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%REPÈRES ET TENDANCES #CONJONCTURES # DOSSIER # LIVRES ET IDÉES INTERNET MARC SCHWARTZ ET GILLES ACHACHE * Internet de deuxième génération : « Web 2.0 » ou « Bulle financière 2.0 » ? La vitesse de développement de la technologie Internet est incontestablement impressionnante. Une nouvelle génération d’outils est là, le « Web 2.0 ». Cela signifie toujours plus d’informations qui circulent mais aussi toujours plus de capacités de créer richesses, entreprises et mouvements spéculatifs… D ans les derniers jours de la campagne interne pour la désignation du candidat socialiste à l’élection présidentielle, une certaine vidéo comportant des propos iconoclastes sur le temps de travail des enseignants a beaucoup fait parler d’elle. Comment pouvait-on trouver cette fameuse vidéo ? Très facilement : en allant sur dailymotion.fr, ou youtube.com. Le principe de fonctionnement de ces sites est assez simple : ce sont les internautes qui mettent en ligne leurs propres vidéos, pour que tous puissent en profiter. Le Web nouveau est arrivé. Ses utilisateurs se transforment en créateurs de contenus, les consommateurs devien- nent des producteurs. C’est le règne du contenu généré par les utilisateurs (User Generated Content). Le Web 2.0, c’est cela : un Internet ouvert, collaboratif, interactif. Une plateforme d’échanges, mettant en réseau des communautés réunies par des centres d’intérêt communs. Une gigantesque base de données mondiale, nourrie par les internautes eux-mêmes, enrichie en temps réel, où l’on s’alimente en contenus, en services, et en applications en ligne. convenu d’appeler l’Internet de deuxième génération, ou « Web 2.0 », dernier concept à la mode sur la Toile mondiale. L’expression est de Tom O’Reilly, qui a publié en 2005 (en ligne bien sûr), un article intitulé « What is Web 2.0 »1. Une révolution en route depuis longtemps Pour O’Reilly, ce qui caractérise cette nouvelle forme d’Internet, c’est d’abord le fait que celui-ci n’est plus utilisé comme un média (c’est-à-dire permettant un accès statique à un ensemble de pages prédéfinies) mais comme une véritable plateforme d’échanges et d’interactivité. Le Web devient collaboratif, il est alimenté par les internautes eux-mêmes, qui adaptent en permanence leurs interfaces de communication en fonction de leurs centres d’intérêt ou de leurs besoins. QU’EST-CE QUE LE WEB 2.0 ? D es plateformes comme YouTube ou dailymotion sont en effet emblématiques de ce qu’il est désormais * Fondateurs et associés au sein du cabinet A&S conseils. 1. Cf. http://www.oreillynet.com/oreilly/tim/2005/ 09/30/what-is-web20.html Sociétal N° 55 ! 1er trimestre 2007 41 %REPÈRES ET TENDANCES #CONJONCTURES # DOSSIER # LIVRES ET IDÉES INTERNET Pour apprécier le sens de ce phénomène du Web 2.0, il convient de le resituer dans la perspective plus longue de l’évolution des marchés des médias et de la consommation. Cette évolution a notamment pris deux formes qu’on identifie clairement dans le fonctionnement du monde Internet. La première consiste en un émiettement régulier des marchés de masse au profit des marchés de niche. L’idée d’un grand public, voire même de grandes segmentations traversant de manière régulière l’ensemble de la société, ne correspond plus guère à la réalité contemporaine des marchés de la consommation. Les marchés de masse font progressivement place aujourd’hui à une multiplicité de marchés de niche, dont l’étroitesse de chacun est compensée par le nombre2. Dans le secteur de la télévision, ce mouvement correspond à la lente mais très constante érosion des audiences des grandes chaînes généralistes au profit des chaînes de « l’offre élargie » : chaînes thématiques du câble et du satellite, et aujourd’hui de la TNT. Ces marchés de niche eux-mêmes tiennent leur dynamisme du fait que les particuliers recherchent à la fois la sécurité des grandes marques et des produits et des services de plus en plus personnalisés. C’est ce mouvement qui conduit par exemple les grandes marques à étendre et à renouveler leurs gammes de façon à pouvoir capter cette dissémination du marché. Internet, avec la multiplicité indéfinie de ses sites et de ses communautés, chacune plus spécifique que les autres, s’est inscrit dans cette tendance en lui fournissant les moyens de s’étendre à la planète. La seconde tendance est celle qui voit régulièrement s’accroître le pouvoir pris par les particuliers dans leurs échanges avec les organisations dont ils utilisent les services et consomment les produits. Qu’il s’agisse du consommateur infidèle