Mephisto/Rien qu`un acteur
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Mephisto/Rien qu`un acteur
DOSSIER PÉDAGOGIQUE Mephisto /rien qu'un acteur DE MATHIEU BERTHOLET MISE EN SCÈNE ANNE BISANG DU 17 JANVIER AU 5 FEVRIER 2006 mardi, vendredi, samedi à 20h mercredi, jeudi à 19h dimanche à 17h lundi relâche et le dimanche 22 janvier PRODUCTION : LA COMÉDIE DE GENÈVE LOCATION : T + 41 22 320 50 01 - F + 41 22 320 50 05 DOSSIER REALISE PAR ARIELLE MEYER MACLEOD T + 41 22 320 52 22 - F + 41 22 320 00 76 E-MAIL : [email protected] DISTRIBUTION Metteure en scène Scénographe Lumière - création Assistante à la mise en scène Dramaturgie Costumes Son Musique Vidéo Mouvement Maquillages et coiffures Accessoiriste Anne Bisang Anna Popek Rinaldo Del Boca Stéphanie Leclercq Arielle Meyer MacLeod Paola Mulone Sartén Michel Wintsch Laurent Valdès Tane Soutter Arnaud Buchs Natacha Jaquerod JEU avec Christophe GREGOIRE dans le rôle de Gustav Gründgens Juan BILBENY Felipe CASTRO Jeanne DE MONT David GOBET Stéphanie LECLERCQ Jacques MICHEL François NADIN Yvette THERAULAZ Graziella TORRIGIANI Production La Comédie de Genève 2 Table des matières De Mephisto à rien qu'un acteur 4 Un texte de commande 4 Mephisto de Klaus Mann Æ rien qu'un acteur 5 L'art et le pouvoir. Gustaf Gründgens et les enfants Mann 6 Construction de la pièce 7 Illusion théâtrale et fiction totalitaire 10 Intertextualité : Le mythe de Faust 13 Notes sur la mise en scène. Discussion avec Anne Bisang 17 De l'espace textuel à l'espace scénique. Notes de Anna Popeck 20 Biographie de Mathieu Bertholet 21 Bibliographie et filmographie 22 Annexes 23 Texte 1ère partie Mephisto / rien qu'un acteur Découpage du texte Klaus Mann, Le condamné à vivre Lionel Richard, Le nazisme et la culture 3 De Méphisto à Rien qu'un acteur Un texte de commande Mephisto/rien qu'un acteur est le résultat d'une commande passée par Anne Bisang à Mathieu Bertholet, faisant suite à une résidence de l'auteur à la Comédie. En 2001, Mathieu Bertholet avait en effet été l'un des quatre écrivains retenus pour séjourner pendant une saison dans les murs du théâtre, avec l'injonction d'y faire ce que bon leur semblait – animer le lieu, s'exprimer sur ses murs, assister à des répétitions – pour ensuite écrire chacun un "lever de rideau". Cela a donné lieu à un spectacle présenté sous le titre annonciateur de C'est agaçant cette obsession des auteurs vivants à être joués… L'obsession a perduré, pour Anne Bisang comme pour Mathieu Bertholet. Et de cette résidence est né le projet de commander à l'auteur un texte de théâtre qui serait conçu à partir du roman de Klaus Mann, Méphisto, et qui déploierait la problématique complexe des rapports entre les artistes et le pouvoir. Résidence ou commande, ces passerelles jetées entre l'institution théâtrale et les écrivains contribuent à doter l'auteur dramatique d'une fonction nouvelle, plus proche du lieu théâtral. Dans le but de combler le vide grandissant des maisons d'édition qui délaissaient de plus en plus le champ théâtral, les institutions théâtrales aident depuis les années 70 à faire connaître et à promouvoir l'écriture contemporaine en organisant des mises en lecture, des résidences d'auteur, des ateliers de recherche, et en développant la pratique de la commande. Vers une nouvelle image de l'auteur dramatique? Des années 50 à nos jours, nous sommes passés d'une image de l'écrivain de théâtre retiré dans sa tour d'ivoire et se confrontant épisodiquement aux chantiers de répétitions à celle d'un homme "public", même si certains le regrettent. Public, il l'est dans la mesure où l'écriture est davantage subventionnée, où l'Etat a pris le relais du mécène d'autrefois et où, entre les résidences et les commandes officielles passées par les metteurs en scène ou les compagnies, l'auteur se voit proposer des "temps d'écriture" qu'il rentabilise à son gré. Il l'est également parce que son travail, ordinairement secret, voire alchimique, est exposé à plusieurs regards. A celui des autres artisans de la création théâtrale avec lesquels il est invité, sinon forcé à dialoguer à l'occasion des différents "essais" qui lui sont proposés. A celui des futurs spectateurs conviés à débattre de sa création, voire à mettre leur grain de sel au nom de leur "réception" de l'œuvre nouvelle. Au regard d'apprentis et d'élèves quand il les rencontre lors de studios ou d'ateliers. A celui de toutes sortes de gens quand on l'invite à prendre son bâton de pèlerin et à fréquenter les lycées et les maisons de jeunes, nouvel animateur par qui l'événement doit arriver par l'intercession de sa parole. Il est enfin un homme public parce que, son œuvre une fois représentée, on l'invite régulièrement à s'en expliquer 1 . Choisir de monter un texte contemporain plutôt qu'un classique relève d'une démarche spécifique, qui modifie profondément l'acte d'actualisation scénique que constitue toute mise en scène. Monter un classique permet de s'approprier un texte qui appartient à une culture collective et de l'interpréter, au sens fort, c'est-à-dire d'en donner une lecture particulière qui l'éclaire de façon nouvelle 1 Jean-Pierre Ryngaert, Lire le théâtre contemporain, Armand Colin, 2005, p. 58. 4 ou en tout cas personnelle. La distance entre le moment de l'écriture et le moment de la mise en scène permet de traiter tel ou tel sujet en faisant un détour, en le mettant à distance pour mieux se l'approprier. Le désir de mise en scène naît d'une lecture qui fait apparaître à la fois l'altérité du texte et sa proximité. La commande modifie la donne. Le texte naît en quelque sorte d'un double désir: celui du metteur en scène d'abord, qui se tourne vers un auteur précis et lui demande un texte en formulant plus ou moins ses exigences; celui de l'auteur ensuite, qui doit intégrer ce désir premier, le faire sien, avant de proposer un objet dramatique qui assimile le projet et sa propre créativité. Le texte peut alors effectuer plusieurs allers-retours entre l'auteur et le metteur en scène avant que n'émerge la version définitive. La réception du texte par le public, son horizon d'attente, est aussi modifiée par cette démarche. Le spectateur découvre le texte en même temps que sa mise en spectacle: l'attente préconçue sur le sens d'un texte et la façon dont il faudrait le représenter scéniquement est rendue d'autant plus impossible que la distinction entre ce qui appartient au texte écrit et ce qui relève de choix de mise en scène n'est pas évidente. Venir au théâtre pour voir jouer des textes contemporains, et qui plus est des textes de commande pas encore publiés, sortis tout chauds des mains de l'auteur, suppose de la part des spectateurs une attitude et une prédisposition différente que celle requise pour le théâtre classique, une autre façon de mettre en jeu son écoute, son regard et son sens critique. Mephisto de Klaus Mann Æ rien qu'un acteur En 1925 Gustaf Gründgens, jeune acteur aux idéaux révolutionnaires plein de talent et bourré d'ambition, se lie d'une amitié trouble avec Erika et Klaus Mann, les deux enfants terribles de Thomas Mann, antifascistes convaincus. Dès 1933 l'acteur se livre néanmoins à des compromissions avec le régime hitlérien dont il devient un acteur phare, tandis que Klaus et Erika prennent le chemin de l'exil pour combattre le nazisme avec leurs moyens – la littérature et le théâtre. Klaus Mann écrit alors un roman intitulé Méphisto, dans lequel il épingle l'opportunisme d'un acteur dévoyé par le nazisme… Telle est la matière que reprend Mathieu Bertholet pour écrire Mephisto/rien qu'un acteur, une pièce qui n'est cependant pas l'adaptation théâtrale du Méphisto de Klaus Mann, loin s'en faut. La démarche est en effet tout autre. Klaus Mann a écrit son roman afin de raconter la désaffection de son ancien ami, l'acteur Gustaf Gründgens, pour la cause qui les liait. Pour ce faire, l'écrivain a effectué un travail de fictionnalisation: il a modifié ostensiblement la réalité, changé les noms, condensé des personnages, travesti certains comportements, œuvrant ainsi à une frontière trouble entre le réel et la fiction qui a paradoxalement permis d'interdire le livre, parce que son héros était trop proche du véritable Gründgens pour que les actions fictives qui lui sont imputées ne soient pas qualifiées de mensongères et de diffamatoires. Mathieu Bertholet saisit cette matière et lui fait subir le traitement inverse: il re-historicise la fiction, redonnant à chacun son identité et sa trajectoire. Mais il opère surtout un élargissement de focale: Klaus Mann, qui n'apparaît pas dans son propre roman, est avec Gründgens le personnage central de cette pièce. La matière du roman est resituée dans le contexte qui l'englobe, celui d'affinités électives et de liaisons dangereuses sur le fond sombre et chahuté de la montée du nazisme puis de l'exil. L'écriture même de Méphisto devient un thème de Mephisto/rien qu'un acteur, qui déborde ainsi son matériau de base et l'inclut dans une vision plus large, en en montrant l'arrière fond et les suites. Si Méphisto témoigne du regard immédiat de Klaus Man sur sa propre époque, qu'il dénonce au moment même où le monstre est en train d'émerger – le roman date de 1936 – , Mephisto/rien qu'un acteur marque la réappropriation de cette période troublée par un jeune auteur, Suisse vivant à Berlin, dans des formes résolument contemporaines qui sont les siennes et celles de son temps. 