26-41 economie Liban-Syrie accords

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26-41 economie Liban-Syrie accords
économiesyrie-liban
Bilan des relations
économiques libano-syriennes
Carine Fernaini
Les entreprises et les familles libanaises et syriennes entretiennent des relations étroites
ancestrales qui ont dû s’adapter aux évolutions de l’histoire depuis l’annexion de la région
par l’Empire ottoman jusqu’au mandat français. Depuis leur indépendance, les trajectoires
économiques du Liban et de la Syrie n’ont cessé de se rapprocher et de s’éloigner
à nouveau, au gré des parcours politiques de chacun des deux voisins.
1946-1958 : UN PROCESSUS
D’AUTONOMIE CHAOTIQUE
Au départ de la France en 1946, si leurs
chemins se sont séparés, le Liban et la Syrie
sont restés économiquement siamois. Une
même monnaie – la livre libano-syrienne –
les liait. Une Commission mixte supranationale d’intérêts communs chapeautait les
douanes, les postes et les communications.
Cet organisme, doté de pouvoirs législatif et
exécutif importants, empêchait les deux pays
de voler de leurs propres ailes. Pourtant,
leurs habitudes économiques étaient et sont
toujours aujourd’hui profondément différentes : commerçant et maritime par tradition, le Liban favorise la libre entreprise et le
libre-échange. À la fin des années 1940, la
Syrie est davantage tournée vers l’intérieur
et a du mal à trouver sa voie après des
années sous autorité ottomane.
Ces divergences mettent à mal l’union douanière entre les deux pays. L’accord, conclu en
1945, prévoyait la levée des barrières douanières pour les produits libanais et syriens, l’uniformisation des tarifs sur les importations de
l’étranger et la coordination des politiques de
protection des industries locales. Mais cet
accord « généra des déséquilibres et des tensions dès les premières phases d’application »,
souligne le président du centre de recherche de
la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Beyrouth, Albert Nasr. Par exemple,
les Syriens souhaitaient maintenir les taxes sur
l’importation de la farine et du textile, alors
qu’elles pèsent lourd sur les revenus des
ménages libanais.
Très vite, des protestations s’élèvent dans
les milieux nationalistes beyrouthins contre
le déficit de la balance commerciale libanaise au profit de la Syrie. « C’était la Syrie qui
produisait et le Liban qui consommait »,
souligne l’économiste Youssef Chaitani dans
son ouvrage “Post-colonial Syria and
Lebanon : the decline of Arabnationalism
and the triumph of the State”.
Les deux pays échouent à uniformiser leurs
tarifs douaniers sur les importations et adoptent deux approches différentes face au secteur industriel : la Syrie opte pour un soutien
massif à l’industrie, tandis que le Liban se
focalise sur les services.
La mise en concurrence des deux pays pour
l’embouchure de l’oléoduc Tapline de la compagnie Aramco, qui devait s’étirer du golfe
Persique jusqu’à la Méditerranée, attise également les rancœurs. Ce dernier traverse la Syrie
sur 600 kilomètres, mais l’entreprise américaine choisit finalement Saïda comme port d’exportation vers l’Europe et les États-Unis.
26 - Le Commerce du Levant - Février 2010
La signature de l’accord monétaire de
1948 entre le Liban et la France est une
nouvelle cause de rupture entre les deux
voisins. La livre libanaise et la livre syrienne appartenaient à la zone franc, mais
restaient librement convertibles en livres
sterling à un taux garanti contre les dévaluations du franc. Après la Seconde
Guerre mondiale, la France se déclare
hors d’état de continuer d’assumer cette
garantie de change. L’accord de janvier
1948 libère la livre libanaise de ses liens
avec l’ancienne puissance mandataire et
du voisin syrien.
Damas décide alors également de faire de
même. Une catastrophe pour les marchands
libanais, car la devise syrienne devient non
convertible. « Le conflit monétaire a été
considéré par la plupart des gens comme le
coup de grâce, accélérant une séparation
devenue inévitable », note Youssef Chaitani.
À quelques exceptions près, le Liban n’impose plus aucune restriction sur les importations et finance son déficit commercial à travers l’exportation de services et les transferts de capitaux. Dans un système de change contrôlé, la Syrie veut au contraire économiser ses réserves de change en créant des
industries de substitution aux importations et
en favorisant les exportations.
Le décret 12 adopté par Damas en août
1948, qui assoit la mainmise du gouvernement sur le commerce et les transactions
financières extérieurs, est assorti d’un
embargo sur les marchandises à destination
du Liban. Le coup d’État de 1949 en Syrie
marque ensuite la fin de l’union douanière
entre les deux pays.
Le divorce économique est définitivement
prononcé en mars 1950. En cause, l’idée
évoquée par Damas d’une fusion totale des
deux économies. Cette perspective déplaît
fortement aux Libanais, jaloux de leur indépendance fraîchement acquise. Les répercussions ne se font pas attendre : la Syrie,
principal fournisseur de nourriture au Liban,
instaure une sorte de blocus aux frontières.
« Les graines étaient l’arme choisie par le
gouvernement syrien dans sa dispute monétaire avec le Liban, rapporte Youssef
Chaitani. Ces signes protectionnistes de la
Syrie n’étaient pas acceptables pour le
Liban, très attaché à sa culture entrepreneuriale et au principe du “laissez-faire”. »
La fermeture des frontières économiques de
la Syrie s’explique également par la concurrence déloyale des produits étrangers, certains très bon marché, qui transitaient par
les ports libanais. Selon Youssef Chaitani, les
coûts de production en Syrie étaient sept fois
supérieurs à ceux calculés aux États-Unis,
en Égypte et en Irak. « La fermeture du marché syrien a été un acte de souveraineté
pour protéger notre industrie », justifie
Mtanios Habib, ancien ministre du Pétrole du
régime d’Assad père et professeur d’économie.
Un accord a minima est finalement signé
entre les deux pays en 1953. Le texte
exempte une série de produits industriels et
agricoles de taxes douanières et impose des
tarifs minimums sur certains produits importés de l’étranger.
1958-1970 : LA SOCIALISATION
MASSIVE DE LA SYRIE L’ÉLOIGNE
DU MODÈLE LIBANAIS
Entre 1958 et 1961, l’adhésion de la Syrie à
la République arabe unie de Nasser popularise ce qu’on appelle à l’époque le “socialisme arabe” dans le pays et pose les bases de
l’orientation économique des cinquante
années à venir.
Au cours des années 1960, plus d’une centaine d’entreprises sont nationalisées, dont
des activités de distribution de pétrole et de
transformation de coton. Près de 70 % des
activités d’import-export passent également
sous la coupe de l’État. Le pays se dirige
vers une économie providence, axée sur les
classes populaires. Mais ce tournant déplaît
aux propriétaires terriens et au secteur privé,
qui font pression pour conserver leurs activités en l’état. Le gouvernement gèle alors les
nationalisations et leur laisse le champ libre
27 - Le Commerce du Levant - Février 2010
dans les secteurs de l’immobilier et la
construction. En 1963, le parti Baas prend le
pouvoir à Damas. Commence alors une
période de socialisation radicale de l’économie. Soutenu par des partisans majoritairement issus des classes rurales et populaires,
le parti adopte une politique économique inspirée du régime soviétique, dont l’État est
l’acteur principal. C’est de cette époque que
date la migration d’une partie importante de
la bourgeoisie syrienne vers le Liban où elle
s’implante durablement et y développe de
nouvelles affaires, avec, souvent, beaucoup
de succès.
De son côté, le Liban continue sa politique
de développement axée sur le commerce triangulaire et les services. En 1963, le “code
de la monnaie et du crédit” instaure la création d’une banque centrale à l’expiration du
privilège d’émission de la Banque de Syrie et
du Liban en 1964. Cet accord fait de la livre
libanaise la seule monnaie ayant pouvoir
libératoire au Liban, une décision contestée
par la Syrie. Le pays devient alors le refuge
pour les capitaux et les entrepreneurs de la
région, ce qui lui vaut le surnom de “Suisse
du Moyen-Orient”.
