ASTEC, un code intégré de simulation d`accident grave dans

Transcription

ASTEC, un code intégré de simulation d`accident grave dans
1
5
ASTEC, un code intégré de simulation
d’accident grave dans les réacteurs
à eau légère
• J.-P. VAN
( IRSN )
• F . JACQ ( IRSN )
DORSSELAERE
• H .- J .
epuis plus de dix ans, l’IRSN développe un système de codes de calcul, dit de code intégré
(ESCADRE1, remplacé aujourd’hui par ASTEC2), pour
simuler le scénario d’un hypothétique accident grave
dans un réacteur à eau légère, à partir de l’événement initiateur jusqu’au possible rejet radiologique
de produits de fission hors de l’enceinte de confinement. ASTEC, développé conjointement par l’IRSN et
la GRS, est en voie de devenir le code européen de
référence dans ce domaine. Ce code intègre l’ensemble des connaissances disponibles provenant de
la recherche et développement au niveau international.
D
Introduction
1 - Ensemble de systèmes
de codes d’analyse des
accidents dans les
réacteurs à eau.
2 - Accident Source Term
Evaluation Code.
3 - Évaluations
probabilistes de sûreté de
niveau 2, c’est-à-dire
incluant la fusion du
cœur.
4 - Réacteurs à eau
pressurisée.
5 - Réacteurs à eau
bouillante.
6 - Réacteur à eau
(modèle ex-soviétique).
38
INSTITUT
DE
Un accident grave conduisant à la fusion du cœur
d’un réacteur reste d’une infime probabilité parce
qu’il suppose une combinaison de plusieurs
défaillances des systèmes de sûreté ; mais il aurait
des conséquences graves telles que le rejet possible de produits radioactifs à l’extérieur de l’enceinte de confinement. La prévention des
accidents est assurée en premier lieu par la
conception du réacteur (principe de défense en
profondeur) et par les systèmes de sûreté.
Parallèlement, des mesures de gestion des accidents doivent être mises en place afin de contribuer à la prévention aussi bien qu’à la mitigation
des conséquences. Un exemple est l’installation
de “recombineurs” à l’intérieur de l’enceinte de
confinement pour réduire le risque de déflagration
dû à l’hydrogène. Enfin, la chronologie, la composition et le niveau du rejet doivent être évalués
de manière à définir les plans d’urgence.
Les codes “intégrés” couplent les phénomènes
physiques dominants qui surviennent dans les
différentes zones du réacteur et ils simulent le
déclenchement des systèmes de sûreté par les
procédures et par les opérateurs. De manière à
permettre l’étude d’un grand nombre de scénarios, un compromis doit être trouvé entre la précision des résultats et le temps de calcul : un jour
RADIOPROTECTION
ET
DE
SÛRETÉ
NUCLÉAIRE
ALLELEIN
( GRS )
d’accident est simulé en quelques heures sur un
ordinateur de type PC. Cette recherche du compromis est un réel défi pour de tels codes.
Le code intégré ASTEC a été développé depuis
1996 conjointement par l’IRSN et la GRS. Son
domaine d’application est multiple :
• l’évaluation d’un possible rejet radiologique
hors de l’enceinte de confinement ;
• les études EPS23, incluant la détermination des
incertitudes ;
• les études de gestion d’accident, concernant les
mesures de prévention et de mitigation des
conséquences des accidents graves ;
• les analyses physiques de scénarios pour améliorer la compréhension de la phénoménologie,
incluant le support aux programmes expérimentaux.
Un tel code intègre la modélisation le plus à jour
d’un accident grave dans une structure informatique suffisamment flexible pour évoluer en fonction des connaissances apportées par la R&D. Il
est complémentaire de codes appelés “mécanistes” qui décrivent certaines parties de l’accident d’une manière beaucoup plus détaillée
(comme le code ICARE/CATHARE de l’IRSN pour
la dégradation du cœur). Il doit être applicable à
différents types existants de réacteurs à eau
légère, présents ou futurs : REP4, REB5 et VVER6.
Les applications à ces derniers devraient permettre d’apporter un support aux analyses de
sûreté des réacteurs d’Europe de l’Est (Russie,
Ukraine...).
Description d’ASTEC
Le code a une structure modulaire (figure 1).