qui exige toujours plus de services et de valeur ajoutée de la part des marques, ou du téléspectateur qui d’un coup de télécommande change la nature du programme qu’on lui avait préparé, cette INTERNET EST-IL UN MÉDIA ? Parfaitement adapté aux nouveaux modes de consommation, plébiscité par les jeunes, Internet ne cesse de croître dans la consommation des médias : deuxième média en Europe après la télévision mais déjà devant la presse et la radio, et déjà premier média chez les 15-24 ans. Son poids dans les budgets publicitaires s’élève régulièrement : de 5 à 7% du marché publicitaire, avec une croissance de 40 à 50% par an. Bien qu’encore considéré comme un média de complément, Internet fait désormais incontestablement partie de la gamme de supports publicitaires jugés indispensables, notamment pour atteindre certaines audiences ciblées (les jeunes). Mais est-ce un média au sens traditionnel du terme ? La force et l’originalité d’Internet résident dans le fait que ce moyen de communication permet d’articuler tous les autres, puisqu’il peut accueillir les trois grands types de formats de contenus : sons, images, et texte. Internet est donc à la fois : - un média, au sens de support de communication publicitaire ; - tous les médias, puisque la télévision, la radio, la presse sont désormais accessibles par Internet ; - plus qu’un média, car il constitue aujourd’hui une plateforme d’accès à un ensemble très vaste de contenus médiatiques (vidéo, presse, télévision, radio, musique, information…), de services de toute nature (commerce en ligne, téléphonie, voyages, informations diverses…), et de communautés qui se créent sur la Toile mondiale (explosion des blogs, réseaux communautaires…). 42 Sociétal N° 55 ! 1er trimestre 2007 tendance s’observe sur tous les marchés de la consommation. L’Internet n’a fait que renforcer ce mouvement. Les relations entre les diffuseurs et leurs audiences passent d’un modèle de la conférence, dans lequel les médias élaborent et livrent à un public docile et attentif des contenus achevés, à un modèle de la conversation, dans lequel diffuseurs et audience interagissent en permanence pour élaborer un contenu qui reste toujours relativement ouvert et modifiable. Ainsi, bien avant que le Web 2.0 ne fasse la une des journaux, la téléréalité, par delà le jugement qu’on peut avoir sur elle, était déjà l’expression de ce mouvement de prise du pouvoir par l’utilisateur. Le Web 2.0 s’inscrit donc dans un mouvement social qui le dépasse largement et qui avait déjà pris forme avant, et indépendamment de lui. Il fournit cependant à ce mouvement un outil qui en approfondit le sens en même temps qu’il lui donne une plus grande ampleur. Des innovations technologiques qui convergent La mutation actuelle du web n’est pas imputable à une seule évolution technique, mais à un ensemble d’innovations qui permettent de combiner des technologies nouvelles, ou existant parfois depuis longtemps. Il s’agit notamment des technologies Ajax qui autorisent une architecture d’échanges asynchrones, ou de la généralisation du haut débit, qui apporte la bande passante nécessaire pour des transferts de fichiers lourds, comme les vidéos. Les technologies Ajax (pour Asynchronous Javascript and XML) apportent une meilleure fluidité à l’affichage des pages Web. Dans le Web de première génération, il est nécessaire de « rafraîchir » une page entière dès qu’une information nouvelle est appelée. Cela génère un trafic important et une occupation large de 2. Voir sur ce point, Chris Anderson The Long Tail, Hyperion, New York, 2006. INTERNET DE DEUXIÈME GÉNÉRATION : « WEB 2.0 » OU « BULLE FINANCIÈRE 2.0 » ? la bande passante et des ressources des serveurs, ainsi que des effets visuels fatigants. Le Web 2.0 repose quant à lui sur des technologies permettant des échanges asynchrones. Seules les informations demandées sont mises à jour, et pas les pages dans leur ensemble. Les serveurs sont moins sollicités, la bande passante est moins occupée et l’ergonomie des sites, bien meilleure. Parallèlement, c’est la montée en puissance du haut débit, dans le monde entier, qui forme le socle sur lequel peut s’appuyer le développement des nouveaux usages d’Internet. Il y avait, selon l’Idate, 200 millions d’abonnés haut débit dans le monde fin 2005, contre 100 millions deux ans plus tôt, fin 2003. Ce chiffre pourrait à nouveau doubler et atteindre 500 millions d’ici la fin de la décennie. La France est un des pays les plus avancés en Europe, avec 11,8 millions d’abonnés haut débit à fin septembre 2006, dont 11 millions d’abonnés