Troubles sexuelschez des patients atteints de cancer ou d

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Troubles sexuelschez des patients atteints de cancer ou d
mise au point
Troubles sexuels chez des patients
atteints de cancer ou d’hyperplasie
bénigne de la prostate
Dans cet article, la notion de tumeur concerne autant l’hypertrophie bénigne de la prostate que le cancer. Les réactions
psycho-émotionnelles de la personne atteinte, qu’elles soient
de moindre ou de plus grande intensité, présentent des caractéristiques similaires (surtout pour ce qui est des troubles
sexuels concomitants), ce qui implique l’importance dans les
deux situations, et aussi le bénéfice, d’une approche de type
psychothérapique.
Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 648-52
J. E. Danilin V. V. Marilov A. E. Brukhin
Dr Ivan Evguenievitch Danilin Pr Valery Vasilievitch Marilov Dr Andreï Evguenievitch Brukhin Département de psychiatrie et de psychothérapie de l’Université de Russie Droujba Narodov Rue Donskaya 43 Moscou 115419 Russie [email protected]
Chaire de psychiatrie et psychothérapie médicale de l’Université de Russie
Droujba Narodov Moscou
Sexual problems in patients with prostate
cancer and those with benign prostatic
hypertrophy
We use the word «tumour» both for a begnin
prostatic hypertrophy and for a prostatic cancer. The psycho-emotional reactions from a
man suffering from these illnesses could be
different depending on the kind of tumour,
but could be similar especially concerning
sexual problems connected with the specific
affliction. Hence the necessity also to concider beneficial a psychotherapeutic and sexotherapeutic intervention.
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maladies de la prostate
Les maladies de la prostate sont les plus fréquentes parmi les
pathologies urologiques chez les patients d’âge avancé.
Selon les données de Barry et Beckley,1 la plupart des hom­mes
de plus de 50 ans présentent des symptômes associés à une
hyperplasie bénigne de la glande prostatique (HBP). Des investigations menées en Ecosse par Garraway et Collins 2 auprès
d’hommes âgés de 40 à 79 ans ont montré la présence d’une
hyperplasie bénigne de la prostate chez 14% des sujets dans
la cinquantaine et chez 43% des sujets dans la septantaine.
Quant aux recherches de Beier-Holgersen et Bruun,3 elles ont
montré qu’un tiers des hommes de 60 à 70 ans présentent des
symptômes caractéristiques d’une hyperplasie bénigne de la
prostate.
Actuellement, le cancer de la prostate (CP) est à l’origine de la
mortalité de 3% des hommes âgés de plus de 50 ans. Les données de la littérature 4 montrent que le développement des
foyers microscopiques du cancer de la prostate, tout au long
de la vie des sujets masculins, est de 30% et que la mortalité
est de 3%.
Le cancer latent de la prostate est diagnostiqué à l’autopsie chez 10-15% des
hommes décédés des conséquences d’autres maladies. Chez des hommes âgés
de plus de 60 ans, cette proportion s’élève en effet à 30%.
L’origine et le tableau clinique des troubles psychiques chez des patients oncologiques – parmi les lourds symptômes somatiques de la maladie principale –
dépendent de divers facteurs tels que les particularités de la personnalité du patient, la présence de réactions névrotiques déjà avant la maladie, l’âge, et le degré
de connaissance et d’acceptation du patient concernant sa maladie, c’est-à-dire,
le tableau interne de la maladie.5
Notre étude porte sur 120 hommes âgés de 41 à 79 ans. Parmi eux, 60 sont atteints du cancer de la glande prostatique (66,7%), et 40 ont un diagnostic d’hyperplasie bénigne de la prostate (33,3%).
Nous avons repéré des troubles psychiques semblables chez tous les sujets
atteints d’un cancer de la prostate. Dans le groupe des sujets avec une hyperplasie bénigne, des troubles psychiques légers touchent 26 hommes, soit 65% des
sujets.
