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Numéro d’enregistrement scientifique : 170 Symposium n° : 14 Présentation : poster Maintenir la fertilité sous coton et céréales au Mali–sud Sustainability of cotton-cereals cultivation in southern Mali GIGOU Jacques1 ; GIRAUDY François2 ; KONE Mama3 ; NIANG Mamadou2 1 CIRAD ; BP1813 ; BAMAKO.// IER-LaboSEP, Sotuba, BP438, BAMAKO CMDT, Compagnie Malienne pour le Développement des Textiles, BP487, BAMAKO. 3 IER, Institut d’Economie Rurale, Programme coton, BP,SIKASSO 2 1. INTRODUCTION La région Mali–Sud a un climat favorable au cotonnier, qui s’est fortement développé depuis 30 ans et occupe de 25 à 50% des surfaces cultivées, en rotation avec les céréales, dans la plupart des exploitations. Par ses revenus et par l’accès aux intrants qu’il permet, le coton a fait évoluer considérablement le système de culture. Cependant beaucoup de doutes sont émis sur la durabilité. Pour certains auteurs, les terres sont en cours d’épuisement par une agriculture « minière » et, toutes les bonnes terres étant déjà défrichées, nous sommes à la veille d’une catastrophe (Van der Pol, 1991 ; Koné et Doumbia, 1997). Mais de nombreux signes favorables montrent le dynamisme actuel de la production agricole. Cette contradiction apparente provient probablement de la juxtaposition d’un système de culture permanente avec des systèmes de cultures itinérantes dans lesquels une phase d’épuisement du sol précède la mise en jachère. Les statistiques de la CMDT donnent des indications sur ces systèmes, qu’il faut prendre en compte pour comprendre comment les surfaces cultivées peuvent augmenter chaque année alors qu’il existe des tensions sur le foncier. 2. DES RISQUES DE DEGRADATION Les risques de dégradation proviennent de l’augmentation de l’emprise de l’agriculture sur le milieu. 2.1 Augmentation des surfaces cultivées Les surfaces en cotonnier ont beaucoup augmenté (figure n°1). Le coton couvre entre un quart et un tiers des surfaces cultivées, qui restent largement dominées par les céréales. L’augmentation de la surface cultivée, environ 5% par an dont plus de la moitié pour les céréales, répond à l’augmentation de la population agricole et à l’accroissement de la surface cultivée par personne. La population de la région Mali–sud, de 10 à 35 habitants/km² suivant les régions, s’accroît de 2 à 3% par an (Berthé et al., 1991). On compte en moyenne 0,6 ha cultivé par habitant, un peu plus dans les régions les plus peuplées, qui possèdent plus d’équipement de culture attelée. Pour 35 habitants au km² et 0,60 ha cultivé par habitant, environ 21% des terres sont cultivées. Déjà dans certains villages, tels que Kaniko, près de Koutiala, toutes les 1 bonnes terres sont cultivées de façon permanente (Hijkoop et al., 1989) et de telles zones de saturation foncière risquent de s’étendre rapidement. On observe relativement peu de jachères récentes, souvent conservées seulement deux ou trois ans avant d’être cultivées à nouveau. Par contre des terres exploitées depuis 10 ans ou plus sont abandonnées. Doit-on interpréter ces observations comme le résultat du manque de terre qui ne permet que des jachères de durée insuffisante pour restaurer la fertilité, alors que l’on épuise les sols sous culture continue sans restitutions suffisantes d’éléments minéraux et que l’on doit les abandonner ? 2.2 Erosion L’extrapolation des données disponibles dans les pays voisins laisse entrevoir des perspectives effrayantes (Bishop et Allen, 1989). Mais l’érosion catastrophique ne s’applique qu’à une petite partie des terres cultivées, car beaucoup de champs, situés sur le bas glacis, ont une pente faible et sont peu sensibles à l’érosion. Les charges en sédiments des rivières ne sont pas particulièrement fortes et les dépôts alluviaux dans les plaines sédimentaires sont très inférieurs à ceux des « baibohos » de Madagascar, par exemple. La CMDT vulgarise des mesures de Défense et Restauration des Sols (Hijkoop et Van Der Poel, 1989 ; Fané et Wenninck, 1997) : protection à l’amont des zones cultivées, cloisonnement des champs par des haies vives et amélioration des sols (fumier, etc.). Ces techniques, connues des paysans, ne se diffusent qu’à une vitesse désespérément lente (Van Campen, 1991) : au rythme actuel, il faudrait 50 ans pour aménager complètement le village de Kaniko. Peut-on attendre aussi longtemps sans risquer des catastrophes ? 