ADSL3. La traditionnelle paire de cuivre du téléphone autorise aujourd’hui un débit théorique pouvant aller jusqu’à 20 Mbit/s, qui décroît toutefois avec la distance qui sépare l’abonné du central téléphonique. Quelques sites du Web 2.0 Sites communautaires Mise en commun de contenus Encyclopédie collaborative Recherche et personnalisation des pages d’accueil Actualité Outils d’édition ou de gestion de contenus e-commerce (pour un accès Internet mobile à grande distance et haut débit) Le Web 2.0 s’appuie sur la généralisation de ces différentes technologies, qui facilitent la mise en réseau d’applications ou de services. L’Internet « libère » l’intelligence collective de communautés qui se rassemblent autour d’intérêts communs ou de réseaux sociaux. Le « très haut débit » est apparu en 2005 (en Asie de l’Est, aux États-Unis) et différents opérateurs ont annoncé des investissements permettant son déploiement en Europe, principalement via la fibre optique (Fiber to the Home). On parle désormais de débits théoriques de l’ordre de 100 Mbits/s. Les usages, les contenus ou les services manquent certes pour utiliser aujourd’hui un tel débit. Une chaîne de télévision en définition standard se contente de moins de 5 Mbits/s, et consomme 8 à 12 Mbits/s en haute définition. Mais il est facile d’entrevoir le développement de nouveaux usages qui vont être très consommateurs de bande passante : vidéo à la demande, applications en ligne, services domestiques, etc. La marque la plus célèbre de l’Internet du début du XXIe siècle est Google, dont le territoire applicatif ne cesse de s’étendre. Au moteur de recherche initial se sont ajoutés de l’accès à des contenus médiatiques, des applications de géolocalisation ou d’échanges, ainsi que des applications en ligne. La firme de Mountain View est la société la plus emblématique du nouvel Internet, et la plus importante par sa taille. Si elle ne peut, à strictement parler, être considérée comme une marque du Web 2.0, elle offre toutefois un vaste ensemble de services personnalisables, qui la rapproche de cet univers. Enfin, il faut relever le développement de l’accès haut débit sans fil (Broadband Wireless Access) par les technologies de transmission Wifi (pour la maison ou des « spots » de faible rayon) ou Wimax Parmi les marques phares du nouveau Web figurent des sites d’échanges, dits « communautaires », des plateformes de mise en commun de contenus (vidéos, photos), ou une encyclopédie collabora- Petit voyage au pays du Web 2.0 MySpace ivillage auféminin peuplade YouTube – broadcast yourself flickr dailymotion- share your videos Wikipédia exalead netvibes del.icio.us technorati digg upcoming skyblog lebureauvirtuel blogmarks scoopeo lafraise likevirtual tive (Wikipédia), mise à jour par les internautes eux-mêmes. Par extension, un « wiki »4 est un système de gestion du contenu de sites Internet qui rend les pages Web librement modifiables par tous les visiteurs autorisés. Les wikis sont utilisés pour faciliter l’écriture collaborative d’un document, et sont, comme les blogs, devenus des exemples reconnus du nouveau Web. On trouve aussi des applications en ligne permettant de personnaliser vos pages d’accueil et d’organiser vos recherches sur Internet, de gérer vos favoris et vos tags (mots-clés), de créer des blogs, un bureau ou un agenda virtuels, ou des flux d’information personnalisée (les fameux RSS, pour Really Simple Syndication). Les RSS permettent d’aller chercher automatiquement sur les pages Web concernées des informations et de les « pousser » sur le bureau des utilisateurs. Chacun peut ainsi concevoir et organiser son bureau en fonction de ses besoins ou de ses goûts, sans avoir à chercher parmi les millions de sites disponibles. 3. Source : Arcep. 4. Le mot vient du hawaïen « wiki wiki » et signifie « rapide » ou « informel ». cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Wiki Sociétal N° 55 ! 