Bulletin d`actualité - Bibliothèque du Parlement

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Bulletin d`actualité - Bibliothèque du Parlement
Bulletin d’actualité
LA VIOLENCE À LA TÉLÉVISION
Susan Alter
Division du droit et du gouvernement
Révisé le 1er octobre 1997
Bibliothèque
du Parlement
Library of
Parliament
Direction de la
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95-3F
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du Parlement travaille exclusivement pour le Parlement,
effectuant des recherches et fournissant des informations aux
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des consultations dans leurs domaines de compétence.
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LA VIOLENCE À LA TÉLÉVISON∗
DÉFINITION DU SUJET
La préoccupation du public nord-américain à l’égard des effets préjudiciables que
pourraient avoir les émissions violentes à la télévision remonte au moins à 1952, lorsque le Congrès
des États-Unis a tenu ses premières audiences sur la question. Au fil des années, les progrès de la
technologie, tels que les magnétoscopes et les effets spéciaux par ordinateur, ont contribué à rendre
la violence au petit écran plus saisissante et plus répandue; par ailleurs, la recherche sur les
répercussions réelles de cette imagerie ont proliféré.
Même si les conclusions qui ressortent de la recherche sont partagées, le courant
d'opinion dominant aujourd'hui est que la violence à la télévision exerce une influence négative,
particulièrement sur les téléspectateurs impressionnables comme les enfants. L'industrie du cinéma
et de la télévision, qui a eu tendance par le passé à résolument écarter ces préoccupations au sujet
des divertissements violents en affirmant qu'elles étaient non fondées et non prouvées, a été
fortement incitée, durant les années 90, à prendre des mesures décisives à l'égard des émissions de
ce genre. Jack Valenti, qui représente l'un des organismes les plus puissants de la profession, la
Motion Picture Association of America, a affirmé devant le Comité sénatorial américain qui
examinait la question de la violence à la télévision en 1993 que l'industrie ne nierait plus l’existence
du problème : « Nous avons dépassé ce stade. Nous voulons nous attaquer à cette question de façon
responsable, sans faire de menuet politique autour d'un mât métaphysique ».
Dans le présent document, nous résumons les principales constatations qui ressortent
de la recherche sur la violence à la télévision et décrivons les mesures prises au Canada pour régler
le problème.
La solution réglementaire appliquée par le Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications canadiennes et les préoccupations au sujet de la liberté d'expression sont parmi
les sujets que nous abordons explicitement.
∗ La première version de ce bulletin d’actualité a été publiée en septembre 1995.
périodiquement mis à jour depuis.
Le document a été
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CONTEXTE ET ANALYSE
A. Définition de la violence à la télévision
La « violence à la télévision » signifie habituellement toute la violence présentée sur
les écrans de télévision. Cela englobe les émissions diffusées sur les ondes et distribuées par les
systèmes de câblodiffusion et de satellite, ainsi que les émissions enregistrées sur vidéocassettes et
vidéodisques.
Il pourrait être utile d'avoir une définition ou compréhension commune de ce qui
constitue la « violence à la télévision » pour étudier et réglementer la question. Mais il n'est pas
simple d'en arriver à une telle compréhension. La définition devrait-elle inclure les animations ou se
limiter aux représentations réalistes? Le contexte dans lequel la violence est présentée importe-t-il
par exemple, la violence est-elle gratuite ou fait-elle partie intégrante du complot ou du propos
d'une émission, est-elle de nature physique ou verbale, et est-elle dirigée contre des gens, des
animaux ou des objets?
Le problème que soulève une définition très précise de la violence à la télévision est
que cette définition peut aussi devenir passablement restrictive. La définition qu’a déjà utilisée le
spécialiste des médias George Gerbner dans les recherches qu'il a faites, à savoir « l'action de
blesser ou de tuer quelqu'un ou de menacer de blesser ou de tuer quelqu'un » constitue un bon
exemple d'une telle limitation.
Les récentes études ont décrit la violence en des termes
légèrement plus généraux. Par exemple, dans l’Étude nationale sur la violence à la télévision
(1996), financée par la National Cable Television Association aux États-Unis, on définit ainsi la
violence : « Toute manifestation explicite de l’usage de la force physique — ou la menace
crédible de l’utilisation d’une telle force — dans l’intention de blesser physiquement un être ou
groupe d’êtres animés ». Le Projet de surveillance de la violence à la télévision de l’Université
de Californie à Los Angeles (1995), commandé par quatre grands réseaux américains (ABC,
CBS, Fox et NBC), a défini la violence comme tout ce qui comporte un préjudice physique ou
une menace de préjudice physique quelconque, intentionnel ou non, auto-infligé ou infligé par
une autre personne ou par une chose.
Une autre façon de procéder consiste à éviter de définir la « violence » en termes
explicites et de recourir plutôt à des exemples. C'est l'approche que les télédiffuseurs privés ont
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adoptée lorsqu'ils ont volontairement accepté un code de déontologie pour réglementer la violence à
la télévision.
Tout en exigeant des télédiffuseurs qu'ils fassent preuve de prudence dans la
représentation de la violence, le code ne définit nulle part précisément la « violence » mais donne
des exemples de scénarios pouvant être violents, y compris des situations de conflit ou de
confrontation, de mort et de blessure, de criminalité de rue et d'agression sexuelle. Cette méthode
comporte un problème, soit que la notion de violence à la télévision est peut-être décrite de façon
trop fluide et ouverte pour être utile en pratique.
Compte tenu des nombreuses formes que prend la violence à la télévision, il pourrait
être extrêmement difficile d'en arriver à une définition normalisée qui soit à la fois complète,
succincte et non ambiguë.
B. L'étude de la violence à la télévision
Les sondages sur les émissions violentes aux États-Unis, durant les années 70 et 80,
ont permis de constater que le niveau de violence à la télévision commerciale américaine est
demeuré constant, s'établissant en moyenne à cinq ou six actes violents l'heure, aux plages de
grande écoute, et de 20 à 25 actes violents l'heure, durant les émissions pour enfants du samedi
matin. Mais ces études, se concentrant sur la télévision conventionnelle, n’ont pas tenu compte de
tout ce que transmettent les nouvelles technologies télévisuelles telles que la câblodistribution, les
vidéos et les services de transmission par satellite. L’ajout de ces sources aurait probablement fait
augmenter la quantité de violence vue à la télévision. Par ailleurs, aucune des études n’a examiné
les changements survenus dans la nature de la violence présentée au fil des années
par exemple,
si la violence à la télévision était devenue plus dure et plus visuelle.