Dès 1969 en Syrie, une dette extérieure
galopante et une croissance en berne remettent la frange plus libérale du parti sur le
devant de la scène. Après 13 coups d’État
en 17 ans, la Syrie n’a toujours pas de politique économique claire. L’arrivée de économiesyrie-liban
Hafez el-Assad au pouvoir ouvre en 1970
l’ère du “infiraj” (détente), qui marque le
début de l’ouverture et le recentrage sur la
nation au détriment de la région arabe.
1970-1991 : L’INFIRAJ,
SELON HAFEZ EL-ASSAD
Le nouveau président tend la main au
secteur privé en facilitant l’octroi de
licences industrielles, en soutenant l’emprunt et en entamant la dérégulation des
secteurs commerciaux et industriels. Des
zones franches voient le jour à Tartous et
Alep, et de nombreuses restrictions sur
l’import-export sont assouplies. Un décret
de mars 1974 autorise les entreprises privées à contracter des emprunts auprès
d’investisseurs privés pour développer
leurs activités. En 1973, 32 % du commerce extérieur est contrôlé par le secteur privé, selon les conclusions de Syed
Aziz el-Ahsan dans son ouvrage
“Economic policy and class structure in
Syria : 1958-1980”. Néanmoins, la création d’un code pénal économique place
une épée de Damoclès au-dessus des
importateurs, qui risquent la prison au
moindre écart par rapport aux réglementations.
L’arrêt de l’activité du pipeline venant du
nord de l’Irak en 1976, qui était une large
source de devises étrangères en taxes de
transit depuis les années 1940, affecte les
finances du pays. Puis la détérioration du
niveau de vie des classes populaires, terreau politique du régime, pousse Hafez elAssad à revenir en 1977 aux recettes
éprouvées de l’économie socialiste, en
taxant lourdement les entreprises privées
tout au long des années 1980. La chute
des prix du pétrole assèche les revenus de
l’État, qui doit alors faire face à l’inflation
et une dette extérieure qui atteint 2,3 milliards de dollars en 1983. Entre 1982 et
1987, le PIB par habitant chute de 15 %.
Plutôt que de demander de l’aide aux institutions financières internationales, Assad
mise alors sur le secteur privé. Le gouvernement favorise les exportations à tous
prix, au détriment des besoins du pays.
Cette tendance va aboutir à la loi 10 de 1991
sur l’investissement, tournant dans l’histoire
économique syrienne.
Pendant que la Syrie cherche à accommoder
l’idéologie socialiste, l’économie libanaise
est de son côté en proie avec les affres de la
guerre. Destructions des infrastructures,
pertes matérielles et humaines, les forces
vives du pays sont atteintes. Le coup le plus
rude vient de la dévaluation monétaire dans
les années 1980 qui appauvrit des pans
entiers de la population. Bien que le secteur
privé ait continué de faire preuve d’un très
grand dynamisme tout au long du conflit,
l’économie en sort exsangue et le “modèle”
libanais doit être entièrement revu à la fin de
la guerre.
1991-2005 : TIMIDE OUVERTURE
SYRIENNE, UN LIBAN SOUS INFLUENCE
Au début des années 1990, l’impossibilité
du secteur public à générer suffisamment de
croissance pousse le régime de Hafez elAssad à sortir progressivement du modèle
d’économie dirigée (voir interview Jihad Yazigi
page 40). L’émergence d’une nouvelle bourgeoisie contribue par ailleurs à différencier les
acteurs économiques et politiques, auparavant étroitement liés. Les entrepreneurs libanais mettent alors le pied dans la porte. Ils
commencent à investir dans un marché économiquement vierge en termes de services et
où tout est à moderniser.
Au niveau macroéconomique, les relations économiques entre les deux voisins sont codifiées
dès 1991 par une série d’accords placés dans
le cadre du traité de fraternité, de coopération et
de coordination (voir page 30).
Au-delà de ce cadre global, les flux financiers entre les deux pays empruntent souvent des voies aux frontières de la légalité.
Trafics et prises d’intérêts dans diverses
activités illicites auraient rapporté jusqu’à un
milliard de dollars par an à la Syrie, selon un
rapport américain de 1992.
Pendant cette période de “reconstruction”
au Liban, les besoins de l’économie libanaise à l’égard de la Syrie (main-d’œuvre bon
marché, électricité, produits alimentaires…)
sont en phase avec les intérêts économiques
de la Syrie et sa volonté d’ingérence dans les
affaires libanaises.
DEPUIS 2005 : UNE NOUVELLE ÈRE ?
Arrivé au pouvoir en 2000, Bachar el-Assad
poursuit la désétatisation de l’économie
syrienne. Le jeune président « souhaite instaurer un changement radical rendu nécessaire par deux choses : la montée en puissance du chômage et la réduction des revenus pétroliers qui représentaient 70 % du
budget du gouvernement en 1991, contre
moins de 30 % aujourd’hui », explique Fuad
Lahham, directeur général de FL
Management Consultants à Damas.
28 - Le Commerce du Levant - Février 2010
Les flux financiers
entre les deux pays
empruntent
souvent
des voies
aux frontières
de la légalité
Le président transfère peu à peu la prise de
décision au ministère des Finances et à la
Banque centrale. En 2005, le 10e Congrès du
parti Baas lance officiellement le processus de
transition visant à passer d’une économie planifiée à une économie “sociale de marché”. Ce
signe d’ouverture reste toutefois limité, car le
processus est freiné par les blocages et les
lenteurs de l’administration syrienne.
Parallèlement, au Liban, 2005 marque la fin de
l’occupation syrienne. Les tensions politiques
entre les deux pays paralysent le Haut Comité
syro-libanais et entraînent des mesures de
rétorsion à la frontière. Cela se traduit par une
chute des échanges commerciaux entre 2005
et 2006. Mais l’année suivante, le volume
d’importations et d’exportations entre les deux
pays a dépassé son niveau de 2005, et il n’a
cessé d’augmenter depuis. En juillet 2008, le
Syria Report soulignait que « les échanges
commerciaux bilatéraux ont en réalité augmenté après la mort en février 2005 de Rafic Hariri.
En 2007, ils ont atteint un niveau inégalé
depuis seize ans ».
L’implantation d’entreprises libanaises en
Syrie augmente : banques, assurances et
entreprises de services du pays du Cèdre
occupent une place de choix sur la place
de Damas. Les spécialistes voient le libéralisme économique du Liban comme une
soupape de sécurité indispensable au régime
de Damas pour freiner la sortie de son système autocentré et ainsi conserver une certaine
stabilité sociale. « Le taux de chômage officiel est aujourd’hui d’environ 15 %, mais
le chômage réel est plutôt de l’ordre de
54 % », s’inquiète Mtanios Habib, qui
n’ose pas imaginer la situation si le pays
s’ouvre trop vite à l’économie de marché.
En parallèle, la Syrie apparaît aux entrepreneurs libanais comme un marché naturel
pour leur expansion géographique. Si elles
n’ont jamais été complètement rompues,
même au plus fort des tensions politiques,
les relations économiques et commerciales
entre les deux voisins sont désormais en
phase d’intensification. C
économiesyrie-liban
Fraternité, coopération et coordination
Du traité à la réalité
Sahar al-Attar
epuis la fin de la guerre civile, les
relations entre le Liban et la Syrie
sont régies par le traité de fraternité,
de coopération et de coordination, signé le
22 mai 1991 à Damas par les présidents
Élias Hraoui et Hafez el-Assad. Selon le
deuxième article de ce traité, les deux
États sont tenus de « coopérer et coordonner leur action dans les domaines de l’économie, de l’agriculture, de l’industrie, du
commerce, des transports et communications et des douanes, entreprendre des
projets communs et coordonner leurs plans
de développement ».