Chaque module simule une zone du réacteur ou
un sous-ensemble de phénomènes physiques. Une
séquence d’événements typique survenant lors
d’un accident grave est décrite ci-dessous, avec
une brève description des principaux phénomènes
physiques correspondants (le module correspondant d’ASTEC est indiqué entre parenthèses) :
• la phase de “tête de séquence” (module CESAR)
débute à partir de l’événement initiateur, par
exemple une brèche dans le circuit primaire. Des
écoulements diphasiques du réfrigérant se développent dans les boucles du circuit de refroidissement du réacteur. On observe une perte de
l’inventaire du réfrigérant dans le circuit primaire ;
• le cœur s’échauffe à cause de la difficulté d’évacuer la puissance résiduelle, et le niveau d’eau
dans la cuve diminue. Le cœur se dégrade
(module DIVA) : oxydation exothermique de la
gaine en zircaloy des crayons par la vapeur et
production associée d’hydrogène ; formation de
mélanges de matières en fusion (appelés
corium) à haute température (jusqu’à 3 000 °C),
lesquels s’écoulent à travers le cœur et peuvent
se relocaliser dans le plénum inférieur de la
cuve ; accumulation de corium qui chauffe le
fond de cuve jusqu’à sa fusion ou jusqu’à sa
rupture mécanique ;
• des produits de fission (PF) sont relâchés par les
crayons combustibles dégradés (module ELSA) ;
d’abord, les gaz de fission et les produits volatils, ensuite les actinides et les produits de fission
faiblement volatils après une dégradation plus
sévère des crayons. Les matériaux des structures
telles que les barres de contrôle ou les grilles sont
aussi relâchés sous forme de vapeurs ;
• les aérosols formés et les vapeurs de PF sont
transportés par l’écoulement de vapeur à travers le circuit primaire (module SOPHAEROS) et
atteignent l’enceinte de confinement. Ils peuvent se déposer et être remis en suspension par
la suite. Les espèces peuvent varier selon les
interactions chimiques, en particulier dans la
phase gazeuse ;
• après la rupture du fond de la cuve, le corium
est éjecté dans le puits de cuve sous l’effet de
la pression primaire. Une certaine fraction du
corium à haute température peut être entraînée
dans l’enceinte de confinement et contribuer à
son échauffement (phase d’EDE 1) (module
RUPUICUV) ;
La sûreté des réacteurs
1
Figure 1
Schéma des modules d’ASTEC V1.
• le corium restant dans le puits de cuve interagit
avec le béton du radier (phase d’ICB 2) (module
WEX), ce qui conduit à une ablation de la couche
de béton et à la libération de gaz incondensables
(H2, CO, CO2...) dans l’enceinte de confinement ;
• l’atmosphère de l’enceinte de confinement se
réchauffe sous l’effet des sources de vapeur
d’eau, de produits de fission et d’aérosols
(module CPA), et la pression augmente. Une
partie des aérosols se dépose sur les surfaces
horizontales. Une combustion de l’hydrogène
accumulé peut survenir et induire un chargement dynamique de l’enceinte ;
• le comportement de l’iode dans l’enceinte de
confinement est un problème important (module
IODE) ; cet élément s’adsorbe ou se désorbe sur les
murs et son état tant chimique que physique évolue dans les phases aqueuses et gazeuses.
D’autres modules décrivent l’évolution et le
transport de la chaleur résiduelle, ainsi que l’activité liée aux produits de fission dans le réacteur
(module ISODOP), la gestion des systèmes de
sûreté tels que l’aspersion dans l’enceinte ou les
accumulateurs (module SYSINT).
Une base de données “dynamique”, c’est-à-dire
évoluant au cours du calcul, permet l’échange d’informations entre ces modules (figure 2). Le code
RAPPORT
SCIENTIFIQUE
ET
1 - Échauffement direct
de l’enceinte.
2 - Interaction coriumbéton.
TECHNIQUE
2002
39
ASTEC représente environ 300 000 instructions, et
le langage de programmation est le Fortran 90. Il
peut être utilisé sur des ordinateurs de type PC
autant que sur des stations de travail (SUN, HP,
DEC…).
Le développement du code ASTEC a été fondé
dans une première étape sur les codes disponibles
à l’IRSN et à la GRS, respectivement le code intégré ESCADRE et les codes de l’enceinte de confinement RALOC et FIPLOC. La version la plus
récente, avec sa documentation complète, est la
V0.4, disponible pour les utilisateurs de l’IRSN et
de la GRS, ainsi que pour les dix-huit organismes
européens (autorités de sûreté, industriels, organismes de R&D), partenaires du projet EVITA1
(2000-2003) du 5e PCRD 2 de la Commission européenne. L’enceinte de confinement peut être discrétisée en plusieurs cellules ou zones (comme
habituellement dans les codes dits “à zones”),
chacune représentant un compartiment réel
entouré de murs (dôme, casemates...). Mais, avec
cette version, le calcul ne peut débuter qu’au
début du dénoyage du cœur : un autre code doit
être utilisé pour simuler le comportement thermohydraulique des circuits primaire et secondaire
pendant la “tête de séquence” de l’accident.
