La Bataille de Gibraltar

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La Bataille de Gibraltar
La Bataille de Gibraltar
Ou le coup (dans l’eau) du Cavalier
11 avril – 2 mai 1942
I. Rösselsprung : la genèse
Que pouvait être la réaction stratégique allemande devant l’offensive alliée dans le
Péloponnèse ? Fidèle à son mode de pensée qu’il faut bien considérer comme pathologique,
Hitler repoussait énergiquement tout nouveau report de l’attaque de l’URSS. Mais il restait
très sensible à la dimension politique du contrôle de la Grèce et de la Mer Egée. Devant la
réduction à l’impuissance de la Regia Marina (encore accrue par le succès de l’opération
“Anjou”) et le risque d’une invasion de la Sicile entraînant un effondrement politique de
l’Italie, les réponses tactiques locales – contre-attaque de Rommel dans le Péloponnèse,
opération aéroportée contre Limnos – étaient évidemment insuffisantes.
C’est ainsi que fut prise la décision de demander à la Kriegsmarine d’envoyer de nouveaux Uboots en Méditerranée pour empêcher tout débarquement allié en Sicile. Ce choix devait
rencontrer l’opposition de Dönitz mais le soutien de Raeder, qui recherchait désespérément un
outil permettant à la KM de jouer un rôle de premier plan dans la politique militaire du
Troisième Reich. La majeure partie de sa flotte de surface était hors de combat, au moins
temporairement : Graf Spee, Blücher, Bismarck et Prinz Eugen coulés, Gneisenau
définitivement hors service, Tirpitz, Scharnhorst et Lützow en réparations ; seuls restaient
disponibles le Scheer, le Hipper et quelques croiseurs légers. L’arme sous-marine était donc la
seule utilisable. Une première opération de passage du Détroit de Gibraltar avait déjà eu lieu
en septembre-octobre 1941 (opération “Lumière Bleue”) ; les type VII envoyés avaient subi
des pertes importantes (sur vingt-sept sous-marins engagés, dix coulés et quatre forcés à
rebrousser chemin), mais ils avaient obtenu par la suite des succès notables (dont la
destruction de l’Ark Royal). Cependant, l’un après l’autre, la plupart des sous-marins passés
en Méditerranée en 1941 lors de “Lumière Bleue” avaient succombé. Du point de vue
stratégique, envoyer un nombre important d’U-boots renforcer la défense de l’Italie après les
opérations “Vengeur” et “Jaguar” apparaissait comme une manœuvre élégante, un beau coup
d’échecs – d’où le nom de code de “Rösselsprung”, le saut du cavalier.
II. Rösselsprung : la bataille
A la suite d’une réunion du 19 mars 1942 entre Hitler et le Grand-Amiral Raeder, le transfert
de 30 sous-marins vers la Méditerranée est décidé le 21 mars. Les submersibles doivent être
affectés à la 29e U-Boots-Flottille. Les commandants des sous-marins auront le libre choix de
leur destination, Marseille, Toulon ou La Spezia, en fonction des difficultés rencontrées en
route.
Opposé à cette opération en raison du handicap qu’elle impose à ses forces engagées dans la
Bataille de l’Atlantique, l’amiral Dönitz n’a pas d’autre choix que d’obéir. Néanmoins, son
expérience des opérations sous-marines le conduit à organiser ce transfert au plus vite, pour
éviter les longues journées et les nuits courtes qui facilitent la lutte ASM à partir de la mi-mai.
Cette vitesse est cependant toute relative, car il faut vingt trains de matériel de vingt wagons
chacun pour convoyer les équipements nécessaires à l’entretien du « corps expéditionnaire
sous-marin » allemand. Par ailleurs, les choix de Dönitz correspondent à ce qu’il sait à ce
moment des tactiques ASM alliées. Venant de Saint-Nazaire, Lorient et Brest, les sous-marins
allemands doivent former des groupes de quatre à six bateaux pour déborder les patrouilles
ASM alliées opérant devant Gibraltar. Le premier passage est prévu pour le 4 avril, mais des
délais dans la préparation des bâtiments désignés font que la première tentative ne commence
pas avant la nuit du 11 au 12.
Les forces en présence
Parmi les 30 sous-marins choisis, trois sont des Type VII-B (U-83, U-86 et U-87), vingtquatre des Type VII-C (U-77, U-80, U-81, U-88, U-94, U-96, U-134, U-136, U-203, U-205,
U-209, U-332, U-356, U-371, U-376, U-377, U-431, U-559, U-562, U-565, U-568, U-573, U575 et U-593) et trois des Type VII-D (U-213, U-214 et U-215).
