Mephisto/Rien qu`un acteur

Transcription

Mephisto/Rien qu`un acteur
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Mephisto
/rien qu'un acteur
DE MATHIEU BERTHOLET
MISE EN SCÈNE
ANNE BISANG
DU 17 JANVIER
AU 5 FEVRIER 2006
mardi, vendredi, samedi à 20h
mercredi, jeudi à 19h
dimanche à 17h
lundi relâche et le dimanche 22 janvier
PRODUCTION : LA COMÉDIE DE GENÈVE
LOCATION : T + 41 22 320 50 01 - F + 41 22 320 50 05
DOSSIER REALISE PAR ARIELLE MEYER MACLEOD
T + 41 22 320 52 22 - F + 41 22 320 00 76
E-MAIL : [email protected]
DISTRIBUTION
Metteure en scène
Scénographe
Lumière - création
Assistante à la mise en scène
Dramaturgie
Costumes
Son
Musique
Vidéo
Mouvement
Maquillages et coiffures
Accessoiriste
Anne Bisang
Anna Popek
Rinaldo Del Boca
Stéphanie Leclercq
Arielle Meyer MacLeod
Paola Mulone
Sartén
Michel Wintsch
Laurent Valdès
Tane Soutter
Arnaud Buchs
Natacha Jaquerod
JEU
avec
Christophe GREGOIRE dans le rôle de Gustav Gründgens
Juan BILBENY
Felipe CASTRO
Jeanne DE MONT
David GOBET
Stéphanie LECLERCQ
Jacques MICHEL
François NADIN
Yvette THERAULAZ
Graziella TORRIGIANI
Production La Comédie de Genève
2
Table des matières
De Mephisto à rien qu'un acteur
4
Un texte de commande
4
Mephisto de Klaus Mann Æ rien qu'un acteur
5
L'art et le pouvoir. Gustaf Gründgens et les enfants Mann
6
Construction de la pièce
7
Illusion théâtrale et fiction totalitaire
10
Intertextualité : Le mythe de Faust
13
Notes sur la mise en scène. Discussion avec Anne Bisang
17
De l'espace textuel à l'espace scénique. Notes de Anna Popeck
20
Biographie de Mathieu Bertholet
21
Bibliographie et filmographie
22
Annexes
23
Texte 1ère partie Mephisto / rien qu'un acteur
Découpage du texte
Klaus Mann, Le condamné à vivre
Lionel Richard, Le nazisme et la culture
3
De Méphisto à Rien qu'un acteur
Un texte de commande
Mephisto/rien qu'un acteur est le résultat d'une commande passée par Anne Bisang à Mathieu
Bertholet, faisant suite à une résidence de l'auteur à la Comédie.
En 2001, Mathieu Bertholet avait en effet été l'un des quatre écrivains retenus pour séjourner pendant
une saison dans les murs du théâtre, avec l'injonction d'y faire ce que bon leur semblait – animer le lieu,
s'exprimer sur ses murs, assister à des répétitions – pour ensuite écrire chacun un "lever de rideau".
Cela a donné lieu à un spectacle présenté sous le titre annonciateur de C'est agaçant cette obsession
des auteurs vivants à être joués…
L'obsession a perduré, pour Anne Bisang comme pour Mathieu Bertholet. Et de cette résidence est né
le projet de commander à l'auteur un texte de théâtre qui serait conçu à partir du roman de Klaus Mann,
Méphisto, et qui déploierait la problématique complexe des rapports entre les artistes et le pouvoir.
Résidence ou commande, ces passerelles jetées entre l'institution théâtrale et les écrivains contribuent
à doter l'auteur dramatique d'une fonction nouvelle, plus proche du lieu théâtral. Dans le but de combler
le vide grandissant des maisons d'édition qui délaissaient de plus en plus le champ théâtral, les
institutions théâtrales aident depuis les années 70 à faire connaître et à promouvoir l'écriture
contemporaine en organisant des mises en lecture, des résidences d'auteur, des ateliers de recherche,
et en développant la pratique de la commande.
Vers une nouvelle image de l'auteur dramatique?
Des années 50 à nos jours, nous sommes passés d'une image de l'écrivain de théâtre
retiré dans sa tour d'ivoire et se confrontant épisodiquement aux chantiers de répétitions
à celle d'un homme "public", même si certains le regrettent. Public, il l'est dans la
mesure où l'écriture est davantage subventionnée, où l'Etat a pris le relais du mécène
d'autrefois et où, entre les résidences et les commandes officielles passées par les
metteurs en scène ou les compagnies, l'auteur se voit proposer des "temps d'écriture"
qu'il rentabilise à son gré.
Il l'est également parce que son travail, ordinairement secret, voire alchimique, est
exposé à plusieurs regards. A celui des autres artisans de la création théâtrale avec
lesquels il est invité, sinon forcé à dialoguer à l'occasion des différents "essais" qui lui
sont proposés. A celui des futurs spectateurs conviés à débattre de sa création, voire à
mettre leur grain de sel au nom de leur "réception" de l'œuvre nouvelle. Au regard
d'apprentis et d'élèves quand il les rencontre lors de studios ou d'ateliers. A celui de
toutes sortes de gens quand on l'invite à prendre son bâton de pèlerin et à fréquenter
les lycées et les maisons de jeunes, nouvel animateur par qui l'événement doit arriver
par l'intercession de sa parole. Il est enfin un homme public parce que, son œuvre une
fois représentée, on l'invite régulièrement à s'en expliquer 1 .
Choisir de monter un texte contemporain plutôt qu'un classique relève d'une démarche spécifique, qui
modifie profondément l'acte d'actualisation scénique que constitue toute mise en scène.
Monter un classique permet de s'approprier un texte qui appartient à une culture collective et de
l'interpréter, au sens fort, c'est-à-dire d'en donner une lecture particulière qui l'éclaire de façon nouvelle
1
Jean-Pierre Ryngaert, Lire le théâtre contemporain, Armand Colin, 2005, p. 58.
4
ou en tout cas personnelle. La distance entre le moment de l'écriture et le moment de la mise en scène
permet de traiter tel ou tel sujet en faisant un détour, en le mettant à distance pour mieux se
l'approprier. Le désir de mise en scène naît d'une lecture qui fait apparaître à la fois l'altérité du texte et
sa proximité.
La commande modifie la donne. Le texte naît en quelque sorte d'un double désir: celui du metteur en
scène d'abord, qui se tourne vers un auteur précis et lui demande un texte en formulant plus ou moins
ses exigences; celui de l'auteur ensuite, qui doit intégrer ce désir premier, le faire sien, avant de
proposer un objet dramatique qui assimile le projet et sa propre créativité. Le texte peut alors effectuer
plusieurs allers-retours entre l'auteur et le metteur en scène avant que n'émerge la version définitive.
La réception du texte par le public, son horizon d'attente, est aussi modifiée par cette démarche. Le
spectateur découvre le texte en même temps que sa mise en spectacle: l'attente préconçue sur le sens
d'un texte et la façon dont il faudrait le représenter scéniquement est rendue d'autant plus impossible
que la distinction entre ce qui appartient au texte écrit et ce qui relève de choix de mise en scène n'est
pas évidente. Venir au théâtre pour voir jouer des textes contemporains, et qui plus est des textes de
commande pas encore publiés, sortis tout chauds des mains de l'auteur, suppose de la part des
spectateurs une attitude et une prédisposition différente que celle requise pour le théâtre classique, une
autre façon de mettre en jeu son écoute, son regard et son sens critique.
Mephisto de Klaus Mann Æ rien qu'un acteur
En 1925 Gustaf Gründgens, jeune acteur aux idéaux révolutionnaires plein de talent et bourré
d'ambition, se lie d'une amitié trouble avec Erika et Klaus Mann, les deux enfants terribles de Thomas
Mann, antifascistes convaincus. Dès 1933 l'acteur se livre néanmoins à des compromissions avec le
régime hitlérien dont il devient un acteur phare, tandis que Klaus et Erika prennent le chemin de l'exil
pour combattre le nazisme avec leurs moyens – la littérature et le théâtre. Klaus Mann écrit alors un
roman intitulé Méphisto, dans lequel il épingle l'opportunisme d'un acteur dévoyé par le nazisme…
Telle est la matière que reprend Mathieu Bertholet pour écrire Mephisto/rien qu'un acteur, une pièce qui
n'est cependant pas l'adaptation théâtrale du Méphisto de Klaus Mann, loin s'en faut. La démarche est
en effet tout autre.
Klaus Mann a écrit son roman afin de raconter la désaffection de son ancien ami, l'acteur Gustaf
Gründgens, pour la cause qui les liait. Pour ce faire, l'écrivain a effectué un travail de fictionnalisation: il
a modifié ostensiblement la réalité, changé les noms, condensé des personnages, travesti certains
comportements, œuvrant ainsi à une frontière trouble entre le réel et la fiction qui a paradoxalement
permis d'interdire le livre, parce que son héros était trop proche du véritable Gründgens pour que les
actions fictives qui lui sont imputées ne soient pas qualifiées de mensongères et de diffamatoires.
Mathieu Bertholet saisit cette matière et lui fait subir le traitement inverse: il re-historicise la fiction,
redonnant à chacun son identité et sa trajectoire. Mais il opère surtout un élargissement de focale:
Klaus Mann, qui n'apparaît pas dans son propre roman, est avec Gründgens le personnage central de
cette pièce. La matière du roman est resituée dans le contexte qui l'englobe, celui d'affinités électives et
de liaisons dangereuses sur le fond sombre et chahuté de la montée du nazisme puis de l'exil. L'écriture
même de Méphisto devient un thème de Mephisto/rien qu'un acteur, qui déborde ainsi son matériau de
base et l'inclut dans une vision plus large, en en montrant l'arrière fond et les suites.
Si Méphisto témoigne du regard immédiat de Klaus Man sur sa propre époque, qu'il dénonce au
moment même où le monstre est en train d'émerger – le roman date de 1936 – , Mephisto/rien qu'un
acteur marque la réappropriation de cette période troublée par un jeune auteur, Suisse vivant à Berlin,
dans des formes résolument contemporaines qui sont les siennes et celles de son temps.
5
L'art et le pouvoir. Gustaf Gründgens et les enfants Mann
Au milieu des années vingt, le jeune Gustaf Gründgens fraye avec les milieux intellectuels et artistiques
de gauche. Il épouse Erika Mann en 1926 – mariage de courte durée – tout en entretenant des rapports
troubles avec son frère Klaus, pénétrant ainsi dans le cercle très fermé du Magicien, le grand Thomas
Mann. En 1934, Gründgens accepte pourtant d'être nommé directeur artistique du Théâtre d'Etat
Prussien, la scène la plus réputée de Berlin, par Hermann Göring dont il est l’acteur favori. Il restera à
ce poste jusqu'en 1943, puis s'engagera dans l'armée allemande pendant quelques mois avant de
réintégrer ses fonctions de directeur. Interné dans un camp par les Russes au moment de la chute de
Berlin, il sera réhabilité tout de suite après la guerre et deviendra le comédien et le metteur en scène le
plus réputé d'Allemagne, jusqu'à sa mort, en 1963.
L'itinéraire de l'acteur suscite aujourd'hui encore de nombreuses controverses. Qui était vraiment
Gustaf Gründgens? Quel rôle a-t-il joué pendant le IIIème Reich?
