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➜ Voyage
La communauté juive de HongKong est, à l'image de la ville,
internationale et toujours en
mouvement. S'il y a relativement
peu d'habitants juifs dans cette
immense agglomération, il y a en
revanche un continuel va-et-vient
de touristes mais surtout
d'hommes d'affaires juifs. Tout se
vend, tout s'achète, tout se
négocie, les bijoux comme les
vêtements, les gadgets comme le
high-tech. Tout est possible à
Hong-Kong... même et surtout
manger cachère!
A 21 ANS, CHNÉOUR ZALMAN
A PASSÉ HUIT SEMAINES DANS
CETTE VILLE DU BOUT DU MONDE
POUR ASSISTER LE RABBIN
PUIS LE REMPLACER. UNE
EXPÉRIENCE EXCEPTIONNELLE.
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N° 60 - CACHERE MAGAZINE
Cachère Magazine: Comment êtes-vous arrivé à Hong-Kong?
c LeChnéour
Zalman: Originaire de Paris, j'ai fréquenté des Yechivot
Loubavitch en Israël (Safed), à Morristown (New Jersey), à Miami
(Floride) et, l'année dernière, j'ai été nommé "Chalia'h" dans la Yechiva
de Tucson (Arizona) pour enseigner mais surtout pour surveiller et
guider les élèves de la Yechiva tout en donnant des cours de Torah aux
étudiants de l'université voisine. Et pour cet été, j'ai eu le privilège
d'être appelé par le Mercaz Cheli'hout (organisme central du
mouvement Loubavitch à New York) pour assister le Rav Avtzon,
Chalia'h depuis plus de dix-huit ans à Hong-Kong.
Pour l'anecdote, quand je suis parti de New York, j'ignorais si je me
rendrais à Hong-Kong par l'est (l'Europe et le Moyen-Orient) ou par
l'ouest (la Californie et le Pacifique). Finalement, l'avion s'est dirigé vers
le nord: le Canada, le Pôle Nord, puis est redecendu par la Sibérie et la
Chine! En voyant par le hublot ces étendues de neige, j'ai eu un
serrement de cœur car cela m'a rappelé toutes les histoires de Juifs
enfermés dans les camps du Goulag dans des conditions inhumaines
pendant l'époque communiste... Bref, seize heures d'avion non-stop!
Le Cachère Magazine: Parlez-vous le chinois?
Chnéour Zalman: Tout le monde parle anglais à Hong-Kong. Même les
Chinois entre eux car ils parlent tous des dialectes différents. Les
Chinois sont très travailleurs, efficaces et accueillants. Il n'y là-bas
aucun problème d'antisémitisme. Les Chinois sont très respectueux. Ce
qui les intriguait le plus, c'était bien sûr ma barbe car les Asiatiques
n'ont que très rarement quelques poils au menton.
Tout le monde circule en bus ou en taxi, il y a trop d'embouteillages pour
prendre des voitures privées: les taxis ne sont pas chers (2e pour
chaque course), ils sont nombreux et, grâce à eux, on évite de perdre du
temps à se garer.
Avec mes trois compagnons, nous avons été logés à l'hôtél.
Le Cachère Magazine: Qu'avez-vous fait d’autre?
Chnéour Zalman: Déjà, nous devions évidemment assister à
tous les offices, matin et soir, afin de compléter le Minyane si
nécessaire et de répondre aux demandes de renseignements
des voyageurs. Certains d'entre eux avaient un peu de temps
entre deux rendez-vous ou deux avions et réclamaient alors
des cours de Torah, de Guemara, de
'Hassidout.
Par ailleurs, deux fois par semaine,
un avion d'El Al fait la navette entre
Hong-Kong et Tél-Aviv. Il faut donc,
le dimanche et le jeudi, surveiller la
cacherout des repas qui seront
servis aux 500 voyageurs: dans la
ville de Tang Chang, la compagnie
Cathay Pacific abrite une cuisine
ultra-moderne, énorme, dans
laquelle s'affairent des cuisiniers
chinois revêtus de vêtements
stériles du haut en bas: même les
visages sont couverts afin
d'éviter toute propagation de
microbes. Cette cuisine est
reconnue comme la plus propre
et la plus hygiénique du monde!
Les employés étaient obligés
d'attendre notre venue car c'est
nous qui avions les clés: en
effet, nous devions allumer les feux et surveiller tous les
produits de base. Pour cela, Rav Avtzon nous avait exposé tous
les problèmes éventuels et nous avait appris à reconnaître
tous les tampons de cacherout. C'est ainsi que j'ai appris que le
Chalia'h de Singapour,
Rav Abergel, est aussi
"Cho'het" et il fournit
une fois par mois de la
viande cachère, Glatt, à
tous les centres 'Habad
d'Asie: le Népal, l'Inde,
Shanghai, Tokyo, Pékin,
Bangkok etc... Nous
surveillons donc la
cuisine depuis un bureau en verre, à l'étage et nous
échangeons de temps en temps de place pour ne pas nous
engoudir et pour rester à l'affût. Un jour je me suis aperçu qu'un
nouvel employé avait allumé lui-même le four, il n'avait pas
compris que seul le "Machgia'h" a le droit d'allumer afin que le
repas soit considéré comme cuit par un Juif. J'ai ordonné qu'on
jette tout ce qui avait déjà été préparé! La loi est peut-être dure
mais c'est la loi!