Ils vont devoir défier les importantes forces ASM de la Royal Navy et de la Marine Nationale
qui opèrent de Gibraltar et Port-Lyautey pour empêcher l’infiltration d’U-boots, mais aussi
pour escorter les convois naviguant le long de la côte atlantique du Maroc. De plus, ces forces
sont dans une certaine mesure mises en alerte à la suite de déchiffrages du trafic radio Enigma
lié à la préparation de “Rösselsprung”. Le 8 avril, des forces significatives sont concentrées
aux abords du Détroit, au prix d’une certaine réduction de la fréquence des convois côtiers
Dakar-Casablanca.
– La Royal Navy met en œuvre deux groupes ASM constitués de quatre destroyers classes
“A” et “B” convertis pour l’escorte ASM (HMS Active, Achates, Boadicea et Bulldog), cinq
corvettes de classe “Flower” (HMS Hollyhock, Marigold, Mimosa, Montbretia, HMCS
Louisburg) et cinq dragueurs de mines classe “Halcyon” (HMS Bramble, Britomart,
Gossamer, Hussar et Leda).
– La Marine Nationale a affecté à l’escadre de Port-Lyautey les trois DE classe “Hunt-II” tout
juste mis en service (La Combattante, La Flore, La Pomone), dix avisos-dragueurs classe
“Elan” (Commandant Delage, Commandant Duboc, Commandant Rivière, La Batailleuse, La
Capricieuse, La Curieuse, L’Impétueuse et La Moqueuse, ainsi que La Boudeuse et La
Gracieuse, rappelées de Méditerranée centrale 1) et trois corvettes classe “Flower”
(Hallebarde, Javeline, Sabre).
– Cependant, il y a plus important que le nombre des navires de patrouille : c’est la puissance
de l’appui aérien ASM spécialisé. Deux Flottilles de l’Aéronavale, les E31 et E33, opèrent de
Casablanca et de Port-Lyautey avec chacune 12 avions ASM Whitley VII. Une autre, la E22,
a transféré six de ses dix Consolidated 28-MF (PBY-5) d’Oran à Port-Lyautey. De son côté, la
RAF a basé à Gibraltar les douze gros hydravions Sunderland des Sqn 95 et 202. En effet, on
présume que les U-Boots tentant le passage vont traverser le détroit en plongée. Or, pour ce
faire, il leur faut recharger au maximum leurs batteries la nuit précédente, puis attendre posés
sur le fond dans la journée, avant de tenter le passage. Des avions alliés équipés de radar sont
donc chargés de pourchasser les U-boots lorsqu’ils naviguent en surface à l’ouest de
Gibraltar, ou lorsqu’ils font surface à l’est, batteries et réserves d’air épuisées.
– Enfin, trois sous-marins français de 600 tonnes de type “Sirène”, les Ariane, Circé et Thétis,
ainsi que le classe T britannique HMS Taku, sont envoyés vers Toulon et dans le Golfe de
Gênes pour tenter de surprendre les U-boots à l’approche de leur destination.
Mouvements d’ouverture
Ce que les Anglais vont appeler “Battle of the Straits” et les Français “Bataille de Gibraltar”
va se dérouler du 11 au 28 avril 1942.
Le 11, à 02h35, le Whitley n°6 de l’E31 joue le premier coup. Il détecte l’U-203 en surface,
50 nautiques à l’ouest de Gibraltar, et le bombarde. L’équipage revendique une victoire, mais
1
L’Amirauté française prend ainsi le risque d’affaiblir provisoirement les moyens ASM de ce secteur, qui a déjà
perdu le patrouilleur auxiliaire Vikings (P41) et ne voit arriver que les patrouilleurs auxiliaires Reine des Flots
(P39) et Sergent Gouarne (P43).
en réalité, le sous-marin a subi des dégâts mais a survécu. Il gagne La Rochelle pour réparer et
repart vers Gibraltar le 25.
Dans la nuit du 11 au 12, le groupe HK1 de la Royal Navy verse le premier sang. Détecté au
radar, l’U-80 est envoyé par le fond par les HMS Mimosa et Montbretia le 12, à 01h10, à
l’ouest du Rocher.
La même nuit, à 04h25, à l’est de Gibraltar, les corvettes françaises Sabre et Javeline
expédient l’U-87.