Les troubles de la miction constituent l’un des premiers symptômes des tumeurs de la prostate : fréquence du besoin d’uriner, miction douloureuse, jet
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d’urine plus faible, sensation de ne pas avoir vidé la vessie. Tandis qu’une rétention aiguë de l’urine est constatée
chez 20% des patients, l’incontinence urinaire, elle, est plus
rare. Au fur et à mesure que la tumeur augmente de volume, surviennent l’impuissance, l’hématurie, des douleurs
dans la région pelvienne et périnéale, ainsi que… des infections urinaires. Des réactions psycho-émotionnelles peu­
vent aller d’états anxieux jusqu’à des dépressions caractérisées.
Les troubles sexuels associés au cancer de la prostate,
et surtout aux hyperplasies bénignes, ont été observés lors
des changements au niveau de la prostate, mais aussi
comme faisant partie du processus physiologique normal
du vieillissement. On a pu constater une diminution de la
qualité et de la fréquence de l’érection, une diminution du
désir sexuel, ainsi que des troubles de l’éjaculation (plus
rapide, plus lente, rétro-éjaculation, anéjaculation).
Malgré le fait que les troubles de la libido et de la puissance sexuelle soient des symptômes intrinsèques à la
maladie principale, aucun trouble n’a été identifié chez onze
sujets. Chez ces derniers, des troubles psycho-émotionnels
associés à des troubles sexuels se sont néanmoins manifes­
tés à l’annonce du diagnostic du cancer. Dans ces cas, nous
avons considéré la diminution du désir sexuel et de la puis­
sance sexuelle comme une manifestation des symptômes
sexuels liés à une dépression nosogène (induite justement
par l’annonce du diagnostic de la maladie).
Chez 30 patients atteints d’un cancer de la prostate, une
orchidectomie (ablation chirurgicale des testicules) a été
effectuée dans le but d’une déprivation androgénique. Tous
les sujets de ce groupe ont présenté des troubles psychi­
ques non psychotiques, avec un développement et une
psychodynamique dépendant d’une complexité de facteurs
psychogènes et somatiques. Chez les hommes qui ont subi
une orchidectomie bilatérale, nous avons observé des souf­
frances communes à la plupart des malades sur la base de
facteurs psychogènes actuels dus à la maladie et non dépendants de syndromes psychopathologiques, telles que :
1. La compréhension de l’aspect mutilant de l’opération. Il
est important de remarquer que, dans la plupart des cas,
les malades n’ont pas partagé leurs impressions sur l’opération, ni avec leurs proches, ni avec leurs médecins. Les
émotions ressenties sont restées cachées ou fréquemment
exprimées sous la forme d’anecdotes ou de vulgaires plaisanteries.
2. L’incertitude concernant l’avenir des relations familiales
et sociales. Les patients ont présenté des doutes sur la façon dont ils allaient être acceptés «ainsi», sur la réaction
de leur épouse et des autres membres de la famille, ainsi
que des préoccupations quant à savoir qui allait être au
courant du type d’opération subie. Deviendraient-ils l’objet
de risées ou de plaisanteries ? Quatre malades ont refusé
l’opération pour ces raisons malgré l’indication médicale.
3. L’incertitude du développement futur de la maladie. La
prise de décision concernant l’orchidectomie a été très significative. Pour les patients atteints du cancer de la prostate, leur accord était accompagné d’un sentiment d’impor­
tance, vécu comme une «étape» du processus. Même si les
patients avaient connaissance du caractère palliatif de cette
intervention, ils essayaient de ne pas donner trop d’impor-
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tance à cet aspect. L’intérêt des patients était focalisé sur
la préparation à l’opération et aux problèmes consécutifs.
La période postopératoire apportait la conviction que l’orchidectomie ne garantissait ni une amélioration de l’état, ni
même une stabilisation du processus. Le facteur psychogène le plus important était la contradiction entre l’importance subjective dans la prise de décision en faveur de
l’opération et le constat que cette opération n’avait pas une
influence majeure sur le développement de la maladie.