Pour réaliser cet objectif, le traité prévoit
la création d’un haut conseil syro-libanais, composé des présidents, des
Premiers ministres, des vice-Premiers
ministres et des présidents de la Chambre
des deux pays. Cet organe, qui doit se
réunir une fois par an et dont les résolutions ont force obligatoire, est assisté par
les commissions ministérielles (se réunissant tous les deux mois), ainsi que par un
secrétariat général basé à Damas et dirigé par Nasri Khoury.
Du traité de fraternité découleront une quarantaine d’accords bilatéraux et plus de
quatre-vingts protocoles, contrats, memorandums d’entente et autres outils de coopération, couvrant tous les aspects des relations entre les deux pays.
Au niveau économique, un accord-cadre est
conclu en 1993, consacrant le principe de la
liberté de circulation des hommes, des marchandises et du capital, en vue de l’établissement d’un marché commun. Une dizaine
d’autres accords suivront. Pas un domaine
ne sera dispensé : industrie, agriculture,
transport maritime, aérien et ferroviaire, travail, tabac, électricité, eau, fiscalité, poste,
télécommunications, investissements…
En théorie, la coopération entre pays voisins est un objectif louable, à condition
d’avoir été négociée dans l’intérêt des
deux États. Or, le pouvoir de négociation
D
La signature du traité de fraternité, de coopération et de coordination, le 22 mai 1991 à Damas par les présidents Élias Hraoui et
Hafez el-Assad.
de la partie libanaise était sérieusement
limité à l’époque, ne serait-ce que par la
présence des soldats syriens sur le sol
libanais.
Un acteur des négociations se souvient de
comment se déroulaient les réunions : « La
plupart du temps, la délégation libanaise
arrivait à la table sans aucune préparation et
repartait après avoir paraphé un texte entièrement élaboré par les Syriens. »
Ce déséquilibre dans le rapport de force
s’est fait notamment sentir dans l’accord sur
le partage des eaux de l’Oronte, signé en
1994. Avant d’être amendé en 2002, le
texte privilégiait clairement les intérêts
syriens.
Cette époque est-elle révolue ? Le gouvernement actuel veut le croire. Cinq ans
après le retrait des troupes syriennes, l’État libanais s’estime en mesure de
(re)négocier avec son voisin. Après sa
visite à Damas, le Premier ministre Saad
Hariri a demandé aux membres du gouvernement de se pencher sur les accords
libano-syriens relevant de leurs compétences. Des pourparlers avec les autorités
syriennes devraient commencer à partir
de mars, en principe.
Le travail de préparation est loin d’être ter30 - Le Commerce du Levant - Février 2010
miné. Mais selon une source ministérielle,
le Liban ne réclamera sans doute pas la
révision d’accords à caractère économique. « En général, les textes sont équitables et respectent le principe de réciprocité.
Les problèmes se situent surtout au niveau de
l’application. C’est de cela que nous parlerons
avec les Syriens », explique-t-elle.
Quand les textes sont appliqués, et ce
n’est pas le cas de tous, ils ne le sont que
partiellement. Dans les accords de coopération industrielle et agricole, par
exemple, seul le volet relatif à l’abaissement des droits de douane a été mis en
œuvre. Le rapprochement prôné au
niveau des politiques sectorielles des
deux pays ainsi que l’appel à entreprendre des projets communs sont restés
lettre morte.
Ce manque de coordination a produit des
effets indésirables, comme l’a expliqué
Georges Corm lors de son intervention à un
congrès sur les relations syro-libanaises
l’année dernière à Damas. « Les divergences croissantes au niveau des politiques économiques dans les deux pays ont
engendré une grande différence dans la
structure des prix, des rémunérations et
des salaires entre les économies libanaises
et syriennes. Cela a eu des répercussions
négatives », a souligné l’ancien ministre
des Finances, en citant la contrebande,
l’afflux massif d’ouvriers syriens sans
couverture sociale et le coup porté à la
compétitivité des produits libanais par la
politique de subventions agricoles et
industrielles en Syrie. Inversement, les
banques libanaises ont longtemps profité
de la faiblesse du secteur bancaire syrien.
Mais « depuis la libéralisation partielle, les
banques libanaises sont présentes en Syrie
en partenariat avec le secteur privé syrien.
C’est un premier pas vers une complémentarité saine », a-t-il ajouté. Cette situation
reste toutefois exceptionnelle.
L’ancien ministre des Finances s’est ainsi
étonné que les secteurs productifs libanais
et syriens n’aient pas profité davantage
de l’écart dans la structure des coûts
entre les deux pays pour accroître leur
compétitivité. Il a cité le cas des producteurs de vin libanais qui importent des raisins syriens. Mais « dans l’industrie textile,
qui s’est pratiquement effondrée au Liban en
raison de la concurrence asiatique, je ne suis
pas au courant d’un partenariat libanosyrien, ni dans le secteur pharmaceutique en
plein développement en Syrie contrairement
au Liban », a-t-il déploré.
Pourtant le contexte est favorable à des partenariats, car les différences dans les orientations économiques des deux pays tendent
à s’estomper, note pour sa part le directeur
du centre de recherche de la Chambre de
commerce, d’industrie et d’agriculture de
Beyrouth, Albert Nasr. « Au Liban, la vision
d’une économie complètement dépendante
des services fournis à la région est remise en question », affirme-t-il, en soulignant l’érosion de la compétitivité du
Liban au niveau du commerce triangulaire
et des services financiers, en raison de
l’émergence d’autres acteurs régionaux,
comme Dubaï.
Pour assurer une croissance durable, le
Liban devra encourager aussi ses secteurs
industriel et agricole.
De son côté, la Syrie a avancé sur la voie de
la libéralisation. Mais son industrie, comme
celle du Liban, a besoin de capter davantage
de marchés à l’export, à travers les économies d’échelle, les technologies et l’amélioration de la qualité.
« Les différences de conceptions, d’aspirations et de politiques, qui avaient mis les
Le Premier ministre Saad Hariri avec le président syrien
Bachar el-Assad, lors de sa visite à Damas.
deux économies sur des voies divergentes,
n’ont pas résisté à quatre décennies d’évolution économique : les économies
syriennes et libanaises doivent relever
aujourd’hui les mêmes défis », conclut
Albert Nasr. C
Une longue liste de textes bilatéraux
Accords à caractère économique :
- Accord de coopération et de coordination
économique et social (Beyrouth 1993).
- Accord sur la circulation des personnes et
des biens (Beyrouth 1993).
- Accord de coopération et de coordination
dans le domaine agricole (Beyrouth 1993).
- Accord sur la distribution des eaux de
l’Oronte (Damas 1994).
- Accord bilatéral sur le travail (Beyrouth
1994).
- Accord sur la double imposition et l’évasion fiscale (Damas 1997).
- Accord sur la promotion et la protection
des investissements (Damas 1997).
- Accord sur l’établissement de postes frontières communs (Damas 1997).
- Accord sur la navigation maritime commerciale (Damas 1999).
- Accord sur les principes de livraison et de
vente de gaz brut entre le Liban et la Syrie
(Beyrouth 2001).
- Accord bilatéral sur la connectivité électrique (Beyrouth, 2001).
- Accord sur les services aériens (Damas,
2001).
- Accord de partage des eaux du Nahr elKébir (Beyrouth 2002).
- Accord de coopération douanière (Damas
2004).
- Accord sur le transport aérien (Beyrouth
2004).
- Accord pour faciliter la création de compagnies maritimes communes (Beyrouth 2004).
- Accord de création d’une compagnie libano-syrienne pour les industries du tabac
(Beyrouth 2005).
Exemples de protocoles
et mémorandums d’entente :
- Protocole de coopération industrielle
(Damas 1993).
- Protocole de coopération végétale et animale (Damas 1993).
- Contrat d’approvisionnement électrique du
village libanais de Tufayl (Damas 1995).