Des études sur les émissions de télévision canadiennes, notamment le rapport publié
en 1994 par Guy Paquette et Jacques De Guise de l'Université Laval, ont montré, que les émissions
réalisées au Canada sont généralement moins violentes que celles provenant des États-Unis. L'étude
Paquette-De Guise a révélé que l'indice de violence à la télévision canadienne, calculé au cours
d'une semaine donnée en mars 1993 à l'aide de la méthode de Gerbner, était de 23,4 p. 100 inférieur
à celui de la télévision américaine. Toutefois, les émissions canadiennes au contenu moins violent
ne sont pas les seules que l'on écoute au pays.
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La grande quantité d'émissions de télévision américaines qui traversent nos
frontières signifie que les productions américaines contribuent inévitablement et de façon
significative à la quantité de violence vue sur les écrans de télévision canadiens. Ainsi, il est utile de
mentionner que le rapport produit pour le compte de l'Unesco en 1986 par George Gerbner
concernant la recherche faite dans le monde sur la question de la violence dans les médias a révélé
que les émissions américaines étaient sensiblement plus violentes que celles produites dans d'autres
pays. La seule exception à cette règle était la programmation japonaise, jugée tout aussi violente.
La recherche effectuée aux États-Unis a aussi montré que les films américains
populaires sont encore plus violents que les émissions de télévision américaines
une situation qui
intéresse les Canadiens étant donné que le marché de détail intérieur des vidéocassettes est saturé de
produits américains. Ainsi, dans un rapport sur la violence dans les médias et l'agression chez les
jeunes produit en 1993 pour l'American Psychological Association, les spécialistes de la violence
dans les médias Ed Donnerstein, Ron Slaby et Leonard Eron ont signalé que les superproductions
d'Hollywood centrées sur l'action telles que Die Hard 2, Robocop et Total Recall (où l'on dénombre,
respectivement, 264, 81 et 74 morts violentes) étaient beaucoup plus violentes que les émissions
destinées aux heures de grande écoute à la télévision commerciale. L’Étude nationale sur la
violence à la télévision (1996) et le Projet de surveillance de la violence à la télévision de
l’Université de Californie à Los Angeles (1995 et 1996) sont venus confirmer cette constatation.
Dans ces deux grandes études en cours sur la violence à la télévision américaine,
l’analyse qualitative l’emporte sur l’information quantitative.
Par exemple, le Projet de
surveillance (1995 et 1996) s’est concentré sur le contexte de chaque acte de violence plutôt que
simplement sur le nombre d’actes violents à l’heure. Le projet a fait une distinction entre les
représentations comportant une vaine glorification de la violence et celles où la violence
renferme un message social. Autrement dit, chaque acte de violence consigné fait l’objet d’un
jugement de valeur suivant le principe selon lequel « toute violence ne s’équivaut pas ». Entre
autres choses, l’étude de l’Université de Californie à Los Angeles a révélé que les émissions
contrôlées par les réseaux, comme les séries des réseaux et les films tournés pour la télévision,
inspirent relativement moins d’inquiétudes que d’autres formules, par exemple les films tournés
pour le cinéma et diffusés à la télévision.
Le contexte a également constitué un élément
important de l’Étude nationale sur la violence à la télévision (1996), dans laquelle on a identifié
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des modes de représentation de la violence.
On a ainsi établi que, dans les émissions
échantillonnées, les agresseurs sont restés impunis dans 73 p. 100 de toutes les scènes violentes;
souvent, les conséquences négatives de la violence n’ont pas été présentées; 25 p. 100 des
interactions violentes comportaient l’usage d’armes de poing; et seulement 4 p. 100 des
émissions violentes mettaient l’accent sur un thème antiviolence.
La principale controverse qui a eu cours dans le milieu des sciences sociales pendant
des années au sujet de la violence à la télévision concernait pas le genre d'études susmentionnées,
lesquelles visent à mesurer et à comparer la nature des émissions violentes. La vraie dispute avait
plutôt trait au rapport de cause à effet : le fait d'écouter des émissions violentes incite-t-il certaines
personnes à avoir un comportement violent? Même si un rapport causal direct est difficile à établir,
trois grandes études américaines, s'étendant ensemble sur 30 ans, ont révélé qu'il y a une corrélation
positive ou un lien entre la violence regardée à la télévision par les enfants et les attitudes et
comportements agressifs; il s’agit du rapport du chef des services de santé des États-Unis sur
l'impact de la violence télévisée, publié à la fin de 1971, du rapport de suivi publié par le National
Institute of Mental Health dix ans plus tard et, enfin, du rapport du Comité sur les médias dans la
société publié en 1992 par l'American Psychological Association.
Si la plupart des travaux de recherche et des rapports sur la violence à la télévision
établissent un lien entre la violence télévisée et la violence réelle, certains spécialistes demeurent
sceptiques. Ainsi, le psychologue canadien Jonathan Freedman reconnaît que les enfants qui
regardent plus d'émissions télévisées violentes ont aussi tendance à être plus agressifs, mais il
soutient que les expériences faites sur le terrain n'ont pas permis d’établir de façon systématique,
c'est-à-dire comme un fait scientifique incontournable, que l’écoute d’émissions violentes à la
télévision entraîne un accroissement de l'agressivité chez les téléspectateurs.
Il se peut qu'on ne parvienne jamais à faire l’unanimité sur l’influence que peut avoir
(ou non) la violence télévisée sur l'auditoire, et sur la façon dont elle s’exerce, mais la plus grande
partie de la documentation recueillie sur cette question débouche sur la conclusion que la violence
télévisée pourrait avoir au moins trois conséquences négatives. Cette violence a été liée au fait,
pour le téléspectateur, de se montrer plus agressif ou violent à l'égard des autres (l'effet d'agression),
de craindre davantage d'être victime de violence (l'effet de la victime) et d’être plus insensible à la
violence (l'effet du témoin).
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C. La solution au problème de la violence à la télévision
Dès le début des années 90, de nombreux spécialistes de la violence dans les médias,
dont Ed Donnerstein, Ron Slaby et Leonard Eron des États-Unis, étaient d'avis que l'on devrait
mettre fin à l’interminable débat sur la relation causale entre la violence réelle et la violence à la
télévision. Ils estimaient que le temps était venu de reconnaître que la violence à la télévision
constitue un problème et qu’il fallait agir en conséquence. De plus en plus de Canadiens semblent
partager ce point de vue et prennent des mesures pour contrer la violence qui est constamment
présentée à la télévision aux enfants et aux jeunes en général. Il se pose des gestes à divers niveaux
— éducation, technologie et réglementation — comme nous le décrivons ci-après.