4. Pour de nombreux patients, l’opération a engendré aussi
des inquiétudes de type symbolique, comme celui de «la
fin du cycle de vie» associée à la fin de la période de reproduction. Ces préoccupations étaient également présen­
tes chez des patients qui n’avaient plus de vie sexuelle active et qui ne ressentaient aucun besoin sexuel. Cette position a nécessité un grand courage de la part des patients,
en leur donnant la possibilité d’expérimenter une position
passive face à la maladie, ce qui a alors laissé place à l’apparition de problèmes psychopathologiques ultérieurs. Les
patients traités par thérapie hormonale ont présenté à peu
près les mêmes problèmes, mais à des degrés moins marqués. L’absence du facteur «mutilant» de l’opération n’a pas
empêché que les patients traités avec un traitement hormonal – pour diminuer la production d’hormones masculines – ressentent ce traitement comme une humiliation
d’être presque «transformés en femme». Leurs inquiétu­
des se sont concentrées autour des relations familiales futures et de la perte de la libido et de la puissance sexuelle,
c’est-à-dire la perte de «la masculinité».
hyperplasie bénigne de la prostate
Chez les patients atteints d’une hyperplasie bénigne de
la prostate, la base psychogène dans la formation des trou­
bles psychiques se situe dans la connaissance du «cadre
interne» de la maladie. Dans la majorité des cas, on a observé les facteurs suivants :
1. Le statut socioculturel particulièrement important des
maladies de la sphère urogénitale, les symptômes de la
maladie principale appartenant à la catégorie de ceux dont
il est «gênant d’en parler ou de s’en plaindre et qu’il vaut
mieux cacher, en raison d’un fort sentiment de honte». Les
patients atteints d’une hyperplasie bénigne de la prostate
ont en outre été contraints à certaines restrictions dans leur
manière de vivre qui, malgré leurs efforts pour les dissimuler, ont semblé évidentes pour l’entourage socio-familial.
La restriction de l’activité physique et par conséquent de
la sociabilité, l’impossibilité de se déplacer à de grandes
distances, la préoccupation constante de se situer à proximité des toilettes, l’inconfort du désir permanent d’uriner, la
crainte de se retrouver dans des situations «honteuses»
(peur de l’incontinence), ainsi que d’être l’objet de risée
réelle ou dissimulée de l’entourage. Des troubles psychopathologiques sont apparus au cours des années comme
le résultat de ces situations et de ces craintes chroniques.
2. Il est nécessaire de signaler un puissant facteur psychogène en relation avec l’apparition des troubles du fonction­
nement sexuel, symptôme principal dans l’hyperplasie bénigne de la prostate, qui a pu être observé dans certains
cas. Il s’agit du sentiment d’«infériorité» apparu chez cerRevue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 23 mars 2011
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tains de nos patients, également chez ceux dont l’activité
sexuelle était déjà réduite avant le début de la maladie.
Les malades ressentaient le besoin de donner des explications «à leur maladie invalidante», ressentie par eux comme
«humiliante» et qui «les prive de respect et de dignité». Les
patients atteints d’une hyperplasie bénigne de la prostate
ont donné plus d’importance aux problèmes de la sphère
sexuelle, par rapport aux patients porteurs d’un cancer, chez
qui les plaintes et inquiétudes au sujet de la diminution
de la libido et de la puissance sexuelle ont été plus rares,
même dans la structuration des états dépressifs.
3. Il est aussi nécessaire de remarquer que pour certains
des patients atteints d’une hyperplasie bénigne de la prostate, la maladie a pris un symbolisme particulier. Pour les
malades qui avaient un bon niveau d’activité physique et
psychique avant le début de la maladie, l’apparition des
symptômes a signifié «le début de la vieillesse». Par ail­
leurs, l’information médicale reçue sur la maladie – son caractère chronique, le développement non linéaire de la
maladie, qui empêchent de déterminer les contours d’une
amélioration, ainsi que les perspectives de la progression
des symptômes – conduisant éventuellement à des traitements chirurgicaux – n’offre pas des garanties d’une guérison définitive. De cette manière, dans la structure des souf­
frances responsables de la formation des troubles psychogènes lors des tumeurs bénignes de la prostate, les facteurs
les plus importants sont de nouveau : le statut socioculturel
particulier des maladies de la sphère urogénitale, la diminution de la libido et de la puissance sexuelle, la nécessité
de «se reconnaître handicapé» en raison de la maladie, le
danger relatif à la possible dégénérescence maligne de la
tumeur, la restriction de l’activité physique et psychique et
celle conséquente de la sociabilité – les inquiétudes en
somme liées aux symptômes principaux de la maladie.