La charge de la Brigade Légère
Le 14, peu après le lever du soleil, un Sunderland du Sqn 202 aperçoit un sous-marin en
surface. Le temps pour le pesant hydravion de se placer en position d’attaque, le sous-marin
plonge et les deux bombes larguées ne laissent espérer aucun résultat. A 11h20, un PBY-5 de
l’E22 aperçoit également un U-boot en surface, mais celui-ci aussi plonge avant l’attaque. A
14h45, le HMS Boadicea réussit une bonne interception HF/DF et fonce vers le lieu du signal
avec le HMS Achates, mais il ne parvient pas à obtenir un contact Asdic. Très clairement, un
important groupe d’U-boots est en train de tenter sa chance.
A 22h30, le premier groupe de chasse britannique intercepte l’U-568. Après deux heures
d’attaques continuelles par les HMCS Louisburg et HMS Marigold, le bateau est obligé de
faire surface et se saborde.
Le 15, à 00h15, les HMS Active et Bulldog explorent un signal radio court (Huff/Duff “cut”)
et, après avoir acquis un contact Asdic, effectuent un grenadage énergique. A 01h15, une
grande tache huileuse est aperçue (et sentie) en surface. La victime était sans doute l’U-94.
A l’est du détroit, le groupe de chasse français est lui aussi très occupé, contre des Allemands
particulièrement bagarreurs. La Capricieuse a un contact Asdic à 23h15 le 14 et, à 00h40,
après une série de grenadages, un submersible émerge juste devant la Javeline, qui n’hésite
pas à l’éperonner. Sa cible est l’U-88, qui sombre peu après et dont seuls trois hommes
d’équipage sont sauvés, mais la petite Javeline a sérieusement endommagé sa proue. Pourtant,
lorsque la corvette a un nouveau contact Asdic, à 02h35, elle repart à l’attaque et effectue
deux grenadages, qui sont apparemment infructueux.
A 03h05, c’est cette fois au radar que la Javeline détecte un U-Boot, quelques instants avant
que l’aviso La Boudeuse reçoive une torpille et coule en quelques instants. Sans se préoccuper
du sous-marin responsable, la corvette charge l’U-boot en surface, qui commet l’erreur de
plonger devant la corvette. Celle-ci lance une grande quantité de grenades, réglées pour
exploser à faible profondeur. Leur explosion provoque la perte du sous-marin allemand, car
de l’huile et des débris variés remontent à la surface ; plus tard, deux cadavres seront
récupérés, et le sous-marin identifié comme l’U-134. Cependant, l’explosion des grenades a
durement secoué la Javeline. Déjà ébranlée par le choc de l’éperonnage, la corvette doit
stopper.
Alors que La Capricieuse se rapproche pour la prendre en remorque, la Javeline immobilisée
est torpillée et coule à pic, emportant presque tout son équipage – la corvette sera l’une des
unités à recevoir en tant que telle le titre de Compagnon de la Libération. La Capricieuse ne
parvient pas à obtenir un contact Asdic et l’U-boot, qui a probablement aussi La Boudeuse à
son actif, s’échappe.
La journée du 15 est calme.
Le 16, rien à signaler en dehors d’un contact Asdic exploré sans succès par deux avisos , les
Commandant Delage et Commandant Duboc.
Le 17, peu avant l’aube, des avions français et anglais ont plusieurs contacts radar, mais
chaque fois, le sous-marin repéré peut plonger avant d’être attaqué. Cependant, à 13h30, un
PBY-5 de l’E22 basé à Port-Lyautey surprend l’U-332 naviguant en surface et le coule.
Dès la nuit tombée, les contacts radar se multiplient à l’est du détroit. Les sous-marins
allemands ont changé de tactique : ils tentent de traverser le détroit en plongée dans la
journée. Mais le lendemain, il leur faut faire surface pour recharger leurs batteries et les
avions équipés de radars guident vers eux les navires de patrouille français.
Ainsi orientés par un Whitley, les Commandant Delage, Commandant Duboc et La Gracieuse
ont un contact Asdic à 23h15 et attaquent un sous-marin qui manœuvre violemment sous
l’eau pour échapper aux grenades. Il y parvient, mais achève, ce faisant, d’épuiser ses
batteries déjà en partie déchargées.
Le 18 à 03h40, l’U-boot à court d’électricité doit faire surface, ce qui permet au radar type272 de La Gracieuse de le détecter. Illuminé par des fusées éclairantes, le sous-marin est
arrosé d’obus par les trois avisos. Au bout d’une demi-heure (le sous-marin est une cible
difficile, sa coque est robuste et les canons des avisos sont petits), le Commandant Delage
décide d’en finir : il éperonne l’U-boot, lâchant derrière lui après l’éperonnage huit grenades
ASM réglées pour exploser très vite, envoyant enfin par le fond l’U-376. Cependant, cette
manœuvre brutale endommage l’aviso, qui doit se traîner à 8 nœuds jusqu’à Oran.