Il n'a certainement jamais été un nazi; il n'a jamais adhéré aux thèses racistes et criminelles du régime
hitlérien. Lui-même prétend avoir accepté la direction du théâtre, après des semaines de tractations
durant lesquelles il aurait posé ses conditions, dans l'unique but de sauver la tradition du théâtre
allemand. Il a certes profité de sa situation pour sauver quelques collègues acteurs, juifs ou opposants
de gauche, notamment Erich Ziegel, proche collaborateur de Brecht. Pourtant il a contribué à donner
prestige et crédibilité artistique au IIIème Reich allemand, le système totalitaire le plus meurtrier qui soit;
il a participé aux fêtes des dignitaires du régime et a été reçu en audience privée par Hitler qui tenait à
le remercier personnellement de ses services. Et sa carrière glorieuse pendant le nazisme a continué à
être tout aussi glorieuse après la guerre.
La trajectoire de Gründgens pose ainsi de façon très concrète la question cruciale des rapports entre
les artistes et le pouvoir: quelle est la responsabilité des artistes, leur rôle et leur influence? Où
commence la compromission? Quelle est leur marge de manœuvre?
Au succès ininterrompu de Gründgens répond l'accueil indifférent, voire hostile, que reçoivent les
enfants Mann avant, mais aussi après la guerre.
Klaus et Erika ont pressenti avec une terrifiante et rare lucidité l'ampleur de la catastrophe à venir.
Klaus écrit et alerte l'opinion avant même le début des années 30. Le frère et la sœur s'exilent quelques
semaines après l'arrivée d'Hitler au pouvoir; ils ne cesseront de dénoncer à la fois la dictature nazie et
tous ceux qui, par aveuglement ou par lâcheté, contribuent à son avènement. Klaus fonde une revue
antifasciste, Die Sammlung, qui paraît à Amsterdam de septembre 1933 à août 1935. Erika fonde un
cabaret, Le Moulin à Poivre, avec lequel elle se produit à travers toute l'Europe. A la fin de la guerre,
Klaus Mann constate néanmoins avec amertume et désespoir que ses livres n'ont pas d'écho en
Allemagne – aucun éditeur ne veut publier Méphisto – alors même que réapparaissent sur le devant de
la scène des intellectuels qui s'étaient compromis avec le régime nazi. Les exilés sont en effet jugés
avec mépris, quand ils ne sont pas considérés comme des traîtres, par les Allemands restés en
Allemagne. Cet impossible retour est l'ultime coup porté à un homme solitaire depuis longtemps en
proie au désir de mourir. Il se suicide à Cannes le 21 mai 1949.
Rester ou partir? Réagir ou se retirer dans son art, loin des remous du monde? Avec quels mots, sur
quelles scènes se battre? La mise en perspective des destins contraires de Gründgens et des enfants
Mann fait resurgir avec force la nécessité qu'il y a à poser ces questions difficiles.
6
Construction de la pièce
Parler de construction, concernant le travail de Mathieu Bertholet, n'est pas un vain mot. Il se nourrit en
effet d'architecture pour composer son texte. Il dit avoir travaillé ici à partir d'un bâtiment précis, celui de
l'ambassade de Hollande à Berlin conçu par Rem Koolhaas, sur le modèle duquel il a échafaudé son
plan d'écriture.
Ce bâtiment est apparu à Mathieu Bertholet comme une actualisationspatiale du récit qu'il était en train
de composer.
L'immeuble est formé d'un bâtiment central traversé de haut en bas par une sorte de boyau qui descend
par paliers vers le bas, et d'une annexe reliée au bâtiment principal par des passerelles présentes à
tous les étages.
Pour Mathieu Bertholet, cette configuration illustre à la fois la trajectoire de Gründgens, dont le destin
suivrait ce long tuyau décroissant, et celle des Mann qui emprunteraient les passerelles permettant de
gagner l'exil, ce lieu — séparé du corps central de l'édifice tout en lui étant contigu — et relié par des
appontements donnant à tout moment la possibilité de traverser d'un espace à l'autre.
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7
Bertholet bâtit sa fiction comme on dessine une maquette et invente une écriture qui fonctionne comme
un jeu de construction dont les éléments sont des modules narratifs très courts, assemblés de façon à
produire du sens par effets de montage.
Le récit central retrace les parcours jumelés de Gustaf Gründgens et des enfants Mann. Il se dédouble
pour raconter leurs chemins qui se séparent, menant l'un vers les sommets nazis et les autres en exil,
et utilise alors le procédé cinématographique de champ/contrechamp.
Ce fil narratif principal se déploie dans une temporalité linéaire: les actions qui s'y déroulent ont une
incidence les unes par rapport aux autres. Ce fil est néanmoins entrecoupé par des scènes de nature
différentes: des tableaux fonctionnant comme autant de leitmotiv qui reviennent régulièrement,
répétition du même et du différent, et scandent rythmiquement le texte. Leur fonction est de marquer le
temps de l'Histoire, qui avance inéluctablement, mais aussi de révéler certains travers de la biographie
de chacun des personnages 2 . Ces tableaux sont autant d'instantanés traités sur un mode itératif:
représentés un nombre de fois limité, ils racontent des faits qui pourraient se répéter beaucoup plus
fréquemment et advenir à d'autres moments du récit, sans pour autant modifier le cours de l'action;
l'équivalent au fond de l'usage de l'imparfait dans le roman.
La linéarité temporelle du récit est aussi bouleversée par des achronies, particulièrement des prolepses
(sauts en avant dans le récit). La pièce met ainsi en perspective les événements tels qu'ils se sont
déroulés entre 1925 et 1945 et leurs conséquences bien des années plus tard: certaines scènes
présentent Klaus à la veille de son suicide, en 1949, tandis que d'autres montrent Gustaf Gründgens
lors d'une interview télévisée qui a eu lieu quelques mois avant sa mort, en 1963.
L'alternance entre ces différentes nappes narratives fait émerger toute la tension, centrale dans la
pièce, entre les destins individuels et la grande histoire, tension faite d'interférences, certes, mais aussi
d'inconsciences. Ainsi les éclats d'une certaine jeunesse en quête d'elle-même, d'amour, d'art, de
liberté, de poésie, de sexe et de drogue, se mêlent avec les obscurités de l'histoire qui, dans le texte,
avance par à-coups, comme un métronome détraqué mais inexorable.
L'espace de Mephisto/rien qu'un acteur est multiple: chacune des courtes scènes qui composent la
pièce se situe dans un lieu dramatique différent dont la liste exhaustive est donnée dans la didascalie
liminaire – le théâtre, une cantine, un bureau, une rue, le bord de l'eau…–, lieux qui reviennent
régulièrement tout en pouvant se situer dans des villes différentes, faisant référence à des lieux réels:
Hambourg, Berlin, Amsterdam, New York … L'espace est ainsi doublement éclaté.
A certains endroits, la lecture de la pièce requiert sans doute de pouvoir situer assez précisément les
lieux et les écarts temporels; mais cette compréhension n'est pas nécessaire à chaque instant.
L'éclatement permet de se laisser emporter par un mouvement poétique, sans pour autant perdre le
sens du récit, tout en ouvrant de larges possibilités pour la mise en scène 3 .
Voir le tableau qui figure à la fin du dossier, dans lequel sont précisés les différents types de scènes – «tableaux
historiques» ,«inserts biographiques» ou fil principal (FP).
3 L'espace et le temps sont également précisés dans le tableau ci-joint.
2
8
Illusion théâtrale et fiction totalitaire
Le titre le dit doublement: au cœur de Mephisto/rien qu'un acteur, il y a le théâtre. Il affleure d'abord par
le biais de l'intertextualité: rôle phare dans la carrière de Gründgens, Méphisto, dans le Faust de
Goethe, est ce diable avec lequel il est si tentant de pactiser, dans lequel on peut bien sûr voir le
nazisme mais aussi les démons intérieurs de chacun. Mais le diable de Goethe est avant tout le maître
de l'apparence et de l'illusion, dans une pièce à la mécanique ostensiblement théâtrale de surcroît. Ainsi
lorsque Bertholet convoque Faust dans son texte, il l'ouvre à une sorte de quintessence de la
théâtralité.
Les personnages portent tous le nom de personnes réelles, mais ils sont avant tout les personnages
d'une fiction, d'une fiction dont ils sont les acteurs. Car la pièce, en pointillé, sans jamais insister,
n'hésite pas à afficher son statut de reconstruction, de représentation. Au fond, si Bertholet rehistoricise la matière du roman, il montre simultanément le caractère fictif de son propre texte et indique
par là l'aspect insaisissable du réel, toujours fuyant, qui nous échappe au moment où l'on pense le
saisir.
Et ce réel n'est pas sans entretenir lui-même des affinités avec le théâtral. A l'instar de Klaus Mann et
de beaucoup d'historiens, Mathieu Bertholet dénonce le "jeu" comme le modèle de l'exercice nazi du
pouvoir et souligne les penchants spectaculaires du régime hitlérien. Le nazisme se fonde sur une
dramaturgie de la représentation de soi dont l'illusion et la fiction sont les pierres angulaires. Les nazis
ont inventé tout un rituel où le pouvoir et son représentant suprême étaient mis en scène – que l'on
songe seulement à ces vastes cérémonies dans lesquelles rien n'était laissé au hasard, depuis le
décor, impressionnant, jusqu'aux effets de foule, de lumières et de pyrotechnie –, et bâti un véritable
scénario chargé de véhiculer, par le biais de la propagande dont Goebbels maîtrisait extrêmement bien
les techniques – affiches mais aussi cinéma – la fiction d'un nouveau bonheur individuel. Cette
compréhension de l'histoire est centrale dans la pièce de Bertholet.
Hannah Arendt a consacré une grande partie de son œuvre et de sa vie à penser, décrire et expliquer
ce phénomène radicalement nouveau au 20ème siècle qu'est le totalitarisme 4 . Elle nous aide à
comprendre le rôle de la fiction, et son dévoiement, dans ce système si tragiquement moderne.
Si le totalitarisme comme tel est considéré comme un événement nouveau par Arendt, c'est que selon
elle il se démarque de tous les régimes, y compris ceux qui lui sont proches comme le despotisme, la
tyrannie ou la dictature.
Le mouvement totalitaire naît de l'effondrement de la société de classes et du système des partis hérité
du 19ème siècle et de l'avènement d'une société de masses 5 .
Ces masses sont constituées d'une majorité inorganisée d'individus isolés et atomisés, écartés des
rapports sociaux, souvent déçus et désespérés, pour qui le repli sur soi va de pair avec un
Nous nous référons ici à son livre, Le Système totalitaire, Seuil, Points, 2002.
"Les mouvements totalitaires sont possibles partout où se trouvent des masses qui, pour une raison ou une autre, se sont
découvert un appétit d'organisation politique. Les masses ne sont pas unies par la conscience d'un intérêt commun, elles
n'ont pas cette logique spécifique des classes qui s'exprime par la poursuite d'objectifs précis, limités et accessibles. Le
terme de masses s'applique seulement à des gens qui, soit du fait de leur seul nombre, soit par indifférence, soit pour ces
deux raisons, ne peuvent s'intégrer dans aucune organisation fondée sur l'intérêt commun, qu'il s'agisse de partis politiques,
de conseils municipaux, d'organisations professionnelles ou de syndicats. Les masses existent en puissance dans tous les
pays, et constituent la majorité de ces vastes couches de gens neutres et politiquement indifférents qui n'adhèrent jamais à
un parti et votent rarement". p. 46
4
5
9
affaiblissement décisif de l'instinct de conservation menant à un désintérêt de soi et à une attitude
cynique et indifférente vis-à-vis de leur propre mort.