1er trimestre 2007 43 %REPÈRES ET TENDANCES #CONJONCTURES # DOSSIER # LIVRES ET IDÉES INTERNET Cet ensemble quelque peu disparate correspond à une évolution profonde de l’utilisation d’Internet, et au-delà, de la société dans son ensemble. Le Web 2.0 s’inscrit en effet dans ce mouvement plus général qui voit les citoyens, les consommateurs, et les usagers des médias prendre une part chaque jour plus active dans leurs échanges avec les pouvoirs, les marques ou les médias qu’ils fréquentent. La fin des médias traditionnels ? média préféré que d’un quart des jeunes Européens de 16 à 24 ans5. Mais ce chiffre est en croissance constante, et constitue une menace directe pour la télévision, puisque près de la moitié de ces jeunes internautes (46%) abandonnent d’abord la télé plutôt qu’un autre média quand ils vont composer leurs propres programmes sur le Net, télécharger les séries américaines un an avant leur diffusion hertzienne, ou consulter des newsgroups. Du côté de la presse écrite d’informaCe développement d’une consommation tion, la situation n’est guère meilleure. participative des médias par un public Face à la concurrence de l’Internet et des toujours plus désireux de participer à journaux gratuits – dont la maquette et l’élaboration des contenus constitue-t-il le style rédactionnel empruntent pour le prélude à la fin des grands médias une large part à la rhétorique du monde généralistes comme les Internet – les grands titchaînes de télévision res traditionnels voient Face à la concurrence hertziennes ou les grands leur lectorat diminuer et titres de la presse quotivieillir. Tous savent désorde l’Internet et des dienne nationale ? mais que leur survie, dans journaux gratuits les formats et les périodi– dont la maquette et Certains l’annoncent déjà, cités qui sont les leurs, est et il est vrai que la thèse en jeu. le style rédactionnel mérite d’être examinée, empruntent pour une car cette idée d’un créCependant, dans cette large part à la puscule des médias se crise que traversent les nourrit de quelques faits grands médias, confronrhétorique du monde remarquables. tés au développement de Internet – les grands l’Internet avec ses contetitres traditionnels Il y a tout d’abord la nus générés par l’utilisaconcomitance entre le teur et ses sites voient leur lectorat développement des noucollaboratifs, le pire n’est diminuer et vieillir. veaux médias, au premier pas sûr. L’expérience Tous savent désormais rang desquels l’Internet, enseigne en effet que et la stagnation, voire le l’apparition d’un nouveau que leur survie, dans recul, des grands médias. média n’entraîne pas les formats et les Lentement mais sûrenécessairement la dispapériodicités qui sont ment, l’audience des chaîrition de celui qu’il semnes généralistes décroît ble venir remplacer. La les leurs, est en jeu. chaque année, depuis le photo n’a pas tué la peindébut des années 2000, ture, le cinéma n’a pas d’un point de part de marché. Ce moutué le théâtre, pas plus que la télévision vement d’érosion s’est encore accentué n’a tué le cinéma. Il en ira très probableau cours de l’année 2006 avec le lancement de même avec l’Internet et la presse. ment de la TNT. Il atteste de la force du désir des téléspectateurs pour des programmes plus diversifiés, plus adaptés à En revanche l’irruption des innovations la particularité de leur goût. Plus inquiéde ce type obligera à un certain nombre tant encore pour la télévision générade rééquilibrages et de partages des liste est la concurrence que lui livre rôles. C’est pourquoi il convient d’envil’Internet pour la fidélisation des télésager ce que seront les configurations spectateurs de demain que sont les jeules plus plausibles entre grands médias nes. Certes Internet n’est encore le traditionnels et Internet quand la pous- 44 Sociétal N° 55 ! 1er trimestre 2007 sière soulevée par l’irruption du Web 2.0 sera retombée. On peut d’abord s’attendre raisonnablement à ce que perdurent les formes de prise de parole individuelle sur Internet. Un effet de cette banalisation des blogs sera probablement l’affaiblissement du rôle des éditorialistes de la grande presse, et par conséquence, de leur capacité à « faire l’opinion ». L’opinion publique se formera de manière plus conversationnelle, plus horizontale, et peut-être moins suiveuse. Le second phénomène qui donne à penser que nous n’en avons vu que le commencement est celui des citoyens journalistes. Les attentats de Londres, le 7 juillet 2005, ont célébré de manière particulièrement sinistre la naissance de ce journalisme à base de téléphones portables qui prennent également des photos. Ce nouveau journalisme appelle deux remarques. La première est qu’il n’est pas taillé pour tous les types de sujets. Il se montre très efficace pour illustrer les événements de foule, les catastrophes, les faits divers ou l’actualité des people. Il est en revanche très inadapté à d’autres genres de l’information que sont l’économie, l’information scientifique, la vie politique, et d’une manière générale à toute actualité qui n’est pas faite d’événements visibles, mais de relations entre les événements ou de discours ; toutes choses fort peu spectaculaires mais qui méritent pourtant d’être portées à l’attention du public. Il convient