5 L'art et le pouvoir. Gustaf Gründgens et les enfants Mann Au milieu des années vingt, le jeune Gustaf Gründgens fraye avec les milieux intellectuels et artistiques de gauche. Il épouse Erika Mann en 1926 – mariage de courte durée – tout en entretenant des rapports troubles avec son frère Klaus, pénétrant ainsi dans le cercle très fermé du Magicien, le grand Thomas Mann. En 1934, Gründgens accepte pourtant d'être nommé directeur artistique du Théâtre d'Etat Prussien, la scène la plus réputée de Berlin, par Hermann Göring dont il est l’acteur favori. Il restera à ce poste jusqu'en 1943, puis s'engagera dans l'armée allemande pendant quelques mois avant de réintégrer ses fonctions de directeur. Interné dans un camp par les Russes au moment de la chute de Berlin, il sera réhabilité tout de suite après la guerre et deviendra le comédien et le metteur en scène le plus réputé d'Allemagne, jusqu'à sa mort, en 1963. L'itinéraire de l'acteur suscite aujourd'hui encore de nombreuses controverses. Qui était vraiment Gustaf Gründgens? Quel rôle a-t-il joué pendant le IIIème Reich? Il n'a certainement jamais été un nazi; il n'a jamais adhéré aux thèses racistes et criminelles du régime hitlérien. Lui-même prétend avoir accepté la direction du théâtre, après des semaines de tractations durant lesquelles il aurait posé ses conditions, dans l'unique but de sauver la tradition du théâtre allemand. Il a certes profité de sa situation pour sauver quelques collègues acteurs, juifs ou opposants de gauche, notamment Erich Ziegel, proche collaborateur de Brecht. Pourtant il a contribué à donner prestige et crédibilité artistique au IIIème Reich allemand, le système totalitaire le plus meurtrier qui soit; il a participé aux fêtes des dignitaires du régime et a été reçu en audience privée par Hitler qui tenait à le remercier personnellement de ses services. Et sa carrière glorieuse pendant le nazisme a continué à être tout aussi glorieuse après la guerre. La trajectoire de Gründgens pose ainsi de façon très concrète la question cruciale des rapports entre les artistes et le pouvoir: quelle est la responsabilité des artistes, leur rôle et leur influence? Où commence la compromission? Quelle est leur marge de manœuvre? Au succès ininterrompu de Gründgens répond l'accueil indifférent, voire hostile, que reçoivent les enfants Mann avant, mais aussi après la guerre. Klaus et Erika ont pressenti avec une terrifiante et rare lucidité l'ampleur de la catastrophe à venir. Klaus écrit et alerte l'opinion avant même le début des années 30. Le frère et la sœur s'exilent quelques semaines après l'arrivée d'Hitler au pouvoir; ils ne cesseront de dénoncer à la fois la dictature nazie et tous ceux qui, par aveuglement ou par lâcheté, contribuent à son avènement. Klaus fonde une revue antifasciste, Die Sammlung, qui paraît à Amsterdam de septembre 1933 à août 1935. Erika fonde un cabaret, Le Moulin à Poivre, avec lequel elle se produit à travers toute l'Europe. A la fin de la guerre, Klaus Mann constate néanmoins avec amertume et désespoir que ses livres n'ont pas d'écho en Allemagne – aucun éditeur ne veut publier Méphisto – alors même que réapparaissent sur le devant de la scène des intellectuels qui s'étaient compromis avec le régime nazi. Les exilés sont en effet jugés avec mépris, quand ils ne sont pas considérés comme des traîtres, par les Allemands restés en Allemagne. Cet impossible retour est l'ultime coup porté à un homme solitaire depuis longtemps en proie au désir de mourir. Il se suicide à Cannes le 21 mai 1949. Rester ou partir? Réagir ou se retirer dans son art, loin des remous du monde? Avec quels mots, sur quelles scènes se battre? La mise en perspective des destins contraires de Gründgens et des enfants Mann fait resurgir avec force la nécessité qu'il y a à poser ces questions difficiles. 6 Construction de la pièce Parler de construction, concernant le travail de Mathieu Bertholet, n'est pas un vain mot. Il se nourrit en effet d'architecture pour composer son texte. Il dit avoir travaillé ici à partir d'un bâtiment précis, celui de l'ambassade de Hollande à Berlin conçu par Rem Koolhaas, sur le modèle duquel il a échafaudé son plan d'écriture. Ce bâtiment est apparu à Mathieu Bertholet comme une actualisationspatiale du récit qu'il était en train de composer. L'immeuble est formé d'un bâtiment central traversé de haut en bas par une sorte de boyau qui descend par paliers vers le bas, et d'une annexe reliée au bâtiment principal par des passerelles présentes à tous les étages. Pour Mathieu Bertholet, cette configuration illustre à la fois la trajectoire de Gründgens, dont le destin suivrait ce long tuyau décroissant, et celle des Mann qui emprunteraient les passerelles permettant de gagner l'exil, ce lieu — séparé du corps central de l'édifice tout en lui étant contigu — et relié par des appontements donnant à tout moment la possibilité de traverser d'un espace à l'autre. ____________________________________________________ 7 Bertholet bâtit sa fiction comme on dessine une maquette et invente une écriture qui fonctionne comme un jeu de construction dont les éléments sont des modules narratifs très courts, assemblés de façon à produire du sens par effets de montage. Le récit central retrace les parcours jumelés de Gustaf Gründgens et des enfants Mann. Il se dédouble pour raconter leurs chemins qui se séparent, menant l'un vers les sommets nazis et les autres en exil, et utilise alors le procédé cinématographique de champ/contrechamp. Ce fil narratif principal se déploie dans une temporalité linéaire: les actions qui s'y déroulent ont une incidence les unes par rapport aux autres. Ce fil est néanmoins entrecoupé par des scènes de nature différentes: des tableaux fonctionnant comme autant de leitmotiv qui reviennent régulièrement, répétition du même et du différent, et scandent rythmiquement le texte. Leur fonction est de marquer le temps de l'Histoire, qui avance inéluctablement, mais aussi de révéler certains travers de la biographie de chacun des personnages 2 . Ces tableaux sont autant d'instantanés traités sur un mode itératif: représentés un nombre de fois limité, ils racontent des faits qui pourraient se répéter beaucoup plus fréquemment et advenir à d'autres moments du récit, sans pour autant modifier le cours de l'action; l'équivalent au fond de l'usage de l'imparfait dans le roman. La linéarité temporelle du récit est aussi bouleversée par des achronies, particulièrement des prolepses (sauts en avant dans le récit). La pièce met ainsi en perspective les événements tels qu'ils se sont déroulés entre 1925 et 1945 et leurs conséquences bien des années plus tard: certaines scènes présentent Klaus à la veille de son suicide, en 1949, tandis que d'autres montrent Gustaf Gründgens lors d'une interview télévisée qui a eu lieu quelques mois avant sa mort, en 1963. L'alternance entre ces différentes nappes narratives fait émerger toute la tension, centrale dans la pièce, entre les destins individuels et la grande histoire, tension faite d'interférences, certes, mais aussi d'inconsciences. Ainsi les éclats d'une certaine jeunesse en quête d'elle-même, d'amour, d'art, de liberté, de poésie, de sexe et de drogue, se mêlent avec les obscurités de l'histoire qui, dans le texte, avance par à-coups, comme un métronome détraqué mais inexorable. L'espace de Mephisto/rien qu'un acteur est multiple: chacune des courtes scènes qui composent la pièce se situe dans un lieu dramatique différent dont la liste exhaustive est donnée dans la didascalie liminaire – le théâtre, une cantine, un bureau, une rue, le bord de l'eau…–, lieux qui reviennent régulièrement tout en pouvant se situer dans des villes différentes, faisant référence à des lieux réels: Hambourg, Berlin, Amsterdam, New York … L'espace est ainsi doublement éclaté. A certains endroits, la lecture de la pièce requiert sans doute de pouvoir situer assez précisément les lieux et les écarts temporels; mais cette compréhension n'est pas nécessaire à chaque instant. L'éclatement permet de se laisser emporter par un mouvement poétique, sans pour autant perdre le sens du récit, tout en ouvrant de larges possibilités pour la mise en scène 3 . Voir le tableau qui figure à la fin du dossier, dans lequel sont précisés les différents types de scènes – «tableaux historiques» ,«inserts biographiques» ou fil principal (FP). 3 L'espace et le temps sont également précisés dans le tableau ci-joint. 2 8 Illusion théâtrale et fiction totalitaire Le titre le dit doublement: au cœur de Mephisto/rien qu'un acteur, il y a le théâtre. Il affleure d'abord par le biais de l'intertextualité: rôle phare dans la carrière de Gründgens, Méphisto, dans le Faust de Goethe, est ce diable avec lequel il est si tentant de pactiser, dans lequel on peut bien sûr voir le nazisme mais aussi les démons intérieurs de chacun. Mais le diable de Goethe est avant tout le maître de l'apparence et de l'illusion, dans une pièce à la mécanique ostensiblement théâtrale de surcroît. Ainsi lorsque Bertholet convoque Faust dans son texte, il l'ouvre à une sorte de quintessence de la théâtralité. Les personnages portent tous le nom de personnes réelles, mais ils sont avant tout les personnages d'une fiction, d'une fiction dont ils sont les acteurs. Car la pièce, en pointillé, sans jamais insister, n'hésite pas à afficher son statut de reconstruction, de représentation. Au fond, si Bertholet rehistoricise la matière du roman, il montre simultanément le caractère fictif de son propre texte et indique par là l'aspect insaisissable du réel, toujours fuyant, qui nous échappe au moment où l'on pense le saisir. Et ce réel n'est pas sans entretenir lui-même des affinités avec le théâtral. A l'instar de Klaus Mann et de beaucoup d'historiens, Mathieu Bertholet dénonce le "jeu" comme le modèle de l'exercice nazi du pouvoir et souligne les penchants spectaculaires du régime hitlérien. Le nazisme se fonde sur une dramaturgie de la représentation de soi dont l'illusion et la fiction sont les pierres angulaires. Les nazis ont inventé tout un rituel où le pouvoir et son représentant suprême étaient mis en scène – que l'on songe seulement à ces vastes cérémonies dans lesquelles rien n'était laissé au hasard, depuis le décor, impressionnant, jusqu'aux effets de foule, de lumières et de pyrotechnie –, et bâti un véritable scénario chargé de véhiculer, par le biais de la propagande dont Goebbels maîtrisait extrêmement bien les techniques – affiches mais aussi cinéma – la fiction d'un nouveau bonheur individuel. Cette compréhension de l'histoire est centrale dans la pièce de Bertholet. Hannah Arendt a consacré une grande partie de son œuvre et de sa vie à penser, décrire et expliquer ce phénomène radicalement nouveau au 20ème siècle qu'est le totalitarisme 4 . Elle nous aide à comprendre le rôle de la fiction, et son dévoiement, dans ce système si tragiquement moderne. Si le totalitarisme comme tel est considéré comme un événement nouveau par Arendt, c'est que selon