John Tolan, Université de Nantes

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John Tolan, Université de Nantes
John Tolan, Université de Nantes
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Individus et statut communautaire:
La place des minorités religieuses dans les sociétés médiévales
Bibliographie :
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Textes
1. al-Mâzarî, Fatwâ sur le cas des musulmans vivant en Sicile sous l'autorité des Normands
[Extrait d’A. Turki, "Consultation juridique d'al-Imam al-Mâzarî sur le cas des musulmans vivant en Sicile sous l'autorité des
Normands," Mélanges de l'Université Saint-Joseph 50 :2 (1984), 691-704; voir J. Tolan, Histoire médiévale: Les Relations
entre les pays d'Islam et le monde latin du milieu du Xème siècle au milieu du XIIIème siècle (Paris: Bréal, 2000), 152-56.]
L’Imâm Abû `Abd-Allâh al-Mâzarî -- que Dieu lui accorde Sa Miséricorde -- fut consulté à son
époque : “Doit-on déclarer recevables, ou bien les récuser, tout jugement en provenance de Sicile [et
prononcé] par son qâdî, ainsi que les dépositions de ses témoins assermentés, tout en sachant qu’ils sont
imposés par la nécessité et qu’on ne peut établir si leurs auteurs résident sous l’autorité des Infidèles de
plein gré ou sous la contrainte.”
Voici sa réponse -- que Dieu l’agrée :
Toute récusation est concevable en fonction d’un double motif :
-- Le premier touche à [la personne du] qâdî, ainsi qu’à ses avis fondés, considérée sur le plan
de la probité, du moment qu’il réside en territoire ennemi (dâr al-harb) et sous l’autorité des infidèles,
chose qui n’est point permise.
--Le second s’attache à l’investiture, puisqu’il est investi par l’infidèle.
Quant au premier motif, il se réfère à un principe fondamental qui lui confère sa légalité et qui
consiste à accorder le préjugé favorable à tout musulman et à écarter de lui toute [idée de]
désobéissance. C’est là un fondement dont on ne peut se détourner pour des conjectures sujettes aux
mensonges, ou pour des hypothèses faciles à détruire.
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À titre d’illustration, citons le cas d’un jugement [porté sur une personne], qui ne soit fondé que
sur l’aspect apparent de la probité, alors que la personne en question aurait pu commettre en privé un
péché grave dans cette période considérée, à moins qu’une preuve n’ait établi son immunité contre
l’erreur ; or cette dernière [probabilité] est à écarter ; donc, on ne juge que selon les apparences ; c’est
bien là le principe fondamental, à moins que des indices troublants ne nous mettent hors d’état de
l’appliquer et, dans ce dernier cas, l’attitude d’expectative est de rigueur jusqu’à ce qu’un nouvel
élément vienne apporter un éclaircissement.
Si cette personne en question réside en pays ennemi pour une raison impérieuse, il n’y a là rien
qui puisse porter atteinte à sa probité. Il en est de même si elle le fait de son propre gré, tout en ignorant
le jugement en vigueur ou tout en croyant au caractère permis de son acte. En effet, rien ne l’oblige à
prendre connaissance de ce chapitre du savoir [juridique], au point que son ignorance [supposée] ne
porterait pas atteinte à sa probité.
De même, si elle interprète correctement la loi, de sorte qu’elle justifie sa résidence en territoire
ennemi par l’espoir de l’arracher d’entre les mains [des occupants] et de le restituer à l’islam, ou de
parvenir à mettre les infidèles sur la bonne voie, ou, du moins, à les détourner d’une hérésie quelconque.
Al-Bâqillânî [mort 1012], ainsi d’ailleurs que les compagnons du [juriste] Mâlik --que Dieu, le Très
Haut, lui accorde Sa Miséricorde-- signalent très brièvement la possibilité [licite] de pénétrer [en
territoire ennemi] en vue de délivrer un prisonnier.
La situation demeure la même si cette personne considérée pratique une interprétation fautive,
laquelle, d’ailleurs, peut connaître des formes multiples, tout comme, du reste, les cas équivoques chez
les fondamentalistes. C’est qu’une solution est susceptible d’erreur au regard d’un savant et de vérité au
regard d’un autre, et ce en admettant comme principe qu’une seule personne atteint le vrai, alors que
l’autre [soutenant une opinion divergente] peut être excusée.
Par contre, si elle agit en méconnaissance de la loi, ou en se détournant sciemment de tout effort
d’interprétation, il y a certainement là un motif d’atteinte à sa probité. Cependant, il y a divergence à
l’intérieur de l’école [mâlikite] pour ce qui est de récuser le témoignage de toute personne pénétrant de
son propre gré dans un territoire ennemi dans le but d’y faire du commerce. Les plus grandes
divergences sont apparues pour ce qui est d’interpréter sur ce point la Mudawwana [de Sahnûn, mort en
854].
[En définitive], tolérer ses raisons personnelles doit être l’attitude de principe à adopter envers
toute personne dont la probité est évidente, mais dont le but du séjour en territoire ennemi prête
néanmoins à suspicion. C’est que la grande majorité des suppositions précédentes plaident pour cette
tolérance et il n’est guère possible de les repousser toutes à l’exclusion d’une seule ; à moins que des
indices annexes ne viennent attester que le séjour n’a aucun but [contraignant] et qu’il a été effectué de
propos délibéré.
Pour ce qui est du second point soulevé, c’est-à-dire l’investiture accordée par l’infidèle aux
qâdîs, notaires, syndics et autres [détenteurs de charges honorables], il est un fait qu’on doit
impérativement protéger les gens, les uns contre les autres, tant et si bien qu’un certain disciple de
l’école [mâlikite] prétend fonder rationnellement cette obligation. L’auteur de la Mudawwana établit la
légalité de tout intérim assuré par les notabilités d’un lieu quelconque, en l’absence du prince [sultân], et
ce de peur de ne pouvoir traiter un cas d’urgence dans les délais prescrits. L’investiture accordée par
l’infidèle à ce qâdî probe, soit pour répondre à un besoin impérieux, soit pour satisfaire la demande des
justiciables, ne porte nullement atteinte à des jugements qui gardent de la sorte leur caractère exécutoire,
tout comme s’il avait été investi par un prince musulman.
C’est Dieu qui guide [nos pas] vers le droit chemin.
2. Raymond de Penyafort, Responsiones ad dubitabilia circa communicationem christianorum cum
sarracenis
[extrait de Raymond de Penyafort, Summae, 3 vols., in Xavier Ochoa and Aloysius Diez, éds., Universa Bibliotheca Iuris I
(Rome, 1976-78) 3: 1024-36.]
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