs, habitants, responsables
d’institutions et d’entreprises), mais aussi aux liens établis avec l’expérimentation du risque
et, par là, aux degrés de son appropriation, de manière à ajuster les contenus de
l’information aux réels besoins.
Inutile cependant de témoigner, à nouveau, des différentes postures et représentations
riveraines, longuement traitées au long du rapport. Il s’agit simplement de souligner
l’importance d’un croisement entre attitudes face au risque (sentiment de vulnérabilité,
processus d’acceptabilité), ancrage territorial et niveaux d’information.
À ce propos, rappelons que, parmi les degrés intermédiaires situés entre les notions
élémentaires et les compétences en matière de culture du risque et du fleuve, une part de la
population n’a pas connaissance des outils préventifs tels que les DICRIM, PPRI ou Plans de
sauvegarde communaux, aujourd’hui peu relayés à l’échelle des communes.
Par ailleurs, la catégorie des responsables des institutions et des entreprises se détache
nettement des autres, que ce soit au travers du rapport au risque, des relais d’information
et de la portée des enjeux économiques et humains. Aussi demande-t-elle une approche bien
spécifique en termes de communication et de sensibilisation, basée à la fois sur des
exigences ciblées (estimation du risque, accompagnement pour la mise en place de plans de
gestion) et des impératifs institutionnels.
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Partie 3 – Recommandations en faveur de dispositifs de communication opérants
3 - Identifier les relais agissants
En parallèle à l’identification de regroupements possibles à l’échelle du bassin rhodanien, la
seconde piste méthodologique se propose de repérer les vecteurs les plus efficients pour
accompagner la diffusion de l’information sur les territoires.
Qu’ils soient d’ores et déjà actifs, ou potentiellement mobilisables, ces relais locaux ou extralocaux s’organisent selon deux niveaux, fonction des différents publics et cibles identifiés. Il
convient donc, par catégorie, de dresser un panorama des acteurs pouvant, à un degré ou à
un autre, avoir un rôle à jouer dans la sensibilisation au risque inondation et l’appropriation
de sa prévention.
3.1
Relais auprès de la population locale
Habitants, agriculteurs, expérimentés ou non, nous simplifions le propos en établissant un
rapprochement concernant aussi bien les catégories de population (à l’exception des
personnes à responsabilité) que leurs perceptions du risque. Gardons-nous toutefois de
réduire les différents degrés de connaissance des riverains à un seul et unique mode
opératoire quant à la diffusion de l’information.
En effet, selon les situations et les contextes locaux, certains relais peuvent s’avérer plus
opérants que d’autres, certaines personnes peuvent avoir besoin de s’y référer plus que
d’autres.
>> Collectivités locales
Conseils généraux, préfectures, intercommunalités et plus encore mairies (voire mairies
d’arrondissement dans le cas de Lyon) correspondent à l’échelon territorial le plus approprié
pour engager une relation de proximité avec les résidents.
Au niveau communal, l’information est plus certaine d’être réceptionnée dès lors qu’elle
s’adresse à des habitants attentifs aux actions touchant directement le cadre de vie, tandis
que, selon la densité de la commune, les élus sont plus disposés à entretenir des rapports
spontanés avec les habitants.
Au plan intercommunal, se pose la question des Établissements Publics de Coopération
Intercommunale (EPCI) qui, dans le cadre de compétences en aménagement et
développement du territoire, pourraient s’inscrire plus distinctement dans une stratégie de
diffusion des outils de prévention du risque.
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>> Chambres d’agriculture
Interlocuteur privilégié des exploitants agricoles, les instances consulaires constituent déjà
un bon relais sur la question des inondations, à l’image du travail partenarial engagé sur le
Rhône moyen et aval, relatif à la vulnérabilité des exploitations au risque inondation. De
plus, leur participation au processus de négociation dans l’élaboration des PPRI accentue leur
capacité à représenter les agriculteurs sur la scène du risque.
>> Institutions résidentes, entreprises
Quel rôle actif peuvent jouer les institutions résidentes (établissements scolaires,
établissements de santé, structures sociales et culturelles…) et les entreprises auprès de la
population locale ? L’enquête expose bien les ressorts de l’implication territoriale – et par là
de la diffusion de l’information –, stimulée par les réseaux entretenus via l’école, le monde
professionnel et la vie culturelle.
Aussi, bien que les personnes à responsabilité estiment également être au fait des
problématiques fluviales, il paraît néanmoins judicieux de les positionner au cœur de la
démarche de communication dès que leurs compétences sur le risque s’accroissent.