A 04h25, le même Whitley dirige les deux autres avisos vers un nouveau contact, que le radar
de La Gracieuse repère à 04h55. Surpris par les fusées éclairantes, le sous-marin plonge en
catastrophe, mais les deux avisos sont bientôt au-dessus de lui, effectuant des attaques
coordonnées. A 06h15, l’U-boot est obligé de refaire surface, mais finit par couler en
quelques minutes, laissant onze naufragés. Recueillis par La Gracieuse, ils expliqueront que
leur bateau, l’U-215, avait été gravement endommagé par la dernière attaque et que l’eau
entrait à flots par le tube lance-torpille arrière.
…
Cependant, à l’ouest de Gibraltar, un groupe de chasse anglais est envoyé explorer un contact
radio court (un HF/DF “cut”) obtenu par le Boadicea. Le Mimosa obtient un contact Asdic à
08h35 et, avec l’aide du Bramble, mène plusieurs attaques contre une cible très difficile à
coincer. Deux fois, les deux navires croient l’avoir perdue, mais deux fois ils obtiennent un
nouveau contact au bout de quelques minutes, et la chasse se poursuit jusqu’en fin d’aprèsmidi. A ce moment, le Mimosa effectue une attaque furtive : la corvette ralentit à 5 nœuds,
Asdic coupé, avant de se lancer à l’attaque en suivant les instructions du Bramble. A 15h23,
une énorme tache huileuse est enfin aperçue. Après la guerre, les archives allemandes
confirmeront la perte de l’U-356.
A 20h45, les corvettes Hollyhock, Louisburg et Marigold ont un contact Asdic à 15 nautiques
au sud-ouest de Gibraltar. La troisième attaque est réussie, coulant l’U-214.
Mais les sous-marins allemands du côté anglais sont aussi combatifs que ceux du côté
français : à 22h35, le Bramble, qui fait route vers Gibraltar pour réarmer, est torpillé à 10
nautiques du port et sombre rapidement.
…
Pendant ce temps, les Français s’activent eux aussi. Les DE classe “Hunt-II” La Combattante
et La Flore grenadent de 22h15 à 23h30 un sous-marin à l’est de Gibraltar. L’U-573 réussit à
s’échapper, mais en si mauvais état qu’il doit se réfugier dans le port de Palma de Majorque,
où il est interné (il deviendra après la guerre le sous-marin espagnol G-7).
Le 19, peu après 00h00, l’aviso Commandant Rivière détecte un sous-marin en surface, que
son tir et celui de La Batailleuse forcent bientôt à plonger. Le grenadage qui suit est fatal à
l’U-371, mais aussi, indirectement, au Commandant Rivière. Endommagé par ses propres
grenades, l’aviso doit tenter de regagner un port, escorté par La Batailleuse. Mais les eaux du
détroit ne sont sûres pour personne : incapable de dépasser 5 nœuds, l’aviso est torpillé à la
poupe. Un moment, le navire paraît capable de survivre, mais La Batailleuse obtient un
contact Asdic, et à 04h55, il est décidé de saborder le Commandant Rivière.
Les deux jours suivants sont relativement calmes. « La Kriegsmarine a-t-elle renoncé ? Non,
malgré les pertes, les sous-marins allemands continuent à tenter de forcer le passage. Mais
en fait de “saut du cavalier”, il s’agit plutôt de l’équivalent sous-marin de la charge de la
Brigade Légère à Balaklava. » (Jack Bailey, Un Grand Cimetière Bleu – La guerre
aéronavale en Méditerranée, op. cit.).
Le 22 vers 10h00, un sous-marin en surface est repéré par un Sunderland du Sqn 202 à 20
nautiques au sud du Cap Saint-Vincent. Les HMS Active et Bulldog se précipitent et ont la
chance d’obtenir un contact à 11h45. Au bout de six heures de chasse, ils forcent l’U-559 à
faire surface et à se saborder.
Le 23, juste avant minuit, un Whitley de la Flottille E33 détecte un sous-marin en surface et
guide vers lui avec succès les corvettes Hallebarde et Sabre et les avisos La Moqueuse et
L’Impétueuse. L’U-136 est coulé le 24, à 03h10.