Une nouvelle version V1 d’ASTEC a été achevée
à la mi-2002. Ses principaux avantages seront la
capacité de simuler des scénarios complets, c’està-dire incluant la phase de “tête de séquence”,
et l’amélioration de la modélisation de la dégradation du cœur.
Figure 2
Modes d’utilisation d’ASTEC.
Le mode couplé permet de coupler tout ou partie des modules, avec des rétroactions
explicites entre eux : chaque module opère avec son propre pas de temps, mais à
l’intérieur d’un macro-pas de temps déterminé par le code. Le mode autonome
permet la qualification de modules séparés sur des expériences.
CESAR
δt
DIVA
δt
ELSA
SOPHAEROS
δt
RUPUICUV
δt
WEX
δt
CPA
δt
IODE
δt
ISODOP
δt
BASE DE
DONNÉES
∆t
(MÉMOIRE)
SYSINT
∆t
Mode couplé : permet des rétroactions explicites
Mode autonome : permet la validation du module
Tableau 1
Extrait de la matrice de validation de base d’ASTEC V0 pour SOPHAEROS.
Types d’expériences
Échelle des expériences
TUBA
TT28
TUBA
TD7
DEVAP
08
AERODEVAP
02
TRANSAT
TR2
FALCON
18
PHEBUS
FPT0-1
SET
grande
SET
grande
CET
petite
CET
petite
CET
grande
CET
petite
IT
grande
Phénomène (ci-dessous)
Sédimentation des aérosols
Diffusion laminaire
oui
oui
Diffusion turbulente
oui
oui
Impaction turbulente
oui
oui
Impaction dans les coudes
Thermophorèse
1 - European Validation of
the Integral code ASTEC.
2 - Programme cadre de
recherche et
développement.
40
INSTITUT
DE
oui
oui
oui
oui
Diffusiophorèse
Condensation-évaporation
de vapeurs de PF
sur les murs
Condensation-évaporation
de vapeurs de PF
sur les aérosols
oui
oui
oui
oui
Absorption
oui
ET
DE
SÛRETÉ
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
Chimie des vapeurs
RADIOPROTECTION
oui
oui
NUCLÉAIRE
oui
oui
La sûreté des réacteurs
1
Figure 3
Qualification de SOPHAEROS sur FALCON-18.
Les courbes représentent, en fin d’essai, les profils calculés
et mesurés du dépôt de césium le long d’un tube à gradient
thermique (maillé en 10 cellules cylindriques avec le code).
En considérant les incertitudes expérimentales,
particulièrement sur la cinétique de la source des produits de
fission, le dépôt total calculé et les profils de dépôt peuvent
être considérés comme acceptables. La zone de dépôt
maximal est correctement reproduite par le code, mais avec
une sous-estimation des valeurs de dépôt. Dans la première
portion du tube, à haute température, les dépôts mesurés ne
sont pas reproduits par le code, mais ils demeurent faibles.
Validation
Le développement du code suit le processus habituel conforme aux normes d’assurance qualité
des logiciels :
• spécifications générales de modélisation ;
• codage informatique du modèle ;
• validation par comparaison avec les résultats de
programmes expérimentaux réalisés dans des
installations en pile ou hors pile, à des échelles
variées, et par comparaison (appelée “benchmark”) sur des calculs de “scénarios-réacteurs”
avec d’autres codes internationaux de référence.
Afin d’entreprendre des études de scénarios-réacteurs avec un niveau acceptable de confiance,
une réflexion détaillée a porté sur la définition
d’une douzaine de séquences couvrant différents
types de réacteurs (les REP 900 et 1 300 français,
le REP Konvoi 1 300 allemand, les VVER-440 et
-1000) ainsi que la plupart des phénomènes et
systèmes de sûreté dans des conditions aussi
représentatives que possible des réacteurs. Cette
batterie de calculs est régulièrement utilisée pour
vérifier chaque version du code à sa livraison.