elle il se démarque de tous les régimes, y compris ceux qui lui sont proches comme le despotisme, la tyrannie ou la dictature. Le mouvement totalitaire naît de l'effondrement de la société de classes et du système des partis hérité du 19ème siècle et de l'avènement d'une société de masses 5 . Ces masses sont constituées d'une majorité inorganisée d'individus isolés et atomisés, écartés des rapports sociaux, souvent déçus et désespérés, pour qui le repli sur soi va de pair avec un Nous nous référons ici à son livre, Le Système totalitaire, Seuil, Points, 2002. "Les mouvements totalitaires sont possibles partout où se trouvent des masses qui, pour une raison ou une autre, se sont découvert un appétit d'organisation politique. Les masses ne sont pas unies par la conscience d'un intérêt commun, elles n'ont pas cette logique spécifique des classes qui s'exprime par la poursuite d'objectifs précis, limités et accessibles. Le terme de masses s'applique seulement à des gens qui, soit du fait de leur seul nombre, soit par indifférence, soit pour ces deux raisons, ne peuvent s'intégrer dans aucune organisation fondée sur l'intérêt commun, qu'il s'agisse de partis politiques, de conseils municipaux, d'organisations professionnelles ou de syndicats. Les masses existent en puissance dans tous les pays, et constituent la majorité de ces vastes couches de gens neutres et politiquement indifférents qui n'adhèrent jamais à un parti et votent rarement". p. 46 4 5 9 affaiblissement décisif de l'instinct de conservation menant à un désintérêt de soi et à une attitude cynique et indifférente vis-à-vis de leur propre mort. Ces mouvements ont exercé par ailleurs un attrait incontestable sur les élites. Il y avait dans l'attirance de certains intellectuels et de certains artistes pour les mouvements totalitaires une volonté de démasquer l'hypocrisie de la société et un plaisir réel à voir détruire la respectabilité bourgeoise. Mais cette attirance affichait surtout une méconnaissance de la réalité et un intérêt de soi perverti, "deux traits qui ne ressemblent que trop au monde fictif et à l'absence d'intérêt personnel parmi les masses" 6 . Les mouvements totalitaires s'imposent avant tout, explique Hannah Arendt, par la terreur et la propagande. La propagande est à coup sûr une part, un élément de la «guerre psychologique»; mais la terreur est davantage. Les régimes totalitaires continuent à utiliser la terreur même lorsque ses objectifs psychologiques sont atteints: sa véritable horreur consiste en ce qu'elle règne sur une population complètement soumise. Là où le règne de la terreur est porté à sa perfection, comme dans les camps de concentration, la propagande disparaît complètement; elle était même expressément interdite dans l'Allemagne nazie ("L'éducation dans les camps de concentration consiste dans la discipline, sans aucune sorte d'instruction idéologique, car les prisonniers ont pour la plupart une âme d'esclaves", écrivait Himmler). En d'autres termes, la propagande n'est qu'un des instruments, peut-être le plus important, dont se sert le totalitarisme dans sa manière d'agir avec le monde non totalitaire; a contrario, la terreur est l'essence même de cette forme de régime 7 . A travers la propagande, le mouvement totalitaire construit un monde entièrement fictif censé révéler une vérité que la société respectable aurait passé exprès sous silence ou couvert par la corruption. La propagande totalitaire invente un univers mensonger et cohérent qui satisfait les besoins de l'esprit humain mieux que la réalité. La force de cette propagande «repose sur sa capacité à couper les masses du monde réel». Ainsi s'élaborent les théories du complot: «La fiction la plus efficace de la propagande nazie fut l'invention d'une conspiration juive mondiale». Les thèmes antisémites étaient fréquents et celui d'une conspiration mondiale courant depuis l'affaire Dreyfuss. L'ingéniosité nazie a été de «transformer l'antisémitisme en un principe d'autodéfinition, le soustrayant ainsi aux fluctuations de la simple opinion 8 ». L'ensemble de la propagande vise à élaborer cet échafaudage fictionnel qui est l'essence même du mouvement totalitaire, qui le constitue comme tel, non pas, comme le pratique tout Etat, en mentant sur les faits, mais en affichant un mépris total pour les faits. L'organisation du système totalitaire est entièrement conçue dans le but de protéger cette fiction et d'éloigner donc les individus qui le composent du monde réel. Le monde totalitaire est ainsi constitué d'une série d'enveloppes protectrices qui font tampon entre lui et le monde. Telle est la structure en oignon qui caractérise selon Arendt le totalitarisme dans son fonctionnement effectif. Au centre de l'édifice se trouve le chef, qui décrète les paroles infaillibles par lesquelles se construit la fiction. Ses paroles ne reflètent pas le monde réel, elles construisent un monde fictif qui ne supporte aucune contradiction et ne se laisse pas démentir par l'expérience, puisqu'il est entièrement déconnecté du monde réel. C'est au fond la force performative du langage totalitaire. Autour du chef plusieurs couches protectrices: l'élite d'abord, puis les membres du parti et enfin les sympathisants. Ces derniers, les plus "Dans une atmosphère d'où se sont évaporées toutes les valeurs et toutes les propositions traditionnelles (après que les idéologies du 19ème se furent réfutées l'une l'autre et qu'elles eurent épuisé leur intérêt vital), il était en un sens plus facile d'accepter, plutôt que de vieilles vérités devenues de pieuses banalités, des propositions manifestement absurdes, précisément parce que nul n'était censé prendre ces absurdités au sérieux. […] l'élite intellectuelle des années 20 était persuadée qu'on pouvait jouer à la perfection le jeu ancien qui consiste à épater le bourgeois si l'on commençait par choquer la société avec une caricature ironique de son propre comportement." p. 82-83. 6 7 8 Ibid., p. 95 Ibid., p. 115 10 proches de la société non totalitaire, en sont aussi la caution: apparaissant comme d'inoffensifs citoyens, ils ne peuvent être perçus comme des fanatiques; grâce à eux, les mouvements rendent acceptables leurs plus incroyables mensonges. Cette structure qui multiplie les organisations de façade a ainsi une double fonction: faire perdurer l'illusion vis-à-vis du monde non totalitaire, et protéger la hiérarchie interne du mouvement de ce même monde. Dans cette organisation, chaque échelon représente pour l'échelon supérieur l'image du monde non totalitaire, parce qu'il est moins militant et que ses membres sont moins totalement organisés. Ainsi les membres du mouvement se trouvent protégés du monde extérieur, dont l'hostilité, clamée par les dirigeants, demeure une pure présomption idéologique. Le fonctionnement du système totalitaire se calque sur le modèle de la société secrète, dont elle garde l'esprit – une hiérarchie fondée sur des degrés d'initiation, le principe selon lequel "quiconque n'est pas expressément inclus, est exclu", le rôle profondément unifiant du rituel – sans pourtant garder secrets ses objectifs. «En d'autres termes, les mouvements totalitaires imitent tout l'attirail des sociétés secrètes, mais le vident de la seule chose qui pouvait excuser, ou était censée excuser leurs méthodes – la nécessité de garder le secret. 9 » Cette compréhension du système totalitaire que nous livre Hannah Arendt souligne que l'illusion, lorsqu'elle est au service du pouvoir, a comme but principal de tromper, de duper son public. Elle requiert une participation de ceux à qui elle s'adresse qui confine au pathologique: ils doivent croire à la fiction qu'on leur propose. Or le théâtre est précisément ce lieu où la fiction ne se donne jamais pour autre chose que ce qu'elle est; le spectateur est invité à s'impliquer, voire à s'identifier, sans jamais perdre de vue qu'il est au théâtre. Parce qu'elle souligne ces aspects, la pièce de Mathieu Bertholet nous indique plus que jamais l'urgence qu'il y a à remettre l'illusion à sa place, c'est-à-dire sur la scène et non dans les loges du pouvoir. 9 Ibid., p. 148 11 Intertextualité: Le mythe de Faust La référence à Faust travaille le texte en faisant un détour par le Méphisto de Mann. Méphisto a été le grand rôle de la carrière de Gustaf Gründgens, dans lequel il n'a jamais cessé de triompher, pendant le nazisme et après la guerre. Son interprétation ainsi que sa mise en scène datant des années 50 et qu'il n'a cessé de reprendre jusqu'à sa mort, est encore célèbre aujourd'hui en Allemagne et reste un modèle du genre. Le titre choisi par Klaus Mann fait évidemment écho à cet aspect de la carrière de l'acteur. Mais il laisse aussi entendre que certains auraient pactisé avec le diable: Gründgens, alias Hendrik Höfgen dans le roman de Mann, serait alors Faust lui-même, celui qui se laisse séduire par le démon du nazisme. Répercutée dans la pièce de Bertholet, l'évocation de Méphisto renvoie à Goethe en transitant par Klaus Mann, et leste ainsi la pièce de poids de l'histoire littéraire. Le mythe de Faust trouve son origine dans un fait réel: selon des témoignages de l'époque, un docteur Faust, pseudo humaniste et magicien, pseudo philosophe et alchimiste né vers 1480 dans le Wurtenberg a bien existé. Il a frappé l'imagination populaire par sa vie déréglée, ses vantardises et ses exploits, et sa légende a enflé après sa mort, suscitant les rumeurs les plus délirantes sur ses accointances avec le diable. Anecdotes et épisodes se sont ainsi ajoutés à un récit déjà chargé. Ce personnage a été, aux yeux mêmes de ses contemporains, l'incarnation vivante de l'esprit allemand de l'époque et ce au travers même des contradictions qui le constituent: Faust est à la fois individualiste et obsédé par les problèmes religieux, constamment tiraillé entre le profane et le sacré, le politique et le théologique, la soif de vivre et la terreur de l'au-delà. La première publication du récit faustien est celle de l'imprimeur Johann Spiez ; elle date de 1587 et paraît à Francfort sous le titre de Histoire du docteur Johann Faust, très célèbre magicien et nécromant. Comment, à termes fixes, il vendit son âme au diable et quelles singulières