Ces mouvements ont exercé par ailleurs un attrait incontestable sur les élites. Il y avait dans l'attirance
de certains intellectuels et de certains artistes pour les mouvements totalitaires une volonté de
démasquer l'hypocrisie de la société et un plaisir réel à voir détruire la respectabilité bourgeoise. Mais
cette attirance affichait surtout une méconnaissance de la réalité et un intérêt de soi perverti, "deux
traits qui ne ressemblent que trop au monde fictif et à l'absence d'intérêt personnel parmi les masses" 6 .
Les mouvements totalitaires s'imposent avant tout, explique Hannah Arendt, par la terreur et la
propagande.
La propagande est à coup sûr une part, un élément de la «guerre psychologique»; mais la terreur est
davantage. Les régimes totalitaires continuent à utiliser la terreur même lorsque ses objectifs psychologiques
sont atteints: sa véritable horreur consiste en ce qu'elle règne sur une population complètement soumise. Là
où le règne de la terreur est porté à sa perfection, comme dans les camps de concentration, la propagande
disparaît complètement; elle était même expressément interdite dans l'Allemagne nazie ("L'éducation dans les
camps de concentration consiste dans la discipline, sans aucune sorte d'instruction idéologique, car les
prisonniers ont pour la plupart une âme d'esclaves", écrivait Himmler). En d'autres termes, la propagande
n'est qu'un des instruments, peut-être le plus important, dont se sert le totalitarisme dans sa manière d'agir
avec le monde non totalitaire; a contrario, la terreur est l'essence même de cette forme de régime 7 .
A travers la propagande, le mouvement totalitaire construit un monde entièrement fictif censé révéler
une vérité que la société respectable aurait passé exprès sous silence ou couvert par la corruption. La
propagande totalitaire invente un univers mensonger et cohérent qui satisfait les besoins de l'esprit
humain mieux que la réalité. La force de cette propagande «repose sur sa capacité à couper les
masses du monde réel». Ainsi s'élaborent les théories du complot: «La fiction la plus efficace de la
propagande nazie fut l'invention d'une conspiration juive mondiale». Les thèmes antisémites étaient
fréquents et celui d'une conspiration mondiale courant depuis l'affaire Dreyfuss. L'ingéniosité nazie a
été de «transformer l'antisémitisme en un principe d'autodéfinition, le soustrayant ainsi aux fluctuations
de la simple opinion 8 ». L'ensemble de la propagande vise à élaborer cet échafaudage fictionnel qui est
l'essence même du mouvement totalitaire, qui le constitue comme tel, non pas, comme le pratique tout
Etat, en mentant sur les faits, mais en affichant un mépris total pour les faits.
L'organisation du système totalitaire est entièrement conçue dans le but de protéger cette fiction et
d'éloigner donc les individus qui le composent du monde réel. Le monde totalitaire est ainsi constitué
d'une série d'enveloppes protectrices qui font tampon entre lui et le monde. Telle est la structure en
oignon qui caractérise selon Arendt le totalitarisme dans son fonctionnement effectif. Au centre de
l'édifice se trouve le chef, qui décrète les paroles infaillibles par lesquelles se construit la fiction. Ses
paroles ne reflètent pas le monde réel, elles construisent un monde fictif qui ne supporte aucune
contradiction et ne se laisse pas démentir par l'expérience, puisqu'il est entièrement déconnecté du
monde réel. C'est au fond la force performative du langage totalitaire. Autour du chef plusieurs couches
protectrices: l'élite d'abord, puis les membres du parti et enfin les sympathisants. Ces derniers, les plus
"Dans une atmosphère d'où se sont évaporées toutes les valeurs et toutes les propositions traditionnelles (après que les
idéologies du 19ème se furent réfutées l'une l'autre et qu'elles eurent épuisé leur intérêt vital), il était en un sens plus facile
d'accepter, plutôt que de vieilles vérités devenues de pieuses banalités, des propositions manifestement absurdes,
précisément parce que nul n'était censé prendre ces absurdités au sérieux. […] l'élite intellectuelle des années 20 était
persuadée qu'on pouvait jouer à la perfection le jeu ancien qui consiste à épater le bourgeois si l'on commençait par choquer
la société avec une caricature ironique de son propre comportement." p. 82-83.
6
7
8
Ibid., p. 95
Ibid., p. 115
10
proches de la société non totalitaire, en sont aussi la caution: apparaissant comme d'inoffensifs
citoyens, ils ne peuvent être perçus comme des fanatiques; grâce à eux, les mouvements rendent
acceptables leurs plus incroyables mensonges. Cette structure qui multiplie les organisations de façade
a ainsi une double fonction: faire perdurer l'illusion vis-à-vis du monde non totalitaire, et protéger la
hiérarchie interne du mouvement de ce même monde. Dans cette organisation, chaque échelon
représente pour l'échelon supérieur l'image du monde non totalitaire, parce qu'il est moins militant et
que ses membres sont moins totalement organisés. Ainsi les membres du mouvement se trouvent
protégés du monde extérieur, dont l'hostilité, clamée par les dirigeants, demeure une pure présomption
idéologique.
Le fonctionnement du système totalitaire se calque sur le modèle de la société secrète, dont elle garde
l'esprit – une hiérarchie fondée sur des degrés d'initiation, le principe selon lequel "quiconque n'est pas
expressément inclus, est exclu", le rôle profondément unifiant du rituel – sans pourtant garder secrets
ses objectifs. «En d'autres termes, les mouvements totalitaires imitent tout l'attirail des sociétés
secrètes, mais le vident de la seule chose qui pouvait excuser, ou était censée excuser leurs méthodes
– la nécessité de garder le secret. 9 »
Cette compréhension du système totalitaire que nous livre Hannah Arendt souligne que l'illusion,
lorsqu'elle est au service du pouvoir, a comme but principal de tromper, de duper son public. Elle
requiert une participation de ceux à qui elle s'adresse qui confine au pathologique: ils doivent croire à la
fiction qu'on leur propose. Or le théâtre est précisément ce lieu où la fiction ne se donne jamais pour
autre chose que ce qu'elle est; le spectateur est invité à s'impliquer, voire à s'identifier, sans jamais
perdre de vue qu'il est au théâtre. Parce qu'elle souligne ces aspects, la pièce de Mathieu Bertholet
nous indique plus que jamais l'urgence qu'il y a à remettre l'illusion à sa place, c'est-à-dire sur la scène
et non dans les loges du pouvoir.
9
Ibid., p. 148
11
Intertextualité: Le mythe de Faust
La référence à Faust travaille le texte en faisant un détour par le Méphisto de Mann. Méphisto a été le
grand rôle de la carrière de Gustaf Gründgens, dans lequel il n'a jamais cessé de triompher, pendant le
nazisme et après la guerre. Son interprétation ainsi que sa mise en scène datant des années 50 et qu'il
n'a cessé de reprendre jusqu'à sa mort, est encore célèbre aujourd'hui en Allemagne et reste un
modèle du genre.
Le titre choisi par Klaus Mann fait évidemment écho à cet aspect de la carrière de l'acteur. Mais il laisse
aussi entendre que certains auraient pactisé avec le diable: Gründgens, alias Hendrik Höfgen dans le
roman de Mann, serait alors Faust lui-même, celui qui se laisse séduire par le démon du nazisme.
Répercutée dans la pièce de Bertholet, l'évocation de Méphisto renvoie à Goethe en transitant par
Klaus Mann, et leste ainsi la pièce de poids de l'histoire littéraire.
Le mythe de Faust trouve son origine dans un fait réel: selon des témoignages de l'époque, un docteur
Faust, pseudo humaniste et magicien, pseudo philosophe et alchimiste né vers 1480 dans le
Wurtenberg a bien existé. Il a frappé l'imagination populaire par sa vie déréglée, ses vantardises et ses
exploits, et sa légende a enflé après sa mort, suscitant les rumeurs les plus délirantes sur ses
accointances avec le diable. Anecdotes et épisodes se sont ainsi ajoutés à un récit déjà chargé.
Ce personnage a été, aux yeux mêmes de ses contemporains, l'incarnation vivante de l'esprit allemand
de l'époque et ce au travers même des contradictions qui le constituent: Faust est à la fois
individualiste et obsédé par les problèmes religieux, constamment tiraillé entre le profane et le sacré, le
politique et le théologique, la soif de vivre et la terreur de l'au-delà.
La première publication du récit faustien est celle de l'imprimeur Johann Spiez ; elle date de 1587 et
paraît à Francfort sous le titre de Histoire du docteur Johann Faust, très célèbre magicien et nécromant.
Comment, à termes fixes, il vendit son âme au diable et quelles singulières aventures il connut, vécut et
provoqua avant de recevoir enfin sa récompense bien méritée.
Si la veine populaire de l'affabulation, du fantastique et du grotesque y est très vivace, ce récit vise
néanmoins à produire un effet moralisant et à servir de terrible exemple et de fidèle avertissement à
tous les hommes présomptueux et ambitieux, conformément au contexte en grande partie protestant et
luthérien dans lequel il apparaît. Luther lui-même aurait d'ailleurs prêté à cette parabole son autorité
morale et religieuse. Faust y est l'incarnation du magicien qui n'a pas hésité à se rallier aux puissances
du Mal pour multiplier ses maigres sortilèges; la nécromancie est son péché principal, qui sera
augmenté, dans d'autres versions, par l'escroquerie, la bestialité et la sodomie, autant de vices
attribués, dans l'esprit protestant germanique de l'époque, au Pape et aux papistes, cousins du Diable.
La fable de Faust a donc été à ses débuts un instrument de la propagande luthérienne.
La légende connaît aussi des développements théâtraux dont le plus célèbre est la pièce de Marlowe
(entre 1589 et 1592) dans laquelle Faust apparaît comme le héros du pouvoir humain poussé jusqu'à
ses plus extrêmes possibilités de connaissance et de jouissance. C'est certainement les Comédiens
anglais, dont les représentations en Allemagne à la fin du 16ème siècle marquèrent le début du théâtre
moderne, qui apportèrent le texte de Marlowe à partir duquel la légende faustienne essaima sur les
scènes allemandes.
Ce petit livre, qu'on connaît sous le nom du Livre de Faust, a constitué, plus ou moins directement, le
point de départ de toutes les légendes ultérieures. Celles-ci se succédèrent et évoluèrent au rythme des
mentalités: Faust est la figure de l'homme face au savoir, de celui qui vend son âme au diable pour
acquérir la connaissance, comprendre les secrets de la nature et jouir de tous les plaisirs interdits. Au
16ème siècle, cette aspiration à un savoir qui n'est directement celui de l'Eglise, et considéré donc
comme diabolique, est fortement vilipendée et Faust doit en payer le prix. Cette aspiration à la
connaissance sera au contraire valorisée à partir de la Renaissance. Le mythe sera ensuite aspiré par
12
le souffle romantique: Faust devient alors l'incarnation de la condition humaine, divisée entre sa soif de
savoir et son aspiration au plaisir immédiat.