Pour s’en convaincre, reprenons l’exemple de cette directrice d’école du Gard, seule parmi
les responsables rencontrés à mettre en œuvre un PPMS spécifiquement orienté sur le risque
inondation. De fait, au croisement du politique, de l’administratif, du technique et enfin du
ressenti de la population résidente (l’élaboration des PPMS est soumise aux directives
générales des Académies, accompagnée localement par les élus et les représentants des
secours, présentée au personnel et aux parents d’élèves), ce type d’approche montre des
liens opérationnels entre les différentes sphères participant à la prévention du risque.
Les entreprises peuvent elles aussi élargir leur vocation en participant aux stratégies locales,
et auprès du personnel – à son tour ambassadeur envers les habitants – et auprès des
résidents, à condition que les réseaux locaux fonctionnent : relations avec la commune,
organisation de réunions en présence des acteurs économiques, etc.
>> Associations environnementales, associations de résidents
Si une part des structures associatives est potentiellement vecteur d’information sur le risque
inondation, il semble cependant que deux types d’associations s’imposent comme des relais
de premier choix. D’une part, celles plus spécifiquement tournées sur la dimension
environnementale (y compris en comparaison avec les mouvements essentiellement ciblés
sur la défense des sinistrés, souvent porteurs d’une vision réductrice), d’autre part celles
ancrées dans une relation de proximité sur un micro-espace (quartier, lotissement).
Parmi les populations peu connaisseuses du fonctionnement fluvial, beaucoup signalent en
effet leur intérêt pour les questions liées à l’environnement – ressource en eau, défense des
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paysages, pollution de l’air… –, qui pourraient constituer une porte d’entrée générale dans
laquelle s’inclurait le rapport au fleuve.
De même, l’échelon du quartier ou du lotissement permet de contourner, en partie, les
obstacles d’étalement des réseaux de sociabilité, plus particulièrement à l’œuvre dans les
zones urbaines et périurbaines.
>> L’entourage porteur de mémoire
Nous avons largement eu l’occasion d’exposer l’importance de la transmission orale,
résolument informelle et opérée des anciens résidents aux nouveaux, plutôt centrée sur les
origines et les effets locaux des crues… et plutôt repérée dans les communes à faible densité
de population.
Amis, famille, voisins – agriculteurs, élus et anciens du Rhône – sont donc à même de
diffuser une information strictement attachée à un territoire donné, qui, même si elle
véhicule une vision quelque peu erronée de la gestion des aménagements, se révèle adaptée
aux besoins immédiats et pragmatiques de l’habitant en zone inondable (protection de
l’habitat, fonctionnement de l’alerte, surveillance du fleuve, etc.).
3.2
Relais à destination des acteurs institutionnels et économiques
Nous avons évoqué à l’instant l’implication potentielle de ces acteurs dans la communication
sur le risque. Il s’agit à présent de s’interroger sur leurs propres réseaux, garantie première
d’une prise en compte du risque en interne et d’un investissement sur le territoire.
Si l’on en croit ces responsables qui, à la fin des entretiens, s’enquéraient des lieuxressources sur le risque inondation, nous avons bien un témoignage de l’intérêt porté à la
question une fois qu’elle est identifiée – effet sensibilisateur de la démarche d’enquête – et
du défaut de visibilité des sources informatives.
Les exigences des institutions et des entreprises relèvent d’une évaluation extrêmement
ciblée au domaine d’activité et au bâtiment, en termes de protection des personnes
(personnel, public), du matériel et des équipements, de préservation des activités
économiques (production, livraison) et de connexion avec le territoire d’implantation
(relations avec la commune et autres instances décisionnelles).
La diversité des autorités de tutelle des établissements et des organismes, de leurs champs
de compétence, de leur proximité avec les dirigeants locaux et de l’intégration des risques au
sein des procédures rend le travail de repérage particulièrement malaisé. Administrations
territoriales (Régions, départements, communes et intercommunalités), services de l’Etat
(Inspections académiques…), établissements ou offices publics sont donc les premiers
concernés.
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Aussi nous contenterons-nous d’attester de la nécessaire et préalable sensibilisation des
autorités référentes, en première ligne de l’information aux responsables des structures
résidentes. De la même façon, mobiliser les chambres consulaires, les associations
professionnelles et la DRIRE revêt une importance primordiale pour les acteurs économiques.
Que ce soit à destination des populations ou des acteurs locaux, une question émerge dans
la perspective d’une mise à disposition de relais d’information à différentes échelles : la
multiplication des canaux et des vecteurs ne risque-t-elle pas de troubler le riverain dans sa
quête de données fiables ?