aventures il connut, vécut et provoqua avant de recevoir enfin sa récompense bien méritée. Si la veine populaire de l'affabulation, du fantastique et du grotesque y est très vivace, ce récit vise néanmoins à produire un effet moralisant et à servir de terrible exemple et de fidèle avertissement à tous les hommes présomptueux et ambitieux, conformément au contexte en grande partie protestant et luthérien dans lequel il apparaît. Luther lui-même aurait d'ailleurs prêté à cette parabole son autorité morale et religieuse. Faust y est l'incarnation du magicien qui n'a pas hésité à se rallier aux puissances du Mal pour multiplier ses maigres sortilèges; la nécromancie est son péché principal, qui sera augmenté, dans d'autres versions, par l'escroquerie, la bestialité et la sodomie, autant de vices attribués, dans l'esprit protestant germanique de l'époque, au Pape et aux papistes, cousins du Diable. La fable de Faust a donc été à ses débuts un instrument de la propagande luthérienne. La légende connaît aussi des développements théâtraux dont le plus célèbre est la pièce de Marlowe (entre 1589 et 1592) dans laquelle Faust apparaît comme le héros du pouvoir humain poussé jusqu'à ses plus extrêmes possibilités de connaissance et de jouissance. C'est certainement les Comédiens anglais, dont les représentations en Allemagne à la fin du 16ème siècle marquèrent le début du théâtre moderne, qui apportèrent le texte de Marlowe à partir duquel la légende faustienne essaima sur les scènes allemandes. Ce petit livre, qu'on connaît sous le nom du Livre de Faust, a constitué, plus ou moins directement, le point de départ de toutes les légendes ultérieures. Celles-ci se succédèrent et évoluèrent au rythme des mentalités: Faust est la figure de l'homme face au savoir, de celui qui vend son âme au diable pour acquérir la connaissance, comprendre les secrets de la nature et jouir de tous les plaisirs interdits. Au 16ème siècle, cette aspiration à un savoir qui n'est directement celui de l'Eglise, et considéré donc comme diabolique, est fortement vilipendée et Faust doit en payer le prix. Cette aspiration à la connaissance sera au contraire valorisée à partir de la Renaissance. Le mythe sera ensuite aspiré par 12 le souffle romantique: Faust devient alors l'incarnation de la condition humaine, divisée entre sa soif de savoir et son aspiration au plaisir immédiat. C'est avec Goethe (1749-1832) que la figure de Faust s'approfondit au point d'incarner véritablement l'angoisse profonde de l'esprit nouveau. Faust a accompagné le poète sa vie durant. Goethe a en effet composé différentes versions dont la première date de sa jeunesse tandis que la dernière, Le Second Faust, est l'œuvre ultime, rédigée à la veille de sa mort. Dès l'enfance, Goethe est fasciné par le mythe de Faust, qu'il découvre en marionnettes, et qui occupe son imagination. Entre 1773 et 1774, il a alors 24 ans, Goethe rédige un premier noyau de scènes qui composent l'Urfaust ou Faust originel dont on a retrouvé une transcription publiée en 1887– alors que l'on croyait le texte définitivement perdu. Le texte se présente comme une suite de scènes et de fragments de longueur et de styles variés. Il n'est pas encore question ici de magie diabolique, encore moins de pacte avec le diable. C'est dans cette première version qu'apparaissent avec le plus d'impétuosité les thèmes du Sturm und Drang: l'affirmation des forces créatives de l'humanité, l'élan irrésistible de l'homme vers une liberté, "une vie vaste et infinie" et la reconnaissance de la limite qui en revanche est imposée à l'homme dans la réalité. Douze ans plus tard, Goethe reprend la composition de son Faust laissé de côté. Cette version, qui reste inachevée et fragmentaire, sera publiée dans ses œuvres complètes en 1790, mais rencontrera peu d'écho. Sur l'insistance de son ami Schiller, Goethe se remet au travail en 1797 mais ne publie qu'en 1806, après avoir procédé à d'ultimes retouches, la "première partie" de son Faust qui est parue sous le titre de Faust, Une tragédie. Il conçoit dès 1816 des plans pour une seconde partie qu'il commencera à rédiger en 1826. Le texte, Le Second Faust, ne paraîtra qu'après sa mort en 1832. Goethe, le Sturm und Drang et le romantisme. Le Werther de Goethe (1774) marque une date phare dans la littérature européenne. C'est par cet ouvrage que Goethe sera connu en France. De 1776 à 1792 quinze traductions diffusent l'image d'une forme de sensibilité nouvelle pour l'époque: toute puissance de la passion amoureuse, révolte contre la société, primauté du rêve sur l'action, exaltation du Moi. A l'origine du mouvement : Une réaction contre l'esprit rationaliste du XVIIIe siècle (le Siècle des Lumières ou, en Allemagne, l'Aufklarung). Celui-ci proposait une civilisation de progrès et de bien-être où la raison triomphait. Mais la sensibilité menaçait d'être étouffée par cet excès de raison. Dès la seconde moitié du 18ème siècle donc, une réaction apparaît, qui, partie d'Allemagne, va prendre rapidement les allures d'un raz-de-marée. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre les rapports de Goethe et du Sturm und Drang (littéralement "orage et instinct", expression inspirée du titre d'un drame de Klinger, paru en 1776) qui a dominé l'Allemagne en cette fin de siècle. C'est en grande partie au livre de Goethe De l'Architecture allemande (1773)) où il élève un hymne à Erwin von Steinbach, l'un des artisans qui construisirent la cathédrale de Strasbourg, que l'on doit l'extraordinaire intérêt qui se manifeste alors pour l'art gothique dont Goethe loue le génie et la beauté modernes. De là s'ouvre la période de Sturm und Drang où les termes de "cœur" et de "génie" s'opposent à la "raison" qui a marqué l'époque précédente. Mais les multiples tâches administratives que l'écrivain assume dorénavant lui font dépasser le culte de l'individuel et le Sturm und Drang. Il renoue, d'une certaine 13 manière avec le monde classique, retrouvailles dont le Second Faust est l'éclatante confirmation 10 . Tragédie, indique le titre. Pourtant le dénouement du premier Faust, sanctionnant l'échec de Méphistophélès et glorifiant le salut spirituel de Marguerite, semble indiquer le contraire. En effet pour que la tragédie s'accomplisse, Faust, comme les héros raciniens, aurait dû aller jusqu'au bout d'un destin funeste. Conformément au climat du Sturm und Drang, l'écriture du premier Faust privilégie l'idylle au détriment du sens de la beauté classique. Le Second Faust se démarque ainsi du premier: en faisant intervenir les esprits païens et les créatures mythologiques, il donne congé à la couleur locale médiévale du premier; la "Nuit de Walpurgis" romantique devient une "Nuit de Walpurgis" classique; Marguerite, l'héroïne romantique par excellence, laisse place à Hélène, tout droit issue de la mythologie grecque. Le Faust de Goethe est un personnage complexe et ambivalent. Peut-être est-ce d'abord cela qui lui confère ce que l'on a coutume de nommer sa modernité. A cheval entre le Bien et le Mal, il incarne les forces antagonistes de l'âme humaine, l'opposition des deux principes de l'ordre et du désordre. Les commentateurs soulignent généralement que le démon de Goethe, comparé à ceux des versions antérieures, perd beaucoup de son poids ou du moins de son efficacité; ainsi le mal n'écrase plus l'homme, dont l'initiative et la confiance en soi vont croissant. Méphisto apparaît en effet sous les traits du bon diable traditionnel qui encourage l'ivrognerie et la paillardise, un diable peu effrayant qui ne comprend pas grand-chose aux aspirations à la connaissance de Faust. Méphisto est un diable inefficient, qui parviendra certes à faire le malheur de Marguerite, mais pas à lui ravir le salut de son âme. Les commentateurs se sont dès lors beaucoup interrogés sur la fonction de ce diable: est-il, malgré ses pouvoirs mauvais, le double, inférieur et impuissant, de Faust? Ou un personnage qui, par ses ruses et ses railleries, doit stimuler l'homme et l'empêcher de se laisser aller à la léthargie? Méphisto est surtout un personnage qui se veut maître de l'apparence, de l'illusion et de la théâtralité. D'une théâtralité que la pièce de Goethe ne cesse de mettre en avant. La pièce commence en effet par une Prologue sur le Théâtre qui introduit une vision en abyme de l'œuvre. Le directeur, le poète et l'acteur y devisent sur le spectacle qui va se dérouler. On peut y lire une conception très proche de celle du theatrum mundi et de la devise shakespearienne du monde: la vie est un vaste théâtre dans lequel doit puiser le dramaturge. La transcendance du regard divin, inscrite dans la vision du theatrum mundi, se lit quant à elle dans la succession des deux prologues: le premier "sur le théâtre" et le second "dans le ciel", soulignant encore l'obédience baroque du texte. Car le texte de Goethe, imprégné de la volonté de tourner le dos au rationalisme des Lumières ou de l'Aufklärung allemand, désormais considéré par la nouvelle génération du Sturm und Drang comme desséchant, puise dans la boîte à malice de l'esthétique baroque et du théâtre élisabéthain et en sort cette théâtralité imprégnée de féerie et de fantastique qui ne craint pas de mélanger les genres. A partir de l'œuvre de Goethe, le personnage et le drame de Faust s'imposent peu à peu à l'admiration universelle, si bien que tous les penseurs, toutes les tendances, se trouvent un jour amenés à en proposer une interprétation. Les écrivains et les poètes écrivent de nouvelles versions du mythe correspondant au monde nouveau dans lequel ils vivent. D'incarnation romantique, le personnage est ainsi devenu un modèle du nationalisme allemand. Dominique Giovacchini, Gilles Vannier, "Goethe, biographie", in Analyses et réflexions sur Goethe, Le Second Faust. L'hymne à l'univers. ellipses 1990. 