C'est avec Goethe (1749-1832) que la figure de Faust s'approfondit au point d'incarner véritablement
l'angoisse profonde de l'esprit nouveau. Faust a accompagné le poète sa vie durant. Goethe a en effet
composé différentes versions dont la première date de sa jeunesse tandis que la dernière, Le Second
Faust, est l'œuvre ultime, rédigée à la veille de sa mort.
Dès l'enfance, Goethe est fasciné par le mythe de Faust, qu'il découvre en marionnettes, et qui occupe
son imagination.
Entre 1773 et 1774, il a alors 24 ans, Goethe rédige un premier noyau de scènes qui composent
l'Urfaust ou Faust originel dont on a retrouvé une transcription publiée en 1887– alors que l'on croyait le
texte définitivement perdu.
Le texte se présente comme une suite de scènes et de fragments de longueur et de styles variés. Il
n'est pas encore question ici de magie diabolique, encore moins de pacte avec le diable. C'est dans
cette première version qu'apparaissent avec le plus d'impétuosité les thèmes du Sturm und Drang:
l'affirmation des forces créatives de l'humanité, l'élan irrésistible de l'homme vers une liberté, "une vie
vaste et infinie" et la reconnaissance de la limite qui en revanche est imposée à l'homme dans la réalité.
Douze ans plus tard, Goethe reprend la composition de son Faust laissé de côté. Cette version, qui
reste inachevée et fragmentaire, sera publiée dans ses œuvres complètes en 1790, mais rencontrera
peu d'écho.
Sur l'insistance de son ami Schiller, Goethe se remet au travail en 1797 mais ne publie qu'en 1806,
après avoir procédé à d'ultimes retouches, la "première partie" de son Faust qui est parue sous le titre
de Faust, Une tragédie. Il conçoit dès 1816 des plans pour une seconde partie qu'il commencera à
rédiger en 1826. Le texte, Le Second Faust, ne paraîtra qu'après sa mort en 1832.
Goethe, le Sturm und Drang et le romantisme.
Le Werther de Goethe (1774) marque une date phare dans la littérature européenne.
C'est par cet ouvrage que Goethe sera connu en France. De 1776 à 1792 quinze
traductions diffusent l'image d'une forme de sensibilité nouvelle pour l'époque: toute
puissance de la passion amoureuse, révolte contre la société, primauté du rêve sur
l'action, exaltation du Moi.
A l'origine du mouvement : Une réaction contre l'esprit rationaliste du XVIIIe siècle
(le Siècle des Lumières ou, en Allemagne, l'Aufklarung). Celui-ci proposait une
civilisation de progrès et de bien-être où la raison triomphait. Mais la sensibilité
menaçait d'être étouffée par cet excès de raison. Dès la seconde moitié du 18ème
siècle donc, une réaction apparaît, qui, partie d'Allemagne, va prendre rapidement les
allures d'un raz-de-marée.
C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre les rapports de Goethe et du
Sturm und Drang (littéralement "orage et instinct", expression inspirée du titre d'un
drame de Klinger, paru en 1776) qui a dominé l'Allemagne en cette fin de siècle.
C'est en grande partie au livre de Goethe De l'Architecture allemande (1773)) où il
élève un hymne à Erwin von Steinbach, l'un des artisans qui construisirent la
cathédrale de Strasbourg, que l'on doit l'extraordinaire intérêt qui se manifeste alors
pour l'art gothique dont Goethe loue le génie et la beauté modernes. De là s'ouvre la
période de Sturm und Drang où les termes de "cœur" et de "génie" s'opposent à la
"raison" qui a marqué l'époque précédente.
Mais les multiples tâches administratives que l'écrivain assume dorénavant lui font
dépasser le culte de l'individuel et le Sturm und Drang. Il renoue, d'une certaine
13
manière avec le monde classique, retrouvailles dont le Second Faust est l'éclatante
confirmation 10 .
Tragédie, indique le titre. Pourtant le dénouement du premier Faust, sanctionnant l'échec de
Méphistophélès et glorifiant le salut spirituel de Marguerite, semble indiquer le contraire. En effet pour
que la tragédie s'accomplisse, Faust, comme les héros raciniens, aurait dû aller jusqu'au bout d'un
destin funeste. Conformément au climat du Sturm und Drang, l'écriture du premier Faust privilégie
l'idylle au détriment du sens de la beauté classique. Le Second Faust se démarque ainsi du premier: en
faisant intervenir les esprits païens et les créatures mythologiques, il donne congé à la couleur locale
médiévale du premier; la "Nuit de Walpurgis" romantique devient une "Nuit de Walpurgis" classique;
Marguerite, l'héroïne romantique par excellence, laisse place à Hélène, tout droit issue de la mythologie
grecque.
Le Faust de Goethe est un personnage complexe et ambivalent. Peut-être est-ce d'abord cela qui lui
confère ce que l'on a coutume de nommer sa modernité. A cheval entre le Bien et le Mal, il incarne les
forces antagonistes de l'âme humaine, l'opposition des deux principes de l'ordre et du désordre.
Les commentateurs soulignent généralement que le démon de Goethe, comparé à ceux des versions
antérieures, perd beaucoup de son poids ou du moins de son efficacité; ainsi le mal n'écrase plus
l'homme, dont l'initiative et la confiance en soi vont croissant.
Méphisto apparaît en effet sous les traits du bon diable traditionnel qui encourage l'ivrognerie et la
paillardise, un diable peu effrayant qui ne comprend pas grand-chose aux aspirations à la connaissance
de Faust. Méphisto est un diable inefficient, qui parviendra certes à faire le malheur de Marguerite, mais
pas à lui ravir le salut de son âme. Les commentateurs se sont dès lors beaucoup interrogés sur la
fonction de ce diable: est-il, malgré ses pouvoirs mauvais, le double, inférieur et impuissant, de Faust?
Ou un personnage qui, par ses ruses et ses railleries, doit stimuler l'homme et l'empêcher de se laisser
aller à la léthargie?
Méphisto est surtout un personnage qui se veut maître de l'apparence, de l'illusion et de la théâtralité.
D'une théâtralité que la pièce de Goethe ne cesse de mettre en avant. La pièce commence en effet par
une Prologue sur le Théâtre qui introduit une vision en abyme de l'œuvre. Le directeur, le poète et
l'acteur y devisent sur le spectacle qui va se dérouler. On peut y lire une conception très proche de celle
du theatrum mundi et de la devise shakespearienne du monde: la vie est un vaste théâtre dans lequel
doit puiser le dramaturge. La transcendance du regard divin, inscrite dans la vision du theatrum mundi,
se lit quant à elle dans la succession des deux prologues: le premier "sur le théâtre" et le second "dans
le ciel", soulignant encore l'obédience baroque du texte. Car le texte de Goethe, imprégné de la volonté
de tourner le dos au rationalisme des Lumières ou de l'Aufklärung allemand, désormais considéré par la
nouvelle génération du Sturm und Drang comme desséchant, puise dans la boîte à malice de
l'esthétique baroque et du théâtre élisabéthain et en sort cette théâtralité imprégnée de féerie et de
fantastique qui ne craint pas de mélanger les genres.
A partir de l'œuvre de Goethe, le personnage et le drame de Faust s'imposent peu à peu à l'admiration
universelle, si bien que tous les penseurs, toutes les tendances, se trouvent un jour amenés à en
proposer une interprétation. Les écrivains et les poètes écrivent de nouvelles versions du mythe
correspondant au monde nouveau dans lequel ils vivent. D'incarnation romantique, le personnage est
ainsi devenu un modèle du nationalisme allemand.
Dominique Giovacchini, Gilles Vannier, "Goethe, biographie", in Analyses et réflexions sur Goethe, Le Second Faust.
L'hymne à l'univers. ellipses 1990.
10
14
La fondation de l'empire bismarckien (1870) marque le début d'une grande vague nationaliste à partir
de laquelle s'impose l'image d'un Faust typiquement allemand, construit indifféremment à partir de celui
de Goethe ou de la légende du 16ème siècle.
A leur tour les nazis ne pouvaient se dispenser d'utiliser cette figure nationale qu'était devenu Faust,
bien qu'ils n'appréciaient pas Goethe; ils se limitèrent donc à son Faust et encore le réduirent-ils à
quelques clichés utilisables à des fins de propagande. Ainsi Hitler aurait-il dit: "Je n'aime point Goethe;
mais je suis prêt à lui pardonner beaucoup pour ce seul mot: Au commencement était l'Action". Il a
donné ainsi le ton à la rhétorique officielle portant sur Faust, qui répétait inlassablement quelques vers
et limitait l'ensemble du texte et de l'œuvre à une glorification du dynamisme allemand. Dans le premier
Faust, le savant entreprend en effet de transposer dans son langage à lui le premier chapitre de Saint
Jean; il remplace alors, dans un mouvement alors très romantique, le mot "parole" par celui d'"action",
ouvrant sans le savoir une brèche aux récupérations nazies qui l'interpréteront comme le refus de la
raison et de l'intelligence au nom d'un pur dynamisme aveugle.
Il est significatif de noter que cette période a marqué la disparition graduelle de nouvelles versions du
mythe en Allemagne; le nazisme n'a donc pas produit pas de Faust typiquement national-socialiste.
Cette disparition tient au fait que Faust était une figure de la liberté humaine dans un contexte chrétien
de relation personnelle à Dieu ou au démon, une figure qui contredisait donc l'essence même du
nazisme.
15
Notes sur la mise en scène. Discussion avec Anne Bisang
AMM:- C'est à ma connaissance la troisième fois que tu commandes un texte à un auteur. Pourquoi?
Ta démarche était-elle motivée par le désir de traiter un sujet particulier, une époque, une
problématique précise? ou celui d'explorer l'univers de tel ou tel auteur, de te confronter à une écriture
contemporaine? Pour Mephisto en particulier, qu'est-ce qui t'a donné l'envie de commander un texte
autour du roman de Klaus Mann, et pourquoi à Mathieu Bertholet?
Par ailleurs, quel rapport s'établit-il entre un auteur et un metteur en scène dans le cadre d'une
commande? Est-ce que cela produit des interférences stimulantes? Comment se partage le désir de
l'auteur et celui du metteur en scène?
Anne Bisang: Tout d’abord, je dirais que ma relation au théâtre passe depuis ses origines par la
création. Les premiers spectacles que j’ai signés avec la Compagnie du Revoir sont nés de la page
blanche. Le processus d’écriture me passionne. Je ne me sens jamais plus mobilisée que lors de
l’éclosion d’un nouveau texte de théâtre comme matériau. J’aime la dimension du présent et l’idée
qu’une rencontre puisse mettre en mouvement tout un monde. J’ai peut-être aussi besoin de me
sentir moins seule dans la réalisation d’un projet, et je suis attachée à l’aspect collectif du travail
théâtral.
Ce qui m’échappe me rassure car j’aime réagir. Je pense qu’il y a une provocation de l’urgence
dans le fait de la commande : on accepte la surprise, on cherche justement à être déstabilisé.
Et puis il y a l’obsession de notre temps, de notre histoire contemporaine. Celle-ci est marquée par
des cataclysmes paradoxalement fondateurs d’une manière de vivre et de penser. Les textes
d’aujourd’hui peuvent faire résonner ces ondes de choc. Je pense principalement au totalitarisme et
à la barbarie nazis, à l’histoire de l’Europe du 20ème siècle.
Je devais avoir 13 ou 14 ans lorsque l’école nous a présenté « Nuit et brouillard ». Il y a dans mon
évolution individuelle un avant et un après ce moment là.