La matrice de validation de base vise à couvrir les
phénomènes prédominants des accidents graves et
à préciser les incertitudes des modèles. Le travail
intensif réalisé depuis plus de dix ans grâce aux versions successives des codes précédents (ESCADRE,
RALOC et FIPLOC) a déjà fourni une base solide. La
validation porte sur un large ensemble d’expériences
françaises, allemandes et internationales (le tableau 1
illustre l’utilisation de différents types et échelles
d’expériences pour la validation de SOPHAEROS) :
• d’une part, les expériences analytiques (VERCORS 1, BETA 2…) qui s’attachent à un phénomène unique (expérience dite à effet séparé ou
SET) ou à quelques phénomènes (expérience
dite à effets couplés ou CET) ;
• d’autre part, les expériences intégrales dites IT
(Phébus PF, CORA3…). Ces applications permettent de vérifier que le couplage des phénomènes est correctement reproduit et qu’aucun
phénomène n’a été oublié. Ce type d’expérience est souvent mené sur une large échelle
et permet une meilleure extrapolation à
l’échelle d’un réacteur. D’une façon similaire,
l’application à l’accident grave survenu sur le
réacteur américain TMI-2 en 1979 est une tâche
essentielle.
En complément, la validation est actuellement
étendue dans le cadre du projet EVITA à des
expériences de référence, la plupart figurant
parmi la liste des exercices de comparaison entre
codes retenus par l’OCDE (ISP4).
Les résultats de la validation de la version V0 sur
vingt-cinq expériences sont globalement satisfaisants : les écarts obtenus avec les mesures expérimentales demeurent acceptables dans la
plupart des cas. Deux illustrations sont présentées ci-dessous pour la qualification du module
SOPHAEROS :
• une application sur l’essai n°18 du programme
FALCON, réalisé en Grande-Bretagne dans les
années 1980, qui étudiait les mécanismes d’interaction entre les vapeurs de produits de fission
et les aérosols. Cette expérience simulait le transport et le dépôt de certains produits de fission
(césium, iode...) dans un tube en présence d’éléments relâchés lors de la dégradation de la barre
de contrôle (argent, indium, cadmium). La fraction totale de césium déposée dans le tube à la
fin de l’essai représentait 75 % de la masse injectée alors que le code prédit une fraction de 54 %.
En considérant les incertitudes expérimentales,
particulièrement sur la cinétique de la source des
produits de fission, ce résultat peut être jugé
acceptable. La figure 3 montre également que
RAPPORT
SCIENTIFIQUE
ET
1 - Installation
expérimentale du
CEA/DEN/DTP pour
l’émission de produits de
fission au cours d’un
accident grave.
2 - Installation
expérimentale de
FzK/Karlsruhe pour l’ICB.
3 - Installation
expérimentale de
FzK/Karlsruhe pour la
dégradation d’une grappe
de crayons.
4 - International Standard
Problem.
TECHNIQUE
2002
41
Figure 4
Qualification de SOPHAEROS sur Phébus PF FPT1.
Les courbes présentent les profils calculés des dépôts des produits de fission iode,
césium et tellure le long du circuit primaire (plénum supérieur et ligne verticale,
branche chaude, tube GV, branche froide) en fin d’essai. Les mesures aux points
particuliers du circuit sont indiquées avec leurs incertitudes expérimentales.
Figure 5
Comparaison CESAR/CATHARE.
Les courbes représentent l’évolution de la pression primaire durant les deux
premières heures du scénario TMLB (avec entrée dans la procédure H2). CESAR
reproduit toutes les tendances : accroissement rapide à la vidange des GV autour
de 1900 s, plateau après début des oscillations des soupapes SEBIM, soudaine baisse
au moment du blocage des SEBIM en position ouverte et enfin une baisse lente et
régulière jusqu’à stabilisation autour de 20 bar. Les écarts par rapport aux résultats
de référence du code CATHARE restent inférieurs à 10 % en valeur relative.
1 - TMLB dans la terminologie du rapport WASH-1400 de Rasmussen.
42
INSTITUT
DE
RADIOPROTECTION
ET
DE
SÛRETÉ
NUCLÉAIRE
les profils de dépôt sont qualitativement reproduits, notamment la zone du dépôt maximal ;
• une application sur l’essai FPT1 du programme
Phébus PF (IRSN, Cadarache). Ici, des produits
de fission relâchés par la grappe, avec une cinétique variant au cours du temps, ont été injectés dans le circuit primaire. La figure 4 montre
la comparaison entre les rétentions mesurées et
calculées de ces produits de fission dans le circuit primaire. Un bon accord est obtenu sur la
rétention totale, mais avec une sous-estimation
de la rétention de césium et de tellure dans la
branche chaude et une surestimation de leur
rétention dans le générateur de vapeur. Le code
reproduit correctement le comportement différent de l’iode, principalement sous forme
gazeuse dans la branche chaude, en regard des
autres produits de fission.