10 14 La fondation de l'empire bismarckien (1870) marque le début d'une grande vague nationaliste à partir de laquelle s'impose l'image d'un Faust typiquement allemand, construit indifféremment à partir de celui de Goethe ou de la légende du 16ème siècle. A leur tour les nazis ne pouvaient se dispenser d'utiliser cette figure nationale qu'était devenu Faust, bien qu'ils n'appréciaient pas Goethe; ils se limitèrent donc à son Faust et encore le réduirent-ils à quelques clichés utilisables à des fins de propagande. Ainsi Hitler aurait-il dit: "Je n'aime point Goethe; mais je suis prêt à lui pardonner beaucoup pour ce seul mot: Au commencement était l'Action". Il a donné ainsi le ton à la rhétorique officielle portant sur Faust, qui répétait inlassablement quelques vers et limitait l'ensemble du texte et de l'œuvre à une glorification du dynamisme allemand. Dans le premier Faust, le savant entreprend en effet de transposer dans son langage à lui le premier chapitre de Saint Jean; il remplace alors, dans un mouvement alors très romantique, le mot "parole" par celui d'"action", ouvrant sans le savoir une brèche aux récupérations nazies qui l'interpréteront comme le refus de la raison et de l'intelligence au nom d'un pur dynamisme aveugle. Il est significatif de noter que cette période a marqué la disparition graduelle de nouvelles versions du mythe en Allemagne; le nazisme n'a donc pas produit pas de Faust typiquement national-socialiste. Cette disparition tient au fait que Faust était une figure de la liberté humaine dans un contexte chrétien de relation personnelle à Dieu ou au démon, une figure qui contredisait donc l'essence même du nazisme. 15 Notes sur la mise en scène. Discussion avec Anne Bisang AMM:- C'est à ma connaissance la troisième fois que tu commandes un texte à un auteur. Pourquoi? Ta démarche était-elle motivée par le désir de traiter un sujet particulier, une époque, une problématique précise? ou celui d'explorer l'univers de tel ou tel auteur, de te confronter à une écriture contemporaine? Pour Mephisto en particulier, qu'est-ce qui t'a donné l'envie de commander un texte autour du roman de Klaus Mann, et pourquoi à Mathieu Bertholet? Par ailleurs, quel rapport s'établit-il entre un auteur et un metteur en scène dans le cadre d'une commande? Est-ce que cela produit des interférences stimulantes? Comment se partage le désir de l'auteur et celui du metteur en scène? Anne Bisang: Tout d’abord, je dirais que ma relation au théâtre passe depuis ses origines par la création. Les premiers spectacles que j’ai signés avec la Compagnie du Revoir sont nés de la page blanche. Le processus d’écriture me passionne. Je ne me sens jamais plus mobilisée que lors de l’éclosion d’un nouveau texte de théâtre comme matériau. J’aime la dimension du présent et l’idée qu’une rencontre puisse mettre en mouvement tout un monde. J’ai peut-être aussi besoin de me sentir moins seule dans la réalisation d’un projet, et je suis attachée à l’aspect collectif du travail théâtral. Ce qui m’échappe me rassure car j’aime réagir. Je pense qu’il y a une provocation de l’urgence dans le fait de la commande : on accepte la surprise, on cherche justement à être déstabilisé. Et puis il y a l’obsession de notre temps, de notre histoire contemporaine. Celle-ci est marquée par des cataclysmes paradoxalement fondateurs d’une manière de vivre et de penser. Les textes d’aujourd’hui peuvent faire résonner ces ondes de choc. Je pense principalement au totalitarisme et à la barbarie nazis, à l’histoire de l’Europe du 20ème siècle. Je devais avoir 13 ou 14 ans lorsque l’école nous a présenté « Nuit et brouillard ». Il y a dans mon évolution individuelle un avant et un après ce moment là. En commandant une pièce sur Annemarie Schwarzenbach à Hélène Bezençon en 1996, je voulais sans doute me rapprocher de l’histoire européenne, « flouter » les frontières européennes de la Suisse. Pour toucher l’histoire de manière vive, cette figure suisse dissidente, antifasciste, homosexuelle et morphinomane, intellectuelle et fugitive, s’exilant sans cesse hors des frontières du pays natal, fut déterminante. Je pouvais accompagner cette femme dans son dédale de doutes et de passions et trouver une place d’où regarder le monde. C’est elle qui – à distance imaginaire- m’a fait connaître Klaus Mann et sa sœur Erika. En plongeant par effraction dans la vie de ce trio d’écorchés vifs, j’ai découvert des engagements et des livres, dont Mephisto de Klaus Mann. Le contexte de ce roman sur la carrière d’un acteur sous le régime nazi est resté présent dans mon esprit des années durant. Lorsque Mathieu Bertholet eut terminé sa résidence à la Comédie, je lui ai demandé de retraduire Les larmes amères de Petra von Kant que je montais alors. C’est après cette collaboration, devinant son attachement à la culture et à l’histoire allemande, et plus particulièrement à celle de Berlin où il réside, que je lui ai proposé l’adaptation de Méphisto pour la scène. Ma chance c’est que Mathieu soit friand de commandes, sa place d’auteur est tout à fait singulière, moderne. Il s’est rapidement emparé du projet, resté volontairement très ouvert, et l’a subtilement détourné. Le roman de Klaus Mann est devenu le prétexte à une nouvelle enquête. L’élément central pour moi était l’attitude de cet artiste tournant le dos à ses convictions politiques par opportunisme, le mécanisme qui entraîne un individu à s’éloigner de lui-même: question d’éthique, de courage et de lâcheté. Je ne suis pas intervenue sur le projet d’écriture et les premières discussions furent très brèves: nous connaissions chacun le travail de l'autre; il savait que la commande déboucherait sur une 16 production à la Comédie mise en scène par moi. C'est tout. Nous avons davantage communiqué après la présentation d’une première version. C’est là aussi que ta fonction de dramaturge a pris un nouveau tour, puisque tu as activement participé aux commentaires sur le texte et que tu as entretenu le dialogue avec Mathieu. Je pourrais te retourner la question : Comment appréhende-ton la lecture d’un texte en cours d’écriture ? Comment définir la place qu’on prend ? Comment s’adresse-t-on à l’auteur à ce moment là ? Est-ce facile de lui parler ? En ce qui me concerne j’ai toujours hésité à partager mes intentions, par peur qu’il les intègre dans la pièce. Je vois le rôle de la mise en scène comme contradicteur, si tout est dans le texte la mise en scène est comme désamorcée. Il faut idéalement que le texte et la mise en scène créent des précipités, des explosions. J’ai tenu à observer Mathieu comme très étranger à moi car la tendance saturnienne de la mise en scène est de tout englober. Je me suis trouvée parfois trop affectueuse à son égard. Un peu d’antagonisme dans ce processus n’est pas vain. Il vaut mieux cultiver les différences plutôt que d’alimenter la liste des points communs, celle-ci vient malgré soi, spontanément. Or traiter l’autre comme un prolongement de soi aurait les mêmes conséquences néfastes que dans un couple fusionnel ! Ce qui a rendu le travail très fluide, c’est que nous ne revendiquons ni l’un ni l’autre la première place. Je crois que nous avons une même attirance pour l’effacement, pour laisser les choses advenir malgré nous. AMM: Mephisto/rien qu'un acteur raconte deux destins, celui de l'acteur Gustaf Gründgens qui connaît la gloire en devenant un des acteurs phare du régime hitlérien et celui de Klaus Mann qui choisit l'exil et la lutte antifasciste. Cette double trajectoire pose tout le problème du rapport au pouvoir et en particulier celui des artistes avec le pouvoir: qu'en penses-tu? Quels sont les liens des artistes avec le pouvoir, quelle sont les responsabilités qui leur incombent? Le pouvoir a-t-il besoin de l'art? Et inversement estce que l'art a le pouvoir de changer le monde, ou en tout cas de l'alerter? Mephsito est de ce point de vue un texte pessimiste: l'écrivain antifasciste n'est pas entendu tandis que l'acteur continue à jouer sans que cela ait au fond une quelconque influence sur les événements: quel sens cela a-t-il pour toi? De monter cette pièce en particulier a-t-il un sens particulier dans ta trajectoire de metteur en scène, dans ta réflexion sur ton rapport, en tant qu'artiste, face au pouvoir? AB: L’art et le pouvoir forment un couple infernal, voué à des conflits passionnels. S’il fallait grossièrement définir la fonction de l’art, ce serait celle de jouer un rôle perturbateur, d’apporter du chaos là où les idées, les comportements se figent. Tout au contraire le pouvoir aspire lui à pérenniser un ordre établi, à constamment réorganiser l’ordre. Au-delà de cette caricature on trouve toutes les nuances et les contradictions bien sûr. Il n’y a pas d’innocence dans la sphère publique; tout acte, tout geste publique engendre des conséquences; cela, le pouvoir et l’art le partagent. Or la liberté virtuelle de l’artiste va bien au-delà de celle du pouvoir. La tentation de posséder la parole de l’artiste est forte pour tout pouvoir qui craint d’être dépassé ou remis en question par cette liberté. Le constat est flagrant, toutes les dictatures émergeantes s’attaquent d’abord à l’art, à la liberté d’expression. Il serait évidemment faux de penser que tout artiste est potentiellement subversif. L’artiste, comme n’importe quel citoyen est capable de tous les conformismes et de toutes les compromissions, peut être est-il même en première ligne pour cela. D’un autre côté, la caution qu’apporte l’artiste lié au pouvoir est symboliquement irremplaçable, précisément parce que l’artiste évolue dans cette dimension symbolique (dont il est créateur et) qui est un puissant levier de séduction et de communication. Cette caution peut constituer un piège pour l’indépendance de l’artiste guetté par la complaisance mais un atout manifeste pour le pouvoir qui s’achète à la fois une respectabilité, une image d’ouverture et de tolérance, - donc de force -, et un projet esthétique. C’est en définitive lorsque les rapports entre 17 l’artiste et le pouvoir sont bons que la relation est la plus dangereuse… Reste que l’indépendance de l’artiste s’arrête là où ses moyens de travailler sont remis en cause. Il n’y a rien de plus facile que de réduire un artiste au silence. Même en démocratie. Coupez-lui les vivres, retirer-lui son outil. Passé un moment d’émotion, éventuellement médiatique, le calme revient vite. La liberté de l’artiste a un prix : une forme de marginalité qui l’éloigne des solidarités traditionnelles de la rue. Ainsi donc l’artiste est un monarque au royaume fragile. Si la force subversive de l’art fait