En commandant une pièce sur Annemarie Schwarzenbach à Hélène Bezençon en 1996, je voulais
sans doute me rapprocher de l’histoire européenne, « flouter » les frontières européennes de la
Suisse.
Pour toucher l’histoire de manière vive, cette figure suisse dissidente, antifasciste, homosexuelle et
morphinomane, intellectuelle et fugitive, s’exilant sans cesse hors des frontières du pays natal, fut
déterminante. Je pouvais accompagner cette femme dans son dédale de doutes et de passions et
trouver une place d’où regarder le monde. C’est elle qui – à distance imaginaire- m’a fait connaître
Klaus Mann et sa sœur Erika. En plongeant par effraction dans la vie de ce trio d’écorchés vifs, j’ai
découvert des engagements et des livres, dont Mephisto de Klaus Mann. Le contexte de ce roman
sur la carrière d’un acteur sous le régime nazi est resté présent dans mon esprit des années durant.
Lorsque Mathieu Bertholet eut terminé sa résidence à la Comédie, je lui ai demandé de retraduire
Les larmes amères de Petra von Kant que je montais alors. C’est après cette collaboration,
devinant son attachement à la culture et à l’histoire allemande, et plus particulièrement à celle de
Berlin où il réside, que je lui ai proposé l’adaptation de Méphisto pour la scène. Ma chance c’est
que Mathieu soit friand de commandes, sa place d’auteur est tout à fait singulière, moderne. Il s’est
rapidement emparé du projet, resté volontairement très ouvert, et l’a subtilement détourné. Le
roman de Klaus Mann est devenu le prétexte à une nouvelle enquête. L’élément central pour moi
était l’attitude de cet artiste tournant le dos à ses convictions politiques par opportunisme, le
mécanisme qui entraîne un individu à s’éloigner de lui-même: question d’éthique, de courage et de
lâcheté.
Je ne suis pas intervenue sur le projet d’écriture et les premières discussions furent très brèves:
nous connaissions chacun le travail de l'autre; il savait que la commande déboucherait sur une
16
production à la Comédie mise en scène par moi. C'est tout. Nous avons davantage communiqué
après la présentation d’une première version. C’est là aussi que ta fonction de dramaturge a pris un
nouveau tour, puisque tu as activement participé aux commentaires sur le texte et que tu as
entretenu le dialogue avec Mathieu. Je pourrais te retourner la question : Comment appréhende-ton la lecture d’un texte en cours d’écriture ? Comment définir la place qu’on prend ? Comment
s’adresse-t-on à l’auteur à ce moment là ? Est-ce facile de lui parler ?
En ce qui me concerne j’ai toujours hésité à partager mes intentions, par peur qu’il les intègre dans
la pièce. Je vois le rôle de la mise en scène comme contradicteur, si tout est dans le texte la mise
en scène est comme désamorcée. Il faut idéalement que le texte et la mise en scène créent des
précipités, des explosions. J’ai tenu à observer Mathieu comme très étranger à moi car la tendance
saturnienne de la mise en scène est de tout englober. Je me suis trouvée parfois trop affectueuse à
son égard. Un peu d’antagonisme dans ce processus n’est pas vain.
Il vaut mieux cultiver les différences plutôt que d’alimenter la liste des points communs, celle-ci vient
malgré soi, spontanément. Or traiter l’autre comme un prolongement de soi aurait les mêmes
conséquences néfastes que dans un couple fusionnel !
Ce qui a rendu le travail très fluide, c’est que nous ne revendiquons ni l’un ni l’autre la première
place. Je crois que nous avons une même attirance pour l’effacement, pour laisser les choses
advenir malgré nous.
AMM: Mephisto/rien qu'un acteur raconte deux destins, celui de l'acteur Gustaf Gründgens qui connaît
la gloire en devenant un des acteurs phare du régime hitlérien et celui de Klaus Mann qui choisit l'exil et
la lutte antifasciste. Cette double trajectoire pose tout le problème du rapport au pouvoir et en particulier
celui des artistes avec le pouvoir: qu'en penses-tu? Quels sont les liens des artistes avec le pouvoir,
quelle sont les responsabilités qui leur incombent? Le pouvoir a-t-il besoin de l'art? Et inversement estce que l'art a le pouvoir de changer le monde, ou en tout cas de l'alerter?
Mephsito est de ce point de vue un texte pessimiste: l'écrivain antifasciste n'est pas entendu tandis que
l'acteur continue à jouer sans que cela ait au fond une quelconque influence sur les événements: quel
sens cela a-t-il pour toi? De monter cette pièce en particulier a-t-il un sens particulier dans ta trajectoire
de metteur en scène, dans ta réflexion sur ton rapport, en tant qu'artiste, face au pouvoir?
AB: L’art et le pouvoir forment un couple infernal, voué à des conflits passionnels. S’il fallait
grossièrement définir la fonction de l’art, ce serait celle de jouer un rôle perturbateur, d’apporter
du chaos là où les idées, les comportements se figent. Tout au contraire le pouvoir aspire lui à
pérenniser un ordre établi, à constamment réorganiser l’ordre. Au-delà de cette caricature on
trouve toutes les nuances et les contradictions bien sûr.
Il n’y a pas d’innocence dans la sphère publique; tout acte, tout geste publique engendre des
conséquences; cela, le pouvoir et l’art le partagent.
Or la liberté virtuelle de l’artiste va bien au-delà de celle du pouvoir. La tentation de posséder la
parole de l’artiste est forte pour tout pouvoir qui craint d’être dépassé ou remis en question par
cette liberté. Le constat est flagrant, toutes les dictatures émergeantes s’attaquent d’abord à
l’art, à la liberté d’expression. Il serait évidemment faux de penser que tout artiste est
potentiellement subversif. L’artiste, comme n’importe quel citoyen est capable de tous les
conformismes et de toutes les compromissions, peut être est-il même en première ligne pour
cela. D’un autre côté, la caution qu’apporte l’artiste lié au pouvoir est symboliquement
irremplaçable, précisément parce que l’artiste évolue dans cette dimension symbolique (dont il
est créateur et) qui est un puissant levier de séduction et de communication. Cette caution peut
constituer un piège pour l’indépendance de l’artiste guetté par la complaisance mais un atout
manifeste pour le pouvoir qui s’achète à la fois une respectabilité, une image d’ouverture et de
tolérance, - donc de force -, et un projet esthétique. C’est en définitive lorsque les rapports entre
17
l’artiste et le pouvoir sont bons que la relation est la plus dangereuse… Reste que
l’indépendance de l’artiste s’arrête là où ses moyens de travailler sont remis en cause. Il n’y a
rien de plus facile que de réduire un artiste au silence. Même en démocratie. Coupez-lui les
vivres, retirer-lui son outil. Passé un moment d’émotion, éventuellement médiatique, le calme
revient vite. La liberté de l’artiste a un prix : une forme de marginalité qui l’éloigne des
solidarités traditionnelles de la rue. Ainsi donc l’artiste est un monarque au royaume fragile.
Si la force subversive de l’art fait incontestablement bouger le monde, l’art a-t-il le pouvoir de
rendre le monde meilleur ? Certains artistes sont probablement animés de cet idéal. Je pense
encore faire partie de ceux-là de manière indécrottable ! Force est de constater là encore que
l’art n’a pu empêcher les pires régimes barbares de séduire les masses, et que son rôle
d’éveilleur vient davantage de la pédagogie qui l’accompagne ou non. Il a même parfois servi
de caution, de référence identitaire pour fonder les discours nationalistes. C’est pourquoi il faut
admettre les relations de l’art avec le mal en libérant l’art de son carcan moralisateur et
inoffensif.
AMM: La pièce de Mathieu Bertholet est construite de façon très ludique: comme un montage de
scènes au tempo rapide. Quels sont tes choix de mise en scène, comment veux-tu raconter cette
histoire dans laquelle s'inscrivent de façon très forte deux périodes de l'histoire: celle de la montée du
nazisme dont traite la pièce et celle d'aujourd'hui qui apparaît dans l'esthétique très contemporaine qui
est celle de Mathieu Bertholet?
AB: Le choix esthétique est inscrit dans la scénographie. Avec Anna Popek, nous avons opté pour
un espace contemporain inspiré du minimalisme. Il intègre à la fois le minimalisme qu’évoque
l’écriture de Mathieu Bertholet et la structure en collage de la pièce qui elle-même renvoie à des
formes des années 20-30 et qu’on retrouve notamment dans les scénographies de Piscator. Les
costumes conçus par Paola Mulone précisent par le dessin des silhouettes la période historique du
récit. Ce qui m’importe, c’est d’inventer un langage qui corresponde à l’écriture de la pièce mais qui
prenne également en charge les interrogations de la pièce : L’art est-il « utile » ? Quelle est la
responsabilité de l’acteur au théâtre ? Etc..La pratique du théâtre est un des moteurs de la pièce, le
théâtre est donc un système qui doit être mis en évidence dans le spectacle : son extraordinaire
champ de possibles, sa trivialité et sa réalité dérisoire.« Théâtre des opérations » est une
expression déclencheuse pour ce projet où je souhaite que le jeu des acteurs imite le procédé
d’écriture pour mieux le malmener. Car d’une certaine façon la pièce porte atteinte à leur intégrité
morale et à leurs possibilités physiques. J’espère une révolte ludique et fortifiante…
18
De l'espace textuel à l'espace scénique.
Notes sur la scénographie de Anna Popeck
Mephisto/rien qu'un acteur de Mathieu Bertholet, c’est l’hétérogénéité de l’action, du temps et de
l’espace. C’est un collage composé de scènes courtes, qui se succèdent à la vitesse de l’éclair,
uniquement séparées par des chiffres.
Mephisto se déroule ainsi sur plusieurs plans (parfois simultanés) qui supposent une manipulation de
l’espace théâtral.
L’auteur nous met au défi de construire, dans un espace théâtral confiné, une multitude d’espaces, qui
changent dans le temps, et entre lesquels l’action transite avec la rapidité de l’éclair. Néanmoins, déjà
au niveau des didascalies, on trouve des suggestions d’uniformiser l’espace.
Le point de départ a été donné par la modernité de l’écriture et par le découpage des scènes. Les
premières esquisses, suivant le texte de manière très littérale, consistaient en des collages mêlant des
photos (illustrant les espaces apparaissant dans le texte) et des détails architecturaux. Dès le début,
l’esthétique se situait à la croisée de l’architecture (post-)moderne et de la sculpture. Très vite, il était
clair que nous utiliserions des matériaux modernes tels que l’aluminium ou le plexiglas, qui ont donné à
l’ensemble l’aspect actuel.
Au cours du long chemin de recherche d’une solution appropriée, en éliminant peu à peu des détails
trop illustratifs, ou plutôt en les remplaçant par des éléments qui, en agissant sur notre imagination, ne
font que suggérer les lieux de l’action, nous avons créé une construction multi-espaces, résolument
neutre, qui peut être transformée à volonté. Nous avons créé une sorte de machinerie nous permettant
de voyager dans le temps et dans l’espace.
Dès le commencement du travail sur ce projet, au cours de mes discussions avec la metteure en scène,
nous nous sommes demandées comment éviter une approche illustrative, tout en conservant le
caractère spécifique des lieux de l’action. Le résultat est une scénographie qui n’est pas uniquement
créée physiquement sur la scène, mais tire aussi parti de la lumière, du son, et des images projetées, et
qui laisse le plein pouvoir aux acteurs de créer des fictions par la magie du théâtre.