“l'atmosphère était
conviviale, et le
repas durait parfois
4 à 5 heures”
Le Cachère Magazine:
Quelles étaient vos relations avec la communauté locale?
Chnéour Zalman: J'ai eu l'occasion de parler avec de nombreux
"Baalé Batim", de chefs de famille à Hong-Kong. Certains d'entre
eux sont des hommes d'affaires très riches, qui voyagent
beaucoup et n'ont pas de temps à perdre. Cependant ils
demandent souvent qu'on leur donne un cours de Torah et ils
s'intéressèrent à nous, à notre action, à notre démarche
philosophique. Une fois,
Rav Avtzon nous a
demandé
d'aller
cachériser la cuisine
d'un de ses fidèles à la
demande insistante de
celui-ci. Comme nous
avions déjà assisté à la
cachérisation d'un hôtél
en Arizona (à l'occasion
d'une Bar Mitsva), nous
avions déjà une certaine
expérience. La famille
habitait au 27ème étage,
avec une vue magnifique
de la ville. Nous avons
prévenu la maitresse de
maison que nous comptons
sur sa vigilance et son
sérieux pour que nous
puissions par la suite
manger chez elle. Pour cela,
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Le Cachère Magazine:
La Communauté de Hong-Kong est-elle solidement établie?
Chnéour Zalman: En tous cas, il y a 4 synagogues, 1 école juive,
4 restaurants 3 "Bassari" (viande) et 1 "'Halavi" (laitages). Un
des restaurants se trouve dans le Beth 'Habad. On peut
également se procurer quelques produits cachères dans un
mini magasin. Il y a aussi 1 Mikvé (utilisé régulièrement par
une quarantaine de femmes, m'a-t-on dit). Pour Chabbat, il est
possible de louer une chambre à l'hôtél 5 étoiles: Mandarin
(180 dollars si on s'inscrit par l'intermédiaire du Beth 'Habad)
et de profiter des repas communautaires organisés dans l'hôtél
lui-même. C'était là l'une de nos activités principales: animer
un repas pour des gens de toutes origines, des Juifs de tous les
pays, de différentes communautés qui se retrouvaient là pour
toutes sortes de raisons: certains faisaient des affaires,
d'autres surveillaient la cacherout dans une usine lointaine,
d'autres étaient en transit pour se rendre en Thaïlande ou en
Australie, d'autres étaient de simples touristes... Mais tous
étaient bien contents de pouvoir manger cachère et prier avec
un Minyane. Bien entendu, il y avait parfois des discussions
animées pour ne pas dire orageuses quand tant de gens de
différentes communautés se rencontrent. Mais très souvent,
l'atmosphère était conviviale, et le repas durait parfois 4 à 5
heures, tant les gens avaient besoin de parler, de se retrouver.
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h Voyage
nous avons passé le chalumeau sur les fours, nous avons trempé la
vaisselle récupérable au Mikvé, mais beaucoup de vaisselle ne
pouvait être cachérisée. Bien sûr, cela représentait un grand
changement pour la famille qui en 14 ans de mariage, avait pris
certaines habitudes et devait maintenant se montrer plus vigilante
pour ne pas mélanger les vaisselles, les produits etc...
(Au fait, 27 étages en ascenseur, c'est en soi une expérience: les
ascenseurs sont si rapides que cela donne un peu mal aux oreilles!)
Un autre homme d'affaires nous a donné des cartes de téléphone
gratuites - avec l'adresse du Beth 'Habad - pour que les voyageurs
puissent rester en contact avec leurs familles et pour que nous les
distribuions aux clients de l'hôtél avant ou après Chabbat.
J'ai aussi fait la connaissance d'un Cohen qui est, hélas, mariée à une
femme chinoise. Il cherche néanmoins à se rapprocher de la
communauté et a prévu de construire cette année pour la première
fois une Souccah sur son balcon: ce sera la 3ème Souccah de HongKong!.
Le Cachère Magazine: Avez-vous eu des visites à Hong-Kong?
Chnéour Zalman: Disons que j'ai rencontré des foules de gens et que
j'ai parlé Ivrit, Anglais et yiddish. Mais j'ai aussi trouvé des Français;
même plusieurs de mes anciens condisciples qui réussissent dans
les affaires et le fils d'une ancienne condisciple de ma mère... Le
monde est petit.