Néanmoins, certains phénomènes qui influent de
façon significative sur la sûreté du réacteur n’ont
pas encore été reproduits avec suffisamment de
précision ou complètement compris. Ces défis
scientifiques encore à relever sont principalement :
• le renoyage d’un cœur dégradé, et ses conséquences sur la production d’hydrogène et le
relâchement des produits de fission ;
• la phase avancée de dégradation du cœur, et la
possibilité de refroidir le corium à l’intérieur de
la cuve ;
• l’effet d’un haut burn-up du combustible et l’effet
du combustible MOX sur la dégradation du cœur
et sur le relâchement des produits de fission ;
• la phase d’ICB, en particulier pour la capacité
de refroidissement à long terme du corium.
Des programmes de R&D sont en cours à l’IRSN
sur ces sujets, et la prochaine version d’ASTEC
inclura des améliorations de certains des modèles
correspondants.
Parallèlement, les nouveaux modules d’ASTEC V1
sont déjà en cours de validation. À titre
d’exemple, la simulation par CESAR d’un scénario haute pression (appelé TMLB1 : perte d’eau
d’approvisionnement du générateur de vapeur
avec défaillance des systèmes de refroidissement
d’urgence du cœur) dans un REP 900 MWe a été
comparée aux résultats du code de référence
thermohydraulique CATHARE qui modélise d’une
manière détaillée les écoulements diphasiques
eau-vapeur. Les écarts avec les résultats CATHARE sont inférieurs aux exigences de précision
qui ont été définies pour ASTEC, soit 10 % par
exemple sur la pression primaire ou sur l’instant
de dénoyage du cœur (figure 5).
Applications aux réacteurs
Le code ASTEC est actuellement utilisé intensivement dans le cadre des études EPS2 réalisées
par l’IRSN sur un REP 900 MWe français. Un
nombre considérable de scénarios, qui diffèrent
quant à l’événement initiateur et au déclenchement des systèmes de sûreté, sont analysés
(exemple d’un outil d’analyse, figure 6). La capacité du code à décrire la plupart des phénomènes
et systèmes de sûreté est illustrée ci-dessous à
travers les principaux résultats du calcul ASTEC
V0 d’un scénario TMLB dans un REP 900 MWe.
Lorsque les générateurs de vapeur s’assèchent,
le cœur s’échauffe et la pression primaire augmente. Les soupapes de sûreté SEBIM s’ouvrent
pour éviter une trop grande pressurisation du circuit primaire. À cet instant, un important débit
de vapeur est relâché dans l’enceinte de confinement. Les accumulateurs ne peuvent intervenir parce que la pression du circuit primaire
demeure élevée (entre 160 et 165 bar avec
une régulation des SEBIM). La perte d’eau du
cœur débute 5 700 secondes après l’arrêt d’urgence et est complète 2 000 secondes plus tard
(figure 6). Le cœur entre dans un processus
intensif de dégradation (figure 7) et produit
220 kg d’hydrogène par oxydation des gaines en
zircaloy par la vapeur. Au cours de cette phase,
l’hydrogène, les matériaux de structure et les
produits de fission, sous forme gazeuse ou aérosol, sont relâchés dans l’enceinte de confinement
à travers les SEBIM. 66 tonnes de corium se relocalisent dans le plénum inférieur de la cuve et
échauffent celle-ci.
La phase d’EDE survient lors de la rupture de la
cuve sous l’effet de la pression primaire élevée ;
le corium éjecté est dispersé dans la cavité et une
partie (de l’ordre de 70 tonnes) est ensuite entraînée dans le confinement. Vient la phase d’ICB,
avec les restes non entraînés de corium dans la
cavité (figure 8, page 44).
Lors de la défaillance de la cuve, le système d’aspersion est activé dans l’enceinte (pression dans
l’enceinte supérieure à 2,4 bar), causant une
rapide diminution de la pression dans l’enceinte
(figure 9, page 44) et rabattant les aérosols
dans le puisard. La stratification de l’hydrogène
est obtenue dans certains compartiments de
l’enceinte, avec une valeur maximale en partie
supérieure du dôme. À long terme, la pression
de l’enceinte s’accroît en raison de l’émission des
gaz incondensables produits pendant la phase
La sûreté des réacteurs
1
Figure 6
Visualisation en ligne de résultats ASTEC V0 sur le circuit primaire au cours
d’un scénario d’accident grave.