- Accord de création du Conseil des affaires
syro-libanais (Damas 1995).
- Protocole de coopération sur les services
postaux (Damas 1995).
- Accord de coopération entre les Chambres
d’industrie de Damas et d’Alep, et l’Association
31 - Le Commerce du Levant - Février 2010
des industriels libanais (Damas 1998).
- Accord de coopération dans le domaine
des télécommunications (Beyrouth 1999).
- Mémorandum d’entente entre Syrian Arab
Airlines et Middle East Airlines (Beyrouth
1999).
- Accord entre les deux ministères de
l’Industrie sur les certificats d’origine
(Damas 2000).
- Accord de fraternité et de coopération
entre les ports de Tartous et de Tripoli
(Tartous 2002).
- Accord de fraternité et de coopération
entre les ports de Lattaquié et de Beyrouth
(Lattaquié 2002).
- Mémorandum d’entente sur l’unification
des principes de transport de marchandises
des camions libanais, syriens et jordaniens
(Beyrouth 2002).
- Protocole de coopération dans le domaine
de l’exploration de gaz et de pétrole (Damas
2002).
- Mémorandum d’entente sur l’échange
d’informations financières relatives au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme (2006).
économiesyrie-liban
Commerce : l’accès au marché syrien limité
par les obstacles non tarifaires
S. A.
ans le cadre de l’accord de coopération économique signé en 1993, le
Liban et la Syrie se sont engagés à
libéraliser progressivement leurs échanges
commerciaux dans l’objectif d’établir, à
terme, un marché commun.
Cela s’est traduit par une baisse graduelle
des tarifs douaniers à partir de 1999. Les
droits de douane sur les produits industriels
ont été réduits de 25 % par an, tandis que
les droits sur les produits agricoles ont baissé de 50 % en 1999, puis de 10 % par an.
Les barrières tarifaires ont ainsi disparu pour
la grande majorité des produits échangés
entre les deux pays, mais d’autres obstacles
demeurent.
« Le Liban a toujours opté pour un régime libéral et l’accord de libre-échange avec la Syrie
n’est qu’un accord parmi tant d’autres conclus
ces 20 dernières années », note le directeur
du centre de recherche de la Chambre de
commerce, d’industrie et d’agriculture de
Beyrouth (CCIAB), Albert Nasr.
La Syrie, en revanche, a longtemps pratiqué
D
Pour Fadi Abboud (interrogé en tant que président de l’Association
des industriels), « il reste de nombreuses barrières non tarifaires,
notamment certaines taxes qui peuvent majorer les prix des
produits libanais en Syrie de l’ordre de 20 % ».
une politique protectionniste. Le régime commercial syrien s’est certes beaucoup assoupli
ces dernières années, mais les autorités
continuent de protéger des secteurs-clés. « Il
reste de nombreuses barrières non tarifaires,
notamment certaines taxes qui peuvent majorer les prix des produits libanais en Syrie de
l’ordre de 20 % », déplore Fadi Abboud (interrogé en tant que président de l’Association
des industriels, avant de devenir ministre du
Tourisme). Dans un rapport élaboré en 2008,
la CCIAB a identifié des dizaines d’obstacles
côté syrien, allant des autorisations d’importation aux mesures de sauvegarde, en passant
par les monopoles publics d’importation de
certains produits, la priorité accordée à la production locale dans les appels d’offres… etc.
« Je me souviens que lors du dernier round
de négociation commerciale tenu en 2005,
le ministre syrien du Commerce a souligné
que son pays était engagé sur la voie des
réformes. Mais il a prévenu que cela prendra
du temps et qu’il n’y aura pas d’ouverture
totale du marché avant que le processus
n’ait abouti », raconte Albert Nasr.
Les commerçants libanais déplorent également la complexité des démarches administratives et la lenteur des formalités douanières en Syrie.
« Aujourd’hui ça prend du temps et ça coûte
donc de l’argent d’exporter en Syrie,
explique le PDG d’une société de transports,
Mourad Aoun. D’un côté, il y a le problème
de la bureaucratisation et du manque d’informatisation des autorités syriennes, et cela
n’a rien à voir avec les produits libanais en
particulier. De l’autre, il y a eu les tensions
politiques entre les deux pays qui ont parfois
entraîné des mesures de rétorsion aux frontières et qui ont surtout gelé la coopération
entre les deux parties. »
Mais ces obstacles n’ont pas empêché les
produits libanais de percer sur le marché
voisin, du moins dans les chiffres. Alors que
la Syrie s’est placée à la 17e place sur la
liste des fournisseurs du Liban en 2008, elle
a été le quatrième marché le plus important
pour les produits locaux.
Selon les douanes libanaises, depuis 1993
les exportations vers la Syrie ont plus que
quadruplé. Sur les onze premiers mois de
32 - Le Commerce du Levant - Février 2010
2009, dans un contexte de crise mondiale,
les exportations vers la Syrie ont baissé de
seulement 1,95 % par rapport à la même
période de 2008, contre une baisse des
exportations totales du pays de 3,28 % sur
un an.
Les exportations libanaises vers la Syrie sont
toutefois surestimées, car les chiffres des
douanes incluent le transit et le réexport,
souligne Fadi Abboud.
Parallèlement, les importations de Syrie
n’ont cessé de reculer depuis 2003. Sur
les onze premiers mois de 2009, la valeur
des produits importés du pays voisin a
baissé de 17,7 % par rapport à la même
période de 2008, tandis que l’ensemble
des importations libanaises a reculé de
seulement 0,93 %. En termes relatifs, la
part de la Syrie dans le total des importations du Liban est passée de 4,55 % en
2000 à 1,7 % en 2008.
La tendance baissière pourrait s’expliquer
par le tarissement des ressources pétrolières
syriennes, tandis que le tissu industriel local
est sous-développé. « La production syrienne pâtit de problèmes de qualité, ou du
moins d’une perception négative de la part
des consommateurs libanais », souligne un
homme d’affaires syrien.
Mais pour Fadi Abboud, les importations
mesurées par les douanes libanaises sont
loin de refléter la réalité. « Les exportateurs
syriens minorent les factures pour payer
moins de TVA. En ce qui concerne les produits de consommation courante, la réalité
est cinq fois plus importante, en valeur »,
affirme-t-il. Et c’est sans compter la contrebande (voir page 39), ni les achats de particuliers évalués à environ 90 millions de dollars par an.
Sur les onze premiers mois de 2009, le taux
de couverture des importations de la Syrie
par les exportations vers la Syrie a été de
96,2 % contre un taux de 21,5 % pour l’ensemble des échanges commerciaux du
Liban. Dans les chiffres, la Syrie est donc
l’un des rares partenaires avec lesquels le
Liban entretient des relations relativement
équilibrées. Mais dans la réalité, il est difficile de savoir dans quel camp penche vraiment la balance. C
économiesyrie-liban
Partage des eaux fluviales :
des accords controversés
S. A.
e Liban et la Syrie partagent deux
fleuves : l’Oronte appelé Nahr el-Assi (le
rebelle en arabe parce qu’il coule du Sud
vers le Nord contrairement à tous les autres
fleuves du Moyen-Orient) et le Nahr el-Kébir.
L’Oronte, qui prend sa source dans la région
du Hermel au Liban avant de traverser la
Syrie et de déboucher en Méditerranée via la
Turquie, est un fleuve important pour la
Syrie. Son exploitation est prioritaire pour
l’eau potable, notamment pour alimenter la
ville de Hama, et pour l’irrigation de nombreuses cultures dans les plaines syriennes.
Au Liban, en revanche, son utilisation s’est
longtemps limitée à la pisciculture et à des
petites parcelles irriguées par des forages
localisés dans la région de Kaa, souligne le
directeur général des Ressources hydrauliques et électriques, Fadi Comair, dans son
ouvrage “Gestion et hydrodiplomatie de l’eau
au Proche-Orient”.