incontestablement bouger le monde, l’art a-t-il le pouvoir de rendre le monde meilleur ? Certains artistes sont probablement animés de cet idéal. Je pense encore faire partie de ceux-là de manière indécrottable ! Force est de constater là encore que l’art n’a pu empêcher les pires régimes barbares de séduire les masses, et que son rôle d’éveilleur vient davantage de la pédagogie qui l’accompagne ou non. Il a même parfois servi de caution, de référence identitaire pour fonder les discours nationalistes. C’est pourquoi il faut admettre les relations de l’art avec le mal en libérant l’art de son carcan moralisateur et inoffensif. AMM: La pièce de Mathieu Bertholet est construite de façon très ludique: comme un montage de scènes au tempo rapide. Quels sont tes choix de mise en scène, comment veux-tu raconter cette histoire dans laquelle s'inscrivent de façon très forte deux périodes de l'histoire: celle de la montée du nazisme dont traite la pièce et celle d'aujourd'hui qui apparaît dans l'esthétique très contemporaine qui est celle de Mathieu Bertholet? AB: Le choix esthétique est inscrit dans la scénographie. Avec Anna Popek, nous avons opté pour un espace contemporain inspiré du minimalisme. Il intègre à la fois le minimalisme qu’évoque l’écriture de Mathieu Bertholet et la structure en collage de la pièce qui elle-même renvoie à des formes des années 20-30 et qu’on retrouve notamment dans les scénographies de Piscator. Les costumes conçus par Paola Mulone précisent par le dessin des silhouettes la période historique du récit. Ce qui m’importe, c’est d’inventer un langage qui corresponde à l’écriture de la pièce mais qui prenne également en charge les interrogations de la pièce : L’art est-il « utile » ? Quelle est la responsabilité de l’acteur au théâtre ? Etc..La pratique du théâtre est un des moteurs de la pièce, le théâtre est donc un système qui doit être mis en évidence dans le spectacle : son extraordinaire champ de possibles, sa trivialité et sa réalité dérisoire.« Théâtre des opérations » est une expression déclencheuse pour ce projet où je souhaite que le jeu des acteurs imite le procédé d’écriture pour mieux le malmener. Car d’une certaine façon la pièce porte atteinte à leur intégrité morale et à leurs possibilités physiques. J’espère une révolte ludique et fortifiante… 18 De l'espace textuel à l'espace scénique. Notes sur la scénographie de Anna Popeck Mephisto/rien qu'un acteur de Mathieu Bertholet, c’est l’hétérogénéité de l’action, du temps et de l’espace. C’est un collage composé de scènes courtes, qui se succèdent à la vitesse de l’éclair, uniquement séparées par des chiffres. Mephisto se déroule ainsi sur plusieurs plans (parfois simultanés) qui supposent une manipulation de l’espace théâtral. L’auteur nous met au défi de construire, dans un espace théâtral confiné, une multitude d’espaces, qui changent dans le temps, et entre lesquels l’action transite avec la rapidité de l’éclair. Néanmoins, déjà au niveau des didascalies, on trouve des suggestions d’uniformiser l’espace. Le point de départ a été donné par la modernité de l’écriture et par le découpage des scènes. Les premières esquisses, suivant le texte de manière très littérale, consistaient en des collages mêlant des photos (illustrant les espaces apparaissant dans le texte) et des détails architecturaux. Dès le début, l’esthétique se situait à la croisée de l’architecture (post-)moderne et de la sculpture. Très vite, il était clair que nous utiliserions des matériaux modernes tels que l’aluminium ou le plexiglas, qui ont donné à l’ensemble l’aspect actuel. Au cours du long chemin de recherche d’une solution appropriée, en éliminant peu à peu des détails trop illustratifs, ou plutôt en les remplaçant par des éléments qui, en agissant sur notre imagination, ne font que suggérer les lieux de l’action, nous avons créé une construction multi-espaces, résolument neutre, qui peut être transformée à volonté. Nous avons créé une sorte de machinerie nous permettant de voyager dans le temps et dans l’espace. Dès le commencement du travail sur ce projet, au cours de mes discussions avec la metteure en scène, nous nous sommes demandées comment éviter une approche illustrative, tout en conservant le caractère spécifique des lieux de l’action. Le résultat est une scénographie qui n’est pas uniquement créée physiquement sur la scène, mais tire aussi parti de la lumière, du son, et des images projetées, et qui laisse le plein pouvoir aux acteurs de créer des fictions par la magie du théâtre. 19 Biographie de Mathieu Bertholet Né en 1977 en Valais, Mathieu Bertholet a quitté la Suisse en 1997 pour Berlin où il a étudié l’Ecriture de Scène à l’Académie des Beaux-Arts. Il vit toujours à Berlin, où il écrit dans le calme de son quartier. Il a reçu un Prix Jeunes Auteurs de la Radio Suisse Romande en 1997, le Prix Take Away du Burgtheater de Vienne en 2001 pour sa pièce discothèque. Il a été auteur en résidence à la Comédie de Genève en 2001, résidence durant laquelle il a écrit geneva.lounging. Il est invité cette année avec sa pièce faRbEn à Intertext, un programme d’échange de textes contemporains entre le Burgtheater de Vienne, le Royal national de Londres, la Mousson d’Eté en France et Quartieri dell’Arte en Italie. Mathieu Bertholet est l’auteur de nombreuses pièces historiques, ou documentaires, c’est selon. Il a écrit fArBen (prix du Schauspielhaus de Hambourg), une biographie onirique de Clara Immerwahr, première femme chimiste allemande, épouse de Fritz Haber, inventeur des gaz de combat. Il est l’auteur de geneva.lounging (création à la Comédie de Genève en avril 2002 par Maya Bösch), adaptation contemporaine du mythe d’Orphée, de On est toujours la salope de quelqu’un, autre adaptation d’un mythe grec méconnu, celui d’Atis, Sybèle et Agdistis. Il a été chargé par le canton du Valais de le représenter à l’Expo.02, pour qui il a écrit 13 (mise en scène de Catherine Sumi et Jacques de Torenté), spectacle sur l’histoire, les fables et les changements de son pays d’origine. Il a écrit un oratorio sur le meurtre de Pier Paolo Pasolini, <EM<SAND< em>, créé par Marc Liebens à Bruxelles en 2002. Puis, il a travaillé à une adaptation d’Œdipe, un travail sur le chœur(création par Marc Liebens en mars 2004), et sur l’adaptation à la scène d’un des mythes fondateurs de l’architecture moderne, les Case Study Houses californiennes. Il a travaillé également avec Maya Boesch autour de Richard III de Shakespeare. Il traduit les pièces des auteurs qui lui tiennent à cœur : Rainald Goetz, R. W. Fassbinder, Rebekka Kricheldorf, Fabrice Melquiot…. 20 Bibliographie et filmographie Œuvres de Klaus Mann traduites en français Alexandre:roman de l'utopie, Malakoff, Solin, 1989 André Gide et la crise de la pensée moderne, Paris, Grasset, 1999. Le condamné à vivre, Paris, Denoël, 1999 La danse pieuse: livre d'aventures d'une jeunesse, Paris, Grasset, 1993 Fuir pour vivre: la culture allemande en exil, avec Erika Mann, Paris, Autrement, 1997 Fuite au Nord, Paris, Grasset, 1998. Journal, 1. Les Années brunes, 1931-1936, 2.Les années d'exil, 1937-1949, Paris, Grasset, 1996 & 1998. Ludwig: nouvelle sur la mort du roi Louis II de Bavière, Aix en Provence, Alinéa, 1987. Méphisto, Paris, Grasset, Les cahiers rouges, 1993 Méphisto, d'après Klaus Mann, adaptation d'Ariane Mnouchkine, Paris, Solin, 1979 Speed, nouvelles, Paris, Denoël,1999 Symphonie pathétique: le roman de Tchaïkovski, Solin, 1988 Le Tournant, histoire d'une vie, Solin, 1985 ou Seuil 1986 Le Volcan: un roman de l'émigration allemande (1933-1939) Grasset, 1993 Sur les Mann Strauss Dieter et Miermont Dominique, Klaus Mann et la France, Un destin d'exil, Seghers, 2002 Faust de Goethe et autour Goethe, Faust I & II, traduction de Jean Malaparte, GF, 1984 coll, Analyses et réflexions sur Goethe, Le Second Faust, ellipses1990. Dabezies André, Le Mythe de Faust, Armand Collin, 1972 Esthétique Michaud, Eric, Théâtre au Bauhaus, Lausanne, La Cité-L'Age d'homme, 1978. Piscator Erwin, Le théâtre politique, L'Arche 1962 Piscator Maria, Piscator et le théâtre politique, Paris, Payot, 1983 Richard Lionel, Encyclopédie de l'Expressionnisme, Paris, Somogy, 1978 Palmier Richard, L'Expressionnisme comme révolte, Payot 1983 Palmier Richard, L'expressionnisme et les Arts I, Portrait d'une génération, Payot 1979 Palmier Richard, L'expressionnisme et les Arts II, Peinture, théâtre, cinéma Histoire et philosophie Arendt Hannah, Le Système totalitaire, Seuil, Points, 2002. Guyot Adelin, L'art nazi: un art de propagande, Complexes Kraus, Karl, Troisième nuit de Walpurgis, Marseille, Agone, 2005 Richard Lionel, Le nazisme et la culture, Complexes, 1988 Roth François, Petite histoire de l'Allemagne au XXème siècle, Collin, 2002,Coll, Berlin 1919-1933, Autrement, 1991 Films Méphisto, Istvan Szabo Série Pourquoi nous combattons (1942-1945) produit par Frank Capra. Le Dictateur de Charlie Chaplin, 1940. Correspondant 17 d'Alfred Hitchcock, 1940. Lifeboat d'Alfred Hitchcock, 1944. Chasse à l'homme de Fritz Lang, 1941. Les Bourreaux meurent aussi de Fritz Lang, 1943. To Be or Not to Be d'Ernst Lubitsch, 1942. Reinhardt Max, Midsummer Night's Dream 21 Mephisto / rien qu’un acteur de mAtHiEU berTHoLeT 1ère partie ESPACES La Salle, la Scène du Théâtre, la Loge Impériale. Une cantine. Un lit. Un bureau. Une rue. Le bord de l’eau. Une interview. Une table dans un cabaret. Toujours tout un monde derrière. Qui change. Qui disparaît. Partout des drapeaux des oriflammes des décorations des insignes. Au début, communistes en majorité, remplacés ou arrachés pour faire place aux symboles nationalsocialistes. PERSONNAGES ICY, Klaus Mann, ERI, Erika Mann, GUSTAF Gründgens, LE DIRECTEUR des Théâtres, TILLA Durieux, une actrice, plus tard, EMMY Sonnemann, GUSTAVvon Wagenheim, PAMELA Wedekind, plus tard, MARIANNE, UN ACTEUR, plus tard, le Ministre-Président, Hermann GÖRING, ERICH Zaccharias-Langhans, TOMSKI, Thomas Quinn-Curtis, Un JEUNE HOMME et UN GROUPE DE JEUNES HOMMES. Au début, communistes pour la plupart, de plus en en plus de SA, pour finir, plus que des SS et des soldats de la Wehrmacht. 