1. Sensibilisation du public et initiatives axées sur l'éducation
Les initiatives de sensibilisation et d'éducation du public visent à aider les
téléspectateurs à faire des choix informés et responsables au sujet des émissions de télévision
qu'eux-mêmes ou que les personnes dont ils ont la responsabilité écouteront. Les télédiffuseurs et
les câblodistributeurs ont lancé des projets pour tenter de sensibiliser davantage le public à la
violence, un peu à la façon dont on avait attiré l'attention du public sur les effets néfastes du tabac et
de la conduite en état d'ébriété par des campagnes dans les médias. Ainsi, l'Association canadienne
des radiodiffuseurs (ACR), en collaboration avec le ministère du Patrimoine canadien, a inauguré en
1994 une série d'annonces d'intérêt public sous le thème « La violence : Ne restons pas
indifférents ». Continuant sur sa lancée, l’ACR s’est jointe en 1996 à plusieurs ministères pour
mener une campagne nationale, « La violence : à vous de réagir », visant à encourager les
Canadiens à prendre des mesures contre la violence. L'Association canadienne de télévision par
câble a mené en 1993 une campagne intitulée « Brisons le silence sur la violence », dans laquelle
elle informait les abonnés au sujet des émissions non violentes qui étaient présentées et des façons
d'intervenir activement sur la question de la violence dans la société.
D’après les sceptiques, il est naïf de penser que l'industrie deviendra un adversaire
résolu de la violence télévisée. Aussi longtemps, disent-ils, que les émissions violentes continueront
d'attirer des auditoires importants, les télédiffuseurs et les câblodistributeurs ― qui cherchent à faire
des bénéfices en vendant des abonnements et du temps d'antenne à des fins publicitaires, selon des
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tarifs qui dépendent des cotes d'écoute ― se contenteront de voeux pieux dans les campagnes
dirigées contre de telles émissions.
Puisque les parents et l'école sont les principaux intervenants dans l'éducation des
enfants, ils portent une grande part de la responsabilité d’inculquer les comportements à adopter
devant la violence télévisée. Les éducateurs relèvent ce défi, en partie, en initiant les enfants aux
« compétences médiatiques ».
Selon l'éducateur ontarien Barry Duncan, alors que l'apprentissage de la langue est
axé sur les mots écrits (la capacité de lire et d’écrire et les compétences requises pour décoder et
construire des mots imprimés), l'« initiation aux médias » porte sur le décodage des médias de
masse, en particulier la télévision. Elle fait participer les téléspectateurs à un processus dit de
« déconstruction », dans le cadre duquel ils dissèquent la réalité construite d'une émission pour
examiner de façon critique les valeurs et les messages sous-jacents. Quelqu'un qui a été initié aux
médias comprend les techniques et les astuces employées dans la production, dont la représentation
de la violence et, par conséquent, il peut envisager celle-ci d'un point de vue social, éthique ou autre
et non seulement comme un divertissement. En ajoutant l’initiation aux médias au programme
officiel de l’enseignement de l’anglais des écoles secondaires de la province en 1988, le
ministère de l’Éducation de l’Ontario est devenu à la fois un pionnier et un chef de file dans ce
domaine.
Dans son rapport de 1993 sur la violence à la télévision, le Comité permanent des
communications et de la culture de la Chambre des communes a affirmé que les parents devraient
aussi jouer un rôle de premier plan en guidant et en réglementant les habitudes d'écoute de leurs
enfants. Cependant, le Comité a aussi fait remarquer qu'il serait irréaliste d'imposer un tel fardeau
aux parents sans leur donner une formation adéquate en compétences médiatiques et une aide
technologique.
Afin de promouvoir l’acquisition de compétences médiatiques et des habitudes
d'écoute plus saines parmi la population, le gouvernement fédéral, seul ou en partenariat avec des
groupes intéressés, a produit des documents éducatifs. Ainsi, Chère télé ou comment regarder la
télévision en famille, est une trousse d'auto-initiation aux médias à l'intention des parents qui
renferme des vidéos, des brochures et des fiches d'activité et qui a été produite et lancée à l'été de
1995 par l'Alliance pour l'enfant et la télévision, avec l'appui de Santé Canada. En outre, l'Office
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national du film a réuni une sélection intéressante de documents-ressources sur les compétences
médiatiques, dont Télé-tuerie, de Christopher Hinton, un court film d'animation sur la violence à la
télévision, et Constructing Reality, une anthologie en six vidéocassettes dans laquelle on explore les
questions médiatiques dans le film documentaire. En 1996, le Réseau éducation-médias, financé
par le secteur privé et le gouvernement fédéral, a inauguré son site Web, destiné à servir de
centre d’échange électronique pour le matériel de sensibilisation aux médias, ce qui comprend de
l’information concernant la violence à la télévision.
2. Dispositifs technologiques
Les parents peuvent faire appel à des dispositifs technologiques pour mieux filtrer
les émissions, notamment des dispositifs permettant de bloquer certaines émissions, voire des
canaux entiers, ou même de verrouiller des appareils de télévision et des télécommandes afin
d’empêcher les jeunes enfants de mettre les appareils en marche.
Le dispositif qui a retenu le plus l'attention est la puce antiviolence, une invention de
l'ingénieur Tim Collings de la Colombie-Britannique.
Tout récepteur d'émission (c.-à-d. un
convertisseur, un magnétoscope, un synthonisateur ou un téléviseur) dans lequel est installé un petit
circuit intégré, appelé « puce V », peut être programmé selon les goûts individuels en bloquant la
réception d'émissions qui pourraient être offensantes. Grâce à la « puce V », le récepteur peut lire la
cote attribuée à une émission et codée dans son signal vidéo, et bloquer toute émission qui dépasse
un seuil déterminé de violence.
Comme le fonctionnement de la puce antiviolence repose sur sa capacité à lire la
cote attribuée aux émissions, la conception d’un système approprié de cotes pour les émissions
de télévision était fondamentale au succès de cette technologie. Les essais sur le terrain et le
peaufinage de la puce devaient donc procéder de pair avec l’élaboration d’un système de cotes
pour les émissions. En fixant, dans son énoncé de politiques de mars 1996 sur la violence à la
télévision, des échéances pour l’aboutissement de ces deux initiatives partout au pays, le CRTC a
relancé les premiers efforts de conception d’une puce antiviolence adaptée à un système
canadien de cotes.