Les négociations sur le partage de ces ressources ont commencé dès les années
1940. Le Liban réclamait alors 126 millions
de mètres cubes sur les 400 millions que
compte en année moyenne le débit de
l’Oronte, tandis que la Syrie ne souhaitait en
concéder que 60. Un accord est signé
soixante ans plus tard, dans un contexte de
mainmise syrienne sur le Liban. En 1994, le
ministre de l’Énergie et de l’Eau de l’époque,
Élias Hobeika, signe un texte accordant à l’État libanais un droit de prélèvement de 80
millions de m3/an, répartis par périodes, à
condition que le débit du fleuve soit supérieur à 400 mm3. Si le volume est inférieur à
400 mm3, le Liban ne bénéficie que de 20 %
du débit annuel.
Cet accord a été dénoncé par certains experts
ainsi que par le patriarche maronite comme
allant à l’encontre des intérêts libanais.
« Un tiers des quantités sont allouées au
Liban en période d’hiver donc hors période
d’irrigation, explique Fadi Comair dans son
ouvrage. Le texte ne dit rien concernant les
infrastructures de stockages comme les barrages de dérivations ou d’accumulation pour
exploiter la quote-part libanaise au printemps et en été, lorsque l’irrigation est
nécessaire à l’agriculture. »
Les négociations reprennent donc en 1999.
L
La partie libanaise réclame l’introduction des
principes de la convention internationale des
Nations unies sur le partage des cours d’eau
internationaux de 1997, ratifiée par les
Parlements libanais et syrien : utilisation
équitable et raisonnable de l’eau, obligation
de ne pas causer de dommages significatifs, coordination entre pays riverains, protection de la qualité de l’eau, etc.
Le Liban exige également le droit de
construire un barrage de dérivation et une
station de pompage directement auprès des
sources de Aïn Zarka et Daffash, ainsi qu’un
barrage de stockage en amont du pont de
Hermel. Ces projets devaient permettre d’irriguer une superficie de 7 000 hectares dans
la région pauvre du Hermel et de produire
jusqu’à 50 mégawatts d’électricité hydraulique. Malgré la réticence de la Syrie à
accorder au Liban le contrôle du débit en
amont du fleuve, un nouveau texte est signé
en 2002. En plus des 80 millions de mètres
cubes, le Liban obtient 16 millions supplémentaires correspondant aux eaux extraites
par les forages réalisés avant la signature de
l’accord. « Nous sommes passés d’un
accord perdant-gagnant à un accord
gagnant-gagnant », affirme Fadi Comair, l’un
des principaux acteurs des négociations.
Mais certains chercheurs, comme le profes34 - Le Commerce du Levant - Février 2010
seur à l’Université libanaise Issam Khalifé,
réfutent cette affirmation et réclament une
reprise des négociations sur de nouvelles
bases.
« Il est clair que les discussions entre les présidents Assad et Frangié dans les années 1970
avaient lieu sur des bases plus équitables,
puisque le rapport des forces n’était pas le
même, tempère Moussa Nahmé, professeur à
l’AUB. Mais au lieu de réclamer aujourd’hui des
quantités supplémentaires, il faudrait s’interroger sur ce qu’ont fait les autorités libanaises des
quantités allouées. » Rien.
Car aucun barrage n’a encore vu le jour côté
libanais, tandis que la Syrie a entrepris tous
les aménagements nécessaires pour exploiter les eaux de l’Oronte.
Ces barrages étaient prévus dans le cadre de la
stratégie décennale de l’eau de l’État libanais,
financée par le budget et programmée pour
2000 à 2010. Mais cette stratégie est sans
cesse reportée faute de financements et d’intérêt pour les projets hydrauliques.
Les travaux du barrage de dérivation avaient
pourtant débuté quelques mois avant la
guerre de juillet. Le chantier dont le coût
s’est élevé à 27 millions de dollars a subi des
dégâts importants durant l’offensive israélienne. La société chinoise en charge du projet a réclamé au Haut Comité de secours économiesyrie-liban
800 000 dollars d’indemnités, sans succès.
La compagnie a donc porté plainte et réclame désormais plus de quatre millions de dollars de dédommagements. En attendant le
chantier est au point mort.
Quant au deuxième projet, le barrage de
stockage, il vient d’être envoyé pour adjudication. Initialement prévu en juin 2007 pour
39 millions de dollars, ce barrage devrait
désormais coûter 135 millions de dollars.
Le scénario est quasi identique en ce qui
concerne le fleuve Nahr el-Kébir. Alors que,
de son côté de la frontière, la Syrie a déjà
construit deux barrages sur ce fleuve, le
Nahr el-Kébir reste inexploité au Liban. Un
accord présenté par Fadi Comair comme un
« exemple de coopération entre deux pays
riverains » a pourtant été signé en 2002. Le
texte alloue 40 % des eaux au Liban et 60 % à
la Syrie, en fonction de la surface des bassins versants dans les deux pays. L’accord
prévoit également la construction d’un barrage financé par les deux parties à égalité,
alors que le Liban en profite davantage,
puisque la Syrie stocke déjà plus de la
moitié des eaux allouées dans les deux
barrages situés sur son territoire. Côté
libanais, ce barrage peut « augmenter la
surface irriguée dans la région du Akkar
d’environ 10 000 hectares », selon l’ouvrage de Fadi Comair.
Le coût initial du projet était estimé à 50 millions de dollars, dont la moitié devait être
assurée par le Liban.
Mais l’adjudication qui devait avoir lieu en
2005 n’a pas été signée par le ministre de
l’époque et la société ayant réalisée l’étude préliminaire réclame des indemnités
de 600 000 dollars. Le versement de cette
somme, qui doit être partagée entre le Liban
et la Syrie, doit encore faire l’objet d’un
accord entre les deux parties. C
Transport ferroviaire :
deux anciens projets à nouveau sur les rails
S. A.
n 2002, les ministres libanais et syrien
des Transports ont posé la première
pierre d’un projet conjoint de réhabilitation d’une ligne ferroviaire de 36 kilomètres
reliant le port de Tripoli au village frontalier de
Abboudiyé, tête de ligne du réseau syrien. Mais
le projet n’a jamais été mis en chantier.
Il a été réactivé cinq ans plus tard, au
moment de la reprise des travaux de modernisation du port de Tripoli. Fin 2007, le
Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) a donc été chargé de trouver
les 35 millions de dollars nécessaires au
projet, qui prévoit le remplacement d’une
ancienne ligne à large voie par une ligne
moderne aux normes internationales. Un
train électrique devrait ainsi permettre de
relier les quais du port de Tripoli au réseau
ferroviaire syrien (lui-même connecté aux
réseaux turc, jordanien et iranien), à une
vitesse de 160 kilomètres par heure.
« Cette ligne contribuerait à relancer l’activité de transit du port de Tripoli, notamment
vers l’Irak, au moment où les ports de
Tartous et Lattaquié commencent à être
saturés », souligne une source informée.
Selon l’accord libano-syrien, la nouvelle ligne
sera la propriété de l’Office des chemins de fer
et du transport en commun libanais (OCFTC)
mais les travaux seront exécutés par l’Office
des chemins de fer de Homs. Ce dernier sera
éventuellement appelé aussi à exploiter la
ligne, étant donné le manque de savoir-faire
côté libanais. L’OCFTC compte en effet une
vingtaine d’employés, uniquement chargés de
protéger les propriétés de l’office.
E
Cérémonie de pose du dernier rail à Damas de la ligne Beyrouth-Damas inaugurée le 3 août 1895.
Le choix de cette formule, au détriment de
l’organisation d’un appel d’offres pour un
contrat BOT par exemple, a été déterminé
par « la nécessité de s’assurer la coopération syrienne, puisque le moindre problème
de l’autre côté des frontières peut paralyser
la ligne », explique la source précitée.