22 ON THE ROOF 1 Des femmes enfilent des bas avec une couture sur le mollet. Lentement. Avec plaisir. ON THE ROOF 2 Le bord de l’eau à Cannes. ICY, TILLA Rain. Rain. Rain. Rain. Rien. Rain. Rain. Rien. Rain. Rien. Rain. Rien. Rain. Rien. ICY TILLA ICY TILLA ICY Il y avait un jour tellement de possibilités devant nous. Qu’est-ce qu’on a en a fait ? Nous sommes allés nos chemins. Certains vers les sommets. Et nous ? Vers nous même. /Ce n’était pas le début. C’était déjà la fin. /Je ne suis pas amer. Et je ne suis pas fier. Je suis juste étonné, /nous sommes tous dépassés par la vie, elle nous prend plus que ce que nous pouvons donner. Elle nous coûte, tout naturellement rien de plus que la vie. ON THE ROOF 3 Une interview. La lumière pâle d’un studio de télévision. Le dos d’un homme. GUSTAF, vieilli, fatigué. GUSTAF Moi ! Oh, moi, /je survole les années de jeunesse. Nous avons tous posé nu sur une peau d’ours blanc pour une photo de famille. Nous avons tous trainé nos fesses sur les bancs d’école. Qui peut bien se soucier de MA jeunesse… Non, non, parlons plutôt du Théâtre. ON THE ROOF 4 Un Bal masqué. De la lumière claire. Dans les profondeurs de la scène, tous. Quelques uns avec un masque autour du cou, d’autres, le masque sur le visage. Un danseur en costume de Grande Faucheuse. De grands gestes. ERI et ICY s’arrêtent. Au bord de l’eau du Starnberger See. ERI La maison est belle, peut rester. Qu’est-ce qui m’arrive ? Moi, je ne veux pas rester. Parfait, tout ! /Je ne m’amuse pas. /Le lac est beau, peut rester. /J’aimerai être ailleurs. À 1o’ooo lieues. Loin, loin ! ICY Ce n’est pas une mauvaise idée ! Il y a tellement de choses que je pourrais fuir. TURN THE LIGHTS ON, LET THE SHOW BEGIN. AUSSICHTSPLATTFORM 5 Une cantine. GUSTAV VON WAGENHEIM Tu t’es caché ? GUSTAF Mes migraines. Tout ce bruit quand une troupe envahit notre théâtre. Tout ces gens qui veulent me voir. GUSTAV Tu te fatigues trop, GustaF avec F. GUSTAF Non, non, juste mes migraines. GUSTAV Gustaf, le Théâtre Révolutionnaire a besoin de toi ! De ton nom ! GUSTAF Je suis des vôtres, dans un mois, tout au plus ! 23 GUSTAV GUSTAF GUSTAV GUSTAF Dans un mois ? Très bien ! (GUSTAF répète après GUSTAV, pour lui, en imitant le ton.) Sortons le théâtre de son embourgeoisement ! Réveillons le prolétariat ! Montrons la voie aux travailleurs ! Rendons la scène au peuple ! Révolution !… Contre la bourgeoisie !… Oui, GustaF ! /Tu viens ? Les camarades nous attendent en ville. Non, pas aujourd’hui, mes migraines… 6 Sur la scène. ERI salue le public. Elle recoit des fleurs. 7 La Salle. UN ACTEUR TILLA UN ACTEUR TILLA ACTEUR TILLA ACTEUR TILLA ACTEUR TILLA ACTEUR TILLA ACTEUR Ses grimaces font peut-être de l’effet chez le Professeur Reinhardt ou même à la Volksbühne, mais à nous, on ne la fait pas ! Moi aussi /nous sommes aussi des acteurs ! Elle a un certain charisme. Si naturelle. Tellement elle-même. Elle-même ! On peut bien se permettre d’être soi-même avec ce nom-là ! MANN sur une affiche, ca fait venir tout un petit monde snobomarxiste ! Rien que ca ! MANN ! /Ce n’est pas une femme, un poisson ! /Avec des écailles froides. Froides… Un poisson ? Un poisson ! Elle se secoue comme un poisson sur une table. Froide, presque morte. Si ca leur plait ! Pour les cinquante Marks qu’on lui glisse tous les soirs, elle pourrait en faire un peu plus ? Cinquante Marks pour faire le poisson et donner dans le communisme ! C’est obscène ! Obscène ! Tout comme l’aut’ Gustaf ! GustaF avec F ? Ca met en scène et ca se garde les meilleurs rôles ! Il nous laisse pas même les miettes. Il a passé l’âge de jouer les jeunes premiers ! Te fais pas de bile. Il sera ridicule en collant. Ces dames n’auront d’yeux que pour toi. (Je te caressse le menton.) /Il a passé toute la soirée caché dans sa loge. Trois crises d’hystérie rien qu’aujourd’hui ! Il a arrêté les répétitions pour courir en hurlant : „Je ne serai jamais au sommet, pas comme la Mann, la Mann, je ne serai jamais comme elle !“ Il est lucide, pour une fois ! (Ils rient.) Allons manger ! Non, merci. 8 Une cantine. LE DIRECTEURCe fût un plaisir de vous accueillir chez nous, Mademoiselle Mann. Vraiment, une grande soirée de théâtre, Mademoiselle Mann. Vous resterez bien manger avec nous, Mademoiselle Mann ? ERI Désolée. Pouvons pas rester. Invités. Party. TILLA Erika, mon amie, quelle tristesse ! Tu ne peux pas t’asseoir avec nous, juste un peu ? ERIKA Dommage. En retard. TILLA Dommage. GUSTAF Pardon, excusez-moi, vraiment fameux, je suis vraiment en retard. Qu’allez-vous penser de moi ? Quelle histoire ! Je ne voulais pas que vous partiez sans vous avoir dit, sans vous dire à quel point j’ai apprécié cette soirée ! Comme je l’ai aimée. Ce fût tout à fait grandiose ! ERIKA Menteur. Même pas dans la salle. Vous vous êtes caché. /Doué, dit-on. GUSTAF Moi, doué ? Voilà bien une rumeur infondée. ERIKA Une rumeur qui ne ment pas ? Très en retard. Dommage. /Gustaf, vous venez ? 9 Le bord de l’eau à Cannes ICY, TILLA Rain. Rain. Rain. Rain. Rien. Rain. Rain. Rien. Rain. Rien. Rain. Rien. Rain. Rien. ICY Il y avait un jour tellement de possibilités devant nous. Qu’avons-nous fait ? TILLA Nous avons suivis nos chemins. Certains, vers les sommets. ICY Et nous ? TILLA Vers nous-même ? 24 ICY 10 Un cabaret. GUSTAF ERI GUSTAF ERI GUSTAF ERI GUSTAF ERI GUSTAF ERI /Ce n’était pas le début. C’était déjà la fin. /Je ne suis pas amer. Et je ne suis pas fier. Je suis juste étonné, /nous sommes tous dépassés par la vie, elle nous prend plus que ce que nous pouvons donner. Elle nous coûte, tout naturellement rien de plus que la vie. Dans un mois, j’ouvre mon théâtre. Mon Théâtre Révolutionnaire ! (Avec ce ton que j’ai appris.) Ma scène pour le théâtre d’aujourd’hui, pour les auteurs de notre temps, pour notre temps. Il faut sortir le théâtre de son embourgeoisement. Le théâtre doit parler aux travailleurs ! Il nous faut parler au prolétariat ! La Révolution ! Vous me comprenez Erika ? Vous me comprenez ! Oui, Gustaf. Nos pères ! Leur théâtre : vieilli. Usé. Inutile. Vieux. Leurs idées : dépassées. Poussièreuses. Inutiles. Erika, oui. /Oui. Leurs idées ? Elles nous ont menées dans ces tranchées. Tous ces morts. Et aujourd’hui ce climat dans les rues ! Dans les coins sombres, un bâton sous le manteau, ils attendent, prêts. Tous ! Le théâtre doit montrer la voie au prolétariat ! Nous engager. La Révolution a besoin de nos forces réunies. Le nouveau Théâtre ! La Révolution ! /Vous présenter mon frère. VOUS saurez l’aimer. Avec plaisir, Erika. (Je sors une photo de moi.) À garder précieusement, jusqu’à ce que je sois célèbre. La nature m’a fait don de ce profil grec. (Je signe la photo.) Oui. /Merci. 11 Une rue. Une bataille de rues entre deux bandes de JEUNES HOMMES. GUSTAF observe de loin. Les JEUNES HOMMES se séparent. Un manchon nazi, un JEUNE HOMME, parterre. GUSTAF Disparaissez ! Sales nazis ! Si j’étais arrivé plus tôt. Vous êtes blessé ? Je peux vous ramener ? 12 Un cabaret. GUSTAF ICY GUSTAF ICY GUSTAF ERI GUSTAF ICY GUSTAF ICY GUSTAF Notre enthousiasme fera taire nos ennemis. Mon, notre Théâtre Révolutionnaire sera entendu par tous les travailleurs. Il faut leur rendre leur théâtre. Ils veulent me voir, t’entendre, toi. Tu es notre auteur ! Ah vraiment ? Oui, le miroir, la voix de notre génération. Merci. Merci beaucoup. Si, si, vraiment. Tout le vide de notre époque. Tu es le poète de notre génération. Tu montres la voie. On se plait ? Oui ! Je vais la monter cette pièce, son Anja et Esther. Une grande pièce ! Et vous allez jouer tous les deux ! Vous voyez les journaux ? Vous les voyez ? Moi, moi je les vois, je vois déjà les affiches. On ne pourrait pas, Gustaf, /plus tard /se voir en ville ? /Aller manger… Tu ne devrais pas travailler ? Si, si, tu dois travailler. Ach, je veux, je veux faire quelque chose pour notre temps, pour le théâtre. Je veux, Klaus, je veux… Oui. /Oui, qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que tu veux ? Ach, je veux, je veux /autant que toi, beaucoup, je veux beaucoup, je veux monter Goethe pour les ouvriers ! Je veux faire beaucoup pour la Révolution ! 13 Un bureau à Hambourg. GUSTAF J’ai là une pièce. D’un jeune auteur. Je veux la monter ! 25 LE DIRECTEUR Oui, je l’ai lue, Monsieur Gründgens. Mais je ne pense pas que notre public hambourgeois soit prêt pour ce genre de choses. Toutes ces… /implications, ces /relations étranges entre ces /jeunes gens. Vous lui faites déjà assez peur avec votre /Théâtre Révolutionnaire, Monsieur Gründgens. L’émancipation du prolétariat par le théâtre, /je veux bien mais ça, /ça là, /c’est tout autre chose ! La libération, /la répudiation de la morale ! Je veux bien comprendre, /je peux même penser que, /mais mon public, /notre public, Monsieur Gründgens ! GustaV ! GUSTAF GustaF avec F! L’auteur jouera lui-même et j’ai pu convaincre sa soeur. Ils me confient la mise en scène. Laissez-moi essayer ! Et Pamela, l’amie d’Erika Mann, la fille de votre ami Wedekind, elle joue Anja ! Imaginez-vous les affiches ! Notre public fermera les yeux ! Il viendra, pour nous, pour les acteurs, il se laissera convaincre. Cette pièce, c’est exactement ce que votre public veut voir. Notre jeunesse ! LE DIRECTEUR Monsieur Gründgens ! C’est ça votre jeunesse /votre génération ? Perdue ? Désorientée ? /Pervertie ? GUSTAF Monsieur le Directeur ! Pas perdue, en quête ! Pas pervertie, ouverte ! Klaus est notre poète. Ses personnages nous montrent la voie. /Vous n’entendez pas la rue ? LE DIRECTEUR La rue, Monsieur Gründgens ? Moi, /je veux bien l’entendre, mais notre public, il ne verra que /la perversion, Monsieur Gründgens ! Toute cette /immoralité ! GUSTAF Il ne verra que les noms sur l’affiche ! Les Hambourgeois sont comme ça : des noms ! Des familles ! Le succès ! /Un succès ! /Un triomphe ! Les enfants de poètes unis sur scène ! Un scandale, mais un succès ! Notre conviction brûlante fera taire les critiques, Monsieur le Directeur ! 