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Cette politique demandait aux câblodistibuteurs d’offrir aux abonnés, dès
septembre 1996, des puces antiviolence à prix abordable (Avis public CRTC 1996-36).
L’échéance a ensuite été reportée au début de la nouvelle saison de programmation de
l’automne 1997, afin que l’industrie puisse continuer de faire l’essai de la technologie de la puce
antiviolence avant sa mise en marché (Avis public CRTC 1996-134).
Les téléspectateurs canadiens ne disposaient pas encore de la technologie de
la puce antiviolence à l’ouverture de la nouvelle saison de programmation télévisuelle à
l’automne de 1997, mais au lieu de reporter l’échéance, le CRTC a annoncé qu’il s’attend à
ce que le codage des émissions et la diffusion d’appareils munis de ces puces se fassent le
plus tôt possible. Lorsqu’il a approuvé, en juin 1997, le système canadien de classification
des émissions de télévision (Avis public CRTC 1997-80), le CRTC a reconnu que l’échéance
de l’automne de 1997 ne serait pas respectée. Il a précisé que certains problèmes restaient
à régler avant d’offrir la technologie aux consommateurs canadiens. L’une des difficultés
vient de ce que la technologie actuelle ne saurait venir à bout de la multiplicité des systèmes
de cotes qui font leur apparition. D’autre part, il est peu probable que la fabrication
d’appareils à puce antiviolence pour le marché canadien démarre sur une grande échelle
tant que la technologie ne sera pas adoptée aux États-Unis.
L’article 551 de la Telecommunications Act adoptée au début de 1966 exige, aux
États-Unis, que les nouveaux téléviseurs soient munis d’un mécanisme de blocage d’émissions à
puce antiviolence. Tout comme au Canada, le système à puce qui sera finalement offert aux
consommateurs américains dépendra en partie du système de cotes que l’organisme fédéral
de réglementation des communications des États-Unis (la FCC) approuvera. En attendant
cette décision, la mise en marché de la puce antiviolence restera en suspens aux États-Unis
et sera par conséquent retardée au Canada.
Le principal avantage du système de puce antiviolence est qu’il permet aux
parents de contrôler ce que leurs enfants regardent à la télévision familiale sans avoir à rester
nécessairement dans la même pièce. Les sceptiques ont cependant tôt fait de rappeler que, pour
diverses raisons, la puce antiviolence n’est pas une panacée, tandis que les critiques au sein de
l’industrie de la télédiffusion font valoir que l’attribution d’une cote lisible par la puce représente
une tâche herculéenne car des centaines de milliers d’heures d’émissions sont diffusées chaque
année. Ces mêmes critiques s’inquiètent également de ce que les publicitaires soient peu enclins
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à acheter des spots publicitaires lorsque le niveau de violence est élevé, assumant que l’auditoire
sera réduit et voulant éviter d’être blâmés pour avoir semblé sanctionner une émission
antisociale. D’autres critiques notent que la valeur de technologie dépend de ses utilisateurs : les
parents peuvent décider de ne pas s’en servir ou ignorent peut-être comment l’utiliser, et leurs
enfants risquent de trouver des moyens de la contourner. Certains se préoccupent de ce que les
programmateurs se fient sur l’existence de la puce pour diffuser des émissions encore plus
violentes, se sentant relevés de leurs responsabilités sociales. D’autres, par ailleurs, sont d’avis
que la puce antiviolence n’atteint pas du tout le but visé car, tout ce qu’elle fait, c’est de donner
de bons avertissements à l’égard de mauvaises émissions.
3. Systèmes de classification/cotation
Le Groupe d’action sur la violence à la télévision (GAVT), composé de
représentants de l’industrie du film et de la télévision, a volontairement assumé en 1993 la
responsabilité d’inventer un système acceptable de classification des émissions télévisées. En
ordonnant en 1966 à l’industrie de la radiodiffusion, par l’entremise du GAVT, dans sa politique
sur la violence à la télévision, de mettre au point un système convivial et informatif, le CRTC a
relancé cette initiative. Il avait d’abord fixé l’échéance à septembre 1996 (Avis public CRTC
1996-36), mais il l’a ensuite reportée, à la demande du GAVT, au lancement de la nouvelle
saison à l’automne 1997 (Avis public CRTC 1996-134).
Pour respecter l’échéance de l’automne 1997, le GAVT a présenté son projet
de système de classification, qui comporte six cotes, au CRTC le 30 avril 1997; en juin, le
CRTC a annonçé qu’il approuvait ce système (Avis public CRTC 1997-80), qui sera utilisé
pour coter chaque émission, sauf les catégories exemptées (les actualités, les émissions de
sport, les documentaires, les interviews-variétés, les vidéo-clips et les spectacles de variétés).
Les six cotes s’accompagnent de directives narratives pour aider les services de
programmation à attribuer des cotes selon l’âge des téléspectateurs auxquels les émissions
se prêtent. Les six cotes sont les suivantes : « enfants; enfants de 8 ans et plus; grand
public; discrétion parentale; 14 ans et plus; et 18 ans et plus ». Le Conseil canadien des
normes de la radiotélévision servira de centre de diffusion d’information sur le nouveau
système de cotes et d’arbitre en cas de différends entre les téléspectateurs et les services de
programmation sur la cote attribuée à des émissions données.
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Même si la télévision payante, la télévision à la carte et les services en
français étaient représentés au sein du comité de classification du GAVT, il n’est prévu
pour l’instant de n’utiliser le nouveau système de cotes que pour les stations
conventionnelles de langue anglaise ainsi que les réseaux et services spécialisés de langue
anglaise. Tous les autres services de radiodiffusion en anglais et en français continueront
de se servir des systèmes provinciaux de classification des films et des bandes vidéo. Il y a
cependant lieu de noter que, en approuvant son système de classification en juin, le Conseil
a incité le GAVT à continuer de chercher à harmoniser tous les systèmes de classification
des émissions de télévision. Comme il n’était pas possible, pour des raisons techniques et
autres, de lancer le nouveau système de classification de pair avec la technologie basée sur
la puce antiviolence, le Conseil a également retenu la suggestion du GAVT d’imposer
l’affichage à l’écran d’icônes indiquant la classification des émissions dès l’automne.
La mise au point d’un système américain de classification des émissions de
télévision a progressé de pair avec le système canadien, quoique dans un contexte un peu
différent.