Selon l’étude de faisabilité réalisée par
l’OCFTC, cette ligne pourrait rapidement
devenir rentable et pourrait à terme être
reliée à Chekka.
Encore faut-il trouver les financements.
L’année dernière, le ministre Ghazi Aridi
avait déclaré être en contact avec le Fonds
koweïtien pour le développement à ce propos, mais pour le moment aucune annonce
officielle n’a eu lieu. Une fois les fonds levés,
36 - Le Commerce du Levant - Février 2010
les travaux devraient durer 18 mois.
En attendant, un autre projet est également
sur les rails. Il s’agit de réhabiliter une petite
voie d’environ 17 kilomètres reliant Riyak,
dans la Békaa, à la ville frontalière de
Serghaya en Syrie, elle-même reliée à
Damas. Contrairement à la ligne TripoliAbboudiyé, essentiellement à caractère
commercial, ce projet vise plutôt le transport
de passagers. La vitesse du train, à vapeur,
ne dépassera pas les 40 kilomètres par
heure. Les travaux seront également menés
par l’Office des chemins de fer syrien et
financés par le Trésor libanais. Le coût du
projet est estimé à environ un million de dollars. Selon la source précitée, trois kilomètres
de rails ont déjà été réhabilités. C
économiesyrie-liban
Les ouvriers syriens,
une main-d’œuvre bon marché
S. A.
es Syriens sont incontestablement la
main-d’œuvre étrangère la plus importante au Liban. Combien sont-ils actuellement ? Difficile à dire. Théoriquement, selon
l’accord bilatéral signé en 1994, les Syriens doivent obtenir un permis de travail annuel, ou un
titre temporaire pour les travailleurs saisonniers.
Or, l’Administration centrale de la statistique n’a
recensé que 275 nouveaux permis de travail
accordés à des Syriens et 370 permis renouvelés en 2008, contre plus de 15 000 permis
renouvelés à des Égyptiens. De son côté, la
direction de la Sûreté générale a comptabilisé
en 2008 plus de 2,5 millions d’entrées de ressortissants syriens et 2,09 millions de sorties.
C’est en se basant sur les chiffres de la Sûreté
générale (qui ne font toutefois pas de distinction
entre travailleurs et touristes, et ne permettent
pas de détecter les entrées multiples d’une
même personne) que des professeurs comme
Bassam el-Hachem ou Michel Morkos ont estimé la main-d’œuvre syrienne dans les années
90 à plus d’un million d’individus. Ces estimations avaient suscité un tollé général, alors que
le Haut Comité libano-syrien avançait le nombre
de 253 000 en 1998. Début 2005, Amnesty
International parlait de 400 000 à 600 000
ouvriers syriens.
Selon différentes sources, aujourd’hui ils
seraient environ 300 000 à travailler au Liban,
avec ou sans carte de séjour temporaire, sans
permis de travail, sans couverture sociale, dans
des logements insalubres. « Leur nombre a
clairement baissé d’abord grâce à une amélioration des conditions économiques en Syrie,
explique le professeur à l’Université libanaise
Bassam el-Hachem. Il y a aussi la disparition de
la “voie militaire” par laquelle passaient beau-
L
coup de Syriens sans aucun contrôle. »
Il y a quelques années, les Syriens pratiquaient
tout genre de métiers : vendeur ambulant,
coursier, pompiste, employé de supermarché,
gardien d’immeuble… Aujourd’hui leur présence semble davantage limitée à quelques secteurs qui continuent de profiter, voire d’abuser, de cette main-d’œuvre bon marché. « 85
à 90 % des ouvriers non qualifiés sur les chantiers sont syriens », reconnaît un entrepreneur
libanais. Leurs salaires ont été tirés vers le haut
par le boom de la construction dans la région,
mais ils restent avantageux. « Autrefois, nous
payions 8 à 9 dollars par jour. Aujourd’hui, un
Syrien est rémunéré entre 12 et 15 dollars,
contre 20 dollars minimum pour un Libanais, si
on en trouve », poursuit-il.
Le mode de recrutement est simple, « nous
négocions avec des “chefs de gang”, qui représentent des villages entiers en Syrie », explique
l’entrepreneur.
Outre son prix imbattable, la main-d’œuvre
syrienne a l’avantage d’être “flexible”. N’étant
liés par aucun contrat de travail, ces ouvriers
sont embauchés puis renvoyés selon le taux
d’activité et les jours chômés ne sont évidemment pas payés. Cette flexibilité séduit également les exploitants agricoles qui cherchent une
main-d’œuvre saisonnière. Dans l’industrie, en
revanche, « les ouvriers syriens représentent
moins de 5 % de la masse salariale, car ils ne
sont pas stables. À peine formés, ils repartent
en Syrie », affirme Fadi Abboud (actuel ministre
de l’Industrie, il a été interrogé en tant que président de l’Association des industriels).
Les employés d’autres nationalités viennent le
plus souvent sous des contrats de trois ans,
mais ils ont l’inconvénient de coûter cher.
« Pour un Égyptien, l’entreprise doit payer
490 000 livres pour le permis de travail,
400 000 livres pour la carte de séjour,
130 000 livres le contrat chez le notaire,
300 000 livres d’assurance, 900 000 livres
pour la CNSS, 1 000 dollars de dépôts à la
Banque de l’habitat et le coût de la procédure
qui est de 300 dollars », détaille Fadi Abboud.
Soit un total de plus de 2 700 dollars.
La régularisation de 300 000 travailleurs syriens
pourrait ainsi rapporter plus de 170 millions de
dollars par an au Trésor libanais en permis de
travail et de séjour, sans parler de la CNSS et
des impôts sur le revenu.
Au-delà de l’aspect financier, « ce n’est pas
normal qu’un pays ne puisse pas réguler la
main-d’œuvre étrangère sur son territoire grâce
aux permis de travail », estime Bassam elHachem.
La Syrie, en revanche, n’hésite pas à intervenir
dans ce domaine, comme en témoigne la décision récente des autorités de limiter le taux
d’emploi des étrangers dans les banques
syriennes à 3 %, une décision qui a notamment
touché des Libanais.
Mais une régularisation de la main-d’œuvre
syrienne au Liban signifierait la fin du privilège
accordé à nos voisins par rapport aux autres
travailleurs étrangers. Pour justifier ce privilège,
l’argument le plus souvent avancé est celui de
la compétitivité de l’économie libanaise, dopée
par la main-d’œuvre syrienne, très bon marché
et corvéable à merci. Cela était peut-être vrai à
l’époque où l’agriculture libanaise avait un
poids.
Selon une étude réalisée en 2008 par InfoPro,
75 % des Syriens au Liban travaillent dans le
bâtiment, un secteur dont la contribution globale à la compétitivité de l’économie est faible.
Pour les professionnels du secteur, une régularisation augmenterait les coûts de construction,
« mais ce ne serait pas catastrophique, surtout
que les ouvriers du bâtiment ne bénéficient pas
de la CNSS, affirme l’un d’entre eux. J’emploie
aujourd’hui quelques Indiens sur le chantier qui
me coûtent 14 à 15 dollars par jour à cause des
permis de travail et de séjour, contre 12 à 13
dollars au noir ».
En fermant les yeux, les autorités libanaises
incitent donc les entrepreneurs à recruter des
Syriens, alors que ces derniers consomment
très peu au Liban, renvoyant la quasi-totalité de
leurs salaires en Syrie.
Le régime baasiste a donc tout intérêt à conserver cet avantage. Dans un article publié en
2007, le chercheur Fabrice Balanche affirme
qu’« une année normale, c’est-à-dire sans
guerre ou dépression économique au Liban, les
remises des travailleurs syriens provenant du
Liban peuvent être estimées approximativement
à un milliard de dollars ». « Selon les années,
ce sont entre 10 et 15 % des actifs syriens qui
travaillent au Liban. Sans le Liban, le chômage
passerait en Syrie de 20 % à plus de 30 % de
la population active », ajoute-t-il.