2.3 des sols acides Le Mali a un climat peu pluvieux, qui ne favorise pas, à priori, l’acidification des sols. Pourtant, certains sols sont trop acides pour le cotonnier (Gigou, 1997), la plante la plus sensible des rotations habituelles et la seule qui reçoit régulièrement des engrais. Dès que les rendements du cotonnier diminuent, le système coton–céréale subit de fortes contraintes qui peuvent aboutir à sa disparition. Le plus souvent, le paysan abandonne les champs qui présentent des problèmes et va défricher d’autres parcelles. Parfois il utilise un autre système de culture sans coton, moins sensible à l’acidité par exemple du mil, du niébé ou des pastèques. Les sols acides ne couvrent qu’une partie de la toposéquence (figure n°2). La frange de sols acides est cultivée uniquement dans les zones où la pression foncière est relativement élevée. L’utilisation du fumier et des cendres est bénéfique, mais les rendements restent médiocres et très variables d’une année à l’autre et ces sols sont fréquemment remis en jachère. 2.4 Bilans minéraux déficitaires La culture sans engrais épuise le sol et les rendements diminuent, alors que les engrais permettent de maintenir les rendements. Ce résultat logique a été vérifié depuis longtemps. Cependant l’apport en potassium par les engrais vulgarisés n’est pas suffisant pour empêcher l’appauvrissement du sol (Crétenet et al., 1994). Plus systématiquement, Van der Pol (1991) a calculé les bilans minéraux sous tous les systèmes de culture de la région (tableau n°1), qui apparaissent négatifs, sauf pour le phosphore. Ces bilans minéraux négatifs sont-ils le signe de la dégradation en cours, qui risque de se traduire par un effondrement des productions si l’on n’arrive pas à convaincre ou contraindre les paysans d’utiliser plus d’engrais ? Certains le pensent, mais un modèle de bilan ne suffit pas pour le prouver car c’est, par nature, un exercice très approximatif : quelles hypothèses de recyclage, quelle fiabilité des données utilisées, quel effet du parc arboré… ? D’autres indices donnent une image très différente. 2 3. MAIS UNE PRODUCTION DYNAMIQUE L’agriculture de la région est très dynamique : la production augmente régulièrement, la situation économique s’améliore (habitation, route, eau potable, dispensaires et pharmacies) et enfin les paysans s’adaptent aux problèmes nouveaux, même si ce n’est pas de la façon que les techniciens agricoles leur ont conseillée. Plusieurs observations objectives permettent de vérifier cette impression générale. 3.1 Des rendements stables Les rendements en coton-graine (figure n°3) sont relativement bien connus par les rapports de la CMDT, mais on sait qu’ils souffrent d’une surestimation dans les années 1980, car la CMDT essayait de limiter les surfaces en cotonnier, afin que la production totale ne dépasse pas la capacité d’égrenage de ses usines. Aussi les paysans semaient des surfaces « cachées », non recensées par la CMDT, d’où une surestimation du rendement. Compte–tenu de ce biais, les rendements apparaissent très voisins de 1200 kg/ha de coton-graine depuis 1980, avec des fluctuations modestes entre 1100 et 1300 kg/ha. La forte augmentation du nombre de paysans depuis 1994 a entraîné une légère baisse du rendement, car les nouveaux ont souvent peu d’expérience de la culture du coton. Les rendements sont d’environ 1100 à 1200 kg/ha. De même, dans les enquêtes statistiques, il est impossible de mettre en évidence une tendance nette à la baisse des rendements en fonction de l’âge du champ. Donc les statistiques disponibles indiquent des rendements plutôt stables. En bonne logique, la stabilité des rendements, pour des techniques inchangées, doit être interprétée comme un indice du maintien de la fertilité. 