L’industrie américaine de la télévision a été amenée à établir un système
« volontaire » de cotes par la Telecommunications Act (1996) car le gouvernement menaçait
d’intervenir et de créer un système si l’industrie n’y parvenait pas dans un délai donné. En
janvier 1997, l’industrie américaine de la télévision a présenté son projet de système de
classification (six cotes), le « TV Parental Guidelines », à la FCC; celle-ci a invité le mois
suivant les intéressés à dire ce qu’ils en pensaient. En août, l’industrie a présenté un nouveau
projet sur lequel la FCC a de nouveau invité les intéressés à donner leur opinion. La FCC
doit maintenant évaluer le système volontaire de classification, qui ressemble tout à fait au
système américain de classification des films. Si elle le juge acceptable, elle établira des
normes techniques pour assurer la compatibilité du système avec la technologie de
surveillance parentale (puce antiviolence) qui sera incorporée aux téléviseurs fabriqués à
compter de février 1998.
Le GAVT a notamment cherché, avec l’apui du CRTC, à rendre le système
canadien compatible avec celui des États-Unis, c’est-à-dire d’en arriver à une méthode
nord-américaine de classement des émissions télévisées.
Cette façon de procéder serait
évidemment pratique pour les distributeurs d’émissions et les diffuseurs canadiens qui utilisent
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des émissions américaines, car ils n’auraient pas à réencoder les émissions selon les modalités
canadiennes. Reste à voir si les deux régimes peuvent s’harmoniser.
Au moment d’approuver le système de classification du GAVT en juin 1997,
le CRTC a fait remarquer que ce système et le TV Parental Guidelines de l’industrie
américaine semblent, malgré des divergences, assez semblables pour éviter de mêler
indûment les consommateurs canadiens. Il a toutefois reconnu que le CRTC n’avait pas
encore avalisé le système de classification américain.
En rappelant que le GAVT se
propose de réexaminer et, s’il y a lieu, de modifier le système de classification canadien
lorsque le système américain sera au point, le Conseil a fait remarquer qu’il devra
approuver tout changement de fond.
Bref, les fournisseurs de services canadiens de programmation de télévision
utilisent actuellement trois systèmes de classification des émissions : les systèmes de
classification des commissions provinciales de contrôle cinématographique utilisés par la
télévision payante et la télévision à la carte, le système de classification du GAVT utilisé par
les diffuseurs conventionnels et les services spécialisés de langue anglaise, et le système de la
Régie du cinéma du Québec utilisé par les diffuseurs de langue française. Aux États-Unis,
d’autre part, la mise au point d’un système distinct de classification des émissions de
télévision progresse rapidement.
Même si un système uniforme de classification des
émissions de télévision pour l’ensemble de l’Amérique du Nord demeure un objectif
louable, il est loin d’être certain, en ce moment, qu’on puisse un jour y parvenir.
4. Codes d’éthique sur les émissions violentes
Les codes d’éthique ou de déontologie qui régissent la programmation
d’émissions violentes viennent compléter les systèmes de classification des émissions de
télévision. Alors que les systèmes de classification offrent des repères pour permettre aux
parents de déterminer quelles émissions leurs enfants peuvent regarder et de décider s’il y a lieu
d’assurer une surveillance, les codes établissent des règles de conduite pour les membres de
l’industrie dans la sélection et la programmation d’émissions qui comportent de la violence.
Les codes traitant de la violence dans les émissions de télévision fournissent un
ensemble de règles ou de lignes directrices uniformes que les télédiffuseurs et les autres fournisseurs
d'émissions conviennent de respecter. Ces codes établissent habituellement des règles générales
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régissant les émissions violentes, par exemple l'interdiction de télédiffuser de la violence gratuite,
ainsi que des règles particulières portant sur la façon dont la violence est présentée, qui visent à
protéger les enfants et les autres groupes vulnérables. Ainsi, ces codes peuvent préciser des
« heures limites » (après lesquelles des scènes de violence s’adressant à un auditoire adulte peuvent
être diffusées), imposer l'utilisation de messages d'avertissement à l'écran pour signaler aux
téléspectateurs qu'une émission pourrait être particulièrement offensante, etc.
Le CRTC a encouragé activement chaque segment du système de radiodiffusion
les réseaux et les stations privés, les câblodistributeurs et la SRC
à élaborer des codes régissant le
contenu violent de leur programmation. La conformité à ces codes est l'une des conditions liées à
l'obtention de leur licence d'exploitation. Les résultats de ces efforts sont résumés dans le tableau
présenté ci-après.
En ce moment, aucun code ne s’applique aux émissions américaines violentes, qui
diffusent les réseaux de câblodistribution canadiens. Plus tôt cette année, le CRTC a laissé
entendre, dans sa politique sur la violence à la télévision, qu’il pourrait bien à l’avenir, afin de
combler ce vide, obliger les câblodistributeurs à brouiller les signaux pour toute émission reçue
des États-Unis qui ne respecte pas un code approuvé comme celui de l’ACR. Entre temps, le
succès expérimental de la puce antiviolence et l’application imminente d’un système de
classification basé sur cette technologie à une programmation jusqu’ici non réglementée
semblent offrir une solution plus simple en conférant aux téléspectateurs le pouvoir de bloquer
les émissions indésirables.
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Codes sur la violence dans le système canadien de télédiffusion
Émissions visées
Titre/nature du code
Surveillance exercée
employé
Radiodiffuseurs
privés Toutes les émissions • Code d'application Conseil canadien des
traditionnels
diffusées au Canada par volontaire concernant la normes de la
des stations et réseaux violence à la télévision radiodiffusion (CCNR)
privés
(« code de l'ACR »)
ou, si le radiodiffuseur
• Approuvé par le CRTC n'en est pas membre, le
en 1993
CRTC
Société Radio-Canada
Toutes les émissions • Code de l'ACR
CRTC
télévisées de la SRC
Distribution par câble, par Toutes les émissions
• Aucun
s/o
SRD et sans fil
étrangères distribuées par
un détenteur de licence, p.
ex. stations et réseaux
américains
Distribution par câble, par Toutes les émissions
• Code de l’ACR
CRTC
SRD et sans fil
provenant d’un détenteur
de licence, p. ex. chaîne
communautaire, canal
promotionnel ou
d’autopublicité de la
télévision payante
Système
de Tous les services de jeux • Code de l’ARC, auquel CRTC
câblodistributeurs
vidéos par câble
s'ajoute un système de
cotes pour les jeux
Détenteurs de licences de Nouveaux services
• Code de l'ACR
CRTC
services
spécialisés spécialisés offerts sur le
diffusés sur le câble
câble, p. ex., Bravo!, Le
Canal D, etc.