également d’ajouter les événements qui exigent, pour qu’il en soit rendu compte convenablement, des moyens logistiques et organisationnels qui dépassent largement les capacités de la plupart des particuliers. Imagine-t-on ainsi de couvrir de manière satisfaisante la crise du Darfour avec un simple téléphone portable et la tenue d’un blog ? Quelle serait la réaction des téléspectateurs si France Télévisions congédiait la 5. European Interactive Advertising Association, Étude pan-européenne sur la consommation des médias, automne 2004. INTERNET DE DEUXIÈME GÉNÉRATION : « WEB 2.0 » OU « BULLE FINANCIÈRE 2.0 » ? LE MODÈLE ÉCONOMIQUE DE GOOGLE Google est le leader mondial incontesté de la recherche en ligne. Le cœur de sa compétitivité réside dans la qualité de ses algorithmes de recherche, mesurée par la pertinence des réponses apportées et la vitesse de traitement. 8 milliards d’adresses URL sont indexées par Google, ce qui constitue la plus grande collection de pages Web au monde. La croissance de Google a été phénoménale depuis sa création. Son chiffre d’affaires est passé de 90 millions de dollars en 2001 à 3 milliards en 2004 et devrait dépasser 8 milliards en 2006. Cette croissance est rentable : Google a dégagé en 2005 un résultat opérationnel de 2 milliards de dollars et un résultat net de 1,5 milliard. Sur les neuf premiers mois de 2006, son résultat opérationnel atteint déjà près de 2,5 milliards de dollars. La quasi-totalité des revenus du groupe (98 %) provient de la publicité, le reste, de recettes diverses (droits d’utilisation de son moteur de recherche par d’autres sites). Conçu à l’origine seulement comme un moteur de recherche, la société a progressivement transformé son modèle économique. En effet, Google n’est rémunéré directement ni par l’internaute qui effectue une recherche, ni par les sites Web qui apparaissent lors d’une requête. Sur la partie centrale de la page web apparaissent une liste de sites proposés spontanément par le moteur de recherche. Sur la partie droite apparaissent des « liens sponsorisés », qui seuls génèrent des recettes publicitaires. La société distingue toujours clairement résultat des recherches et liens payants. Le programme Google AdWords est destiné aux annonceurs et permet d’atteindre les internautes au moment où ils effectuent une recherche sur les produits et services offerts par les annonceurs, qui apparaissent alors dans la partie « liens sponsorisés » de la page. La tarification au coût par clic (CPC) signifie que les annonceurs payent uniquement lorsque les utilisateurs cliquent sur ces liens. Pour les sociétés éditrices de sites Web, le programme Google AdSense permet d’afficher des annonces Google pertinentes sur les pages de contenu de leur site et de gagner ainsi de l’argent. Les annonces sont en rapport avec ce que les visiteurs recherchent sur le site concerné – ou correspondent aux centres d’intérêts des visiteurs que ce site attire. Les recettes publicitaires, qui provenaient à 70 % des liens sponsorisés sur le site de Google, n’en représentent fin 2006 que 60 %, le reste venant des sociétés utilisant le programme AdSense (Google network websites). De nombreuses fonctionnalités, destinées aux internautes ou aux annonceurs, sont venues s’ajouter à cette base de services. Mais elles ne génèrent pas de revenus spécifiques. Si bien qu’en fait, Google, financé presque exclusivement par la vente de ses liens sponsorisés, est devenu une gigantesque régie publicitaire mondiale. noria d’hélicoptères et de motos qui suivent le Tour de France pour se contenter d’héberger sur une page Internet, à la façon de YouTube, les photos prises par le public massé au bord de la route au passage du peloton. Il faudrait peut-être le faire, mais on sent bien qu’on ne saurait faire que cela. Notre seconde remarque sur les contenus générés par les utilisateurs est qu’ils sont souvent pittoresques, parfois drôles, plus rarement informatifs, mais généralement de mauvaise qualité : mal cadrés, mal éclairés, le son douteux, bref, mal mis en images. Ces défauts sont considérés comme véniels, précisément parce que le niveau d’attente à l’égard de ces images est assez faible. Mais dès que ce niveau s’élève, que le téléspectateur attend plus de sérieux sur le fond, plus de qualité dans la forme, il se tourne naturellement vers les grands médias. Il convient d’être assez réservé à l’égard du discours sur la fin des grands médias. Certes leur audience diminue, mais elle reste forte : 85 % des Français regardent encore la télévision. Chez les jeunes elle subit durement la