3.2 Des champs cultivés depuis très longtemps Environ 30% des champs sont cultivés depuis plus de 10 ans et presque 10 % depuis 20 à 40 ans (voir figure n°4). Cette observation suffit pour infirmer l’hypothèse d’une dégradation rapide et systématique de la fertilité, mais elle reste compatible avec l’hypothèse qu’une partie du terroir se dégrade. 3.3 Augmentation des surfaces sans difficultés La surface cultivée augmente dans toutes les zones y compris celles les plus densément peuplées. Par habitant, elle est même plus importante dans les zones les plus peuplées, où la culture du coton est plus ancienne et où la culture attelée est plus développée. La surface cultivée par habitant est donc fonction de l’équipement plus que de la densité de population. Cela prouve qu’il existe des réserves de terre, y compris dans les zones les plus densément peuplées. On peut aussi observer dans de nombreuses régions des jachères très anciennes, jusqu’à 40 ans : une telle durée n’est pas idéale pour la jachère car le défrichement devient plus difficile. Mais les droits fonciers sont conservés. 3.4 Utilisation du fumier et des engrais L’utilisation systématique du fumier, à grande échelle, c’est développée dans la région Mali–sud pendant les années 1980 et des améliorations ont été vulgarisées (Bosma et al., 1994). La fréquence des apports est plus grande sur les vieux champs : chaque 3 ou 4 ans. De l’engrais est régulièrement apporté au cotonnier (en moyenne 110 kg/ha de complexe NPKSB et 50 kg d’urée) et au maïs. 3.5 Conservation de l’eau L’aménagement des champs en courbes de niveau, à l’échelle du champ (Gigou et al., 1997), a reçu un accueil très favorable des paysans qui ont participé au test de prévulgarisation. Grâce à des billons suivant les courbes de niveau, on retient l’eau de pluie, ce qui permet l’augmentation des rendements. Cette technique commence à être vulgarisée. 3 4. COEXISTENCE DE CULTURE CULTURES ITINERANTES PERMANENTE ET Ces observations ne peuvent pas être interprétées logiquement en considérant tous les champs de la région comme un ensemble uniforme : le Mali–sud n’est pas une succession ininterrompue de champs en cours d’épuisement par une agriculture « minière » et destinés à devenir un désert à courte échéance ! L’existence de différents systèmes de culture permet de comprendre les aspects souvent contradictoire de la réalité. Par exemple : 4.1 Ages des champs L’âge des champs est connu avec une bonne précision à partir des enquêtes générales de la CMDT. Quand on représente la surface cumulée en fonction de l’année de défrichement (figure n°4), on observe nettement deux systèmes différents : • l’un de culture permanente, qui s’installe progressivement depuis 40 ans et occupe actuellement 60% des surfaces, • l’autre de culture itinérante à 10 ans de culture avant la remise en jachère. Evidemment, les villages dans les régions à faible pression foncière utilisent davantage le système de culture itinérante. 4.2 variation dans la toposéquence Dans le terroir villageois, on observe de grandes variations suivant la toposéquence (figure 2). Des zones sont plus favorables à la culture continue, alors que d’autres, un peu marginales, peuvent être utilisées en culture itinérante. 5. CONCLUSION La région Mali–sud connaît, depuis une vingtaine d’années, une formidable intensification à rendement constant des cultures : la croissance de la production du terroir villageois est obtenue par l’augmentation du pourcentage de la surface cultivée chaque année, qui est permise par le passage progressif à la culture continue. Ce mode d’intensification laisse perplexe les techniciens de l’agriculture qui rêvent de records de rendements par hectare et de « révolution verte ». Mais il est certainement préférable, du point de vue de l’écologie ou de l’intérêt économique du paysan, à un système où l’on privilégierait, sur un petite partie du terroir, une agriculture à fort intrant, très polluante et très sensible aux variations de prix. Le passage à la culture continue permet d’augmenter considérablement la disponibilité en terre. Par exemple, dans la région de Koutiala, pour 1 ha cultivé, on compte environ 2 ha de terre cultivable non cultivée (Fané et Wenninck, 1997). Dans un système de culture itinérante à trois ans de culture, la jachère ne pourrait pas dépasser, en moyenne, 6 ans. Mais le système est complètement différent, puisque plus de 50% des terres sont en culture continue et que les autres sont en culture itinérante avec 10 ans de culture. On a donc moins de 0,5 ha en culture itinérante à 10 ans de culture pour 2 ha en jachère, si bien que la jachère peut durer 40 ans ou plus. L’évolution de la fertilité des champs, amélioration ou diminution, ne peut être estimée qu’en tenant compte de ces différentes situations. 