Chez les malades porteurs d’un cancer de la prostate,
en revanche, les facteurs suivants jouent un rôle particulier :
la conscience, dès le départ, de la malignité du processus
avec un sentiment de risque vital, la compréhension du rôle
palliatif des traitements, l’absence de pouvoir croire en une
stabilisation du processus par n’importe quelle méthode
de traitement, ainsi que le facteur «humiliant et mutilant»
de l’opération qui intervient chez les patients déjà soumis
à une double orchidectomie.
La présence de multiples «troubles psychiques limitro­
phes», en incluant les diverses dysfonctions sexuelles, chez
des patients avec des tumeurs prostatiques, exige en tout
cas une approche complexe dans le traitement des patients :
méthodes psychopharmacologiques et psychothérapeuti­
ques associées, spécialement adaptées à cette catégorie
de patients, accompagnées éventuellement d’une thérapie
cognitivo-comportementale spécifique concernant le trouble
sexuel en question.
réactions que des femmes peuvent avoir, par exemple, lors
d’une tumeur maligne des seins ou de l’utérus. Reste à
considérer le fait qu’il ne semble pas y avoir chez la femme
une situation pathologique correspondant à la présence
chez l’homme d’une simple hypertrophie de la prostate, qui
comporte, quoi qu’il en soit, une répercussion importante
sur la vie sexuelle.
D’autre part, nous laissons de côté ici des confrontations
de ce genre, confrontations donc entre hommes et femmes
à l’égard d’autres affections graves, comme par exemple
des cancers respectivement du testicule (les séminomes
pouvant à l’heure actuelle être efficacement traités) et de
l’ovaire. Comme nous laissons de côté la problématique liée
à la confrontation entre la ménopause et l’andropause, sachant qu’alors que la ménopause amène inévitablement la
fin de la capacité reproductrice chez la femme, ce n’est pas
le cas lors d’une possible andropause.
Il est clair, de toute façon, que les atteintes prostatiques,
quelles qu’elles soient, éveillent chez l’homme ce qu’on
pourrait sans autre nommer un «complexe de castration»
susceptible de se répercuter à différents niveaux psychoémotionnels, allant des modifications de l’humeur à celles
du comportement de l’individu affecté. Ce qui veut dire qu’à
côté de la dépression ou d’une accentuation de l’anxiété,
on peut aussi constater l’apparition par exemple d’excès
d’agressivité ou de jalousie.
Tout cela nous pousse à conclure avec certitude que
tout problème sexuel en connexion avec des atteintes phy­
siques de la sphère génitale ne peut être pris en charge
tout simplement avec des interventions pharmacologiques
ou chirurgicales, mais demande d’emblée l’utilisation d’une
approche psychologique et psychothérapeutique associée.
Cette approche qui, en définitive, peut être qualifiée d’ap­
proche globalement sexologique, tiendra compte pour cha­
que cas, soit de facteurs davantage liés au groupe social
d’appartenance du sujet malade, soit de facteurs strictement
liés à sa propre histoire personnelle.
Implications pratiques
> Etre attentif à une possible ressemblance réactionnelle de la
part de la personne atteinte soit d’une hypertrophie bénigne
de la prostate, soit d’un cancer prostatique, surtout en ce qui
concerne des troubles sexuels concomitants
> Ainsi, ce serait plutôt le fait que les deux atteintes en quesconclusions
Ce qui, dirait-on, unifie les malades atteints respectivement d’une tumeur bénigne ou d’une tumeur maligne de la
prostate, c’est un changement tantôt brusque, tantôt progres­
sif, des rapports de ces personnes avec leur corps sexué. Il
s’agirait évidemment d’une contrepartie masculine des
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tion tout en étant d’une gravité différente, concerneraient
également la région génitale
> D’autre part, cela implique la nécessité de ne pas se borner
à des interventions exclusivement physiques, mais à prendre
en considération d’éventuelles interventions parallèles autant
psychothérapiques que sexothérapiques
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* à lire
** à lire absolument
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