concurrence de l’Internet, mais elle est encore leur média préféré. On peut discerner quelques-uns des traits qui devraient probablement structurer le paysage médiatique, une fois qu’Internet y aura fait sa place définitive. En premier lieu on trouvera quelques marques fortes capables de financer la production de contenus d’information ou de divertissement de qualité, et de les mettre à disposition de leurs clients sur la totalité des supports disponibles : Internet, mobiles, PDA, télévision, voire – pourquoi pas ? – sur papier. À un second niveau, des millions de blogueurs posteront à tour de bras leurs humeurs dans ce grand souk électronique qu’est l’Internet. Chaque internaute y mettra l’ordre qu’il souhaite en recourant aux services d’agrégateurs de contenus qu’il aura paramétrés selon ses goûts et ses centres d’intérêt. Enfin d’au- tres millions de citoyens-journalistes mettront à la disposition du public et des rédactions leurs micro-reportages dont seuls certains, en fonction de l’intérêt qu’ils susciteront auprès des internautes, seront portés par la rumeur (le fameux buzz) jusqu’à la reconnaissance par les grandes marques du secteur. L’audience des grands médias n’a donc certainement pas fini de diminuer, mais elle restera encore dominante pour longtemps, tant que les marques qui les portent seront suffisamment fortes pour servir de points de référence à l’ensemble du monde grouillant des médias collaboratifs. Les stratégies gagnantes pour ces marques seront celles qui sauront le mieux articuler les trois niveaux de ce nouveau monde dans lequel nous entrons si rapidement. A LA RECHERCHE D’UN MODÈLE ÉCONOMIQUE I l existe aujourd’hui deux types de modèles économiques dans l’univers Sociétal N° 55 ! 1er trimestre 2007 45 %REPÈRES ET TENDANCES #CONJONCTURES # LIVRES ET IDÉES # DOSSIER INTERNET Quelques entreprises : Internet, Médias, Télécommunications Capitalisation boursière (au 4 déc. 06) Chiffre d’affaires 2006* Ebitda 2006* (mds €) Moyenne 289 148 37 45 17 81 27 24 69 34 - 45,3 9,3 6,2 5,6 9,7 44,4 10,6 14,7 34,3 19,5 - 18,8 4,0 1,9 2,1 0,6 11,8 3,0 3,2 7,8 3,9 6,4 15,9 5,9 8,0 1,8 7,6 1,8 2,6 1,6 2,0 1,7 1,9 15,4 37,0 19,5 21,4 28,3 24,3 6,9 9,0 7,5 8,9 8,7 8,2 Moyenne 102 132 57 77 68 - 88,9 60,2 46,3 80,8 67,9 - 31,6 21,4 14,6 24,9 24,2 1,2 2,2 1,2 0,9 1,0 1,3 3,2 6,1 3,9 3,0 2,8 3,8 Société MDs $ AMicrosoft Google Yahoo! eBay Amazon Moyenne Time Warner Viacom CBS Corp. The Walt Disney Company Vivendi Verizon AT&T Spring Nextel Deustche Telekom France Télécom Capitalisation Capitalisation / boursière / CA Ebitda * Dernières données disponibles sur 12 mois glissants. Sources : Reuters et Yahoo Finance ; l’Ebitda est la dénomination anglaise de l’excédent brut d’exploitation. des médias, et deux seulement : le modèle gratuit (revenus publicitaires) et le modèle payant (revenus d’abonnement, paiement à l’acte). La presse quotidienne découvre les gratuits depuis quelques années, tandis que la presse magazine, qui y était déjà accoutumée, voit son périmètre s’étendre avec des magazines sportifs ou de lifestyle. La télévision est organisée selon cette distinction depuis l’apparition des modes alternatifs de diffusion (câble, satellite, ADSL et mobile). Les grandes chaînes de télévision commerciale sont financées par la publicité, même si elles ont diversifié leurs activités dans des produits liés ou dérivés. Les chaînes payantes trouvent leurs ressources dans des abonnements qui restent assez onéreux. En dehors de Canal+, elles peinent à trouver un rythme de croisière rentable6. Globalement, le chiffre d’affaires de l’ensemble du secteur se répartit à parts égales entre les revenus publicitaires et les recettes d’abonnement. La logique économique qui sous-tend ces deux modèles est différente. Les médias gratuits cherchent à séduire les audiences les plus larges (ou les plus 46 Sociétal N° 55 ! 1er trimestre 2007 ciblées), parce qu’elles attirent les annonceurs. Les médias payants ont d’abord pour objectif de fidéliser leur clientèle et de maximiser les revenus que celle-ci est en mesure de générer. Internet : un modèle publicitaire dominant Sur Internet, les sources de revenus possibles sont en théorie assez similaires : la publicité, les revenus d’abonnement, le paiement à la consommation. À cela s’ajoutent les recettes de e-commerce, mais dans ce cas de figure, Internet est plus un canal de distribution, économe et performant, qu’une plateforme médiatique. Commerce en ligne mis à part, l’essentiel des ressources du secteur d’Internet provient de la publicité, sous toutes ses formes (bannières, liens sponsorisés, spots dédiés…), car les services offerts par les grands sites sont généralement gratuits. La rémunération de leur activité s’inscrit donc dans un modèle publicitaire assez classique, s’appuyant sur la génération d’une audience importante. La publicité sur Internet représente aujourd’hui un marché important : 13 milliards de dollars prévus en 2006 aux Etats-Unis, 4,5 milliards en Europe et 5 milliards en Asie-Pacifique7. En France, les investissements publicitaires dans Internet ont dépassé en 2005 pour la première fois ceux de la presse quotidienne, et pourraient dépasser ceux de la radio et de l’affichage d’ici la fin de la décennie8. Il est couramment envisagé que, à un horizon de quatre ou cinq ans, Internet dépasse 10 % des investissements publicitaires mondiaux. Dans un tel modèle, la question économique principale est celle de la monétisation de l’audience, c’est-à-dire de sa transformation en recettes commerciales. Google a parfaitement atteint cet objectif, tout en conservant un état d’esprit propre aux sociétés du monde virtuel, et en projetant une image faite de modernité, d’innovation et de décontraction. Google ne fait jamais de publicité sur son site ou ses nouveaux services. 7. Source : Zenith Optimedia. 8. 560 millions d’euros prévus en 2006, 1 milliard en 2009. Source : Precepta et Irep – France Pub. INTERNET DE DEUXIÈME GÉNÉRATION : « WEB 2.0 » OU « BULLE FINANCIÈRE 2.0 » ? Le nouvel âge d’or d’Internet : bulle ou pas bulle ? prise qui n’a aujourd’hui ni chiffre d’affaires, ni résultat ? Qu’est-ce qui peut plaider, à l’inverse, en leur faveur ? L’engouement pour la nouvelle génération Internet est réel, et conduit à des valorisations qui ne sont pas sans rappeler la fin des années 90, et qui fleurent bon la bulle financière. La capitalisation boursière des quatre principales marques du Web9 atteint aujourd’hui plus de 250 milliards de dollars. Google vaut 150 milliards de dollars en Bourse, et capitalise plus de quinze fois son chiffre d’affaires annuel et plus de 35 fois son excédent brut d’exploitation (Ebitda). La situation actuelle ressemble furieusement à celle que Keynes décrivait dans La Théorie générale en 1936 : « à parler franc, on doit avouer que les données dont on dispose pour estimer, à dix ans, ou même à cinq ans, le rendement d’un investissement, se réduisent à bien peu de choses, parfois à rien ». Une telle situation est propice à la formation de bulles spéculatives, comme l’histoire financière en est remplie depuis plusieurs siècles. D’abord le fait que la planète Web 2.0 a réussi à générer une véritable audience. YouTube accueille aujourd’hui plus de 20 millions de visiteurs uniques par mois, offre plus de 100 millions de vidéos, et a capté près de 50% de l’audience mondiale des sites « vidéos ». Netvibes annonce 5 millions d’utilisateurs réguliers, et MySpace, 120 millions d’abonnés, qui sont autant de consommateurs et de citoyens. Par comparaison, les plus grosses entreprises du secteur des médias se traitent à moins de deux fois leur chiffre d’affaires et à un multiple d’Ebitda compris entre 6 et 9. Dans le secteur des télécommunications, ces ratios sont respectivement de 1,3 et 3,8. L’écart de valorisation avec les sociétés Internet est donc très significatif. Aucune société du Web 2.0 n’étant cotée en Bourse, on ne dispose pas de données financières détaillées, tandis que les transactions dans le secteur sont peu nombreuses : le rachat de Myspace par News Corp. pour la somme de 650 millions de dollars en 2005, et celui de YouTube par Google pour 1,65 milliard de $ en 2006, soit 1000 fois la valeur de ses pertes mensuelles… On peut légitimement s’interroger sur la justification de tels prix. Est-on en train d’alimenter une nouvelle bulle Internet ? Un point commun de la période actuelle avec celle de la « première » bulle Internet est la floraison de projets se valorisant sur une promesse de revenus futurs. Les chiffres d’affaires de ces sociétés sont quasiment inexistants, et leurs résultats tous négatifs, pour autant qu’on puisse le savoir. Il est vrai que la théorie financière nous enseigne que la valeur d’un bien correspond à la somme des flux de revenus que cet actif va générer dans le futur, ramenés à une valeur d’aujourd’hui, pour tenir compte du temps qui passe et du risque attaché à sa détention. Mais qui peut prédire raisonnablement le chiffre d’affaires et les résultats d’une entre- Ensuite le constat que les rachats dont Les raisons qui plaident pour la pruon parle sont à rebours de ceux des dence sont sérieuses. C’est tout