4 BIBLIOGRAPHIE Berthé, A.B.; Aad, B.; Bouaré, S.; Diallo, B.; Diarra, M M.; Geerling, C.; Mariko, F.; N'Djim H.; et Sanogo, B. 1991. Profil d'environnement Mali-Sud : Etat des ressources naturelles et potentialités de développement. KIT, Amsterdam (NL): 79p. BISHOP J., ALLEN J. 1989 : The on-site cost of soil erosion in Mali. World Bank Environmental Paper n°21. 71p. BOSMA R.H., KAMARA A., SANOGO B. 1994 : Parcs améliorés. 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Agriculture et Développement 15 ; .... HIJKOOP J., VAN DER POEL P. 1989 : Mali–sud. D'un aménagement anti–érosif des champs à la gestion de l'espace rural. Royal Tropical Institute, The Netherlands, Bulletin 317: 52p. KONE M., DOUMBIA M. 1997 : Les difficultés pour maintenir la fertilité des sols en cultures paysannes. Communication à l’atelier de restitution du programme conjoint sur le sorgho ICRISAT/CIRAD, Bamako, 1997/3/17-20. (A paraître dans les actes) VAN CAMPEN W. 1991 : The long road to sound land management in southern Mali. In : Savenije H., Huijsman A. (Eds) : Making haste slowly. Strengthening local environmental management in Agricultural development. Amsterdam NL, KIT, Development-oriented research in agriculture, vol 2: 131-148. VAN DER POL F. 1991 : L'épuisement des terres, une source de revenu pour les paysans au Mali–Sud. In : Piéri C. (Ed.) : Savanes d'Afrique, terres fertiles? Montpellier, France. CIRAD: 403419. Mots-clés : bilan minéraux, durabilité, culture continue, culture itinérante Keywords : nutrient balance, sustainability, permanent cultivation, shifting cultivation Tableau n°1 : Bilans des éléments nutritifs ( en Kg/ha) pour le Mali-Sud (1988-89) N P K Ca Mg chaux valeur probable -25 0 -20 +3 -5 -12 valeur optimiste -14 +2 -10 +12 0 -9 valeur pessimiste -40 -2 -33 -8 -10 -16 (D’après Van der Pol, 1991) 5 milliers d'ha ou milliers de t de coton-graine 500 P P 400 300 200 100 0 60 65 70 75 80 85 90 95 années milliers d'ha milliers de t coton-graine Figure n°1 : augmentation des surfaces en cotonniers encadrées par la CMDT et de la production de coton-graine. 6 Toposéquence, région de Fana partie sommitale cuirassée sols peu acides sols acides haut du glacis cultivé (=glacis d'érosion) sols ferrugineux tropicaux bas du glacis cultivé (=glacis d'épandage) talweg sols hydromorphes pente 2 à 3% pente variable non cultivé mil, niébé, pastèque jachères arbres divers peu denses ruissellement, érosion acidification pente 1% culture permanente toutes espèces parc à karités dense culture ou forêt Figure 2 : schéma d’une toposéquence dans la région de Fana. La longueur est de 1 ou 2 km et la dénivelée de quelques dizaines de mètres. kg/ha de coton-graine 1400 1200 P 1000 800 600 400 200 0 60 65 70 75 80 85 Figure 3 : Evolution des rendements en coton-graine sur la région CMDT 7 90 95 années Surface cumulée % âge des champs observé 100 modèle culture continue (40 ans) 80 culture itinérante(10 ans) +jachère accroissement des surfaces = 5% /an itinérant 60 40 20 continu 0 94 89 84 79 74 69 64 59 54 49 44 année du défrichement Figure n°2 : âge des champs cultivés en 1994, d’après les données des enquêtes agricoles de la CMDT sur un échantillon représentatif d’une quarantaine de villages. La courbe des surfaces cumulées en fonction de l’année de défrichement montre un point d’inflexion très net, pour 10 ans de culture. L’accord est très bon avec un modèle à deux systèmes de culture : l’un de culture continue, qui se développe depuis 40 ans et couvre actuellement 60% des surfaces cultivées et l’autre, qui couvre 40% des surfaces, de culture itinérante à 10 ans de culture, suivis d’une mise en jachère. 8