Détenteurs de licences de Tous les services de • Normes et pratiques de CRTC
services de télévision télévision payante et de la télévision payante et de
payante et de télévision à télévision à la carte, télévision à la carte
la carte
p. ex., Super Écran, The concernant la violence
Movie Network, etc. et • Approuvé par le CRTC
les canaux d’autopublicité en 1994
fournis par un détenteur
de permis
• aucun
Détenteurs de licences Vidéothèques de
s/o
de services de vidéo sur services de vidéo sur
demande
demande (surtout des
longs métrages)
Segment de l'industrie
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D’autre part, aucun code ne régit la programmation des services de vidéo sur
demande, pour lesquels des licences ne sont délivrées que depuis juillet 1997. Comme cette
formule permet au téléspectateur de sélectionner et de payer à la carte, et donc d’effectuer
sa propre programmation, on peut se demander si un code est nécessaire. À défaut d’être
régis par un code, les détenteurs de licences de services de vidéo sur demande pourraient
toutefois incorporer à leurs vidéothèques toutes sortes de titres à caractère violent. Il
faudrait peut-être, dans ce cas, que les parents surveillent ce que leurs enfants
sélectionnent.
Pour les composantes de l’industrie qui se servent de codes sur la violence à la
télévision, les codes existants ne sont pas sans soulever des critiques. Certains défenseurs des
libertés civiles affirment que ces codes sont remplis de contradictions internes et exigent la sagesse
de Salomon pour être utilisés efficacement. Certains scripteurs et d'autres qui participent à la
création d'émissions font valoir que de tels codes entravent leur liberté d'expression et gênent leur
créativité.
Si l’on fait abstraction des critiques, les tentatives de réglementation concertée de la
violence à la télévision du CRTC, fondées sur des codes et des systèmes de classification élaborés
par l'industrie elle-même, pourraient présenter certains avantages par rapport à une réglementation
sous forme de textes réglementaires de conception gouvernementale. Ces codes renferment des
lignes directrices générales et imposent des règles suffisamment souples pour permettre aux
détenteurs de licences de télédiffusion de faire intervenir leur expérience, leur jugement et leur bon
sens au moment de prendre des décisions en matière de programmation. Les systèmes de
classification laissent aussi une certaine marge puisqu’ils permettent aux téléspectateurs de juger
eux-mêmes des émissions appropriées. La souplesse inhérente à l’utilisation des codes et des
systèmes de classification pourrait être difficile à obtenir si l’on avait recours à des instruments
législatifs tels qu'un règlement officiel.
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5. Protection constitutionnelle de la liberté d'expression
La principale stratégie du CRTC pour combattre la violence à la télévision a été,
jusqu’à maintenant, d’inviter tous les intervenants à s’entendre sur une solution. Il a ainsi, par
exemple, rassemblé les membres de l’industrie, les groupes de parents et d’autres intéressées en
vue d’élaborer et d’appliquer des mesures visant à protéger les enfants contre les effets néfastes
de la violence à la télévision. Le Conseil a aussi incité l'industrie à mieux s'autoréglementer en
élaborant, par exemple, des codes sectoriels régissant la présentation de la violence à la
télévision.
Il approuve chaque code lorsqu'il est satisfait du contenu, puis en impose
l’application comme condition de délivrance d'une licence aux entreprises de télédiffusion
concernées.
Certains commentateurs juridiques, comme Paul Horwitz, ont fait valoir que le
procédé de réglementation du Conseil, bien que présenté comme de l’autoréglementation
volontaire, constitue une mesure coercitive de la part du gouvernement qui empiète sur le droit à
la liberté d'expression garanti par la Charte. Même si les codes actuels ne constituent pas une
ingérence gouvernementale suffisante pour que l'on invoque la protection de la Charte, le
Conseil pourrait adopter une approche plus interventionniste à l'avenir en imposant un règlement
(ce qu'il a fait valoir dans l'avis d'audience publique CRTC 1995-5 d'avril 1995) ou le
gouvernement pourrait choisir d'intervenir en légiférant sur la violence à la télévision. Toute
initiative de ce genre constituerait manifestement une mesure gouvernementale et la Charte
entrerait certainement en jeu.
L'alinéa 2b) de la Charte garantit à toute personne la « liberté de pensée, de
croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de
communication ».
Le Parlement et le gouvernement du Canada, avec ses organismes de
réglementation, ne peuvent violer cette liberté à moins de démontrer que l'empiétement en cause
constitue une limite raisonnable, prescrite par la loi, et dont la justification peut être démontrée
dans le cadre d'une société libre et démocratique
en d'autres termes, à moins qu'il n'en soit
exempté par l'article premier de la Charte.
La Cour suprême du Canada a jugé que toutes les formes d'expression sont
protégées par l'alinéa 2b), à l'exception possible de l'expression prenant la forme d'une violence
physique réelle. Ainsi, l'expression sous forme de film, de vidéo ou d’émission de télévision
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17
serait protégée par la Charte. De plus, toute expression, quelle que soit sa nature, est protégée,
même les formes odieuses telles que la propagande haineuse et la pornographie explicite.
L'alinéa 2b) de la Charte ne fait aucunement référence au contenu.
Étant donné l'interprétation faite par les tribunaux de l'alinéa 2b) de la Charte,
une initiative de réglementation de la part du CRTC ou une loi adoptée par le Parlement en vue
de contrôler la violence diffusée à la télévision serait clairement en contravention de la garantie
de liberté d'expression.
Ainsi, les tribunaux pourraient accepter que ce droit soit enfreint
uniquement si le gouvernement pouvait leur démontrer de façon convaincante que cette violation
est justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Or, il ne faut pas prendre à la légère la
tâche de convaincre les tribunaux. Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans
RJR-MacDonald c. Canada (l’arrêt de 1995 par laquelle elle déclarait inconstitutionnelle la loi
fédérale interdisant la publicité relative au tabac), il faut apporter des preuves concrètes si l’on
veut justifier une violation de la protection offerte par la Charte en matière de la liberté
d’expression. Ni la logique, ni l’intuition, ni le respect dû aux délibérations secrètes du Cabinet
ne suffira pour que le gouvernement puisse se décharger du fardeau de la preuve dans de telles
causes.