J'ai aussi eu l'occasion d'accueillir Rav Binyamin Klein, un des
secrétaires du Rabbi, un homme extraordinaire par sa mémoire des
noms, sa simplicité et sa jeunesse d'esprit. Il était arrivé avec son
épouse un dimanche matin très tôt, après avoir passé la nuit dans
l'avion (il revenait d'Australie où il avait assisté à un mariage). Il a
insisté pour se rendre immédiatement au Minyane malgré la fatigue
évidente d'un tél voyage. Puis je lui ai fait visiter le Beth 'Habad et la
synagogue: le président de la communauté l'a accueilli très
chaleureusement. Rav Klein nous a alors étonné en révélant que déjà
Rabbi Chalom Dov Ber de Loubavitch, au début du 20ème siècle, avait
envoyé des émissaires en Chine et avait déclaré: "Un jour, vous
verrez les fruits de cette entreprise!" Rav Klein a été très
impressionné par la vitalité de la communauté juive. J'étais très
honoré d'avoir le privilège de passer la journée avec lui, il raconte
beaucoup d'histoires qu'il a vécues auprès du Rabbi et c'était bien sûr
très intéressant.
Le Cachère Magazine:
Comment se porte la cacherout à Hong-Kong?
Chnéour Zalman: Il y a plusieurs restaurants et l'hôtél Mandarin (5
étoiles) propose, comme je l'ai dit, les repas de Chabbat. Bien
entendu, il y a du riz à chaque repas, mais ce n'est pas le riz croquant
auquel nous sommes habitués. Les convives apprécient de manger
un repas normal de Chabbat après une semaine de sandwiches et de
boîtes de conserves qu'ils avaient emportés dans les villes où ils
traitaient des affaires.
Dans un espace immensé appelé Convention Center, il y a chaque
semaine des expositions différentes (de bijoux, de vêtements,
d'ordinateurs etc...) et nous avons tenu un stand où les visiteurs
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N° 60 - CACHERE MAGAZINE
Convention Center
pouvaient acheter des sandwichs cachères: tout notre
stock y est passé. Il est impossible de décrire la joie de
certains hommes d'affaires quand ils nous voyaient: en
effet, ils avaient tout prévu pour leurs marchandises mais
n'avaient pas eu le temps de se renseigner pour la
cacherout: certains nous ont même embrassés, les larmes
aux yeux tant ils étaient contents que nous ayons pensé à
eux. Bien sûr, ils en ont profité pour passer Chabbat avec
nous et jouir d'une atmosphère juive authentique, au bout
du monde!
Le Cachère Magazine:
Y-a-t-il d'autres activités juives en Asie?
Chnéour Zalman: En octobre, il y a une très grande foire
dans la ville du Guen Zou, près de Hong-Kong. A une heure
de l'après-midi, les gens se réunissent pour prier Min'ha: on
y compte facilement plus de 300 personnes!
Pessa'h en Asie est aussi un moment-phare: on sait que le
plus grand Séder du monde se trouve à Népal, à Katmandou, où
plus de 1500 personnes se réunissent: touristes israéliens,
hommes d'affaires, étudiants américains... A Pékin, ils sont
plus de 500! En Thaïlande, ils sont près de 400! A Shanghaï on
célébre même 3 Sédarim séparés: un en Français, un en
hébreu et un en Anglais! Tout cela demande beaucoup de
préparations: importer du vin d'Israël (plus de 1500 bouteilles
de vin rien que pour Pékin), acheminer des tonnes de Matsot
Chmourot, prévoir des Aggadot, des Kippot, des bougeoirs et
des bougies, trouver des locaux, des chaises, des jeunes gens
pour animer et préparer etc...
A Miami j'avais rencontré un ami qui avait passé une fois des
vacances en Thaïlande avec sa femme: il avait été stupéfait
d'avoir été abordé dans une rue commerçante par deux jeunes
gens barbus, en chapeau, qui lui ont demandé s'il avait des
Matsots et qui l'ont invité avec sa femme à participer à leur
immense Séder: une expérience spectaculaire et inoubliable,
m'a-t-il dit.
Le Cachère Magazine: Qu'en est-il de la grippe du S.R.A.S.?
Chnéour Zalman: Le tourisme et le commerce ont beaucoup
souffert de la panique provoquée par cette épidémie: les rues
étaient vides, de nombreux habitants ont même fui la ville et
l'économie locale a subi un coup terrible. Cela a bien sûr affecté
la communauté et ses institutions puisque tout est basé sur le
mouvement des populations. Certaines personnes
continuèrent à porter le masque mais dans l'ensemble, grâce à
D.ieu, les affaires ont repris le dessus et la situation est
redevenue normale.
Le Cachère Magazine: En guise de conclusion...
Chnéour Zalman: C'était une expérience extraordinaire: une
chance mais aussi une immense responsabilité de tous les
instants.
La communauté était très attachante et particulièrement
soudée dans ce milieu si différent: j'ai bien sympathisé avec de
nombreux habitants juifs et les touristes de passage m'ont
tous appris quelque chose, comme il est dit dans Pirké Avot:
"Ben Zoma dit: "Qui est sage? Celui qui apprend de tout homme
comme il est dit: "J'ai appris de tous!"
Propos recueillis par Feiga Lubecki
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