14 Une cantine. GUSTAV GUSTAF GUSTAV GUSTAF GUSTAV GUSTAF GUSTAV GUSTAF GUSTAV GUSTAF 15 Le lit. Moi,seul. GUSTAF Gustaf avec F ! Gustav avec V ! Tu entends la rue ? Ouvrons notre Théatre Révolutionnaire ! (GUSTAF répète pour lui en imitant le ton.) Il est temps de montrer de quel côté nous sommes ! Tu sais où je suis. A tes côtés. Aux côtés des travailleurs. Je ne suis pas encore assez connu pour qu’on m’écoute, GustaV. J’ai là une pièce, un immense succès ! Après, ils écouteront tout ce que j’ai /tout ce que nous dirons sur la scène de notre Théâtre Révolutionnaire. Il faut agir. Vite. Oui. Après Anja et Esther nous ouvrirons notre Théâtre Révolutionnaire ! Merci, GustaF. Tu sais à quel point ton nom est important. Les gens t’aiment, ils écoutent ce que tu dis. Il faut qu’ils m’aiment encore plus. Viens ce soir avec moi ! Les camarades, en ville ! Je te suis ! Il faut, il faut que je sois célèbre ! Vous ne savez pas qui je suis ? Rappellez-vous de mon nom : succès ! Je vais vivre pour toujours, je vais apprendre à voler très haut ! Regardez-moi ! Regardez-moi ! et dites-moi ce que vous voyez ! Vous n’avez pas encore vu le meilleur de moi. Donnez-moi du temps. Vous allez oublier tout le reste. Je peux encore tellement plus ! C’est pour vous que je me dépasse ! Je veux toucher la lune. Les gens me verront et pleureront ! Succès ! J’irai jusqu’au paradis, allumer le ciel ! 26 Succès ! 16 Tous sur le lit. Nous lisons le tapuscript. Emportés. ERI «Nous nous tenons debout entre les extrêmes. Désarmés. Personne pour nous guider. ICY /Je rends les parents responsables. Tout était plus simple pour eux. GUSTAF Ils n’ont pas eu de scrupules à nous mettre au monde. PAMELA Ils avaient leurs petites douleurs, sur lesquelles ils pouvaient se reposer. Une petite faiblesse, confortable. Nous, il faut nous sentir en danger, d’heures en heures, comme aucune génération avant n’a été menacée. ERI Ils avaient une terre sous les pieds. Un sol qu’il nous a fallu perdre… PAMELA tous nos rêves, ICY …beaucoup de nos souvenirs. Tous mes désirs. GUSTAF Notre désir, notre désir. PAMELA Et pourtant, pourtant quelques uns de nos espoirs… » ERI (Je pose le tapsucrit.) Un artiste n’arrête pas d’être ce que ses parents ont été avant lui. ICY Il faut bien qu’un de nous chante la chanson, notre chanson. Et que dira-t-elle ? 17 La salle. UN ACTEUR TILLA UN ACTEUR TILLA UN ACTEUR 18 La scène. GUSTAF ERI GUSTAF ERI GUSTAF 19 Au lit. Elles répètent. PAMELA ERI PAMELA ERI Regarde-les ! Courir ! Hurler ! Crier ! Et ca prétend jouer ! Rien ! Rien ! Juste des papas qui leur donne tout ! Leur âme les fait souffrir. Tous dégénérés ! Leurs pères. La fuite. L’ombre. /La drogue. De ca, ils ne manqueront jamais ! Pour le reste, tout le reste, ils courront toujours... Tu as du talent, Erika ! Oui ? Je vois ca ! Froide. Comme si tu étais notre temps. Froid. J’apprends quand je suis près de toi, Erika. Je ne fais rien. Tu le fais si bien. Tu es ce que tu es. Reinhardt l’a compris. Je comprends aussi, maintenant. Ce froid. « Peut-être qu’un jour, on nous vénérera comme des saintes, toi et moi. Alors tout ce que nous faisons, aussi ce que nous faisons toi et moi, cela aussi sera saint. Je ne comprends plus les mots. Maintenant, les mots s’arrêtent, les mots sont asséchés. » /Tu n’es pas froide. Je te sens, là, contre-moi. Ah, ma déesse. Tiens-moi ! 20 Une queue, beaucoup de monde. Une très lomgue queue. Et vous, jeune homme, vous faites la queue pour quoi ? Pour du beurre. Bonjour m’sieurs ‘dames ! Pour quoi qu’on attend ici ? On fait endormir not’ chien. Plus de quoi croquer pour lui. Bonsoir Méééssieurs. Bonsoir, Jeune Homme. C’est pour quoi que vous faites la queue ? Chais pas encore, d’ici que j’sois devant, j’aurai trouvé quekchose. 27 21 La scène, ERI, PAMELA, ICY et GUSTAF répètent. GUSTAF (à ICY.) Plus carnasssier ton sourire, plus sur le bord des lèvres. Un petit sourire, sombre et perfide, du coin des lèvres. Non ! Pas assez charognard ! Regarde-moi ! Regarde-moi ! Regardemoi ! Regarde-moi… (Ad eternum.) 22 La scène. PAMELA GUSTAF ICY Les journalistes sont là ! Gustaf ! Icy ! Venez ! /Courrez ! Les enfants de poètes, réunis ! (Je prends GUSTAF sous mon bras.) Et puis toi ! Gustaf Gründgens, le plus grand des acteurs en route vers les sommets ! Regarde comme ils nous aiment ! (Crépitment de flashes.) Tu nous vois Gustaf, sur toutes les couvertures, Gustaf ! Gustaf ! (GUSTAF rayonne.) UN JOURNALISTE Monsieur Mann ! Moniseur Mann, qui est ce Monsieur ? ICY C’est Gustaf Gründgens. Notre metteur en scène ! Et un immense acteur ! Flash. Flash. JOURNALISTES Monsieur Gründgens ! Monsieur Gründgens ! Merci, nous n’avons plus besoin de vous. (GUSTAF sort du champ.) Merci ! Flash. Flash. 28 no personnages fil thématique type de scène espace référentiel espace dramatique temporalité référentielle temporalité du récit partout le bord de l'eau env. 1920 20.mai.49 prolepse 1963 prolepse actions 2 Icy, Tilla K insert Histoire tableau.biogr aphique Cannes 3 Gustaf GG tableau.biogr aphique théâtre 4 Eri, Icy K tableau.biogr Starnberger aphique See le bord de l'eau 1924 moment le plus reculé du récit Gustaf, 5 Gustav GG FP cantine 1925 début du fil projet d'un théâtre rev. principal (FP) Migraines de GG 1 des femmes 6 Eri E 7 Acteur, Tilla E+GG Le directeur, Eri, Tilla E+GG 8 Gustaf 9 Icy, Tilla K FP Hambourg Hambourg: théâtre 1925 commentaire de l'action.FP Hambourg cantine 1925 FP cantine 1925 Hambourg tableau.biogr aphique Cannes bord de l'eau 20.mai.49 enfilent bas avec couture noire su les mollets suicide. derniers instants de sa vie Dernière interview avant sa mort. Vient de quitter poste de Dir du Schauspielhaus de Hambourg Quittent la maison paternelle pour Berlin. Coup d'envoi du récit: LIGHTS ON divers leitmotiv coutures 1 leitmoiv suicide 1 leitmoiv interview 1 leitmotiv bal masqué 1 Kammerspiel, dont GG fait partie, pendant une tournée du Deutschestheater de Reinhart de Berlin qq jours plus tard succès Succès d'Eri génère jalousie. Parlent de GG continuité avec ironie La troupe veut retenir Eri. Le directeur du théâtre de Elle est invitée. Eri sort Hambourg est dans la continuité de scène avec GG réalité Erich Ziegel prolepse. suite sc 2 suicide. derniers instants de sa vie. Evoque départ de la maison paternelle leitmotiv suicide 2 no personnages fil thématique 10 Eri, Gustaf E+GG type de scène espace référentiel espace dramatique temporalité du récit w1925 continuité sc.8 actions divers Discussion sur le théâtre rev. Eri veut présenter GG à Icy 11 Gustaf Gustaf, Eri 12 Icy GG FP Hambourg tableau.biogr aphique+inse rt.Hist. E+K/GG FP Hambourg cabaret Gustaf, le 13 Directeur E+K/GG FP Hambourg bureau Gustaf 14 Gustav GG FP Hambourg tableau.biogr aphique Hambourg cantine lit FP scène leitmotiv drague 1 + bagarre nazis. GG aide leitmotiv bagarre 1 Entre env. 1925-30 un jeune homme. drague histoire et biographique qq jours plus Projet de monter Anja et 1925 tard Esther GG propose de monter qq jours plus la pièce de Icy. 1925 tard Réticences du D. GG se défile par rapport qq jours plus au théâtre rev. Veut 1925 tard d'abord monter A&E Rêve de réussite. 1925 Monologue leitmotiv succès 1 qq jours plus 1925 tard lisent Anja et Esther Répetition Anja et Esther GG 15 Gustaf Pamela, Eri, E+K/GG 16 Icy,G 17 Acteur, Tilla (Pamela, 18 Icy), G, Eri Pamela, Eri, 19 (Icy, Gustaf) Beaucoup de 20 monde Eri, Icy, Pamela, 21 Gustaf Pamela, Eri, Icy, Gustaf, 22 journalistes Hamboug Cabaret temporalité référentielle rue E+K/GG commentaire de l'action.FP Hambourg salle 1925 simultanéité jalousie. Les Mann, tous dégénérés Répetition Anja et Esther E+K/GG FP Hambourg scène 1925 continuité "tu as du talent Erika" Répétition Anja et Esther E+K/GG FP insert. Histoire Hambourg scène continuité répétition Répetition Anja et Esther rue 1925 env. 192530. E+K/GG FP Hambourg scène Avant la 1ère qq jours plus 22oct 1925 tard répétition Répetition Anja et Esther E+K/GG FP Hambourg cantine Avant la 1ère 22oct 1925 continuité Répetition Anja et Esther inflation Mann attirent la presse. GG pas sur la photo type de espace scène référentiel tableau. biographique Hambourg espace dramatique temporalité référentielle rue 1925 24 Eri Pamela, Eri, E+K/GG 25 Icy, Gustaf insert.Hist. rue env 1925-30 FP Hambourg scène 22.oct.25 26 Acteurs Gustaf, 27 Gustav E+K/GG FP Hambourg cantine 22.oct.25 GG FP Hambourg cantine 22.oct.25 "On ne siffle plus de chanson à la mode" qq jours plus saluts de la 1ère Anja et tard Esther Fête de 1ère de Anja et continuité Esther Le théâtre rev viendra continuité après Hamlet FP FP Hambourg Hambourg cantine cantine 22.oct.25 22.oct.25 continuité continuité FP Hambourg cantine 22.oct.25 continuité Félicitations du directeur, succès de la pièce Fête de première proposition mariage Fête de première 1ère rencontre Erich/GG.Admiration.dra gue Fête de première FP Hambourg cantine 22.oct.25 continuité mariage à 4 commentaire de l'action.FP Hambourg cantine 22.oct.25 simultaneïté Jalousie.nazisme no personnages fil thématique 23 G. j-h GG Le directeur, GG 28 Gustaf E+GG 29 Eri, Gustaf 30 Erich, Gustaf GG Eri, Pamela, E+K/GG 31 Icy Acteur, Tilla, E+K/GG 32 Gustav Jeune homme, Eri, E+K/GG 33 Icy, Gustaf homme/fem 34 me insert.Hist. 35 Icy, Eri E+K FP Hambourg 36 Icy, Tilla K FP Cannes FP Hambourg temporalité du récit actions divers drague leitmotiv drague 2 Histoire vue par pers du récit. Ambiance de + en + tendue. Chanson qui pourrait être issue du Moulin à Poivre qq jours plus tard Homosexualité ouvriers se rallient à la rue 1928-30 violence nazie rapport E/I lit 1925 continuité homosexualité, drogue Nous aurions pu rester bord de l'eau 20 mai 1949. prolepse où ns étions Cabaret Fête de première. Fête de première.leitmotiv bal masqué 2 Fête de première Fête de première Fête de première. 1925 leitmotiv suicide 3 no espace dramatique temporalité référentielle FP cantine 1925 bureau 1925 E FP Hambourg tableau.biogr aphique lit env. 1925-30 GG tableau.biogr aphique personnages fil thématique Pamela, Icy, GG 37 Eri Le directeur, GG 38 Gustaf 39 Eri, Pamela 40 Gustaf 41 G et Eri E+K/GG 42 G GG type de scène FP espace référentiel temporalité du récit qq jours plus tard qq jours plus tard Crise de nerf GG. Suite à 1ère de A&E Prolongation contrat. GG jouera Hamlet GG gomine sa mèche bord de l'eau 1926 continuité théâtre prolepse 1963 divers Homosexualité. drogue 1926 Stanberger see actions photo trop bourgeoise vers luisant. Hermès. raconte son mariage et sa rencontre avec Thomas Mann scène de transformation du personnage. Ponctue trajectoire mariage leitmotiv interview 2