Depuis 1991, tous les ministres du Travail libanais étaient d’ailleurs membres de partis politiques proches de la Syrie… jusqu’à l’arrivée
récente de Boutros Harb. C
Les millions de la contrebande
S. A.
ans un rapport publié en 2007, des
experts onusiens chargés d’évaluer la
situation à la frontière libano-syrienne
(LIBAT – Lebanon Independant Border
Assessment Team) ont noté « qu’au cours des
presque 30 ans de présence et d’influence
syriennes au Liban, aucune mesure de sécurité
à la frontière n’a jamais été mise en œuvre.
Cette situation a (…) débouché sur la création
de réseaux politico-commerciaux des deux
côtés de la frontière qui n’étaient pas obligés de
respecter la législation sur la circulation des
biens ». Ces réseaux ont survécu au retrait des
troupes syriennes et continuent d’ignorer les lois
en toute impunité.
« Les affaires se portent très bien », confirme
Hassan*, un contrebandier du Akkar qui affirme gagner plus de 6 000 dollars nets par
mois. « Les militaires sont partis, mais les
mêmes personnes, au Liban et en Syrie, assurent la continuité du trafic », ajoute-t-il.
Dans le Nord, comme dans d’autres régions
frontalières, la contrebande est tellement banalisée que les passeurs se font appeler “commerçants”. « Je ne travaille pas vraiment dans
la clandestinité, explique-t-il. J’ai un bureau qui
a pignon sur rue, neuf fourgonnettes qui font le
trajet vers la Syrie tous les jours et deux
camions frigorifiques. J’emploie dix-sept personnes. »
Et il n’est pas seul à frauder l’État tous les jours.
« Il y a environ 700 contrebandiers “connus” au
Liban », affirme Hassan.
Selon lui, la contrebande a commencé à
« s’institutionnaliser » à partir des années 1990.
« Lorsque j’ai commencé, en 1986, les paquets
étaient transportés à travers le fleuve el-Kébir
[qui sert de frontière naturelle entre les deux
pays au Nord]. Puis j’ai développé des contacts
qui m’ont permis d’emprunter les points de
passage officiels sans être inquiété. »
Des “contacts” au prix fort : Hassan consacre
5 500 dollars par mois pour s’acheter la complicité de hauts responsables douaniers et militaires, sans parler des petites sommes versées
directement aux postes frontières.
Alors qu’au début des années 90 le protection-
D
nisme du régime baassiste alimentait la contrebande du Liban vers la Syrie, le sens du trafic
s’est progressivement inversé.
« À l’époque, nous faisions passer des cigarettes, des pneus, du sucre, des appareils électroménagers… bref tout ce qui était interdit
d’importation en Syrie », se souvient-il.
Aujourd’hui, certains produits fortement taxés
en Syrie, notamment l’alcool, continuent de
passer illégalement la frontière.
« Les commerçants libanais qui veulent exporter de petites quantités, inférieures à une tonne,
vers la Syrie, la Jordanie ou l’Irak, ont également recours aux passeurs pour éviter les formalités douanières et gagner du temps », ajoute un responsable d’une société de transports.
Mais selon Hassan, la valeur des biens de
contrebande introduits chaque jour en Syrie ne
dépasse pas 300 000 dollars, alors que le
chiffre d’affaires des contrebandiers dans
l’autre sens est de l’ordre de trois millions de
dollars par jour. « Avec le mazout, ça peut aller
jusqu’à quatre millions de dollars par jour »,
ajoute-t-il. « Globalement, la contrebande de la
Syrie vers le Liban représente plus de deux millions de dollars par jour », confirme un homme
d’affaires syrien.
À part la contrebande traditionnelle de combustibles, tout est bon à rapporter du pays voisin
étant donné la différence des prix des biens de
consommation entre les deux pays. « Le kilo
de sucre est à 700 livres en Syrie contre 1 250
livres au Liban. Le carton de 50 cartouches de
cigarettes gauloises rouges coûte 330 dollars
en Syrie contre 500 dollars au Liban. Il y a
même des agriculteurs qui achètent du tabac
de Syrie et le revendent à la Régie ! » affirme
Hassan, qui “importe” également du liquide
vaisselle, du gaz, du shampoing, de la viande
d’agneau, des vêtements, des vis, des équipements industriels, du blanc de poulet... Une
grande partie des produits syriens sont pourtant
exemptés de droits de douane. La contrebande
apparaît ainsi comme un moyen d’éviter la TVA
et les formalités douanières, sans prendre de
risques réels.
« Des fonctionnaires de tous les niveaux ont
39 - Le Commerce du Levant - Février 2010
informé l’équipe (LIBAT) qu’ils avaient eu
connaissance de cas de contrebande d’essence, de vêtements et autres biens de consommation, et que dans une grande mesure ce type
de contrebande était toléré et considéré comme
relativement sans importance », lit-on dans le
rapport des experts onusiens remis au Conseil
de sécurité.
De l’aveu même des autorités, la contrebande
n’est donc pas combattue, malgré un manque
à gagner important pour le Trésor libanais, qu’il
soit direct (TVA) ou indirect, puisque le trafic alimente une économie parallèle.
Selon Albert Nasr, directeur du centre de
recherche de la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Beyrouth (CCIAB), la
contrebande soulève aussi un problème de
santé publique, car beaucoup de produits alimentaires en vrac sont introduits de Syrie (confiture, labné, kabiss…), empaquetés par de
petites entreprises libanaises non déclarées et
revendus sur le marché, sans aucun contrôle
hygiénique.
Mais la lutte contre la contrebande engendrerait
aussi un problème de taille : celui des familles
entières vivant de ces trafics le long des 320
kilomètres de frontière. C
(*) Le prénom a été changé.
La contrebande de mazout
Le mazout, principal carburant de
chauffage, est largement subventionné en Syrie. La flambée du pétrole
en 2008 a contraint Damas à augmenter les prix des combustibles et à
privilégier les subventions directes
aux ménages, mais les prix du marché restent inférieurs à ceux du
Liban. Le bidon de mazout est
vendu en Syrie 400 livres syriennes,
soit 13 200 livres libanaises. Et il
arrive au Liban à 13 600 livres, alors
que le prix officiel y est de 16 400
livres, avec la subvention de 3 000
livres par bidon accordée chaque
hiver. Une différence qui alimente la
contrebande.
économiesyrie-liban
Jihad Yazigi : « L’enjeu aujourd’hui
est l’application des lois »
Propos recueillis par C. F.
Entretien avec Jihad Yazigi, rédacteur en chef de la lettre d’information économique
“The Syria Report”.
L’économie syrienne montre de plus en
plus de signes d’ouverture. Quand a
commencé cette libéralisation ?
L’ouverture graduelle de l’économie syrienne a
commencé dans les années 1980, alors que
le pays était en quasi-cessation de paiements.
Pour se procurer les devises étrangères
nécessaires à la relance des échanges commerciaux, les autorités ont ouvert les frontières
aux investissements étrangers dans les secteurs du tourisme et de l’agriculture.
Quelles ont été les grandes étapes de
cette ouverture ?
L’ouverture progressive a allégé la pression
fiscale sur le secteur privé à la fin de la
décennie, pour aboutir à la loi 10 sur les
investissements de 1991, un tournant dans
l’histoire économique du pays. Cette loi a en
particulier permis aux investisseurs privés
d’accéder au secteur de l’industrie. Mais la
découverte de champs pétroliers peu après a
fortement ralenti le processus de réformes
au cours des années 1990. La production
pétrolière a atteint un pic à 600 000 barils
par jour en 1996, pour retomber graduellement à 400 000 barils quotidiens. Cette
contrainte économique a poussé Bachar elAssad, arrivé au pouvoir en 2000, à sortir
progressivement de cette période de stagnation. La libéralisation du commerce extérieur
s’est traduite par la levée de certaines interdictions d’importation, puis des taxes douanières. Ces dernières ont été significativement réduites en 2002, puis supprimées en
2005 dans le cadre de la zone arabe de
libre-échange. Les pressions internationales
exercées sur le pays au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri en 2005 ont relancé
la machine réformatrice. En 2007, la loi sur
les investissements est remaniée, parallèlement à la modernisation du code du commerce et à la création de comités de protection des consommateurs et de la garantie de
la concurrence. La Syrie a aussi signé un
accord de libre-échange avec Istanbul, ce
qui lui a ouvert les marchés du nord de la
Méditerranée.