Voici certaines des questions que les tribunaux prendraient en considération au
moment de déterminer si une loi ou un règlement contrevenant à la Charte peut néanmoins être
accepté : Quel était l'objectif visé par le gouvernement en élaborant cette loi? Les moyens
choisis pour atteindre cet objectif sont-ils raisonnables et équitables? Y a-t-il des preuves
convaincantes d'un lien logique entre l'objectif visé et les moyens employés? La loi ou le
règlement est-il suffisamment clair? Quelles en sont les conséquences négatives?
MESURES PARLEMENTAIRES
La Loi sur la radiodiffusion et le Code criminel sont les deux principales lois
fédérales qui fournissent les moyens réels ou éventuels de réglementer ou d'interdire la
représentation de la violence à la télévision.
Outre ces textes de loi, d'autres initiatives
importantes prises par le gouvernement à l'égard de la violence à la télévision, par exemple des
rapports de comités et des énoncés de politique, sont résumées dans la section Chronologie qui
suit la présente section.
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A. Loi sur la radiodiffusion
À l'article 3 de la Loi sur la radiodiffusion (L.C. 1991, chap. 11), le Parlement a
établi une politique de radiodiffusion pour le Canada qui précise les objectifs du système de
radiodiffusion canadien. Ces objectifs sont les suivants : que le système de radiodiffusion
canadien serve à préserver, enrichir et renforcer le tissu social du Canada; que les émissions
provenant des entreprises de radiodiffusion respectent une norme élevée; et que tous les
détenteurs de licences de radiodiffusion soient responsables des émissions qu'ils diffusent.
L'article 5 exige que le Conseil réglemente et supervise tous les aspects du système de
radiodiffusion canadien et qu'il mette en oeuvre la politique de radiodiffusion établie aux termes
de la Loi. L'article 10 autorise le CRTC à élaborer des règlements, notamment à l'égard des
normes des émissions et de la répartition du temps d'antenne aux fins de mettre en oeuvre la
politique de radiodiffusion énoncée à l'article 3 de la Loi. Prises ensemble, ces dispositions
confèrent au CRTC le pouvoir et l'autorité requis pour réglementer et superviser les émissions
violentes à la télévision.
Par ailleurs, les pouvoirs de réglementation du Conseil ne sont pas illimités. La
Cour fédérale, Section de première instance, a établi que la Loi ne permettait pas au CRTC de
censurer le contenu d'émissions individuelles (National Indian Brotherhood c. Juneau (No 3),
[1971] C.F. 498, à la p. 516). En outre, à titre d'organisme gouvernemental, le CRTC est tenu,
dans l'exécution de ses fonctions, de respecter la Charte canadienne des droits et libertés, qui
protège, entre autres, le droit à la liberté d'expression.
B. Code criminel
La disposition du Code criminel (L.R.C. 1985, chap. C-46, art. 163) portant sur
l'obscénité interdit, entre autres choses, de produire, de distribuer, de vendre, d’exposer en public
et de posséder du matériel, y compris des films et des vidéos, qui sont « obscènes ». Pour que du
matériel soit considéré « obscène », il doit comporter un élément sexuel ― plus précisément,
l'exploitation abusive du sexe, ou du sexe et de l'un ou l'autre des éléments suivants, à savoir, le
crime, l'horreur, la cruauté et la violence. La violence seule, c’est-à-dire lorsqu'elle n'est pas
présentée simultanément à un acte sexuel, peu importe qu'elle n'ait aucune valeur sociale ou
culturelle dans le contexte, n'est pas « obscène » en vertu de la loi et n'est pas interdite. Des
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recommandations visant à modifier le Code criminel pour y intégrer des sanctions liées à la
représentation explicite d'une violence en soi abusive ont été formulées par un certain nombre de
comités fédéraux au fil des années, y compris le Comité d’étude spécial de la pornographie et de
la prostitution (1985) et les comités permanents des communications et la culture (1993) et de la
justice et les questions juridiques (1994) de la Chambre des communes. De même, une réforme
de la loi a été tentée dans le cadre du projet de loi C-19, un projet de loi omnibus déposé en
février 1984 et visant à modifier le Code criminel; ce projet de loi est mort au Feuilleton. Il
aurait supprimé le lien requis entre la violence et le sexe dans la disposition du Code portant sur
l'obscénité et aurait ajouté, à la définition de ce qui est obscène, l'exploitation abusive de la
violence dans des représentations avilissantes.
CHRONOLOGIE
juin 1952 -
Aux États-Unis, le sous-comité du commerce extérieur et
inter-États de la Chambre des représentants tient les premières
audiences du Congrès sur la violence à la radio et à la télévision
et ses répercussions sur les enfants et les jeunes.
31 décembre 1971 -
Le rapport du comité consultatif sur la télévision et le
comportement social du chef des services de santé des États-Unis
est rendu public; il débouche sur la conclusion qu'il y a un certain
lien entre le fait de voir de la violence à la télévision et le
comportement agressif de certains enfants.
1977 -
La Commission royale d'enquête de l'Ontario sur la violence
dans le secteur des communications publie un rapport dans lequel
elle établit un lien entre la violence dans les médias et l'incidence
des crimes violents dans la société.
16 octobre 1980 -
Le Comité sénatorial permanent de la santé, du bien-être et des
sciences, qui a étudié les expériences de la première enfance
comme cause d'un comportement criminel, recommande au
CRTC et à la SRC de prendre des mesures pour veiller à ce que
des normes élevées soient respectées dans les émissions pour
enfants.
1982 -
Le National Institute of Mental Health des États-Unis publie un
rapport de mise à jour du rapport de 1972 du chef des services de
santé des États-Unis sur la télévision et le comportement. Dans
ce rapport, on constate que la plupart des personnes des milieux
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de la recherche sont d'accord pour dire qu'il existe un lien entre la
violence présentée à la télévision et l'agression.
février 1985 -
Le Comité d'étude spécial de la pornographie et de la prostitution
recommande que le gouvernement fédéral accorde aux
publications violentes, en vertu du Code criminel, un traitement
semblable à celui prévu pour les publications sexuelles à
caractère obscène et que les provinces établissent un système
d'examen et de classification des vidéocassettes.
mai 1992 -
Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications
canadiennes (CRTC) rend publiques deux études sur la violence
(La violence à la télévision : état des connaissances scientifiques
et Synthèse et analyse des divers travaux relatifs à la violence à
la télévision) qu'il avait entreprises à la suite de l'assassinat de
quatorze femmes à l'École polytechnique de Montréal le
6 décembre 1989.