À l’évidence, il convient de préserver la cohérence du dispositif et de ses déclinaisons
(messages, supports), mais, du reste, la mise en œuvre de multiples relais garantit l’atteinte
d’un large public, capable de se reconnaître dans la vision portée par un ou plusieurs
maillons de la chaîne ainsi édifiée.
Par ailleurs, la volonté d’étendre l’influence des institutions et des entreprises jusque dans
les démarches de prévention du risque ne se heurtera-t-elle pas au désintérêt des acteurs ?
Dans quelles mesures sont-ils capables d’assumer ce rôle durablement, et ce en dépit de leur
manque d’expérience ?
Difficile d’apporter des éléments de réponse, et notamment concernant les acteurs privés,
tant le contexte local, les enjeux économiques et les efforts de communication déjà à l’œuvre
s’avèrent ici prépondérants, sans oublier les tensions relatives aux contraintes édictées par
les documents d’urbanisme (aménagements dans le cadre des PPRI, par exemple) ou aux
oppositions public/privé.
Se pose donc la question d’un véritable référentiel de l’action : comment inscrire les acteurs
dans une trame territoriale susceptible de les propulser sur la scène du risque ? En prérequis à ce potentiel appui aux stratégies locales, il est bien entendu essentiel que la
préoccupation du risque se manifeste déjà en interne, envers les personnes, le matériel et
les équipements.
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Conclusion
Le travail conduit auprès des riverains des zones inondables du Rhône s’est attaché à révéler
la nécessaire distinction à opérer entre objectivité et subjectivité de l’aléa, tant risques
perçus et risques réels diffèrent dès que l’on se penche plus attentivement sur le vécu des
résidents et des acteurs du bassin.
Appréhender les perceptions et motivations repérées au sein de la société civile revient donc
à s’extraire de la seule vision scientifique et technique de la problématique inondation.
Que ce soit par une sur-estimation ou une sur-évaluation du risque, une relativisation de ses
impacts ou au travers de représentations erronées de la gestion fluviale, c’est bien le
subjectif qui détermine le sentiment de vulnérabilité.
Élastique et corrélée à un contexte – un cadre de vie, une actualité –, la vulnérabilité
riveraine se dilue ou se solidifie au gré des effets d’oubli et de résurgence du risque sur la
scène quotidienne : un aménagement de protection ou un épisode inondant peut transformer
la relation à l’aléa (inondation), au support (le fleuve) et au territoire. Bien souvent, la crise
dévoile ou confirme l’exposition au risque et, plus encore, produit ou ravive le savoir social…
savoir néanmoins trompeur quand il se fonde sur une mémoire vidée de sa substance,
décontextualisée, attachée à d’anciennes configurations (fleuve non aménagé, connaissance
des crues du Rhône et non des affluents…).
Parce que le sentiment de vulnérabilité, étroitement associé au mode d’intégration sur un
territoire, s’inscrit en facteur premier de l’implication dans les démarches individuelles et
collectives de prévention, la stratégie d’information a tout intérêt à s’orienter sur une
sensibilisation à l’aléa à la fois territorialisée et culturellement ciblée. Pour les populations les
moins conscientes de leur exposition, la sensibilisation passe aussi par une meilleure
qualification du risque encouru localement (hauteurs d’eau estimées par ordre de crue).
Si on élargit les visées de l’enquête aux problématiques sociétales d’extension de la mobilité
– domicile-travail-sociabilité –, la vulnérabilité s’étend tout autant de l’habitant à l’usager des
zones inondables. Dès lors dispersée sur un vaste espace géographique, l’exposition au
risque recouvre les multiples façons de vivre un territoire : habiter, travailler, s’éduquer, se
divertir, circuler... Distinguer ce qui relève de la vie et de l’usage des lieux affinerait sans
conteste l’appréhension du fait risque ainsi que la pertinence des démarches préventives
s’adressant à des populations aux pratiques diversifiées.
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Concluons notre propos par une série de questionnements conciliant culture du risque,
sociabilité et dimension opérationnelle. Pour rappel, la culture du risque repose sur trois
piliers : mémoire, transmission, socialisation par le fleuve.
>> Le temps passant et les protections établies faisant leur œuvre, la mémoire se délite et le
sentiment de vulnérabilité s’étiole. Comment entretenir la mémoire du risque et lui garantir
une meilleure opérationnalité ?
>> En second lieu, en s’éclairant des phénomènes sociaux repérés, comment consolider la
transmission des savoirs là où la mémoire demeure vivace ? Comment les activer là où elle
se décompose et où les réseaux de sociabilité se dispersent ?
>> Enfin, à la lumière de l’association entre implication sur le territoire, connaissance du
fleuve et sentiment de vulnérabilité, comment favoriser localement les processus de
socialisation par le fleuve ?
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