19
Biographie de Mathieu Bertholet
Né en 1977 en Valais, Mathieu Bertholet a quitté la Suisse en 1997 pour Berlin où il a étudié
l’Ecriture de Scène à l’Académie des Beaux-Arts. Il vit toujours à Berlin, où il écrit dans le calme
de son quartier.
Il a reçu un Prix Jeunes Auteurs de la Radio Suisse Romande en 1997, le Prix Take Away du
Burgtheater de Vienne en 2001 pour sa pièce discothèque. Il a été auteur en résidence à la
Comédie de Genève en 2001, résidence durant laquelle il a écrit geneva.lounging. Il est invité
cette année avec sa pièce faRbEn à Intertext, un programme d’échange de textes contemporains
entre le Burgtheater de Vienne, le Royal national de Londres, la Mousson d’Eté en France et
Quartieri dell’Arte en Italie.
Mathieu Bertholet est l’auteur de nombreuses pièces historiques, ou documentaires, c’est selon.
Il a écrit fArBen (prix du Schauspielhaus de Hambourg), une biographie onirique de Clara
Immerwahr, première femme chimiste allemande, épouse de Fritz Haber, inventeur des gaz de
combat. Il est l’auteur de geneva.lounging (création à la Comédie de Genève en avril 2002 par
Maya Bösch), adaptation contemporaine du mythe d’Orphée, de On est toujours la salope de
quelqu’un, autre adaptation d’un mythe grec méconnu, celui d’Atis, Sybèle et Agdistis. Il a été
chargé par le canton du Valais de le représenter à l’Expo.02, pour qui il a écrit 13 (mise en scène
de Catherine Sumi et Jacques de Torenté), spectacle sur l’histoire, les fables et les changements
de son pays d’origine. Il a écrit un oratorio sur le meurtre de Pier Paolo Pasolini, <EM<SAND<
em>, créé par Marc Liebens à Bruxelles en 2002. Puis, il a travaillé à une adaptation d’Œdipe, un
travail sur le chœur(création par Marc Liebens en mars 2004), et sur l’adaptation à la scène d’un
des mythes fondateurs de l’architecture moderne, les Case Study Houses californiennes. Il a
travaillé également avec Maya Boesch autour de Richard III de Shakespeare.
Il traduit les pièces des auteurs qui lui tiennent à cœur : Rainald Goetz, R. W. Fassbinder,
Rebekka Kricheldorf, Fabrice Melquiot….
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Bibliographie et filmographie
Œuvres de Klaus Mann traduites en français
Alexandre:roman de l'utopie, Malakoff, Solin, 1989
André Gide et la crise de la pensée moderne, Paris, Grasset, 1999.
Le condamné à vivre, Paris, Denoël, 1999
La danse pieuse: livre d'aventures d'une jeunesse, Paris, Grasset, 1993
Fuir pour vivre: la culture allemande en exil, avec Erika Mann, Paris, Autrement, 1997
Fuite au Nord, Paris, Grasset, 1998.
Journal, 1. Les Années brunes, 1931-1936, 2.Les années d'exil, 1937-1949, Paris, Grasset, 1996 & 1998.
Ludwig: nouvelle sur la mort du roi Louis II de Bavière, Aix en Provence, Alinéa, 1987.
Méphisto, Paris, Grasset, Les cahiers rouges, 1993
Méphisto, d'après Klaus Mann, adaptation d'Ariane Mnouchkine, Paris, Solin, 1979
Speed, nouvelles, Paris, Denoël,1999
Symphonie pathétique: le roman de Tchaïkovski, Solin, 1988
Le Tournant, histoire d'une vie, Solin, 1985 ou Seuil 1986
Le Volcan: un roman de l'émigration allemande (1933-1939) Grasset, 1993
Sur les Mann
Strauss Dieter et Miermont Dominique, Klaus Mann et la France, Un destin d'exil, Seghers, 2002
Faust de Goethe et autour
Goethe, Faust I & II, traduction de Jean Malaparte, GF, 1984
coll, Analyses et réflexions sur Goethe, Le Second Faust, ellipses1990.
Dabezies André, Le Mythe de Faust, Armand Collin, 1972
Esthétique
Michaud, Eric, Théâtre au Bauhaus, Lausanne, La Cité-L'Age d'homme, 1978.
Piscator Erwin, Le théâtre politique, L'Arche 1962
Piscator Maria, Piscator et le théâtre politique, Paris, Payot, 1983
Richard Lionel, Encyclopédie de l'Expressionnisme, Paris, Somogy, 1978
Palmier Richard, L'Expressionnisme comme révolte, Payot 1983
Palmier Richard, L'expressionnisme et les Arts I, Portrait d'une génération, Payot 1979
Palmier Richard, L'expressionnisme et les Arts II, Peinture, théâtre, cinéma
Histoire et philosophie
Arendt Hannah, Le Système totalitaire, Seuil, Points, 2002.
Guyot Adelin, L'art nazi: un art de propagande, Complexes
Kraus, Karl, Troisième nuit de Walpurgis, Marseille, Agone, 2005
Richard Lionel, Le nazisme et la culture, Complexes, 1988
Roth François, Petite histoire de l'Allemagne au XXème siècle, Collin, 2002,Coll, Berlin 1919-1933, Autrement, 1991
Films
Méphisto, Istvan Szabo
Série Pourquoi nous combattons (1942-1945) produit par Frank Capra.
Le Dictateur de Charlie Chaplin, 1940.
Correspondant 17 d'Alfred Hitchcock, 1940.
Lifeboat d'Alfred Hitchcock, 1944.
Chasse à l'homme de Fritz Lang, 1941.
Les Bourreaux meurent aussi de Fritz Lang, 1943.
To Be or Not to Be d'Ernst Lubitsch, 1942.
Reinhardt Max, Midsummer Night's Dream
21
Mephisto / rien qu’un acteur
de mAtHiEU berTHoLeT
1ère partie
ESPACES
La Salle, la Scène du Théâtre, la Loge Impériale.
Une cantine.
Un lit.
Un bureau.
Une rue.
Le bord de l’eau.
Une interview.
Une table dans un cabaret. Toujours tout un monde
derrière. Qui change. Qui disparaît.
Partout des drapeaux des oriflammes des décorations des
insignes. Au début, communistes en majorité, remplacés
ou arrachés pour faire place aux symboles nationalsocialistes.
PERSONNAGES
ICY, Klaus Mann,
ERI, Erika Mann,
GUSTAF Gründgens,
LE DIRECTEUR des Théâtres,
TILLA Durieux, une actrice, plus tard, EMMY
Sonnemann,
GUSTAVvon Wagenheim,
PAMELA Wedekind, plus tard, MARIANNE,
UN ACTEUR, plus tard, le Ministre-Président,
Hermann GÖRING,
ERICH Zaccharias-Langhans,
TOMSKI, Thomas Quinn-Curtis,
Un JEUNE HOMME et UN GROUPE DE
JEUNES HOMMES. Au début, communistes pour la
plupart, de plus en en plus de SA, pour finir, plus que
des SS et des soldats de la Wehrmacht.
22
ON THE ROOF
1
Des femmes enfilent des bas avec une couture sur le mollet. Lentement. Avec plaisir.
ON THE ROOF
2
Le bord de l’eau à Cannes.
ICY, TILLA
Rain. Rain. Rain. Rain. Rien. Rain. Rain. Rien. Rain. Rien. Rain. Rien. Rain. Rien.
ICY
TILLA
ICY
TILLA
ICY
Il y avait un jour tellement de possibilités devant nous.
Qu’est-ce qu’on a en a fait ?
Nous sommes allés nos chemins.
Certains vers les sommets.
Et nous ?
Vers nous même.
/Ce n’était pas le début. C’était déjà la fin.
/Je ne suis pas amer. Et je ne suis pas fier.
Je suis juste étonné,
/nous sommes tous dépassés par la vie,
elle nous prend plus que ce que nous pouvons donner.
Elle nous coûte,
tout naturellement
rien de plus que la vie.
ON THE ROOF
3
Une interview.
La lumière pâle d’un studio de télévision.
Le dos d’un homme. GUSTAF, vieilli, fatigué.
GUSTAF
Moi ! Oh, moi, /je survole les années de jeunesse.
Nous avons tous posé nu sur une peau d’ours blanc pour une photo de famille. Nous avons tous
trainé nos fesses sur les bancs d’école.
Qui peut bien se soucier de MA jeunesse…
Non, non, parlons plutôt du Théâtre.
ON THE ROOF
4
Un Bal masqué.
De la lumière claire.
Dans les profondeurs de la scène, tous. Quelques uns avec un masque autour du cou, d’autres, le masque sur le visage. Un danseur en
costume de Grande Faucheuse. De grands gestes.
ERI et ICY s’arrêtent.
Au bord de l’eau du Starnberger See.
ERI
La maison est belle, peut rester. Qu’est-ce qui m’arrive ? Moi, je ne veux pas rester. Parfait, tout !
/Je ne m’amuse pas. /Le lac est beau, peut rester. /J’aimerai être ailleurs. À 1o’ooo lieues. Loin,
loin !
ICY
Ce n’est pas une mauvaise idée ! Il y a tellement de choses que je pourrais fuir.
TURN THE LIGHTS ON, LET THE SHOW BEGIN.
AUSSICHTSPLATTFORM
5
Une cantine.
GUSTAV VON WAGENHEIM Tu t’es caché ?
GUSTAF
Mes migraines. Tout ce bruit quand une troupe envahit notre théâtre. Tout ces gens qui veulent
me voir.
GUSTAV
Tu te fatigues trop, GustaF avec F.
GUSTAF
Non, non, juste mes migraines.
GUSTAV
Gustaf, le Théâtre Révolutionnaire a besoin de toi ! De ton nom !
GUSTAF
Je suis des vôtres, dans un mois, tout au plus !
23
GUSTAV
GUSTAF
GUSTAV
GUSTAF
Dans un mois ? Très bien ! (GUSTAF répète après GUSTAV, pour lui, en imitant le ton.) Sortons le
théâtre de son embourgeoisement ! Réveillons le prolétariat ! Montrons la voie aux travailleurs !
Rendons la scène au peuple !
Révolution !… Contre la bourgeoisie !…
Oui, GustaF ! /Tu viens ? Les camarades nous attendent en ville.
Non, pas aujourd’hui, mes migraines…
6
Sur la scène.
ERI salue le public. Elle recoit des fleurs.
7
La Salle.
UN ACTEUR
TILLA
UN ACTEUR
TILLA
ACTEUR
TILLA
ACTEUR
TILLA
ACTEUR
TILLA
ACTEUR
TILLA
ACTEUR
Ses grimaces font peut-être de l’effet chez le Professeur Reinhardt ou même à la Volksbühne, mais
à nous, on ne la fait pas ! Moi aussi /nous sommes aussi des acteurs !
Elle a un certain charisme. Si naturelle. Tellement elle-même.
Elle-même ! On peut bien se permettre d’être soi-même avec ce nom-là ! MANN sur une affiche,
ca fait venir tout un petit monde snobomarxiste ! Rien que ca ! MANN ! /Ce n’est pas une femme,
un poisson ! /Avec des écailles froides. Froides…
Un poisson ?