Figure 7
Illustration de l’état de dégradation du cœur après formation du bain
de corium fondu (scénario de type TMLB).
Le bain de corium fondu se forme en partie centrale du cœur, un peu en dessous
de la mi-hauteur. Une croûte principalement composée de métaux supporte et
entoure ce bain. Au-dessus repose un lit de débris composé d’oxydes et de métaux,
lui-même sous une cavité de plusieurs mètres cubes.
d’ICB. La quantité totale d’hydrogène produit
atteint presque 1 000 kg (il faut noter que les
recombineurs ne sont pas pris en compte dans
ce calcul). L’éventage du confinement est prévu
si la pression atteint 5 bar.
En plus de ces applications de l’IRSN, une douzaine d’organisations européennes évaluent
dans le cadre du projet EVITA la capacité du code
RAPPORT
SCIENTIFIQUE
ET
TECHNIQUE
2002
43
à simuler correctement de nombreux scénarios
d’accidents graves sur plusieurs types de réacteurs (REP 900 et 1 300, EPR, VVER-440 et
- 1000), en prenant en compte la plupart des
systèmes de sûreté et des procédures. Les comparaisons sont ensuite réalisées avec des codes
de référence tels que MELCOR (US/NRC) et
MAAP4 (EPRI).
Le code a également été distribué à plusieurs
organismes des pays de l’Est (Russie, Ukraine...),
Figure 8
Illustration de l’érosion du radier du puits de cuve
par ICB (scénario de type TMLB).
La faible érosion s’explique par la faible proportion de
corium restant dans le puits de cuve (corium non entraîné
pendant la phase d’EDE).
particulièrement dans le cadre du projet TACIS1
de la Commission européenne, afin qu’il soit utilisé comme support aux analyses de la sûreté des
réacteurs VVER présents et futurs.
Le bilan préliminaire de cet ensemble d’applications d’ASTEC V0 souligne deux principaux
besoins d’amélioration : simuler la phase initiale
de l’accident avant le dénoyage du cœur et augmenter la convivialité pour l’utilisateur (grâce à
des outils d’IHM2). Le premier de ces besoins
constitue l’objectif majeur de la prochaine version V1 d’ASTEC. Les applications ASTEC sur les
réacteurs VVER-1000 actuels ont montré qu’une
majorité des systèmes de sûreté peuvent être
convenablement représentés. Mais plusieurs
besoins spécifiques d’améliorations ont été identifiés pour les VVER-440 : la représentation des
boîtiers métalliques entourant chaque grappe
dans le cœur et la représentation des parties inférieures des barres de contrôle qui contiennent du
combustible.
Travaux futurs sur ASTEC
Figure 9
Illustration de l’évolution de la pression dans
l’enceinte de confinement (scénario de type TMLB).
1 - Technical Assistance
to the Community of
Independent States.
2 - Interface hommemachine.
44
INSTITUT
DE
RADIOPROTECTION
ET
DE
SÛRETÉ
NUCLÉAIRE
Les principaux efforts portent actuellement sur la
version V1, qui a été livrée vers la mi-2002. Les
applications essentielles de cette version en 2002
concerneront l’accident de TMI-2 et l’essai
Phébus PF FPT1 (choisi comme exercice international n°46 de l’OCDE).
En 2003, l’étape suivante consistera à “consolider” cette première version et à prendre en
compte le retour d’expérience des applications
EPS2 et des travaux dans EVITA. La réflexion
entreprise pour consolider la position d’ASTEC en
tant que code de référence pour la Communauté
européenne devra se concrétiser, notamment
dans le cadre du 6e PCRD. Un premier club d’utilisateurs sera organisé en 2003 et rassemblera
une vingtaine d’organismes.
Au-delà, certains axes d’amélioration de la modélisation ont déjà été identifiés pour la version V2 :
renoyage d’un cœur dégradé, ICB, extension aux
REB, traitement des incertitudes (propriétés des
matériaux, modélisation, etc.). La validation du
code va également se poursuivre en continu, en
particulier sur les futurs programmes expérimentaux de l’IRSN (ARTEMIS pour l’ICB, EPICUR et
CHIP pour le comportement des produits de fission, MADRAGUE pour la dégradation des
crayons combustibles).