Suivent quatre jours de trêve apparente.
Le 28 avril à 02h30, un Sunderland du Sqn 95 détecte au radar un sous-marin en surface au
sud de Cadix et l’attaque sans succès. A 16h35, les dragueurs HMS Britomart, Hussar et Leda
ont un contact Asdic non loin du port de Tanger. Plusieurs grenadages se succèdent sans
résultat mais à 18h45, le Britomar est frappé de plein fouet par une torpille et explose.
Appelées à l’aide, les corvettes Mimosa et Montbretia ne parviennent pas à rétablir le contact.
En revanche, à 23h10, elles en obtiennent un autre, presque au milieu du détroit, et exécutent
l’U-205 par une attaque bien coordonnée.
Le 29 à 04h20, les DE classe “Hunt-II” La Flore et La Pomone, guidées vers un contact radar
8 nautiques à l’ouest de l’île d’Alboran par un PBY-5 de l’E22 PBY-5, découvrent un sousmarin en surface. L’U-boot plonge immédiatement et les destroyers commencent une chasse
qui va durer douze heures. Enfin, à 17h10, l’U-209 est forcé à refaire surface et achevé au
canon.
Fin de partie
La bataille de Gibraltar proprement dite avait coûté à Dönitz seize des trente sous-marins
engagés, plus un autre interné en Espagne. Trois autres submersibles avaient dû regagner les
ports français, plus ou moins avariés. La France et la Grande-Bretagne avaient perdu deux
dragueurs de mines, deux avisos ASM et une corvette. Mais tout n’était pas fini.
Le 26 avril, le sous-marin français Thétis (LV Maréchal) coule l’U-575 au large de Toulon.
Le 1er mai, l’Ariane (LV Tual) inscrit à son tableau l’U-565 au large de Gênes. Et le 2 mai,
en revanche, la Circé (LV Vignalats 2) disparaît, probablement coulée devant Gênes par le
torpilleur italien Orione.
2
Ancien second du sous-marin Orion, il avait succédé au LV Frossard le 10 décembre 1941.
III. Rösselsprung : les pertes
U-Boots perdus lors de la Bataille de Gibraltar et de ses suites
U-80
U-215
U-87
U-356
U-568
U-214
U-94
U-371
U-88
U-559
U-134
U-136
U-332
U-205
U-376
U-209
U-573 (interné en
Espagne)
U-575
U-565 (détruits en
approchant de leur port de
destination)
Sont parvenus à destination : un Type VII-B (U-86), six Type VII-C (U-81, U-96, U-203, U377, U-431, U-593) et un Type VII-D (U-213).
Ont renoncé à franchir le détroit : U-77, U-83, U-562.
Navires alliés perdus
Aviso MN La Boudeuse
Corvette MN Javeline
Dragueur HMS Bramble
Aviso MN Commandant-Rivière
Dragueur HMS Britomart
Sous-marin MN Circé
IV. Rösselsprung : les enseignements
Par son intensité, cette bataille fut probablement sans précédent dans l’histoire de la guerre
sous-marine. Elle démontra sans contestation possible qu’une étroite coopération entre des
avions équipés de radar et des groupes de chasse était une façon très efficace d’organiser une
barrière défensive anti-sous-marine. En un sens, l’établissement d’une barrière défensive à
certains points de passage obligé était l’équivalent du système des convois : un outil pour
attirer les sous-marins ennemis dans une zone prévue où ils puissent être pris en chasse
efficacement par des forces combinées.
Dans son célèbre ouvrage The War at Sea (HMSO, Londres, 1960), S.W. Roskill relève que
les pertes en sous-marins (dix-neuf en tout, sur trente !) subies par les Allemands, survenant
en pleine Bataille de l’Atlantique, étaient un coup sévère porté à la force sous-marine de
Dönitz. Le détroit de Gibraltar n’était pas infranchissable, mais le taux de pertes imposé aux
U-boots qui avaient tenté de le traverser dépassait de beaucoup ce que la Kriegsmarine
pouvait supporter à cette époque.
Cet épisode inspire d’ailleurs à S.W. Roskill la réflexion que la mauvaise utilisation de l’arme
sous-marine par Hitler et la fascination de celui-ci pour des réponses tactiques à des
problèmes stratégiques pourraient être comparées avec certaines bévues churchilliennes – un
sujet très présent dans l’ouvrage du même Roskill Churchill and the Admirals (London,
Collins, 1977) ou dans celui de Correlli Barnett Engage the Enemy More Closely (Hodder,
London, 1991).