Un poisson ! Elle se secoue comme un poisson sur une table. Froide, presque morte.
Si ca leur plait !
Pour les cinquante Marks qu’on lui glisse tous les soirs, elle pourrait en faire un peu plus ?
Cinquante Marks pour faire le poisson et donner dans le communisme ! C’est obscène ! Obscène !
Tout comme l’aut’ Gustaf !
GustaF avec F ?
Ca met en scène et ca se garde les meilleurs rôles ! Il nous laisse pas même les miettes. Il a passé
l’âge de jouer les jeunes premiers !
Te fais pas de bile. Il sera ridicule en collant. Ces dames n’auront d’yeux que pour toi. (Je te caressse
le menton.)
/Il a passé toute la soirée caché dans sa loge.
Trois crises d’hystérie rien qu’aujourd’hui ! Il a arrêté les répétitions pour courir en hurlant : „Je ne
serai jamais au sommet, pas comme la Mann, la Mann, je ne serai jamais comme elle !“
Il est lucide, pour une fois ! (Ils rient.)
Allons manger !
Non, merci.
8
Une cantine.
LE DIRECTEURCe fût un plaisir de vous accueillir chez nous, Mademoiselle Mann. Vraiment, une grande soirée de
théâtre, Mademoiselle Mann. Vous resterez bien manger avec nous, Mademoiselle Mann ?
ERI
Désolée. Pouvons pas rester. Invités. Party.
TILLA
Erika, mon amie, quelle tristesse ! Tu ne peux pas t’asseoir avec nous, juste un peu ?
ERIKA
Dommage. En retard.
TILLA
Dommage.
GUSTAF
Pardon, excusez-moi, vraiment fameux, je suis vraiment en retard. Qu’allez-vous penser de moi ?
Quelle histoire ! Je ne voulais pas que vous partiez sans vous avoir dit, sans vous dire à quel point
j’ai apprécié cette soirée ! Comme je l’ai aimée. Ce fût tout à fait grandiose !
ERIKA
Menteur. Même pas dans la salle. Vous vous êtes caché. /Doué, dit-on.
GUSTAF
Moi, doué ? Voilà bien une rumeur infondée.
ERIKA
Une rumeur qui ne ment pas ? Très en retard. Dommage.
/Gustaf, vous venez ?
9
Le bord de l’eau à Cannes
ICY, TILLA
Rain. Rain. Rain. Rain. Rien. Rain. Rain. Rien. Rain. Rien. Rain. Rien. Rain. Rien.
ICY
Il y avait un jour tellement de possibilités devant nous.
Qu’avons-nous fait ?
TILLA
Nous avons suivis nos chemins.
Certains, vers les sommets.
ICY
Et nous ?
TILLA
Vers nous-même ?
24
ICY
10
Un cabaret.
GUSTAF
ERI
GUSTAF
ERI
GUSTAF
ERI
GUSTAF
ERI
GUSTAF
ERI
/Ce n’était pas le début. C’était déjà la fin.
/Je ne suis pas amer. Et je ne suis pas fier.
Je suis juste étonné,
/nous sommes tous dépassés par la vie,
elle nous prend plus que ce que nous pouvons donner.
Elle nous coûte,
tout naturellement
rien de plus que la vie.
Dans un mois, j’ouvre mon théâtre. Mon Théâtre Révolutionnaire ! (Avec ce ton que j’ai appris.) Ma
scène pour le théâtre d’aujourd’hui, pour les auteurs de notre temps, pour notre temps. Il faut
sortir le théâtre de son embourgeoisement. Le théâtre doit parler aux travailleurs ! Il nous faut
parler au prolétariat ! La Révolution ! Vous me comprenez Erika ? Vous me comprenez !
Oui, Gustaf. Nos pères ! Leur théâtre : vieilli. Usé. Inutile. Vieux. Leurs idées : dépassées.
Poussièreuses. Inutiles.
Erika, oui. /Oui.
Leurs idées ? Elles nous ont menées dans ces tranchées. Tous ces morts. Et aujourd’hui ce climat
dans les rues ! Dans les coins sombres, un bâton sous le manteau, ils attendent, prêts. Tous !
Le théâtre doit montrer la voie au prolétariat !
Nous engager. La Révolution a besoin de nos forces réunies.
Le nouveau Théâtre ! La Révolution !
/Vous présenter mon frère. VOUS saurez l’aimer.
Avec plaisir, Erika. (Je sors une photo de moi.) À garder précieusement, jusqu’à ce que je sois célèbre.
La nature m’a fait don de ce profil grec. (Je signe la photo.)
Oui. /Merci.
11
Une rue.
Une bataille de rues entre deux bandes de JEUNES HOMMES. GUSTAF observe de loin. Les JEUNES HOMMES se
séparent. Un manchon nazi, un JEUNE HOMME, parterre.
GUSTAF
Disparaissez ! Sales nazis !
Si j’étais arrivé plus tôt. Vous êtes blessé ? Je peux vous ramener ?
12
Un cabaret.
GUSTAF
ICY
GUSTAF
ICY
GUSTAF
ERI
GUSTAF
ICY
GUSTAF
ICY
GUSTAF
Notre enthousiasme fera taire nos ennemis. Mon, notre Théâtre Révolutionnaire sera entendu par
tous les travailleurs. Il faut leur rendre leur théâtre. Ils veulent me voir, t’entendre, toi. Tu es notre
auteur !
Ah vraiment ?
Oui, le miroir, la voix de notre génération.
Merci. Merci beaucoup.
Si, si, vraiment. Tout le vide de notre époque. Tu es le poète de notre génération. Tu montres la
voie.
On se plait ?
Oui ! Je vais la monter cette pièce, son Anja et Esther. Une grande pièce ! Et vous allez jouer tous
les deux !
Vous voyez les journaux ? Vous les voyez ?
Moi, moi je les vois, je vois déjà les affiches.
On ne pourrait pas, Gustaf, /plus tard /se voir en ville ?
/Aller manger…
Tu ne devrais pas travailler ? Si, si, tu dois travailler.
Ach, je veux, je veux faire quelque chose pour notre temps, pour le théâtre. Je veux, Klaus, je
veux…
Oui. /Oui, qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que tu veux ?
Ach, je veux, je veux /autant que toi, beaucoup, je veux beaucoup, je veux monter Goethe pour les
ouvriers ! Je veux faire beaucoup pour la Révolution !
13
Un bureau à Hambourg.
GUSTAF
J’ai là une pièce. D’un jeune auteur. Je veux la monter !
25
LE DIRECTEUR
Oui, je l’ai lue, Monsieur Gründgens. Mais je ne pense pas que notre public
hambourgeois soit prêt pour ce genre de choses. Toutes ces… /implications, ces /relations
étranges entre ces /jeunes gens. Vous lui faites déjà assez peur avec votre /Théâtre
Révolutionnaire, Monsieur Gründgens. L’émancipation du prolétariat par le théâtre, /je veux bien
mais ça, /ça là, /c’est tout autre chose ! La libération, /la répudiation de la morale ! Je veux bien
comprendre, /je peux même penser que, /mais mon public, /notre public, Monsieur Gründgens !
GustaV !
GUSTAF
GustaF avec F! L’auteur jouera lui-même et j’ai pu convaincre sa soeur. Ils me confient la mise en
scène. Laissez-moi essayer ! Et Pamela, l’amie d’Erika Mann, la fille de votre ami Wedekind, elle
joue Anja ! Imaginez-vous les affiches ! Notre public fermera les yeux ! Il viendra, pour nous, pour
les acteurs, il se laissera convaincre. Cette pièce, c’est exactement ce que votre public veut voir.
Notre jeunesse !
LE DIRECTEUR
Monsieur Gründgens ! C’est ça votre jeunesse /votre génération ? Perdue ? Désorientée ?
/Pervertie ?
GUSTAF
Monsieur le Directeur ! Pas perdue, en quête ! Pas pervertie, ouverte ! Klaus est notre poète. Ses
personnages nous montrent la voie. /Vous n’entendez pas la rue ?
LE DIRECTEUR
La rue, Monsieur Gründgens ? Moi, /je veux bien l’entendre, mais notre public, il ne
verra que /la perversion, Monsieur Gründgens ! Toute cette /immoralité !
GUSTAF
Il ne verra que les noms sur l’affiche ! Les Hambourgeois sont comme ça : des noms ! Des
familles ! Le succès ! /Un succès ! /Un triomphe ! Les enfants de poètes unis sur scène ! Un
scandale, mais un succès ! Notre conviction brûlante fera taire les critiques, Monsieur le Directeur !
14
Une cantine.
GUSTAV
GUSTAF
GUSTAV
GUSTAF
GUSTAV
GUSTAF
GUSTAV
GUSTAF
GUSTAV
GUSTAF
15
Le lit.
Moi,seul.
GUSTAF
Gustaf avec F !
Gustav avec V !
Tu entends la rue ? Ouvrons notre Théatre Révolutionnaire ! (GUSTAF répète pour lui en imitant le
ton.) Il est temps de montrer de quel côté nous sommes !
Tu sais où je suis. A tes côtés. Aux côtés des travailleurs. Je ne suis pas encore assez connu pour
qu’on m’écoute, GustaV. J’ai là une pièce, un immense succès ! Après, ils écouteront tout ce que
j’ai /tout ce que nous dirons sur la scène de notre Théâtre Révolutionnaire.
Il faut agir. Vite.
Oui. Après Anja et Esther nous ouvrirons notre Théâtre Révolutionnaire !
Merci, GustaF. Tu sais à quel point ton nom est important. Les gens t’aiment, ils écoutent ce que
tu dis.
Il faut qu’ils m’aiment encore plus.
Viens ce soir avec moi ! Les camarades, en ville !
Je te suis !
Il faut, il faut que je sois célèbre !
Vous ne savez pas qui je suis ?
Rappellez-vous de mon nom :
succès !
Je vais vivre pour toujours,
je vais apprendre à voler
très haut !
Regardez-moi !
Regardez-moi !
et dites-moi ce que vous voyez !
Vous n’avez pas encore vu le meilleur de moi.
Donnez-moi du temps.
Vous allez oublier tout le reste.
Je peux encore tellement plus !
C’est pour vous que je me dépasse !
Je veux toucher la lune.
Les gens me verront et pleureront !
Succès !
J’irai jusqu’au paradis,
allumer le ciel !
26
Succès !
16
Tous sur le lit.
Nous lisons le tapuscript. Emportés.
ERI
«Nous nous tenons debout entre les extrêmes. Désarmés. Personne pour nous guider.
ICY
/Je rends les parents responsables. Tout était plus simple pour eux.
GUSTAF
Ils n’ont pas eu de scrupules à nous mettre au monde.
PAMELA
Ils avaient leurs petites douleurs, sur lesquelles ils pouvaient se reposer. Une petite faiblesse,
confortable. Nous, il faut nous sentir en danger, d’heures en heures, comme aucune génération
avant n’a été menacée.
ERI
Ils avaient une terre sous les pieds. Un sol qu’il nous a fallu perdre…
PAMELA
tous nos rêves,
ICY
…beaucoup de nos souvenirs. Tous mes désirs.
GUSTAF
Notre désir, notre désir.
PAMELA
Et pourtant, pourtant quelques uns de nos espoirs… »
ERI
(Je pose le tapsucrit.) Un artiste n’arrête pas d’être ce que ses parents ont été avant lui.