De nombreuses réformes spécifiques aux différents secteurs d’activité ont par ailleurs participé à libéraliser l’économie ; comme l’ouverture
à la concurrence des marchés du ciment et du
sucre : la Syrie est l’un des plus gros consommateurs mondiaux par habitant de sucre et elle
importe les trois quarts de sa consommation. La
“National Sugar Refinery”, créée en 2008, est le
premier producteur privé de sucre raffiné. Elle
appartient à la « Syrian Sugar Refinery Holding
40 - Le Commerce du Levant - Février 2010
De nombreuses
réformes spécifiques
aux différents
secteurs d’activité
ont participé
à libéraliser
l’économie
Limited », possédée à 51 % par l’homme d’affaires syrien Najib Assaf, également à la tête de
la National Sugar Company. Il s’est associé à
des partenaires étrangers comme Cargill et The
Wellington Group.
Quels ont été les changements en
termes d’investissement ?
Sur la question centrale des investissements, la loi 8 de 2007 remplace la loi 10,
considérée comme trop permissive. La nouvelle version instaure un impôt sur les sociétés de 28 %, qui peut toutefois rapidement
devenir dégressif. Bien que certains avantages fiscaux de la loi 10 soient supprimés
(exemption d’impôt sur les sociétés pendant
5 à 7 ans) d’autres demeurent, telle
l’exemption de tarifs douaniers sur l’importation d’équipements. Le nouveau texte met
par ailleurs tous les investisseurs au même
plan, qu’ils soient dans le secteur industriel
ou dans un autre et quel que soit le niveau
de leur investissement.
En 2008, le code du commerce de 1949 a été
modernisé. Il est suivi par la création d’une
commission sur la concurrence et les monopoles. Les investisseurs étrangers sont légalement libres de développer leurs activités en
Syrie. Seul le système bancaire est encore
astreint à la participation d’investisseurs locaux.
Jusqu’alors monopole de l’État, l’activité bancaire s’est ouverte aux capitaux privés en 2003.
Les assurances ont suivi en 2006. En 2009, un
autre cap dans la libéralisation est franchi avec
la création de la place boursière de Damas, en
projet depuis 2003. En janvier 2010, la Banque
centrale a autorisé les institutions internationales à détenir une majorité de parts dans les
banques locales, une mesure qui devrait aider à
attirer les grands groupes bancaires régionaux
et internationaux.
Y a-t-il actuellement des freins à la libéralisation du marché syrien ?
Le poids de l’administration et les intérêts de
certains acteurs économiques du pays peu-
vent parfois ralentir la tendance. Certains
membres de la “nomenklatura” ont peu d’intérêt à soutenir l’ouverture du marché syrien,
car ils gèrent les contrats exclusifs avec l’État d’importation du sucre, du riz et des produits chimiques ; trois des plus gros marchés. En 1991, l’adoption d’une loi facilitant
l’investissement privé dans les secteurs
manufacturiers et des transports a libéralisé
un secteur auparavant géré par une poignée
d’acteurs. Mais la situation évolue progressivement, certains réalisent aujourd’hui qu’ils
peuvent gagner à soutenir l’ouverture économique du pays, mais cela implique une
adaptation à l’économie de marché.
Du côté de l’import-export, il existe encore
certaines restrictions sur les tarifs douaniers
ou des blocages de certains types de denrées comme le ciment, en dépit des accords.
La liberté de circulation des biens régionaux
à la frontière peut encore être entravée par
les habitudes de taxation informelle pratiquée sur les biens importés.
En 2009, la forte chute du pays dans les classements du Forum économique mondial et de
la Banque mondiale a mis en lumière le frein
mis aux réformes depuis deux ans. Depuis
2008, la Syrie a même fait quelques discrets
pas en arrière. La loi qui limite à 3 % la part des
salariés étrangers dans le secteur bancaire en
est un exemple. Cette mesure concerne finalement peu de gens, mais elle n’est pas un signe
positif pour les investisseurs étrangers.
L’augmentation de la mise de fonds requise
pour l’implantation de nouvelles banques privées – de 30 millions de dollars à 200 millions
de dollars – montre en outre les inquiétudes de
certains face à une ouverture trop rapide du
secteur financier. Même tendance pour la
Bourse, de taille encore très modeste mais déjà
sujette à de lourdes restrictions, comme l’interdiction pour les titres de fluctuer de plus de 2 %
par journée de transactions.
Le marché immobilier est également un frein
au développement. Les tarifs d’achat et de
location sont chers, en particulier sur la propriété commerciale et les locaux à usage
professionnel, à cause de taxes élevées et
d’une offre très limitée. Par ailleurs, dans le
centre des villes, les immeubles construits
sont bas, ce qui entrave l’implantation de
services dans les zones urbaines.
Quels sont les enjeux à venir ?
L’enjeu aujourd’hui est l’application des lois.
Le cadre législatif modernisé pour la libre
concurrence existe, mais n’est pas toujours
appliqué dans les faits. Le poids de la bureaucratie et la corruption persistante ralentissent
l’évolution du marché. Il est donc nécessaire
de réformer le secteur public et de réduire son
poids, ainsi que de renforcer l’indépendance
du secteur judiciaire et d’alléger la pression
fiscale sur l’immobilier. Il faut par ailleurs attirer davantage d’investissements étrangers,
qui sont encore timides (2,1 milliards de dollars en 2008), compte tenu de l’importance du
marché. Aujourd’hui, il est encore sage de
s’associer avec un entrepreneur local, qui facilite l’obtention des autorisations et passedroits. Cette situation dissuade de nombreuses entreprises.
Enfin, un accord d’association en projet avec
l’Union européenne ouvrirait la porte des
marchés occidentaux, mais surtout imposerait des normes économiques plus strictes et
placerait le pays dans une dynamique d’ouverture résolue. Sa signature, initialement
prévue en octobre 2009, a pour le moment
été reportée sine die. C
Les différentes étapes de la constitution d’une SARL en Syrie
1) Retirer au ministère de l’Économie la
copie réglementaire des statuts.
2) Remettre les statuts personnalisés au
ministère de l’Économie pour contrôle.
3) Rectifier éventuellement les statuts à la
demande du ministère.
4) Se présenter au ministère de l’Économie
pour signer les statuts devant le directeur
des sociétés commerciales.
5) Porter les statuts auprès des services du
ministre de l’Économie pour qu’il y appose sa
signature et payer le droit de contrôle des statuts (10 000 livres syriennes, soit 220 dollars).
6) Attendre la décision formelle du ministre
de l’Économie autorisant la création de la
société.
7) Remettre une copie des statuts au département fiscal spécialisé du ministère des
Finances.
8) Payer le droit de timbre sur les statuts
calculé sur le montant du capital social.
9) Ouvrir obligatoirement un compte en
banque au nom de la société en cours de
constitution.
10) Déposer le capital social sur le compte
en banque.
41 - Le Commerce du Levant - Février 2010
11) Obtenir un certificat de dépôt du capital
social.
12) Publier les statuts dans le Journal
Officiel aux frais de la société en cours de
constitution.
13) Présenter un contrat de bail ou un titre
de propriété du siège de la société au
registre du commerce.
14) Obtenir un certificat d’immatriculation
et le remettre à la banque de la société.
Chaque étape peut prendre une journée
et les étapes 2, 3 et 6 peuvent durer 15
jours.