d’abord années folles de la bulle Internet. A l’él’inquiétant air de « déjà-vu » de valoripoque, c’était le virtuel (AOL) qui rachesations apparemment déraisonnables, tait le réel (Time Warner). La nouvelle pour des sociétés qui ne gagnent pas économie chassait l’ancienne. News d’argent, voire en perdent encore beauCorp. et Google rachetant Myspace et coup. Google vaut aujourd’hui 150 YouTube, ce sont deux sociétés du milliards de dollars en Bourse, mais a un monde réel qui investissent dans de « vrai » chiffre d’affaires, et nouvelles activités. Il s’agit là un résultat avec du « vrai » davantage d’une diversificaLe Web 2.0 cash, ce qui est loin d’être le tion aux frontières de leurs cas des nouvelles stars du métiers historiques que d’un constitue une Web 2.0. pur investissement. La piste sérieuse de démarche est industrielle développement Une deuxième raison de avant d’être financière. Ces s’abstenir est que personne groupes sont des acteurs pour toute n’est capable de dire aujourmajeurs de l’Internet et des entreprise dont d’hui comment ces sociétés médias, qui savent qu’ils doil’activité dépend gagneront de l’argent vent perpétuellement demain, parce qu’on peine à renouveler leur métier. de l’appréciation entrevoir un modèle éconoque ses clients mique viable. Les utilisateurs On tient là un début de ou ses usagers de ces sites y trouvent une réponse à la question du interactivité et un esprit modèle économique du portent sur les « communautaire » qui sont Web 2.0, cet univers produits qu’elle aux antipodes des modèles étrange, où des internautes offre. économiques classiques. Ils rétifs à la publicité classique sont plutôt rétifs à la publis’obstinent à échanger des cité traditionnelle, et se soudonnées et des informacient peu d’acheter des contenus tions, sans se préoccuper d’acheter ou payants, puisque, et c’est la définition de vendre quoi que ce soit. même du Web 2.0, ils les fournissent eux-mêmes. D’autre part, la pérennité Il est probable que le Web 2.0 n’a pas, en du succès de ces sites se heurte à la lui-même, de modèle économique. Il question de la qualité des contenus qui y doit, comme les autres sites Internet, figurent et à la disponibilité des droits être capable de monétiser son audience afférents. Il n’est pas surprenant de les pour la rendre attractive. C’est pourquoi voir négocier avec tous les détenteurs de droits et accepter, devant les risques juridiques, de retirer de leurs sites les 9. Google,Yahoo!, Amazon et eBay. contenus qui ne sont pas libres de droit. Sociétal N° 55 ! 1er trimestre 2007 47 %REPÈRES ET TENDANCES #CONJONCTURES # DOSSIER # LIVRES ET IDÉES INTERNET l’adossement à de grandes marques déjà installées dans les médias ou Internet paraît être le moyen le plus prometteur pour consolider les développements du Web 2.0. Le Web de deuxième génération est un outil qui permet de soutenir, de renouveler ou de consolider des modèles économiques qui lui préexistent. Qu’est-ce que Google, sinon une gigantesque régie publicitaire mondiale ? AvecYouTube, elle achète de l’audience. Le Web 2.0 constitue une piste sérieuse de développement pour toute entreprise dont l’activité dépend de l’appréciation que ses clients ou ses usagers portent sur les produits qu’elle offre. Les revenus viendront de la publicité (si on est dans un modèle de gratuité), des abonnements et du paiement à l’acte (si on est dans un modèle payant). Ils peu- 48 Sociétal N° 55 ! 1er trimestre 2007 vent aussi venir, indirectement, de la fidélisation et la meilleure connaissance des clients obtenues grâce aux nouveaux services d’aide à la décision d’achat. CONCLUSION L’ engouement actuel pour le Web 2.0 est justifié, car moins qu’un pur phénomène lié à l’Internet, il fait écho à une mutation profonde du comportement des consommateurs et des citoyens qui réclament et obtiennent leur part de voix dans l’élaboration des services et des produits qu’on leur propose. Pour les entreprises, moins qu’une activité autonome, le Web 2.0 est un style, une certaine manière d’entrer en relation avec son public ou ses clients. C’est certes sur le Net que ce style s’exprime le mieux mais il ne s’y limite pas. Toute entreprise, toute organisation, dès lors que son activité suppose une interaction avec des clients ou des audiences, peut envisager une évolution dans le style Web 2.0. Il peut permettre aux entreprises d’enrichir leurs relations avec leurs clients et de consolider leur modèle économique. C’est ainsi qu’il doit être abordé, et non comme un développement autonome qui disposerait d’un modèle économique propre. !