ICY
Il faut bien qu’un de nous chante la chanson, notre chanson.
Et que dira-t-elle ?
17
La salle.
UN ACTEUR
TILLA
UN ACTEUR
TILLA
UN ACTEUR
18
La scène.
GUSTAF
ERI
GUSTAF
ERI
GUSTAF
19
Au lit.
Elles répètent.
PAMELA
ERI
PAMELA
ERI
Regarde-les ! Courir ! Hurler ! Crier ! Et ca prétend jouer ! Rien ! Rien ! Juste des papas qui leur
donne tout !
Leur âme les fait souffrir.
Tous dégénérés !
Leurs pères. La fuite. L’ombre. /La drogue.
De ca, ils ne manqueront jamais ! Pour le reste, tout le reste, ils courront toujours...
Tu as du talent, Erika !
Oui ?
Je vois ca ! Froide. Comme si tu étais notre temps. Froid. J’apprends quand je suis près de toi,
Erika.
Je ne fais rien.
Tu le fais si bien. Tu es ce que tu es. Reinhardt l’a compris. Je comprends aussi, maintenant. Ce
froid.
« Peut-être qu’un jour, on nous vénérera comme des saintes, toi et moi. Alors tout ce que nous
faisons, aussi ce que nous faisons toi et moi, cela aussi sera saint.
Je ne comprends plus les mots.
Maintenant,
les mots s’arrêtent,
les mots sont asséchés. »
/Tu n’es pas froide. Je te sens, là, contre-moi.
Ah, ma déesse. Tiens-moi !
20
Une queue, beaucoup de monde. Une très lomgue queue.
Et vous, jeune homme, vous faites la queue pour quoi ?
Pour du beurre.
Bonjour m’sieurs ‘dames ! Pour quoi qu’on attend ici ?
On fait endormir not’ chien. Plus de quoi croquer pour lui.
Bonsoir Méééssieurs.
Bonsoir, Jeune Homme.
C’est pour quoi que vous faites la queue ?
Chais pas encore, d’ici que j’sois devant, j’aurai trouvé quekchose.
27
21
La scène, ERI, PAMELA, ICY et GUSTAF répètent.
GUSTAF
(à ICY.) Plus carnasssier ton sourire, plus sur le bord des lèvres. Un petit sourire, sombre et
perfide, du coin des lèvres. Non ! Pas assez charognard ! Regarde-moi ! Regarde-moi ! Regardemoi ! Regarde-moi… (Ad eternum.)
22
La scène.
PAMELA
GUSTAF
ICY
Les journalistes sont là ! Gustaf ! Icy ! Venez ! /Courrez !
Les enfants de poètes, réunis !
(Je prends GUSTAF sous mon bras.) Et puis toi ! Gustaf Gründgens, le plus grand des acteurs en
route vers les sommets ! Regarde comme ils nous aiment ! (Crépitment de flashes.)
Tu nous vois Gustaf, sur toutes les couvertures, Gustaf ! Gustaf ! (GUSTAF rayonne.)
UN JOURNALISTE
Monsieur Mann ! Moniseur Mann, qui est ce Monsieur ?
ICY
C’est Gustaf Gründgens. Notre metteur en scène ! Et un immense acteur !
Flash. Flash.
JOURNALISTES
Monsieur Gründgens ! Monsieur Gründgens ! Merci, nous n’avons plus besoin de vous.
(GUSTAF sort du champ.) Merci !
Flash. Flash.
28
no
personnages fil thématique
type de
scène
espace
référentiel
espace
dramatique
temporalité
référentielle
temporalité
du récit
partout
le bord de
l'eau
env. 1920
20.mai.49
prolepse
1963
prolepse
actions
2 Icy, Tilla
K
insert
Histoire
tableau.biogr
aphique
Cannes
3 Gustaf
GG
tableau.biogr
aphique
théâtre
4 Eri, Icy
K
tableau.biogr Starnberger
aphique
See
le bord de
l'eau
1924
moment le
plus reculé
du récit
Gustaf,
5 Gustav
GG
FP
cantine
1925
début du fil projet d'un théâtre rev.
principal (FP) Migraines de GG
1 des femmes
6 Eri
E
7 Acteur, Tilla E+GG
Le directeur,
Eri, Tilla
E+GG
8 Gustaf
9 Icy, Tilla
K
FP
Hambourg
Hambourg:
théâtre
1925
commentaire
de l'action.FP Hambourg
cantine
1925
FP
cantine
1925
Hambourg
tableau.biogr
aphique
Cannes
bord de l'eau 20.mai.49
enfilent bas avec couture
noire su les mollets
suicide. derniers instants
de sa vie
Dernière interview avant
sa mort. Vient de quitter
poste de Dir du
Schauspielhaus de
Hambourg
Quittent la maison
paternelle pour Berlin.
Coup d'envoi du récit:
LIGHTS ON
divers
leitmotiv coutures 1
leitmoiv suicide 1
leitmoiv interview 1
leitmotiv bal masqué 1
Kammerspiel, dont GG fait
partie, pendant une tournée
du Deutschestheater de
Reinhart de Berlin
qq jours plus
tard
succès
Succès d'Eri génère
jalousie. Parlent de GG
continuité
avec ironie
La troupe veut retenir Eri. Le directeur du théâtre de
Elle est invitée. Eri sort Hambourg est dans la
continuité
de scène avec GG
réalité Erich Ziegel
prolepse.
suite sc 2
suicide. derniers instants
de sa vie. Evoque départ
de la maison paternelle leitmotiv suicide 2
no
personnages fil thématique
10 Eri, Gustaf
E+GG
type de
scène
espace
référentiel
espace
dramatique
temporalité
du récit
w1925
continuité
sc.8
actions
divers
Discussion sur le théâtre
rev. Eri veut présenter
GG à Icy
11 Gustaf
Gustaf, Eri
12 Icy
GG
FP
Hambourg
tableau.biogr
aphique+inse
rt.Hist.
E+K/GG
FP
Hambourg
cabaret
Gustaf, le
13 Directeur
E+K/GG
FP
Hambourg
bureau
Gustaf
14 Gustav
GG
FP
Hambourg
tableau.biogr
aphique
Hambourg
cantine
lit
FP
scène
leitmotiv drague 1 +
bagarre nazis. GG aide leitmotiv bagarre 1 Entre
env. 1925-30
un jeune homme. drague histoire et biographique
qq jours plus Projet de monter Anja et
1925
tard
Esther
GG propose de monter
qq jours plus la pièce de Icy.
1925
tard
Réticences du D.
GG se défile par rapport
qq jours plus au théâtre rev. Veut
1925
tard
d'abord monter A&E
Rêve de réussite.
1925
Monologue
leitmotiv succès 1
qq jours plus
1925
tard
lisent Anja et Esther
Répetition Anja et Esther
GG
15 Gustaf
Pamela, Eri,
E+K/GG
16 Icy,G
17 Acteur, Tilla
(Pamela,
18 Icy), G, Eri
Pamela, Eri,
19 (Icy, Gustaf)
Beaucoup de
20 monde
Eri, Icy,
Pamela,
21 Gustaf
Pamela, Eri,
Icy, Gustaf,
22 journalistes
Hamboug
Cabaret
temporalité
référentielle
rue
E+K/GG
commentaire
de l'action.FP Hambourg
salle
1925
simultanéité
jalousie. Les Mann, tous
dégénérés
Répetition Anja et Esther
E+K/GG
FP
Hambourg
scène
1925
continuité
"tu as du talent Erika"
Répétition Anja et Esther
E+K/GG
FP
insert.
Histoire
Hambourg
scène
continuité
répétition
Répetition Anja et Esther
rue
1925
env. 192530.
E+K/GG
FP
Hambourg
scène
Avant la 1ère qq jours plus
22oct 1925 tard
répétition
Répetition Anja et Esther
E+K/GG
FP
Hambourg
cantine
Avant la 1ère
22oct 1925 continuité
Répetition Anja et Esther
inflation
Mann attirent la presse.
GG pas sur la photo
type de
espace
scène
référentiel
tableau.
biographique Hambourg
espace
dramatique
temporalité
référentielle
rue
1925
24 Eri
Pamela, Eri,
E+K/GG
25 Icy, Gustaf
insert.Hist.
rue
env 1925-30
FP
Hambourg
scène
22.oct.25
26 Acteurs
Gustaf,
27 Gustav
E+K/GG
FP
Hambourg
cantine
22.oct.25
GG
FP
Hambourg
cantine
22.oct.25
"On ne siffle plus de
chanson à la mode"
qq jours plus saluts de la 1ère Anja et
tard
Esther
Fête de 1ère de Anja et
continuité
Esther
Le théâtre rev viendra
continuité
après Hamlet
FP
FP
Hambourg
Hambourg
cantine
cantine
22.oct.25
22.oct.25
continuité
continuité
FP
Hambourg
cantine
22.oct.25
continuité
Félicitations du directeur,
succès de la pièce
Fête de première
proposition mariage
Fête de première
1ère rencontre
Erich/GG.Admiration.dra
gue
Fête de première
FP
Hambourg
cantine
22.oct.25
continuité
mariage à 4
commentaire
de l'action.FP Hambourg
cantine
22.oct.25
simultaneïté Jalousie.nazisme
no
personnages fil thématique
23 G. j-h
GG
Le directeur,
GG
28 Gustaf
E+GG
29 Eri, Gustaf
30 Erich, Gustaf GG
Eri, Pamela,
E+K/GG
31 Icy
Acteur, Tilla,
E+K/GG
32 Gustav
Jeune
homme, Eri,
E+K/GG
33 Icy, Gustaf
homme/fem
34 me
insert.Hist.
35 Icy, Eri
E+K
FP
Hambourg
36 Icy, Tilla
K
FP
Cannes
FP
Hambourg
temporalité
du récit
actions
divers
drague
leitmotiv drague 2
Histoire vue par pers du
récit. Ambiance de + en +
tendue. Chanson qui
pourrait être issue du
Moulin à Poivre
qq jours plus
tard
Homosexualité
ouvriers se rallient à la
rue
1928-30
violence nazie
rapport E/I
lit
1925
continuité
homosexualité, drogue
Nous aurions pu rester
bord de l'eau 20 mai 1949. prolepse
où ns étions
Cabaret
Fête de première.
Fête de première.leitmotiv
bal masqué 2
Fête de première
Fête de première
Fête de première.
1925
leitmotiv suicide 3
no
espace
dramatique
temporalité
référentielle
FP
cantine
1925
bureau
1925
E
FP
Hambourg
tableau.biogr
aphique
lit
env. 1925-30
GG
tableau.biogr
aphique
personnages fil thématique
Pamela, Icy,
GG
37 Eri
Le directeur,
GG
38 Gustaf
39 Eri, Pamela
40 Gustaf
41 G et Eri
E+K/GG
42 G
GG
type de
scène
FP
espace
référentiel
temporalité
du récit
qq jours plus
tard
qq jours plus
tard
Crise de nerf GG. Suite à
1ère de A&E
Prolongation contrat. GG
jouera Hamlet
GG gomine sa mèche
bord de l'eau 1926
continuité
théâtre
prolepse
1963
divers
Homosexualité. drogue
1926
Stanberger
see
actions
photo trop bourgeoise
vers luisant. Hermès.
raconte son mariage et
sa rencontre avec
Thomas Mann
scène de transformation du
personnage. Ponctue
trajectoire
mariage
leitmotiv interview 2