18 novembre 1992 -
Virginie Larivière, une jeune fille de quatorze ans de Montréal,
présente au gouvernement une pétition signée par plus de 1,2
million de Canadiens et demandant qu'une loi soit adoptée contre
la violence à la télévision. Au début de 1993, le nombre total de
signatures recueillies dépasse 1,3 million.
31 janvier 1993 -
Un brevet pour un dispositif permettant de bloquer la diffusion
d'émissions violentes à la télévision, appelé « V-chip », est
accordé à son inventeur, Tim Collings, de la
Colombie-Britannique.
19-20 février 1993 -
Le C.M. Hincks Institute, avec l'appui du CRTC, organise un
colloque à Toronto sur la violence à la télévision, qui donne
naissance au Groupe d'action sur la violence à la télévision. L'un
des principaux objectifs du Groupe est d'aider à concevoir un
système de classification pour les émissions télévisées.
19 février 1993 -
Le ministre fédéral des Communications, Perrin Beatty, annonce
une stratégie en cinq points pour résoudre la question de la
violence à la télévision, laquelle englobe un code de déontologie
applicable à l'ensemble de l'industrie, une campagne d'éducation
populaire, la collaboration des annonceurs, la coopération
internationale et un système de prix visant à signaler les
contributions louables dans ce domaine.
2 juin 1993 -
Le Comité permanent des communications et de la culture de la
Chambre des communes publie son rapport, intitulé La violence
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à la télévision : dégradation du tissu social, qui arrive à la
conclusion que la solution du problème nécessite l'intervention
de tous les intéressés, dont les parents, le gouvernement et
l'industrie, si possible de façon volontaire et avec une
intervention minimale sur le plan législatif.
7 juin 1993 -
Un sondage Gallup indique que 72 p. 100 des Canadiens
favoriseraient l'adoption d'une loi limitant la violence à la
télévision.
1er janvier 1994 -
Le code de l'Association canadienne des radiodiffuseurs visant à
réglementer la violence à la télévision, approuvé par le CRTC en
octobre 1993, entre en vigueur.
16 novembre 1994 -
Le Comité permanent de la justice et des questions juridiques de
la Chambre des communes dépose son rapport intitulé Rapport
sur les cartes et jeux de société (série noire) dans lequel il
recommande que les dispositions relatives à l'obscénité
contenues dans le Code criminel soient élargies afin d’interdire
l'importation, la distribution ou la vente de biens ou de matériels
dont la caractéristique dominante est l'exploitation ou la
glorification abusive de l'horreur, de la cruauté ou de la violence.
21 décembre 1994 -
Le CRTC approuve un code visant à réglementer la violence à la
télévision, élaboré par les fournisseurs de services de télévision
payante et de télévision à la carte au Canada.
8 février 1996 -
La Telecommunications Act de 1996 entre en vigueur aux
États-Unis, accordant à l’industrie une année pour établir un
système de cotation volontaire à l’égard des émissions de
télévision et exigeant des fabricants de téléviseurs qu’ils
installent dans les nouveaux appareils un système de puce
antiviolence.
14 mars 1996 -
Le CRTC annonce sa politique sur la violence dans les émissions
télévisées et fixe au mois de septembre 1996 le délai pour rendre
disponibles au Canada la technologie de la puce antiviolence et
un système correspondant de classification des émissions.
avril 1996 –
Le ministre de la Justice rend public un document de
consultation intitulé L’exploitation injustifiée de la violence.
Destiné à obtenir l’opinion du public sur la représentation
gratuite et excessive de la violence, le document vise à aider le
ministre à déterminer, entre autres, si des mesures
législatives ou autres s’imposent pour régler le problème.
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4 octobre 1996 -
Le CRTC reporte le délai au début de la programmation
d’automne 1997 pour la mise en marché de la technologie de la
puce antiviolence et l’introduction d’un système correspondant
de classification des émissions.
18 juin 1997 --
Le CRTC approuve le nouveau système de classification de la
violence dans les émissions de télévision proposé par le
Groupe d’action sur la violence à la télévision (GAVT).
L’engagement est pris de mettre la technologie de la puce
antiviolence à la disposition des consommateurs canadiens
dès que possible et, entre-temps, d’exiger l’affichage à l’écran
d’icônes indiquant la cote des émissions.
28 août 1997 -
Le GAVT dévoile les icônes que les diffuseurs et les services
spécialisés de langue anglaise devront utiliser, à compter de
septembre 1997, pour afficher les cotes attribuées à leurs
émissions.
BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE
Atkinson, Dave et Florian Sauvageau. Synthèse et analyse des divers travaux relatifs à la
violence à la télévision. Ottawa, Conseil de la radiodiffusion des télécommunications
canadiennes, mai 1992.
Comité consultatif scientifique du chef des services de santé des États-Unis sur la télévision et
comportement social. Television and Growing Up: The Impact of Televised Violence Report to the Surgeon General United States Public Health Service. Washington (D.C.),
Département de la Santé, de l'Éducation et du Bien-être social, 1971.
Comité permanent des communications et de la culture de la Chambre des communes.
Troisième rapport ― La violence à la télévision : dégradation du tissu social. 3e session,
34e Législature, juin 1993.
Freedman, Jonathan L. « Television Violence and Aggression: What Psychologists Should Tell
The Public ». Psychology and Social Policy. Peter Suedfeld and Philip Tetlock (éd.).
New York, Hemisphere Publishing Corp., 1992.
Horwitz, Paul. « Regulating TV Violence: An Analysis of the Voluntary Code Regarding
Violence in Television Programming ». University of Toronto Faculty of Law Review,
vol. 52, printemps 1994.
Huston, Aletha C. et al. Big World, Small Screen. Nebraska, University of Nebraska Press,
1992.
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Josephson, Wendy L. Étude sur les effets de la violence télévisuelle sur les enfants selon leur
âge. Ottawa, Patrimoine canadien, février 1995.
National Institute of Mental Health. Television and Behavior - Ten Years of Scientific Progress
and Implications for the Eighties. Washington (D.C.), Département de la Santé et des
Services humains des États-Unis et National Institute of Mental Health, 1982.
SITES WEB SUGGÉRÉS
Pour l’information affichée par le CRTC : http://www.crtc.gc.ca
Pour l’information affichée par le Réseau éducation-médias :
http://www.schoolnet.ca/medianet/